1706

Mercure galant, avril 1706 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1706 [tome 4].
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Mercure galant, avril 1706 [tome 4]. §

[Prélude] §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 5-7.

Les paroles qui suivent, regardant un Monarque, dont je n’ay point cessé de vous parler, depuis trente ans, à la teste de toutes mes lettres historiques ; elles peuvent servir de Prelude à celle que je vous envoye aujourd’huy.

Ennemis, que l’envie, unit tous à la fois,
Contre Louis le Grand, seul defenseur des Rois,
Voyez s’évanouir par ses armes heureuses,
De vos vastes desseins, les chimeres pompeuses,
Qu’a produit jusqu’icy ce redoutable amas,
De guerriers assemblés, de cent divers climats.
Sinon qu’à rehausser le lustre de sa gloire,
Et qu’à rendre son nam immortel dans l’histoire, bis.

Vous devinez bien que ces paroles sont de Mr de Mets, de la Fleche en Anjou ; puisque toutes les paroles de cette nature que je vous envoye, sont de sa composition.

[Lettre du Pere Hugo, à Mr l’Abbé de la Luzerne, avec un Prelude touchant cette Lettre] §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 77-106.

Quoyque la reponse du Pere Hugo, à Mr l’Abbé de la Luzerne, soit parfaitement belle, je ne vous l’envoyerois neanmoins pas, si je ne vous avois fait part de ce que cet Abbé a écrit contre ce Pere ; mais il ne seroit pas juste de refuser à l’un, ce que j’ay accordé à l’autre, & de ne pas parler de la deffence, aprés avoir parlé de l’attaque. Cependant la reponse du Pere Hugo, étant fort longue, & trop remplie de Latin ne convient point à mes Lettres, & c’est le dernier ouvrage de cette nature, que j’y mêlleray : l’abondance de Latin dans un ouvrage estant entierement contre les regles que je me suis prescrites. Je ne laisseray pas de vous envoyer tous les mois, plusieurs articles d’érudition, pour continuer à vous donner des nouvelles de l’Etat de l’Empire des Lettres.

Je vous ay déja dit que je ne prens aucune part, dans les querelles des Sçavants, que je suis persuadé, que les manieres un peu trop vives que l’on trouve quelquefois dans leurs écrits, ne sont que pour apuier leurs sentimens avec plus de force, & que les démêlez de leur esprit ne passent point jusqu’à leur cœur.

LETTRE DU PERE HUGO,
À Monsieur l’Abbé
DE LA LUZERNE.

Enfin, Monsieur, vous voilà démasqué, & vous voilà reconnu pour l’Auteur des Pieuses Fables, cet écrit plein de delicatesse, où l’on trouve par tout une solide érudition, soûtenuë par des traits vifs & brillans ; de cet écrit dis-je, qui a fait pendant quelques mois, les delices des gens de Lettres. Auoüez-le, Monsieur, la qualité d’Auteur anonyme, vous a paru trop obscure, & vostre amour propre estoit blessé, en ce que vous ne pouviez adopter les loüanges qu’on donnoit de toutes parts à ce petit ouvrage ; il est bien dédommagé à present, puisque vous voila en pleine possession de la gloire acquise à l’Auteur de cet ingenieux écrit. Je n’entreprens point de vous la disputer, je sens, comme un autre, le prix des bonnes choses ; mais je veux seulement examiner quelques points d’Histoire, sur lesquels je crains fort que vos lumieres, ne vous ayent trahi. Je le feray avec la moderation dont vous m’avez donné l’exemple, dans la Lettre adressée à Mr de la Moutonniere, ou dans les Pieuses Fables ; car c’est la même piece & l’on ne trouve rien de nouveau dans la premiere, que l’envie que vous avez eu de vous faire connoistre. Vous trouverez donc bon, Monsieur, que puisque vous avez levé le masque, je le leve aussi ; & que puisque vous vous estes fait connoistre pour l’Auteur des Pieuses Fables, je me fasse connoistre pour celuy de la Lettre, adressée à Mr l’Abbé de Lorcot. Je ne prendray de cette derniere, que les faits, j’en abandonneray le stile qui convenoit à un Ecrivain Anonyme, & qui s’envelopoit dans ses tenebres, pour en prendre un autre qui convienne à un Confrere dont j’ai toûjours honoré la vertu & le merite. J’entre en matiere.

Vous vous élevez d’abord contre moy, Monsieur, en m’accusant d’avoir osé le premier combattre l’apparition de la Sainte Vierge à Saint Norbert : ce qui sans doute, dites-vous, m’a attiré de la part de mes Superieurs, le refus de leur approbation qui manque à mon livre, & sans quoy il ne devoit pas estre imprimé, selon les regles du Concile de Trente. Vostre zele vous a emporté en cette occasion, & je crains fort que vostre esprit n’en ait esté la dupe ; car sans cela, ignoreriez vous que longtemps avant moy, Erasme a condamné cette vision, & que les Jesuites Continuateurs de Bollandus, l’ont traité d’apocrife. Ces auteurs vous sont peut-estre inconnus, ou bien vous n’avez pas cru que le dessein de critiquer l’Histoire de Saint Norbert, vous mit dans l’obligation de les lire. Cela supposé, je ne dois pas vous imputer l’ignorance où vous paroissez de ces auteurs, presque nos Contemporains. À l’égard du refus que vous assurez, avec beaucoup de fermeté, qu’on m’a fait de la permission d’imprimer mon Histoire, je vous repondray, en deux mots, que je l’ay euë verbalement dans le Chapitre seant à Verdun, où je presentay le manuscrit de mon ouvrage, & que je l’ay euë, à condition que je le ferois approuver par des Docteurs ; j’ay satisfait à la condition, & j’y ay satisfait abondament, puisque non-seulement des Docteurs1 de l’Ordre & des Etrangers, mais aussi un Evesque2 autant recommandable par sa Doctrine, que par sa pieté, ont approuvé mon Livre avec éloge. Peut-estre, Monsieur, que si vostre écrit avoit passé sous les yeux de ces Examinateurs sages & éclairez, il n’auroit pas eu le mesme sort, & qu’il en seroit sorti chargé de flétrissures. Que si je n’ay pas fait imprimer la permission des Superieurs, c’est qu’ils ne m’y ont pas obligez, n’ayant pas cru eux-mesmes estre obligez, par le devoir de leur ministere, & pour obéïr aux regles du Concile de Trente, de me la donner par écrit ; si regulares fuerint, dit le Concile sess. 4. ultra examinationem & probationem hujusmodi, licentiam quoque à suis Superioribus impetrare teneantur.

Le Pere Hugo, continuez-vous, n’est pourtant pas si ennemi des Apparitions, qu’il n’en admette dans cette Histoire, mesme à l’endroit de Saint Norbert ; telles sont l’Apparition de Saint Augustin & de Jesus-Christ ; il auroit pû encore ajoûter celle de Saint Gereon à Cologne. Or, dites-vous, pourquoy plûtost admettre ces deux Apparitions, que celles de la Sainte Vierge, puisque tous les Historiens, tant anciens que modernes, ont également parlé des unes comme des autres.

Qui ne croiroit, Monsieur, à vous entendre, que vous m’allez accabler d’une foule de passages tirez des Manuscrits & des Autographes de l’Histoire de Saint Norbert ; cependant toute cette fiere confiance, se resout en vapeurs, puisque si l’on vous demande quelques Exemplaires anciens, qui déposent cette vision, vous ne pourrez en produire un seul, non pas mesme aucune Histoire imprimée, sur des originaux avouez. Lisez, Monsieur, la vie de Saint Norbert, composée par Hertoge, sur plus de vingt Manuscrits tirez de differentes Abbaïes ; je passe condamnation, s’il y en a un où l’Apparition de la Sainte Vierge soit rapportée. Il n’en est pas de même des deux autres visions ; elles sont inserées ou dans la Chronique de Capenberg, ou dans l’Histoire de Saint Norbert, ou dans l’Histoire de Herman de Tournay ; trois pieces d’une autorité reconnuë, & l’Ouvrage des Disciples, ou des Contemporains de Saint Norbert.

N’est-il pas, aprés cela, surprenant de voir le paralelle que vous faites de faits si differens ? Ne l’est-il pas encore bien davantage de vous entendre revoquer en doute le don qu’Henry V. fit à Saint Norbert, de la Charge d’Aumônier, & traiter de Fable, le voyage qu’il fit avec cet Empereur en Italie, au commencement du douziéme siécle.

Oserai-je vous le dire, Monsieur, il faut estre dans une longue habitude d’en imposer, pour le faire si publiquement à mon égard. Lisez Herman de Tournay (T. 12. Spicil. pag. 448.) vous y apprendrez, que Saint Norbert accompagnoit Henry V. en qualité d’Aumônier dans le voyage que ce Prince fit à Rome ; jettez les yeux sur la Chronique de l’Abbé d’Ursperg, vous y verrez que l’Empereur se fit suivre par les Aumôniers, qui estoient alors les plus sçavans hommes qu’il y eut en Allemagne, parce que ce Prince sçavoit que la sagesse, plûtost que la force des armes, déterminoit les Romains. Non tam armis quam sapientiâ gubernari. Lisez enfin la Chronique d’Obern-cel, vous y verrez, que Norbert & David, Ecossois d’origine, tous deux Aumôniers du Roy Henry, assisterent à la Diette de Ratisbone ; & que, comme personnes capables de soutenir les interests de leur Prince, ils furent choisis pour le suivre à Rome. Ad erant, dit la Chronique, in Ratisbonensi congressu Norbertus & David Scotigena, Ambo Henrici Regis capellani, Ambo scientia famosi, qui ad comitatum Regis versùs Romam delecti sunt. Si les avantages que la qualité d’Aumônier donnoit à Saint Norbert, vous font quelque peine, vous pouvez, Monsieur, vous instruire des droits & des prerogatives attachées à cette dignité, dans le Glossaire de Monsieur Ducange, dans la Diplomatique du Pere Mabillon, & dans le Traité Historique des Aumôniers de France.

Aprés avoir étalé cette vaine critique & que, comme vous voyez, je n’ay pas eu beaucoup de peine à détruire, vous m’attaquez, sur ce que j’ay dit, aux pages 7. & 8. de mon Histoire, que l’Empereur Henry fit descendre le Pape de son Trône3, qu’il luy arracha la Mitre de dessus la tête ; & que l’ayant livré aux insultes des Soldats, il le fit renfermer dans une maison, sous une garde militaire dont il commit le soin à Ulric Patriarche d’Aquilée. Ce n’est là, dites-vous, qu’un conte, n’en seroit-ce point plûtost un, d’avancer, comme vous faites, que les Romains poussez à la vengeance, par les Cardinaux de Frescati & d’Ostie, tuerent tous les Allemans, qu’ils trouverent dans Rome. Enfin, c’est selon vous, un conte, que le compliment que je mets à la bouche de Norbert, grand Aumônier de l’Empereur. Quel est l’homme de bon sens, dites-vous, qui n’estimat plus convenable au Ministre de se taire dans une telle conjoncture, que de parler pour condamner son Prince ? Ce sera faire grace au Pere Hugo, de mettre ces lieux communs de Rhetorique parmi les fables & les fictions de son Histoire. Il en faut dire autant de la fondation du Monastere de Uvrstembergs, Ordre de Saint Benoist, qu’il attribuë à Saint Norbert page 14. Non, Monsieur, je ne vous demande aucune grace, mais aussi permettez-moy de rire, en parcourant les divers chefs que vous m’imputez dans vostre lettre ; c’est le seul parti que j’ay à prendre, car vous ne me conseilleriez pas de m’en fâcher. Si j’osois, je vous comparerois en cette occasion à ce conteur Radoteux, qui blasphemoit contre tout ce qu’il ignoroit, quod ea quæ ignorant, blasphemant ; mais je m’abstiendray avec soin de tout terme & de toute comparaison fâcheuse, & je vous diray le plus modestement que je pourray, que vous ne pouvez pas ignorer les faits que vous traitez de Fables ; j’avois cotté aux marges de mon Histoire, des garans de tout ce que j’avançois, il ne tenoit qu’à vous de les consulter, & ne le deviez-vous pas faire, avant de crier à la supposition. Est-ce donc simplement pour écrire que vous m’attaquez ? Vous aviez assez d’autres sujets à traiter. Est-ce pour amuser le public par vos ingenieux écrits ? Je n’oserois le presumer de vous, vous avez trop de lumieres pour vous exposer vous même par une telle conduite, à la censure de ce public. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il n’y eut jamais de faits plus constans, que ceux que j’ay avancez.

Les paroles de l’Abbé Suger4, dans la Vie de Loüis le Gros, en font foy : Præfatus autem, dit cet Abbé, Imperator pessimus conscientiæ … Dominum videlicet Papam, & cunctos quos posuit, Cardinales & Episcopos adducens …. Cardinales ipsos turpiter exulens, in honestè tractavit, & quod dictu nefas est, ipsum etiam Dominum Papam, tam pluviali quam Mitrâ, cum quæcunque defert insignia Apostolatus … superbè spoliavit. T. 4. Hist. Franc. script. 290. Voilà comme l’Empereur arracha la Mitre & la Chape à Pascal. Pierre5 Diacre du Mont Cassin, raconte comment ce Prince, aprés avoir entendu la Messe, obligea le Souverain Pontif de descendre de son Trône : Post Missam ex Cathedra descendere compulsus Pontifex, deorsum ante confessionem 6. Petri cum fratribus sedit, ibique usque ad noctis tenebras sub armatis militibus est custoditus. Chronic. 1. C. 40. À l’égard de la commission d’Ulric Patriarche d’Aquilée, Othon6 Evesque de Frisinguen la rapporte en ces termes. Ipse autem (Henricus) præfatum Pontificem Concilio quorumdam sceleratorum, cum magna tamen reverentia captivavit, ac Ulrico Aquileensium Patriarchæ custodiendum commisit. L. 7. C. 14. Sur la nouvelle de l’emprisonnement de Pascal, les Cardinaux d’Ostie & de Frescati, animerent le peuple à la vengeance de leurs Pasteurs, dit Pierre Diacre, qui est ici mon garant. Ad-veniente nocte, Joannes Episcopus Tusculanus, (auquel il joint dans le Chap. 40. Leon d’Ostie) omnem Romanum populum advocans, ita loqui cœpit … quo circa rogamus affectuquo possumus, pereclitanti succurratis, & ad ulciscendam matris injuriam, jam toto animo, totis viribus incumbatis … hac oratione Romani vehementer animati … tantus eorum animos tumultus & dolor indignatioque pervasit, ut protinùs Allemannos omnes qui vel orationis causâ, vel alterius cujuscumque negotii, urbem fuerant ingressi, necarent. Chronic. L. 4. C. 41.

Si tous ces Historiens sont des conteurs de fables : j’avouë de bonne foy que le détail du mauvais traitement fait au Pape, est une pure fiction : c’est à vous, Monsieur, à faire le procés à ces auteurs ; quand vous les aurez convaincu d’imposture, vous serez en droit de supprimer cet évenement, mais vous aurez toûjours eu tort d’avancer, comme vous avez fait, que le détail de l’emprisonnement du Pontife Paschal, est une narration sans preuve.

Le compliment que S. Norbert fit à ce Souverain Pontife, n’est pas plus une fiction que les autres circonstances, qu’il vous a plû de qualifier de Fables. Herman, Abbé de saint Martin de Tournay, qui fleurissoit au commencement du douziéme siecle, & qui pendant le sejour qu’il avoit fait à Laon, avoit appris des Disciples de S. Norbert, les circonstances de la vie de ce Saint, merite d’être crû sur sa parole : Quidam Clericus, dit cet Abbé, nomine Norbertus, qui in eadem captione capellanus Imperatoris fuerat, videns tantam nequitiam Domini sui Regis, pœnitentiâ ductus, pedibus Domini Papæ se prostravit, & absolutione ab ea susceptâ sæcularem vitam relinquens, &c. Spicileg. T. 12. p. 448. Ce compliment, Monsieur, vous incommode, & vous dites qu’il étoit plus convenable à un Ministre de se taire, que de parler pour condamner son Prince. Un Critique moins politique, ou d’une morale plus severe, auroit admiré la force de la grace, dans la conduite de nostre Courtisan ; il auroit loüé cette liberté Evangelique qu’il se donnoit ; mais vous, Monsieur, qui reglez dans cette occasion, les opperations du S. Esprit, (permettez moy de le dire) sur les sentimens de la nature corrompuë, vous accusez nostre saint Patriarche d’avoir peché contre le sens commun, en parlant contre la dureté & la barbarie de son Prince. Vous n’aviez, pour consommer l’idolâtrie, qu’à soutenir que S. Norbert devoit, par ses flateries, canoniser l’injurieuse entreprise de son Souverain ; & n’est-il pas fâcheux que ce Saint, & Conrad, Evêque de Saltzbourg n’ayent pas esté instruits dans vôtre école, & que vous n’ayez pû leur donner des leçons de Politique ! le premier n’auroit pas peché contre le bon sens ; & le second n’auroit pas, comme un insensé, couru plusieurs fois le hazard de perdre la vie, par la liberté Chrestienne, qu’il se donnoit. Conradus Episcopus, juvaniensis, dit Othon de Frinsinguen, qui cum rege venerat, zelo æquitatis vicem Dei dolens, factum hoc improbavit : cuidum quidam ex Ministris Regis Henricus cognomento caput, evaginato gladio mortem interminaretur, tanquam pro justitia mori optans, jugulam præbuit. L. 7. c. 14.

Il me reste tant de matiere & cet ouvrage est si long, que je suis obligé d’en remettre la suite au mois prochain, sans quoy je serois obligé de reculer plusieurs Articles, & sur tout de ceux qui regardent les affaires du temps, & qui perdroient beaucoup, en perdant la grace de la nouveauté.

[Mort de Philippes Bardin, Conseiller au Conseil Souverain de Nancy]* §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 124-128.

Mre Philippes Bardin, Conseiller au Conseil Souverain de Nancy, est mort regretté de tous ceux qui le connoissoient. Il étoit allié aux meilleures Maisons de Nancy. Mr Bardin étoit l’un des plus grands Jurisconsultes de Lorraine ; & ayant passé les premieres années de sa vie dans l’étude de la Jurisprudence, il avoit fait des Recüeils & des Notes, sur les principales difficultez du Droit Civil ; & il a donné pendant le cours de sa vie, de frequentes marques de son intelligence dans des affaires épineuses, qui avoient passé par ses mains. Ce Magistrat ne s’étoit pas borné à l’étude du Droit, il s’étoit aussi fort attaché à celle des belles Lettres, où il avoit fait des progrés surprenans : Il sçavoit parfaitement l’Histoire, & tout ce qu’il y a de plus recherché dans l’antiquité. Il avoit fait plusieurs Memoires sur l’ancienne Histoire de Lorraine, & sur la moderne, & principalement sur le Regne de Charles V. pere de Mr le Duc de Lorraine d’aujourd’huy. On a imprimé la plus grande partie de ses Memoires, & il est à souhaitter qu’on donne incessamment le reste au Public. Mr Bardin avoit resolu de donner les Fastes du Regne de Mr le Duc de Lorraine d’aujourd’huy, il avoit même rassemblé, pour ce sujet, quantité de Materiaux dont il alloit faire part au Public, lorsqu’il est mort. Ce Magistrat s’étoit attaché à la Poësie, dans ses heures de loisir, & il avoit fait de tres-bonnes pieces, dans ce genre ; il avoit décrit en Vers, l’Entrée de Mr le Duc de Lorraine dans ses Etats, & une partie des Victoires du feu Duc Charles V. & on peut juger par les pieces qui ont paru, de sa façon, qu’il avoit un genie fort naturel pour la Poësie. Le Pere Hommey, Augustin de Nancy, ami de feu Mr Bardin, justifie tout ce que je viens de dire, à la loüange de ce Magistrat, dans l’Epitaphe en Vers, qu’il a fait de ce sçavant Jurisconsulte.

[Histoire de la Poësie Françoise] §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 136-149.

Sa Majesté Catholique a donné une place de Conseiller dans le Conseil de Castille, à Don Juan Chrysostomo de la Pradilla : une place dans le Conseil des Ordres, à Don Pedro Antonio de Medrano, & la Regence de Navarre, à Don Joseph Hualte, Inquisiteur de Barcelonne. Sa Majesté a aussi donné, à Don Feliciano de Bracamonte, le Regiment de Cavalerie du Marquis de Val-de-Fuentes ; & celuy de Brabant, à Don Diego de Cardenas, qu’il a fait Brigadier. Le Maréchal de Camp, Don Joseph de Armendariz, qui commandoit au blocus de Gibraltar, a esté fait Major des Gardes. Don Juan Chrysostomo de la Pradilla, est d’une maison fort distinguée, par sa Noblesse & par ses services. Un Seigneur de cette Maison se distingua beaucoup dans les guerres de Grenade, sous les Rois Ferdinand, & Isabelle, & pendant le Ministere du Cardinal Ximenés. Don Pedro Antonio de Medrano, a donné, dans tous les Emplois où il a passé, des preuves d’une haute capacité ; & sous le Regne precedent, il fut employé en d’importantes affaires. Don Joseph Hualte s’est acquis beaucoup d’estime dans l’exercice de la Charge d’Inquisiteur de Barcelonne ; & c’est ce qui a déterminé Sa Majesté Catholique, à luy confier la Regence de Navarre. Le nouveau Colonel, Don Feliciano de Bracamonte, est connu en Espagne, par le nom qu’il porte, qui est tres-considerable, & le Regiment qu’il vient de recevoir est une recompense de ses longs services. Don Diego de Cardenas, qui est aussi d’une naissance distinguée, a esté doublement recompensé de ses services : Il se signala à la bataille de Luzzara, & le Roy d’Espagne s’en est souvenu. Don Joseph de Armendariz est dans le service, il y a plus de vingt ans : Il a fait ses premieres Campagnes, en Hongrie.

Mr l’Abbé Mervesin, déja connu par plusieurs Ouvrages sortis de sa plume, vient d’en donner un au Public, qui est estimé de tous les Gens de bon goût. C’est l’Histoire de la Poësie Françoise, qui se vend chez le sieur Giffart, ruë S. Jacques. L’Auteur, aprés avoir décrit les commencemens de cet Art divin, (selon le langage de ceux qui s’y attachent,) en place l’origine en France, sous les Rois de la premiere race. On vit à leur Cour, les Fatistes, qui faisoient chanter leurs petits Ouvrages, à des Chœurs, accompagnez de danses. Les Fatistes furent dans la suite les seuls Poëtes qui paroissoient en France, sous le Regne de Charlemagne, & dans une Cour qui commençoit à se défaire de cet air de Barbarie, qu’on y avoit remarqué sous la race Merovingienne. Les Troubadours, parurent deux cens ans aprés, sous Remond Beranger, Comte de Barcelonne, & qui le devint de Provence, en épousant la fille du dernier Roy d’Arles. Mr Mervesin les reconnoist, non pas tout à fait, comme les Auteurs de la Rime, mais comme ceux, qui en ont reglé l’usage, & qui l’ont fixé. Ce furent les Troubadours, qui reveillerent en France, le goût des Muses, ou plûtost, qui exciterent les beaux esprits à les cultiver. On vit sous Philippes Auguste, quantité de Vers rimez : Sous Loüis VIII. son fils, Elinand de Beauvoisis, se distingua par son amour pour la Poësie, & par la faveur qu’il procura aux Poëtes auprés de ce Monarque. Les Picards furent les premiers, qui profiterent du commerce des Troubadours ; on auroit peine à le croire, si Mr Mervesin ne nous l’assuroit. Ils apprirent d’eux, à faire des Chansons, & des Siruantes. Je ne sçay si les Neveux de ces premiers Picards, ont esté assez heureux pour heriter de ce talent. C’est dans ce temps-là, que Thibaut, Comte de Champagne, soupiroit pour Blanche de Castille : Les Chansons & les Vers, voltigeoient de la Cour de Champagne, à celle de France ; car, ainsi que plusieurs autres, l’Amour avoit fait devenir Poëte, le Comte de Champagne. On vit en France, sous Philippe le Hardy, des Maistres de Rime & de Versification. Ils n’apprenoient pas à penser, dit nôtre Auteur, mais à bien exprimer une pensée. Cela donne lieu à une exclamation ingenieuse, qu’il faut voir dans le Livre même. Heliodore d’Emesse, paroist sur les rangs, avec son Roman de Theagene, & de Chariclée, qu’il prefera à l’Episcopat. C’est le premier Ouvrage de cette espece, qui a esté fait avec quelque ordre, & il est devenu le modele de tous les Faiseurs de Romans, qui ont parus, aprés la fin du quatorziéme siecle. Le Sonnet, doit l’état où il se trouve à present, au Poëte du Bellay, qui luy donna de justes regles ; & on doit remarquer, que, quoique le nom de Sonnet ne fut pas inconnu sous les Regnes precedens ; & même, sous celui de S. Loüis, ce n’étoit pourtant alors qu’une Chanson. On reprocha à Ronsard, qui parut en même-temps que du Bellay, que sa Muse estoit trop fastueuse : il s’étoit imposé une Loy, d’imiter Pindare ; & c’est de là, que nostre Auteur nous aprend qu’on dit que quelqu’un Pindarise, quand il se sert d’un style trop recherché. Je viens enfin à ce que dit l’Auteur de feu Mr Corneille, & de la persecution que sa Tragedie du Cid, luy attira. Il se separa, pour la composer, de ses quatre Confreres, avec qui il travailloit en commun, par ordre de Mr le Cardinal de Richelieu. Ce Ministre, soit qu’il fut fâché de n’avoir aucune part à cette Piece, soit qu’il fut mortifié de ce qu’elle effaçoit toutes celles, qui avoient esté composées par ses ordres, l’abandonna à la Critique de ceux, qui cherchoient à luy plaire, comme de ceux qui étoient jaloux de la reputation de Mr de Corneille. Mr de Scudery se distingua, dans la foule des Critiques, & malgré les efforts qu’il fit, pour trouver des défauts à cette excellente Piece ; le Public, dit fort spirituellement, nostre Auteur, s’obstina de croire, que ce qui plaist, est dans les regles. On trouve ensuite, l’Histoire de la Comedie du Tartuffe : Cet endroit n’est pas le moins interessant du Livre. Il est suivi de celuy des Chansons, qui est fort détaillé. Desportes, à qui l’Amiral de Joyeuse, donna une Abbaye de trois mille livres de rente, pour un Sonnet, & Bertaud, Evesque de Séez, excellerent des premiers, dans l’Art de faire des Chansons. Lingendes, Chauvigny, de Blot, & plusieurs autres, les imiterent ; & cette maniere de Poësie, est si fort devenuë du goût des François, que dés qu’il leur arrive quelque chose d’éclatant, soit en bien, soit en mal, que la Renommée prend soin de publier, ils ne manquent jamais de faire des chansons, sur ces évenemens, ce qui est cause, que lorsque l’on apprend quelque chose de cette nature à Monsieur le Grand Duc, il demande aussi-tost la Canzone. Le grand succés que le Poëme Epique a eu en France, est un des endroits de cet Ouvrage, qui interesse le plus. On y voit passer feu Mr Chapelain en reveuë, & l’on y rouvre toutes ses playes.

Je dois ajouter icy, que Mr l’Abbé Massieux, dont on anonça il y a quelques mois un Ouvrage pareil, se voyant prevenu par la diligence de Mr Mervesin, a changé de plan, & qu’il va donner l’origine de la Poësie Françoise. Il doit se hâter afin de n’être pas prévenu, une seconde fois.

[Fragments d’Histoire & de Litterature] §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 149-155.

Il paroist depuis peu un livre qui commence à faire du bruit. Il a pour titre Fragmens d’Histoire & de Litterature, & le titre porte à la Haye, chez Adrien Moëtiens. 1706. p. 244. Il est dans le goust des livres dont les titres in ana ont fait beaucoup de bruit ; mais les pieces qu’il contient, y sont plus étenduës. Il y en a de plusieurs caracteres : L’Auteur commence par un Article de la Reine Elisabeth d’Autriche, épouse de Charles IX. de laquelle il nous apprend diverses particularitez assez peu connuës, & fait voir que cette Princesse, a fait plusieurs livres ; ce qui avoit esté ignoré jusqu’à present. Une longue dissertation sur le Systeme des Atomes suit cet Article. Cette seconde piece est tres belle, & remplie de faits bien recherchés. L’Auteur ne croit pas que Leucippe ait esté l’inventeur, de ce Systeme, il l’attribuë à Moschus, Philosophe Phenicien. On trouve à la 14. page un détail fort interessant de la procedure, qui fut faite contre Abeilard, au Concile de Sens, à la poursuite de saint Bernard. L’Auteur paroist assez favorable à Abeilard. Ce qu’il dit de Berenger de Poitiers, Apologiste de ce fameux Dialecticien, est tres curieux. On trouve dans le cours de l’ouvrage, une belle Dissertation sur les sortileges, au sujet de la possession des Religieuses de Loudun, & une autre qui n’est pas moins belle, sur les Miracles. L’Auteur fait voir, que le Sauveur prend pour un motif certain de la Foy de ses Disciples, la verité de ses Miracles. Ce que l’on trouve sur l’Atheisme, sur la Religion & sur l’examen particulier, qui est le fondement du Protestantisme, est tres-sçavant. L’Auteur fait voir, que c’est une grande illusion, que cet examen, de même que ce jugement prétendu des Réformez, sur l’infaillibilité du Tribunal de l’Eglise, & en general sur tout autre point de Foy.

On trouve à la fin un jugement sur Tacite, qui est bien digne de la curiosité du Lecteur. En voicy un trait qui fera juger des autres. L’Histoire de Tacite, est l’image de la conduite de toutes les Cours, & son Ouvrage contient de certaines maximes, qui sont presque devenuës un mal necessaire, puisque ceux qui les condamnent hautement, n’étant que simples particuliers, en sont toujours rigides observateurs, quand ils sont élevez au Ministere. Tous les siecles, continuë nostre Auteur, ne nous fournissent que trop, de preuves de cette verité.

Le Jugement de Tacite est precedé d’une belle Dissertation sur l’ancienne coûtume de tirer au sort, un Roy de la fêve, la veille de l’Epiphanie. On voit d’abord l’extrait de l’Ouvrage que Mr Deslyons, Doyen de Senlis, composa, pour condamner cet usage ; ensuite l’extrait de la réponse que fit Mr Barthelemy, Avocat de Senlis, pour défendre cet usage, & enfin un jugement qui est de main de Maistre, sur l’écrit que Mr de Bourges publia, contre cet usage qu’il condamnoit hautement.

Extrait d’une Lettre de Mr Cedchile, du Camp de Camjunka, du 18. Fevrier 1706 §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 318-320.

EXTRAIT
D’une Lettre de Mr Cedchile, du Camp de Camjunka, du 18. Fevrier 1706.

Ma derniere estoit du 30. Janvier. Je vous y rapportay succinctement, les avantages que le Roy avoit remporté sur les Ennemis, pendant nostre marche, & au passage de Niemen, mais je doute fort que cette Lettre, vous ait esté renduë, l’ayant envoyée par la route de Varsovie. L’Ennemy a eu du pire, en plusieurs rencontres, & Sa Majesté se trouvant à l’heure qu’il est, entre Grodno, & Vilna, elle a coupé leurs forces, qui ne sçauroient se rejoindre, sans en venir aux mains avec nous. Nous avons fait plusieurs courses heureuses. Un petit parti de Valaques a esté jusques sous Tiscokzin, & en a ramené des prisonniers. Le Maréchal de Camp Mejerfels a pensé surprendre un Regiment de Dragons Moscovites à Indaca, dont il en a tué plus de cent, & ramené soixante-dix prisonniers, entre lesquels il y a quelques Officiers d’assez bonne mine. Le Palatin Potocki a fait une course jusqu’à Olita, où il a surpris le General Sinitsky, qui a eu de la peine à se sauver luy-même ; l’on y a pris 15. Drapeaux, quelques paires de Timbales, tout le Bagage, où l’on a trouvé 20000. écus d’argent comptant, & la vaisselle d’argent du General. On a tué des Ennemis, plus de mille, & fait quantité de prisonniers. Le Pisars Potocki a ramené le butin au Camp, pendant que le Palatin avec le Staroste Sapieha sont allez faire une autre tentative.

[Détail de tout ce qui s’est passé à l’ouverture d’après Pâques] §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 334-343.

Le Mécredy 14 Avril, l’Academie des Sciences, fit aussi l’ouverture de son Assemblée, presidée par Mr l’Abbé Bignon. Mr Homberg en fit l’ouverture par un discours sur un nouveau dissolvant de l’argent ; ce qui fut un Paradoxe chimique curieux & singulier.

Il parla de la difference que les Chimistes apportent dans la dissolution de l’argent & des autres metaux, & cet endroit fut écouté avec beaucoup de plaisir. Il proposa un exemple de la dissolution qu’il avoit faite, de l’argent avec le flegme de l’eau regale nouvellement extrait, l’ayant laissé auparavant quelques heures en digestion, avec une certaine quantité d’or. Mr Homberg avoüa que c’estoit le hasard, & même une méprise, qui luy avoit fait connoistre cette proprieté du flegme d’eau regale ; & il ajoûta qu’ayant ensuite repeté plusieurs fois, & de propos deliberé, ce qu’il n’avoit d’abord fait que par hasard, le succés fut toûjours le même ; il rendit raison de cette experience, qui paroist contraire aux principes ordinaires des Chymistes.

Mr l’Abbé Bignon resuma tout ce qu’avoit dit Mr Homberg, avec beaucoup de solidité, & donna de sçavans éclaircissemens, qui mirent ces matieres à la portée de tout le monde.

Mr Dodart donna ensuite la continuation d’un Sistême qu’il avoit proposé, il y a quelques années, sur la maniere dont se forme la voix, sur ses differens tons, &c. Il se proposa & resolut par ses principes, plusieurs questions, qui roulent sur des choses tres-connuës, par une experience continuelle, & qui n’en sont pas moins difficiles : par exemple, pourquoy il y a des voix fausses, c’est-à-dire, qui n’entonnent juste, aucun ton, pourquoy certaines personnes ont la voix desagreable, en parlant, & agreable en chantant, ou, au contraire, en quoy consiste la voix de fausset, & en quoy elle differe phisiquement, de la voix naturelle. Il donna une sçavante Mechanique de l’organe & du tuyau de la voix, & expliqua phisiquement, les differens effets de la voix.

Le Memoire qu’il donna, en 1700. est imprimé dans l’Histoire de cette Academie de la même année ; de sorte que ce qu’il en a dit en dernier lieu, n’est qu’une Addition au Memoire de 1700. qui en suppose l’intelligence. Elle se reduit à marquer la difference des tensions & des rétrécissemens dont la glotte & l’épiglotte sont capables pour former la voix pleine, la voix aiguë, & la fausse voix, &c.

Mr l’Abbé Bignon donna de grandes loüanges au discours de Mr Dodart, & remarqua fort agreablement qu’avec une voix tres-foible, il avoit parlé avec beaucoup de force sur la voix ; mais que pour dédommager le public, qui peut-estre ne l’avoit pas bien entendu, il alloit reprendre une partie des choses qu’il avoit dites ; c’est ce qu’il fit avec cette justesse qui accompagne tous ses discours.

Mr de la Hire parla aprés luy, sur les differentes apparences de la Lune, vûë avec des Lunettes. On sçait quelle prodigieuse quantité d’inégalitez, d’endroits plus lumineux, ou plus obscurs, se découvrent sur son disque, & il s’agit d’imaginer quelle peut-estre la disposition réelle, qui produit ces aparences à nos yeux.

Il parla des montagnes, que quelques Astronomes ont découvert, dans cette Planette. Cet endroit fut tres-bien touché.

Il expliqua ensuite fort nettement le Sistême des Anciens & des Modernes, sur ce sujet, & pour reduire celuy des uns & des autres à des idées naturelles, il parla d’un globe lunaire qu’il avoit commencé depuis long-temps, & sur lequel il avoit marqué en creux & en relief, les hauteurs & les cavitez qu’il trouvoit dans le vray globe de la Lune. Ce globe artificiel, exposé à une grande lumiere, produit, ajoûta Mr de la Hire, par ses inégalitez, les mêmes phases, & les mêmes apparences que la Lune produit à nostre égard.

Mr Maraldi traita aussi un sujet astronomique ; il donna les observations qu’il a faites, sur une Etoile fixe de la constellation de l’Hydre, qui paroist & disparoist de temps en temps comme la fameuse Etoile du col de la Baleine.

Cette étoile fixe a esté découverte, depuis peu, à l’Observatoire, & Mr Maraldi fit l’histoire de cette découverte. Elle fut faite en l’année 1704. Cette Etoile est de la quatriéme grandeur ; elle paroist & disparoist, aprés quelque temps, dans la constellation de l’Hydre. Elle n’est point marquée dans les Tables ordinaires ; mais Mr Maraldy croit qu’elle n’a pas esté inconnuë à Kevelius, & à un autre Astronome, qui semblent l’avoir voulu designer. Il rendit ensuite, raison de ce Phenomene, conformement au Sistême des Anciens, & selon l’opinion particuliere de Mr Cassini.

Enfin Mr Lemery le fils, termina la Séance par des experiences nouvelles, qu’il rapporta sur l’Aiman, & qui servent à connoistre plus exactement qu’on ne faisoit encore la nature de ces deux Mineraux.

Ce qu’il dit sur la nature de l’Aiman, sur ses effets, & sur la maniere de s’en tenir, parut tres-recherché. Il rapporta à ce sujet, diverses experiences, qui furent écoutées de toute l’Assemblée avec beaucoup de plaisir.

Il ajoûta quelques observations sur l’Aiman. Il fit ensuite une Analyse exacte de toutes les parties dont le fer est composé. Il marqua leurs qualités, leurs principes, & les usages que l’on en pouvoit faire dans la Medecine, pour la cure de plusieurs maladies. Il expliqua ensuite, comment le fer, qui a demeuré long-temps à l’air, acqueroit la vertu de l’Aiman, comme on l’a remarqué sur une barre de fer du Clocher de Nôtre-Dame de Chartres, & il en rendit des raisons tres-sensibles, du moins à ceux à qui les termes de l’Art, & les regles de la Chimie ne sont pas tout à fait étrangeres.

Mr l’Abbé Bignon qui a presidé aussi, à cette Academie, en resuma tous les discours, avec la facilité & la politesse qui luy sont naturelles, & il y joignit, à son ordinaire, ses sçavans & agreables éclaircissemens.

[Mort de Messire N… Mathieu, Curé de S. André des Ares]* §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 345-348.

Messire N … Mathieu, Curé de S. André des Arcs est mort dans sa soixante-cinquiéme année. Il a esté fort regretté dans sa Parroisse. Ses manieres douces & paisibles, l’y avoient fait generalement aimer ; d’ailleurs sa conduite a toûjours esté irreprochable, & il avoit une grande exactitude, dans toutes les fonctions qui regardoient son ministere. Il estoit fils de feu Mr Matthieu celebre Medecin de la Faculté de Paris, & c’est par cette Faculté, qu’il fut nommé à la Cure de S. André, qui est une des trois Cures qui dépendent de l’Université, & où les quatre Facultez nomment, tour à tour ; & quoy que la Faculté de Medecine ait nommé Mr Matthieu, elle a encore nommé cette fois cy, parce que les autres Facultez ont nommé, à leur tour, aux autres Benefices. Mr le Curé de S. André avoit beaucoup de goust pour les beaux arts ; il aimoit la Musique, & il s’y connoissoit parfaitement. Les Concerts qu’il donnoit tous les Mercredis chez luy, estoient tres bien executez, & toûjours bien fournis ; on n’y chantoit que des Motets. Il avoit deux sœurs ausquelles il a survécu quelque temps. Feuë Me Pajot épouse d’un celebre Avocat qui a fait beaucoup de bruit au Palais, & Me Matthieu morte il y a quelque mois, Superieure des Ursulines du Faux bourg S. Jacques, dans une grande opinion de sainteté ; sa mort fut predite quelques jours auparavant qu’elle arrivast, par un Ecclesiastique étranger, qui la dirigeoit depuis quelque temps : cette prediction fit beaucoup de bruit dans le monde. Me Pajot a laissé deux filles mariées, dont l’une qui est une tres belle personne, a épousé Mr de Coteron, Capitaine des Gardes de Mr le Duc de Vendôme. Feu Mr le Curé de S. André avoit l’art de se faire beaucoup d’amis, & celuy de les conserver. Il avoit toute la confiance de feu Mr Colbert General de Premontré, & celle de Mr l’Abbé de Lorraine. Il a declaré Mr l’Abbé D’Aguesseau son executeur Testamentaire.

[Reception faite à Madame la Duchesse de Bourgogne, au Village de Puteau] §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 372-375.

Madame la Duchesse de Bourgogne devant aller se promener à Puteau, à la maison de Mr le Duc de Guiche, les Habitans de Surenne & de Puteau en ayant esté avertis, se preparerent à recevoir cette Princesse, le mieux qu’il leur seroit possible. Ils choisirent pour cet effet, cent cinquante hommes des mieux faits de ces deux Villages. Ils se trouverent dés le matin au rendez-vous avec leurs armes, & ayans leurs Officiers à leur tête.

Madame la Mareschale de Cœuvres & Madame la Marquise de Villacerf estoient venuës disner chez Madame la Duchesse de Guiche, & s’estoient disposées à faire une galanterie à l’arrivée de Madame la Duchesse de Bourgogne. Elles monterent environ sur les trois heures aprés midy, dans une des litieres de cette Princesse, & elles allerent avec les Habitans qui avoient pris les armes au bruit des tambours, des violons & de plusieurs autres instrumens, sur le chemin, par où cette Princesse devoit arriver. Elle fut fort surprise de trouver ces deux Dames à la tête d’une troupe si leste, elles la saluerent de la meilleure grace du monde, & leur bon air fut remarqué de toute sa Cour. Lorsque Madame la Duchesse de Bourgogne approcha de la maison de Mr le Duc de Guiche, elle fut saluée de toute la mousqueterie. La littiere des Dames, qui avoient esté au devant de cette Princesse, arriva peu de temps aprés elle, avec le même accompagnement, & suivie des plus jolies Paysannes des environs : elles avoient des corbeilles remplies de raisins & de gâteaux pour presenter à cette Princesse, elles les reçût d’une maniere gratieuse, & leur donna des marques de sa liberalité, & elles crierent toutes à plusieurs reprises, aussi-bien que les Habitans qui avoient esté au devant de cette Princesse. Vive Madame la Duchesse de Bourgogne.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 375-376.

Je vous envoye un air nouveau, qui convient également au Printems, & à l'ouverture de la Campagne. Les paroles sont d'une Dame distinguée par son esprit, & dont les ouvrages sont tous les jours admirez ; & l'air est de Mr Charles, disciple de Mr Brossant.

AIR NOUVEAU.

Nos tristes cœurs ne forment plus de vœux
Pour revoir la saison nouvelle.
Une guerre cruelle
A fait mourir nos plaisirs & nos jeux.
Amour tu peut calmer l'ennuy qui nous devore
Du redoutable Mars desarme le couroux.
Pour nous vanger, fais qu'il soit pris encore,
Dans les filets d'un jaloux.
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[Extraits de plusieurs Lettres de Catalogne] §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 483-489.

Quoique je n’aye pas encore de Relation en forme des avantages nouveaux, que l’on vient de remporter en Catalogne, ils sont trop éclatans pour differer à vous les mander ; ainsi je vous envoye ce que je viens de tirer de plusieurs Lettres.

Le vingt-un à sept heures du soir, on prit en une heure de temps toute l’envelope exterieure du Montjoüy, les Assiégez firent une grande sortie du Montjoüy, d’environ sept cens Anglois, ayant à leur teste, Milord Donnéghal, qui commande en Catalogue, sous Milord Peterborough, toutes les troupes auxiliaires ; il y fut fait prisonnier, aussi bien que Milord Roussel, fils du Duc de Betford, qui est mort depuis de ses blessures. On prit aussi trente-six Officiers & six cens Anglois, qui ont esté envoyez sur les vaisseaux, ainsi que plusieurs autres prisonniers. Le même jour vingt-un, on fit une grande sortie de la Ville, pour soûtenir un Bataillon Allemand, qui donna par mégarde dans un de nos Corps de Garde, ces Allemands mirent d’abord les armes bas ; mais ayant reconnu qu’ils estoient plus forts que nous, ils mirent l’épée à la main, & nous attaquerent vivement ; de sorte que sans le Piquet le plus voisin, qui survint, ce Corps de Garde auroit eu peine à resister ; mais ayant esté promptement secouru, tous ces Allemands, furent non seulement tuez, mais aussi deux ou trois mille Miquelets, & Habitans, dont une partie fut passée au fil de l’épée, & le reste fut poussé jusques dans les barrieres de la Ville.

Les habitans en armes & les Miquelets de Barcelone, avoient refusé le mesme jour à l’Archiduc, d’aller secourir le Montjouy, & ils luy avoient témoigné qu’ils se reservoient uniquement pour sa conservation, & pour la défense de Barcelonne ; ce qu’ils luy feroient connoistre le lendemain par une sortie generale, se promettant de nettoyer & de combler la tranchée devant le Montjouy, & de nous reduire à recommencer nos travaux ; mais ils ne tinrent pas parole à l’égard de ce qu’ils devoient executer dans leur sortie, car estant venus au nombre de quatre à cinq mille Miquelets, & d’autant d’habitans armez, mêlez de quantité de Moines, on leur tua six à sept cens hommes ; on fit environ trois cens prisonniers, & on reconduisit le reste, jusques dans les palissades. On devoit ouvrir le lendemain 23. une tranchée vers la ville, ou du costé de sa communication, avec le Montjouy, suivant la résolution, qu’auroit pris de l’un ou de l’autre le Conseil, qui devoit se tenir pour cela, & pour déterminer le jour qu’on donneroit un assaut general au Montjouy, dont les deux bastions attaquez, sont entierement rasez.

Je viens d’apprendre que le 22. avant la grande sortie, dont je viens de vous parler, les Assiegez firent sonner toutes les cloches de la Ville, afin que chacun se preparast pour une Procession, où fut porté l’étendard ou banniere de Sainte Eulalie leur Patrone ; mais leurs prieres furent sans effet, leur sortie ayant eu un effet tout contraire à celuy qu’ils en attendoient.

Il y avoit le 24. cinquante pieces de canon en batterie, & quarante mortiers, sans les six des Galliotes qui tiroient jour & nuit, & qui avoient mis une partie de la Ville en feu. On a mis sur les vaisseaux trois cens Catalans prisonniers, qui se sont trouvez des plus obstinez & des plus coupables, & ils doivent estre envoyez aux Galeres.

On doit remarquer que lorsque les troupes des Alliez, ont débarqué en Catalogne, elles estoient commandées par trois Generaux, qui sont, le Comte de Peterbourough, Milord Dunécant, & Milord Donnéghal. Le premier devoit commander dans Barcelonne, & il a trouvé le moyen de s’exempter de ce commandement. Les troupes qui estoient destinées pour rester en campagne, devoient estre commandées par le second, & il a esté tué, & le troisiéme qui devoit commander dans les places qui seroient menacées de siege, vient d’estre fait prisonnier.

Je viens d’apprendre que l’on doit une grande partie de l’avantage remporté sur Milord Donnéghal, à Mr le Maréchal de Tessé, qui ayant jugé par les signaux des ennemis, qu’ils se preparoient à faire une sortie, fit mettre l’armée en bataille. Milord Donnéghal ne s’attendoit à rien moins qu’à estre fait prisonnier, il estoit sorti avec beaucoup de fierté, & au son du tambour, pour marquer qu’il n’apprehendoit rien. Mr de Tessé donne de si bons ordres pour repousser les Miquelets, qui viennent attaquer nos derrieres, pendant les sorties, qu’il en a merité des loüanges de toute l’armée.

Avis important §

Mercure galant, avril 1706 [tome 4], p. 539-540.

AVIS IMPORTANT.

Les heureuses Nouvelles que huit ou neuf Courriers ont apportées, coup sur coup, sont cause, que pour se rembourser des frais que l’on a esté obligé de faire, en grossissant le Mercure, on vendra 50. sols ce Volume, seulement. On distribuëra celuy de May le 4. de Juin. La longueur du temps qu’il a fallu employer pour imprimer celuy d’Avril, est cause qu’on n’a pû le donner au jour marqué.