1705

Mercure galant, août 1705 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1705 [tome 8].
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Mercure galant, août 1705 [tome 8]. §

[Divertissement donné à leurs Majestez Catholiques] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 33-36.

Le 11. du mois de Juin, jour de la Feste Dieu, on representa au Palais de Madrid, devant Leurs Majestez, deux Pieces spirituelles, appellées Autos Sacramentales, du fameux Poëte Dom Pedro Calderon. Cet Auteur est fort estimé parmi les Espagnols ; & c’est ordinairement dans le Recüeil de ses Pieces qu’on en choisit pour estre joüées au Palais. La derniere qu’on y a representée eut un grand succés, & toute la Cour donna beaucoup de loüanges aux Acteurs, qui se surpasserent dans cette representation. La Reine marqua beaucoup de satisfaction dans le cours de la Piece, & elle fit connoistre de la delicatesse de son esprit, en faisant remarquer les plus beaux endroits de cette Piece à ceux qui estoient auprés d’elle. Tout le monde fut surpris de la facilité avec laquelle cette jeune Princesse entroit dans la pensée de l’Auteur, & comme elle en démêloit le fonds. Le Roy & la Reine donnérent en sortant des marques de leur liberalité à la Troupe qui avoit representé cette Piece ; & tous les Spectateurs firent paroistre en cette occasion l’amour & le zele qu’ils ont pour leur Monarque, en le comblant de benedictions lorsqu’il entra & lorsqu’il sortit. Il sembloit alors que tout conspiroit à la joye universelle, puisque toute l’Assemblée avoüa qu’il y avoit plus de soixante-dix ans qu’on n’avoit joüé de Piece avec un si grand succés qu’avoit eu celle-là.

[Œuvres mêlées du Duc de Buckingham]* §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 56-59.

On joüa autrefois en Angleterre une excellente Comedie, qui fit beaucoup de bruit. Elle est intitulée Rehearsal, & pour en bien comprendre le dénoüement, il falloit en avoir la clef ; ceux qui voudront avoir cette clef, que l’on a si longtemps cherchée inutilement, la trouveront dans le second volume in 8°. des Oeuvres mêlées du Duc de Buckingham, recuëillies par feu Thomas Brown, & publiées aprés sa mort. Ce recuëil renferme plusieurs autres Pieces de Poësie, des Lettres écrites par ce Duc, ou qui luy ont esté écrites par ceux qui joüoient de son tems les plus grands rôles en Angleterre.

Ce second Volume vient d’estre imprimé, & il a esté receu des sçavans avec beaucoup d’empressement ; on y trouve plusieurs faits particuliers qui avoient échapez aux historiens, qui ont écrit sur les revolutions arrivées en Angleterre depuis 50. à 60. ans. L’Auteur y a répandu quelques traits de Morale, qui donnent de bonnes idées de son cœur & de ses sentimens. Les reflexions qui suivent quelquefois les faits qu’il rapporte, font aussi juger que ce Duc estoit un grand politique, & que personne n’entendoit mieux que luy les veritables interests de la Cour d’Angleterre. Les pieces de Poësie qui sont dans ce Volume, font honneur à ceux qui en sont les auteurs ; on remarque neanmoins qu’elles sont dans le goût Anglois, & que par consequent elles ne sont pas exemptes des défauts que l’on reproche aux Poëtes de cette nation.

[Relation d’une Mission faite à Sarlat] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 79-91.

La Relation suivante estant tombée entre mes mains, & ne pouvant que produire de bons effets dans les cœurs de ceux qui la liront, je croirois faire mal, si je ne vous l’envoyois pas.

RELATION
D’une Retraite faite dans la Ville de Sarlat, par le R.P. Bonneau Jesuite, à l’occasion de l’Adoration perpetuelle du S. Sacrement, établie par l’Evêque de la même Ville.
À Sarlat le 31. Juillet.

Je m’imagine que vous serez bien aise, mon tres-cher Fils, d’apprendre quelques particularitez de la celebre Mission que nous a fait icy le R.P. Bonneau, Jesuite. Le merite de cet habile Missionnaire n’est pas inconnu à Paris, où il a prêché plusieurs Avents & plusieurs Carêmes ; il a même donné à S. Germain en Laye, au feu Roy Jacques, la même retraite dont il nous a favorisez. Il ne s’attendoit point, non plus que nous, à exercer icy son zele, & c’est un un effet de la Providence qu’il nous ait visitez. Mr nostre Evêque sçachant que venant de Toulouse il s’en retournoit à Paris, fut l’attendre à Souliac, à son passage, pour l’amener en cette Ville. Il y arriva, croyant n’y rester que trois ou quatre jours pour se délasser ; mais ayant esté prié de nous donner un Sermon, on fut si content de ce premier Sermon, qui estoit au sujet de l’obéïssance qu’on doit à la loy, qu’il ne put se deffendre de nous prescher une seconde fois, & le grand empressement qu’il vit dans ses Auditeurs, aprés un troisiéme Sermon, joint à la sollicitation de nostre Prelat qui est toûjours porté du desir de gagner des ames à Dieu, l’obligea à nous donner cette Mission qu’il a soûtenuë seul pendant plus de quinze jours, avec un zele extraordinaire, nous prêchant en forme de meditation deux fois le jour, dans la Cathedrale, le matin à dix heures, & le soir à quatre. La Parole du Seigneur nous estoit distribuée avec tant de force & d’onction, que malgré le temps de la moisson, & les chaleurs excessives qui durent depuis prés de quatre mois, l’Eglise estoit alors aussi remplie que le jour de la Passion. Nôtre Prelat y a toûjours assisté, & nous a édifiez à tous les exercices qui finissoient par la Benediction du Saint Sacrement, avant laquelle on chantoit en Musique quelques Versets du Miserere, il demeuroit pendant tout ce temps-là prosterné à terre devant l’Autel, il commençoit même chaque exercice en chantant seul toutes les premieres paroles des Versets du Veni Creator, que l’Assemblée achevoit sur le même ton. Le P. Bonneau a établi dés les premiers jours l’Adoration perpetuelle du Saint Sacrement, où presque toute la Ville s’est enrollée, avec vingt-quatre Directeurs qui composent un Bureau de Reconciliation ; il a prêché si vivement le pardon des ennemis, que les plus obstinez se sont rendus des visites mutuelles. Le jour que les femmes communierent presque toutes de la main de Mr nostre Evêque, quoy qu’elles fussent au nombre de plus de douze cens, elles allerent en Procession de l’Eglise Paroissiale à la Cathedrale, marchant deux à deux, les coëffes abbatuës, & chacune portant un flambeau à la main. La veille de la Communion des hommes, il nous assembla le soir dans l’Eglise, & nous parla d’une maniere si touchante sur la douleur qu’on doit avoir du peché mortel, que toute l’Assemblée se fondoit en larmes, chacun se frappant la poitrine & tous criant hautement misericorde, pendant un assez longtemps ; ces lamentations furent si grandes que la porte estant fermée, plusieurs femmes que les cris ou la curiosité avoient attirées autour, vouloient la faire enfoncer, craignant qu’il ne fust arrivé à leurs Maris quelque malheur dans l’Eglise. On prétend que le vieux Bourguignon, Maître Cordonnier, étant sourd depuis plusieurs années, recouvra ce soir-là l’ouye, & pour en convaincre sa femme, il luy raconta une partie de ce qui l’avoit le plus touché dans le Sermon. Le lendemain, avant la Communion, on nous fit faire la même Procession qu’aux femmes ; mais avec cette difference, que nous portions le flambeau allumé, & élevé entre les deux mains, comme les Criminels qui font amande-honorable. Mr le Grand Archidiacre estoit seul, revêtu de Surplis, parce qu’il portoit la Croix, tout le reste du Clergé estoit mêlé avec les Laïques, parmi lesquels il y avoit plusieurs Personnes de qualité. Quoyque l’on marchât deux à deux & en ordre, il n’y avoit neanmoins nulle distinction, chacun prenant pour compagnon celuy qui se trouvoit par hasard à la sortie de l’Eglise ; nôtre Evêque y marchoit comme les autres, dépoüillé des marques de sa dignité, chantant tout haut le Miserere, de même que le reste des Assistans, dont la pluspart versoient beaucoup de larmes. On nous fit faire en cette maniere le tour ordinaire de la Procession ; aprés qu’elle fut finie nous entendîmes la Messe que nôtre Prelat dit sans ceremonie ; & dans le temps que nous allions recevoir la sainte Hostie, le Predicateur qui estoit en Chaire, nous fit faire des protestations publiques & crier tout haut misericorde, comme le soir auparavant. La Mission finit par une Procession generale & solemnelle, à laquelle assisterent en Corps toutes les Communautez de la Ville, & dix ou douze Paroisses des environs qui suivoient leurs Croix & leurs Pasteurs, aussi-bien que la Confrérie Royale de Messieurs les Penitens bleus, qui y parurent avec une humiliation & un anéantissement qui approchoit fort de ceux de Ninive. C’estoit un monde infini pour la petitesse du lieu ; mais le spectacle le plus surprenant étoit de voir prés de quatre-vingt personnes qui portoient la Croix de la Mission, parmi lesquels il y avoit plusieurs Officiers de Robe, de l’Election & du Presidial, avec de notables Bourgeois, tous pieds nuds, sans justaucorps, la teste couverte de cendre, & d’un sac de toile, avec la corde au cou. Cet équipage estoit bien humiliant & faisoit verser des larmes aux cœurs les plus endurcis. Cette Croix fut portée à la place de Landrevie ; là le Pere Bonneau commença à nous dire d’un ton fort élevé, Ecce lignum Crucis, in quô salus mundi pependit ; & malgré ses sanglots qu’il avoit de la peine à retenir, il nous parla d’une maniere si pathetique, qu’il nous fit tous prosterner & crier misericorde, le Prelat aussi-bien que le peuple, qui assistoit à la Procession, dont le nombre estoit de plus de huit ou dix mille personnes. Il me faudroit plus de temps que je n’en ay pour vous marquer toutes les suites surprenantes de cette Mission, Dieu veüille que nous en fassions un saint usage, & que nous profitions, comme nous le devons, des Sermons de la perseverance qui nous ont esté prêchez depuis, d’une maniere bien forte & bien touchante. Je suis toujours, mon cher Fils, vôtre bon Pere.

[Nouveau Commentaire sur Horace] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 95-96.

Nous ne manquerons pas de Commentaires sur Horace ; le Pere Tarteron, Jesuite, a publié le sien sur les Odes, mais il n’a traduit que celles qui sont dans l’édition du Pere Juvenci son Confrere ; c’est à dire, que toutes celles où le Poëte égaye sa Muse, ont esté retranchées : ainsi cette traduction est un peu mutilée. Mr l’Abbé de Bellegarde en a donné une où il n’y a rien de retranché, & que l’on a publiée à Lyon. Enfin Mr Bentley, un des plus habiles hommes qu’il y ait en Angleterre, en ce genre de litterature, va donner encore un Horace, où l’on assure qu’il a expliqué prés de trois cens endroits d’une maniere toute nouvelle.

[Exercice au College d’Harcourt]* §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 101-104.

On a fait au College d’Harcour un Exercice sur le Quatriéme Livre de l’Eneïde de Virgile, qui a eu beaucoup de succés. Mr des Authieux, Bachelier en Theologie, & Professeur de la troisiéme Classe de ce College, y présidoit. Le jeune Mr Amelot de Gournay, fils de Mr Amelot, Ambassadeur en Espagne, fit cet Exercice, & Mr le Pelletier de la Houssaye, son cousin-germain, ouvrit la dispute. Mr de Gournay donna d’abord une juste idée de la Poësie & de ses especes differentes ; il expliqua ensuite l’origine, la dignité, & le sublime du Poëme Epique, ce Poëme, où Virgile a si bien réussi. Il montra d’une maniere évidente, que le vraisemblable & le merveilleux, sont les deux caracteres les plus propres du Poëme Epique & du Dramatique, & que ces deux choses conviennent à l’un & à l’autre ; que dans tous les deux il se doit trouver des peripeties, des épisodes, & des reconnoissances : mais que l’Epique differe du Dramatique, en ce que le premier est plus étendu que l’autre, tant pour le lieu que pour le temps ; & que dans l’Epique, tantost c’est le Poëte qui parle, tantost ce sont des Personnes illustres & interessées dans l’action, au lieu que dans la Dramatique le Poëte ne parle jamais. Il ajoûta à ces excellentes reflexions, un parallele de Virgile & d’Homere, qui fut trouvé tres-juste. Il fit enfin une tres-exacte analyse du Quatriéme Livre de l’Eneïde, & il répondit à toutes les difficultez de Grammaire, de Geographie, de la Fable, & de l’Histoire, qui luy furent proposées pendant prés de trois heures. Toute l’assemblée qui estoit fort nombreuse, sortit tres-satisfaite de ce qu’elle avoit oüi ; elle donna beaucoup de loüanges à Mr des Authieux, & la memoire de ceux qui avoient paru dans cet Exercice, fut fort admirée.

Plainte que les Poissons font à Timante, sur ce qu'il paroist les avoir négligez lorsquil a si bien chanté les Oiseaux du Bois de Manicamp. Sur l'Air de Joconde §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 123-128.

Je devrois vous avoir envoyé les Vers suivans dés le mois d’Avril dernier ; mais ils ont esté égarez depuis ce temps-là, & le hazard me les ayant fait retrouver, je vous les envoye. Ils ont esté faits par le jeune Polydore qui les donna luy-même à Mlle de Montaterre à Manicamp, le lendemain du départ de Mr le Comte de Manicamp, son frere, pour l’Armée.

PLAINTE
Que les Poissons font à Timante, sur ce qu’il paroist les avoir negligez lorsqu’il a si bien chanté les Oiseaux du Bois de Manicamp.
Sur l’Air de Joconde.

Tout paroist tranquille en nos champs.
Et l’on entend dans l’onde
Certains bruits sourds de temps en temps
Comme de l’autre monde :
Les Vents à nos paisibles flots
Ne donnent point d’atteintes ;
Mais nos Poissons dans leurs Canaux
Font entendre ces plaintes.
***
Nous avons lieu d’estre jalous
Des chansons de Timante ;
Le calme qui regne chez nous
Merite qu’on nous chante ;
Qu’il ne vante plus ses Oiseaux,
Leur bruit, ny leur ramage,
Nôtre silence au fond des eaux
Est un plus doux langage !
***
Nous nous assemblons par monceaux
Sur les boras de l’Arêne
Pour attirer auprés des eaux
L’Infante nôtre Reine ;
Quand nous admirons ses appas
Qui font seuls sa parure,
Timante, nous ne sommes pas
Ennemis de nature.
***
Dans l’eau qui coule mollement
Au milieu des Prairies,
Nous entretenons doucement
Nos tendres rêveries,
Et dans les fossez du Chasteau,
Sans barque ny nacelle,
Les uns font leur ronde dans l’eau ;
Les autres sentinelle.
***
Nous paroissons chez le Marquis
En plus d’une posture ;
À sa table on nous trouve exquis,
Nous y faisons figure ;
Et souvent celuy d’entre nous
Qu’on croit le moins de mise,
A le bonheur de plaire au goust
Même de la Marquise.
***
Oyseaux de qui tant de chansons
Vante l’amour volage,
Comme vous, nous nous caressons,
Peut-être davantage ;
Mais nous sommes bien plus secrets
Que vous sur ce mistere,
Vous n’estes que des indiscrets,
Qui ne sçauriez vous taire.
***
Comme vous nous n’avons pour loix
Que la simple nature :
Le sort, quand il s’agit d’un choix,
Decide à l’aventure ;
Nostre instinct, sans autres raisons,
Dirige nos tendresses,
Et quand il nous plaist nous faisons
De nouvelles Maistresses.
***
Chantez Oiseaux dans le Printemps,
Et tant que l’Esté dure :
Aprés l’Automne, adieu bon temps ;
Vous craignez la froidure ;
Vous errez pour lors dans les airs ;
Et nous restons en place,
Vous estes transis les hyvers,
Nous brûlons dans la glace.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 128.

Je vous envoye un Air nouveau.

AIR NOUVEAU.

Avis : l’Air, Pour punir, [page] [12]8.
Pour punir un audacieux,
Qui vous a découvert un secret qui vous touche,
Qu’est-il besoin, Philis, des traits de vôtre bouche,
Quand vous pouvez tout par vos yeux ?
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[L’homme abusé par la Fortune & par l’Amour, Satyre] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 139-150.

Vous vous plaignez de ce que mes Lettres ne sont presque plus mêlées de Vers, & quoique les grandes nouvelles dont elles sont remplies, depuis la guerre, satisfassent vôtre curiosité, vous voulez de la varieté & pour répondre à vos souhaits, je vous envoye la Piece suivante. Elle est de Mr l’Abbé de Cantenac, dont les ouvrages remplis de sel & de morale, ont toûjours esté recherchez & applaudis.

L’HOMME ABUSÉ
par la Fortune & par l’Amour.
SATIRE.

L’Homme a presque toûjours l’ignorance en partage,
Que ce soit la Fortune, ou l’Amour qui l’engage,
Il est souvent leur dupe, & n’est pas bien instruit,
Des malheurs qu’il doit craindre, & du bien qu’il poursuit.
L’ambition l’expose à cent sortes de peines.
Il faut pour s’élever, qu’il se forge des chaînes.
Et que d’un grand Seigneur essuyant la fierté,
Il perde son repos avec sa liberté.
S’il sçavoit que l’envie excite plus d’orages,
Que les vents sur la mer ne causent de naufrages,
Il fuiroit de la Cour les écüeils dangereux,
Où les plus avancez sont les plus malheureux.
C’est-là qu’aveuglement exerçant son empire,
La Fortune est cruelle à tous ceux qu’elle attire,
Et que les exposant à d’étranges revers,
Elle leur fait sentir ses caprices divers.
Elle abuse les uns, d’une vaine esperance.
D’autres qu’elle agrandit, tombent en decadence.
Pour fléchir cette ingrate, il faut longtemps ramper.
Mais ses propres faveurs servent à nous tromper.
Les biens & les honneurs qu’offre cette inconstante,
Tels que les pommes d’or, dont la fiére Atalante
Fut trompée autrefois par un de ses Amants,
Sont aux ambitieux de vains amusemens.
La Fortune qui court avec plus de vitesse,
Ne répand qu’en fuyant, le bien qu’elle nous laisse,
Et sans discernement ses biens mal répandus
S’envolent avec elle, & sont bien-tôt perdus.
Ils charment pour un temps, mais enfin il n’en reste
Que le remords cruel du souvenir funeste
Des rebuts, des chagrins, & des soins superflus,
Et d’un temps écoulé, qu’on ne recouvre plus.
Si l’homme est abusé par la Fortune ingrate,
Il l’est plus par l’Amour, qui le perd & le flatte.
Ce tyran fait durer les langueurs, les tourmens.
Et les plaisirs qu’il fait, n’ont que quelques momens.
Ces momens sont suivis d’une peine éternelle.
Comme il aime à changer, & qu’il est infidelle,
Le dégoust, les chagrins, & les soupçons jaloux,
Succedent tost ou tard aux plaisirs les plus doux.
Tyrcis se figuroit, en épousant Sylvie,
Que rien ne manquoit plus au bonheur de sa vie.
Elle estoit riche & belle, & mille fois le jour,
Elle luy promettoit un éternel amour ;
Mais qui peut s’assurer de n’estre pas volage,
Quand d’un galant commerce on pratique l’usage ?
Il n’estoit pas le seul, qu’elle vouloit charmer.
Elle ne se paroit que pour se faire aimer ;
Mais la foule d’Amans, qui l’obsedoit sans cesse,
Ebranlant sa constance excita sa tendresse,
Et Damon, le plus jeune & le mieux fait de tous,
La rendit infidele, & trahit son époux.
Le malheureux Tyrcis, abusé par sa femme,
Ne la soupçonnoit pas d’une nouvelle flâme,
Par la credulité qui l’avoit endormi ;
Damon luy sembloit sage, & son meilleur Ami ;
Il n’en avoit aucun qu’il cherist davantage ;
C’estoit son confident, & s’il faisoit voyage,
Il luy recommandoit, avant que de partir,
D’avoir soin de sa femme & de la divertir.
Ce sot aveuglement est, au temps où nous sommes,
L’inévitable écüeil de la pluspart des hommes,
Qui trop infatuez, ont beaucoup plus de peur
De paroistre jaloux, que de perdre l’honneur.
Chacun croit que sa femme est une autre Lucrece,
Seule avec un Galant dans sa chambre on la laisse ;
Et le timide époux qui craint de l’offenser,
Cause par là sa perte, & n’ose le penser.
Pour moy, je ne crois pas qu’une femme bien faite,
Qui reçoit des Galans ajustée en Coquette,
Qui souvent en secret se laisse cajoller,
Possede une vertu qu’on ne puisse ébranler.
Epoux infortuné, qui par vostre imprudence,
Exposez vostre femme à perdre l’innocence,
Chassez tous ces Galans, qui viennent l’obseder.
Plus un tresor est grand, mieux on doit le garder.
Un Pilote seroit blâmé de tout le monde,
S’il quittoit le timon lorsque l’orage gronde,
Et si se confiant à de vains Matelots,
Il exposoit sa barque à la mercy des flots.
Un Berger prévoyant ne doit jamais attendre,
A garder sa brebi quand le loup la veut prendre ;
L’observant avec soin, il la doit retirer
Loin des lieux où les loups la pourroient devorer.
Mais quelquefois, dit-on, la femme est si fragile,
Qu’on prend à la garder une peine inutile.
La Tour de Danaé ne luy servit de rien ;
Celle qui se veut perdre, en trouve le moyen.
La contrainte l’irrite, & redouble l’envie
De recouvrer sous main sa liberté ravie.
Pour punir un jaloux, elle sçait le tromper ;
Et qui la serre trop, l’oblige à s’échaper.
Mais ne peut-on, sans rendre une femme captive,
Borner sa liberté, quand elle est excessive ?
Les regles de l’honneur, & la droite raison
Sont-elles pour l’Hymen une étroite prison ?
On doit sans luy marquer un soupçon qui l’irrite,
La traiter en Epoux, & non pas en Comite.
L’honneste-homme, en ce point, trouve un temperament ;
Mais il doit toûjours craindre, & le peril est grand.

[Nouvel article du mariage de Mr le Comte d’Harcourt] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 150-159.

Quoyque je vous aye parlé dans ma Lettre précedente du Mariage de Monsieur le Comte d’Harcour, fils aîné de Monsieur le Prince d’Harcour, avec Mademoiselle de Montjeu ; je dois neanmoins vous entretenir une seconde fois de ce mariage, non seulement parce que j’ignorois alors plusieurs particularitez qui sont venuës depuis à ma connoissance : mais aussi parce que je me suis trompé en quelques endroits de cet article.

Ce mariage se fit le 2 de Juillet à Arcuëil, dans la Chapelle de la maison de Madame la Princesse d’Harcour. Mr de Carcassone en fit la ceremonie ; cet Evêque est cousin germain de Monsieur le Prince d’Harcour, par la Maison de Grignan. Ils auroient esté fiancez dans le Cabinet du Roy, si Sa Majesté n’avoit point esté alors à Trianon. Monsieur le Comte d’Harcour est l’aîné de la seconde branche de Lorraine en France, estant petit fils de François de Lorraine, Prince d’Harcour, fils puisné de Charle de Lorraine 2. du nom, Duc d’Elbeuf, & frere de Charles de Lorraine 3. du nom, Duc d’Elbeuf, pere de Monsieur le Duc d’Elbeuf d’aujourd’huy. Madame la Princesse d’Harcour, sa mere, est de l’ancienne & illustre Maison de Brancas. Il ne luy reste qu’un frere, qui est Monsieur le Prince de Maubechq, Capitaine de Cavalerie dans le Regiment du Roy.

Le nom de la jeune Princesse est de Castille de Chenoise ; elle tire son origine de Navarre, & descend en droite ligne de Philippe de Castille, l’un des premiers Officiers de cette Couronne. En 1494. Pierre de Castille, son fils, vint s’établir en France, & commandoit une Compagnie de cent Hommes d’Armes, à la Bataille de Pavie. De Pierre de Castille sont descendus les Ancestres de Mademoiselle de Montjeu, qui ont tous servi nos Rois, dans les armes, & dans le ministere, & entr’autres, Pierre de Castille, Controlleur General des Finances & Ambassadeur en Suisse, sous le regne de Henry IV. qui épousa Charlotte Jeannin, fille & unique heritiere de Pierre Jeannin, Baron de Montjeu, premier President du Parlement de Bourgogne, & Ministre d’Etat : Et c’est par cette alliance que les biens des Maisons de Jeannin & de Montjeu sont tombées dans celle de Castille. Charlotte Jeannin fut mere de Me la Comtesse de Charny, de la Maison de Chabot, & en secondes noces elle épousa le Prince de Chalais. La Mere de feu Mr le Marquis de Saint-Heran, Gouverneur de Fontainebleau, estoit aussi de la Maison de Castille. Mrs de Castille-de-Chenoise, dans les premieres années du siecle passé, estoient reçûs Chevaliers de Malthe.

Me la Marquise de Montjeu, mere de Madame la Comtesse d’Harcour, est de la Maison Dauvet-des-Maretz. Elle est fille du Comte des Maretz, Grand Fauconnier de France, & petite-fille de Gaspard des Maretz, Baron des Maretz, &c. Chevalier des Ordres du Roy, Capitaine d’une Compagnie de Gendarmes, Maréchal des Camps & armées de S.M. & Ambassadeur en Angleterre, Gouverneur de Beauvais, & Lieutenant General du Beauvoisis. Il avoit épousé la fille du Chancelier de Sillery. Christine de Lantage, Dame de Vitry & autres lieux, mere de Me la Marquise de Montjeu, estoit fille unique d’une des meilleures Maisons de Champagne ; elle estoit petite-fille de Me de Montglas, dont le mari estoit de la Maison de Clermont-d’Amboise. Cette Dame de Montglas estoit Gouvernante des Enfans de Henry IV. Elle avoit élevé Madame Elisabeth, Reine d’Espagne ; Madame Henriette, Reine d’Angleterre ; & Madame Christine, Duchesse de Savoye.

Quelques jours aprés le mariage de Monsieur le Comte d’Harcour, Monsieur le Duc & Madame la Duchesse du Maine firent l’honneur aux nouveaux Mariez de les venir voir à Arcuëil. Madame la Princesse d’Harcour n’oublia rien pour les bien recevoir ; elle leur donna un souper magnifique, qui fut suivi de la Musique, aprés laquelle on dansa, & ces divertissemens durérent pendant la plus grande partie de la nuit.

Le Roy estant revenu à Versailles, quelques jours aprés ce mariage, Madame la Comtesse d’Harcour fut presentée à Sa Majesté, & eut ensuite le Tabouret. Ce Prince la reçut avec distinction, & eut la bonté de luy dire, qu’il luy souhaitoit toute sorte de bonheur ; & qu’il ne doutoit pas que cela ne fust, estant dans la Maison où elle estoit entrée.

[Nouvelles de l’Armée de Mr le Duc de La Feüillade] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 159-169.

Pour reprendre les affaires d’Italie où je les ay quittées, je laissay dans ma derniere Lettre Mr le Duc de la Feüillade devant Chivas, qui aprés en avoir fait sortir Monsieur de Savoye par une ruse de guerre, dont je vous ai donné un assez ample détail, venoit de prendre la demie-lune de cette Place. Mais comme il prévoyoit que le Siege pourroit estre long, s’il ne tâchoit d’éloigner les ennemis qui estoient derriere luy, & qui pouvoient l’inquieter à tout moment, il partit de devant cette Place le 28. Juillet avec quarante-six Escadrons, onze Bataillons, & cinq cens Grenadiers, & prit le chemin de Turin, ayant laissé un nombre de Troupes suffisant sur les hauteurs de Chivas pour en continuer le Siege ; & ce Duc ayant ensuite marché pour attaquer la Cavalerie des ennemis, prés du Malon, trouva qu’elle s’estoit retirée vers la Sture. Il la suivit, & la fit charger par Mr le Chevalier de Miane, avec trois cens Dragons qui défirent ceux des ennemis, qui se renverserent sur leur Cavalerie. Il y en eut un grand nombre de noyez dans la Sture, quatre à cinq cens tuez ou blessez, deux cens faits prisonniers, & beaucoup de chevaux & d’équipages pris, avec huit étendards, & deux paires de Tymbales. Et Monsieur le Duc de Savoye jugeant qu’aprés cet avantage, on pouvoit donner un assaut general à Chivas, envoya des ordres la nuit du 29. au 30. pour en faire sortir la Garnison par la communication, & pour en abandonner tous les Postes. Ce Prince se retira ensuite sur la hauteur des Capucins, & laissa deux Bataillons dans Gasso, de l’autre costé du Pô, à moitié chemin de Chivas à Turin.

Vous devez ajoûter foy à cette Relation, puisqu’elle est tirée d’un imprimé publié par les ennemis mêmes, & qui nous apprend des faits qui ne se sont point trouvez dans plusieurs autres relations, & qui sont à nostre avantage.

L’abandonnement de Chivas, de Castagnette & des Cassines doit estre regardé comme une chose surprenante, aprés tout ce que les ennemis avoient publié. Les Cassines estoient hors d’insulte, selon leur rapport, elles ne manquoient de rien, les chemins par où on y pouvoit arriver estoient presque impraticables, & devoient coûter beaucoup de monde, si l’on entreprenoit d’y passer. Chivas estoit rempli de coupures, il falloit gagner le terrain pied à pied pour penetrer jusqu’au milieu de la Ville, & les mines dont la place estoit toute remplie devoient faire sauter tous ceux qui seroient assez hardis pour monter à l’assaut. Cependant Mr de la Feüillade, par sa bonne manœuvre, & en marchant deux fois aux ennemis, a rompu toutes leurs mesures, leur a fait perdre courage, & les a obligez d’abandonner honteusement tant de postes qu’ils croioient devoir tenir pendant le reste de la campagne, & ruiner nôtre Armée.

Mr le Duc de la Feüillade voulant profiter de tant d’avantages qu’il n’avoit pas crû devoir remporter si promtement, donna aussi-tost les ordres necessaires pour la conservation de ses conquestes, & pour en démolir les fortifications, & fit marcher son armée vers Turin. Le six Aoust il luy fit passer la Sture, du costé de Villanova, entre Cirié & Nolli, & il mit la droite à la petite Doire, qui vient de Suze, la gauche à la Sture, & le quartier general à la Venerie, maison de plaisance de Monsieur le Duc de Savoie, à trois milles de Turin. On a trouvé dans ce Camp qui est couvert par deux rivieres, & par le Pô, une grande abondance de vivres & de fourrages. Monsieur le Duc de Savoye se campa sur la contrescarpe de Turin, avec trois mille cinq cents chevaux, & quatre mille fantassins, & fit entrer cinq cents cavaliers démontez dans la Citadelle. Il avoit levé deux Bataillons de milices : mais à l’approche de l’armée du Roy, ils se débanderent entierement. Ce qui fait voir que ce Prince a tiré de ses Etats tout le secours qui luy estoit possible d’en tirer, & qu’il n’y a plus pour luy de ressource dans ses sujets, n’en ayant plus aucun qui veüille porter les armes pour son service. Il est mesme à croire que la plûpart de ceux qu’il a levez par force, ne le serviront que par contrainte, & s’il les employe à faire des sorties, lorsqu’ils seront enfermez dans Turin, plusieurs pourront bien n’y pas rentrer ; & que quand mesme la bonne volonté ne leur manqueroit pas pour leur Souverain, le courage pourroit leur manquer. C’est pourquoy on ne doit jamais conter sur les troupes levées par force.

Monsieur le Duc de Savoye a aussi eu le chagrin, en se voyant pousser presque jusqu’aux fossez de Turin, de perdre Mr le Marquis de Parelle. C’estoit le plus ancien de ses Generaux : il avoit souvent commandé ses armées en chef, & son experience luy avoit acquis des lumieres qui pouvoient estre utiles à son Souverain dans les conjonctures presentes.

On doit remarquer que l’activité & la conduite de Mr le Duc de la Feüillade ont rompu toutes les mesures de Monsieur le Duc de Savoye. Il contoit que le siege de Chivas, & celuy de tous les postes qu’il avoit fait fortifier auprés de cette place, dureroient assez pour luy donner le temps d’en fortifier d’autres sur le chemin de Turin, & que ces postes pouvant tenir jusqu’à l’arriere-saison, on ne pourroit faire cette année le siege de cette Capitale. Les ennemis estoient si persuadez que les choses iroient ainsi, qu’ils avoient déja publié dans plusieurs de leurs écrits, que la Venerie estoit fortifiée, & qu’elle arresteroit long-temps Mr le Duc de la Feüillade. La suite a fait voir le contraire ; & le temps nous fera bientost voir de plus grandes choses de ce costé-là.

[Le Pape donne à la Ville d’Urbin des marques de son affection] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 311-314.

Le Pape voulant donner des preuves de son affection pour la Ville d’Urbin, sa patrie, a donné cent huit mille livres en argent comptant, pour payer une pareille dette dont elle estoit chargée ; Sa Sainteté a aussi supprimé à perpetuité un impost dont la Chambre Apostolique tiroit neuf mille livres, & un autre de moindre valeur. Le Pape a uni pour plusieurs années, une Abbaye d’un revenu considerable à la Manse de l’Eglise Cathedrale d’Urbin, pour la reparer & pour l’embellir ; Sa Sainteté a aussi donné à la même Eglise une Croix & six Chandeliers d’argent. Le Bref de cette donation qui avoit esté porté par Dom Oratio & Dom Annibal Albani, fut lû en leur presence dans le Conseil de Ville, & reçu avec de grands applaudissemens. Le Conseil de la Ville députa six de ses Membres les plus distinguez pour aller faire des remerciemens à Sa Sainteté, convenables aux bien-faits qu’elle venoit de luy faire. Dom Oratio & Dom Annibal Albani furent haranguez dans la Salle du Conseil, & pendant deux jours ils furent regalez par les Magistrats de la Ville avec une magnificence qui exprimoit parfaitement la joye de tous les habitans. Tous les Orateurs & tous les Poëtes de la Ville d’Urbin, où il n’y en a pas moins que dans les autres Villes d’Italie, se sont distinguez dans cette occasion, & pendant plusieurs jours on n’a vû que pieces d’Eloquence, des Odes & des Poëmes de toute sorte de genres, à l’honneur du Pape & de tous ceux qui portent le nom d’Albano. Un Professeur de College prononça, quelques jours aprés, un Discours latin sur le même sujet, qui fut admiré de tous ceux qui l’entendirent ; l’Orateur loüa le Pape d’une maniere aussi fine que delicate.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 314-315.M. Maiz est probablement l'auteur de la musique de cet air, bien que le périodique ne l'indique pas. La musique des airs du Mercure de février 1704, du Mercure de mars 1704, du Mercure de juillet 1704, duMercure d'août 1704, duMercure de septembre 1704, du Mercure de mai 1705, du Mercure d'août 1705, du Mercure de décembre 1705 lui est en effet attribuée.

Mr de Mez, de la Fléche, continuë toujours à chanter les loüanges du Roy, comme vous verrez par les paroles suivantes.

AIR NOUVEAU.

Avis : l’Air, Publions en tous, &c. [page] 315.
Publions en tous lieux les vertus de LOUIS,
Sa gloire, sa valeur, ses exploits inoüis ;
Honorons à jamais ce Heros magnanime ;
Que nos chants redoublez resonnent dans les airs ;
Qu’un même zéle nous anime ;
Il est digne de nos concerts.
Que de mille bienfaits il comble nostre vie ;
Qu’il triomphe toujours en dépit de l’envie ;
Que l’immortalité ne l’arrache à nos yeux,
Que pour briller un jour dans le plus haut des Cieux.
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[Quatorze Pièces de Théâtre de feu Mr de Montfleury] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 324-326.

Pour varier la matiere, & passer de la guerre à ce qui regarde les plaisirs ; on vient de donner au Public deux volumes de Pieces de Theatre, qui en contiennent chacun sept. L’Auteur de ces ouvrages estant mort depuis plus de vingt ans, & n’ayant point avant sa mort, fait mettre ses ouvrages en corps, il estoit difficile aux amateurs du Theatre de les rassembler tous ; c’est ce que vient de faire le sieur Christophle David, Libraire, demeurant sur le Quay des Augustins, à l’image S. Christophle. L’Auteur de ces Pieces, qui n’a jamais embrassé la Profession de son pere, est fils du celebre Montfleury, fameux Comedien, qui s’est fait long-temps admirer sur le Theatre de l’Hostel de Bourgogne, & qui passoit sans contredit pour un des plus fameux Comediens de son siecle. Parmi les Pieces de son fils qui viennent d’estre mises au jour, il y en a deux, dont l’une est la Femme Juge & Partie, & l’autre, la Fille Capitaine, dont le succés a esté au delà de tout ce que l’on peut imaginer. La Femme Juge & Partie fut joüée sur le Theatre de l’Hôtel de Bourgogne, dans le même temps que l’on joüoit Tartuffe sur celuy du Palais Royal ; & cette Piece eut le bonheur d’estre suivie & fort applaudie, pendant que tout Paris couroit à Tartuffe.

Lettre écrite par le Roy à Mr le Cardinal de Noailles §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 379-384.

Je vous envoye la Lettre écrite par le Roy à Monsieur le Cardinal de Noailles, pour faire chanter le Te Deum, en action de graces de cette grande Victoire.

Mon Cousin, Les progrés de mes Armes en Italie, ne pouvoient estre suivis d’un évenement plus glorieux ny plus éclatant, que la Victoire remporté le 16. de ce mois par mon Cousin le Duc de Vendosme sur l’Armée Imperiale commandée par le Prince Eugene de Savoye. Ce General, aprés avoir mis tout en usage pour donner au Duc de Savoye les secours promis & attendus depuis si long-temps, ou du moins pour empêcher par une diversion la perte entiere de ses Etats ; voyant ses tentatives sans succés, a pris enfin le party de s’ouvrir un passage par la force : Mais quelques mouvemens qu’il ait fait pour attaquer mon Armée avec avantage ; tous ses efforts se sont trouvez impuissans par la valeur de mes Troupes, & par la capacité & la vigilance du Duc de Vendosme. Les Officiers & les soldats, également animez par la juste confiance qu’ils ont en luy, ont soutenu le premier choc avec une fermeté incroyable : & bien-tost ceux qui étoient venus les attaquer, n’ont plus songé qu’à se deffendre, & ont enfin esté forcez de se retirer avec précipitation, & d’abandonner le champ de Bataille. Le Prince Eugene blessé, une partie de leurs Generaux tuez, & plus de sept mille hommes de leurs Troupes restez sur la place, dix-huit cens faits prisonniers, plusieurs Canons & plusieurs Drapeaux pris sur eux, font voir que le combat qui a duré pendant quatre heures, a esté sanglant & opiniâtre, & que la Victoire est entiere & complete. Comme le succés en est dû principalement à une protection visible du Ciel ; je ne veux pas differer d’en rendre graces à Dieu par des Prieres publiques : Ainsi je vous écris cette Lettre, pour vous dire que mon intention est que vous fassiez chanter le Te Deum dans l’Eglise Metropolitaine de ma bonne Ville de Paris, au jour & à l’heure que le Grand Maître, ou le Maître des Ceremonies vous dira de ma part. Sur ce, Je prie Dieu qu’il vous ait, Mon Cousin, en sa sainte & digne garde.

Il y eut le soir du même jour que le Te Deum fut chanté, des feux dans toutes les ruës de Paris, & l’on tira de l’Artifice en beaucoup d’endroits. Ces réjoüissances durerent une partie de la nuit, & aprés avoir bû en beaucoup de quartiers à la santé du Roy, on but à celle de Monsieur de Vendôme, à qui le peuple ne cesse point de donner des loüanges.

[Reception faite en Espagne à Madame la Princesse des Ursins] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 384-393.

J’ay tiré l’Article qui suit de plusieurs Lettres de Madrid.

Madame la Princesse des Ursins arriva à Saint Jean de Luz le 9. de Juillet. Les Carosses de la Reine l’y attendoient depuis quelques jours. Un grand nombre de Gentilshommes & d’Officiers Espagnols s’y étoient rendus ; un Colonel député du Guipuscoa vint l’y complimenter, luy presenter les hommages de toute la Province, & l’assurer de la part que le Pays prenoit à son retour en Espagne. Il ajoûta que tout le monde y voyoit avec joye que cet heureux retour avoit esté accordé aux vœux & aux prieres de toute la Nation. Il luy offrit tout ce qui dépendoit du Guipuscoa ; & il finit en luy disant l’ordre qu’il avoit de l’accompagner jusqu’aux Frontieres de la Province pour luy faire rendre les respects & les honneurs qui luy étoient dûs. Ce Colonel s’acquitta de sa commission avec toute l’attention possible. Cette Princesse trouva sous les armes, dans toutes les Villes, dans tous les Bourgs & Villages où elle passa, la Bourgeoisie & les Communes qui venoient au devant d’elle, & qui montoient la garde aux maisons où elle logeoit. Elle partit de S. Jean de Luz le Mercredy 15. avec une suite de quatre-vingts personnes. Les ordres étoient donnez, & ils ont esté tres-bien executez, de fournir à cette Princesse & à toute sa maison, toutes les commoditez capables d’adoucir les fatigues & la peine qu’on souffre en cette saison à traverser les rudes montagnes, & les plaines brûlantes qui conduisent à Madrid. Il seroit difficile de vous bien exprimer les acclamations des Peuples, les festes qui ont esté données à cette Princesse, & les honneurs qu’on luy a rendus par tout. Ce qui est de plus glorieux pour elle, c’est que tous ces témoignages de la joye publique ont esté égaux de la part du peuple, & de la part de la Noblesse ; & que le cœur a toujours paru s’accorder avec le devoir qu’on s’en faisoit par tout. Un nombre de personnes de distinction, & même des Grands ont succedé les uns aux autres dans la route pour faire cortege à cette Princesse. Les danses, les jeux, les combats de Taureaux, les feux d’artifice, les décharges d’Artillerie ont celebré son retour, par tout où elle a passé. Je n’exagere rien, en disant que son chemin étoit semé de fleurs ; on luy en jettoit à pleines mains & à pleines corbeilles. On alloit fort loin au devant d’elle. Elle a esté complimentée dans les Villes, par le Clergé & par les Magistrats, & à Vitoria, qui est à plus de soixante lieuës de Madrid, par un Ecuyer de la Reine Doüairiere, que Sa Majesté avoit envoyé exprés avec ordre de grossir le cortege de cette Princesse jusqu’à son arrivée à Madrid. Tous ces honneurs ont augmenté à mesure qu’elle s’est approchée de cette Ville Capitale ; mais rien n’égale ceux dont elle fut comblée le dernier jour. Le Roy & la Reine avoient envoyé à Canillas, qui est un Village à deux lieuës de cette Ville, leurs Officiers de Bouche ; ils y avoient préparé un dîner magnifique, qui fut servi à plusieurs tables. Madame la Princesse des Ursins y trouva Mr l’Ambassadeur de France, Mr le Maréchal de Tessé, une infinité de grands Seigneurs, & plusieurs Ministres Etrangers. Comme l’usage de cette Cour ne permet pas aux femmes de manger avec les hommes, cette Princesse dîna seule dans sa Chambre. Mr l’Ambassadeur & Mr le Maréchal firent les honneurs de la premiere table. Sur la fin du repas il arriva un Courier qui apporta à cette Princesse une Lettre de la Reine, qui luy mandoit d’attendre ses ordres pour partir. On vit à cinq heures & demie arriver leurs Majestez avec toute la Cour, honneur que les Rois d’Espagne n’ont jamais fait à personne. Madame des Ursins alla les recevoir à leur Carosse. Le Roy & la Reine la baisérent, luy témoignerent publiquement leur joye, monterent dans sa Chambre, & elles y resterent seules avec elle pendant trois quarts d’heure. Ensuite cette Princesse les accompagna à leur Carosse. Leurs Majestez vouloient qu’elle s’y mist, & l’en presserent fortement à plusieurs reprises : mais comme il est absolument contraire à la coûtume, que qui que ce soit aille dans le Carosse de la Reine, quand le Roy y est, elle refusa cet honneur, & suplia leurs Majestez de souffrir qu’elle leur désobéist une fois en toute sa vie. Elle monta dans le Carosse destiné à la Camerera Mayor, qui étoit vuide ; elle alla en cette qualité immediatement aprés celuy de leurs Majestez, & dés ce moment elle reprit possession d’une Charge que la voix & les acclamation des Peuples lui avoient déja restituée dans toute la route. Enfin elle arriva le 3. d’Aoust entre une double haye de Carosses, qui s’étoit formée depuis Canillas, de l’affluence de ceux qui étoient venu pour la voir, & elle entra à Madrid avec le plus auguste, le plus beau, & le plus nombreux cortege qu’on y ait jamais vû, suivie de tout le peuple qui souhaittoit mille années à la Camerera-Mayor.

Enigme §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 397-400.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit l’Oignon. Le Bourgeois de Vernon l’a expliqué par les quatre Vers suivans.

Chaque pays a sa maniere ;
l’on vit de Pommes à Vernon ;
L’on vivoit d’amour à Cyther ;
En Egypte jadis on adoroit l’Oignon.

Ceux qui ont aussi trouvé le mot de l’Enigme, sont, Mrs Chastre, Curé d’Eglegny, prés d’Auxerre, & Daniel le Chin, Procureur Fiscal dudit lieu : Medard Labitte : Roger le Maire d’Aubaton : Robert Mollet de l’Homme, P.D.M. Jacquart de Nanteüil, Procureur à Auxerre, & son ami le Sr Trébuchet : le gros Prieur de Sainte Claire : le Solitaire de la Forest de Compiegne : le Solitaire Desangloux, & sa bonne amie Olympia : le petit Maigret, de Dammartin : l’Ami sincere, de la ruë sainte Anne : l’Agreable dans les compagnies : l’Heureux infortuné : le Colin-maillart, du Mont-Parnasse : la grosse Jacqueline, de la ruë Guisarde : la petite Manon Benjamine, du Fauxbourg S. Germain : la Charmante Niece du Lieu Royal : la jolie Brune de Dieppe : la belle Margoton de la ruë des Noyers : & son fidele Ami de la ruë Mazarine.

Je vous envoye une Enigme nouvelle ; elle est de Mr Durey d’Harmoncour.

ENIGME.

Je reçois les honneurs qu’on rend aux immortels ;
Un peuple tout entier me dresse des Autels,
Que l’espoir d’expier ses crimes
Fait fumer chaque jour du sang de cent Victimes.
Quoiqu’adoré, le moindre des humains
A tout mon sort entre ses mains ;
Il me peut écraser, il me peut mettre en pieces.
Dans ma perte pourtant, je brave ses rigueurs ;
J’en tire, malgré luy, des marques de tendresses,
En luy faisant verser des pleurs.

[Situation de l’état présent des affaires de la Guerre dans toutes les Armées du Roy] §

Mercure galant, août 1705 [tome 8], p. 404-416.

Je devrois en fermant ma Lettre, vous mander la situation où se trouvent présentement les affaires de la Guerre dans toutes nos Armées ; ce qui est assez difficile. Cependant je vous diray que tout paroist assez tranquille en Flandre, depuis que Mylord Marlborough est de retour, aprés avoir manqué tous les projets dont il s’étoit formé une idée. Il n’est pas aisé, quand on a manqué une entreprise de passer tout d’un coup à une autre pour laquelle on n’a pris aucunes mesures, & fait aucuns préparatifs. D’ailleurs, ce Mylord ne peut rien faire que de concert avec les Etats ; & quand on est aussi brouillé qu’il l’est avec eux & avec les Députez, avec lesquels il doit conferer, le temps s’écoule aisément, avant qu’on ait arresté ce qu’on doit faire. Il paroist néanmoins que le Mylord veut faire le Siege de Leewe ; mais comme la résolution de faire ce Siége n’étoit pas encore prise il y a sept ou huit jours, & qu’il n’y avoit aucuns ordres donnez pour cela, la saison se trouve bien avancée pour assieger une Place environnée de Marais impraticables, lorsque les pluïes deviennent frequentes : & comme la saison de ces pluïes approche, ce siege devient bien douteux, & le succés en sera bien incertain, en cas que la place soit assiegée. La desertion continuë dans l’Armée des Alliez, & il en vient souvent quarante ou cinquante Deserteurs à la fois. Nos Troupes ont esté renforcées de huit Bataillons & de huit Escadrons, qui ont esté amenez par Mr le Marquis de Conflans. Quelque grand bruit que l’on fasse en Angleterre, des grands progrés faits en Flandre par Mylord Marlborough, pour lesquels on vient tout recemment de chanter un Te Deum, il est certain qu’en examinant bien tout ce qui s’est passé, on ne trouvera pas que les Alliez y ayent eu plus d’avantages que les Armées des deux Couronnes. Les Alliez ont trouvé moyen d’entrer dans nos Lignes sans les forcer : ainsi nous n’avons perdu du monde qu’en faisant nostre retraite, & la belle manœuvre de Mr de Caraman a empêché que nôtre perte ait esté grande, & l’on peut même dire, qu’il en a fait essuyer une assez considerable aux ennemis. Enfin, s’ils nous ont poussez de ce côté-là, & si nous y avons perdu du monde, nous les avons repoussez au passage de la Dyle, & ils n’y ont pas fait une perte moins grande que celle que nous avons pû faire, lorsqu’ils sont entrez dans nos Lignes ; & s’ils ont fait contribuer le pays de Waës, nous tirons aussi des Contributions de la Mairie de Bolduc : de maniere que l’on peut dire, que tout est assez égal de part & d’autre. Mais ce qu’il y a d’avantageux pour nous, est que leurs Deserteurs sont dix fois en plus grand nombre que les notres ; ce qui doit faire connoistre qu’on a toujours souffert dans leur Armée.

À l’égard de ce qui se passe entre Monsieur le Prince de Bade, & Mr le Maréchal de Villars, il est assez mal aisé de le dire au juste, puisque tout consiste en ruses de Guerre. Monsieur le Prince de Bade menace en même temps les Lignes de Haguenau & le Fort-Loüis, & tâche d’engager Mr de Villars à faire des mouvemens qui puissent favoriser ses entreprises, & à l’obliger à tirer des troupes de quelques postes dont il seroit incommodé. Mr de Villars, de son costé, n’oublie rien pour parer tous les coups qu’on luy veut porter, & donne de la jalousie au Prince de Bade pour les Lignes de Stolhoffen, dont la conservation luy est précieuse, parce qu’elles couvrent son Pays ; & je ne doute point que vous n’appreniez quelque nouvelle importante du costé de ces deux Armées, avant que vous receviez ma Lettre. Mr de Villars ne fait pas moins bonne contenance que Monsieur le Prince de Bade ; quoique son armée soit en mouvement depuis sept mois, & que celle de ce Prince ne commence qu’à entrer en campagne, & soit forte de quarante mille hommes.

Quant à Mr le Duc de la Feüillade, il travaille à faire toutes les dispositions necessaires pour le siege de Turin, afin de le pousser vivement lorsqu’il sera commencé, & que rien n’en puisse interrompre le cours. Son Camp se remplit tous les jours pour cet effet de toutes les provisions, & de toutes les munitions dont on pourra avoir besoin pour ce siege, où l’on n’attendra ny Mortiers, ny Canons, ny troupes ; de maniere que si Monsieur le Duc de Savoye le laisse commencer, il en verra bien-tost la fin. Selon les dernieres nouvelles, Mr le Duc de la Feüillade doit avoir envoyé prendre Veillane, afin qu’il ne reste autour de Turin aucun poste qui le puisse inquieter pendant le siege. Ce Duc ayant sçû que Monsieur le Duc de Savoye craignoit qu’il ne ruinast sa maison de plaisance de la Venerie, il luy avoit envoyé dire, qu’il n’estoit pas venu pour la ruiner, mais plustost pour la conserver ; ce qui avoit esté cause que Monsieur le Duc de Savoye luy avoit envoyé des boules de Mail, parce qu’il y en a un tres-beau dans cette Maison, & plusieurs autres choses de cette nature pour servir à son divertissement. Mais Mr de la Feüillade, dont l’ame genereuse est connuë, & qui se fait un plaisir de donner, envoya aussi-tost à Monsieur de Savoye plusieurs Mulets chargez de vin de Champagne.

On apprend tous les jours, que la perte que les Imperiaux ont faite en Italie, est plus grande que l’on n’avoit crû, & que de quatre mille Prussiens, qui estoient dans l’Armée de Monsieur le Prince Eugene, trois mille ont esté tuez, & cinq cens faits prisonniers. La puanteur causée par les cadavres est si grande, & l’air si empesté, que Monsieur de Vendosme n’a osé risquer d’aller attaquer Monsieur le Prince Eugene dans son Camp, ainsi qu’il l’avoit résolu depuis le gain de la Bataille ; parce que son Armée auroit esté empestée de ce mauvais air, sur tout pendant les grandes chaleurs, qui sont en Italie encore plus excessives, qu’elles ne sont icy.

Je ne puis vous rien dire encore du débarquement de l’Archiduc avec six mille hommes à Blanes, entre Barcelone & Rose. Il a esté joint par quelques Miquelets ; mais toute la Noblesse qui a résolu de garder la fidélité qu’elle doit à Philippes V. s’est jettée dans Barcelone. Mr de Velasco, Viceroy de Catalogne, marque n’avoir aucune appréhension des Rebelles, & il a fait mettre quarante pieces de Canon dans le Fort de Montjoüy, qui est auprés de Barcelone. Tant de Troupes sont en mouvement de tous côtez, pour aller au secours de cette Principauté, que selon toutes les apparences, la descente de l’Archiduc ne doit pas estre heureuse.

Je remets au Mois prochain, à vous parler de ce qui s’est passé à l’Academie Françoise, ainsi qu’aux Academies des Sciences & des Inscriptions, le jour de la Feste de S. Loüis. Je vous parleray aussi de la Harangue faite au Roy, lorsque les nouveaux Echevins luy furent presentez. Je suis, &c.

À Paris ceSeptembre 1705.