1704

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8].
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Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8]. §

[Réjouissances faites à Versailles]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 19-35.

Le 8. les Habitans de Versailles, qui avoient fait demander au Roy, la permission de faire tirer un feu d’artifice pour marquer leur joye, donnérent des preuves de leur zele en faisant tirer ce feu. Il y avoit dans l’avenuë quarante-six piéces de canon, dont on fit huit salves, dont la premiere commença entre midy & une heure. Le feu fut tiré entre neuf & dix heures du soir. Il fut precedé d’une douzaine de fusées volantes, qui furent tirées proche la grille de la grande cour, aux côtés de laquelle il y a avoit deux grosses piéces de vin. Ce feu avoit quatre faces, dont la principale regardoit le Château de Versailles. La seconde regardoit l’avenuë de Paris, les deux autres les deux côtés : & comme le Roy, Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne & le Prince nouveau-né font le nombre de quatre, chaque façade étoit destinée à chacun d’eux.

Toutes ces quatre faces avoient vingt-quatre pieds d’étenduë, avec une élevation proportionnée. Le milieu de chaque face étoit ouvert par un portique de dix pieds de large sur vingt de hauteur, & qui étoit accompagné de quatre pilastres d’un ordre dorique, c’est-à-dire, deux pilastres à chaque côté des pilastres, & qui de part & d’autre laissoient une intercolone de deux pieds & demi, pour recevoir les ornemens. Le tout étoit surmonté d’une corniche qui regnoit tout autour, avec une frize propre aux Inscriptions qu’on y avoit destinées.

Sur le milieu de la place du Theatre l’on avoit élevé une base à quatre faces, qui portoit une figure laquelle representoit la France avec tous ses ornemens, & qui tenoit entre ses bras le Prince, qu’elle sembloit presenter au Ciel, tandis qu’une Renommée qui paroissoit voler au dessus, publioit à toute la terre le bonheur de cette naissance.

Sur les quatre frises de la corniche, on avoit écrit quatre passages, tirez des Pseaumes 127. & 126. qui expliquent la benediction que Dieu promet à ses fidéles, dans l’abondance d’une heureuse posterité.

Sur celle de la face destinée pour le Roy, l’on avoit écrit ces paroles du quatriéme verset du Pseaume 127.

Filii tui sicut novellæ olivarum in circuitu mensæ tuæ.

Qu’on peut expliquer par ces quatre vers François.

Aprés mille travaux guerriers
Le Ciel te fera voir par sa grace admirable,
Tes Fils croître à tes yeux à l’entour de ta table,
Comme de tendres Oliviers.

Sur la Frise, au dessous des armes de Monseigneur, l’on avoit écrit ces autres paroles du verset suivant, du même Pseaume.

Ecce sic benedicetur homo qui timet Dominum.

Qu’on explique par ces vers.

Souverain arbitre du monde,
Appuy des justes Rois, maître des Nations ;
C’est ainsi que ta main feconde,
Répand sur qui te craint, ses benedictions.

Sur la Frise, au dessous des armes de Monseigneur le Duc de Bourgogne, on lisoit ces paroles tirées du troisiéme verset du même Pseaume.

Uxor tua sicut vitis abundans.

Expliquées par ces vers.

Heureux celuy qui voit d’un œil tendre & content,
Une femme chaste & prudente ;
Telle qu’une vigne abondante,
Donner à ses desirs le fruit qu’il en attend.

Enfin sur la derniere Frise, destinée à Monseigneur le Duc de Bretagne, & au dessus de ses armes, l’on avoit écrit ces mots tirez du quatriéme verset du Pseaume 126.

Ecce hæreditas Domini filii.

Interpretez par ces vers.

Enfans que Dieu destine à l’Empire des Lys,
Vous êtes de nos Rois les augustes images ;
Et de nos Héros accomplis,
Les trésors précieux, & les vrais heritages.

Voilà quel étoit l’ornement des 4. côtez de la Frise. Mais pour remplir les huit intercolonnes, dont chaque Façade en avoit deux aux deux côtez de chaque Portique, l’on avoit peint dans chaque intercolone, sur une espece de Cartouche, une devise, & au dessous de chaque devise, une Vertu qui luy répondoit. Ainsi dans l’intercolone à droite, du côté du Château, destiné pour le Roy, l’on avoit peint dans un Cartouche un Parelie, c’est-à-dire, un Soleil, qui dans un nuage en reproduit trois autres, qui paroissent semblables ; avec ces paroles écrites dans une Volute.

Nec pluribus impargigno pares.

C’est-à-dire,

Rien ne peut m’égaler que ce que je produits.

La Vertu qui étoit au dessous de ce Cartouche, étoit la Fécondité, representée par une femme qui verse du lait de ses deux mamelles.

Dans l’intercolone à gauche, l’on avoit peint pour emblême quatre Lions, dont le plus fort étoit assis au milieu des autres, la courone sur la tête & le Sceptre à la main. Il avoit à son côté droit un Lion un peu moins grand ; à côté gauche un autre un peu plus petit ; & à ses pieds un Lionceau, avec ces paroles dans la Volute.

Fortes creantur fortibus.

Qui veulent dire :

Les forts sont engendrez des forts.

Et la Vertu qui étoit peinte au dessous, c’étoit la Force, comme on la presente ordinairement.

Du côté destiné à Monseigneur, on avoit peint dans l’intercolone droite un Soleil dans le milieu du ciel ; & du côté de l’Orient, l’Etoile du matin, qui a seule le privilege de briller en presence du Soleil : Ces mots y servoient d’ame, & étoient écrits dans une Volute.

Et sequitur coramque micat.

Expliquez par ce vers.

Je le suis, & puis seul briller en sa presence.

La Vertu qui étoit au dessous, c’étoit la Magnificence ou la Bonté : Vertu qui selon les Naturalistes est duë à l’influence benefique de la Planéte de Venus. On la peint comme une femme qui distribuë de l’or & des presens.

Dans l’intercolone à gauche, on avoit peint sur le Cartouche un Soleil brillant, & trois Aigles de diferentes grandeurs, qui le regardoient fixement & sans siller les yeux, avec ces mots sur la Volute.

Documenta damus qua simus origine.

Qui veulent dire,

Nous montrons de quel Sang nous sommes engendrez.

La Vertu que l’on avoit peinte, au dessous étoit la Generosité, dans laquelle consiste toute la gloire du Sang & de la naissance. Elle se peint en Amazone armée.

Du côté destiné à Monseigneur le Duc de Bourgogne, on avoit peint dans l’intercolone droite, un jeune Aigle, qui lançoit la Foudre de Jupiter sur la Ville de Brizac, avec ces mots :

Quò sacra jussa Jovis.

C’est-à-dire,

Où Jupiter voudra je porterai sa foudre.

La Vertu peinte au dessous, c’étoit la Celerité ou Promptitude de l’execution. On la peint avec des aîles aux pieds & un arc & une fléche à la main.

Dans l’intercolone gauche, on avoit peint sur le Cartouche un Oranger qui estoit tout à la fois chargé de fleurs & de fruits, avec ces paroles dans la Volute.

Gaudia, spemque simul.

Qui veulent dire :

Aux douceurs de mon fruit je joins l’espoir d’un autre.

Et la Vertu qui étoit peinte au dessous, c’étoit l’Abondance.

Sur le côté destiné pour Monseigneur le Duc de Bretagne, on avoit peint sur le Cartouche de l’intercolone droite, une colone qui soutenoit la Courone d’Espagne, avec ces mots dans une Volute.

Tutum Hispanæ columen coronæ.

Qui veulent dire :

Espagne, j’affermis sur ton Throne, ton Roy.

Et la Vertu étoit au dessous, c’étoit la Concorde.

Et enfin dans l’intercolone gauche, l’on avoit peint sur le Cartouche une tige de Lys à quatre fleurs ; sçavoir la plus haute, toute épanoüie & couronée ; celle qui la suivoit étoit entr’ouverte ; la troisiéme, qui étoit au dessous, n’étoit point encore ouverte ; & la derniere enfin n’étoit qu’un petit bouton qui ne faisoit que d’éclore & sortir de la tige, avec ces paroles dans une Volute.

Quò tria quartum.

Qui veulent dire :

Le dernier les égalera.

Et la Vertu peinte au dessous, de cette devise, c’étoit la Patience, comme elle faisoit voir par l’Horloge qu’elle avoit sur la tête, & par la Tortuë sur laquelle elle étoit assise.

Quoi que plusieurs de ces devises ne fussent pas nouvelles, leur application étoit si juste, que que l’Auteur qui a pris soin de la décoration de ce feu, n’en mérite pas moins de loüanges.

[Vers sur la naissance du Duc de Bretagne]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 35-44.

Je croy devoir mettre icy quelques Vers qui serviront comme d’intermedes entres les rejoüissances qui ont esté faites à Versailles & celles qui ont esté faites à Paris.

Toute la Cour étant attentive sur la naissance de l’Enfant que Madame la Duchesse de Bourgogne devoit mettre au monde, Mr l’Abbé le Houx Poëte Latin, fit l’Epigramme que voici.

Omnis in hos partus oculos habet aula paratos.
Si mas, bella geret ; faciet, si fœmina, pacem.

Les Vers suivans sont du même Auteur.

MADRIGAL.

C’est un tendre bouton qui va bien-tôt éclorre,
Une petite fleur promettant un grand fruit ;
Mais un fruit, enfant d’une Aurore,
Qui meuri du Soleil, fera beaucoup de bruit.

Monseigneur le Duc de Bretagne étant venu au monde quelques jours aprés, Madame la Duchesse de Bourgogne étant accouchée d’un Prince, Mr l’Abbé le Houx fit les Vers suivans sur la Famille Royale.

Vivit avus, viventque patres, viventque nepotes,
Et nati natorum, & qui nascentur ab ipsis,
Innumerabilis heroum stirps undique fusa
Liliadum, ut domus hæc toto dominetur in orbe,
Et populos omnes tranquilla pace serenent.

Les Vers suivans sont de Mr Simart.

AU ROY,
Sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne.

Tu reçois aujourd’huy le nom de Bisayeul,
L’Histoire de nos Rois n’en marque pas un seul,
À qui le Ciel ait fait cette faveur extrême ;
D’un si rare bonheur je ne suis pas surpris,
Grand Roy de ta vertu suprême,
C’est la recompense & le prix.

À L’ESPAGNE,
Sur le même sujet.

Ne crains plus Espagne fidelle
De changer de destin & de perdre ton Roy,
Ne crains plus que la France au Trône le rappelle
Et qu’il t’abandonne pour elle :
Le Ciel s’est declaré pour toy.
***
Nos vœux sont exaucez, Adelaïde est mere,
Et la naissance d’un Heros
De la Seine & du Tage assure le repos,
Et confond la vaine chimere,
Qui sous les mêmes Loix (dans sa douleur amere)
Te menaçoit un jour de voir unir leurs flots.
***
À couvert aujourd’huy d’une crainte inutile,
Que peus-tu souhaiter noble & fiere Castille ?
Tout concourt à remplir ton attente & tes vœux,
Déja par plus d’une Conqueste
Philippe en Portugal à couronné sa teste
Des Lauriers que son bras moissonne sous tes yeux.
***
Dans un auguste Infant qui fera tes delices
Tu verras bien-tost les premices
D’une heureuse fecondité :
Et si pour quelque temps l’Amour ce de à la gloire,
C’est que du sein de la Victoire
Doit naistre ta felicité.

Mr de Percy, neveu de Mr Dupré, Envoyé Extraordinaire de France & d’Espagne à la Cour de Toscane, a fait l’ouvrage suivant.

SUR LA NAISSANCE
de Monseigneur le Duc de Bretagne.
MADRIGAL.

Auguste Rejetton du plus beau sang du monde,
Vous, qu’un jour on verra sur la terre & sur l’onde
Briller, & faire honneur au Trône des François,
Vous, qui rendez LOUIS le plus heureux des Rois,
Et qui lui faites voir ce que jamais en France,
Nul Roy n’a vû de son vivant,
Vivez, croissez aimable Enfant,
Et pour combler nostre esperance,
Imitez ce grand Roy dans ses faits glorieux ;
Puissiez-vous dans vingt ans accorder à ses vœux,
Le fruit d’un doux himen, & l’heureuse naissance
D’un Prince, tel que vous, digne de ses ayeux.

L’empressement que l’Auteur a eu de faire voir des premiers des fruits de sa veine sur la naissance d’un Prince souhaitté de toute la France, est cause qu’il ne s’est pas apperçû qu’il y a une fausse rime dans son Madrigal, mais ce temps de rejoüissances estant un temps de graces, j’ay crû lui devoir pardonner cette fausse rime en faveur de son zele.

Les trois pieces suivantes sont de Mr de Brill.

Nascere parve puer, dubios firmabis Iberos ;
Altera spes regni, pacis & omen ades.

MADRIGAL.

Le Ciel par ta naissance a rempli nos souhaits,
Tu combles par ton nom de gloire la Bretagne ;
Tu vas estre, Grand Duc, la seureté d’Espagne,
Le soûtien de la France, & le nœud de la Paix.

PRIERE POUR MONSEIGNEUR LE DUC DE BRETAGNE.

Toy qui fais fleurir en Espagne
Un Rejetton des Lys François !
Toy qui fis succeder les Bourbons aux Valais,
Et qui viens de donner un Duc à la Bretagne,
Grand-Dieu ! fais que ce Prince en tout suive tes Loix.
Qu’en tout ton esprit l’accompagne ?
Qu’il regne ! & des vertus faisant le noble choix,
Qu’il soit, comme LOUIS, le plus parfait des Rois.

[Réjouissances offertes à Paris par M. de Launay]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 47-51.

Mr de Launay régala aussi de plusieurs sortes de liqueurs ceux qui entrérent dans l’Hôtel de la Monnoye des Médailles ; de maniere que la multitude du peuple qui s’assembla pour boire & pour dancer, les grands & longs cris de vive le Roy, l’éclat du feu qu’il fit allumer, & les décharges du canon qu’il fit tirer, reveillerent les habitans du Quay des Théatins & tous ceux du Fauxbourg Saint Germain, qui n’avoient encore appris que confusément & sans aucune certitude, la nouvelle de la naissance du Prince, que le Ciel avoit accordé aux vœux du Roy. Tous ceux qui revenoient des Thuilleries, où cette naissance n’estoit pas confirmée, commencérent à la croire veritable, en voyant tant de réjoüissances, & allérent porter cette nouvelle dans tous les quartiers de la Ville. Elle fut annoncée en même-temps dans toute l’étenduë des lieux d’où l’on peut voir la Maison, vulgairement appellée la Samaritaine, que Mr le Febvre, Gouverneur de la Pompe de la Maison Royale de la Samaritaine fit illuminer de la maniere suivante : Il fit placer des lumieres sur toutes les fenestres & sur tous les balcons, il fit faire un grand feu devant sa porte, il fit carillonner toutes les cloches de la Samaritaine & fit sonner le tocsin. Il est aisé de juger que ceux qui passerent sur le Pont-neuf & qui furent témoins de ces réjoüissances, contribuérent aussi à l’épanchement de la grande nouvelle, que l’on venoit d’apprendre dans presque tous les quartiers de Paris. Pendant que toutes ces choses se passoient du côté de la Riviere, je dois vous dire en fidéle Historien, que Mr de Rouvieres, Apoticaire du Roy & des Camps & Armées de S.M. & connu par trois dispensations publiques de la Theriaque, qu’il a faite solemnellement ; ayant eu le bonheur d’apprendre le premier du quartier de la Porte S. Honoré, la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, fit allumer dans le même instant un grand feu, & illuminer toute la façade sa maison, avec une grande quantité de bougies ; & distribuer du vin à tous les passans, afin que cette nouvelle se répandît dans tout son quartier, où elle n’avoit pas encore esté publiée. Il donna un grand repas à plusieurs de ses amis, & l’on ne cessa qu’à minuit de boire la santé du Roy devant sa porte, où la foule des buveurs fut tres grande. Ces trois Mrs qui ont celebré les premiers à Paris la naissance du nouveau Prince, continuërent pendant cinq jours de suite à donner des marques de leur zele. Celles des deux premiers furent differentes. Mr de Launay remplit le second jour de bougies, toute la galerie des Medailles du Roy, ce qui produisit un tres-bel effet, à cause de la reflexion de ces lumieres qui se faisoit dans les glaces, dont il y a un grand nombre dans cette galerie ; ce qui la faisoit paroître toute brillante de lumieres, ou plûtôt toute en feu ; elle donna beaucoup de plaisir tant à ceux qui passoient sur le Quay des Theatins, qu’à ceux qui passoient le long de la ruë qui finit à celle de S. Honoré, d’où l’on voyoit aussi cette illumination, parce que cette gallerie est si heureusement située, qu’elle est vuë du Fauxbourg S. Germain & de la ruë S. Honoré.

[Réjouissances offertes à Paris par M. le Febvre]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 51-53.

Mr le Febvre fit le lendemain Jeudi, les mêmes illuminations qu’il avoit faites le jour precedent ; mais il rencherit de beaucoup le 27. sur tout ce qu’il avoit déja fait ; il fit illuminer tout le pourtour des plate-formes, & il fit remplir de lumieres les deux consoles qui sont à côté du Cadran ; il fit pareillement illuminer tout le balcon qui contient les cloches du carillon & la piramide qui est au-dessus, ainsi que les deux balcons des Chambres qui accompagnant le bassin qui jette de l’eau. Le lendemain pour diversifier l’illumination, il fit éclairer les fenestres, les balcons & tout le retour de la terrasse. Le Dimanche il fit illuminer comme il avoit fait le Vendredy ; & pendant tous ces cinq jours ; le carillon & le tocsin de la Samaritaine ne cesserent point de se faire entendre.

[Illuminations au séminaire de Saint-Magloire]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 53.

Le Jeudy 16. Messieurs du Seminaire de S. Magloire firent de grandes illuminations qui continuerent le 27. toute la face de leur Maison qui estoit illuminée & qui répond à celle de Meudon faisoit un effet merveilleux.

[Réjouissances offertes à Paris par M. de Breteüil]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 53-54.

Dès le jour de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, Mr de Breteüil, Conseiller d’Etat ordinaire, fit illuminer sa Maison, fit faire des feux devant la porte de son Hôtel & couler une fontaine de vin, ce qui a esté continué pendant plusieurs jours au bruit des violons, & des haut-bois & de plusieurs autres instrumens, qui n’ont pas moins attiré le peuple, que le vin qu’il a fait distribuer ; ce Peuple s’estant fait un extrême plaisir de chanter & de dancer au bruit de tant d’instrumens.

[Réjouissances à Paris]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 54-55.

Je ne finirois point si je voulois parler de ceux qui ont fait des illuminations, des feux & des distributions de vin pendant les deux jours qui ont precedé le Te Deum, quoy qu’ordinairement ces sortes de réjoüissances ne commencent que le jour que l’on rend graces à Dieu pour quelque grand & heureux évenement : on peut dire cependant, que personne n’a attendu à Paris les jours destinez pour marquer son zele, puisque les rejoüissances ont commencé dès le moment qu’on a crû avoir sujet d’en faire, & que tout Paris a esté illuminé pendant prés de huit jours de suite. J’entends que la feste a esté generale pendant tout ce temps-là, & je ne pretends pas parler des festes particulieres qu’ont faites pendant plus d’un mois les Corps de Metiers, les jours que leurs Communautez ont rendu graces à Dieu par les Te Deum, qu’elles ont fait chanter.

[Te Deum de M. Alouette chanté à Notre-Dame]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 64-67.

Mr des Granges porta aussi des Lettres de cachet au Parlement, à la Chambre des Comptes, à la Cour des Aydes, & à la Ville, afin qu’on se rendît à Nôtre-Dame pour le Te Deum, qui devoit estre chanté l’aprés-dînée du même jour.

Le même jour à 4. heures du matin, les boëtes & le canon avoient esté tirez. Sur les neuf heures du matin, Messieurs de Ville estant assemblez au Bureau, Mr des Granges y apporta la Lettre de cachet, dans laquelle il estoit marqué que le Te Deum, seroit chanté à trois heures de relevée. Tous les corps dont je viens de vous parler se rendirent à Nôtre-Dame, ou Monsieur le Chancelier se trouva à la teste du Conseil.

Sur les deux heures, le Colonel des Archers de Ville se rendit à la teste de ses trois cens Archers en Armes, à l’Hostel de Ville, au bruit de leurs Tambours, Trompettes & Hautbois. Lorsqu’ils y furent arrivez on posta des Gardes à toutes les portes, & dans tous les appartemens de cet Hostel. Sur les trois heures Mr le Prevost des Marchands & Mrs les Echevins, Procureur du Roy, Greffier & Receveurs en Robes de velours, & Mrs les Conseillers & Quartiniers de la Ville, en Robes de soye, accompagnez du Colonel & des Archers de Ville, Tambours, Trompettes & Hautbois, allerent à cheval à Nostre-Dame, où ils prirent leur place ordinaire.

Plusieurs Archevêques & Evêques qui se trouvoient alors à Paris pour les affaires de leurs Dioceses, s’y rendirent aussi. Ceux qui assisterent à ce Te Deum sont les Archevêques de Narbonne, de Roüen, de Toulouse, de Bourges & d’Aix, & les Evêques de Condom, d’Orange, de Soissons & quelques autres. Monsieur le Cardinal de Noailles officia à cette Ceremonie. Le Te Deum qui étoit de la composition de Mr de Laloüette Maistre de Musique de Nostre-Dame, fut chanté & fort applaudi. La Symphonie fut trouvée tres belle, & les Symphonistes étoient en grand nombre. Les 24 Violons du Roy joüerent à ce Te Deum, pendant lequel on tira les Boëtes & le Canon de la Ville, ainsi que celui de la Bastille.

[Réjouissances à l’Hôtel de Ville]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 67-75.

Le même jour sur les huit heures du soir toutes les Tables de l’Hôtel de Ville furent magnifiquement servies ; celle de Mr le Prevost des Marchands dans la grande Salle des Colonels & celles de Mrs les Echevins, Procureur du Roy, Greffier, Receveur, Conseiller & Quartiniers dans les differens appartemens qu’ils ont à l’Hôtel de Ville ; ces appartemens estoient tendus de Tapisseries aussi belles que riches, & on y avoit distribué plus de cinquante Lustres. On bût par tout à la santé du Roy, de Monseigneur & de Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Bretagne au bruit des Tambours, Trompettes, Hautbois & des vingt-quatre Violons. Les Compagnies de Messieurs de Ville, au nombre de plus de mille personnes ayant soupé, & ce qui devoit composer l’illumination de toutes les croisées & de tous les autres endroits de l’Hôtel de Ville ayant esté allumé, & les Boëtes & le Canon ayant tiré ; elles se placerent pour voir le Feu d’artifice. On avoit écrit au haut de la decoration de ce Feu.

VOTUM URBIS.

Pour exprimer les sentimens de cette joye & les vœux que la Ville fait pour la felicité du Prince, l’on s’étoit servi des quatre Vers suivans, tirez de Martial, ausquels l’on n’avoit changé que le premier, pour appliquer à Monseigneur le DUC DE BRETAGNE, ceux que ce Poëte avoit fait pour l’Empereur Domitien.

Nascere Borbonio sperata e sanguine proles,
Veba Deûm soboles, mascere magne puer,
Cui Pater æternas post sæcula tradat habenas.
Quique regas orbem cum seniore senex.
Digne Sang des Bourbons, nostre chere esperance.
Sous le plus grand des Rois viens affermir la France,
Et marchant sur les pas de ses nobles ayeux
Viens apprendre à loisir à gouverner comme eux

Au milieu de chacune des quatre Façades de la Decoration il y avoit un Cartouche : deux de ces Cartouches contenoient chacun un Emblême, & les deux autres chacun une Devise.

Celle qui regardoit l’Hôtel de Ville representoit l’Eternité qui presentoit au Roy, Monseigneur le Dauphin, Monseigneur le Duc de Bourgogne & Monseigneur le Duc de Bretagne qu’Elle tenoit entre ses bras, avec ces mots du Pseaume 113.

Filii eorum usque in sæculum sedebunt super sedem tuam.
Tes arrieres neveux regneront aprés toy.

Dans la Façade opposée l’on avoit representé les quatre parties du monde, offrant au Roy leurs hommages, & aux Princes qui environnent son Trône, avec ces mots du Pseaume 43.

Constitues eos principes super omnem terram.
Tu feras en tous lieux respecter leur Empire.

Dans la Façade qui regardoit la riviere l’on avoit peint pour Devise des rejettons d’Olivier, qui s’élevent autour de la tige dont ils sont sortis : c’est la comparaison qui est marquée dans le Pseaume 127. pour signifier cette heureuse fecondité dont Dieu recompense ceux qui le craignent. L’on ne pouvoit en choisir une plus digne pour exprimer le rare bonheur dont Dieu a recompensé les vertus de Loüis le Grand, en lui donnant un arriere Petit-fils, dans le plus haut point de sa gloire. L’on répondroit mal à ses sentimens, si l’on ne reconnoissoit pas avec lui l’Auteur d’une felicité si extraordinaire : c’est pourquoi l’on avoit choisi pour ame de cette Devise l’application que David en fait à l’endroit même d’où elle est tirée.

Sic benedicetur homo qui timet Dominum.
Le Ciel benit ainsi ceux qui suivent ses Loix.

Enfin, l’on avoit tâché de faire voir par une autre Devise, que l'on avoit peinte au milieu de la Façade opposée, qu'elles sont les esperances que la France doit concevoir du Prince que le Ciel vient de lui donner. L'on a tiré cette Devise de la même source que la precedente : c'est la comparaison que David fait du Juste avec un arbre planté le long du courant des eaux ; la nourriture qu'il y prend est un présage certain des fruits qu'il portera dans son temps. La France ne sçauroit pareillement se tromper, en se promettant de voir en la Personne de Monseigneur le Duc de Bretagne ; un Prince digne de ses illustres Ayeuls : c'est ce que signifie un jeune arbre planté sur le bord d'un ruisseau, avec ces paroles du premier Pseaume.

Fructum dabit in tempore suo.
Il produit en son temps des fruits dignes de lui.

L'on a coûtume dans les Fêtes que l'on fait pour la naissance des Princes, d'exposer les Tableaux de leurs Ancêtres, & de leurs plus proches parens. Pour ne pas s'éloigner de cet usage, l'on avoit peint dans l'une des Façades les Portraits d'Henry IV. & de Louis XIII. Dans la seconde, celui du Roy & de Monseigneur. Dans la troisiéme celui de Monseigneur le Duc de Bourgogne & de Monseigneur le Duc de Bretagne. Dans la quatriéme celui du Roy d’Espagne & de Monseigneur le Duc de Berry.

À peine ce Feu eut-il cessé de tirer que le Bal fut ouvert en plusieurs endroits & dans tous les appartemens de l’Hôtel de Ville, où beaucoup de personnes de la plus haute distinction se trouverent & dancerent ; ce qui dura jusqu’à trois ou quatre heures du matin, que les vingt-quatre Violons du Roy, les Tambours, Trompettes & Hautbois cesserent de joüer. Le tout se passa avec la tranquillité que l’on devoit attendre des bons ordres que Messieurs les Prevost des Marchands & Echevins avoient donnez. Le même soir toutes les maisons de la Ville & des Fauxbourgs furent illuminées ; & des feux de joye furent faits devant toutes les portes ; il y eut même des tables dressées en plusieurs endroits pour les passans, à qui l’on fit boire la santé du Roy & des Princes ; de maniere que toutes les ruës retentirent des acclamations publiques.

Le Samedy au soir, Messieurs de Ville donnerent au public le plaisir de faire joüer les 24. Violons du Roy dans les Thuilleries.

[Te Deum chez les Augustins du Grand couvent]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 81-83.

Le même jour 27. les Augustins du Grand Convent se distinguerent par des feux & des illuminations qui durerent pendant cinq jours, & par le vin que le Prieur fit distribuer au Peuple en abondance ; le Dimanche suivant 29. ils chanterent un Te Deum au son de leurs cloches & au bruit d’une triple décharge de plusieurs Boëtes. Ils firent le soir tirer beaucoup d’artifice, aprés de pareilles décharges de Boëtes ; les Fenestres de leurs Chambres & la face de leur Bâtiment étoient éclairées par un fort grand nombre de bougies. Ils se sentirent d’autant plus animez à faire ces réjouissances, que leur Maison est de fondation Royale, leur ayant esté donnée en 1293. par le Roy Philippes le Bel, & qu’outre les Assemblées du Clergé qui se tiennent ordinairement chez eux, une grande partie des plus-belles & des plus nobles Ceremonies s’y fait encore : que le Roy Henry III. y créa en 1578. & fixa à perpetuité l’Ordre des Chevaliers du S. Esprit qu’Henry IV. marqua leur Eglise en 1594. pour le lieu de la Procession de toutes les Cours, Paroisses & Communautez Religieuses de la Ville : & qu’enfin le Roy honora cette même Maison de sa presence en 1662. & y fit la seule promotion des Chevaliers de l’Ordre qu’il ait fait jusqu’à present à Paris. Ce qui fait que ces Peres ont esté ravis de donner des marques publiques de leur reconnoissance & de leur attachement pour la Personne de Sa Majesté & de toute la famille Royale.

[Au collège Louis-le-Grand]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 84-85.

Les Jesuites qui sont toûjours prêts à donner des marques de leur zele, lorsqu’il s’agit de la gloire & du bonheur de la France, firent le 26. le 27. & le 28. de grandes réjoüissances dans leur College de Loüis le Grand. Toutes les quatre faces de leur cour furent illuminées ; on tira beaucoup de fusées volantes, & d’autres artifices au bruit des timballes, des haut-bois & des Trompettes. L’illumination dura, chaque jour, depuis huit heures jusqu’à minuit. Les hommes & les femmes eurent la liberté d’entrer dans leur cour, dont les portes qui donnent dans l’interieur de leur Maison, estoient fermées. Ces réjoüissances, quoi que grandes, ne suffisoient pas pour remplir l’ardeur de leur zele, qui leur fit prendre le dessein de donner une feste plus grande & plus reguliere, que vous trouverez dans la suite de cette relation.

[Au monastères des Feuillants de la rue Saint-Honoré]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 87-91.

Les PP. Fueillans du Monastere Royal, de la ruë S. Honoré, aprés avoir fait des feux ordinaires dans leur cour les soirs du 26. 27. & 28. de Juin, ainsi que l’on en faisoit dans toute la Ville ; voulant rendre graces à Dieu de l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, & joindre leurs Prieres à la joye du Peuple, choisirent pour cet effet le Dimanche 29. du même mois.

Ils annoncerent leur feste, le matin, par une décharge d’artillerie, & aprés midi, par le son de leurs cloches qui carillonnerent jusqu’à minuit, l’Eglise estoit ornée de belles Tapisserie, & l’Autel richement paré. Ces Religieux se rendirent à l’issuë de Vêpres, en Procession dans la Nef de leur Eglise, où leur Pere General revestu, avec ses Officiers, des magnifiques Ornemens qui leur ont été donnez par le Roy, entonna le Te Deum, qui fut chanté solemnellement avec les Prieres ordinaires, pour Sa Majesté, & pour la Famille Royale. Cette Ceremonie fut precedée & suivie par des décharges d’artillerie.

Le soir sur les 7. heures, les trompettes & les timbales placées sur un balcon dans le Chœur de ces Peres, se firent entendre ; les haut-bois qui estoient sur un autre balcon, continuërent : on battit ensuite les tambours avec lesquels les trompettes & haut-bois se firent entendre alternativement ; ce qui dura fort long-temps, durant lequel il y avoit en un endroit de la cour, une fontaine qui jetta du vin pendant deux heures, & dans un autre endroit auprés, on distribua du pain à tous venants.

Il y avoit au milieu de la cour, un échafaut, élevé de deux pieds & demi de terre, d’environ douze pieds en carré, sur lequel on avoit dressé un grand bucher de 15 pieds de haut. Sur les 9. heures du soir, les Religieux vinrent en Procession, chantans l’Exaudiat au tour du bucher : là leur General revestu, ainsi que ses Officiers, des mêmes Ornemens qui avoient servi au Te Deum, chanta les Oraisons pour le Roy, benît l’encens & le bucher & y mit le feu, le bruit de l’artillerie preceda, & suivit encore cette Ceremonie.

Lorsque le grand feu fut un peu éteint, on vit paroître sur le second & troisiéme ordre d’architecture du Portail de l’Eglise, qui est un des plus beaux de Paris, une tres grande & tres-belle illumination ; il y en avoit une autre des deux costez de la Porte de la ruë, & le haut du clocher parût comme un grand globe de feu.

Il y eut encore deux décharges d’artillerie & quantité de fusées volantes.

Le concours du Peuple y fut prodigieux, & l’air retentissoit à tous momens des cris de vive le Roy, la fontaine de vin ayant cessé de couler un peu trop-tôt, les Religieux y suppleérent par une distribution de plusieurs brocs de vin, ce qui dura jusqu’à minuit.

[Au couvent des chanoines réguliers de l’abbaye de Sainte-Geneviève]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 91-93.

Les Chanoines Reguliers de l’Abbaye de Sainte Geneviéve choisirent pour rendre graces à Dieu de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, avec plus de solemnité, le 29. Juin, jour de la feste des Saints Apôtres S. Pierre & S. Paul, premiers Patrons de leur Eglise. Ils chanterent le Te Deum sur les quatre heures aprés midi, le plus solemnellement qu’il leur fut possible. L’Abbé de Sainte Geneviéve y Officia Pontificalement ; on carillonna sur toutes les cloches devant & aprés la Ceremonie, jusque fort avant dans la nuit : comme ils avoient résolu de faire ce jour-là une aumône extraordinaire, pour attirer, par cette bonne œuvre, les benedictions du Ciel sur la Famille Royale, & que les Pauvres des environs en avoient esté avertis, il s’en presenta un tres grand nombre, ausquels on distribua, jusqu’au soir, une assez grosse somme d’argent. Sur les neuf heures, ils firent allumer un grand feu dans le Parvis de leur Eglise, & en même temps leur clocher parut tout en feu, comme il est le plus haut de Paris ; l’illumination qui dura toute la nuit, fut apperçûë de toute la Ville, & de plus de quatre lieuës aux environs.

[Au couvent des augustins déchaussés]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 93-96.

Les Augustins Déchaussez, estant d’autant plus sensibles à ce qui regarde la Maison Royale, qu’ils ont l’honneur d’avoir le Roy Loüis XIII. pour leur Fondateur ; ont crû devoir donner d’une maniere distinguée des marques éclatantes de la part qu’ils prenoient à la joye publique. Ils choisirent pour cela le 29. Juin, Feste de Saint Pierre, & ce jour-là fut entierement consacré à cette solemnité. Aprés avoir rendu graces à Dieu, le matin par une Messe solemnelle accompagnée de tout le majestueux appareil que permettent les Ceremonies Romaines ; le soir à l’issuë du Salut, ils chanterent le Te Deum, au son des cloches & des tambours, qui fut suivi d’une salve de cinquante boëtes. Leur Autel estoit éclairé de plus de deux cens Cierges rangez sans aucune confusion & qui faisoient un tres brillant effet. À peine la nuit eut elle commencée que la façade de leur cour se trouva illuminée d’une si prodigieuse quantité de bougies & lamprons qu’elle parût toute feu ; elles-estoient placées dans un ordre si singulier que cette illumination fut admirée de tous les spectateurs. Il y avoit dans cette cour un grand feu de bois fort élevé, au tour duquel ces Religieux, au nombre de cent, se rendirent processionnellement ; ils l’allumerent en chantant l’Exaudiat, au bruit des tambours, au carillon des cloches, & aux acclamations d’un nombre presque infini de peuple dont leur cour & leur carefour estoient remplis pendant que les cinquante boëtes rangées dans leur jardin annoncerent de nouveau la joye de ces Peres aux quartiers les plus éloignez. Les quatre faces de bâtiment qui composent le quarré de leur Convent se trouverent en même-temps, entierement éclairées par plusieurs lumieres mises à toutes leurs fenestres. Ils tirerent durant plus d’une heure, un nombre considerable de fusées volantes, dont plusieurs furent trouvées d’une grosseur & d’une beauté toute extraordinaire, elles furent entremêlées de quantité d’autres artifices. La feste se passa sans confusion ; l’illumination attira un nombre incroyable de Personnes de tous états qui ne se retirerent qu’à minuit, pour laisser ces Religieux en liberté d’aller chanter leurs Matines.

[À Saint-Louis-en-l’Isle]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 96-97.

Le même jour 29. on chanta dans l’Eglise de Saint Loüis de l’Isle, un Salut, où le S. Sacrement fut exposé ; le Te Deum, y fut chanté en action de graces de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, & l’Exaudiat, pour la conservation du Roy, & la prosperité des Armes de S.M. L’Eglise estoit magnifiquement ornée & toute brillante de lumieres ; la Ceremonie se termina par un beau feu, & tout le clocher fut illuminé, & cette illumination dura toute la nuit.

[Au couvent des Chartreux]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 97-98.

Les Chartreux avoient chanté le même jour un Te Deum, avant leur Grande Messe, ils firent le soir un tres beau feu, la portion fut doublée ce jour-là aux Religieux, & ils eurent permission d’aller par extraordinaire dans leur Spatiement, qui est un lieu où ils vont ordinairement promener à certains jours de la Semaine.

[Par les bourgeois de la rue Saint-Jacques]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 101-102.

Les Bourgeois de la ruë S. Jacques ont esté des premiers & des plus empressez à donner des marques de leur joye ; ce qu’ils ont fait pendant trois jours, avec autant de vivacité que d’éclat. Toute leur ruë estoit illuminée par des lustres, & des girandoles remplies de bougies, & par quantité d’autres lumieres : ils avoient fait élever une figure chargée de quantité de bouteilles de vins & de liqueurs, qui par le moyen de quelques ressorts en distribua à tous les passans. Ce qui fut accompagné de symphonie, de violons, de hautbois & bassons. Ils avoient fait faire beaucoup d’inscriptions & de devises, dont la principale representoit un grand Soleil avec ces mots,

Sub hoc nova plurima sole.

On voit sous ce Soleil mille choses nouvelles.

Ils chanterent plusieurs chansons à la gloire du Roy, dont ils avoient fait faire les paroles & les airs. Mr Leonard, Libraire, se distingua dans cette occasion par une tres-belle illumination.

[Au collège d’Harcourt]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 103-108.

Le College d’Harcourt à esté un des premiers de l’Université qui ait fait paroitre sa joye dans cette occasion, Mr le Marquis de Chamillart, Pensionnaire dans ce College, y fit venir 60. boëtes, avec plusieurs barils de poudre.

Le Lundy 30. Juin, l’illumination qui se devoit faire le soir, fut annoncée par une décharge de ces boëtes ; elle fut réïterée sur le midy : & à cinq heures le Te Deum, fut chanté à la teste d’un nombreux Clergé, où plusieurs Personnes de qualité, Pensionnaires dans ce College, porterent le Surplis. On fit une troisiéme décharge, pendant le Te Deum, & Mr le Proviseur de ce College ayant mis le feu à un bucher, dressé au milieu de la cour ; toutes les fenestres parurent illuminées en même temps ; ce qui fit un tres beau spectacle ; & sur tout l’appartement de Mr le Marquis de Chamillart attira aussitôt les yeux de toute l’Assemblée : Il estoit orné de quatre grands Tableaux, remplis de devises faites exprés pour le Roy, pour Monseigneur, pour Monseigneur le Duc de Bourgogne, & pour Monseigneur le Duc de Bretagne. Dans le premier estoit representé un Soleil avec les Armes de France, entourées de ces mots,

Vel Solo lumine terret.

Dans le deuxiéme, les Armes de Monseigneur, avec une Etoile au dessous d’un Soleil, & ces paroles,

Solis Ignibus ardet.

Les Armes de Bourgogne estoient peintes dans le troisiéme, & on y avoit representé un fusil qui tuë le gibier auparavant que la flame paroisse.

Ante ferit quam flamma micet.

Ce qui convient parfaitement bien à ce Prince, puisqu’à peine a t’il paru devant Brizac que cette Ville s’est renduë.

Et dans le quatriéme, les Armes de Bretagne paroissoient avec un Aiglon naissant, qui voloit aprés un Aigle qui regardoit le Soleil, autour desquels on lisoit,

Jam votis sequitur patrem, &c.

Il y avoit trois échafauts dans la cour du College ; les Pensionnaires estoient sur celuy du milieu, afin de n’estre point mêlez avec la foule du peuple, qui court ordinairement à ces sortes de spectacles. Les échafauts qui estoient des deux côtez estoient remplis de Hautbois, de Violons, de Timballes & de Trompettes.

Mrs les Professeurs de ce grand College firent paroître leur esprit & leur zele, ayant fait quantité de devises & d’inscriptions à l’honneur du nouveau Prince, que les lumieres faisoient briller de tous côtez ; celle qui suit reçût beaucoup d’applaudissement, elle est de Mr des Authieux, Regent de la troisiéme Classe.

Parvulus enim natus est nobis.
Pater futuri sæculi, Princeps pacis.
C’est un Prince du Paix que le Ciel nous envoye,
Le pur Sang de LOUIS le grand ;
On le verra comme luy conquerant,
Il fait déja du Peuple & l’amour & la joye.

L’attention des spectateurs fut reveillée par quantité d’artifices qu’on tira du clocher du College, dont les Pensionnaires l’avoient fait remplir. Cet Artifice divertit beaucoup ; la feste se termina par une décharge de boëtes, aprés quoy l’assemblée se separa à plus de deux heures aprés minuit.

[Par les bourgeois du Cul-de-Sac de l’Opéra]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 110-113.

Les Bourgeois du Cul-de-sac de l’Opera firent dresser dans leur Cul-de-sac un Treillage en forme de Portique sur lequel ils firent attacher beaucoup de Lamprons, d’où l’on vit sortir quelques fusées volantes ; quoique cette Fête fût considerable pour les Bourgeois qui l’ont fait faire, elle ne l’étoit pas pour Mr de Francine, à qui quelques gens ont malicieusement voulu l’attribuer ; si elle avoit esté de lui, il auroit donné l’Opera gratis le jour même, ainsi qu’à toûjours fait Mr de Lully dans les grands évenemens, & de même que les Comediens ont fait, aussi-tôt qu’ils ont appris la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, ce qu’ils ont accompagné de grandes illuminations, & de tout ce que l’on pouvoit attendre d’eux ; au lieu que dans la Feste du Cul-de-sac de l’Opera, attribuée à Mr de Francine, il n’y avoit rien de ce que l’on devoit attendre de lui, & l’on est persuadé qu’un homme qui aime autant la belle depense & qui se distingue par-là, n’auroit rien épargné pour ce qui regarde la gloire du Roy & de l’Etat. Il est à croire qu’il a pris du temps pour se preparer à quelque chose de grand, & qu’il veut estre des derniers à donner des marques de sa joye, afin que l’idée de sa magnificence ne soit point effacée dans le public par les grandes Fêtes qui auroient pû suivre la sienne. J’ay crû lui devoir rendre cette justice, afin de détruire les bruits que les mal intentionnez pour lui ont fait courir, en disant qu’un homme qui a tiré de si grandes sommes de l’Opera par le privilege qu’il a plû au Roy de lui accorder, n’a marqué sa reconnoissance que par une bagatelle beaucoup au dessous des Festes qui ont esté faites par de simples Marchands.

[Chez le marquis de Dangeau à Versailles]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 114-115.

Mr le Marquis de Dangeau a donné également des marques de sa joye à Versailles & à Paris. Il fit non-seulement éclairer dedans & dehors l’Hôtel qu’il a à la Place Royale, mais il fit aussi illuminer la figure Equestre qui est au milieu de la même Place : il donna un somptueux repas, pendant lequel les 24 Violons se firent entendre ; il fit tirer de l’artifice pendant toute la soirée, & comme le bruit de cette Feste avoit attiré beaucoup de monde, & que la Place Royale étoit remplie de Carosses, Mr le Marquis de Dangeau envoya des liqueurs & des rafraichissement à tous ceux qui étoient dans ces Carosses, & qui rouloient dans la Place.

[Chez M; de Courcelles]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 115.

Mr de Courcelles, Gentilhomme servant de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui loge dans l’Isle Nostre-Dame, se distingua aussi beaucoup ; il fit tirer un feu d’artifice sur l’eau, au bruit de plusieurs instrumens guerriers & d’une Symphonie plus douce, qui se firent entendre tour à tour. La situation du lieu rendit cette Feste des plus agreables, où les lumieres & le vin ne manquerent point.

[Par la confrérie de Notre-Dame]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 115-116.

Pendant que les uns buvoient à la santé de la famille Royale, les autres faisoient des Prieres au Ciel pour cette auguste famille : La Confrerie de Nostre-Dame de bonne delivrance fit chanter un Te Deum dans l’Eglise de S. Estienne des Grecs avec beaucoup de magnificence, & une grande Musique.

Les Barnabites dont je vous ay déja parlé, & qui avoient des premiers fait éclater leur joye, en firent aussi chanter un avec beaucoup de solemnité.

[Par M. Mansart]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 116-130.

Je passe au détail d’une Feste dont la Relation est generalement attenduë. Je m’étois proposé d’en faire la description, & je me faisois un plaisir de travailler sur cette matiere ; mais avant trouvé une Lettre toute faite, qu’un plus habile homme que moi, & qui entend mieux cette matiere, écrivoit à un de ses amis à Bruxelles, je l’ay prié de m’en donner une copie, il a bien voulu me faire ce plaisir. Voici cette Lettre.

Il suffiroit, Monsieur, de vous mander que Monsieur Mansart a donné une Feste au public, au sujet de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, pour que vous fussiez persuadé que cette Feste a esté des plus galantes, des mieux ordonnées & des plus magnifiques. Vous connoissez assez son zele pour le Roy & l’empressement qu’il a de le marquer en toutes choses, pour croire qu’il n’a manqué à rien, en cette occasion, pour se distinguer entre tous les Sujets de Sa Majesté, qui ont donné des marques de leur joye pour un si heureux évenement. Mr Mansart fit le projet de cette Feste le Lundy 30. du mois de Juin, & en fixa le jour au Mercredy 2. Juillet ; vous sçavez qu’il n’est pas moins vif à faire executer ses projets, que son imagination est prompte à les lui fournir ; & quoiqu’on eust eu peu de temps pour s’y préparer, tout ne laissa pas de réüssir selon ses intentions, & de maniere que tous ceux qui ont vû cette Feste, sont convenus que le goût & l’ordonnance ont surpassé la dépense, quoiqu’assez considerable. Ce qui m’a fait croire que vous ne serez pas fâché de voir la relation que je vous envoye.

Vous connoissez la situation de sa maison, dont l’aspect du costé du rempart est tres-beau, l’étenduë de son jardin qui est borné par le rempart, & le grand Bastion qui se trouve en face de cette maison (c’est de ce coste que cette charmante Feste a esté disposée.)

La façade qui est tres-ornée d’Architecture, estoit illuminée depuis le haut du comble jusqu’au bas avec des lamprons de fer-blanc, attachez sur des tringles de bois qui marquoient toute la decoration d’Architecture, en sorte qu’il n’y avoit point de corps, d’arriere corps, de refends, de membres de corniches, & de frontons qui ne fussent marquez, & dessinez tres regulierement par les lumieres. Le Balcon soûtenu de Colonnes qui regne le long de cette face, étoit pareillement illuminé, & il y avoit six Lustres de cristal à douze bougies chacun, qui pendoient dans le milieu de chaque intervalle de colonnes ; les appartemens du dedans de la maison estoient remplis d’une infinité de bougies dans des Lustres, dans des Girandolles, dans des flambeaux d’argent, & dans des bras dorez, & on avoit mis au milieu de chaque croisée de la façade illuminée, un gueridon de bois doré, & dessus une girandolle de cristal garnie de bougies qui remplissoient le vuide des croisées, & faisoient un tres-bel effet avec le reste de l’illumination.

Le jardin étoit garni de grosses terrines espacées également sur le haut de tous les murs qui le renferment. Le fonds opposé à la face de la maison avoit son illumination particuliere. La niche du milieu dans laquelle est la Statuë en pied de Sa Majesté, étoit decorée de lamprons qui marquoient les pilastres, les consoles aux costez, le chambranle, & les principaux membres de la corniche en fronton, qui couronnent cette niche. Le piedestal de la Statuë étoit garni de lumieres qui en marquoient la corniche, la base & les tables. Au dessus de la teste du Roy, dans le milieu de la niche, pendoit un Lustre de cristal à douze bougies dont le dessus formoit une couronne. Les treillages, & cabinets de verdure aux deux costez de la niche qui forment la decoration de ce fonds, estoient pareillement illuminez de lamprons qui formoient des pilastres à tous les corps, des chambranles autour des arcades des cabinets, & qui marquoient-une corniche qui couronnoit tout ce fonds. Au milieu de chaque porte des cabinets pendoit un Lustre de cristal à huit bougies ; & les allées du jardin & le tour du bassin étoient garnis de grosses terrines espacées entre les vases à fleurs qui le decorent. Le grand nombre de Dames parées qui remplissoient le jardin, en augmentoit le brillant ; les unes se promenoient, les autres assises par troupes sur des sieges qu’on y avoit mis exprés, consideroient la disposition de la Feste, & écoutoient les Concerts de Musique, en sorte que cela paroissoit plustot un Sallon decoré qu’un jardin, & servoit d’un aspect agréable à ceux qui étoient dans le dedans de la maison.

Toute cette illumination étoit soûtenuë & terminée par une autre tres-magnifique qui estoit en dehors sur le rempart, joignant le mur qui borne le jardin. Vous sçavez que ce jardin est beaucoup plus bas que le rempart, & que le mur du bout par le costé dudit rempart n’a que six pieds de haut. Tout ce mur étoit peint en dehors d’une decoration de marbre ornée de corps, de tables & de pilastres, & couronné d’une corniche ; sur l’avant corps du milieu estoient les Armes du Roy, soûtenues par deux Anges, & sur tous les pilastres estoient des vases couplez. Toute la corniche du haut de ce mur estoit garnie de terrines, de feux d’artifices & de lances à feu. Sur le haut des vases estoient de grosses lumieres qui formoient des especes de torcheres. À chaque bout de cette decoration estoit un morceau d’Architecture de trois colonnes posées sur un piédestal triangulaire par son plan. Ces colonnes portoient une architrave, frise & corniche formant le même plan ; & au dessus estoit une piramide de quinze pieds de haut, sur l’amortissement de laquelle estoit un vase jettant une grande flamme. Ces deux morceaux d’Architecture estoient placez de maniere que toute l’illumination de la maison paroissoit entre deux. Les colonnes, les corniches, & les piédestaux estoient peints en marbre, & estoient illuminez aussi-bien que les piramides d’une tres-grande quantité de lamprons & de terrines, marquant l’Architecture, & même la forme des colonnes torses. Sous le plafonds de ces trois colonnes pendoit une fleur de lis à jour, & à trois faces, remplie de lumieres qui formoient une maniere de Lustre, & au bas entre les bases estoit une estoille illuminée. Il n’y avoit point de plus beau coup d’œil ny mieux entendu que celui que le tout ensemble offroit, tant du costé du rampart que du dedans de la maison. Sous les piédestaux qui portoient ces colonnes, estoient des pieces de vin qui couloient continuellement par des robinets faits exprés.

Sur le milieu du bastion, en face de la maison, estoit un parc de quinze toises en quarré, renfermé d’une barriere, où estoit arrangé tout l’artifice qui composoit le feu. Au tour de ce parc & le long des faces du bastion on avoit rangé deux cens boëtes qui devoient tirer avant le feu. Voila nostre disposition, qui je croy, vous plaira tres-fort, comme elle a plû à tout le monde. Le lieu estant grand & spacieux pour les spectateurs ; car vous connoissez la grandeur du bastion qui est en face de cette maison, & les avenuës du rempart qui y aboutissent ; aussi ce lieu estoit-il rempli de plus de deux mille Carosses, & d’un peuple infini ; tout estoit plein jusques dans les maisons du Fauxbourg qui sont vis-à-vis, cependant il n’y a pas eu le moindre desordre, à cause de l’étenduë de la Place, & des differens Corps de gardes qui estoient disposez par tout, pour conserver l’ordre & la tranquillité.

La Feste commença par les Trompettes & les Timballes qui estoient placez sur un des balcons de l’appartement de Mr Mansart, ausquelles repondoient des Hautbois qui estoient dans l’autre balcon à costé, & qui se faisoient entendre à tous les spectateurs qui estoient sur le rempart. Mr Philidor conduisoit cette Musique qui estoit composée de tout ce que le Roy a de meilleur. En bas dans le jardin, estoit un Chœur de vingt instrumens de l’Opera, qui joüoient dans les temps que ceux des balcons se reposoient, & se mesloient quelques fois avec eux. L’illumination commença à huit heures & demie, & quoiqu’il y eust plus de dix mille lamprons & terrines, elle ne fut pas une demie heure à allumer. Il y avoit une nombreuse compagnie dans la maison, qui avoit esté priée à souper. On y servit deux tables de 20. couvers chacune, qui avoient esté preparées dans le grand sallon de l’appartement bas, au rés de chaussée du jardin.

Pendant le souper les instrumens joüerent, & l’on avoit ordonné à ceux qui gardoient de laisser entrer toutes les personnes de distinction ; & comme la Salle où l’on mangeoit servoit de passage au jardin, on voyoit une foule continuelle de gens qui passoient entre les deux tables pour aller au jardin, & d’autres qui montoient dans les appartemens qui estoient ouverts ; de maniere que la maison estoit pleine sans confusion, y ayant une bonne Garde à la porte, & des Suisses à toutes les portes des appartemens, pour empêcher le menu peuple d’entrer.

À l’issuë du souper, on donna le signal à ceux qui devoient tirer pour le feu ; il fut precedé de 200 boëtes & de 60 fusées volantes toutes tres-belles. L’artifice dura prés d’une heure & fit des effets admirables & tres-singuliers, à cause de la quantité de pots & de balons de feu, & de grosses fusées qui remplissoient l’air & faisoient un combat continuel.

Le feu estant achevé de tirer, on commença le Bal dans la maison, qui dura jusqu’à trois heures du matin, & pendant lequel on servit une collation magnifique, & des rafraîchissemens à tous ceux qui entrerent.

J’oubliois de vous dire que dans la basse-cour, l’on avoit fait un hangard, où l’on avoit servi deux tables, où plus de quatre-vingt personnes mangerent, & qu’on y avoit defoncé six pieces de vin qui servirent à desalterer ceux que le feu de l’illumination avoit trop échauffez. Je suis persuadé que vous serez tres-content de cette Feste qui a esté aussi magnifique que galante, & qui a fait un honneur infini à Mr Mansart.

[Chez M. Lhuillier]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 130-136.

Je vous ay parlé de la premiere Feste de Mr Lhuillier ; il donna la seconde le 5. de Juillet. La construction de sa Maison située au milieu de la Place de Louis le Grand, à main gauche en entrant par la ruë Saint Honoré, fournit une disposition avantageuse pour une illumination magnifique ; elle a quatre étages dont chacun à huit croisées ; l’avant-corps du milieu est orné de huit colonnes d’ordre Corinthien, avec les plaintes, les frises, les architraves, les corniches, & l’entablement surmonté d’un fronton, sur lequel sont couchées deux figures, à droite & à gauche, qui representent & embrassent les armes de Sa Majesté qui sont dans le fronton.

Cette ordonnance & cette Architecture estoient suivies & marquées en illumination depuis le bas jusqu’au haut, dans toute leur étenduë, & faisoient un effet qu’on ne peut décrire. Un Soleil rayonnant au dessus de ce fronton brilloit avec plus d’éclat encore, & paroissoit tourner dans sa Sphere, tantost en s’éloignant, tantost en s’approchant de l’horison. Toutes ces lumieres se répandoient dans la place où elles sembloient rappeller le jour, & faisoient voir distinctement la Statuë Equestre de Sa Majesté, qu’on y a élevée en bronze sur un piédestal de marbre blanc.

La porte de la maison ayant esté ouverte, laissa voir la cour éclairée d’une infinité de flambeaux ; la grille qui separe le jardin étoit imitée en illumination, & du milieu il s’élevoit une piramide de lumieres, qui portoit une face de Soleil.

Pendant que le public étoit occupé avec admiration par ce spectacle pompeux, que le vin & d’autres rafraîchissemens se distribuoient dans la Place, aux fanfares des Trompettes ; une Assemblée nombreuse de personnes de la premiere qualité estoit divertie par des Violons & des Hautbois dans les appartemens de la maison, éclairez de quantité de lustres, dont les lumieres se communiquoient à la Place & se joignoient en perspective, à l’illumination du dehors.

Cette Assemblée se partageoit sans affectation & sans contrainte entre la danse & la conversation dont la grandeur du Roy, la suite de la Maison Royale, l’état du Heros naissant & le bonheur de la Monarchie, fournissoient un sujet inépuisable, & interessant.

Une collation aussi galante que magnifique étoit dressée au pourtour d’une des principales pieces du logis, sur des tables & sur des gradins entre-mêlez d’Orangers ; les gradins étoient garnis de jattes de porcelaines remplies de toutes sortes de fruits & de corbeilles d’argent chargées de confitures les plus exquises ; les tables étoient couvertes de soucoupes, de caraffes & de toutes les liqueurs & de toutes les glaces qu’on peut s’imaginer ; ces tables & ces gradins étant ornez de girandoles & de fleurs dans les intervalles ; en sorte que tout cet arrangement, dans une symmetrie reguliere, formoit une superbe décoration pour la vûë, tandis qu’il offroit au goût de quoi se satisfaire.

Chacun alloit choisir ce qui étoit du sien, & n’avoit qu’à passer d’une chambre dans une autre, pour partager tour à tour ces plaisirs differens ; les Cavaliers détachoient les fleurs des Orangers, & les semoient aux pieds des Dames qu’ils se faisoient un merite de servir à l’envy.

On ne s’étoit point attendu à un feu d’artifice ; il n’y en avoit point de dressé dans la Place ; on en vit partir tout à coup une aussi grande quantité de fusées volantes, de saucissons, de lances & de pots à feu, que s’ils étoient sortis de terre ; en sorte que la surprise en augmenta le plaisir ; le bruit des Timballes & Trompettes se joignit à celuy de l’artifice pour terminer cette galante Feste.

[Aux capucins de la rue Saint-Honoré]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 136-146.

Les Communautez les plus regulieres n’ont rien oubliées de ce qui peut faire éclater leur zele pour la gloire d’un Monarque, qui les honore de sa bienveillance & de sa protection ; les Capucins entr’autres ont fait plus qu’on ne devoit attendre d’eux. Mais l’affection & l’estime des Peuples leur est une ressource dans les occasions, où ils trouvent ce qui leur manque d’ailleurs. Ils ont fait des feux & des illuminations dans toutes leurs Maisons & sur tout dans leur premier Convent situé dans la ruë S. Honoré. Il s’y est fait une Feste dont le détail vous fera plaisir. Voicy comment elle s’est passée.

Le Mardi 1. Juillet une Compagnie des Gardes Suisses, & une Compagnie des Archers du Guet, furent postées aux avenuës du Convent pour empêcher le desordre. Sur les huit heures du soir la Cour fut illuminée dedans & dehors, par deux cens fanaux, qui firent découvrir un édifice, dont la face estoit composée de six grands Pilastres, d’ordre Corinthien, qui imitoient le marbre jaspé, sur un arriere-corps de marbre noir & blanc ; les chapiteaux & les ambases étoient dorez ; les piédestaux, les corniches, les frises, & les architraves, estoient surmontez d’une balustrade de deux pieds de haut, le tout paroissant d’un tres-beau marbre ; Les six Pilastres accouplez partageoient deux grandes niches, formées de matiere diaphane, éclairées par derriere & ornées chacune de trois festons avec leurs pendans, dorez & posez en guirlande. Sur cet édifice, à la partie superieure, paroissoit la figure du Roy sous un Dais assez riche accompagné de quatre grands écussons remplis de dévises, sçavoir. De France, Dauphiné, Bourgogne, & Bretagne. Qui marquoient les quatre generations. À la droite de S. M. paroissoit un Ange qui descendoit du Ciel, & tenoit entre ses mains le jeune Prince qu’il presentoit à la France, en disant ces paroles.

Ecce sic benedicetur Homo qui timet Dominum.

C’est ainsi que sera comblé de benedictions l’homme qui craint le Seigneur.

Videbit semen longævum.

Il verra une longue posterité.

On voyoit à la gauche du Roy, la France à genoux tournée de son costé, les yeux au Ciel, étendant les bras pour recevoir l’Enfant, & qui rendoit à Dieu des actions de graces.

Desiderium cordis ejus, tribuisti ei Domine.

Je vous remercie grand Dieu qui avez rempli le desir de son cœur.

Au milieu estoit placée l’Eglise, la Croix à la main, donnant au Prince nouveau né des benedictions.

Benedicat tibi Dominus ex Sion ; Videas bona Jerusalem omnibus diebus vitæ tuæ ; Et Videas filios filiorum tuorum, pacem super Israel ?

Que le Seigneur vous benisse, de la Sainte Sion, Royal Enfant ? Que vous ne perdiez jamais de veuë les biens de la Jerusalem Celeste. Que vous voyez les Enfans de vos Enfans, joüissans d’une paix solide en tout Israël.

Serviant tibi populi adorent te tribus.

Que les Peuples vous soient soûmis ; que les Provinces vous respectent.

La Renommée un peu élevée terminoit le grouppe & embouchoit sa Trompette d’où sortoient ces paroles.

Non recedet memoria ejus et nomen ejus requiretur a generatione in generationem.

Sa memoire ne tombera jamais dans l’oubli, & son nom se transmettra avec gloire de generation en generation.

Ou bien ces paroles.

Generationem ejus quis enarrabit !

Qui pourra dignement loüer la noblesse de son sang, raconter le nombre de ses Neveux !

On voyoit au bas dans les niches de la face, deux grandes Statuës sur des piédestaux, representant des Sibilles qui prononçoient sur la destinée du nouveau Prince, ces oracles écrits sur des tables qu’elles tenoient en leurs mains.

Quis putas puer Iste erit ?

Qui pensez-vous qui sera cet Enfant ?

Une autre Sibille répond.

Rex Magnus super terram.

Il sera un grand Roy sur la Terre.

La premiere replique.

Dominabitur amari usque ad mare.

Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre.

La seconde ajoûtant à cela, dit ces paroles.

Inimici ejus terram lingent.

Ses ennemis seront humiliez jusqu’à baiser la terre.

Tout cela se pouvoit lire aisément au moyen de cinq cens lampes qui estoient posées avec un art tout-à-fait ingenieux ; sur cet édifice.

À huit heures & demie, le bruit de quarante boëtes, qui tirerent trois fois pendant la Ceremonie, donna le signal à la Communauté, qui sortit de l’Eglise en rang ; au nombre de cent Religieux. Le R.P. Provincial à la teste, en Aube & en Etole, benit le feu de bois qui fut allumé au bruit de la Mousqueterie, & des Tambours, d’un costé par le R.P. Provincial, & de l’autre par Mr le Marquis d’Argenson Sindic de leur Ordre ; ensuite le Te Deum fut chanté par les Capucins d’un ton uni, mais grave & modeste qui imposoit & le respect & le silence. Les Oraisons finies, une salve de Mousqueterie, avertit une symphonie de Violons, de Hautbois, de Timballes, & de Trompettes, qui alternativement & sans intervalle joüerent & charmerent toute l’assemblée, pendant une heure & demie que dura l’artifice, qui réüssit parfaitement bien. Ce qu’il y eut de surprenant, est que dans un concours tres-nombreux de personnes de toutes sortes d’Etats, que la nouveauté du spectacle avoit attirées de toutes parts, rien n’ait jamais esté executé avec une plus belle ordonnance & plus de modestie, que l’a esté cette feste, qui fut generalement aplaudie & dont le bon ordre fut fort loüé, ainsi que l’invention & le genie de celui qui a imaginé toutes les choses qui ont rendu cette ceremonie une de plus éclatantes.

[Illuminations chez M. de la Lande]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 146-147.

Le même jour, Mr de la Lande, Valet de Garderobe du Roy, qui a une fort belle Maison & fort haute, vis-à-vis de ce Convent, voulant prendre part à la Feste de ces bons Peres, & contribuer en quelque façon à l’embellir, fit illuminer toute sa Maison de la maniere du monde la plus brillante ; & comme elle est aisée à décorer de lumieres, à cause de la beauté de son architecture, rien ne faisoit un plus bel effet que cette illumination, qui estoit surmontée d’un Soleil composé de lumieres vives & placé au dessus de la terrasse.

[Au couvent des capucins du Marais]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 147-150.

Les Capucins du Marais donnerent en même-temps, des marques de la joye qu’ils avoient du nouveau bonheur arrivé à la France. Toute la face du Portail de leur Eglise estoit tapissée ; il y avoit un Dais dans le milieu, au dessous duquel on avoit placé le Portrait du Roy, environné d’un grand nombre de lumieres ; toute leur cour en en estoit remplie, & l’on avoit dressé au milieu un feu dans les formes, puisqu’il avoit quatre pilliers. Il y avoit dans la ruë, vis-à-vis de la porte du même Convent, un gros feu de bois & des lumieres à toutes les fenêtres des Cellules des Religieux. Le tout estant dans cet estat on alla prendre Mr le Camus, premier President de la Cour des Aydes, & l’un des bienfaicteurs de ce Convent ; les Timballes, les Trompettes, les Violons & les Hautbois, allerent au devant de luy, & l’accompagnerent jusqu’au lieu où le bûcher estoit dressé. Les R.R.P.P. Capucins s’y rendirent aussi en Procession chacun, ayant un Cierge à la main & aprés les prieres accoûtumées en semblables occasions, le R.P. Gardien en Aube & en Etole, mit le feu à l’un des côtez du bûcher, pendant que Mr le President le Camus le mit à l’autre ; le Te Deum fut ensuite chanté, aprés lequel Mr le President le Camus fut conduit au Dortoir de dehors pour y voir le feu d’artifice, qui fut tiré au bruit de tous les instrumens, dont j’ay déja parlé, & au bruit d’un grand nombre de Boëtes placées dans le Jardin des Capucins, qui tirerent plusieurs fois dans la journée. Toutes les personnes de distinction du Quartier firent de grandes illuminations pour donner plus d’éclat à cette Fête, & particulierement Mr Dubuisson, Intendant des Finances dont tout le logis fut illuminé avec des lumieres vives, & qui suivoient l’Architecture.

[Aux célestins]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 150.

Le 6. Juillet les Celestins firent chanter dans leur Eglise, un Te Deum en musique de la composition de Mr Paulin Beneficier de Nôtre-Dame, & les mêmes Religieux firent le soir un tres-beau feu d’artifice & de grandes illuminations.

[Au collège des quatre Nations]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 150-160.

On fit le septiéme une grande Feste au College Mazarin, vulgairement appellé le College des quatre Nations. Je dois vous dire avant que de vous parler de cette Feste, que ce College a l’honneur d’estre particulierement au Roy ; S.M. ayant ordonné par ses Lettres Patentes qu’il fut censé de Fondation Royalle, comme faite par le Roy même, qui en effet nomme les Pensionnaires Gentilhommes nez des quatre Nations, où le Roy a fait des Conquestes ; tous les Pensionnaires de ces quatre Nations estant obligez de faire preuve de Noblesse, pour y estre reçus. Mr l’Abbé de Bosquein, Docteur de Sorbonne, & Grand Maître de ce College, voulant donner des marques publiques de la part qu’il prend à tout ce qui regarde la gloire du Roy, le bonheur de S.M. de toute la Famille Royalle, & de l’Etat, à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, se chargea personnellement des soins & de la dépense pour tout ce qui pouvoit servir à donner au Public d’éclatantes marques de la joye singuliere de ce College, qui ne le cedoit en rien à la joye generale. Ce zelé Grand Maître, ayant fait préparer toutes choses pour l’execution de ses desseins, destina toute la matinée du sept de Juillet, pour rendre graces à Dieu des benedictions, dont il comble le Roy par la naissance du Prince nouveau né, troisiéme heritier vivant de la Couronne de pere en pere.

La premiere action de graces fut de distribuër de l’argent à plus de deux cent pauvres de la Paroisse de S. Sulpice, rangez dans la grande cour du College, ainsi qu’à plusieurs autres personnes des deux sexes.

La Messe fut ensuite solemnellement celebrée par ce grand Maître, & chantée par une nombreuse & excellente musique, accompagnée d’une grande symphonie. Tous les Ecclesiastiques, Officiers, Professeurs & Maîtres du College formoient le Chœur. Les Pensionnaires & les quinze cens Ecoliers externes assisterent à cette Messe, ainsi que plusieurs autres personnes de toutes conditions, de sorte que la magnifique Eglise de ce College en fût toute remplie.

Le Te Deum & les Prieres pour le Roy furent chantées par la même musique. On peut dire que la multitude qui se trouva dans cette Eglise, y fut attirée par l’amour que le Peuple a pour le Roy & pour la Famille Royale, & qu’elle y fut aussi invitée par un grand Tableau qu’on avoit élevé à la porte de l’Eglise, dans lequel on lisoit l’inscription suivante qui fut trouvée de bon goût.

D. O. M. OB NATUM LUDOVICO MAGNO, REGUM
In multa sœcula parenti ; pronepotem,
ARMORICÆ DUCEM,
Gratias agit Col. Mazar.

Aprés ces Ceremonies de pieté, on tira cent grosses Boëtes, qui estoient placées sur le bord de la riviere, vis-à-vis le Louvre, & une symphonie de Trompettes, de Timballes & de Hautbois se fit entendre pendant une heure dans la Place du College.

L’illumination, qui parut le soir, estoit formée en menuiserie suivant l’architecture des arcades, premiere corniche, pilastres, seconde corniche & la balustrade avec les piédestaux, la corniche & fronton du portail, le tout regnant jusqu’aux gros pavillons ; de maniere que tout s’estant trouvé allumé, sur les neuf heures du soir, aprés une décharge de cent Boëtes, on vit dans toute l’étenduë de la Place une premiere ligne de lumieres pressées, & formée en arcade ; une seconde sur la grosse corniche ; les 24. principales fenestres, ornées chacune de deux girandoles de cristal, garnies de bougies par les soins de ceux qui occupent ces logemens. Monsieur le Prince Frederic d’Auvergne & Monsieur le Févre grand Audiencier de France occupent la plus grande partie de ces appartemens. Les lumieres des pilastres entre chaque fenestre, de leurs bases, corps & chapiteaux suivoient l’Architecture. Il y avoit au dessus de chacun une maniere d’étoille où figure de Soleil. On voyoit à la seconde corniche une semblable ligne de lumieres, & enfin une quatriéme sur la balustrade, séparée par de gros pots à feu, placez sur chaque piédestal.

Il y avoit sur le cadran du Portail un Soleil de lumieres, & l’on avoit élevé au dessus des pieces de charpenterie, avancées hors du Portail, au milieu de toutes, une grande inscription de lettres de quatre pieds de hauteur, formées de lamprons des plus lumineux. Cette inscription contenoit ces mots.

REGI PROAVO.

Tout ce spectacle étoit surmonté par l’illumination du Dôme, formée par cent pieces de verre qui renformoient chacune six lumieres fort vives, & qui étoient placées tout au tour de la grosse corniche.

La balustrade du haut étoit illuminée de gros feux qui sortoient de plusieurs vases de fer, & enfin on voyoit à la derniere & plus élevée partie du Dôme huit pieces plus transparentes que le verre, & que les lumieres vives qu’elles renfermoient, rendoient fort éclatantes.

On entendit tant que l’illumination dura, les trompettes, les timballes & les hautbois. Pendant ce temps on fit une décharge de cent boëtes, & on tira du Dôme des fusées volantes qui faisoient un bel effet.

Il y avoit dans la place du College & particulierement sur le Quay du Louvre une multitude incroyable de Carosses, & tous les Quays & les batteaux étoient remplis de monde.

L’illumination consistoit en six mille tant lampes que pots à feu & autres lumieres.

[Par plusieurs collèges de l’Université]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 160-177.

Plusieurs Colleges de l’Université ont aussi donné des marques de leur joye. À peine la nouvelle de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne fut-elle devenuë publique, que Messieurs les Grand-Maistre, Proviseur & Principaux du College Royal de Navarre formerent le dessein d’en rendre graces à Dieu par un Te Deum, & d’en témoigner leur joye par des réjoüissances publiques. Le lendemain, on donna congé aux Ecoliers ; & le Dimanche suivant Feste de Saint Pierre, Mr Chenu Grand Maistre, entonna le Cantique d’actions de graces, qui fut chanté en Musique aussi-bien que quelques motets ; ausquels assisterent toutes les Communautez dont cette Royale Maison est composée. Sur le soir on alluma dans la grande cour un feu preparé par les soins de Mr Duiry Proviseur dudit College, qui s’applique avec un zele infatigable à tout ce qui regarde le bien & la gloire de ce College. Toute la grande cour parut en même temps illuminée, & le feu fut accompagné de quantité de fusées volantes, de petards & de plusieurs décharges de canons. Entre les fenêtres qui estoient illuminées, on remarqua, sur tout, celles de Mr le Grand Maistre, parce qu’elles estoient ornées d’une maniere particuliere, & qu’il y avoit un nombre infini de fleurs-de-lys. Les pauvres n’y furent point oubliez. Le public qui fut témoin de cette feste fut tres-content de la magnificence avec laquelle elle fut executée, & de l’ordre qui y fut observé.

Ce College qui a esté favorisé des bienfaits de nos Rois, & honoré de leur presence, s’est toujours distingué par sa fidelité & par un grand attachement à ses Souverains, & par les soins qu’on y a toujours pris d’y former la jeunesse autant à la vertu & à une pieté solide qu’à la veritable doctrine.

Il est destiné non-seulement pour les Humanitez, mais aussi pour la Philosophie & pour la Theologie. Il y a une communauté de Bacheliers autant recommandables par leur naissance que par leur pieté & leur sçavoir. Il n’y a point de Licence où ils ne se distinguent.

On ne doit pas s’étonner si Mr Chenu Grand Maistre de Navarre a fait voir tant de zele en cette occasion, puisque ce même zele l’engagea en 1697. de fonder dans l’Eglise de Bougival prés Marly une Messe haute, solemnelle & un Salut du Saint-Sacrement, avec Procession, le tout à perpetuité, pour le Roy & pour la famille Royale.

Aussi-tost que Mr Lhuillier Grand Maistre du College du Cardinal le Moine eut appris l’heureuse nouvelle de la naissance du nouveau Prince, qui a causé tant de joye à la France, il fit vaquer toutes les Classes, & voulut que tous ceux de son College prissent toute sorte de divertissemens honnestes pendant 4. jours, qui finirent le Dimanche 29. Juin, par un beau feu d’artifice & une illumination generale de tout le College, quoiqu’il soit fort grand ; ce qui attira la curiosité d’une infinité de monde.

Et le Mercredy 16. Juillet, ce Grand Maistre celebra solemnellement la Messe en action de graces, à laquelle tout le College assista. Le Te Deum & l’Exaudiat y furent chantez à la fin. Ce College est des plus beaux de l’Université, & dans une situation des plus avantageuses pour la commodité du public. Il y a de tres-habiles Professeurs, & tres-appliquez ; & la bonne discipline, que Mr le Grand Maistre y fait observer, y attire un si grand nombre d’Ecoliers de Paris & de toutes les Provinces, qu’à peine y peut-on trouver assez de bâtimens pour recevoir ceux qui se presentent.

Les Pensionnaires du College du Plessis aïant fait à toutes leurs fenêtres, une illumination de plus de six mille lumieres, aussi-tost qu’ils eurent appris le sujet de l’allegresse publique ; cette marque de leur joye ne leur parut pas assez repondre à l’ardeur du zele extrême qu’ils ont pour leur Souverain, de maniere qu’ils demanderent avec empressement à ceux qui les enseignent, la permission de faire une feste plus éclatante, & pour laquelle ils eussent le temps de se préparer. Cette permission leur ayant esté accordée ils choisisent le Jeudy 17. Juillet pour l’execution de leur projet.

La Feste commença à cinq heures du matin par une décharge de plusieurs pieces d’artillerie, qu’ils avoient fait placer dans leur cour, & qui tirerent quinze fois pendant la journée. À sept heures Mr le Principal fit une aumosne de pains & d’argent à plus de 300. pauvres de la Paroisse de Saint Estienne du Mont, aprés quoi il dit la Messe qui fut chantée, ainsi que le Te Deum, par Mrs les Musiciens de Nostre-Dame. La composition estoit de Mr Bouteiller l’aisné ; & cet Office se fit avec beaucoup de modestie & de pieté.

Mr Viel Regent de seconde, prononça un discours Latin sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; ce discours reçût de grands applaudissemens l’aprés-dîné.

L’Université en Corps & en habit de Ceremonie honora cette action de sa presence. Avant qu’elle commençast, on distribua dans l’Assemblée plusieurs Ouvrages en Vers Latins de diverses mesures. Mr le Recteur fut reçû dans le College au bruit du Canon, des Trompettes, des Timbales & des Hautbois, & fut salué de la même maniere à sa sortie.

Le soir on tira un feu d’artifice, & tout le College parût brillant par une illumination des mieux entenduës & qui pouvoit le disputer à toutes celles qui avoient paru jusqu’alors. Elle estoit de plus d’onze mille lumieres, & l’uniformité regnoit par tout. Sur les cordons des quatre étages des bastimens, étoient de grosses lumieres à égales distances. Tous les tremeaux des fenestres estoient ornez de grands quadres garnis de lamprons ; l’entrée du College étoit éclairée par plusieurs beaux Lustres ; sur les toits & le petit mur qui est au nord, on avoit mis un grand nombre de pots de feu. Mr Oudart qui avoit pris soin de l’illumination n’avoit rien oublié pour la faire réussir, & le temps qui demeura toujours sombre fut tres-favorable à ses desseins. Plusieurs Pensionnaires se distinguerent en faisant tirer à leurs décens particuliers, un grand nombre de fusées volantes.

La décoration du feu le rendoit beaucoup plus beau que ceux que l’on voit ordinairement.

Il estoit construit de maniere qu’il representoit un Palais à trois façades. Celle du milieu montroit la porte du Temple de Janus, entre deux grands Pilastres de marbre rouge, on y montoit par plusieurs degrez. On voyoit sur cette Porte un amas de fléches, de carquois, de boucliers & d’autres armes, & on y lisoit ce Vers de Virgile.

Claudentur belli portæ.

Pour marquer que la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne est un presage assuré d’une paix prochaine & durable.

Au dessus de la balustrade qui regnoit sur le haut des trois façades, on avoit écrit dans un grand Cartouche en lettres d’or.

REGI PROAVO
Plessæi Adolescentes.

On n’avoit pû trouver de titre, ny plus simple, en quoi consiste la beauté des inscriptions, ny plus singulier, pour exprimer en cette occasion la faveur que Dieu n’a accordée qu’au Roy.

Aux deux costez de ce cartouche étoient suspenduës deux devises. La premiere à la main droite, représentoit auprés d’un Lion majestueux, un Lionceau qui ne faisoit que de naistre ; tous les jeunes animaux de la Forest étoient autour de luy dans une posture qui faisoit voir qu’ils le reconnoissoient déja pour leur futur souverain. Les paroles suivantes servoient d’ame à cette devise.

Olim tibi sic servire docemur.

Ce qui falloit entendre qu’une des principales applications des Maistres de ce College, est d’inspirer à leurs Eléves un respect & une obéissance sincere pour le Roy ; & que les enfans goûtent déja par avance, le plaisir qu’ils auront de vivre un jour sous les Loix de Monseigneur le Duc de Bretagne.

La seconde devise qui étoit à main gauche, representoit un Chesne dans sa vigueur, de la tige duquel sortoit d’autre Chesnes de differentes hauteurs, avec ces mots.

Plura videbit.

Afin de faire connoistre par le symbole de cet Arbre uni dure longtemps, que la parfaite santé du Roy donne lieu d’esperer, qu’il peut voir un jour les enfans de ses arriere-petits Fils.

Les deux façades des costés de ce Palais representoient deux Portiques soutenus de pilastres aussi de marbre. À costé de l’un dans une niche de huit pieds l’on voyoit une Statuë qui representoit la Force ; & à costé de l’autre, la Prudence estoit designée par une autre ; ces deux figures estoient de hauteur d’homme, & marquoient que le bonheur dont joüit la France depuis plus de soixante ans, ne vient que de la force & de la prudence du Monarque qui la gouverne.

Au milieu de ces deux façades, estoient deux Cartouches, dans l’un desquels on avoit peint trois seps de vignes de grandeur inégale, & chargez de raisins ; au dessous commençoit à s’élever un tendre rejetton qui ne promettoit pas moins de fertilité ; ce qui estoit exprimé par ce Vers.

Suspice, non alios tibi dat Burgundia foetus.

Dans le second Cartouche, sur le sommet d’une haute montagne, on voyoit un grand reservoir d’eau, & au pied de cette montagne un jet, qui montoit dans l’air, avec ce Vers.

Ce jet en s’élevant égalera sa source.

L’artifice du feu consistoit dans un nombre de fusées volantes, de gerbes, de nappes & de soleils de feu. Les Timbales, les Trompettes & les Hautbois joüerent pendant tout le jour. La feste dura jusqu’à minuit, & fut fermée par une derniere décharge des canons ; mais ce qui la rendit bien remarquable, & qui mit le comble à la joye, c’est qu’elle ne fut mêlée d’aucun desordre ny d’aucun fâcheux accident. Aucun des Pensionnaires, aucune des personnes de distinction dont leurs chambres étoient remplies, aucun des voisins qui regardoient ce spectacle de leurs fenestres, personne enfin de la populace qui remplissoit la cour en foule non-seulement ne fut incommodée ; mais n’eut pas même sujet d’aprehender de l’estre, chacun s’estant porté de lui-même à se conformer aux défenses qui avoient esté faites de tirer des fusils, des pistolets, des petards, des serpenteaux, & generalement tout ce qui auroit pû inquieter les spectateurs.

[Chez M. l’abbé de Fourneaux]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 177-178.

En vous entretenant des réjoüissances faites dans tant de Colleges, je dois vous dire que Mr l’Abbé de Fourneaux, qui loge dans l’Université, ruë Saint Etienne des Grecs, s’est distingué dans son quartier par une tres-belle illumination, & par un grand nombre de fusées volantes qu’il fit tirer le 7. Il y avoit une fort belle Symphonie dans son logis, ce qui attira beaucoup de monde dans toute sa ruë, où la santé du Roy fut bûë avec de grandes acclamations. Cet Abbé ayant fait donner à boire à tous ceux qui estoient devant sa porte. Sa Muse s’est signalée dans cette occasion, & il n’a pas moins donné de marques de sa joye par ses Vers, qui ont esté fort applaudis, que par la depense que son zele lui a fait faire.

[Au collège Louis-le-Grand]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 178-190.

Je ne doute point que vous n’attendiez avec impatience la Relation de ce que les Jesuites du College de Louis le Grand firent le Dimanche 13e. de Juillet pour celebrer la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Le public sembloit estre bien content des marques de joye que ces Peres avoient déja taché de donner à ce sujet, pendant trois jours consecutifs : mais ces Peres n’estoient pas encore contens d’eux-mêmes, & c’est ce qui les determina à faire travailler à la Feste dont voicy le détail, & qu’ils ont essayé de rendre complette.

Elle dura presque tout le jour, & elle ne finit qu’à une heure aprés minuit.

Le matin on chanta le Te Deum & l’Exaudiat en Musique, pour remercier Dieu des benedictions qu’il répand sur la Famille Royale, & pour le prier de n’en point interrompre le cours. Les Tymbales & les Trompettes tenoient leur partie dans les Symphonies du Te Deum, dont la Musique estoit peut-estre composée de plus de voix & de plus d’instrumens qu’il n’en faut pour un autre petit lieu que la Chapelle du College. Le Te Deum fut precedé & fut suivi de plusieurs salves de Mousqueterie. L’aprés midy le Pere le Jay, l’un des deux Regens de Rhetorique prononça un discours latin d’une heure entiere, où il fit voir que Dieu a donné le Serenissime Duc de Bretagne au Roy pour récompenser son zele ardent pour la Religion, & à toute la France, pour récompenser son attachement inviolable pour le Roy.

L’assemblée estoit belle & nombreuse. Monsieur le Cardinal d’Estrées s’y trouva avec les deux Nonces, plusieurs Archevêques & Evêques, & beaucoup d’autres personnes de distinction. Les principaux ornemens du lieu de l’assemblée estoient les Portraits des Augustes Personnes qui composent la famille Royale, avec cette devise qui a esté trouvée fort belle & fort convenable au sujet. C’estoit la constellation appellée la Couronne, avec ces belles paroles.

Quot in una Sydera fulgent.

Que d’astres brillent en elle seule.

Ce qui marque admirablement bien ce nombre d’illustres testes qui font aujourd’huy la famille Royale. Un peu avant on répandit dans l’assemblée un grand nombre de pieces en vers latins & en vers françois sur la naissance du jeune Prince.

Il est temps de vous parler de ce qui termina la Feste ; j’entend l’illumination & les feux de joye, qui n’en firent pas la moindre partie. Les quatre grands corps de logis qui forment la Cour du College estoient tous couverts, ou de tapisseries de haute lisse, ou de lumieres ; en sorte que de deux tremaux, l’un estoit tapissé & l’autre faisoit comme un seul corps de lumieres composé d’une base, d’une pyramide & d’une couronne. Outre les lumiéres des tremaux, un nombre infini de lampes formoit une grande lettre au dessous de chaque fenestre ; & toutes ces lettres ensemble formoient l’inscription que voici.

Proavo regum Maximo,
Avo Principum optimo.
Patriutrius que æmulo :
Adelaïdi
Fortunatæ Matri
Natalitios Ducis Britanniæ.
Ludos consecrat. Collegium Ludovici Maoni.

C’est-à-dire :

le College de Loüis le Grand consacre ces feux pour la naissance du Duc de Bretagne, à son Bisayeul le plus grand des Rois, à son Ayeul le meilleur des Princes, à son Pere qui tâche d’égaler l’un & l’autre, à Adelaïde la plus heureuse des Meres.

Cette inscription partagée en quatre occupoit les quatre faces des bâtimens de la cour. La face de front étoit pour le Roy, celles des côtez pour Monseigneur le Dauphin & pour Monseigneur le Duc de Bourgogne, enfin la quatriéme estoit pour le reste de l’inscription, qui occupoit encore toute la face du Pavillon qui est au dessus de la porte. Les fenêtrés de la face de front étoient garnies de fort beaux lustres : Et les lucarnes des quatre corps de logis estoient couronnées chacune d’un grand pot à feu, ce qui faisoit un assez bel effet & un beau coup d’œil.

Toute la cour se trouva sur les neuf heures éclairée & pleine de Peuple : Et l’heure sonnant, l’action, pour ainsi dire, commença par une furieuse décharge de Mousqueterie. Ce ne fut ensuite qu’un feu continuel, qui ne se rallentit qu’à minuit, & qui ne cessa entierement que plus d’une heure aprés. Ce feu si continuel ne fut cependant pas sans ordre. À chaque quart d’heure les Mousquetaires faisoient une décharge, pendans laquelle un grand nombre de Tambours battoient la charge : On s’imaginoit entendre le premier bruit d’un assaut. Ensuite les Trompettes accompagnées des Tymballes comme pour annoncer la Victoire, sonnoient des fanfares. L’Artifice jouoit aprés cela jusqu’à une nouvelle décharge de la Mousqueterie : Et cet ordre s’est observé jusqu’à la fin ; l’Horloge qui est placée sur la cour reglant tout.

Il y avoit un Théatre le long d’une des faces des Bâtimens pour faire joüer l’artifice préparé par les ordres du Pere principal ; Et les Artificiers occupoient aussi au milieu de la cour une enceinte, d’où ils tiroient les fusées volantes, & d’où ils faisoient sortir de temps en temps des feux d’un bassin d’eau qu’ils y avoient disposé pour cet effet.

Les Pensionnaires de ce College donnerent des marques du zele qu’on s’applique à leur inspirer pour Sa Majesté. Plusieurs d’entre eux aïant fait préparer de tres beaux artifices qu’ils firent joüer de leurs fenêtres. Messieurs de Villeroy, de Croy, de la Rochefoucault, de Brissac, de Nassau, de Mancini, de Ligne, Villoposki, de Surville, de Sommery, de Château-Renauld, d’Armenonville & Turgot se sont sur tout distinguez en cette occasion. Ils avoient tous de tres-beaux morceaux d’artifice ; lesquels se suivoient de si prés, que les Spectateurs trouvoient à peine un moment pour revenir de la surprise que chacun leur avoit causée. D’une face de bâtiment à l’autre, on avoit rendu beaucoup de cordes, le long desquelles les fusées alloient & revenoient sans cesse se croisant souvent, & faisant ainsi une espece de combat tres-agréable aux yeux.

La foule infinie du Peuple dont la cour regorgeoit, contribua beaucoup à la beauté du spectacle : Et la quantité de feux qui y comboit de toute part ne put la faire desemplir un seul instant ; Car ceux qui sortoient pour ne pouvoir soûtenir plus long-temps la violence & la continuité du feu, estoient sur le champ remplacés par d’autres, dont la ruë du Jacques estoit pleine ; à plus de trois cens pas du College en montant & en descendant.

Il estoit à craindre qu’une si grande foule ne causât quelque desordre, Mais Monsieur d’Argenson à qui rien n’échape, avoit fait poster à la porte du College & aux environs une bonne partie du Guet, à pied & à cheval. On avoit pris aussi des précautions pour empêcher les accidens du dedans. On avoit abandonné certain nombre de fenêtres aux Artificiers, & les enfans avoient d’autres fenêtres pour voir les feux à leur aise.

On avoit fait aussi une gallerie de planches, au dessus des lucarnes, qui regnoit au tour des quatre bâtimens : & c’estoit là qu’on avoit placé les Mousquetaires, afin qu’il n’y eût point d’armes à feu dans les chambres des Pensionnaires.

[À l’hôtel de Pontchartrain]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 190-192.

Ce qui suit devroit avoir esté placé plustost, mais je n’estois pas encore bien informé de ce que je devois dire sur cet article.

Le jour de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, il y eut un feu devant l’Hôtel de Pontchartrain, auquel il ne manqua rien de tout ce qui pouvoit faire éclater le zele & la joye du grand Ministre qui l’avoit ordonné. Le frontispice de ce superbe Hôtel, estoit éclairé par une grande quantité de lampes disposées avec beaucoup d’art & d’ordre.

On commença d’abord par tirer plusieurs fusées volantes & il se fit trois grandes décharges de Mousqueterie, qui furent suivies de trois décharges de boëtes. Les Trompettes, les Timballes & les Haut-bois, qui estoient dans le Salon, qui est au fond de la cour, se firent entendre avec un extrême plaisir, pendant tout le temps que le feu dura. Quatre fontaines de vin ne cesserent point de couler en abondance du haut des balcons, pendant plus de de trois heures. On distribua outre cela à la porte de toutes sortes de vins, à tous ceux qui en voulurent. Quoy qu’il y eust une affluence extraordinaire de peuple, toutes les mesures avoient esté si bien prises, & elles furent si bien exécutées qu’il n’y arriva aucun desordre.

[Par les nouveaux réunis de la paroisse Saint-Sulpice]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 192-193.

Le 13. de Juillet les nouveaux réünis de la Paroisse de S. Sulpice firent éclater leur pieté, leur zele & leur tendre reconnoissance, en faisant chanter dans la Chapelle de la Communion, une Messe Solennelle, un Te Deum & un Exaudiat, en action de graces de l’heureuse Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, pour la conservation du Roy, de toute la Famille Royale & pour la prosperité de ses Armes. Madame la Comtesse de Miossens d’Albret, en avoit obtenu la permission de Monsieur le Cardinal de Noailles : La ceremonie fut tres-auguste & dura prés de trois heures, le lieu estoit magnifiquement orné, & plusieurs des nouveaux réünis communierent à la Messe : Ce qui fait voir combien ils profitent des instructions que leur fait tous les Dimanches & Festes, Monsieur l’Abbé Cassé, Docteur de Sorbonne, qui s’y applique depuis plusieurs années ; ce vigilant & zelé Ecclesiastique, par ses soins & ses travaux inexprimables, a entierement détruit l’erreur où estoient engagées ces pauvres brebis égarées de l’Evangile & les a ramenées dans le giron de l’Eglise.

[Par les quatre Facultés]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 193-196.

Le Mardy 15. Juillet, Monsieur le Recteur alla à la teste des 4. Facultés, qui composent la celebre Université de Paris ; sçavoir, la Theologie, le Droit, la Medecine & les Arts, à l’Eglise des Cordeliers, où l’on chanta une grande Messe & ensuite le Te Deum, pour remercier Dieu d’avoir donné un Prince à la France. On s’assembla aux Mathurins, qui est le lieu ordinaire où se rendent les Membres de l’Université : Monsieur le Recteur avant que de partir, fit un tres-éloquent discours sur le grand évenement qui les assembloit ; Il avoit convoqué pour cette Procession generalement tous les Membres de l’Université, c’est-à-dire tous les Docteurs de chaque Faculté & tous les Bacheliers, si bien que presque tous les Docteurs, les Bacheliers & les Maîtres és Arts en chaque Faculté assisterent à cette Procession ; Il y avoit tres long-temps qu’elle n’avoit paru si nombreuse. Le Pere Frassen, Docteur de Sorbonne, & Gardien des Cordeliers, attendoit Mr le Recteur avec la Croix à la porte de l’Eglise, il l’accompagna jusques dans le Chœur, où Monsieur le Recteur prit la place du Gardien ; Il y fut harangué par le Pere le Ferron, le Discours fut tres éloquent & il le prononça de bonne grace. Mr le Recteur luy répondit en peu de mots, avec la justesse & l’élegance qui luy sont ordinaires. Les Facultés de Theologie, de Droit, de Medecine & des Arts firent faire une distribution d’argent à chacun des Membres de la Faculté. Cette retribution extraordinaire avoit esté ordonnée par l’Université.

[Par messieurs de l’archiconfrérie du Saint Sépulcre de Jérusalem]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 198.

Messieurs de l’Archiconfrairie du S. Sepulchre de Jerusalem ont fait chanter une grande Messe dans leur Chapelle qui est dans l’Eglise des Cordeliers, & le soir ils firent chanter le Te Deum & l’Exaudiat. en musique.

On donna gratis le 10. Juillet dans la Menagerie qui est sur le Rempart entre la porte S. Martin & celle du Temple, un combat des animaux qui y sont renfermés.

[Par les communautés de Paris]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 198-220.

Il est temps de parler des Communautez de Paris qui ont fait chanter le Te Deum. Celle des Libraires a donné l’exemple aux autres & voulant marquer son zele la premiere ; elle ne se donna pas le temps de faire préparer un Te Deum en musique, & en fit chanter un le 29. de Juin, dans l’Eglise des Mathurins. Monsieur Emery, Sindic de cette Communauté se distingua le soir par des illuminations & distribution de vin, des feux, par un grand repas qu’il donna chez luy & géneralement par tout ce qui pouvoit marquer son zele. Tour ses confreres firent connoître le soir, par la plus grande partie de ces choses, qu’ils estoient animez du même zele. Les Imprimeurs, & les Relieurs, qui sont de la même Communauté, donnerent aussi le soir de grandes marques de leur joye, & leurs Maisons furent remarquées par les feux qui les éclairoient de tous côtés.

Le même jour les Gardes de la Communauté des Marchands Merciers, firent chanter un Te Deum dans l’Eglise du saint Sepulchre. Cette Eglise étoit magnifiquement parée, & le Te Deum fut chanté au bruit des timballes, des trompettes & des haut bois. La maison de leur Communauté, scituée, ruë Quinquempoix, fut illuminée en dedans & en dehors, d’une infinité de lamprons ; on tira plusieurs fusées volantes de plusieurs manieres differentes, les unes s’élevant en l’air, & les autres allant d’un bout à l’autre de la ruë sur une corde, & revenant au même endroit d’où elles étoient parties. On distribua du vin au peuple ; il y eut un grand bal dans la maison, qui fut accompagné d’une collation, où l’on servit en abondance toutes sortes de rafraichissemens, ce bal dura toute la nuit. Les Gardes qui étoient en charge firent des feux devant toutes leurs portes, & des illuminations, & firent distribuer du vin au peuple, & cet exemple fut imité de tous les Marchands de leur Communauté, qui se trouverent en état de le suivre, & les autres ne laisserent pas de donner de grandes marques de leur joye. Monsieur Boucher, ruë de la Monnoye se fit distinguer, ayant fait decorer & illuminer dedans & dehors toute sa maison, qui est extrêmement grande ; Il donna un bal & une grande collation, & ses manieres parurent fort honnêtes & fort gracieuses.

Le même jour 29. La Compagnie des Maîtres Apoticaires fit chanter dans l’Eglise des Grands-Augustins un Te Deum en musique, avec vingt-cinq violons, deux paires de timballes & quatre trompettes. Ils allerent ensuite dans leur Bureau, Cloître sainte Opportune, audevant duquel ils firent un feu, qui fut accompagné d’une grande quantité d’artifices. La façade du Bureau étoit illuminée par un grand nombre de bougies de cire blanche. Deux fontaines de vin coulerent pendant la plus grande partie de la nuit & plusieurs tables furent servies tres-magnifiquement, où tout le monde étoit tres-bien reçû. On distribua au peuple devant la porte du Bureau, plus de cent boëtes de confitures seches. Le même jour, la même Communauté des Apoticaires fit faire une grande illumination accompagnée d’un grand feu devant la porte du jardin des plantes, qu’ils ont dans la ruë de l’Arbalête, Faux-bourg saint Marceau. On donna à boire à tous ceux que ce beau spectacle attira. Ces deux fêtes ont été faites par les soins de Messieurs Balby, Mayol & Allary, Gardes en charge.

Entre les demonstrations de joye qui ont éclaté dans le Public au sujet de l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; les Marchands ordinaires de la Garde-Robe de Madame la Duchesse de Bourgogne se sont beaucoup distinguez. Leur zele a été si prompt, qu’à peine eut-on appris que ce nouveau Prince étoit au monde, que les maisons de ces Messieurs retentirent d’allegresse ; leurs feux, leurs illuminations & leurs liberalités envers le Peuple annoncerent dans leurs quartiers, les premieres nouvelles de ce grand évenement : l’harmonie de leurs concerts, & l’éclat de leurs fuzées attirerent chez eux une foule de monde, que les bals, & les collations y retinrent les nuits entieres ; & ces réjoüissances ont été d’autant mieux marquées, qu’elles se sont soutenuës pendant prés de quinze jours, avec la même vivacité que le premier jour.

Les Fêtes particulieres qui ont été données par chacun d’eux, ont été terminées par des actions de graces qu’ils ont renduës en Corps, pour remercier le Ciel d’une si rare faveur ; Ils y avoient invité le Public par les preparatifs les plus capables de rendre cette action de pieté magnifique & solemnelle. Elle fut celebrée le septiéme Juillet à cinq heures du soir, dans l’Eglise des R.P. de l’Oratoire de saint Honoré.

Les ornemens étoient magnifiques ; & tout y étoit d’une tres-belle ordonnance. L’Autel étoit éclairé par un grand nombre de bougies, ainsi que toute l’Eglise ; Et quoy-que le choix n’eût aucune part dans les personnes qui composoient cette assemblée ; on peut dire qu’elle étoit si brillante par la quantité du beau monde qui s’y trouva ; qu’il sembloit qu’on n’y eût invité que des personnes de distinction & de qualité.

L’Assemblée se trouva tres-nombreuse dés midy, par l’empressement que causoit la crainte de ne pouvoir trouver place ; on n’en doit pas être surpris, puis qu’on avoit annoncé par des affiches un Te Deum & un Exaudiat à trois grands Chœurs de Musique, de la composition de Monsieur Campra ; Ce qui fut executé par les plus habites & les plus excellens Musiciens & Simphonistes de Paris.

La confusion qu’auroit pu causer un si grand concours, fut prevenuë au dehors par le soin qu’on avoit pris de mettre à toutes les portes une Garde des cent Suisses du Roy ; & on avoit commis pour le dedans des personnes si entenduës pour le bon ordre, que chacun y fut placé commodément & gratuitement. De sorte qu’on ne laissa rien à desirer pour la satisfaction du public.

Les R.P. de l’Oratoire rendirent cette ceremonie toute édifiante par leur pieté ordinaire, & auguste par la magnificence de leur Autel, & par le grand nombre de Prêtres qui y assisterent. Le P. de la Tour, General de leur Ordre se fit un honneur d’en être le Celebrant ; & la beauté de la Musique, mêlée avec le bruit des trompettes & des timballes, que Monsieur Campra y faisoit entrer de temps en temps, firent un effet qui donna beaucoup de plaisir à toute l’assemblée.

Enfin on peut dire à l’avantage de ces Messieurs que leur zele s’est distingué par tant de magnificence, de generosité & de dépense bien ordonnée, qu’on a peu vû de fête plus accomplie, dont le public ait été plus satisfait & plus content.

Le 14. les Maîtres Paumiers firent chanter dans l’Eglise des Mathurins, un Te Deum en musique, de la composition de Monsieur Campra. Il y avoit des Théorbes, des basses de viole & des dessus, des trompettes & des timballes, de maniere qu’avec les voix, plus de cinquante personnes joüerent ou chanterent à ce Te Deum ; qui fut tres applaudi.

La Communauté des Marchands Privilegiez suivant la Cour, étant particulierement tres attachée au service du Roy, distingua le 11. de Juillet d’une maniere tres éclatante, elle avoit choisi l’Eglise des Religieuses de saint Magloire, ruë de saint Denis pour cette ceremonie ; & pour cet effet, elle fit decorer le portail du Convent, en maniere d’Arc de triomphe. Au dessus de la corniche, qui en faisoit l’entablement, on avoit placé un grand Tableau du Roy, enfermé d’une riche bordure, sous un dais tres magnifique & brodé d’or.

Aux deux côtez étoient élevez deux grands palmiers, chargez de Trophées d’Armes naturelles de Drapeaux, casques, corcelets, masses d’Armes, pertuisanes, coutelas & autres instrumens de Guerre. Sous la corniche & au dessous du Tableau du Roy, étoient les Armoiries de S.M. avec tous leurs ornemens dans un grand cartouche isolé, accompagnées des deux côtez, de deux inscriptions Latines & en lettres d’or pareillement dans des bordures ovales dorées. Dans l’une on lisoit unum sequimur, & dans l’autre rependet in omnes. Du haut du dais, tomboient à droite & à gauche des Guirlandes & des Festons de fleurs naturelles, qui venoient se mêler agréablement avec tous ces ornemens, & qui aprés avoir paré le ceintre, descendoient des deux côtez jusque sur le Socle.

Le dessous de la porte & toute la façade de l’Eglise étoient ornez de Tapisseries. On avoit couvert le ceintre plein gothique de la porte de l’Eglise, d’une grande table de marbre blanc feint, où étoit cette belle Inscription.

REGI PROAVO,
FAXIT DEUS UT QUONDAM ATAVO,
REGALI EJUS PROSAPIÆ
ET NATALIBUS PRINCIPIS
DUCIS BRITANNIÆ
INSTITORES ET OPIFICES AULICI
BENE PRECANTUR.

C’est-à-dire.

Les Marchands & Artisans suivant la Cour, font des vœux & souhaittent toute prosperité au Roy Bisayeul (fasse le Ciel qu’on le voye un jour Trisayeul) à sa Famille Royalle & à la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne.

Cette Inscription étoit accompagnée de six devises, qui exprimoient ce que les Peuples doivent un jour esperer de ce grand & beau Prince.

I.

Pour montrer qu’il ira aussi loin que ses Ancêtres, un Rejetton qui naît au pied d’un grand Arbre, avec ce mot

Stirpi par erit.
Pour égaler un jour la Hauteur de sa Tige.

II.

Un Aiglon dans son aire, qui épanoüit ses aîles en voyant trois grands Aigles qui volent au dessus, marque qu’il voudroit déja les suivre, pour se rendre digne du sang dont il est issu.

Proles digna patrum.
Digne Fils de ses grands Ayeux.

III.

Pour la valeur future de ce grand Prince, un jeune Coq qui par, sa disposition montre déja l’ardeur qui l’anime & qui l’enflame.

Ad bellica natus.
Il naît pour la Valeur.

IV.

Pour montrer qu’à l’exemple de ses Peres il aimera les Vertus qui font les veritables Heros ; un Lionceau.

A vitæ virtutis non degener.
Par tout il soutiendra la vertu de ses Peres.

V.

Le Cedre porte sa cime plus haut que tous les autres arbres c’est pourquoy, pour montrer ce que sera un jour Monseigneur le Duc de Bretagne, on a mis pour le corps de cette devise, un jeune Cedre qui s’éleve, & pour ame.

crescit ut alias superet.
Il croît pour être au dessus des autres.

VI.

Si les Cometes sont les signes funestes des malheurs : au contraire, les Etoiles qui paroissent de nouveau nous annoncent la prosperité & les biens ; La Paix étant le plus grand de tous & le plus souhaité ; il est constant que la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, établissant la Branche de Monseigneur le Duc de Bourgogne, dissipe les craintes que les Espagnols pourroient avoir de quelque rupture, si ce Prince mouroit sans posterité, unit davantage les deux Nations, desespere les ennemis du Roy Catholique, affermit par consequent l’amour de ses peuples & fait esperer aux uns & aux autres une paix durable & solide. C’est ce qu’on a exprimé par une Etoile brillante & de la premiere grandeur, au cœur de laquelle est une hermine, avec ces paroles.

nova lux prænuncia pacis.
Par cet Astre nouveau nous esperons la Paix.

On avoit mis enfin une autre Inscription dans l’Eglise & au dessus de la Tribune ; où pour rendre autant qu’on a pû l’expression de la lettre du Roy, on avoit écrit en Latin.

FELICIS PROAVI SOBOLES NUMEROSA FOVEBIT SPEM POPULI.

Cette Naissance perpetuë le bonheur des peuples par cette longue suite de Rois qu’elle leur assure.

Toute l’Eglise étoit tenduë de tres-riches Tapisseries, ornée d’un grand nombre de lustres, mais la parure de l’Autel surpassoit tout le reste ; soit par la richesse des ornemens, soit par la quantité des Girandoles & du luminaire, où l’on avoit mis par tout des écussons aux Armes du Roy ; & ce qui augmentoit la beauté du spectacle, c’étoit quantité de vases & de quaisses de fleurs, qui faisoient une varieté tres agréable parmi toutes ces richesses, & rendoient une odeur qui parfumoit toute l’Eglise.

Mr le Marquis de Sourches, grand Prevôt de France, fit l’honneur à cette Communauté qui depend de luy, d’assister à cette fête, à la tête de tous les Officiers de sa Jurisdiction. Mr l’Abbé de Sourches, Aumônier du Roy, revêtu d’une chape tres magnifique, fit la ceremonie, & entonna le Te Deum, qui fut continué par une excellente Musique & par une tres-belle simphonie, de la composition de Mr Lalloüette Maître de l’Eglise de Paris, aussi-bien que la Priere pour le Roy & pour la Famille Royalle, composée de paroles choisies exprés, tirées de l’Ecriture Sainte, qui fut chantée avec le même succés.

Pendant la ceremonie, les fanfares des trompettes & le bruit des timballes du Roy, qui étoient placées au dehors, & à des fenêtres qui donnoient sur la ruë, occupoient agréablement un grand concours de peuple, qui à cause de la foule, n’avoit pu trouver aucune entrée dans l’Eglise.

Tout cela s’est fait par les soins des Messieurs Lambert, Le Febvre & Maurice, Sindics generaux de cette Compagnie.

Description d’une feste donnée à Versailles sur la naissance de monseigneur le duc de Bretagne §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 221-237.

La relation suivante, ayant esté faite par une plume éloquente, je vous l’envoye, sans y avoir seulement changé une syllabe.

DESCRIPTION D’UNE FESTE DONNÉE À VERSAILLES SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC DE BRETAGNE.

L’Heureuse Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, estant regardée comme une Benediction singuliere que le Ciel a repanduë sur la France ; la Ville & la Cour se sont efforcées à l’envie d’en témoigner leur reconnoissance par des actions de graces solemnelles, de signaler leur joye par des Festes publiques. Mr Bontemps Premier Valet de Chambre du Roy ayant obtenu permission de Sa Majesté de luy en donner une à Versailles, elle fut conduite par le Sr Berrain le fils, & exécutée avec tout le succés possible.

Le Samedy 26. Juillet, jour marqué pour cette Feste, elle fut annoncée dés le midy par cinquante boëtes qui tirérent pendant le disner du Roy, & furent comme le premier coup de signal qui avertit la Cour du spectacle qui se devoit donner à l’entrée de la nuit.

Sur les neuf heures du soir on entendit un semblable bruit de canon qui rassembla les Courtisans, & qui sortant de la grande Avenuë du Chasteau, attira tous les yeux de ce costé-là. Dans le moment on y vit paroistre un Char magnifique tout doré & illuminé, qui dans l’obscurité de la nuit fit un effet surprenant. On l’auroit pris d’abord pour un globe de feu que la distance empeschoit de discerner, tant il estoit brillant de lumieres, qui jointes à l’éclat de l’or, formoient une vive clarté au milieu des tenebres les plus épaisses : mais les yeux enchantez par la nouveauté du spectacle, & ébloüis par un si grand jour, distinguérent bientost la figure du Dieu qui estoit placée au fond du Char.

C’estoit Mars, que les Poëtes prennent pour le Dieu de la guerre, & qui a si fidelement secondé les desseins du Roy dans ses Conquestes, qu’on le croit toûjours également zelé pour la gloire de Sa Majesté. Il estoit representé comme un Vainqueur revenant des rivages du Pô qu’il a parcourus, & où il a répandu le nom de Louis le Grand, qui a jetté dans l’esprit des Peuples une si prompte consternation. Il avoit appris sur sa route la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, qui luy ayant cause une joye extraordinaire, le pressoit d’arriver plûtost à la Cour de ce Prince ; autant pour luy rendre compte de l’heureux succés de ses armes en Italie, que pour le feliciter sur un évenement si singulier, & aussi avantageux à l’Espagne qu’à la France.

Mars s’étant arrêté à Montreüil, distant de Versailles d’un quart de lieuë, en partit sur son Char pour se rendre au Chasteau : à mesure qu’il avançoit dans l’Avenuë, on remarquoit la fierté de sa contenance, & la richesse de son habillement. Il portoit sur sa teste un casque orné de pierreries, & surmonté d’un panache blanc : sa cuirasse estoit de diamans, & il tenoit de la main droite son javelot, tel que le representent les Medailles. On le voyoit assis sur un Throsne élevé de cinq pieds au dessus du Char, & enrichi de Fleurs-de-lys d’or, appliquées sur un fond bleu, au milieu duquel estoit peint une Genie qui écrivoit les actions du Roy, pour les transmettre à la posterité la plus reculée.

Au dessus du Throsne, estoit une Couronne de France dorée, dont le bandeau estoit garni de douze pierres precieuses, sur lesquelles étoient gravez les noms des Villes conquises par le Roy. Elle estoit d’une si grande circonference, qu’elle formoit une espece de dais, qui couvroit la teste de Mars, & une partie du Char, sur lequel elle repandoit sa lumiere.

Sur le devant du Char, & aux pieds de Mars estoient assises deux figures qui représentoient Bellone & Pallas, revestués de leurs ornemens guerriers, & accompagnez de leurs symboles ; elles avoient prés d’elles deux tymbales.

Derriere le Trône du Dieu Mars, étoient posez plusieurs Trophées d’armes differentes, comme de Piques, Lances, Drapeaux, Etendars, Corselets, Casques & Boucliers bien groupez, au dessous desquels estoient attachez avec des chaisnes d’or quatre Esclaves Italiens, que Mars triomphant, amenoit des Villes nouvellement conquises.

Le corps de ce superbe Char estoit tout enrichi de sculpture & de dorure, & revestu aux costez de toiles transparentes & peintes, qui sous differens symboles marquoient les actions memorables du Roy : on voyoit d’un costé des sieges de Villes, & de l’autre des batailles données, tant sur mer que sur terre, qui par le secours des lumieres se distinguoient aisément.

Il estoit traisné par deux chevaux isabelles richement enharnachez, qui portoient un fronteau doré garni de pierreries, avec une aigrette sur la teste. Ils estoient montez par deux Renommées vêtuës à l’antique, & tenant chacune à la main une trompette, dont elles sonnoient pour annoncer l’arrivée de Mars, & dont le son meslé au bruit des tambours & des fifres, faisoit une harmonie militaire & tres-agréable.

Autour du Char marchoient douze Officiers François, six de chaque costé, tous habillez magnifiquement : & à l’imitation des Romains, qui portoient dans leurs triomphes les tableaux des Villes conquises, ou des victoires remportées, chacun tenoit une espece de lanterne ou fallot éclairé, surmonté d’une Fleur-de-lis d’or, & orné de festons de lauriers. Le corps de ces fallots estoit plat & couvert d’une toile transparente, sur laquelle estoient écrits des deux costez en gros caracteres les noms des batailles les plus celebres qui ont esté gagnées par les François, sous le regne du Roy ; sçavoir, celles de Lens, de Rocroy, de Nortlingue, de Fribourg, de Fleurus, de Nervinde, de Stinkerk, de la Marsaille, de Stafarde, du Ter, de Fridelingue, de Spire & de Luzzara ; aussi-bien que la prise de Philisbourg faite par Monseigneur le Dauphin, & celle de Brisac par Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Dans cet ordre, s’avança le Char de Mars, parmi le bruit des tymbales, des trompetes, des fifres & tambours. Il ne fut pas plustost à la vûë de l’Hostel de Conty, qu’au signal marqué, le canon recommença à tirer, & fit encore sentir plus fortement prés de la grille des Ecuries l’approche de Mars par une nouvelle décharge. Mais dés qu’il entra dans l’avant-cour du Château, le mesme tonnerre qui le precede ordinairement, se fit entendre par des coups plus vifs que les premiers : non-seulement les maisons voisines, mais encore les montagnes qui regnent autour de Versailles, en furent ébranlées jusqu’aux fondemens.

Pendant ce bruit terrible, l’avant-cour du Chasteau se trouva tout d’un coup éclairée par une infinité de terrines ou pots à feu, qui dans un clin d’œil parurent tous posez sur deux lignes, & éclairerent par leurs lumieres le bas du Char, dont elles firent remarquer les riches peintures & les soubassemens magnifiques qui descendoient jusques sur les rouës. Les Suisses, si distinguez par leur air guerrier, s’estant rangez en haye derriere ces terrines, reçurent Mars, qui traversa l’avant-cour avec une majesté étonnante. Dés qu’il fut entré dans la Cour, les lumieres du Char éclairans les dehors dorez du Chasteau, le rendirent si brillant, qu’on croyoit voir le Palais du Soleil, tel qu’il est décrit dans Ovide. Mais une nouvelle décharge de canon fit bientost changer cette idée, & répandit par tout l’effroy causé par la présence redoutable de Mars. Le feu de ses yeux & de son armure le faisoit paroistre aussi terrible qu’il est dans la Thrace, lieu de son Empire, ou à la teste des armées, precedé de la Guerre & de l’Epouvante, comme nous le peint Homere.

Aussi-tost ayant fait tourner ses chevaux autour de la Cour du Chasteau, pour en admirer en passant le superbe édifice, il arresta son Char sous l’Appartement du Roy.

Ce fut là, qu’une nouvelle Scene s’ouvrit, & que la joye succeda à la frayeur, lorsque les musettes & les hautbois accorderent la douceur de leurs sons avec celuy des trompetes & des fifres. Le Roy qui attendoit Mars dans son appartement, impatient de son arrivée, parut sur un balcon doré au milieu de l’élite de sa Cour, où du premier coup d’œil il jouit avec plaisir de la beauté du spectacle. Mars ayant d’abord apperçû le Roy, plus venerable par la majesté de son front, que par son sceptre & par sa couronne, estoit sur le point de descendre de son Char ; mais trop empressé de féliciter ce Monarque, il se leva de son Throsne pour le saluer, & après que les trompettes & les hautbois eurent cessé de jouer, il fit ce beau compliment à Sa Majesté.

 Souverain Maistre de la Terre,
 Je viens d’obeir à ta Loy :
Des rivages du Pô, que j’ay remplis d’effroy,
Où le bruit de ton Nom fait plus que mon tonnere,
J’accours te signaler & mon zele & ma foy.
Dans le jeune Heros, dont j’apprens la naissance,
Le Ciel a couronné le bonheur de la France.
 Croissant au milieu des Lauriers,
 Et dans le sein de la Victoire ;
Il te suivra bien-tost au Temple de la Gloire.
 Déja de ses travaux guerriers
  J’ay plus d’un heureux présage :
 J’espere tout de son courage.
Sur ta haute prudence, aux sieges, aux combats
Je formeray son cœur, je regleray ses pas :
Il apprendra de moy l’art de lancer ta foudre,
  Et de mettre les murs en poudre
 Par son berceau deux Thrônes affermis
Répondent des succés, où sa valeur aspire :
Oüy ; ce Prince naissant, que l’Univers admire
Domptera la fureur des plus fiers Ennemis ;
Et voyant à son bras-mille Peuples soûmis,
Perpetuera ton sang, ton Nom & ton Empire.

Mars n’eut pas plûtôt achevé son compliment, dont le Roy parut tres-satisfait, qu’il fit avancer son Char au milieu de la Cour, où il donna un nouveau spectacle à Sa Majesté. Ce fut pour lors que le Theatre changea de face, & surprit agréablement les yeux des spectateurs ; car pendant que les instrumens de Musique faisoient, avec les trompettes un concert si harmonieux, on vit tout d’un coup briller autour du Chasteau des Lances, des Gerbes & des Soleils fixes & tournans, qui firent un effet surprenant, & qui par l’éclat du feu artificiel, representerent une vive image de la guerre. Presque dans le mesme instant, un nombre infini de fusées & de serpenteaux se répandit dans les airs, & y fit admirer tout ce que l’Art à de plus ingenieux & de plus surprenant.

Mars s’estant arresté là quelque temps pour voir la fin d’une Feste, dont le Roy faisoit le principal ornement par sa présence, se pressa de retourner en Etalie. Ayant poussé vivement ses chevaux, il sortit de Versailles au même bruit du canon qui l’avoit accompagné en y entrant, & se rendit bien-tost au-delà des Alpes, pour y conduire les projets du Roy, & donner à Sa Majesté de nouvelles marques de son zele.

[Par M. Bosc, maître des requêtes et surintendant de la maison de Mme la duchesse de Bourgogne]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 237-246.

Je n’ay pu être informé plûtôt du détail de la fête suivante, ainsi je me trouve obligé de la placer hors de son rang. Elle est de Mr Bosc, Maître des Requêtes & Sur-intendant de la Maison de Madame la Duchesse de Bourgogne.

Toute la face de sa maison du côté de la ruë, étoit illuminée avec des lamprons, attachés au tour des fenêtres plaintes & corniches. Sur les fenêtres étoient des tableaux, dont on se sert ordinairement dans ces sortes de fêtes, & que les lumieres que l’on met derriere, rendent transparens, & entre chaque fenêtre, étoient des lozanges formés aussi avec des lumieres ; ces lozanges representoient des chiffres Couronnés de Monseigneur le Duc & de Madame la Duchesse de Bourgogne, avec des fleurs de lis d’or. Et sur le milieu du toit on voyoit une haute piramide triangulaire, toute de lumieres, sur le haut de laquelle étoit un vase rempli de grosses lumieres.

Le tableau de la fenêtre du milieu découvroit un Soleil qui dardoit ses rayons sur la France, representé par un globe d’azur avec des fleurs de lis d’or, & au haut étoit ce demy vers d’Horace.

Aliusque & idem nasceris.

C’est-à-dire.

Vous naissez toûjours nouveau & toûjours le même.

Le Poëte qui a employé ces mots dans un Ode à l’honneur d’Apollon, veut dire que la grand beauté du Soleil luy donne toûjours la grace de la nouveauté ; Le sens figuré est double, l’un fait connoître que le Roy à le plaisir de se voir renaître dans ces nouveaux Soleils, qui sont un écoulement de sa propre lumiere, & l’autre que le Prince nouveau né, sera un nouveau Soleil, mais que ce fera toûjours le même, parce qu’il heritera des grandes vertus du Roy & des Princes ses Pere & Ayeul.

À la droite de ce Soleil, estoit un grand cartouche avec deux écussons, l’un aux Armes de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & dans l’autre étoit la Croix de Savoye avec ce vers de Martial pour Inscription.

Dî servate precor matri sua vota patrique.

C’est-à-dire,

Dieu conservez le Prince qui est le fruit des vœux de son pere & de sa mere.

À la gauche étoient les Armes de France, écartelées de Bretagne, n’étant pas possible encore de designer ce jeune Prince autrement, avec ce vers de Virgile pour Inscription.

Chara Deum Soboles, magnum Jouis incrementum.

Ce qui signifie,

Il est de la race des dieux, il sera grand c’est un accroissement de Jupiter qui dans le sens figuré designe le Roy.

Par dela à droite & à gauche étoient les Armes de Monseigneur le Dauphin, avec ces paroles du Prophete Isaye.

Et filie ejus divident spolia.

C’est-à-dire,

Ses enfans partageront les dépoüilles des ennemis.

On a placé ces armoiries aux extremités, & on y a mis une inscription, qui n’a raport qu’à la posterité de Monseigneur, pour marquer que, quoyque les premiers hommages luy soient dûs, sa bonté de pere veut bien que les honneurs des fêtes presentes soient pour ses enfans, & le mot du Prophete est appliqué à la prise de Brisac par Monseigneur le Duc de Bourgognes & aux Conquêtes du Roy d’Espagne en Portugal.

Le dedans de la maison, & principalement le jardin, dont la disposition est tres favorable, étoient aussi illuminez. Il est vis-à-vis le principal corps de logis, & separé de la Cour par une grille de fer, soutenuë de plusieurs pilastres de pierre. Comme il a plus de longueur que de largeur ; Il est coupé en deux par un grand berceau qui le traverse ; ce berceau est percé dans le milieu par une arcade à travers de laquelle on voit le second parterre, au bout & en face duquel est un grand batiment tres regulier, qui sert de serre des orangers, au dessus duquel est un petit pavillon. Et le parterre est bordé de deux allées d’arbres.

Les pilastres de la grille étoient couverts de pilastres, peints en marbre, tous garnis de lumieres, & au haut de chaque pilastre étoit un pot à feu, qui jettoit de grosses flammes.

La face du berceau étoit aussi garnie de semblables pilastres de lumieres, sur lesquels étoit une traverse en forme de corniche & l’arcade du milieu. Le tout fermé avec des lamprons. À travers cette arcade & par dessus le berceau, on decouvroit la façade de l’orangerie toute garnie de lamprons, qui fermoient les ceintres des fenêtres, pleintes, & corniches, & toute l’architecture de la porte & du pavillon qui est au dessus ; en sorte que de la court on voyoit les trois differentes illuminations de la grille, du berceau & de l’orangerie, disposées l’une aprés l’autre en maniere d’amphiteatre : & dans le fond de l’orangerie, & en face de la porte, étoit un grand tremeau de glace, qui repetoit toutes les lumieres du jardin. Sur la fenêtre du pavillon de l’orangerie étoit un tableau transparent, comme ceux de la face du logis, representant les ennemis de France & d’Espagne, liez ensemble avec un ruban bleu, dont le nœud étoit serré par un Ange, & au dessous, deux faisseaux de fléches, passées en sautoir avec cette inscription, tirée de Virgile.

Æterno fœdere junctæ.

Les arbres qui ferment les allées qui sont aux deux côtés du parterre, étoient garnies de lamprons aussi-bien que les plattes-bandes du parterre.

La fête commença par une simphonie d’instruments. Il y eut ensuite une magnifique colation ; & aprés une décharge de 80. boëtes, qui étoient disposées dans les allées du jardin. On tira une grande quantité de fusées, quaissons, pots-à-feu & autres pieces d’artifices, & deux Soleils d’artifice qui étoient attachez au haut de la grille du jardin, aux côtés de la porte, brillerent pendant tout ce temps là.

La fête fût terminée par un bal qui dura jusqu’au jour, pendant lequel on servit quantité de rafraichissemens, & où se trouva un fort grand nombre de personnes de qualité.

[Par soixante-dix communautés]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 246-263.

Il me reste encore à vous parler de plus de soixante-dix Communautez qui ont fait des Festes, dont je ne suis pas assez bien informé, pour vous en donner le détail ; vous jugerez bien par les noms de ces Communautez qu’il y en a dont la vivacité du zele à beaucoup plus marqué leur joye que leur magnificence, & qui n’ont pû imiter qu’en cela ceux qui ont fait de tres grosses dépenses. Ce n’est pas qu’une partie de ces Communautez n’en ait fait beaucoup, & que je ne vous envoye le mois prochain le détail de quelques-unes de celles qu’elles ont faites, si elles tombent entre mes mains ; cependant je vous diray que tous les Syndics & Officiers de ces Communautez se sont distinguez le jour que la Communauté a fait chanter le Te Deum. Ils ont fait des feux, des illuminations & donnez à boire aux passans, & toutes les boutiques de ceux de leur Communauté ont esté fermées ce jour-là ; & chacun a fait des feux devant sa porte, & plusieurs ont fait des depenses ce soir-là au de-là de leurs facultez.

Voicy les noms de toutes ces Communautez, le jour & les lieux où elles ont fait chanter le Te Deum.

Le 30. Juin.

Les Marchands Miroittiers, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Bernier, Maistre de la Sainte Chapelle, dans l’Eglise de sainte Marine de la Cité.

Le 1. Juillet.

Le Corps des Marchands Bonnetiers dans sa Chapelle en l’Eglise de saint Jacques de la Boucherie.

Les Marchands Chapeliers un Te Deum en musique & symphonie, dans l’Eglise de S. Leu S. Gilles.

Les Corroyeurs, dans l’Eglise de Saint Merry.

Les Horlogeurs, dans la Sainte Chapelle basse.

Le 6.

Les Marchands de Vin du Roy, dans l’Eglise des grands Cordeliers. Monsieur l’Argillieire, ancien grand Garde fit le soir un feu devant sa porte, toute la façade de sa Maison fut illuminée & une piece de vin distribuée aux Passans.

Les Maîtres & Maîtresses des petites Ecoles, dans l’Eglises des grands Cordeliers.

Le 7.

Les Cordonniers un Te Deum en musique, de la composition de Monsieur Lalloüette dans leur Chapelle en l’Eglise Metropolitaine de Nôtre Dame.

Les Marchands Fripiers ; dans l’Eglise des Saints Innocens.

Les Marchands Ceinturiers, un Te Deum en musique dans l’Eglise de Saint Barthelemy.

Le 8.

Les Tapissiers dans l’Eglise du Saint Sepulchre.

Les Plombiers, dans la même Eglise.

Les Selliers, Lormiers & Carossiers, un Te Deum en Musique avec Symphonie, dans l’Eglise des grands Augustins.

Les Lingeres dans l’Eglise de Sainte Oportune.

Les Gantiers & Parfumeurs, dans l’Eglise des Carmes de la Place Maubert.

La Communauté des Fourbisseurs un Te Deum en Musique de la composition de Mr Bernier, dans la sainte Chapelle basse.

Les Gardes de la Communauté des Tapissiers un Te Deum en Musique, dans la même Eglise, & de la composition du même Maistre.

Le 9.

Les Chirurgiens & Barbiers, un Te Deum en Musique avec une belle Symphonie dans l’Eglise de Saint Cosme ; il y eut une grande illumination dans leur Laboratoire dans le même quartier.

Les Couturieres, dans l’Eglise de Saint Gervais.

Le 10.

La Communauté des Tailleurs, un Te Deum en Musique, de la composition de Mr Lalloüette, dans l’Eglise de la Trinité, ruë Saint Denys.

La Communauté des Ecrivains Jurez, un Te Deum & un Salut en Musique dans l’Eglise de Sainte Croix de la Bretonnerie.

Les Boulangers, dans l’Eglise de Saint Honoré.

Les Gardes Jurez, Emailleurs, Vitriers & Fayanciers, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Guillery, dans l’Eglise des Saints Innocens.

Les Marchands Lapidaires & Joüailliers, dans l’Eglise des grands Augustins.

Les Marchands Salpetriers, dans l’Eglise des Augustins de la Place des Victoires. Le soir ils firent tirer un beau feu d’artifice devant l’Eglise de ces Peres.

Les Bourliers, dans l’Eglise du S. Sepulchre, avec symphonie.

Le 11.

Les Marchands Taillandiers en fer blanc & en fer noir, dans l’Eglise des grands Augustins.

Le 12.

La Communauté des Bouchers, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Laloüette, dans l’Eglise de Saint Jacques de la Boucherie.

Les Marchands Doreurs, dans l’Eglise de Saint Denys de la Chartre.

Le 13.

Les Vitriers & Peintres sur verre, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Bernier, dans l’Eglise des grands Cordeliers.

Les Marchands Peigniers & Tablettiers, dans l’Eglise des grands Augustins.

Les Marchands du Pont-neuf dans la même Eglise. Ils firent un feu devant la Statuë d’Henry IV. ils illuminerent la grille & tirererent beaucoup d’artifice.

Les Marchands Papetiers, dans l’Eglise des grands Cordeliers.

Les Marchands Boisseliers un Te Deum en Musique de la composition de Mr Bouteiller l’aisné, dans l’Eglise de Saint Leu, Saint Gilles.

Les Malletiers & Coffretiers dans l’Eglise des Augustins du Fauxbourg Saint Germain.

Les Chaudronniers, dans l’Eglise des grands Augustins.

Le 14.

Les Charpentiers, dans la Chapelle de Saint Blaise, ruë Galande.

Les Teinturiers en soye, en fil & en laine, dans l’Eglise des grands Augustins.

Les anciens Marchands Tanneurs, dans l’Eglise de Saint Gervais.

Les Marchands Verriers & Fayanciers, dans l’Eglise de la Trinité, ruë Saint Denys.

Les Marchands Doreurs & Argenteurs, dans l’Eglise des grands Augustins.

Les Maréchaux, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Paulin, Beneficier de Nostre-Dame, dans l’Eglise des Augustins du Fauxbourg saint Germain.

La Communauté des Marchands Tissutiers, Rubaniers, Frangers & Ouvriers en draps d’or, d’argent & de soye, dans l’Eglise du Prieuré de saint Martin des Champs.

Le 15.

Les Vinaigriers, dans l’Eglise du Saint Sepulchre.

Les Patissiers, dans la Chapelle Royale de Saint Michel, dans l’enclos du Palais.

Les Seruriers, dans l’Eglise de saint Denys de la Chartres.

Les Fruitiers & Orangers, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Paulin, dans l’Eglise des grands Augustins.

Le 17.

Les Grainiers & Grainieres dans la même Eglise.

Les Marchands Tanneurs, dans la même Eglise.

La Compagnie des Maistres en fait d’Armes, dans l’Eglise des grands Cordeliers.

Les Marchands Tonneliers, dans leur Chapelle, en l’Eglise de Nostre-Dame.

Les Marchands Tonneliers & Déchargeurs de Vin, dans l’Eglise de saint Bon.

Les Marchands Brasseurs, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Bernier, dans la Sainte Chapelle basse.

Les Marchandes du Marchéneuf, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Paulin, dans l’Eglise de sainte Geneviéve des Ardens.

Le 18.

Les Marchands Rotisseurs, dans l’Eglise des grands Augustins ; le soir ils firent tirer un beau feu d’artifice devant la porte de cette Eglise.

Les Marchands Boulangers, dans l’Eglise des grands Cordeliers.

Le 19.

Les Maistres Jurez & Gardes de la Communauté des Cuisiniers-Traiteurs, dans l’Eglise de sainte Croix de la Bretonnerie.

Les Couvreurs, dans l’Eglise de saint Julien le pauvre.

Le 20.

Les Graveurs & Peintres en Taille douce, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Petit de Nostre-Dame, dans l’Eglise de Mathurins.

Les Marchands Gaisniers, dans l’Eglise de sainte Croix de la Bretonnerie.

Le 21.

Les faiseurs & joüeurs d’instrumens, dans la même Eglise.

Les Charbonniers, dans la même Eglise.

La Communauté des Marchands de vieux fer & de dépeceurs de Carosse, dans l’Eglise des grands Augustins.

Les Loüeurs de Carosses, dans l’Eglise des grands Cannes.

Les Marchandes de la Place Maubert, dans la même Eglise.

Les Marchands Messigiers ou Marchands de Laine, dans l’Eglise de S. Denys de la Chartre.

Les Forts gagne deniers, dans l’Eglise des grands Cordeliers.

Les Marchands Patenotriers, dans l’Eglise de Saint Bon.

Le 22.

Les Chandeliers un Te Deum en Musique de la composition de Mr Bernier, dans la Sainte Chapelle basse.

Les Colporteurs, dans la Chapelle de S. Blaise, ruë Galande. Mrs le Begne & Poullain estoient alors en exercice de direction.

Le 24.

La Communauté des Peintres, un Te Deum en Musique de la composition de Mr Bernier, dans sa Chapelle de saint Luc, dans la Cité.

Le 27.

Les Menuisiers, dans l’Eglise des grands Cordeliers.

Les Potiers d’Etain, dans l’Eglise des grands Augustins.

On a oublié de marquer que le 13. les Couteliers, Doreurs & Graveurs ont fait chanter un Te Deum dans l’Eglise des grands Augustins.

Les Marchands & Loüeurs de Chevaux firent chanter le Te Deum le 31. Juillet dans l’Eglise de saint Jacques de l’Hospital.

Le nombre des Communautez qui ont fait chanter le Te Deum est si grand, que je ne doute point qu’il ne m’en soit échapé une partie ; mais il est certain qu’il n’y en a pas une de celles qui sont peu accommodées, & qu’on ne croit pas même avoir rang de Communauté, qui n’ait voulu témoigner son zele & sa joye. Il s’est trouvé des Convents qui n’ont point voulu prendre de leur argent, & les Jacobins de la ruë S. Honoré ont donné là-dessus exemple aux autres. L’empressement étoit si vif que sans les soins & l’application de Mr d’Argenson, la confusion auroit esté grande, chacun voulant rendre graces au Ciel, & faire des réjoüissances presque dans le même temps : C’est ce qui obligea Mr d’Argenson de regler que quatre Communautez seulement, seroient rendre par jour des actions de graces ; & ce qu’il y a de surprenant, est que ce Magistrat a bien voulu assister à la plus grande partie de ces Te Deum, & qu’il a esté souvent, chaque jour, à tous ceux qui se sont dits.

[Chez M. d’Argenson]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 263-266.

Il donna, dés le jour de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, & les jours suivans, de si grandes marques d’une veritable joye, & il fit tant de choses pour la marquer, qu’elles me meneroient trop loin, si j’entreprenois de les décrire ; ainsi je ne les rapporteray point icy. Elles ne sont pas ignorées à Paris, où tout retentit de la vivacité de son zele & de ses liberalitez ; cependant je ne puis m’empêcher de vous dire que le 29. de Juin, l’entrée de la ruelle qui conduit à l’Hostel de ce Magistrat parrut toute illuminée. Il y avoit une piramide surmontée d’un Soleil tout éclatant de lumieres, & à côté, deux grands Dauphins qui jetterent du vin pendant cinq à six heures. Il y avoit ensuite le long de la ruelle ou avenuë, des pilastres aux deux côtez, garnis de lumieres. Cette avenuë étoit remplie de timballes & de trompettes, qui étoient sur des échafauts en forme de balcons, afin que l’avenuë ne se trouvast pas rétressie. Toute cette avenuë étoit ornée de festons de fleurs naturelles. La façade de l’Hostel étoit décorée par une grande quantité de lamprons & de fleurs. Toute la cour étoit illuminée & divisée en portiques ornez de festons, & remplis d’une grande quantité de lamprons. La Compagnie de Mr le Prevost de l’Isle, celle de Mr le Lieutenant de Robe-courte & celle de Mr le Chevalier du Guet y firent quatorze décharges, dont le bruit fit casser presque toutes les vitres. Les appartemens du premier étage étoient ouverts à tout le mode, & ceux du second étoient remplis de rafraîchissemens & de liqueurs pour les personnes plus distinguées. Mr d’Argenson & Mr son fils jetterent des fenestres de cet appartement, un tres-grand nombre de pieces de dix sols & de cinq sols au Peuple, dont la cour étoit toute remplie. La Feste commença à huit heures du soir & ne finit qu’à trois heures aprés minuit. Mr d’Argenson avoit fait mettre des lanternes dans toutes les ruës des environs de son Hostel, où des chandelles brûlerent jusques au jour, & il y avoit beaucoup de devises & d’emblêmes dans les ornemens de l’avenuë & de la Cour. Il est impossible de bien exprimer la maniere affable qui parut, pendant toute la soirée, sur le visage de Mr d’Argenson, qui excitoit luy-même à se divertir, tous ceux qui ne peuvent s’empêcher de causer du dommage, aux lieux où le vin leur fait donner des marques d’une joye un peu trop vive.

[Chez les chanoines de la Sainte-Chapelle de Vincennes]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 267.

Je dois presentement vous parler de ce qui s’est fait aux environs de Paris, où du moins d’une partie.

Le Samedy 28. Juin, Messieurs les Chanoines de la sainte Chapelle Royale du Château de Vincennes, y chanterent un Te Deum avec beaucoup de solemnité, au bruit d’un grand nombre de boëtes & de toute l’artillerie du Château ; le soir il y eut une grande illumination au haut du donjon avec un tres beau feu d’artifice, qui fut tiré sur la terrasse de ce donjon. Ce qui fut parfaitement bien executé selon les ordres de Mr le Marquis de Bellefont, Gouverneur & Capitaine du Château de Vincennes.

[À Saint-Denis]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 268-275.

Le premier de Juillet, Mr Robbe, Maire de la Ville de S. Denis en France, envoya des Lettres Circulaires aux Capitaines de la Bourgeoisie & des Arquebuziers, & des avertissemens aux Marguilliers des Paroisses, afin que les uns se preparassent à se mettre sous les armes, le plus lestement qu’ils pourroient, le Jeudy suivant, pour assister au feu de joye, qui devoit estre allumé dans la grande place, à neuf heures du soir ; & que les autres fissent carillonner & sonner le tocsin, pendant la journée.

Le Jeudy les Compagnies s’étant assemblées, sous leurs Drapeaux, au nombre d’environ trois cens hommes ; ils défilerent quatre de front & vinrent passer devant la porte de Mr Robbe. Il avoit fait décorer la façade de sa Maison, & fait mettre à la fenêtre de sa chambre, ornée de pampres & de festons de fleurs, un Tableau d’un enfant au maillot, sur un tapis d’azur semé de fleurs de lis d’or, representant Monseigneur le Duc de Bretagne, la teste posée sur un oreiller d’hermines, & au dessous un quadre doré, qui enfermoit le Distique suivant de sa façon, car il est tres-bon Poëtes.

Nascere parve puer, nova spes superaddita Gallis.
Firmas Hispanos, Pacis et omen ades.
Venez combler tous nos souhaits,
Auguste Enfant, que la gloire accompagne :
Vous devenez, en assurant l’Espagne,
L’heureux présage de la Paix.

Entre ce quadre & la porte de la Maison de ce digne Maire, étoient placées, dans des guirlandes de lierre, les armoiries du Roy, du Prince nouveau né, de Monsieur le Duc d’Estrées Gouverneur de la Province & celles de la Ville audessous.

Aux côtez de la porte, étoient élevez deux demi-muids de vin, destinez pour donner à boire à tous les passans ; les Officiers saluerent en passant, le Portrait du Prince, les uns avec l’Esponton & les autres avec le Drapeau, & la Mousqueterie fit sa décharge par rangs. Les Compagnies allerent ensuite faire le tour de la Place, & y poserent leurs armes, afin d’aller plus commodement & avec plus de liberté, boire à la santé du Roi & du Prince, à la porte de Mr le Maire.

Sur les huit heures où environ, le Maire fit marcher les Compagnies par la Ville, dans les principales ruës, avec ordre de se rendre à neuf heures précises, à l’Hostel de Ville, dont la façade estoit bien décorée. Pendant cette marche, on prit le temps de poser l’artifice sur un arc de triomphe, orné de pampres & de festons, dressé entre l’Hostel de Ville ; & le Feu de bois, qui formoit un obelisque.

D’abord que les Compagnies furent arrivées, elles firent le tour de la grande Place, devançant le Maire accompagné du Corps de Ville, qui estoit précedé de Violons, de Tambours & de Fifres : Aprés quoy, elles s’ouvrirent en double haye, & en occuperent tout le circuit. Alors le Maire avec son Lieutenant, & les deux Echevins en Charge s’avancerent tous, avec un flambeau à la main, & mirent chacun à leur rang, le feu à la piramide de bois ; Aussi-tost on tira les boëttes, & la Mousqueterie fit une décharge generalle : le Maire but ensuite à la santé du Roy & de Monseigneur le Duc de Bretagne ; ce qui fut accompagné de grands cris de Vive le Roy, des fanfares des violons, & du bruit des tambours & des fifres. Tous les Officiers burent aussi aux mêmes santez, & on leur répondit avec les mêmes acclamations, les mêmes fanfares, & le même bruit.

On aporta ensuite des sieges, pour asseoir le Maire, les Officiers du Corps de Ville & les anciens Echevins, vis-à-vis, du feu d’artifice. On fit aussitost une nouvelle décharge des boëtes & de la Mousqueterie. On vit les fusées traverser les airs, & la place qui estoit déja toute éclairée par les illuminations des fenestres, se trouva, en un instant, toute brillante par le grand nombre de lances à feu & de saussissons, qui sortirent des pots à feu, dont les portiques & le ceintre de l’arc de triomphe estoient garnis : aprés quoy l’on mit le feu aux rouës & au Soleil, qui estoit placé au haut du ceintre ; & tout l’artifice finit par l’extinction de ses rayons.

Aprés que le feu d’artifice fut tiré, les Compagnies défilerent devant le Maire & le Corps de Ville ; elles le reconduisirent dans sa Maison, & en passant, firent encore une décharge par rangs, devant le Portrait du Prince. Le souper y estoit apresté : Les Officiers de la Bourgeoisie y furent conviez avec les anciens Echevins, & l’on s’y divertit beaucoup ; le soupé fini, on commença le Bal, qui dura jusqu’à trois heures aprés minuit. Pendant ce temps, la Bourgeoisie marcha par escoüades sous la conduite des Sergens, dans les ruës, avec des brocs de vin, pour continuer la réjoüissance jusqu’au jour, ce qu’ils firent en marquant toûjours les mêmes transports de joye.

[Au collège des chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, à Nanterre]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 275-277.

Les Chanoines Reguliers de Sainte Geneviéve, tiennent à Nanterre, à deux lieuës de Paris, un celebre College, où ils élevent & instruisent dans les belles Lettres, avec beaucoup de succés & de reputation, un tres-grand nombre d’enfans, dont la plûpart sont des premieres & plus illustres familles de Paris. Comme ces Peres sont Seigneurs temporels & spirituels du Bourg de Nanterre, ils crurent qu’il estoit de leur devoir d’engager par leur exemple les Habitans à prendre part à la joye publique, pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; pour cet effet le 6. de Juillet, ils chanterent le Te Deum dans l’Eglise de la Paroisse, au bruit d’une décharge de plusieurs boëtes, qui fut redoublé plusieurs fois ; & firent couler deux fontaines de vin pendant toute l’aprés midi ; sur le soir, ils allumerent un grand feu qui fut accompagné d’artifices & de fusées volantes ; en même temps tout le grand corps de logis, qui a veuë sur S. Germain en Laye, parut éclairé par un nombre infini de lumieres, cette illumination formoit, sur le haut, dans l’endroit ou est un Cadran, un Soleil qui faisoit un fort bel effet, & qui fut vû du Château de S. Germain par leurs Majestez Britaniques qui témoignerent y prendre beaucoup de plaisir. La même illumination fut continuée deux jours de suite.

[Chez M. Lorey, à Poissy]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 277-278.

Monsieur Lorey, Receveur en titre du Grenier à Sel de Puissy s’y fit distinguer, puis qu’outre le grand feu qu’il fit faire, il fit illuminer sa maison deux jours de suite, il tint table ouverte pendant ces deux jours. Plusieurs de ses amis de Paris & les plus distinguez du lieu, s’étant rendus chez luy, pour prendre part à cette fête. Il donna un grand bal ; & plus de deux cens hommes sous les armes, qui étoient devant sa porte, firent plusieurs décharges de mousqueterie. On tira quantité de fusées volantes, & l’on fit couler plusieurs fontaines de vin.

[À Saint-Ouen-l’Aumône]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 278-281.

Monsieur Vallin, Sindic perpetuel de la Parroisse de saint Oüin de l’aumône, qui n’est separée de la Ville de Pontoise que par le pont, voulant prendre part à la joye publique, engagea tous les habitans de cette Parroisse de s’assembler le 3. Juillet sur les sept heures du soir. Il y eut des feux & des illuminations dans les rues & aux fenêtres pendant toute la nuit ; on forma une compagnie des plus lestes, & Monsieur Vallin s’étant mis comme Syndic, à la tête, alla avec les tambours, les hautbois & les violons faire chanter le Te Deum, & allumer un feu qu’on avoit preparé devant la ruë qui conduit à l’Abbaye Royale de Maubuisson ; d’où aprés plusieurs décharges de mousqueterie, & de boëtes & de cris de vive le Roy, ayant été mandé par son Altesse serenissime Madame la Princesse qui étoit dans cette Abbaye, avec Monsieur le Duc d’Anguien, & Mesdemoiselles de Charolois & de Sens, il s’y rendit avec toute sa troupe ; & pendant qu’un feu, que son Altesse serenissime avoit fait dresser, brûla, on continua les cris d’allegresse, & le feu de la mousqueterie ; aprés quoy on revint dans le même ordre qu’on étoit parti devant la maison de Monsieur Vallin, où on trouva plusieurs fontaines de bon vin qui couloient par ses soins, & à ses dépens, pour tous ceux qui se presentoient.

L’heure de souper étant venuë, plusieurs tables furent dressées au même endroit, où les principaux de cette Parroisse souperent & furent regalés par Monsieur Vallin ; les santés du Roy, de Monseigneur & de Messeigneurs les Princes ses Enfans & de Monseigneur le Duc de Bretagne y furent bûës aux cris de vive le Roy, & enfin toute cette fête finit par un bal public, où tout se passa sans desordre & sans confusion.

[À Corbeil]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 281-292.

La petite Ville de Corbeil, prés Paris, s’est beaucoup distinguée ; Elle attendoit avec impatience qu’il luy fût permis de faire éclater sa joye, & elle avoit déja même prévenu l’ordre, quand elle le reçût de Monsieur Henault, Gouverneur de la Ville, Fils de Mr Henault Fermier General, qui venoit de le recevoir de la Cour. Monsieur Henault nouvellement pourvû de ce Gouvernement, & de la Lieutenance Generale des Chasses, ne pouvoit mieux commencer son avenement à ces Charges, qu’en se distinguant comme il a fait dans cette réjoüissance publique, où il a été secondé par tous les Bourgeois de la Ville, sujets des plus fidelles & des plus zelés, ainsi que le porte leur devise.

Cor bello paceque fidum.
Nous sommes fidelles en paix, comme en guerre.

Je dois ajouter icy, que ce Gouverneur à toutes les bonnes qualités qui peuvent le rendre agreable au pays.

La Ville, n’eût pas plûtôt reçû ordre de faire chanter le Te Deum le 9 de Juillet, que tout se disposa à marquer sa joye. Les boutiques furent fermées : toutes les cloches carrillonnerent : La poudre ayant été distribuée avec profusion dans tous les quartiers, par ses ordres, tous les Bourgeois, & les Chevaliers de l’Arquebuse se mirent sous les Armes, & se rendirent à l’Hôtel de Ville, où ils prirent le Gouverneur qui se mit à leur tête ; ils allerent en fort bel ordre, parés de rubans & de cocardes, au son des fifres & des tambours, à l’Eglise de Nôtre Dame, que le Curé avoit fait parer & illuminer extraordinairement. Le Te Deum y fut chanté en faux-bourdon, avec un Exaudiat, au son des Cloches & au bruit du Canon, qui ne cessa point de tirer.

Le Gouverneur se rendit ensuite avec toute la Bourgeoisie sous les armes dans une grande place quarré, qui est devant le Château. Un bûcher orné de feüillages, s’y trouva élevé, où il mit le feu aprés en avoir fait le tour au bruit de la mousqueterie, qui fit plusieurs décharges. Le Château parut en un moment illuminé, & la nuit qui étoit fort obscure, devint plus brillante que le jour : rien ne parut plus ingenieux que l’illumination, qui par ses divers compartimens, representoit les Armes de France & de Bretagne. Sur la porte étoit un grand obelisque, qui avoit un Soleil pour amortissement, accompagné de deux piramides, qui finissoient par deux fleurs de lys On y lisoit cette belle inscription.

Undique micat.
Par tout il porte ses rayons.

La lumiere formoit l’ordre de l’architecture du portail. Dans le fonds de la cour on découvroit une autre piramide, qui se joignant avec celle du portail, formoit de loin une perspective fort agreable, & faisoit d’autant plus de plaisir, que dans la Ville on n’avoit rien vû de pareil depuis fort longtemps : Deux fontaines de vin, que l’on fit couler pendant ce temps là, & qu’un Bacchus, sur un tonneau, distribuoit au peuple avec abondance, détourna l’attention des spectateurs qui acoururent de ce côté-là ; Les cris de vive le Roy redoublerent, pendant que la mousqueterie redoubloit aussi ses décharges. Monsieur le Prevôt de Corbeil, qui n’entend pas moins à bien servir le Roy dans sa charge, qu’à faire les honneurs de sa maison, avoit desiré du Gouverneur qu’il agreât que sa Compagnie, les Dames & les principaux de la Ville vinssent prendre chez luy des rafraichissemens. On trouva dans sa maison une table servie magnifiquement, où la santé du Roy & du Prince nouveau né, fut bien celebrée au bruit du Canon, on sortit avec peine de table à une heure au matin, pour avoir le plaisir du feu d’artifice, que le Gouverneur avoit fait construire sur une terrasse, au bord de la Riviere. Cette situation est admirable pour un pareil spectacle. On y étoit accouru de tous les lieux des environs. Le pont & les bords de la Seine se trouverent couverts d’un nombre infini de populace, rien n’étoit plus agréable que de voir voguer sur la Riviere des batteaux illuminés, qui paroissoient autant de tables flottantes, où la santé du Roy & de Monseigneur le Duc de Bretagne étoit celebrée au bruit des tambours, de la mousqueterie & du Canon que les échos repetoient. Toutes les maisons des environs, ainsi que les plus éloignées parurent illuminées, aussi bien que tous les Clochers de la Ville, où les P. Recollets se distinguerent fort.

Ce feu d’Artifice étoit à quatre pilliers, au milieu desquels s’élevoit une figure, qui representoit la France, tenant le Prince nouveau né entre ses bras & le presentant à la Bretagne, qui étoit à ses pieds, pour le luy demander. Sur le piédestal, on lisoit ces mots.

Cumulata vota.
Mes veux sont comblés.

Ce qu’on peut expliquer par ces vers,

La Bretagne jalouse envioit le bonheur
De l’Anjou, du Berry, ces heureuses Provinces,
Qui goûtent le bonheur d’obeyr à des Princes :
D’un sort pareil elle flattoit son cœur.
Charmant Prince, aujourd’huy ton heureuse naissance
La comble de bonheur, remplit son esperance,
Tu vas porter son nom, & luy donner des loix.
Par cette preference & ce glorieux choix
Elle sent augmenter son zele & sa puissance.

Audevant on voyoit les Armes de France & de Bretagne & au bas une devise, qui avoit pour corps, la France tenant entre ses mains plusieurs Sceptres & plusieurs Couronnes avec ces mots.

Regum terræ opifex et officina.
Je donne des Rois à la terre.

Du côté qui regarde la Riviere étoit une autre devise, dont le corps étoit un petit Ruisseau qui va toûjours s’agrandissant, avec ces mots.

Rivulus, quondam flumen ibit.
Ce petit Ruisseau deviendra bien-tôt fleuve.

On voïoit une autre devise, du côté qui regarde la Ville, dont le corps étoit un Lyon & des lionceaux, avec cette belle inscription pour ame.

Fortes creantur fortibus.
Les Puissans engendrent les Puissans.

Du côté qui regarde la campagne, étoit une autre devise, dont le corps étoit une Aigle suivie de ses aiglons, qui volent vers le Soleil ; avec ces mots.

Nec imbellem feroces pro generant aquilæ columbam.
Les Aigles ne degenerent point de leur origine.

L’artifice, qui étoit de la composition des Artificiers de l’Arsenal, fut fort bien executé : La Seine ne contribua pas peu à en augmenter la beauté ; les fusées, en s’élevant en l’air, s’y retraçoient agréablement, & tombant dans l’eau y faisoient mille tours & mille bonds avant que d’éclater ; enfin ces deux élemens contraires semblerent concourir ensemble, pour faire un spectacle parfait. L’Assemblée se separa fort contente de la feste, & de son nouveau Gouverneur.

[À l’abbaye de Saint-Wandrille]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 292-296.

Le 28. de Juin, Mr l’Abbé de Fourcy ayant appris dans son Abbaye de Saint Vandrille, la nouvelle de l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, donna aussi-tost ses ordres pour faire chanter un Te Deum solemnel. Les Religieux de son Abbaye secondant ses intentions, & joignant une pieté édifiante & exemplaire au zele sincere & ardent de leur digne Abbé, se revêtirent de leurs plus beaux Ornemens, & s’assemblerent dans leur Eglise illuminée de tous costez. Le Curé de la Paroisse s’y rendit, accompagné de ses Paroissiens, avec la Croix & la Banniere : un grand nombre de peuple des lieux circonvoisins accourut au bruit du carillon de toutes les cloches, qui marquoient la joye publique Mr l’Abbé ayant entonné le Te Deum, qui fut achevé dans l’Eglise, alla ensuite en habit de ceremonie avec ses Religieux en Procession, dans la Place publique, pour allumer le feu qui avoit esté préparé par son ordre ; il estoit suivi de Mr Foloppe Avocat du Roy, de Mr de Saint Martin & des autres Officiers de l’Abbaye. Tous les habitans qui estoient sous les armes, commandez par Mr Dallet, Procureur du Roy des Eaux & Forests, & Officier de l’Abbaye, formerent un grand cercle autour du feu, & aprés que les Prieres furent finies, ils firent une décharge, & défilerent en ordre vers le Palais Abbatial, en faisant plusieurs décharges, À peine la derniere salve des habitans du lieu fut achevée, que plusieurs Bourgeois de la Ville de Caudebeq, Capitale du pays de Caux, & dont ledit sieur Abbé est Seigneur, arriverent en armes, & tambour battant. Mr Colleau Vicomte de ladite Ville, Lieutenant de Police & Capitaine de la Cinquantaine se mit à leur teste l’esponton à la main, les rangea dans la Place, & aprés plusieurs décharges autour du feu, les conduisit en ordre, au son des tambours, dans la cour de Mr l’Abbé, où recommença le bruit des armes. Il y avoit dans les appartemens une collation preparée pour les Officiers, & autres personnes des plus considerables de la Ville, des rafraichissemens dans la cour pour la Compagnie de la Cinquantaine & pour d’autres Bourgeois sous les armes, & dans la Place dequoy boire à discretion pour tout le peuple qui estoit venu de toutes parts à cette ceremonie. La réjoüissance dura tout le jour & toute la nuit, en criant vivent le Roy & Monseigneur le Duc de Bretagne. Jamais on n’a vû paroistre tant d’empressement pour témoigner une joye veritable & sincere pour la gloire du Roy, & le bonheur continuel de la France.

[À Abbeville]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 296-299.

Le Mercredy 16, de ce mois, les réjoüissances commencerent à Abbeville par une grande Messe qui fut chantée en Musique avec une excellente Symphonie. Elle estoit de la composition d’un tres-habile Maistre. Tous les corps de cette Ville y assisterent, & pendant la Messe on fit quinze décharges du canon & de la mousqueterie. On chanta à l’issuë de la Messe le Te Deum & l’Exaudiat. Au sortir de l’Eglise Mrs du Corps de Ville se rendirent à l’Hostel de Ville, où par les fenestres, ils distribuerent, à trois reprises, de l’argent au peuple, & firent couler pendant le reste de la journée deux fontaines de vin. On donna à manger à tous les passans. Enfin sur les six heures, toute la face de l’Hostel de Ville parut illuminée, & on se disposa à faire joüer un beau feu d’artifice qui estoit dressé au milieu de la Place. La principale des quatre faces de l’Hôtel de Ville estoit destinée à la gloire du Roy, & on lisoit des Vers François à la gloire de Sa Majesté On voyoit dans la 2. qui estoit consacrée à Monseigneur, d’autres Vers François sur la conqueste de Philisbourg, faite par ce Prince. Monsegneur le Duc de Bourgogne étoit loüé dans la 3. par des Vers faits sur la prise de Brisac. La quatriéme contenoit des Vers à la gloire du Prince nouveau né. Il y avoit des Devises à la gloire de ces Princes, au bas de chaque intercolonne. On vit partir cinq cens cinquante fusées de ce beau feu qui dura presque toute la nuit. Toute la Ville estoit illuminée d’une maniere singuliere. Le Pere Cracoville qui a eû la direction du feu d’artifice, en avoit composé tous les Vers. C’est le même Pere qui va publier incessament un ouvrage, auquel il travaille, depuis long-temps contre les Cononites, heretiques du sixiéme Siecle.

Pendant qu’on tira le feu d’artifice, les Consuls donnerent un repas magnifique qui fut suivi d’un Bal, qui dura jusqu’à quatre heure du matin. Toutes les Dames de la Ville y furent invitées ; & il en vint beaucoup de la Campagne qui augmenterent le brillant de cette grande feste.

[À Caen]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 300-314.

Mr Foucault, Conseiller d’Etat & Intendant de la Generalité de Caën, fit chanter un Te Deum en musique le sixiéme de Juillet, dans la principale Eglise de la Ville. Mr l’Evêque de Bayeux, dont le zele pour la gloire du Roy égale la pieté, en fit la ceremonie : les divers Ordres de la Ville s’y rendirent avec les ornemens qui les distinguent : la Musique répondit à ce qu’on attendoit de l’habileté de celui qui l’a conduit. Cette action de pieté finie, le peuple fut attiré à la porte de de Mr Foucault, par une decoration magnifique de la face de son Hostel ; les Armes de France, de Dauphiné, de Bourgogne & de Bretagne ornées de festons & de couronnes de fleurs ; une infinité de lanternes chargées de fleurs de lis & d’hermines, formoient jusques au toict un ordre d’Architecture tres-regulier, & tres agréable ; deux fontaines de vin, qui sortoient de deux masques, coulerent le reste du jour ; elles firent mettre aux fenestres les personnes de la Ville les plus considerables, qui se divertirent long-temps des cris de joye du peuple, & de son empressement à profiter de cette largesse. Ce divertissement conduisit insensiblement jusques à l’heure du souper Quatre grandes tables servies magnifiquement dans la salle d’audience superbement parée, reçurent en tres-grand nombre toutes les Dames de distinction de la Ville, & des environs, qui s’estoient renduës a Caën, pour prendre part à ces réjoüissances ; les Cavaliers les servirent, & Me Foucault accoûtumée depuis long-temps à ordonner ces sortes de Fêtes, fit parfaitement bien les honneurs de celle cy. Tout ce que la Province si abondante, fournit par elle-même, & par son commerce dans les pays étrangers, soit de liqueurs, soit de fruits ; tout, dis je, parut avec profusion dans ce repas ; mais la nuit qui s’approchoit ayant renouvellé l’empressement qu’on avoit de joüir du plaisir des illuminations, que la préparation de la face du logis promettoit, fit lever de table assez promptement, & toute la Compagnie marcha vers le lieu où le feu estoit preparé. Je ne diray point icy en quel estat parurent les Dames, on juge assez qu’elles n’avoient rien oublié de tout ce que l’ajustement peut contribuer au bon air & à la beauté ; ce fut un spectacle tres-agreable de les voir marcher à pied, invitées par le beau temps, entre deux hayes du peuple, que quelques Gardes contenoient dans le devoir, où le retenoit encore davantage le respect qu’il a pour Mr Foucault, qui les accompagnoit avec toute la Noblesse du païs.

Caën est situé dans un vallon sur le bord de la riviere d’Orne, entre deux grandes prairies, qui semblent avoir esté dressées au niveau : deux Faux bourgs s’étendent au dessus de la Ville. Sur les deux côteaux qui terminent ces prairies, d’un costé la maison des Jesuites, & l’Abbaye Royale de Saint Estienne, avec plusieurs tours de diverses Paroisses ; de l’autre un long Faux bourg & plusieurs villages presque contigus avec leurs clochers, forment une perspective charmante, dont la vûë est terminée par une belle maison de campagne, & quelques bois en éloignement. À l’entrée de cette prairie est un boulevart, sur lequel est bâti un gros pavillon tres-propre : ce boulevart est planté de quatre rangs d’arbres, qui font un tres-beau berceau ; un grand canal est au dessous ; au bout de ce canal sur le bord de la riviere, regne un cours de quatre rangs d’arbres plantez par les soins de Mr Foucault, dés son arrivé à Caën. Ce fut ce beau lieu qu’il choisit pour y dresser un feu d’artifice, comme propre à contenir tout le peuple, & à recevoir l’appareil du spectacle qu’il vouloit donner : trente cinq pieces de canon amenées de plusieurs endroits éloignez, furent placées dans le jardin des Jesuites ; à l’opposite le Regiment de la Ville commandé par Mr de Monts son Colonel, fut mis en ordre de bataille, le feu au milieu ; la nuit fut la plus favorable du monde, la Lune ayant toûjours esté couverte d’un nuage. Une décharge de l’artillerie tres-bien servie, & du Regiment de Monts, qui y répondit de même, avertit le peuple que le spectacle alloit commencer. On vit naître en même-temps une illumination charmante, à perte de vûë sur les deux bords de la prairie : il parut dans le jardin des Jesuites un parterre de lumieres d’un ordre admirable ; un cordon de feu distingué d’espace en espace par de petits obelisques ; un amphitheatre de differentes figures compassées avec symetrie, tout cela terminé par l’illumination de leurs chambres, & par une espece de couronne que formoit la ceinture de leur Eglise, & la pointe de leur clocher. La tour de la Paroisse S. Etienne éclairée en pyramide ; celle de l’Abbaye du même nom, disposée d’une autre figure, d’où partoient de temps en temps des fusées ; le Monastere de la Visitation illuminé dans toutes ses faces ; le bois des Capucins pareillement éclairé, & qui servoit comme de fond à tous ces objets : cet amas de lumieres durant toute la nuit, fut un spectacle des plus magnifiques. De l’autre costé de la prairie, sur le bord de la riviere, plusieurs feux disposez à divers étages avec ceux du Fauxbourg de Vaucelles, partagerent l’attention de l’assemblée. On tira de temps en temps un fort grand nombre de boëtes. La Compagnie de Mr Foucault, ou se promenant sur le boulevart sous un berceau de lumieres, dont les arbres estoient chargez, ou assise sur des sieges preparez, joüissoit sans embarras & sans confusion de la beauté de ces divers spectacles. Le bruit des tambours, le son des trompettes, & de divers autres instrumens, le carillon continuel de toutes les cloches de la Ville au milieu d’une nuit des plus paisibles, se mêloient avec les acclamations du peuple, & l’envit en même-temps partir en nombre infini de fusées, qui attirerent tous les yeux des spectateurs. Ces fusées firent un merveilleux effet au milieu des deux côteaux dont on vient de parler. L’eau dont les prairies qui sont en ce lieu, sont bordées, d’un côté par la riviere, de l’autre par le grand canal, augmentoit le spectacle par les feux qui s’y representoient une infinité de fois, & sembloient s’y multiplier en cent differentes manieres. Enfin le feu d’artifice commença. Un grand quarré estoit décoré par une espece de Ville ; quatre piramides aux angles, une plus élevée au milieu, avoient un Soleil pour amortissement. C’est le symbole de la gloire & de la grandeur de nostre invincible Monarque ; ce Soleil dominant sur les autres, sembloit leur communiquer ses lumieres, & s’imprimer en eux. C’est ainsi que Louis le grand répand sur nos augustes Princes ses Enfans les rayons de cette sagesse, qui fait la gloire de son regne ; produit les grands succez de tous ses desseins ; est le bonheur de ses peuples ; & leur promet une longue suite de regnes heureux dans des Successeurs élevez par un Roy le plus sçavant de tous les Rois en l’art de regner. Les Armes de ces grands Princes accompagnées de trophées, environnoient l’édifice, les gerbes de fusées qui en partirent, l’éclat des boëtes, les rouës de feu, en un mot, toutes les differentes manieres dont l’artifice fait agir-ce terrible élement, tout répondit aux desirs de l’illustre Magistrat, qui donnoit cette Fête & aux souhaits de l’assemblée. Deux nouvelles décharges, de l’artillerie & du Regiment de Caën, succederent à l’effet du feu d’artifice.

La Fête sembloit estre terminée par la, le peuple songeoit déja à se retirer, quand tout à coup des fanfares, & le son martial de divers instruments l’arrêterent encore, & lui annoncerent un nouveau divertissement. On vit s’avancer sur le canal une barque voguante avec fierté portant pavillon Hollandois ; plusieurs chaloupes partagées en trois escadres marcharent à elle en ordre de bataille ; elles portoient pavillon François & Espagnol ; les équipages galamment habillez de differentes livrées, à la faveur des flambeaux representerent un combat naval, qui de tous ces divers spectacles fut un de ceux qui divertit davantage : ils attaquerent le grand vaisseau durant plus d’une heure à coups de petars & de fusées ; ce petit combat parut vif & animé, & il contrefit si bien l’horreur des veritables, que quoiqu’on fût persuadé qu’il n’y avoit rien à craindre, on ne pouvoit quelquefois s’empêcher de trembler pour eux : on vint à l’abordage & la grande barque fut enlevée.

La fin de ces divertissemens pour le peuple, fut le commencement d’un nouveau pour les personnes de qualité ; elles se rendirent dans le Pavillon du boulevart pour y danser jusques au jour : Mlle de Croymare fit parfaitement bien les honneurs du bal. Et ce fut ainsi que cette Fête fut terminée.

Je ne dois pas oublier que toute la Ville entra dans le même dessein de Mr Foucault : elle voulut aussi marquer son zele & son amour pour son Prince, dans une conjoncture qui doit remplir de joye tous les vrais François. Les Bourgeois avoient allumé des feux dans les ruës, & illuminé leurs Maisons. Tous les clochers de la Ville, sans en excepter aucun, estoient de même éclairez en differentes figures. Celuy de l’Abbaye de la Trinité, qui domine à la Ville, dont les feux estoient agreablement disposez par les soins de Madame de Tessé son Abbesse, sœur du Maréchal du même nom, en faisoit le couronnement.

Cet assemblage de pyramides de feu, opposé au lieu de la scéne du divertissement, offrit au retour un nouveau spectacle. Ce grand corps de lumieres, qui éclairoit de loin, fit paroître la Ville toute en feu : & on se promena dans les ruës à la faveur de tant d’illuminations, qui conduisirent enfin jusqu’au jour.

[À Clermont-en-Beauvaisis]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 314-318.

Madame la Princesse d’Harcourt estant arrivée à Clermont en Beauvoisis le 2. Juillet, Mrs de Ville allerent aussi-tost la saluer en Corps, & luy dire que le Jeudy suivant on devoit chanter un Te Deum en action de graces de l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; ils la prierent en même-temps d’assister à la ceremonie du feu de joye qui devoit suivre le Te Deum ; cette Princesse s’y trouva le Jeudy 3. du mois, & la ceremonie ayant commencé en presence de tous les Corps par une marche reglée autour du feu, reïterée trois fois & accompagnée d’autant de cris, de vive le Roy, le Lieutenant General & le Maire de la Ville eurent l’honneur de donner la main à cette Princesse ; elle fit avec eux le tour du feu qu’elle alluma elle-même : À l’instant, tous les Habitans sous les armes firent plusieurs décharges de Mousqueterie, & on distribua au Public plusieurs tonneaux de vin par l’ordre de cette Princesse, & par les soins des premiers Officiers du lieu : le reste de la journée & toute la soirée se passerent en repas sur tables dressées dans les ruës, où tout le monde estoit bien venu. Les illuminations y parurent des plus brillantes, & tous les instrumens du païs s’y trouverent. Enfin le Peuple s’abandonna à la joye.

Mais il s’en fallut peu que cette Feste ne coutât beaucoup à Madame la Princesse d’Harcourt, puisque tous les Habitans qui avoient esté excitez à la joye par l’exemple de cette Princesse, s’estant rendus pendant la nuit, en foule avec les violons, en sa maison qui n’est que de bois, ils l’ébranlerent si fort qu’elle fust obligée pour la sûreté de sa personne, de passer sur le champ dans une autre maison plus solide.

Ces réjoüissances continuerent plusieurs jours & furent terminées par une galanterie digne de Madame la Princesse d’Harcourt, qui voulant marquer aux Officiers de la Ville, combien elle estoit contente d’eux, envoya à Paris faire provision de quantité de tabliers, d’éventails, de boëtes, de toilettes, de chapelets, de tableaux & d’autres bijoux, dont elle fit la distribution aux Dames de Clermont, par forme de Lotterie.

[À Montpellier]* §

Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 318-336.

Messieurs les Consuls de la Ville de Montpelier, aïant reçû la Lettre du Roy & les Ordres de Mr le Maréchal de Villars, Commandant dans cette Province, pour assister au Te Deum, faire des feux de joye & autres réjoüissances publiques, à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Ils assisterent avec leur Secretaire, en robe de ceremonie, au Te Deum qui fut chanté en Musique, le Dimanche 13. Juillet, dans l’Eglise Cathedralle S. Pierre de Montpelier, auquel la Cour des Aydes, la Chambre des Comptes, le Bureau des Finances, & le Presidial, avec tous les Officiers militaires de la Ville se trouverent.

Le soir du même jour, Messieurs les Consuls avoient eu le soin de faire dresser un feu d’artifice à la promenade du Peirou, qui est hors une des portes de la Ville, & qui est une des plus belles places du Roïaume, par sa scituation, & par la vûë étenduë qu’elle donne de tous côtez, tant sur la Mer que sur les Pyrenées & montagnes voisines qui semblent renfermer avec le jardin du Roy, pour l’Université de Medecine & quantité de belles maisons de campagne, des bois d’Oliviers, qui entretiennent leur verdure pendant toute l’année. Le feu d’artifice representoit un arc de triomphe & un grand Portique d’Ordre Corinthien, orné de Trophées d’Armes & d’autres Peintures. Au-dessus de l’Entablement, on voïoit s’élever un Attique, surmonté d’une Renommée. Et cet Attique étoit chargé de cette inscription magnifique en Lettres d’Or.

LUDOVICO MAGNO. PATRI, AVO, PROAVO. QUOD UNI REGUM DEDIT DEUS, UTINAM SIT ATAVUS. ET VIVAT.

La Frise de l’Entablement & les Ceintres des Arcades, étoient ornés de sept grandes Medailles, d’Or, & de Bronze. Les paroles qu’on y lisoit étoient tirées de la quatriéme Eclogue de Virgile ; & le peu de changement qu’il y avoit, n’a été que pour les rendre plus convenables au Sujet.

Le dessein de Mrs les Consuls a été de representer dans ces Medailles, la vie de Monseigneur le Duc de Bretagne, formée sur le Modele de Loüis le Grand, & sur celui de Monseigneur le Dauphin, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Le Roy d’Espagne Philippe V. y étoit encore proposé pour un exemple. Et l’on voïoit ce dessein executé par les paroles suivantes, qui forment un discours lié, & qui étoient adressées à Monseigneur le Duc de Bretagne.

Incipe, parve Puer.
Facta tuorum mox legere.
Quæ sit poteris cognoscere virtus.
Imitabere facta Parentum.
Reges, patriis virtutibus Orbem,
Occidet & Serpens.
Surget Gens aurea mundo.

On lisoit ces paroles dans les Medailles suivantes.

I.

Pour faire entendre, que Monseigneur le Duc de Bretagne naît dans le temps que le Roy triomphe de la plus grande partie de l’Europe, liguée contre Sa Majesté & contre l’Espagne. La premiere Medaille étoit formée par deux branches, l’une de Laurier, & l’autre de Palme, liées au dessous. Et ces paroles étoient écrites dans le Champ de la Medaille.

Incipe, parve Puer.
Vous naissés, bel Enfant, dans le Sein de la Gloire.

II.

La seconde faisoit entendre, que Monseigneur le Duc de Bretagne lira dans l’Histoire, dés sa premiere jeunesse, les grandes Victoires que la France & l’Espagne ont remportées en divers endroits de l’Europe, & qu’elles remporteront encore sur leurs Ennemis communs.

La France & l’Espagne y étoient peintes debout & armées, & se donnant la main. Les Ecussons de leurs Boucliers les distinguoient. Et l’on voyoit plusieurs Provinces à leurs pieds, qui leur presentoient des Clefs dans les Bassins. Avec ces mots.

Facta tuorum mox legere.
Vous lirez bien-tôt dans l’Histoire.
Jusqu’à quel haut degré
Vôtre Sang a porté sa Gloire.

III.

Dans la troisiéme, étoient peintes deux Branches, l’une de Laurier, & l’autre d’Olivier, mises en sautoir. Et ces paroles.

Quæ sit poteris cognoscere Virtus.
Vous aurés chez vous les modelles
Des plus éclatantes Vertus.

Le Laurier & l’Olivier faisoient assés connoître, que ces Vertus sont Militaires & les Politiques.

IV.

Des trophées d’Armes, qui representoient la Gloire qui accompagne les grandes Actions des Rois, avec ces mots.

Imitabere facta Parentum.
Imités leurs grandes Actions,
Et vous aurés part à leur Gloire.

V.

La cinquiéme Medaille faisoit entendre, qu’un jour Monseigneur le Duc de Bretagne ne s’appuyera pour défendre & gouverner ses peuples, que sur la pieté & les autres grandes Vertus, à l’exemple de ses Peres.

On y voïoit un Sceptre & une Couronne sur un Autel à l’Antique. Et on y lisoit ces mots expressifs.

Reges Patriis Virtutibus Orbem.
Quand vous tiendrés un jour le Sceptre des François,
En vous brilleront à la fois
Les Vertus qu’on voit dans vos Peres,
La Valeur & la Pieté,
La Justice & la Bonté.

VI.

La Fable porte, que Python fut produit du limon, qui resta sur la terre aprés le déluge. Et l’on avoit peint dans la sixiéme Medaille, un Apollon qui tuoit à coups de fléches ce serpent ; pour faire entendre que s’il restoit encore des ennemis & des jaloux du nom François, Monseigneur le Duc de Bretagne les terrassera. On y lisoit ces paroles.

Occidet et Serpens.
S’il reste des jaloux & des fiers ennemis,
Vous les aurez bien-tôt soûmis.

VII.

Enfin la septiéme faisoit concevoir le bonheur, que la France doit esperer d’une si longue suite de Rois du Sang de Loüis le Grand. On y avoit peint des demi-dieux champêtres, qui dansoient ; & un Arc-en-Ciel, qui marquoit l’alliance du Ciel avec la Terre ; c’est-à-dire, les Benedictions que Dieu va répandre sur ce Roïaume. Ces mots en faisoient l’ame.

Surget Gens aurea mundo.
Ne craignons plus pour l’avenir,
Le Siecle d’Or va revenir.

Les uns attribuent la Decoration de ce feu & les Medailles, à Mr de Fizes, Professeur des Mathematiques dans l’Université, & les autres disent que le Reverend Pere Gisbert, Jesuite, en est l’Auteur. Ce feu avoit esté dressé à l’opposit & dans une distance d’environ deux cens pas de la Porte du Peirou.

Cette Porte est un Arc de triomphe que la Ville de Montpellier a fait bâtir avec beaucoup de dépenses depuis environ dix années, tout revêtu d’Architecture, accompagnée de quatre grandes Medailles de la main d’un excellent Sculpteur. Du costé de la Ville on voit deux Medailles, la premiere represente la conversion generalle du Royaume, où l’on voit la Religion qui renverse & détruit l’Heresie, avec ces mots.

Extincta Hæresi.

Une autre fait voir la jonction & la communication de l’Ocean avec la Mediteranée, avec ces mots.

Cunctis Oceano et Mediteraneo mari.

Les deux autres Medailles font face à la promenade, l’une represente un Herculle apuyé sur sa massuë qui terrasse un Lion & épouvante un Aigle, avec ces mots.

Fusis terra, marique, conjuratis centibus.

Et dans l’autre on voioit parmi des ornemens de trophées, des Villes & des Provinces s’offrir & se soûmettre à la France, avec les mots au dessous ;

Sub oculis hostium, belgii arcibus expugnatis.

On voit par la continuation des graces & benedictions que Dieu verse sur le Royaume & la Maison Royalle que ces évenemens répondent aux desirs des habitans de Montpelier & aux souhaits qu’ils ont fait, lorsqu’ils ont élevé cet Arc de triomphe, avec les Medailles.

Sur les huit à neuf heures du soir Mr Demayne, Lieutenant de Roy de la Ville, accompagné de la Noblesse, s’estant rendu à l’Hostel de Ville, & s’estant mis à la teste de Mrs les Consuls, partit au bruit des trompettes, des haut bois & des violons, & à la lueur d’un grand nombre de flambeaux de point de cire blanche : il se rendit à la promenade du Peirou, où le bucher fut allumé aprés les ceremonies accoûtumées. Ensuite le feu d’artifice fut tiré d’une maniere qui satisfit toute la Ville, qui s’étoit renduë à cette promenade, & qui fut suivi d’une triple décharge que firent les Bourgeois & Habitans qui estoient rangez en batailles dans cette promenade, & du Canon de la Citadelle.

Ce spectacle ne fut pas plûtôt fini qu’il s’en forma un nouveau. Les Habitans à l’envy les uns des autres avoient garny tous les devans de leurs maisons, d’illuminations aux Armes du Roy, de Bretagne & de la Maison Royalle, & avoient allumé des buchers qu’ils accompagnerent la plûpart de feux d’artifice & de fontaines de vin, qui couloient pour ceux qui en vouloient prendre. Mr Demainny, premier Consul de Montpelier, & Mr Bagnol, Avocat general en la Cour des Aydes de cette Ville, se sur passerent dans leurs illuminations & dans les festes qu’il donner eux à leurs voisins.

La joye des Habitans estoit si grande, que la feste dura pendant toute la nuit ; on vit même pendant le jour paroître sur les portes de plusieurs particuliers, des Portraits du Roy avec des inscriptions ; celle qui suit estoit au dessous d’un des portraits de Sa Majesté fait par Mr Rigaud, fameux Peintre.

LUDOVICO MAGNO.

Inaudita regnandi diuturnitate fortunatissimo,
Quo patre, Galliæ
Quo avo, Hispaniæ
Quo proavo, orbi
Felicitas asseritur.

Mr de Plantade le fils, Conseiler en la Cour des Aydes, en est l’Auteur.

[Lette de Mr de Senecé, premier Valet de Chambre de la Reyne]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 336-344.

Je vous envoye une Lettre de Mr de Senecé, premier Valet de Chambre de la Reyne, dont les Ouvrages n’ont jamais paru sans recevoir des applaudissemens extraordinaires. Il est si galant que je ne doute point qu’il n’ait beaucoup de part à la feste qu’il décrit.

À Mascon, le 9. Juillet 1704.

Vous m’avez fait un sensible plaisir, mon cher amy, en m’apprenant par vostre Lettre, les demonstrations de joye qui se sont faites à Paris & à la Cour, par la naissance de Monseigneur Duc de Bretagne. C’est un si grand, & si heureux évenement, qu’il n’est aucune effusion de joye, qui puisse assez bien répondre à celle que tous les bons & fidelles François en doivent ressentir dans leur cœur. Et en effet, qui ne doit pas en estre transporté, en voyant vivre tout à la fois quatre Princes, dont l’un regne si glorieusement, & les trois autres par la ligne directe, sont appellez à leur rang, à la succession de la Couronne. Je n’estime pas que nos Histoires, ny même les Etrangeres, puissent fournir l’exemple d’une pareille felicité. Si la Province doit ceder en magnificence à la Capitale du Royaume ; en récompense, elle ne luy ce de point en zele dans cette occasion. Le Chapitre de la Cathedrale de nostre Ville, en a rendu les premiers témoignages par un superbe repas entre tous les Chanoines, par le carillon de toutes les cloches les plus harmonieuses du Royaume, & par une grande profusion de vin au peuple. Le noble Chapitre de saint Pierre se dispose à le suivre, par une magnifique illumination de son Eglise & de son Clocher ; & Madame la Marquise de Thoüy, femme de cet Officier General des troupes du Roy, qui se distingue si fort en Portugal, a fait un grand feu en son particulier, au bruit des trompettes, accompagné d’un régal qu’elle a donné aux Dames de toute sorte de rafraichissemens. Mais rien n’a tant brillé, de tout ce qui s’est fait ici, comme une Feste entreprise par douze jeunes Gentilshommes de nostre, Ville trois jours aprés l’arrivée de cette grande nouvelle. Ils avoient pris pour leur Scene une petite Isle tres-jolie, que forme la riviere de Sône, à la portée du pistolet au dessous du Pont de Mascon. Cette Isle est toute entourée d’arbrisseaux, aux branches desquels on avoit attaché une infinité de lumiéres : Aux deux bouts qui regardent le Midy, & le Septentrion, on avoit élévé deux grands buchers de toute sorte de matieres combustibles, sur lesquels estoient representées les figures de la Guerre, & de la Discorde, pour estre brûlées publiquement, & immolées à la tranquillité publique. Dans le milieu de l’Isle, qui forme une petite prairie estoit dressée une grande tente, sous laquelle estoit une table de vingt-quatre couverts, où estoient invitez le Bailly de la Noblesse, le Maire de la Ville, & les principaux Magistrats, qui furent servis à souper par cette jeunesse avec beaucoup à respect. Le tour de l’Isle estoit bordé de cent Mousquetaires, qui faisoient des décharges continuelles, ausquelles répondoient une infinité de Boëtes & de Fauconneaux, que l’on avoit placez sur les deux rivages opposez. Mais on fut agreablement surpris, de voir sur les dix-heures du soir, sortir d’entre les arbres une machine composée de solives, posées en figure triangulaire, qui portoient une haute Pyramide, où étoit enfermé le feu d’artifice, orné d’une infinité de flames & de banderolles, aux armes de France & de Bretagne. Cette machine estoit tirée sur l’eau, par quatre petits bateaux bien peints, à six rames chacun, dont les Conducteurs estoient habillez fort proprement des couleurs du Roy. Quand on eut mis le feu à la machine, les rameurs luy firent faire trois fois le tour de l’Isle, & cet artifice ambulant faisoit un effet merveilleux. Il estoit suivi de trois autres bateaux, dans l’un desquels estoit une femme qui a une fort belle voix, vestuë galamment pour representer la riviere de Sône, accompagnée d’un chœur de Musique dont tous les Acteurs estoient deguisez en Dieux des eaux. La Sône chantoit le Recit suivant.

Taisez-vous, bruit de Guerre, & d’un profond silence.
 Honorez nos chants réjoüis,
 Nous celebrons une Naissance
Qui par trois hauts degrez de gloire & de puissance
 Remonte à l’auguste LOUIS.
Taisez-vous bruit de guerre, & d’un profond silence
 Honorez nos chants réjoüis.
***
La Paix, de ces beaux lieux va chasser la Discorde,
Les Lis y brilleront par un nouvel éclat :
Quel sera cet Enfant que le Ciel nous accorde ?
Déja ses foibles mains, affermissent l’Etat.

Ensuite le Chœur reprenoit la premiere partie du Recit.

Taisez-vous bruit de guerre, &c.

Et ces chants estoient alternez par les deux autres bateaux, dont l’un estoit rempli de tambours & de trompettes, l’autre de hautbois, & l’autre de violons. Tous ces bateaux estoient bordez de lumieres, aussi-bien qu’une infinité d’autres qui les suivoient, & qui estoient remplis des plus belles Dames de la Ville, parées tout de leur mieux. Quand l’artifice fut consumé, cette petite armée navale aborda dans l’Isle, où les Dames furent regalées de confitures & de toutes sortes de liqueurs glacées, & on y dança jusques au jour, pendant que le peuple de toute la Ville, qui occupoit le Pont & les deux rivages, aplaudissoit au spectacle par ses cris de joye, & se divertissoit à sa maniere. Voilà, mon cher amy, une imparfaite description de la galanterie de nos Masconnois, qui pourra si vous l’en jugez digne, tenir sa place dans le Mercure Galant, & en composer un article, qui justifiera au public, que si nostre petit Pays n’est pas des plus florissans, il est du moins des plus zelez pour la prosperité de l’Etat, & la grandeur de la Maison Royale. Nous attendons encore un grand spectacle que prepare Monseigneur nostre Evesque, & qui sera suivi de la Feste que doit faire le Corps de Ville, dont j’espere vous envoyer un détail.

[À Castres]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 344-346.

On chanta le 2. de Juillet, à Castres, le Te Deum en action de graces, de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Tous les nouveaux Convertis y assisterent : on fit ensuite des feux de joye par toute la Ville. Monsieur l’Evêque de Castres en fit faire un d’artifice devant la porte de son Palais avec une fontaine de vin : il fit mettre sur la porte de l’Evêché douze flambeaux de cire blanche, entre lesquels il y avoit des lanternes où estoient les armes du Roy & des Princes de la famille Royale, & sur chacune des quarante fenestres de son Palais, il y avoit des lanternes entremêlées de lampes ; ce qui fit un tres-bel effet. Mr l’Evêque de Castres donna ensuite un grand souper, la table estoit de vingt-cinq couverts. Ce Prelat se distingue extremement dans tout ce qu’il fait, & son bon goût égale sa magnificence. Il est frere de Mr le President de Maupeou & proche parent de Madame la Chanceliere.

On doit remarquer que dans les réjoüissances faites à Castres, les nouveaux Convertis se sont fort distinguez, ainsi qu’ils firent l’année derniere, lorsque les Fanatiques vinrent à Castres, ils se joignirent au Catholiques & les chasserent vigoureusement à grand coupe de fusil.

[À Tiffauges]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 346-352.

Monsieur le Marquis de la Bretesche Lieutenant General des Armées du Roy, n’eut pas plustost appris la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, qu’il ordonna une réjoüissance publique à Tiffauges, petite Ville de sa dépendance sur la frontiere de Bretagne ; ce Marquis tire son origine de cette Province. La Feste y fut celebrée le six de ce mois, & fut commencée par une grande Messe chantée en Musique & un Te Deum dans la principalle Paroisse, où Mr de la Bretesche assista accompagné d’une grande partie de la Noblesse du Païs. À l’issuë de cette ceremonie qui dura prés de deux heures ; ce Marquis voulant rendre sa joye plus entiere & plus generale, donna une somme d’argent considerable pour estre distribuée aux pauvres de la Ville, & aussi-tost l’on n’entendit plus que cris de joye & benedictions données à la Naissance d’un Prince qui procuroit déja tant de bien. Toute la compagnie se rendit ensuite au Chasteau, où Mr le Comte de la Bretesche frere de Mr le Marquis donna un repas digne de sa magnificence & de la joye qu’on vouloit exprimer ; l’on peut dire que la delicatesse & l’abondance n’y laissoient rien à desirer. Quinze où vingt tables furent servies pour la Commune, dans la cour du Chasteau ; ceux qui virent les assistans aprés cette feste conviennent que le vin n’y avoit pas manqué. À peine fut-on sorti de table, que l’on commença un grand Bal, où tout le monde fut reçû ; la multitude se trouva si grande, qu’on fut obligé de se diviser par divers pelotons qui formoient des ronds où l’on voyoit plusieurs dances à la Poitevine ; plusieurs personnes de distinction s’étant trouvées dans cette Assemblée, l’on y dança plusieurs dances regulieres. On n’entendoit de toutes parts que le bruit des musettes, des violons & des hautbois. Il n’y avoit pas deux heures que le Bal estoit commencé lorsqu’on vit entrer dans la cour un Carosse à six chevaux, le Postillon, le Cocher & la suite de l’équipage estoient masquez, il sortit du Carosse une Venus, du moins aussi belle qu’on nous depeint la fabuleuse ; elle tenoit par la main un cupidon qui dans les siennes portoit une petite chaîne, deux Heros de Theatre la suivoient, & aprés eux deux ou trois masques habillez en danceurs de corde, toute la multitude curieuse se rassembla ; l’on tâcha d’en former un grand cercle afin que tout le monde pût voir. La mascarade estant au milieu representa parfaitement un acte d’Opera, & dança ensuite plusieurs dances grotesques fort divertissantes.

Ce divertissement continuoit toûjours, personne ne songeoit à le finir, on ne songeoit pas même que le jour finissoit, lors que Mr de la Bretesche dit qu’il estoit temps d’allumer le feu qui estoit dressé sur la Place, devant le Château ; toute la Milice Bourgeoise y parut sous les armes. Le feu fut à peine allumé que la foule du Peuple poussa plusieurs cris de Vive le Roy, vive le Duc de Bretagne, vive toute la Famille Royale, il se fit parmi ces cris une furieuse décharge de Mousqueterie, qui continua tout le soir, Mr de la Bretesche ayant dés le matin fait distribuer quantité de poudre. Huit ou dix pieces de Campagne montées sur un boulevard bien exposé, ne cesserent point de tirer jusqu’à minuit, & porterent la nouvelle de cette Feste à plus de sept lieuës. Deux fontaines de vin augmenterent infiniment la joye du Peuple. L’air rentissoit de toutes parts du son des instrumens, des cris de joye & du feu de l’artillerie qui fut tres bien servie. Enfin Mr de la Bretesche se retira dans son Château du Cobourcau, fort content du zele qu’il avoit remarqué en ses vassaux, à satisfaire celuy qu’il conserve toûjours pour le service & la gloire de la Maison Royale.

[À l’abbaye de Ligueux en Perigord]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 352-354.

Madame de Laumary, Abbesse de Ligueux en Perigord, ayant voulu signaler son zele à marquer sa joye pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, manda aux Officiers de sa Jurisdiction de se rendre dans l’Eglise de son Abbaye, pour assister au Te Deum, toutes les cloches commencerent à sonner au dernier verset de None, & continuerent jusqu’à la fin d’une priere qu’on fait tous les jours pour le Roy dans cette Abbaye. L’Abbesse entonna le Te Deum, qui fût poursuivi par l’orgue & par le chœur : cette Abbesse avoit fait dresser un feu de joye dans la grande place du Bourg, ou Mr de la Jaute Juge du lieu, Mr Laborie Lieutenant & le Greffier se trouverent par ordre de cette Abbesse, avec tout ce qu’il y a de plus considerable dans ce Bourg. On tira à ses dépens plusieurs pieces de Campagne ; elle fit cesser le travail à ses ouvriers pour qu’ils vinssent prendre part à la Feste, & fit distribuër quantité de vin qui fut bû par le Peuple à la santé du Roy & de Monseigneur le Duc de Bretagne.

Traduction d’une Lettre écrite en Italien par un Gentilhomme Milanois §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 354-364.

TRADUCTION d’une Lettre écrite en Italien par un Gentilhomme Milanois, à un de ses amis à Paris, le 11. de Juillet 1704.

Monsieur,

Ce n’est pas seulement dans les Etats de Louis le Grand qu’on a celebré par des réjoüissances, la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. S.A. Monsieur le Prince de Vaudemont, dont l’affection & le zele pour les deux Couronnes sont si connus, a donné à ce sujet une Feste aussi magnifique que le lieu où elle s’est passée, l’a pû le permettre ; je vais vous en faire la Relation.

Dans les plus hautes Montagnes de la Vulcaine, à 33. lieuës de Milan, des rochers d’une hauteur prodigieuse forment à leur pied un cul de sac d’environ 250. pas de long, sur 70. à 80. de large : Ce lieu affreux, qu’on appelle, Masino, est fameux par ses bains chauds & par une fontaine d’eau minerale qui sort du rocher, & dont la vertu y attire tous les ans quantité de malades.

Monsieur le Prince de Vaudemont à qui on a ordonné ces eaux & ces bains, y arriva le deuxiéme de ce mois avec S.A. Madame la Princesse & 130. personnes de leur suite ; le troisiéme ce Prince apprit par un Courrier, l’heureux accouchement de Madame la Duchesse de Bourgogne & la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne : cette grande & agreable nouvelle répandit dans ce lieu, qui ne semble estre destiné qu’aux plaintes & à la tristesse, une joye, & une satisfaction si grandes que je ne sçaurois vous les exprimer.

Monsieur le Prince de Vaudemont envoya sur le champ des Courriers porter ses ordres à Milan, & dans toutes les Villes & Places de Milanez pour faire chanter le Te Deum, & celebrer par des réjoüissances extraordinaires la naissance du Prince que le Ciel vient de donner à la France. S.A. voulant faire aussi une Feste dans le desert du Masino, envoya chercher à Milan ce qui estoit necessaire pour cela, & la chose fût executée avec tant de diligence que tout fût prest le huitiéme.

Le matin, un Aumônier du Prince dit la Messe & chanta le Te Deum, au son des violons, des hautbois, & des flutes, & à midy plusieurs tables furent couvertes magnifiquement : Ce jour là, la boisson des eaux fût interrompuë ; les malades oublierent leurs maux, & on n’a jamais veu une joye si grande & si parfaite. Une Muse Françoise fit une Chanson laquelle fust chantée à table par une Demoiselle d’une des meilleures Maisons du Milanez qui a l’honneur d’estre auprés de S.A. Madame la Princesse de Vaudemont, & qui n’a pas moins d’agréemens dans la voix & dans la maniere de chanter, que de charmes dans sa personne ; l’air a esté composé dans le goust Italien par un Musicien du Prince ; si j’avois pû l’avoir je vous l’aurois envoyé ; je voudrois bien que sur les mêmes paroles vous en fissiez faite un par quelque habile homme, qui pust faire sentir à nos Italiens les graces de la Musique Françoise.

Pendant que l’on estoit à table, plusieurs Habitans des lieux voisins qui estoient accourus au bruit de cette Feste, furent regalez à merveilles ; on leur distribua du vin tant qu’ils en voulurent & S.A. leur fit jetter de l’argent à poignées ; l’aprés-dînée se passa en jeux & en dances. À l’entrée de la nuit, les arbres, qui ne sont pas en grand nombre, dans le cul de sac aride, furent éclairez par une grande quantité, de bougies ; & l’on alluma de si grands feu à la cime des plus hautes montagnes, qu’on pouvoit les voir de fort loin.

L’endroit par où l’on entre dans le Masino est tres étroit ; on y avoit élevé un portail de verdure en forme d’Arc de Triomphe, au haut duquel estoit peinte la Nymphe du lieu, representant la Republique des Grisons. D’une main elle tenoit une coupe renversée d’où tomboit de l’eau de la fontaine minerale, de laquelle personne n’usa ce jour là ; elle avoit, à l’autre main, une autre coupe pleine de vin ; aux costez de cette Nymphe estoient representez les Jeux & les Ris, des trompettes, des violons, & autres instrumens. Les paroles suivantes qui estoient écrites sur le frontispice du Portail marquoient l’Alliance qui est entre Sa Majesté Tres-Chrestienne & les Grisons.

Liliis, lætatur Amica.

Sur le bord d’une petite riviere qui passe au milieu du Masino, appellée Malengo, & qui est formée partie par l’eau de la neige dont ces rochers sont toûjours couverts, partie par celle de plusieurs sources qui sortent des mêmes rochers ; on avoit dressé six arcs de triomphe, qui formoient un exagone & finissoient en piramide ; au haut estoit representé le Soleil avec les paroles suivantes.

Sempre listesso.

Voicy les devises qui estoient peintes aux costez de cet exagone.

La France & l’Espagne, chacune un bouclier à la main dont elles couvroient le Milanez ; l’Aigle de l’Empire au dessus avec un foudre à chaque main.

Quid aquilæ, quid fulmina possunt.

Un Soleil formant un Arc-en-ciel, & un jeune Lyon pliant sur un goble une branche d’olivier.

Non alii possunt pacantim reddere terram.

Le Soleil dans son char avec le Roy d’Espagne, Monseigneur le Dauphin & les trois Enfans de France.

Niuno fetonte.

Six lis inégaux.

Munera lætitiamque Dei.

Flore montrant au Soleil un Lis qui vient de naistre.

Lo veras crecer, y multiplicar.

La Croix de Bourgogne faite de deux arbres retaillez.

Factura nepotibus umbram.

La France montrant à l’Espagne des Lis parmi lesquels il y en a un qui vient de naistre.

Nec tibi deficient.

Dans le milieu de ces Arcs de triomphe, on avoit placé une grande quantité de fusées volantes & d’autres artifices, ausquels on mit le feu aprés le souper, au bruit des trompettes, des hautbois, des violons & des salves de Mousqueterie, que firent deux Compagnies du Regiment Albertin, Grison, qui ont marché au Masino pour la garde de L.A.

Cette Feste dura jusqu’au jour. Leurs Excellences Madame la Comtesse de Serbelon, femme d’un Grand d’Espagne, & Mr le Duc d’El Seste, aussi Grand d’Espagne qui estoient au Masino, pour prendre les eaux, de même que Mr le Comte Alexandre Litta, y donnerent des marques tres-vives de leur joye, sur les benedictions continuelles que Dieu répand sur la Maison de France.

[À La Rochelle]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 364-368.

On chanta le 13. à la Rochelle, le Te Deum dans la Cathedralle, où Mr l’Evêque Officia, en presence de Monsieur le Maréchal de Chamilly & de Madame la Maréchale ; la Noblesse & les Magistrats y assisterent. Sur les huit heures du soir, le feu qui estoit dressé à la place, fut allumé par Mr Gerbier Maire, avec les solemnitez ordinaires, & dans le même temps toutes les fenestres parurent illuminées, & les ruës remplies de feux dressez devant toutes les portes. Monsieur le Maréchal qui estoit au Fort-Loüis, au dehors de la Ville, voyant que ce feu estoit allumé, fit jetter une fusée ; qui estoit le signal pour avertir de tirer le Canon, & la Mousqueterie : La Compagnie des Cadets, & les deux Compagnies de Grenadiers, en habits uniformes, estoient sous les armes, & bordoient les remparts avec les Troupes reglées ; les réjoüissances continuerent jusques au Dimanche suivant. On tira ce jour là un tres-beau feu d’artifice qui avoit esté dressé au milieu de la place du Chasteau ; il fut suivi d’un souper magnifiquement servi, donné par les Maire & Echevins à Monsieur & à Madame la Maréchalle ; qui furent reçûës à l’Hostel de la Mairie, où Mr Gerbier, Maire, complimenta Monsieur le Maréchal au sujet de la naissance du Prince ; il y eut encore de grandes illuminations & des feux dans toutes les ruës.

Le même jour Mr Chauneau de Sazay, Huissier de la Chambre de Madame la Duchesse de Bourgogne, fit chanter le Te Deum dans l’Eglise de Saint Hilaire, la Pallu, sa Paroisse, prés la Rochelle, où se rendirent les personne ; les plus qualifiées du voisinage ; les Prieres pour le Roy furent aussi chantées au bruit du Canon du Chasteau, de Sazay, & de la Mousqueterie de la Milice, qui estoit sous les armes, au nombre de plus de deux cens rangez en haye, ainsi que la Cavalerie. Ils se rendirent en cet ordre au Château de Sazay, au son de la cloche, des tambours & des hautbois. Il y avoit un feu dressé au bout d’une longue avenuë qui estoit illuminée ; ce feu qui estoit composé d’un fort gros bucher, au milieu du quel il y avoit un arbre de trente-cinq pieds de haut rempli de fagots & entouré d’artifice qui réüssit parfaitement bien ; il fut allumé par le fils aîné de Mr Gerbier, Trésorier de France & Maire de la Rochelle, petit fils de Monsieur de Sazay qui representoit son grand pere qui se trouvoit alors à la Cour. L’on tira le Canon, & la Milice fit plusieurs décharges ce qui attira tous les Habitans de la Paroisse & des lieux circonvoisins qui témoignerent leur joye par des acclamations de Vive le Roy & Monseigneur le Duc de Bretagne. Deux fontaines de vin coulerent pendant tout le jour ; la Noblesse fut magnifiquement regalée dans le Château.

[Chez Mr Chabrot Bourgeois de Lyon]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 369-371.

Mr Chabrot Bourgeois de Lyon a donné une Feste magnifique à sa Maison de la Grenete. L’illumination fut tres-belle, une symphonie excellente s’y fit entendre à trois diverses reprises sur la terrasse qui est audessus de cette Maison. On tira un grand nombre de fusées & deux fontaines de vin coulerent à sa porte, pendant toute la soirée.

Mr de Courcy, Receveur des Tailles de Magny en Vexin, s’est distingué dans la Feste qu’il donna le 10. Juillet ou se trouverent les principaux de la Ville. Sa Maison parut d’abord illuminée & l’on vit ensuite un grand feu d’une maniere nouvelle fait en forme de piramide, dont les flammes sortoient par des canaux differens, qui formoient un spectacle tres-agreables à la vûë : ce feu dura pendant toute la nuit. Il y eut un grand souper : les santez de la famille Royale y furent buës au bruit d’une continuelle décharge de Couleuvrines & de Mousquets. Il y eut aussi un concert de voix & d’instrumens, qui fut suivi d’un grand bal qui dura jusqu’à quatre heures du matin ; on y distribua des vins & des liqueurs à tous ceux qui s’y trouverent ; les ouvriers mêmes qui alloient à leurs travaux furent regalez, & se sentirent de la joye qui met toute la France en mouvement.

[À Soissons]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 371.

Madame de Fiesque, Abbesse de Nôtre-Dame de Soissons, aprés avoir fait chanter le Te Deum, dans son Abbaye, donna une Feste à ses Religieuses convenable au lieu & à leur état. Tout le clocher de son Eglise fut illuminé pendant toute la nuit.

[À Beauvais]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 371-377.

Les Jacobins de Beauvais ont marqué leur joye par un feu d’artifice d’une structure singuliere. Quatre colonnes entourées de buis, attachées avec des rubans de differentes couleurs qui formoient plusieurs arcades, regnoient autour du bucher qui devoit être allumé. Un arbre d’une hauteur surprenante, au milieu, cachoit par ses feüillages les fusées & l’artifice. Les feüilles du buis détachées par la violence du feu se joignant aux fusées, tomboient toutes brillantes de lumiere ; ce spectacle dura pendant plus d’une heure, toutes les ruës de Beauvais estoient remplies de feux, & le jour parut avant que ces feux fussent éteints.

On voyoit dans un cartouche, un Lyon couronné, enflammé, rugissant, se soûtenant sur ses deux pattes de derriere ; il avoit les pattes de devant élevées, & il poursuivoit un Aigle couronnée qui se soûtenoit sur ses griffes, & paroissoit vouloir voler avec l’aîle droite, la gauche estoit abbatuë, & il fuyoit le Lyon. L’inscription suivante se faisoit dans le cartouche.

Nunc Leo magnanimus rugiet majore rugitu,
Nunc Aquila infirmo cedet fugitiva volatu.

On chanta à Tours le treiziéme de Juillet, le Te Deum en Musique, dans l’Eglise Metropole où s’estoient assemblez Mr l’Intendant & Mrs de Ville, ils assisterent le soir au feu de joye que la Ville avoit fait disposer. On commença par un feu d’artifice que l’on avoit placé sur l’eau proche du Quay Royal, & on continua par une salve d’artillerie & par des fusées. Ce fut dans ce moment que l’on vit dans toute la Ville des illuminations ; d’un costé les Tours les plus élevées estoient remplies de flambeaux ardens ; de l’autre, on appercevoit que le côteau qui fait face, estoit tout en feu. Les Capucins situez dans la plus haute élevation, ne furent pas ceux qui y eurent le moins de succez ; le feu d’artifice de la Ville estant fini & la premiere décharge de l’artillerie estant faite, on vit insensiblement toute la face de leurs Convent briller de deux mille lumieres, de concert, ce semble, avec la Ville ; on tira les Canons que l’on y avoit fait transporter : Les feux d’artifice répondoient aux autres feux, & ce n’étoit pas peu d’agrément de voir dans une si belle situation une si grande étenduë d’illuminations. D’un costé on voyoit un grand nombre de pots à feu ; de l’autre. partoit quantité de fusées volantes ; tout cela entretint un éclat de lumieres qui dura prés de trois heures. Le zele de ces Peres ne se borna pas là. Le lendemain, jour marqué dans le Diocése, pour chanter le Te Deum, ils solemniserent la Fête d’une maniere plus magnifique. Mr l’Abbé du Veau, Vicaire general, vint chanter dans leur Eglise le Te Deum, donna la Benediction du S. Sacrement, pendant laquelle on eut une agreable symphonie de hautbois, de violons, & de basses de viole ; ensuite ils se preparerent à leur feu de joye. L’illumination meslée d’artifice devoit paroître le soir. Sur les huit heures & demie, on commença par tirer des coups de Canons pour saluer Mr l’Intendant, qui ayant appris le dessein des Capucins voulut assister à la Feste avec toute sa Compagnie ; au même instant l’on vit briller plus de trois mille lumieres. L’ordre en estoit admirable, on voyoit d’un côté des colonnes des mieux arrangées, de l’autre des triangles des mieux disposez, & une seconde face de lumieres qui se forma, servit d’accompagnement à tout le reste. Les terrasses les plus avancées parurent toutes en feu ; on voyoit sortir de leur extrêmité un nombre considerable de fusées, on appercevoit au milieu quelques feux d’artifices & une abondance de pots à feu ornoit l’autre extrêmité. On fit aussi plusieurs décharges d’artillerie, & dans l’intervalle de ces décharges on entendit une symphonie qui estoit sur la terrasse la plus avancée. L’écho se répandit sur toute la Riviere où estoient les personnes de la Ville les plus distinguées. Le Quay Royal quoi que fort spacieux estoit rempli de Peuples, & chacun admira le travail de ces dignes Religieux, & loüa leur zele pour la gloire de Sa Majesté.

[À Blois]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 377-390.

On verra dans la Lettre suivante les réjoüissances qui ont esté faites à Blois : elles sont bien dignes de l’attention du Public.

Mr de Blois qui justifie par toutes les vertus Episcopales le choix de Sa Majesté, ouvrit le Mardy 8. Juillet la joye publique par un Te Deum, magnifiquement chanté en presence de Mr le Comte de Lorges Lieutenant de Roy de la Province, de tous les Corps de la Ville Seculiers & Reguliers, & d’un concours prodigieux de Peuple accouru en foule pour remercier Dieu des benedictions abondantes qu’il verse continuellement sur la France. Aprés avoir répandu son cœur au pied des Autels, on alla exprimer sa joye par un feu allumé devant le Palais Episcopal, au bruit des tambours & des décharges d’une petite armée d’Habitans sous les armes & vestus galamment ; les décharges furent suivies d’un nombre considerable de fusées volantes qui firent un tres bel effet. Pendant toute la nuit le superbe Palais de Mr de Blois fut éclairé par plus de deux mille lumieres reflechies par la Riviere de Loire qui les faisoit toute reparoistre comme dans un miroir. Le zele du Prelat fut soûtenu par celuy de tous les Habitans qui dans le même temps firent regner par toute la Ville les plaisirs & l’abondance. Chaque particulier avoit un feu à sa porte & des lumieres à ses fenêtres, le vin couloit à larges flots, & plus d’un Habitant interessa pour le Prince nouveau né jusqu’à sa propre raison.

Le Dimanche suivant les Peres Benedictins firent un fort beau feu, où assista une Compagnie de Dragons, composée par les habitants de Foix. Lez Tours de ces Peres qui sont tres-élevées parurent tres long-temps toutes en feu, un grand nombre de fusées orna beaucoup cette rejoüissance.

Les Capucins également attentifs à la gloire de la France se distinguerent le même soir par des divertissements tres-bien entendus, toute la Ville y courut en foule pour admirer le zele de ces Religieux qui sçavent aussi bien exprimer par de ferventes Oraisons, que par des marques exterieures & publiques. La pauvreté de ces Peres ne leur permit pas de se signaler par des profusions ; mais le bon goût se fit sentir dans tout ce qu’ils entreprirent ; une addresse ingenieuse suppléa à leur mediocrité.

Leur Convent qui est sur une hauteur & dans une charmante scituation, fut éclairé pendant toute la nuit par un nombre considerable de lumieres apperçûës de plus de deux lieuës, & qui faisoient dans cet esloignement la plus belle illumination du monde. Ils avoient menagé dans l’enfoncement d’une porte de leur jardin, un jet d’eau rougie qui par une agreable imposture trompa les yeux des spectateurs, dont quelques uns ne furent desabusez, qu’au prejudice de leur langue, cette eau jaillissoit jusqu’a douze pieds de haut, parmi des feüillages agréablement confus, & dont l’heureuse negligence representoit assés ces grottes champêtres, qui servoient autrefois d’aziles aux dieux. Habitarunt dii quoque silvas.

Derriere le jet d’eau paroissoit en enfoncement, une rouë toute chargée de lampes allumées, qui par une ingenieuse industrie tournoient avec la rouë sans s’éteindre & se renverser, sur la face de cette grotte paroissoient entre des festons, des lauriers & des cartouches où étoient les Armes du Roy, & qui accompagnoient cette inscription Latine presque toute prise de l’Ecriture sainte.

GLORIÆ DICATO

Pro victoriis inter victorias
  Ovantium quæ fragores,
Sicut lilium inter spinas nato armoricæ duci.
Quis putas puer iste erit ?
  Magnus coram domino,
Dilectus Deo & hominibus
Et multi in Nativitate ejus gaudebunt ?
Parvulus natus est nobis
Ut sedeat cum principibus
  Et solium gloriæ teneat.
Stipite ortus triumphali,
  Virtute duce,
Prudentia comite,
Fortuna non relûctante,
  Paratur triumphis.

Aux deux côtez de la grotte pendoient entre des feüillages quatre devises, la premiere étoit un laurier naissant, éclairé & échauffé par un Soleil rayonnant, avec ces paroles, nascentem parat ille triumphis, les vers suivans expliquoient la devise.

LOUIS le plus grand des guerriers,
Vole de victoire en victoire,
Et sur ses pas brillans va conduire à la gloire
Un Prince de son sang, né parmi les Lauriers.

La seconde estoit une tres-brillante Aurore avec ces mots, spondet majora : on lisoit au bas les vers suivans.

Le Prince nouveau né que le Ciel nous envoye
En naissant apporte la joye
Et fait naître par tout mille plaisirs nouveaux
Une Aurore si belle, agreable, & brillante
Qui repand en tous lieux sa lumiere naissante
Promet encore des jours plus beaux.

La troisiéme estoit un écu de Bretagne, sur lequel estoit appuyée la Couronne de France, qui estoit aussi ornée des lambrequins de l’Ecu. La devise avoit pour ame ces paroles, fulcrumque decusque. Elle estoit expliquée par ces vers.

LOUIS ! le Prince qu’aujourd’huy
La suprême bonté te donne,
Un jour illustrera ta Royale Couronne,
Comme il en est le ferme appui.

La quatriéme estoit un Soleil à demi envelopé d’un nuage, d’où il faisoit partir des foudres qui tomboient sur un Aigle, un Lion & un Leopard ; pendant que d’un autre côté il faisoit tomber une pluïe bienfaisante sur trois lis, dont le dernier n’estoit encore que boutonné. Ces paroles de l’Ecriture-sainte faisoient l’ame de la devise, mortificat & vivificat. On lisoit au bas ces vers.

Le Heros qui suffit pour gouverner la terre
Voit ses ennemis éperdus,
Consternés, tremblans, abbatus,
Sous les terribles coups de son juste tonnerre,
Pendant qu’au sein de son Etat
Il joüit d’une paix profonde,
Et voit multiplier le renaissant éclat
De nos lys destinés pour embellir le monde.

Le tout estoit surmonté d’une Forteresse avec ses tours & ses murailles, faite avec beaucoup d’artifice ; à neuf heures du soir on vit partir d’une des portes de cette Forteresse un dragon volant, qui alla à plus de trente pas allumer le feu de joye, qui estoit un cabinet à quatre faces, ouvert de chaque côté & comblé d’une Couronne Imperiale, du milieu de laquelle s’élevoit un mats fort haut, tout le cabinet estoit de verdure & orné de fleurs de lys, le feu ne fût pas plûtôt allumé que deux Compagnies d’habitans sous les armes firent plusieurs décharges de mousqueterie, ausquelles on repondoit par des salves de six couleuvrines, on vit partir de la Forteresse une multitude de fusées volantes, qui toutes ensemble firent un effet admirable, le divertissement qui dura plusieurs heures, finit par l’embrazement de la Forteresse du Château qui estoit tout rempli d’un feu d’artifice, qui réussit parfaitement.

Cette agreable incendie, qui termina la journée, ne termina pas le zele des Peres Capucins. Ils recommencerent le Lundy leur illumination, qui fut plus belle que le soir precedent. Le temps estoit calme & la nuit seraine : tout le Convent parut en feu : six couleuvrines ne cesserent point de tirer pendant prés de trois heures : on vit plusieurs fusées s’égayer, pour ainsi dire, en l’air, retombant sur elles-mêmes en pluïe de feu, en petards, & en étoiles. La rouë dont je vous ay déja parlé, parut beaucoup plus brillante que le jour precedent, parce qu’elle estoit placée sur une hauteur ; plusieurs lumieres posées derriere faisoient paroître avec beaucoup d’éclat les Armes du Roy, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc de Bretagne : ces rejoüissances des Capucins furent fort applaudies. Je croy que vous ne leur refuserez pas vôtre suffrage.

[À Château-Gontier]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 393-398.

Les Dames de Château Gontier se sont fort distinguées dans les réjoüissances qui ont esté faites en ce lieu là ; animées par l’exemple des Officiers de l’Hôtel de Ville qui faisoient de magnifiques preparatifs pour des réjoüissances publiques, elle proposérent entre elles de faire travailler à un feu d’artifice qui répondit dignement à la feste. Le Sr de Louzilliere habile artificier, fut choisi pour travailler à ce feu qui eût tout le succez imaginable. On fit une décharge generale des Canons du Château, toute la Mousqueterie répondit ensuite à cette premiere réjoüissance, & les plus galans de la jeunesse de la Ville, estant allez prendre les Dames ; ils les conduisirent au son des violons & des hautbois sur la place publique, où ce feu avoit esté preparé devant la Maison de Mr le Subdelegués. Ces Dames escortées par 400 : Bourgeois sous les armes, se rendirent autour du feu, où les Cavaliers ayant reçû les flambeaux, les presenterent aux Dames, & ce feu fut allumé au bruit des tambours, des trompettes, des fifres, par Madame la Presidente de la Gravelle. Me la Presidente de Champagne, Me la Presidente de Beaumont, Me Doüart, épouse de Mr le Subdelegué, Me d’Ampoigné, épouse de Mr d’Ampoigné, Capitaine au Regiment Dauphin, Infanterie ; Me Despeaux du Houssay, Me du Guesclin, épouse de Mr du Guesclin, cy-devant Capitaine au Regiment du Roy, Infanterie, Me de Valliere, veuve de Mr de Valliere, Tresorier de France, au Bureau des Finances de Tours, Me de Fontenelle, Me de Sensé, Me du Teilley, cy-devant Fille d’Honneur de la défunte Reyne d’Espagne, Marie Loüise d’Orleans ; Me de Boüillé, veuve de Mr de Boüillé, Lieutenant des Gardes du Corps de son Altesse Royale feu Monsieur, Frere unique du Roy. Me de Brion, épouse de Mr de Brion, cy-devant Capitaine d’Infanterie dans la Reyne, Me de la Gendronniere, Me la Procureuse du Roy au Presidial, Me de la Lande, Me de la Moriniere, Me de Guaripuy, épouse de Mr de Guaripuy, Capitaine dans Aunix, & Me de Sevillé. Voilà les noms des Dames qu’ont eu le plus de part à la dépense, & à l’honneur de cette feste. Il s’éleva en l’air depuis neuf heures du soir jusqu’à minuit, un nombre infiny de fusées & toutes les fenestres de la Ville furent remplies de flambeaux. La Compagnie s’assembla ensuite, chez Mr de S. Philbert, cy devant Capitaine dans Montausier. Mr le Lieutenant General de Police y donna un grand bal, pendant lequel on servit avec profusion toutes sortes de rafraichissemens & de confitures séches. Les appartemens de Mr de Saint Philbert étoient éclairez par quantité de lustres & de bougies, & dans la principale Salle du bal, on avoit placé le Portrait du Roy, & celuy de Madame la Duchesse de Bourgogne. On fit mettre à la Porte six pieces de vin qui attirerent & réjoüirent tout le Public. Ce bal fut suivi d’un medianoce, des plus galans & des plus magnifiques : Les Dames furent servies par les Cavaliers. Madame la Comtesse de Thulon arriva de son Château assez à temps pour se mettre a table avec les autres, elle contribua agreablement au plaisir de cette feste. Les Demoiselles qui brillerent le plus dans ce bal, furent Mesdemoiselles Doüart, fille de Mr le Subdelegué, d’Ingrande, des Aunay, de Villecourt, de Chivray, de la Brossiniere, de Fontenelle, de la Giroüardiere, de Boüillé, de Villers de l’Isle Adam, des Vallée, Mlles de la Grandiniaire, filles de Mr le Maire, Poisson, Guilloteau de Chailland, Boucault, de la Francoisiere, de Baillargeau.

[À Baugé]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 398-400.

Le 10. de Juillet, l’on chanta le Te Deum, dans toutes les Eglises de la Ville de Baugé, en Anjou. Ensuite on alluma dans la Place publique un grand feu par les soins de Mr des Champs, Maire de la Ville, & Lieutenant General en la Senéchaussée, & de Mrs les Officiers de la Maison de Ville ; les Habitans étant tous sous les Armes.

On vit ensuite paroître un nombre prodigieux de fusées, & toute la Ville & les Fauxbourgs furent éclairez par les illuminations que les habitans, à l’envi les uns des autres, firent aux fenestres de leurs Maisons.

Mr Courtin, Gouverneur de la Ville & du Château, fit faire un autre feu sur un vaste étang qui moüille les murs du Château ; & pendant toute la nuit, le Château parut en feu par le grand nombre des illuminations, dont il fut éclairé.

Du haut d’une des Tours, il sortit un oyseau, poussé par l’artifice, qui le porta dans le lieu où estoit un grand bucher qu’il alluma. Ce bucher estoit entouré de quantité de personnes armées qui firent plusieurs décharges de mousqueterie, ausquelles répondirent pendant toute la nuit, les Canons du Château. Les Habitans de leur côté marquérent par leurs acclamations, & par tout ce qui pouvoit exprimer leur joye, la part qu’ils prenoient à l’allegresse publique.

[Au Collège Royal de Saumur]* §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 400-405.

Le 21. de Juillet, les R. Peres de l’Oratoire du College Royal de Saumur, resolurent de faire mettre tous leurs Ecoliers sous les armes, & pour cet effet ils se trouverent tous rassemblez le 22. Ils formerent cinq Compagnies des mieux faits, & parmy lesquels brilloient en grand nombre leurs Pensionnaires, qui sont des meilleures Maisons du Royaume. Ils passerent en revuë à la Place du Chardonnet, & firent admirer leur docilité & leur bonne mine.

L’aprés-dînée le Regent de Retorique fit representer une Pastorale sur la Naissance du Prince qui faisoit le sujet de la feste. Toute la Ville y assista, & en fut tres-satisfaite, les Vers en estoient beaux, naturels & les pensées heureuses.

La piece estant finie, les Ecoliers empressez à témoigner leur joye & leur zele, prirent les armes, & reçurent l’ordre pour le soir qu’ils se rassemblerent pour assister à la Procession qu’on fit autour du College en chantant l’Exaudiat, & au Te Deum qui fut aussi chanté avec beaucoup de solemnité au retour, dans la Chapelle magnifiquement ornée, & éclairée par quantité de lumieres. Aprés le Te Deum, on marcha en ordre jusqu’à une grande place voisine, où l’on alluma un feu de joye, autour duquel toutes les Compagnies formerent un cercle, ce qui faisoit un tres-agreable aspect ; elles firent avec toute la regularité possible, plusieurs décharges qu’elles accompagnerent de mille acclamations redoublées, & elles porterent dans le cœur de toute la Ville, qui y estoit accoruë, la joye la plus tendre & la plus sensible. L’air retentissoit des noms de Loüis le Grand, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne & de Monseigneur le Duc de Bretagne.

On estoit surpris de voir des enfans capables de tant de discipline, & susceptibles de tant de regularité, dans la licence qu’excitent ordinairement ces sortes de festes.

Le feu de joye étant fini, ils retournerent dans le mesme ordre entre deux hayes que formoit une foule prodigieuse de peuple & se rendirent devant la Maison du College qui avoit esté tapissée & embellie de la maniere du monde la plus riante & la plus diversifiée. On voyoit au haut, sous un riche dais, le Portrait du Roy ; plus bas, celuy de Monseigneur le Dauphin ; ensuite celuy de Monseigneur le Duc de Bourgogne qui estoit aprés celui de Monseigneur le Duc de Bretagne, au dessous duquel étoit une espece d’Autel chargé d’un grand nombre de lumieres. Tous les Portraits estoient entourez de devises, d’inscriptions, de festons, de fleurs, & de lauriers ; ces devises, & ces Portraits estoient environnez d’illuminations ; aux deux côtez de la Maison couloient deux fontaines de vin.

À peine les Compagnies furent elles arrivées devant cette décoration qu’elles la saluerent en faisant plusieurs décharges, en passant & repassant plusieurs fois devant ces Portraits. Cette feste donna à tous les Habitans qui s’empresserent pour la voir, le spectacle le plus charmant qu’ils eussent eu depuis longtemps, & fit admirer le zele singulier, la joye empressée des R.P. de l’Oratoire, & l’ardeur hereditaire de ces jeunes enfans pour tout ce qui regarde la gloire de leur Roy & l’honneur de leur Patrie.

Avis §

Mercure galant, Réjouissances faites pour la naissance de Monseigneur le duc de Bretagne, juillet 1704, seconde partie [tome 8], p. 405-406.

AVIS.

On donnera, le mois prochain, les réjoüissances des Provinces, qui ont esté reçûës trop tard pour estre employées dans ce Volume, & celles qui n’ont pas encore esté envoyées, pourvû qu’elles arrivent assez-tôt. On avoit crû devoir finir ce Volume des Rejoüissances, par un grand nombre de pieces de Vers ; mais la trop grande quantité de matieres est cause que l’on a esté obligé de les reserver. Le Public est prié d’excuser un grand nombre de fautes d’impression qui se trouvent dans ce Volume. On est obligé de travailler avec tant de précipitation, lorsque l’on a moins d’un mois pour imprimer deux Volumes, qu’il est impossible qu’il ne s’y en glisse beaucoup ; mais les lumieres du Lecteur luy feront restituer le sens à la plus grande partie.