1704

Mercure galant, février 1704 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1704 [tome 2].
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Mercure galant, février 1704 [tome 2]. §

Au Roy, sur la dernière campagne. Sonnet §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 5-7.

Je suis persuadé que vous serez satisfaite du commencement de ma Lettre, & que les quatre Pieces qui suivent recevront des applaudissemens.

AU ROY,
Sur la derniere Campagne.
SONNET.

Plus grand par ta vertu, que par ton Diadême
Prince, on est étonné qu’absent en douze mois
Tu forces trois Remparts & vainques quatre fois.
Je ne suis point surpris de ce bonheur extrême.
***
J’admire bien plutost ta sagesse suprême,
Qui donne à tes Guerriers le Plan de ces Exploits ;
Absent, tu les conduits, éloigné tu les vois,
Et ton Nom a l’effet de ta Personne même.
***
Aussi, lorsque loüant Generaux & Soldats
Tu veux bien leur devoir le gain de ces combats ;
Eux-mêmes des succés te rapportent la gloire.
***
Tes bons ordres, tes soins, ta pieté, tes vœux,
Ont à tes Etendarts attaché la Victoire,
S’ils combattent pour toy, c’est toy qui vainc pour eux.

[Sonnets] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 8-9.

À MESSIEURS DE L’ACADEMIE FRANÇOISE.
Sur ce qu’ils ont donné, pour le sujet du Prix des Vers de l’année prochaine, les heureux succés de la Campagne derniere.
SONNET.

Le Prix pourra longtemps attendre,
Et le Parnasse est fort surpris
Que vostre Academie ait pris
Un sujet qu’il n’ose entreprendre.
***
En cent Vers cent Exploits comprendre ?
C’est se mocquer des beaux esprits,
Et moins leur proposer un Prix,
Qu’un bout de corde à s’aller pendre :
***
Qui peut en ce nombre de Vers
D’écrire les succés divers,
Qu’a vû la Campagne passée.
***
Pourra renfermer à la fois.
Et l’Illiade & l’Odissée
Dans la coquille d’une noix.

[Madrigal] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 9-10.

MADRIGAL.

Poëtes indiscrets, à Cesar, Alexandre,
Vous comparez souvent l’Invincible Louis
Que vous comparez mal ! je vais le faire entendre.
Leurs faits qui sont bornez, ne sont pas inoüis
Mais de pouvoir compter, & de pouvoir comprendre
Les Exploits de ce Prince, à nul il n’est permis.

[Description des Festes qui ont été faites à Montauban & à Maubeuge] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 26-64.

Je vous envoye la Relation dont je vous ay parlé le mois dernier. On doit en quelque temps que ce soit, faire part au Public de ses sortes de Festes, où le zele n’a pas moins de part que l’invention, l’esprit, & la magnificence.

LETTRE
Ecrite de Montauban par un Officier à un de ses Amis, sur les réjoüissances publiques que Mr le Gendre Intendant de la Province, a fait faire dans cette Ville, à l’occasion de la prise de Landau, de la défaite du Prince de Hesse, & des heureux succés de la Campagne derniere.

Vous avez beaucoup perdu, Monsieur, de ne vous estre pas trouvé à Montauban le lendemain de Noël, pour y voir la magnifique Feste que donna Mr le Gendre Intendant de cette Province, à l’occasion de la prise de Landau, de la deffaite du Prince de Hesse, & des heureux succés de cette Campagne.

Dés que Mr l’Intendant dont vous connoissez le zele pour la gloire du Roy, en eut reçu la nouvelle, il resolut de celebrer avec éclat tous ces glorieux évenemens, le jour en fut marqué au 26. de ce mois.

Cette Feste fut annoncée le matin par le bruit du canon, auquel succeda celuy des tambours, des hautbois, & des trompettes, qui mirent tous les Habitans dans ces mouvemens heureux qu’inspire la joye, & que le zele anime.

On vit d’abord jaillir devant sa porte une fontaine de vin, ce qui ne contribua pas peu à réjoüir le peuple.

Les Habitans qui s’estoient preparez depuis plusieurs jours à répondre au zele de Mr l’Intendant, se mirent sous les armes à midy, & formerent deux Corps, un de Cavalerie & l’autre d’Infanterie, qui parcoururent toute la Ville avec l’allegresse naturelle à des Sujets fideles.

À une heure ces deux Troupes allerent se ranger en bataille sur le Rempart vis-à-vis l’Eglise des Carmes, où le Te Deum devoit se chanter, ils y formerent deux lignes, l’une d’Infanterie composée de plus de cinq cens hommes, & l’autre de Cavalerie de plus de trois cens, avec des cocardes vertes aux chapeaux, livrée de Mr l’Intendant, les Gentilshommes les plus distinguez se firent honneur de se mettre à la teste de ces Troupes.

À trois heures aprés midi Mr Bertier premier President de Pau, Mr le President Riquet, & les Gentilshommes les plus qualifiez de la Province, qui estoient venus exprés à Montauban par amitié pour Mr le Gendre, se rendirent chez luy avec toutes les Dames & les personnes les plus considerables de la Ville, & allerent ensemble à l’Eglise des Carmes, que Mr l’Intendant avoit choisie pour faire chanter le Te Deum. Il y avoit un concours de monde extraordinaire, la Musique, la beauté des ornemens, & le silence de l’Assemblée rendirent cette Ceremonie aussi auguste que devote. Elle commença & finit par une décharge du canon & de la mousqueterie.

Aprés les actions de graces. Le jour estoit si beau que Mr l’Intendant proposa à toute l’Assemblée de passer sur le boulevart pour y voir toute la Bourgeoisie qui estoit sous les armes.

D’abort que les Troupes apperçurent Mr l’Intendant, on entendit de tous costez des cris de Vive le Roy, & on remarqua avec plaisir sur le visage de tous les Habitans le zele & la fidelité qu’ils ont dans le cœur.

Aprés que ces Troupes eurent défilé en tres-bon ordre, elles allerent se ranger en bataille dans la grande Place, où Mr l’Intendant avoit fait dresser un Feu d’artifice.

Ce seroit naturellement ici le lieu de vous en faire la description, ainsi que des Emblêmes & des Devises qui en firent le principal ornement ; mais comme cela pourroit vous faire perdre la suite de nos plaisirs, qui n’ont eu aucune interruption ; je vous supplie de suspendre vostre curiosité.

L’heure du Feu estant venuë, le canon & la mousqueterie firent plusieurs décharges, & aussi-tost Mr l’Intendant fit partir de la fenestre où il estoit, une lance à feu qui alla s’attacher à l’un des quatre Soleils qui estoient placez sur les angles de la Galerie de l’Arc de triomphe. Ce Soleil embrasé jetta une si grande quantité de feu qu’il se communiqua à toute la machine, & dans le même instant on vit une agréable confusion de boëtes, de serpenteaux, de lances à feu, & de fusées volantes : les unes alloient se perdre dans les nuës pour faire appercevoir de plus loin la solemnité de cette Feste, il y en avoit qui serpentoient en l’air & formoient mille chiffres enflamez, les autres, en achevant leur course, se dissipoient en éclats, ou se partageoient en petites étoiles ; enfin les éclats des boëtes & les sifflemens des fusées mêlées avec le bruit des tambours, des hautbois, des trompettes, & des cris réïterez de vive le Roy, faisoient le plus charmant effet du monde.

À ce brillant spectacle en succeda un autre qui ne fut pas moins agreable que surprenant.

En arrivant chez Mr l’Intendant on trouva toute la face & les fenestres de sa maison, illuminées d’une maniere tres-ingenieuse. Le grand appartement qu’il a si fort embelli, estoit éclairé par une infinité de lustres, rempli de tables de jeu, & rien n’y manquoit de tout ce qui peut contribuer au plaisir d’une belle & nombreuse Compagnie, l’on y joüa jusques au soupé.

Sur les huit heures l’on monta dans l’appartement de Madame le Gendre, où le soupé estoit servi, avec une magnificence, une abondance, une propreté & un ordre qui passe tout ce que vous avec vû icy jusqu’à present.

Il y avoit dans la premiere Salle une table en fer à cheval de cinquante couverts, où se mirent les seules Dames, qui furent servies par les jeunes gens de la Ville les plus galans, & dans les deux Chambres suivantes, il y avoit quatres autres tables de seize couverts chacune.

Toutes ces tables furent également bien servies, & chacun y trouva ce qui pouvoit flater son goust ; il est surprenant que dans une Province on ait pû faire une chere aussi grande & aussi délicate, sans embarras & sans que personne attendist un moment, ce qu’il pouvoit souhaiter ; il n’y eut d’autre confusion que celle que peut inspirer la vivacité du plaisir.

Les Violons joüerent pendant le soupé, & préparerent aux Dames le plaisir du Bal qui commença au sortir de table, où elles brillerent avec plus d’éclat que jamais, tant par leurs parures que par la bonne grace & les agrémens que vous leur connoissez.

Quelque brillante que cette Feste ait esté, chacun se retira encore plus content des manieres & des honnestetez de Mr le Gendre, que de sa magnificence.

Ne vous imaginez pas que la Relation que je viens de vous faire, doive toute sa beauté aux fictions ; celle cy n’a besoin que d’une plume fidele, vous pourrez en croire la mienne, ayant esté témoin de tout.

Aprés vous avoir rendu compte de la suite de nos plaisirs, il est juste que je satisfasse vostre curiosité sur la description du feu.

C’estoit une maniere d’Arc de triomphe à quatre faces, autour duquel regnoit une Balustrade peinte en marbre. La principale face estoit distinguée par un fronton où l’on avoit peint les armes de France & d’Espagne accolées, & apuyées sur un trophée d’armes ; on leur avoit donné pour suppost la Renommée & la Victoire, telles qu’on a coûtume de les representer.

Sur la Banderolle de la trompette que tenoit la Renommée estoient ces paroles :

Non mihi si voces centum oraque centum.

Et l’on voyoit sortir de la bouche de la Victoire, celles-cy :

Fama comes :

Sur le premier échaffaut estoit un massif ou embasement tout uni & peint en pierre, qui avoit environ dix ou douze pieds en carré ; ce massif portoit un piédestal peint en marbre, dont les quatre angles estoient ornez de quatre figures de Sculpture dorées, qui representoient les quatre Vertus. Ces hierogliphiques, quoique communs & connus de tout le monde, estoient neantmoins expliquez par des paroles qu’on avoit choisi pour caracteriser chaque Vertu, & qu’on avoit gravées sur la plinthe qui en soûtenoit la representation.

Au pied de la Figure qui representoit la Justice estoit écrit :

Nil sine pondere.

Au pied de celle qui representoit la Force,

Hæc fecit Heroes.

La Prudence estoit designée par ces paroles :

Fato Prudentia major.

Et la Temperance par celles-cy :

Furentes docet componere motus.

Ces quatre figures soutenoient les deux Trônes unis ; sur l’un estoit la représentation de la France sous la figure d’une femme, avec tous les ornemens qui peuvent designer cette Monarchie, & l’Espagne estoit représentée de même sur l’autre, leur union estoit marquée par celle de leurs Trônes, au pied desquels on lisoit ces parolles.

Quis vertet quod statuere dii.
L’Espagne s’unit à la France,
Les Dieux ont fait cette alliance,
Temeraires mortels vos efforts seront vains,
Contre l’ouvrage de leurs mains.

Au dessus des Trôner paroissoit une Victoire fondant des nuës, & couronnant les deux Monarchies, avec ces paroles.

Diis Victoria concors.

Mais, Monsieur, ce qu’il y avoit de plus remarquable & de plus digne de vostre curiosité dans la decoration de ce Feu, c’étoient diverses emblêmes ou devises qui étoient posées d’espace en espace sur l’entablement de l’Arc de Triomphe, le sujet en estoit pris de l’estat present des affaires de l’Europe, ou des principaux évenemens de la Campagne.

Le double avantage que le Roy a remporté sur les Ennemis par la deffaite du Prince de Hesse, qui a esté suivie de la reddition de Landau, y estoit representé dans deux Tableaux differens.

Dans l’un estoit peint un torrent qui se divise, & ravage tout ce qui s’oppose à son cours, avec ces mots.

Divisus plura sternit.
Croyez-vous quand il se partage
Qu’il en affoiblisse son cours
Rapide, impetueux toûjours
Il n’en fait que plus de ravage.

Dans l’autre de ces Tableaux, estoit peint au dessous du Soleil, un nuage espais d’où partoit la foudre, qui alloit d’un costé rüiner les murs d’une Place, & de l’autre renverser une Armée, avec ces paroles.

Hinc quatiunt turres, huic agmina delent.
Le Soleil dans la nuë, a formé cette foudre,
Qui d’abord se partage en deux
Pour détruire un Camp orgueilleux,
Et reduire une Ville en poudre.

Il y avoit un troisiéme Tableau, qui sur le même sujet, renfermoit plus de circonstances, non seulement la deffaite du Prince de Hesse, & la prise de Landau, y estoient representées, mais encore le peu de temps que les Imperiaux ont gardé cette Place.

On avoit figuré tout cela par une Aigle, qui a à peine enlevé sa proye, qu’un Chasseur la blesse d’un trait mortel, & l’oblige de la lâcher, & voicy les paroles.

Vulnerata dimittit.
Cesse de tant chanter ta victoire & ta joye,
Fier Aigle vainement, tu crois garder ta proye,
Le Chasseur vient te l’arracher
Et sa gloire en est plus parfaite
Puisque le même coup qui te l’a fait lâcher,
Est signalé par ta deffaite.

La courte durée de la conqueste de Landau, par le Roy des Romains, est encore exprimée dans un autre Tableau, par la représentation d’un pied de fougere, qui seche dans l’année, avec ces paroles.

Arescit in anno.

À cette Devise on en avoit opposé une autre dans le même Tableau, sur la prise de Brisac, par Monseigneur le Duc de Bourgogne, la gloire que ce Prince s’est acquise dans cette expedition, y estoit exprimée par la représentation d’un jeune Chêne verd qui doit durer plusieurs siecles, avec ces paroles.

Virescit in oevum.
Les Lauriers du Roy des Romains
Ont eu le sort de la fougere ;
Mais ceux que Brisac offre à des plus dignes mains,
Auront du Chêne verd, la destinée entiere.

La vanité des projets des Ennemis, & l’inutilité de leur Flote estoient representées sous la figure d’un enfant, se joüant sur le bord de la mer, à faire des bouteilles de savon qui s’évanoüissent au même instant qu’elles se forment. À ce corps de Devise, on avoit mis ces paroles.

Sic cunctus pelagi cecidit fragor.
Flatez d’un espoir decevant,
Mille Vaisseaux armez pour nous reduire en poudre
Sur nos Costes déja, faisoient gronder la foudre,
Où sont leurs grands succez, qu’ont-ils produit ? du vent.

La mauvaise politique du … qui quitte l’alliance des deux Couronnes, pour des esperances chimetiques, estoit dépeinte par le chien de la Fable qui laisse tomber sa proye pour courir aprés l’ombre qu’il en avoit aperçûë dans l’eau.

Umbram nunc captat inanem.
Semblable au credule chien,
Qu’un avide desir entraîne,
Tu quittes le solide bien,
Et cours après une ombre vaine.

L’Archiduc n’y avoit pas esté oublié, on le représentoit allant à la conqueste de la Toison qu’on avoit peinte suspenduë à un arbre, autour duquel on voyoit plusieurs morts qui avoient peri dans une pareille entreprise, avec ces paroles.

Hæc te fata manent.
La folle & temeraire envie
De ravir la riche Toison,
D’un triste sort sera suivie,
Les Dieux l’ont donnée à Jason.

Pour donner au Peuple l’esperance de la Paix, on avoit peint une Forest de Lauriers, dans le milieu de laquelle naissoit un Olivier.

Inter Lauros nascetur Oliva.
Peuple sur la foy de l’Histoire,
Soyez tranquille desormais,
C’est dans le sein de la Victoire,
Qu’on voit toujours naître la Paix.

Pour marquer le bonheur qui accompagne les armes du Roy, qui semble avoir fixé la Victoire, on avoit peint un Lis entrelassé de Palmes & de Lauriers, avec ces mots.

Socia fecimus lilia.
Les Lis ont acquis tant de gloire,
Qu’avec nous unis desormais,
Nous serons tous trois à jamais,
Le simbole de la Victoire.

Monsieur de Chamillart a tant de part au succés glorieux de la guerre presente, par son exactitude à executer les ordres du Roy, & par l’application avec laquelle il en suit les vûës, qu’on ne pouvoit mieux caracteriser son Ministere qu’en representant l’Etat sous une figure d’un Vaisseau dont il est le Pilote, toujours attentif à son Pole, avec ces paroles.

Attentus Pole Regit.
Contre moy conjurez Neptune avec Eole,
Pour retarder mon cours, ne font qu’un vain effort,
Redoublant mes travaux attentif à mon Pole,
J’avance toujours vers le Port.

Autre explication.

Toy qu’on voit dans le ministere,
Si ferme sous un double poids,
Attentif à suivre les Lois
D’un Roy de qui l’esprit te dirige, & t’éclaire ;
Tu nous parois sous ce fardeau
Un Pilote intrepide & sage
Qui conduit par son Pole au milieu de l’orage,
Sçait de tous les écüeils, detourner son Vaisseau.

Autre.

Sous la figure du Navire,
L’Etat nous est representé,
Aussi difficile à conduire,
Que peut l’estre un Vaisseau, par les vens agité ;
Ministre vigilant que la France revere
Comme un Pilote habile, infatigable, heureux,
Malgré les écüeils dangereux
De ton penible ministere,
Attentif & fidele au Pole qui t’éclaire,
Tes projets ont toujours un succez glorieux.

Autre.

Lors qu’honoré du choix, du plus grand Roy du monde,
Tu tiens sans t’ébranler le timon de l’Estat.
C’est à sa sagesse profonde
Que tes nobles travaux doivent tout leur éclat ;
Mais tu peut te flater de ce doux avantage,
Que jamais Ministre avant toy
N’a sçû faire un plus bel usage
Des lumieres de ce grand Roy.

Je souhaite que vous soyez aussi content de ma Relation, que toute la Province l’a esté de la feste. Je suis, &c.

Ceux qui sont distinguez par une grande naissance ou par les plus considerables emplois de l’Etat, ne font pas seuls de ces festes publiques lorsqu’il s’agit de celebrer la gloire du Roy, & il se trouve beaucoup de particuliers à qui la dépense ne coûte rien en de pareilles occasions. C’est ce que vient de faire voir à Maubeuge, Mr de Terradelles Chevalier de l’Ordre Militaire de Saint Louis, Capitaine dans le Regiment Royal Roussillon, entretenu par le Roy à la suite de cette Place. Il y fit chanter le 22. Janvier, une Messe solemnelle en Musique, dans l’Eglise de Saint Pierre, où les Magistrats & les principales Personnes de la Ville assisterent, pour remercier Dieu des heureux succés des Armées de Sa Majesté & de celles de ses Alliez pendant la Campagne derniere, & pour le prier de répandre ses benedictions, afin qu’elle continuë de triompher toujours de ses Ennemis. Le soir il donna le divertissement d’un Feu d’artifice dans la Place publique, pendant lequel toutes les cloches de la Ville carillonnerent. Il fit aussi couler pendant quelques heures une Fontaine de Vin.

[Lettre du Roy à Mr le Coadjuteur de Strasbourg] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 64-73.

Vous sçavez que le Roy a écrit à tous les Archevêques & Evêques de France, & à ceux des Païs qui sont sous sa domination, afin qu’ils fissent rendre graces à Dieu dans toute l’étenduë de leur Diocese, de la prise de Landau, & de l’heureux succés de la bataille de Spire. Je ne vous envoye point ordinairement ces Lettres, puis qu’elles contiennent toutes, à peu prés, les mêmes choses, & je vous fais seulement part de celle que Sa Majesté écrit à Monsieur l’Archevêque de Paris : Mais comme ce Prince jugea à propos d’écrire une Lettre plus ample à Monsieur le Coadjuteur de Strasbourg, & que cette Lettre contient une espece de Relation des avantages remportez par les troupes de Sa Majesté. J’ay cru que je vous la devois envoyer. À peine Monsieur le Coadjuteur de Strasbourg eut-il reçû cette Lettre qu’il la fit traduire en Allemand, & la fit imprimer afin de la rendre publique. L’Allemand estoit imprimé à costé du François. Voicy une Copie de cette Lettre.

LETTRE
Du Roy, à Monsieur le Coadjuteur de Strasbourg.

Mon Cousin ; mes ennemis connoissans l’importance dont il estoit pour eux de conserver la Ville de Landau, avoient rassemblé un nombre de troupes considerable pour obliger le Maréchal de Tallard d’en lever le Siege, ils y auroient reussi, si Dieu qui s’est déclaré pour la cause juste, n’avoit pas protegé mes armes dans cette derniere occasion, comme il a fait à la prise de Kell, au combat d’Echeren, au Siege de Brisac, à la bataille d’Hocsted & en tant d’autres rencontres. Cette Place semble n’avoir esté si longtemps défenduë, que pour donner loisir à l’Armée des Ennemis, d’arriver à son secours, & augmenter par son entiere défaite, la gloire de cette Campagne. Le Prince de Hesse-Cassel avec un corps de troupes qu’il avoit amené du Pays de Limbourg, passa le huit & le neuf de ce mois la Moselle au dessus de Coblens, & fit une si extraordinaire diligence, que le 17. il arriva prés de Wormes, où ayant esté joint par les troupes du Comte de Nassau-Weilbourg, il se trouva fort de vingt huit bataillons, & de cinquante-quatre escadrons. Il marcha le 14. avec cette Armée dans le dessein d’aller forcer les lignes du Siege ; mais le Maréchal de Tallard bien informé de ses mouvemens, en sortit le même jour, & marcha au devant de luy avec vingt huit bataillons & quarante huit escadrons. Le sieur de Pracontal avoit esté detaché, par mes ordres, de mon Armée de Flandres avec trente-un bataillons & vingt-quatre escadrons ; quelque diligence qu’il eut faite, son infanterie ne put arriver. Mais ayant joint avec sa Cavalerie le 15. à quatre heures du matin, le Maréchal de Tallard marcha aussi-tost aux Ennemis ; les deux Armées se rangerent en bataille dans la plaine de la petite Hollande, & en estant enfin venuës aux mains, la Cavalerie ennemie fut d’abord mise en déroute, & leur infanterie poussée & enfoncée par la mienne, avec tant de vigueur, qu’à la reserve de quatre ou cinq bataillons qui se trouverent les plus éloignez, toute l’infanterie des Ennemis a esté entierement détruite ; plus de cinq mille des leurs sont demeurez morts sur le Champ de bataille, parmi lesquels on compte le Prince de Hesse Hombourg, le fils du Prince de Nassau-Weilbourg, le General Hoffkirk, le Baron de Loos, le sieur Tetau & beaucoup d’autres gens de marque. Il s’en est trouvé outre cela plus de trois mille morts, mourans ou blessez, repandus dans les Villages, plus de deux cens Officiers & deux mille soldats ont esté faits prisonniers, & on leur a pris trente deux Drapeaux & six Etendars, trente pieces de Canon, toutes leurs munitions de guerre & leurs tentes. Le même jour du combat, le Gouverneur de Landau ayant demandé à capituler, il est sorti de la place le 18. avec sa Garnison, que le Siege avoit diminuée de plus de moitié, estant convenu luy même qu’il y avoit perdu plus de deux mille hommes de ses troupes & plus de cent Officiers. Et comme je me trouve obligé de rendre graces à Dieu d’un évenement qui me marque si visiblement sa protection, je desire que vous fassiez chanter le Te Deum dans vostre Eglise Cathedrale, & dans toutes les autres de vôtre Diocese, avec les solemnitez requises, & invitiez d’y assister tous ceux qu’il conviendra ; & la présente n’estant pour autre fin : Je prie Dieu qu’il vous ait mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Marly le 29. Novembre 1703. Signé sur l’Original, LOUIS, & plus bas Chamillart ; & au dos est écrit : À mon Cousin le Coadjuteur de l’Evêché de Strasbourg, & en son absence, au grand Vicaire dudit Evêché.

[Mandement du Coadjuteur de Stransbourg]* §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 74-81.

Monsieur le Coadjuteur de Strasbourg fit publier son Mandement dans le même temps qu’il rendit cette Lettre publique. Son Mandement estoit à costé d’une traduction Françoise que ce Coadjuteur fit aussi publier. Voicy ce Mandement.

MANDEMENT
de Reverendissime, & tres-Serenissime Prince Monseigneur le Coadjuteur de Strasbourg.

Armand-Gaston de Rohan, Prince de Soubize, par la misericorde divine, & la grace du saint Siege Apostolique, Evêque de Tiberiade & Coadjuteur de l’Evêché de Strasbourg. À tous les Abbez, Prevosts, Doyens, Chanoines, Prieurs, Archiprestres, Paroisses, Superieurs, Abbesses, Chanoinesses & Superieures de ce Diocese : Salut & benediction.

L’Alsace a recouvré sa premiere tranquillité, & aux calamitez de la guerre elle voit succeder un doux repos : elle n’a plus la douleur de voir moissonner ses champs par les Ennemis, & habiter ses Maisons par les troupes étrangeres. Le Citoyen ne voit plus arriver chez luy un hoste d’un visage inconnu. Sous le Regne glorieux & fortuné de Louis le Grand, on goûte par tout le charme de la securité, & les Peuples dont le Pays a esté si longtemps le theatre de la guerre, se dedommagent à present dans le sein de la paix des allarmes & des frayeurs que traîne toujours aprés soy ce terrible fleau. C’est l’illustre Maréchal de Tallard qui nous met dans cette tranquille situation, & sa valeur nous fait joüir aujourd’huy de cette paix que nous desirions il y a si longtemps. Il a pris Landau aprés vingt-neuf jours de Siege. Cette Ville que la force de ses murailles & la regularité de ses retranchemens rendoient encore plus forte que la valeur de sa Garnison ; mais ce glorieux succés a esté relevé par un autre encore plus considerable. Les Ennemis honteux de voir prendre sous leurs yeux & à la veuë d’une Armée nombreuse, une Ville si forte & défenduë par un si grand nombre de troupes, préparent un secours d’Infanterie, & de Cavalerie, & pleins de confiance dans la superiorité du nombre de leurs troupes, marcherent pour secourir cette Ville. L’intrepide Maréchal l’ayant appris, fait un détachement de ses Lignes, & se mettant à la teste, il vient au devant des Ennemis : les rencontrer & les vaincre, n’est qu’une même chose pour luy. En un mot, il leur tua pour le moins cinq mille hommes, en prit trois mille prisonniers, avec quarante Drapeaux ou Etendars, & trente pieces de Canon, toutes leurs munitions de guerres & leurs tentes. Ce genereux défenseur de l’Alsace merite cette loüange, de dire que les premiers exploits de cette Campagne ont esté marquez par le sang des Ennemis, & que par une double gloire il a sçû allier la Fortune avec la Valeur. Nostre tres-religieux Monarque a rendu à Dieu les graces qu’il luy devoit de ce succés important ; à ce Dieu tout-puissant, qui fait tout tourner à l’avantage de la France, même le carnage & l’horreur des combats, & par la grace duquel la guerre, en un sens, nous est plus utile que la plus profonde Paix. Pleins de reconnoissance de l’ancienne tranquillité qu’il vient de nous faire recouvrer, chantons luy un Hymne de loüanges, &c. Hymnum cantemus Domino, & exaltemus nomen ejus, magnificavit Regem in excelsum, & percussit inimicos ejus plagâ magnâ.

C’est pourquoy nous mandons & enjoignons, de l’avis & consentement de nostre reverendissime & illustrissime Chapitre, à toutes les Eglises Collegiales & Paroisses de cette Ville, de se rendre le Dimanche 9. Decembre à la Cathedrale à l’issue des Vespres & à l’heure de quatre, pour y chanter l’Hymne Te Deum laudamus, & la Collecte qui suit, en actions de graces ; & aux autres Eglises hors la Ville, de chanter le même Hymne le Dimanche suivant seiziéme du même mois. Donné à Strasbourg, dans le Palais Episcopal, le septiéme Decembre 1703. Signé, dans l’Original, Armand-Gaston, Coadjuteur de Strasbourg.

Par ordre du Serenissime Prince Coadjuteur.

RICCIVS.

[Ouverture de l’Ecole de la Langue Grecque faite au College Royal, par Mr Pouchard] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 128-133.

Mr Pouchard de l’Academie Royale des Inscriptions & Medailles, & Professeur de la Langue Grecque dans le College Royal, fit l’ouverture de cette Ecole le Samedy 12. Janvier de cet année. Ce sçavant Academicien qui, comme personne ne l’ignore, est tres-habile dans la connoissance des Langues Orientales, parla avec cette fecondité & cette delicatesse qu’on a toujours admiré dans ses discours. Aucun des endroits les plus cachez de la Mithologie qu’il s’étoit proposé d’expliquer, ne luy échapa ; la vivacité de ses lumieres se repandit sur tout ce qu’il y a de plus obscur & de plus tenebreux dans l’Histoire Poëtique. Il ne compara pas Hesiode, dont il expliqua la Theogonie, à Moyse, à l’exemple de plusieurs Auteurs, comme celui-cy a proprement écrit l’Histoire de Dieu en écrivant celle de la création du monde. Hesiode a de même écrit en Grec l’Histoire des Dieux ; il s’étendit beaucoup sur son Livre De opere sex dierum ; il compara aussi cet Auteur Grec à un autre de la même Nation dont la reputation n’est pas moins éclarante, je parle d’Homere : Hesiode & Homere, dit cet habile Professeur, ont eu cela de commun qu’ils se sont tous deux fort attachez à traiter de l’origine des Dieux. Il avoüa aprés tant d’Auteurs qui ont tous esté du même sentiment que ce que nous sçavons des Dieux, & toutes les lumieres que nous avons sur la Mythologie, nous viennent des Egiptiens dont la connoissance sur ces sortes de choses étoit exquise, en expliquant les diverses qualitez des Dieux, comme de Plutus, Jupiter, Saturne & de tant d’autres que la Fable nous fournit. Il nous fit voir que chaque Pays, chaque Nation, chaque Peuple s’en étoit fait chacun selon son goût & son inclination, & que les Nations ensevelies dans les tenebres du Paganisme, n’avoient point puisé ailleurs que dans leur fantaisie l’objet de leur culte, à l’exemple des Egiptiens, dont elles avoient tiré toute leur connoissance sur les fausses Divinitez.

Mr Pouchard parla encore d’une maniere bien recherchée & en homme bien rempli de sa matiere sur les Harpies ; il prouva, & il demontra que ce n’étoit autre chose que les Sauterelles dont il est parlé dans l’Ecriture. Toute l’Assemblée enfin sortir charmée de l’éloquence & de la vaste érudition de ce Professeur.

[Mort de Madame Anne Hüe de Francines]* §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 154-157.

Dame Anne Hüe de Francines, veuve de Messire Eustache de Conflans, Chevalier Marquis d’Armentieres, est aussi décedée. Cette Dame avoit beaucoup de merite, sa vertu & les autres qualitez de son esprit ont augmenté les regrets que l’on a senti de sa perte dans sa famille. Il n’y a pas longtemps que je vous ay parlé de la Maison de cette Dame au sujet de la mort de Madame de Francines. Il me suffit de vous faire remarquer qu’elle est originaire de Florence, & que c’est feu Mr de Lully qui l’attira en France. La Maison de Conflans dont estoit feu Mr le Marquis d’Armentieres époux de la Dame dont je vous aprens la mort, est d’une des plus anciennes du Royaume. Elle est fort étenduë par les diverses branches qu’elle a formée. Les Seigneurs de cette Maison ont paru avec beaucoup d’éclat dans la Franchecomté, dans les Pays Bas & en Espagne, où ils ont eu des Emplois d’une grande distinction. Leur attachement pour le service des Rois d’Espagne, s’est toujours fait remarquer. Feu Mr le Marquis d’Armentieres avoit porté les armes avec beaucoup de valeur, & les Emplois qu’il avoit eu marquoient assez le cas qu’on faisoit de ses services. Il étoit fils d’un pere qui avoit signalé ses premieres années par mille actions de la plus grande valeur, & qui consacra au service de son Prince toutes les années de sa vie, sans discontinuation & avec une application qui fait encore aujourd’huy beaucoup d’honneur à la memoire de ce Gentilhomme.

[Suite du Traité qui enseigne les regles nécessaires pour bien faire des Vers] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 166-181.

Je vous envoye la suite du Traité qui enseigne les regles necessaires pour bien faire des Vers.

À Mademoiselle Ro….

J’ay eu tort, ma belle Eceliere, je l’avoüe : grand tort si vous voulez, je l’avoüeray de même de vous parler Diphtongue. Car comment concevoir qu’une jeune personne comme vous, qui estes la douceur même, & qui ne parlez que naturellement, s’accommode d’un des plus barbares mots que l’antiquité, qui fait voir un peu de rudesse dans ses discours, nous a laissez en heritage.

Pardon, Mademoiselle, pardon, je n’y retourneray plus, & si vous trouvez à présent Diphtongue dans mes lettres, je consens qu’elles soyent déchirées, brûlées, déclarées indignes d’estre luës, & même (j’ay pourtant bien de la peine à dire cela) & même que vous ne fassiez pas plus d’estat de l’Ecrivain, que de l’écriture, ce qui pourtant seroit pour luy, une grande mortification ; mais pour ne rien dire de plus, & pour ne pas songer à ces grandes mortifications, allons rechercher nos rimes.

Nous parlions de ce qu’il faut observer dans ces rimes. Sans nous embarasser du nombre des regles qui peut-estre vous effrayeroit, nous nous contenterons d’en faire la revuë selon qu’elles nous passeront par la teste.

Vous comprendrez bien celle-cy, je crois. Sçavoir qu’un mot ne peut rimer avec soi même. Rien n’est plus juste, direz vous, rien n’est plus raisonnable. Avouez donc qu’il y a de la justice, qu’il y a de la raison chez Messieurs les Poëtes. Cependant à cette regle si juste, si raisonnable il faut mettre une exception. Jamais, dit-on, regle n’a marché sans cela ; encore est ce quelque chose quand l’exception est raisonnable comme celle ci, c’est qu’un mot peut rimer avec soi-même quand il est pris dans une signification differente. Ainsi, Mademoiselle, je pourrois dire, dans le langage rimé, que pour vous je ferois mille pas ; mais que s’il s’agissoit d’en faire un seul pour la laide & discourtoise Gr… je ne le ferois pas. Je pourrois dire aussi dans le même langage que je n’ay pas ce que je veux, tant que vous n’écouterez pas mes vœux.

Voicy encore une autre regle, c’est que le simple ne rime point avec son composé. Expliquons-nous, j’aime fort qu’on s’explique. Pendre est le simple, dépendre est son composé Hé bien, Mademoiselle, si à la fin d’un Vers on vient de pendre un homme, il n’est pas permis de le dépendre au bout de l’autre. Il est aussi défendu en Vers, aussi-bien qu’en Prose, de défaire un enfant qu’on a pris la peine de faire, de confondre la justice avec l’injustice, les amis avec les ennemis, & de donner du renom à un Heros aprés en avoir dit le nom. En effet, aimable personne, n’est-ce pas assez de nommer LOUIS ? J’ay pourtant vû des Vers, & des Vers de grands Poëtes, où le renom suivoit le nom, ou l’amitié par une alliance bizarre estoit unie à l’inimitié : Mais, Mademoiselle, voulez vous que je vous parle naturellement, c’estoient des licences, & des licences en fait de Poesie, sont choses contre les regles. Nous venons de dire tout à l’heure, que chaque regle a son exception, celle-cy n’en est pas exempte : Voyons donc quelle exception elle a. Plus je cherche, plus je trouve que si le mot composé a une signification toute differente de celle du simple, il rime bien avec lui : c’est ainsi qu’on peut pendre un homme, & dépendre d’un autre homme.

Quelle regle mettrons nous aprés celle-là ? une qui en approche bien, c’est que les composez ne riment pas ensemble (bien s’entend.) Donc, puis je dire hardiment, c’est un crime de leze-Poesie de dépendre un homme pour le rependre un moment aprés. À l’exception, elle est aussi semblable à l’exception, que la regle est semblable à la regle. Les composez, m’assure-t’on, peuvent rimer s’ils signifient differentes choses. Cela estant, il se peut faire qu’on repende un tel & qu’on dépende d’un autre tel.

À ces répetitions frequentes de Pendaison, n’avez-vous point envie de quitter cette lecture pour aller, à l’exemple de Pourceaugnac, demander à vostre chere cousine ce que vous sentez.

Ne nous quittez point je vous en conjure, on auroit peine à se passer de vous, & de plus on a à vous apprendre une nouvelle regle toujours raisonnable ; car nous autres d’autour du Parnasse, nous n’en reconnoissons point d’autres : la voicy. Les singuliers ne riment point avec les pluriers : ne faisons donc jamais trouver en rime les flâmes avec une seule Dame, passe si c’est avec des Dames. N’associons point non plus les contentemens avec un amant, mais nous pouvons les mettre avec les amans. Vous m’allez peut-estre dire, aprés avoir faite quelques reflexions, que pour le coup ma regle n’est pas juste. Mon Dieu, ce n’est pas moy qui l’ay fait cette regle, ainsi elle n’est pas mienne mais je veux bien m’engager à la défendre. Voyons vostre objection. La voila, n’est-ce pas ? Univers est un singulier, fais un plurier ; cependant ces deux mots riment bien ensemble. Vostre regle (continuez-vous) est donc déja fausse pour les rimes masculines, voyons si elle est plus vraye pour les feminines : c’est ce que je ne trouve pas ; car ces mots tu aimes, tu disposes, sont ce me semble des singuliers, cependant ils riment mal à ce que je crois, avec ceux-cy, d’amour extrême, de cette chose qui sont d’autres singuliers…. J’admire, ma belle, les progrez que vous faites dans la Poesie par la maniere dont vous en parlez, & par les objections que vous faites. Elles sont si bonnes, ces objections, qu’on ne peut y répondre qu’en disant que ce sont des exceptions à la regle que j’ay avancée.

Vous aurez la bonté de considerer un peu celle-cy, qu’il n’est pas beau de faire rimer deux noms propres ensemble, comme Iris, avec Cloris. On n’enferme guere cette loy que dans les ouvrages de longue haleine comme d’une Tragedie, encore n’est-ce que quand le nom de la personne est si bizarre que dans les noms des choses, il n’en est point qui luy ressemble, ou si peu, que cela ne vaut pas la peine d’en parler. Alaric me servira d’exemple, je le feray rimer, s’il me plaist, avec Theodoric, je feray rimer aussi, si ie veux, Sejan avec Trajan, car il faut vous dire au sujet de la terminaison an qu’elle a peu de rimes. Je ne luy trouve guere que Tyran, qui ne devroit jamais passer un an, ou s’il regnoit davantage, ne devroit regner que dans le Roman. Je ne luy trouve, dis-je, que ces mots, & quelques autres, mais en plus petit nombre qu’on ne croiroit, il ne faut pas s’y tromper, Tyran, par exemple, ne s’accorde point en rime avec expirant, quoiqu’il le merite bien. Le t l’en empêche. Attribuez cela à bizarrerie si vous vous voulez ; ce qui est effectif, est que je n’en sçais point la raison. C’est peut-estre une autre bizarrerie qui fait que sang & flanc riment ensemble, que long & rond riment aussi, & que nom & rond ne riment pas.

Pour vous faire voir pourtant que d’ordinaire, la prononciation decide de la rime, je vous feray remarquer que quoique le pain se termine par un n, & la faim par un m, on peut pourtant les faire rimer ensemble, on peut aussi les faire rimer avec le dessein, & avec le vin. J’en dis de même de Climene, qui quoiqu’elle ne soit pas Reine, peut neanmoins estre fort hautaine. C’est encore la même chose dans une mere, qui peut bien avoir encore de quoy plaire. Il faut encore considerer sur la rime en ere, que quoiqu’on n’appuye pas plus sur la terre, que sur la fougere, il est necessaire de mettre pour rimer avec le premier de ces mots un mot en ere qui ait aussi deux rr, comme tonnerre, guerre, &c. N’êtes vous point déja rebuttez par toutes ces observations, tout ce fatras de regles ? un peu de patience, la patience vient à bout de tout. Je suis de la Signore, avec la permission de la Signore, le tres humble serviteur de la Signore.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 181-182.D'après le Mercure de juillet 1705, M. de Choisel serait l'auteur des paroles des airs de M. de Maiz. Tous deux sont de La Flèche, en Anjou.

Je vous envoye un Air qui a esté fait par Mr de Maiz, de la Fleche en Anjou.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Grand Dieu, qui protegez les Rois, doit regarder la page 181.
Grand Dieu qui protegez les Rois,
Contre vos Ennemis, LOUIS deffend vos droits.
Conservez avec soin, ce Heros indomptable,
Puisqu’il combat pour vous, soyez-luy secourable,
Rendez tout l’Univers, de sa gloire étonné ;
Ajoutez, chaque jour, quelque nouvelle marque,
Au nom qu’il s’est acquis du plus rare Monarque
Que vous ayez jamais, en terre couronné.
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[Ouverture des Etats de Foix] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 230-232.

L’ouverture des Etats de Foix a esté faire par un discours que prononça Mr le Marquis de Segur, Gouverneur de la Province, auquel Mr l’Evêque de Pamiers, President des Etats, répondit, & toute l’Assemblée accorda unanimement au Roy, le don gratuit ordinaire. Aprés quoy Mr le Marquis de Segur, accompagné de toute la Noblesse, se rendit à l’Eglise principale de Foix, où le Te Deum fut chanté, en actions de graces du gain de la Bataille de Spire, & de la prise de Landau. Mr l’Evêque de Pamiers officia à cette Ceremonie, & ensuite Mr le Marquis de Segur, precedé de ses Gardes, alla allumer le feu de joye, au bruit de la Mousqueterie & du Canon du Chasteau. Je ne vous parle point des services de ce Marquis, ny de sa naissance, parce qu’ils sont assez connus. Il est de la veritable Maison de Segur Pardaillon du Perigord, l’une des plus anciennes du Royaume. Il descend du costé maternel de celle de Taillefer, qui sort des Anciens Comtes de Perigord, & qui est alliée à tout ce qu’il y a de plus grand en France.

[Réjouissances faites dans tous les Etats de Lorraine] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 233-236.

On a fait de grandes rejoüissances dans tous les Etats de Monsieur le Duc de Lorraine pour la naissance de Monsieur le Duc de Bar, comme presomptif heritier des Etats de Lorraine. La Ville de Bar s’est distinguée sur toutes les autres Villes ; les Boutiques ont esté fermées pendant quatre jours, les Cloches n’ont presque point cessé de carillonner ; toute la Ville a esté illuminée pendant ces quatre nuits, & l’on a fait tous les soirs des feux de joye devant les portes. Le Dimanche du Carnaval la Ville fit faire un grand feu de joye dans la premiere Cour du Chasteau, tous les Bourgeois estans sous les armes ; de là on passa à la seconde Cour qui est en forme de Terrasse, où l’on fit plusieurs decharges de Canon & de Mousqueterie, & on tira plus de cent cinquante fusées & autres feux d’artifice. On fit distribuer quantité de pieces de Vin dans tous les quartiers de la Ville, où l’on n’entendoit que cris de joye & des acclamations de Vive leurs Altesses, & Monsieur le Duc de Bar. Les Magistrats avoient fait preparer un grand & magnifique repas, qui fut servi dans une Salle du Chasteau, où se trouverent environ quarante personnes de consideration. Les Violons & la Simphonie passerent aprés le repas dans une autre grande Salle, où l’on donna le Bal aux Dames qui dura jusqu’à trois heures aprés minuit.

[Mr le marquis d’Auxi est reçu Capitaine dans le Regiment des Gardes] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 244-264.

Le 26. Decembre 1703. Mr le Marquis d’Auxi, ci devant Capitaine de Dragons au Regiment de Mr le Chevalier de Hanvoille, son oncle paternel, estant Lieutenant aux Gardes Françoises, aprés y avoir esté Sous Lieutenant & Enseigne, traita avec l’agrément du Roy de la Compagnie de Mr de Moulineaux, qui estoit Capitaine au même Regiment des Gardes.

Pour vous parler d’une partie de leurs Ancestres, sans remonter presentement plus haut, je commenceray par Pierre d’Auxi, de la Maison des anciens Sires & Bers d’Auxi, originaire de Flandre ; lequel estoit Seigneur de Monceaux, dont il prit le nom vers le commencement du quatorziéme siecle, & qui épousa Françoise de Mailly. Leur fils Mathieu de Monceaux d’Auxi fut marié à Catherine de Brimeu, & fut pere de Jean premier du nom de cette branche, Capitaine d’Arque vers Dieppe. Vous sçavez qu’on donnoit en ce temps-là le nom de Capitaine aux Gouverneurs de Places. Sa femme se nommoit Jeanne de Bailleul. Jean second leur fils, eut pour épouse Jeanne de Villers l’Isle Adam. Il estoit General des Finances de Picardie ; ce fut en cette qualité que Saint François de Paule, Instituteur de l’Ordre des Minimes, luy écrivit une Lettre de son Convent de Toussains prés d’Amboise, vers l’an 1497. le traitant de Monseigneur, & luy demandant sa protection pour l’établissement d’un Convent de son Ordre en la Ville d’Amiens.

Il mourut le 8. d’Octobre 1505. & fut inhumé aux Cordeliers de Paris, dans la Chapelle du Saint Sepulchre, qu’il avoit fondée vers la fin du quinziéme siecle, avec la Messe solemnelle qui s’y chante en Grec tous les ans le premier Dimanche d’aprés Pasques, avec une Procession & un Sermon qui se dit de même en Langue Grecque à la Messe. Par ses Epitaphes & par plusieurs Actes il est qualifié Gouverneur de l’Artois, Chevalier de l’Ordre de Saint Michel, & Seigneur de quantité de terres dont plusieurs sont encore à present possedées par ses descendans, qui ont droit de sepulture dans cette Chapelle du Sepulchre.

Son fils Jean troisiéme se maria à Geneviéve Dauvet, petite fille d’un premier President du Parlement de Paris. Il donna avec François son frere decedé sans lignée, la Terre de Villacoublay à l’Hôtel Dieu de Paris, & d’autres biens à l’Hôtel Dieu de Beauvais. De ce mariage sortirent cinq fils, dont le premier nommé Antoine, étant mort sans enfans, le second appellé Guy devint l’aîné, & fit la branche de Hodenc, qui se prononce Houdan, ayant épousé Jeanne de la Chatre, fille & sœur de Capitaine des Gardes du Corps. Le 3. d’Avril 1554. il fut chargé des ordres & des memoires du Roy Henry II pour aller en Avignon rendre des Lettres au Cardinal Farneze, & à Marseille vers le Baron de la Garde pour y faire aprêter les Galeres, pour porter à Rome ce même Cardinal & autres, & pour d’autres negociations importantes.

Le premier May 1571. il fut fait Maistre d’Hostel du Roy. En Novembre & Decembre 1586. le Roy Henry III. luy donna plusieurs instructions pour aller établir & regler les choses necessaires pour la garde de sa Sœur Marguerite Reine de Navarre, au Château d’Usson en Auvergne, & pour la maniere dont elle devoit estre traitée. En 1587. il estoit Chevalier de Saint Michel. Ce même Guy eut trois fils & une fille mariée à Mrs de Jars Rochechoüart, frere de Mr le Commandeur de Jars.

Gaspar l’aîné, Seigneur d’Houdan, ayant épousé Jacqueline d’O, veuve du Seigneur de Brosses, il ne laissa que deux filles dont l’aînée Charlotte, fut mariée à Messire Geofroy de Tiercelin, Marquis de Brosses ; l’autre nommée Susanne, épousa Messire François du Val, Marquis de Fontenai Mareüil, Ambassadeur Extraordinaire à Rome, qui n’eut qu’une fille unique, sçavoir, Madame la Duchesse de Gesvres qui déceda en 1702.

Voila donc cette branche aînée éteinte : ainsi il faut revenir à un second fils de Gui, lequel s’apelloit François, & qui portoit le nom de Villers-Houdan, marié à une fille de la Maison de Bouri du Bec. Il fut Gouverneur de Dieppe, & Vice-Amiral en Normandie, Chevalier de S. Michel en 1611. & nommé Chevalier du Saint Esprit en 1612. Il eut un fils tué dans les Mousquetaires du Roi, à l’âge de vingt ans, au siége d’Aire dans l’Artois ; & deux filles, l’aînée mariée au Marquis de Buli, la seconde au Marquis de Beaumont, par où cette seconde branche est aussi tombée en quenoüille. Il a fait ainsi que ses Predecesseurs, quelques donations considerables au grand Convent des Cordeliers de Paris, avec Gaspar son aîné, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roy, & Charles leur autre frere, troisiéme fils de Gui, lequel Charles fut Abbé Commandataire de Saint Germer au Diocese de Beauvais. Il y eut aussi de cette famille dans le même Diocese, prés la Ville de Beauvais, deux Abbesses de Saint Paul de suite, aprés le milieu du seiziéme siecle, sçavoir Charlotte fille de Jean second, & Louise sa niece, fille de Jean troisiéme, duquel un troisiéme fils, aussi nommé Jean, a fait la branche de la Comune en Brie, dont il y a eu un Chevalier de Malte qui s’apelloit Charles, & qui mourut à la bataille de Lepante le 7. Octobre 1571. En cet endroit il faut remonter à un second fils de Jean troisiéme qui se nommoit François, & qui a fait la branche de Hanvoille, ayant épousé Marie Raguier de la Maison de Poussé dans la Brie, & qui eut deux fils, Gui & Jean, ce dernier fut enterré à Constantinople, étant mort dans les voyages du Levant, revenant de la Terre Sainte, où il avoit esté par devotion, ainsi que plusieurs de ses Predecesseurs.

Gui son aîné, devenu unique, épousa Susanne de Soyecourt, fille de François, Chevalier de l’Ordre, & de Charlotte de Mailli. François leur fils, fut marié à Marthe-Jeanne de Boufflers, sœur du grand pere paternel de Mr le Maréchal Duc de Boufflers, elle estoit fille d’Adrien de Boufflers, Chevalier de l’Ordre du Roy, & de Françoise Gouffier, petite fille de l’Amiral de Bonivet.

De ce mariage est issu Messire Adrien de Monceaux d’Auxi, Marquis de Hanvoille, Seigneur de Martincours, Glatigni, Saint Samson, Saint Aubin, &c. recommandable par sa pieté, & par sa liberalité envers les pauvres, sur tout dans les necessitez publiques ; il épousa en 1646 Elisabeth Legrant, sœur d’Alexandre Legrant, Conseiller de la Grand’Chambre au Parlement de Paris, & Prieur de Souvigni dans le Bourbonnois, aprés son frere Henry Legrant, qui avoit esté Prevost de l’Eglise Cathedrale de Toulon, & de Madeleine Legrant, mariée à Messire Alphonse Jubert, President en la Cour des Aides de Normandie, oncle paternel de Messire André Jubert de Bouville, Conseiller d’Etat, Intendant à Orleans, &c. tous quatre enfans de Messire Henry Legrant, Maistre des Requestes, Intendant de Province en Languedoc, où il eut la Commission de faire démolir les fortifications de Nismes, & de Dame Anne Danés, fille de Jacques, Seigneur de Marli, Compans, &c. President en la Chambre des Comptes à Paris, & sœur de Messire Jacques Danés, Evêque de Toullon, de N.… Danés Dame du Thil, & de la mere de feu Madame la Chanceliere Boucherat ; desquelles trois sœurs & Dames Danés fut Mere Anne Hennequin, cousine germaine de Mr le Cardinal de Berulle, & de Mr le Chancelier Seguier.

Du mariage d’Adrien avec Elizabeth Legrant, sont venus quinze enfans, dont l’aîné François, Marquis de Monceaux, s’est allié à Madeleine Jubert, fille de Jacques, Marquis du Thil, Conseiller d’Etat, & de Marie Courtin de la famille de Plenipotentiaire ; ayant fait le voyage de Candie sous Mr de la Feüillade.

Ensuite Adrien, nourri Page de la Chambre du Roy, Capitaine au Regiment de Picardie à 21. ans, tué au siege de Limbourg en Juin 1675.

Aprés lui, Henry surnommé le Chevalier d’Hanvoille, ci-devant Colonel d’un Regiment de Dragons.

Puis Jacques, sieur de la Fresnoye, Capitaine au Regiment de Champagne. Marthe leur sœur, fut mariée à Georges du Fay, second fils de Jean du Fay, Comte de Maulevrier, Grand Bailly de Roüen.

Il reste à dire, pour achever cette Genealogie, que François, Marquis de Monceaux, & Magdeleine Jubert, sont pere & mere de Jacques, Marquis d’Auxi, Capitaine aux Gardes, & de son frere François Charles, qu’on appelloit Chevalier d’Auxi, mort à l’expedition de Cartagene dans l’Amerique, à l’âge de vingt ans, estant Enseigne de Vaisseau, & ayant déja servi plusieurs Campagnes sur mer.

Cette Maison est alliée à celles de Beauvau, Boufflers, Brosses, Chaunes, du Fay-Dauvet, Gesvres, Gouffier, Jubert, la Tremoille, la Chatre, Mailli, Maulevrier, Montmorenci, S. Simon, Rochechoüart, Soyecourt, &c.

Mr le Marquis d’Auxi fut reçû le Dimanche 10. Fevrier, le Regiment des Gardes estant à la Plaine pour l’exercice. Mr le Maréchal de Boufflers s’y trouva & fit recevoir lui-même le nouveau Capitaine, & aprés l’avoir embrassé, il pria tous les Officiers du Regiment qui estoient autour de lui, d’accorder à Mr le Marquis d’Auxi leur amitié, en leur disant que c’étoit son plus proche Parent, & qu’il étoit d’une naissance distinguée. Le nouveau Capitaine fut ensuite accablé de complimens & des plus tendres marques d’affection, estant fort aimé dans le Regiment, ce qui fit que tous les Officiers suivirent, avec plaisir, en l’embrassant, l’exemple de Mr de Boufflers, qui n’auroit pû parler autrement pour son fils. La Compagnie de Mr d’Auxi monta ensuite la garde, le Jeudy 14. jusqu’au Dimanche suivant 17. Fevrier.

[Discours prononcé à Angers] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 283-287.

Je vous envoye un Discours qui a esté prononcé par le premier Avocat du Roy au Presidial d’Angers, à l’occasion du Te Deum chanté pour rendre graces à Dieu de la prise de la Ville d’Ausbourg.

MESSIEURS,

Nous avions lieu de croire que cette Campagne si glorieuse de toutes parts estoit finie par le gain de la Bataille de Spire, & par la Conqueste de Landau ; mais elle vient d’estre enfin couronnée par la prise de la Ville d’Ausbourg, dans une saison qui n’a paru rigoureuse qu’à ses Habitans vaincus, d’un costé ils ont esté témoins de la foiblesse de cinq mille Allemans deffenseurs de leurs remparts ; & de l’autre ils ont éprouvé la valeur d’un grand Prince qui combat au nom de deux grands Rois qui luy sont unis par les liens du sang, de l’amitié, & de l’interest. Cette Place qui a esté le Conclave de plusieurs Princes liguez contre la France, l’Espagne & la Baviere est devenuë le sejour agreable de leurs Troupes victorieuses, elles la font presentement repentir de son infidelité, à la honte du General qui s’estoit constitué son garand & son protecteur. Quoy que Louis le Grand n’y trouve d’autres avantages que ceux de la gloire, comme le plus zelé de tous les Princes Chrestiens, & le plus juste de tous les hommes : il s’unit avec Son Altesse Electorale de Baviere, pour en marquer sa pieuse reconnoissance au Dieu des Armées, elle est infinie. Elle ne peut neanmoins satisfaire à la protection visible que le Seigneur a la bonté de donner à toutes ses entreprises, & à celles de cet Allié aussi fidel qu’illustre, cette impuissance oblige Sa Majesté d’ordonner à tous ses Sujets de faire agir leur zele unanime par des Prieres publiques Il sera, Messieurs, celebré demain Dimanche au desir de la semonce qui vous en est faite par Mrs Dupont, les Venerables Deputez du Chapitre de la Cathedrale de cette Ville, de laquelle Semonce il vous plaira, Messieurs, nous donner Acte, & de la demande que nous vous faisons qu’il soit enjoint suivant les ordres du Roy, à toutes les Compagnies Laïques d’y assister à l’heure & en la maniere ordinaire.

[Portrait du Roy de Suede] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 290-292.

Je vous envoye un Sonnet qui a esté fait pour le Roy de Suede ; je devrois me servir de cette occasion pour vous faire l’éloge de ce Monarque, puis qu’avant l’âge de dix-neuf ans, il s’étoit déja acquis une gloire immortelle par ses actions & par des faits tres singuliers ; mais la matiere est trop belle & trop abondante, & il me reste trop peu de temps & trop peu de place pour vous en entretenir icy.

SUR LE PORTRAIT DU ROY DE SUEDE.
SONNET.

Voicy le Successeur du celebre Gustave,
Qui pour le surpasser fait un illustre effort,
Et qui rend à son gré dans les Plaines du Nord
La Victoire constante, & la Fortune esclave.
***
Des rivages glacez que la Baltique lave
Il séme sous ses pas l’épouvante & la mort ;
La Parque le respecte, attentive à son sort,
Et veille sur ses jours, dans l’instant qu’il la brave.
***
Inflexible ennemi des vains amusemens,
Ses austeres devoirs remplissent ses momens ;
Il aime les Vertus encor plus que la Gloire :
***
Mais, ce qui le comblant d’éloges inouis,
Gravera mieux son nom au Temple de Memoire,
Il est l’Imitateur & l’Ami de LOUIS.

[Traduction des Odes d’Anacreon] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 293-299.

Mr de la Fosse vient de faire une nouvelle Traduction en Vers François des Odes d’Anacreon. Il a conservé dans sa Version toute la finesse & toute la delicatesse de la Langue Grecque : on y trouve toutes les graces inexprimables qui accompagnent le langage de cette Nation polie ; les fleurs, les beautez, & les ornemens dont les Vers grecs, sur tout ceux d’Anacreon, sont remplis, se font sentir également dans cette Traduction, qu’il a conservée à son original. Ces mêmes agrémens, ce caractere de tendresse & d’enjoüement qui distinguent particulierement cet ancien Poëte. L’Auteur de cette version l’a dediée à Monsieur le Duc d’Orleans, qui en connoist parfaitement la finesse, & la delicatesse. On n’avoit encore vû aucune Traduction entiere d’Anacreon en vers François. Mr l’Abbé Regnier en avoit fait une à la verité, qui a esté tres-estimée, mais elle n’est que de quelques Odes seulement ; celle de Madame Dacier qui a beaucoup reüssi comprend aussi tout Anacreon ; mais elle est en Prose Françoise. Mr de la Fosse est donc le premier qui a traduit tout Anacreon en vers François. Il a cru que d’aussi excellens vers que ceux de ce Poëte ne devoient être traduits qu’en vers, la prose pouvant leur faire perdre une partie de leur beauté. Madame Dacier n’est pas de ce sentiment, & croit qu’il n’y a que les Traductions en Prose qui puissent estre fidelles. Elle a herité la haine pour la Poësie de son illustre Pere Mr le Févre, qui composa il y a quelques années un Traité De Futilitate Poëtices, pour en montrer l’inutilité & même le danger. Mr de Longepierre, connu par plusieurs ouvrages dont le Public a esté tres-satisfait, & par des Pieces de Theatre qui ont esté tres bien reçuës, a donné une Traduction des Odes d’Anacreon. Il est inutile de dire qu’elle a esté fort estimée, tout ce qui est sorti de la plume de cet Auteur ayant toûjours esté fort applaudi.

Mr de la Fosse parle dans sa Preface de quelques libertez qu’il a pris dans le corps de sa Traduction, & sur tout de celle de s’estre plus attaché au sens qu’au mot du Texte, & d’avoir rempli une Lacune de la quarante neuviéme Ode, qui est la plus longue ; mais elle paroîtra heureuse à ceux qui ont du goust pour la Poësie, qui sentent l’harmonie & ce beau feu qu’on a toûjours admiré dans les Odes d’Anacreon. Ce Traducteur donne de tres-bonnes raisons pour justifier la liberté qu’il a prise de ne pas suivre Anacreon dans l’uniformité de ses vers, il a cru avec fondement que les oreilles Françoises qui n’y sont pas accoûtumées, auroient de la peine à s’y accommoder. Il n’a traduit que les cinquante-cinq Odes qu’on attribuë sans contestation à Anacreon, il a trouvé les autres si inferieures au genie de ce Poëte, qu’il n’a point voulu les confondre. Toutes ces Odes sont accompagnées de Remarques du Traducteur qui sont tres-judicieuses & pleines d’une grande recherche. On y reconnoist la connoissance qu’il a de l’Antiquité. L’étude qu’il a fait des mœurs & des usages des Grecs & du caractere de son Original. Ces Odes sont suivies de quelques pieces de Poësie de Mr de la Fosse qui ont beaucoup reüssi dans le monde. La premiere est une Ode sur la Bataille de la Marsaille, qui fut fort applaudie dans son temps. La Traduction de l’Ydille latine de Buchanan O formosa Amarylli & les remarques qu’il a fait sur cette Ydille, ont esté tres-estimées. Le Tombeau de Mr le Marquis de Crequi, auprés duquel il estoit lorsqu’il fut tué à la Bataille de Luzzara, & qui fait la derniere piece de Recüeil, a aussi esté tres-applaudi. On ne peut enfin trop loüer les ouvrages de Mr de la Fosse, celui-ci a eu un grand succés à la Cour, & personne n’ignore le talent qu’il a pour les Pieces de Theatre, & le cours extraordinaire qu’ont eu en leur temps les Tragedies de Polixene, de Manlius Capitolinus, & de Thesée, dont il est l’Auteur. Quant à ce qui regarde Anacreon, vous sçavez que c’est le plus gracieux Poëte de l’Antiquité, & du plus beau naturel. On prétend qu’il fut l’homme le plus amoureux de son temps.

[Second Volume des Cent Questions & Réponses] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 299.

Je vous parlai le mois passé des cent questions & réponses de Mr l’Abbé Bourdelon, il vient de donner un second Volume au public, qui en contient autant que le premier, ce qui marque le succés de cet Ouvrage, puisque cet Auteur ne l’auroit pas continué s’il n’avoit beaucoup réüssi.

[Nouvelle Grammaire de la Langue Espagnole] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 303-305.

Le sieur Ribou qui vend le Nouvel Anacreon, debite encor une Nouvelle Grammaire de la langue Espagnolle, qui est tres-estimée des connoisseurs. Mr Perger Secretaire Interprete du Roy pour les langues étrangeres, Espagnole, Italienne & Allemande en est l’Auteur. La Grammaire Allemande qu’il donna, il y a quelques années, lui a fait beaucoup d’honneur ; on doit juger par le succés qu’elle eût de celui que doit avoir cette nouvelle Grammaire Espagnole. Elle est dediée à Mr le Marquis de Champlay ami de Mr Perger. Aprés un détail exact de tous les mots François rendus en Espagnols, & rangez suivant l’ordre alphabetique l’on trouve une centaine de Contes fort divertissans que Mr Perger donne dans les deux langues. Ces cent petites Historiettes tiennent la moitié du Livre. La naïveté qui doit estre naturelle aux Ouvrages de cette nature regne dans ces Contes. Mr Perger y a semé plusieurs moralitez. Le troisiéme Conte regarde un C… & est assés rejoüissant. Le dernier est sur le fruit de l’aumône que l’Evangile promet au centuple. L’exemple qu’on en rapporte est fort touchant, il regarde un Payen qui avoit épousé une Chrestienne, laquelle lui prêcha tant la necessité de l’Aumône, & la promesse du centuple que fait J.C. à ceux qui la feront, qu’entraîné par cette esperance, il distribua une partie de ses biens aux pauvres, & en fut recompensé d’une maniere singuliere. Mr Perger conte fort agreablement, & il entre beaucoup dans le caractere de la langue Espagnole dont il connoit toute la force & toute la noblesse. Il a beaucoup voyagé, ainsi qu’il marque dans sa Preface, c’est le veritable moyen d’apprendre les Langues étrangeres.

[Nouveau plan des Essais de litterature] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 305-307.

L’Auteur des Essais de litterature a changé de Plan, & au lieu de parler indifferemment des Auteurs de tous les siecles, ainsi qu’il a fait pendant les dix-huit mois qui se sont écoulez depuis la naissance de son Ouvrage, il vient de prendre une metode qui est plus du goût des Sçavans, & qu’on lui a conseillé de suivre. Il parcourrera par ordre tous les siécles, il donnera deux Essais pour chaque siecle, & dans chaque siecle il donnera l’Extrait des Auteurs rares & inconnus.

L’essai de Janvier, qui est celui par où il a commencé à executer son nouveau Plan, contient les Auteurs du siecle de J.C. auquel il destine aussi l’Essai de Fevrier ; si on juge du succés de ce nouveau plan par le choix des Auteurs, qu’il a fait dans le mois de Janvier, on aura lieu d’être content des Essais qui suivront.

[Articles des Enigmes] §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 368-372.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit le Fusil : Ceux qui l’ont trouvé sont,

Messieurs de Beauvais de la ruë saint Martin : Devaux Avocat au Parlement de Bretagne : Bardet & son ami Duplessis, Maistre Chirurgien au Mans : Le petit Nez furet, & sa mie Fanche de la ruë saint Severin : Le gros Embeurline de l’Etoille : Le fidele Berger des bords de l’Orne : L’ami content de Versailles : Le brave la Creuzette de Gien : Le Galonné d’Evreux, le beau Jumeau de la ruë Cogneber : De Noloi sieur du Chaudron, & sa dulcinée de la Porte saint Martin, Nicolas Gausement, & la charmante Blonde de la Butte saint Roch : L’aimable Feye : Mademoiselle de la Rosere, & les deux aimables Dames de la ruë de Beaurepaire : Le grand Voyageur racourci : L’Amant maltraité, & toûjours fidelle de la ruë saint Severin, & son aimable Inhumaine : Vendôme Gouverneur de l’Isle du Grand agreable : Les deux noms qui ne se conviennent gueres de la ruë de la Verrerie : Le Mari boudeux : La grande Saviarde : La Devotion revoltée de la ruë saint Severin : L’aimable Veuve Marchande proche les Quinze vingts, La belle Heleine de l’enclos dudit lieu, & le Berger de la ruë dudit lieu aimé de sa Bergere : La Bergere Climene, & son Berger Tircis de la Place Roïale : La veritable Judith Betlar de la ruë du Bourneuf à Troyes : Le sieur des Places grand Sableur des Assises d’Isles : Son Compagnon de saint Jean de Bonneval, & le Procureur Fiscal Bourguignal du Duché d’Aumont : La Couple brune assortie de la ruë saint Severin : La chere Minette, & son cher frere du Courteron de la ruë saint Denis, & Mademoiselle Sauvage de Montivilliers : Les quinze Heroïnes du Cercle ancien de la ruë de la Tisserandrie, & leurs Nourrissons heureux : L’aimable trio des Nimphes du coin de la ruë des Billettes, & leur brunet Colin Maillard de la même maison : Le Procureur Gascon de leurs assemblées : La Gracieuse esperance de son incertain billet, & l’inutile Antagoniste des Amans imaginaires du petit Paris.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Je fais l’homme : Autrefois j’ay fait le Philosophe
La Nature me teint en noir, & puis en blanc ;
Couleur au temps passé qui distinguoit le rang ;
Mais j’ay perdu mon prix comme une vieille étoffe,
Je ne puis plus croître à la Cour,
Où l’on m’écharpe au second jour.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1704 [tome 2], p. 372-373.

Je vous envoye une Chanson nouvelle, l’air & les paroles sont de Mr le Camus le fils.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, J'ay beau par mes regards, doit regarder la page 372.
J'ay beau par mes regards, & mes frequens soupirs,
Découvrir à Philis l’excés de ma tendresse.
Elle me rebute sans cesse,
Et m’accable de déplaisirs.
Pour prix de mon ardeur fidelle
Aymable Dieu d’Amour, toy le maître des cœurs,
Perce d’un trait doré celuy de cette Belle,
Et fais qu’aprés tes maux je goûte tes douceurs.
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