1707

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1707 [tome 1].
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Mercure galant, janvier 1707 [tome 1]. §

[Mort de Mr Amelot de la Houssaye]* §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 23-34.

La Republique des Lettres a perdu Mr Amelot de la Houssaye. Il composa à Venise, dans le temps qu’il y estoit employé à quelques negociations, l’Histoire du Gouvernement de cette Republique, en deux volumes in 12. Il dévoila les plus secrettes maximes des Venitiens. Nous luy devons une Traduction du Prince de Machiavel, contre lequel Innocent Gentillet a ramassé toutes ses forces dans la Critique qu’il en a faite, & qu’il dédia au Duc d’Alençon, frere d’Henry III. & dont il y a eu trois differentes éditions. Mr de la Houssaye a mis à la teste de la Traduction dont je viens de vous parler, une Preface remplie de tres-belles reflexions. On lit ce qui suit dans cette Preface ; il est tiré de Mr de Viquefort. Machiavel dit presque par tout ce que les Princes font & tout ce qu’ils devroient faire. Bacan a dit la même chose dans son Livre de l’augmentation des Sciences. Mr de la Houssaye dit ensuite qu’il est surprenant de voir que presque tout le monde croit que Machiavel apprend aux Princes une dangereuse Politique, puis qu’au contraire les Princes ont appris à Machiavel, ce qu’il a écrit. C’est l’Ecole du Monde & l’observation de ce qui s’y passe, continuë-t-il, & non pas une creuse meditation de Cabinet, qui ont esté les maximes de Machiavel. Bocalin a pensé presque la même chose que Mr de la Houssaye ; & il a dit de plus que c’est dans une Cour d’Italie, qu’il n’est pas à propos de nommer, que Machiavel a puisé la Politique de son Prince.

La Traduction Françoise de l’Histoire du Concile de Trente, est aussi de Mr de la Houssaye, & a fait beaucoup d’honneur à cet illustre Auteur. Cette version, dont on a donné au Public plusieurs éditions, a néanmoins esté attaquée dans un des derniers volumes des Lettres choisies de Mr Simon, publiées en Hollande. L’Auteur de ces Lettres, prétend que Mr de la Houssaye n’ayant pas bien entendu l’Italien de Venise, qui est fort different du langage de plusieurs autres Villes voisines, n’a pas traduit fidellement plusieurs endroits de cet ouvrage, & il luy reproche de n’estre pas entré par tout dans le sens de son Auteur. Cependant on peut assurer que cette Version est tres-pure, & que les Notes qui l’accompagnent & qui sont propres au Traducteur, en rehaussent extrêmement le prix. Mr de la Houssaye a mis à la teste de cet ouvrage, une tres-belle Preface, & qui donne une idée juste & précise de tout l’ouvrage. Enfin cette Traduction est bien differente de celle que Diodot avoit données plusieurs années auparavant du même ouvrage, & Frapaolo est aussi different de luy-même entre les mains de Mr de la Houssaye & de Diodot, que le langage Venitien l’est des autres Idiomes qui ont cours dans les differentes Villes d’Italie. Mr de la Houssaye qui avoit une inclination particuliere pour Frapaolo, & qui en connoissoit tout le merite, a aussi traduit le Traité des Benefices de ce sçavant Religieux, & il a soûtenu cette Version d’excellentes Notes qui éclaircissent les pensées de l’Auteur, & qui luy servent même souvent de Commentaires. Ce Traité a esté réimprimé plusieurs fois, & toûjours avec le même succés. La matiere qu’on y examine a esté sujette à de grandes contestations, & le party que l’Auteur & son Traducteur ont pris, n’a pas plû à tout le monde, & l’on peut dire que ce livre, de même que l’Histoire du Concile de Trente, a eu ses adversaires.

Le même Traducteur nous a aussi donné une belle Traduction de l’Homme de Cour de Gratien. Il dit que de toutes les Traductions c’est celle qui luy a le plus coûté, à cause que l’Auteur Espagnol a trop enveloppé ses pensées. Gratien, dont les ouvrages sont fort estimez, estoit Jesuite. L’Homme de Cour, qui est écrit dans l’Idiome Espagnol, est celuy de ses ouvrages qui luy a le plus coûté, & qui luy a acquis le plus de réputation. Mr de la Houssaye a dedié cet ouvrage au Roy. Sa Version a esté fort applaudie, & on en a fait plusieurs éditions. Mr de la Houssaye avoit promis long-temps avant sa mort, une Traduction de tous les autres ouvrages de Gratien ; il y a lieu de croire que l’on aura trouvé ces Traductions dans ses papiers. Ainsi on doit esperer que ses heritiers executeront ses intentions là-dessus, & qu’ils feront part au Public des Tresors de Litterature qu’il a laissez. Le même a traduit en François les Annales de Tacite. Cet ouvrage est travaillé avec grand soin, & il s’est beaucoup attaché à le polir, ce qui a donné lieu de dire que Tacite n’a rien perdu de sa pureté & de sa delicatesse, entre les mains de Mr de la Houssaye, qui joignoit à une profonde érudition, & à une exacte connoissance des secrets de la Politique les moins connus, un esprit aisé, & qui faisoit connoître qu’il avoit un grand commerce du monde. Il avoit esté employé dans beaucoup de negociations. Il avoit quitté le monde quelques années avant sa mort, & il menoit une vie tres-particuliere. Il ne se communiquoit plus qu’à un nombre d’amis choisis, & il ne les voyoit même que dans les promenades publiques, & dans des lieux neutres. Il avoit negligé toute sa vie les occasions d’augmenter sa fortune, & comme elle ne fait du bien qu’à ceux qui la cultivent ou qui la cherchent, elle avoit aussi un peu negligé cet excellent homme ; mais ses rigueurs n’avoient rien diminué de son merite : elles n’avoient même servi qu’à le mettre dans un plus beau jour, & à découvrir des talens, qui, sans cela, seroient peut-estre demeurez ensevelis. Je ne vous dis rien de sa Maison ; son nom la fait assez connoistre, & les Registres du Parlement de Paris sont remplis des noms de ceux de cette famille qui ont possedé des Charges dans cet auguste Tribunal. Mr de la Houssaye est mort penetré des plus vifs sentimens de pieté, dans lesquels il avoit toûjours vécu.

[Mort de la Comtesse Douairière de Martinits]* §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 45-48.

Madame la Comtesse Douairiere de Martinits, née Comtesse de Dietrichstein est morte à Vienne ; elle avoit un genie superieur, & elle estoit encore plus recommandable par les hautes qualitez de son esprit que par l’éclat de sa naissance. Elle avoit donné des marques en plusieurs occasions du progrés qu’elle avoit fait dans les sciences : elle s’étoit appliquée dés sa jeunesse à l’étude des belles lettres, & elle n’avoit pas eu lieu de se repentir du temps qu’elle y avoit employé. Cette Dame étoit en commerce avec tout ce qu’il y avoit de personnes sçavantes en Allemagne, & ses relations s’étendoient même au delà de l’Empire, puisqu’elle en avoit eu de tres-grandes avec feuë Mademoiselle Scudery, qu’on a si justement nommée la Sapho du dix-septiéme siecle. La maison de Dietrichstein est tres-connuë en Allemagne ; le Cardinal de ce nom qui fut le Favori & le principal Ministre de l’Empereur Mathias, & qui fut enlevé & jetté dans une étroite prison par les artifices des Archiducs de Gratz & d’Inspruch, a fait beaucoup d’honneur à cette maison. L’Empire se trouva bien de son administration, & lorsqu’il eut abandonné le gouvernement des affaires, on les vit tomber en decadence & dans la confusion où les jetta la cruelle & longue guerre de Boheme. Feu Mr le Comte de Martinits époux de la Dame, dont je vous apprens la mort, étoit d’une tres-ancienne maison d’Allemagne.

[Discours prononcé par le Pere le Camus, Jesuite, sur l’établissement de l’Academie Françoise] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 70-78.

Le vingt-un Decembre le Pere le Camus Jesuite l’un des Professeurs de Rhetorique du College, prononça un discours fort éloquent sur l’établissement & les progrés de l’Academie Françoise. Mr le Cardinal d’Estrées, accompagné d’un grand nombre de Prelats & de plusieurs personnes qualifiées, y assista. Le P. le Camus parla avec beaucoup d’éloquence sur la naissance, les progrés & l’état de perfection où l’Academie Françoise a esté portée, sous la protection que le plus grand des Rois luy a accordée. Le trait d’éloquence que cet habile Orateur plaça dans l’endroit de la naissance de cette Academie, fut tres-applaudi, & ce qu’il dit du feu Roy Loüis XIII. qui donna un établissement solide à cette sçavante Compagnie en 1635. où il luy accorda des Lettres Patentes, fut trouvé tres-curieux. Il jetta des fleurs sur les tombeaux des premiers Academiciens. Mrs Godeau, Gombaud, Giry, Chapelain, Habert, l’Abbé de Cerisy, Conrart, Cerizay, Malleville, Faret, Desmarests, Boisrobert, Bautru, Châtelet, Silhon, Sirmond, &c. Mr Conrart qui fut le premier Secretaire de l’Academie, & qui luy a esté fort utile dans son établissement fut extrêmement loüé ; aussi merite-t-il bien les loüanges que les Auteurs luy donnent. Son recüeil de lettres est une preuve de la delicatesse de son esprit & de son riche naturel. Les loüanges de Mr le Cardinal de Richelieu, premier Protecteur de l’Academie, ne furent pas oubliées, & ce fut en cet endroit que l’Orateur se surpassa, & qu’il s’attira le plus d’applaudissemens. Mr de Vaugelas à qui cette Compagnie doit tout, & qui s’est immortalisé par ses ouvrages, fournit un vaste champ à l’éloquence du P. le Camus, aussi-bien que Mr de Voiture, Mrs de Corneille & de Racine & Mr le Chancelier Seguier. Il s’appliqua d’une maniere particuliere à loüer ce grand Magistrat, dont la memoire sera long-temps precieuse à la France. Il fit voir que le Roy ayant pris aprés luy le titre de Protecteur de l’Academie, rien ne pouvoit estre plus glorieux à la memoire de ce grand homme. Le P. le Camus parla ensuite des ouvrages que cette sçavante Compagnie a donnez au public depuis son établissement ; ce qu’il raporta touchant le Dictionnaire fut tres-beau ; il dit que ce livre est un tresor de litterature, & qu’il contient des regles sur la langue Françoise qui seront desormais invariables ; ce qu’il dit aussi sur les remarques de Mr de Vaugelas & sur les observations que l’Academie a jointes à ce livre, dont elle a donné depuis peu une nouvelle édition, fut tres applaudi, & on ne peut traiter ce sujet avec plus d’éloquence. Le P. le Camus s’adressa en finissant à la Compagnie qui formoit son Auditoire, & il peignit le caractere d’une partie des personnes les plus considerables qui estoient presentes, & il les loüa par des traits particuliers, qui luy firent d’autant plus d’honneur, qu’on ne put presque pas douter que ce sçavant Jesuite ne parlast alors sur le champ, puisqu’il ne pouvoit sçavoir qui seroient ceux qui composeroient son Auditoire. Mr le Cardinal d’Estrées loüa beaucoup cet Orateur, & il témoigna aux Peres qui l’accompagnerent quand il sortit, qu’il estoit tres-satisfait de ce discours, & qu’il y avoit tres-long-temps qu’il n’en avoit oüi d’aussi éloquent. Mr l’Archevesque de Tours & Mr l’Evesque de Bayonne, qui furent du nombre des auditeurs, donnerent aussi de grandes loüanges au P. le Camus, qui en reçut pareillement beaucoup des personnes les plus qualifiées qui entendirent son discours, où se trouverent plusieurs Seigneurs de la Cour d’Angleterre qui y avoient esté invitez.

[Ouvrage intitulé, la Langue] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 78-85.

Je dois adjoûter icy en vous parlant des Maistres de la langue, que s’il suffisoit d’avoir de l’esprit, du merite, beaucoup d’érudition, & d’avoir fait imprimer plusieurs ouvrages de differens caracteres, dont on a fait plusieurs éditions avec l’applaudissement du public, Mr l’Abbé Bordelon pourroit esperer d’avoir place un jour dans cette Compagnie. Son premier Volume de l’ouvrage intitulé la Langue, a esté si bien reçu, tant en France, que dans les pays étrangers, qu’il n’a pû refuser, pour satisfaire à l’empressement du public, d’en faire un second volume. Il vient d’estre mis au jour. Je vous parlay dans ma lettre du mois d’Avril 1705. du premier volume, & je vous entretins des vingt-sept Traitez qu’il contient. Le second Volume, sous un seul Traité, c’est la Langue de celuy qui fait attention, comprend trente-neuf sujets beaucoup plus considerables que ceux qui sont compris dans le premier volume, les voicy.

I. Attentions sur les Sciences & les Sçavans.

II. Attentions sur les Auteurs & les livres.

III. Attentions sur la Critique & la Satyre.

IV. Attentions sur la Philosophie & les Philosophes.

V. Attentions sur l’Histoire & les Historiens.

VI. Attentions sur l’Eloquence & les Orateurs.

VII. Attentions sur la Medecine & les Medecins.

VIII. Attentions sur la Chymie & les Chymistes.

IX. Attentions sur la Poësie & les Poëtes.

X. Attentions sur la Musique & les Musiciens.

XI. Attentions sur les femmes.

XII. Attentions sur l’amour.

XIII. Attentions sur les spectacles.

XIV. Attentions sur la devotion & l’hypocrisie.

XV. Attentions sur les Ecclesiastiques.

XVI. Attentions sur les personnes Religieuses.

XVII. Attentions sur la Magistrature & les Magistrats.

XVIII. Attentions sur la guerre & les guerriers.

XIX. Attentions sur la Cour & les Courtisans.

XX. Attentions sur les Publicains.

XXI. Attentions sur le mariage & les gens mariez.

XXII. Attentions sur la Noblesse & les Nobles.

XXIII. Attentions sur l’orgueil.

XXIV. Attentions sur la gloire & les grandeurs.

XXV. Attentions sur la superiorité & la dépendance.

XXVI. Attentions sur les richesses & la pauvreté.

XXVII. Attentions sur les amis & les ennemis.

XXVIII. Attentions sur la credulité.

XXIX. Attentions sur l’opinion & la coûtume.

XXX. Attentions sur la prevention.

XXXI. Attentions sur la superstition.

XXXII. Attentions sur la retraite & la solitude.

XXXIII. Attentions sur la connoissance de soy-mesme.

XXXIV. Attentions sur la liberté.

XXXV. Attentions sur les afflictions.

XXXVI. Attentions sur la jeunesse & les jeunes gens.

XXXVII. Attentions sur la vieillesse & les vieillards.

XXXVIII. Attentions sur le commerce de la vie civile.

XXXIX. Attentions sur differens sujets.

Toutes ces attentions comprennent des sentimens, des maximes, des avis, des pratiques, &c. traitez avec beaucoup de délicatesse & de solidité, & on peut dire que tout y est nouveau ; aussi n’y trouverez-vous aucune citation, de maniere que ce livre est veritablement utile & agreable. Vous sçavez que le premier Volume est augmenté d’une estampe fort curieuse & d’une lettre critique sur ce qui a esté dit pour & contre cet ouvrage. Les deux Volumes se vendent chez Urbain Coustelier, ruë S. Jacques, & chez Claude Prud’homme au Palais.

[Odes de Mr de la Motte] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 85-87.

Je dois vous dire encore à l’occasion de l’Academie Françoise, dont je viens de vous parler, que Mr de la Motte paroît y souhaiter une place par la démarche qu’il vient de faire. Il a fait imprimer un volume des Odes qu’il a composées en divers temps. Il l’a dédié à cette Compagnie, & a mis un Ode à la teste, à la place d’Epitre Dédicatoire. Il a luy-même presenté cet Ouvrage à cet illustre Corps un jour d’assemblée, & l’ayant prié de reciter l’Ode qui la regardoit, elle l’a écouté avec beaucoup d’attention & de plaisir, & les aplaudissemens qu’il a reçûs sont d’un bon augure pour luy. Je ne vous dis rien de ce Livre, s’il tombe entre mes mains, je vous envoyeray un article qui vous fera connoître ce qu’il contient, & qui pourra vous faire souhaiter de le voir. Mr de la Motte a aussi donné au public plusieurs Opera, qui en ont été trés-bien reçûs.

[Dissertation sur une Figure de Bronze, trouvée dans un Tombeau] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 87-92.

Aprés vous avoir parlé de deux Auteurs dont le genre d’écrire est different, & qui peuvent à juste titre esperer d’avoir place un jour dans quelque Academie, l’un étant tout esprit au sentiment de plusieurs personnes qui en ont infiniment, & l’autre devant estre regardé comme une Biblioteque vivante, jamais personne n’ayant lû davantage, n’ayant plus retenu, & n’ayant fait un meilleur usage de sa lecture. On peut dire qu’il a beaucoup de genie, & l’invention qui se trouve dans ses ouvrages en est une preuve. Aprés, dis-je, vous avoir parlé de ces deux Auteurs, je dois vous entretenir de Mr Moreau de Mautour, qui est de l’Academie des Medailles & Inscriptions, depuis qu’elle a été augmentée & mise en regle. Il vient de donner au public un Livre intitulé, Dissertation sur une Figure de bronze trouvée dans un Tombeau, & qui represente une Divinité des Anciens. Ce Tombeau fut découvert l’an 1703. par un Laboureur du Village d’Ablainsevelt, situé entre Bapaume & Arras dans le Pays d’Artois, qui en creusant un fossé sur le bord d’une terre en friche, découvrit une espece de petit édifice ou monument, qui étoit comme un caveau quarré, long & large de neuf à dix pieds, soûtenu par quatre piliers ronds de quatre pieds ou environ de hauteur, & de trois de circonference. Le tout étoit construit de pierres quarrées égales de 16. à 17. poulces de largeur. Aprés avoir détruit une partie de ce Monument, qui sans doute étoit un Tombeau, ce Laboureur trouva dans le milieu une grosse urne de terre grisâtre avec son couvercle qu’il brisa par hazard d’un coup de pic ; l’urne de forme ronde, étoit presque remplie de cendres, & il y avoit environ onze cens Medailles de petit bronze du Bas Empire, mêlées de quelques-unes de Billon. D’un côté de l’urne il y en avoit une autre petite avec une lampe sepulchrale de terre, dont le dessus tomba par morceaux au premier attouchement, & de l’autre côté on trouva une figure ou petite statuë de bronze de 13. à 14. pouces de hauteur, qui represente un homme nud avec une longue barbe, des yeux d’argent, & deux cornes à la teste, ce qui en fait la singularité.

Mr Moreau de Mautour raporte dans sa Dissertation, l’avanture qui luy a fait tomber cette figure entre les mains, & cette avanture est trés curieuse. La figure est de Bacchus, & on la voit presentement dans son cabinet ; elle luy a donné lieu d’aprofondir la matiere, touchant trois differentes sortes de figures, que l’on dit estre toutes de Bacchus. On ne peut faire voir plus d’érudition qu’il y en a dans cet ouvrage, qui se vend chez Pierre Cot, ruë Saint Jacques, à l’entrée de la ruë du Foin, à la Minerve.

[Onze nouveaux jetons frappés à La Monnoye des Médailles]* §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 162-166.

On a frappé cette année à la Monnoye des Medailles les onze Jettons que l’on a coûtume d’y frappé tous les ans, & dont plusieurs Tresoriers distribuent le premier jour de l’année, des bourses remplies de cent Jettons chacune, d’or ou d’argent, selon le rang & le droit de ceux à qui ces Jettons sont donnez. Les Devises ont été faites par Mrs de l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions, à l’exception de trois qui sont celles de Madame la Duchesse de Bourgogne, de l’Artillerie & des Bâtimens. Celles de Madame la Duchesse de Bourgogne & des Bâtimens, sont de Mr Oudinet, Garde du Cabinet des Medailles de Sa Majesté, & celle de l’Artillerie a esté faite par Mr Moreau de Mautour, qui est de l’Academie des Inscriptions. À l’égard des autres Devises, comme elles ont esté faites par la mesme Academie en Corps, personne ne peut se les attribuer en particulier, pas mesme ceux qui donnent les premieres idées des Devises, puisque chacun disant son sentiment, on y change, on y augmente, ou l’on y retranche quelque chose, selon les avis de tous les Academiciens. Je crois que vous remarquerez aisément, que le Jetton qui suit celuy du Tresor Royal dans l’estampe que je vous envoye, regarde Madame la Duchesse de Bourgogne. Je ne vous donne point l’explication de ces Devises, l’application en doit estre aisée lorsque les Devises sont justes. Cependant rien n’est si difficile, & les Inventeurs se forment souvent des idées qui ne tombent pas toujours dans l’imagination de ceux qui cherchent à les expliquer, & ces derniers y donnent quelquefois un sens plus beau & plus naturel que les Inventeurs mêmes. Il se trouve quelque fois des situations d’affaires qui rendent ces Devises difficiles à trouver ; & c’est alors que l’esprit ayant beaucoup plus à travailler, ceux qui ont l’avantage de réüssir, acquierent beaucoup plus de gloire. Comme je ne vous envoye point d’explication des Devises, à cause des raisons que vous venez de lire, je ne vous dis point ce que chaque Jetton represente, puisque si le Graveur a bien réüssi, & que si son travail est bon & net, vous le remarquerez aisément. Vous sçavez que la face droite des Jettons ne contient que des portraits.

[Ceremonie observée lorsque S.A.E de Cologne a reçû l’Ordre de Prétrise] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 175-199.

Mr l’Electeur de Cologne ayant resolu de prendre les Ordres sacrez sans attendre que le temps qui luy avoit esté accordé par le Pape, fut expiré, receut l’Orde de Soudiacre avec une devotion exemplaire, au mois de Juin dernier, par Mr l’Archevesque de Cambray dans l’Abbaye de Loo, prés de la Ville de Lille, aprés en avoir fait les fonctions pendant plusieurs mois en differentes Eglises de la mesme Ville ; il fut fait Diacre par Mr l’Evesque de Tournay, le jour de la Conception de la Vierge dans l’Eglise des Recollets de cette Ville ; & s’étant ensuite disposé par un grand nombre de bonnes œuvres, & mesme par de frequentes Predications à recevoir l’Ordre de Prestrise, Mr l’Evesque de Tournay la luy confera le jour de Noël suivant, dans l’Eglise Paroissiale de Saint Maurice de Lille. Ce Prince resolut en mesme temps de celebrer sa premiere Messe le premier jour de cette année dans l’Eglise des Peres Jesuites de la mesme Ville ; il écrivit à Mr l’Electeur de Baviere, pour le prier d’y assister, & ce Prince luy répondit que non-seulement il vouloit avoir cette satisfaction, mais mesme la consolation de communier ce jour-là de sa main. Son Altesse Electorale de Cologne fit donner part au Roy, par son Envoyé, du jour qu’elle avoit pris pour dire sa premiere Messe, & fit prier Sa Majesté de vouloir bien nommer quelqu’un pour assister de sa part à cette Ceremonie, & elle envoya pour cet effet ses ordres à Mr le President Roüillé qui se rendit aussi-tost à Lille, & la Ceremonie qui a beaucoup édifié tout ceux qui l’ont vûë, s’est faite de la maniere suivante. Vous trouverez de la grandeur & de la pieté dans tout ce qui regarde leurs Altesses Electorales de Baviere & de Cologne. Ce détail auquel je n’ay rien ajouté, & dont je n’ay rien retranché, m’a esté envoyé par une personne d’une grande distinction qui a bien voulu se donner la peine d’examiner avec soin tout ce qui s’est passé dans cette grande Ceremonie, & toutes les circonstances dont elle a esté accompagnée.

RELATION
De ce qui s’est passé au sujet de la premiere Messe qui a esté celebrée par Monsieur l’Electeur de Cologne, dans l’Eglise des R.P. Jesuites de la Ville de Lille, le 1. Janvier.

Monsieur l’Electeur de Cologne aprés avoir esté dés le matin entendre la Messe à la Chapelle de Nostre-Dame de Grace, à une lieuë de la Ville, se rendit incognito dans la maison où estoit Monsieur l’Electeur de Baviere, pour aller avec luy publiquement, au lieu où la Ceremonie se devoit faire.

La marche se fit par les principales ruës de la Ville, & elle commença par trois Compagnies d’Ecoliers des R.P. Jesuites, les uns vêtus à la Françoise, les autres à la Romaine, & les derniers à la Hongroise ; ils estoient tous à cheval, & chaque troupe avoit des Officiers à sa teste ; chaque Compagnie estoit de quarante Ecoliers.

Une Compagnie du Regiment de Carabiniers de son Altesse Electorale de Baviere paroissoit ensuite avec ses Etendars, ses tymballes & ses trompettes.

Cette Compagnie estoit suivie de deux Officiers Gardes-Selles des deux Electeurs, à cheval, suivis de tous les gens de livrée des Ecuries des deux Cours meslez ensemble.

On voyoit ensuite deux carosses à six chevaux, dans lesquels estoient les Gentilshommes de bouche & quelques autres Gentilshommes des deux Electeurs ; deux autres carosses à six chevaux, où estoient les Gentilshommes de la Chambre, & encore deux autres carosses à six chevaux remplis des Ministres des deux Cours & de quatre Chanoines de l’Eglise Cathedrale de Liege, députez par le Chapitre pour assister à la ceremonie.

Ils estoient suivis par le Grand Maréchal de la Cour de Cologne à cheval, representé par le Comte d’Arco, qui avoit à ses côtez deux Gentilshommes faisant fonction de Maistres d’Hostel, ils estoient tous trois couverts ; le premier portoit un bâton d’argent, & les deux autres des bâtons noirs garnis d’Ivoire ; les deux Fourriers des deux Cours paroissoient ensuite à pied, & ils estoient suivis des Valets de pied des deux Electeurs sans distinction ; des Trompettes de la Cour de Cologne, & de celle de Baviere, & des Tymballes de celle de Cologne tous à cheval, la Compagnie des Carabiniers de S. A.E. de Cologne venoit ensuite à pied, avec leurs pertuisannes.

Ensuite la Compagnie des Trabans de Son Altesse Electorale de Cologne marchoit des deux côtez du carosse à six chevaux, dans lequel estoit ce Prince tenant la droite, & vestu d’habits d’Eglise de couleur rouge comme Legat du S. Siege, & Monsieur l’Electeur de Baviere à la gauche vestu à l’ordinaire. Ces Trabans estoient precedez par les tambours & les hautbois de la Compagnie, ayant leur Lieutenant à leur teste le sponton à la main.

On voyoit derriere eux à pied, les deux Fourriers de la Chambre des deux Electeurs, suivis des Pages de l’une & de l’autre Cour.

Le Heraut d’Armes de Beechtergaden paroissoit ensuite seul, & sans chapeau ; les trois Heraults d’Armes de Hildesheimb, de Ratisbonne & de Liege, le premier au milieu, le second à la droite, & le dernier à la gauche venoient aprés, puis le Herault d’Armes de la maison de Baviere seul, & ensuite ceux de l’Electorat de Cologne & de Baviere, le premier à la droite & le dernier à la gauche, & tous sans chapeau.

Deux Gentilshommes de la Chambre à cheval & testes nuës representoient les deux grands Chambellans des deux Electeurs ; le premier portant une Masse d’argent avec un Sceau, pour marque de la Charge d’Archichancelier d’Italie attachée à l’Electorat de Cologne, & l’autre un Monde, qui est la marque de la Charge d’Archidapifer annexée à l’Electorat de Baviere.

Deux Gentilshommes de la Chambre portoient testes nuës, sur des careaux de velours rouge les Bonnets Electoraux des deux Electeurs.

Ensuite les deux grands Maréchaux des deux Cours portoient des épées dans leurs fourreaux la pointe en haut ; le foureau de celle de l’Electeur de Cologne estoit de velours rouge, & celuy de celle de l’Electeur de Baviere de velours bleu.

Tous ces Officiers precedoient le carosse dans lequel estoient les deux Electeurs, à costé duquel marchoient les deux grands Escuyers & les Officiers des Gardes du Corps des deux Princes.

La Compagnie des Gardes Archers de Son Altesse Electorale de Cologne, à pied, marchoit ensuite, & une Compagnie du Regiment de Carabiniers de S.A.E. de Baviere à cheval, fermoit la marche.

Les deux Electeurs estant ainsi arrivez à l’Eglise, furent reçûs à la porte par la Communauté des R.P. Jesuites ; Mr l’Evesque de Tournay estant à la teste en Chappe & en Mitre, leur presenta l’Eau-beniste, & les accompagna jusqu’à l’Autel, les deux plus jeunes Chanoines de Liege portant la Robbe de Monsieur l’Electeur de Cologne.

Lorsqu’ils furent arrivez auprés de l’Autel, ils se mirent sur le mesme Prie-dieu, où aprés avoir fait leur priere, ils se placerent l’un & l’autre, chacun sur le Trône qui leur estoit preparé, élevé de trois degrez, celuy de Monsieur l’Electeur de Cologne, du costé de l’Evangile de damas blanc avec des bandes de toile d’argent, & celuy de Monsieur l’Electeur de Baviere qui estoit vis-à-vis du costé de l’Epitre de velours rouge, garni de galon & de crespines d’or.

S.A.E. de Cologne alla ensuite, suivie de ses Assistans & de ses Officiers à une Chapelle où estoient preparez ses Ornemens Sacerdotaux, & pendant qu’elle y resta, la Musique chanta le Motet, Dominus regnavit, de la composition de Mr de la Lande Maistre de Musique de la Chapelle du Roy.

Monsieur l’Electeur de Cologne estant arrivé à l’Autel revestu de ses habits Sacerdotaux entonna le Veni Creator, & pendant que la Musique continua de chanter cette Hymne, il fit la Procession autour de l’Eglise accompagné de ses Assistans.

Estant revenu à l’Autel, il chanta l’Oraison du S. Esprit, & la Musique commença ensuite l’Introït. Mr l’Electeur de Cologne ayant quitté la Chappe avec laquelle il avoit fait la Procession, & avant de prendre la Chasuble, s’approcha de Mr l’Electeur de Baviere, qui luy mit sur la teste une Couronne nuptiale, & l’ayant receuë il prit la Chasuble & commença une grande Messe, ayant pendant l’Introïte Mr l’Evesque de Tournay en Chappe à sa droite, & un Archidiacre de l’Eglise de Liege aussi en Chappe à sa gauche, aprés quoy Mr l’Evesque de Tournay se mit dans un fauteüil auprés de l’Autel du costé de l’Evangile ; le Diacre & le Sous-diacre estoient deux Chanoines de l’Eglise de Liege.

Monsieur l’Electeur de Baviere alla seul à l’offrande ; lorsque Mr l’Electeur de Cologne eut lavé ses mains aprés l’Offertoire, les principaux Officiers de sa maison apporterent le bassin, l’éguiere & la serviette.

Pendant l’Evangile & pendant l’Elevation six Pages de Mr l’Electeur de Cologne vinrent auprés de l’Autel avec des flambeaux de cire blanche.

Monsieur l’Electeur de Baviere reçut la Communion de la main de Monsieur son frere, & avant qu’il se retirast de l’Autel, un Gentilhomme de sa Chambre luy presenta sur une soucoupe un gobelet d’eau & de vin, dont il fit l’usage ordinaire.

La Messe estant finie, la Musique entonna le Domine salvum fac Regem, aprés quoy Monsieur l’Electeur de Cologne chanta l’Oraison pour le Roy, une pour Monsieur l’Electeur de Baviere, & une pour luy-mesme.

Il entonna ensuite le Te Deum, & pendant que la Musique continua de le chanter, Monsieur l’Electeur de Cologne ayant quitté la Chasuble, Monsieur l’Electeur de Baviere vint à l’Autel recevoir sa benediction. Les principaux Officiers des deux Cours luy baiserent la main & reçûrent aussi sa benediction. Il fit ensuite le tour de l’Eglise pour donner au peuple la satisfaction de luy baiser la main, & de recevoir sa benediction ; lorsqu’il fut de retour à l’Autel, l’on chanta le Benedicamus patrem, & il chanta ensuite l’Oraison qui se dit ordinairement, & il finit ainsi la Ceremonie de l’Eglise.

Aprés qu’il eut quitté les Ornemens Sacerdotaux, il sortit de l’Eglise avec Monsieur l’Electeur de Baviere, & ils furent conduits de la mesme maniere qu’ils l’avoient esté en venant à l’Hostel de Ville, où le disné estoit preparé par les Officiers de Monsieur l’Electeur de Cologne, la maison qu’il habite n’estant pas assez spatieuse depuis l’incendie qui y arriva l’année derniere.

Les deux Electeurs furent complimentez en descendant de carosse par le Magistrat, & plusieurs décharges de Mousqueterie furent faites par la Compagnie des Arquebusiers de la Ville, qui estoient rangez dans la Cour.

Il y avoit deux Chambres preparées où les deux Electeurs devoient demeurer jusqu’au disné.

Il y avoit dans une des Salles une Estrade élevée de trois degrez, sur laquelle estoit une table presque quarrée, au dessus de laquelle estoit un Dais de velours rouge. Ces deux Princes mangerent seuls à cette table, estant assis dans des fauteuils de velours rouge ; Monsieur l’Electeur de Cologne avoit la droite, & ils furent servis l’un & l’autre par leurs principaux Officiers.

Pendant le disné la Musique chanta plusieurs Airs François. Les deux Electeurs ayant bû chacun une fois, tous ceux pour qui il y avoit des tables preparées, se retirerent pour aller disner ; il y avoit six tables differentes qui toutes furent magnifiquement servies. Le disné fini Messieurs les Electeurs remonterent en carosse, & allerent aux Vespres qui furent chantées par la Musique.

On tira le soir un Feu d’Artifice devant l’Hostel de Ville & toutes les maisons furent illuminées. On avoit fait pendant la Messe trois décharges de Boëtes & de l’Artillerie de la Place, ce qui fut continué le soir.

Dans la marche qui se fit de l’Eglise à l’Hostel de Ville, un Gentilhomme de Mr l’Electeur de Cologne jetta plusieurs pieces d’argent au peuple.

Cet Electeur a fait frapper une Medaille, qui d’un costé marque le jour & le lieu où il a dit sa premiere Messe, dans les termes qui suivent : Josephus Clemens Deo litans Insulæ, Kalendis Januarii in Templo P.P. Societatis Jesu. Au revers est un Calice, au dessus duquel est une Hostie, & au dessous sont deux mains qui se joignent ; ces mots se lisent autour, Pia concordia Fratrum, pour marquer la sainte union qui s’est faite ce jour-là entre les deux Electeurs par la Communion que l’un a receuë de l’autre.

Dans les mots IosephVs CLeMens Deo LItans, & dans ceux, pIa ConCorDIa fratrVM, se trouvent heureusement les nombres necessaires pour marquer l’année où cette ceremonie s’est faite.

[Histoire de la Sultane de Perse, & des Vizirs, Contes Turcs] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 260-269.

Il paroist depuis peu un Livre intitulé, Histoire de la Sultane de Perse & des Visirs, Contes Turcs, composez en langue Turque par Chéc Zadé, & traduits en François.

Chéc Zadé étoit Precepteur d’Amurat II. Empereur Ottoman, qui ayant remarqué que ce jeune Prince avoit une trop forte inclination pour le beau sexe, composa ce Livre, autant pour le divertissement du Prince, que pour luy rendre les femmes suspectes, & luy faire connoistre qu’elles estoient dangereuses, afin d’empêcher qu’il ne s’y attachast trop fortement. Le nœud de cette Histoire regarde le fils d’un Roy qui promettoit beaucoup, & qu’il mit sous la discipline du celebre Aboumaschar Mathematicien, Philosophe & Astrologue, qui ayant connu par l’horoscope qu’il tira de ce Prince, qu’il étoit menacé d’un terrible malheur pendant 40. jours si pendant tout ce temps il disoit un seul mot à qui que ce fust, luy défendit de parler jusqu’à la fin des 40. jours. Cette défense produisit un incident qui fut sur le point de luy faire perdre la vie. Le Roy son pere l’ayant fait venir devant luy, & l’ayant interrogé sur plusieurs choses, il n’en put tirer une seule parole, ce qui obligea le Roy qui estoit marié en secondes nôces, de l’envoyer chez la Reine sa belle mere, qui sentoit pour luy une passion si violente qu’elle n’en pouvoit estre la maîtresse. Elle ne put s’empêcher de luy découvrir l’amour qu’elle sentoit pour luy ; mais il ne fit aucune réponse. Elle poussa la chose si loin qu’elle luy proposa l’empoisonnement de son pere en luy faisant voir la facilité des expediens qu’elle avoit trouvez pour l’execution de cette entreprise, par le moyen de laquelle il pourroit monter sur le Trône. Ce Prince voyant la fureur de sa passion, & qu’il commençoit à avoir de la peine à se débarrasser de cette Princesse, se trouva obligé de luy donner un coup de poing dans les dents qui la mit tout en sang, ce qui changea tout d’un coup l’amour de la Reine eu une haine furieuse. Elle apella au secours ; elle se lamenta ; le Prince se retira ; le Roy arriva, & elle luy dit que le Prince avoit voulu la forcer, & qu’il luy avoit proposé de le faire mourir en luy promettant de l’épouser, & en luy en faisant voir les moyens. Le Roy resolut aussi-tost de faire mourir son fils ; mais il en fut detourné par une histoire que luy raconta son premier Visir, & comme il en avoit 40. dont chacun luy raconta chaque jour une histoire pour empêcher l’effet de ce qu’il avoit resolu, il differa cette execution pandant 40. jours ; mais ce Monarque allant tous les soirs chez la Reine cette Princesse luy racontoit aussi une histoire par laquelle elle détruisoit celle qui luy avoit esté raportée ce jour-là par l’un de ses Visirs, ce qui fait 80. histoires, sçavoir 40. raportées par les Visirs, & 40. par la Reine. Le premier Tome en contient 10. contées par les Visirs, & 10. par la Reine, ce qui doit tenir l’esprit du Lecteur en suspens jusqu’à la fin du quatriéme Tome, où se verra le denoüement de l’histoire qu’il est bon de luy cacher, afin que la lecture des quatre Volumes luy donne plus de plaisir, & qu’il les lise avec plus d’avidité, afin d’être éclairci du sort du Prince infortuné qui en fait le principal sujet.

Il y a environ 25 ans que Mr de la Croix Pétis, Secretaire Interprete des Langues Arabe, Turque, & Persane, traduisit cet ouvrage étant encore fort jeune, pour continuer ses exercices en langue Turque qu’il sçait parfaitement, s’étant perfectionné en cette Langue, dans les voyages qu’il a faits au Levant, ce qui luy a fait meriter une Chaire de Professeur. On n’a mis que le nom de Pétis dans la Preface, l’Auteur ne cherchant point à se faire connoître par un ouvrage de la nature de celuy dont il s’agit. Cependant il est constant que jamais Livre n’a commencé d’une maniere plus capable d’attirer l’attention du Lecteur, & de faire souhaiter d’en voir la suite. Jamais on n’a veu tant d’incidens, tant de varieté, & tant de choses merveilleuses ensemble, parmy lesquelles il se trouve une morale qui peut estre d’une grande utilité à ceux qui reflechissent sur ce qu’ils lisent. Ce Livre se vend chez la veuve de Claude Baroin au Palais sur le Perron de la Sainte Chapelle.

L’Auteur a traduit prés de 60. Volumes d’Histoires & de Sciences qu’il ne juge à propos de faire imprimer que dans un temps où l’Empire des Lettres sera plus à la mode que celuy de Mars.

[Article contenant tout ce qui s’est passé, concernant les Couches de Madame la Duchesse de Bourgogne, & les rejoüissances faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 309-328.

L’Article de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne se seroit trouvé presqu’au commencement de ma Lettre, si j’avois eu plusieurs particularitez dont il m’a esté impossible d’estre pleinement & seurement informé avant que d’avoir employé tout le temps necessaire pour les ramasser. Il n’est pas aisé d’estre instruit d’abord de ce qui se passe en particulier touchant un fait de cette nature entre des personnes d’un rang si élevé, & d’ailleurs chacun de ceux qui en peuvent estre témoins, est si occupé à remplir son devoir, qu’il seroit impossible à la mesme personne de rapporter tout ce que j’ay sçû. Ainsi quoy que cet article ait déja esté imprimé dans toutes les nouvelles publiques, vous ne laisserez pas de trouver la grace de la nouveauté dans celuy que vous allez lire.

Il y avoit déja plus de dix jours que l’on comptoit que Madame la Duchesse de Bourgogne pouvoit accoucher à tout moment. La nuit du 7. au 8. de Janvier Monseigneur le Duc de Bourgogne étant couché avec cette Princesse, elle s’éveilla à six heures trois quarts du matin, & l’état où elle se trouva luy fit juger qu’elle ne seroit pas long-temps sans accoucher. Elle eut de la peine à laisser lever le Prince son époux, qui se leva neanmoins, & se mit en Robe de Chambre. Cette Princesse sonna ; Madame de la Salle sa Garde vint, & ayant remarqué que quelques signes qui devoient preceder l’accouchement avoient paru, elle luy donna les choses dont elle avoit besoin. Madame Quentin, premiere femme de Chambre, s’étant levée avec toute la diligence imaginable dés l’instant qu’elle eut apris ce qui se passoit, donna ordre qu’on allast querir Mr Clement. On dit chez luy qu’il étoit à la Messe aux Recolets, où on l’envoya chercher, & il se rendit aussi-tost dans la Chambre de Madame la Duchesse de Bourgogne. Madame la Duchesse du Lude, Dame d’honneur, qui avoit donné de bons ordres pour estre avertie de tout ce qui se passeroit, arriva un instant aprés, & Monseigneur le Duc de Bourgogne alla s’habiller dans son appartement. Peu de temps aprés le départ de ce Prince, la Princesse son épouse sentit une douleur assez vive. Une Dame dont la vertu pouvoit faire exaucer les prieres, & Madame de la Salle luy tenoient chacun une main. Elle accoucha d’un Prince une minute tout au plus aprés sept heures & demie. Madame la Duchesse du Lude alla aussi-tost chez le Roy, & dit à Sa Majesté que la chose étoit pressée, sans luy dire que Madame la Duchesse de Bourgogne étoit accouchée d’un Prince. Sa Majesté qui avoit jugé que si cette Princesse accouchoit la nuit, il se perdroit beaucoup de temps avant que les Officiers de sa Garderobe fussent avertis, & qu’ils eussent apporté ses habits, avoit donné ordre depuis dix jours, qu’on les laissast sur une chaise auprés de son lit, de maniere qu’elle fut habillée en un instant par Mr de Niers, l’un de ses premiers Valets de Chambre, & par un Garçon de la Chambre. Monseigneur le Duc de Bourgogne qu’on avoit aussi habillé en tres peu de temps, & qui avoit apris ce qui s’étoit passé, arriva en ce moment ; il se jetta au col du Roy, & dit à Sa Majesté qu’il luy étoit né un Prince. Ce Monarque l’embrassa tendrement ; ils se rendirent à l’Appartement de Madame la Duchesse de Bourgogne, ainsi que tous les Princes & toutes les Princesses qu’on n’avoit pû avertir assez tost. À peine le Roy fut-il entré dans la Chambre de Madame la Duchesse de Bourgogne, que son premier soin fut d’envoyer chercher Monsieur le Cardinal de Janson, & Mr le Curé de Versailles pour Ondoyer le Prince qui venoit de naître. L’impatience de Sa Majesté parut grande en les attendant. Ils firent neanmoins beaucoup de diligence, & ayant Ondoyé le Prince dés qu’ils furent arrivez, Sa Majesté dit à haute voix, aussi-tost que cette Ceremonie fut finie, graces à Dieu, le voila Chrétien, aprés quoy elle embrassa Madame la Duchesse de Bourgogne & Monseigneur le Duc de Bourgogne, & ensuite Madame la Duchesse de Bourgogne ayant embrassé le Prince son époux, elle luy dit d’une maniere qui marquoit autant de tendresse que de joye, Monsieur, je dois ce Prince à vostre pieté, & ce Prince luy répondit, Madame, & moy je le dois à Dieu, & à vous.

Pendant que Me Desperier qui a la Charge de Remueuse, qu’elle a exercée pendant l’enfance de Messeigneurs les Princes, & de feu Monseigneur le Duc de Bretagne, emmaillota le Prince que le Roy n’avoit pas encore nommé, Mr de Chamillart apporta le Cordon de l’Ordre, que Sa Majesté mit à ce Prince lorsque l’on eut achevé de l’emmailloter, tous les Enfans de France étant Chevaliers nez. On trouva que ce Prince, qui est beau de visage, avoit les cheveux noirs, & plus longs que les enfans ne les ont ordinairement en naissant. Sur les huit heures & demie, Madame la Duchesse de Bourgogne & le Prince son fils, étant en bon état, Madame la Maréchale de la Mothe se mit dans la Chaise du Roy, & ayant le Prince sur ses genoux, Sa Majesté dit à Mr le Maréchal de Bouflers, Mr le Maréchal faites vostre charge, & conduisez Monsieur le Duc de Bretagne chez luy, & toute la Cour retentit alors du nom de Monseigneur le Duc de Bretagne. Les Gardes étoient par tout sous les Armes, & la Chaise étoit précedée d’un détachement de Gardes du Corps & de Cent-Suisses ; environnée d’un grand nombre d’Officiers, & suivie de Madame la Duchesse de Ventadour ; de Me de la Lande Sous Gouvernante, & de Me d’Oquinquan, premiere Femme de Chambre. La Cour se trouva tres-grosse sur le passage, le bruit de cette heureuse naissance ayant mis tout Versailles en mouvement. Le Roy ordonna beaucoup d’aumônes, & le Grand Aumônier de France en fut chargé selon l’usage. Quant à Monseigneur le Duc de Bourgogne, outre les liberalitez qu’il fait ordinairement, ce Prince donnant aux pauvres tout ce qu’il a, délivra ce jour-là un prisonnier qui étoit dans les Prisons de Versailles pour une assez grosse somme, & qui avoit eu le bonheur de faire presenter un Placet à ce Prince. Il va tous les jours à la Messe avant le Roy ; mais il y retourna avec Sa Majesté le jour de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, afin d’assister au Te Deum qui y fut chanté.

Je ne vous diray rien des Réjoüissances qui furent faites ce jour-là à Versailles. Elles auroient encore esté plus grandes & de plus de durée, si le Roy n’avoit témoigné qu’il souhaitoit qu’il y eût de la moderation par tout où l’on en feroit. Toutes les maisons de Paris furent illuminées dés le soir même, & toutes les ruës furent remplies de feux, quoy que la nouvelle de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne ne fust qu’à peine répanduë dans tous les Quartiers, de maniere que personne n’avoit eu le temps de se préparer pour donner des marques plus singulieres de sa joye ; mais l’on peut dire que pendant les trois jours consecutifs qu’on alluma des feux, ils furent toûjours en augmentant. Les Horloges publiques sonnérent pendant ces trois jours ; ce qui ne se fait qu’en de pareilles occasions, ou pour les Mariages des Rois, & non pour les réjoüissances qu’on fait pour des Conquestes de Places, & pour des Batailles gagnées.

Le troisiéme jour le Te Deum fut chanté dans l’Eglise Metropolitaine ; où tous les Corps qui ont accoûtumé d’assister à de pareilles ceremonies, avoient esté invitez. Le soir du même jour on tira un Feu d’artifice devant l’Hostel de Ville, dont la principale Figure representoit l’Esperance pour marquer que c’est par elle que l’on attend une suite heureuse de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Quatre Cartouches ornoient les quatre faces du Theatre, dans lesquels on lisoit les paroles suivantes :

I.

Lætis spes addita Francis.

II.

In te domus alta recumbit.

III.

Non deficit alter aureus,

IV.

Nec imbellem feroces progenerant Aquilæ Columbam.

La façade de l’Hostel de Ville estoit illuminée, & il y eut un magnifique Bal, où plusieurs personnes de distinction avoient esté invitées. Ce Bal fut accompagné d’une grande Collation ; outre les feux de bois dont toute la Ville fut remplie, il y eut des Feux d’artifice dans plusieurs Quartiers ; mais comme ce détail me meneroit trop loin, je vous parleray seulement d’un seul, fait par un simple particulier, afin que vous jugiez par là de ce que peuvent avoir fait ceux d’un rang plus élevé. Ce particulier est Mr Cadot, qui loge dans la ruë de l’Arbre-sec. La machine de ce feu qui estoit suspendu, alloit jusqu’au quatriéme étage de la maison la plus haute, & il s’en falloit douze pieds que le bas ne touchast à terre. Ce feu commença à tirer par le bas, & l’artifice ne cessa point de sortir en abondance jusqu’au plus haut de la machine. Il y avoit quatre Devises illuminées. La premiere representoit un Soleil dans son midy, avec ces paroles : Nec pluribus impar ; dans la seconde on voyoit un Dauphin entouré de palmes & de lauriers, autour desquels on lisoit les paroles suivantes : Portum juvat ille subire ; le Corps de la troisiéme estoit un Soleil levant, avec ces paroles : Lætitiam pacem que fero ; & la quatriéme avoit pour Corps une Toison d’or, au dessus de laquelle on lisoit : Mitis amator.

Je ne vous diray rien davantage de ces quatre Devises, dont l’application est aisée à faire.

[Compliment de l’Ambassadeur de Venise pour la naissance du Duc de Bretagne]* §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 328-330.

Tous les Ministres Etrangers qui sont icy s’empresserent de feliciter le Roy sur l’heureuse naissance qui faisoit le sujet de l’allegresse publique. Cependant je ne vous parleray que de l’Audience donnée à Monsieur l’Ambassadeur de Venise, parce qu’il eut le plaisir de faire le premier son compliment au Roy, & que vous serez bien aise d’apprendre en quoy consistoit son habit de ceremonie duquel il estoit vêtu le jour qu’il complimenta Sa Majesté, qui fut le dixiéme & le dernier jour marqué pour les réjoüissances publiques. Il avoit un pourpoint ; des chausses larges garnies de rubans noirs ; un grand manteau traînant en pointe, & chamarré de dentelles noires, ainsi que l’habit, & son chapeau estoit orné d’un fort beau tour de plumes. Il eut audience de toute la Famille Royale, & même de Monseigneur le Duc de Bretagne ; on trouva beaucoup de grandeur dans cet habillement.

[Suite des réjouissances publiques à Paris]* §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 330-335.

Je reviens aux réjoüissances publiques qui ont esté continuées pendant tout le mois de Janvier : il est vray qu’elles n’ont pas esté generales comme elles l’ont esté pendant les trois premiers jours ; mais il ne s’est point passé de jours qu’il n’y en ait eu dans quelques quartiers de la Ville. Monsieur le Cardinal d’Estrées ; Monsieur le Nonce ; Monsieur l’Envoyé de Genes, & plusieurs autres, se sont distinguez en cette occasion, & les Comediens François ayant donné la Comedie gratis, firent illuminer ce jour-là la face de leur Hostel, & tirer beaucoup d’artifice, & l’on en a vû chaque jour l’air remply pendant tout le temps que je viens de vous marquer, de maniere qu’il étoit mal-aisé de mettre la teste aux fenestres dans des lieux où la vûë est un peu étenduë, sans qu’elle fust frappée de l’éclat de quelques fusées volantes.

Vous vous souvenez que dans les mois d’Aoust & de Septembre on fit des prieres publiques dans Paris ; le principal motif de ces prieres, suivant le Mandement de Monseigneur l’Archevesque de Paris, étoit pour obtenir de Dieu par l’intercession des Saints Patrons de la France, l’heureux accouchement de Madame la Duchesse de Bourgogne ; la Chasse de Ste Geneviéve fut découverte, & toutes les Eglises & les Paroisses de Paris & des environs y vinrent avec une affluence & une pieté dont tout le monde fut temoin. Dieu qui a toujours reçu favorablement les vœux qui luy ont esté faits au nom de la ville de Paris par l’entremise de sa sainte Patrone, a semblé vouloir nous marquer visiblement qu’elle devoit à sa puissante intercession le Prince que Madame la Duchesse de Bourgogne vient de mettre au monde  ; puisque non seulement depuis ces prieres publiques, cette Princesse a joüi de la parfaite santé que nous avions demandée pour elle ; mais que par un effet tout particulier de la Providence, elle est accouchée de la maniere du monde la plus heureuse, au milieu de l’Octave de la Feste de Ste Geneviéve, comme si Dieu eust voulu faire sentir à la France, que c’estoit à l’intercession de cette grande Sainte, qu’elle devoit la naissance du Prince qu’elle avoit tant desiré. C’est pourquoy les Chanoines Reguliers dépositaires de ses pretieuses Reliques, ayant cru en devoir rendre à Dieu des actions de graces publiques, ils choisirent pour cette solemnité le 10. Janvier, jour auquel on celebre l’Octave de la Feste de Ste Geneviéve ; ils chanterent le Te Deum sur les cinq heures du soir ; Mr l’Abbé de Ste Geneviéve y officia Pontificalement, & il eut la joye de voir tout le grand peuple qui se trouva à cette ceremonie, se faire un devoir, comme luy, de continuer de demander à Dieu par les merites de Ste Geneviéve la conservation de la personne sacrée de Sa Majesté & de toute la Famille Royale.

Le 22. du mesme mois Mrs les Theologiens & Philosophes du College Royal de Navarre, donnerent des marques de la joye que leur causoit la naissance d’un Prince qui faisoit le sujet de l’allegresse publique, par un Feu accompagné d’un grand nombre de fusées volantes, & du bruit de quantité de boëtes ; & la joye que temoigna en cette occasion toute la Jeunesse de ce College, ainsi que la sincerité de son zele pour toute la Famille Royale, ne furent pas ce qui éclata le moins dans cette Feste. Ils ne firent en cela que suivre les sentimens que leur inspire Mr Morus, leur Principal, ancien Recteur de l’Université, & dont la profonde érudition, la grande pieté & le devoüement entier à Sa Majesté, se font universellement remarquer. Il alluma luy-mesme le Feu qui devoit estre le symbole de son ardeur & de celle des Ecoliers qui sont sous sa conduite.

[Mariage de Mr le Marquis de Gondrin] §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 389-392.

Le 25. de ce mois Mr le Marquis de Gondrin, fils de Mr le Marquis d’Antin & de Julie d’Uzés, fille de feu Mr le Duc d’Uzés, épousa Marie-Victoire-Sophie de Noailles, fille de Mr le Maréchal Duc de Noailles, & de N… de Bournonville. La ceremonie des épousailles se fit dans la Chapelle de l’Archevêché par Mr le Cardinal de Noailles, oncle de la Mariée, en presence de trente personnes du premier rang, parens & alliez des nouveaux époux, que Son Eminence traita magnifiquement aprés la ceremonie. Mr le Maréchal de Noailles donna le soir un grand soupé à la même compagnie, qui fut precedé d’un tres-beau Concert de voix & d’instrumens. Les Epoux furent mis au lit aprés le soupé, & Madame la Princesse d’Epinoy donna la chemise à la Mariée. Le lendemain la même Compagnie alla dîner chez Mr le Cardinal d’Etrées, où elle avoit esté invitée par son Eminence, & elle alla ensuite chez Mr le Bailly de Noailles, où il y eut un grand repas. Les Epoux partirent de là pour se rendre à Versailles, où Madame la Marquise de Gondrin devoit prendre possession de la place de Dame du Palais de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui luy a esté donnée.

Mr le Marquis de Gondrin est bien fait, & il a beaucoup de valeur & d’esprit. Mlle de Noailles est jeune, grande, spirituelle, & bien faite. Elle a cinq sœurs, toutes avantageusement mariées, & l’on ne doit pas s’en étonner, puisqu’elles sont filles de Madame la Maréchale de Noailles, dont l’exemple suffit pour inspirer des sentimens de vertu, & tout ce qui peut rendre une fille parfaite. Je n’ay pas cru devoir entrer dans les Genealogies des Maisons dont j’aurois pû vous parler à l’occasion de ce mariage, vous en ayant déja parlé plusieurs fois fort amplement, & d’ailleurs ces Maisons sont si connuës, qu’il suffit de nommer ceux qui en portent les noms, pour que chacun s’en represente aussi-tost la grandeur.

Enigme. §

Mercure galant, janvier 1707 [tome 1], p. 395-397.

Le mot de l’Enigme du mois passé étoit le Cachet. Plusieurs l’ont cherché, & en ont mesme donné des explications ; mais il a esté trouvé par peu de personnes. Voicy les noms de ceux qui ont deviné juste. Messieurs les Abbez de la Terriere ; de Sainte Cecile, & l’Abbé moitié François & moitié Espagnol ; le Secretaire du Roy de la ruë S. Antoine ; du Coudray, & de l’Epine ; Don Zelut, Seigneur de la Rade Saint Jean ; le fils de Don Gabriel, il Signor Bazini di Bolonia ; Melliti di Sameria ; le respectueux François. Mlles Gresset & Vaerturd ; Mlle de la Houssaye, du Quay neuf, & son époux ; Marie Julienne ; la jeune Muse renaissante ; la charmante Sapho du petit Paris de la ruë de la Verrerie ; la belle Gasconne du Fauxbourg Saint Germain ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; & l’Infante de la ruë Saint Honoré.

Je vous envoye une Enigme nouvelle qui sera plus facile à deviner qu’à expliquer, & dont plusieurs donneront peut-estre un sens enigmatique à leur explication.

ENIGME.

Quoy que mon secours soit vulgaire
Il n’en est pas moins salutaire ;
Celuy qui me visite en mon appartement,
Est fort sûr d’y trouver quelque soulagement ;
Et ce que l’on sçait estre un devoir necessaire,
Commodément par tout sans moy ne se peut faire.
Chez l’un & l’autre Sexe, on me croit si discret,
Que je suis le dépositaire,
De ce qu’ils ont de plus secret.
Aussi sçay-je si bien me taire,
Qu’on me peut seurement confier son affaire,
Sans en avoir aucun regret.
Tel qui le plus m’abhorre, & fuit mon voisinage,
Ne peut me refuser l’hommage,
Que l’on doit me rendre ; & pourquoy,
Nature qui paroist si sage
A-t-elle imposé cette Loy ?
Consultez Hypocrate, il le sçait mieux que moy.