1706

Mercure galant, février 1706 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1706 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1706 [tome 2]. §

Embarras. Sonnet §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 34-38.

Vos amis se plaignent dites-vous de ce que depuis longtemps on trouve peu de Vers & de pieces galantes dans mes Lettres ; ils ont raison, mais il est difficile dans un temps de guerre de trouver beaucoup de place pour ces sortes d’ouvrages, les autres articles historiques devant avoir la préference ; cependant je tâcheray à l’avenir de me conformer le plus qu’il me sera possible au goust de tous ceux qui lisent mes Lettres, & pour commencer, je vous envoye un ouvrage de l’Auteur du beau Sonnet qui remporta l’année derniere le prix des Lanternistes. J’ajoute au Sonnet que je vous envoye une Epitaphe de Mr de Launay-le-Sec, fort connu dans le monde. Je ne doute point que cette Epitaphe ne vous divertisse beaucoup, si j’en juge par le plaisir qu’ont pris ceux qui en ont entendu la lecture.

EMBARRAS.
SONNET.

Mes Amis, mes Parens, tous veulent que je cesse
D’aimer l’aimable Iris seul objet de mes vœux.
Iris veut qu’à jamais nous nous aimions tous deux :
Juste Ciel ! qui croiray-je, ou Parens, ou Maistresse.
***
De finir mes amours, un Pere, helas ! me presse,
Il veut que je consente à me voir malheureux.
De nos tendres liens, Iris serre les nœuds,
Je sens à chaque instant redoubler ma tendresse.
***
Periray-je, accablé sous le poids de mon sort.
Pour plaire à mes Parens, dois-je vouloir ma mort ?
Pour contenter Iris, dois-je commettre un crime ?
Immoleray-je Amour, ou respect Paternel.
Je meurs, si le Respect a l’Amour pour victime,
Si l’Amour est plus fort, je deviens criminel.

Epitaphe §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 38-39.

EPITAPHE

 Repose, dort, & gist illec,
Deffunt Thomas Launay-le-Sec,
Gentilhomme Corbin à Bec,
Issu des Sieurs de Pont-au-Sec,
Petit-Fils de Janne Dorbec,
Les Mornay alliez au Sec,
Et neveu d’un Abbé Dubec,
Parent de loin d’Abimelec,
Et de rien à Melchisedec,
Il sçavoit joüer du Rebec,
Et d’autres instrumens avec,
Sçavoit aussi le Romestec,
Pas trop mal son Salamalec,
Peu de Latin & point de Grec,
Portoit Castor non Caudebec,
Aimoit bien mieux Vin que Sorbec,
Virgouleuze que Martin-Sec,
Voicy le hic & non le hæc,
C’est que par maint & maint échec,
Il vit presque sa bourse à sec,
Dans ce plomb il est pis que Sec,
Où Mort l’a mis à coups de Bec.
***
Ce futur mort vuidant carafe,
A fait ainsi son Epitafe.

[Seconde Lettre du Père Cracoüille remplie de beaucoup d’érudition] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 39-54.

La premiere Lettre du Pere Cracoüille a esté si bien reçue que je vous envoye une seconde.

Seconde Lettre du Pere Cracoüille, du 12. Decembre 1705.

Je veux bien, mon Reverend Pere continuer à vous informer des nouvelles de Litterature qui se passent, dans les Pays Etrangers & pour entrer tout d’un coup en matiere je vous diray, qu’on a publié en Hollande les Lettres de Mr Cupere à Mr Jurieu, & de quelques autres Sçavans. Dans une réponse que le premier fait au second en datte du 7. Juin 1704. Il luy témoigne qu’il est bien aise de voir que son explication Litterale sur Jupiter Mad-Bacus, n’est pas fort differente de celle de Mr Huet ancien Evêque d’Avranches, & du Pere Guillaume Bonjour Augustin, natif de Toulouse & établi à Rome, Mr Cuper avoit consulté ces deux sçavans hommes sur les Inscriptions venuës d’Alep, & il en voye à Mr Jurieu les reponses qu’il en a receuës. Le Pere Bonjour est un des plus sçavans hommes que nous ayons dans la connoissance des, Langues Orientales des Peres de l’Eglise, & de tout ce qui concerne les belles Lettres. Il a demeuré long-temps avec feu Mr le Cardinal de Noris, & c’est dans le commerce de ce sçavant Prélat, dont il avoit été long-temps confrere, qu’il s’est perfectionné dans les sciences. Mr Cuper croit que le mot Dii, est tout à fait necessaire dans les inscriptions dont il est question & que Mad-Bacus, & Lelamanes, sont des epitheles données à Jupiter dans les lieux où l’on a trouvé ces inscriptions ; où qu’il y est parlé de Jupiter Mad-Bacus, & d’une autre divinité appellée Lelamanes. De quelque maniere que soit la chose, il ne croit pas qu’il y ait lieu d’en faire deux Prestres, bienfaicteur de la Déesse Syrienne, & mis, pour cette raison au nombre des Heros ou des Dieux aprés leur mort, il est vray qu’Enée a été appellé Jupiter Indiges : il n’y a pour en estre assuré qu’à jetter les yeux sur le troisiéme chapitre. du 1. Livre de Titelive : cependant l’Auteur de l’Origine du peuple Romain le nomme seulement Patrem Indigetem & Denis d’Halicarnasse luy donne un autre nom Grec.

On a publié à Hall en Saxe le quatriéme Volume du Livre intitulé : Observationum selectarum ad rem litterariam pertinentium. Tom. 4. Ce Volume contient vingt-une Observations. Je ne les parcoureray pas toutes, cela me meneroit trop loin. Je parleray seulement de quelques-unes, dont la matiere m’a paru plus interessante ; telles que sont la septiéme, qui contient un échantillon de l’indice expurgatoire dont il a esté parlé dans le troisiéme Volume, dont Mr Bernard a donné un extrait assez étendu dans ses Nouvelles, &c. du mois d’Aoust 1704. On y peut recourir ; mais quant à l’Indice, c’est une piece tres-curieuse, qu’on ne doit pas manquer de voir. Le livre qui a pour titre, Epistolæ obscurorum virorum, fait le sujet de la neuviéme Observation. On sçait que ces Lettres furent composées au sujet du differend qu’eut Reuchlin avec les Moines de Cologne, qui avoient condamné au feu tous les Livres des Juifs sans exception, quelques-uns ont attribué ces Lettres à Reuchlin luy-même, mais on fait voir qu’ils se sont trompez, & l’on soûtient qu’Ulric Hutten en a composé une bonne partie & qu’il a aprouvé l’édition des autres. La pluspart des Epîtres dont il s’agit sont adressées à Ortuinus Gratius, parce que cet Auteur avoit composé l’Apologie des Moines de Cologne contre Reuchlin, une autrefois Mr, je vous parleray plus amplement des autres observations qui composent ce Volume. J’avois déja commencé dans une autre Lettre à vous parler de la Lettre qui court sous le nom de Mr de la Croix & il avoit remarqué ou dû remarquer que Mr Bernard qui y a ajouté ses reflexions, observe qu’il est étonnant que Mr de la Croix ignore qu’il y ait des gens qui croyent que les Peres n’ont rien dit que d’excellent, aprés avoir cité l’Auteur de l’Art de penser. Il cite aussi Mr de Sacy, qui estoit de la mesme societé. Ces deux Auteurs paroissent dans tous leurs ouvrages dans ce préjugé, sur tout, le dernier, dans ce qu’il dit du 201. sermon de Saint Augustin de tempore. Mr de la Croix deffend ensuite Votius sur le P. des Hebreux sur lequel Mr Ruchal l’avoit attaqué, en faisant voir que Saint Jerôme & plusieurs grands hommes qui l’ont suivi ont esté du mesme sentiment. On peut voir Saint Jerôme sur le 2. chapitre d’Isaye, il remarque pourtant sur l’onziéme chapitre de Daniel, que de son temps les Juifs prononcoient le P. dans un seul mot Hebreu. Les Arabes dont la langue a du raport avec celle des Hebreux & dont l’ancien alphabeth Hebraïque est le mesme que l’alphabeth Hebraïque, n’ont jamais eu de P. & n’en ont point encore aujourd’huy. Il n’y a qu’à voir le vingtiéme chapitre du premier livre du Chanaan de l’ilustre Mr Bochart. Mr de la Croix attaque ensuite un Auteur qui ne s’est fait connoistre que par la lettre initiale de son nom B. sur l’explication d’un passage d’Euripide & il soutient en mesme temps l’explication qu’il avoit d’un vers d’Aristophane. Mr de la Croix finit sa Lettre qui est dattée de Berlin, par un post scriptum, dans lequel il dit, qu’ayant lû depuis peu l’Aristarque de Vossius, il y a trouvé les Passages de Saint Jerôme, fortifiez de quelques reflexions. On peut consulter les Questiones Hieronymitanæ de Mr le Clerc, & on trouvera dequoy répondre à ceux qui objectent aux Septante, qu’il faut dire Jemiahou & Jeschahiahou, au lieu de Jeremias, & d’Esayas.

On a publié à la Haye le troisiéme tome de l’Histoire de Guillaume III. Roy d’Angleterre, &c. Par P.A. Samson. Ce volume ne contient l’Histoire que de trois années : sçavoir, 1673. 1674. & 1675. le coup d’autorité du feu Prince d’Orange, en rétablissant en 1673. le General Tromp dans sa Charge de Lieutenant-Amiral, dont les Etats l’avoient dépoüillé, les démarches du Roy de Suede pour procurer cette année-là la Paix entre les Princes qui estoient en guerre ; la necessité où se trouva l’Electeur de Brandebourg de faire son Traité particulier avec la France, le fameux Siege de Mastrick, que le Roy fit en personne. La conqueste de Narden & de Bonn, par le Prince d’Orange ; les Batailles qui furent données sur la mer, l’enlevement du Prince Guillaume de Furstemberg, fait à Cologne par l’ordre de l’Empereur ; la celebre Bataille de Seneff, donnée en 1674. les reflexions de l’Auteur sur le gain de cette Bataille & sur l’estat où estoient les deux Armées, quand elle finit. La prise de Grave par le Prince d’Orange, qui finit la Campagne de 1674. Le refus que ce Prince fit de la Souveraineté du Duché de Gueldres & du Comté de Zutphen en 1675. Enfin, les soins genereux que le feu Electeur de Brandebourg employa pour le rétablissement de la santé du Prince d’Orange son neveu, qui eut cette année-là la petite verole, sont les évenemens & les faits qui composent ce volume.

Idée d’un regne doux & heureux, ou Relation du voyage du Prince de Monberaud, dans l’Isle de Naudely, premiere Partie. Enrichy de Figures en Taille-douce. À Cazeres, capitale de l’Isle de Naudely, 1703. & se trouve à Amsterdam, chez Henry Desbordes.

Cet ouvrage, qui est dedié à Monseigneur le Duc de Bourgogne, est un ouvrage semblable à Telemaque, ou du moins dans le même goust ; c’est pourquoy on l’appelle à Paris le Telemaque Bourgeois ; c’est encore un ouvrage semblable à la Republique de Platon, à l’Utopie de Mony, à l’Histoire des Severambes, & à quelques autres livres de cette nature : ordinairement ces fortes d’ouvrages sont lûs avec plaisir, mais il n’y en a pas dont le plan & l’execution coûtent moins à l’Auteur. D’un costé il faut remarquer que dans les Etats les mieux policez, & qui sont gouvernez par les meilleurs Magistrats & par les Loix les plus judicieuses, il ne laisse pas d’y avoir plusieurs deffauts dont on souhaiteroit la reformation. D’un autre costé, quand il y auroit des Etats où l’on ne trouveroit rien du tout à reformer, l’esprit de l’homme est si bizarre, qu’il y en auroit toûjours quelqu’un qui y trouveroit à redire : En un mot, on voit bien les inconveniens des Loix établies, mais on ne voit pas ceux des nouvelles Loix qu’on voudroit établir. Je suis, &c.

[Mort de N… de Talaru Chalmazel]* §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 61-69.

Mre N… de Talaru-Chalmazel Comte de Lion & Chantre de l’Eglise Cathedrale, est mort à Lion depuis quelque temps ; Il estoit oncle de feu Mr l’Abbé de Chalmazel & Docteur de Sorbonne de la Maison de Navarre & Abbé d’Estampes, mort de la petite verole à Lion il y a quelques années, & de Mr le Marquis de Chalmazel qui a épousé Melle de Chamarante sœur de Mr le Marquis de Chamarante, Lieutenant General des Armées du Roy. La maison de Talaru a donné 2. Cardinaux au Sacré College & 3. Archevêques à l’Eglise de Lyon. Jean de Talaru, fils de Matthieu de Talaru, & frere de Philippe Baron de Talaru, s’ouvrit le chemin à une brillante fortune, par une grande piété & par une profonde doctrine. Il fut d’abord Chanoine & Obeancier de l’Eglise de S. Just de Lyon, & ensuite Custode de la Cathedrale, & peu aprés Doyen de la mesme Eglise, où il s’aquit une si grande consideration, que la mort de Charle d’Alençon ayant fait vaquer le Siege de Lyon, il fut élevé à cette dignité en 1375. Il assembla l’année suivante un Synode, où il donna des marques de son zele pour le bien de l’Eglise & pour les fonctions de son ministere. Le Pape Boniface neuviéme, qui fut le second Pape aprés le rétablissement du Saint Siege à Rome par Gregoire XI. luy donna le Chapeau de Cardinal en 1389. Charles VI. Roy de France, le demanda pour luy. L’Archevêché de Lyon demeura vacante par cette promotion, & Philippe de Thurey fut élû en sa place la mesme année. Le Cardinal de Talaru mourut à Lyon en 1393. Amedée de Talaru Cardinal Archevêque de Lyon, estoit fils de Matthieu second, Seigneur & Baron de Talaru, & de Beatrix de Marcelli, il fut premierement Chanoine & Comte de Lyon. Il fut nommé par le Chapitre pour assister au Concile de Constance en 1414. & l’année suivante il y reçût la nouvelle de son Election à l’Archevêché de Lyon, vacant par la mort du Cardinal de Thurey. Ce dernier avoit succedé à Jean de Talaru, aussi Cardinal & Oncle d’Amedée. Le Concile approuva cette Election, son merite & sa capacité luy estant connuës. Il en donna des marques en plusieurs occasions, en 1436. il se trouva au Concile de Bâle, mais en qualité d’Evêque. Les Prelats qui s’assemblerent à Bourges en 1432. l’avoient engagé de se joindre avec les Ambassadeurs du Roy Charles VII. pour demander à Eugene IV. qu’en continuation du mesme Concile pour le bien de la religion. On y parla d’une affaire qui regardoit l’Eglise de Lyon. Charles V. Duc de Bourbon, retenoit quelques Châteaux qui en dependoient ; le Concile luy écrivit pour le prier d’en faire raison à Amedée de Talaru. La Lettre des Peres est du 16. Mars 1436. Ce Prelat judicieux prévoyant que la mésintelligence du Pape & du Concile auroit des suites fâcheuses pour le bien de l’Eglise, s’en expliqua en diverses occasions. Sponde & l’Evêque de Pamiers parlent de quelques lettres qu’il écrivit sur ce sujet, dans lesquelles il marquoit la peine que ce Schisme qu’il prévoyoit devoir bien-tost arriver, luy faisoit. Cependant il fut fait Cardinal par l’Antipape Felix V. (autrefois Amé Duc de Savoye) le 12. Novembre 1440. & il mourut le 12. Février 1443. Hugues de Talaru succeda à Charles, Cardinal de Bourbon, en 1488. & il mourut en 1517. c’est le troisiéme Prelat que la maison de Talaru a donné à l’Eglise de Lyon. Mr le Comte de Chalmazel, qui vient de mourir, estoit generalement estimé, il s’est démis avant sa mort de sa dignité de Chantre, entre les mains du Chapitre, & l’a fait prier d’y nommer Mr le Comte de Rochebonne, son parent, & Grand Vicaire de Poitiers. Le Chapitre a eu égard à la recommandation du Mourant.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 128-129.

Je vous envoye une Chanson de Mr de Metz, de la Fléche en Anjou. Le sujet des paroles vous feroit connoistre qu’elles sont de luy, quand même je ne vous le nommerois pas.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, O Paix ! charmante Paix, doit regarder la page 128.
O Paix ! charmante Paix,
Exauce nos souhaits
Descend, Fille du Ciel, delice de la Terre,
Aux accents de ta voix, fait taire le Tonnerre,
Viens, Louis s’est lassé de ses propres Exploits :
Tout l’Univers t’appelle, & même les François.
Le plus grand des humains te prefere à Bellonne ;
En vain, toûjours constante, elle agrandit son Trône,
Il veut se délivrer de la necessité
De vaincre l’Univers, contre luy revolté.
images/1706-02_128.JPG

[Divertissement de Clagny] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 265-271.

Vous sçavez que Monsieur & Madame la Duchesse du Maine, donnent tous les ans pendant le Carnaval, des divertissemens, où la magnificence, quelque grande qu’elle soit, brille souvent beaucoup moins que l’esprit, la galanterie & le bon goût. Ils ont ouvert cette année ces divertissemens par une piece de Theatre de la composition de Mr l’Abbé Genest de l’Academie Françoise, & qui a donné au public, la Tragedie intitulée, Penelope, dont le grand succés a répondu à la beauté de ce Poëme.

Celuy qui a esté representé à ClagnyI, sous le nom de Joseph, n’a pas moins tiré de larmes, qu’il s’est attiré d’applaudissemens des Auditeurs, & quoy qu’il ait esté representé trois fois, la foule y a toujours esté grande, les applaudissemens toujours égaux, & les larmes qu’il a fait répandre, ont toujours causé beaucoup de plaisir, puisqu’il n’en est point qui touche davantage, & auquel on soit plus sensible, qu’à celuy qui est causé par des larmes de joye. Mr l’Abbé Genest a conservé dans cet ouvrage la fidelité de l’Ecriture, & la simplicité majestueuse de l’Ecrit Sacré qu’il a imité dans l’expression, paroist aussi dans la conduite du sujet. Madame la Duchesse du Maine representoit Azanesh, femme de Joseph, & quoyque Mr l’Abbé Genest n’en ait trouvé que le nom dans le lieu où il a puisé son Sujet ; le caractere qu’il luy a donné, a paru tout-à-fait convenable. Madame la Duchesse du Maine joüa ce Rôle avec une Noblesse delicate, & un agrément qui l’a fait admirer. Mlle de Merus representa Thermasis, Dame Egyptienne, Confidente d’Aazaneth, & Mr le Baron le Pere, qui representoit Joseph, joüa ce Rôle d’une maniere qui ne peut estre imité, & toute l’Assemblée trouva qu’il n’avoit jamais mieux joué. Monsieur de Malezieu fit le personnage de Juda, & la force de son jeu luy attira de grandes loüanges. Il fut imité par son fils aîné dans le Rôlle de Ruben. Un de ses plus jeunes representa Benjamin, & son air d’innocence, & sa beauté, toucherent extrêmement. Mr de Vernonselles, Gentilhomme de Monsieur le Duc du Maine, representoit Simeon, & ce Gentilhomme ayant esté obligé de partir pour s’embarquer avec Monsieur le Comte de Toulouze, Mr le Marquis de Roquelaure joüa son Rôle dans la troisiéme Representation, quoy qu’il n’eut eu que tres-peu de temps pour l’apprendre. Ce Marquis qui est Lieutenant de Gendarmerie, n’est pas moins distingué par sa valeur que par son esprit. Le Jeu de Mr le Marquis de Gondrin, fut admiré dans le Rôle de Pharaon. Ce Marquis a tres-bonne mine, il est admiré de toute la Cour, & sa presence ne peut manquer de luy attirer des applaudissemens. Mr d’Erlac, Capitaine aux Gardes Suisses, s’acquita tres-bien du Rôle de l’Intendant, ou Majordome de Joseph, & il entra parfaitement dans le Rôle qu’il representoit. Mr de Rozeli fit celuy d’un vieil Hebreu, que Joseph venoit de tirer d’esclavage, & qu’il arrêtoit auprés de luy dans la Maison de Jacob. Tous ces Messieurs animez du desir de plaire à Monsieur & à Madame la Duchesse du Maine, & par l’exemple d’une si grande Princesse, ne negligerent rien pour l’execution de leur Rôle, & l’on peut dire, qu’il seroit difficile de trouver ailleurs des Spectacles de cette nature mieux executez.

[Divertissemens de Marly, pendant les quatre derniers jours du Carnaval] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 271-274.

La curiosité de tous ceux qui ont marqué de grands empressemens de voir cette Piece, n’a pû estre satisfaite, parce que l’on n’en a donné que trois Representations, les divertissemens de Marly & de Seaux, ayant occupé le reste du Carnaval.

Le dernier Samedy du Carnaval, il y eut un grand Bal serieux à Marly. Le Roy, la Reine, & Madame la Princesse d’Angleterre s’y trouverent. Ce Bal fut des plus brillans, toutes les Dames estant parées d’un grand nombre de pierreries ; il fut suivi d’un grand soupé, aprés lequel leur Majestez Britanniques, & Madame la Princesse d’Angleterre, retournerent à S. Germain. Il y eut encore Bal le Lundy suivant, où le Roy d’Angleterre, & la Princesse sa sœur, vinrent superbement masquez, & d’une maniere toute extraordinaire ; il se trouva beaucoup d’autres Masques à ce Bal. La Reine d’Angleterre demeura à S. Germain, où le Roy son fils & la Princesse sa fille retournerent aprés avoir soupé. Le lendemain, Mardy, il y eut encore grand Bal, avec cette difference, que ce dernier Bal ne commença qu’aprés le soupé, & qu’il ne fut permis d’y entrer que masqué ; ce Bal fut ouvert par Madame la Duchesse de Bourgogne, & par Mr le Duc d’Enguien ; il dura jusqu’à quatre heures du matin, ce qui fut cause qu’on ne servit que des eaux. Le Roy d’Angleterre ne vint point ce jour là à Marly, parce que ce Prince donna un grand Bal à S. Germain, qui fut accompagné d’un soupé magnifique. Je ne vous dis rien de la magnificence qui a paru dans tous les divertissemens de Marly, puisqu’elle est inseparable de la Cour de France, même dans les temps où elle n’a pas dessein de se distinguer par une parure extraordinaire.

[Divertissemens de Sceaux, pendant les trois derniers jours du Carnaval] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 274-288.

Comme toute la Cour ne pouvoit prendre, à Marly, les divertissemens du Carnaval, Monsieur le Duc du Maine permit l’entrée de Sceaux pendant ces trois jours, à tous ceux qui voulurent venir dans ce lieu delicieux, & comme la magnificence, le bon goust & les manieres obligeantes du Prince & de la Princesse qui font les honneurs de ce lieu, ne sont inconuës à personne, on ne doit pas s’étonner si malgré la longueur du chemin qu’il faut faire pour s’y rendre, l’affluence du plus beau monde y a esté grande outre les personnes de distinction qui forment ordinairement la Cour de Monsieur le Duc & Madame la Duchesse du Maine, Mlle d’Enguien, Mlle de Charolois, Mesdames les Duchesses de la Ferté & d’Albemarle, Me & Mlle de Langeron & plusieurs autres personnes d’un rang distingué y ont demeuré pendant ses divertissemens, qui ont duré trois jours, & qui ont eu chaque jour la grace de la nouveauté à cause de la varieté des plaisirs & des Masques qui y ont paru sous toutes sortes de figures ; & Monsieur & Madame la Duchesse y ont aussi pris part, & ont ménagé leur temps pour s’y trouver, quoi qu’ils ayent esté des divertissemens de Marly. Il y a eu deux tables ouvertes pendant ces trois jours, l’une de vingt, & l’autre de douze couverts, toutes deux servies avec la même délicatesse, & la même profusion. Les plaisirs ont succedé les uns aux autres, & ils ont esté mêlez des jeux d’esprit où excelle Madame la Duchesse du Maine, qui par le brillant de son esprit divertit si agréablement ceux qui ont l’honneur d’avoir part à ces jeux. Le premier Bal commença le Dimanche à l’issuë du soupé, & il dura jusqu’à quatre heures du matin ; on dansa dans plusieurs pieces des grands appartemens du Château. On eut la curiosité de faire compter les Carosses qui étoient venus de Paris, & il s’y en trouva 460 outre les Chaises de poste, & les autres Chaises. On peut juger par ce grand nombre de Carosses, de l’affluence du monde dont les lieux destinez pour la danse devoient estre remplis, & il est mal aisé de s’imaginer que tout s’y soit passé sans confusion. On doit juger par le grand nombre de Masques qui se trouverent au Bal de l’agreable varieté que devoit produire aux yeux tant de Masques differens, les uns superbement vêtus, & les autres de quantitez de manieres differentes, & dont les habits bizarres, crotesques & de nouvelle invention attachoient les regards, de sorte que les yeux n’eurent pas moins de part à cette Feste, que les oreilles & le goust. Les fruits, les liqueurs & les confitures seches, y furent prodiguez, & ce qui doit paroistre hors de vray semblance à cause du prodigieux nombre de Masques ; personne ne se plaignit d’avoir manqué de quelque chose. Le bon ordre ne fut pas seulement observé dans les lieux où on dansoit ; il s’étendit plus loin. Les avenuës, les entrées, les cours & les issues étoient éclairées par un grand nombre de falots. Les Carosses dont je vous ay déja marqué le grand nombre, arrivant presque à la mesme heure, ne laissoient pas d’entrer avec facilité. Ils entroient par un costé, & sortoient par un autre, & ainsi le chemin & l’accés étoient toujours libres & dégagez. On ne peut exprimer jusqu’où alla la prévoyance de Monsieur le Duc du Maine, pour empescher que dans une si grande foule, quelque chose pust approcher du desordre & de la confusion. L’attention de Madame la Duchesse du Maine ne fut pas moindre pour faire danser tous les Masques à leur tour, & afin que toute l’Assemblée fut également satisfaite, ce qui réussit parfaitement à ce Prince & à cette Princesse.

Le Lundy, aprés quelques divertissemens où l’esprit eut beaucoup de part, la Comedie des Fâcheux fut representée ; Madame la Duchesse du Maine qui joüa un Rôle Comique dans cette Piece, ne se fit pas moins admirer qu’elle avoit fait dans le Rôle serieux qu’elle avoit joüé à Clagny, quelques jours auparavant, & dont je vous ay déja parlé. Cette Princesse y fit joüer Mlle de Beauval, Mr le Baron le pere & Mr de Rosely, qui ont quitté le Theatre, aprés s’y estre fait admirer. Le soupé fut servi aprés la Comedie, & il fut suivi d’un Bal particulier, où les personnes de cette Cour danserent seulement.

Tous les Masques furent encore reçus le lendemain dans ce lieu enchanté, & le bruit du bon ordre qu’on y avoit trouvé le Dimanche précedent, du plaisir qui avoient eu tous ceux qui avoient esté de la magnificence de la nombreuse Assemblée qui s’y étoit trouvée, & de l’accüeil qui luy avoit esté fait par Monsieur & par Madame la Duchesse du Maine, fut cause que tout Paris se mit en mouvement pour se rendre à Sceaux ce jour-là. En effet, le concours de Masques y fut beaucoup plus grand qu’il ne l’avoit esté le Dimanche, & l’on en doutera pas, lorsqu’on sçaura que l’on y compta prés de sept cent Carosses, & comme le temps ne permettoit pas d’y venir sans flambeaux, & que quantitez de ces Carosses estoient éclairez par deux ou trois chacun ; toute la Campagne depuis la sortie du Fauxbourg, jusqu’à Sceaux, estoit brillante de lumiere. Ce spectacle fut d’autant plus beau, que toutes ces lumieres firent briller les habits des Masques qui remplissoient les Carosses, & que ces Carosses formerent une espece de Cours éclairé par plusieurs rangs de lumieres. On peut juger par la magnificence de ce grand nombre de Masque, de la beauté dont l’Assemblée devoit estre composée, le brillant de tant de riches habits estant redoublé par les lumieres dont tous les appartemens de Sceaux estoient éclairez, & qui paroissoient doublées dans un grand nombre de glaces, aussi-bien que l’Assemblée. Enfin il estoit impossible de voir ailleurs un plus grand amas de riches étoffes, de pierreries & de lumieres, & l’on peut dire que c’estoit un enchantement. Cependant l’ordre qui fut observé ce jour là en estoit encore un plus grand, puisque l’Assemblée étoit beaucoup plus nombreuse que le Dimanche precedent. On peut juger par le grand nombre de personnes qui la composoient, & à qui la chaleur inévitable dans ces sortes d’occasions ; causoient une grande alteration, combien il falut d’Eaux pour rafraîchir tant de personnes échauffées, par la foule, par la pesanteur de leurs riches habits & par la quantité de lumieres. Cependant la grande abondance de toutes choses, & le bon ordre avec lequel les Eaux, les Liqueurs, les Fruits & les Confitures séches furent distribuées dans tous les lieux où l’on dansoit, dans tous les lieux où l’on passoit, & mesme en beaucoup d’autres destinez pour faire cette distribution, furent cause que l’on eut pas seulement le temps de souhaitter les choses dont on avoit besoin, & que chacun s’en retourna comblé de satisfaction & de plaisir, & en donnant mille loüanges au Prince & à la Princesse qui leur avoit procuré tant de si grands plaisirs, & dont ils avoient joüy sans aucune incommodité.

[Divertissemens de Paris pendant le Carnaval] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 288-289.

Ces divertissemens étoient la suite de ceux que l’on avoit pris à Paris pendant les six semaines du carnaval, & surtout pendant la derniere quinzaine, durant laquelle il y a eu plusieurs bals magnifiques ; ceux dont on a le plus parlé, & qui ont fait le plus de plaisir, ont été donnez par Mr le Marquis d’Etampes dans le Palais Royal, par Mrs les Envoyez de Mantouë & de Genes, & par Mr Mansart. On en a aussi donnez plusieurs qui ont été nommez Bals de jours, parce que l’on n’y a dansé que l’aprés-dînée. Celuy de ces bals qui a le plus brillé a été donné à l’Hôtel de Conty. Je n’entre dans aucun détail de tous ces divertissemens, & je ne nomme pas même tous les lieux où ils ont esté donnez, parce que cela me meneroit trop loin.

[Arrivée de Monsieur de Vendosme, reception faite à ce Prince à la Cour, & à la Ville] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 289-296.

Pendant que le Peuple prenoit les divertissemens de la saison, il vit arriver Monsieur de Vendosme, qui traversoit Paris, pour se rendre à Marly. À peine eût-on apperçu ce Prince à l’entrée du Fauxbourg, par lequel il arrivoit, que le Peuple se souvenant de sa longue absence, & que ce Prince luy avoit souvent donné occasion d’allumer des feux de joye, & de rendre graces à Dieu de ses Victoires, qu’il fit éclater des marques du plaisir qu’il recevoit. Ces signes d’allegresses furent non seulement continuez dans toutes les ruës de la Ville où ce Prince passa, mais aussi dans tout le chemin jusqu’à son arrivée dans le Château de Marly. Le Roy ayant sçu qu’il entroit dans l’Appartement où Sa Majesté étoit, se leva pour l’embrasser, & luy dit qu’Elle étoit bien aise de le revoir dans le même lieu où il avoit pris congé d’Elle il y avoit quatre ans, & qu’Elle sentoit autant de plaisir de le voir, que toute la Cour en avoit témoigné d’impatience. Le bruit de son arrivée se répandit aussitost dans les Sallons de Marly, où la Cour prenoit le divertissement de la Musique : elle fut interrompuë, Monseigneur le Dauphin s’étant levé pour embrasser ce Prince, & l’ayant entretenu pendant quelque temps. Je ne vous dis rien des complimens qu’il reçût de toute la Cour, vous pouvez aisément vous les imaginer. Il fut visité le lendemain dans son Appartement, par toutes les personnes de la plus haute distinction qui se trouvoient alors à Marly.

Plusieurs s’offrirent à le regaler, il accepta les offres de quelques-uns, & il fit l’honneur à Mr de Chamillart, d’aller le dernier jour du carnaval souper à sa maison de Lestang. Jugez de la satisfaction du Roy, de voir que tout se prepare pour achever de ruiner son plus irreconciliable ennemi, & que ceux qui doivent le plus contribuer à sa ruine sont si bien d’accord. Monsieur de Vendosme n’a point quitté Marly, tant que le Roy y a demeuré, & quand Sa Majesté est partie pour Versailles, ce Prince est allé à sa maison d’Anet, où il a esté visité par un grand nombre de Seigneurs qui n’étoient pas du dernier Marly, par tous les Officiers Generaux d’Italie qui sont icy ; & par tout ce qu’il y a de personnes de distinction dans la Province où le Château d’Anet est situé. Il a ensuite été passer quelques jours à Meudon, & il doit rester à Versailles pendant les 5 ou 6 jours, qui precederont son départ, qui doit être dans peu. Il y a lieu d’esperer de grandes choses aprés son retour en Italie, puisque ce Prince aura pris des leçons du Roy, qu’il a toujours parfaitement bien executez ses ordres, qu’il est infatigable, qu’il sçait à fond le métier dont il se mêle, qu’il connoist le pays où il doit agir, & qu’il est aimé des troupes qui seront toujours prestes à luy obéïr, à le suivre par tout, & à exposer leur vies sous ses ordres pour le service d’un Roy, qui fait plus pour elles qu’aucun Monarque n’a jamais fait, & qui voyent des retraites assurées pour ceux qui deviendront invalides. Mr de Vendosme, en quittant l’Italie, avoit laissé une grande consternation dans le Mantoüan, & dans la Lombardie, & l’on peut même dire que tous les sujets que le Roy d’Espagne a en Italie, étoient fâchez de son départ ; mais sa présence va dans peu redonner le calme à tous ceux qui la souhaitoient avec tant d’ardeur.

Madrigal §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 345-346.

Rien ne peut mieux suivre la Relation que vous venez lire, que le Madrigal que vous allez lire.

MADRIGAL.

Roze, reconnois tu celui qui te délivre ?
Tu le vis, quand son pere ardent à te poursuivre
Soumit ton fier orgueil à l’éclat de nos lys.
***
Aujourd’huy cet illustre fils,
Que par un beau sentier la valeur sçait conduire,
T’arrache aux Leopards venus pour te détruire.
***
Son jeune bras, armé d’un redoutable fer,
En exterminera le reste sur la terre :
Et si l’Onde en vomit de nouveaux pour la guerre,
Le fils du plus Grand Roy les noira dans la mer.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], 1706, p. 369-372.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit le Curredent, ceux qui l’ont deviné sont,

Mrs Favereau, de l’Extraordinaire des Guerres : Barrot : Telleim Cormio : Sivray-Defiltz : Jarlan, Sindic des Religieuses de la Magdelaine de Toulouse, l’Avocat aux Gardes de l’Isle Nostre-Dame : Maillard, grand Expeditionnaire de Nottes : Ganyat, Chevalier du Parnasse : Mlles Dabillon de la ruë du Plâtre : Goubert la Cadette : Fortin : Feloix & Moizet : la petite Manette de Chartres : l’agreable Janneton & son petit Poulot : la blonde Catin de chez Mr de Bretaucourt : la Melancolique Teria-d’Orbais : l’Agreable dans les Compagnies : l’Amant secret des deux Pilliers d’or de la ruë S. Jacques : Tamiriste le soûpirant malheureux : la famille des vigilans de la ruë Saint Severin : la jeune Muse renaissante : l’amoureuse du Clavessin : la bergere Climene & son berger Tircis : la grande Sœur & la Picarde de la rue des vieilles Etuves : la belle Fileuse de la rue de Mousy : la brillante Desenclos de la rue des Prouvaires : le Rosier Clerc & la charmante Olive de la rue Guisarde : l’aimable aux cheveux dorez & teint blanc de la rue de Gesvres : la jolie Fanatique : la jeune & belle Agnés.

Je vous envoye une Enigme nouvelle, elle est d’un homme qui n’a jamais fait de Vers, & qui trouvant toutes les Enigmes trop faciles, s’est hasardé de rimer pour faire une Enigme qu’il croit beaucoup plus obscure que toutes celles qui ont paru jusqu’à present. Vous en jugerez.

ENIGME

Tortu, vilain, cornu, quand je sort lentement.
D’âge innocent souvent je fais l’amusement.
Je ne suis ny poisson, chair, ny fruit, mais sur table.
L’on me sert quelques fois comme un mets souhaitable.
***
Dans la belle saison je porte mon château.
Dont pendant les frimats j’avois fait mon tombeau.
Marchant sans pieds, grimpant, sans mains & sans échelle.
Pour à Pomone faire une guerre cruelle.
***
Je desole Bacchus, mais pour mon châtiment.
Sous les ruines enfin de mon propre édifice.
Je me vois accablé malencontreusement.
Par hazard, ou caprice, ou vengeance, ou justice.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 372-373.

La Chanson que je vous Envoye est de saison, puisque nous verrons bientost paroistre le Printemps. Elle est de la composition de Mr Diereville.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Depuis que le Printemps raméne aux Champs Lisette, doit regarder la page 373.
Depuis que le Printemps rameine aux champs Lizette,
Pour faire paître ses Agneaux,
Ses yeux me paroissent si beaux
Qu’ils causent dans mon cœur une flame secrette :
Elle fait tout mon entretien ;
A mes pauvres Moutons je deviens Infidele,
Je quitte mon troupeau pour prendre garde au sien,
Et je ne sçay d’où vient ce zele.
Ah ! qu’à la fin je pourois bien
M’oublier moy même pour elle.
images/1706-02_372.JPG

[Article tiré du Journal de Soleure] §

Mercure galant, février 1706 [tome 2], p. 399-400.

Le Pere Hugo a pris congé du Public dans le Journal de Soleure du mois de Decembre dernier. Il lit, que n’ayant entrepris son Journal que pour irriter l’amour des belles Lettres, il l’abandonne pour calmer la colere des Ecrivains, genus irritabile vatum, & que puisqu’il n’a pas encore appris à dissimuler ; il va se condamner à se taire : & il dit que son silence le rendra tout entier à des occupations plus serieuses & qu’il rendra peut-estre le calme à sa retraite. Je suis, Madame, vostre, &c.

À Paris ce 2. Mars 1706.