1704

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1704 [tome 10].
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Mercure galant, septembre 1704 [tome 10]. §

[Détail de ce qui s’est passé aux trois Academies Royales le jour de la feste de saint Loüis] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 5-30.

L’Abondance de la matiere m’aïant empesché, le mois dernier, de parler de ce qui s’est passé à l’Academie Françoise, ainsi qu’à celle des Sciences & à celle des Medailles & des Inscriptions, le jour de la Feste de S. Louis, je croy ne pouvoir mieux commencer ma Lettre que par ces Articles qui sont remplis d’Eloges du Roy. Ce jour-là 25. d’Aoust, l’Academie Françoise s’estant assemblée dans la Chapelle du Louvre, Mr le Vicaire de S. Germain l’Auxerrois celebra la Messe, aprés laquelle on chanta un Te Deum en musique, en action de graces de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Ce Te Deum estoit de la composition de Mr du Bousset. Mr l’Abbé de Dromesnil, Aumônier du Roy, prononça le Panegyrique de S. Louis.

Ces paroles, hæc est victoria quæ vincit mundum, luy servirent de Texte : Il fit voir dans les trois Points de son Discours que S. Louis a vaincu les ennemis de sa condition, c’est-à-dire, la molesse & l’orgüeil ; les ennemis de l’Etat, sçavoir la rébellion & la désobeïssance ; & les ennemis de la Religion, qui sont les Heresies, le Duel, & les Blasphêmes. On trouva de grandes beautez dans ce discours, de belles antitheses, d’excellentes figures & sur tout plusieurs applications de l’ancien Testament faites avec beaucoup de délicatesse. Le détail qu’il fit des vertus Chrestiennes, politiques & morales de S. Louis fut trouvé tres-beau ; s’il n’a pas parlé, dit-il dans un endroit, aussi magnifiquement de la Sagesse que Salomon, il en a suivi les Leçons avec plus d’exactitude ; fidelle à la grace, il n’en a jamais négligé aucune inspiration ; les impressions qu’il en a reçûës ont toûjours esté marquées d’un caractere de predestination. Il dit dans un autre endroit, que saint Louis mit toute son application à abolir l’usage tyrannique qui regnoit dans ces temps où le cartel faisoit toute la procedure, où l’épée seule tranchoit le nœud de la difficulté, & où le meurtre estoit la preuve de l’innocence. L’Eloge qu’il fit du Roy à la fin du discours reçût de grands applaudissemens ; aprés avoir relevé toutes les vertus qui l’ont rendu un Prince si accompli ; & tous les évenemens éclatans dont l’enchaînement a rendu son Regne si florissant ; il fit valoir la moderation de ce Heros dans des occasions où il semble que la Fortune enchaînée depuis tant d’années à son Char, se soit échappée pour quelques momens.

Les deux autres Academies dont je vous ay parlé, firent dire le mesme jour une Messe dans l’Eglise des Prestres de l’Oratoire ensuite de celle de l’Academie Françoise, qui fut celebrée par Mr l’Evesque de Strasbourg. Mr du Bousset fit encore chanter pendant la Messe un Motet de sa composition : c’estoit le Pseaume 127. Beati omnes qui timent Dominum : qui ambulant in viis ejus. Le Prophete represente aux Juifs dans ce Cantique les grands avantages que reçoivent ceux qui s’attachent au service du Seigneur. Il apprend en même temps à tous les hommes, & sur tout aux Grands de la terre, que pour estre heureux dans le monde, & pour meriter les prosperitez temporelles, il faut craindre Dieu & le servir. Ce Pseaume fut distribué imprimé à la maniere ordinaire, à tous les Academiciens, avec cette difference que la traduction que l’on avoit ajoûtée en Prose Françoise les années dernieres, fut donnée en Vers par Mr Moreau de Mautour, dont je vous fait part comme d’une nouveauté qui fut bien reçûë. Mr l’Evesque de Strasbourg, Mr l’Abbé Bignon & Mr l’Abbé de Louvois estoient à la teste de l’Assemblée.

STANCES.

Heureux qui penetré d’une secrette joye,
Aime, adore & craint le Seigneur :
Heureux qui marche dans la voye,
Connuë à l’homme juste, inconnuë au pecheur.
***
Les dons de l’Eternel surpassant son attente,
Seront les fruits de ses travaux ;
Son ame tranquille & contente,
Goûtera mille biens sans mélange de maux.
***
Ainsi que par ses fruits une Vigne fertile,
Remplit nos vœux dans la saison ;
Son épouse chaste & docile,
De gloire & de bonheur comblera sa maison.
***
Comme on voit sur les bords d’une verte Prairie,
Croistre de jeunes Oliviers ;
Il verra sa race fleurie,
Croistre autour de sa table en nombreux heritiers.
***
Ainsi sera beni le serviteur fidelle,
Qui soumis au Maistre des Cieux,
Suit la route où sa voix l’appelle,
Et medite sa loy qu’il a devant les yeux.
***
Juste, que de Sion où vostre espoir se fonde,
Naisse vostre felicité !
Puissiez-vous joüir dés ce monde,
Des plaisirs éternels de la Sainte Cité !
***
Voyez sur Israël la paix regner sans cesse,
Que les enfans de vos enfans,
Doux objets de vostre tendresse,
De vos fiers ennemis soient toûjours triomphants !

Le Pere de la Rüe prononça le Panegyrique de S. Louis, on peut dire que son Sermon fut l’Apologie de ce Saint, dont la conduite dans le projet & dans l’execution de ses desseins a esté souvent attaquée. Il deffendit par une suite presque necessaire la providence & ses Decrets mysterieux contre les Impies & contre les Mondains. Contre les premiers, qui n’en croyent point quand ils voyent les Justes tomber dans l’adversité ; & contre les seconds, qui s’en moquent & qui la méprisent en voyant les méchans dans la prosperité. La Division de ce Discours fut la grandeur de S. Louis dans le dessein, & la grandeur de Dieu dans l’execution. Ce Pere reçût de tres-grands applaudissemens de toute l’Assemblée.

L’Academie Françoise s’étant assemblée l’apresdinée du même jour pour la distribution du Prix de Poësie, Mr l’Abbé de Choisy prit la parole, & dit

que l’Academie Françoise avoit accoûtumé de distribuer tous les deux ans un Prix d’Eloquence & un de Poësie. Que le Prix d’Eloquence avoit esté fondé par Mr de Balzac, & devoit estre donné à une Piece de pieté. Que le Prix de Poësie avoit esté fondé par Mr de Tonnerre Evêque de Noyon, & devoit estre consacré à la loüange immortelle deLouis le Grand ; qu’ainsi la Compagnie avoit trouvé dans son sein dequoy perpetuer à jamais des marques éclatantes de sa pieté envers Dieu, & de sa reconnoissance envers le plus grand de ses Rois.

Qu’elle avoit eu la consolation l’année passée de couronner l’éloquence d’un homme1, qui dans la plus grande jeunesse avoit merité entre tous ses rivaux de Theologie la place la plus honorable, que le Roy a depuis par une distinction particuliere attaché de prés à sa personne, & qu’elle avoit entendu ce matin celebrer d’une maniere si noble & si nouvelle, les vertus d’un saint Roy, dont la suite de tous les siecles ne fera qu’augmenter l’éclat.

Nous avoüons, ajoûta-t-il, que les Muses Françoises ne furent pas si heureuses : le sujet que nous leur avions proposé, les embarassa sans doute par sa nouveauté & par son immensité. Quoy qu’il en soit, le genie ne fut pas toûjours accompagné de prudence : On ne s’éleva au haut du Parnasse, que pour en descendre avec plus de précipitation, & si nous admirâmes dans quelques pieces (car il faut rendre justice) des endroits dignes d’estre presentez à l’Academie, nous crûmes que la foiblesse des autres ne nous permettoit pas d’oser à vos yeux couronner un merite interrompu & si peu seur de luy-même. Nous esperâmes qu’un Prix suspendu n’en seroit que plus recherché, qu’on verroit par là que l’Academie ne se contentoit pas aisément, & qu’enfin pour réveiller en France les Muses presque endormies, il falloit un exemple de severité académique.

Nostre attente n’a point esté trompée, au lieu de vingt-cinq ou trente pieces de vers qu’elle avoit ordinairement à examiner, elle en a eu quarante-cinq. Plusieurs ont combattu jusqu’à la derniere journée. Nous pouvons même le dire, la victoire a eu quelque peine à se déclarer, & si le vainqueur est couronné, les vaincus ne sont pas sans gloire.

On va lire la Piece qui a remporté le Prix.

On lut ensuite cette Piece, dont le sujet estoit sur les glorieux succés des armées du Roy en l’année 1703.

Aprés que cette Piece, qui reçut de grands applaudissemens, eust esté luë, Mr l’Abbé de Choisy dit, que c’estoit Mr l’Abbé Pellegrin qui avoit remporté le Prix, & que s’il estoit dans l’Assemblée, il estoit prest à le couronner. Cet Abbé se fit connoistre, & on luy mit entre les mains une Medaille d’or du Roy, sur le revers de laquelle est la Devise de l’Academie Françoise,

À l’Immortalité.

Ensuite Mr l’Abbé de Choisy dit, que Mr l’Abbé Bosquillon, si connu par ses ouvrages, & l’un des principaux Membres de l’Academie de Soissons alloit faire la lecture d’une Piece d’Eloquence. Il ajoûta, que l’Academie sçavoit que celle de Soissons estoit obligée par les Lettres Patentes de son établissement à ne prendre jamais de Protecteur que dans l’Academie Françoise, & à luy envoyer tous les ans un ouvrage de sa façon Il dit ensuite, qu’il esperoit que Monsieur le Cardinal d’Estrées son Protecteur, & Doyen de l’Academie Françoise, leur épargneroit encore long-temps la peine de reparer la perte commune que les deux Academies feroient en le perdant. Il dit aussi, que la Piece d’Eloquence de l’Academie de Soissons avoit manqué depuis plusieurs années, la guerre, les affaires particulieres, & la mort de quelques Academiciens zelez ayant interrompu une coûtume, qui estoit pourtant un devoir. Il ajoûta, que ces Mrs y avoient pensé serieusement, & que sans doute le digne & éloquent Prelat, qui leur apprenoit leurs obligations chrétiennes, n’avoit pas oublié les Academiques, & que Mrs de l’Academie de Soissons avoient envoyé cette année la Piéce dont Mr l’Abbé de Bosquillon alloit faire la lecture. Cette Piéce estoit un discours à la loüange du Roy, fait à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Mr le Picard de l’Academie de Soissons est l’Auteur de ce discours, qui renferme en peu de paroles tout ce que le Roy a fait de grand pendant son regne.

Mr l’Abbé Bosquillon ayant achevé de lire ce discours, Mr l’Abbé de Choisy lui répondit, que l’Academie Françoise estoit une bonne mere toûjours preste à donner à ses enfans des marques de sa tendresse, lors qu’ils ne se seroient pas acquittez assez regulierement des devoirs qu’ils sont obligez de luy rendre, que la moindre excuse leur suffiroit, & qu’ils trouveroient toûjours en elle la mesme estime qui les avoit fait adopter, & la même envie de leur faire tous les plaisirs dont elle estoit capable. Il est vray ajoûta-t-il, en adressant la parole à Mr l’Abbé de Bosquillon, que l’éloquent discours que vous venez de nous lire nous a fait regretter tous ceux que nous avons perdus ; c’est une espece de dette litteraire dont nous aurons bien de la peine à vous décharger, & du moins si nous remettons les arrerages, que la rente soit payée à l’avenir plus exactement.

Le même Mr l’Abbé de Choisy dit ensuite, permettez moy, Messieurs, en jettant les yeux sur toute l’Assemblée, de m’adresser à mes Confreres, & vous, Messieurs, souffrez que je vous remette devant les yeux la coûtume autresfois, si bien établie parmy vous, de lire toûjours dans nos Assemblées publiques quelques-uns de vos ouvrages, coûtume presque abolie depuis que nous avons perdu Mr Boyer, & Mr Perrault. Vous vous souvenez, Messieurs, des applaudissemens qu’on leur a donnez tant de fois, on ne vous en donneroit pas moins. Vous avez chez vous des tresors inepuisables : he pourquoy les envier au public aussi éclairé que celui-cy, à qui rien n’échape, & que les fausses beautez n’entraînent point ; Juge inexorable, Juge accoûtumé à vous juger, qui ne condamne jamais que par un honneste silence, mais aussi qui ne manque point d’accorder aux bons ouvrages ce doux murmure, signe certain de son approbation.

Mr l’Abbé de Choisy eût à peine fini, que Mr l’Abbé Tallemant prononça l’Epitaphe de Mr Bossuet Evêque de Meaux, qui fut fort applaudi. Ensuite de quoy l’Assemblée fut charmée d’une Epître sur l’Amitié, de la composition de Mr l’Abbé Abeille. Mr l’Abbé de Choisy reprit ensuite la parole, & dit que l’Assemblée voyoit bien par ce qu’elle venoit d’entendre que les Muses se fortifioient dans leur Compagnie, & qu’à l’avenir l’Academie seroit plus en droit que jamais d’exhorter les jeunes Auteurs à suivre avec plus d’exactitude les desseins qu’on leur proposera, à ne point entasser les évenemens, à ne pas s’imaginer qu’ils ont bien dit, parce qu’ils ont tout dit, à traiter un sujet plus à fond, & à le sçavoir orner de circonstances agreables, à rectifier leurs pensées suivant la regle du bon sens, à discerner l’or veritable du faux brillant, à prendre garde quand ils oseront faire des Odes, à la chûte de leurs strophes, qui doivent estre presque toûjours masculines, & tenir un peu de l’Epigramme, à rendre leurs rimes plus riches, à faire enfin de plus grands efforts pour meriter une Couronne qu’on ne donne pas aisément.

Je ne dois pas oublier que si le Prix n’avoit point esté adjugé à la Piece qui le remporta, il auroit esté donné à une Ode qui fut trouvée fort belle par toute l’Academie, & que cette Ode estoit du même Abbé qui a remporté le Prix.

[Rejoüissances faites à Châlons en Champagne] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 31-61.

Les Rejoüissances qui ont esté faites à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, ont esté si éclatantes, & ont fait voir tant de zele pour le Roy, & pour toute la famille Royale, que je ferois injustice à plusieurs Villes, si je ne vous entretenois de celles qui n’ont encore pû trouver de place dans mes Lettres. Je commence par celles qui se sont faites à Châlons en Champagne.

Aussi-tost que Mrs les Maire, Echevins, & autres Magistrats qui composent le Conseil, & qui sont d’une grande distinction dans la Ville, eurent appris la naissance du nouveau Prince, ils choisirent le 22. de Juillet pour donner des marques de leur joye. À quatre heures du matin toutes les cloches de la Ville commencerent à carillonner, ce qui dura jusques à l’heure de la Messe, qui fut celebrée Pontificalement dans l’Eglise Cathedrale ; cette Messe fut accompagnée d’une tres-belle Musique & d’une tres-belle symphonie. Tous les Corps de Justice y assisterent, ainsi que celuy de la Ville, qui fut precedé de ses Archers & des autres marques d’honneur établies depuis plus de trois cens ans.

On fit couler, aprés la Messe, plusieurs Fontaines du meilleur vin de Champagne pour les Bourgeois qui estoient sous les armes, ayant en teste leur Colonel & leurs Officiers, qui avoient donné les ordres pour l’habit uniforme & l’égalité des armes, en telle sorte que jamais Troupe n’a paru ny plus reglée ny plus leste.

Tous les Corps & les Magistrats se rassemblerent sur les quatre heures pour assister au Te Deum, qui fut entonné par Monsieur de Noailles leur Evêque & chanté par la Musique accompagnée de toutes sortes d’instrumens, avec le mesme carillon, qui s’estoit fait entendre le matin. Le Te Deum estant fini, Monsieur de Châlons Seigneur spirituel & temporel de la Ville, à la teste du Conseil dont il est le Chef, vint mettre le feu au bucher qui estoit preparé dans la grande place du Marché, elle estoit environnée & gardée par les Compagnies des Bourgeois qui firent plusieures salves devant le feu, devant le Palais Episcopal, l’Hôtel de Mr l’Intendant, celuy de la Ville, & de Mr le Lieutenant de Roy, en donnant par leurs acclamations de vives marques de leur joye. Ils trouverent que tout cela ne suffisoit pas pour une Ville qui a toûjours donné des marques d’une fidelité singuliere & d’un zele ardent pour les interests de la France ; ainsi ils voulurent faire voir ce que leur zele & leur genie leur avoient inspiré pour une si grande feste.

Ils firent dresser devant les arcades de l’Hôtel de Ville, dont l’Architecture est tres-belle, une Piramide fort élevée du pied de laquelle coulerent pendant tout le jour deux fontaines de vin, & dont les costez estoient chargez des armoiries des Personnes Royales ; cette Piramide estoit soûtenuë de 4. colonnes, & d’autant de pilastres, & elle estoit ornée de symboles, de devises, & d’inscriptions propres au sujet. Le dessein general estoit exprimé par ces mots latins qui regnoient le long de la frise de l’Architecture.

Serenissimo Britanniæ Duci,
Ludovici Magni abnepoti,
Serenissimi Delphini nepoti,
Burgundiæ Ducis filio primogenito,
Inter armorum fragores & patriæ victorias
Felicibus auguriis nascenti.

On avoit peint sur la premiere face les armes de France, avec un symbole pour le Roy, figuré par un Lys, dont la principale tige en poussoit trois autres, avec ces mots :

CONSIDERATE LILIA AGRI QUOMODO CRESCUNT.

qui marquent l’heureuse fecondité de la Famille Royale, dont ce Monarque voit la quatriéme generation.

Ensuite paroissoient les armes de Monseigneur le Dauphin, avec ce mot :

AVI SPES ALTERA.

Celles de Monseigneur le Duc de Bourgogne, avec cette Inscription :

PATRIS SPES PRIMA.

Et ensuite vers la pointe de cette Piramide terminée par le Soleil, paroissoient les armes de Bretagne, avec cette Inscription :

SPLENDET MIHI NOMEN AB ILLO.

Ce qui marque que cette Province reçoit un nouvel éclat par le surnom qu’elle donne au jeune Prince.

Cette Piramide qui se trouva dressée dés le matin, les piédestaux, les pilastres & toute la façade de l’Hostel de Ville furent illuminez pendant presque toute la nuit, & l’on remarquoit encore à la faveur de cette illumination & de quantité de feux d’artifice, huit autres Devises fort heureuses, avec leur explication en vers François.

Pendant que cette place estoit illuminée & remplie jusque dans les avenuës d’un grand concours de peuple, on entendoit de l’Hostel de Ville une tres-belle symphonie ; on tira de cet Hostel sur les onze heures du soir, vingt-quatre Violons, pour former un grand Bal, chez Mr Gayet de Plagny, Lieutenant de Roy & Maire perpetuel de la Ville ; il ouvrit ce Bal où se trouverent les Dames les plus qualifiées, avec une parure magnifique ; les Officiers en charge y firent servir une superbe collation, accompagnée de toutes sortes de rafraîchissemens. Ce jour estant entierement destiné à la joye, Monsieur de Châlons, Mr l’Intendant, & Mr le Lieutenant de Roy ne se contenterent pas de faire couler des fontaines de vin, ils tinrent aussi dans leurs Hostels des tables ouvertes, & le soir, toute la face de leurs logis fut illuminée ; ce qui attira une grande foule de peuple qui trouva dans toutes les ruës des feux & des lanternes aux fenestres, ornées d’Inscriptions à la gloire du Roy & de la Famille Royale.

Les Chevaliers de l’Arquebuse, à qui Mr le Lieutenant de Roy, Capitaine du Jardin, avoit donné, au nom de la Ville, un Prix considerable, & tous les autres Corps & Communautez firent aussi les jours suivans de grandes illuminations, & de grandes réjoüissances.

Voicy l’explication des devises peintes sur les piédestaux, sur les pilastres, & sur les autres endroits destinez aux illuminations qui occupoient toute la face de l’Hostel de Ville.

La premiere Devise représentoit la joye de la Ville de Chalons, sous le Symbole d’une Grenade artificielle, qui sert aux feux d’artifice pour les Réjoüissances de la Paix, & dans les combats pour les executions militaires. On vouloit marquer par ce Symbole, que les Habitans de cette Ville sont également zelez pour le service de l’Etat, soit qu’il faille agir & s’exposer aux dangers, soit qu’il faille prendre part aux succés de la Patrie en se réjoüissant. Les mots Latins qui accompagnoient ce Symbole, étoient :

FLAMMÆ ERUMPUNT, QUÆ CORDE LATEBANT.

c’est-à-dire,

C’est l’ardeur d’un beau feu, qui me fait éclater.

Cette pensée étoit mise plus au long dans son jour, par les Vers suivans qui se lisoient au bas.

La Grenade toute de feu,
De l’ardeur qui me brûle, est l’éclatante image ;
Elle se fend par le milieu,
Et semble dire en son langage,
Que tout son bruit & son éclat
Ne vient que de son zele à bien servir l’Etat.
Comme elle en paix, ainsi qu’en guerre,
Je combats, ou je réjoüis,
Et tout ce que l’on me voit faire,
C’est toûjours pour plaire à LOUIS.

La seconde Devise représentoit le Prince nouveau né sous le Symbole de l’Oiseau appellé Itis, qui est consacré au Soleil, & que les Auteurs disent avoir cette proprieté, d’éclore plus facilement dans son nid exposé sur une palme aux rayons du Soleil. L’inscription étoit celle-cy :

ORNANT CUNABULA PALMÆ.

c’est-à-dire.

La Palme me tient lieu de lit & de berceau.

Le sens étoit expliqué plus au long par les Vers suivans.

L’Oiseau dépeint dans ce tableau,
Amy du repos & du calme,
Pouvoit-il rencontrer un plus noble berceau,
Que sur les branches de la Palme ?
Ton sort, jeune Prince, est pareil :
La France au comble de sa gloire
Fait orner ton berceau des marques de Victoire,
Sous les rayons de son Soleil.

La troisiéme Devise marquoit la circonstance du temps de cette heureuse Naissance au milieu des troubles de la guerre. On avoit peint pour Symbole, une Coquille ou Nacre de perle sur les eaux d’une mer orageuse, qui ne laissoit pas de s’ouvrir malgré la tempeste, & de mettre au jour une perle ; avec cette Inscription :

DONUM HOC PEPERERE PROCELLÆ.

ce qui signifie,

Je suis un don de la tempeste.

On en expliquoit le sens dans le Quatrain suivant.

Au milieu des flots agitez,
En naissant je brave l’orage :
Et malgré la tempeste & les vents irritez,
De mes dons précieux j’enrichis le rivage.

La quatriéme étoit à l’honneur de Madame la Duchesse de Bourgogne, sous le même Symbole que la précedente ; mais avec cette autre Inscription :

CHARIOR EX PARTU,

c’est-à-dire,

Le don qu’elle nous fait la rend plus précieuse.

C’est ce qu’on expliquoit par les Vers suivans.

La Princesse qui fait le bonheur de la France,
Vient de le rendre plus entier,
En donnant à LOUIS un cinquiéme Héritier.
Pour ses vertus, pour sa naissance,
Pour son rare mérite elle avoit le bonheur
De tous nos bons François de posseder le cœur ;
Mais quoi-qu’aimable d’elle-même,
C’est encor pour ses dons qu’on l’estime & qu’on l’aime.

La cinquiéme marquoit les Emplois futurs du nouveau Prince, & l’imitation des vertus de ses Ancêtres, & en particulier de celles de Monseigneur le Duc de Bourgogne. On avoit choisi pour le corps de la Devise un jeune Aiglon dans son nid, qui regardoit sans crainte les foudres entre les serres de l’Aigle dont il est l’éleve. L’ame de cette Devise étoit :

PATRIS HÆC AD FULMINA NASCOR.

c’est-à-dire,

J’apprendray de mon pere à bien lancer la foudre.

On l’expliquoit plus au long par les Vers qui suivent.

Digne Héritier de l’Aigle à qui je dois la vie,
Je marque déja par mes yeux
Que ma plus génereuse envie
Sera de m’élever comme luy vers les Cieux,
De dompter les Tirans, de les réduire en poudre,
De renverser leurs vains projets ;
Et pour le faire avec succés,
J’apprendray de mon pere à bien lancer la foudre.

La sixiéme étoit à l’honneur du même Prince. On avoit peint un Alcyon sur une mer qui commençoit à se calmer, avec ces mots qui marquent la proprieté de cet Oiseau.

SPONDET TRANQUILLA, VEL AFFERT.

ce qui veut dire,

Il présage le calme, ou bien même il l’apporte.

La septiéme estoit encore à l’honneur de Madame la Duchesse de Bourgogne, & signifioit l’heureux succés de ses couches dans un âge peu avancé. On avoit peint l’Aurore qui produisoit le premier rayon du jour au Solstice d’Esté, avec ce mot Latin :

ET CLARO ET PRÆPETE PARTU.

ce qui signifie,

Si j’enfante le jour, c’est avec promptitude.

La huitiéme réünissoit toutes les Personnes Royales, à qui par succession est dévolu le droit de la Couronne. Elle avoit pour corps, une branche de Grenadier chargée de ses fruits, qui ont tous cette proprieté d’avoir une espece de diademe naturel. L’Inscription étoit :

QUOT AB UNA STIRPE CORONÆ,

c’est-à-dire,

Combien sur cette tige on verra de Couronnes,

Je ne dois pas oublier de vous dire, que ces Réjoüissances ont continué encore longtemps aprés les premieres Festes. Mr Gayet Lieutenant de Roy, & Maire de la Ville, qui est en même temps Capitaine des Arquebusiers, s’est encore distingué par une Feste donnée dans le Jardin des Chevaliers de l’Arquebuse. Parmy les ornemens qui servoient à la décoration, on admira sur tout la Devise, par laquelle on marquoit l’empressement de ce Magistrat à donner à sa Compagnie l’exemple d’une sincere demonstration de joye. On avoit pour cet effet tiré de ses Armoiries le Symbole du Coq, qui chante & applaudit, pour ainsi dire, aux couches de l’Aurore, lors qu’elle enfante le jour, & qui non content d’y applaudir, réveille encore tout le monde pour se réjoüir avec luy. L’application de cette Devise à Madame la Duchesse de Bourgogne, representée par l’Aurore, à Monseigneur le Duc de Bretagne, representé par le Jour naissant, qui est comme un rayon du Soleil, fut trouvée assés heureuse. Ces deux vers Latins faisoient l’ame de la Devise.

AURORA DUM PARIT DIEM,
GALLO EXCITANTE PLAUDIMUS.

Le sens en étoit developé plus au long dans les vers suivans où les Chevaliers parlent.

Tandis qu’une jeune Princesse
Remplit la France d’allegresse ;
Que semblable à l’Aurore elle enfante le Jour,
Le Coq, pour luy faire sa Cour,
Celebre sa naissance, & dit en son langage,
Que ce jour qui renaist, est d’un heureux presage.
Excitez par son chant, joignons-nous donc à luy,
Et dégagez de tout ennuy,
Disons en le voyant paraître :
Loin d’icy sombre nuit, & toy morne sommeil ;
Le jeune Prince qu’on voit naître,
Est l’éclatant rayon d’un plus brillant Soleil.

Une seconde devise aussi singuliere que la precedente marquoit la magnificence du Prix proposé aux Chevaliers par Mr Gayet Capitaine de la Compagnie. Chacun y signala son adresse en le tirant. La Devise designoit en particulier Mr Tauxier, Roy des Arquebusiers.

On avoit peint pour le faire connoistre, le Jeu des Ricochets, qui est un divertissement innocent, que la jeunesse prend quelquefois sur le bord de la Marne, en frisant la surface de l’eau avec un caillou plat, qui à chaque bond qu’il fait, forme un cercle qui luy tient lieu de Couronne. L’inscription Latine, où l’on faisoit parler la Marne, consistoit en ces trois mots :

TANGENTEM PERCUSSA CORONO.

Elle veut dire en François.

Je forme une couronne à celui qui me frape.

L’explication : la Marne parle.

Sur la surface de mes eaux,
Tandis qu’elle est calme & tranquille ;
On se fait des plaisirs qui sont toûjours nouveaux,
Où souvent l’agréable est joint avec l’utile.
Jugez si le gain est petit
Pour celuy qui s’y divertit ;
Puisqu’à chaque coup qu’il me donne,
Il a pour prix une couronne.

La justesse de cette Devise consiste dans l’application qui se fait d’un jeu à un autre jeu ; car de même que dans celuy de Ricochets, le caillou qui forme le plus de cercles en frapant l’eau, est celuy qui merite le prix : ainsi le Chevalier qui frape le plus souvent le noir, est celuy qui l’emporte sur les autres.

La Messe solemnelle où les Chevaliers assisterent le matin, & le Te Deum, qu’ils firent chanter le soir en Musique dans l’Eglise des Peres Augustins, enfin les illuminations qui durerent toute la nuit, sont des marques de l’affection de cette Compagnie pour S.M. Celuy qui se distingua le plus en tirant le Prix, fut Mr Pierre Guyot, le plus ancien des Chevaliers, dont l’adresse est d’autant plus à estimer, que son âge de soixante & seize ans semble moins propre à ces sortes d’exercices.

[À saint Sernin de Toulouse, idem] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 61-71.

L’Eglise de saint Sernin de Toulouse est une des plus anciennes, & des plus saintes Eglises du monde Chrêtien : elle a esté consacrée au commencement du iie siécle par le Pape Urbain II. & non seulement ce Pape, mais ses predecesseurs luy avoient déja accordé de tres-grands privileges ; mais ce qui la rend encore plus recommandable, est le grand nombre de Corps saints qui y reposent, entre lesquels on compte huit Apôtres.

Et comme elle doit ce precieux dépôt à la pieté de l’Empereur Charlemagne, & de plusieurs Rois de France ses successeurs, qui ont fait eux-mêmes des vœux dans cette Eglise, & l’ont enrichie de magnifiques presens ; il étoit juste que dans la joye publique, que toutes les Communautez seculieres & regulieres de cette Ville ont témoignée pour l’heureuse naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, le Chapitre de saint Sernin se distinguast par des marques extraordinaires de son zele ; pour cet effet le 22. Juillet le Chapitre ayant ordonné des Prieres dans son Eglise pour remercier Dieu de l’heureuse naissance de ce Prince, & fait un vœu particulier pour sa conservation, un peuple infini accourut à cette Eglise pour joindre ses prieres à celles du Chapitre ; & pendant ce jour, toutes les Reliques des Saints furent exposées, ce qui augmenta la pieté des fidelles.

La veille du jour marqué pour chanter le Te Deum, on entendit pendant toute la nuit, le bruit de la Mousqueterie, & de plusieurs pieces de Campagne qu’on avoit fait ranger sur les grandes voutes de l’Eglise, ce qui annonçoit à la Ville & aux Campagnes voisines l’excés de la joye de ce Chapitre.

Le lendemain à dix heures du matin un grand nombre d’Officiers du Parlement, les Capitouls & le Corps de Ville se rendirent à cette Eglise, & aprés la grande Messe celebrée par Mr l’Abbé de Burta, grand Vicaire de Mr l’Abbé de saint Sernin, on chanta le Te Deum en musique de la composition du Sr Aphrodise, Maistre de Musique de ce Chapitre que les Connoisseurs ont trouvé excellent, & ont avoüé n’avoir rien entendu de si beau & de si harmonieux.

À l’entrée de la nuit, le clocher de cette Eglise qui est percé à six ceintures, & un des plus élevez qui soient dans Toulouse fut éclairé depuis le bas jusques à la pointe.

Tout le Frontispice de cette Eglise qui est une des plus grandes du Royaume n’estoit pas moins illuminé que le clocher, & toutes les murailles & les Pilastres étoient également éclairez, en sorte que ce vaste Edifice paroissoit tout brillant de lumieres, on y en compta jusqu’à six mille de cire blanche, qui n’étoient separez que par des ornemens aux Armes de France, de Bourgogne & de Bretagne. Les deux grands Portails de cette Eglise, qui se trouvent enrichis de plusieurs ornemens d’Architecture étoient remplis aussi d’un grand nombre de lumieres, & formoient un spectacle merveilleux. Celui qui fait face à la grande ruë au dessus duquel étoit placé le Portrait du Roy, bordé de trois rangs de bougies, se découvroit le long de cette grande ruë dans la distance de plus de cinq cens toises, ce qui fit dire à plusieurs Etrangers que la curiosité y avoit attirez, qu’un pareil spectacle auroit esté trouvé tres-beau, même dans la Ville de Rome.

Au milieu de la Place qui est au devant de cette Eglise, on avoit dressé un beau feu d’artifice. Il y eut un si grand concours de monde, que les avenuës étoient inaccessibles ; les fenestres des maisons voisines estoient remplies jusques sur les toits.

Deux heures avant qu’on tirast ce feu, on tira un grand nombre de tres belles fusées volantes, tandis que les trompettes, les hautbois & les violons qui étoient placez sur une maniere d’amphiteatre joüoient alternativement, & n’étoient interrompus que par les salves de mousqueterie, par le son des cloches & par les acclamations du peuple qui crioit vive le Roy.

La nuit venuë qui fut une des plus obscures & des plus tranquilles de cette année, on mit le feu à la machine qui eût tout le succés qu’on s’en étoit promis. Une infinité de lances à feu rangées fort prés l’une de l’autre s’allumerent en un instant, en éclairerent tous les costez, & un nombre infini de fusées remplirent l’air de feu, & retombant en étoiles & en fleur de Lys, firent un effet merveilleux. Un Soleil élevé sur le haut de la machine & éclairé de toutes parts, parut tout en feu, & ne fut point consumé.

Le feu étant fini, les salves de mousqueterie & des pieces de campagne qui étoient placées sur les voutes de cette Eglise, continuerent.

On peut dire que dans cette occasion Mrs les Chanoines de Saint Sernin n’ont épargné ny soin, ny dépense pour répondre à la dignité de leur Eglise & au zele qu’ils ont toûjours eû pour le Roy & pour l’accroissement de la famille Royale, pour laquelle ils ne cessent point de renouveller à Dieu leurs vœux & leurs prieres, par l’intercession des Saints dont les Corps reposent dans cette sainte Eglise.

[Aux Peres de la Doctrine Chrestienne de la mesme Ville, idem] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 71-85.

Les Peres de la Doctrine Chrestienne de la mesme Ville ont aussi fait de grandes réjoüissances au College de l’Esquille.

Le cinquiéme Aoust, on chanta une Grand’Messe & le Te Deum, dans la Chapelle de ce Collége. À trois heures aprés midi, le Pere Prozat Professeur de Rhetorique prononça un discours Latin, où il renferma deux choses qui lui servirent de division. La premiere, la joye que le Roy reçoit de voir multiplier sa race jusqu’à la quatriéme generation. La seconde, le bonheur que la France doit esperer de ce Prince nouvellement né. Le Parlement, l’Université, les Capitouls avec quantité de gens de lettres & de distinction assisterent à cette action qui fut fort applaudie.

Le même jour, vers les huit heures du soir, on fit une illumination qui fut trouvée de fort bon goût ; pour en juger, imaginez-vous une grande & belle façade à quatre étages, de quarante toises de long, qui n’est dominée d’aucun endroit, percée de trois rangs de croisées, élevée sur des Arceaux, separée par des Pilastres selon les trois ordres de l’Architecture ; les étages separez par des corniches, débordant d’environ trois pieds & demi ; on voyoit sur cette vaste étenduë plus de six mille lumieres, dont la disposition étoit encore plus agréable que le nombre.

La premiere corniche qui est sur les Arceaux, étoit bordée de falots aux Armes de France & de Bretagne garnis de bougies ; l’entre-deux étoit étoit éclairé par des coquillages. Sous chaque fenêtre s’élevoit une piramide à trois faces de quatre pieds & demi de haut sur deux & demi de large, éclairée de plus de six vingt lumieres ; aux côtez des fenêtres le long des pilastres s’élevoient aussi deux piramides à trois faces d’environ cinq pieds & demi de haut, sur deux & demi de large, éclairées de même ; l’embrasure des fenêtres coupée par quatre rangs de lumieres, faisoit une espece de rhombe de neuf pans de haut sur cinq de large, élevé sur les trois piramides qui paroissoient lui servir de baze. Les deux autres corniches étoient éclairées de la même maniere.

L’arrangement étoit tel que d’un coup d’œil on voyoit sur quinze Arceaux, trois corniches, quarante-cinq croisées & quatre-vingt-seize piramides toutes en feu ; & comme au milieu de la façade il y a un angle rentrant, on y avoit élevé une piramide de dix pieds de haut sur sept & demi de large, & on y avoit tellement serré les falots & les coquillages que l’on voyoit dans ce petit espace plus de mille lumieres. Sur cette piramide on avoit placé le Portrait du Roy, sur ce Portrait par une invention assez particuliere, on lisoit en gros caracteres de feu ces mots, Vive le Roy.

Mrs les Capitouls toûjours zelez pour ce qui regarde Sa Majesté, & toûjours attentifs à tout ce qui peut concourir à rehausser la gloire de leur College, assisterent en ceremonie à cette réjoüissance ; ils vinrent precedez de la Compagnie du Guet, & parmi le bruit des tambours & des fanfares firent faire aux soldats plusieurs decharges de mousqueterie. Ce bruit uni aux acclamations du Peuple produisoit une secrette joye dans le cœur de tous les Spectateurs, parmi lesquels il y avoit beaucoup de gens de qualité.

Vers les neuf heures, on vit tout à coup l’air rempli de fusées volantes qui partoient d’un feu d’artifice qui commença alors à joüer : Il seroit difficile de vous dire la varieté de l’artifice ; tout le monde avoüe qu’on n’avoit vû depuis longtemps un feu accompagné d’un si grand nombre de fusées, de petards, & de tourbillons de flammes, & qui eust esté d’une si longue durée, qui est ce qu’il y a de plus agréable dans ces sortes de spectacles : mais ce qu’il y avoit de plus singulier, c’est qu’on voyoit un second Vive le Roy, d’un grand pied de haut, formé par de vives flammes, qui durerent presque autant que le feu d’artifice : voicy quelle en estoit la disposition.

Sur une plate-forme quarrée de trente pieds de face, s’élevoient quatre Tours, qui se communiquoient par autant de galleries : au-dessus on voyoit un autre rang de galleries moins long que le premier ; plus haut regnoit un espece de Donjon de figure quarrée. Sur le Donjon s’élevoit un piédestal, sur le piédestal une colonne de six grands pieds, sur la colonne une statuë en bosse qui representoit un jeune Enfant qui portoit à la main un rameau d’Olivier, signe de la Paix, avec ces deux Vers, qui font voir qu’on regarde la naissance de ce Prince comme le presage de la Paix dans le temps de la Guerre la plus échauffée.

Dum pelago, Terrâque furit.
Mars impius : Orbi
Nascitur optatæ pacis prænuncius Infans.

Les réjoüissances du College de l’Esquille ne finirent pas ce jour-là. Le Professeur de Rhetorique a accoûtumé de dedier tous les ans une Piece de Theatre à Mrs les Capitouls pour la distribution du Prix de l’Eloquence & de la Poësie. Elle fut representée le vingtiéme Aoust : elle fut precedée d’un Prologue sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, & ornée de chants & de ballets qui avoient un rapport si singulier à la joye universelle que cause cette naissance, que les Connoisseurs virent bien que c’estoit ce Prince qu’on avoit eu principalement en vuë ; ce qui fit un veritable plaisir à Mrs les Capitouls, qui se sentirent fort honorez de presider à une action qui ne sembloit faite que pour la gloire de ce nouveau Prince.

Le Pere Dardene Professeur dans le même College, fit le vingt-deuxiéme, representer une Piece de Theatre allegorique, ornée d’Entrées de ballets & de Musique, intitulée Le Berceau de Daphnis, & qui estoit uniquement sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; il l’avoit dediée à Mrs du Parlement. Mr le President Riquet pria les Chambres d’y assister ; il le fit avec d’autant plus de plaisir qu’il avoit esté le premier à donner l’exemple du zele que l’on doit témoigner dans ces occasions, par une Feste particuliere qu’il avoit faite sur ce sujet, & qui tenoit de cette magnificence dont il a accoûtumé d’accompagner tout ce qu’il fait à la gloire de Sa Majesté. Il y assista avec Mrs du Parlement, & un grand nombre de personnes de distinction. L’Assemblée se retira, fort satisfaite de l’Auteur & des Acteurs.

Je viens de recevoir l’Inscription suivante, faite par ces mesmes Peres. On a peint la France environnée de toutes parts d’ennemis qui ne cherchent qu’à la perdre ; elle conserve pourtant un air fier & tranquille, se reposant sur le secours qu’elle attend de la Famille Royale ; qu’elle regarde comme son rempart invincible ; avec ces deux vers :

Rex proavus, Delphinus avus, Burgundius heros,
Nata recens proles, arx sunt tutissima gallis.

On n’a pas oublié Monseigneur le Duc de Berry ; il est representé dans son lieu, comme un nouvel appuy de la Nation Françoise, avec ce vers :

Biturigum Dux promptus adest, spes altera gentis.

[Aux Capucins de Laval, idem] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 85-88.

Les Capucins de Laval donnerent le dix d’Aoust des marques de la part qu’ils prenoient à la joye & à la felicité publique. Ils chanterent dans leur Eglise un Te Deum avec l’Exaudiat, Ils avoient fait dresser dans leur jardin un bucher de plus de vingt pieds de hauteur, au haut duquel on avoit mis un Drapeau & une couronne Ducale ; il estoit orné de beaucoup de lauriers qui marquoient les Victoires du Roy. Le soir le feu fut mis à ce bucher au bruit des décharges de plusieurs petites pieces de canon ; toutes les fenestres du Convent estoient illuminées, & cette illumination dura jusqu’au lendemain matin, elle estoit d’autant plus belle que la face de ce Couvent à trente-quatre toises de long. Les salves qui estoient de dix coups chacune se firent entendre pendant le Te Deum de Matines.

Le Juge de Police de la même Ville, dont la maison regarde le Convent des Capucins, fit dresser devant sa porte un Feu en triangle, dont le milieu estoit rempli de lumieres ; il fit placer aux trois faces de ce triangle, les armes de France, celles de Bretagne, & celles de Monsieur le Duc de la Trimoüille, qui est Seigneur de Laval, qui se firent distinguer de loin par le moyen des lumieres enfermées dans le triangle. Deux cent Habitans de son quartier estoient sous les armes. Il fit defoncer une Barrique contenant plusieurs pieces de vin, il tint table ouverte & donna le bal.

[Aux Jesuites de Dole en Franche-Comté, idem] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 105-107.

Les Jesuites de Dole en Franche-Comté, & plusieurs particuliers de la Ville & de la Province, ont aussi témoigné leur zele pour Sa Majesté, à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, en celebrant dans le College une Feste, accompagnée d’une piéce de Theatre, de Chœurs de Musique, de recits, de machines, de danses, d’intermedes, & de tout ce qui contribuë à rendre un spectacle pompeux & divertissant ; la Feste qui a duré trois jours, a fini par un magnifique Carrousel. Ceux qui composoient le Carrousel estoient lestement vestus, & ont charmé tous les Spectateurs, tant de la ville que des environs qui estoient accourus pour voir cette Feste.

[À Florence, idem] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 107-117.

Voicy ce qui s’est passé à Florence, & en d’autres Villes d’Italie, à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne.

Cette nouvelle ayant esté apportée à Florence le 5e Juillet dernier par Mr de Perceval, courier du cabinet, Mr Dupré qui est en cette Cour, depuis prés de dix années, en qualité d’Envoyé extraordinaire du Roy, en alla aussi-tost faire part à Monsieur le Grand Duc, à Monsieur le Prince, & à Madame la Princesse de Toscane, & à Monsieur le Cardinal de Medicis, ausquels il presenta les Lettres du Roy, de Monseigneur, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne qui furent reçûës avec des demonstrations d’une joye extraordinaire ; Madame la Princesse de Toscane, pour laquelle il y en avoit une de la main de Sa Majesté, dit à Mr l’Envoyé tout ce que la plus vive reconnoissance peut inspirer, l’assurant que cette Lettre estoit pour elle un Tresor qu’elle estimoit plus que tout ce qui pouroit jamais luy arriver.

Dés le lendemain Monsieur le grand Duc temoigna sa joye avec une magnificence digne de luy, il fit chanter un Te Deum dans la Cathedrale, où il assista, avec Monsieur le Cardinal de Medicis, & tous les Magistrats en corps, la Musique en étoit admirable, & cette Eglise qui est extrêmement grande, estoit par tout éclairée par de gros flambeaux de cire blanche ; les feux & les illuminations du vaste Palais de Monsieur le grand Duc ont duré trois jours, pendant lesquels les Tribunaux ont esté fermez, & chaque soir l’on faisoit une décharge generale de toute l’Artillerie des Forteresses ; enfin ce Prince a donné en cette occasion les mêmes marques de joye qu’à la naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Le soir mesme que la nouvelle du bonheur qui venoit d’arriver à la France fut apportée, Mr l’Envoyé l’annonça au peuple par une illumination de gros flambeaux de cire blanche à toutes les fenestres de son Hostel, par une Inscription brillante attachée au balcon, & par des feux ordinaires ; ces feux & ces illuminations continuerent quatre jours de suite, pendant lesquels il fit des aumônes, & distribua de l’argent pour remercier Dieu des graces qu’il continue de repandre sur toute la Famille Royale.

Mr Dupré, dont le zele ne peut jamais estre satisfait lors qu’il s’agit de la gloire de la Nation, ordonna aussi un feu d’artifice ; mais, comme il falloit du temps pour le disposer, & que sa joye ne pouvoit souffrir d’interruption, il employa cet intervale à donner plusieurs repas, & entre autres il en donna un, auquel il n’invita par preference que le Nonce du Pape, l’Ambassadeur de la Republique de Luque, & les quatre Maistres de chambre des quatre Cours, dont celle de Toscane est composée, avec quelques autres des principaux Officiers. Mr le Marquis Rinuccini, que Monsieur le Grand Duc a nommé pour aller faire ses complimens sur cette heureuse Naissance, estoit du repas, où tout se passa avec beaucoup d’agrement & de gayeté.

Tout estant prest pour le feu d’artifice ; ce feu fut tiré l’onziéme Aoust sur la riviere d’Arne, au son des Trompettes & des Timbales, entre les deux magnifiques ponts faits par Michel-Ange, qui ne sont pas des moindres ornemens de la Ville de Florence. Les chaisnes furent tenduës, afin d’empêcher les carosses d’aller sur les Quays, qui demeurerent libres pour le peuple, & l’ordre fut si bon, qu’il n’arriva pas le moindre accident. La Machine haute de prés de soixante pieds, representoit la Religion appuyée sur la France, & sur un Cartouche, on lisoit ces mots,

Dux Britannicus fructus Religionis,

Pour faire entendre, que ce Prince estoit la recompense de l’aplication que Sa Majesté donne au maintien de la vraye Religion ; le reste de la decoration consistoit en divers ornemens de plusieurs manieres differentes, d’où sortoit une infinité de feux, qui faisoient un tres-beau spectacle ; Monsieur le Prince, Madame la Princesse, & Monsieur le Cardinal de Medicis, Protecteur des affaires des deux Couronnes, l’honorerent de leurs presences.

Mr l’Envoyé a reçû des complimens de la Cour, & de tout ce qu’il y a de personnes de distinction, sur l’heureux succés de cette Feste, par laquelle il a terminé les marques exterieures de sa joye.

Le Nonce du Pape, & l’Ambassadeur de la Republique de Luque ont fait aussi des feux, & de tres-belles illuminations, ce qui fait bien connoître quels sont en cela les veritables sentimens de leurs Maistres.

Les Communautez Françoises des Peres Feüillents, & de Saint Antoine, & tous les autres François establis à Florence se sont aussi distinguez par des feux, & des illuminations singulieres, pendant quatre jours, & par des prieres ferventes pour la conservation du Roy & de toute la Famille Royale, en sorte qu’il n’y a point de Ville étrangere où les demonstrations de joye ayent esté si generales. Monsieur le Grand Duc a donné cent pistoles à Mr de Perceval Courier du Cabinet, & Monsieur le Cardinal de Medicis, cinquante Loüis d’or.

[À Ligourne, idem] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 117-149.

Ce qui suit a esté imprimé à Ligourne de mesme que je vous l’envoye.

DESSEIN ET EXPLICATION DU FEU D’ARTIFICE QUE LA NATION FRANÇOISE
establie au Port & Ville de Ligourne, à fait executer
POUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC DE BRETAGNE.
Au mois d’Aoust 1704.

Ordres & dimensions de l’Architecture.

L’édifice de ce feu dressé sur la grande. Place de Ligourne en droite ligne de la Porte Colonelle & de celle de Pise, à trois élevations d’Architecture de quatre faces chacune.

Les faces de la premiere élevation ont chacune vingt bras de largeur, sur dix de hauteur, & sont terminées par des piédestaux sur chaque costé desquels sont peints des trophées d’armes au naturel. Celles de la seconde élevation ont chacune dix bras de largeur sur quatre de hauteur, des quatre angles superieurs desquelles faces tombent des consoles sur les piédestaux de la premiere élevation, ces consoles portans de petits piédestaux sur chacun desquels est posée une boulle de marbre. Le piédestal de la figure du feu qui fait la troisiéme élevation de l’architecture, & dont les quatre faces sont peintes d’autres differens trophées d’Armes, à cinq bras de largeur sur trois & demi de hauteur de chaque costé.

La figure dont il sera-parlé cy-aprés, posée sur ledit piédestal, a de hauteur entre sept à huit bras.

SUJET DU FEU.

Le sujet du feu, est le Genie de la France, representé par un homme feint, de marbre blanc, vestu à la Romaine, ayant la ceinture & les brodequins de mesme parure, & pardessus tout un long manteau. Il tient de la main droite une trompette qu’il paroist prest à emboucher, sur le Gonfanon de laquelle sont écrits ces mots en lettres majuscules.

POST QUARTAM, DEI GRATIA QUINTAM GALLORUM VOTIS, REGIÆ PROLIS GENERATIONEM ANNUNCIO.

Pour exprimer les vœux ardens de la Nation pour la Famille Royale, & pour la prolongation des jours de Sa Majesté tres-Chrestienne. Cet homme est coëffé d’un petit Casque ou Morion à la Grecque, du haut duquel il sort une flamme de feu ; deux petites aisles y sont attachées ainsi qu’aux talons, semblables à celles que l’on attribuë à Mercure, que l’Amour des François si naturelle pour ses Souverains luy a donné pour satisfaire à ses vœux empressez, ce qui est exprimé par les paroles suivantes, écrites sur le Gonfanon d’une seconde Trompette, sur laquelle le Genie de la France s’appuye de la main gauche, & dont le bout touche le soc du piédestal.

AMOR ADDIDIT ALAS.

Enfin il a le sabre au costé, pour marquer que la Guerre est l’inclination dominante des François.

Premiere élevation de l’Architecture, & ses Devises.

Sur la premiere face qui regarde Venise neuve, est représenté dans un grand Tableau, le Palais de la Gloire, où l’on voit Monseigneur le Duc de Bretagne revestu du Cordon bleu avec la Croix de l’Ordre du Saint Esprit, dans un Berceau couvert d’un manteau Royal sous un Pavillon de velours cramoisi, la Gloire estant à sa gauche, le Diademe en teste ; ayant une cuirasse en broderie avec un Soleil d’or sur l’estomach, laquelle oste de la main droite sa Couronne de dessus sa teste pour la mettre sur celle du jeune Prince. Elle est accompagnée de l’Amour de la France, qui tient un bassin d’or dans lequel sont plusieurs Couronnes de differentes especes, c’est-à-dire celle de France, celle du Duc de Bretagne, des Couronnes de laurier & de fleurs d’immortelles, avec ces mots.

QUAS NON CORONAS.

Pour exprimer qu’il n’y a point de Couronnes ausquelles ce Prince ne puisse prétendre.

Sur la face opposée regardant l’Eglise du Dôme, est peinte dans un autre grand Tableau, la Province de Bretagne, représentée par une Nimphe assise, vestuë d’hermines montrant de la main droite un Cartouche soûtenu par un Amour, sur lequel sont peintes les Armes du jeune Prince, écartelées de France & de Bretagne couronnées, sa main gauche est appuyée sur un autre Cartouche qu’elle tient, où sont les Armes de Bretagne en plein, avec ces mots.

HONORAT DEXTRA SINISTRAM.

Pour exprimer l’honneur que la Bretagne reçoit de voir ses Armes écartelées avec celles de France dans l’Ecu du jeune Prince.

Sur la face regardant la Porte Colonelle, est representée au naturel dans un autre grand Tableau une Minerve ayant un Casque ou Morion panaché en teste, tenant une demie pique de la main gauche, & de la droite un bouclier sur lequel est peint le Chiffre de Monseigneur le Duc de Bretagne en lettres d’or sur un fond d’azur, avec ces mots en Cronographe.

hIC, DeCVs tt oMen.

Pour signifier que sous les auspices de ce beau Nom les Arts & les Sciences, dont Minerve est la Déesse, seront honorez & cultivez plus que jamais, & que le grand Prince qui le porte en sera le Protecteur.

Sur la quatriéme face de la premiere élevation de l’Architecture, regardant la Porte de Pise, est depeint en couleurs naturelles dans un autre grand Tableau, un Hercule tenant de la main gauche un grand bouclier élevé, sur lequel est représenté un Soleil, qu’il montre de la droite, & dont il paroist couvrir divers Enfans, representans les peuples de France sous la figure des Arts liberaux dont chacun à son attribut ; sçavoir, la Peinture, la Sculpture, la Geometrie, la Musique, la Logique, &c. avec ces mots.

TUTI DIVINO CLYPEO PHOEBI.

Pour exprimer que la France est en sureté sous la protection des Armes du Roy.

Seconde élevation de l’Architecture & ses Devises.

Sur la premiere face de la seconde élevation de l’Architecture qui regarde Venise neuve, sont peints en Camayeu bleu, dans un Cartouche moins grand que les Tableaux de la premiere élevation, quatre Soleils en ligne perpendiculaire & en diminution de grandeurs, le premier plus grand que les autres, & ainsi de suite ; un rayon se joignant à l’autre immediatement, & le dernier qui est le plus petit ayant un visage enfantin, avec ces mots.

LUMEN DE LUMINE.

Ces quatre Soleils representent le Roy, Monseigneur, Monseigneur le Duc de Bourgogne & Monseigneur le Duc de Bretagne, en ligne directe.

Pour exprimer que la Famille Royale tire son plus grand éclat du Roy, representé par le plus grand & le plus élevé des quatre Soleils.

Sur la face opposée à celle cy-dessus qui regarde l’Eglise du Dôme, estre presenté en Camayeu de mesme couleur dans un pareil Cartouche un Essein de Mouches à miel sortant d’une Ruche, qui paroissent toutes se réjoüir en s’agitant autour du jeune Prince qui vient de naistre, figuré par le Roy de ces Abeilles, avec ces mots.

EXULTATIO PUBLICA.

Pour marquer le zele & la joye de la Nation dans l’heureuse naissance d’un Prince qui promet toute sorte de bonheur.

Sur la face qui regarde la Porte Colonelle est representé en mesme Camayeu bleu dans un semblable Cartouche, le premier hemisphere du Globe Terrestre où se trouvent l’Europe, l’Asie & l’Affrique. Un Soleil naissant paroist sortir du costé de la France qui commence à éclairer ce Globe, avec ces mots en Cronographe.

aCCeDIt nVMen.

Pour exprimer la Naissance Royale de Monseigneur le Duc de Bretagne, simbolisée par celle de ce Soleil, & la puissante protection que le Commerce peut esperer de ce grand Prince par mer & par terre.

Sur la quatriéme face de cette seconde Elevation d’Architecture qui regarde la Porte de Pise, sont peintes en Camayeu bleu dans un semblable Cartouche, quatre tiges de Lis sortis de terre de differentes hauteurs, en diminuant, la plus petite de ces tiges n’ayant que des boutons de Lis sans estre ouverts. Ils sont liez ensemble d’un cordon bleu avec ces mots.

UNITA CRESCUNT.

Pour exprimer l’union inseparable de la Famille Royale de Sa Majesté Tres-Chrestienne, sur laquelle le Ciel répandant abondamment ses benedictions de siecle en siecle, en fait voir la quatriéme generation au commencement de celui-cy.

Barriere.

Et pour éviter la confusion & afin que l’on puisse voir cette decoration d’une distance proportionnée, en luy donnant un nouvel ornement ; on a jugé à propos de la fermer quarrement, par une Barrierre ou balustrade à une distance de dix bras de la Machine. Cette Barriere a des piédestaux de six bras de hauteur de figure triangulaire à ses quatre angles, sur lesquels sont de grands Vases d’environ trois bras de hauteur pour mettre des lumieres artificielles propres à éclairer la décoration pendant le feu.

Troisiéme élevation de l’Architecture.

Les quatre faces de cette derniere élevation d’Architecture sont, comme il a esté dit cy-dessus, ornées de Trophées en bas relief au naturel, & servent de piédestal au Genie de la France figuré cy-dessus. Le dessein & disposition du feu est de l’invention de Mr le Chevalier de Gibercourt, auquel Mr de Fontenu à present Consul de France à Ligourne vient de succeder.

Fontaine de Vin.

Vis-à-vis la principale face du feu qui regarde Venise neuve, est une autre Machine de douze bras de hauteur representant une Grotte ornée de peinture, de Pampres de Vigne, de Lauriers & de plusieurs autres verdures naturelles, sur le devant de laquelle est peint un Bacchus avec un visage riant, à cheval sur une grande Tonne, d’où coule du vin dans une espece de Bassin, invitant le Peuple à boire à la santé du jeune Prince pour lequel se fait la feste ; il montre à cet effet de la main droite un Cartouche en forme de flacon qu’il tient de la gauche, appuyé sur sa cuisse, où sont écrits ces Vers Lyriques.

Hic puer est bibendus,
Et suaviter canendus,
Hic puer est bibendus.
Sit ille Princeps justus,
Longævus, et augustus,
Sit ille Princeps Justus.
10, 10, 10, 10, 10, 10.

Ces Vers expriment la joye de la Nation, & les souhaits qu’elle fait pour le grand Prince dont elle honore l’heureuse Naissance, & comme elle ne sçauroit trouver assez d’endroits pour bien marquer tout ce qu’elle en ressent, elle a crû qu’elle ne pouvoit mieux achever le troisiéme jour de sa feste, que par un grand feu, pour faire connoistre celuy dont elle brûle pour l’auguste sang de son Roy, & qu’en donnant un regal de vin au Peuple, pour le porter à joindre ses vœux à ceux qu’elle fera toûjours pour la conservation de sa Personne Royale.

Desseins, & Explication des Illuminations faites à la Maison de Mr de Fontenu, Consul de France à Ligourne, pour la feste de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne pendant les 15. 16. & 17. Aoust. 1704.

Aux cinq croisées du premier Etage sont representez, sçavoir, Apollon peint en Camayeu rouge sur un nuage avec tous ses attributs, & de grandeur presque naturelle, la teste environnée d’une grande lumiere, tenant de la main gauche un miroir où il se regarde, & au derriere duquel est le Chiffre de Monseigneur le Duc de Bretagne, ayant autour de luy trois Amours differemment occupez, dont un découvre ces mots écrits sur un Cordon.

PLACENT DIJS SIMILES ILLIS.

Pour exprimer, que le Roy representé par le Soleil, qui est sa Devise, en se regardant en ce miroir, y voit, avec un extrême plaisir, son incomparable Famille, considerée dans Sa Personne Royale, & les Princes heritiers presomptifs de sa Couronne, simbolisez par les trois Amours qui l’environnent.

Ce Tableau est de la grandeur de trois bras quarrement, & placé à la porte du balcon au milieu des quatre autres croisées.

À la croisée de la droite d’Apollon, est peint en bas relief en Camayeu rouge, Mars avec ce qui peut le faire connoistre pour le Dieu de la guerre, ayant sur un Bouclier qu’il soutient de la main gauche, appuyé sur le genoüil, le Chiffre couronné en lettres fleuronnées de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de la main droite embrassant un Amour, qu’il regarde en riant, qui luy presente une branche de Mirthe, avec ces mots,

IN UTROQUE FELIX.

Pour exprimer, que si le Cœur de Monseigneur le Duc de Bourgogne, sous la figure de Mars est né pour Bellone, il est aussi né pour l’Amour, qui vient de luy donner l’aimable Prince, dont l’heureuse naissance faisoit nos vœux les plus empressez, & qui fait aujourd’huy le sujet de nos plus belles esperances.

À la croisée opposée à celle-cy dessus, à la gauche d’Apollon est peinte aussi un Camayeu rouge en bas relief, Pomone avec les marques de la Déesse des Fruits, montrant une Grenade ouverte qu’elle tient de la main droite, & de la gauche le Chiffre de Madame la Duchesse de Bourgogne en lettres fleuronnées, dans un Cartouche couronné, sur lequel un Amour est appuyé qui le regarde ; au haut du Tableau sont écrits ces mots,

AMORIS PRÆMIUM.

Pour exprimer, que Madame la Duchesse de Bourgogne, representée par la Déesse des Fruits, a eu le prix de l’Amour, Monseigneur le Duc de Bretagne, sous la figure d’une Grenade, qui venant naturellement couronnée est le Simbole d’une Royale fecondité.

Au Tableau de la Croisée de la droite de Mars, est representé aussi en bas relief, & en même Camayeu rouge, Monseigneur le Duc de Bretagne dans un Berceau, ayant derriere luy un Amour, lequel avec un autre Amour qui est à ses pieds, tient une Guirlande de fleurs dont ils amusent le Jeune Prince, qui paroît en la prenant, y prendre plaisir ; un autre Cupidon tient en l’air un cordon, sur lequel on lit ces mots,

CUM PARIBUS.

Pour exprimer, que le charmant Prince representé dans ce Tableau, estant l’Amour même, il se plaist avec les Amours ses semblables.

À la croisée opposée, & en regard de celle cy-dessus, est aussi peint en bas relief, en semblable Camayeu, un Amour assis sur une pointe de rocher qui avance dans la mer, tenant d’une main de petits cailloux dans une draperie, qu’il laisse tomber perpendiculairement de la main droite dans l’eau, l’un aprés l’autre, où se forment plusieurs cercles, avec ces mots,

LUDENDO CORONAT.

Pour exprimer que les actions de Monseigneur le Duc de Bretagne representées par cet Amour, luy preparent des Couronnes dés son Enfance.

Toutes ces devises sont encore éclairées en dehors par des flambeaux de cire blanche ; Et toutes les autres Croisées superieures par d’autres lumieres particulieres.

Les Illuminations cy-dessus, ainsi que le Feu, furent precedées par un Te Deum, qui fut chanté en musique dans l’Eglise des RR. PP. Cordeliers le 15. Aoust jour de l’Assomption de la Vierge ; le lendemain on courut sur des Barbes dans la grande Place un Palio du prix de quarante pistoles, & le Dimanche 17. qui fut le troisiéme & dernier jour de cette Feste, on tira le Feu, cy-dessus décrit, & on fit couler pendant tout le jour la Fontaine de Vin sur la même Place. Pendant les trois jours susdits il y eut des Feux & des illuminations particulieres au bruit de deux cens Boëtes, & du Canon de tous les Bâtimens François qui sont dans le Port.

Mr le Marquis de Silva, Consul d’Espagne à Ligourne, s’est aussi distingué dans cette Feste, ayant fait faire pendant les trois jours de tres-belles Illuminations à sa maison, qui furent accompagnées, le soir de la course, du Palio, d’une tres-agreable Serenade de Voix & d’Instrumens, dans un Salon extraordinairement orné à ce sujet, où se trouverent les personnes les plus distinguées de la Ville, & où il fit donner des rafraîchissemens avec sa magnificence ordinaire.

Le jour que le Feu fut tiré, Mr le Consul de France donna à disner aux principaux de la Nation, où Mr le Consul d’Espagne se trouva ; Les vœux que l’on fait incessamment pour l’union entre les deux Couronnes, & la santé de leurs Majestez, firent toute la joye de ce Repas.

[À Venise par Mr l’Ambassadeur de France, idem, cet article est tres-curieux] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 150-182.

RELATION DES FESTES ET DES REJOUISSANCES FAITES PAR MONSIEUR HENNEQUIN DE CHARMONT,
Ambassadeur de France a Venise.

Le Vendredy quatriéme Juillet sur les dix heures du soir Mr l’Ambassadeur apprit par ses Lettres particulieres de Milan, la nouvelle de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, dont il donna aussi-tost des marques d’une sensible joye.

Le lendemain cinquiéme, Mr l’Ambassadeur fit allumer des feux devant son Palais où il y eût plusieurs décharges & quantité de vin distribué.

Cet Ambassadeur reçût le onziéme par la même voye de Milan, des Lettres du Roy contenant les ordres de donner part à la Republique de cette heureuse naissance. Il envoya le lendemain matin le Secretaire de l’Ambassade au College, pour demander audience, ce qui fut accordé.

Mr l’Ambassadeur ayant tout fait preparer pour les réjoüissances qu’il avoit resolu de faire, alla au College le Mercredy seiziéme avec ses quatre Gondoles dorées. Il avoit avec luy dans sa premiere Gondole, le Secretaire de l’Ambassade de France, celuy d’Espagne, son Secretaire & deux Gentilhommes François, le reste de ses Gentilhommes étoit dans la seconde, ses Pages étoient dans la troisiéme & ses Officiers & Valets de Chambres dans la quatriéme. Il étoit aussi accompagné des François qui se trouvent établis à Venise. Il partit ainsi de son Palais sur les douze heures d’Italie, c’est-à-dire à neuf heures du matin, au bruit d’un grand nombre de boëtes ; il alla descendre à la petite Place de Saint Marc, & precedé de tout son Cortege, il passa par la grande Cour du Palais & l’escalier des Geans, au travers d’un nombre infini de peuple. Etant monté au College, il trouva les portes fermées, selon la coûtume, & un lieu, dans l’antichambre, garni d’un Tapis pour se reposer, ce qu’ayant fait, il fit dire à l’Huissier qu’il étoit arrivé ; aussi-tost les portes luy furent ouvertes : il entra seul, & aprés avoir fait les reverences accoûtumées, il alla prendre place à la droite du Doge & se couvrit, ainsi qu’il se pratique. Cet Ambassadeur présenta au Doge la Lettre du Roy, & aprés avoir fait un compliment auquel le Doge répondit, il se leva, fit les mêmes reverences qu’il avoit faites en entrant, & sortit par la mesme porte. Il reprit le mesme chemin, alla monter dans sa Gondole à la petite Place de Saint Marc, & se rendit à son Palais, au son des trompettes, des fiffres & des tambours, & au bruit des boëtes ; & il donna à dîner aux François les plus distinguez qu’il avoit invitez à cette fonction. Il y avoit deux tables de vingt couverts chacune, qui furent servies jusqu’au mardy suivant. La feste commença sur les quatre heures aprés midy par une décharge de boëtes. Les Gardes qui étoient en haye dans le Portique d’en bas laisserent entrer tout le monde. Le Palais étoit meublé magnifiquement : deux gros corps de symphonie se faisoient entendre dans le Portique du premier appartement ; des trompettes, des fiffres & des hautbois qui étoient aux fenestres du Portique d’en haut, & plusieurs tambours qui étoient hors du Palais se répondoient continuellement. On trouvoit outre cela differens concerts dans chaque chambre. Les eaux glacées furent distribuées en abondances par les Pages & Officiers de Mr l’Ambassadeur. Le pain fut jetté au peuple, des fontaines de vin couloient sur la Biste, où il y eût sur la fin du jour des feux & des illuminations, ainsi que dans les cours & dans les jardins du Palais : les Escaliers & les Portiques étoient éclairez par de gros flambeaux de cire. Il y avoit dans les chambres plusieurs Lustres de cristal qui faisoient un tres-bel effet. Ces plaisirs durerent toute la nuit, & finirent par une décharge de boëtes. Ces festes furent continuées pendant trois jours ; tout Venise masqua & fit paroistre beaucoup de sensibilité pour ces divertissemens, par le concours des masques, des Gentilsdonnes & de toutes sortes de personnes qui se rendirent en soule au Palais. Mr le Nonce, Mr l’Ambassadeur d’Espagne, le Patriarche de Venise, le Receveur de Malthe & le Resident de Mantoüe, à qui Mr l’Ambassadeur avoit donné part de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, l’envoyerent complimenter chacun par un Gentilhomme sur le mesme sujet.

Mustafa-Aga, Envoyé du Grand-Seigneur à la Republique, qui avoit fait complimenter Mr l’Ambassadeur aussi-tost qu’il fut sorti de sa quarantaine, & qui en avoit esté remercié, luy rendit visite le vendredy 18e, avec deux Gondoles ; l’Envoyé estoit dans la premiere avec son neveu, les Drogmans ou Interpretes, & son Medecin ; le reste de sa suite qui étoit environ de quinze personnes, estoit dans la deuxiéme Gondole ; il fut reçû en bas à la rive, par les Gentilshommes de Mr l’Ambassadeur, & soutenu par dessous les bras en montant l’Escalier par deux Turcs ; les Gardes estoient en haye, & la livrée rangée le long du Portique. Mr l’Ambassadeur le reçût au bout de son Portique, prit la droite sur luy, & le conduisit à la Chambre d’Audience au son des Instrumens. Mr l’Ambassadeur s’assit dans un fauteüil du costé du Portrait du Roy, & l’Envoyé dans un autre, qui estoit vis-à-vis, les Turcs qui l’accompagnoient, se rangerent derriere son fauteüil, & tous ceux du Cortege de Mr l’Ambassadeur qui montoient à cent personnes, ou environ, se tinrent à quelque distance. Aprés quelques complimens faits de part & d’autre par le moyen des Interpretes, on apporta des Pipes. L’Envoyé fuma, & Mr l’Ambassadeur par complaisance prit une Pipe ; le Caffé & le Chocolate leur furent presentez, ensuite le Sorbet & des Eaux fraîches. La conversation dura quelque temps, aprés quoy Mr l’Ambassadeur l’accompagna dans une autre Chambre, où il y avoit une grande table couverte de toutes sortes de confitures & de fruits les plus exquis, ce qui fut accompagné d’un concert composé d’un Clavecin & de quelques Instrumens, à quoy l’Envoyé donna beaucoup d’attention, temoignant que le Clavecin sur tout luy avoit fait plaisir, cela fut cause que Mr l’Ambassadeur luy en envoya un quelques jours aprés. On apporta encore des Pipes ; les autres Turcs sortirent de la Chambre, on leur presenta des Pipes allumées, du Caffé, & des Eaux fraîches, ce qu’ils accepterent, & temoignerent par mille caresses, en frapant sur l’épaule des Gentilshommes de Mr l’Ambassadeur, qu’ils vouloient du bien à la Nation Françoise, dont ils ont toûjours donné des marques dans toutes les occasions depuis qu’ils sont à Venise. La Collation finie, Mr l’Ambassadeur mena l’Envoyé dans toutes les Chambres de son Appartement ; & de là dans celuy de Me l’Ambassadrice, qui le reçût sur le pas de la porte de sa Chambre. Mr l’Ambassadeur prenant toûjours la main sur l’Envoyé. On apporta du Tabac & des Eaux glacées : il fuma de nouveau, & pendant ce temps on distribua des Confitures à tous ceux de sa suite, on leur presenta aussi des rafraîchissemens, & ils fumerent aprés en avoir pris ; les Gentilshommes de Mr l’Ambassadeur, & quelques Officiers François qui estoient pour lors à Venise fumerent aussi. L’Envoyé ayant fait sa visite à Me l’Ambassadrice, elle l’accompagna jusques sur le pas de la porte de sa Chambre, & Mr l’Ambassadeur le conduisit dans le Jardin de Me l’Ambassadrice, où l’on fuma encore sur le Pontil qui donne sur la Mer. Pendant cette visite le Palais de Mr l’Ambassadeur avoit esté fermé pour éviter la foule ; il fut ensuite ouvert à tous les masques, & Mr l’Ambassadeur laissa l’Envoyé sur le Pontil joüir du frais avec plusieurs de ses Gentilshommes. Un peu aprés le Soleil couché, l’Envoyé voulant faire sa priere osta sa Robe rouge, & resta en soutane blanche, se lava le visage, la barbe, la teste, les bras & les pieds, ensuite on le conduisit dans une Salle où il y avoit pour cet effet un Tapis estendu par terre, & là il fit sa priere à portes fermées. Cette ceremonie estant achevée, il fut conduit par les Gentilshommes dans l’appartement de Me l’Ambassadrice, où il demeura jusqu’à onze heures du soir, & d’où il vit le Feu & les Illuminations, & regarda avec attention tout le concours du peuple, & sur tout les fusées, & autres feux d’artifices qui luy plurent infiniment : il se promena dans tous les Appartemens au milieu d’un nombre infini de masques ; aprés quoy Mr l’Ambassadeur luy fit entendre un Hautbois dans l’appartement de Me l’Ambassadrice, dont il parut touché ; ensuite ayant pris congé de Mr l’Ambassadeur & de Me l’Ambassadrice ; Mr l’Ambassadeur l’accompagna jusqu’au bout de son Portique, & ses Gentilshommes jusqu’à sa Gondole.

Le Dimanche 20. sur les six heures aprés midy, Mr l’Ambassadeur alla rendre la visite à l’Envoyé Turc, avec ses deux premieres Gondoles. Il estoit dans la premiere, avec le Secretaire de l’Ambassade, ses Gentilshommes & son Secretaire. Ses Pages & ses Valets de Chambre estoient dans la seconde ; les Officiers François suivoient dans leurs Barques. Mr l’Ambassadeur estant arrivé au Palais de l’Envoyé, fut reçu à la rive par les deux Drogmans, les Turcs estant en haye dans la cour du Palais. L’Envoyé qui estoit au haut de l’escalier reçut Mr l’Ambassadeur & le conduisit, en passant par plusieurs chambres, & en luy donnant toûjours la droite, dans la chambre d’Audience, où estoient deux fauteüils, & où Mr l’Ambassadeur eut la place d’honneur. Aprés quelques complimens, on leur apporta du tabac, quelques especes de confitures liquides, du caffé & du sorbet, ensuite ils furent parfumez. Les Turcs firent fumer tous ceux du cortege de Mr l’Ambassadeur, & leur presenterent du caffé, des confitures liquides & de l’eau de violette ; ils furent aussi parfumez. La conversation ayant duré plus de deux heures, Mr l’Ambassadeur se leva & fut accompagné par l’Envoyé jusques sur la premiere marche du degré, & reconduit jusqu’à sa Gondole par le neveu de l’Envoyé & un des principaux de sa suite, qui le tenoit par dessous les bras à la maniere Turque ; les deux Drogmans suivoient, & le reste de la maison estoit en haye. L’Envoyé se tint à la fenestre jusqu’à ce que les Barques de Mr l’Ambassadeur fussent un peu éloignées, se faisant l’un à l’autre plusieurs reverences reciproques.

Mr l’Ambassadeur ayant remis au Lundy à faire chanter le Te Deum à cause d’une fonction de la Republique qui se faisoit le Dimanche, au Redempteur, avoit envoyé inviter à cette ceremonie Mr le Nonce, Mr l’Ambassadeur d’Espagne & Me l’Ambassadrice, Mr le Receveur de Malthe, Me le Resident, Me la Residente de Mantoüe, Mr le Duc & Me la Duchesse de Sforze, & plusieurs autres personnes de consideration. Tous ces Ministres s’estant trouvez sur les onze heures de France à l’Eglise d’ella Madona dellorte, Mr l’Ambassadeur sortit de son Palais au son des fiffres, des hautbois, des trompettes & des tambours ; les Gardes estant en haye. Sa maison marchoit la premiere, & ceux du cortege venoient ensuite, au nombre de plus de deux cens personnes.

Mr l’Ambassadeur marchoit le dernier, en justaucorps & en manteau noir, l’épée au costé, ainsi que le Resident de Mantoüe, qui l’accompagnoit. Il arriva en cet ordre à l’Eglise où il fut reçu par les Religieux du Convent qui luy presenterent l’Eau-benite. Il se plaça à l’endroit qui luy estoit preparé du costé de l’Evangile, vers le maistre Autel, où il y avoit un fauteüil de velours cramoisi, garni d’un grand galon d’or, qui estoit sur une estrade élevée de deux marches, & couverte d’un grand tapis de velours aussi cramoisi, avec un large galon d’or tout autour, deux gros coussins de drap d’or, l’un pour s’agenoüiller & l’autre pour s’appuyer. Un autre lieu de même costé garni de tapis, estoit destiné pour les Dames. Il y avoit trois grands fauteüils, Me l’Ambassadrice estoit dans celuy du milieu, Me l’Ambassadrice d’Espagne à la droite, & Me la Duchesse de Sforze à la gauche. Au second rang estoient d’autres fauteüils, dont Me la Residente de Mantoüe occupoit le premier ; il y avoit plusieurs autres rangs de fauteüils pour les Dames & pour les Cavaliers. Mr le Nonce vint incognitò, ainsi que Mr l’Ambassadeur d’Espagne qui n’a pas encore fait son Entrée. Mr le Receveur de Malthe s’y trouva aussi incognitò. Tous ces Ministres prirent place dans le Chœur des Religieux. Mr le Resident de Mantoüe occupa le lieu qui luy avoit esté destiné. L’Eglise estoit tapissée de Damas cramoisi garni de galons d’or ; il y avoit sur un échaffaut un corps du Musiciens composé de plus de quarante personnes. L’Abbé officia pontificalement : la Messe & le Te Deum furent chantez en Musique : il y eut trois décharges de Boëtes, une au Gloria in excelsis, une autre à l’Elevation, & la derniere au commencement du Te Deum. La Ceremonie estant finie, Mr l’Ambassadeur retourna à son Palais dans le même ordre qu’il en estoit sorti. Tous les Ministres, Mr le Duc de Sforze & les Dames qui avoient esté invitées se rendirent chez luy ; il leur donna un superbe dîner, ainsi qu’aux personnes les plus distinguées, & aux Officiers François qui avoient fait cortege à la fonction. Il y avoit trois tables dressées de 20. couverts chacune, Mr l’Ambassadeur, Me l’Ambassadrice, tous les autres Ministres & Dames occuperent la premiere table. Les deux autres furent servies avec beaucoup de grandeur & de magnificence. Aprés le dîner les Dames tinrent cercle ; l’Envoyé Turc vint pendant ce temps-là ; il avoit esté invité à la Feste qui se devoit faire le soir par Mr l’Ambassadeur ; il fut reçu ainsi qu’il s’estoit déja pratiqué, & conduit dans l’appartement de Me l’Ambassadrice. Aprés qu’il eut salué Mr l’Ambassadeur, Me l’Ambassadrice, les Ministres & les Dames, il entra dans le cercle & prit part aux plaisirs de l’Assemblée, donnant souvent des marques de sa vivacité & de sa politesse. L’heure estant venuë de la Priere, il prit congé de la Compagnie, demanda d’estre conduit au mesme lieu où il avoit déja fait sa Priere, ce que firent deux Gentilhommes de Mr l’Ambassadeur. Sa Priere estant finie, il vint prendre le frais sur le Pontil, qui donne sur la mer ; on luy servit des pipes, & quelques temps aprés les Pages luy presenterent du caffé, & des eaux glacées. Les deux Gentilhommes de Mr l’Ambassadeur restant toûjours pour luy tenir Compagnie. Les Turcs de la suite fumérent, burent du Caffé & des Eaux glacées. Sur les neuf heures du soir, on le vint avertir que la Serenade alloit commencer, ainsi il se rendit dans l’appartement de Mr l’Ambassadeur, où-il trouva une fenestre ornée de tapis, ainsi que toutes les autres fenestres & les balcons du Palais. Il y avoit en face un Theatre dressé sur le canal où estoient élevées les Armes de France, enrichies de festons, & ornées de pilastres. Ce Theatre estoit garni de tapis, & tout illuminé avec des flambeaux de cire & un nombre infini de bougies, de maniere que tous les environs estoient éclairez ; il avoit une balustrade tout autour, & des orangers dans les angles ; au milieu estoit un espece d’Amphitheatre, où estoient placez deux Musiciens & deux Musiciennes, & plus bas deux bancs où estoit un gros corps de Simphonie, composé de soixante Instrumens les plus recherchez. Le sujet estoit un Poëme à la loüange du Roy & sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; il en fut distribué un grand nombre d’exemplaires. La Musique avoir été composée exprés par un des premiers Maistres d’Italie. On presenta la collation & des eaux glacées aux Ministres & à toutes les personnes de rang & de distinction que Mr l’Ambassadeur avoir fait inviter. Tout le canal estoit rempli de barques. Les Palais & les maisons d’alentour étoient si pleins de monde, que les places furent loüées jusqu’à deux loüis. Ce n’estoit par tout qu’échaffauts. L’Envoyé Turc fut charmé de cette Feste, & se tint toûjours à la fenestre, seul avec Mr l’Ambassadeur, qui aprés quelques intervalles de temps, luy ayant fait demander si la Musique & les paroles luy plaisoient, & s’il ne s’ennuyoit point : il répondit, qu’on ne s’ennuyoit jamais quand on entendoit les loüanges d’un si grand Roy. La Musique estant finie, il prit congé de Mr l’Ambassadeur & de Me l’Ambassadrice, & leur dit qu’il se souviendroit éternellement de toutes leurs civilitez. Il fut reconduit jusqu’à sa gondole, ainsi que tous les autres Ministres.

[À Rome par Mr le Cardinal de Janson, & par Mr l’Ambassadeur d’Espagne] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 183-208.

Je vous ay déja parlé des réjoüissances faites à Rome par Mr le Cardinal de Janson ; mais ce que je vous en ay mandé est si imparfait, que j’ay crû devoir vous envoyer la Lettre suivante, où vous trouverez tout ce qui s’est passé dans Rome à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne.

À Rome, le 30. Juillet 1704.

Monsieur le Cardinal de Janson ayant reçû le sixiéme de ce mois par un Courier extraordinaire, la nouvelle de l’heureux accouchement de Madame la Duchesse de Bourgogne & de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, se transporta aussi-tost au Palais pour en faire part à Sa Sainteté, & luy remettre les Lettres de Sa Majesté & de toute la Famille Royale, & prit ensuite les mesures necessaires pour celebrer cette grande feste avec une pompe & une magnificence digne de son zele.

Le Dimanche vingtiéme, fut le jour destiné pour commencer les réjoüissances : presque toute la Prelature, quantité de Noblesse & les Nationaux étans venus au Palais de son Eminence, on présenta à tous ceux qui s’y rendirent une quantité prodigieuse de Sorbet, de Limonades, de Liqueurs & de Chocolate, & elle en partit sur les neuf heures, suivie d’un cortege de plus de quarante Prelats, de cinquante Seigneurs Italiens, & d’un grand nombre de Nationaux Espagnols & François, qui remplissoient quatorze de ses carosses, & plus de cent autres de suite avec une neuve & magnifique livrée, pour se rendre à l’Eglise de saint Louis, ornée de superbes tapisseries de brocards, de velours, de damas cramoisis ; le tout garny de crespines & de galons d’or, dont le mélange étoit si bien distribué, que l’art ne pouvoit rien produire de plus beau ; le Portail étoit aussi orné de riches tapisseries.

Messieurs les Cardinaux Pignatelli & d’Arquien y assisterent ; Mr de Lionne, Evesque de Rosalie celebra Pontificalement la Messe, & entonna le Te Deum, qui fut chanté par une Musique de quatre-vingt voix & instrumens, au bruit de quantité de boëtes, de tambours & de trompettes, dont les fanfares faisoient retentir la Place & les environs, & rendoient cette feste également pleine de grandeur & de joye. La Reine de Pologne & Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne s’y trouverent incognito ; la Messe étant finie, son Eminence retourna en son Palais dans le mesme ordre qu’elle en étoit partie, accompagnée des Prelats & de quantité de Seigneurs, où l’on avoit preparé un somptueux repas, qui fut servi avec une profusion de mets les plus delicats, & une magnificence à laquelle il ne se pouvoit rien ajoûter. Monsieur le Cardinal Pignatelli & Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne y disnerent ; il y eût quarante-huit couverts à la premiere table ; trois autres furent servies en mesme temps, & on donna à manger à plus de cent cinquante personnes.

Son Eminence avoit fait distribuer des aumosnes considerables aux Convens des Mendians, aux pauvres Religieuses, aux Prisonniers, à tous les Pauvres de sa Paroisse, & aux Nationaux honteux, qui sont dispersez dans les quartiers de la Ville.

Une fontaine de vin de Lacrima de Naples coula abondament pendant tout le jour devant le Palais de son Eminence, & l’on entendoit continuellement des cris de joye qui faisoient retentir de tous costez, viva il Ré, viva Francia.

Son Eminence ayant invité le Sacré College pour joüir des divertissemens preparez pour cette feste, & voir un feu d’artifice qui se devoit tirer le mesme soir, plusieurs Cardinaux s’y trouverent, plusieurs Princes, quantité de Noblesse & un nombre infini de personnes de toutes Nations. Madame l’Ambassadrice d’Espagne, que Monsieur le Cardinal de Janson avoit prié de vouloir bien disposer d’une partie de son Palais, s’y rendit sur le soir : Madame la Connestable Colonne, Madame la Princesse de Piombin, Mesdames les Duchesses d’Altemps & de la Rocca, & plusieurs Dames vinrent tenir compagnie à cette Ambassadrice, & prendre part au divertissement. Les Eaux glacées, Sorbets, Limonades, Vins, Confitures seches, Biscuits furent distribuez pendant toute la soirée avec une profusion extraordinaire.

Les Chambres du Palais magnifiquement meublées, étoient ornées de beaux Lustres, de Placques d’argent & de Girandoles sur les tables, qui rendoient les Appartemens aussi clairs que pendant le plus beau jour. Toutes les fenestres étoient illuminées par de gros flambeaux, dont on avoit mis deux à chacune des trois étages, & une douzaine au grand balcon. On avoit distribué des lanternes & des lampes dans toutes les ruës proche du Palais, & aux François & autres personnes de la Ville qui en avoient demandé.

La Place sembloit un beau Theatre éclairé tout autour par une grande quantité de flambeaux, que Mr l’Ambassadeur de Venise, Mr Daffi & d’autres Seigneurs qui y demeurent avoient fait mettre à leurs fenestres, & qui étoient remplies de Cardinaux, de Princes, de Princesses & de presque toute la Noblesse de la Ville. Les rafraîchissemens ne furent pas épargnez, & ils furent servis chez Mr l’Ambassadeur de Venise avec une magnificence digne de luy.

On tira pendant une heure, quantité de belles & grosses fusées, & sur les neuf heures du soir on alluma le feu au bruit des timbales, des trompettes & haut-bois dont il y avoit trois chœurs dans la Place, & qui s’étoient fait entendre pendant la plus grande partie du jour.

Le feu d’artifice étoit d’une grandeur extraordinaire, & representoit un édifice octogone, orné de quatre Arcs chargez des Armes de France, de Dauphiné, de Bourgogne & de Bretagne, consacrez à Louis le Grand & aux trois Louis ses Successeurs. Le Soleil (devise de Sa Majesté) étoit sur le haut : au dessous étoient posées la Fecondité & la Felicité publique, qui s’embrassoient : aux quatre coins les quatre Elemens de la maniere que les Anciens les representoient sous la figure de quatre Divinitez. Dans les quatre angles obtus, qui formoient un octogone imparfait, étoient quatre Cariatides couronnées, ainsi que les Saisons, de fleurs, d’épics & de pampres, posées entre les Arcs pour soûtenir l’édifice, qui étoit orné de trophées d’armes & de festons. L’allusion n’étoit pas difficile à faire ; les Elemens & les Saisons semblent obeïr également à Sa Majesté, & les grandes conquestes qu’elle a faites pendant les Hyvers, font assez connoistre que rien ne luy est impossible dans les saisons les plus rigoureuses & les moins praticables.

Le lendemain Sa Sainteté ayant tenu Consistoire, le Te Deum, qui devoit estre chanté dans l’Eglise de saint Jacques de la nation Espagnole, fut differé ; parce que Monsieur le Cardinal de Janson estoit prié d’y assister, & il en fut chanté un, precedé d’une Messe haute dans l’Eglise de saint Yves, de la nation de Bretagne, dépendante de celle de saint Loüis, par une tres-belle musique, au bruit de quantité de boëtes ; ce qui s’est pratiqué dans les autres Eglises nationales.

Aprés le Consistoire, Son Eminence se rendit au Palais de Monsieur le Duc d’Uceda Ambassadeur d’Espagne, qui donna un superbe repas avec sa magnificence ordinaire, & l’on compta à la premiere table plus de quarante Conviez. Une fontaine de Vin coula devant son Palais, qui fut illuminé pendant les trois soirs de quantité de flambeaux aux fenêtres des deux appartemens, & de pots à feux dans la place, où l’on tira sur les neuf heures, un beau feu d’artifice, representant les quatre parties du monde, avec un Soleil levant.

La Compagnie fut nombreuse & choisie. Monsieur le Cardinal de Janson, plusieurs Princes & Princesses, quantité de Seigneurs & de Dames s’y trouverent. Les rafraîchissemens y furent distribuez avec profusion, & rien ne manqua au divertissement & à la magnificence. Il est sans contredit, que la nation Espagnole a marqué en ce rencontre une joye parfaite, qui n’a pas même cedé à celle des François, quelque grande qu’elle ait esté, chaque particulier ayant donné des marques d’un grand zele, & d’une passion extraordinaire.

Le mardy, Monsieur le Cardinal, qui avoit esté prié par Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne, d’assister à la Messe & au Te Deum, dans l’Eglise nationale de saint Jacques, y alla avec un nombreux cortege de trente-trois Prelats, cinquante-un Seigneurs Italiens, & quantité de nationaux. Son Eminence fut reçûë à l’entrée de l’Eglise superbement tapissée par Monsieur l’Ambassadeur, qui l’accompagna à la Sacristie, d’où elle alla prendre sa place auprés du grand Autel, avec Messieurs les Cardinaux Pignatelli & d’Arquien, qui se trouverent aussi à cette Ceremonie. La Messe fut chantée par Mr de Lionne Evêque de Rosalie, & ensuite le Te Deum par une Musique composée des plus belles voix & des meilleurs Instrumens de Rome, au bruit de quantité de Boëtes & de Trompettes. Son Eminence regala d’un somptueux dîner les Prelats & Seigneurs Espagnols, & si la Compagnie parut tres-satisfaite de la magnificence du repas, elle ne le fut pas moins des manieres toutes honnêtes & engageantes de ce Ministre.

Le concours ne fut pas moins nombreux le soir du mardy, qu’il l’avoit esté le Dimanche : plusieurs Cardinaux, Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne, & quantité de Princes & de Seigneurs s’y rendirent. Madame l’Ambassadrice s’y trouva avec Madame la Connêtable Colonne, Madame la Princesse de Piombin & plusieurs Dames, pour joüir du divertissement d’une Serenade, qui devoit se faire dans la Place, par ordre de Son Eminence. Le balcon du Palais estoit orné de riches tapis, & éclairé par des grands lustres de cristal : on distribua à l’ordinaire une quantité prodigieuse d’eaux glacées, de sorbet, de limonade, de chocolate, de vins & d’autres liqueurs avec des confitures séches, non-seulement à toutes les personnes qui estoient dans le Palais, mais on en porta à tous les Carrosses qui remplissoient la place, avec des Livres contenans les Vers de la Serenade, qui estoit dédiée à Madame l’Ambassadrice d’Espagne.

Quatre grands Carosses découverts étoient rangez dans la place, éclairez de seize gros flambeaux, & de quantité de Bougies pour mettre les Musiciens & quelques Instrumens ; les autres estoient autour de ces Carosses au nombre de quarante, & il y en avoit deux autres Chœurs sur deux balcons de la place, qui devoient former deux Echos.

L’ouverture se fit par une belle Symphonie du fameux Archange Corelli, Bolonois : les trois meilleures voix de Rome, accompagnées de la Symphonie chanterent des Vers faits à la loüange du jeune Prince, Duc de Bretagne, & la Serenade finit par un Viva il Gran Luigi viva, au bruit de tous les Instrumens, & d’un concert de Trompettes, qui accompagnoit la Symphonie. Aprés quoy Archange en fit une autre avec deux Echos, qui se répondoient, & qui termina toute la Serenade, qui fut écoutée par un nombre infini de peuple avec un grand silence, & qui n’a eu d’autre deffaut, que d’avoir paru trop courte, quoy qu’elle ait duré prés d’une heure & demie.

Le Palais de Mr l’Ambassadeur de Venise, qui est vis-à-vis celuy de Son Eminence, estoit illuminé de quantité de flambeaux ; & les fenestres remplies de Cardinaux, de Seigneurs & de Dames, qui furent regalez de toutes sortes de rafraîchissemens. Mr Daffi fit la même chose chez luy, & toutes les maisons de la place suivirent leur exemple.

L’illumination qui a duré trois jours, a esté generale par toute la Ville ; les sujets des deux Couronnes estant dispersez dans tous les quartiers, & n’y ayant point de ruës, où l’on n’ait veu des Palais & des maisons illuminées de flambeaux, de lanternes & de lampes. Le Portail de l’Eglise de saint Loüis a esté éclairé chaque soir par un grand nombre de flambeaux, par sept cens lanternes & par quantité de pots à feux : celle de saint Yves, le Convent des Peres Minimes de la Trinité du Mont, ceux de saint Antoine, des Trinitaires, & des Picpus se sont signalez. L’Eglise de saint Jacques de la nation Espagnole s’est aussi distinguée par une belle illumination de flambeaux, & toutes celles qui dépendent de la Couronne d’Espagne ont fait connoître leur zele, & marqué beaucoup d’émulation en ce rencontre. La Basilique de saint Jean de Latran, qui est la premiere Eglise du monde, & qui est sous la protection de Sa Majesté ; les Jacobins, les Carmes, dont les Generaux sont François, aussi-bien que celuy des Minimes, ont fait la même chose, & la pluspart ont mis des flambeaux à leurs fenestres, ce qui a esté pratiqué par les Expeditionnaires & autres Nationaux François & Espagnols, habituez en cette Ville, & il n’y a pas eu jusqu’au moindre Artisan qui n’ait signalé son zele.

Mr Giori, Agent d’Espagne, & plusieurs autres se sont distinguez par des illuminations, par des serenades & par des rafraîchissemens, comme aussi les Geniaux du Caffé François, en place Navonne, qui avoient fait dresser un Trône sous un Dais, où estoient placez les Portraits de Sa Sainteté, de Sa Majesté, du Roy d’Espagne, de Monseigneur, de Messeigneurs les Ducs de Bourgogne, & de Berry & du jeune Duc de Bretagne, avec quantité de flambeaux, de boëtes, de trompettes & de tambours. On a compté chaque soir dans les principales ruës de la Ville plus de trois mille flambeaux ; chose inoüie, même dans les réjoüissances qui se sont faites pour la création des Papes. Rome ne se souvient pas, d’avoir jamais veu une Feste plus universelle, & Monsieur le Cardinal de Janson a receu les applaudissemens que meritent son zele & sa magnificense.

L’Ouvrage dont il est parle dans cette Relation, qui fut chanté dans cette feste & dont on distribua des Exemplaires dediez à Madame la Duchesse d’Uceda, Ambassadrice d’Espagne, étoit un Dialogue entre la Gloire, la Renommée & la Valeur qui publioient à l’envi tout ce qu’elles avoient resolu de faire en faveur de Monseigneur le Duc de Bretagne. La musique de ce Dialogue étoit de la composition du fameux François Posterla, Romain.

[Dans la mesme Ville par Mr le Prince de Palestrine] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 208-212.

Les réjoüissances faites à Rome pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne finirent par la feste que vous trouverez dans la Lettre que vous allez lire.

À Rome, le 26. Aoust 1704.

Monsieur le Prince de Palestrine à renouvellé les réjoüissances de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne par une tres-belle Serenade qu’il donna Dimanche dernier à Madame l’Ambassadrice d’Espagne, à qui elle étoit dediée, d’une maniere fort galante. C’étoit trois Chars tous dorez & richement ornez, tirez par six chevaux, qui partirent du Palais Palestrin & vinrent en Place d’Espagne. Dans deux étoient tous les joüeurs d’instrumens, & dans l’autre trois chanteuses. Le Prince conduisoit luy-mesme le char où étoient les chanteuses, & les deux autres Chars étoient conduits par des Cavaliers Romains, ses Amis, tous fort richement parez. Toute cette marche étoit éclairée par trente-six Estaffiers de sa livrée avec des flambeaux. Ils avoient tous des cocardes blanches & rouges, des Plumets blancs, & des chapeaux bordez d’argent, aussi-bien que tous les Musiciens. La Serenade fut tres-belle par la composition, par les voix & par la quantité d’instrumens qui faisoient une agréable symphonie. La feste de saint Louis estant le lendemain & Monsieur le Cardinal de Janson ayant traité Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne avec tous les Prelats & Cavaliers Romains, Monsieur le Prince de Palestrine voulut aussi honorer cette feste & vint faire la mesme Serenade à la Place de saint Marc, où elle eût plus d’éclat, parce que la Place n’est pas si vaste que celle d’Espagne. Sa marche parut encore plus belle, étant venu tout le long du Cours. Madame l’Ambassadrice d’Espagne, Madame la Princesse de Palestrine & Madame la Princesse de Piombin entendirent cette Serenade dans le Palais de Monsieur le Cardinal de Janson, ainsi que beaucoup de Prelats & de Noblesse. Son Eminence fit distribuer par tout quantité de toutes sortes de rafraîchissemens.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 217-218.M. Maiz est probablement l'auteur de la musique de cet air, bien que le périodique ne l'indique pas. La musique des airs du Mercure de février 1704, du Mercure de mars 1704, du Mercure de juillet 1704, du Mercure d'août 1704, du Mercure de mai 1705, du Mercure de juillet 1705, du Mercure d'août 1705, du Mercure de décembre 1705 lui est en effet attribuée.

Chacun s’empressant à l’envi de faire voir le zele qu’il a pour le Roy, Mr de Maiz de la Flêche en Anjou, a continué de faire voir le sien par les paroles suivantes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Seigneur entends, &c. doit regarder la page 218.
Seigneur entends nos voix de ton sejour heureux,
Daigne exaucer nos vœux.
Remplis nostre grand Roy de ta vive lumiere,
Soûmets à son pouvoir la terre toute entiere :
Comme elle n’a qu’un Dieu, qu’elle n’ait plus qu’un Roy.
Tu regneras par luy, comme il regne par toy.
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[Ode] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 226-231.

Les Vers suivans ont esté faits par Mr Amoreux, l’un des Juges des Isles, il ne faut pas s’étonner s’il fait parler l’Amerique.

L’AMERIQUE
À
MONSEIGNEUR LE DUC DE BRETAGNE.
ODE.

Rejetton du plus grand Roy des Rois,
Illustre Apuy de la Couronne,
Prince, dont les fameux exploits
Feront la gloire de Bellone ;
Le Ciel par un éclat nouveau
T’éclaire dedans ton Berceau,
Et présage aux Mortels tes nobles avantures ;
Et mille & mille feux en cent Climats divers
Sont déja comme autant d’augures
Des beaux jours que ton sort promet à l’Univers.
***
Déja cette vivante flâme
Que tu fais briller dans tes yeux,
Nous fait voir de tes grands Ayeux
Les vertus germer dans ton ame :
Sur ton front auguste & charmant,
On voit paroître noblement
La fierté, la douceur de ton aimable Pere,
Les traits de sa grandeur sont en toy confondus ;
Et parmy les traits de ta Mere
Ceux de ton Bysayeul se trouvent répandus.
***
Bientôt au milieu de ta course
Descendu d’un si grand Heros,
On te verra par tes travaux
Monter aussi haut que ta source.
Lorsque ta valeur agira,
Louis le grand t’animera,
Luy seul par ses conseils reglera ta conduite,
Et marchant comme luy sur l’Orgueil abbatu,
Toûjours la Victoire à ta suite,
Fera voler ton char guidé par sa vertu.
***
Passe les frivoles délices
Dont les Enfans font leurs joüets,
Les Princes comme Toy sont faits
Pour de plus nobles exercices.
Hâte, précipite le tems ;
Tu dois à la fleur de tes ans
Les armes à la main conduire tes Cohortes,
Et ce vaste Univers à tes Armes soûmis,
Pour remplir le Nom que tu portes,
Est le digne laurier que le Ciel t’a promis.
***
À la naissance de ton Pere
Je presentai des Vers au Roi,
Ils eurent le bonheur de plaire,
Et j’ose encor m’offrir à Toy.
Il faut qu’à son tour l’Amerique,
Avec l’allegresse publique,
Te fasse par ma voix connoître son respect :
Puisque tout te benit, le Ciel, la Terre & l’Onde,
Qu’icy tout rit à ton aspect,
Accepte ce present qui vient du nouveau monde.

[Accouchement de Madame la Duchesse de Noailles] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 231-233.

Vous sçavez que Madame la Duchesse de Noailles, niéce de Madame de Maintenon, est accouchée d’une fille, elle a esté tenuë sur les fonts par Monsieur le Maréchal de Noailles & par Madame de Maintenon qui luy a donné le nom d’Adelaïde. La pieté de cette Famille est si connuë, qu’il y a lieu de croire que le Ciel accordera bien-tost un garçon à ses vœux.

Les Vers qui suivent sont de Mr de Messange.

GENETHLIAQUE DE MADEMOISELLE DE NOAILLES.

À quoy bon sur vos jours, nouvelle Adélaïde,
Consulter les aspects des Cieux ?
On voit assez dans vos beaux yeux,
Ce que pour vous le sort decide.
Du Ciel, par mille appas, vostre air favorisé,
L’illustre sang dont vous estes formée,
Celle de qui le nom vous vient d’être imposé,
Et celle qui vous a nommée,
Tout est pour vous si grand, si noble & si parfait,
Qu’on juge que vous estes née,
Pour la plus haute destinée,
Qui rende sur la terre un grand cœur satisfait.

[Mort de Dame Françoise le Clerc]* §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 248-256.

Dame Françoise le Clerc mourut au commencement du mois d’Aoust dernier, elle étoit veuve de Mr l’Heritier, Conseiller & Historiographe du Roy, si celebre dans les Lettres par les beaux morceaux d’Histoire qu’il a mis au jour, & par ses doctes Poësies. Son épouse dont je vous aprens la mort, a toûjours esté un exemple de vertus Chrestiennes & morales. Jamais personne n’a esté plus attachée que cette Dame à remplir tous ses devoirs, & n’a joint plus de modestie à mille rares qualitez dignes de la plus parfaite estime. Aprés une longue suite d’infirmitez & de rudes souffrances, qu’elle supportoit avec une patience admirable & dont elle faisoit sans cesse des sacrifices à Dieu ; elle est morte dans les sentimens de la plus tendre pieté & generalement regrettée de tous ceux qui la connoissoient. De six enfans qu’avoit laissé feu Mr l’Heritier, il n’en est resté que quatre ; un fils & trois filles. La seconde des filles est Mlle l’Heritier de Villandon, qui s’est acquis dans le monde une grande reputation par son profond sçavoir, & par ses beaux & agréables ouvrages en Prose & en Vers. Le fils de feu Mr l’Heritier, ainsi que cette Demoiselle I, n’a pas eu moins d’attachement pour les Sciences & les belles Lettres qu’en avoit leur illustre pere. Il possede également bien les Langues mortes & les vivantes, il a une tres-vaste érudition, & a fait un chemin prodigieux dans les Mathematiques. Il joint à tant de bonnes qualitez la parfaite droiture d’ame qui est hereditaire dans toute cette famille. Feu Mr l’Heritier du costé maternel, touchoit de prés au celebre Garde des Sceaux Mr du Vair, Evêque de Lisieux, & qui avoit esté premier President au Parlement de Provence. C’est à la consideration de ce grand Ministre que Monsieur le Cardinal de Richelieu avoit resolu de luy donner de solides marques de son estime lorsque la mort le prevint. Mr l’Heritier est né dans une famille où l’on avoit toûjours vû regner l’amour des belles Lettres. Son pere étoit un des plus sçavans hommes de son siecle, il pouvoit regarder son inclination pour les Sciences, comme hereditaire, puisque sa mere, ayeule de Nicolas l’Heritier dont je parle, s’étoit attachée à l’étude de la Poësie, où elle reüssissoit parfaitement. Feu Mr l’Heritier a fait plusieurs Ouvrages. Il fit imprimer à Paris en 1667. le Tableau historique, representant l’Etat tant ancien que moderne de la France, de l’Allemagne & de l’Espagne, & les plus remarquables démêlez que ces trois Nations ont eû ensemble, tant en Paix qu’en Guerre depuis l’établissement du Christianisme jusqu’à nostre temps. L’Auteur commence son Ouvrage par une Dissertation sur l’Origine des François. Tout ce qu’il avance sur ce sujet est fort sçavant & fort recherché. Il donne ensuite de legeres idées des conquestes & de la destinée des Rois de France jusqu’à Pepin ; & il s’attache à marquer d’une maniere plus étenduë, quels étoient le caractere & l’heureux ascendant de Charlemagne. Il peint ce Conquerant avec des couleurs tres-vives. Le même goût regne dans tout l’Ouvrage. Les Personnes qui font quelque figure considerable dans le corps de l’Ouvrage, y sont parfaitement bien caracterisées. Cet Ouvrage est d’un stile pur & soûtenu. Mr l’Heritier avoit encore fait d’autres Ouvrages sur l’Histoire qui n’ont pas esté imprimez. Il a écrit d’une maniere exacte & étenduë les trois premieres années du Regne du Roy, & divers autres morceaux de l’Histoire de ce Monarque, avec une netteté & une élegance qui donnent un merite considerable à toutes ses productions. Il a aussi traduit en nostre Langue, les Annales des troubles des Pays-Bas, composées par le Docte Hugues Grotius. Cette Traduction qui fut fort estimée en son temps fut imprimée en 1662. à Amsterdam par Blaëu. N’ayant que vingt-deux ans il fit une Tragedie intitulé Hercule furieux, qui eût un grand succés. Le grand Clovis Tragedie, étoit de sa façon ; cette Piece fut fort applaudie, & fut representée sur le Theatre de l’Hôtel de Bourgogne. On peut voir un ample détail des autres Ouvrages de Mr l’Heritier dans l’Essai de Litterature du mois de Decembre 1702.

[Lettre du roi au cardinal de Noailles, pour faire chanter un Te Deum]* §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 356-358.

Quoyque l’on apprenne tous les jours de nouvelles circonstances de ce combat, qui grossissent nos avantages, le Roy n’a pas voulu les faire valoir autant qu’il auroit pû dans sa Lettre addressée à Monsieur le Cardinal de Noailles, pour faire Chanter le Te Deum ; & voicy avec quelle modestie ce Prince en a parlé.

Mon Cousin, l’Armée navalle que j’ay assemblée dans la Mediterranée sous le commandement de mon fils le Comte de Toulouze Admiral de France, a non-seulement rendu inutiles les entreprises que les Flottes Angloise & Hollandoise jointes ensemble s’étoient proposé de faire sur les costes de Catalogne, mais elle vient encore de terminer glorieusement la Campagne par un combat general dont tout l’avantage m’est demeuré ; Quoique les ennemis fussent considerablement plus forts en nombre, & qu’ils eussent le vent favorable, leurs premiers efforts ont esté soutenus & repoussez avec tant de valeur par tous les Officiers & Equipages de mes Vaisseaux, animez par l’exemple du General, que les Ennemis n’ont plus pensé pendant un combat de dix heures qu’à se deffendre, qu’à éviter l’abordage plusieurs fois tenté par mes Vaisseaux, & à chercher leur sureté dans la retraite, sans que durant les deux jours suivans le Comte de Toulouse qui a tout mis en usage pour les rejoindre, les ait pû engager à un second combat. Cet heureux succés m’oblige d’en rendre graces à Dieu par des Prieres publiques.

[Convoy funebre fait au milieu de Constantinople] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 402-404.

La Princesse Tekeli estant morte à Nicomedie, on a apporté son corps à Constantinople ; il a esté enterré dans l’Eglise des Jesuites avec tant de pompe, qu’on n’en avoit point vû de pareille pour une Chrestienne depuis que les Turcs sont maistres de Constantinople. Mr l’Archevêque revestu de ses habits Pontificaux, tous les Prestres avec le Surplis & l’Etole, & tous les Religieux allerent recevoir le corps à l’Echelle, qui est à mille pas de l’Eglise. On porta la Croix & les Bannieres ; toute la maison de l’Ambassadeur de France y estoit avec la Nation ; les Hongrois & les Hongroises portans de gros flambeaux de cire blanche estoient autour du cercüeil ; on chanta d’abord que le Convoy partit. Les ruës, les fenestres & les Places estoient remplies d’une infinité de peuple Turc & d’Etrangers. La Ceremonie se passa avec beaucoup d’ordre & personne ne perdit le respect. On avoit dressé dans l’Eglise une Chapelle ardente où l’on voyoit les Armes de cette Princesse, ainsi qu’en divers endroits de l’Eglise. Deux jours aprés on fit le Service, où le concours de monde fut tres-grand. Sa naissance, sa pieté & ses autres vertus la rendoient digne de ces honneurs. Elle est morte comme une sainte ; elle étoit fille du fameux Comte de Serin. Elle avoit épousé en premieres noces le Prince Ragotki & ensuite le Comte Tekeli ; elle avoit défendu, en Heroïne, Montgatz dont la Principauté luy appartenoit ; elle avoit esté conduite prisonniere à Vienne, & avoit esté ensuite échangée avec le General Heusler, qui étoit prisonnier du Comte Tekeli.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 438-440.

Voici les noms de ceux qui ont deviné le mot de l’Enigme du mois passé.

Mrs de Vaulx, Avocat au Parlement de Bretagne, & Senechal de la Thebaudays ; de Beauvais, de la ruë saint Martin : Le Secretaire de Mr de Toury : Duperrier & son amy Desfourneaux : La famille de Mr Cot, de la ruë du Foin : L’Aubergiste Peny, & le Pensionnaire de Mr Thomas, en quatre Vers latins : Tamiriste & sa fille Angelique : Mlle du Moutier la fille, ruë de la Harpe : Mesdames la Vicomtesse de Livrau, de la Puyade : La Baronne de Blair, de Segur : La charmante du Til, de la ruë des Vieux Augustins, & son Amant inconnu : La charmante Mlle de Romagnon : La petite Maman de la Reyne Lonlon : La bergere Climene & son berger Tirsis de la Place Royale : L’Estoile de la ruë saint Severin : La plus aimable du marais du Temple : La belle Couteliere, du coin de la ruë du foin : La plus precieuse de la ruë S. Severin : La sœur du frere Pancrace : L’Intendant Gascon des dépenses domestiques de la ... & de son associé : Le principal nouveliste du coin des Carmes de la Place Maubert, & la Fée que l’on ne veut pas nommer.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Quoique je ne sois rien, je sçay donner des loix
Au sage, au serieux, au fol, à la coquette ;
Et souvent le caprice, arbitre de mon choix,
  M’assujetit tout à la fois,
  Et la Princesse & la grisette.
De m’obéïr on ne peut s’exempter,
  Sans passer pour un ridicule,
  Et celui qui plus y recule
Est à la fin contraint de se laisser dompter.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1704 [tome 10], p. 440-442.

L’air qui suit est du fameux Mr du Buisson, & les paroles sont de celuy qui a fait l’air, C’est trop peu dans ce beau jour, &c.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Fuyez les Loups, &c., doit regarder la page 440.
Fuïez les Loups, me dit ma mere,
En me voyant conduire le troupeau
Dans un bois où jamais le Dieu qui nous éclaire,
Ne fit sentir l’ardeur de son flambeau :
Les loups n’y vinrent point troubler ma resverie ;
Je ne vis dans ces lieux qu’un berger plein d’appas.
Je devois fuyr, j’en eus envie :
Mais un charme fatal vint arrêter mes pas.
Je reconnus trop tard, que des Bergers aimables
Sont plus à craindre que les loups.
Helas ! ma mere, helas ! que ne me disiez-vous,
Que les Bergers étoient si redoutables.
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