1703

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1703 [tome 7].
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Mercure galant, juillet 1703 [tome 7]. §

[Prélude] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 5-8.

Je croi ne pouvoir mieux commencer ma Lettre que par un ouvrage qui a esté generalement applaudy de tous ceux qui ont eu le plaisir de le lire.

Sur les Bouts-Rimez proposez à la loüange du Roy, par Messieurs de la Compagnie des Lanternistes de Toulouse.

SONNET.

Qui peut avecLouisestre mis en balance ?
D’une orgueilleuse ligue il abbat la fierté,
Renverse le projet contre luy concerté,
Triomphe de l’envie, & la force au silence,
***
La Justice est sa regle ; il hait la violence,
Dompte, quand il luy plaist, son courage irrité,
Du bonheur des Mortels fait sa felicité,
Consulte sa douceur plutost que sa vaillance.
***
Il contraint au remords un superbe ennemi,
Voit l’Aigle chancelante &Philippe affermi,
Aux deux bouts de la Terre aussi Roy que sur l’Ebre :
***
Ses miracles, en nombre égalent ses momens,
Sa gloire est sans exemple, & de son nom celebre
L’Avenir gardera d’immortels monumens.

PRIERE.

Quand pour ce Roy fidelle à vos loix qu’il observe
Nous implorons vostre bonté ;
Seigneur, nous demandons que sa faveur conserve
La Justice, & la Pieté.

D’Hispahan le 15. juillet 1702 §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 8-18.

Quoy que les nouvelles suivantes ne soient pas considerables, elles ne laissent pas de faire voir ce qui se passe en Perse, & la situation des affaires de ce Pays là, où la tranquilité est plus grande qu’en Europe.

D’Hispahan le 15. Juillet 1702.

Nous eûmes icy l’année passée le sieur Hocambir, Envoyé de Batavie, qui prit le titre d’Ambassadeur de Hollande. Il vint avec grand train, mais sans étendarts ny trompettes, & avec tant de faste, qu’il ne voulut rendre la visite à aucun Franc, pas même à Mr Ourt, Agent & Chef General des Anglois. Il en fut blâmé de sa propre Nation. Il fit de grandes dépenses en régales au Sophi, & aux principaux Ministres de cette Cour, & presenta à Sa Majesté quatre petits Elephans, Oiseaux, Singes, Ambre, Epiceries, & quantité d’autres choses des Indes.

Il avoit sous le regne du deffunt Sophi obtenu par surprise, lorsqu’il n’estoit que simple Marchand, la permission d’arborer l’étendart de Hollande à Bandar-Congo, au prejudice des Capitulations accordées aux Portugais par le grand Schiabas, aprés la prise d’Ormus ; & aprés quinze jours de feste, il avoit esté obligé de l’abattre avec beaucoup de confusion par ordre exprés de Schia-Soliman. Il croyoit maintenant en venir à bout par cette solemnelle Ambassade, & les promesses qu’il faisoit à cette Cour, au nom de sa Nation, de reprimer la temerité des Arabes Corsaires de Mascati, qui ruinent le commerce du Sein Persique ; mais l’arrivée fort à propos de la Flote Portugaise audit Port, fit échoüer son projet, & il s’en retourna vers le Caresme, comme il estoit venu, sans avoir rien fait que beaucoup de dépense, & divers imprudens combats dans les ruës d’Hispahan avec les Grands pour le pas : car la permission qu’on luy a accordée de bâtir à Bendarabasi une grande Loge pour le commerce des Hollandois, (qui y ont plus besoin de Sepulchres, y mourans en grand nombre, aussi bien que tous les autres Europeans) il n’avoit pas besoin d’Ambassade ny de tant de frais.

Pour faire croire neanmoins qu’il estoit parti content, il donna en s’en allant une riche veste de brocard d’or & d’argent, estimée plus de deux mille francs au sieur Scid Armenien Catholique du Rit Latin, Beaufrere du sieur Alexandre de Lestoile, son premier Interprete. Il s’en revêtit en ceremonie, avec cavalcade par la Ville & Fauxbourg de Julpha où il demeure, entre l’Eglise des Jesuites & des Peres Dominicains, & traita magnifiquement les Europeans Reguliers & Seculiers, en jours differens.

Parut ensuite icy vers Noël sur la Scene des Ambassadeurs, un devot Tartare Catholique, qui avoit esté quelque temps à Paris, au Seminaire des Missions Etrangeres. Il voulut celer sa Nation, mais on la devina bientost, il prit le nom de Chevalier Charles Kaiman. On le traita comme les autres Porte-lettres, & même il fut regalé du Sophi de vestes & d’étoffes de soye, quoy qu’il n’eust apporté aucun present, mais de simples recommandations du Pape & de l’Empereur ; mais n’ayant pû obtenir la nombreuse escorte qu’il demandoit pour passer à la grande Tartarie sa patrie, il partit d’Hispahan le 12. de May dernier pour retourner en Europe par Tauris, Trapezante, & la Mer noire, aprés s’estre icy comporté pieusement & genereusement avec les Francs, accompagné d’un Capitaine Portugais qui va à Lisbonne, du R.P. Hamilton, Theatin, & de trois ou quatre autres Religieux, tous défrayez en Perse, dans le voyage, aux dépens du Sophi.

Ledit P. Hamilton Ecossois d’origine, né à Londres, d’une maison assez connuë en Europe, cousin de Madame la Comtesse de Grammont, & de Mr le Comte d’Hamilton, Gouverneur de Moravie, estoit venu icy avec une Patente de Rome, pour les Missions de Goa, vers la fin d’Aoust dernier ; mais l’âge avancé de cinquante-deux ans, la foiblesse, la maladie, & les ordres exprés du Roy de Portugal de ne recevoir aucun Missionnaire étranger à Goa, qu’il ne se soit presenté à Lisbonne, l’avoient retenu jusqu’à ce temps-là auprés de l’Evêque de Babylone, & il s’est servi de l’occasion dudit sieur Kaiman, pour retourner à la Cour de Vienne, d’où il a esté personnellement rappellé.

Ce Chevalier Tartare n’estoit pas bien loin d’icy, que le sieur Horanjan Georgien de Schiamaquie, du Rit Armenien, qui se dit Catholique, y vint par la Moscovie, joüer son Rolle, avec une Lettre du Roy de Pologne. Il est jeune, neveu du feu sieur Bogdanbegh, Georgien, qui a deux ou trois fois fait le même personnage en Perse. On croit qu’il ne demande autre chose que l’heritage de son oncle. Il a étendart, deux trompettes, & une paye de quelques soixante-dix livres par jour. On parle de le renvoyer bien-tost.

Le fameux Vaisseau François le Pontchartrain arriva l’Automne passée à Bandarabassi, de Suratte, chargé d’effets des Armeniens de Julpha, & en repartit peu aprés avec la même charge aussi pour Suratte, d’où on l’attend encor audit Port, bientost.

Le R.P. Hiacinthe Carme Déchaussé, Gascon, arriva icy de Bassica, par Bandar-Congo, & Schiras, le 25. du passé, chassé par un flux de sang, & est decedé il y a cinq jours ; ce voyage & sejour de deux ou trois mois luy ayant coûté la vie. On en a sçu que le commerce commençoit à s’y établir, les Turcs ayans battus & humiliez les Arabes, & un Vaisseau Anglois y devoit venir. Les Carmes n’y ont depuis longtemps qu’un Religieux, y ayans perdu beaucoup de sujets, ont bien de la peine à maintenir cette Mission difficile à cause des excessives chaleurs, quoy que l’air y soit meilleur qu’à Bandarabassi, & les eaux bonnes.

La Flote Portugaise de Bandar-Congo, qui n’estoit que de quatre ou cinq Bastimens, est maintenant de neuf Vaisseaux, nonobstant le naufrage de deux gros Vaisseaux proche de Goa, & le Sophi luy a accordé de faire des recruës de Persans.

Cette Cour paroist tout de bon disposée à faire la guerre aux Corsaires de Mascati, qu’elle medite il y a plus de trois ans, conjointement avec les Portugais. Le General est nommé, & seize mille hommes sont déja prests.

Le huit du passé se fit au Fauxbourgs de Julpha, avec grand concours, l’ouverture de la nouvelle Eglise, qui est vaste & grande, des RR. PP. Dominicains. L’Evêque de Babylone l’a benit, officia, & chanta la Messe Pontificalement, & porta le Saint Sacrement sous le Dais, dans les allées du Jardin, où on avoit dressé un reposoir assez propre. Au retour de la Procession, avant la derniere benediction, dans l’Eglise, trois jeunes enfans, fils du sieur Antoine Jourdes, Calviniste Gascon, déclamerent joliment en surplis aux pieds du grand Autel, quelques vers Armeniens, avec satisfaction du Peuple. Le sieur Serat fils du sieur Gaspard Scherimani, Fondateur de ladite Eglise fit les dépenses de la Feste.

Il y a environ deux mois que quelques Eglises Osniesienes ou Schismatiques Armeniens, du même Fauxbourg, sont fermées par ordre du Sophi, pour de certaines taxes ou imposts.

[Sur les Nouveaux Essais Critiques de Prose & de Poësie]* §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 46-47.

J’ay lû avec plaisir les Nouveaux Essais Critiques de Prose & de Poësie ; j’y ay trouvé des caracteres fort réjoüissans, & des portraits fort naturels. Ce que dit l’Autheur sur le P. Bouhours me paroist fort sincere, & il me semble qu’il le connoissoit bien, & qu’il avoit fait une étude particuliere du caractere de son esprit ; mais il s’est trompé en parlant de la guerre que ce Jesuite a fait aux Poëtes Italiens, & c’est en suivant le P. Bouhours, qui citant ces deux Vers.

Il pouér huomo ché non s’en era avorto
Andavà combatteado & era morto.

comme s’ils estoient de l’Arioste, n’a pas pris garde qu’ils sont du Bernin dans l’Orlande.

[Cérémonie au Mans]* §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 49-51.

Les frequentes & longues pluyes qui desoloient depuis plusieurs mois la Province du Maine, faisant avec raison craindre pour la recolte : Mr l’Evesque du Mans trouva à propos de donner un Mandement, par lequel il ordonnoit des Prieres dans toutes les Communautez, & Paroisses de la Ville : Mais comme les vents & les pluyes continuoient, & augmentoient même tous les jours ; il resolut d’aller accompagné de sa Cathedrale, en l’Eglise Royale & Collegiale de Saint Pierre de la Cour, où repose la Relique de Sainte Scholastique, Patrone de la Ville. Il y celebra la Messe qui fut chantée en Musique ; & les vents & les pluyes cesserent ensuite tout d’un coup, le Soleil se fit voir tous les jours, la crainte que l’on avoit pour les fruits de la terre fut dissipée : Cependant l’on ne laissa pas de continuer les Processions que Mr l’Evêque du Mans avoit ordonné aux Communautez, & Paroisses dans la même Eglise de Saint Pierre, pour demander à cette Sainte Vierge la continuation de son intercession, & pour rendre graces à Dieu de la bonté qu’il avoit eû d’exaucer son Peuple.

[Galanterie] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 120-124.

Les Vers que vous allez lire ont esté faits par Mr de Gargas, Baron de Blagnac, d’une des meilleures Maisons de Toulouse, sur un Ruban qui luy avoit esté donné par une tres-belle Demoiselle.

Le Ruban charmante Bergere
Que vous avez porté n’aguere
Devient de mon épée aujourd’huy l’ornement,
La plus belle main qu’on ait vûë
L’arrache de ce sein charmant,
Plus blanc incomparablement
Que la neige qui de la nuë
Vient de tomber nouvellement.
Ce Ruban preferablement
À mon Epée infortunée
Devroit, des Conquerans, estre la destinée,
Ils le porteroient dignement.
***
Du jeune Lys François Roy de tant de Royaumes,
Et du Prince du Nord, si fecond en Lauriers,
Des Catinats & des Vendômes.
Ce Ruban payeroit tous les travaux guerriers.
Ouy, cette noble récompense
Conviendroit bien mieux entre nous
À ces Heros qui comme vous
Font des Conquestes d’importance.
***
Les Etendarts & les Drapeaux
Qu’on benit tous les ans rendent les Cieux propices :
La France sous de tels auspices
Se signale toujours par des exploits nouveaux.
Puis qu’un bel Ange, un objet plein de charmes
De qui tout mon bonheur j’attens
Benit & protege mes armes
Je dois croire qu’en peu de temps,
Je verray changer mes alarmes
En des triomphes éclatans.
***
Je n’ay pas perdu l’esperance
Que mon Epée enfin ne tire un jour vangeance
De l’injure faite à mon Roy ;
Mais si du sort cruel la bizarre inconstance
Disposoit autrement de moy.
***
Que les Rebelles d’Angleterre
Tentassent de nouveaux efforts
Et qu’il me fallut dans la guerre
Augmenter le nombre des morts,
Mourant, je tâcherois encore
De serrer mon Epée avec tous les transports
Que j’aurois à serrer la beauté que j’adore.
On verroit mes lévres alors
À ce cher Ruban accrochées,
Et plus fortement attachées
Que le monument à mon corps.
***
Est-il de Scithe si barbare !
Qui voulust alors m’arracher
Un ornement si precieux, si rare,
Et qui vivant m’estoit si cher.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 124.

L'Air suivant est de Mr le Camus, le fils.

AIR NOUVEAU.

L’Air Bergers, doit regarder la p. [1]24.
Bergers qui souffrez en aimant.
Soyez constans, soyez fidelles.
Pour engager les cœurs des plus cruelles
Il ne faut qu’un heureux moment[.]
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[Sonnet qui a remporté le Prix donné par la Compagnie des Lanternistes de Toulouse, avec les Sonnets qui l’ont disputé] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 141-163.

Ce qui suit a esté imprimé à Toulouse, de la même maniere que je vous l’envoye.

PUBLICATION
du Sonnet qui a remporté le Prix des Lanternistes, cette année 1703.

Monsieur Magnas, de Lectoure, est l’Auteur du Sonnet qui a remporté le Prix ; il ne dément point dans ses Vers cette vivacité qui est naturelle à ceux de sa Patrie. Il nous a paru que l’Allegorie de Jupiter & des Titans, par rapport au Roy & à ses ennemis, donnoit à ce Sonnet quelque avantage sur les autres. On en a fait imprimer huit, qui sont precedez d’un Discours que Mr de Nolet, Tresorier de France, prononça avant la distribution du Prix. On a cru qu’on devoit faire part au Public d’une production qui n’est pas moins ingenieuse que galante.

Voicy le jour, Messieurs, où suivant la coûtume établie par nostre illustre Doyen, nous donnerons le Prix à un Sonnet, que nous allons, si j’ose parler ainsi, tirer de la foule & du milieu du peuple pour le couronner.

Quelque frivole, quelque peu important qu’ait paru l’usage des Bouts-rimez à des esprits ou trop élevez, ou trop bizarres, rien n’est frivole, rien n’est peu important dés qu’il faut parler de nostre Grand Roy : Tout devient serieux, tout devient difficile dés qu’il faut le loüer ; ce n’est plus une bagatelle, que de juger, si on le loüe comme il faut.

Rien n’est si fin, rien n’est si agréable ny si touchant, pour les esprits & pour les cœurs delicats, qu’une loüange bien apprestée ; rien n’est si grossier, rien n’est si dégoutant qu’un amas insipide de loüanges usées.

Les Heros & les Dieux sont également sensibles à certaines douceurs, ils veulent estre flatez & loüez, mais flatez & loüez par une bonne main, & j’oserai dire que les loüanges que l’on donne aux premiers dans le monde, ne sont qu’une douce preparation, & qu’une heureuse anticipation du Nectar, qu’ils goûtent, quand ils sont au rang des autres.

Quos inter Augustus recumbens
Purpureo bibit ore nectar.

Le bon goust, Messieurs, & la delicatesse que j’ay toujours trouve dans cette aimable Compagnie, l’union & la justice, qui malgré l’envie ne cesserent jamais d’y regner, & qui sont presque toujours également rares dans les Compagnies trop nombreuses ; enfin l’esprit & le sçavoir qui president icy, ne me laissent pas douter un moment de la sincerité de vos sentimens, de la justesse de vos décisions, ny de la bonté du choix que vous allez faire.

Laissez gronder les tristes Poëtes, qui toujours infortunez, & toujours dignes de l’estre, ramperont toute leur vie, au pied du Parnasse ; ils ne meritent pas qu’Apollon leur tende la main, pour les aider à s’élever.

Méprisons leurs cris & leurs plaintes, ordinaire & triste ressource des méchans Autheurs. Abandonnons-les à leur mauvais goust ; puissent-ils composer sans cesse, ils ne peuvent mieux estre punis.

Les vapeurs funestes qui sortent des marais & des eaux corrompuës, ne montent jamais jusqu’au sommet du Parnasse, il est trop élevé, l’air y demeure toujours pur, serain & tranquille.

En un mot, malgré les orages & les tempêtes qui grondent au dessous, Apollon dont nous étalons tous les ans la figure dans nos Assemblées & dans nos Prix, Apollon Protecteur du Parnasse y sçait toujours conserver le calme & le repos. Il est le Dieu de la clarté, quoy qu’il soit le Dieu des Oracles, il peut également promettre & donner de beaux jours ; l’Amour seul peut quelquefois luy disputer cet avantage.

AU ROY.
SONNET
qui a remporté le Prix.

Louis de son costé fait pencher la Balance,
Des Germains orgueilleux il abbat la fierté.
Tout ce qu’il fait est grand, & si bien concerté
Que l’Envie en fremit & garde le silence.
***
Audacieux Titans, faites vous violence,
Et n’osez plus braver Jupiter irrité ;
C’est de luy que dépend vostre felicité ;
Eprouvez sa douceur, mais non pas sa vaillance.
***
Sa foudre va tomber, tremblez Aigle ennemi,
Le Lion est déja sur le Trône affermi,
Et le Laurier renaist aux rivages de l’Ebre.
***
Si vous luy resistez encor quelques momens ;
Vous allez par l’éclat d’une chute celebre,
Elever à son nom d’éternels monumens.

PRIERE POUR LE ROY.

Conserve nous, ô Ciel, ce Roy vaillant & sage,
Dont le bras redoutable est l’appuy des Autels ;
Puisque tes dons l’ont mis au dessus des Mortels,
Fais-le vivre toujours pour finir son ouvrage.

II. SONNET.

Grand Roy, ton bras vainqueur emporte la balance ;
De cent Princes liguez il abbat la fierté ;
Tu détruis un projet follement concerté,
Et tu forces l’Envie à garder le silence.
***
L’Albion de tes coups ressent la violence ;
Le Batave gemit de t’avoir irrité,
Le fier Germain jaloux de ta felicité
Succombe sous l’effort de ta haute vaillance.
***
Malgré tous les efforts d’un superbe ennemi,
Sur un Trône éclatant Philippe est affermi,
Et l’abondance vole au rivage de l’Ebre.
***
Tu surprens l’Univers dans tes moindres momens :
Tu marque chaque instant par quelque exploit celebre.
Que la Gloire te doit d’immortels monumens !

PRIERE.

Arbitre souverain du monde,
Toy, qui formas Louis pour modele des Rois,
Rens-le victorieux sur la terre & sur l’onde,
Tout sera soumis à tes Loix.

III. SONNET.

À te loüer, Grand Roy, quelle Muse balance,
Tu poursuis tes projets avec tant de fierté,
Et tout ce que tu fais est si bien concerté
Qu’on seroit criminel à garder le silence.
***
Comme un fougueux torrent fond avec violence,
On te voit attaquer ceux qui t’ont irrité,
Et tu fixes le cours de ta felicité
Par le rapide effort d’une rare vaillance.
***
Le seul bruit de ton nom impose à l’ennemi,
Dans ses propres Etats l’Aigle mal affermi
Perd l’espoir d’approcher des rivages de l’Ebre.
***
La Gloire a de tes jours marqué tous les momens,
Et toûjours attentive à ton regne celebre,
Eleve à ta grandeur d’éternels monumens.

PRIERE.

Qu’il puisse vivre heureux ce fameux Conquerant ;
Pour l’interest du Ciel, il fait toûjours la guerre,
Qu’il y soit un jour aussi grand
Qu’il l’est aujourd’huy sur la terre.

IV. SONNET.

Tenir du monde entier le destin en Balance ;
Sage, comblé de gloire, heureux, plein de fierté,
Prévoir de ses Rivaux le dessein concerté,
Souvent d’un seul regard leur imposer silence ;
***
De son juste courroux regler la violence,
Quand tout cede au transport de son cœur irrité,
Répandre l’abondance & la felicité,
Sur cent peuples témoins de sa haute vaillance,
***
 Vaincre, faire des Rois, dompter son ennemi,
Triompher sur le Rhin de son Trône affermy,
Porter l’éclat des Lis aux fameux bords de l’Ebre ;
***
 Au bien de ses sujets donner ses chers momens :
C’est ce qui rend ton nom, Grand Heros, si celebre,
Et dresse à tes vertus d’éternels monumens,

PRIERE.

Seigneur, du Grand Louis, soutiens les destinées,
Egale sa gloire à nos vœux,
Et le nombre de ses années
A ses nobles projets & ses exploits fameux.

V. SONNET.

L’Espagne qui tenoit ta Grandeur en balance,
Louis voit par ton sang r’animer sa fierté,
Que ce projet fut beau ? qu’il fut bien concerté ;
Conceu dans le secret, conduit dans le silence ?
***
 Tu l’as executé, Grand Roi, sans violence,
Le Demon de l’envie en paroist irrité,
Il s’oppose par tout à ta felicité,
Tu sçauras le dompter par ta haute vaillance,
***
 Malgré les vains efforts d’un cruel ennemi,
De Philippe ton fils le Trosne est affermi,
Il domine adoré sur le Tage & sur l’Ebre.
***
 Quels plus heureux succés ? encore quelque momens,
Et de tant de jaloux la défaite celebre
Va dresser à ton nom d’éternels monumens,

PRIERE.

Seigneur de vostre bras appuyez nôtre Roy,
Il n’a pour tout dessein que celuy de vous plaire.
Il protege son fils, il soutient vostre Loy.
Pere & Chrestien, peut il mieux faire.

VI. SONNET.

Heros dont la valeur tient la Ligue en balance,
Quel triomphe pour toy d’abbatre sa fierté,
De confondre à l’instant ce qu’elle a concerté,
Et de forcer l’envie à garder le silence.
***
 Quand on trouble la Paix on te fait violence,
Mais on sent le malheur de t’avoir irrité,
Mars toûjours attentif à ta felicité,
Ne donne ses Lauriers qu’à ta noble vaillance.
***
 Philippe est à couvert des traits de l’ l’Ennemi,
Son Trône est puissamment par ton bras affermi ;
Malgré l’Aigle jaloux il regnera sur l’Ebre.
***
Maistriser le destin, & vaincre à tous momens,
C’est rendre, puissant Roy, ta gloire si celebre
Qu’on en verra par tout d’éternels monumens,

PRIERE.

Pour deux Peuples unis j’implore ton secours ;
Tu peux, Seigneur les satisfaire.
Louis fait leur repos., & le fera toujours ;
Conserve leur un Roy si necessaire.

VII. SONNET.
La France à l’Empire.

Cesse Empire orgueilleux d’oser mettre en balance,
Ta force avec l’éclat de ma noble fierté,
Dequoy sert ce projet follement concerté,
Loüis va te contraindre à garder le silence.
***
Le pouvoir de son bras sans nulle violence
Fait redouter par tout son courage irrité.
Pourquoy troubler le cours de ta felicité
As-tu pû te flater d’égaler sa vaillance ?
***
Contre tant de hauts faits, impuissant ennemi,
Son invincible fils sur le Trône affermi,
Fait briller ses vertus dans les Climats de l’ Ebre.
***
Ainsi ses beaux exploits croissant à tous momens ;
Jusques dans tes Estats sa conqueste celebre,
Eleve à sa grandeur d’éternels monumens.

PRIERE.

Grand Dieu qui de nos Rois regles les destinées,
Et qui veilles toûjours au besoin des sujets ;
Du Heros des François prolonge les années,
Puisque luy seul peut nous donner la paix.

Le Sonnet qui est au commencement de ma Lettre, avoit son rang parmy ceux que vous venez de lire, mais je l’ay retranché, afin qu’il ne se trouvast pas deux fois dans la même Lettre. Ce Sonnet avoit reçu de grands applaudissemens à la Cour, qui n’est point un pays de flaterie pour les ouvrages ; de sorte que l’on peut dire que l’on n’y approuve rien qui ne soit parfait & de bon goust.

Je vous envoye deux Epitres de Mr le Duc de Nevers, adressées à Mr le Marquis de Dangeau, & deux réponses de ce Marquis. Comme je connois leur modestie, je ne leur ay point demandé la permission de vous les envoyer : quand une fois les ouvrages d’esprit sont échapez du Cabinet de leurs Auteurs, il est impossible d’empêcher qu’ils ne se répandent dans le monde. Les ouvrages de cette nature doivent coûter beaucoup plus que les autres, parce qu’ils renferment presque autant de Rimes que de mots.

À monsieur le Marquis de Dangeau. Epître §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 164-177.

À MONSIEUR LE MARQUIS DE DANGEAU.
EPITRE.

Grand Dangeau,
Qui bois l’eau
D’Hipocrene,
De Touraine
Gouverneur,
Grand Seigneur
Sur la Seine,
En ce jour
Un des sages
Personnages
De la Cour.
***
Cygne aimable
Dont le chant
Agreable
Nous plaist tant
Pour entendre
Tes concerts,
Le son tendre
De tes Vers,
Je ranime
Mon esprit.
Et je rime
Cet écrit
Que je lime.
***
Sur mes sens
Vieillissans
Tout s’efface ;
Refoüillons
Les sillons
Et la trace
Du Printemps
De mes ans.
***
J’intercede
Vos faveurs
Doctes Sœurs
Et vostre aide ;
Donnez-moy
Ce beau plectre
D’or d’électre
Que je voy,
Pour produire
Sur ma Lyre
Les beaux sons
Des Horaces,
Des Marons,
Des Nasons,
Et des Staces,
Commençons.
Quoy qu’on fasse
Le temps passe
Ces beaux ans
Florissans,
Pleins de joye,
D’or de soye
Tous filez,
Sont par l’âge
Ecoulez.
Quel dommage !
Du débris
Des Iris
Rien ne reste,
Trop funeste
Pour nos jours,
Libitine
En termine
Le beau cours.
***
Toy, celebre
Courtisan,
De l’Algebre
Partisan
Tres-insigne,
Homme digne
D’un bon-heur
Sans limites,
Plein d’honneur
De merites,
Doux, poli,
Et rempli
D’honorables
Dignitez,
Et d’aimables
Qualitez,
Le cœur tendre,
Prest toûjours
À se rendre
Aux Amours ;
Prompt, fidele,
Satisfait
Quand l’attrait
D’une Belle
Te rappelle.
***
Je te voy
Prés du Roy
De maniere
À luy plaire,
Quel bonheur !
Quel honneur !
***
Nos affaires
Militaires
Vont tres-bien ;
Il n’est rien
Qui ne plie ;
Affoiblie
Par Villars
Nouveau Mars,
L’Aigle tombe
Et succombe ;
Les Germains
Sont atteints
De nos glaives
Ebloüis,
Quels Eleves
Fait Louis.
***
Plein de bile
Et d’aigreur,
L’Empereur
Tout debile,
Tout chagrin
Se lamente,
Viens enfin
Paix charmante,
Amener
La Concorde,
Enchaîner
La Discorde.
***
Mais trop loin
Sans besoin
J’abandonne
Mes regards.
Laissons Mars
Et Bellonne,
Et chantons
Sur des tons
Moins horribles
Moins terribles.
***
Si tu veux
Estre heureux,
Et revivre,
Il ne faut
Que me suivre
Au plutost ;
Le temps presse
Viens sans cesse
Voir à Seaux
La Nature
Toute pure,
Et ses eaux
Jallissantes,
Si charmantes,
Un Palais
Plein d’attraits,
Où reside
Cette Armide
Qui sans art
D’un regard
Nous enchante,
Dont tout vante
Icy bas
Les appas ;
On se ligue,
Chacun brigue
Ses faveurs,
Sa puissance
Sur les cœurs
Est immense ;
L’influence
De ses yeux
Est un charme
Qui desarme
Tous les Dieux.
***
Pour bien faire
Ne difere
Plus à voir
Son pouvoir,
Ses merveilles
Sans pareilles ;
Prens ton temps
Tel qu’Eole
Viens, cours, vole,
Je t’attens.

Réponse de Mr le Marquis de Dangeau à l’épître de monsieur le Duc de Nevers. §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 177-192.

RÉPONSE DE Mr LE MARQUIS DE DANGEAU,
À L’EPITRE DE MONSIEUR LE DUC DE NEVERS.

Invoquons
Les Orphées,
Les Musées ;
Evoquons
Pitagore,
Dont j’implore
Le secours
Pour les nombres ;
J’ay recours
Aux lieux sombres ;
Doctes Ombres
Secourez
Mon genie,
Prens en soin
Polimnie,
J’ay besoin
D’harmonie.
Le Nevers
Dans ces Vers
Qui me chantent,
Et m’enchantent,
M’a surpris ;
Ses écrits
Sont sublimes,
De quel prix
Sont ses Rimes ;
Apollon
S’en étonne,
Son Vallon
En resonne,
On s’y plaint,
On y craint
Que les Muses
Trop confuses
Du sçavoir
Qu’il fait voir,
Alarmées,
Mais charmées
De l’espoir
De l’avoir,
Ne l’enlevent
De ces lieux
Jusqu’aux Cieux
Ne l’élevent.
***
Ces neufs Sœurs
Dans leurs Chœurs
De Musique
Chanteront
Sur leur Mont
Un Cantique
Magnifique ;
Ecriront
Sur son front
Qu’il doit estre
Le seul Maistre,
Et diront
Au Blond Pere
De lumiere,
Eclairez
Parcourez
L’Hemisphere ;
L’Univers
Vous revere
Laissez faire
Prose & Vers
À Nevers
Vostre Frere,
C’est celuy
Qui sçait plaire
Aujourd’huy ;
Et qui doute
Que Phœbus
S’il l’écoute,
Ne redoute
D’estre exclus
De l’Empire
De la Lyre,
Et qu’enfin
Le Destin
Ne le chasse
Du Parnasse,
En mettant
À l’instant
Dans sa Place
Le Nevers
Qui me chante,
Et m’enchante
Dans ces Vers.
***
C’est un homme
Par qui Rome
Refleurit ;
Son esprit
Est sublime
Il ranime
Mes accens,
Et je sens
Que ma veine
D’orgueil pleine
Va dans peu
Prendre feu,
Mais je n’ose
Mettre au jour
Vers ny Prose
Qui suppose
De l’Amour ;
La vieillesse
Doit calmer
Cette Yvresse ;
La tendresse
Peut charmer
La jeunesse,
L’animer
À tout faire
Pour Cithere,
Qui sçait plaire
Doit aimer ;
À nôtre âge
Il sied bien
D’estre sage,
N’ayons rien
Qui nous trouble,
Qui redouble
Nos malheurs ;
Un cœur tendre
Trop de pleurs
Fait répandre ;
Combattons
Resistons
Avec force
À l’amorce
Des plaisirs,
Des désirs
Qui nous restent,
Ils empestent
Tout le cours
Des vieux jours ;
La sagesse
De ce Roy
Que je voy
Sans foiblesse,
Nous redresse
Vous & moy ;
Il ne songe
Qu’à banir
Le mensonge,
Qu’à punir
L’injustice
Et le vice ;
Dans la Paix
Ses biens faits
Sur la terre
Il répand,
Dans la guerre
Son tonnerre
Il reprend,
Et sa foudre
Sous Villars
Met en poudre
Les Rempars ;
La Montagne
D’Allemagne
S’applanit ;
On s’unit
À Baviere,
Electeur
Conducteur
De Gent fiere
Et guerriere ;
Que d’exploits !
Mais j’acheve,
Car j’éleve
Trop ma voix ;
Ma Trompette
Sois muette,
Viens Hautbois,
Chante & vante
Ce beau Bois
Qui m’enchante ;
Que Marly
Est remply
De merveilles
Non pareilles ;
Le seul Seaux
À des charmes
Presque égaux ;
Sans allarmes
On y vit,
Tout y rit ;
L’heureux Maistre
De ces lieux
Fait connoistre
Que son estre
Vient des Dieux ;
Ton Armide
Y reside ;
Y preside,
Sous ces pas
On voit naistre
Les appas
Que l’Aurore
Et que Flore
Font éclore
Ici bas :
Ta peinture
Ta figure
Trait pour trait,
Vive, belle,
Naturelle,
Non, Apelle
N’eust pas fait
Un portrait
Plus fidelle,
Je le croy
Digne d’elle
Et de toy.

À monsieur le Marquis de Dangeau. Epître §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 192-204.

À MONSIEUR LE MARQUIS DE DANGEAU.
EPITRE.

L’Astre heureux,
Lumineux,
Ta Planete,
Ton affete,
Ton appuy
Qui t’inspire,
Me fait dire
Qu’aujourd’huy
Tu surpasses
Les Garains,
Les Marins,
Et les Tasses
Tant vantez
Tant citez,
Que tu limes
Mieux tes Rimes
Que Tristan,
Que Racan,
Que la Suse,
Et la Muse
Qui nourrit
Ton esprit
Harmonique
Et Lyrique
De douceurs
Et de fleurs,
Est plus vive
Plus active
Que ses Sœurs.
Ouy c’est elle
Que je veux,
Que j’appelle,
Et les deux
Antevortes,
Et Postvortes,
Pour fournir
L’Avenir
De tes veilles
Sans pareilles
Et des sons
De ta Lyre.
***
Que j’admire
Tes leçons,
De sagesse
Prés de toy
De la Grece
Sur ma foy
Les sept Sages
Personnages
Ne sont rien,
Aussi bien
Rien n’égale
Ta Morale,
Et pour moy
Quand je voy
Uranie,
Exaltant
Ton genie
Eclatant
Je me vante
Te chantant,
Que je chante
Diofante,
Raphaël,
Et Stiffel,
Et Bombel.
Ces Grands Maistres
Geomêtres
Ces Auteurs
Inventeurs
Trismegistres
Algebristres.
L’Alfabet
Qu’ils ont fait
Logistique,
Ideal,
Numeral,
Et Cossique,
A surpris
Mes esprits :
Tous ces nombres
Compliquez,
Dissequez,
Noirs & sombres,
Dans mes sens
Impuissans
Sont des ombres :
Au secours !
J’ay recours
A vostre aide
Archimede,
Cassini,
Et Lagni ;
Le Triangle,
Le Rectangle,
Ce quarré
Bien tiré
Par mesure
Qu’on figure
Tout égal
Lateral,
Qu’on dérange
Ses costez
Limitez
Qu’on les change,
Il s’en fait
Comme on sçait
Un Trapeze
La Sinteze
De bien prés
Examine
Les progrés
Les combine,
Puis aprés
Les compare
Aux sujets
Et prepare
Les objets,
Disposant
Divisant
Chaque chose,
Et compose
Dans les sens
Des images
En estages
Differens.
***
L’Analyse
Seule puise
Dans l’enclos
D’un cahos
Sa lumiere,
Elle éclaire
Et voit tout
Et resout
Theorêmes,
Et Problêmes,
Penetrant
Et montrant
D’admirables
Qualitez,
De palpables
Veritez
Zétetiques
Et pratiques.
***
C’est assez,
Hola, Muse,
Finissez,
Qu’on excuse
Mon transport ;
La matiere
M’est si fort
Etrangere,
Que j’ay tort
De produire,
De décrire
Au hasard
De figures
Sans parures
Sans nul Art
Mal formées,
Arrestez,
Evitez
Vers Pigmées,
Mon courroux
Taisez-vous.

Réponse de Mr le Marquis de Dangeau à l’épître de monsieur le Duc de Nevers. §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 204-211.

RÉPONSE DE Mr LE MARQUIS DE DANGEAU,
À MONSIEUR LE DUC DE NEVERS.

Archimede,
Je te cede,
Je n’ay pas
Mon Lexique
Historique ;
Cet amas
Est l’unique
Specifique
Aux Combats
Que tu livres
Je n’ay livres
Ny sçavoir,
Pour pouvoir
Me deffendre,
Pour entendre
Des discours
Si sublimes,
Quoy qu’en Rimes
Et Vers courts.
***
L’Analyse
Que tu fais,
Est exquise
Et précise,
Ses effets
Agreables,
Raisonnables,
Nous font voir
Ton sçavoir
Algebrique ;
Ta Logique
Nous explique
Les ressorts
Par où l’Ame
Vive flame
Jointe au corps
Sçait produire
Ses accorts,
Qui font luire
Les Tresors
De Nature
La plus pure.
***
Vray Platon,
Vray Socrate,
Philostrate,
Licophron
D’Emberise
Stagirise
Tel enfin.
Que Ficin.
Ptolomée,
Roy Voisin
D’Idumée
S’il t’eut vû,
S’il eut pû
Te connoistre,
Voir paroistre,
Tes écrits,
Les eut mis
Bien Traduits
Dans l’azile
De la Ville
Qui du nom
D’Alexandre
Voit descendre
Son Renom.
***
Tes Armées
De Pigmées
Combatroient
Et metroient
Sans nule doute
En déroute
Vers Geants
Des Tristans
Des Racans,
Et Malherbe
Si fameux,
Si superbe,
Tout honteux
Devant eux
Plus bas qu’herbe
Ramperoit,
Et verroit
Sa memoire
Se fletrir,
Et sa gloire
Déperir ;
Mais j’acheve
Et fais Treve
Aux Combats,
Je suis las,
Et ton Mêtre
Geometre
Me fait metre
Armes bas.
***
Je te louë
Et m’avouë
Pour vaincu
Je me pâme
Et rend l’Ame ;
J’ay vécu.

Epître à monsieur le Marquis de Dangeau. Epitre §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 211-228.

Les Vers qui suivent sont de Mr de Bellocq. La reputation de ses ouvrages vous oblige à m’en demander souvent ; mais il travaille rarement.

À MONSIEUR LE MARQUIS DE DANGEAU.
EPITRE.

Enchaîner
Et traîner
En prison
La raison,
C’est le crime
De la Rime.
Despréaux
Dans ses mots
Fort salé,
A moulé
Les travers
Où se jette
Un Poëte,
Dans des Vers
Où domine
La mutine.
***
Cependant,
L’Ascendant
De Dangeau
Est si beau ;
Dans le don
D’Apollon
Mancini
Infini
Nous fait voir
Tel pouvoir,
Qu’ils étonnent,
Et façonnent
En deux mots,
Des propos
Moins gênez ;
Mieux tournez
Que l’Antique
Laconique.
Plein de feu,
Leur genie
Fait d’un jeu
Qu’il manie
Doctement
Des Pucelles
Immortelles
L’ornement.
***
Vers tronquez
Appliquez
Aux combats,
Jusqu’icy
N’avoient pas
Reüssi
Ce jargon
N’estoit bon
Qu’en Burlesque :
Leur esprit
Gigantesque
Convertit
Chez tous deux
Le Grotesque
En Pompeux.
Toute chose
De leur part
Devient Rose :
Le bel Art
D’Hippocreine
Fait leur veine
Ruisseler :
Louer parle,
Fait couler
Le Pactole.
***
O, Marquis !
Donne-moy
Comme à toy
Goust exquis !
À ma Muse
Fay venir
Grace infuse,
Pour fournir
Du sublime,
Pour unir
La Raison
Au doux son
De la Rime !
Si j’obtiens
Que mes Vers
De Nevers
Ou des tiens
Ayent l’Emphase ;
Souverain
Dés le Rhin
Jusqu’au Phase
Je serois
Moins heureux :
Je croirois
Que mes Vœux
Sont comblez.
Redoublez
Beaux esprits :
Que Paris
Que la Cour
Tour à tour
Vous admirent ;
Qu’ils soupirent
Pour vos Chants,
Comme aux Champs
Fait la Biche
Pour les eaux.
Des ruisseaux
De l’Autriche
Dépeignez
La terreur :
Contraignez
La fureur
À sortir
De son Antre,
Et venir
Se blottir
Dans le Centre
De l’état
Du jaloux
Potentat,
Qui pour nous
Est à plaindre
Plus qu’à craindre.
***
Vostre voix
De Tonnere,
Des exploits
De la guerre
Peut parler,
Et mêler
Son audace
Au Canon
Du Démon
De la Thrace,
Dont le bruit
Nous instruit
En Campagne,
Des Succés
Du Procés
De l’Espagne.
Chantes-nous
Par quels coups
L’Ame fiere
De Baviere
Va vanger
Fils, & Frere ;
Et charger
Du renom
De son nom
La memoire
De l’Histoire.
***
Moy, qui sçais
Me borner,
Point ne vais
Entonner
La Trompette.
Ma Musette
Dans les bois
À ma voix
Sur l’herbette
Se joindra,
Et fera
Retentir
Les Hameaux,
Reverdir
Les Ormeaux
En nommant
Seulement
La Princesse
Que je sers.
***
La Déesse
Dont les fers
Font la gloire
De ce Dieu
Qu’en tout lieu
La Victoire
Sert, & suit
À grand bruit,
Auprés d’elle
N’est point belle.
De son teint
Le Lys craint
La fraîcheur ;
Le Jasmin,
De sa main
La blancheur ;
L’incarnat
De la Rose
Montrer n’ose
Son éclat
Moindre en dose.
***
Les Amours
Et les graces
Sont toûjours
Sur ses traces,
La jeunesse
La caresse
Tendrement ;
L’enjoument
La devance
Galament :
L’exellence
De sa danse
Rit aux yeux ;
Moins legeres
Sont les Spheres
Des hauts Cieux :
L’œil se cole,
Le cœur vole
Sur ses pas :
On admire,
On soupire,
Mais fort bas.
Quel esprit !
Qu’il fleurit !
Vif, & doux ;
Les Louis
En sont tous
Eblouis.
Le plus grand
Qu’il surprend
Par sa grace,
S’y délasse
Sans témoins,
Des grands soins
Que luy donne
Sa Couronne.
Mais, comment ?
Instrument
Trop rustique,
Quel Cantique.
Paix ! hola !
Sont-ce là
Des objets,
Des sujets
Faits pour nous ;
Ma Musette ?
Taisez-vous,
Indiscrette.

[Nouveau livre de motets] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 267-268.

On vient de donner au Public vingt six Motets nouveaux à une, deux, & trois voix, avec Symphonie & sans Symphonie, dediez à Monseigneur le Duc de Bourgogne, composez par Mr Bernier, Maistre de Musique de l’Eglise Royale & Collegiale de Saint Germain l’Auxerois & gravez par Mr Baussen, ils sont In folio, & se vendent 12. livres reliez en veau & 10 livres dix sols en blanc, ils se vendent chez l’Auteur, Cloistre Saint Germain l’Auxerois, & chez Mr Foucault, Marchand ruë S. Honoré à la Regle d’or.

[Lettre du roi à Mgr l’archevêque de Paris]* §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 285-290.

Je vous envoye la Lettre du Roy écrite à Mr l’Archevêque de Paris pour faire chanter le Te Deum.

Je ne vous l’envoye pas comme une nouveauté, mais parce que vous m’avez témoigné que vous la conserveriez mieux si elle estoit inserée dans mes Lettres.

Mon Cousin, la plus grande partie de mes Forces estant occupée en Italie, sur le Rhin, & jusques dans le cœur de l’Empire ; les Ennemis ont crû que celles que j’ay en Flandres, quoy que jointes aux Troupes d’Espagne, ne pourroient resister à la nombreuse Armée qu’ils y ont rassemblée. Flatez de cette esperance, & fiers de leur superiorité, ils menacent avec ostentation depuis le commencement de la Campagne les Places les plus considerables de la Flandre Espagnole : Mais mon Cousin le Maréchal Duc de Villeroy, à la vigilance duquel ils n’ont pû jusqu’icy dérober aucun de leurs mouvemens, sçût qu’ils avoient forcé les Lignes du Pays de Waes, qu’ils projettoient la même entreprise sur celles d’Anvers. Aussitost jugeant de quelle importance il estoit d’envoyer du secours à l’Armée de mon Cousin le Marquis de Bedmar, Commandant general des Pays bas Espagnols ; il en prit la résolution de concert avec mon Cousin le Maréchal Duc de Bouflers, qui se mit à la teste de quinze Escadrons de Cavalerie autant de Dragons, & de quinze cens Grenadiers, & s’y rendit avec une diligence incroyable le 30 du mois dernier. Malgré la situation avantageuse des Postes que les Ennemis occupoient, & la superiorité de leur Infanterie, on marcha aussi tost à eux ; & aprés un Combat tres sanglant & tres opiniatré depuis quatre heures aprés midy jusques fort avant dans la nuit, ils furent contraints de se retirer avec précipitation & d’abandonner le Champ de Bataille, leurs blessez, leurs Tentes leurs Bagages, six pieces de Canon, quarante quatre Mortiers, leurs munitions de guerre & de bouche, cent cinquante Chariots d’Artillerie & plusieurs Drapeaux & Timbales, avec perte de cinq cens Prisonniers. Le succés d’une action si glorieuse, & qui déconcerte les projets des Ennemis, est également dû à la conduite des Generaux & à la valeur des Troupes, mais encore plus à la protection visible, dont il plaist à Dieu de favoriser continuellement mes Armes. Et comme il est juste de luy rendre publiquement les graces qui lui sont dûës ; je vous écris cette Lettre, pour vous dire que mon intention est que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Metropolitaine de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l’heure que le grand Maistre, ou le Maistre des Ceremonies vous dira de ma part : À quoy m’assurant que vous satisferez avec vostre pieté ordinaire ; Je prie Dieu qu’il vous ait mon Cousin en sa sainte & digne garde. Ecrit à Versailles le 11 Juillet 1703. Signé, LOUIS ; Et plus bas, PHELYPEAUX.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 323-330.

Le mot de l’Enigme du mois passé étoit la Rape à tabac, ceux qui l’ont trouvé sont, Mrs du Plessis le fils de la ruë de la Verrerie : l’Oncle le fils de la même rue : l’Abbé Dufflot du quartier S. André : Doby de la rue de la Tixeranderie : Du Part : l’Aisné de la rue Porte-foin au Marais : Le Vacher, cy-devant enfant de Chœur de S. Maurille d’Angers : Beaufils C. de S. Michel de Chartres en Beausse : Bardet & son amy du Plessis du Mans : D.P. & son Epouse de la rue Saint Julien des Menestriers. Tamiriste & sa fille Angelique : Le Pere d’Achille & son aimable Maistresse : L’Elite de la clericature de la ruë Bout de Brie : Le cercle aimable des propos interrompus : Les trois Amans infortunez de la Paroisse S. Benoist : Le plus petit des trois freres : Blacet de la Gréve : Le grand Devineur d’Enigmes du Comté d’Eglegny, proche d’Auxerre, & son grand amy Trebuchet Juge Mage audit lieu : le gros & la petite Duchesne de l’Etoile rue S. Martin, l’Eleve de la sagesse proche les Peres de Nazareth : les trois Solitaires de Vaugirard, & Mr Lambert leur hôte : Loiseau Brun, l’Organiste de S. Cloud. Mesdemoiselles du Moustier de l’Arsenal, la fille de Brigal de la Montagne Sainte Geneviève : Masson de la rue Beaubourg : Magdelaine Godard fille de la rue des Menétriers : La charmante Mademoiselle Madelon de la rue des Gravilliers : La jeune Muse qui a quitté le Parnasse : L’aimable Maman & son cher fils Aimé : la Poule menteuse de la ruë du Mail & son Roquet : la Bergere Climene, & son Berger Tircis de la Place Royale : la Poitevine du Mans, Maistresse d’Ecole en Langue Françoise : l’incomparable de la ruë du Foin, & son Compere : l’aimable Jardiniere de la ruë Boutdebrie & le beau Prunier : la spirituelle Manon de la belle Etoile de la ruë S. Severin & le Berger toujours fidelle : la bonne faiseuse de Caffé de la ruë de la Verrerie, & Mr l’Abbé Prelos : l’aimable Brune du Cloistre de Saint Benoist, & l’agreable Controlleur : Mademoiselle de Laï, la petite Savigny de Villeneuve Saint Georges : l’Adonis de la ruë du Coq & son ami sans nom : la Naine geante, & la Pagode du milieu de la ruë des Bernardins : la Jonte du Caffé de Livry, ruë Saint Honoré : le bon Grivois de Poitiers : le petit Cousin de Geneve & son gros Cousin d’Alais : Tortoba de la ruë de la Colombe : la Postulation dupée & sa Troupe de Musiciens de la ruë Saint Jean de Beauvais : Jeannot de la ruë de la Poterie : le Chevalier du Vase d’or : l’heureux contemplatif de la ruë de l’Epicerie : Nicolas Gosset de la ruë de Gesvres, prés le Pont au Change, Marguerite de Chenerderes Chopelene : les aimables Compere & Commere du Carrefour de l’Ecole : le petit Commis Nouvelliste : Mr Nobire & la vive Brune sa chere moitié : l’Indifferent par droit de represailles : la blonde & fiere Bourgogne de la ruë Saint Severin : la Demoiselle de l’esprit fin de Lyon : la petite Dragone de la même Ville, & la petite Prude leur voisine : la belle Clelie, son fidele Aronce, & toute leur famille de Rouen : la petite Déesse du bas du grand Pont & sa belle voisine : les deux plus constans & malheureux de la Ville de Rouen.

L’Enigme que je vous envoye est de Madame d’Athie, connuë sous le nom de la grande Doris. On a déja vû des Enigmes de sa façon qui ont esté trouvées fort belles.

ENIGME.

D’un air assez poly ma naissance est suivie,
Je brille de mille couleurs.
Je me jouë avec l’air au plus beau de ma vie
Et quand je ne suis plus, je vous laisse mes sœurs.
***
Pour avoir la beauté de la machine ronde,
Les Zephirs me font la cour,
Mais plus legere que l’amour.
Je disparoist aux yeux du monde.
***
On se plaist à regler mon sort
Avec un instrument rustique,
Il ne faut pas avoir une grande pratique
Pour sçavoir que ma vie est proche de ma mort.
***
Il faut bien peu d’intelligence
Pour donner la matiere & la forme à mon corps,
Je fais paroistre un beau dehors ;
Mais je ne puis montrer qu’un moment de constance.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 330-331.

Je vous envoye une seconde Chanson.

AIR NOUVEAU.

L’Air Je sens, doit regarder la p. 330.
Je sens que mon amour
Augmente chaque jour
Mon aimable Philis en faites-vous de même.
Helas, si vous m’aimiez autant que je vous aime,
Vous ne manqueriez pas de dire à vostre tour
Je sens que mon amour
Augmente chaque jour.
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[Journal de l’Armée de Monseigneur le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 331-342.

Je reprens le Journal qui regarde Monseigneur le Duc de Bourgogne, où je l’ay laissé le mois passé.

Ce Prince monta à cheval le matin du 27. Juin, & fit passer en revuë les Gendarmes, & les Chevaux-legers de Bourgogne, & son Regiment de Cavalerie.

Le 28. ce Prince ne sortit point la pluye fut excessive, & ne cessa pas pendant vingt-quatre heures.

Le 29. on arresta un Espion, portant une grande barbe, on luy trouva des Lettres, il estoit Anabaptiste. On cherchoit à l’arrester depuis le commencement de cette Campagne.

Il ne se passa rien de considerable le 30. Mr le Maréchal de Tallard alla à Weissembourg, & revint par Lauterbourg & passa par le Bois de Binval pour aller marquer un Camp nouveau.

Monseigneur le Duc de Bourgogne monta à cheval le 1. Juillet, & alla visiter son Camp.

Le 2. ce Prince fit décamper son Armée, & vint à Sambach, où il mit sa droite, & sa gauche à Lauterbourg.

Le temps fut si mauvais le trois que ce Prince ne sortit point.

Il ne se passa rien le 4. On eut ordre le 5. de charger les gros Bagages & de les faire marcher.

On croyoit décamper le 6. mais on ne marcha point, car à un quart de lieüe du Camp l’Artillerie & les gros Bagages resterent embourbez, & la pluye fut si forte & si continuelle que l’on ne pouvoit aller d’une Tente à l’autre, ce qui fit changer l’ordre. La seconde ligne ne laissa pas neanmoins de marcher le 6. pour couvrir les Equipages. Mr de Tallard se donna des peines continuelles : Ce Maréchal est aimé de toute l’Armée.

Le 7. à cinq heures du matin, l’Armée se mit en marche pour aller au Fort-Louis, le temps fut assez beau, mais les chemins estoient si rompus, & si épouventables que la Chaise de Monseigneur le Duc de Bourgogne demeura plus de deux heures embourbée, quoique ce Prince fût seul dedans, Mr le Maréchal de Tallard demeura toujours à cheval non-obstant les dangers qu’il couroit.

Monseigneur le Duc de Bourgogne apprit le 8. la nouvelle de la Victoire remportée sur Mr le Baron d’Obdam.

Ce Prince sejourna le 9. au Fort-Louis & fit le tour du Rempart, l’Arriere-garde de quelques détachemens fut attaquée par quatre cent Hussars ou Cavaliers Ennemis qui tomberent entre deux de nos Bataillons, & un Regiment de Cavalerie, on en tua beaucoup & l’on fit quelques Prisonniers. Les Troupes du Roy ne perdirent qu’un Trompette.

Le 10. on ne put partir de Strasbourg ainsi qu’il avoit esté resolu, parce que le Rhin avoit encore cru prodigieusement la nuit du 9. au 10. & que tout estoit inondé. Monseigneur le Duc de Bourgogne alla au Camp où il fit chanter le Te Deum par Mr l’Abbé de Pompone, en rejoüissance de la Victoire remportée en Flandres, toutes les Troupes, & toute l’Artillerie firent 3. salves.

Monseigneur le Duc de Bourgogne ne sortit point, & le Rhin commença à diminuer un peu.

Le 12. les gros Bagages eurent ordre de partir à la pointe du jour avec une grande partie de l’Armée, à cause de la difficulté des chemins.

Monseigneur le Duc de Bourgogne partit le 13. à quatre heures du Fort-Louis, toute l’Artillerie le salua, il laissa treize Bataillons campez sous le Fort. Toute l’Infanterie marcha presques nuë dans l’innondation, & fit trois quarts de lieuë de cette maniere sans montrer moins d’ardeur, & de bonne volonté.

Le 14. Monseigneur le Duc de Bourgogne alla coucher à Haguenau, il en partit à quatre heures & demie du matin & vint camper à l’Abbaye de Stephansfelt ; c’est une Maison d’Hospitaliers de l’Ordre du Saint Esprit de Montpellier : La Riviere de Sort passe proche de cette Abbaye, & la separe du Village de Brumpt.

Le 15. Monseigneur le Duc de Bourgogne partit à quatre heures du matin, & vint dîner à Strasbourg où il fut reçu avec tous les honneurs accoutumez.

Ce Prince en partit le 16. sur les onze heures du matin, & alla établir son Quartier à Santh, où son Armée étoit déja campée.

Il y sejourna le 17.

Ce Prince en partit le 18. à la pointe du jour, & fit passer à son Armée la Schitter, & la Kintche & alla établir son Quartier à Wilstet.

Il y sejourna le 19. il monta à Cheval ce jour-là & alla visiter son Armée.

On reçut à la Cour des Lettres dattées du même jour & du même Camp de Wilstet ; elles portoient, que l’on y attendoit le retour de Mr de Silly, que l’on avoit envoyé à la Cour, & que peu aprés son arrivée, on y manifesteroit les projets de la Campagne, qu’il n’estoit point encore question d’Ennemis & qu’ils ne sortoient point de leurs retranchemens, que si on ne vouloit que vivre à leurs depens, ils en laissoient aux nôtres toute la liberté, sans leur donner la moindre inquietude : ces Lettres ajoûtoient, qu’il estoit arrivé à l’Armée de Monseigneur le Duc de Bourgogne quelques Bataillons, & deux Regimens de Dragons que l’on avoit laissé au Fort-Loüis douze Bataillons, & deux Regimens de Dragons sous Mr de saint Segond, que Mr de Sailly estoit du costé de Molsheim avec un Regiment de Cavalerie, & un de Dragons, & huit Bataillons, & que ce dernier estoit à portée de joindre d’un moment à l’autre, qu’il y avoit des preparatifs à Strasbourg pour faire descendre un Pont, & qu’il y en avoit pour un Siege si on vouloit en faire un, que si on attaquoit les Lignes, on donneroit de grandes inquietudes aux ennemis par ce Pont qu’on tâcheroit de faire au Fort-Loüis, ce qui feroit une grande diversion pour des gens qui sont déja foibles, leurs Deserteurs assurant qu’ils n’ont pas plus de dix mil hommes pour garder leurs retranchemens, s’étant affoiblis par les renforts qu’ils ont envoyez aux Garnisons de Fribourg, & de Brisack.

Monseigneur le Duc de Bourgogne sejourna encore le vingt au Camp de Wilstet. Ce Prince monta à cheval le matin pour aller dans les bois visiter divers postes, il revint par la gauche de son Armée, & à son retour il receut au nom du Roy Chevaliers de S. Loüis Mrs d’Avesne Colonel du Regiment d’Infanterie de la Marche, de Ranzau Lieutenant Colonel du Regiment Allemand de Greder, Milanoüis Major du Regiment de Greder, de Fontaine Capitaine de Cavalerie au Regiment de S. Pouange, de la Borde Capitaine au Regiment de Dragons de Hautefort, de Talange Capitaine reformé, & de la Fond Lieutenant reformé au même Regiment, & Tarade, Ingenieur & Directeur des Fortifications des Places d’Alsace. Monseigneur le Duc de Bourgogne aprit le même jour les avantages remportez par Mr le Chevalier de S. Pol.

Mr de Silly arriva le 21 de la Cour dont il aporta les ordres, il demeura long-temps enfermé avec Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Mr de Tallard, mais le secret fut si bien observé, qu’il n’échapa pas la moindre chose des projets resolus.

Le 22. Monseigneur le Duc de Bourgogne fit ses devotions.

Le 23. il y eût un grand fourage du costé de Rixein, quelques Houssarts y parurent, mais ils furent d’abord dissipez : Monseigneur le Duc de Bourgogne monta à cheval l’aprésdinée, & alla voir sept ou huit Bataillons qui arrivoient.

Le 24. il y eut encor un grand fourage, mais uniquement pour la gauche.

[Nouvelles de Mr l’Electeur de Baviere] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 368-383.

Les nouvelles qui regardent Mr l’Electeur de Baviere dans ma derniere Lettre finissant à la prise du Chasteau de Kufstein. Cette nouvelle estoit si fraische que je ne la sçavois alors qu’imparfaitement. Le Roy reçut presqu’en même temps la Lettre suivante, elle est de Mr le Maréchal de Villars & dattée du 22. Juin.

SIRE

J’apprens dans ce moment par un Courier de Mr l’Electeur de Bavier, qu’il a pris Kufstein par une espece de miracle. C’est une Place tres-bonne. Le Gouverneur à l’approche des Troupes a voulu faire brûler quelques maisons qui avoisinoient la ville. Le feu de ces maisons poussé par un assez grand vent s’est communiqué à la Ville qui en a esté consommée en un moment. Le feu de la Ville a passé au Château. Un des Ingenieurs François que j’avois donné à Mr l’Electeur, nommé des Ventes, a demandé cinquante Grenadiers pour s’aprocher d’une Tour qu’il croyoit pouvoit aborder & que le grand feu empêchoit les Ennemis de deffendre. Le feu n’a pas empêché nos Grenadiers de la grimper les uns sur les autres, & en deux heures Ville & Chasteau ont esté emportez. Nos Grenadiers & cet Ingenieur sur tout, meritent des loüanges infinies. Mr l’Electeur me mande qu’il va expedier le reste. Il marche à Inspruck, grace à Dieu, SIRE, voilà un beau début. Par tous les avis que j’ay reçeus ce soir, l’Ennemy marche demain à moy. J’ay reconnu mon Poste, & je l’attens avec la confiance, que l’Etoile de Vostre Majesté, la justice de ses Armes, la bonté de ses Troupes & mon zele me donnent.

Il y avoit dans Kufstein trois cens hommes qui furent faits prisonniers de guerre. Voicy l’extrait d’une Relation qui parle de cette Place, elle dit en parlant des Grenadiers François qui l’ont emportée, ils montoient sur les épaules les uns des autres & guindoient leurs camarades par le moyen de leurs fusils, les premiers se jetterent dans le Chasteau avec precipitation & surprirent si fort le Gouverneur & la Garnison de voir arriver des Troupes par où ils croyoient qu’il ne pouvoit passer que des oiseaux qu’ils se rendirent tous Prisonniers de guerre. Cela facilita l’entrée de la Place aux Troupes de Son Altesse Electorale, qui sans cet expedient auroit pû tenir quinze jours.

La Lettre que vous allez lire vous apprendra ce qui a suivi cette conquête.

Du Camp de S. A. E. de Baviere prés d’Inspruck le 27 Juin.

Aprés la prise de Kufstein, Monseigneur l’Electeur s’est aussi rendu maistre du Château de Rattemberg, & quoiqu’il y eut une Garnison de quatre cens hommes de Troupes reglées, & de six cens Paysans armez d’Arquebuses rayées, cette Place ne nous a pourtant coûté que neuf Grenadiers François. Nous marchâmes ensuite Schuats, où le Magistrat de Hall vint au devant de Son Altesse Electorale pour luy presenter les clefs de leur Ville, & comme Son Altesse Electorale y fut informée que le General Greschwind estoit posté devant Inspruck avec trois cens hommes de Troupes reglées, elle détacha le Comte de Taufkirken avec ordre d’attaquer, & de forcer lesdits trois cens hommes dans le Poste avantageux qu’ils occupoient ; ce qu’il executa avec tant de vigueur, que non seulement il les deffit entierement, mais qu’il prit aussi tout le Bagage du General Greschewind. Aprés cet exploit la Regence generale d’Inspruck prit d’autres mesures, & vint trouver Son Altesse Electorale dans la Ville de Hall, pour luy presenter les clefs, & pour implorer sa protection, elle les reçut avec sa bonté ordinaire, & leur demanda le passage pour les Couriers qu’elle envoye & reçoit d’Italie, & ils répondirent qu’ils avoient actuellement dépêché de tels Mandemens par tout le Tirol, que Son Altesse Electorale n’y trouveroit aucune difficulté. Nostre Serenissime Electeur se mit ensuite à la teste de ses Troupes, & marcha droit à Inspruck, & à quelque distance de la Ville il fut rencontré par Madame l’Electrice Palatine Doüairiere, & par Mr l’Evêque d’Ausbourg, accompagnez d’une nombreuse suite de personnes de distinction qui vinrent pareillement demander sa protection, Son Altesse Electorale les reçut tres-gracieusement, & aprés quelques complimens & civilitez reciproques, elle poursuivit sa marche, & fit son Entrée dans ladite Ville d’Inspruck accompagné des personnes nommées cy dessus. On avoit préparé le Palais Imperial pour y loger son Altesse Electorale, & on le luy offrit avec beaucoup d’instance, mais elle s’en excusa fort honnêtement & prit son logement chez les Reverends Peres Jesuites. Les huit cens Paysans armez tous gens accoutumez à tirer au blanc, qui estoient postez sur les hauteurs voisines d’Inspruck, ayant appris que la Regence Imperiale venoit de presenter les clefs à Son Altesse Electorale, quitterent leurs postes, jetterent les armes bas & vinrent aussi implorer la protection du Prince. Immediatement aprés l’entrée de Son Altesse Electorale, on chanta le Te Deum, auquel assisterent Madame l’Electrice Palatine, & Mr l’Evêque d’Ausbourg avec un tres grand concours de monde. Mr l’Archevêque de Saltzbourg a envoyé deux Chanoines de son Chapitre Metropolitain pour complimenter Son Altesse Electorale, qui n’ont pas encore esté admis à l’Audiance. Pour ce qui regarde le Château Kufstein, lors que Son Altesse Electorale le vit, sa situation avantageuse la surprit & elle le regarda comme une des plus fortes Places qu’elle aye veuë, & l’ayant bien visité & consideré, elle dit que le Château de Kufstein estoit plus fort que celuy de Namur, & capable d’arrêter long-temps une Armée de soixante mille combattans, ayant autrefois soutenu dix ans de suite le blocus & le Siege d’une puissante Armée Imperiale. On a trouvé dans cette Place toutes sortes de munitions de bouche pour plusieurs années & entre autres soixante & dix pieces de Canon de bronze, & quelque mille bombes chargées : on travaille actuellement à réparer cette Place, & à la rendre encor plus forte par de nouveaux ouvrages qu’on espere d’achever en deux mois de temps ; il est à remarquer que pendant la marche de Son Altesse Electorale, elle rencontra à Visback du costé de Kufstein sept grands Chariots de Nuremberg attelez chacun de huit Chevaux, elle les fit arrester & on trouva qu’ils estoient chargez de la principale richesse des habitans de la Ville de Nuremberg qui la vouloient sauver dans le Tirol.

On doit remarquer que l’Etoille de Madame l’Electrice Palatine Doüairiere, Mere de l’Imperatrice, est de l’obliger à se soumettre par tout à Mr l’Electeur de Baviere. Ce Prince l’avoit trouvée dans Neubourg, & elle avoit crû s’estre retirée si loin, en se réfugiant à Inspruck qu’il estoit impossible que Mr de Baviere allast assieger cette Place, c’est neanmoins ce que cet Electeur a fait ou du moins ce qu’il alloit faire : Si on ne luy eust point apporté les clefs de cette Place, de sorte que Madame l’Electrice Palatine ne pouvant revenir de son étonnement, cette Princesse fit trois choses qui sont assez surprenantes, & dignes d’estre remarquées. Elle alla au devant de Mr l’Electeur de Baviere, elle assista avec son fils au Te Deum qui fut chanté en action de graces d’une conqueste faite sur son Gendre, elle dîna avec le Vainqueur de ce même Gendre. Cela est bien glorieux à Mr de Baviere, & il faut que cette Electrice & son Fils ayent eu de puissantes raisons pour les engager à faire de semblables pas, & qu’ils ayent crû Mr l’Electeur de Baviere bien puissant, bien établi & bien aimé dans le pays, pour faire des choses si extraordinaires en sa faveur, & qui ne doivent pas estre agreables à l’Empereur.

Mr l’Electeur de Baviere ayant des droits sur le Tirol, & le regardant comme une Province qui lui appartient, y fait exercer tout ce qui regarde la Justice, la Police, & les Finances, autrement qu’il ne feroit dans une Place qu’il ne regarderoit que comme une conqueste, & en traite les peuples comme ses veritables Sujets. Ce Prince a fait prester serment à la Garnison, comme veritable Souverain de cette Province.

Cet Electeur continuant ses conquestes, acheva de s’emparer de tous les Postes & passages du Tirol du costé du Trentin, & envoya un détachement vers le haut de la riviere d’Inn, & du Lek, qui prit par stratagême les Chasteaux d’Erhnberg, & de Reuth, ce dernier est estimé plus fort que celui de Kufstein. On a trouvé tant dans ce Chasteau que dans la Ville, quarante pieces de canon de fonte, quatorze mortiers, un magasin de boulets, bombes, grenades, & poudre, & seize mille sacs d’avoine, de blé, & farine, pour nourrir pendant trois mois une Armée de trente mille hommes. On y a aussi trouvé du sel pour fournir toute la Suisse. Ces dernieres conquestes ont rendu Mr de Baviere entierement maistre du Tirol, où tous les peuples l’aiment & le respectent.

Les mêmes Détachemens qui ont pris les deux Châteaux dont je viens de parler, ont aussi dissipé les Païsans qui avoient pris les armes de ce costé là, pour défendre les passages. Le Comte Portia y a esté tué, & le General Comte de Taufkirken a esté fait prisonnier. Il est surprenant que Mr l’Electeur de Baviere se soit rendu maistre presque en six jours des principales Places du Tirol, qui est une des meilleures Provinces de la Maison d’Autriche. Cette conquête luy ouvre l’entrée en Autriche, Carinthie, & Stirie, & oste de ce costé-là aux Imperiaux la communication avec l’Italie. On assure que les Salines de Hall, situées à une lieüe au dessous d’Inspruch, & les autres revenus du Tirol, rendoient tous les ans à l’Empereur quatre millions & demi de florins.

Vous attendez sans doute des nouvelles de l’Armée de Mr le Maréchal de Villars. En voici.

[Suites des Nouvelles de Flandres] §

Mercure galant, juillet 1703 [tome 7], p. 391-394.

Voicy la suite des Nouvelles de Flandres.

Les Nouvelles du 25. au soir portoient que les ennemis ayant rejoint leurs forces ensemble, & dégarny leurs Places d’une partie de leurs garnisons, ils avoient fait mine de vouloir attaquer Mr le Maréchal de Villeroy, & d’en venir à une action decisive, ce qui avoit obligé ce Maréchal à faire bonne contenance pour leur marquer qu’il ne les craignoit pas. Mais que ce General ayant appris qu’ils tournoient du costé de Lillo, comme à dessein d’y passer sur leur Pont le grand Escaut, il avoit jugé à propos de faire entrer l’Armée dans les lignes, & d’envoyer cinquante Escadrons sous la conduite de Mr de Barwick, entre les deux Gettes, où ils seroient commodement pour subsister, & en estat de le rejoindre aussi-tost qu’il en auroit besoin.

Il est à remarquer que les Ennemis avoient plus de vingt-cinq mille hommes plus que nous, parce que l’Armée de Mr de Bedmar n’avoit pas joint ; cependant Mr le Maréchal de Villeroy au lieu de décamper la nuit comme quelques Generaux auroient pû faire, attendit qu’il fût jour pour mettre son Armée en Bataille, il fit défiler les gros Bagages, & partit aprés avoir demeuré pendant cinq heures en Bataille & avoir inutilement attendu les Ennemis. Cette fermeté les estonna si fort qu’elles les rendit immobiles, & plusieurs demeurerent persuadez qu’elle fit évanoüir une espece d’envie qu’ils avoient de livrer Bataille.

Pendant que les Armées estoient si proches, qu’il n’y avoit que la Bruyere entre deux, on alla au qui vive, & il se trouva que les deux Generaux s’envoyoient faire des complimens l’un à l’autre, Mr le Comte de Verruë alloit trouver Mr le Duc de Marlbouroug, & un Trompette avec un cheval de bast chargé de vin estoit envoyé à Mr le Duc de Barwik son neveu, ce Prince estant né d’une sœur de ce Milord.

L’Armé de Mr le Maréchal de Villeroy estant entrée dans les lignes, campa à deux petites lieues d’Anvers dans un lieu nommé Wineghem, où elle estoit le 27. on avoit résolu ce jour là que Mr le Maréchal de Bouflers passeroit l’Escaut à deux lieues d’Anvers avec un Corps de Troupes pour rester dans le Païs de Waës afin de mettre Ostende à couvert.