1704

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1704 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1]. §

[Madrigal au Roy] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 5-7.

Tout ce que le Roy a fait de grand mettant ce Monarque au dessus des Eloges, il ne reste plus à faire pour ce Prince, que les souhaits qui suivent.

MADRIGAL À LOUIS LE GRAND.

Grand Roy dont l’Univers admire les hauts faits
Je ne puis t’offrir pour Etreine,
Qu’un humble Madrigal rempli de ces souhaits.
Ils sont, Grand Roy, que la Parque inhumaine
De filer tes beaux jours ne se lasse jamais ;
Qu’une santé parfaite, une vive allegresse
Suivent toûjours les soins que tu donnes sans cesse
À l’honneur des Autels, au bien de tes Sujets ;
Et qu’enfin tes Rivaux autheurs de cette guerre
Qui fait voler ta gloire aux deux bouts de la terre,
Viennent comme autrefois te demander la Paix.

[Etreines à Madame la Duchesse de Bourgogne] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 7-13.

Ces Vers sont de Mr Robert de Mussidan, & ceux qui suivent sont de Mr de Bellocq. Ce nom suffit pour vous les faire lire avec empressement. Vous sçavez que cet Auteur a du goust, qu’il est heureux dans le choix de ses sujets, & que tous ses ouvrages sont applaudis.

JANUS À MADAME LA DUCHESSE DE BOURGOGNE.
ETREINES,
Pour l’Année 1704.

Princesse, à vos genoux j’apporte mes hommages…
Mais d’où vient que vous m’observez
D’un air d’étonnement qui couvre de nuages
Ces beaux yeux jusqu’à moy non-chalament levez ?
Est-il rien de moins rare aux lieux où vous vivez,
Que des Amis à deux visages ?
***
Ne me soupçonnez pas sur ma duplicité
De manquer de sincerité :
Elle indique ma connoissance
De ce qui fut, ou qui sera,
Et sur quel point il vous plaira
Nous en ferons l’experience.
***
Quand je contemple le passé,
Foy de Dieu double, je vous jure,
Que je n’y trouve rien qui ne soit effacé
Par ces dons que pour vous prodigua la Nature :
Et si dans l’Avenir je m’applique à chercher
Les futures Beautez qui luy sont accordées,
Dans les plus loingtaines idées
Je ne remarque rien qui vous doive approcher.
***
Depuis quatre mille ans les Pontifes Latins
De celuy qui renaist me font ouvrit la Scene ;
Mais je n’en ay point vû de plus cher aux Destins
Que cet An qu’aujourd’huy l’ordre des temps ameine
Epris de la fureur qui perce l’Avenir,
Voici comme Apollon m’en vint entretenir.
***
Commencez, Princesse feconde,
Vostre Auguste Posterité,
Et donnez des Arrhes au monde
D’une heureuse tranquillité.
Je vois de vostre sein sortir une lignée
De Princes Conquerans, & de Heros vainqueurs ;
Si quelque Nation doit en estre épargnée,
Ce sera pour se rendre aux charmes de leurs Sœurs.
***
France, de ta felicité
Reçoy ces Demi-Dieux pour l’infaillible gage,
À qui les trois Louis, par un droit d’heritage
De Fils en Fils transmettront le courage,
La Prudence, & la Pieté :
Enfin puisqu’il faut que je fasse
Paraître au jour tes Destins triomphans,
Avant qu’aller aux Cieux pour, prendre leur place,
Par les Enfans de ses Enfans
Les trois Louis verront éterniser leur Race.
***
  Et Toy, sur qui roule
  Le commencement
  De l’An qui s’écoule
  Insensiblement,
Janus, ferme ton Temple : Un Roy brillant de gloire,
Aussi plein de vertus, que Grand par ses hauts faits,
Sur les aisles de la Victoire
Bientost ramenera la Paix.
***
De ses Conquestes éclatantes
Par un charmant repos le cours sera suivi,
  Et Mars est assouvi
  De victimes sanglantes :
  Bientost au comble des douceurs
Dont, aprés tant de maux l’Univers est avide,
On n’immolera que des cœurs
Sur les Autels d’Adelaïde.

[Mariage de Mr le Comte de la Vauguyon] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 13-47.

Ce que je vous envoyai il y a quelques mois touchant l’Article suivant, meritant d’estre plus étendu, je vous envoye un nouvel Article sur le mesme sujet.

Mr le Comte de la Vauguion fut fiancé le 29. Septembre dernier avec Mademoiselle de Busset. Dés la fin d’Avril Mr le Maréchal Duc de Noailles, dont Mr de la Vauguion est cousin issu de germain, demanda à Sa Majesté, son consentement & son agrément pour ce mariage, ce que Sa Majesté accorda avec beaucoup de marques de bonté en faveur des Parties.

Le mesme jour 29. Septembre le Contrat de Mariage se passa du consentement de Monsieur le Duc du Maine, porté par sa Lettre & par sa Procuration.

Il y eut peu de Parens présens, parce que la pluspart estoient à la Cour, à l’armée, ou hors du Royaume ; mais il y en assista beaucoup par Procuration.

Les présens furent, Madame la Comtesse de Busset, mere de Mademoiselle de Busset, Mr l’Abbé de Vaillac parent des deux parties, François Descars, Seigneur de la Vauguion, dont Mr de la Vauguion & Mademoiselle de Busset sont tous deux descendus & natifs de Marie de Montberon, premiere Dame d’honneur d’Anne de France, Duchesse de Bourbon, Regente de France, & qui avoit épousé Gauthier de Peruce, dit Descars, Seigneur de la Vauguion, Baron de Saint Germain sur Vienne, Conseiller & Chambelan du Roy, Grand Chambelan & Chef du Conseil de Pierre II. Duc de Bourbon, Regent de France, Senechal & Gouverneur de Perigord & de la Marche, & des Villes de Moulins & de Montegu ; & le feu Comte de Vaillac Chevalier de l’Ordre du Roy, & Capitaine des Gardes du Corps de feu Son Altesse Royale Monsieur, pere de cet Abbé, estoit petit fils d’Anne de Montberon, Comtesse de Vaillac, petite niéce de Madame de la Vauguion ; Mr le Comte, Madame la Comtesse, Mr le Marquis & Mademoiselle Descars, aussi Parens des deux Parties. Ce Gautier de Peruce, dit Descars, estant frere puisné d’Antoine de Peruce, Seigneur de Saint Bonnet, présomptif heritier de la Seigneurie Descars, Senechal & Gouverneur de Limosin, duquel Mr le Comte, Mr le Marquis & Mademoiselle Descars sont descendus par plusieurs degrez ; Mr de Cremieres cousin germain de Madame la Comtesse de Busset.

Ceux qui y assisterent par Procuration, & qui sont Parens des deux Parties, furent Madame de Montespan & Madame l’Abbesse de Fontevrault sœurs, cousines issues de germain de Mr de la Vauguion, & cousines au cinquiéme degré de Mademoiselle de Busset ; Louise Comtesse de Maure & Marquise de Mortemart, grande mere paternelle de ces deux Dames estoit sœur du feu Comte de la Vauguion, grand pere de Mr de la Vauguion, & petite niéce d’Anne Descars, Dame de Florat, grande mere paternelle d’Helene de Laqüeille Comtesse de Busset, grande mere paternelle de Mademoiselle de Busset.

Du costé de Mr de la Vauguion Mesdames les Marquises de la Boulaye, de Rochefort & Madame la Maréchale de Bellefond, tantes à la mode de Bretagne, comme filles, l’une de Christophle Fouquet Comte de Chalain Conseiller d’Estat, second President à Mortier & Procureur General au Parlement de Bretagne, Gouverneur des Villes de Concarnau & de S. Aubin du Cormier ; & l’autre de Jean Fouquet Seigneur du Boullé, Conseiller au Parlement de Bretagne, freres de Claude Fouquet Dame du Boullé, Grande Mere Paternelle de Mr de la Vauguion. Me la Marquise, veuve du Marquis de Bellefond, Cousin issu de germain, Mr de Dreux Marquis de Brezé, Conseiller en la Grande Chambre du Parlement de Paris, Mr l’Abbé de Dreux Conseiller au Grand Conseil, son frere, Cousins au cinquiéme degré comme issus d’une sœur de Lezine Cupif, épouse de François Fouquet Seigneur de la Haranchere, & mere de Christophle Fouquet, Seigneur de Chalain, Conseiller d’Estat ordinaire & second President à Mortier au Parlement de Bretagne, pere de Claude Fouquet Dame du Boullé. Mr le Marquis de Dreux Grand Maistre des Ceremonies, cousin du cinquiéme au sixiéme degré ; Me la Duchesse de Coislin, cousine tant de son chef, que de celui de feu Mr le Duc de Coislin, son époux, puisque Jeanne de Callac, Dame de Talcoymur, épouse de René de Carne, dit de Trecesson, Seigneur de Trecesson, & grande mere paternelle de Françoise de Carne, dite de Trecesson, Dame du Boullé, bisayeule de Mr de la Vauguion, estoit sœur d’Anne de Callac, épouse de Jacques Budes, Seigneur du Tertrejouan, & mere de René Budes, épouse de Philippe de Halgruet, Seigneur de Kergrehe & mere du Seigneur de Kergrehe, grand pere de Madame la Duchesse de Coislin ; Mr le Cardinal de Coislin frere, & Mr l’Evêque de Metz, & Madame la Duchesse de Sully enfans de feu Mr le Duc de Coislin, tous Parens. La Maison de Coislin estant issue de Jeanne de Quelin du Boullé, Dame du Cambout, Mrs les Comtes d’Armagnac & de Marsan, tous deux fils de Marguerite du Cambout de Coislin Comtesse d’Harcourt & Mr le Comte de Vertus, qui a eu pour grand mere paternelle Catherine Fouquet épouse de Claude de Bretagne Comte de Vertus, fille de Guillaume Fouquet, Marquis de la Varenne Gouverneur des Ville & Château d’Angers, Lieutenant de Roy en Anjou, Grand Maître des Postes de France, de même Maison que Claude Fouquet ; Dame du Boullé, tous du costé paternel de Mr de la Vauguion ; Mr le Duc de Roquelaure, & Madame la Duchesse de Foix sa sœur, oncle & tante à la mode de Bretagne, le feu Duc de Roquelaure leur pere estant frere de la grand’ mere maternelle de Mr de la Vauguion ; Mr le Duc de Gramont, cousin issu de germain, Françoise de Roquelaure sa grand’ mere paternelle estant sœur de la grand’ mere maternelle de Mr de la Vauguion ; Mr le Cardinal, & Mr le Maréchal Duc de Noailles, cousins issus de germains, Roze de Roquelaure, leur grand’ mere paternelle, estant sœur de la grand’ mere maternelle de Mr de la Vauguion ; Mr le Duc de Guiche & Mr le Maréchal Duc de Bouflers, à cause de Madame son épouse, cousins du troisiéme au quatriéme degré, tous du costé maternel de Mr de la Vauguion.

Et du costé de Mademoiselle de Busset, il n’y eut que Mr le Comte de Busset, son frere, Mr le Duc de Gandie, Duc de Gandie, frere de Cezar de Borgia, Grand d’Espagne, chef de la Maison de Borgia, son cousin comme issu de Jean de Borgia, Duc de la Romagne & de Valentinois, grand pere maternel de Claude de Bourbon Comte de Busset, trisayeul de Mademoiselle de Busset.

Mademoiselle de Busset, par ce Contrat, a eu en dot entre autres choses.

La Baronnie de Chalus, renommée par ses Foires, & l’une des plus considerables de Limosin, elle appartenoit de tous temps aux anciens Vicomtes de Limoges, qui finirent à Guy IV. du nom. Vicomte de Limoges, qui ayant épousé Marguerite de Bourgogne, Princesse du Sang, fille d’Hugues IV. Duc de Bourgogne, n’en laissa que Marie, Vicomtesse de Limoges, épouse d’Artus II. Duc de Bretagne, Prince du Sang, duquel elle eut Jean III. Duc de Bretagne, Vicomte de Limoges, mort sans lignée ; & Guy de Bretagne Comte de Peintieure, Vicomte de Limoges, qui ne laissa de Jeanne d’Avaugour, son épouse, que Jeanne surnommée la boiteuse, Duchesse de Bretagne, Vicomtesse de Limoges, épouse de Charles de Chastillon, dit de Blois, neveu du Roy Philippes de Valois duquel elle laissa Jean de Bretagne Comte de Peintieure, Vicomte de Limoges ; il épousa Marguerite de Clisson dont il eut Guillaume de Bretagne, Vicomte de Limoges, Comte de Perigord, mary d’Isabeau de la Tour, fille du Comte d’Auvergne ; il en eut Françoise de Bretagne, Vicomtesse de Limoges, Comtesse de Perigord, épouse d’Alain, Sire d’Arbret, Comte de Dreux, duquel elle laissa Jean Roy de Navarre, Vicomte de Limoges (pere d’Henry, Roy de Navarre, Vicomte de Limoges) & Charlotte d’Arbret épouse de Cezar de Borgia, Duc de Valentinois. Le Roy Henry dés l’an 1526. ceda à Louise de Borgia Duchesse de Valentinois, sa cousine germaine, épouse de Philippes de Bourbon, Baron de Busset, la Seigneurie de Vayres en Bourdelois, pour l’apanage qu’elle pouvoit prétendre dans la Maison d’Arbret, à cause de Charlotte d’Arbret, sa mere, en échange de laquelle Terre le même Roy, en 1535. transporta à cette Duchesse, la Baronnie de Chalus, ce qui donna lieu à un procez que Jeanne, Reine de Navarre, fille du Roy Henry, intenta contre Claude de Bourbon Comte de Busset, son cousin issu de germain, fils heritier de la Duchesse de Valentinois ; mais par transaction de 1595. passé entre le Roy Henry IV. Madame sa sœur, d’une part ; & Cezar de Bourbon, Comte de Busset, fils de Claude, d’autre part ; Sa Majesté se départit de ce procez intenté par la Reine, sa mere, en sorte que la Terre de Chalus a demeuré incontestablement à Cezar, à son fils & à son petit fils, pere de Mademoiselle de Busset.

Et le droit de revendiquer la Souveraineté de la Seigneurie de Bretinoir & des Châteaux de Furty & de Cezenne, le tout situé dans le Duché de la Romagne, appartenant à la Maison de Busset, comme heritiere de tous ceux de Cezar de Borgia Duc de la Romagne & de Valentinois, qui fut contraint par le Pape Jules II. qui le tenoit prisonnier, de déposer ces Places entre les mains de ce Pape, qui luy promit solemnellement de les luy remettre, aussi tost qu’elles seroient assurées contre les entreprises des Venitiens.

Le 1. d’Octobre le mariage de Mr de la Vauguion, & de Mademoiselle de Busset se celebra dans l’Eglise du Château de la Ville de Chalus, Mr l’Abbé de Vaillac, assisté de tout le Clergé de ce lieu-là, aprés avoir donné aux Mariez la benediction nuptiale leur fit avec la grace qui luy est ordinaire l’exhortation suivante.

L’Eglise vient de vous unir, Mr & Me par un Sacrement, dont le lien est d’autant plus venerable qu’il est indissoluble par les Loix divines & humaines, il doit l’estre encore davantage par cette union d’esprit, de correspondance & d’amour, que cet auguste Sacrement doit contracter entre vous, puisque selon le langage de saint Paul, vous ne devez plus estre qu’un même esprit & une même chair, aussi est ce cette parfaite cordialité, cette defference mutuelle, & cette union de volonté qui doivent vous faire trouver dans l’estat que vous embrassez des douceurs & des consolations qui en seroient bannies sans cela. Le Ministere dont je m’acquitte, m’oblige de vous representer, que vous devez détacher vos cœurs, & élever vos esprits au dessus de tous les biens temporels que l’on a accoûtumé de rechercher dans tous les Mariages, pour n’avoir que les veuës & les intentions que Dieu vous ordonne. Je sçay & je prevois avec joye que vous allez vivre dans cette douceur tranquille, qui est la compagnie d’une Societé toûjours agreable, & qui est si capable de faire oublier qu’il y en a une éternelle infiniment plus prisable à laquelle nous devons aspirer aprés cette vie Je sçay que vous allez joüir des avantages qu’une illustre naissance, & des grands biens ont accoûtumé de procurer, que vostre prosperité & vostre felicité seront incessamment souhaitées & demandées à Dieu par le grand nombre de Vassaux dont vous allez faire les delices ; vous possederez enfin les biens de la terre ; mais n’oubliez ny l’un ny l’autre, que vous estes créez pour ceux du Ciel, que vous ne pouvez joüir de ceux de ce monde qu’en passant & sans attache ; le Prophete Roy, Mr, ne vous enseigne qu’un seul moyen d’être heureux ; Cet homme, dit-il, qui craint Dieu, qui marche étroitement dans sa voïe, gardant ses Commandemens à la lettre, & l’aimant de tout son cœur : En effet, c’est seulement ainsi que l’on peut participer par anticipation à la felicité des Bienheureux dans le monde, & c’est en en usant ainsi, qu’il ne sera point dangereux pour vous de vous servir des biens & des commoditez de la terre, ny de joüir du bonheur que Dieu vous promet aujourd’huy, en vous donnant une Epouse accomplie de toutes le perfections que vous y desiriez ; aussi vôtre conduite doit elle faire son bonheur par la suite, comme la sienne fera la vôtre : car je vous regarde déja, Me, comme cette Femme forte dont Salomon nous fait le portrait dans ses parabolles : Je crois que comme elle comptant pour rien les beautez de vostre corps, les graces de vostre esprit, les venerations qui attireront le nom auguste que vous portez, & les autres avantages temporels, vous ne voudrez appuyer vos loüanges que sur la crainte de Dieu, j’espere que nous vous entendrons prononcer des Oracles de sagesse, & des loix de clemence, qu’aprés que vous vous serez acquittée de ce qu’il y aura de plus considerable à faire dans vôtre maison, vous ne negligerez pas de descendre jusques dans le plus petit détail, que vous ne voudrez pas manger vostre pain oiseuse, ainsi que vous ne dedaignerez point de porter la main au travail & au fuseau ; mais que vous l’étendrez encore plus volontiers quand il faudra secourir le pauvre & l’opprimé ; ce sera donc en imitant ainsi la Femme forte, Me, que vous recevrez dés ce monde, les recompenses que Dieu y promet, vous joüirez seule en paix & en tranquilité du cœur & de la confiance de vostre Epoux, il cherchera tous les jours de sa vie les occasions de vous procurer le bien, & de vous faire éviter le mal ; les enfans dont Dieu benira vôtre Mariage s’éleveront en chantant vos loüanges, & s’estimeront trop heureux de venir d’une telle mere. Allez donc en paix jouir l’un & l’autre d’un bonheur que vous pouvez vous faire, & vous devoir à vous mêmes. J’aurai soin de le demander à Dieu pour vous, avec plus d’ardeur que pas un autre n’auroit pû faire dans le Sacrifice propitiatoire où le Fils de Dieu s’immole incessamment pour les hommes à son Pere, & s’il daigne exaucer mes vœux, vous serez comblez de benedictions dans ce monde, & dans l’autre.

Ce n’est pas la premiere fois que la maison de Vaillac, s’est attirée à Chalus l’admiration & l’acclamation des peuples. Fontanier Vicomte de Gourdon, l’un des Ayeuls de Mr l’Abbé de Vaillac, défendit cette Place contre Richard Cœur de Lion, Roy d’Angleterre, qui l’avoit assiegée en personne, y tua ce Prince d’un coup de fleche en 1199. ce qui obligea toute l’armée Angloise d’en lever le siége.

Le 3 d’Octobre Mr & Me de la Vauguion partirent de Chalus pour aller à Tonnens dans l’Equipage de Mr de la Vauguion qui se trouva composé de deux Carrosses à six Chevaux chacun, de quarante personnes, & de plus de trente Chevaux. Me la Comtesse de Busset, & Mr l’Abbé de Vaillac les accompagnerent, & cent Chevaux des Bourgeois de Chalus les escorterent jusques à une lieuë au delà de cette Ville.

Le 7. Mr & Madame de la Vauguion coucherent à saint Barthelemy, petite ville d’Agennois où plusieurs Gentilshommes des Baronnies de Tonnens & de Grateloup, apartenantes à Mr de la Vauguion, vinrent les complimenter, & les Deputez de Grateloup les y haranguerent. On croyoit que Mr & Madame de la Vauguion arriveroient ce jour là à Tonnens, où par la permission de Mr l’Evêque d’Agen, on chanta le Te Deum dans l’Eglise des Peres du Tiers Ordre que Mr de la Vauguion a fait bâtir, & auquel tous les Corps de la Ville avec une grande affluence de Peuple assisterent.

Le 8 d’Octobre Mr & Madame de la Vauguion étant partis de Saint Barthelemy, trouverent à la sortie de la ville de Grutaud, une Compagnie de Cavalerie formée des Bourgeois de Tonnens, de plus de cent Chevaux, ayant leurs Officiers & deux Trompetes en teste qui venoient au devant de Mr & de Madame de la Vauguion, à un quart de lieuë de Tonnens, & aussi tost que l’on eut passé le Tolzat, Mr & Madame de la Vauguion, & Madame de Busset, furent haranguez au nom de la Communauté de Tonnens, par le sieur de la Gur, principal Bourgeois de la Ville, à deux cens pas hors de laquelle ils trouverent les Consuls & les Jurats, dont Mr & Madame de la Vauguion, & Madame de Busset reçurent aussi les harangues, en présence d’une foule incroyable de monde, & étant arrivez à Tonnens, le Clergé, les Religieux & la Justice, tous en Corps, vinrent les haranguer, toute la Ville retentit d’aclamations de joye. Les Consuls avoient fait placer des Fontaines de vin dans les Places. Sur le soir ils firent un feu de joye, & pendant deux jours ils traiterent Mr & Madame de la Vauguion & toute leur suite, avec beaucoup de magnificence.

À l’honneur de S. Lazare. Hymne §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 47-58.

Je vous envoye la Traduction d’une Ode Latine, faite par Mr le Chevalier de Vertron, à l’honneur de Saint Lazare ; cette Traduction est du même Mr de Vertron.

Je croy qu’il est à propos de vous faire remarquer que de toutes les Hymnes, il n’y en a point de plus difficile à faire que celle de Saint Lazare, parce que la vie de ce grand Saint ressuscité est un Miracle continuel. Mr de Vertron l’a tirée de l’Evangeliste Saint Jean, & de la Tradition immemoriale reçuë dans les Eglises de Provence, où il a esté ; le Corps de S. Lazare est dans la Cathedrale de Marseille, & cette Ville qui a l’honneur de l’avoir eu pour son premier Evêque, en fait la Feste le 31. Aoust. Sigebert, Alberic, Vincent de Beauvais, Bernard Guy, le Cardinal Baronius, le fameux Sponde, & plusieurs celebres Auteurs, parlent tous de ce grand Ami de Jesus Christ, & assurent, qu’aprés la mort du Sauveur du Monde, & dans le temps de la persecution que les Juifs faisoient aux Chrestiens, S. Lazare, Saint Maximin, Sainte Madelaine, & Sainte Marthe furent exposez sur la mer, laquelle obeït aux ordres de Dieu, puisque malgré leur Vaisseau brisé, ils aborderent heureusement à Marseille. À l’égard de l’Ordre qui porte le nom de Saint-Lazare, il ne reste rien à dire, aprés ce qu’en a dit Monsieur le Chevalier de Vertron, qui a renfermé dans son Discours ce qu’en ont rapporté Saint Gregoire de Nazianze, Mennenius, Aubert le Mire, Favin, & Mezeray.

À L’HONNEUR DE S. LAZARE.
HYMNE.

Tendre Ami du Sauveur de monde,
Qui pourroit dignement te chanter en ces lieux ?
Nostre admiration profonde
Est ce qui te convient le mieux.
***
En vain le grand nom de Lazare
Suffit, pour animer nos timides accens ;
Une sainte frayeur s’empare
Et de nos cœurs, & de nos sens.
***
Toute la terre est interdite,
Au redoutable aspect d’un Dieu qui te cherit :
Rien ne prouve mieux ton merite
Que l’amitié de Jesus-Christ.
***
De ta mort la triste nouvelle
Vers ton affreux tombeau luy fait hâter ses pas ;
Source de la vie éternelle,
Il court t’arracher au trépas.
***
Il pleure, il fremit, il se trouble,
En voyant de tes Sœurs le tendre empressement ;
Mais sa vive douleur redouble,
Si-tost qu’il voit ton monument.
***
À son amour tout est possible.
Sors, Lazare, dit-il, quitte ces sombres lieux :
La mort cede à la voix terrible,
Qui créa la terre, & les cieux.
***
Ton ame à ton corps réünie,
Malgré l’affreuse Mort, reconnoist à son tour,
Avec sa puissance infinie,
Le miracle de son amour.
***
Tu sors, tu reçois la lumiere,
Tu rejoins le seul bien qui soit digne de toy,
Pour rentrer dans une carriere,
Où tu dois signaler ta foy.
***
Que tu vas éprouver d’alarmes !
Les cruels ennemis du Sauveur des Humains
Contre toy vont prendre les armes :
Mais tous leurs efforts seront vains.
***
Sans gouvernail, & sans Pilote,
À la merci de l’On de on expose tes jours,
Au gré des vents ton Vaisseau flote ;
Le Ciel est ton dernier recours.
***
Maximin, & Marthe, & Marie,
Exposez avec toy, n’attendent que la mort :
Mais que peut l’Enfer en furie ?
Le Ciel prend soin de vostre sort.
***
Le Dieu, qui commande à l’orage,
Tient de vostre Vaisseau le gouvernail en main,
Et vous garentit du naufrage,
Comme il sauve le genre humain.
***
Marseille, l’heureuse Marseille
Préte enfin un azile à son premier Pasteur ;
Elle dormoit, ta voix l’éveille,
Elle adore un Dieu Redempteur.
***
Jusqu’alors une erreur fatale
De ce Peuple idolâtre avoit fermé les yeux ;
Il sort de la nuit infernale,
Pour voir la lumiere des Cieux.
***
La Foy que ta bouche luy prêche
Luy fait, en ce grand jour, reconnoistre la voix
D’un Dieu naissant dans une créche,
Pour expirer sur une Croix.
***
Mais helas ! dans cette Ninive
Du Prophete Jonas tu n’auras pas le sort ;
Et pour prix d’une Foy si vive,
Tu dois n’attendre que la mort.
***
Ta Foy te destine au supplice,
Et parmi les Martirs te marque un noble rang ?
Ouy, tu bâtis un édifice,
Qu’il faut cimenter de ton sang.
***
O Ciel ! quelle horrible tempeste !
La Terre, les Enfers, tout s’arme contre toy ;
Et tu livres enfin ta teste
  Pour les interests de la Foy.
***
O mort sainte, mort precieuse !
Elle doit t’assurer une éternelle paix ;
Et ton ame victorieuse
Dans les Cieux va vivre à jamais.
***
Jette quelques regards propices
Sur tes chers Nourrissons qui vivent en ces lieux
Sous ton nom, & sous tes auspices,
Protege les du haut des Cieux.
***
D’un Ordre qui te doit sa gloire,
LOUIS est aujourd’huy l’Auguste Protecteur ;
Il éternise ta memoire,
Daigne éterniser son bonheur.
***
Philippe 1 est nostre Chef illustre
Redouble nostre ardeur à marcher sur ses pas ;
Fais que toûjours d’un nouveau lustre
Son nom brille jusqu’au trépas.
***
Destructeur de l’Idolâtrie ;
Fais-nous cuëillir aussi des lauriers immortels
Pour la gloire de la Patrie,
Et pour le soûtien des Autels.

[Lettre en Prose & en Vers de Madame Saliez, Viguiere d’Alby] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 58-67.

Les Ouvrages de Madame de Saliez Viguiere d’Alby, ayant toujours esté fort estimez, & recherchez avec empressement, je croy vous faire plaisir en ajoutant icy la Lettre envoyée par cette Dame à Mr de Vertron.

Vous voila donc, Monsieur, Chevalier de l’Ordre Royal de nôtre-Dame du Mont-Carmel, & de Saint Lazare de Jerusalem. Je sentis une joye qui tenoit du transport, en lisant cette nouvelle dans les Mercures Galants. Cette joye n’a pas cessé ; mais en devenant plus moderée, j’ai fay des reflexions qui m’alarment. Voudrez-vous bien encore estre mon frere en Apollon Ricovrato ? Vos qualitez douces & pacifiques, qui me convenoient si bien, s’accorderont-elles avec les airs de bravoure, que toute Chevalerie demande ? Ces Campagnes d’Idumée, ces Rempars de Ptolemaïde que vous citez, tout déterminé à suivre l’exemple de vos Prédecesseurs, me font quelque peine. Il me semble que je vous vois le glaive à la main ; vous que je m’étois représenté, jusqu’ici, assis tranquilement auprés d’une Table, entouré de Curieux, & Sçavans, la plume à la main ou seul dans un Cabinet (pour vous délasser de vos travaux historiques) joüant du Luth, comme Apollon de sa Lyre ; en cet état je vous regardois avec toute l’estime que vostre merite & vostre aplication aux Sciences vous doivent attirer de tout le monde raisonnable ; mais je vous regardois sans trouble. Je vous avoüe, Monsieur, que vôtre nouvelle dignité m’en donne, & que si vous ne mettez quelque conformité entre nous (comme il y en avoit par nos Patentes de Ricovrati) j’auray le cœur abatu.

Le Mercure vantoit nostre union sincere ;
Vous m’appelliez ma sœur, je vous nommois mon frere ;
Et sous ces noms sacrez, & de frere & de sœur,
D’une ardente amitié nous goûtions la douceur.

Puisque vous portez le titre de Protecteur de mon sexe, ne voudrez vous point trouver le moyen, auprés de vôtre illustre grand Maistre, de nous associer à ce fameux Ordre, qui porte le nom d’Hospitalier aussi-bien que de Militaire ? Je ne doute pas que dans son commencement les femmes n’y fussent admises, & qu’on ne les trouvât même plus capables que les hommes, de servir les Pelerins, & dans les suites ces braves Chevaliers, qui combatoient pour le commun interest de la Religion : Nostre pieté, & la douceur de nos maniéres, nous rendent fort propres à ces charitables fonctions. Quand les premiers Habitans du Mont-Carmel reviendroient au monde, ils aprouveroient nostre union. Elie, Elisée qui faisoit descendre le feu du Ciel contre les hommes, faisoient de grands miracles en faveur des femmes ; & les Esséens leurs Successeurs recevoient dans leurs Assemblées, des femmes choisies, qu’ils nommoient Profetesses, parce qu’elles imitoient la vie des Profetes : nous ne demandons point ce nom ; mais pour celui de Chevalieres, en verité vous devriez le donner, avec choix, comme celui d’Academiciennes. Je croy, Monsieur, qu’il ne nous engageroit pas à de grands exploits, en tous cas.

Si LOUIS, selon ses souhaits,
Lui, que ses Ennemis admirent, apréhendent,
Pouvoit enfin donner la paix
À cent Peuples, qui la demandent ;
Si ses Augustes Fils, qui fuyent le repos,
Alloient chez l’Ottoman, signaler leur vaillance,
Abatre le Croissant, & détruire Bisance,
Héroïnes, autant que vous seriez Heros,
L’on nous verroit pieuses, agissantes,
Donner de nostre Foy des preuves éclatantes.

Cela me paroît encore éloigné, & je n’en suis pas fâchée : Je ne voudrois pas quiter Alby dans la conjoncture présente. Vous sçavez, Monsieur, que le Roy a nommé Archevêque de Narbonne, Primat des Gaules, Mr de la Berchere nostre Archevêque. Il est regreté de tout ce Diocese, & comment ne le seroit-il pas ? On ne vit jamais tant de vertus sans mélange d’aucun défaut : Quel génie ! & quelle ressource trouvoient tous les malheureux dans la bonté de son cœur ! nous avions crû tout perdre ; cependant,

LOUIS, qui sçait unir, pour ses heureux Sujets,
Leur repos avec ses projets,
Voyant quelle perte est la nôtre ;
S’il nous ôte un Tresor, il nous en rend un autre.

[Dialogue d’Apollon & des Muses] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 93-101.

L’Ouvrage qui suit est de Mr l’Abbé de Poissy, cet illustre Auteur est universel, vous n’en douterez pas, puisque la Musique, des Vers que vous allez lire est de ce même Abbé.

DIALOGUE D’APOLLON ET DES MUSES SUR LE PARNASSE.
Pour Son Altesse Royale Monsieur le Duc d’Orleans.

APOLLON.

Filles du Monarque des cieux,
Vous dont les sons harmonieux
Répandent dans les cœurs une joye infinie,
Muses, dont le puissant génie,
Exempte du trépas le nom des Demi-Dieux,
Aprochez-vous, Troupe fidelle,
C’est Apollon qui vous apelle.

CHOEUR DE MUSES.

Aprochons-nous Troupe fidelle,
C’est Apollon qui nous apelle.

APOLLON.

Chantez l’auguste nom d’un Héros plein d’attraits
Qui sans cesse
Vous caresse
Et vous accable de bienfaits.
Chantez l’auguste nom d’un Héros plein d’attraits.

CHOEUR.

Pour luy marquer de la reconnoissance,
Allons en diligence
Dans son magnifique Palais,

APOLLON.

Arrestez indiscrètes,
Arrestez… sçavez-vous qu’en chants harmonieux,
Dignes de l’oreille des Dieux,
Il est plus maître que vous n’étes.
Calliope ma sœur, qu’as tu donc preparé
  Four un Heros si reveré ?

CALLIOPE.

Je chanterai sa prudence,
Je chanterai son grand cœur,
Sa martiale vigueur,
Son zele, sa vigilance ;
Et s’il m’écoute parler,
Je sçaurai lui reveler
Les celebres avantures
Que dans ses ombres obscures
Cache le sombre avenir,
Les prodiges de proüesse
Dont aux rives du Permesse
Vous vous plaisez souvent à nous entretenir.

CLIO.

C’est moy qui par l’Histoire
Dérobe les grands noms à l’injure des temps :
Je diray par quels faits au Temple de la Gloire
Le sien fût des plus éclatans.

POL’YMNIE.

Pour bien célébrer cette feste
Apollon, je fais mes efforts,
Ma symphonie est toute preste,
Daigne en écouter les accords.

SYMPHONIE
Italienne.

APOLLON.

Je voudrois que le Prince aimable Pol’hymnie,
Fut content comme moy de vôtre Symphonie,
Que diras tu docte Uranie ?

URANIE.

Que sa science est infinie,
Qu’il sçait l’ordre de l’Univers
La machine du monde tous ses ressorts divers,
Et des globes roulans la durable harmonie.

APOLLON.

Et toy jeune Erato.

ERATO.

Moy folle que je suis,
Je me tairay si je le puis.

EUTERPE.

Je pretens en faire de même,
Ce seroit une audace extrême,
De porter les rudes sons
De mes rustiques chansons,
En des lieux où rien de champêtre.
Ne doit jamais paroître :
Mais si dans les beaux jours, ce Heros quelquefois,
Resve en se promenant à l’ombre de ses bois :
S’il voit dans le cristal des bruyantes cascades,
Baigner les humides Nayades,
Alors au murmure des eaux,
Je pourray marier mes fresles chalumeaux.

APOLLON.

  Je n’ay rien à te dire,
  J’aprouve ta raison.
  Où doit regner la Lyre,
Les chalumeaux ne sont point de saison.
O toy qui fais pleurer dans la tragique scéne,
Sur le sacré coupeau demeure Melpoméne.
  Tes yeux baignez de pleurs
Ne te permettent pas d’accompagner tes sœurs
Chez un Prince où tout rit sans cesse,
De son riche Palais il bannit la tristesse.

VIOLONS.

Thalie on a besoin de toy,
Remplis dignement ton employ.
Pour plaire davantage, à ta Scéne comique,
Il faut allier la Musique.

TERPSICORE.

La danse a pour moy des appas,
Tandis qu’on chantera je reglerai des pas.

APOLLON.

Cheres sœurs pour me satisfaire,
Allez chercher ce Prince, essayez à luy plaire.
Si la Paix rend un jour nos souhaits accomplis,
  Vos destinées,
Chez l’auguste Neveu du Monarque des Lys,
Seront plus fortunées,
Et plus douces encor
Que vos belles journées,
Ne le furent au siecle d’or

CHOEUR.

Si la Paix rend un jour nos souhaits accomplis,
  Nos destinées,
Chez l’auguste Neveu du Monarque des Lys,
Seront plus fortunées,
Et plus douces encor
Que nos belles journées,
Ne le furent au siécle d’or.

[Cent Questions & Réponses sur différents sujets, par Mr l’Abbé Bordelon] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 180-181.

Mr l’Abbé Bordelon a donné depuis peu au public, un Ouvrage intitulé Cent Questions, & Réponses sur differens sujets. Il sufit de sçavoir le nom de l’Auteur pour n’avoit pas lieu de douter que cet Ouvrage est plein d’érudition, tout ce qui part de sa plume en estant rempli. Ceux qui ne se sont jamais attachez à la lecture, & ceux qui n’ont pas retenu ce qu’ils ont lû, profiteront beaucoup en se donnant le plaisir de lire ce Livre. Les uns aprendront ce qu’ils n’ont jamais sçû, & les autres se remetront en memoire ce qu’ils ont oublié. Ce Livre se vend à Paris, chez Urbain Coustelier, ruë S. Jacques au Cœur bon, & à S. Joseph.

[Lettre sur la Poësie Françoise] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 181-196.

Je vous envoyai dans ma Lettre du mois d’Aoust dernier un Ouvrage intitulé, La Bagatelle. Cet Ouvrage est écrit avec tant d’esprit & de finesse, que je crûs devoir exciter l’Auteur à travailler. Voicy un traité de Vers de sa façon, fait pour une charmante Personne qui luy permit de les composer pour elle, à condition qu’il ne fût pas long. Ce Traité doit contenir cinq Lettres, dont je vous envoye la premiere. Il sera d’une grande utilité pour ceux qui veulent aprendre à faire des Vers, & ne donnera pas moins de satisfaction à ceux qui souhaitent d’avoir les lumieres nécessaires pour en bien juger. Enfin il n’y a personne qui ne se fasse un plaisir de sçavoir les regles d’un langage sans lequel il semble qu’on ne peut assez bien loüer les Heros & les Belles.

PREMIERE LETTRE
à Mademoiselle R… sur la Poësie Françoise.

Quand je vous a dit, ma belle Demoiselle, que le grimoire des Vers ne le seroit pas longtemps pour vous, je sçavois que je parlois à une Personne qui a de l’esprit & du jugement. Je songeois en même temps que vous possedez la Musique, que la Musique & la Poësie sont deux sœurs qui ayment bien à estre ensemble, & que vous estes trop bonne pour laisser l’une à la porte quand vous donnez à l’autre un si bon logement chez vous.

Ne me dites point, de grace, que vous ne voulez pas faire de Vers : cela ne doit point vous empêcher de sçavoir comment on les fait. Toute habile que vous estes dans la Musique, vous ne songez point à composer ; vous pouvez de même entendre la versification sans estre dans la peine de versifier.

Avant que de rien apprendre, il faut vous défaire d’un vieux prejugé, que les vers font devenir fou, ou du moins mettent dans le grand chemin de l’estre. Voila ce que la plûpart des gens disent.

 On dit de même :
Que qui mange du sel, du fromage & du fruit.
Aura bien tost la pierre, & tout ce qui s’ensuit.
 Erreur extrême.
Si l’on n’a pas en soi le principe fatal
 De ce terrible mai.
On peut manger du plâtre, & de la terre
 Qu’on ne gagnera pas la pierre.

Il en est ainsi des Vers, à moins que l’on n’ait de grandes dispositions à la folie, on peut sçavoir les regles des Vers, on peut en lire, on peut même en faire sans courir risque de la gagner. Tout dépend des mauvaises, ou bonnes impressions qu’un esprit est capable de recevoir.

Vous voyez donc bien que cette opinion est ridicule ; mais cependant toute ridicule qu’elle est, elle ne laisse pas d’estre en regne plus que jamais, & j’admire la patience de Messieurs les Poëtes, qui ne tâchent en aucune façon de la détruire. J’en vois même qui y confirment le monde par leurs manieres plus dignes, en verité des habitans des petites Maisons, que de ceux du Parnasse. Ils vous parlent d’abord d’un air effaré pour prendre ensuite le ton d’un Déclamateur ; s’ils vous lisent de leurs Ouvrages, ils le font avec un œil presque hors de la teste, un front silloné de rides, une voix tonnante & des gestes de furieux.

Laissons ces fous dans leur folie, & le monde dans son erreur, & venons à nos vers.

Ils ne consistent que dans un certain nombre de syllabes, & dans la rime.

Vous sçavez ce que c’est qu’une syllabe, vous sçavez encore ce que c’est qu’une rime ; ainsi je ne m’areterai pas à vous le dire. Je vous avertirai seulement à l’égard de cette derniere, qu’elle est plus pour l’oreille que pour les yeux, c’est à dire, qu’on y regarde le son, la prononciation, & non l’écriture. Par exemple, une femme & une entame, riment tres bien, quoique toutes les lettres de ces deux mots ne soient pas semblables, & aimer & mer riment assez mal, quoique ce soient mêmes lettres.

Vous n’ignorez pas non plus qu’il y a des rimes feminines, & qu’il y en a de masculines.

On appelle feminines les rimes qui finissent par une muet, c’est, à dire qu’on ne prononce presque pas. Nous vous avons donné un exemple de ces rimes, en vous parlant de femme & d’entame. vous l’aviez reconnu d’abord (direz vous) j’en suis ravi, & j’aime à voir en vous cette penetration extrême. Il est vrai qu’elle vous est ordinaire, & qu’elle ne surprend gueres ceux qui vous connoissent ; je gagerai bien qu’elle va aussi vous faire connoître que ces rimes feminines le sont toûjours soit qu’aprés l’e muet il y ait un s, & qu’on dise les femmes, les entames : soit qu’il y ait nt, & qu’on dise que mes rivaux vous aiment autant qu’ils me haïssent. Mais si l’on disoit qu’ils m’aimoient assez auparavant (ce qui pouvoit estre sans miracle) seroit-ce encore une rime feminine ? Non ma charmante, oi diphtongue, aussi maline que diphtongue le peut être ne le permettroit pas, & ainsi les rivaux qui m’aimoient & P… qui m’aimoit & m’aime encore faisoient également des rimes masculines.

Tout ce qui n’est point vers est prose, dit je croi le Maître de Philosophie de Mr Jourdain, & moi je dis à son exemple que tout ce qui n’est point rime feminine doit estre rime masculine, soit que cela finisse par un e clair, je veux dire qui se prononce comme la beauté qui ne va guere sans la fierté, soit qu’il se termine par toute autre voyelle qu’e, & par toutes les consonnes.

La difference des rimes fait aussi la difference des vers. De sorte qu’un vers qui se termine par une rime feminine est un vers feminin, & qu’un vers est masculin, si sa rime est masculine.

Les vers feminins ont toûjours une de plus que les masculins. La derniere syllabe d’une rime feminine se prononçant si peu qu’elle n’entre pas en ligne de compte : aussi cette derniere syllabe ne fait-t’elle pas la rime, car quoi qu’elle soit semblable dans ces mots, loüange mensonge, ils ne riment point ensemble ; mais le premier des deux rimera bien avec Ange, à cause que les deux dernieres syllabes sont semblables. Retenez donc bien qu’il faut deux syllabes pour faire une rime feminine, que pour la masculine il n’en faut qu’une.

Que la même terminaison de deux mots fasse la rime, vous n’en doutez point, que la longueur on la petitesse de cette terminaison fasse la richesse ou la disette de la rime ; n’en doutez pas non plus, & apprenez qu’on distingue les rimes, en riches, bonnes & passables.

Plus les rimes sont étenduës, plus elles sont riches, & plus elles ont de syllabes semblables, plus elles sont étenduës. Il en faut du moins deux pour rendre une rime riche, & que l’intelligence se trouve avec la diligence, que glorieux soit à la suite de victorieux, que le pere accorde au fils ce qu’il espere, enfin qu’enflâmé accompagne proclamé.

Les rimes qu’on appelle bonnes sont entre les masculines, celles dont il n’y a que la derniere syllabe qui rime ; entre les feminines, celles dont il n’y a de rimant que la derniere, & une partie de la precedente Telle est l’ardeur pour la grandeur, telle est la teste exposée à la tempeste. Tel est le tourment que souffre un amant : tel enfin est un objet aimable qui se rend trop redoutable.

Les rimes passables sont celles dont il n’y a qu’une partie de la derniere syllabe qui rime. Vous jugez bien qu’il ne s’en trouve gueres que dans les masculines, où on peint les feux d’un cœur amoureux, ou l’amour comme la mort a son heure & son jour où les Rois sçavent donner leurs loix ; enfin où les douceurs doivent enchanter les cœurs.

Il y a pourtant telle rime feminine, qui toute semblable qu’elle soit, par sa derniere & par une partie de son avant derniere syllabe, ne pourra estre mise qu’au rang des passables : comme la réverie d’une personne qui s’ennuye.

Mais ne vous ennuyez vous point d’une si longue leçon ? La premiere doit toûjours estre courte à ce qu’on dit ; ne la faisons dont pas plus longue à riverisco. Mademoiselle, je suis, &c.

Etreines à Mademoiselle R §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 196-197.

Les Vers qui suivent sont du même Auteur.

ETREINES À MADEMOISELLE R…

Ouy charmante R… tous les ans pour étreine
Je vous presenteray quelques fruits de ma veine.
Je voudrois qu’ils fussent meilleurs,
Que pour vous estre offerts mes Vers eussent la grace
De ceux qu’on fait sur le Parnasse ;
Mais quand ils me seroient dictez par les neuf Sœurs
Un cœur à qui l’esprit rarement en impose
Ne cesse de me repeter
Que des Vers sont la moindre chose
Que je devrois vous presenter.

Etreines à Mademoiselle Mau §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 197-199.

Vous trouverez beaucoup de nouveauté d’esprit, & de galanterie dans les Vers suivans. Ils sont encore du même Auteur.

ETREINES À MADEMOISELLE MAU…
en luy presentant une Boëte à Mouches.

L’Autre jour nous nous rencontrâmes
Le Fils de Venus & moy.
Il vouloit parler, nous parlâmes,
Et vous sçavez bien de quoy.
***
Lisette, ce fut de vos charmes.
Qui pouvoit mieux les admirer
Que luy qui les fait adorer,
Et que moy qui leur rends les armes.
***
Aussi ferois-je bien serment
Que tous les deux les admirerent,
Mais cependant ils remarquerent
Qu’il vous manquoit un agrément.
***
C’est celuy que donne au visage
Certain innocent assassin
Qui bien placé non sans dessein
Fait de cœurs un sanglant carnage.
***
Afin que vous n’en manquiez plus,
Cupidon veut pour vos Etreines
Vous en donner quelques douzaines
Des mêmes dont se sert Venus.
***
Qu’Amour donne, c’est son affaire,
La mienne est de presenter :
Pour vous, ce que vous devez faire,
Lisette, c’est d’accepter.

[Madrigaux sur les Devises des Jettons de cette année] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 216-230.

Ce qui suit est de Mr Moreau de Mautour. Ses Ouvrages, dont la lecture vous a souvent fait plaisir, vous ont fait connoître qu’il écrit avec beaucoup de justesse.

AU ROY.
MADRIGAUX
SUR LES DEVISES
DES JETTONS

Pour l’Année 1704.

Par Mr Moreau de Mautour.

SUR LA DEVISE DU TRESOR ROYAL
Representé par le Dieu d’un Fleuve appuïé sur son Urne.
avec ces mots :
Non defluet.

LOUIS est adoré, cheri de ses Sujets,
Ils offrent pour sa gloire, & leurs biens, & leur vie.
Amour, devoir, travail, vigilance, industrie,
 Et dans la Guerre & dans la Paix
Font voir que son Tresor ne tarira jamais.

MADAME LA DUCHESSE DE BOURGOGNE
Representée par l’Aurore dans son char,
& ces mots autour :
Soles paritura serenos.

 À peine elle venoit de naistre,
Que sur nostre horizon nous la vîmes paroistre,
Chacun en l’admirant, crut voir tous les Amours,
Et nos peuples charmez de sa grace immortelle,
S’écriérent, grands Dieux ! d’un heureux & long cours,
Daignez accompagner vôtre faveur nouvelle,
2 Les Soleils qui naistront du sein de cette belle
 Ne donneront que de beaux jours.

LA VILLE DE PARIS
Representée par un Aigle avec ses Aiglons, qui prend son vol du costé du Soleil.
avec ces mots d’Horace.
Desideriis icta fidelibus.

Si par vos soins, grand Roi, dont l’Empire est si doux,
Je suis dans l’Univers la Ville la plus belle,
De vos vastes états je suis la plus fidelle,
Mon amour, mon respect, & mes vœux sont pour vous.

SUR L’EXTRAORDINAIRE DES GUERRES
Representé par Hercule, qui de sa massuë abbat les testes renaissantes de l’Hydre de Lerne.
avec ces mots d’Ovide.
Nec crescere profuit.

L’ambitieux, l’ingrat, le jaloux, l’infidelle,
Ont beau former entr’eux une ligue nouvelle,
 Et rassembler leurs efforts contre nous :
Ils auront le destin de l’Hydre de la Fable,
Louis ce Heros veritable
Est l’Hercule vainqueur qui les détruira tous.

SUR L’ORDINAIRE DES GUERRES OU LA MAISON DU ROY
Representée par une Pallas armée,
avec ces mots de Virgile,
Studiis asperrima belli.

Des Favoris de Mars cette troupe aguerrie,
Dans le grand art de vaincre élevée & nourrie,
Etonne l’Univers par des faits inoüis :
Elle a pour son modele un Heros magnanime,
Elle cherche la gloire, & l’esprit qui l’anime,
 Est l’esprit de Louis.

SUR LES GALERES
Representées par une Roche, dont le sommet est éclairé des rayons du Soleil, & le bas entouré de nuages.
avec ces mots :
Temnit tranquilla frementes.

Tandis que contre nous on voit avec fureur,
Des Princes concerter de secrettes intrigues,
Louis, tranquillement du haut de sa grandeur,
Où l’élevent son rang, sa vertu, sa valeur,
Regarde avec mépris leur complots & leurs brigues.

SUR LA MARINE
Representée par Cerbere épouvanté à la vuë d’Hercule.
avec ces mots :
Terret hyantes.

De même que Cerbere aux trois gueules béantes,
De l’Hercule Thébain redouta les efforts
 Nous avons vû prés de nos ports,
Des ennemis liguez les flotes menaçantes,
 N’oser tenter aucuns exploits,
Et craindre la valeur de l’Hercule François.

SUR LA CHAMBRE AUX DENIERS
Representée par un Champ couverts d’épics & d’arbres chargez de fruits, & un Soleil au dessus.
avec ces mots d’Horace.
Ab ipso ducit opes.

Les ornemens divers dont la Nature abonde,
Doivent tous leurs attraits au grand Astre du monde,
 Par luy nos champs sont embellis,
 Et la France heureuse & feconde,
Ne doit tout son bonheur qu’au Monarque des Lys.

SUR LES BASTIMENS ET LES ARTS
Representez par la Peinture, & la Sculpture.
avec ces mots :
Et bellans alit artes.

LOUIS sçait joindre ensemble avec un soin extrême,
La Lyre d’Apollon & les armes de Mars,
Mais, que dis je, il paroist en même temps lui même
Et le Dieu de la Guerre, & le Dieu des beaux Arts.

SUR L’ARTILLERIE
Representée par une Batterie de
Canons opposée à un Fort
assiegé.
avec ces mots de Virgile :
Compescent ignibus ignes.

 Peuples jaloux du bonheur de la France
En vain pour traverser sa gloire & sa puissance,
Contre elle vous armez Bellone & sa fureur.
Quel transport vous agite ! & quelle est vostre erreur !
Lorsque vous soutenez un droit illegitime,
Sans cesse vous tentez de grands & vains exploits,
Mais malgré vos efforts, le feu qui vous anime,
Sera toûjours détruit par le feu des François.

Sur une autre Devise proposée
POUR L’ARTILLERIE
Des Canons & des Mortiers sur
leurs affuts.
avec ces mots imitez d’Horace.
Funera quanta movent.

 À voir cet appareil de guerre,
Ces instrumens vengeurs d’un Heros irrité,
Tremblez fiers ennemis, redoutez son tonerre,
Vous l’avez ressenti, vous l’avez excité.
Aprés avoir perdu des Villes, des Batailles,
 Jugez combien vostre temerité
Va vous causer encor de tristes funerailles.

LES PARTIES CASUELLES
Representées par des Arbres dont les feüilles tombent :
avec ces mots :
Cadunt rediviva quotannis.

Explication.

Le Ciel pour nous sauver de l’injure des temps,
Nous condamne à souffrir une perte legere,
 Et cette perte necessaire
 Nous fait revivre tous les ans.

[Relation de la prise d’Anecy] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 260-268.

Vous me mandez que les nouvelles publiques vous ont seulement appris touchant la prise d’Anecy, que les troupes de Savoye s’en estoient retirées, & que celles de France y estoient entrées, ce qui me donne lieu de vous envoyer la Lettre suivante, où vous trouverez un détail de tout ce qui s’est passé à la prise de cette Place. Cette Lettre est écrite par un Chanoine de Geneve à un de ses amis demeurant à Paris.

Je ne sçais, Monsieur, si je seray le premier à vous apprendre le danger auquel nostre Ville d’Anecy vient d’estre exposée. Pour vous mieux détailler la chose, je vous diray qu’il y a déja quelque temps que Mr le Marquis de Marcilly ayant eu ordre de se retirer de cette Ville, où il étoit avec deux Regimens. Mr le Marquis de Sales, General des Troupes de son Altesse Royalle, y fit aussi-tost entrer des troupes en garnison.

Mr le Comte de Valiere, Commandant des troupes Françoises, partit de Chambery le 13. de ce mois avec du Canon, cinq cens Grenadiers, trois mille hommes d’infanterie, & environ cent cinquante Dragons, & estant arrivé à Alby le 14. il y laissa son Canon & son infanterie, & s’avança seulement avec ses Grenadiers & quelques Dragons, & Mr le Marquis de Marcilly, droit à nostre Ville, où il arriva au commencement de la nuit.

Nous y avions pour nous défendre prés de dix huit cens hommes d’infanterie, & quatre Compagnies de Dragons qui s’étoient avancées jusqu’au bout de la Chaussée, où elles furent attaquées par les François, qui firent un Officier prisonnier & six soldats.

Une partie de nostre infanterie qui vouloit défendre le Fauxbourg du Sepulchre, fut en même temps si vivement attaquée par les François, qu’elle fut contrainte de se retirer dans la ville aprés avoir laissé plusieurs morts de part & d’autre sur la place.

Le lendemain 15 le Canon & l’infanterie Françoise arriverent à environ dix heures du matin. Il estoit aussi entré dans nostre Ville, pendant la nuit, un Regiment de renfort.

Environ sur le midy, le Canon des François commença à tirer à la porte du Sepulchre, & Mr le Marquis de Marcilly, avec plus de douze cens hommes passa la riviere, & vint attaquer nostre porte de Bœuf. Mais par un coup du Ciel, un Bourgeois dudit Fauxbourg de Bœuf qui se trouva présent lorsqu’il faisoit distribuer les munitions aux soldats, entendit qu’il donnoit ordre de faire main basse sur toutes les troupes qu’ils rencontreroient, lorsqu’ils seroient entrez dans la Ville & de ne faire aucun quartier.

Ce Bourgeois s’étant aussi tost rendu à la porte de Bœuf par un chemin plus court, en avertit les troupes de Savoye, qui abandonnerent la Porte dans le moment, & se retirerent par le Lac & par le Château.

Le Corps de Ville sçachant tout ce qui se passoit, fit aussi tost sortir un Tambour qui s’avança droit aux François. Mr le Marquis de Marcilly luy dit de faire venir les Mrs de Ville, & qu’il leur donnoit parole qu’il ne leur seroit fait aucun tort, ni à leur Ville, pour veu toutefois, qu’il ne trouvât aucune resistance & qu’on luy ouvrit la porte ; ce qui fut aussitost executé. Et aprés que ledit Marquis eut envoyé une partie de ses troupes pour attaquer les troupes de Savoye dans leur retraite, qui ne purent estre jointes, il entra dans la Ville à la teste des troupes qui luy restoient.

Monsieur l’Evêque de Geneve le rencontra à la teste de son Clergé, & le suplia de s’avancer en diligence vers la porte du Sepulchre, que Mr le General de Valiere attaquoit toujours à grands coups de canon ; il fut fort surpris de voir qu’il y avoit déja des François dans la Ville. L’on cessa aussi-tost de tirer à ladite porte du Sepulchre qu’on fit ouvrir par les Serruriers.

Toutes les troupes entrerent ainsi dans la Ville & dans les Fauxbourg, & s’y logerent ; & je puis vous assurer qu’à la reserve des deux Fauxbourgs du Sepulchre qui furent pillez, il n’y eut aucun autre desordre.

Monsieur l’Evêque de Geneve a donné dans cette occasion de grandes marques de son Zele, & il s’en est peu fallu qu’il n’ait esté plusieurs fois emporté du canon. J’ay toujours eu l’honneur de le suivre, & j’ay esté témoin de tout ce qui s’est passé.

[Feste donnée par Mr le Duc de Grammont à Mr le Duc & à Madame la Duchesse d’Albe] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 324-328.

Vous sçavez la magnificence ordinaire de la Maison de Grammont, elle a paru de nouveau dans une superbe Feste que le Duc de ce nom vient de donner à Mr le Duc d’Albe Ambassadeur d’Espagne & à Madame la Duchesse d’Albe son épouse, Mr le Marquis de Castel dos Rius ancien Ambassadeur d’Espagne & Mr le Cardinal d’Etrées estoient de cette Feste, ainsi que les Personnes les plus considerables de la Maison de Grammont, & de celle de Boufflers à cause de l’alliance des deux Maisons. On trouva en arrivant à l’Hôtel de Grammont, tout l’Hôtel éclairé, & l’on y remarqua sept pieces de plein pied magnifiquement meublées & tout brillantes de lumieres, on assure qu’il fut consommé cette nuit-là dans cet Hôtel plus de deux mille bougies, le couvert estoit de de seize personnes, il y eut trois services, le premier étoit en vaisselle d’argent, & la vaisselle des deux autres estoit de vermeil doré, Mr de Pomeren Maître d’Hôtel de Mr le Duc de Grammont fit voir en cette occasion, ainsi qu’il avoit déja fait lorsque Monseigneur le Dauphin dîna chez Mr le Duc de Grammont en passant par Paris pour aller à S. Maur, qu’il y a peu de Maîtres d’Hôtel en France plus habiles que luy. Je ne vous dis rien de la magnificence du repas, vous pouvez vous en imaginer tout ce qu’il vous plaira, & vôtre imagination n’ira pas trop loin : il y eut à la sortie de table un concert de tous les plus beaux airs Espagnols & Italiens qui se sont faits en France, dont tous les Concertans estoient vêtus à l’Espagnole, ils étoient tous choisis parmy ce qu’il y a de meilleur ici, tant pour les voix que pour les instruments, & les Srs Baptiste & Loyson y furent fort applaudis. Je ne dis point combien l’Assemblée fut satisfaite de la magnificence, de la galanterie, & des manieres de Mr le Duc de Grammont, tous ceux qui ont esté de cette Fête le publiant assez tous les jours.

[Discours fait par le Roy d’Espagne le jour de sa naissance] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 337-341.

Toutes les nouvelles publiques ont parlé d’un discours fait par le Roy d’Espagne le jour de sa naissance, mais tous ceux qui en ont parlé ne l’ont pas raporté entier, & ce qu’ils en ont dit ne peut tout au plus que donner une idée de ce discours, vous le trouverez entier dans la traduction de la Lettre de Madrid que vous allez lire. Vous devez remarquer que cette traduction estant faite à la lettre, ce discours n’a pas le tour qu’il auroit si la traduction estoit plûtôt une imitation qu’une traduction telle que je viens de vous marquer.

Le dix-neuviéme Decembre jour de la naissance du Roy d’Espagne qui entra ce jour-là dans sa vingt-uniéme année, il y eut au Palais un concours prodigieux de Grands & de personnes qualifiées pour en faire compliment à Sa Majesté Catholique ; il y eut le soir de grands divertissemens qui commencerent par une belle Comedie en Musique Espagnole.

Le 24. Sa Majesté Catholique dit à tous les Grands & à tous les Seigneurs de sa Cour qui se trouverent dans sa chambre, la resolution qu’elle avoit prise de commander ses Armées. Elle leur parla Espagnol selon sa coûtume, c’est une Langue que ce Prince parle aussi facilement & avec autant de pureté que ceux qui sont nez à Madrid, quoiqu’il n’en sçut pas un seul mot le jour qu’il fut reconnu Roy d’Espagne.

Voici la traduction fidelle du discours que leur fit Sa M.C.

L’année passée je m’embarquay pour aller en Italie, charmé de l’affection & de l’amour des fidels Sujets de ce Pays-là, pour la deffence desquels je renonçay à mon repos, j’exposay aux plus grands perils ma personne Royale ; c’est là que j’appris la nouvelle du débarquement des Ennemis sur les Côtes d’Andalousie ; je resolus sur l’heure de revenir icy avec empressement pour les joindre, mais la grande fidelité & la valeur reconnuë de mes Sujets les détrompa si vite, que leur retraite fut plus precipitée que ne le pouvoit estre mon retour. Presentement que ces Royaumes sont menacez des Ennemis, & l’amour que j’ay pour mes fidels Espagnols n’estant pas inferieur à celuy que j’ay pour le reste de mes Sujets, ce ne sera pas une nouveauté d’apprendre la resolution que j’ay pris de faire la Campagne & de me mettre à la tête de mes Armées pour les deffendre à toutes outrances de quelque injuste invasion que ce puisse estre : & avec le bon succés que j’espere de la justice de la cause & de la valeur de mes Troupes. Mon application ne sera ensuite que de m’attacher au bien de l’Etat, & de procurer en toutes choses le plus grand soulagement de mes Sujets & de donner la suite la plus heureuse à tous les moyens qui rendent florissans les Royaumes.

J’aurois beaucoup de choses à vous dire icy de l’amour des peuples d’Espagne pour Sa Majesté Catholique, dont j’espere vous parler dans un autre endroit, ainsi que des Fêtes qui ont esté faites à l’occasion du jour de sa naissance dont on a imprimé un volume entier.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, janvier 1704 [tome 1], p. 388-395.

Je vous tiens parole, & vous envoye les noms de ceux qui ont deviné les Enigmes des deux derniers mois. La premiere étoit la Musique ; ceux qui en ont trouvé le mot sont,

Messieurs l’Abbé du Flot du quartier Saint André : Berthier de la Musique : J.B. Laisné, dit Troissereux : Pierre du Plessis, Seigneur de Monmimirelle, de la rue de la Verrerie : Berger, de la même rue, nouvel Auteur d’un Traité de Musique, & l’Organiste de S. Martin des Champs, son amy : Bardet & son amy du Plessis, Maistre Chirurgien au Mans : Deslandes de l’Isle nostre-Dame, & son amie : Turlu de Saint Germain en Laye : S.F. de P. de la rue saint Julien des Menestriers : F. Hatré & sa chere Compagne de la rue de la Ferronnerie, sa bonne amie la charmante Daubichon & sa petite mere Manon Collignon, des Galeries du Louvre : Tamiriste & sa fille Angelique, l’aîné des trois freres Procureurs du quartier saint André : le plus petit des trois freres : la Violette du Cloistre saint Oportune : le soi-disant bien aymé des Dames, & le Grand de l’Hostel d’Hoquincourt : Mesdemoiselles du Moustier, de l’Arsenal, la fille : Masson de la rue de Beaubour :la jeune Muse regrettée du Parnasse : l’aimable & spirituelle veuve Marchande de la rue saint Honoré, & Me la Presidente de Chaumont & Magny.

Le mot de l’Enigme du mois dernier étoit la Poudre à mettre sur l’écriture. Il a été trouvé par,

Messieurs de Francine de Grand Maison, Mousquetaire noir de la Garde de Sa Majesté : Bardet & son amy du Plessis, Maistre Chirurgien au Mans : Boüillart, Bondier, Feranville : de Freville & autres conviez au grand repas donné par Mr Nereau de la rue de la Huchette, au sujet de la saint Antoine : François Hallé de la Ville d’Amboise : Mr & Mademoiselle de P. de la rue saint Julien des Menestriers : Deslandes : Massieu & le bon enfant de la rue de la Verrerie, son amy : de Beauvais de la rue S. Martin : la chere Minette de la rue saint Denis, & son frere de Courteron : l’excellente des Beautez de la même rue : le Blond de la rue saint Antoine : Tamiriste & sa fille Angelique & son fils : L’Officier du Bureau des Marchands : le Lecteur ordinaire du Mercure du petit Paris, & l’Antagoniste des plaisirs permis de la même maison : des Places, grand sableur des assises d’Aumont & son cher amy de saint Jean de Bonneval : la veritable Judith Petlard de la rue du Bourg neuf, à Troyes : le grand Procureur de la même rue, & son ancien compagnon le petit Calibre du Greffe du Bailliage : le petit nez furet, & Fauge : Mesdemoiselles du Moustier de l’Arsenal, la fille : la Presidente de l’Election de Chaumont & Magny : de Poyxas la cadette : la Biche au pied d’argent : la Beauté ronde de la rue des Prouvaires : la petite Demoiselle du Val joyeux au pied de Coton : l’incomparable Damoiselle de Maisons : Mr l’Abbé Richard, le faux Joseph, & le sieur Passy, l’agreable Celadon du Fores : la jeune Muse toûjours regrettée du Parnasse : la Bergere Climene & son vieux Berger Tircis, de la Place Royale : la jeune Dorothée de la rue Poupée, & la sœur saint Augustin : la charmante Blestrie & l’Hermite dégagé du Pont-neuf, & ses trois amateurs de la Vallée champêtre : la grande Seringue de l’Hostel d’Hoquincourt : le Perdraux de Soissons, son amy le calabrois & Loiseleur : le Colonel de la Couture sainte Catherine, & son Lieutenant le Rosignol enjoüé du Quay de Gesvres, & les forts & vaillans rivaux de pont : le Torrant d’Harcour : les deux aimables Nimphes de Courbevoye du fief du Roulle, & leur descendant admirateur du voisinage.

Je vous envoye une nouvelle Enigme, elle est de Mr Milhau de Thoulouse.

ENIGME.

Je suis connu de tous, & ne connois personne,
Un élement subtil, fait voler de mes flancs
Au gré de ma fureur des Messagers brûlans,
Trop tard j’avertis ceux, sur qui je m’abandonne.
***
Je travaille aux plus beaux repas
Dans les mains du beau Sexe, on ne me trouve guere,
Par moy les Grands, font bonne chere ;
Mais il en coûte bien des pas.