1703

Mercure galant, avril 1703 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1703 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1703 [tome 4]. §

[Sonnet au Roy d’Espagne] §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 15-17.

Le Sonnet qui suit fut presenté au Roy d’Espagne, par Mr le Gendre de la Terrasse, pendant le sejour que ce Monarque fit à Montpelier.

Tout couvert de lauriers qu’au sein de la Victoire
Ton bras vient de cuëillir en des Champs perilleux,
Tu fais voir Grand Heros à ton retour pompeux,
Que nul effort ne peut interrompre ta gloire.
***
De tes faits surprenans, une fidele Histoire
Dans les siecles futurs rendra ton Nom fameux.
À ton Regne naissant tes travaux belliqueux
Déja t’ouvrent l’entrée au Temple de Memoire.
***
Mais Mars a trop longtemps occupé ton grand cœur.
Que l’Amour desormais se rende ton Vainqueur,
Pour remplir les desirs d’une grande Princesse.
***
Il n’est plus de ressource à tes fiers Ennemis,
Leur orgüeil doit ceder aux remords qui les presse :
Tes yeux comme ton bras les ont rendus soumis.

Sur la Vie Champestre. Sonnet §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 17-19.

Une personne de grande consideration à la Cour, ayant proposé dans une Compagnie des Bouts-rimez à remplir sur differens sujets qu’elle prescrivit ; il m’est tombé par hazard entre les mains deux de ces Sonnets que je vous envoye.

SUR LA VIE CHAMPESTRE.
SONNET.

Fussay-je plus vaillant, fussay-je plus actif
Qu’un Roy qui pour Devise avoit la Salamandre,
Ou que ces vieux Heros que le triste Scamandre
Vit triompher enfin de son Peuple captif.
***
Jamais je ne feray pousser de ton plaintif,
Jamais je ne courray sur les pas d’Alexandre ;
J’abhorre les Combats ; le sang qu’ils font répandre
Sans cesse pousse aux cieux un cri vindicatif.
***
O ! Champs, où s’amollit le cœur le plus superbe,
Où regne la franchise, où l’on parle proverbe,
Où l’on s’endort à l’ombre au chant du Rossignol :
***
Lors que je quitteray vostre heureuse abondance,
On verra les Chinois marcher sans parassol,
Et Balon cessera de danser en cadence.

Sur un homme à bonne fortune §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 20-21.

SUR UN HOMME À BONNE FORTUNE.

Dans l’amoureuse intrigue, Hilas toûjours actif,
Aux flames endurci comme la Salamandre,
Et plus fier que Pirrhus ne fut sur le Scamandre,
Met aux fers chaque jour nouvel objet captif.
***
Les Meres, les Maris prennent un ton plaintif
Contre ce Conquerant aussi prompt qu’Alexandre,
Mais, il est peu touché des pleurs qu’il fait répandre ;
Et brave le Jaloux le plus vindicatif.
***
Il enchante la Sotte, il dompte la superbe,
Parle sublime à l’une, avec l’autre, proverbe,
Chante comme la Chappe, & mieux qu’un Rossignol :
***
Du feu de ses regards la fatale abondance
À celle qui s’y vient livrer sans parassol
Fait bientost à coup sûr, perdre toute cadence.

[Relation des tremblemens de terre arrivez en Italie, avec plusieurs pieces & plusieurs Lettres sur ce sujet] §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 70-104.

RELATION
Des tremblemens de terre arrivez en Italie, & des dommages qu’ils ont causé dans le Royaume de Naples & dans l’Etat Ecclesiastique. Cette Relation a esté faite sur les lieux, & est tirée d’une Relation Italienne imprimée à Naples.

On a senti pendant deux mois, presque par toute l’Italie, des tremblemens de terre horribles & frequens. Le premier dont on s’apperçut à Naples, arriva le 14. de Janvier à une heure & demie aprés minuit. Il fut si leger & les secousses en furent si peu violentes que plusieurs de ceux qui dormoient n’en furent pas éveillez. On craignit cependant deslors que ce fut un effet & une continuation de quelques autres tremblemens de terre, qui se seroient faits sentir ailleurs avec plus de violence. On sçeut en effet peu de temps aprés, qu’à la même heure un tremblement de terre des plus horribles avoit jetté l’épouvante & la consternation dans Rome, dans beaucoup de lieux de la Romagne, & dans l’Abruzzo, & qu’on l’avoit senti de même à Florence, à Vinegia, à Milan, à Boulogne, & jusqu’aux extremitez de l’Italie, à Trente, dans le Tirol, & chez les Grisons. Ce même tremblement recommença à Rome à deux reprises la même nuit, les secousses reiterées y jetterent des allarmes universelles, & le seize du même mois il y en eut un autre qui ne fut pas moins violent, & qui causa de grands dommages à Sessa, à Foligno, à Norcia, à Spolete, & à d’autres lieux & Chasteaux de l’Etat Ecclesiastique. Il en survint encore un bien plus fort le vingt-cinq qui renversa les lieux qui avoient déja esté endommagez par le precedent, & dont les effets les plus lamentables parurent à Norcia, où il ne resta pas une seule muraille sur pied. Dans l’Abruzzo depuis le premier qui arriva le 14. Janvier, on en a senti de nouveaux de jour en jour en si grand nombre & avec d’autres tremblemens souterrains si épouvantables, qu’il sembloit que le monde allast finir. La Ville d’Aquila, Capitale de l’Abruzzo, a esté aussi des plus maltraitées. Elle est bâtie sur des montagnes assez hautes, au milieu d’une belle Plaine. Les ruës en sont larges & droites. Les Places y sont grandes & ornées de belles fontaines, les Eglises y sont magnifiques. Cette Ville, en un mot, est belle & par ses bâtimens & par sa situation. Elle souffrit de grands dommages dés le premier tremblement du 14. Janvier, mais pour lors il n’y petit personne par les soins que prirent les Habitans, de sortir de leurs maisons. Ce fut leur consolation dans leur malheur ; mais la pluspart estoient rentrez dans la Ville, lorsque le 2. de Fevrier, jour de la Purification, un nouveau tremblement de terre plus horrible que les precedens, menaça cette Ville de son entiere destruction. Les secousses en parurent legeres à Naples, mais les effets en ont esté lamentables à Rome, dans toute la Romagne, & dans l’Abruzzo. Il est incroyable combien de personnes y ont peri, & combien de lieux en ont esté abîmez. On en jugera par le détail qu’on ajoûte icy. Cette noble & fameuse Cité de l’Aquila, en a esté comme rasée, peu de maisons y ont resté, & les murailles qui n’y ont pas esté abbatuës menacent d’une ruine prochaine. Selon le calcul qu’on a pû en faire, il y a peri deux mille quatre cens personnes, outre quinze cens qui y ont esté blessées, on les a portées sous des tentes hors de la Ville où on les pense avec beaucoup de soin & de charité. Le nombre des malheureux eust esté moins considerable si la devotion du jour ne les avoit rappellez de la Campagne, pour venir implorer la la clemence du Ciel dans les Eglises, dans les ruines desquelles tous ceux qui y estoient venus en si grand nombre, se trouverent ensevelis. Dans l’Eglise, sur tout, de saint Dominique, où il se faisoit une Communion generale. Il y perit huit cens personnes & on a déterré du fond de ces ruines le Prestre qui donnoit la Communion, & on a trouvé dans le S. Ciboire qu’il avoit entre les mains, des saintes Hosties au nombre de deux cens, dont pas une n’avoit esté endommagée. Au milieu des ruines du Convent des Celestins on a trouvé entier le corps du S. Pontife Celestin Cinquiéme, leur Fondateur, & tous les Religieux de ce Convent eurent le temps de se sauver, avant qu’il s’abîmast. Les Religieuses de quatre Convens de ce même Ordre eurent aussi le temps de se sauver. Les Religieux de S. François qui se trouverent tous pour lors dans leur refectoire, y furent tous écrasez. Le Palais du Tribunal de la Royale Audience, est entierement détruit, & tous les Monasteres de cette pauvre Ville le sont de même. Dans le Château les Boulevards n’ont pas esté endommagez ; mais tout ce qu’il y a de logement au dedans, a esté presque tout renversé. Quelque diligence qu’on ait apportée & quelque empressement qu’on ait eu à secourir ceux qui gemissoient sous les ruines, & qui n’étoient pas encore morts, il n’a pas esté possible d’en sauver qu’une petite partie. On a entendu quelques jours de suite les cris & les lamentations pitoyables de ceux qui appelloient à leur secours ; mais les secousses horribles qui continuoient & qui redoubloient, ne laissoient pas la liberté de s’y exposer. Dans l’Eglise de S. Dominique on trouva en vie un Prestre qui avoit une jambe sous une grosse pierre, on ne put pas risquer de l’en retirer, d’autant qu’une arcade entiere à demi suspenduë immediatement au dessus, estoit preste à tomber. La mere de ce pauvre Prestre dans la desolation fut reduite pendant plusieurs jours de luy jetter au travers d’une ouverture, quelque chose pour sa subsistance. De ceux qui eurent le bonheur de se sauver, les uns sont morts de faim, les autres de froid, le temps estoit cruel & les provisions estoient rares. Il faut encore ajoûter à tant de malheurs, celuy d’avoir manqué d’eau pendant quelques jours. Cette desolation a esté aussi grande dans plusieurs autres endroits de la Province, où l’on ne voit que de pareils objets. Un Pere Capucin digne de foy, assure qu’il a vû de ses yeux entre Fano & Montreal, quatre Montagnes s’émouvoir avec des secousses surprenantes, & les rochers les plus escarpez & les plus massifs se rompre & s’entrouvrir, & vomir en même temps des gouffres de feux & de flames. Il a vû ensuite trois grands fleuves couler de ces ouvertures affreuses, & former une espece de mer dans la Plaine, dont les eaux se sont abîmées de nouveau.

Mr le Viceroy de Naples instruit de tous ces malheurs, envoya sur l’heure de ses deniers douze cent ducats, & donna ordre à Mr le Duc d’Atri, Vicaire general de cette Province, de secourir en diligence ces peuples de solez, & d’employer même pour cela les propres deniers du Roy. Mr le Viceroy ne s’est pas contenté de cette charité & de cette prévoyance. Il a ordonné encore au Marquis della Rocca Garofalo, d’y aller en personne, avec d’autres sommes considerables. Ce Marquis dés qu’il y arriva fit faire des Barraques, & il fit cuire du pain de tous costez, & n’a rien oublié pour soulager les malheureux.

Il s’est fait dans la campagne deux ouvertures affreuses : de l’une il est sorti une quantité prodigieuse de pierres, & de l’autre des gouffres d’eau, ce qui en rendoit l’accés impraticable. Ces témoignages visibles de la colere du Ciel ont mis tout le monde en prieres & en penitences. Les Processions y ont esté continuelles, tous les plaisirs du Carnaval ont esté deffendus dans la ville de Naples, & dans les autres lieux de ce Royaume.

La Ville de Rome a esté un peu plus épargnée, mais les dommages n’ont pas laissez d’y estre assez grands. Beaucoup d’Eglises y ont été ébranlées, celle de Saint Barthelemy all’Issola est menacée d’une ruine prochaine. L’Eglise de Saint Pierre n’en a pas souffert. On n’y remarque qu’une fente à un coin, que bien des gens assurent n’estre pas nouvelle ; mais on s’apperçoit d’un assez grand dommage à une des arcades de la Colonade de la Place.

Dans la Ville de Norcia, aprés le tremblement de terre du 14. on en sentit un autre le 25. qui jetta par terre toutes les murailles qui avoient resisté au premier, & tous les Habitans en estoient sortis, & alloient vagabonds par la Campagne, où on les trouvoit expirans ou morts de froid & de faim. Dans le Vallerano le premier tremblement renversa beaucoup d’édifices, & une Chapelle où il y avoit un ancien Crucifix en grande veneration, fut miraculeusement conservée en son entier. Sa Sainteté a ordonné aussi que l’on recommençast de dire la Messe dans cette Chapelle, comme auparavant. À quatre lieuës de Rome il s’estoit fait une ouverture assez large, qui s’étendoit fort au long du costé de Castelnuovo. Enfin dans la Ville de Camerino l’Eglise de Nostre-Dame estant toute pleine pour entendre le Sermon, aux premieres secousses du tremblement de terre, tous ceux qui y estoient songerent à se sauver, & dés qu’ils en furent tous sortis, l’Eglise s’abîma.

Les devotions & les penitences se continuënt dans Rome avec beaucoup de zele & de ferveur. Prestres, Religieux & Seculiers, y sont d’une pieté exemplaire. Sa Sainteté se trouve en personne aux exercices publics de pieté, & elle a fait distribuer des sommes considerables pour le soulagement des malheureux.

Je croy devoir ajouter icy plusieurs lettres tres curieuses, au sujet des tremblemens de terre dont je viens de vous parler.

À Naples le 3. Fevrier.

J’Arrivay icy Mercredy 31. Janvier où j’ay trouvé tout en émotion du tremblement de terre qui s’y estoit fait sentir, & qui recommença hier, jour de la Chandeleur à une heure aprés midy. J’estois dans ce moment à examiner un fameux Portique ruiné par un autre tremblement arrivé il y a 15, ans. À la porte de l’Eglise de Saint Paul il y eut deux furieuses secousses, & le Peuple criant misericorde courut à une Eglise, où je suivis la foule. Mon sang se glaça dans mes veines lorsque j’apperceus vingt lampes d’argent qui brûlent devant la Chapelle de Saint Gaetan, dans un si grand branle que bien quelles soient assez distantes l’une de l’autre, elles se touchoient & se heurtoient l’une contre l’autre. J’ay laissé Rome dans une grande dévotion lorsque j’en suis party & il y avoit onze jours que les boutiques des Marchands n’avoient esté ouvertes.

NOUVELLES
du mesme Royaume.

J’Ay veu chez le Viceroy, l’Envoyé de l’Abrusse, où suivant la Relation il y a eu trente Villes, Bourgs, & Villages abîmez, & vingt-mille personnes écrasées, sans celles qui sont estropiées. La fameuse montagne qui passe pour la plus haute de tous le Apennins, appellée Il grande Sasso d’Italia ou Il Monte Del Corno s’est ouverte en deux depuis son sommet jusques à sa base, & cet Envoyé rapporte que venant icy il mit pied à terre, voyant que la terre trembloit & que s’estant ouverte sous les pieds de son cheval, il y fut englouty. La femme du Fermier du Tabac de l’Abrusse écrit à son Mary logé dans l’Auberge où je suis, quelle est en pleine Campagne ; sa maison estant abîmée. Que ceux qui sont comme elle dans les lieux découverts ne laissent pas de craindre à tous momens d’estre ensevelis dans les ouvertures de la terre, qui mugit sans cesse de tous costez comme des Taureux, qu’elle est agitée comme la mer & quelle semble à tous momens vouloir s’ouvrir pour pousser quelque bitume.

J’ay veu icy plusieurs Processions extraordinaires, mais je ne vous parleray que d’une seule qui m’a paru la plus remarquable. Un tres grand nombre d’hommes d’une Confrerie d’honnestes gens marchoient deux à deux les pieds & la teste nuë avec une couronne d’épines dont les piqueures faisoient couler du sang. Ils avoient au col une corde d’où pendoit une tres grosse pierre, une chaîne de fer servoit de ceinture sur le sac, dont ils estoient revêtus, & ils estoient tout couverts de cendres. On voyoit aprés eux grand nombre de Religieux nuds pieds, la teste couronnée d’épines avec effusion de sang, la corde au col, une chaîne au pied & dans leurs mains, chacun une croix tres pesante, d’autres paroissoient liez en croix, la teste, le visage & l’habit couverts de cendres. Il en venoit ensuite d’autres vestus de mesme, portant des os & des testes de mort, & ceux là estoient suivis d’autres avec les instrumens de la Passion de Nostre-Seigneur. Aprés ces derniers on voyoit trois autres Religieux ayant les épaules nuës & ensanglantées par les coups d’une discipline de clouds dont ils se frappoient sans pitié. Puis marchoient trois hommes nuds en Ecce Homo n’ayant de couvert que les parties honteuses, la teste couronnée d’épines & se déchirant avec des cordes de fer, toutes les parties du corps, si couvertes de sang qu’on ne voyoit aucun endroit de blanc. Ces trois hommes estoient suivis de trois belles personnes qui avoient esté courtisanes, elles estoient couvertes d’un sac de grosse toille, les pieds nuds, le visage saly de cendre, les cheveux épars, la teste couronnée d’épines, portant à deux mains une teste de mort. De trente en trente pas de distance estoit un Predicateur, un Crucifix à la main, exhortant le peuple à la Penitence. Cette Procession estoit suivie d’une infinité d’assistans dont les femmes qui en faisoient partie estoient échevelées & chantoient des Litanies ainsi que les hommes.

De Rome, le 28. Février,

Aprés vous avoir mandé les effets terribles du tremblemens de terre, je ne dois point vous taire le dessein formé par des scelerats de se prévaloir de ce malheur, pour piller comme on a cru les maisons des personnes aisées de cette Ville. La nuit du trois au quatre de ce mois sur les trois heures aprés minuit, on heurta presque en même temps dans les differens quartiers de Rome à toutes les portes avec de grosses pierres, appellant d’une voix affreuse & effrayante quelqu’un de chaque maison par son nom, pour avertir qu’on eust par ordre du Pape, à sortir pour se mettre à couvert du tremblement de terre dont toute la Ville alloit estre détruite. On ajoûta que le Pape estant en priere devant le Crucifix, ce Crucifix avoit parlé à Sa Sainteté. En un instant la desolation fut grande, chacun s’empressant d’abandonner sa demeure ; plusieurs personnes se sauverent nues, d’autres qui apprehendoient de ne pas trouver assez tost la porte de leurs maisons, sortirent par les fenestres, quelques femmes grosses accoucherent de frayeur, d’autres en moururent, & il y en a encore qui en sont tombées malades, & n’en guerissent point, quelques meres emporterent leurs enfans envelopez dans des draps, & on n’entendoit de tous costez que crier misericorde. Plusieurs laisserent leurs maisons ouvertes, la peur leur ayant fait perdre le souvenir de les fermer. Cette épouvante generale dura une heure & demie, aprés quoy le Gouverneur de Rome ayant esté avertir Sa Sainteté de ce qui se passoit, elle fit monter à cheval ses Gardes, qui coururent dans tous les quartiers, criant en traversant les ruës & les places, que Sa Sainteté n’avoit donné aucun ordre de frapper aux portes, que ce trouble ne pouvoit avoir esté excité que par les voleurs, & que chacun eust à se retirer chez soy. On a fait de grandes perquisitions des coupables, & le Pape a promis trois cens écus à ceux qui en donneroient des indications certaines, quoy qu’ils fussent en tres grand nombre puisqu’outre tous ceux qui en même temps allarmerent tous les quartiers d’une Ville aussi étendue que celle cy, il y en eut d’autres qui la nuit même coururent à cheval dans des lieux fort éloignez, s’estant répandus jusques à Perouse Fuligni, Borghetti, & Pontefelice, où ils causerent les mêmes allarmes. On n’a pû jusques à present en découvrir aucun, ny apprendre où ces derniers pouvoient avoir pris des chevaux, quoy que le Pape par une seconde Affiche ait promis mille écus à ceux des Complices qui dans dix jours viendroient se déclarer.

Ces Lettres font voir que les caracteres des hommes sont bien differens, & bien opposez. On en voit d’un costé qui ne se contentent pas de faire penitence des pechez qui peuvent avoir attiré la colere de Dieu sur leur Patrie, mais qui pour exciter les autres à les imiter, en donnent des marques édifiantes & publiques, & n’épargnent pas leur corps dont on voit sortir le sang en abondance, pendant que d’un autre costé des pêcheurs endurcis, qui n’ont que l’interest en vûë, cherchent à profiter de la consternation de ceux qui craignent les effets de la colere de Dieu, & qui apprehendent pour leur vie. Pendant, dis-je, que les uns courent au pieds des Autels, & font des penitences aussi publiques que cruelles, les autres cherchent les moyens de leur enlever leur bien, en se servant pour les voler de stratagêmes dont l’effronterie ne merite pas moins de punition que le crime même.

[Autre discours prononcé par le Pape en actions de graces] §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 111-116.

Je ne vous dis rien de ce Discours : je ne doute point que vous ne l’ayez trouvé comme moy plein d’onction convenable à la matiere dont il fait le sujet ; en un mot digne d’un Pape aussi Saint que celuy qui gouverne aujourd’huy l’Eglise. Il faut croire que la ferveur de ses prieres, & celles d’un Peuple à qui il a si bien sçu inspirer la penitence ont appaisé la colere de Dieu. Voicy le discours prononcé par ce Pontife en action de graces.

Vous connoissez bien, mes Venerables Freres, combien sont grandes les misericordes que le Seigneur a exercé envers nous ces jours passez ; puisque vous vous estes servi de la terreur de la colere divine, comme d’un remede specifique à nos playes, par tant & de si grands exemples de pieté chrestienne, & en exhortant le peuple fidele à la pratique de la penitence. Vous avez connu certainement le temps où le Seigneur nous a visité, & ce peuple affligé, ne l’a pas moins connu, lorsqu’en quelque maniere cette même voix de Dieu qui a remué les entrailles de la terre & ébranlé les fondemens des montagnes, l’a aussi animé, & l’a engagé à s’humilier sous la main de Dieu par les pratiques salutaires de la penitence, & que ce même peuple a veritablement éprouvé que les éclairs de la Majesté Divine ont ébloüi toute la terre, lors de cette secousse & de ce tremblement qui nous en a laissé voir avec horreur les entrailles. Il faut donc offrir un Sacrifice de loüanges à ce Pere des misericordes, de qui nous en avons reçu de si grandes, & qui vient de nous faire sentir sa main bien-faisante, afin qu’il nous conserve par sa bonté & par sa misericorde aprés nous avoir corrigé, nous sur qui il avoit étendu ce bras formidable de sa colere, que nous nous estions attirez par nos dereglemens. Nous avons resolu d’aller offrir nostre Sacrifice de reconnoissance au pied du même Autel, & dans la même Eglise, où nous nous estions transporté à la teste du Clergé en Procession publique, pour y répandre nos cœurs en actions de graces. Pour cet effet nous celebrerons la prochaine Feste de la Chaire de Saint Pierre d’Antioche, ce glorieux Prince des Apôtres, qui tombe au premier Jeudy de Caresme. Nous la celebrerons, dis-je, avec vous dans la Basilique, par une Messe solemnelle, & pleins de confiance en la protection de ce grand Saint, Chef du College des Apostres, nous conjurerons Dieu de ne nous plus faire sentir desormais ces redoutables effets de sa colere, & ces signes épouventables de son courroux, à nous sur tout qu’il a affermi sur la Pierre Apostolique & sur le Trône de l’Eglise : & afin de conserver le souvenir de ce jour terrible, où le Seigneur ayant eu la pensée de renverser les murs de la Fille de Sion, s’est laissé fléchir & a appaisé sa colere, par l’humilité de vos prieres : Nous Ordonnons & Statuons par un Decret irrevocable, que tous les ans au jour & Feste de la Purification de la glorieuse Vierge, Mere de Dieu, à la fin de la Messe, qui se celebre ce jour là selon le Rit Romain en la Chapelle Pontificale, on chantera l’Hymne Te Deum laudamus, & que nos tres-chers Enfans, le Senat, & le Peuple Romain observeront un Jeûne rigoureux la veille de cette Feste en l’honneur de la Mere de nostre Sauveur, en cette Ville de Rome ; ce que nous accordons aux prieres redoublées des Citoyens Romains. Du reste, mes chers Freres, nous devons rendre stables & irrevocables ces grands dons que la misericorde de Dieu nous a fait, par un exercice rigoureux & constant des vertus chrestiennes ; exercice qui fait une des principales obligations des Ministres de Jesus-Christ.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 156-157.

Pendant que la necessité fait souffrir les uns, les autres sont dans l’abondance, & pendant que les uns pleurent, les autres chantent. C’est pour ces derniers que Mr Chauvon a fait l’Air suivant.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Quand il faut, page, 156.
Quand il faut pour la Gloire abandonner Sylvie,
Rossignols trop heureux, que je vous porte envie,
Vous reverrez bien-tost la Saison des Zephirs :
Pour vous, elle revient avec ses plus doux charmes ;
Helas ! que son retour qui vous rend vos plaisirs,
Me va faire verser de larmes ?
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[Galanteries] §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 157-167.

Je vous envoye ce qui suit de la maniere qu’il m’a esté envoyé. Rien ne peut mieux suivre une Chanson, que des Vers galans.

Voicy, Monsieur, une petite galanterie envoyée par une Dame le premier jour de l’année pour Etrennes à un de ses Amis, avec un petit Bachus de Porcelaine qu’elle fait parler à son Amy. Ce Bachus est assis à califourchon sur un petit tonneau de même matiere, qu’elle avoit fait remplir de vin de Canarie, & six bouteilles de tres-excellens autres vins de liqueur pour le réjoüir & pour fortifier sa santé, au sortir d’une maladie qui avoit duré pendant tout le mois de Decembre.

On feint que cette Dame avoit voulu consulter quelqu’un sur le regime de vivre que son Amy devoit tenir, qu’il s’est deffendu de luy en prescrire aucun, & que pour toute réponse il luy avoit envoyé les Vers qui suivent, qui font une partie de la galanterie, & qu’il feint luy avoir autrefois esté envoyez par Bachus en pareille occasion.

RÉPONSE DE DAPHNIS A CLIMENE.

En vain trop aimable Climene
Vous me demandez des Avis
Pour le meilleur de vos Amis
Dont la santé, dites-vous, est mal saine.
Non, je ne suis point Medecin
Pour meriter qu’on me consulte,
Et je veux éviter le reproche & l’insulte
De passer pour un assassin
En voulant penetrer une science occulte
Tres-souvent inconnuë au plus fameux Rabin.
La chose est trop de conséquence,
La santé d’un Amy qu’on voudroit rétablir
Merite bien qu’on y pense à loisir
Et demande entre nous, beaucoup d’experience.
Climene vous sçavez si j’en ay là-dessus.
Vouloir me le prôner ce seroit un abus.
Dites à vostre Amy, dans sa convalescence
Pour rétablir sa défaillance
Qu’il dédaigne l’Amour, qu’il s’adresse à Baccus.
Voila, s’il m’en souviens, en pareille occurrence,
Les Avis que j’en ay reçus.

BACHUS A TYRCIS.
ETRENNES.
En forme de Reproches & d’Avis pour vivre content.
Bachus parle.

Je suis vangé, c’est chose sure,
Je le voy bien à ton minois :
Tu n’és qu’une triste figure
De ce que tu fus autrefois.
***
L’Amour dont tu suivis la trace
Te livre en proye à mille ennuis,
Et pour peu de jours de bonnace
Te donne cent mauvaises nuits.
***
Tu pris un Aveugle pour guide ;
Mais il t’a puny de ton choix,
Ton teint fleury devient livide
Pour avoir trop suivi ses loix.
***
Un sexe trompeur & perfide
Seduisit ton cœur & tes yeux ;
Et de son poison homicide
Paya tes soins officieux.
***
C’est ainsi qu’Amour récompense
Ses plus illustres Favoris,
Ils ont pour prix de leur constance
Le vent, dont il les a nourris.
***
Quitte, quitte les inhumaines,
Dont ton cœur estoit enchanté :
Le plaisir ne vaut pas les peines
Quand il altere la santé.
***
On ne voit point sous mon Empire
Tant ny de si tristes revers
Bachus est un Dieu qui fait rire,
C’est le soutient de l’Univers.
***
Trop d’amour souvent inquiette,
Et cause de cruels tourmens
Lorsqu’à la Blonde ou la Brunette
On veut donner tous ses momens.
***
Fuy donc ces Syrennes trompeuses,
Elles empoisonnent ton cœur :
Pour passer des nuits plus heureuses
Boy de ma charmante liqueur.
***
Lors par des songes agréables
Qui te porteront jusqu’aux Cieux,
Tu croiras estre assis aux tables
Où l’on boit le nectar des Dieux.
***
Pour essay, voila six bouteilles
Du meilleur que l’Olimpe ait eu ;
Tu te porteras à merveilles
Du moment que tu l’auras bû.
***
Encor un coup, plus de Maîtresses
Fuy les comme des ennemis,
Donne moy toutes tes tendresses,
Et je seray de tes amis.
***
Depuis que j’ay suivi ces conseils salutaires
Je me porte fort bien ; je suis gras & dodu ;
Et je trouve, en faisant mes petites affaires,
L’Embonpoint que j’avois perdu.
Que vostre Amy fasse de même
S’il veut recouvrer sa santé
Car c’est une foiblesse extrême
Sur ce point-là d’estre entesté.

S’il est des temps, & des conjonctures qui font naistre des galanteries, l’Amour en fait naître en tout temps, & comme il laisse rarement échapper les occasions de se faire connoistre d’une maniere galante, il se fait beaucoup de declarations d’amour le premier jour de chaque année. Je n’ay pû vous envoyer plutost celle que vous allez lire.

ETRENNES À MADEMOISELLE M**

Vous embellissez tous les ans,
Tous les ans de graces nouvelles
Sont les ordinaires presens
Que vous fait la Reine des belles.
***
On m’a dit qu’ils vous plaisent fort,
Et cela ne me surprend guere :
Plaire a toûjours esté le sort
Des presens que Venus sçait faire.
***
Mais si le petit Cupidon
(Comme peut-estre il s’y dispose)
Vouloit aussi vous faire un don,
Comment prendriez vous la chose ?
***
S’il venoit vous offrir un cœur,
Un cœur ardent, sincere, tendre,
Et que vostre regard vainqueur
Auroit eu seul l’Art de surprendre ;
***
Un cœur qui vous aimeroit bien,
Un cœur soumis, un cœur fidelle,
Un cœur enfin… comme le mien
(Car mon cœur est sur ce modelle).
***
Si donc ce petit Dieu d’Amour,
L’enfant chery de la Deesse,
Venoit vous offrir en ce jour
Quelques presens de cette espece :
***
Aimable Lisette, entre nous,
Bannissez d’icy le mistere,
Parlez, les recevriez vous
Comme les presens de sa mere.

[Essais de litterature] §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 168-172.

On vend chez le Sieur Ribou, proche les Augustins, à la descente du Pont Neuf, à l’Image Saint Louis ; le Supplement des Essais de Litterature. L’Auteur de ce nouvel Ouvrage qui se cache avec autant de soin que celuy des Essais de Litterature, dont on a pû sçavoir le nom jusqu’à present, reprend chaque article des Essais de Litterature sur lesquels il donne de nouveaux éclaircissemens, & dit des choses tout à fait nouvelles & qui sont fort interessantes. Il reprend l’Auteur des Essais, quand il le trouve peu exact, mais il le reprend avec une douceur & une politesse qui sont une excellente leçon pour ceux qui s’attachent à la Critique. Cela n’empêche pas toute fois qu’il n’use, à l’égard du livre qu’il Critique, d’une exactitude & d’une circonspection qui le mettent à couvert de tout reproche d’indulgence & de partialité. Les notes qu’il nous a donné dans cette premiere partie, ne s’étendent que sur les six premiers articles du premier Essai de Litterature. Il commence, suivant le Plan qu’il s’est fait, par l’article de Virgine Veneta, qui est celuy qui a si fort partagé les Sçavans ; & il faut convenir qu’il nous apprend sur ce sujet des choses bien recherchées. Il est à souhaiter que cette Auteur ne se rebute pas, & qu’il continuë ce dessein, qui ne peut estre que tres-avantageux à la République des lettres, que l’on enrichit aujourd’huy plus que jamais de nouvelles productions : afin qu’il ne manque rien à la gloire du regne de nostre grand Monarque, & qu’on voye porter les Sciences au plus haut point d’élevation, & dans un aussi haut degré que sous le regne de François I. où l’on n’auroit osé envisager tout ce qui se fait aujourd’huy pour familialiser les Sciences, & on peut dire hardiment que nous avons fourny aux étrangers cette industrieuse methode de reduire en abregé & en une espece de nouvelles Journalieres à l’usage des Sçavans les Sciences, les plus abstraites & les plus élevées.

[Nomination de Mr Prevost comme Chantre de Herdins]* §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 207-208.

Mr Prevost a eu la Chanterie de Herdins. Il succede à un tres-honneste homme & qui estoit fort aimé dans ce pays là, il ne falloit pas un autre sujet pour consoler les Habitans de ce lieu & reparer la perte du dernier Chantre. Mr Prevost les dédommagera & au delà, car c’est un tres vertueux Ecclesiastique & fort attaché à ses devoirs.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1703 [tome 4], p. 324-325.Le poème fait partie d'une églogue publiée dans le Mercure de novembre 1702 sous le titre Suite du Triomphe de la belle Atalante par Tamiriste.

Qoy que la Musique ne semble pas si necessaire que toutes les choses dont je viens de vous parler, elle ne laisse pas d’estre utile, puisqu’elle peut servir à délasser les hommes fatiguez d’un trop long travail, & qu’elle n’est pas infructueuse à ceux qui reüssissent dans cet Art. Je ne sçay si celuy qui a fait l’Air que je vous envoye aura réüssi, mais je puis vous assurer que cet Air est d’un habile Maître. Les paroles sont tirées du Mercure du mois de Novembre 1702.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Il est un temps, page 325.
S’il est un temps pour se deffendre
Des empressemens d’un Amant
L’Amour ne perd rien pour attendre
Et le cœur le moins tendre
A son moment
Pour se laisser prendre.
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