1703

Mercure galant, juin 1703 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1703 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1703 [tome 6]. §

De l’orgueil et des miseres de l’homme, Satyre §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 83-93.

Mr de l’Abbé Cantenac Chanoine de l’Eglise Metropolitaine de Bordeaux, continuë ses Satyres contre les deffauts des hommes ; cette maniere aussi vive qu’agreable d’attaquer les vices, ne peut produire que de bons effets.

Voicy le dernier Ouvrage de cet Abbé.

DE L’ORGUEIL ET DES MISERES DE L’HOMME.
SATYRE.

En vain l’Homme se flate & se trompe luy-même
Malgré tout son orgüeil, sa misere est extrême.
Moins sage, & moins heureux que tous les Animaux,
Il trouve en sa raison, la source de ses maux.
Il s’en sert bien souvent, pour colorer le vice,
Et prendre pour vertu, le crime ou l’injustice,
Captif des passions qui regnent dans son cœur,
Il fait mille faux pas, & tombe dans l’erreur
Il se lasse de tout, & rien ne le contente.
Dans tous ses mouvemens, la brute plus constante,
Par la seule nature, & par son propre instinct,
Ne prend jamais le change, & va droit à sa fin.
Jamais d’un faux plaisir l’apparence trompeuse,
Ne luy fera goûter d’une herbe venimeuse.
Jamais rien ne luy plaist de tout ce qui luy nuit.
Sans peine elle le voit, le connoist, & le fuit.
Mais l’homme irresolu dans tout ce qu’il doit faire,
Sourd à la loy du Ciel, à soy-même contraire,
Entretient dans son cœur accablé de remords,
Un combat éternel de l’esprit & du corps.
Il veut, & ne veut pas, souvent la même chose.
Ne fait presque jamais le bien qu’il se propose.
Et toûjours agité d’un fâcheux embarras,
De luy-même, il se porte au mal qu’il ne veut pas.
Il n’a point de repos, & n’y laisse personne.
L’Avarice & l’Orgüeil compagnons de Bellonne,
Couverts d’un faux honneur, qui choque tous les Dieux,
Luy font porter la guerre, & la mort en tous lieux !
C’est ainsi que flatté d’un pouvoir tirannique,
Le dernier des Cesars, pour un droit chimerique,
Fait de toute l’Europe, un Theatre sanglant,
Qu’il expose aux fureurs du Soldat insolent.
Parlons d’autres malheurs de la nature humaine.
On n’y voit qu’un tissu de douleur & de peine.
Le bien qu’avec grand soin, on poursuit, on acquiert,
Souvent dans un instant, se dissipe & se perd.
La débauche, le Jeu, la mauvaise conduite,
Produit la pauvreté, qu’ils menent à leur suite.
On perd facilement l’argent le mieux serré,
Et dans un coffre fort, il n’est plus assuré.
Tel qui vivoit content dans la molle opulence,
Par un injuste Arrest tombe dans l’indigence,
Et le plus riche, enfin, succombe sous les frais,
Dont la chicane affreuse entretient les procés.
Les richesses, en sont l’amorce & l’origine,
Et pour sauver son bien, l’on court à sa ruine.
De tous costez on vole, & dans tous les emplois,
Qui vole adroitement est à couvert des loix.
Plus un homme a de bien & plus il est à plaindre
Tout luy devient suspect, il a lieu de tout craindre.
Il n’est pas assuré de ses propres amis.
Un pere malheureux est en proye à son fils.
On voit par un naufrage ou par une incendie,
Que l’on perd sans ressource & son bien & sa vie.
Et qu’un Banqueroutier plus cruel qu’un voleur,
Dépoüille une famille, & ternit son honneur.
La fortune de l’homme est toûjours incertaine.
Quelque chose qu’il fasse il est né pour la peine.
Et le Ciel qui decide & qui regle son sort,
Veut qu’il ne soit heureux qu’au moment de sa mort.
Plus il est élevé, plus le chagrin l’accable.
Quelquefois le plus pauvre est le moins miserable.
Le Cedre est agité de la fureur des vents,
Bien plus que ne le sont les arbustes rampans.
Les Rois même exposez aux fureurs de l’enuie,
Ne goûtent point sans fiel, les douceurs de la vie.
Toûjours en mouvement, ces Astres d’icy bas,
Pareils à ceux des Cieux ne se reposent pas.
Si la fortune cause une peine infinie.
Dans l’homme chaque jour la nature affoiblie,
Par de vives douleurs, qui touchent de plus prés,
Le dispose à la mort, & punit ses excés.
La fiévre, dont les feux serpentent dans ses veines,
Par des accés divers renouvelle ses peines.
Et la Goute l’expose à ces tourmens cruels,
Dont l’aveugle Themis gêne les criminels.
Mille maux dont il fait la triste experience,
De tous les Medecins, épuisent la science.
Et souvent trop payez, pour le mieux secourir,
Ils augmentent son mal, au lieu de le guerir.
D’où peut naître l’Orgüeil, parmi tant de miseres ?
C’est que l’homme se flate, & ne se connoist gueres.
Ce jeune évaporé, tout fier de son employ,
Acquis par son intrigue, & les bienfaits du Roy,
Seroit moins orgueilleux & paroîtroit plus sage.
S’il songeoit qu’il est fils d’un Bourgeois de Village.
Damon, seroit bientost, sans charge & sans fierté,
Si de tout ce qu’il doit, il s’estoit acquité.
Ce Juge insupportable aux malheureux qu’il pille,
N’a pas encor payé la pourpre dont il brille.
Lysis, dit on, est riche & d’un illustre sang,
Il est de pere en fils, placé dans un haut rang.
Mais aux plus grands malheurs les plus grands sont en bute,
Et les plus élevez font la plus grande chûte.
L’orgüeil les deshonore & ternit la splendeur,
Que le peuple ébloüi trouve dans la grandeur.
Les grands sont toutefois d’une humeur moins altiere,
Que des gueux revêtus sortis de la poussiere,
D’une injuste fortune indignes avortons.
Si fiers & si communs, au siecle où nous vivons.
Mais à blâmer l’Orgueil, vainement je m’obstine.
Au Ciel, avant le monde, il eut son origine.
Du Paradis terrestre il sçut troubler la paix.
Il naist avecques l’homme, & ne mourra jamais,

[Détail de l’Entrée, & des Audiances données à Mr l’Ambassadeur de France à Venise] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 94-135.

Vous attendez sans doute que je vous parle de l’Entrée publique de Mr l’Ambassadeur de France à Venise ; tout ce qui regardoit cette Entrée ayant esté mis en état. Son Excellence envoya le 19. Avril dernier le Secretaire de l’Ambassade donner part au College de son arrivée, & demander d’estre reçeu le Dimanche 29. du mesme mois. Il fut répondu à son compliment avec toute la civilité imaginable, & le Doge nomma Mr le Chevalier Erizzo, sage Grand, actuellement en exercice, & cy-devant Ambassadeur en France, ainsi qu’il se pratique en pareilles occasions, pour aller recevoir Mr l’Ambassadeur, & pour l’accompagner au College, à la teste de soixante Senateurs des premiers du Pregady, qui furent aussi nommez pour cette fonction. Mr l’Ambassadeur fit donner ensuite avis du jour fixe de son Entrée, à Messieurs le Nonce, le Patriarche de Venise, le Receveur de Malthe, & le Resident de Mantouë, par un de ses Gentilshommes, & au Secretaire de l’Ambassade d’Espagne, par un de ses Valets de Chambre ; Mr l’Ambassadeur d’Espagne estant mort le 15. Avril. Mr l’Ambassadeur de France n’envoya point à l’Ambassadeur de l’Empereur à cause des affaires presentes. Mr l’Ambassadeur fut complimenté de la part de Mr le Chevalier Erizzo le vingt sept du mesme mois, & averty que ce Chevalier estoit nommé pour servir à son Entrée ; Mr l’Ambassadeur l’envoya remercier le lendemain, & luy fit dire qu’il seroit au Saint Esprit à vingt heures, c’est à dire trois heures de France aprés midy, & qu’il esperoit qu’il s’y rendroit peu de temps aprés.

Quoy que le temps parut fort inconstant depuis quelques jours, heureusement le Dimanche 29. dudit mois le Ciel s’éclaircit tout d’un coup : de maniere que Mr l’Ambassadeur ayant envoyé ses Gondoles sur le midy à l’Isle du Saint Esprit, lieu destiné à recevoir Messieurs les Ambassadeurs de France, à quatre mille de Venise, monta par la porte du Jardin de son Palais dans une Peote couverte de damas cramoisi, avec le Secretaire de l’Ambassade, ses quatre Gentilshommes, son Secretaire, & une douzaine d’autres Gentilshommes François, ou dans les interests de la France. Ses quatre Pages leur Gouverneur, ses Valets de Chambre, ses Officiers, tout le reste de sa maison suivoit dans une autre Peote. Mr l’Ambassadeur se rendit ainsi à l’Isle du Saint Esprit où il trouva le reste de son Cortege, composé d’environ cinquante personnes, tant Gentilshommes que gros Marchands établis à Venise, ou dans d’autres endroits d’Italie, tous François, ou dans les interests de la France, qui avoient esté avertis par des billets, les Pages & les douze Valets de pied de Mr l’Ambassadeur qui estoient arrivez un peu auparavant se mirent en haye ; la livrée des Pages estoit d’un tres beau velours cramoisi galonné d’or, celle des Valets de pieds d’un drap fin, écarlate & chamarré en plein d’un grand galon de soye de sa livrée ordinaire aussi riche qu’une livrée où il n’y a ny or ny argent, le peut être. Les Peres Cordeliers reçeurent Mr l’Ambassadeur à la rive, il avoit un habit de droquet d’or ; parce qu’il estoit censé n’arriver qu’alors, il fut conduit dans l’appartement qui luy avoit esté preparé, où il fut Harangué en latin par le Pere Lecteur de Theologie, il reçeut ensuite les complimens de Mr le Nonce par son Maistre de Chambre suivi de deux autres Ecclesiastiques, de Mr le Patriarche de Venise par un de ses Officiers suivi de même de deux autres Ecclesiastiques, de Messieurs le Receveur de Malthe, & le Resident de Mantouë par leurs Secretaires, accompagnez chacun de deux Gentilshommes, & du Secretaire de l’Ambassade d’Espagne, accompagné aussi d’un Gentilhomme, il fut encore complimenté par Monsieur le Duc de Sforce & plusieurs personnes distinguées par leur naissance. Pendant que Mr l’Ambassadeur recevoit ces complimens, les Senateurs aborderent à l’Isle & descendirent de leurs gondoles, ainsi que le Chevalier destiné pour faire les honneurs de la Republique, elles estoient à quatre rames, toutes simples & noires, suivant la coutume ; celle du Chevalier estoit aussi noire mais un peu plus ornée, & la livrée de ses quatres Gondoliers estoit de velours bleu avec un grand galon d’or. Tous les Senateurs estoient en Robe rouge de ceremonie, ces Robes sont d’un gros damas cramoisi ; ils avoient sur l’espaule une étole de velours à fleurs de la même couleur. Le Chevalier estoit vêtu de même, excepté que sa Robe estoit de velours, & son étole d’un gros brocard d’or ; c’est la marque de distinction qu’ont les Nobles qui ont esté dans les Ambassades, ou qui ont merité le titre de Chevalier par leurs services. Les Senateurs s’estant assemblez dessous le Portique de l’Eglise, le Chevalier qui estoit sur le pas de la grande Porte, envoya un Secretaire du College qui estoit en Robe violette pour avertir Mr l’Ambassadeur de son arrivée ; Mr l’Ambassadeur descendit alors précedé de tout son Cortege, & entra dans l’Eglise par la petite porte qui est à droite au milieu de la Nef : Aussitôt Mr le Chevalier s’avança, & vint joindre Mr l’Ambassadeur qui ne fit que trois ou quatre pas aprés estre entré dans l’Eglise, & s’achemina prenant la main sur le Chevalier pour entrer dans la gondole, où il prit encore la place d’honneur qui est la gauche dans la gondole. Les Senateurs & le Cortege se mirent en marche dans le même ordre ; ils estoient au nombre de 47. quelques uns arrivez trop tard joignirent le cortege dans la marche d’autres ne s’y trouverent pas, estans parens de Mr Pisany, cy devant Ambassadeur en France, dont le pere venoit de mourir. Les gondoles de Mrs le Nonce, le Patriarche de Venise, le Receveur de Malthe & le Resident de Mantouë, dans lesquelles estoient leurs Gentilshommes, marchoient à côté de celle où estoit Mr l’Ambassadeur ; elle estoit suivie de ses autres gondoles : Elles estoient vuides & avoient chacune quatre Gondoliers vêtus d’une livrée semblable à celle des Valets de pied. Ces gondoles ne se faisoient pas moins remarquer par le bon goût de leurs ornemens, que par leurs richesses. La premiere estoit ornée de plusieurs figures, parmi lesquelles on remarquoit sur la Proüe l’union de l’Espagne avec la France, representée par deux femmes vêtuës d’habits Royaux, un enfant representant le nouveau Siecle, il estoit accompagné de plusieurs autres & portoit une branche d’Olive : Au milieu de ces enfans estoit une Renommée qui portoit dans son bras gauche un Bouclier où estoient les Armes de la France, & qui tenoit de la main droite une Trompette. Le faiste de la gondole estoit porté par quatre grands Cartouches ayant chacun leurs bases, sur lesquelles estoient assises quatre figures representant la Religion, la Pieté, la Magnanimité & la Liberalité. La Raison estoit representée sur la Poupe par une femme en habit de Guerrier qui embrassoit & unissoit deux enfans, dont l’un portoit le Cordon du S. Esprit & l’autre la Toison d’or, des Trophées d’Armes, des fleurs, des feüillages & plusieurs figures. Le tout faisoit ensemble un tres bel effet, & estoit doré d’or mat. Cette gondole estoit couverte tant en dehors qu’en dedans d’un brocard d’or tres riche, & orné d’une grande crêpine d’or. Plusieurs figures dorées faisoient briller la seconde gondole, elle estoit couverte de velours verd. Au milieu de cet espece de dais on voioit les Armes de France brodées d’or en relief, toute cette couverture étoit pareillement brodée d’or, & cette bordure formoit un riche relief, le dedans de cette gondole estoit garni du mesme velours. La troisiéme gondole estoit aussi garnie de figures & d’ornemens dorez, elle estoit couverte de velours de couleur de pourpre, & galonnée d’or tant en dehors qu’en dedans. La quatriéme estoit moitié noire & moitié dorée, avec quelques figures. Toute la garniture estoit de velours noir.

Mr l’Ambassadeur fut salué en partant du Saint Esprit d’une décharge de toute l’Artillerie des Vaisseaux François qui se trouverent à Malamont. Le bruit de l’Entrée de Son Excellence ayant attiré toute la Noblesse, & un nombre infini d’autres personnes, la mer se trouva couverte de Barques, dont une partie le suivit jusqu’à son Palais ; il prit le chemin ordinaire, passa par devant Saint Georges major & la Place de Saint Marc ; où avant qu’il entrast dans le grand Canal, il fut salué par d’autres Bâtimens François qui se trouverent vis-à-vis de la Place de Saint Marc. Les Senateurs & tous ceux du Cortege estoient arrivez avant Mr l’Ambassadeur pour le recevoir, & se rangerent en haye dans le Portique d’en bas. Un grand bruit de Boëtes se fit entendre tout à coup, lorsque la gondole du Chevalier où estoit Mrl’Ambassadeur, parut. Le Chevalier & Mrl’Ambassadeur ayant mis pied à terre, passerent au milieu des Senateurs & de tout le Cortege, dont ils furent suivis jusques dans la Chambre d’Audience, au son des Trompettes & des Hautbois, des Fifres, des Tambours & de plusieurs Instrumens. Les Appartemens estoient meublez magnifiquement ; mais sur tout la Chambre d’Audience. Le Portrait du Roy y estoit en grand, sous un Dais de velours cramoisi chamarré de galon d’or. Il y avoit un Fauteüil dont le dos estoit tourné sur l’estrade couverte d’un tapis de velours de la même couleur. La Tapisserie estoit aussi galonnée, & les chaises estoient d’un même velours cramoisi garni d’un galon d’or sur tous les lez. Ce fut là que Mrle Chevalier fit compliment à Mr l’Ambassadeur sur son heureuse arrivée, qui aprés avoir répondu le reconduisit en luy donnant la main, ce que firent aussi tous ceux du Cortege à l’égard des Senateurs. Mr l’Ambassadeur l’accompagna jusqu’au troisiéme degré de la rive, où les complimens estant faits de part & d’autre, & la gondole du Chevalier s’estant remuée, il se retira sur le pas de la porte de son Palais, & y demeura pour recevoir les reverences de tous les Senateurs, & pour leur rendre les mêmes civilitez. Les Gardes qui estoient postées tant dedans que dehors le Palais permirent à tout le monde d’entrer. Jamais on ne vit un si grand concours de Masques, de Nobles, de Gentils-Donnes & de toute sorte de personnes. Tout le Palais brilloit d’un grand nombre de lumieres, les Trompettes, les Fifres, & les Hautsbois qui estoient aux fenestres du Portique d’en haut, se faisoient entendre, & vingt-quatre Violons divisez en deux corps de Simphonie, qui estoient dans le premier Portique, leur répondoient, & formoient de tres-charmans Echos. Il y avoit outre cela de differens concerts dans chaque Chambre. Les eaux glacées & les confitures séches de toute sorte estoient servies en abondance par les Pages & les Officiers de Mr l’Ambassadeur. On distribuoit sur l’escalier dans un autre lieu des eaux glacées à tous ceux qui en vouloient, ce qui dura fort avant dans la nuit. On jetta au peuple un nombre de pains, & les Fontaines de vin estoient dressées sur la Biste, qui étoit toute illuminée.

Le lendemain 30. Mr le Nonce, le Patriarche de Venise, le Receveur de Malte, & le Resident de Mantouë, envoyerent dés le matin leurs Gentilshommes au Palais de Mr l’Ambassadeur pour luy faire Cortege. Mr le Chevalier Erizzo s’estant rendu avec les Senateurs sur les huit heures du matin dans l’Eglise Della Madona de Corto, envoya un Secretaire du College pour sçavoir si Mr l’Ambassadeur étoit prêt ; la réponse estant venuë, le Chevalier à la teste des Senateurs se rendit au Palais, où il trouva à la Rive la livrée en haye, & à l’entrée le Secretaire de l’Ambassade, les Gentilshommes de Mr l’Ambassadeur, & tous ceux du Cortege qui le receurent ; Mr l’Ambassadeur qui étoit en habit de ceremonie avec un justeaucorps & un manteau noir de soye, garni d’une dentelle noire, avec un rabat & un chapeau garni, à cordon d’or, & les gands à frange aussi d’or, & l’épée au costé, alla recevoir le Chevalier, & les Senateurs au milieu de l’escalier, il donna la main au Chevalier, ainsi qu’avoient fait ses Gentilshommes aux Senateurs, & le conduisit dans la Chambre d’Audiance, en suite de quoi on se mit en marche ainsi que la veille, pour se rendre au Palais de saint Marc ; Mr l’Ambassadeur prenant pour lors la droite en marchant, & la Place d’honneur dans la Gondole du Chevalier, ainsi que ceux du Cortege à l’égard des Senateurs ; les Gondoles des Ministres étrangers, & celles de Mr l’Ambassadeur suivoient : on alla descendre à la petite Place de saint Marc où les Senateurs & tous ceux du Cortege se rangerent en haye. Aussi-tost que Mr l’Ambassadeur parut, il fut salué par les Bâtimens François, ayant mis pied à terre, accompagné du Chevalier, precedé de sa maison & des Gentils hommes des Ministres étrangers, & suivi des Senateurs & des Gentils hommes qui les accompagnoient, se rendit au College par la grande Cour du Palais, & l’Escalier des Giens à travers d’une infinité de Peuple, Cet Ambassadeur étant monté au lieu appellé le College où l’on reçoit les Ministres Estrangers, il trouva toutes les portes ouvertes, la Salle estoit si remplie de Nobles Gentils-Donnes, & de Masques que les Sages estoient entierement confondus dans la foule. Dés que Mr l’Ambassadeur parut hors la porte de la salle, le Doge & tous ceux qui composent le College se leverent, & se découvrirent tous, à l’exception du Doge qui se leve, & ne se découvre jamais ; alors Mr l’Ambassadeur s’avança, mais avec peine à cause de la foule, & fit trois reverences triplées, c’est à dire une au Doge & à ceux qui sont à droite & à gauche, la premiere fut en entrant, la seconde fut au milieu de la Salle, & la troisiéme aprés avoir monté les degrez de la Salle, il s’alla asseoir à la droite du Doge ; & se couvrit sans attendre d’y estre invité, Madame l’Ambassadrice qui avoit souhaité de voir la fonction, estoit entrée un moment auparavant, un Secretaire du College ayant esté destiné pour la recevoir & pour luy faire faire place, elle estoit assise au rang des Sages à la gauche du Doge, qui luy fit l’honnesteté de la faire avancer jusques là, afin qu’elle fust plus commodement. Mr l’Ambassadeur presenta sa Lettre de créance & la Lettre de Monseigneur le Dauphin, & les remit au Doge, lequel les donna aussi-tost à un Secretaire du College qui les lut debout à haute voix, de François en Italien, ensuite de quoy Mr l’Ambassadeur prononça son discours, que le même Secretaire repeta en Italien. Le Doge y ayant répondu par des remercimens pleins de respect pour Sa Majesté, & d’honnesteté pour Mr l’Ambassadeur, il fut remercié par Mr l’Ambassadeur, & le Doge y repliqua en peu de paroles, mais toutes remplies d’honnesteté, aprés lesquelles Mr l’Ambassadeur se leva & sortit avec le Chevalier, & les Senateurs aprés avoir fait les mêmes reverences qu’en entrant. En montant dans la gondolle du Chevalier, il fut encor salué par les Bâtimens François. Le Chevalier & les Senateurs le reconduisirent jusque dans sa Chambre d’Audiance, où il fut presenté au Chevalier, & aux Senateurs du Caffé & du Chocolat par les Pages & les Officiers de la Maison, ils furent reconduis ensuite de la même maniere qu’ils l’avoient esté la veille. Les instrumens & la même Simphonie, qui avoient commencé dés le matin dans le Palais continuant toujours de se faire entendre. L’Ecuyer du Doge presenta une demie heure aprés à Mr l’Ambassadeur le present de la Republique, composé de dix bassins de confitures & de vingt quatre bouteilles de vin. Il fit un compliment à Mr l’Ambassadeur, qui le regala d’une chaîne d’or de la valeur de quinze loüis, & fit donner une somme considerable aux autres Domestiques qui avoient apporté le present. Le même jour Mr l’Ambassadeur donna à dîner à Mr & Madame la Duchesse de Sforce ; & aux personnes les plus distinguées. Il y avoit deux Tables de vingt couverts chacune, rien ne fut épargné dans ce repas, les mets les plus rares pour la saison y furent servis, & les vins les plus délicieux y furent bus, ainsi que les liqueurs les plus exquises, ce qui fut accompagné d’un dessert où il sembloit que le Printemps avoit rassemblé ce qu’il a de plus beau. Pendant qu’on estoit à Table le Doge envoya son Cavalier pour inviter Mr l’Ambassadeur à la fonction qui se fait le premier jour de May, Mr l’Ambassadeur qui estoit encor à Table fit entrer le Cavalier, & aprés avoir reçeu son compliment, luy fit boire la Santé du Roy & de sa Serenité que Mr l’Ambassadeur but aussi, il ordonna ensuite que l’on mit dans la gondole du Chevalier plusieurs corbeilles de confitures seches. Aprés le dîner les portes du Palais furent ouvertes à tout le monde. On trouva les mêmes plaisirs & les mêmes divertissemens que le jour precedent ; mais qui parurent tous nouveaux par le concours des Nobles & de tout le Peuple qui avoient esté charmez dés la veille ; ce concours fut si grand (quoy qu’il plut vers la fin du jour) que plusieurs furent obligez de sortir ne pouvant rester à cause de la trop grande foule, ce qui dura presque pendant toute la nuit. Mr l’Ambassadeur fit servir les mesmes tables pendant toute la semaine, jusques à ce que tous ceux du Cortege eussent esté traitez.

Le Mercredy 2. May un Secretaire vint prier Mr l’Ambassadeur de la part du College d’y aller le Vendredy 4. du present mois pour recevoir la réponse du Senat, c’est au College que tout ce qui est presenté par les Etrangers, est lû & examiné pour y faire ensuite réponse. Mr l’Ambassadeur s’y rendit au jour marqué dans ses gondoles avec quelques uns de ses Gentilshommes qui l’avoient accompagné le jour de son Entrée & toute sa Maison. Il fut reçû au milieu de l’Escalier par le Cavalier du Doge ; lorsqu’il fut en haut, il trouva les portes du College fermées selon la coutume, & un lieu dans l’antichambre garny d’un tapis pour se reposer. L’escalier estant tres haut on a besoin de prendre haleine aprés l’avoir monté. Mr l’Ambassadeur s’estant reposé fit dire par l’Huissier qu’il estoit arrivé & un moment aprés les portes luy furent ouvertes, il entra seul, & aprés avoir fait sept reverences ; il alla prendre la même place qu’il avoit occupée la premiere fois, ayant esté reçû de la même maniere. Le Doge luy remit d’abord les réponses à la Lettre du Roy & à celle de Monseigneur le Dauphin, & luy dit que le Senat faisoit à son discours la réponse qu’il alloit entendre ; le Secretaire aussitôt en fit lecture, Mr l’Ambassadeur y répondit par un compliment de peu de paroles, auquel le Doge répondit avec des sentimens d’estime pour la personne & le caractere de Mr l’Ambassadeur. Il sortit ensuite par une autre porte qui est à main gauche aprés avoir fait les reverences, le Secretaire le suivit & l’accompagna dans la Chapelle du Palais qui est proche, où il dit au Secretaire de l’Ambassade la réponse du Senat qu’il venoit de lire à Mr l’Ambassadeur, l’usage estant de ne leur donner jamais rien par écrit. Le Secretaire reconduisit Mr l’Ambassadeur jusqu’à la porte de la grande salle qui tient d’un côté au College & de l’autre à la Chapelle, aprés quoy Mr l’Ambassadeur se mit en marche, & au lieu d’aller remonter dans ses gondoles à la Place de Saint Marc, il traversa à pied toute la Mercerie. Sa Maison marchoit en ordre devant lui, son Suisse à la teste de ses douze Valets de pied, ses Valets de Chambre & Officiers suivoient, ensuite ses quatre Pages & leur Gouverneur, aprés quoy marchoient ses Gentilshommes & ceux du cortege ; Mr l’Ambassadeur marchoit le dernier accompagné du Secretaire de l’Ambassade de France & de celuy d’Espagne, il alla en cet ordre au bas du Pont Realte ; où il monta sa gondole.

Eloge du Noir. Stances libres §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 170-176.

Une des plus belles Dames de la Cour, ayant soutenu à M.D.S. dans une conversation, que le noir est une couleur haïssable ; & qu’il ne sied bien à personne, il luy envoya le lendemain les Vers suivans.

ELOGE DU NOIR.
STANCES LIBRES.

Vous condamnez le Noir : il vous est odieux
Comtesse, & son malheur me touche.
De cet Arrest de vostre bouche,
J’ose appeller à vos beaux yeux.
***
Les Filles du Soleil, ces Heures fugitives
Qui partagent tous nos momens,
Du Blanc avec le Noir mêlent les agrémens.
Si les noires sont les plus vives,
J’en prens à témoins les Amans.
***
Si le Ciel éclatant de blanc & de vermeil
Presente à nos regards qu’il offusque & qu’il lasse
Toute la pompe du Soleil ;
Trouvez-vous qu’il ait moins de grace
Lorsque sans tumulte & sans bruit
Il paroist sous de sombres voiles
Mêlant la noirceur de la nuit
Avec l’or bruni des Etoiles ?
***
Et vous, noires Forests, retraites du Silence,
Où les cœurs tendrement touchez.
De leurs ennuis secrets, de leurs tourmens cachez,
Vont soulager la violence,
Par quelle charmante douceur
Sçavez-vous alleger le poids qui les opprime !
O ! qu’elle ajoûte un trait sublime
À l’éloge de la Noirceur.
***
Vous sçavez qu’elle fut la Fille de Cerés :
Un sombre lumineux regnoit dans ses attraits :
Toutesfois, le Tyran des ames
Fut arresté dans ses liens :
Sa noirceur fit sentir au Monarque des flames
Des feux plus cuisans que les siens.
***
Sous les noires vapeurs qu’exhalent ses pavots,
Couché non-chalamment sur un lit de repos,
Le plus charmant des Dieux dans sa grotte enchantée
Brûle pour vos yeux noirs, galante Pasithée.
***
Cette Heleine ; pour qui la Grece
Au ravisseur Troyen fit sentir son courroux,
Avoit les sourcils & la tresse,
Avoit les yeux, jeune Comtesse,
Moins beaux, à dire vray, mais noirs ainsi que vous.
***
Vous me direz que je me moque
Avec ce creux raisonnement,
Et que si la noirceur vous choque,
Ce n’est que dans l’habillement :
Mais si la Muse à mon idée
Trouve des termes à fournir,
Je prétens sur ce point vous faire convenir
Que vous n’étes pas mieux fondée.
***
Le Noir, dans son ajustement
À des fonctions infinies,
Et nos sages Ayeux, en ont fait l’ornement
Des plus nobles ceremonies.
Noir on fait sa Cour : c’est un habit pompeux
Que le Bal n’exclut point de sa galanterie ;
On s’y visite, on s’y marie,
Aux pieds de nos Autels on y porte ses vœux.
***
Le Noir, par son contraste, est pour un beau visage
Le plus avantageux atour :
C’est ainsi, que l’Astre du jour
Nous paroist plus brillant quand il perce un nuage :
Le Noir, de la beauté redouble la splendeur,
Son éclat se nourrit sous son ombre épaissie ;
La Blonde en a moins de fadeur,
Et la piquante Brune en paroist éclaircie.
***
C’est la couleur du Deüil, il faut qu’on le confesse,
Et ce sera le fort de vos objections :
Mais pour le Noir, belle Comtesse,
Renoncez aux préventions ;
Car s’il convient à la tristesse
Il convient aux successions.
***
À ces grandes raisons je n’en ajoûte qu’une,
Et dont le poids est important :
Ce joli petit Chat que vous cherissez tant,
Sur son habit doré charge la couleur brune :
Jugez par là, si vous devez
Garder contre le Noir une haine si forte ;
Haïssez-le, si vous pouvez,
Mais haïssez aussi le mignon qui le porte.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 177.

Les paroles suivantes sont tirées de ma Lettre du mois d’Octobre 1702. Elles ont esté faites à table par un Officier, à qui un de ses amis proposa d’aller avec luy au Perou.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Je n’irois pas pour le bien, doit regarder la page 177.
Je n’irois pas pour le bien
M’exposer sur l’onde ;
Puisque je compte pour rien
Une terre en or feconde.
Mais pour guerir d’un amour
Qui m’occupe nuit & jour,
J’irois au bout du monde.
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[Epitaphe après la mort de Mr de la Tresne]* §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 216.

L’Epitaphe qui suit, parut aussi-tôt aprés la mort de Mr de la Tresne.

Le jour que la Parque inhumaine
Tramoit contre sa vie un funeste attentat,
Son courage au Palais le meine,
Voulant mourir debout en Prince du Senat.

La Nymphe de la rivière d’Yonne, présentée à S.A.S Monsieur le Duc §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 221-236.

LA NYMPHE DE LA RIVIERE D’YONNE,
presentée à S.A.S.
MONSIEUR LE DUC,
A Regenne, Maison de Campagne de Mr l’Evêque d’Auxerre, par Mr Martineau de Soleyne, lorsque Son Altesse Serenissime y passa le 16. de Juin en allant à Dijon tenir les Etats de la Province de Bourgogne.

Quelle Feste aujourd’huy ? quel concours sur mes bords ?
Tout y rit, on n’y voit que joye & que transports.
Aux applaudissemens se mesle l’allegresse
Le respect aux plaisirs, l’estime à la tendresse.
Quelle réjoüissance anime ces beaux lieux
Que le cours de mes eaux, rend si delicieux,
Où, sans faire à mon onde aucune violence,
La nature se jouë à marquer sa puissance
Dans le tour izolé de ce large canal,
Où se plaist à couler mon liquide cristal ?
Quelqu’un des Demi-Dieux vient-il sur ces rivages
De sa presence auguste embellir ces Boccages ?
Mais quel bonheur icy m’annoncent les échos ?
Quel spectacle ! je vois sur ma rive un Heros,
À son brillant aspect peut-on le méconnoistre ?
Ce Prince sçauroit il cesser de le paroistre !
Par combien de vertus rehaussant son grand nom
Donne-t-il de splendeur au beau sang de Bourbon ?
Nayades, accourez à son heureux passage
Luy rendre par vos vœux un legitime hommage,
Et contempler en lui toutes les qualitez
Des plus fameux Mortels que l’histoire ait vantez ;
Venez y découvrir, malgré sa modestie,
Des Princes les plus grands de quoy faire l’envie,
Un merite au dessus de son sublime rang,
Et des perfections plus nobles que son sang,
Des talens pour la guerre & pour la politique,
Tout ce que l’on admire, en une ame heroïque,
Courage plus qu’humain, naissance, pieté,
Sentimens genereux, air plein de majesté.
Considerant de prés cette ame peu commune
Plus illustre cent fois que sa haute fortune,
Vous verrez les vertus toutes avec ardeur
Entr’elles disputer l’empire de son cœur ;
Et vous ne trouverez rien que de magnanime
Dans cet auguste cœur digne de vostre estime,
Où, par un avantage & rare & glorieux
Le Ciel a réüni tous ses dons precieux.
Mais titres & grandeurs dont l’éclat l’environne
Vous avez moins de charme encor que sa personne.
Quelle grace en parlant, & quelle dignité !
Dans l’esprit, dans les yeux, que de vivacité !
Tout répond dans ce Prince à sa noble origine
Manieres, port, démarche, éloquence divine ;
Son genie excellent brille de toutes parts,
Quelle érudition ! Quel goust pour les beaux Arts !
Favori de Minerve, & sçavante & Guerriere
Se signalant toûjours en sa double carriere,
De vaillance & d’esprit par mille traits divers
Combien de fois a-t-il étonné l’Univers ?
Que son cœur se plairoit à suivre encor Bellone !
Quel plus ferme soûtien, France, pour ta Couronne
Que le digne fleuron qui luy fait tant d’honneur ?
Tu dois plus d’un triomphe à sa haute valeur,
Dont le Rhin me rendoit si souvent témoignage
Lorsque prés de ce fleuve exerçant son courage
Par de frequens succès contre de fiers guerriers
Ce Heros y faisoit un amas de lauriers.
Victorieux en Flandre, on eust dit que par charmes
La gloire estoit par tout attachée à ses armes.
Quels exploits de bravoure à Steinkerque, où surpris
Il eut plûtost défait que vû les ennemis !
C’est là, que remplissant ses belles destinées
Il s’acquit de nombreux & d’immortels trophées :
Quand, pour sauver des lys les nobles Etendarts,
Il défioit la mort dans les plus grands hasars,
Et de plomb & de feux essuyant une pluye.
En butte à tous les traits, il prodiguoit sa vie,
Lorsque que comme un Lion plein d’un juste couroux.
Il faisoit tout plier sous le poids de ses coups,
Sa valeur laissant là de terribles prodiges.
La Sœne 2 chez Thetis me redit ces prodiges.
Où la Gette 3 m’apprit qu’à Nerwinde on a crû
Que Condé dans ce Prince ou Mars avoient parû,
Lorsqu’y forçant de l’Art les plus rudes obstacles
Son bras en valut mille, & fit tant de Miracles.
Et suivant de son cœur les nobles mouvemens
Comme une Aigle, il vola vers les retranchemens
Où le fer à la main, en s’ouvrant un passage
À travers cent perils, & courant au carnage
On vit dans ce Heros par la gloire guidé
Ce que peut un Bourbon du sang du grand Condé,
Dont l’activité jointe à la vaillance extrême
Fait revivre l’Ayeul dans cet autre luy même.
Qui va faire connoistre en tenant les Etats
Qu’il n’est pas moins habile au Conseil qu’au combats,
Que son discernement égale sa sagesse,
Qu’il a d’intelligence autant que de justesse,
Qu’il porte dans son ame un fonds de probité,
De bonté, de douceur, d’honneur & d’équité,
Qu’il sçait en reglant tout par sa rare prudence
Manier de Themis l’épée & la balance.
Que là ne tolerant rien qui ne soit permis
Les abus y seront ses plus grands Ennemis.
Bourgogne, de ton Peuple ***
Ce Prince aura pour toy des entrailles de Pere,
Et te fera sentir quel est ton heureux sort.
D’avoir un Gouverneur d’un si puissant support !
Quel apuy pour tes droits ! Quel zele à les deffendre
Que de bienfaits sur toy tu luy verras répandre !
Pendant que sa grandeur & son integrité
Sa moderation, son affabilité
De tes Peuples feront l’honneur & les délices.
Dryades approchez sous ses heureux auspices,
Cuëillez tous vos lauriers pour luy ceindre le front
Il en renaist assez sous les pas de Bourbon,
Comme il se plaist toûjours à rechercher la gloire
De remporter par tout de nouvelle victoire ;
Dans mes tranquilles champs il sçait estre vainqueur,
Engagnant de mon Peuple & l’estime & le cœur.
Prince dont la valeur est comme l’appanage,
Qui porte sur ton front des Dieux la vive image :
Durant les doux momens que tu seras ici
Contente de mon sort sans envie ou soucy
Quel droit n’aurai-je pas de dire en cette Plaine
L’Yonne a ses Bourbons aussi-bien que la Seine.
Tes regards en ces lieux font cesser nos desirs
Et nos cœurs dans toy seul trouvent tous leurs plaisirs.
Tu ramenes icy les jours heureux d’Astrée ;
Que mon bonheur n’est-il de plus longue durée !
Mon eau par ses replis 4 desirant t’embrasser
Prince, en t’environnant voudroit bien t’arrester.
Que mon bonheur est court, Nymphes quelles allarmes !
Son départ va bien-tost me faire fondre en larmes,
Et changer mes plaisirs en ameres douleurs,
Alors je rouleray moins de flots que de pleurs.

L’Auteur de ces Vers est fils de Mr le President Martineau d’Auxerre ; on n’a peut estre jamais vû tant de Poësie, & tant de Vers si bien tournez dans un Ouvrage, qui n’est qu’un coup d’essay : je ne vous l’envoye pourtant pas comme un ouvrage achevé, il n’est pas également beau par tout, toutes les rimes n’en sont pas riches, & il y a même plusieurs endroits, qui font connoitre que l’on a dit vrai, en assurant que c’est un coup d’essai ; mais il y en a aussi dans cet Ouvrage qui peuvent passer pour des coups de Maître, & selon toutes les apparences l’Auteur a parlé juste, lorsqu’il a dit que la beauté de son sujet lui avoit fait ouvrir la veine ; d’ailleurs il ne faut pas s’étonner des beaux endroits, qui surprennent dans son Ouvrage les Tableaux où l’on n’a rien peint que de brillant & beau de sa nature, frappant toujours beaucoup plus que ceux dont les sujets sont moins éclatans, quand même ces Tableaux se trouveroient mieux peints. L’ouvrage de Mr Martineau receut de grands applaudissemens lorsqu’il fut presenté, & le grand Prince à qui il est adressé, excita l’Auteur à cultiver les belles dispositions qu’il a pour la Poësie, & c’est pour l’exciter aussi que je vous envoye son ouvrage, quoy qu’il n’ait pas toute la perfection necessaire pour estre rendu public. L’Auteur a brillé en Prose dés l’année 1699. dans une harangue qu’il fit pour Monsieur le Prince de Conty.

[Ordre de Prêtrise donné à Mr l’Abbé de Villeroy] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 254-261.

Le Samedy des quatre temps second jour de Juin, Mre Paul François de Neufville de Villeroy, Licentié en Sorbonne, Abbé de Fecamp, Grand Vicaire du Diocese de Poitiers, & fils de Monsieur le Maréchal du même nom, receut l’Ordre & le caractere de la Prestrise des mains de Mr l’Evêque de Poitiers dans l’Eglise des Filles du Calvaire, pour honorer la memoire de son ayeule Antoinette d’Orleans, fille du Duc de Longueville, & veuve de Charles de Gondy, Marquis de Belle Isle, laquelle ayant renoncé au monde dans sa viduité, & reçu du Pape Paul V. des Bulles qui l’établissoient & confirmoient Abbesse de Fontevrault où elle resta six mois, vint enfin par un sentiment de pieté à Poitiers, où s’estant retirée par devotion dans un coin de la Ville, elle fonda l’an 1610. la Congregation des filles du Calvaire, & y mourut l’an 1618. en odeur de Sainteté.

Le lendemain troisiéme de Juin feste de la Trinité ; Mr l’Abbé de Villeroy chanta sa premiere Messe dans l’Eglise des Dames de l’Abbaye de la Trinité en presence de Mr l’Evêque, qui en sa faveur accorda quarante jours d’Indulgence à tous ceux & celles qui pendant cette premiere Messe priroient Dieu pour les besoins de la Sainte Eglise Romaine, & pour la conversion des Heretiques. Monsieur l’Abbé de Villeroy fut assisté dans son premier sacrifice de Messieurs ses Confreres les Grands Vicaires Generaux du Diocese, dont deux, sçavoir Mr l’Abbé de Rochebonne, Comte & Chanoine de saint Jean de Lyon, & Mr l’Abbé de Revol, faisoient à l’Autel les deux Maîtres de Ceremonies, habillez en Chappe, & deux autres, sçavoir Mr l’Abbé de la Salle, neveu de feu Mr de Saillant, ancien Evêque de Poitiers, & Mr l’Abbé du Singe, neveu de Mr l’Evêque d’apresent, servoient de Diacre & de Soudiacre. Il y eût un grand concours de personnes de la premiere qualité de la Ville qui y assisterent, admirant la pieté du Celebrant.

Mr l’Abbé de Villeroy s’étoit disposé à cette auguste action par une retraite de huit jours, ayant choisi la maison des Reverends Peres Jesuites pour y apprendre les ceremonies de la Messe, sans neantmoins changer la direction de son propre Confesseur, qui est un ancien Pere Minime en qui il a beaucoup de confiance, qu’il estime beaucoup, & qu’il a fait venir plusieurs fois durant sa retraite pour luy faire des confessions generales & particulieres, le consultant souvent sur les doutes de sa conscience pour se bien preparer à recevoir l’Ordre & le caractere de la Prestrise.

Mr l’Abbé de Villeroy, aprés son premier Sacrifice, alla celebrer la Messe dans les Eglises des Religieux & Religieuses de la Ville qu’il estimoit le plus, se faisant un vrai plaisir de contenter les desirs de ceux qui souhaitoient entendre sa Messe ; il n’a point manqué de celebrer pendant l’Octave du tres-saint Sacrement, aprés quoy il s’en est retourné en suite chez les Curez de la campagne, il restera dans sa mission jusques à la my-Aoust pour continuer ses fonctions de Grand Vicaire, & il n’y a point de doute qu’il ne s’en acquitte avec le même zele qu’il a déja, fait voir dans sa visite depuis Pasques jusques à la Pentecoste.

[Essais de Critiques, de Prose & de Poësie] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 264-268.

On trouve chez le sieur Ribou Libraire, sur le Quay des Augustins, un nouvel Ouvrage qui doit se debiter au commencement de chaque mois, il est intitulé Essais critiques de Prose & de Poësie, l’honnêteté que l’Auteur a eu en parlant de moy m’empêche de m’étendre sur l’Eloge de son Livre, & me met dans la necessité de n’en pas dire tout le bien que j’aurois inclination d’en dire, de crainte que mon témoignage ne parut un peu suspect : cependant je suis obligé de dire, pour rendre justice à la verité, que cet Ouvrage sera tres-utile au public, si l’Auteur remplit ses engagemens ; en effet, que seroit-ce, si on pouvoit parvenir à purifier le goût du public. L’Auteur des Essais Critiques paroist fort sincere : jamais la verité ne fut moins captive que dans sa bouche ; il parle avec une liberté modeste : s’il m’est permis de me servir de ce terme des Auteurs vivans, & de ceux qu’un grand nombre de siecles separe de nous. Un hardi Censeur, mais discret, peut faire des biens infinis dans la Republique des Lettres : il faut des Esprits de ce caractere pour réveiller les autres. La litterature a ses âges, elle a ses accroissemens & ses diminutions, il est des temps de langueur où quelque aiguillon qui pique à propos, reveille l’esprit appesanti sous le joug de la matiere. Les Caracteres qu’on trouve dans ce Livre sont : dit-on, tres ressemblans, sur tout celui de Mr de Deville Maréchal, qui constament passe pour un homme d’un goût bien épuré, on assure que le Caractere de Mr le Sage n’est pas moins naturel. On trouve à la fin de ce petit Livre deux petits Ouvrages qui interesseront bien des gens, le Caractere des anciens Philosophes ne plaira pas moins. L’on doit souhaiter que l’Auteur continuë un dessein si agreable & si utile aux gens de Lettres, je dis utile par l’érudition qui y est semée avec beaucoup d’agréement, & de varieté.

[Dialogue des animaux] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 268-272.

Le spirituel Auteur de la vie du Tasse, imprimée à Paris en 1690. vient de donner au Public un petit Ouvrage qui en a esté reçeu avec de grands applaudissemens. C’est le Dialogue des Animaux, qu’on trouve aussi chez le Sieur Ribou. Ceux qui ont lu ces petits entretiens où la nature est si bien peinte, les ont jugé tres comparables aux Fables de Phedre & à celles de la Fontaine, tout est naturel dans les unes & dans les autres, & tout y respire si fort l’heureuse simplicité des premiers temps & y est si bien tiré d’aprés la pure nature, qu’on fait naturellement, en les lisans, la comparaison de ces premiers Siecles où l’Innocence & la Justice n’estoient pas encor entierement proscrites de la terre, avec ceux-cy où toutes les démarches de l’homme, son langage, ses sentimens & enfin tous les mouvemens qu’il se donne font juger de la duplicité de son cœur. Dans ces temps heureux où l’on donne un langage aux animaux, l’empire des Passions n’estoit pas estably, elles estoient encor assujeties à celuy de la raison ; & il semble que l’on n’a imposé silence à ces petites creatures que pour leur ôter le droit de corriger les hommes par la simplicité de leurs conseils, il ne semble pas moins que l’Auteur de ces Dialogues ne leur rend aujourd’huy la parole que pour faire la guerre aux passions : en effet on trouve dans la moralité de ces petits Contes une critique tres judicieuse des mœurs corrompuës du Siecle où nous vivons ; on y trouve une fine Allegorie sous laquelle est caché le Portrait fidelle du cœur de l’homme ; & on reconnoist bien aisément que l’étude du cœur humain est une de celles à laquelle il s’est le plus attaché. Cet Auteur est d’une réputation bien establie, il tient un rang considerable dans la Republique des Lettres, & son nom y est fort celebre ; on doit s’attendre de voir sortir de sa plume quelque ouvrage d’une grande solidité lorsqu’il voudra se donner le soins en mettant ses lumieres en usage.

[Stances Chrestiennes] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 301-303.

Rien ne prouve mieux la bonté d’un Livre que le grand nombre d’Editions qu’il s’en fait ; on vient de donner la cinquiéme du Livre intitulé, Stances Chrestiennes sur divers passages de l’Ecriture sainte & des Peres. Cette derniere Edition est reveuë, corrigée, & augmentée considerablement de plusieurs Ouvrages en Prose & en Vers. Monsieur Testu de l’Academie Françoise, Abbé de Nôtre Dame de Belval, & Prieur de saint Denis de la Chartre, est Auteur de ce Livre. Il ne me reste plus rien à vous dire aprés vous l’avoir nommé, & je crois que vous n’estes presentement pas moins persuadé que moy de la bonté de cet Ouvrage. Il se vend chez Mr le Clerc, ruë saint Jacques, proche Saint Yves, à l’Image Saint Lambert.

[Traité de l’indult du Parlement de Paris] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 303-306.

Les sieurs Jean & Michel Guignard Libraires, demeurant ruë saint Jacques, à l’Image Saint Jean, viennent de donner au Public, un Livre divisé en deux Volumes, & qui a pour titre, Traité de l’Indult du Parlement de Paris, ou du Droit que le Chancelier de France, les Presidens, Maîtres des Requestes, Conseillers & autres Officiers du Parlement de Paris, ont sur les Prelatures seculieres & regulieres du Royaume, en vertu des Indults accordez par les Papes Eugene IV. Paul III. & Clement IX. aux Rois Charles VII. François I. & Louis le Grand.

Cet Ouvrage est de Mr Cochet de Saint Valier, President des Requestes du Palais, & toute l’œconomie en est renfermée en dix Chapitres. Le premier est une Histoire abregée des differens Indults, passagers, ou perpetuels, donnez au Parlement de Paris, depuis le regne de saint Louis jusqu’à celui de Louis le Grand. Dans le second, on explique particulierement les dispositions de l’Indult perpetuel, dont le Parlement jouit à present ; sa naissance sous Charles VII. & ses Ampliations sous François I. & sous Louis XIV. Le troisiéme apprend à connoitre les principaux Caracteres de l’Indult, les motifs du bienfait du saint Siége, & plusieurs points generaux qui le concernent, y sont aussi expliquez. Les sept autres Chapitres partagez en differens Paragraphes, roulent sur des matieres tres utiles, & particulieres à l’Indult ; de sorte que ce traité interesse tous les Officiers du Parlement de Paris qui ont droit d’Indult ; ceux par qui ils les font tenir, & les Evêques, Abbez, Prelats, Chapitres, & Communautez qui ont des Benefices à conferer.

[Nouvelle édition de Maxime du Droit Canonique de France §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 306-307.

Les mêmes Libraires ont donné dans le même temps une cinquiéme édition d’un ouvrage intitulé Maxime du Droit Canonique de France. Il est de feu Mr du Bois, celebre Avocat au Parlement, & il a esté enrichi de diverses observations tirées des Conciles, des Peres, de l’Histoire Ecclesiastique, des libertez de l’Eglise Gallicane, & des décisions des Cours & des meilleurs Auteurs. Par Mr Simon, Assesseur en la Maréchaussée, Conseiller au Presidial de Beauvais. On trouvera plusieurs augmentations considerables dans cette derniere édition.

[Divertissemens de Saint Cloud pendant dix jours] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 350-354.

Son Altesse Royale Monsieur le Duc d’Orleans alla à S. Cloud le dixiéme du mois dernier, & y demeura jusqu’au vingtiéme. Il y a eu toutes sortes de divertissemens dans cette delicieuse Maison, pendant tout le temps que ce Prince y a resté : la Chasse, la Musique, & le Jeu de Mail, ainsi que plusieurs autres Jeux, ont diverti la Compagnie qui estoit nombreuse. Mr le Comte de Brionne, Mrs les Ducs de Foix & de Sully, ainsi que quantité de personnes d’une qualité distinguée, ont resté à Saint Cloud, pendant tout le sejour que Son Altesse Royale y a fait. La chere y a esté grosse, & Son Altesse Royale a fait l’honneur à plusieurs personnes de les faire manger à sa table. Le Thé, le Caffé, & le Chocolat, ont tous les jours esté servis depuis le matin jusqu’au soir, à tous ceux qui en ont souhaité. Mr de Lastera, Gouverneur du Chasteau a soûtenu par une table de plusieurs couverts l’honneur qu’il a d’être regardé de son Maistre avec la même distinction qu’il l’estoit de feu Monsieur.

Pendant le sejour que S.A. R. a fait à Saint Cloud, la Compagnie a esté divertie par une excellente Musique, où rien ne manquoit, tant pour les voix que pour les instrumens. Deux Musiciens du Pape y ont chanté devant S.A.R. & ont charmé toute la Cour, qui estoit souvent grossie par les nombreuses Compagnies qui venoient passer des journées entieres à Saint Cloud. Son Altesse Royale assista à la Procession de l’Octave de la Feste du Saint Sacrement, où tous les Officiers de sa Maison se trouverent avec des cierges, & tout s’y passa d’une maniere tres-édifiante, tant du costé du Prince que de toute sa Maison. On chanta de tres-beaux Motets dans la Chapelle du Chasteau, dont les cours & les avenuës avoient esté superbement tenduës. Le Saint Sacrement fut reconduit à la Paroisse au son des fanfares des Trompettes, & au bruit des Timbales. Tout le Peuple ne pouvoit se lasser d’admirer la pieté d’un Prince qui sert d’exemple à toute la Cour.

Le divertissement qui a le plus brillé, & qui a fait le plus de plaisir pendant que Son Altesse Royale a demeuré à Saint Cloud, est celuy d’une tres-belle simphonie qui fut admirée dans le grand Salon de Mars au bout de la Galerie du Soleil. La douce melodie des plus belles voix y fut jointe à la delicate harmonie des plus fins accompagnemens. Ce divertissement reçut de si grands applaudissemens, qu’il est impossible de vous le bien depeindre. On peut dire que rien n’eût manqué aux divertissemens de Saint Cloud si les pluyes eussent donné la liberté de la promenade. Tout ce qui s’est passé pendant le sejour qu’on y a fait s’estant ressenti du bon goût, de l’ordre, & de la delicatesse d’un Prince brillant, genereux, rempli de bonté, qui fait son plus grand plaisir de ce qui en procure aux autres, & qui trouve que celuy de se communiquer, est une des choses qui doit faire le plus de plaisir à un grand Prince.

[Journal de ce qui s’est passé en Flandres] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 364-380.

Voicy la suite de ce qui s’est passé à la grande Armée de Flandre depuis ma derniere Lettre. Cette Armée partit le 30. May sur les dix heures du matin, pour venir camper à Asselbruck entre Saint Truyen & Borchorn. Les Armées se voyant de part & d’autre, n’estoient separées que par le Jecker. On crut qu’il y auroit quelques escarmouches. Mais il ne se passa rien. Mrs les Maréchaux ne voulurent pas que les gros équipages entrassent dans le Camp, & coucherent au Biüoac. Le 31. ils firent retourner les chevaux, & les mulets à la teste de l’Artillerie. La situation du Camp de nostre Armée estoit tres-avantageuse, puisqu’elle la mettoit en état d’aller avant les ennemis, soit à la Mehaingne soit au Demer, & enfin à portée de prevenir les desseins des ennemis qui ne pouvoient luy dérober une marche, aussi s’étoit-on posté de maniere à les empêcher de rien entreprendre par ce que l’on avoit preveu leurs desseins. On avoit dans ce Camp des vivres & des fourages en abondance. La grande Armée n’empêchoit pas seule les ennemis de rien entreprendre, Mr le Prince de Serclaes commandoit du costé de Liere six Bataillons, & onze Escadrons, Mr le Marquis de Bedmard quinze Bataillons, & dix Escadrons prés d’Anvers, & Mr le Comte de la Mothehoudancour avoit vingt Bataillons du costé de Bruges & d’Ostende, de maniere que Mr le Marquis de Bedmar avoit à ses ordres soixante & deux Bataillons, depuis Ostende jusqu’à Liere independamment de la grande Armée. Il est à remarquer que dans la suite il en a eu d’avantage, pendant que les deux Armées estoient si proche l’une de l’autre, Mr de Marlbouroug fit voir des manieres si polies que toute nostre armée en fut charmée, il dit même des choses si obligeantes pour Mr le Maréchal de Villeroy que ceux à qui il les dit receurent des ordres tres-precis de n’en point parler. Ce Milord en envoyant le troisiéme Juin un Trompette à Mr le Maréchal de Villeroy, fit conduire avec luy un tres-beau cheval Anglois. Le Trompette eut ordre de le presenter à Mr le Duc de Barvick & de luy dire que ce cheval estant tres-excellent, il le luy envoyoit pour s’en servir à la premiere bataille, ce qui arriveroit bientost. Mr le Maréchal envoya par ce Trompette à Mr de Marlbouroug un Mulet chargé d’excellens vins. Tant que les deux Camps furent en presence, ceux qui se promenoient l’aprés-dîné se voyoient à la portée du Pistolet sans tirer les uns sur les autres. Il y eut même le quatriéme une conversation, sur parole, entre sept ou huit Officiers des ennemis, & autant des nostres ; cette conversation dura assez longtemps, & l’on n’y parla point de guerre.

Il ne se passa rien de nouveau jusqu’au neuf, la lettre qui suit & qui est datée du onze vous apprendra les mouvemens que firent les deux Armées : elle est d’un Officier fort intelligent, & fort attaché au service.

J’auray l’honneur de vous dire, Monsieur, que les Ennemis ont marché le 9. à quatre heures du matin, qu’ils ont mis leur droite à Remercour & leur gauche prés Reneau & saint Georges, à un petit quart de lieuë de Warfusée. Ils ont sur leur droite un ruisseau & derriere eux, & à leur gauche un ravin. Le même jour, aussi-tost que Mrs les Maréchaux eurent avis de leur marche, ils monterent à quatre heures à cheval, & allerent sur le bord du Jecker, reconnoistre eux mêmes la marche des Ennemis. Ils firent aussi-tost battre la generale, & se mirent en marche à neuf heures du matin, pour prendre le Camp de saint Fervellen en pleine, nostre droite à Breff sur la Mehaigne & nostre gauche à saint Servellens sur le Jecker. En arrivant on mit tous les gros équipages derriere nostre droite. Mrs les Maréchaux monterent à cheval l’onziéme pour aller visiter la Plaine, & choisirent un Champ de Bataille, un peu plus de demi-lieuë devant nostre droite, & seulement à une portée de mousqueton devant nostre gauche. Le Village de Tourine se trouve justement à la droite du centre de l’Armée. On fit aussi camper derriere ce Village la Brigade des Gardes Françoises pour l’occuper ; on fit aussi camper deux Regimens de Cavalerie à leur droite, & deux à leur gauche, qui faisoient deux pilliers de potence, tirant du costé de nostre Camp, afin que rien ne se pust glisser entre-eux & nostre Armée ; de maniere qu’en cas que les ennemis voulussent nous attaquer, nostre Armée pust sortir du Camp en Bataille, pour aller occuper le Champ marqué ; la droite à Fallaisse sur la Mehaigne, & la gauche à une portée de pistolet devant le Chasteau d’Heloigne sur le Jecker. Enfin entre les ennemis & nous il n’y a qu’une Plaine sans ruisseaux ny ravins. Les ennemis occupent deux lieuës, s’ils ont envie de combatre, le Champ leur est ouvert, & il est à présumer que s’ils ne marchent pas à nous dans cette occasion, nous pourrons demeurer tranquilles, & nous assurer que ces gens-là ne demandent pas à combatre. Mrs les Maréchaux aprés avoir pris toutes ces mesures, ordonnerent aux gros équipages d’entrer au Camp le onziéme, & montérent à cheval l’apresdinée avec le piquet, ils allerent reconnoistre le camp des ennemis à une demi-lieuë de leur gauche sur la hauteur, même sur le Retranchement du Camp de Mr le Maréchal de Villeroy à Vinamont ; d’où l’on voit à plein tout leur Camp, jusqu’à leur droite à Remercourt ; cependant avec toutes ces précautions, nous ne les pourrons pas empêcher d’aller à Huy, s’ils y veulent aller, de crainte de leur donner jour d’aller du costé du Brabant ; ce qui nous est d’une tres-grande consequence ; & il paroist que c’est leur intention : car s’ils avoient un veritable dessein sur Huy, ils auroient déja pû l’executer. Nous ne doutons pas qu’ils n’y aillent ne pouvant mieux faire ; ce qui prouvera qu’ils ont peur de nous. Je le souhaite de tout mon cœur, pour le bien des affaires du Roy, & pour la gloire de Mr le Maréchal de Villeroy. C’est un plaisir de voir le bon ordre qu’il apporte en toutes choses, & avec quelle facilité il fait tout executer. Ce Maréchal & ce Milora se sont faits des presens de vin d’une charge de Mulet, & Mr le Maréchal a commencé cette correspondance. Trois de nos partis sont revenus hier avec des chevaux & des hommes des ennemis pris au fourage. Un à pied en a amené quatorze, un autre à cheval, seize ; & le troisiéme à cheval, quatre Houssars équipez à leur donner l’aumône, couverts de guenilles, & propres à faire compassion. Voila tout ce que je puis vous mander de ces quartiers.

Cette Lettre fait voir la bonne manœuvre de Mr le Maréchal de Villeroy, & le peu d’empressement que les Ennemis avoient de combattre, puisqu’ils ont évité la Bataille étant superieurs, & les deux Armées n’ayant entre elles qu’un Ruisseau ou Marais que Mr de Marlbouroug pouvoit aisément passer, puisqu’il est à la teste de son Camp. Les Ennemis continuerent à charger du gros & du petit Canon, & à le promener de Mastrick à Liege en l’embarquant & le rembarquant souvent ; de maniere que l’on ne pût rien comprendre à leur manœuvre, si ce n’est qu’ils estoient fort embarassez, & que tout leur but estoit d’embarrasser nostre Armée. Mr de Marlbouroug fit faire un grand nombre de Ponts, sur un Ruisseau ou Marais dont je viens de parler. On publia dans leur Camp que c’estoit à dessein de nous venir donner Bataille, & que les frequens voyages que Mr de Marlbouroug avoit fait à Liege où il avoit eu plusieurs entretiens avec Mr de Zinzendorf, & le Deputé des Etats Generaux n’avoit esté que pour engager les Hollandois à y consentir : Cependant on apprit que tous ces Ponts n’avoient esté faits que pour assurer leur Fourage, & donner de l’inquietude à l’Armée du Roy : En effet s’ils avoient dû l’attaquer ils n’auroient pas attendu que l’on eût fait des retranchemens & des redoutes qui le rendoient inattaquable. On leur prit le 12. treize Cavaliers à pied qui fauchoient, & n’estoient vêtus que de saros de toille, on leur demanda pourquoy ils estoient en cet estat ; ils répondirent que c’estoit la maniere de leur Cavalerie lorsqu’elle faisoit le Fourage en avant.

Le 14 à l’entrée de la nuit, Mr le Marquis de Coignies, fils de Mr le Comte de Coignies Lieutenant General, eut ordre d’aller s’embusquer avec trois cens Chevaux au lieu nommé la Tombe de Vaux. Il apperçût le 15. à la pointe du jour une Troupe d’environ deux cens Chevaux qui tenoient la même route, il comptoit de les deffaire entierement, mais les Ennemis ayant heureusement pour eux aperceu une de ses Vedettes, ne songerent plus qu’à se retirer, ce qu’ils ne purent faire assez vîte ; de maniere qu’ils furent attaquez & poursuivis jusqu’à leurs grandes Gardes, on leur tua vingt-cinq hommes, & l’on en prit trente qui furent ammenez au Camp avec leurs Chevaux, on leur prit un Lieutenant Colonel, & deux Lieutenants ; on perdit quatre Cavaliers en cette occasion, Mr de la Motte Mousquetaire fut blessé dangereusement. On trouva aprés l’action qu’il manquoit un Garde du Corps dont on ne pût avoir de nouvelles, on crût que son cheval l’avoit emporté, ou que s’estant meslé trop avant avec les Ennemis, il s’estoit trouvé obligé de les suivre.

Le même jour à trois heures du matin, cinq Officiers Anglois vinrent à la teste du Camp de Mr le Maréchal de Villeroy pour le reconnoistre, on envoya des gens à leurs trousses qui les joignirent, les firent Prisoniers, & les emmenerent à Mr le Maréchal de Villeroy. Trois Deserteurs Anglois se rendirent en même temps au Camp. Messieurs les Maréchaux monterent à cheval avec toute la Cavalerie, afin de suivre les Ennemis qui avoient fait un mouvement comme pour aller à Huy que l’on avoit crû investi sur ce que l’on avoit entendu tirer du Canon de cette Place pendant deux jours ; mais on apprit par des Deserteurs que cette Place n’estoit point investie, & que le Canon qu’on avoit entendu estoit parce que les Ennemis avoient fait deux grands Fourages jusqu’à la portée du Canon de Huy, ce qui avoit obligé de tirer sur eux.

Le 16. Mr le Maréchal de Villeroy fit faire un Fourage à la vuë du Camp des Ennemis, & fort prés de leurs Gardes sans qu’ils fissent aucun mouvement pour l’empêcher.

La nuit du 16. au 17. on detacha Mr le Marquis de Grignan pour aller s’embusquer, & le 17. au matin ayant aperceu quelques Troupes Ennemies, il les fit pousser, & on leur prit vingt Chevaux.

Le 17 au matin Mr de Labadie alla se poster avec trois cens Chevaux prés du Village de Vaux, & l’Armée fouragea le même jour derriere le Village à la vûë des Ennemis, qui y firent avancer plusieurs Troupes, mais ayant paru un peu tard, & le Fourage estant fini nos Escortes se retirerent en Bataille, une Troupe des Ennemis en suivit une ; mais elle fut repoussée avec beaucoup de vigueur. On nous enleva quinze Chevaux qui se trouverent hors des enceintes du Fourage.

[Eloge de Sa Majesté Britannique] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 382-392.

Ce que je vous ay souvent mandé de Sa Majesté Britannique vous a fait concevoir une si haute estime pour ce Monarque, que vous craignez que quelque incommodité ne l’ait obligé de prendre la Perruque. Je puis vous assurer qu’il est en parfaite santé ; mais comme les cheveux échauffent beaucoup, & sur tout la nuit, ceux qui ont autant de vivacité que ce Prince qui s’attache avec beaucoup d’attention, tant à l’étude qu’à tous les exercices du corps où il s’applique, ont jugé à propos pour la santé de ce Monarque de lui faire prendre la Perruque. Je dois ajouter en vous parlant des exercices du corps de ce jeune Souverain, qu’il danse avec autant de justesse que de bonne grace, & cependant d’une maniere qui fait connoistre qu’il ne s’attache à cet exercice, que parce qu’il contribuë beaucoup à donner un bon air, & un air dégagé, & que par cette raison les plus grands Princes ont toûjours regardé la danse comme un exercice qui forme le corps, & qui donne de la bonne grace.

Quant à la Chasse, cet exercice estant en quelque façon une image de la guerre, les Souverains s’y doivent attacher plus qu’à tout autre, & sur tout parce que cet exercice accoûtume à une fatigue necessaire à ceux qui ont des Peuples à deffendre, ainsi l’on peut dire que ce noble exercice doit estre nommé l’exercice des Rois, & c’est aussi à cet exercice que le Roy d’Angleterre s’attache le plus, & il y fait voir toute l’adresse imaginable, & toute la vigueur necessaire pour marquer qu’il a la force & la santé que l’on doit desirer dans un Prince dont les vertus & les inclinations portées au bien se faisant beaucoup plus remarquer qu’elles ne font ordinairement, lorsque l’on est encore dans un âge si peu avancé, doivent faire esperer qu’estant augmentées & fortifiées par les années, elles le rendront un jour non-seulement un Prince accompli, mais aussi un des plus grands Princes du siecle. Les Officiers des Gardes du Corps qui pendant qu’ils sont en service auprés du Roy, ont aussi l’honneur de servir tour à tour par huitaine auprés de Sa Majesté Britannique à Saint Germain, ne peuvent se lasser de publier les loüanges de ce jeune Prince. Ils en reviennent toûjours charmez de son esprit & de ses manieres pleines de douceur & de bonté. Ils disent tout d’une voix qu’il ne se presente aucune occasion de leur parler obligeament qu’il ne le fasse avec une grace qui luy est particuliere, & que l’honnesteté de ce Prince va jusqu’à les remercier avec civilité de leurs peines, & de leurs assiduitez auprés de sa Personne ; ils publient tous la même chose, & de son accüeil & de son humeur bienfaisante, de sa generosité & de son cœur charitable. Ils disent qu’il remplit tous ses devoirs avec une raison qui surprend & qui surpasse de beaucoup son âge, qu’on ne peut assez admirer son respect & son attachement pour la Reine sa mere ni son zele pour la Religion, que tous ses momens sont reglez, tant pour les exercices de pieté que pour les études, dans lesquelles il fait beaucoup de progrés, qu’il assiste au Service Divin, sans faste & souvent sans suite, avec une modestie qu’il seroit difficile d’exprimer, & sans que rien le puisse distraire un moment de l’attention avec laquelle il prie ou il entend. Enfin ces Officiers assurent tous que les premieres années de la vie de ce Monarque ne permettent pas de douter qu’il sera un jour un Souverain accompli, & ils ajoutent que tous les avantages par lesquels ce jeune Prince charme tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher, font beaucoup d’honneur au Milord Perth son Gouverneur, & à ceux qui ont le soin avec lui, de son éducation.

Vous devez ajouter d’autant plus de foy à ce que vous venez de lire qu’il m’a esté raporté par plusieurs personnes de consideration qui n’ont dit que ce qu’ils ont vû & entendu. Une personne seule pouroit estre suspecte, on pouroit croire qu’elle auroit eu des raisons pour parler de la sorte, ou quelle auroit trop écouté son zele dans un éloge aussi étendu que celuy que je viens de vous donner ; mais ceux qui ont publié tant de veritez sont des gens de cœur qui parlent toujours naturellement, les veritables braves ne sachant point se déguiser. Ainsi tout ce que je viens de vous dire estant veritable on ne doit pas estre surpris, si tous les Sujets de Sa Majesté Britannique qui sont en France se rendirent à Saint Germain en Laye le Jeudy 21. Juin, jour de la naissance de ce Prince, en habits magnifiques pour honnorer ce jour, suivant l’usage d’Angleterre. Chacun s’empressa à marquer ses respects, & son dévouëment à un si aimable Monarque, & si capable de rendre des Peuples heureux par la douceur de ses manieres, & par toutes les grandes qualitez qu’il possede qui le mettront en estat de faire triompher par tout les Peuples qui seront assez heureux pour reconnoistre un jour qu’il a seul droit de les commander.

Le Roy alla à Saint Germain en Laye rendre visite à leurs Majestez Britanniques le jour que ce jeune Monarque reçut tant de complimens au Sujet de sa naissance, & cette visite augmenta l’allegresse de ce jour. Ce jeune Souverain continua de faire paroistre un esprit infiniment au dessus de son âge, tant par tout ce qu’il dit ce jour là, que par ses manieres obligeantes, qui font briller sa bonté sans qu’il descende de son rang, tant il est bien instruit de ce qu’un Monarque doit aux Etrangers, à ses Sujets & à son rang. Ceux de ses Sujets qui sont en France, & qui se trouverent ce jour là à Saint Germain, s’empresserent à luy faire leur Cour & à luy donner quelque divertissement, on luy mena Mr Dangeville, fameux Maistre à Danser de Paris qui eut l’honneur de danser devant Sa Majesté & devant la Princesse, sa Sœur. Cet honneur fit redoubler ces forces, & sa legereté semble lui inspirer de nouvelles manieres pour danser encor mieux qu’il n’avoit jamais fait, de sorte qu’il se fit admirer de toute cette Cour.

Leurs Majestez Britanniques allerent à Marly quelques jours aprés, & souperent avec Sa Majesté, le jeune Roy continua de se faire admirer, & s’il est aussi constant que le Public se persuade, que la voix du Peuple est la voix de Dieu ; il y a lieu d’esperer que nous verrons dans peu ce jeune Monarque assis sur son Trône.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 408-412.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit la Cloche : ceux qui l’ont trouvé sont :

Simon François de Préel & son épouse de la ruë Saint Julien des Menestriers ; Bardet & son Ami du Plessis du Mans ; Marc-Antoine Charriere d’Auxerre : Raffy & Prevost : Bernady : Nicolas Gosset de la ruë Gervais Laurent, prés Sainte Croix de la Cité : Daniel le Chin, Procureur Fiscal à Eglegny proche d’Auxerre, & son grand ami le sieur Trebuchet : Felix chez Mr de Valentinay autrement l’agreable du quartier de S. Roch : Jean Laisné de la ruë Portefoin au Marais, le Pere Bon prés-le Pont Royal : Deslandes-Massieu de l’Isle Nôtre Dame & son aimable voisine : le beau Mr le Blond du Pont S. Michel & la charmante Larchat : Alexandre Lisandre, & sa chere Caliste de la ruë des Boucheries quartier S. Honoré : l’Infortuné Chevalier de la Grange à la Tournelle : le Solitaire sans desirs : le plus petit des trois freres : le beau Moran : le camus au grand nez : le Chevalier Sancho Pança : du Griffon d’or & son aimable Denise : Mr de Brevillers l’Apollon d’Amiens : le Prieur de Saint Laurent & de Nôtre-Dame, son cher amy le soupirant aprés un heureux estat, & le petit Ortolan de la ruë Quinquempois Mesdemoiselles de la Touche de la ruë Coquilliere : la Tour Saint Gervais sur le Quay Pelletier : la belle Moreau de la grande Salle du Palais : la belle Manon du chef S. Landry ruë des Marmousets : Loüise Oudain, & le jeune son voisin de la ruë Beaubourg : Mademoiselle Diar des trois lampes du Fauxbourg Saint Germain, & Mr Joüet de la rue de la Tacherie : la Bergere Climene & son Berger Tircis de la Place Royale : l’amie d’argent ou l’aimable Daigno-Perse, Mesdames de Bussy, & des Neges, Mademoiselle d’Angaches, l’Abbé de Monblet & le Poli la Jonchere L’incomparable Marie des Neges, & la Pimparée de Tocquin : la belle sans nom. & la Marchande de cervelle de la rue Boutdebrie : les charmes rassemblez de la rue des Bernardins, & son fidel Berger : l’Elixir des graces de la rue Beaubourg, & son secret & timide Amant.

L’Enigme qui suit est de Mr Boquet du Mesnil, Receveur general des Faux-nobles de Toulouse.

ENIGME.

Plus on me trouve rude
Plus on me cherit en tous lieux.
Je plais en compagnie, & dans la solitude,
Et je charme l’ennuy des jeunes & des vieux.
Je suis genereuse & si bonne
Que je rends tout ce qu’on me donne ;
Mais si je viens à m’adoucir
On me méprise, on me rejette
Et c’est à quoy je suis sujette
Lorsque j’ay fait trop de plaisir.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1703 [tome 6], p. 412-413.

L’Air qui suit ne vous déplaira pas.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Je sens une peine secrette, doit regarder la page 412.
Je sens une peine secrette
Qui m’annonce quelque malheur !
Ne seroit-ce point vous trop aimable Lisette
Qui troublez la paix de mon cœur.
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