1707

Mercure galant, février 1707 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1707 [tome 2].
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Mercure galant, février 1707 [tome 2]. §

[Réjoüissances faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne] §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 15-19.

Je ne pus donner place dans ma derniere Lettre, à ce qui s’estoit passé à la Paroisse de S. Louis en l’Isle, à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Je vous ay souvent parlé de ce que le Roy a fait pour cette Eglise, dediée au plus saint de nos Rois, Patron & Ayeul de Sa Majesté.

Vous sçavez que la premiere Loterie qui a esté accordée par ce Prince en faveur des Saints Edifices, a esté pour le Bastiment de l’Eglise de Saint Louis. Sa Majesté n’avoit fait jusqu’alors de pareilles graces qu’en faveur des Hôpitaux, mais informé des besoins pressans de cette Eglise, elle en accorda une il y a quelques années pour le Bastiment de l’Eglise de Saint Louis, qui fut tirée avec une approbation generale de tout le public ; mais le fruit que l’on en retira n’ayant pas esté suffisant pour une si grande entreprise, Sa Majesté accorda une seconde Loterie dont les effets paroîtront dans peu. Mr le Curé & Mrs les Marguillers de cette Paroisse, penetrez de justes sentimens de reconnoissance, causez par tant de bontez, & prenant d’ailleurs toute la part qu’ils doivent à la naissance qui fait le sujet de la joye publique, firent dire le Dimanche 23. Janvier, un Salut solemnel dans leur Eglise, où le Saint Sacrement fut exposé, & le Te Deum y fut chanté avec toute la pompe qui leur fut possible ; l’Autel estoit paré de tres-beaux ornemens, & éclairé d’un grand nombre de lumieres. Tous les Paroissiens y assisterent, & firent paroistre une pieté exemplaire, afin d’attirer par la ferveur de leurs prieres, toutes sortes de benedictions sur le jeune Prince qui venoit de naistre ; & toute la ceremonie fut terminée par la Benediction du Saint Sacrement. Les Paroissiens auroient voulu faire éclater leur zele par d’autres marques de leur joye, & en donner une plus grande demonstration par des feux & des illuminations ; mais croyant ne devoir rien faire de semblable sans l’autorité des Magistrats, ils suppléerent par l’ardeur de leurs vœux au Ciel, aux marques exterieures & brillantes de leur joye qu’ils auroient voulu donner avec plus d’éclat dans un temps où l’allegresse doit estre aussi vive qu’universelle dans tout le Royaume.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 19-20.

Les Poëtes ayant exercé leur veine, & les Musiciens leur talent sur la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, il a paru plusieurs Chansons sur ce sujet. Les paroles de celle que je vous envoye ont esté mises en Air par Mr du Careau.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, O France, doit regarder la p. 20.
O France ! en merveilles feconde,
Pour soûtenir l’éclat des Lis,
Le Ciel donne un nouveau Fils
Au plus auguste Roy du monde.
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[Mort de Mr Bayle]* §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 42-53.

Les articles qui regardent la mort des Sçavans sont souvent tres-curieux, & ils instruisent beaucoup lorsqu’ils apprennent, non-seulement le nombre & les noms des ouvrages qui sont sortis de leur plume ; mais aussi l’histoire de ces ouvrages & en quoy ils consistent. C’est ce que vous trouverez dans les deux premiers articles que vous allez lire. Le troisiéme qui regarde la mort d’une sçavante personne de vostre sexe, ne merite pas d’estre lû avec moins d’attention.

Il y a déja quelque temps que vous sçavez la perte que la Republique des Lettres a faite de Mr Bayle. Il est mort à Rotterdam ; le malheur qu’il avoit eu de naistre dans l’heresie, l’obligea de sortir du Royaume dans le temps de la revocation de l’Edit de Nantes pour se retirer en Hollande. C’est où il a publié tant d’excellens ouvrages. Il commença à donner son Journal de la Republique des Lettres, au mois de Mars de l’année 1684. & il le continua jusqu’au mois de Septembre mil six cens quatre-vingt sept ; ces premiers Journaux furent tres-bien receus ; mais ayant esté obligé de discontinuer cet ouvrage sur la fin de l’an 1687. Mr Basnage de Beauval entreprit un nouveau Journal sous le titre d’Histoire des ouvrages des Sçavans, qu’il donna aussi de trois en trois mois ; dans la preface du premier volume de ce Journal, Mr  Basnage convient sincerement du danger qu’il y a d’écrire aprés un aussi habile homme que Mr Bayle. Mr Bernard entreprit à peu prés dans le mesme temps de continuer la Republique des Lettres. Il poussa cet ouvrage jusqu’en 1689. & il cessa ensuite d’y travailler jusqu’en 1699. qu’il le reprit, & il le continuë encore à present. En 1696. Mr Bayle publia son fameux Dictionnaire critique ; cet ouvrage est d’un travail immense ; & on doit le regarder comme un vray tresor de Litterature. Cette édition fut bien-tost épuisée, & l’Auteur travailla à une seconde, qu’il publia en 1702. mais qu’il augmenta considerablement. Il est vray qu’il en reforma plusieurs Articles ausquels la Critique avoit eu lieu de s’attacher. Celuy des Manichéens, qui est dans ce Dictionnaire, donna lieu au livre de la distinction du Bien & du Mal, qu’un sçavant Solitaire donna au public en 1703. Mr Bayle répondit à cet ouvrage où sa doctrine estoit fort attaquée, dans un des Journaux de Mr Basnage. Il publia de sçavantes Observations sur la Comete qui parut en 1680. mais la pluspart des matieres qui faisoient le fonds de cet ouvrage estoient fort étrangers à ce Phenomene, & au lieu des regles d’Astronomie, on y trouva plusieurs belles questions de la plus sublime Metaphysique, & d’autres sujets de cette nature. C’est à peu prés de cette maniere qu’en usa Michel de Montagne, qui donna pour titre à un Chapitre de ses Essais ; Traité des Coches, & qui cependant ne parloit rien moins que des Coches. Mr Bayle a donné il n’y a pas long-temps la suite de ces Observations, contre lesquelles plusieurs Critiques d’Hollande se sont élevez. Il donna peu aprés que feu Mr Maimbourg eut publié son Histoire du Calvinisme, une Critique generale de cette Histoire. On trouve dans cet ouvrage un grand fonds d’érudition ; mais les préjugez du party où l’Auteur avoit le malheur d’estre engagé, y paroissent à découvert : à cela prés la Critique, en ce qui regarde les faits historiques, est exacte. On doit aussi à Mr Bayle, trois tomes du livre intitulé, Réponse aux Questions d’un Provincial : les deux premiers regardent plusieurs sujets de Critique & d’Histoire, & le troisiéme ne contient presque qu’une réponse à quelques écrits qui avoient paru contre luy, au sujet des deux premiers, où il s’estoit déclaré avec trop de liberté sur la préference qu’il donne à l’Atheïsme sur l’Idolâtrie. Mr Bayle publia en 1680. un livre intitulé Pensées diverses, où il répandit sur les sujets qu’il traitoit toute l’érudition qu’ils estoient capables de recevoir. Il en publia la suite en deux volumes en 1705. en voici le titre : Continuation des Pensées diverses, écrites à un Docteur de Sorbonne, à l’occasion de la Comete qui parut au mois de Decembre 1680. ou Réponse à plusieurs difficultez que Monsieur *** a proposées à l’Auteur. À Rotterdam, chez Reinier Leers, 1705. Il y a long-temps que le Public attendoit la suite de cet ouvrage, que Mr Bayle avoit promis diverses fois depuis dix ans. L’opinion que l’Athéïsme n’est pas pire que l’Idolâtrie, luy a attiré une infinité de Critiques, persuadez que l’Atheïsme est la plus pernicieuse disposition d’esprit & de cœur qui se puisse rencontrer dans un homme. Tout le second volume est employé à examiner cette question. Voici sa These : L’Idolâtrie des anciens Payens n’est pas un mal plus affreux que l’ignorance de Dieu, dans laquelle on tomberoit, ou par stupidité ou par deffaut d’attention, sans une malice prémeditée, fondée sur le dessein de ne sentir nuls remords, en s’adonnant à toutes sortes de crimes. Son Dictionnaire dans lequel il y a quelques Articles qui luy ont attiré la mauvaise humeur des Critiques, a aussi donné lieu au livre suivant : La conformité de la Foy avec la Raison, ou deffense de la Religion contre les principales difficultez répanduës dans le Dictionnaire historique & critique de Mr  Bayle. À Amsterdam, chez Henry Desbordes, 1705. p. 390. Mr  Bayle a aussi publié en divers temps plusieurs petites pieces volantes qui ont esté employées dans les Journaux d’Hollande, du nombre desquelles sont celles qui paroissent dans les premiers Journaux de Trevoux, de l’édition d’Amsterdam. Mr Bayle estoit un des grands Philosophes & un des plus sublimes Geometres de nostre temps ; il répandoit l’évidence sur tous les sujets qu’il manioit. Il estoit né dans le Diocese de Rieux. Il laisse un frere à Toulouse qui est un des plus grands Philosophes de ce siecle. Il a donné un excellent Traité de Physique, & des Dissertations de Lacte, de Menstruis, &c. sous le titre de Dissertationes Medico-Physicæ. Cet ouvrage est tres-estimé.

[Vers sur la naissance de Mr le Comte de Crussol] §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 90-94.

Aprés vous avoir parlé d’un homme qui vient de quitter le monde sans abandonner sa vie, je dois vous parler de la naissance d’un jeune Seigneur qui n’en goûtera pas si-tost les douceurs. C’est de celle du fils de Mr le Duc d’Uzés, nommé Comte de Crussol, sur la naissance duquel Mr Simar a fait les vers suivans.

Venez, aimable Enfant, venez, d’un nom illustre,
Et dans tous les temps respecté :
Soutenir la gloire & le lustre,
En consacrant le vostre à l’immortalité.
D’une heureuse fecondité
Vous estes le precieux gage,
Par la vertu même allaité,
Croissez en gloire comme en âge :
En vous voyant, l’œil enchanté
Ignore ce qu’il doit admirer davantage,
Ou les Graces, les Jeux, les Ris, & la Beauté ;
Ou la douce & noble fierté
Qui brille sur vostre visage.
Mais, ô Ciel, quel heureux présage !
Vous naissez presque en même temps,
QuAdelaïde accorde à nos desirs ardens
Un Heros, qui des Dieux est le plus bel ouvrage :
Comte, vous luy devez un legitime hommage,
Mais que vostre destin me paroist glorieux,
Puisque vous avez l’avantage,
De ne ceder qu’au sang des Dieux.

Le jeune Comte qui vient de naître ne tiendra pas si-tost le langage qui fait le sujet des Vers suivans, puisqu’ils renferment une declaration d’amour. Ces Vers sont de Mr Guidin de Blois.

Cessez petits oiseaux, cessez vos doux ramages !
N’insultez plus aux maux que je ressens !
Et n’interrompez point l’Echo de ces bocages,
Qui s’accorde si bien à mes tristes accens :
Ecoutez, comme moy, cette Nimphe sensible,
Qui, de son Palais invisible,
Me rend plainte pour plainte, & soupirs pour soupirs.
Que mon sort seroit doux ! dans le mal qui me presse ;
Si, comme elle, l’ingrate, qui fait mes déplaisirs,
Me rendoit quelquefois tendresse pour tendresse.
***
Je languis la nuit & le jour,
Et je suis tout mélancolique ;
On dit que c’est le mal d’Amour ;
Et que ce mal se communique :
En effet, je l’ay pris de vous ;
Je n’ay jamais pû m’en deffendre :
Ah ! belle Iris, que mon sort seroit doux !
Si je pouvois à mon tour vous le rendre.

[Lettre de Valangin, sur les festes qui s’y font tous les ans] §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 98-103.

La Lettre qui suit vient d’un de ceux qui ont eu part aux Festes dont elle parle. J’ay cru vous la devoir envoyer de la même maniere qu’elle a esté écrite.

Depuis que Son Altesse Serenissime Madame de Nemours est de retour à Paris, on solemnise cet heureux jour dans tout le Comté de Neuchastel & de Valangin. Voicy ce qui s’est sur tout passé dans deux des principaux lieux du Comté de Valangin, à ce sujet ; sur les dix heures du matin du jour que cette Feste fut instituée, tous les hommes capables de porter les armes, se trouverent à Locle & à la Chaux de Fond. Il y avoit six Compagnies à Locle & quatre à la Chaux-de-Fond. Les Officiers, aprés avoir exhorté ces Troupes à estre fideles & obéïssantes à Son Altesse Serenissime, & à continuer leurs vœux pour la conservation de la vie de cette Sacrée Princesse, on fit des décharges generales, & tout le monde, tant hommes que femmes, & enfans, cria Vive Son Altesse Serenissime Madame nôtre Souveraine Princesse, pendant que les Troupes rechargeoient leurs armes. Il y avoit dans un Char de Triomphe, six sortes d’Instrumens ; quatre jeunes filles, & deux garçons qui chantoient une chanson de leur composition, qui convenoit au sujet de leur joye, & qui exprimoit parfaitement les sentimens de leurs cœurs. Peu de temps aprés soixante Cavaliers monterent à cheval à la Chaux-de-Fonds, pour se rendre à moitié chemin de Locle ; ce Char de Triomphe marcha escorté de huit Cavaliers & de seize Fantassins. Nous continuames nostre marche jusqu’au lieu où nous rencontrâmes la Cavalerie de Locle qui estoit rangée dans une grande Prairie. Aprés qu’on se fut salué de part & d’autre à coups de pistolets, les Officiers mirent pied à terre. On dressa une table au milieu de la Campagne chargée d’une tres-belle collation ; les Cavaliers au nombre de deux cent, demeurerent à cheval, pendant que les Officiers de part & d’autre burent & mangerent ensemble. On but à la santé de nostre Auguste & Serenissime Princesse, au bruit & aux décharges de la Mousqueterie, composée de huit cens Soldats qui estoient campez sur une hauteur vis-à-vis de nous. Cette réjoüissance qui se fit sur le gazon, jusques à quatre heures du soir, qu’on se sépara pour aller mettre le feu chacun à des tas de bois de quinze à vingt chars, où l’on fut jusqu’à huit heures du soir, en continuant les cris de joye & de réjoüissance. Chacun illumina ses fenestres. Cette illumination fut des plus brillantes, puisque de simples particuliers trouverent moyen de placer jusqu’à quarante lumieres à leurs fenestres. Il y en eut même qui ne pouvant à leur gré en mettre assez devant leurs maisons, en attacherent à des arbres qui n’en estoient pas éloignez. Ces illuminations estant finies, il y eut un grand Bal, qui dura jusques à quatre heures du matin.

[Sacre de Mr l’Evesque de Limoges] §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 116-125.

Je crois qu’ayant à vous parler du Sacre de Mr de Matignon Evêque de Limoges, je dois vous envoyer la Lettre qui m’a esté adressée sur ce sujet, & qui vous expliquera mieux que je ne pourrois faire tout ce qui s’est passé à cette occasion.

À Lyon ce 7e. Février.

La ceremonie du Sacre de Monsieur l’Evêque de Limoges qui fut faite dans cette Ville Dimanche passé 23. du mois de Janvier, a esté accompagnée de quelques circonstances si particulieres, que j’ay crû que je vous ferois plaisir, Mr, si je vous les faisois sçavoir.

La premiere circonstance qui a rendu cette ceremonie fort singuliere, est que des quatre Prelats qui l’ont faite, il y en a trois qui sont Comtes de Lyon. Ces trois Prelats sont Monsieur l’Archevêque de Lyon ; par les mains duquel le nouvel Evêque fut Sacré, Monsieur l’Evêque de Saint Flour qui fut le premier Evêque Assistant, & Monsieur l’Evêque de Limoges, qui fut Sacré.

On avoit même crû d’abord pouvoir compter sur un quatriéme Prelat Comte de Lyon, comme les trois premiers, Monsieur l’Evêque de Poitiers qui avoit esté invité, ayant fait esperer qu’il pourroit se trouver à Lyon pour ce Sacre ; mais la trop grande distance des lieux & quelques autres obstacles essentiels dérangerent les mesures qui avoient esté prises, & on eut recours à Monsieur l’Evêque de Bellay dont le Diocese est dans nostre voisinage. La seconde circonstance qui a paru singuliere dans ce Sacre, regarde les incidens qui en ont fait differer la ceremonie pendant deux mois & qui ont contraint Monsieur l’Evêque de Saint Flour, qui d’ailleurs reside si exactement dans son Diocese, de rester malgré luy dans cette Ville durant tout ce temps-la. Le retardement extraordinaire des Bulles pour le nouvel Evêque qui estoient attenduës chaque jour de Rome, avoient déja arresté assez long-temps ici Monsieur l’Evêque de Saint Flour, lorsqu’un nouvel incident encore plus fâcheux, acheva de mettre à l’épreuve la patience de ce Prelat ; ce fut une maladie fort violente & fort dangereuse dont il fut attaqué en sortant de l’Eglise de Sainte Elizabeth en Bellecour, d’où il venoit de recevoir la profession d’une Religieuse, & d’administrer la Confirmation à un grand nombre de personnes ausquelles il fit une exhortation tres-touchante pour les disposer à ce Sacrement.

Le bruit de cette maladie s’étant répandu dans cette Ville, tout le monde fut persuadé que le Sacre ne pouvoit estre fait de fort long-temps, parce que le mal devint tres-violent en peu de temps, & que la gangréne s’y estant mise, il fallut faire au Malade des incisions tres-douloureuses, qu’il soûtint avec toute la patience d’un vray Chrestien, & avec tout ce courage qui semble estre hereditaire dans l’illustre Maison d’Estaing ; mais on apprit bien-tost avec une sensible joye, que ce Prelat estoit hors de peril, & aprés quinze jours, on le vit avec admiration faire durant deux ou trois heures la ceremonie du Sacre, d’un air aussi tranquille & aussi ferme que s’il avoit joüi de la santé la plus parfaite.

La troisiéme circonstance qui a paru digne de remarque dans ce Sacre, c’est qu’on n’avoit point vû dans Lyon de pareille ceremonie depuis cinquante-trois ans ; c’est-à-dire depuis le Sacre de feu Monsieur Camille de Neufville, qui se fit en 1654. La derniere chose que je dois vous faire remarquer, Monsieur, c’est que ce Sacre a esté fait dans l’Eglise de Saint Jean, si venerable aux Fideles par son ancienneté, qui est de plus de dix siecles ; par le précieux dépost de la teste de Saint Irénée ; de celle de Saint Cyprien, Evêque de Carthage, & de plusieurs autres Reliques considerables qu’on y conserve ; par la dignité de son Archevêque Primat des Gaules, & de ses trente-deux Chanoines Comtes de Lyon, & par la majesté des plus anciennes ceremonies de l’Eglise, qu’on y a toûjours conservées dans la Messe & dans l’Office que l’on y fait par cœur & sans instrumens de Musique.

C’est dans ce mesme lieu que l’Eglise Grecque fut réunie il y a 432. ans avec la Latine, dans un Concile general qui y fut tenu l’an 1274. par le Pape Gregoire X. qui en avoit esté Chanoine.

Il reste encore aujourd’huy dans cette mesme Eglise de S. Jean, un Monument fort singulier de cette Paix, auquel peu de gens font attention. Pour marquer que la réünion des deux Eglises, Latine & Grecque, s’est faite dans cet endroit, il y a en tout temps deux Croix aux deux costez du Maistre Autel, au lieu que dans toutes les autres Eglises il n’y a qu’une seule Croix au milieu de l’Autel.

Voilà ce que j’ay cru devoir vous écrire sur le Sacre de Monsieur l’Evesque de Limoges, auquel Monsieur l’Archevesque de Vienne assista comme particulier, avec tout le nombreux Clergé & les personnes les plus qualifiées de cette Ville, outre une foule innombrable de peuple qui remplissoit cette vaste Eglise & les doubles Galeries qui l’environnent. Je suis, &c.

[Suite des Réjoüissances faites pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne] §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 126-163.

Il s’est fait des rejoüissances dans toutes les Villes du Royaume pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. À peine eut-on appris cette nouvelle à Bayonne, que les réjoüissances y commencérent d’une maniere qui fit connoître l’ardeur & la sincerité du zele de tous les Habitans. La Reine Doüairiere d’Espagne assista au Te Deum qui fut chanté, & voulut aller à l’Hostel de Ville pour y voir le feu qui fut fait le soir dans la Place de cet Hostel, & pour y mieux remarquer la joye du peuple qui estoit assemblé en ce lieu. Les illuminations furent grandes par toute la Ville, où l’on alluma des feux dans toutes les ruës. Chacun se distingua à l’envi. On ne pouvoit attendre moins d’un peuple dont le Gouverneur est si zelé & si attentif à tout ce qui peut regarder le bien & la gloire de l’Etat. L’Auguste Princesse dont je viens de vous parler, donna de plus d’une maniere des marques d’une joye parfaite.

On chanta le Te Deum à Montpellier le 22. de Janvier au sujet de la même naissance. Monsieur le Duc de Roquelaure, tout le Clergé & toute la Noblesse, se trouvérent à cette ceremonie, Me la Duchesse de Roquelaure estoit dans une tribune, accompagnée d’un grand nombre de Dames. On tira un feu d’artifice à l’issuë du Te Deum, & Mr le Duc de Roquelaure, suivi de toute la Noblesse & des Officiers, alluma le feu de la Ville ; ce feu se fit à la Place de la Canourgue, Me la Duchesse de Roquelaure estoit chez Me Damartin, qui a une tres-belle maison dans cette Place ; on luy donna une collation magnifique, où se trouva Mr le Duc de Roquelaure ; toute la maison estoit remplie de leur suite, qui eut part à cette collation. Mr & Me de Roquelaure allerent ensuite chez Me de Basville, qui leur donna un fort grand soupé, & le lendemain 23. Mr & Me la Duchesse ayant voulu donner en leur particulier des marques de leur joye, firent dire que la porte de leur Hostel seroit ouverte à tous ceux qui voudroient venir le même jour à six heures du soir. L’empressement de s’y rendre fut grand. Messieurs les Archevêques & Evêques qui avoient esté conviez en particulier s’y rendirent aussi. Dés que l’on fut en pleine nuit les rideaux des fenestres qui donnent sur le jardin ayant esté tirez, on remarqua l’édifice d’un feu d’artifice. Cet édifice qui estoit illuminé par un grand nombre de lamperons, estoit d’ordre Toscan. Il avoit huit toises de face, & une balustrade, au-dessus de laquelle estoient les armes du Roy. Chaque façade avoit huit pilastres. Il y avoit dans celle qui regardoit l’Hostel de Roquelaure, un grand Tableau qui representoit la France à genoux qui recevoit le Prince qu’un Ange luy apportoit. On voyoit aux costez de ce Tableau des figures rehaussées d’or, qui representoient plusieurs Vertus. Dans les entre deux des groupes des pilastres, estoient les armes de Monseigneur, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Madame la Duchesse de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc de Bretagne, & au-dessus de toutes ces armes on remarquoit des devises qui convenoient au sujet.

Les autres façades de cet édifice estoient ornées à peu prés dans le même goust ; mais avec cette difference, que l’on avoit pratiqué à celle qui estoit en dehors & qui donnoit sur l’esplanade de la Ville, des masques marins qui jetterent du vin pendant tout le jour & toute la nuit. On avoit placé des muids de vin dans le jardin pour les domestiques de ceux qui estoient à la Feste. Toutes ces façades depuis le bas jusqu’au dessus de la balustrade, estoient peintes de marbres de differentes couleurs, & les figures & balustres étoient feints d’or, ainsi que de grands vases qui estoient posez sur les piédestaux de la balustrade, qui estoient illuminez par le dedans & qui jettoient de grandes flammes de feu. Une grande Pyramide s’élevoit du milieu de cet édifice ; elle estoit terminée par un globe d’azur, orné de fleurs de lis d’or.

L’illumination ayant fait pendant quelque temps le plaisir de l’Assemblée, le canon commença à tirer, & l’air parut ensuite tout remply d’artifice. Le feu ayant achevé de tirer, on passa dans une grande Salle, où plusieurs Musiciens chanterent divers morceaux des plus beaux Opera, & qui convenoient le plus au sujet de la réjoüissance publique. On soupa ensuite, & l’on servit plusieurs tables en même temps & avec une égale magnificence. Plus de 300. Personnes, de compte fait, souperent fort à leur aise dans les Appartemens d’en bas ; on servit aussi une Table dans les Appartemens d’en haut pour Mrs les Archevêques & Evêques ; Mr de Roquelaure tenoit cette Table. Tout le monde but les santez de Madame la Duchesse de Bourgogne & de Monseigneur le Duc de Bretagne de la maniere accoutumée dans ces sortes de Festes. Il y avoit long-temps que l’on n’avoit rien veu de si magnifique dans Montpellier. Tout se passa avec tant d’ordre que l’on auroit pû croire qu’il n’y avoit dans la maison que la Compagnie de la Chambre où l’on estoit. Il y eut un grand Bal aprés le souper, où tout le monde dansa, excepté Mrs les Archevêques & Evêques qui se retirerent. Mr & Me la Duchesse de Roquelaure estoient dans deux fauteüils placez sous un dais. Ce Duc & cette Duchesse qui n’avoient point voulu danser depuis qu’ils sont à Montpellier, & qui avoient seulement fait danser devant eux, voulurent en consideration du sujet de la Feste commencer le Bal. L’habit de Mr le Duc de Roquelaure estoit de Velours noir avec des Boutons d’or massif, & sa veste estoit d’une étofe tres-riche. Il ne paroissoit assez de fond à celuy de Madame la Duchesse de Roquelaure que pour faire voir qu’elle l’avoit voulu d’une couleur modeste ; le devant de son corps estoit de velours noir tout chamarré de tres-belles pierreries ; & elle avoit une ceinture de diamans, de maniere que tout cet ajustement, joint à l’air grand & majestueux que l’on remarque dans sa personne, faisoit que la place qu’elle occupoit ne pouvoit être mieux remplie. On fut charmé de la voir danser, & toute l’Assemblée avoüa que l’on ne pouvoit s’en acquiter avec plus de grace ; de maniere que toutes les personnes qui n’étoient pas placées au premier rang se leverent pour la voir danser, ce qu’elle fit aux acclamations de tous ceux qui ne pouvoient se lasser de l’admirer. Cette Duchesse dit, que puisqu’elle avoit dansé elle vouloit que toutes les Dames serieuses, & qui avoient quitté la danse il y avoit long temps, dansassent aussi, ce qui fut executé & mit beaucoup de gayeté dans le Bal. C’est ainsi que finit la Feste dont on parle encore aujourd’huy dans toute la Province.

Mr de Paratte, Maréchal de Camp, & qui commande en chef dans le Comté de Nice, fit chanter, de concert avec le Clergé, le Te Deum dans l’Eglise principale de la Ville qui porte ce nom. Cette Ceremonie se fit le 23. de Janvier à quatre heures du soir. Le Senat y étant arrivé Mr de Paratte s’y rendit à la teste du Corps de Ville, des Officiers des troupes & de la Noblesse. Les François avoient tous des Cocardes blanches, & les Officiers des autres Nations qui s’y trouverent, en avoient de mêlées de blanc & de bleu, & les Dames les avoient imitez, en ayant mis de pareilles à leurs coiffures. Lorsque la nuit approcha tous ces Officiers allerent prendre au Palais Mr de Paratte. Ils marcherent en Corps avec des flambeaux de cire blanche à la main, pour aller allumer le Feu de joye, au bruit du Canon de Nice, de Montalban & de Ville franche, & de la Mousqueterie de cinq Bataillons qui étoient rangez sur la Montagne où étoit le Chasteau de Nice, & les cinq Bataillons qui sont en ce lieu firent chacun vingt feux de neuf pieds de hauteur. Ceux du premier Bataillon de Flandre formoient un Cercle au plus haut de la Montagne. Ceux du second formoient un autre Cercle au dessous. Ceux du Regiment de Grignan faisoient voir un troisiéme Cercle au dessous du second de Flandre ; le quatriéme étoit formé par les feux du Regiment de Champigny ; & le cinquiéme par ceux du Regiment de Saillan : de maniere que ces cinq Cercles qui contenoient cent feux formoient un Collisée ou Amphiteatre. Les troupés firent leurs décharges au milieu de ces feux, ce qui produisit un des plus brillans effets qu’il soit possible d’imaginer. Tous ces feux étoient vûs de trente lieuës, tant sur terre que sur mer, & l’on prétend même que les décharges se firent entendre aussi loin du costé de la mer. Tous les Habitans de la Ville de Nice firent de grandes illuminations, & remplirent toutes leurs fenestres de lumieres. Une partie de la Ville étant en Amphiteatre sur le penchant de la Montagne, & l’autre partie en plaine, & les maisons étant toutes de cinq à six étages, tout ce grand amas de lumieres qui jettoit une réverberation dans la mer, produisoit un effet aussi merveilleux que surprenant, & toutes les ruës étant remplies de feux ne paroissoient pas moins brillantes que les maisons. Aprés que le Feu principal, apelé le Feu du Roy, fut allumé, on n’entendit dans toute la Ville & sur toute la Montagne, que des cris de Vive le Roy. Pendant que tant de feux brilloient de toutes parts, Mr de Paratte se mit en marche, suivy du Corps de Ville & de toute la Noblesse pour aller ouvrir une Fontaine de Vin qui sortit du pied d’un Soleil de 14. pieds de diamettre ; les Armes du Roy étoient posées à la pointe de chacun de ses rayons ; celles de Monseigneur au dessous ; celles de Monseigneur le Duc de Bourgogne paroissoient ensuite, & celles de Monseigneur le Duc de Bretagne étoient au dessous. On lisoit au dessus du Soleil les paroles suivantes, qui sont celles de la Devise de Sa Majesté : Nec pluribus impar. Et au dessous : Il porte par tout ses rayons & l’abondance ; le tout estoit orné de Trophées d’armes mêlez de flammes & de festons. Le tout produisoit un éclat aussi ébloüissant que celuy du Soleil, à cause de cinquante flambeaux allumez, qui estoient derriere, & dont l’éclat rejaillissoit jusques sur le Palais auprés duquel on avoit placé ce Soleil. Ce Palais estoit illuminé par 200. flambeaux qui estoient aux fenestres. Mr de Paratte qui estoit à la teste de toute l’Assemblée qui se trouva en ce lieu, beut à la santé du Roy, qui fut portée au premier Consul. Ces santez furent suivies par des cris réïterez de Vive le Roy. Toutes les Troupes descendirent ensuite en marchant en ordre, & Mr de Paratte estant à leur teste, alla saluer toutes les Armes de la Famille Royale. Tous les Officiers & tous les Soldats burent en passant devant ces Armes. La Fontaine qui estoit au pied, fournit du vin jusqu’à minuit. Toutes les Dames, la Noblesse, & les Officiers entrérent ensuite au Palais, où l’on joüa avant le soupé. Le jeu fini on se mit à table, & Mr de Paratte ayant aussi-tost demandé à boire, bût le premier à la santé de Sa Majesté, qui fut accompagnée de cris de Vive le Roy. Toutes les Dames, tous les Officiers, & toute la Noblesse en firent de même, & l’on bût ensuite les santez de Monseigneur, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc de Bretagne, & l’on bût en sortant de table à l’heureux jour que Sa Majesté mariera Monseigneur le Duc de Bretagne. Mr de Paratte commença ensuite le Bal avec Me son épouse. On ne peut rien ajoûter à la magnificence de cette Feste, & à l’ordre qui y fut observé, & rien n’est égal à la joye que les peuples du Comté de Nice ont marquée en cette occasion.

Madame de Lanmary, Abbesse de Ligueux, toûjours attentive à tout ce qui peut prouver son zele pour la Maison Royale, vient encore d’en donner de nouvelles marques, en faisant chanter le Te Deum pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne, dans l’Eglise de son Abbaye où s’est trouvée toute la Noblesse du voisinage, qu’elle y avoit fait inviter. Ces actions de graces ont esté suivies de grandes réjoüissances. Cette Abbesse est sœur de feu Mr le Marquis de Lanmary, Grand Echanson de France, Capitaine-Lieutenant des Gendarmes de la Reine, mort à l’Armée d’Italie le 26. Juillet 1702. extrêmement regretté. Il a laissé plusieurs enfans, dont l’aîné est Mr le Marquis de Lanmary, grand Echanson de France, qui doit servir la Campagne prochaine en qualité de Mousquetaire.

Vous sçavez que la Maison de Lanmary est une branche de celle de Beaupoil-Saint-Aulaire, qui a pour chef Mr le Marquis de Saint-Aulaire, Lieutenant general au Gouvernement du haut & bas Limosin, qui fut reçu à l’Academie Françoise avec Mr l’Abbé de Louvois le 23. du mois de Septembre dernier. Mr l’Evêque de Tulles & Mr le Commandeur de Saint Aulaire, Secretaire des Commandemens du Grand-Maistre de Malte, sont freres de Mr le Marquis de Saint-Aulaire. Mr le Comte de Saint-Aulaire son fils aîné, est Colonel du Regiment d’Anguien. Son second fils est mort au siege de Turin, où il commandoit le Regiment de Saint Aulaire Infanterie, dont il estoit Colonel.

La Lettre qui suit vous apprendra les réjoüissances qui se sont faites à Pau, pour la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne.

À Pau ce 2e Février.

Vous vous interessez trop à tout ce qui regarde cette Ville, pour ne vous pas faire part de ce qui s’y vient de passer.

Mr de Bertier, Premier President de ce Parlement, qui joint à sa bonne mine, des manieres affables & polies, qui luy gagnent les cœurs de tout le pays, a voulu donner une marque publique de son zele pour tout ce qui regarde le Roy & l’Etat. Tout le Parlement assista au Te Deum qui fut chanté hier matin à la Paroisse, & à la fin duquel toute l’Artillerie du Chasteau fit plusieurs décharges. L’aprésdînée tout le peuple de la campagne, attiré par le bruit de la Feste, s’estant joint à celuy de la Ville, alla ensuite chez Mr le Premier President, & ses Appartemens estant ouverts à tout le monde, la propreté en fut remarquée, & l’on y admira les Portraits du Roy & de la Famille Royale, qui sont des plus ressemblans. Les croisées de toutes les faces de la maison estoient garnies de deux rangs de fanaux, sur lesquels on avoit peint les Armes de France, de Bretagne & de Navarre ; ce qui devoit produire un spectacle aussi agréable que brillant dés que la nuit commenceroit à paroistre. Le grand Portail representoit un Arc de Triomphe composé de Lauriers, au frontispice duquel on lisoit ces mots : à la gloire du Roy et de son auguste Famille. Les Portraits du Roy & de Monseigneur le Dauphin estoient placez aux deux costez de cet Arc, dans lequel entre les colonnes, on avoit pratiqué des fontaines qui fournissoient une grande abondance de vin, & les chapiteaux de ces colonnes estoient chargez d’artifice.

Sur les quatre heures aprés midi, le Corps de Ville suivi de la Bourgeoisie sous les armes, aprés avoir allumé le feu de la Ville avec les ceremonies accoûtumées, se rendit en bon ordre de la Place Royale chez Mr le Premier President. Il trouva au milieu de la Cour une table couverte de toutes sortes de mets. La Bourgeoisie se mit sur deux rangs en bataille dans cette Cour. Pendant ce temps la Ville s’avança jusques dans l’Appartement de Mr le Premier President, où elle le trouva qui venoit au-devant d’elle. On descendit ensuite dans la Cour, où en arrivant Mr le Premier President, le Maire & les principaux Officiers de Ville, s’estant arrestez au haut de la Table, burent debout à la santé du Roy au bruit des acclamations réïterées de Vive le Roy, que faisoit retentir le peuple, dont la cour & la ruë estoient remplies, & au bruit de plusieurs décharges de mousqueterie que fit la Bourgeoisie. Ces décharges ne furent interrompuës que pour boire aussi à la santé du Roy. Les fontaines de vin fournissoient en même temps au peuple qui remplissoit la ruë, dequoy renouveller la même santé. On distribua à ceux qui estoient dans la cour une partie des mets qui couvroient la table, & l’on fit promener parmi eux un grand nombre de flacons de vin qui se trouverent vuides presqu’en même temps qu’ils furent entamez, ce qui donna un agréable spectacle. Le vin dont ces flacons estoient remplis, estoit de Juranson, qui est aussi estimé en ce pays que celuy de Champagne, auquel on prétend qu’il peut le disputer. Cependant on en distribua au peuple avec autant d’abondance que si ce vin avoit esté fort commun, & l’on auroit dit à voir la maniere dont on le prodiguoit, qu’il n’y avoit qu’à en aller puiser dans le Gave ; c’est-à-dire dans la riviere.

Toute la Bourgeoisie ayant ensuite défilé en faisant plusieurs décharges, revint plusieurs fois & fit de nouvelles décharges pour faire connoistre que son zele n’avoit point de bornes puis qu’il s’étendoit au de-là de l’usage ordinaire. Pendant que ces choses se passoient l’Assemblée, qui se formoit de tout ce que la Robe & l’Epée fait voir icy de plus illustre, grossissoit dans les Appartemens dont Madame la Premiere Presidente faisoit les honneurs, avec le bon esprit & l’obligeante attention qui engage tout le monde à en parler avantageusement, & qui fait qu’on s’assemble si volontiers chez elle. Les Dames remplissoient une partie des fenestres, & les filles assemblées dans l’Appartement de Mlle de Bertier, que vous ne pûtes mieux loüer un jour qu’en disant qu'elle formoit son merite sur celuy de Madame sa mere, occupoient l’autre costé des fenestres. Tout ce beau sexe, aprés avoir pris beaucoup de plaisir à tout ce qui s’étoit passé dans la Cour, quitta les fenestres, & fit plusieurs parties de jeu. Pendant que le plaisir du jeu l’occupoit, le Peuple dont les ruës estoient remplies n’en prenoit pas moins à voir l’illumination qui dura jusques à quatre heures du matin ; cette illumination estoit accompagnée de celles de toute la Ville. Les parties du jeu estant finies on servit deux Tables pour les Dames de dix-huit couverts chacune, qui furent également remplies de tout ce que la saison avoit de plus rare, & quatre autres moindres pour les hommes, dont deux ou trois avoient à peine pûrent trouver place aux Tables des Dames. L’Artifice dont je vous ay déja parlé, & qui accompagnoit l’Arc de Triomphe joüa alors avec beaucoup de succés, & on choisit ce temps-là à toutes les Tables pour boire les santez du Roy, de Monseigneur, de Monseigneur le Duc de Bretagne, & des autres Princes de la Famille Royale, ce que l’on fit avec une joye aussi grande que respectueuse. Il y avoit au fruit une prodigieuse quantité de confitures seiches qui fut distribuée au Peuple qui se trouva dans la Salle, & dont la foule estoit si grande que les Tables ne furent servies qu’avec beaucoup de peine ; cependant chacun eut part à ces confitures, Mr le Premier President & Me la Premiere Presidente n’ayant pas voulu que l’on remportast la moindre chose. Les Violons qui avoient commencé à joüer lorsque l’on servit le fruit, continuerent aprés le souper, ensuite duquel il y eut un grand Bal où toutes les Dames estoient fort parées. Cette Feste dura jusqu’à 3. heures aprés minuit sans que la foule & le vin causassent aucun désordre, malgré la vivacité des gens du Pays qui ne servit qu’à en faire mieux briller le zele & l’esprit. Cette Feste continuë encore aujourd’huy par une Fontaine de vin qui coule depuis hier devant l’Hostel de Ville, & par un grand repas que la Ville a donné, aprés lequel la Bourgeoisie sous les armes, precedée par le Corps de Ville est retournée chez Mr le Premier President, où l’on a chanté des Airs à la loüange du Roy & sur la naissance du nouveau Prince, ensuite de quoy l’on a fait encore une triple décharge de Mousqueterie, accompagnée de cris redoublez de Vive le Roy, & nostre Premier President, en buvant encore du bon vin de Juranson.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 163-164.

Je crois ne pouvoir mieux finir cet Article de réjoüissances, que par l’Air que je vous envoye. Il est de Mr Careau.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le Ciel donne un Prince, doit regarder la page 164.
Le Ciel donne un Prince à la France,
Les jeux, les ris, & les amours,
Ont celebré sa naissance ;
Phœbus, pour l’honorer, ramene les beaux jours ;
Nostre vin est bon à merveille :
Ha que de plaisirs à la fois ;
Chantons armez d’une bouteille,
La gloire & le bonheur de l’Empire François.
images/1707-02_163.JPG

[Mort de Anne de la Grange, Comtesse de Frontenac]* §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 168-174.

Dame Anne de la Grange, veuve de Mre Louis de Buade, Comte de Frontenac, Gouverneur & Lieutenant general de la nouvelle France, est morte en cette Ville. Elle avoit esté Dame d’Honneur de feuë S. Altesse Royale Mademoiselle, & elle avoit eu beaucoup de part aux bonnes graces de cette Princesse. Me de Frontenac avoit l’honneur d’appartenir à la Reine Doüairiere de Pologne, & elle sortoit de la même tige que cette Princesse ; elle estoit aussi alliée de fort prés à la Maison de Beauvillier, parce que Jacqueline heritiere d’une branche de la maison de la Grange, épousa Honorat de Beauviller, Comte de Saint Aignan, pere de feu Mr le Duc de Saint Aignan. Jacqueline de la Grange estoit cousine germaine de l’ayeul du pere de la Reine de Pologne ; de sorte que Mrs les Ducs de Beauvillier & de Saint Aignan petits-fils de Jacqueline de la Grange, sont cousins au quatriéme degré de cette Princesse. Je fais cette remarque, parce que Me de Frontenac estoit cousine au même degré de cette Princesse. La maison de la Grange est originaire du Berry ; elle a produit François II. du nom, Maréchal de France, pere de Jacqueline dont je viens de parler ; il estoit l’aîné de sa maison & frere d’Antoine, bisayeul de la Reine Doüairiere de Pologne, & qui fit la branche d’Arquien. Mr le Comte de Frontenac estoit d’une des meilleures maisons du Royaume. Il avoit fait bâtir dans le Nouvelle France à Cataracoüi, ou comme d’autres disent Kataracoüi, le Fort qui porte son nom ; & qui est situé à l’entrée du Lac Ontario en y arrivant du costé de Montreal. Il paroist estre au 44e degré de latitude au Nord. Mr de Frontenac avoit fait son plus long sejour dans ce lieu. Sa bonne conduite luy avoit attiré la confiance & l’amour de la plus grande partie des Americains, qui le regardoient tous comme leur pere & comme leur Protecteur. C’est à l’ayeul de feu Mr de Frontenac qu’Antoine Buccupaduli, Romain de nation, & qui vivoit sur la fin du seiziéme siecle, dédia un Recüeil de Lettres, qui luy avoient esté écrites pendant qu’il estoit Secretaire des Brefs Apostoliques, sous le Pontificat de Gregoire XIII. Janus Nicyus Erytræus en parle dans ses éloges des Hommes illustres. La maison de Buade est connuë dans le Royaume depuis plus de trois siecles. Elle y estoit dans une grande consideration sous le regne de Philippe de Valois. Ce Monarque fit de grands biens à un Seigneur de Buade, qu’il honora de sa confiance ; il le chargea même de quelques negotiations secrettes, dont il s’acquitta avec beaucoup de succés.

Mr le Comte de Frontenac estoit civil, honneste, obligeant ; il estimoit fort les gens de Lettres, & il avoit acquis plusieurs belles connoissances. Il avoit le goust fin sur les ouvrages d’esprit, & lors qu’il estoit en France on déferoit fort au jugement qu’il portoit sur les Pieces de Theatre. Me la Comtesse de Frontenac estoit belle, bien faite, & elle avoit des manieres engageantes qui luy attiroient beaucoup d’amis.

[Prise de Mahon]* §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 211-213.

Toutes les autres troupes suivirent de prés, & se vinrent mettre en bataille proche le Fauxbourg. Il y eut un Officier Espagnol tué à la porte mesme ; Marandé, & plusieurs de nos Soldats furent blessez dans le Fauxbourg, où tous nos gens devoient estre tuez, ce Fauxbourg étant enfilé par un Bastion & par les murailles de la Ville, d’où les Rebelles faisoient un fort grand feu. Cependant la maniere dont nos Grenadiers les avoient amenez dans leur Ville, les ayant intimidez, on y entendit crier quelque temps aprés, Vive Philippe quint. Mr de Villars envoya dans ce temps-là un Tambour pour sommer la Place de se rendre dans le moment, sans quoy il feroit tout passer au fil de l’épée. La crainte les détermina à envoyer aussi-tost les Bayles du lieu demander pardon & la vie, se soumettant de la part de tous les Habitans de la Ville à l’obéissance du Roy Philippe. Ils demanderent aussi à Mr de Villars de ne point faire entrer ses troupes ce soir-là dans la Ville, appréhendant que les Soldats, encore animez, ne fissent beaucoup de désordre pendant la nuit, ce qu’il leur accorda, faisant seulement garder toutes les portes en dehors par ses Grenadiers. Il fit aussi occuper un Convent de Cordeliers qui est une vraye Forteresse, & logea le reste des Troupes dans le Faux-bourg dont nos Grenadiers s’étoient rendus maistres en arrivant. Le lendemain 6e. toutes les Troupes entrerent tambour battant dans la Ville, où le Clergé chanta le Te Deum.

[Relation digne de la curiosité de toute l’Europe, où l’on voit tout ce qui s’est passé, & toutes les festes qui se sont données à l’occasion du mariage d’un des plus grands Princes, & d’une des plus grandes Princesses d’Alemagne] §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 244-288.

La Relation que vous allez lire est d’un Officier qui a accompagné la Princesse, à l’occasion du mariage de laquelle il rapporte toutes les Festes qui se sont faites. Il en rend compte à sa Souveraine qui l’a envoyée en France à une grande Princesse, dont je la tiens.

RELATION, ENTRÉES, FESTES ROYALES, 1706.
À l’Auguste Princesse Palatine, Electrice de Brunswick & Lunebourg.

Pour satisfaire aux ordres de vostre Altesse Electorale, je commenceray cette relation de la Ville de Magdebourg. S.A.R. y arriva sur le midy, & trouva à un quart de lieue de la Ville, 44. Carosses à six Chevaux, & beaucoup de Gentilshommes du Pays à Cheval, magnifiquement habillez, ayant à leur teste un grand nombre de Chasseurs. Elle entra dans la Ville avec tout ce cortege. Son Altesse Royale fut conduite au Palais Royal au bruit du canon & de la Mousquetterie tant de la Bourgeoisie que des Troupes, qui bordoient les ruës depuis la porte de la Ville jusqu’au Palais. Toutes les Dames de la Ville estoient sur le Perron & eurent l’honneur de saluer Son Altesse Royale à la descente de son Carosse. Elle monta ensuite dans son Appartement, où Mr le General de Finck luy presenta Mr le Doyen à la teste des Chanoines, & le Corps de la Noblesse, qui complimenterent Son Altesse Royale sur son heureuse arrivée. Elle y dîna, & les Principaux du Pays eurent l’honneur d’estre admis à sa Table. On servit en mesme temps huit grandes Tables pour la Noblesse. Ce repas fut accompagné d’une fort belle Musique. Son Altesse Royale, estant sortie de Table apprit qu’il y avoit dans la place du Palais un grand peuple qui brûloit d’envie de voir son Auguste Princesse ; elle passa de la Salle du Festin sur un Balcon, & la maniere agreable dont elle le fit luy attira tous les cœurs des Peuples. On vit aussi-tost paroître quarante François vêtus à la Moresque ; leurs habits estoient couleur d’Orange : ils estoient précedez par des Hautbois, & ils formoient des danses en faisant des acclamations à la maniere des Motes. S.A.R. m’ordonna de leur jetter de l’argent. Ensuite elle rentra pour quelque temps dans son appartement, où un moment aprés elle parut avec un habit magnifique pour recevoir douze Députez de differens Etats. V.A.E. s’imagine bien que ces Députez estoient pourvûs de Harangues ; mais comme la pluspart furent prononcées dans une langue que je ne possede pas bien, je ne m’étendray pas davantage sur cet Article, en assurant Vostre Altesse Electorale, que Madame la Princesse Royale répondit avec cette grace & cette bonté hereditaires à l’auguste sang dont elle est sortie. La Harangue des Magistrats fut accompagnée, suivant l’usage qui s’observe dans tous les Etats, des presens de la Ville, & je les ay trouvez si singuliers que j’ay cru leur devoir donner place dans cette Relation. Ils consistoient en quatre pieces de bœuf fumé, deux cens livres de carpes, huit cens d’huistres, cent citrons, un tonneau de vin du Rhin, un de vin de Canarie, une tonne de Breuhan d’Halberstadt, une de Magdebourg, trois soudureId’avoine & deux de foin. Il y eut le soir Appartement qui fut suivi d’un grand soupé où l’affluence du peuple fut si grande que les Gardes du Corps eurent beaucoup de peine à demeurer maistres des portes.

Le Mardy 23. S.A.R. alla sur les trois heures aprés midy à l’Eglise appellée le Dôme. Elle fut reçuë à la porte par le Doyen à la teste des Chanoines, & on luy fit voir plusieurs Reliques & autres curiositez. Elle retourna ensuite au Palais où elle joüa à l’Hombre. Le Jeu fini cette Princesse se mit à table où elle fut servie avec autant d’abondance & de delicatesse qu’elle l’avoit été au dîné. La Musique se fit encore entendre pendant ce repas, où le peuple vint avec autant d’affluence qu’il avoit fait au dîné.

Le Mercredy 24. S.A.R. dîna sur les onze heures, & monta ensuite en Carosse. Elle fut reconduite avec les mesmes honneurs qu’elle avoit esté reçuë, c’est-à-dire, au bruit du Canon & de la Mousqueterie. Elle fit sept milles ce jour là, & arriva sur le soir à Ziegeset. Elle y trouva la Noblesse du Pays à cheval dont elle reçut les soumissions. Cette Noblesse la conduisit au Chasteau au milieu d’une allée d’arbres que les Habitans avoient plantée depuis l’entrée du Bourg jusqu’au Chasteau, où elle fut traitée avec autant de magnificence que si S.A.R. eut esté dans une des plus grandes Villes de l’Europe. Il y avoit aussi plusieurs tables pour la Noblesse, & l’on n’épargna pas pour boire à la santé de Sa Majesté, & de leurs Altesses Royales, les plus excellens vins d’Hongrie, de Champagne & de Bourgogne.

Le jeudy 25. S.A.R. partit sur les onze heures ; elle arriva de bonne heure à Brandebourg. La Noblesse qui étoit en grand nombre hors de la Ville, la complimenta sur son heureuse arrivée. Elle entra ensuite dans la Ville, accompagnée d’un grand cortege ; elle la traversa entre plusieurs hayes d’habitans sous les armes, & d’Etudians chantans. Elle arriva à l’Evesché aprés avoir passé sous divers Portiques de verdure, & dont la porte étoit aussi ornée de verdure, ainsi que de Devises & de Vers Latins, le tout accompagné d’un grand chœur de Musique. S.A.R. trouva à la porte de l’Eglise Mrs du Chapitre en habits de Ceremonie. Ils avoient fait orner la cour du Chapitre de beaucoup de verdure, accompagnée d’une si grande quantité de fleurs naturelles, qu’il sembloit que l’on fust dans la plus belle saison de l’année. À peine S.A.R. fut elle entrée dans son Appartement, que l’on servit plusieurs Tables avec tant de profusion, que l’on peut dire à la gloire de Mr de Schlippenbach l’Aberschenek, qu’il n’épargnoit ni peines, ni soins, ni dépenses pour remplir dignement l’employ dont Sa Majesté l’avoit honoré. S.A.R. reçut au sortir de table les complimens des trois Etats, & le concours du peuple étant si grand que les Appartemens ne suffisant pas pour contenir tous ceux qui s’étoient empressez pour la voir, S.A.R. eut la bonté de faire une partie d’Hombre dans une Salle qui avoit deux issuës, de maniere que l’on fit entrer le peuple par une porte, & sortir par l’autre, afin d’éviter la confusion. Mr de Briou, Major & Capitaine des Gardes du Corps de Sa Majesté, se donna tous les soins imaginables pour satisfaire tous ceux que la curiosité avoit attirez, en les faisant passer les uns aprés les autres. Le jeu étant fini les tables furent servies avec toute la délicatesse & la magnificence imaginable. Il me seroit impossible de vous marquer le grand nombre de personnes de qualité des deux Sexes qui venoient faire leur cour, ce qui marquoit l’Etat florissant de Sa Majesté.

Le Vendredy 26. S.A.R. partit à dix heures du matin, ayant sept milles à faire pour arriver à Spandau. Je laisseray nostre Auguste Princesse de Prusse dans son Carosse pour prendre en passant le divertissement que luy avoit preparé les Bateliers de Brandebourg qui au nombre de quarante, vestus legerement, couronnez de verdure & chacun dans une petite nacelle, firent voir leur adresse en formant une espece de combat à la maniere des Gondolliers de Venise, aprés quoy S.A.R. ayant continué sa route, disna dans une maison champestre. Je ne vous diray rien de ce qui se passa à ce repas, puisqu’étant persuadé qu’il ne s’y pouvoit rien passer qui pust exciter la curiosité de V.A.E. je pris les devans pour me rendre à Spandau, où je crus bien qu’il ne se passeroit rien que de remarquable, & je ne me trompay pas, ayant trouvé en y arrivant un grand nombre de carosses à six chevaux ; toute la Noblesse des environs à cheval, & des Arcs de Triomphe avec les Portraits de leurs Altesses Royales, entremêlez de Devises & de leurs Armoiries. La Bourgeoisie étoit sous les armes, & les troupes reglées occupoient tous les postes d’honneur ; mais je fus bien surpris lorsqu’on me dit que Sa Majesté étoit arrivée avec Monseigneur le Prince Royal, & Messeigneurs les Marc-graves. Je montay aussi-tost dans l’appartement du Roy, que j’eus l’honneur de voir au milieu de sa Cour. Je me presentay à Monseigneur le Prince Royal, qui me reçut tres-favorablement. Je l’assuray que son illustre Epouse arriveroit bien tost, & que les ordres de Sa Majesté avoient esté executez par tout avec beaucoup d’exactitude. À peine mon compliment fut il achevé que l’on entendit le bruit du canon ; la joye éclata sur le visage du Roy, & l’impatience que Sa Majesté témoigna fit un plaisir sensible à tout le monde. Enfin le Ciel exauça les vœux de ce Monarque ; il vit par une fenestre le carosse de S.A.R. que l’on fit monter sur le rempart du Chasteau. Sa Majesté s’y rendit par une porte de son appartement qui donne sur une Terrasse. S.A.R. étant descenduë de carosse se jetta aux genoux de S.M. mais elle la retint avec tant de tendresse que nonobstant tous les efforts que fit cette Princesse pour luy marquer sa soumission, elle ne pust embrasser ses genoux ; au contraire S.M. l’embrassa d’une maniere si tendre & si remplie de bonté, que tous ceux qui en furent témoins en verserent des larmes de joye. Ce Prince s’étoit dépoüillé de sa grandeur pour faire voir le cœur d’un pere dans celuy d’un grand Monarque. S.M. conduisit ensuite S.A.R. dans l’appartement qui luy étoit destiné, où il luy presenta son auguste fils & tous les Princes de son sang. Les premiers complimens étant finis, Sa Majesté sortit avec toute sa Cour, & laissa Monseigneur le Prince Royal faire son compliment en particulier. Quelque temps après S.M. rentra chez Madame la Princesse Royale, & aprés avoir assûré sa chere fille de son amitié Royale ; c’est ainsi, Madame, qu’il l’a nomme, nom bien cher à S.A.R. Sa Majesté partit ensuite pour Berlin. V.A.E. sçait que Spandau est une des plus belles Forteresses de l’Europe, & qui renferme un superbe bastiment. Les remparts redoutables de cette Forteresse retenoient dans l’esclavage un nombre de malheureux, qui étoient reservez à faire ressouvenir la posterité d’un si heureux jour, puis qu’ayant remis leur salut dans la grace qu’ils esperoient obtenir de S.M. par l’entremise de S.A.R. ils n’aspiroient qu’aprés ce moment fortuné pour faire présenter leur requeste à S.A.R. mais le General Tettau, Commandant des Gardes du Corps & Gouverneur de la Place, pour éviter les importunitez que S.A.R. en auroit pû recevoir, leur avoit deffendu l’usage de l’écriture. Cependant ce General en ayant informé le Roy, Sa Majesté luy répondit avec un sourire plein de bonté, j’ay tant de joye de voir icy la Princesse, que je veux leur donner à tous la liberté : elle leur fut renduë quelques jours aprés. Voila, Madame, ce qui couronna ce grand jour.

Le Samedy 27. S.A.R. qui estoit en Robbe, aprés avoir pris un leger repas, monta seule dans son carosse, & sortit de Spandau sur le midy au bruit du canon & de la mousqueterie & des acclamations du peuple. S.M. alla hors de la ville au devant de cette Princesse ; elle monta dans son carrosse, & elle entra dans la superbe ville de Berlin par la porte Royale, qui estoit ornée de Trophées & de Devises. La marche commençoit par un Regiment de Cavalerie, suivi de 32, carosses à six chevaux, qui appartenoient à la principale Noblesse. Ces 32. carosses estoient à la teste de 40. carosses magnifiques, dont chacun estoit accompagné des Pages & des Laquais qui appartenoient aux Officiers de S.M. Ceux de Messeigneurs les Marcgraves & de Monseigneur le Prince Royal venoient ensuite, aprés lesquels on voyoit paroistre ceux de Sa Majesté. Le nombre de tous ces carosses montoit jusques à 104. les chevaux de main de la Noblesse, des Princes & du Roy, se faisoient remarquer ensuite. Je ne diray rien de la beauté des chevaux, qui se fit assez connoistre pendant la marche ; j’ajouteray seulement que leurs housses & leurs caparaçons estoient de la plus grande magnificence : les Valets de pied venoient ensuite ; les Pages de S.M. ayant leurs Ecuyers à leur teste attiroient les regards de tous les spectateurs. Ils estoient suivis de quatre Compagnies des Gardes du Corps, de plusieurs Gentilshommes à cheval & des Trompettes de la Chambre qui precedoient les cent Suisses de la Garde, formant deux hayes au milieu desquelles Monseigneur le Prince Royal estoit à cheval, accompagné de Messeigneurs les Marcgraves & des Generaux d’Armées qui marchoient devant le Carosse de S.M. Il estoit attelé de 8 chevaux, qui par la fierté de leur démarche sembloient se glorifier d’être attelez au superbe carosse, dans lequel deux augustes personnes attiroient uniquement les regards de tout un grand peuple. Le carosse de S.M. estoit environné d’Officiers en charge superbement montez. Les carosses de S.A.R. qui estoient remplis de ses Dames d’Honneur & de ses Femmes de Chambre, suivoient celuy de S.M. & ces carosses estoient suivis d’un grand nombre de Gardes du Corps. Cette superbe marche estoit fermée par un Regiment de Dragons, & elle avoit pour arriere-garde un Escadron de 60. Cuirassiers, qui marchoient en fort bon ordre avec timbales & trompettes. V.A.E. sera peut-estre surprise de ce que je m’étend davantage en parlant de cette troupe que du Regiment de Dragons ; mais elle doit sçavoir que cet Escadron n’étoit composé que de Bouchers qui avoient l’air si cavalier, & qui estoient si bien équippez, que je les pris d’abord pour un Escadron de Troupes reglées. V.A.E. peut bien juger que S.A.R. à qui S.M. defera ce jour-là tous les honneurs, ne traversa cette grande ville qu’au bruit des acclamations du peuple, auquel S.A.R. repondit de la teste avec le sourire gracieux qui luy est si ordinaire, & qui ne manque jamais de luy attirer tous les cœurs. Toutes les maisons estoient parées de Tapisserie vivantes, arrivées de plusieurs pays éloignez pour admirer cette magnifique entrée. Les ruës étoient bordées par la Bourgeoisie, & les places publiques étoient occupées par divers Corps de troupes. Ce fut au milieu de ces marques de triomphe que S.M. arriva dans son superbe Chasteau. Elle conduisit S.A.R. dans un appartement magnifique & orné de tout ce qui peut attirer & satisfaire la veuë. V.A.E. connoist la somptuosité de S.M. son bon goust, & l’amour qu’elle a pour tous les beaux Arts. Ainsi je ne parleray point des belles peintures, ni des ornemens de ses vastes appartemens, mais je ne puis m’empescher de me recrier sur la beauté du lit que S.M. avoit fait preparer pour ces heureux Epoux. Le fond est de velours couleur de feu, semé de 144 chiffres du glorieux nom de S.M. couronnez, & brodez de perle & rehaussez encore de plus grosses. Ce lit étoit doublé d’un drap d’argent rebroché d’or, & bordé d’une Campane d’or. L’Ordre de Sa Majesté se trouve si bien placé dans les ornemens que l’on ne peut s’empêcher de demeurer d’accord que la richesse de ce lit est jointe au bon goust.

Le Roy commença à donner des marques de sa liberalité à S.A.R. en luy faisant present d’une grande quantité de Brillans & de Perles, mais avec tant de grace qu’encore que ses présens fussent d’un grand prix S.A.R. fut plus sensible aux bontez du Roy qu’à leurs richesses. Si Madame la Princesse Royale vous étoit inconnuë, je pourrois faire un portrait à V.A.E. de la maniere gracieuse avec laquelle elle recevoit tout ce que le Roy avoit la bonté de luy donner si genereusement, & avec quelle douceur & quelle modestie elle recevoit les honneurs que S.M. luy faisoit rendre ; mais je paroîtrois suspect, ayant l’honneur d’appartenir au grand Prince qui luy a donné le jour. J’ajouteray seulement qu’elle a gagné tous les cœurs par son merite personnel & par ses rares qualitez. Vingt-quatre Trompettes ayant fait connoistre que la Table de S.M. estoit servie, elle donna la main à S.A.R. qui fut placée à sa gauche, & Monseigneur le Prince Royal à sa droite, & ensuite les Marcgraves & les Marcgravines. Si je parle encore icy de la magnificence des appartemens du Roy mon recit paroîtra fabuleux ; mais non, toute l’Europe connoist la grandeur de S.M. ainsi je ne dois rien craindre. Le soupé fini le Roy reconduisit Madame la Princesse Royale dans son appartement, & aprés luy avoir dit mille choses obligeantes, S.M. se retira pour laisser S.A.R. prendre le repos dont elle avoit besoin, & afin de se preparer pour le jour suivant, jour heureux qui devoit remplir les vœux de tout un peuple.

Le Dimanche 28. S.A.R. dîna dans son appartement, & sur les trois heures S.M. la couronna avant que d’aller à l’Autel. Elle avoit envoyé la Couronne par son Grand Maistre de la Garderobe à S.A.R. afin que l’on pust se précautionner contre sa pesanteur. Elle est d’or massif, si garnie de gros diamans & de perles qu’elle surprenoit & qu’elle ébloüissoit les yeux. S.A.R. étant revêtuë de la Mante Royale, & ayant ses beaux cheveux épars, se rendit dans sa Chambre d’Audiance au milieu de laquelle étoit un carreau de velours cramoisi. Le Roy en ayant esté averti, sortit de son appartement avec sa nombreuse Cour, Sa Majesté étoit accompagnée de Messeigneurs les Marcgraves, revestus du Colier de l’Ordre, & précedée du grand Maistre de la Garderobe qui portoit la Couronne sur un carreau de velours. S.A.R. n’eust pas plustost apperçu S.M. qu’elle se jetta à ses genoux, & S.M. ayant pris la Couronne la posa sur la teste de Madame la Princesse Royale. Le Roy la releva & la conduisit ainsi dans sa Chambre, où étoient les personnes qui devoient avoir l’honneur de la coëffer. S.M. ne se retira point aprés cette ceremonie, ne pouvant assez contempler la belle Princesse que Dieu luy avoit reservée pour fille. Monseigneur le Prince Royal parut un moment aprés en habit serieux d’un drap d’argent couvert d’un point d’Espagne d’or semé de diamans & revestu du Collier de l’Ordre. Il salua le Roy, & S.M. luy souhaitta toutes sortes de benedictions. Le Prince se jetta à ses genoux pour luy marquer sa soumission. Le Roy se tourna du costé de Madame la Princesse Royale, & lui ayant fait le même compliment, fit signe à Monseigneur le Prince Royal de prendre son auguste épouse pour la conduire dans la Chapelle Royale, où les Ceremonies qui se font en de pareilles occasions furent exactement remplies au bruit des Timbales & des Trompettes, & d’une triple décharge du canon, de la mousqueterie & de la Cavalerie, tout étant pour cet effet sous les armes dans toutes les places de la Ville, les Gardes du Corps occupant la Cour du Chasteau. En sortant de la Chapelle ces illustres époux furent conduits dans la grande Salle des festins, qui étoit si brillante de lumiere qu’elle ébloüissoit les yeux. Il y avoit plus de deux mille bougies ; je n’ay jamais vû tant de richesses ensemble qu’il y en avoit dans le Buffet qui occupoit tout un costé de la Salle depuis le haut jusqu’en bas. Le repas fini Sa Majesté dança avec Madame la Princesse Royale. Monseigneur le Prince Royal dança ensuite avec cette Princesse, & le Bal se termina par une danse avec des flambeaux. Je tire le rideau sur ce qui suivit ; il n’y a que l’amour qui vous en puisse faire le recit. Je passe au Lundy 29. destiné pour complimenter Monseigneur le Prince Royal & Madame la Princesse Royale. Le compliment de S.M. fut accompagné d’un présent de diamans d’un grand prix. Monseigneur le Prince Royal envoya à son auguste épouse, une cassette remplie de brillans & de perles.

Le Mardy suivant les Députez de tous les Etats de S.M. eurent l’honneur de complimenter leurs Altesses Royales, & ils firent leur don gratuit. Il y eut le Jeudy une grande Mascarade sous le titre des quatre parties du Monde. La premiere Quadrille étoit commandée par Sa Majesté avec Madame la Princesse Royale representant l’Europe. S.A.R. fit voir dans cet habit aussi bien que dans les autres, que c’étoit avec raison que S.M. l’avoit choisie pour representer la plus considerable & la plus belle partie du monde. Le Roy étoit vestu à la Romaine. Son habit étoit de drap d’or, enrichi d’un grand nombre de gros diamans ; ses brodequins étoient de mesme étoffe, & garnis de brillans, & son Manteau Royal de velours couleur de feu doublé de drap d’or. Il avoit une Couronne de laurier mêlé de diamans, & il tenoit un baston d’Empereur. Quatre Herauts portoient des Faisceaux d’Armes devant Sa Majesté. S.A.R. avoit un habit de velours bleu brodé d’or, & des lambrequins de drap d’or rebrochez d’argent, avec des fleurs naturelles. Son Manteau Royal étoit de velours couleur de feu, doublé de drap d’argent. Elle avoit dans sa coeffure un bec de corbin couronné & garni de perles & de diamans qui jettoient quantité de feu ; mais qui n’approchoit pas de celuy qui sort de ses yeux.

La seconde Quadrille étoit commandée par Monseigneur le Prince Royal & par Madame la Marcgravine Philippes représentant l’Asie.

La troisiéme étoit conduite par Monseigneur le Marcgrave Philippes, & par Madame la Marcgravine Albrecht représentant l’Affrique.

La quatriéme par Monseigneur le Marcgrave Albert, & par Madame la Comtesse de Wartemberg représentant l’Amerique.

Tous ces differens peuples s’étant rendus dans l’Appartement du Roy, toute la mascarade marcha par quadrille au son des Trompettes & au bruit des Timbales & se rendit dans la grande Salle où estoient deux Tables en forme de fer à cheval, vis-à-vis l’une de l’autre. Il y avoit du costé de celle de S.M. un Amphitheatre jusqu’au haut de la Salle pour placer le monde, & comme il estoit défendu d’y entrer sans estre masqué, rien n’étoit plus brillant que cette Assemblée. Il y avoit un magnifique Buffet vis-à-vis de cet Amphitheatre, & deux Gloires aux deux costez de la mesme Salle, remplies de Musiciens & de Musiciennes, qui representoient aussi les quatre parties du monde, & qui chanterent les loüanges de Madame la Princesse Royale, ausquelles répondit une symphonie entremêlée d’un bruit de guerre. Ce spectacle estoit des plus brillans & des plus beaux. Le soupé fini on retourna dans l’Appartement de S.M. où il y eut un grand Bal. Je ne dois pas oublier que les Officiers qui servoient & les Pages, estoient aussi masquez.

Il y eut Appartement le Vendredy, & le Roy dîna en Public avec leurs Altesses Royales, & toutes les fois que Sa Majesté dînoit en ceremonie les santez estoient marquées par un bruit de Trompettes auquel répondoit celuy du canon.

Le Samedy suivant S.M. alla au Cours. Elle avoit dans son Carosse Madame la Princesse Royale & Madame la Marcgrave Philippes. Toute la Cour accompagna S.M. au Cours ; elle se rendit de-là à Charlottembourg ; cette maison Royale est connuë de V.A.E. ainsi sans parler de sa situation, je me contenteray de rendre compte à V.A.E. des honneurs que S.M. fit rendre à Madame la Princesse Royale. Elle y fut reçue au bruit du canon, & les habitans y avoient élevé un Arc de Triomphe à sa gloire, & à celle de Monseigneur son époux. Le Roy conduisit cette Princesse dans l’Appartement qui luy estoit destiné. Je ne vous diray rien de la magnificence de cet Appartement, & je vous parleray seulement d’une Toilette d’or massif dont Sa Majesté luy fit present.

Le Dimanche Mr l’Evêque Ursinus fit la dédicace de la Chapelle Royale, au bruit du canon, & en presence de S.M. & de toute la Maison Royale, de maniere que ce jour fut donné au Seigneur.

Il y eut Comedie Italienne le Lundy ; le Roy alla ensuite à la Maison de Ville, où Madame la Princesse Royale fut complimentée au nom de Mrs du Magistrat par Mr Dankelman ; le Marcgrave Albert, faisoit les honneurs en qualité de Bourguemestre. On presenta à S.A.R. quatre cruches remplies de vin, qui estoient d’une hauteur démesurée. Il y eut des illuminations dans toute la Ville ; S.M. soupa ce jour-là dans le grand Salon de son Appartement.

Il y eut le Mardy une grande mascarade & un grand repas, & les rangs ne devant point estre observez à Table à cause des habits de masque dont chacun estoit revêtu, les places furent tirées aux billets, & chacun prit la sienne selon le rang qu’il luy estoit échû. Le bonheur de S.A.R. luy fit avoir S.M. pour mary, qui estoit habillée en Matelot. Elle estoit si bien déguisée qu’on eut de la peine à la reconnoistre sous un habit si rustique. S.A.R. estoit en Catalane, & elle s’attira sous cet habit de nouvelles douceurs de S.M.

Le Roy & toute sa Cour retournerent le Mercredy à Berlin où il y eut le soir Appartement.

Le Jeudy S.M. dîna en Public, & l’aprés dînée S.M. étant accompagnée de S.A.R. alla voir la répresentation d’un grand Balet, dansé par quantité de personnes de qualité des deux sexes, qui avoient à leur teste Messeigneurs les Marcgraves Albert & Chrestien. Il fut parfaitement bien executé ; les habits étoient bien entendus & convenables aux personnages. V.A.E. en verra le sujet dans le Livre de ce Ballet que j’auray l’honneur de luy porter. Elle y trouvera un prologue à la gloire de Madame la Princesse Royale.

Le Vendredy S.M. accompagnée de toute sa Cour alla voir un feu d’artifice auquel on avoit travaillé depuis long temps. Le vent ne fut pas favorable, ce qui fut cause que S.M. & tous les Spectateurs ne prirent pas tant de plaisir à ce spectacle qu’ils auroient du faire. Je n’entre point dans le sujet de ce feu, puisque les imprimez qui accompagnent le Livre du Ballet en apprendront jusqu’aux moindres circonstances à V.A.E. Je diray seulement que S.M. fit present ce jour-là à S.A.R. d’une robbe de velours doublée de martre zibeline, & j’ajouterai que tous les jours qui avoient esté marquez par S.M. pour les divertissemens nouveaux qui se succedoient les uns aux autres, il ne s’en passa aucun sans que S.M. fist ressentir à S.A.R. des effets de sa liberalité & de sa magnificence.

Il y eut Cours le Samedy, & comme S.M. ne veille pas, elle avoit permis à S.A.R. d’avoir Bal & mascarade le Dimanche ; ce divertissement fut ensuite continué presque tous les soirs.

Le Lundy il y eut une seconde representation du grand Ballet.

Le Mardy S.M. prit avec leurs Altesses Royales le divertissement d’un combat d’Hures de Sangliers, de Tauraux, d’Ours, de Loups, de chevaux & de chiens. On lâcha ensuite une grande quantité de Renards qui furent bernez par les Cavaliers, ce qu’ils firent avec tant d’adresse qu’ils demeurerent maistres du champ de bataille. Ainsi les Chasseurs de Sa Majesté ne manqueront point de manchons cet hyver.

Ce Prince tint Cour le Mercredy, & le Jeudy elle donna dans la grande Salle, une Feste magnifique nommée le Festin du Printemps. La Salle étoit ornée d’une nouvelle verdure, de Miroirs & d’Orangers, & éclairée de plus de trois mille bougies. Il y avoit une gallerie de chaque costé où les Spectateurs étoient placez, & l’on voyoit à l’opposite du Buffet une Gloire remplie de Musiciens & de Symphonistes. Il y avoit une table de six vingt couverts, où l’on ne fut encore placé que selon le rang qui écheut par les billets qui furent tirez. Les loüanges du Roy furent chantées pendant le repas, & celles de Monseigneur le Prince Royal & de son illustre épouse ne furent pas oubliées. On dança ensuite, & il y eut une entrée d’un Arlequin & d’une Arlequine, qui fut executée par le sieur Poitier, Maistre à Dancer du Roy Auguste, & par la Dlle le Grand.

Il y eut Appartement le Vendredi & le Samedi un spectacle tout charmant. Il consistoit dans une illumination qui fit paroître la Ville de Berlin tout en feu ; chacun s’étoit efforcé à l’envi de faire distinguer sa maison par quantité de Devises, d’autres ornemens & de flambeaux de cire. S.M. se promena par toute la Ville, ayant dans son carosse S.A.R. & Mesdames les Marcgravines. Monseigneur le Prince Royal étoit à cheval avec les Marcgraves, & tous les Seigneurs de la Cour. Je ne vous ferai point de détail de cette illumination ni des Devises faites à l’honneur de ces illustres Epoux, tout le brillant d’un pareil spectacle ne pouvant estre mis sur le papier ; j’ajouterai seulement que ce spectacle étoit tres-beau à voir.

Je ne puis m’empêcher de vous entretenir du superbe bastiment de l’Arcenal qui égale au goust de tout le monde, tout ce qu’il y a de plus beau. Les trois façades en étoient ouvertes ; dans l’enfoncement de celle du milieu étoit la Statuë du Roi, sur un Trophée d’Armes que Monseigneur le Marcgrave Philippes, Grand Maistre de l’Artillerie, avoit fait élever à la gloire de S.M. Les deux autres representoient dans l’enfoncement, d’autres Trophées, au haut desquels étoit l’étoile de S.M. & des allées de Canons & de Mortiers, entremêlées d’autres armes & gardées par des Compagnies de Canonniers & de Bombardiers ; mais avec une si grande propreté que l’on auroit pris ce terrible bastiment pour un lieu de plaisance.

Le Dimanche il y eut Bal ; le Lundi, une troisiéme repetition du grand Ballet ; & le soir à la Cour, grande Mascarade. S.M. voulant terminer toutes ses magnificences par quelque chose de particulier, donna à Madame la Princesse Royale une feste la plus galante qu’il soit possible d’inventer. La grande Salle se trouva le Mardi ornée de nouvelle Verdure & d’Orangers. La gallerie qui regnoit tout alentour étoit garnie de glaces de Miroirs formant des pilastres qui portoient des guirlandes garnies de bougies, & des bustes de cire dans les distances, ornées de draperies de differentes couleurs. Il y avoit une trentaine de tables quarrées à quatre couverts representant un endroit public ; celle de S.M. étoit dans le milieu. Le tiers de la Salle ou environ étoit caché d’un grand rideau de taffetas couleur de feu. S.M. s’y étoit renduë la premiere pour en faire elle mesme les honneurs. Les places ayant esté tirées au sort dans les Appartemens de leurs Altesses Royales, elles partirent suivies de toute la Cour, & chacun marcha dans le rang que le hazard lui avoit donné. Le Roy alla au devant de Madame la Princesse Royale au bruit des Trompettes & des Timbales, & l’ayant apparemment eue pour femme, il la plaça auprés de lui. La table de S.M. étoit quarrée ; S.A.R. étoit à sa gauche ; dans le bout à la droite du Roy étoit Monseigneur le Prince Royal, & vis-à-vis étoit Madame la Marcgravine Philippes. Il y eut pendant le souper une tres-belle Symphonie. Toutes les tables furent levées aprés le repas, & le rideau ayant disparu laissa voir un spectacle tres-particulier ; c’étoit une Foire où il y avoit huit boutiques parfaitement ornées, & remplies de curiositez, de bijoux & d’autres marchandises. Les Marchands étoient huit Chambellans de Sa Majesté, vestus à la maniere des Pays d’où venoient les marchandises qui remplissoient leurs boutiques, au milieu desquelles estoit un Theatre d’Operateur qui ne manquoit pas de raisonnement pour débiter sa marchandise. Il n’eut pas beaucoup de peine à s’en défaire, puis qu’elle estoit à si bon marché que tout le monde en vouloit avoir & faisoit voler les gands & les mouchoirs. Il y avoit dans sa bande un Arlequin & un Scaramouche avec sa femme, qui gardoient la cassette aux drogues. V.A.E. peut bien s’imaginer que c’étoient des personnes de condition qui faisoient les Charlatans. Pendant qu’ils amusoient le monde, les marchandises disparoissoient. Elles estoient numerotées en forme de Loterie, & les billets ne coûtant rien Messieurs les Marchands vuiderent bien-tost leurs boutiques. Le sort décida des gros lots. Le Roy temoigna à toute la Cour par cette generosité qu’il estoit reconnoissant du zele & de l’empressement avec lequel elle avoit répondu à toutes ses intentions. Voilà Madame tout ce que je puis dire à V.A.E. Ce n’est pas que je ne sois persuadé qu’il ne me soit échapé beaucoup de choses dignes de luy estre rapportées ; mais le temps estoit court, les magnificences de S.M. trop frequentes & trop grandes. J’espere dire de vive voix à Vostre Altesse Electorale ce que je puis avoir oublié.

[Réjouissances faites à Bourges pour la naissance du Duc de Bretagne]* §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 301-307.

La Ville de Bourges, qui s’est toûjours distinguée dans toutes les occasions où les Villes du Royaume ont marqué l’ardeur de leur zele pour le Roy, a donné de grands témoignages de la joye qu’elle a ressentie à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Duc de Bretagne. Monsieur de Montgeron, Intendant de Berri, étant convenu avec le Clergé de la Cathedrale & les Maires & Echevins, que les réjoüissances qui avoient esté resolues pour cette heureuse naissance, se feroient le 30. Janvier, les Officiers de la Bourgeoisie furent avertis de donner les ordres necessaires pour disposer les Compagnies de tous les quartiers.

La Feste commença le 29. sur le soir par le bruit des cloches & de l’artillerie de la Ville. Le lendemain à trois heures aprés midi Monsieur de Montgeron, le Presidial, les Maires & Echevins, & les Officiers de Ville, ainsi que tous les autres Corps, se rendirent à la Cathedrale, où les Chapitres, les Paroisses, & tous les Ordres Religieux s’estoient assemblez. Le Te Deum fut chanté avec beaucoup de solemnité : quatre cent Bourgeois proprement vêtus, divisez par Compagnies & qui avoient esté rangez en bon ordre dans la place de l’Eglise, firent trois décharges de leur mousqueterie à la fin du Te Deum, aprés lesquelles ils conduisirent Mr l’Intendant & les Officiers de Ville, dans la place de l’Intendance. On y avoit preparé un grand feu, & toute la façade de l’Hôtel de Mr l’Intendant estoit remplie de lamperons, rangez selon l’ordre de l’Architecture de cette façade. Les armes du Roy, de Monseigneur le Duc de Bretagne, & de toute la Famille Royale estoient entourées de festons de lauriers, & placées au dessus de la porte. On alluma le feu au bruit de l’artillerie & de la mousqueterie des Bourgeois, qui ne cesserent point de tirer pendant plus d’une heure & demie. Plusieurs fontaines de vin qui étoient devant l’Intendance coulerent pendant tout le tems que le peuple resta dans la place. Sur les six heures du soir Mr l’Intendant fit representer chez luy un divertissement en Musique, intitulé Leucothoé. Il fut precedé par un Prologue à la loüange du Roy & de Monseigneur le Duc de Bretagne. Un plaisir si agreable surprit d’autant plus que les Vers, la Musique & l’execution n’avoient coûté que trois semaines. En sortant de ce divertissement on vit les Cours & les Jardins de l’Intendance éclairez par une infinité de lamperon qui formoient une illumination aussi agreable que vive. On tira sur la premiere terrasse de ces Jardins un grand nombre de fusées volantes & d’autre artifice. Six tables de vingt couverts chacune furent ensuite servies avec autant de profusion que de delicatesse. Le repas fut suivi d’un grand Bal dans deux Salles differentes, par où cette Feste fut terminée le trente-un Janvier à cinq heures du matin. Pendant la même nuit le peuple de son costé témoigna sa joye par des assemblées dans les ruës, où l’on donnoit à boire à tous ceux qui se presentoient ; par des feux devant les portes de chacun des Bourgeois, des lumieres à toutes les fenestres & des illuminations de lamperons sur les portes des Magistrats & des principaux Officiers de Ville, qui tous à l’envi ont voulu faire voir la part qu’ils prennent à cette heureuse naissance, qui comble les vœux de tout le Royaume.

[Réjouissances faites à Apt pour la naissance du Duc de Bretagne]* §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 307-310.

Je dois ajouter icy que Mr l’Evesque d’Apt a donné une grande feste au sujet de la mesme naissance. Il a fait representer dans son Palais un Opera spirituel de sa composition, qu’il avoit fait mettre en Musique. Cet ouvrage reçut beaucoup d’applaudissement, & la symphonie fut trouvée admirable. Il y eut le soir une grande illumination au Palais Episcopal, devant lequel on tira un tres-beau feu d’Artifice, & qui réüssit beaucoup. Il y avoit un grand nombre d’emblêmes & d’ingenieuses Devises. Le sujet de ce Feu estoit sur une nouvelle Constellation de sept Etoiles, decouverte par quelques Astrologues, & qu’ils ont nommée Borbonia Sidera. Le tout ayant esté parfaitement bien executé, Mr d’Apta reçu beaucoup de complimens sur cette Feste. Ce Prelat ne perd aucune occasion de donner des marques de son zele pour la Maison Royale, & l’on peut dire qu’il n’est pas moins bon François que Pasteur vigilant. Il y a quatre ou cinq ans qu’il fit une Ordonnance sur le cas de conscience, qui fut trouvée tres-belle. Ce Prelat fut le premier qui en cette occasion mit la main à la plume, & qui porta les premiers coups à l’ennemi caché. Son zele fut fort approuvé, & fut bientost imité par la pluspart des Prelat de l’Eglise Gallicane. Il a donné en plusieurs autres occasions des preuves de son attachement inviolable pour la saine doctrine, & pour la plus pure discipline de l’Eglise, dont il est un rigide observateur.

[Réjouissances à l’occasion de la grossesse de la Reine d’Espagne]* §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 337-343.

Cette Lettre vient d’un si bon lieu, qu’il n’est pas permis de douter des nouvelles qu’elle contient ; mais comme ces nouvelles sont peu étenduës, je crois devoir vous apprendre ce qui est venu à ma connoissance sur tous les articles qu’elle renferme. Le premier regarde les réjouissances faites à l’occasion de cette grossesse. On n’en fait en France que lorsque les Reines ou les Princesses, qui à leur défaut mettent des enfans mâles au jour qui peuvent succeder à la Couronne, accouchent de quelque Prince, & l’on a raison de ne se pas rejoüir plutost, puisque si elles accouchoient d’une Princesse, sa naissance ne pourroit causer de ces excez de joye ausquels les peuples s’abandonnent à la naissance des Princes qui peuvent un jour devenir leurs Maistres. Il n’en est pas de mesme en Espagne, où l’on peut donner des marques de la plus grande joye, dés que l’on apprend la grossesse d’une Reine, puisque l’enfant qui en doit naistre, soit Prince ou Princesse, peut parvenir à la Couronne, au lieu que le Sceptre de France, selon les Loix du Royaume, ne passe point entre les mains des femmes. Il me faudroit un volume pour vous marquer les emportemens de joye, ausquels le peuple de Madrid, s’est abandonné aussi-tost qu’il luy a esté permis de croire que la Reine estoit grosse, & que cette nouvelle luy a esté annoncée de la maniere dont on la rend publique en de pareilles occasions. Le peuple ne s’est pas seulement rejoüi, parce qu’il estoit seur de voir un successeur à la Couronne d’Espagne dans l’enfant qui doit naistre ; mais encore parce qu’il aime le Roy & la Reine d’Espagne jusqu’à l’Idolâtrie, s’il m’est permis de parler ainsi. De maniere que l’on peut dire que le sujet de sa joye a esté double. Je n’entre point dans les détails de ce qui s’est passé à cette occasion. Je diray seulement en general que les Grands, le Clergé, les Conseils, les Corps, & generalement tout le peuple, ont donné en cette occasion des marques de la plus parfaite & de la plus vive joye. Toutes les cloches ont sonné : on a fait des illuminations & des feux : on a chanté des Te Deum : on a fait des processions : on a fait des éloges du Roy & de la Reine dans la Chaire de verité. Tous les Grands, tous les Seigneurs, & tous les Corps ont esté faire leurs complimens à leurs Majestez, & enfin chacun s’est servy de tous les moyens qu’il a pû imaginer pour faire connoistre sa joye, son amour, & son devoüement entier pour leurs Majestez Catholique, qui de leur costé ont taché de faire connoistre au Peuple le plaisir sensible que leur causoit la joye dont il paroissoit enyvré. Tout ce grand Peuple voyant leurs Majestez sur le Balcon du Palais, redoubla ses acclamations, & suivant l’excez d’un zele qui auroit pû paroistre indiscret en d’autres occasions, prit la liberté de les apostropher, & leurs Majestez eurent la bonté de luy répondre, ce qui acheva de le charmer. La joye des Peuples n’a pas moins éclaté à Seville, ainsi que dans toutes les Villes des deux Castilles & de l’Andalousie, dont plusieurs preparent des festes nouvelles, & sur tout celle de Seville qui s’est signalée en cette occasion.

[Divertissemens donnez à Madame la Duchesse de Bourgogne] §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 374-377.

Comme nous sommes dans le temps des plaisirs, & qu’ils sont toûjours du goût de la jeunesse, Madame la Duchesse de Bourgogne ayant ouï parler avantageusement de la Comedie des Importuns, dont on a donné plusieurs representations à Clagny, a voulu prendre part à ce divertissement dont les Intermedes ne sont pas moins agréables que la Piéce. Cette Piéce, qui n’est point representée par des Acteurs de profession, est d’autant mieux joüée que ceux qui la representent n’y estant point obligez comme ceux, qui sans avoir les talens necessaires s’en font souvent un métier, s’acquittent des Rôlles qu’ils representent avec autant de naturel que d’intelligence, de maniere qu’il semble que ces talens soient nez avec eux. On peut dire que l’Acteur qui represente le premier Rôlle, entre bien dans le sens de l’Auteur, puisque la piéce est de sa composition.

Madame la Duchesse de Bourgogne lui en fit compliment en sortant, & lui fit connoître que la Piéce & les Acteurs l’avoient bien divertie. Je ne dis rien du Prince & de la Princesse, dont le Palais est le séjour des jeux, des ris & des Muses, & où l’esprit accompagne toûjours la grandeur & la magnificence.

Quelques jours aprés Madame la Duchesse de Bourgogne ayant dîné à Meudon, cette Princesse vint l’aprés dînée à Paris avec Monseigneur le Dauphin, pour voir l’Opera d’Alceste, qui a esté remis sur le Theatre avec beaucoup d’éclat, & qui satisfait fort le Public. On avoit joint à ce Divertissement la Tempeste d’Alcione, parce que ce morceau de Musique a esté jugé tres-beau par tous les Connoisseurs.

Monseigneur le Dauphin, Madame la Duchesse de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry, souperent ce jour-là à Meudon, où il y eût un grand Concert de Musique & un Bal qui durerent iusqu’à cinq heures du matin. Madame la Duchesse de Bourgogne a esté depuis ce temps là à trois grandes Assemblées qui se sont faites à Versailles ; sçavoir chez Me la Marquise de Bouzolle, dans l’Appartement de Mr le Marquis de Torcy son frere, chez Me la Duchesse de Lorge, chez Me la Comtesse d’Armagnac, & chez Me de Chamillart.

Elle est partie aujourd’huy avec le Roy pour Marly ; où elle doit prendre les Divertissemens qui sont destinez pour achever le reste du Carnaval.

Enigme. §

Mercure galant, février 1707 [tome 2], p. 379-382.

Le mot de l’Enigme du mois passé estoit la Chaise de commodité : Ceux qui l’ont trouvé sont Messieurs Collande & du Perret de la ruë S. Antoine, Florisel de la ruë S. Martin, & l’Abbé Boisset de la ruë S. Honoré ; du Callier de S. Lazare, de la Rapée ruë S. Bon, Commandeur de l’Ordre de saint Cosme ; Bardet & son ami du Plessis ; S. Germain de l’Hostel de Navailles & son Collegue, Hautefeüille de l’Hostel de Pompadour ; Veartuod & sa chere Epouse, Don Zelat, le Seigneur de la Rade S. Jean, & le fils de Gabriel ; il Signor Basini di Bolonia, Melliti di Sameria ; Tamiriste ; Me Marotin de la ruë S. Honoré, & Mr de Montostre. Mesdemoiselles Rousset de la vieille ruë du Temple ; de Haute-Roche de la ruë S. Martin ; Collinet du Faubourg S. Germain ; la plus belle des quatre sœurs ; la Reyne Couty, & son Inseparable Compagne la Sultane Avas ; la Reyne des amours demeurant aux quatre-Vents dans la ruë S. Martin, & Mr. du Saussoy avec leur bon amy de la ruë S. Bon ; la Solitaire de la rue aux Fers, & les 2. Voisines de la ruë Charenton.

L’Enigme nouvelle que je vous envoye, est de Mr. d’Aubicourt.

ENIGME.

Parmi les jeux divers que le Sage critique,
Je celebre la Troupe étique
De mes propres freres puisnez.
À l’abstinence condamnez.
***
Si la Loy les destine à faire penitence,
L’usage veut que l’abondance,
La bonne chere & les festins
Me fassent braver les destins.
***
Que des Rats aujourd’huy, disoit jadis ce Sage,
 Sont du vulgaire le partage,
 Il semble que le sens commun
 Soit la Ratiere de chacun.
***
Le Rat du Sage étoit de les vouloir détruire
Dans un temps qui doit les produire,
Et tu sçauras, Lecteur, en apprenant mon nom,
Si la chose est facile ou non.