1705

Mercure galant, février 1705 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1705 [tome 2].
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Mercure galant, février 1705 [tome 2]. §

[Prelude. Relation du dernier Combat Naval, faite par Mr le Chevalier d'Infreville, premier Chef-d'Escadre] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 5-6.

Je croy ne pouvoir mieux commencer ma Lettre qu’en vous disant qu’il paroist depuis peu un Livre intitulé Discours historique du Regne de Louis le Grand, XIV. du nom, Roy de France & de Navarre. Cet Ouvrage merite l’attention de tous ceux qui aiment le Roy, c’est-à-dire de tous ses Sujets ; jamais Souverain n’ayant esté plus digne de leur estime & de leur amour. Mr Mirat de la Tour, Gouverneur de Tulles, est l’Auteur de ce Livre. Il se vend chez le sieur Jean-Baptiste Coignard, ruë Saint Jacques, à la Bible d’or.

[Nouveau Traité pour apprendre la Geographie] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 57-59.

On a composé depuis peu en faveur des jeunes gens un traité intitulé. Methode abregée & faite pour apprendre la Geographie, où l’on décrit la forme de Gouvernement de chaque pays, ses qualitez, les mœurs de ses habitans, & ce qu’il y a de plus remarquable, avec un abregé de la Sphere. Cette Methode est un traité fait pour ceux qui ne veulent s’appliquer à cette science que pour en sçavoir autant qu’il est necessaire à la plûpart des gens du monde. Comme les Traitez qui sont contenus en plusieurs Volumes paroissent ordinairement ennuyeux à ceux qui commencent à apprendre la Geographie, on a cru qu’il falloit que cette methode fust plus courte ; l’Auteur neanmoins a jugé à propos d’y joindre un peu d’Histoire, & de décrire en peu de mots la forme du Gouvernement de chaque Pays, ses qualitez, les mœurs de ses habitans & ce qu’on y trouve de plus remarquable : Cette methode, qui comprend la Geographie entiere, à laquelle on a joint un Abregé de la Sphere, est renfermée dans un Volume in douze, que l’on vend quarante sols, chez Augustin Brunet dans la grande Salle du Palais, au quatriéme Pilier, au Louis Couronné.

[Divertissemens donnez au Palais Royal par S.A.R Monsieur le Duc d’Orleans, & par Mademoiselle] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 64-74.

Il y eut au commencement de ce mois au Palais Royal un divertissement qui charma tous ceux qui eurent le bonheur de s’y trouver. Plus de 80. Concertans des plus habiles dans leur Art y firent une repetition sous la conduite de Mr Gervais d’un Opera intitulé, Suite de l’Opera de Renaud & d’Armide. La surprise des Auditeurs fut grande, & quoiqu’ils eussent attendu beaucoup, ce qu’ils entendirent fut trouvé beaucoup au dessus de ce qu’ils attendoient, & les applaudissemens donnez naturellement aux beaux endroits, comme si les Auditeurs avoient esté de concert de les donner en même temps, furent si grands, qu’ils estoient capables d’interrompre les Concertans. Je croy ne devoir rien dire davantage de ce divertissement, sinon qu’il semble qu’Apollon Dieu de la Musique ait versé ses connoissances dans le sein de quelqu’autre Dieu : je dis de quelqu’autre Dieu, parce qu’il est des hommes que leur naissance & leur merite mettent au dessus des Dieux de la Fable.

Ce Concert estant finy, S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans & tous ceux qui avoient eu le plaisir d’entendre le Concert dont je viens de vous parler, allerent dans l’Appartement de Mademoiselle, où cette Princesse donnoit le Bal à plusieurs Princes & Princesses, Seigneurs & Dames que cette Princesse y avoit fait inviter. Voicy leurs noms, non pas selon l’ordre de leur naissance, mais selon qu’ils sont venus à ma connoissance. Je dois vous dire auparavant que Mademoiselle de Chartres & Mademoiselle de Valois accompagnoient Mademoiselle.

Monsieur le Comte de la Marche.

Monsieur de Marsan.

Monsieur de Villeroy.

Monsieur de Cossé.

Monsieur d’Epinoy.

Monsieur de Soubise.

Monsieur le Marquis de Villequier.

Monsieur de Castres.

Monsieur de Mayercroom.

Monsieur de Ratabon.

Monsieur de Ramboüillet.

Monsieur de Lux.

Monsieur de Blansac.

Monsieur de la Motte.

Monsieur de Neesle.

Messieurs Tamboneau.

Monsieur de Torrigny.

Monsieur de Tourville.

Monsieur de Rouvroy.

Messieurs de Listenoy.

Mademoiselle de Conty.

Madame de Rupelmonde.

Madame de Nangis.

Madame & Mademoiselle d’Entragues.

Madame de Langeron.

Madame Tamboneau.

Madame & Mademoiselle d’Autefeüille.

Madame & Mademoiselle de Courtenay.

Madame de Croissy & Mesdemoiselles ses filles.

Mademoiselle de Villefranche.

Madame & Mademoiselle de Guiscar.

Madame de Cayavel.

Madame & Mademoiselle d’Armenonville.

Mademoiselle de la Fare.

Madame & Mademoiselle de Luxembourg.

Mademoiselle de Neuchastel.

Madame & Mademoiselle de Chatillon.

Madame d’Arcos.

Madame de Rafetot.

Madame & Mademoiselle de Bullion.

Madame & Mademoiselle de Villette.

Madame de Villers & deux Dames avec elle.

Mesdames de Rouvroy & de Feuquieres.

Mademoiselle de Baufrémon.

Madame & Mademoiselle de Boüillon.

Mesdames de Flavacourt, d’Hautefeüille & de Castelnau.

Madame de Foix & Madame de Furstemberg.

Mesdemoiselles de Bouchu & de Boisselau.

Madame de Ratabon.

On ne peut rien ajoûter à la maniere magnifique & galante dont toutes les Dames estoient coëffées, & l’on voyoit une infinité de pierreries briller parmi les fleurs que les jeunes personnes employent aujourd’huy dans leurs coëffures ; de maniere qu’en entrant dans la Salle du Bal, on croyoit voir un parterre émaillé de fleurs & de pierreries de toutes sortes de couleurs ; ce qui obligeoit tous ceux qui entroient, à se récrier d’abord sur la beauté du galant & brillant spectacle dont leurs yeux estoient frappez. Mademoiselle ouvrit le Bal avec Monsieur le Comte de Marsan. Le reste de son habillement répondoit à sa galante & riche coëffure, mais l’un & l’autre se faisoient moins remarquer que la bonne grace de Mademoiselle, qui fait voir, quoy qu’encore dans sa plus grande jeunesse, un esprit beaucoup au dessus de son âge, des manieres nobles & aisées, & qui répondent à tout ce que l’on doit attendre de la grandeur de son Sang.

Il y avoit dans l’appartement de Me la Comtesse de Maré, Gouvernante des Princesses, plusieurs tables où l’on joüa, pendant tout le temps que dura le Bal ; les Joüeurs estoient

Messieurs,

De Monasterol.

De Tury.

De Perigny.

D’Estampes.

Desgranges, & quelques autres.

Pendant que l’on dançoit dans un appartement, & que l’on joüoit dans l’autre, on ne cessa point de presenter des rafraîchissemens, & la collation fut magnifique & continuelle.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 74-75.M. Maiz est probablement l'auteur de la musique de cet air, bien que le périodique ne l'indique pas. La musique des airs du Mercure de février 1704, du Mercure de mars 1704, du Mercure de juillet 1704, du Mercure d'août 1704, du Mercure de septembre 1704, du Mercure de mai 1705, du Mercure de juillet 1705, du Mercure d'août 1705, du Mercure de décembre 1705 lui est en effet attribuée.

Les paroles de l’Air qui suit sont de Mr du Mez de la Fléche en Anjou.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’air Grand Dieu, &c. page 75.
Grand Dieu ! de qui dépend le destin des Monarques,
Et qui de tes bontez as donné tant de marques
A celuy que nous possedons,
Daigne étendre tes soins sur sa Maison auguste,
Et fai qu’un si grand Prince enrichi de tes dons,
Ne soit pas moins heureux, qu’il est vaillant & juste.
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[Sur la mort du Père Menestrier]* §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 101-141.

Puisque vous souhaitez que je m’étende davantage que je n’ay fait le mois dernier, sur l’article de la mort du Pere Menestrier ; je vais satisfaire vostre curiosité, que je soupçonne d’un peu de mistere. Peut-estre avez-vous pensé, lorsque j’ay dit que je laissois dequoy faire un tres-bel éloge, à ceux qui parleroient aprés moy, que ce que je disois n’étoit que pour donner une plus haute idée de ce Pere, & que je n’en sçavois rien davantage ; mais vous allez connoistre que je ne dis jamais rien contre la verité, même dans les choses où il est permis de ne la pas suivre avec servitude. Voicy ce que je croy devoir ajoûter à l’article de la mort du P. dont vous souhaittez d’avoir la suite de l’éloge.

Peu d’Auteurs des derniers siecles ont fait plus d’honneur à la France que ce sçavant homme. La multitude d’Ouvrages sortis de sa plume, le talent qu’il avoit pour écrire l’Histoire, les découvertes qu’il y a faites & les lumieres qu’il avoit pour foüiller dans l’antiquité la plus reculée, doivent rendre la perte que nous en venons de faire sensible à tous les gens de Lettres, sur tout aux Lyonnois ses compatriotes. Les peines qu’il a pris dans ces derniers temps pour écrire l’Histoire de sa Patrie, & pour la donner dans sa pureté, & purgée de toutes les fausses traditions, dont les Historiens qui l’ont précedé l’avoient embarrassée doivent rendre sa memoire prétieuse à tous ceux qui s’interessent pour la gloire de la Ville de Lyon, & autant pour leur consolation que pour conserver à la posterité le souvenir de tous ses Ouvrages : en voicy un détail exact.

Le plus considerable de tous & celuy auquel il semble que la mort luy ait donné le temps de mettre la derniere main, est sa grande Histoire de Lyon en trois Volumes in folio. Le premier contient l’origine de cette Ville & sa fondation, qui se trouve beaucoup plus ancienne que Clampier, Paradin & de Rubis ne l’ont crû. Il y fait voir par des preuves incontestables qu’elle est une Colonie des Rhodiens, d’abord établis dans le Languedoc, entre Agde & Beziers, & depuis réfugiez en ce Pays-là aprés avoir esté chassez de celuy où ils s’étoient établis ensuite, ou par le passage d’Annibal & des Colonies des Romains amenées par Marc-Antoine & par Plancus ; il passe à la fondation du celebre Autel dedié à la Ville de Rome & à Auguste dont il examine sur des monumens antiques, la matiere, la forme, le lieu, les Prestres, les Ceremonies, les Jeux, les Sacrifices, les Nations qui le bâtirent, par qui la dedicace en fut faite, & en quel temps se fit l’établissement des grands chemins dont Lyon fut le centre ; de ses Gouverneurs sous les Empereurs Romains, de ses Magistrats, de son Commerce & de sa Religion, à quoy il joint l’état présent de cette Ville, sa situation, son enceinte, &c. On voit enfin la forme de son Gouvernement sous les Romains, sous les Empereurs, sous les Comtes sous les Rois de Bourgogne, sous l’Eglise & sous nos Rois. Il traite aprés de la Senechaussée & des autres Tribunaux de la Ville. La seconde Partie contient l’Histoire purement Consulaire, l’établissement des Corps de Communauté à Lyon, les démêlez des Habitans avec le Clergé, la Protection donnée par les Papes & par les Rois aux Citoyens de Lyon, les Conseillers & les Echevins, leur création, leur reduction à quatre & aux Prevosts des Marchands ; l’Hostel de Ville & les divers Tribunaux qui en dépendent ; la noblesse du Consulat avec le dénombrement des Conseillers, des Echevins, des Prevosts des Marchands avec leurs noms, qualitez, armories & ouvrages publics faits sous chaque Consulat ; les Ceremonies Consulaires, habits & les marques d’honneur des Officiers du Consulat, &c. La troisiéme Partie contient l’Histoire Ecclesiastique de Lyon, qui en est aussi la partie la plus considerable. L’établissement de la Religion Chrestienne par S. Pothin & S. Irenée, Disciples de S. Policarpe, venus d’Asie dans les Gaules ; les persecutions que cette Eglise naissante a souffertes & ses Martyrs ; les Cryptes ou les premiers Chrêtiens se retiroient pour vaquer aux services de pieté, & pour celebrer les divins Mysteres ; les Fondations d’Aisnay & de l’Isle-Barbe qui ne furent d’abord que des Cryptes, où se retirerent quelques Anachoretes pour fuïr la persecution, l’établissement du Clergé & la suite des Archevesques ; les donations faites à l’Eglise par les Rois, les Empereurs, les Ducs, & les Comtes ; l’établissement des Paroisses, des Chapitres, les Conciles, les Synodes, &c. La Primatie & ses Officiers ; la forme de l’Eglise Cathedrale, ses trois Eglises, le nombre de Mrs les Comtes, leur reception, leurs preuves de Noblesse & la maniere de les dresser ; les noms & la suite des Doyens, des Archidiacres, Précenteurs & des Chamarriers. Le Pere Menestrier rejette absolument l’opinion de ceux qui croyent que Plancus soit le Fondateur de Lyon. Il rapporte un Passage de Pline qui prouve démonstrativement que cette Ville fut bâtie au Pays des Segusiens qui étoient des Peuples libres. Cet Auteur distingue donc dans Lyon deux anciennes Villes, Lugudunum & Lugdunum ; l’une déja bâtie où Lepide Silanus & Plancus s’arresterent, selon Dion, & l’autre qu’ils firent bâtir par leurs Soldats pour mettre à couvert des insultes des Allobroges, ceux qui auroient esté chassez de Vienne. Car les Habitans de Lugudunum cherchant à vivre en paix avec leurs voisins, ne voulurent pas recevoir chez eux ces Réfugiez ; mais ils souffrirent seulement qu’ils se retirassent dans l’entre-deux du Rhône & de la Saône, & ce fut là la source de l’ancienne jalousie que Tacite dit qui étoit entre ceux de Vienne & de Lyon, ce que nul Historien de Lyon n’a remarqué avant le Pere Menestrier. Il fait voir ensuite que l’Inscription de Gaïette, dont parlent quelques Auteurs, ne peut servir d’Epoque à la Fondation de Lyon, & il développe à ce sujet le Passage de Dion. Il remarque qu’étant en Italie en 1670. il alla exprés à Gaïette pour voir cette Inscription, mais que la deffiance du Gouverneur de la Citadelle où est cette Inscription, fut la cause qu’il ne la pût voir.

L’Origine des Armoiries, est un ouvrage qui a aussi fait beaucoup d’honneur au P. Menestriere, il y a recherché avec un soin extraordinaire la veritable époque de cette marque d’honneur, & aprés avoir refuté avec beaucoup de solidité, Fauyn qui en son Theatre d’honneur fait les armoiries aussi anciennes que le monde ; Segoin qui fondé sur le 4e Livre des Annales de Zonare Historien Grec, en attribue l’invention aux enfans de Noë ; Diodore de Sicile, qui en fait Auteurs les Egiptiens ; le sentiment de ceux qui se fondants sur le 2e Chapitre des Nombres soutiennent que les Armoiries estoient déja connuës, lorsque les Hebreux sortirent d’Egipte, & que les 12. Tribus répresentoient les 12. signes du Zodiaque, & qu’ainsi les 12. Tribus avoient pour armes les Images de ces Constellations. Aprés avoir refuté, dis-je, les sentimens ridicules de ces Auteurs, & de ceux qui ont formé les armoiries de Joseph, d’Ephraïm & de Manassé sur les benedictions que Moyse donna aux Tribus (Deut. 3.) qui ont crû que Joseph portoit un Soleil & une Lune avec des pommes d’or, Ephraïm & Manassé une tête de Taureau & des cornes de Rhinoceros ; Ruben, des Mandragores, en memoire sans doute de celles qu’il porta à sa mere ; il détermine la veritable Epoque des armoiries au dixiéme ou à l’onziéme siecle, puisque de tous les tombeaux des Princes, des Seigneurs & des Gentils-hommes faits avant ce temps-là, il n’en est aucun où l’on remarque des armoiries. Les plus anciens n’ont que des Croix & des Inscriptions Gothiques, avec les representations de ceux qui y sont enterrez. Clement IV. qui mourut en 1268. est le premier de tous les Papes sur le Tombeau duquel on mit des armoiries. Le P. Menestrier remarque que les Sceaux & les Monnoyes sont des preuves de cette verité ; puis qu’on n’y voit point d’Armes que depuis le 11e siecle ; que Louis VII. dit le Jeune, qui regnoit vers l’an 1150. est le premier des nos Rois qui ait eu un contre-scel d’une fleur de Lys : que le plus ancien Sceau des Comtes de Flandre où l’on voit des armoiries, est celuy de Robert le Frison, attaché à un Acte de l’an 1072. Il remarque encore dans ce sçavant traitté que les armes parlantes, c’est-à-dire celles qui expriment les surnoms, ne sont pas plus anciennes que l’usage des surnoms, qui commença au dixiéme siecle : que le Dauphiné, par exemple, n’a eu ce nom & un Dauphin pour Armes que longtemps aprés l’onziéme siecle : que le Royaume de Naples n’a point d’autres armes que celles des Ducs d’Anjou, du Sang Royal de France, ses anciens Rois : que c’est d’eux aussi que la Provence à une Fleur de Lys & un Lambel ; & que l’un & l’autre ne les ont que depuis le 13e siecle : que le Portugal n’en a que depuis la Bataille d’Ourique, qui se donna au 12e siecle, & que si la Navarre à des Chaînes & qu’elle les ait reçûs de Sanche le fort, elles sont du 13e siecle : le P. Menestrier convient que de tout temps il y a eu des marques Symboliques, pour se distinguer dans les Armées, & qu’on en a fait les ornemens des Boucliers, des cottes d’armes & des habillemens de tête ; mais que ces marques Symboliques n’ont point esté dans ces premiers temps, des marques hereditaires de Noblesse ; & que c’est de cette maniere que le P. Petra-Sancta qui rapporte l’origine des Armoiries aux temps Heroïques qui ont commencé sous l’Empire des Assiriens, devroit s’expliquer ; qu’ainsi la Colombe des Assiriens, les devises des Boucliers de ceux qui combattirent devant la Ville de Thébes, & dont Euripide fait un si beau détail ; que les Symboles que Valerius Flaccus donne aux Argonautes, doivent passer pour des marques Symboliques & non pour des veritables Armoiries ; sans quoy il faudroit donner la même denomination aux figures qui estoient representées sur les Boucliers de ceux qui allerent au Siege de Troye, & dont Homere, Virgile & Pline parlent ; il renverse en un mot l’opinion de Philostrate, de Xenophon, & de Q. Curce qui ont attribué le premier usage des Armoiries aux Medes & aux Perses dans l’établissement de leurs Monarchies ; il dit enfin que les émaux qui entrent dans les armoiries sont ceux des anciens jeux du cirque qui passerent aux tournois.

Nous avons du même Pere un excellent Traité des Medailles, un autre des Emblêmes & des Devises. On peut dire qu’il a épuisé son sujet & qu’il ne reste rien à dire aprés luy ; & il a fait sur les Medailles tirées du Cabinet du R.P. de Chaise, l’Histoire du Regne du Roy dont il a eu l’honneur de presenter les deux éditions qui s’en sont faites à S.M. Cet Auteur étoit original pour les embellissemens, pour les decorations d’une Maison, & pour l’ordre d’une fête ou d’un spectacle. Il fit peindre en 1662. dans la cour du College de Lyon l’Histoire de cette Ville en 24. bas reliefs qui en représentent les principaux évenemens, & il avoit formé 3. ou 4. ans auparavant le dessein d’écrire l’Histoire du Roy par les Medailles, par les Jettons, par les Emblemes, par les Devises & par les autres Monumens publics dont il présenta délors à S.M. une premiere idée en 16. devises. Il est Auteur de 4. Vers qui sont sous le Portrait de Vander-Meulen qui a peint par figures Allegoriques & Symboliques les Conquêtes du Roy en plusieurs Tableaux qui sont à Marly, les voicy.

C’est de Louis le Grand le Peintre inimitable,
Qui de ses plus beaux faits a peint la verité ;
Et qui sans le secours des couleurs de la Fable
Le montre tel qu’il est, à la posterité.

L’an 1658. le jour de la Trinité le P. Menestrier fit representer devant le Consulat le magnifique Ballet dont on a tant parlé. Le sujet de ce Ballet regardoit les destinées de Lyon. Mr de la Salle estoit alors Prevost des Marchands, Mrs Bulliond Avocat du Roy, Rombaud de Champrenard, Duguay élû en l’Election, & Hugues André sieur de Fromentes étoient Echevins. En 1660. à l’occasion de la publication de la Paix qui se fit à Lyon d’une maniere singuliere & solemnelle, il fit la description de la marche de tous les Corps qui assisterent à cette ceremonie, ainsi qu’une relation de tous les feux de joye, de la plus part desquels il avoit fait le dessein, ils estoient ornez d’inscriptions, & de devises & il décrivit des Emblemes & des Decorations faites sur le même sujet au College de la Trinité. On fit deux éditions de cet Ouvrage, l’une in folio avec toutes les figures gravées en cuivre, & l’autre in 8°.

En 1663. il fit imprimer la description des Peintures de la Cour du College de Lyon, qu’il avoit fait peindre l’année précedente & qui passe pour un chef-d’œuvre. L’Histoire de Lyon y est representée en plusieurs Bas-reliefs, Medailles & Inscriptions, ainsi que je l’ay déja remarqué & il en intitula la description le Temple de la Sagesse. Cet Ouvrage est dedié à Me du Sausey Lieutenant particulier en la Senechaussé & Siege Presidial, Prevost des Marchands, & à Mrs Pellot, Arthaud, Lamagne & Chapuis de la Fay, Echevins.

En 1664. il fit l’appareil pour la Reception de Monsieur le Cardinal Legat Flavio Chigi, & il donna la description de l’Arc de Triomphe de la Ville & de celuy de Mrs les Comtes, avec la marche de l’entrée, les Harangues de tous les Corps, & les autres ceremonies. Il parut à Lyon deux années aprés un dessein qui fut trouvé tres-ingenieux, pour le feu de joye que l’on fit à l’occasion du Jubilé Solemnel, que le concours de la Fête de saint Jean-Baptiste avec la Fête Dieu ne fait voir que de siecle en siecle. Le Temple de la reconnoissance estoit le sujet du feu de joye, le R.P. Charonnier, alors Professeur de Rhetorique au grand College en estoit l’Auteur, & le R. Pere de la Chaise, aujourd’huy Confesseur du Roy, & alors Professeur en Theologie au College de la Trinité de cette Ville, publia un sçavant Traité sur ce sujet, sur lequel Mr Arroy Docteur de Paris & Theologal de Lyon fit aussi imprimer un petit traité. C’est sous le Consulat de Mre Paul Mascranny Prevost des Marchands, & mort Me de Requêtes à Paris, d’André Falconnet, d’Etienne Beston, de Pierre Boisse & d’Antoine Blauf, que le P. Menestrier entre prit l’éloge Historique de la Ville de Lyon, & sa grandeur Consulaire sous les Romains & sous nos Rois. Il y donne en forme de Préface le jugement que l’on doit faire des ouvrages historiques & dont on a exigé de luy qu’il donnast une nouvelle édition dans son projet de l’histoire de Lyon dont je parleray cy-aprés. Il parla succinctement, au commencement de cet ouvrage de l’origine de Lyon dont il avoüe qu’il n’étoit pas alors si bien instruit qu’il l’a esté depuis. Il y donna un Catalogue de quelques Auteurs Lyonnois qui ont écrit sur diverses matieres ; des Docteurs, des Medecins Aggregés au College de Medecine de cette Ville, des Jesuites qui ont écrit lorsqu’ils residoient au College de Lyon avec un denombrement des ouvrages qu’ils y ont fait : il y fit un plan de l’Eglise de Lyon, des Cardinaux & des Evesques Lyonnois, des hommes Illustres dans la Robe & en divers emplois, des Gouverneurs, des Senechaux, des Capitaines, des Lieutenans de Roy, & des Lieutenans des Senechaux : la description de toutes les devises de la Ville ; l’établissement du Consulat, la Liste des Conseilliers Echevins depuis 1294. jusqu’à 1595. & les noms armes & qualitez des Prevost des Marchands & des Echevins depuis l’an 1592 jusqu’à 1670. où parut son ouvrage, avec les inscriptions des ouvrages publics faits de leur temps, & une ample description de l’Hôtel de Ville & des Peintures qui ont esté depuis ruinées par l’incendie arrivé en 1674.

L’an 1694. le P. Menestrier voulut publier un Programme de l’ouvrage qu’il entreprenoit, & auquel il travailloit depuis un si grand nombre d’années ; ce Programme n’estoit pas dans une feüille volante comme le sont ordinairement les autres, c’estoit un gros in 12. sous ce titre : Les divers Caracteres des Ouvrages historiques, avec le Plan d’une nouvelle histoire de la Ville de Lyon, le jugement de tous les Auteurs qui en ont écrit, & des dissertations sur sa fondation & son nom, sur le passage d’Annibal, la division des Champs, le titre de Colonie Romaine, & les deux Tables d’airain de l’Hostel de Ville. Cet ouvrage est dedié au P. de la Chaise ; il parle dans sa preface de quatre histoires de Lyon écrites dans l’espace d’un siecle par Paradin, de Rubis, Sever & le P. de S. Aubin, outre le projet d’une cinquiéme par le P. Pierre Bailloud Jesuite, & que la mort empescha d’executer. Mr de la Valette luy fournit mesme quelques cayers de cet ouvrage imparfait, qui luy firent juger que cet Auteur s’attachoit trop aux Antiquitez fabuleuses. Il parle dans la mesme Preface d’un manuscrit qu’il a recouvré, & qu’il cherchoit depuis trente ans ; c’est un Traité du démêlé des Habitans de cette Ville avec Messieurs des Chapitres de S. Jean & de S. Juste, dont trois Papes, trois Cardinaux, Saint Loüis & un Duc de Bourgogne furent les Arbitres. C’est l’illustre Claude de Bellievre, premier President du Parlement de Dauphiné, & pere du Chancelier Pompone de Bellievre, qui a sauvé ce manuscrit du naufrage dans lequel tant d’autres monumens de l’histoire de Lyon furent enveloppez par la fureur des heretiques, qui pillerent toutes les Eglises, brûlerent la plûpart des titres, & ruinerent les Monasteres l’an 1562. Heureusement deux ans auparavant, cet illustre Magistrat avoit pris soin de transcrire luy-mesme ce manuscrit qui a pour titre : Tractatus de Bellis & Induciis quæ fuerunt inter Canonicos Sancti Joannis Lugduni & Canonicos Sancti Justi ex una parte, & Cives Lugdunenses ex altera, desumptus ex Monasterii Atheniorum Bibliotheca. Ce grand Magistrat qui avoit composé un traité de Lugduno prisco, que le P. Menestrier se plaint de n’avoir pû encore trouver, croyoit qu’il y avoit eu autrefois une Academie d’Atheniens à Aisnay, & comme il appelloit ce lieu-là Athenæum, il en nomma aussi la Bibliotheque Atheniorum Bibliotheca ; Biblioteque dont malheureusement il ne reste aucun vestige, & à la perte de laquelle, l’ignorance de ceux qui en avoient la conduite a peut-estre plus contribué que la fureur des heretiques. Le P. Menestrier avoüe enfin qu’il est redevable aux soins de Mr Pianelle de la Valette ancien Prevost des Marchands de la découverte de cette piece, & que ce Magistrat a plus contribué que qui que ce soit à la perfection de cet ouvrage par les memoires qu’il a fournis à l’Auteur.

Nous avons de ce Pere une Relation de l’entrevûë d’une Reine de France & d’une autre Princesse mere & fille, dans la Forest de Clermont en Beauvoisis, avec les Portraits de ces Princesses, & la maniere de leurs habillemens. Il fit le dessein du magnifique Service qui fut celebré dans l’Eglise de Notre-Dame pour feu Monsieur le Prince, quelque temps aprés sa mort. Il eut la conduite du Feu d’artifice que Monsieur le Cardinal d’Estrées fit tirer dans sa Cour l’année derniere en rejoüissance de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ; il en donna deux relations ; il changea quelque chose à la seconde. Nous avons eu de luy dans les derniers jours de sa vie une dissertation sur l’usage de se faire porter la queuë, & il avoit commencé un nouveau Journal litteraire qu’il devoit publier tous les trois mois sous le titre de Bibliotheque sçavante & instructive ; le premier volume a paru. J’ay oublié de vous marquer que ce Pere a aussi donné au Public l’histoire par medailles des Empereurs Tibere, Caligula & Claude.

Le P. Menestrier estoit bon Poëte ; nous avons de luy diverses pieces de Poësie, des Odes, des Madrigaux, des Elegies & des Idylles. Mais un don dont la nature l’avoit favorisé d’une maniere étonnante, est celuy de la memoire. Il en a fait des essais extraordinaires en plusieurs occasions celebres. Le P. Menestrier n’estoit pas moins bon Orateur, il preschoit avec facilité, il a souvent brillé dans la Chaire & sur tout dans les Sermons qu’il faisoit aux Prises d’Habits des Religieuses. Il n’estoit pas le premier homme de Lettres de sa famille ; Jean-Baptiste Menestrier a fait d’excellens Traitez sur les medailles. Claude Menestrier son grand-oncle, Antiquaire du Pape Urbain VIII. publia aussi un excellent Traité de Diana Ephesina. Le P. Menestrier estoit né à Lyon, & il ne laisse qu’une sœur, dont la fille, mariée depuis quelques années à Mr Boiart Garde-Juge de la Monnoye, ce qui répond à la Charge de Conseiller, & frere de Mr Boiart Elû en l’Election de Mâcon, est morte.

[Départ de 18 Religieux de la Trape, demandez par Monsieur le Grand Duc de Toscane, & ce qui se passe dans leur Marche] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 176-184.

Vous avez oüy parler des 18. Religieux de l’Abbaye de la Trape de l’Ordre de Saint Bernard, qui ont esté demandez par Monsieur le Grand Duc de Toscane, pour établir une Maison de leur Reforme dans l’Abbaye de Buon Solasso, qui est dans ses Etats, & qui luy a esté accordée par le Pape. Il y a déja long-temps que ces Peres sont partis de la Trape avec la permission du Roy, & ils poursuivent leur route en édifiant tous ceux qui les voyent. Un Religieux de la Trape connu dans le monde sous le nom du Comte d’Aria Piémontois de naissance, & qui a fait autrefois une grande figure à la Cour de Savoye, a esté nommé Abbé de cette Mission : le Frere Arsene, frere aîné de Mr le Marquis de Janson, & de Mr l’Abbé de Janson, Abbé de Saint Valery, & qui a porté dans le monde le nom de Comte de Rosamberg, est du nombre des Religieux qui vont en Italie. C’est un saint Religieux dont la ferveur a esté un grand motif d’édification depuis qu’il a embrassé cette régle.

Je vous envoye ce qui est tombé entre mes mains au sujet de ce voyage. Ces Sts Religieux arriverent à Conflans à 2. lieuës de cette Ville le 22. du mois de Janvier. Ils logerent dans la Maison que Mrs du Seminaire des Bons-Enfans ont en ce lieu. Le 23. ils y sejournerent & Monsieur le Cardinal de Noailles les y alla visiter. Ils en partirent le 24. & se rendirent en cette Ville où ils logerent dans la Maison des Peres de l’Oratoire de la ruë saint Honoré. Ils y sejournerent le 25. & partirent le 26. pour prendre la route de Lyon.

EXTRAIT
D’une Lettre écrite de l’Abbaye de Monsieur le Cardinal de Boüillon à Tournu à 12. lieuës de Lyon, le 7. Fevrier 1705. par le conducteur des 18. Peres de la Trape qui vont à Florence.

La sainte Compagnie estoit attenduë icy dés Jeudy, qui étoit le 1r Jeudy du mois de Fevrier 1705.

Son Eminence avoit differé la Benediction du S. Sacrement jusques à six heures du soir, en attendant nostre arrivée avec grande impatience, suivant ce que le frere Jandier avoit écrit à Mr Serte, son Majordome.

Son Eminence a reçû cette sainte Compagnie avec beaucoup de joye ; il avoit disposé sa Maison pour les recevoir en commençant à envoyer coucher ses domestiques hors de l’Abbaye, afin de prendre leurs lits, & d’en faire un dortoir pour cette sainte Compagnie. Je ne vous sçaurois exprimer le bon acceüil & la bonne chere, qu’elle a fait à ces Peres, elle les a traitez à la maniere de la Trape, ayant fait acheter toute la Vaisselle de Terre de toute la ville, & n’en ayant pu trouver assez, elle en envoya chercher dans tous les Convens. Son Eminence les ayant fait servir à six plats chacun, & ayant mangé avec eux sans aucune distinction de rang.

Son Eminence a toûjours donné à laver les mains à tous les repas, & a assisté aux Prieres de l’Eglise, quoy qu’elle fust enrrumée ; & a fait servir au Refectoire quatre des premiers Chanoines de son Abbaye ; son Eminence avoit fait acheter des sabots & des pelles, afin que ces Peres s’en servissent à la maniere de la Trape. Elle leur fit faire l’Office à la maniere dont ils ont accoutumé de le dire : & aprés la Messe ils osterent toute la neige de la Cour portant des sabots & se servant de pelles, & l’aprés dînée avec les mêmes sabots & pelles, ils ratisserent toute la neige du Jardin. Son Eminence leur fit ensuite chanter Vespres ; & le lendemain, elle dit la grande Messe qui fut chantée en Plein-chant, & elle Communia tous les Religieux. Ce n’est pas peu d’avoir dix-huit hommes à ma charge, mais bien loin de m’en plaindre, je m’en louë tres-fort, car il n’y en a pas un, qui manque à prier Dieu à tout heure pour moy. Il y en a un dans cette sainte Compagnie, qui doit passer pour un saint, ou il n’y en aura jamais, puisqu’à tout moment il s’accuse de ses fautes, & demande une rude penitence pour se mortifier, & je ne sçaurois vous exprimer le merite de ce saint Religieux : Ensuite estant arrivez à Chalons, Mr l’Evêque de Chalons nous retint dans son Seminaire, depuis le mercredy jusqu’au Vendredy ; car la Saône estant gelée, nous ne pouvions aller plus loin. J’avois toutes les peines du monde de faire servir en Poisson dix-huit Peres, & au defaut je leur ay fait manger des œufs durs, & du fromage. Enfin nous avons des Carrosses tout prests pour aller à Lyon, par où nous devons poursuivre nôtre route. Ces saints Religieux couchoient en route dans des draps, & mangeoient de tout hors de la viande.

[Fautes corrigées, qui s’étoient trouvées le mois dernier dans la Genealogie de la Maison d’Aubigné] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 206-208.

Dans l’article de Mr d’Aubigné, qui estoit dans ma derniere lettre, je dis que Jean d’Aubigné estoit pere de Constant, & il en estoit ayeul. Agrippa mort à Geneve, estoit fils de Jean & pere de Constant. C’est Agrippa qui a écrit l’Histoire universelle en trois Volumes. Le 3e. est rare & a esté imprimé à Loudun ; ces trois Volumes sont dans la Bibliotheque de Mr Delpech, à Paris. Cet Agrippa a pris soin de composer luy mesme sa vie, dont il y a icy un manuscrit escrit de sa main. C’est une piéce curieuse. La branche aisnée ne possede point de terres en Poitou, comme je l’ay marqué, mais elle en a de considerables en Anjou.

[Madrigal sur la Devise du Jetton de la Marine de l’année 1704] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 208-211.

Je vous envoye un Madrigal de Mr Moreau de Mautour, Auditeur des Comptes. Il a été fait sur la devise de l’année du Jetton de la Marine 1704. cette devise qui est au revers du portrait de S.A.S. Monsieur le Comte de Toulouse, & qui a été faite au sujet du dernier combat naval, represente une Aigle tenant la foudre de Jupiter dans ses serres, au dessus d’une mer où l’on voit des vaisseaux brisez, avec ces mots. Pelago sensere tonantem.

MADRIGAL.

Où sont-ils ces Audacieux,
Qui couvroient les deux Mers de leur voiles nombreuses,
Et sembloient menacer, & la Terre & les Cieux ?
De nos armes victorieuses,
Ils n’ont que trop senty les redoutables coups :
Tant de vaisseaux armez flattoient leur esperance,
Ils croyoient ébranler & l’Espagne & la France,
Louis a bravé leur couroux,
Sa foudre par mon bras les a dissipé tous.

Les Vers qui suivent regardent encore ce Prince.

Quel illustre Heros se présente à mes yeux ?
Combien de charmes l’environnent !
Que de lauriers qui le couronnent !
C’est sans doute quelqu’un des Dieux.
Cruels Tyrans des Eaux évitez sa presence ?
La mer calme pour luy s’irrita contre vous ;
Il vous a fait sentir une fois sa vaillance,
Craignez à l’avenir d’éprouver son courroux.
Jupiter luy remet sa foudre ;
Neptune l’Empire des Eaux.
Retirez vous trop indignes rivaux,
N’attendez pas qu’il vous réduise en poudre ?
Quel prodigieux changement !
Ceux que jusqu’à ce jour on a craint dans le monde ;
Comme les seuls maîtres de l’onde,
Devant nôtre Heros fuyent en un moment.
De toutes ses frayeurs l’Espagne est delivrée,
Philippe ne craint plus les projets de l’Anglois.
Et dans cet heureux jour la France rassurée,
Sur l’une & l’autre mer va redonner des loix.

Air spirituel §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 212.

Je vous envoye un Air nouveau, dont voicy les paroles.

AIR SPIRITUEL.

Avis pour placer les Figures : l’air Que mon estat, &c. page 212.
Que mon état est déplorable,
Qu’il est digne de mes ennuis :
Infirme, revolté, malheureux & coupable,
Seigneur, voilà ce que je suis.
images/1705-02_212.JPG

[Madrigal] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 212-213.

Le Madrigal suivant a esté fait par un homme qu’une jolie Veuve cherchoit à décrier, parce qu’il luy avoit montré une lettre de son Amant.

MADRIGAL.

Pour punir un Audacieux,
Qui vous a découvert un Secret qui vous touche ;
Qu’est-il besoin, Philis, des traits de vostre bouche,
Quand vous pouvez tout par vos yeux ?

[Places données à l’Académie Françoise, & à celle des Inscriptions] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 274-278.

L’Academie Françoise avoit fait une grande perte en la personne de Mr Pavillon, dont je vous appris la mort le mois passé, & elle a esté avantageusement reparée par le choix que cette Compagnie a fait en nommant pour remplir sa place, Mr l’Evesque de Soissons, qui joint à l’éclat de sa naissance, & à beaucoup d’érudition, toutes les qualitez qui sont à souhaiter dans un Grand Prelat. J’attens à vous en dire d’avantage, qu’il ait pris séance dans ce Corps.

Mr Pavillon estoit aussi pensionnaire de l’Academie des inscriptions, & des Medailles, & cette place a esté donnée a un tres-digne sujet. C’est Mr le la Marque Tilladet, dont la famille est tres-distinguée, & qui a merité les graces du Roy par son extrême application à tout ce qui regarde les avantages de cette Compagnie, dans laquelle il y a eu en même temps deux places d’Associez à remplir. L’une a esté donnée à Mr Moreau de Mautour, Auditeur de la Chambre des Comptes de Paris. Vous sçavez qu’il a beaucoup d’acquis dans les belles Lettres, & qu’il joint à la connoissance des Medailles, un heureux talent pour la Poësie. Il estoit déja membre de l’Academie de Inscriptions, ainsi que Mr Simon qu’on y voit briller beaucoup, & qui est monté à l’autre place d’Associé.

Le changement a esté encore plus grand pour les places des éleves, & il y en a eu quatre à remplir. La premiere demeurée vacante par la mort de Mr Duché, fut donnée dés l’autre mois à Mr Danché, qui a fait connoistre son nom par divers Ouvrages. Ceux qui ont eu les trois autres sont Mr de Bose, dont il a paru des dissertations sur les Medailles qui luy ont acquis beaucoup d’estime ; Mr l’Abbé Massieu, tres-bon Orateur, qui possede la langue Latine, & la lange Grecque aussi parfaitement que la Françoise, & Mr Vallois. On assure qu’il est digne de son nom, & c’est beaucoup dire, puisque feu Mr Vallois son Pere, & Mr Vallois son Oncle, l’ont rendu tres-illustre parmy les sçavans.

[Bal donné par Monseigneur le Dauphin] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 278-289.

Monseigneur le Dauphin donna le Lundy 16. de ce mois un Bal, où tous les Masques devoient entrer, c’est-à-dire autant de personnes masquées que les lieux où l’on donnoit le Bal pouvoient en contenir. Je ne vous dis rien de la maniere dont estoient ornez les lieux où l’on dança. Vous connoissez la magnificence & le bon goût de Monseigneur, & vous vous en imaginerez plus que je ne pourrois vous en dire. La Collation estoit dressée dans la Salle de Gardes de ce Prince. Elle consistoit en 60. grandes Corbeilles qu’il auroit fallu plus de 60. hommes pour porter, si elles avoient pû pénetrer dans tous les lieux où elles devoient estre portées. Il y avoit outre cela une tres-grande quantité de toutes sortes de rafraîchissemens qui occupoient encore un tres-grand nombre de personnes, & rien n’estoit plus beau à voir que le mélange des fleurs, des fruits, des confitures seiches & des autres choses qui entrent dans les Collations & qui formoient celle dont je vous parle. Il se trouva à ce Bal une si prodigieuse quantité de Masques tant de Versailles que de Paris, qu’on peut dire que de cent Masques, à peine un seul auroit-il pu entrer à ce Bal si pendant prés de six heures qu’il dura, plusieurs masques aprés avoir demeuré quelque temps dans l’Assemblée n’estoient sortis pour faire place à d’autres. La Cour de France est si nombreuse & Paris est si rempli de personnes qui aiment le plaisir, & qui se trouvent en estat de le goûter, que quand tous les Appartemens, la Galerie & les Salons de Versailles auroient esté ouverts aux masques, tant de lieux differents & si spacieux n’auroient pû les contenir à la fois.

Madame la Duchesse de Bourgogne voulant se donner le divertissement que prennent ceux qui vont incognitò, dans les Assemblées, y alla masquée avec une Andrienne & Madame la Duchesse d’Orleans avec un habit pareil à ceux avec lesquels la Reine Catherine de Medicis est representé dans les portraits que nous avons de cette Princesse. Comme cet habit peut estre orné de beaucoup de pierreries, & que celuy de Madame la Duchesse d’Orleans en estoit tout rempli, cet habit parut d’une grande richesse & de la plus ébloüissante magnificence. Plusieurs Volumes ne me suffiroient pas, si je voulois vous parler de la richesse, de la galanterie, de la bizarrerie & enfin de la varieté des habits de tous les masques qui se trouverent à ce Bal. Il n'y a que la France qui puisse faire voir une si grande affluence, à la fois, de tant de personnes parées, & tant de richesses en même temps, les broderies & les estoffes d’Or & d’Argent pour des habits faits exprés n’ayant point esté épargnées. Je ne dis rien des pierreries : on sçait que la France en est remplie & que tous les Estats du monde n’en pouroient pas fournir au tant qu’il s’en trouve en ce Royaume. Tant d’agréable varieté & tant de richesses attirerent moins les yeux pendant le Bal, que les manieres de Monseigneur le Dauphin, qui n’estant point masqué, afin de voir plus aisément ce qui se passoit, & de donner à tous ceux qui venoient à son Bal le plaisir de le voir sembloit sans descendre du rang que sa naissance l’oblige de garder, avoir la bonté de s’interesser à tout ce qui se passoit. Aussi d’un coup d’œil ce Prince sembloit-il souvent empescher le desordre que la grande confusion estoit sur le point de faire naistre. Ce que je dis icy n’est point de moy & je n’ay point imaginé qu’il devoit estre ainsi sur les bontez de ce Prince qui me sont connuës. Je dois rendre justice à ceux à qui elle est duë. Cette remarque est de Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne qui dit aprés le Bal, que pendant qu’il estoit attentif aux bontez & aux manieres gracieuses de Monseigneur le Dauphin, il ne pouvoit s’empescher de faire reflexion sur le bonheur de la France, qui estoit gouvernée, de l’aveu de toutes les Nations amies & ennemies, par le plus grand Prince du monde, & qui avoit un fils qui l’imitoit parfaitement.

Monseigneur reconnut Madame la Duchesse d’Albe, & ce Prince eut une attention toute particuliere pour faire placer cette Duchesse. Elle estoit habillée de la maniere dont les Dames du Palais de Madrid se presentent à la Reine d’Espagne, & excepté le masque, son habit ne differoit en rien de celuy qu’elle auroit eu, si elle avoit esté à Madrid & qu’elle eust esté faire sa Cour. Cet habillement est bien different de ceux qui ont souvent paru icy dans des entrées de Ballets, Bals & Mascarades & l’on pourroit dire que les habits à l’Espagnole que l’on nous a fait voir icy, jusqu’à présent, dans ces sortes d’occasions, ressemblent peu à la maniere dont Madame la Duchesse d’Albe estoit vetuë, au Bal de Monseigneur, les autres habits ayant plus de rapport à ceux des Paysannes d’Espagne, qu’à ceux des Dames de la Cour.

Monsieur le Connestable de Navarre, fils de Monsieur le Duc d’Albe, parut dans le même Bal, habillé magnifiquement à la Turque. Monsieur le Comte de Galvé, qui est depuis peu icy dança parfaitement bien sans estre reconnu de Monseigneur, ce Comte osta son masque & Monseigneur luy fit compliment sur sa belle dance. Quoyqu’il n’ait fait que tres peu de sejour à la Cour, il s’y est acquis l’estime de tous ceux qui l’ont vû. Il a un air noble & distingué. On connoist également par ce qu’il fait & par ce qu’il dit, & l’éclat de sa naissance & son merite personnel. Il est frere de Monsieur le Duc de l’Infantado & de Pastrana, qui réunit en luy les deux Illustres & anciennes Maisons de Silva & de Mendoza. Monsieur le Comte de Galvé est Gentilhomme de la Chambre de Sa Majesté Catholique & Colonel d’un Regiment d’Infanterie. Il a servi en Italie avec beaucoup de distinction.

[Prix d’Eloquence et de Poësie pour l’année 1705] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 293-298.

Je vous envoye ce que Messieurs de l’Académie Françoise viennent de faire publier.

PRIX D’ELOQUENCE ET DE POËSIE,
Pour l’année M. DCCV.

L’Académie Françoise fait sçavoir au public, que le vingt-cinquiéme jour d’Aoust prochain, Feste de saint Loüis, Elle donnera le Prix d’Eloquence, fondé par M. de Balzac, de l’Académie Françoise. Le sujet sera, Que la justice & la verité sont les plus fermes appuis du Thrône des Roys : conformément à ces paroles des Proverbes, chap. 29. v. 14. Rex qui judicat in veritate pauperes, Thronus ejus firmabitur in æternum, &c. Il faudra que le Discours ne soit que de demi-heure de lecture tout au plus, & qu’il finisse par une courte priere à Jesus-Christ.

On ne recevra aucun discours sans une Approbation signée de deux Docteurs de la Faculté de Theologie de Paris, & y résidant actuellement.

Le mesme jour Elle donnera le Prix de Poësie fondé par M. de Clermont de Tonnerre, Evesque & Comte de Noyon, Pair de France, & l’un des Quarante de l’Académie : Le sujet sera, La gloire & le bonheur du Roy dans les Princes ses Enfants, &c. Il sera permis d’y joindre tel autre sujet de loüange que chacun voudra, sur quelques actions particulieres de Sa Majesté, ou sur toutes ensemble, pourveu qu’on n’excede point cent Vers. Et on y adjoustera une courte priere à Dieu pour le Roy, separée du corps de l’Ouvrage, & de telle mesure de Vers qu’on voudra.

Toutes personnes seront receuës à composer pour ces deux Prix, hormis les Quarante de l’Académie qui doivent en estre les Juges.

Les Autheurs ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages, mais une marque ou paraphe, avec un passage de l’Ecriture-Sainte, pour les Discours de Prose ; & telle autre Sentence qu’il leur plaira, pour les Pieces de Poësie.

Comme on a differé plus qu’à l’ordinaire à proposer les sujets pour le Prix de l’Eloquence & de la Poësie, il suffira que ceux qui y prétendront, fassent remettre leurs Ouvrages dans le dernier jour du mois de Juin prochain, entre les mains de M. l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de l’Académie Françoise, à l’Hostel de Crequy, sur le Quay Malaquest.

Et en son absence,

Chez Jean-Baptiste Coignard, Imprimeur & Libraire ordinaire du Roy, & de l’Académie Françoise, ruë saint Jacques, prés S. Yves, à la Bible d’or.

Enigme §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 370-374.

Le mot de l’Enigme du mois dernier, estoit la Plaque de Cheminée. Ceux qui l’ont trouvé sont Mrs de Beauregard, Avocat au Parlement de Bretagne : du Hestrey & le petit Benoist de Roüen : Dominique Bertrand de Lion : Bardet & son ami Duplessis, maistre Chirurgien au Mans : Minoche : Breton joli homme & toûjours galant : Robinet, proche St Pierre aux Bœufs : Allard : l’Auteur de la galanterie faite le Mercredy gras à Mlle Bru… : le spirituel Picard, de la ruë de Richelieu : Pierre Marc & son Abbé Martial de la Porte S. Honoré : l’Echo fidele. Le gros Dinde de la ruë des deux boules, le fils aîné du Grand Vizir de Soissons : le grand Neveu de la ruë Vaugirard, & le mauvais garçon du quartier. Mlles Thain de la ruë neuve S. Paul, avec son amie des Sales de la ruë de la Verrerie : le Vasseur la genereuse & Ogedé : Jeanne Rousseau & Catherine Richard : la cruelle Saumon : les Dames de la grande allée : la belle du point du jour, de la ruë S. Martin, avec son bon amy le prétieux : Tamiriste & sa fille Angelique : la plus belle & gracieuse Dame du Cloître Nôtre-Dame : l’aimable Demoiselle du même lieu, & son aimable Berger : la Bergere Climene & son Berger Tircis, de la place Royale : la niece de l’aimable Recluse : la grosse femme & sa fille Catin de la ruë de Savoye : la belle Bergere de la Bastille & son cher frere : & la belle Javotte de la Mazarine.

L’Enigme qui suit est de Mr d’Aubicourt.

ENIGME.

Depuis Noé j’étois sur terre en grand mépris.
Sous Tibere on me voit paroître venerable.
À Rome le Senat & le peuple surpris
Ne purent m’empêcher d’être considerable.
***
Si pour me ravilir l’on a tout entrepris :
Ce projet toûjours vain m’est encor favorable.
Malgré mes detracteurs mon merite est sans prix.
Sur leur perte je fonde un Empire durable.
***
L’Univers me respecte, & mon nom reveré
Même aux Thrônes des Rois se trouve preferé.
Une marque d’Opprobre est de gloire suivie :
***
Ce qui fit des humains le plus malheureux sort,
Le spectacle sanglant d’une tragique mort,
Fait le solide espoir du bonheur de la vie.

[Carnaval de Marly] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 377-384.

Le Roy a honoré Monsieur le Duc d’Albe & Madame la Duchesse d’Albe d’une distinction qui n’est pas ordinaire. Sa Majesté fit dire à ces deux Excellences, qu’elle seroit fort aise de les voir à Marly, où ne vont pendant le séjour qu’y fait S.M. que les personnes de la Cour, qui sont nommées par Elle-même. Leurs Excellences fort sensibles à cet honneur, y allerent le Lundy-gras. S.M. leur fit un accüeil qu’il seroit difficile de bien exprimer, & que Leurs Excellences n’auroient jamais pû ny prétendre, ny esperer. Toute la Famille Royale, à commencer par Monseigneur, en usa pour Elles de même. Leurs Excellences y arriverent sur les quatre heures. Aprés qu’elles eurent salué le Roy, & qu’elles eurent rendu visite à toutes les personnes de la Famille Royale, on leur servit une magnifique Collation. Monsieur le Maréchal Duc de Bouflers conduisoit Monsieur le Duc, & Madame la Princesse des Ursins Madame la Duchesse d’Albe. Sur les sept heures on commença le Bal. Toutes les personnes de la Cour qui avoient esté nommées pour Marly, y parurent avec tout l’éclat & toute la magnificence que l’on peut imaginer. Le Roy d’Angleterre ouvrit le Bal avec la Princesse sa sœur : toute la Cour demeura debout pendant qu’ils dançerent : on admira leur bonne grace à dancer, comme on a coûtume d’admirer tout ce qu’ils font l’un & l’autre. Ce Bal fut des plus beaux, il dura jusqu’à dix heures. Le Roy se mit à table, & Madame la Duchesse d’Albe eut l’honneur de manger avec S.M. Aprés le soupé on se mit au jeu. Sur le minuit le Roy alla se coucher. Monsieur le Duc d’Albe eut le Bougeoir. S.M. lui parla avec les manieres nobles & gracieuses qui lui sont si particulieres & si naturelles en même tems. Ce Prince lui fit aussi l’honneur de lui parler quelque fois en Espagnol dans toute la noblesse & la délicatesse de cette Langue. Le jeu & les autres divertissemens continuerent aprés que le Roy fut couché. Leurs Majestez Britanniques, & la Princesse d’Angleterre s’en retournerent à S. Germain ; & Monsieur le Duc & Madame la Duchesse d’Albe, entre deux & trois heures aprés minuit, allerent coucher à Versailles dans leur Hôtel, comblez des honneurs qu’ils avoient reçûs, & penetrez de cette reconnoissance vive & sincere que les personnes de leur élevation & de leur délicatesse sçavent sentir avec plus d’étenduë que d’autres. Leurs Excellences n’ont guere esté moins enchantées de la situation, du séjour, des Pavillons, des Jardins & des vûës de Marly, & de la maniere aisée & délicate dont la Cour s’y amuse & s’y divertit, en présence même du Roy.

Les divertissemens qui avoient commencé à Marly dés le jour de l’arrivée du Roy, continuerent le lendemain mardi, dernier jour du Carnaval. Il y eut ce jour-là un Bal serieux avant le soupé, c’est-à-dire en habits François. Personne n’ignore que les pierreries font beaucoup plus d’effet sur les habits des Dames, parce que les parures qui sont faites exprés pour leur servir d’ornemens, sont avantageusement placées. Ce Bal estant fini, & le Roy ayant soupé, on en commença un autre où toutes les personnes qui avoient esté nommées pour Marly, parurent sous differens habits de Masques. La varieté, la richesse & la bizarrerie de plusieurs habits, firent beaucoup de plaisir, chacun ayant pris soin d’inventer des habits qui pussent empêcher qu’on les reconnust. Il y avoit mesme des personnes d’une mesme taille, qui estoient convenuës de mettre des habits semblables, afin d’embarasser ceux qui auroient pû les reconnoistre à leur taille. Enfin, ce divertissement fut des plus complets, & la joye fut parfaite. Il y a lieu de croire que le Carnaval ne s’est pas passé de même à Vienne, puisque de ses Remparts on voyoit fumer les lieux où le Comte Caroli, à la teste de cinq mille hommes qu’il commandoit, avoit mis le feu. Ces lieux sont Vuitsamen, Raunevvart, Oberrolingen, Schandorff, Neckeldorff, Wisselbourg, Rokaw, Zurendorf, & la plus grande partie de Heyboden. De pareils faits, & qui ne paroissent point douteux, font assez connoistre combien la nouvelle de la défaite entiere des Mécontens, étoit fausse ; mais il part plus de ces Relations du Conseil de Vienne, que des Relations veritables ; aussi sont-elles forgées dans le Conseil, où la seule politique les fait inventer aux dépens de la verité & de ce qu’on en pourra dire lorsqu’elle sera connuë ; mais on se met peu en peine dans ce Conseil de la suite, pourvû que dans le temps présent, on pare les coups dangereux d’un peuple effraïé, qu’on trouve ensuite le moyen d’appaiser & d’ébloüir de nouveau par d’autres manœuvres.

[Carnaval de Sceaux] §

Mercure galant, février 1705 [tome 2], p. 402-407.

Leurs Altesses Serenissimes Monsieur & Madame la Duchesse du Maine ont donné à Sceaux le dernier Dimanche & le dernier Mardi du Carnaval des Festes aussi magnifiques que galantes. Il y eut le Dimanche un grand bal où il se trouva peu de masques parce qu’on devoit recevoir le mardi suivant tous ceux qui viendroient masquez à Sceaux. Parmi les masques qui s’y trouverent le Dimanche quatre personnes de conditions habillées en Arlequins, dancerent ensemble des dances Arlequines dans lesquelles elles imiterent parfaitement bien les personnages qu’elles representoient.

Madame la Duchesse du Maine dont on connoist l’esprit, le bon goust & les manieres honnestes en fut charmée, elle voulut sçavoir leurs noms & elle leur dit mille choses obligeantes suivant sa maniere ordinaire. La collation qui fust servie ce jour-là fut des plus magnifiques.

Le mardi, l’affluence des masques qui vinrent de Versailles & de Paris, fut si grande que l’on compta aux environs de Sceaux trois cens soixante & dix-huit carrosses, outre ceux qui s’estoient retirez pendant la nuit aux hôtelleries du Bourg la Reyne, & dans d’autres maisons voisines.

Le même jour en sortant du soupé, avant que le bal commençast, il y eust un divertissement des plus nouveaux & des mieux entendus : il n’y entra point de masques & il ny eut que les personnes de cette Cour. Il y avoit une representation du Parnasse. Apollon, les neuf Muses & le Cheval Pegaze étoient distribuez avec beaucoup d’art sur cette double montagne.

Apollon.

Mr de Malezieux.

Uranie.

Madame la Duchesse du Maine.

Clio.

Mademoiselle d’Enguien.

Euterpe.

Mademoiselle de Rohan.

Calliope.

Mademoiselle de Nevers.

Erato.

Mlle de Moras.

Melpomene.

Mlle de Malezieu.

Thalie.

Mlle de Chambonas.

Terpsicore.

Mlle de Langeron.

Polimnie.

Mlle de Choiseul.

Les neuf Sciences ou Arts qui ont le plus de raport aux neuf Muses, vinrent leur offrir un tribut en vers, qui furent lûs par elles. Mercure representé par Mr le Marquis de Gavaudun les conduisoit : tous les habits & les attributs répondoient aux caracteres.

Ce divertissement fut poussé plus loin, mais comme je ne suis pas assez bien informé de ce qui regarde la suite, je ne vous en diray rien. Le bal fut ensuite ouvert & l’on peut dire que toute la maison de Sceaux fut remplie d’un nombre infini de masques, dont la varieté des habits estoit si grande qu’il auroit fallu des mois entiers pour les examiner, si on avoit voulu s’attacher à les considerer. Les rafraîchissemens & les liqueurs furent servies en abondance ; mais quoique la profusion fust grande, & qu’il semblât que l’on vuidât plûtost des tonneaux que des bouteilles, à peine en avoit-on porté dans les lieux où tous les masques estoient répandus, que tout disparoissoit : enfin chacun s’en retourna content de cette Fête que l’on pourroit nommer une Fête Royale.