1707

Mercure galant, avril 1707 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1707 [tome 4].
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Mercure galant, avril 1707 [tome 4]. §

Hymne à l’Amour, Sur la demande d’un Printemps §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 135-138.

Je crois vous faire plaisir de vous envoyer des vers de Mlle des Houlieres. Ils sont de saison ; & quand ils n’en seroient pas, les Ouvrages de cette spirituelle personne, peuvent charmer en tout temps. Vous sçavez qu’elle est une digne heritiere du beau talent que sa mere avoit pour la Poësie ; & que lorsqu’elle avoit entrepris de peindre quelque chose, il estoit impossible d’en donner une plus juste idée, & de faire des vers plus châtiez.

HYMNE A L’AMOUR,
Sur la demande d’un Printemps.

Lorsque le Printemps nous separe,
Comment puis-je chanter son retour, ses attrais,
Dieux ? contre nous tout se declare,
Amour fais descendre la Paix,
Que nos charmants Guerriers ne nous quittent jamais.
***
Force cette belle exilée,
À reparer les maux que la discorde a faits,
Nos cœurs en vain l’ont rappellée,
Amour fais descendre la Paix,
Que nos charmans Guerriers ne nous quittent jamais.
***
Qu'elle revienne sur la terre,
Repandre à pleines main ses graces, ses biens-faits ;
Désarmes le Dieu de la Guerre,
Amour fais descendre la Paix,
Que nos charmants Guerriers ne nous quittent jamais.
***
Si Mars refuse de se rendre,
Frappe ce fier Vainqueur de mille nouveaux traits.
A-t-il jamais pû s’en deffendre ?
Amour fais descendre la Paix,
Que nos charmants Guerriers ne nous quittent jamais.
***
Tu dois pour l’honneur de tes armes,
Mesler à leurs Lauriers des Mirthes toujours frais,
Amour fais cesser nos allarmes,
Amour fais descendre la Paix,
Que nos charmants Guerriers ne nous quittent jamais.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 139-140.

Rien ne peut mieux suivre les Vers que vous venez de lire, que le Printemps que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air, C’est la saison des Amours, page 139.
C’est la saison des amours,
Que la saison des beaux jours.
Flore pour son cher Zephire,
Forme les plus tendres vœux,
Et les Oyseaux amoureux,
Chantent leur tendre martyre ;
C’est la saison des amours,
Que la saison des beaux jours.
Aimable & jeune Climene,
Laissez-vous enfin charmer,
Tout céde au penchant d’aimer,
Cessez donc d’estre inhumaine ;
C’est la saison des amours,
Que la saison des beaux jours.
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[Article concernant un Eloge du Roy, fait par un Espagnol en Vers Espagnols] §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 140-151.

Je crois vous devoir parler de Vers Espagnols aprés vous en avoir envoyé de François. L’article qui suit vous apprendra ce que j’aurois pû vous en dire moy même, si la Langue Espagnole m’étoit aussi familiere qu’à la Personne qui a bien voulu se donner la peine de le faire, & qui entend & parle parfaitement cette Langue. Je vous l’envoye de la maniere que je l’ay reçû.

On parle icy avec beaucoup d’approbation d’un Panegyrique du Roy en Vers Espagnols, que ceux qui entendent cette langue trouvent d’une grande beauté. Don Lorenzo de las Llamossas, natif de Lima, Capitale du Perou, en est l’Auteur. Il le dedie à Sa Majesté, par l’entremise de S. E. Mr le Duc d’Albe, à qui il demande par une belle piece de Poësie, qu’il plaise à Son Excellence de faire passer cet ouvrage jusqu’aux pieds du Roy. Il y fait l’éloge du nom, de la personne, & de l’Illustre Maison d’Albe, qui en Espagnol veut dire l’Aurore. Il dit d’abord sur ce nom, que l’Aurore sçait revestir de lumiere les brillantes heures du jour. L’Auteur se felicite d’avoir pû trouver un si grand Mediateur pour un si petit culte. Il remarque que c’est le premier Ambassadeur que le grand Philippe a envoyé à Louis le Grand ; & que le choix de ce Monarque n’étoit tombé sur ce digne Ministre que dans la certitude, que Son Excellence le representeroit parfaitement, puisqu’on luy en voit toûjours l’image profondement gravée dans le cœur. À l’égard des Ancestres de Son Excellence, cet Auteur dit que l’Espagne reconnoist qu’elle doit des Provinces & des Royaumes à l’épée de ceux de ce grand nom, & que la Monarchie n’ayant pas dequoy le reconnoistre, elle avoit cru que d’envoyer Son Excellence pour remplir les plus grands emplois, c’estoit ajoûter de plus grandes difficultez à la reconnoissance ; & que c’estoit s’en acquitter que de l’envoyer à la Cour de Louis, où le seul honneur de servir est un digne prix des plus grands services. Il assure enfin que s’il ne fait icy qu’ébaucher l’éloge de cet illustre Duc, il pourra luy donner un jour toute son étenduë & qu’il celebrera avec éclat un nom qui precede par tout le char lumineux du Soleil, & qui se fait également aimer & respecter dans tout le monde.

Cette piece de Poësie est suivie d’un beau Sonnet à la loüange de l’Auteur & à la gloire de Louis le Grand. Le genie de Don Lorenzo de las Llamossas y est dépeint sous la figure d’Apollon dont on le croit le portrait veritable, & la pensée qui ferme ce Sonnet est que si la gloire du Roy approche de l’infini, personne ne peut mieux la chanter qu’un Espagnol. Ce Sonnet est de Don Manuel de Loso, amy de l’Auteur & Gentilhomme de Son Excellence. C’est un jeune Castillan qui joint un vray merite aux plus belles qualitez. Il a fort bien appris nostre langue, & il parle François & Italien avec presque autant de facilité qu’Espagnol.

On lit ensuite l’Epitre dedicatoire en Prose, où l’Auteur donne l’idée de son dessein & de son ouvrage. Il dit d’abord au Roy, que tout le monde l’admire, que tout le monde le louë ; mais que personne ne peut le définir ni le dépeindre. Que bien loin que Sa Majesté soit redevable aux éloges qu’on luy donne, elle y perd toûjours, estant impossible au plus delicat Panegyriste de n’en pas supprimer plus de traits de gloire qu’il n’en publie. L’Auteur continuë en disant que c’est dans cette connoissance que sa plume trop timide s’est retenuë deux fois, dans les deux voyages qu’il a faits icy, sans autre interest que celuy d’y venir admirer sa personne & sa gloire, qui ne laissent ni l’une ni l’autre aucune liberté d’exprimer le ravissement où elles jettent, & qui est ce que les Voyageurs peuvent trouver de plus merveilleux & de plus digne de leurs courses differentes ; mais qu’à present sans s’arrester au péril inevitable de voir sa plume tomber & se precipiter de la suprême élevation des pieds de S.M. dans l’abyme profond d’une tres-humble confusion, il en a fait avec plaisir le sacrifice à un sujet d’éloge aussi grand & aussi digne. Je n’ay pas, dit-il, Sire l’ame assez vulgaire pour preferer mon avantage à ma gloire, ni pour craindre de payer trop cher l’honneur de vous offrir ce tribut, quoy qu’il me le faille acheter au prix d’une ruine.

C’est de dessein premedité, Sire que je n’ai pas choisi quelque action particuliere pour sujet de ce petit Panegyrique ; étant toutes remplies, à ma foible maniere d’en juger, d’une perfection qui les égale, je n’ay pas pû me flatter d’en rencontrer une, qui pour estre d’un moindre éclat, m’en facilitast d’avantage l’expression. Elles sont toutes si fort au dessus de mon genie que ne pouvant pas les concevoir en leur entier, mon choix a demeuré suspendu & j’ay pris le party de les admirer dans Vostre Majesté comme dans leur source.

Il supplie ensuite Sa Majesté de luy pardonner la pauvreté du sacrifice, puisque ce qui le rend le plus agreable sur les Autels, n’est pas tant la valeur de l’offrande que l’affection & les vœux de celuy qui la fait, & le merite de celuy qui la presente. Il tire de ces deux raisons une confiance que son tribut ne sera pas meprisé ; & il finit en souhaitant que Dieu conserve la personne sacrée de Sa Majesté autant que le monde entier en a besoin.

Le Panegirique est en Strophes de même mesure & de huit vers chacune. Les Espagnols appellent Octaves, ce genre de Poësie, qui est fort en usage parmi eux. Les vers & les pensées de cet ouvrage sont d’une si grande élevation, qu’il seroit malaisé d’en conserver toute leur force & tout le sens en les traduisant en toute autre langue.

Au reste Don Lorenza de las Llamossas n’est pas moins connu ni moins estimé en Espagne par sa science que par son rare talent de faire de beaux vers. C’est un esprit du premier ordre & il a donné dans ce Panegyrique tout son essort à son genie.

[Mort du Marquis de Tenebron, Inspecteur d’Infanterie]* §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 162-165.

Mr le Marquis de Tenebron, Inspecteur d’Infanterie, qui avoit donné des preuves signalées de sa fidelité & de son courage est mort de maladie à Murcie, & il a esté fort regretté à cause de son merite & de ses qualitez personnelles. Il estoit d’une famille qui a produit plusieurs personnes de lettres. Un de ses ayeux avoit fait un traité sur les Nimetulahites qui n’a jamais vû le jour. Les Nimetulahites sont une sorte de Religieux Turcs, qui sont ainsi nommez à cause de leur Fondateur Nimetulahi. Ils s’assemblent tous les Lundis, la nuit, pour chanter des Hymnes à la loüange de Dieu. Ceux qui veulent estre reçus dans cet Ordre sont obligez de faire une quarantaine ; c’est-à-dire, de demeurer pendant quarante jours enfermez sans compagnie dans une chambre, où on ne leur donne qu’environ quatre onces de nourriture par jour. Au sortir de cette chambre aprés les quarante jours de jeûne, les autres Religieux prennent le Novice par la main & dansent à la Moresque, en faisant quantité de gestes extravagants. Le traité de feu Mr de Tenebron auroit esté agreablement reçû des Sçavans, & on esperoit même il n’y a pas long-temps qu’il paroistroit. Cette famille est originaire du Bearn où elle a subsisté pendant plusieurs siecles, & où elle a produit plusieurs personnes qui se sont distinguées en portant les armes pour le service de nos Rois & des Monarques qui ont gouverné les differens Etats de l’Espagne.

Portrait de Charles XII. Roy de Suede §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 193-203.

Le Roy de Suede, quoy que d’un âge fort peu avancé, a déja merité de l’aveu de toutes les Nations qui ont ouï parler de ce Monarque, d’estre mis au nombre des grands hommes, à quoy l’on peut ajoûter qu’il est un des plus honnestes hommes du monde. La justice est la regle de toutes ses actions, & quand il a une fois formé un projet qu’il croit juste, rien n’est capable de luy faire changer de sentiment, ni même de l’ébranler un moment. Je n’entreprens point de faire le Portrait de ce Prince, puisque la beauté de la matiere a excité plusieurs beaux esprits à travailler sur un si riche sujet. Un si beau choix les assuroit du succés de leur ouvrage ; vous en pouvez juger par ce qui suit.

PORTRAIT DE CHARLES XII. ROY DE SUEDE.

Pour peindre un Alexandre, il faudroit un Apelle,
Charles est l’Alexandre du Nord,
Du Vainqueur de l’Asie, il a l’air & le port,
Et va du même pas à la Gloire immortelle ;
Mais où trouver encore un Apelle nouveau,
Le Peintre manque au paralelle.
***
Pour moy bien au dessus de ce fameux modele,
Je compte en prenant le Pinceau,
Moins sur mon art, que sur mon zele,
Et sur le sujet du Tableau :
Si dans les moindres traits je puis estre fidele,
Le Portrait sera toûjours beau.
***
Et d’abord (car je dois aux dons de la nature
Le premier rang dans ma Peinture)
Le visage en ovale, avec grace allongé,
Frappe par de grands traits, qu’un air doux accompagne,
Un teint, que le hâle a chargé,
Est garent des Exploits de plus d’une Campagne.
***
Sous un front ouvert & serein,
Des yeux vifs & brillans d’une noble lumiere
Témoignent cette ardeur guerriere
Qui dés les premiers coups que sçût lancer sa main
À l’Europe étonnée annonça sa carriere.
***
Pour temperer le feu, qui brille dans ses yeux,
La Nature avec l’Art a formé sur sa bouche,
Un souris fin & gracieux,
Qui charme à son abord le cœur le plus farouche,
Ses cheveux negligez & longs,
Et que nonchalamment, d’une main cavaliere,
Quelquefois il releve, & rejette en arriere,
Tiennent des deux couleurs, sans estre noirs ny blonds.
***
Dégagé d’un luxe incommode,
Le necessaire fait sa mode,
Comme un simple Soldat vêtu grossiérement ;
Pour la forme & pour la matiere,
Un habit luy suffit une Campagne entiere,
Grand chapeau, gants de buffle, & pour l’assortiment
Ceinturon de même parure,
D’où pend un large coutelas
Peu brillant au dehors, peu chargé de dorure,
Mais terrible dans les combats,
Enfin, cravate à la Dragonne,
C’est tout l’ajustement qu’il souffre en sa personne.
***
Mais me suis-je mépris ? est-ce un grand Potentat ?
Est-ce un Roy que je viens de peindre ?
C’est un Roy, mais un Roy Soldat
Qui dépoüillé d’un vain éclat,
N’en sçait pas moins se faire craindre
Cet air de negligence, & de simplicité,
N’altere point en luy la Majesté,
Sans rien devoir à la magnificence,
Il est servy, craint, respecté,
Et paroist Roy dés qu’il s’avance.
***
Une sage frugalité
Dont il donne l’exemple avec autorité,
De son Camp bannit la molesse,
Et le deffend luy-même, au feu de la jeunesse,
D’un écüeil plus à redouter,
Que tous les ennemis que son bras sçut dompter ;
Tout le jour agissant sans cesse
Il n’accorde, qu’à peine, à la necessité,
Un court sommeil sur la nuit emprunté,
Et qui souvent interrompu, ne laisse
Nulle prise à la volupté.
***
En luy la probité surpasse le courage,
Et les loix de l’honneur sont ses premieres loix,
Il ne manque jamais à la foy qu’il engage,
Il parle peu, mais avec poids,
Amy de la vertu, zelé pour la justice,
Ennemy declaré du mensonge & du vice,
Au seul & vray merite il se laisse toucher,
Sans attendre qu’il se presente,
Luy-même il le prévient d’une main bienfaisante,
Et s’empresse pour le chercher.
***
Dans ce Conquerant si terrible
La fiere Majesté n’est point inaccessible
À toute heure, en tout temps il se lais-approcher.
Aimé de ses Sujets, en vray pere, il les aime
Et l’on trouve toûjours en luy,
Autant de douceur pour autruy,
Que d’austerité pour luy-même.
***
Hardy, mais sans temerité,
Il sçait (quand il le faut) suspendre
Une trop vive activité,
Et medite longtemps ce qu’il veut entreprendre,
Mais lorsque la sagesse, & la gloire ont dicté
Le party qu’un Heros doit prendre
Il part, il execute avec rapidité,
Ce que, dans un secret, que rien ne surprendre
Il a seul longtemps medité,
Et que l’effet seul peut apprendre.
***
Alors il ne connoist ny peine ny danger,
Rien ne l’étonne & ne l’arreste,
Rien ne peut le faire changer,
Et vit-il la mort toute preste,
Il faut, s’il l’a reglé, perir ou se vanger.
***
De là les succès de ses armes
Et tous ces exploits glorieux
Qui tiennent aujourd’huy l’Univers en allarme,
Et du coste du Nord font tourner tous les yeux
Mais à quelque haut point de gloire
Que l’ait élevé la Victoire,
Toûjours constant à suivre ses projets,
On doute par toute la terre,
S’il a paru plus grand, lorsqu’il a fait la guerre,
Que lorsqu’il a donné la paix.

[Clavecin portatif] §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 209-213.

Rien n’est égal à l’industrie des hommes, & il est impossible de bien concevoir jusqu’où leur imagination peut aller. La construction des Vaisseaux composez d’un si grand nombre de choses differentes, qu’il faudroit un volume entier pour en dire seulement les noms, & qui n’ont commencé que par deux ais cloüez ensemble, pour porter une personne seulement, en est une preuve éclatante. Ainsi l’on ne s’étonnera pas que Mr Marius ait inventé des Clavecins brisez & portatifs.

Ces nouveaux Clavecins se plient en trois, & se transportent avec la mesme facilité qu’une Guittarre. Lorsqu’ils sont repliez, ils n’ont que 7. à 8. pouces de largeur & 6. d’épaisseur, & ils ont à peu prés la forme d’une boëte à Perruque. Quant à la longueur, il y en a de 4. ou 5. sortes. Ceux de trois pieds qui sont les plus courts, sont au vray ton de l’Opera, comme les plus grands Clavecins & ne pesent qu’environ 12. livres. Ceux-là sont faits avec des tables de vieux luths qui ont plus de cent ans, & sont montez de cordes d’une composition nouvelle, ce qui leur donne une harmonie douce & moëlleuse, & d’une force qui surprend pour leur volume. À l’égard des autres longueurs au-dessus, leur harmonie est differente, & plus forte à cause de leur longueur. Ceux qui sont de 4. & de 5. pieds & au-dessus, ont un son tout semblable aux plus grands Clavecins.

Mr Marius, qui loge ruë de Richelieu, à la porte cochere, vis-à-vis du Lion-Ferré, donnera toutes les instructions necessaires pour la facilité du transport de ces Clavecins, dans tous les lieux où l’on voudra les envoyer. Il apprendra beaucoup de choses curieuses qui regardent la bonté de ces Clavecins, & qui feront connoître qu’ils doivent durer longtemps, & qu’ils sont exemts de beaucoup d’inconveniens, ausquels plusieurs Clavecins sont sujets. Il se fait écouter avec plaisir, sur toutes ces choses, de tous ceux qui vont chez luy. On doit remarquer qu’il a seul le privilege de faire ces sortes d’Instrumens, & qu’il est le seul qui les vend.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 269-271.

La varieté faisant un des agrémens de mes Lettres, on ne doit pas s’étonner de la grande difference qui se trouve souvent entre les articles qui se succedent les uns aux autres, telle qu’est celle qui se rencontre entre l’article que vous venez de lire, & à la Chanson qui suit.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air, Bergers ajustez vos Musettes, page 270.
Bergers, ajustez vos Musettes ;
Voici le Printemps de retour,
Le doux Zephir, par ses plaintes secretes,
Aux naissantes Fleurettes,
Exprime son amour ;
Et les Oyseaux par mille Chansonnettes,
Repetent tour à tour,
Bergers, ajustez vos Musettes,
Voicy le Printemps de retour.
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[Principes de la Flûte Traversière, ou Flûte d’Allemagne, de la Flûte à Bec, & du Hautbois]* §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 271-272.

Les Chansons & les Flutes ayant beaucoup de rapport ensemble, l’article qui suit se trouve bien placé.

Mr Hotteterre le Romain, Ordinaire de la Musique du Roy vient de faire imprimer un Livre intitulé, Principes de la Flute Traversiere, ou Flute d’Allemagne ; de la Flute à Bec, & du Hautbois. Ce livre doit estre utile à ceux qui se plaisent à joüer de ces Instrumens ; ils y trouveront des demonstrations & des explications sur toutes les difficultez qui pourroient les embarrasser touchant ces instrumens, ce qui pourra tenir lieu de Maistre à ceux qui ne sont pas en estat d’en avoir. Ce livre se vend chez le sieur Christophe Ballard, ruë saint Jean de Beauvais au Mont-Parnasse, chez le sieur Foucault ruë S. Honoré à la Regle d’Or, & chez l’Auteur, rue Christine.

[Journal de tout ce qui s’est fait dans toutes les Villes de France, où S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans a passé en allant en Espagne] §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 291-329.

La Maison de Son Altesse Royale Monsieur le Duc d’Orleans, dont je vous ay appris le mois passé le départ de Paris, & qui marche en ordre de Bataille dans sa route, estant arrivée à Orleans, le Maire & les Echevins allerent faire compliment à Mr de Fresquieres qui en est Controleur general, & qui la commande, & luy firent au nom de la Ville les presens de Vins, au son de plus de vingt tambours & de plusieurs fifres.

Le 2e. d’Avril Son Altesse Royale passa dans la même Ville sur les cinq heures du soir. Elle trouva dans la grande Place les dix Compagnies de la Ville qui estoient sous les armes, & qui avoient leurs Officiers à leur teste. Mr Bizoton, Maire d’Orleans eut l’honneur d’haranguer ce Prince, à la teste des Echevins, & de luy faire les presens de la Ville. Voicy le Discours qu’il prononça.

MONSEIGNEUR,

Quelle joye pour nous de voir pour la premiere fois Vostre Altesse Royale, nous profitons des momens qu’elle nous donne pour avoir l’honneur de luy rendre nos obéïssances. Nous devons ce bonheur à la gloire dont elle est animée, pour aller punir des Rebelles qui se sont soustraits de l’obéïssance de leur Roy legitime. Vos desseins, Monseigneur, toûjours conçûs avec sagesse, soûtenus par vôtre valeur, & par le Sang Royal dont vous sortez, qui a formé tant de Heros, nous font déja compter vos victoires ; nos vœux vous accompagneront par tout, Monseigneur, jusques au retour glorieux & triomphant de Vôtre Altesse Royale, la suppliant par les plus profonds respects de nous accorder sa protection.

Les Orleanois, qui n’avoient point encore vû ce Prince dans leur Ville, auroient bien voulu le posseder pendant quelques jours, pour luy témoigner combien ils sont reconnoissans des bontez que Son Altesse Royale a pour eux, & dont ils reçoivent si souvent des marques : mais elle leur fit connoistre qu’elle ne pouvoit, arrêter plus longtemps. Tout ce peuple luy souhaita mille & mille prosperitez ; ce qui se fit avec une acclamation si generale que ce Prince en fut touché.

Le Vendredy premier Avril, sur la nouvelle certaine que les Chanoines & Barons de Clery avoient reçûë, que S.A.R. devoit le lendemain coucher dans leur Ville, ils donnerent ordre à leurs Officiers de faire assembler les Bourgeois, d’en faire la revûë, & de leur distribuer à tous des Cocardes ; ce qui fut ponctuellement executé : de sorte que le lendemain Samedy à six heures du soir, s’estant mis sous les armes, ils se rendirent dans la grande place, & partirent tambour battant pour se rendre à la porte par laquelle ce Prince devoit arriver. Sur les sept heures & demie, le tambour qui avoit esté mis à la découverte, ayant battu, ils formerent une haye depuis la porte de la Ville jusqu’à la Maison qui avoit été préparée pour ce Prince. Son Altesse Royale, en descendant de Chaise, trouva au bas du degré, Mr l’Evesque d’Orleans & le Chapitre de Clery en Corps, qui l’accompagnerent jusqu’à son Appartement, où elle reçût les complimens de Mr l’Evesque & du Chapitre, ensuite de quoy, Elle se mit à table. S.A.R. ayant voulu faire l’honneur à Mr l’Evesque d’Orleans, de le faire manger avec elle, ordonna que l’on apportast trois couverts ; l’un pour Mr l’Evesque, & les deux autres pour le Capitaine de ses Gardes & pour le Premier Gentilhomme de sa Chambre. Il y eut quatre Services, tant en gras qu’en maigre. Le repas fut aussi magnifique que délicat. On ne doit pas s’en étonner, puisque Mr l’Evesque d’Orleans en avoit fait la dépense.

Les Bourgeois donnerent des marques de leur joye pendant tout le soupé, par de frequentes décharges de mousqueterie ; ils ne se retirerent que pour laisser reposer S.A.R. aprés estre sortie de table. Le lendemain Dimanche, la Bourgeoisie se remit sous les armes à quatre heures du matin, & s’estant renduë devant le logis où ce Prince avoit couché, elle forma une double haye jusqu’à l’Eglise, où Son Altesse Royale se rendit à cinq heures precises. Mr l’Evesque d’Orleans en Rochet à la teste du Chapitre, la reçût à la porte, luy presenta l’Eau-benite, & la conduisit dans le Chœur à la place qui luy avoit esté destinée, & qu’elle occupa en qualité de Patron & de second Chanoine de cette Eglise, le Roy en estant premier Chanoine. Cette place estoit ornée d’une Pente, d’un grand Tapis, & d’un Careau de velours cramoisi, le tout garny de galon, de frange & de crespine d’or. S.A.R. ayant pris sa place, Mr l’Evesque d’Orleans & le Chapitre se placerent de file au dessous de la forme occupée par ce Prince, & les Officiers se placerent entre les formes & les marches de l’Autel. Le Chanoine qui avoit esté deputé, commença la Messe, pendant laquelle on chanta le Motet, Benedictus Dominus meus qui docet manus meas ad prælium & digitos meos ad bellum. Ce motet fut trés bien executé. Mr le Tourneur Maître de Musique de cette Eglise qui l’avoit composé, reçût des applaudissemens de ce Prince, qui lui firent d’autant plus de plaisir qu’il ne les donne qu’avec justice & avec connoissance. La Messe étant finie, le Chanoine Celebrant luy donna le Corporal à baiser, & Mr l’Evesque d’Orleans luy presenta l’Eau-benite. Le départ de ce Prince fut accompagné des acclamations & des vœux d’une nombreuse populace, qui depuis plusieurs jours, s’estoit renduë à Clery pour participer à sa joye, & le Chapitre de cette Ville, toûjours attentif à ses devoirs, fit chanter une grande-Messe en Musique, pour la santé & la conservation du Roy, de toute la Famille Royale, & pour la prosperité des Armes de S.M. Mr l’Evêque d’Orleans y assista en Rochet. Son exemple, sa pieté & son zele édifierent tous les Spectateurs, & exciterent toute la populace à joindre ses prieres aux siennes. À l’issuë de la Messe, le Chapitre en corps alla remercier ce Prelat, & le pria de luy faire l’honneur de se trouver en la maison de Mr Gervais, Sindic du Chapitre, pour luy presenter les Statuts de l’Eglise, & luy en demander l’approbation. Ce Prelat s’y transporta, & il y fut traité magnifiquement par le Chapitre.

Je vous ay déja plusieurs fois parlé de ce celebre Chapitre ; il a toûjours esté remply par des personnes distinguées, soit par leur mérite personnel, soit par leur naissance. On a souvent tiré de ce Chapitre, des Evesques, des Abbez, des Aumôniers du Roy & des Maisons Royales, & des Conseillers de Cours Superieures. Les Chanoines ont la qualité de Barons, ad instar, des Comtes de Lion. Ils sont Chapelains d’honneur du Roy, & joüissent du droit de Committimus au Grand & Petit Sceau.

L’Eglise qui est dediée à la sainte Vierge, est une des plus regulieres du Royaume ; & elle est trés-renommée par les pelerinages continuels qui s’y font pour toutes sortes de maladies, & sur tout pour la sterilité des femmes. Le 11. Avril 1583. Henry III. & la Reine son Epouse, y allerent à pied faire leurs Offrandes, & ils y retournerent l’année suivante. On y voit le Tombeau du Roy Loüis XI. & des Princes de la Maison de Dunois.

Plusieurs personnes de distinction de la Ville d’Orleans, qui n’avoient pû voir S.A.R. assez à leur gré, s’étoient renduës le soir à Clery, pour avoir la satisfaction de la considerer plus long-temps.

Son Altesse Royale en partit le lendemain pour se rendre à Loches. On doit remarquer qu’il y a en deçà de Loches, une Ville nommée Beaulieu, qui prétendit avoir l’honneur d’haranguer ce Prince, la premiere. Celle de Loches, comme la plus considerable & la plus ancienne, crût que cet honneur luy estoit dû, de maniere que l’émulation de ces deux Villes fit naître quelque desordre entre les habitans de l’une & de l’autre, ce qui les empêcha de joüir tranquillement du plaisir de voir un grand Prince qu’ils avoient attendu avec beaucoup d’impatience.

Il partit de Loches pour se rendre à Poitiers ; je n’ay point encore reçu de Relation de ce qui s’y est passé ; mais l’on m’a assure qu’il y avoit esté reçu avec de grandes acclamations de joye, & qu’il avoit esté magnifiquement traité par Mr Doujat Intendant de la Province. Si j’en apprens davantage avant que de fermer ma Lettre, je vous en feray part.

Son Altesse Royale devoit de Poitiers aller coucher à Barbezieux ; mais comme il y a dix-sept Postes de cette grande Ville à ce Marquisat, Mr Begon, Intendant de Rochefort, croyant qu’il pourroit arriver quelques difficultez qui pourroient empêcher que ce Prince ne fit une aussi longue traite, se rendit à Châteauneuf, situé sur les confins de son département ; & quelques Postes en deçà de Barbezieux. Il attendit S.A.R. pendant douze jours, à cause que son départ avoit esté differé de huit jours, & se prepara à l’y bien recevoir, en cas qu’il ne pût aller coucher à Barbezieux. Ce Prince passa à Château-neuf, où il s’arresta seulement pendant trois quarts d’heure, ne voulant rien changer à la marche qu’il avoit resolu de faire. Mr Begon eut l’honneur de l’entretenir, & de luy offrir tous les raffraichissemens imaginables, & tout ce qui dépendoit de luy & de son département. Ce Prince luy fit un accüeil des plus favorables, & le remercia d’une maniere si charmante que cet Intendant en fut penetré. C’est un homme d’un rare merite, dont le zele pour le service du Roy, est des plus ardent, & l’on peut dire de cet Intendant, qu’il n’ignore rien.

Le Mardy 5. d’Avril, S.A.R. arriva sur les six heures du soir à Barbezieux, n’en ayant employé que douze à faire les dix-sept Postes que l’on compte depuis Poitiers jusqu’à cette Ville-là. Ce Prince alla descendre chez Mr Charpentier de Chantereine, Sénéchal de ce Marquisat, la maison de ce Sénéchal ayant esté choisie comme la plus propre pour le recevoir. Son Altesse Royale, fut reçûë avec de grandes acclamations ; tout le Peuple des environs de Barbezieux, s’y estant rendu, ainsi que toute la Noblesse, témoigna une extrême empressement de voir ce Prince. Le Curé de Barbezieux, qui avoit esté chargé du soin de porter la parole au nom de la Ville & du Clergé, prononça le discours suivant.

MONSEIGNEUR,

Si j’ay l’honneur de paroître icy devant vostre Altesse Royale, ce n’est point pour publier ses loüanges, ni pour luy offrir des presens. Cette premiere gloire est reservée à un nombre choisi de beaux Esprits qui sçavent ramasser vos grandes actions, pour les transmettre à la posterité ; & il n’y a qu’un peuple florissant & riche, qui dans son abondance pourroit peut-estre trouver quelque chose digne d’estre offert à un si grand Prince. Ainsi, Monseigneur, jamais la petite Ville de Barbezieux n’a plus senty son indigence qu’aujourd’huy ; cependant j’ose dire, Monseigneur, qu’elle n’est pas moins sensible au bonheur & à la joye qu’elle ressent de voir icy Vôtre Altesse Royale, de qui elle a oüy dire de si grandes choses. Je suis donc chargé, Monseigneur, de toutes les acclamations qu’elle voudroit faire éclater ; de toutes les benedictions qu’elle vous desire, & de tous les vœux qu’elle fait pour la conservation de vostre Auguste Personne.

Pour ce qui regarde nostre Clergé, Monseigneur, il levera tous les jours les mains au Ciel, pour luy demander la grace de vous voir bientost retourner glorieux & triomphant de nos ennemis. Il s’attend que vos Victoires luy feront dans peu chanter le Te Deum, & d’apprendre que la terreur que leur aura donné un Sang si heroïque & prodigué plusieurs fois, avec un courage qui vous couvre d’une gloire immortelle, les aura forcez à vous ceder la Victoire, par tout où vous aurez paru les armes à la main.

Son Altesse Royale soupa le soir avec les principales personnes de sa Cour qui eurent l’honneur de manger avec elle. Le soupé qui avoit esté preparé estoit de cinq services ; ce Prince se leva de table aprés le premier service, & se retira dans sa chambre. Mr le Comte de Chastillon premier Gentilhomme de sa Chambre, & Mr le Chevalier d’Etampes Capitaine de ses Gardes, resterent à table par l’ordre de ce Prince. Ils y firent mettre Mr & Me de Chantereine, ainsi que Mr le Marquis de S. Gelais de Lusignan, Mlles ses filles, & quelques autres Dames. On trouva dans les quatre services qui n’avoient point encore paru, autant de delicatesse que de magnificence. Il y eut dans le même temps une table de quinze couverts servie pour les personnes de la suite de Son Altesse Royale. Ce Prince s’étant levé le lendemain matin à six heures, ne voulut point du déjeuné qu’on luy avoit preparé, & ne mangea que du pain, ce qui fut cause que Mr Desbordes, Curé de Barbezieux, qui avoit harangué ce Prince à son arrivée, se souvint qu’un Ambassadeur ayant vû manger du pain sec au General des ennemis de son Maistre, dit qu’il falloit faire la paix avec une Nation dont les Commandans vivoient avec tant de frugalité.

Son Altesse Royale dit en partant à Me de Chantereine, qu’elle avoit bien reposé & qu’elle avoit trouvé chez elle toutes les commoditez qu’elle pouvoit souhaiter. Elle répondit à ce Prince avec tout l’esprit & toute la politesse imaginable. Cette Dame qui a esté élevée à Paris, est d’une famille distinguée dans la Robe, & n’est mariée que depuis quelques années. Plusieurs Gentils-hommes des environs & plusieurs Dames de qualité eurent l’honneur de rendre leurs devoirs à Son Altesse Royale, dont les manieres honnestes, charmerent tous ceux qui eurent l’avantage de la voir de prés.

Ce Prince partit de Barbezieux le même jour 6e. & alla coucher à Bordeaux. Il passa au milieu de cinq cens Vaisseaux, dont les canons tirerent chacun onze coups ; il est à remarquer que sur mer tous les saluts se font par nombre impair. L’Artillerie du Chasteau-Trompette se fit aussi entendre, & fit des merveilles en cette occasion. Son Altesse Royale fut reçuë par Mr d’Alon premier President du Parlement de Bordeaux, accompagné de deux Presidens à Mortier, & de vingt-quatre Conseillers, suivant l’ordre que ce premier President en avoit reçu de la Cour. Voicy de quelle maniere il parla à ce Prince.

MONSEIGNEUR,

Nous venons reverer dans vôtre Altesse Royale le Sang de nos Maistres ; le Fils d’un Prince dont la memoire sera toûjours chere à la France, & le Neveu du plus grand & du plus puissant des Rois. Ces marques publiques de nostre respect, Monseigneur, ont esté precedées par l’hommage secret de nos cœurs. C’est un tribut que tous les hommes doivent à vos vertus.

Il nous est sans doute bien doux, Monseigneur, de pouvoir admirer de prés tant de vertus réünies dans vostre Altesse Royale, une seule nous allarme & trouble la joye que nous ressentons ; c’est vostre valeur.

Il est vray, Monseigneur, qu’il sied bien à un Prince de chercher quelque fois la gloire avec impatience ; mais quand on a porté l’intrepidité au de-là même de l’idée que les plus grands Heros en ont conçuë, on a remply à cet égard ce qu’on devoit à son nom, à sa naissance & à la posterité. Quittes de ce premier devoir, Monseigneur, oserions-nous en rappeller un autre à Vostre Altesse Royale avec cette liberté respectueuse que les Rois vos Ayeuls, nous ont souvent permis de porter jusqu’aux pieds de leurs Trônes : le Sang qui coule dans vos veines : ce sang le plus beau, & le plus precieux de l’univers appartient à l’Etat, c’est nostre bien. C’est la plus noble & la plus riche portion de nostre patrimoine ; vous ne pouvez plus le prodiguer sans blesser les regles de la justice & de l’équité.

Pardonnez ces expressions, Monseigneur, à nos frayeurs passées ; un secret pressentiment nous flatte qu’au retour de Vostre Altesse Royale nous n’aurons que des actions de graces à vous rendre comme au Vainqueur de nos ennemis.

Ce sont du moins, Monseigneur les vœux ardens & sinceres d’une Compagnie fidelle à son Roy, zelée pour sa gloire, toûjours soûmise à ses ordres & attachée par les liens les plus sacrez à son auguste Maison.

Mr l’Intendant & les Jurats eurent aussi l’honneur d’aller au devant de ce Prince. Il seroit mal-aisé de vous exprimer avec quelles acclamations il a esté receu à Bordeaux, & l’empressement que toutes les personnes de distinction, & tout le peuple a témoigné de le voir pendant le peu de temps qu’il y a demeuré. Il n’en partit que pour se rendre à Bayonne où il arriva le 8. entre trois & quatre heures aprés midy.

Mr le Duc de Gramont qui en est Gouverneur alla à cheval au devant de ce Prince accompagné des principaux de la Ville. Mr de Beauveau, Evêque de Bayonne, sortit aussi de la Ville pour aller au devant de S.A.R. La Reine Doüairiere d’Espagne qui fait son sejour à dans la même ville, avoit envoyé dix carosses ou berlingues au-devant du Prince qui est son neveu à la mode de Bretagne. Le grand Ecuyer de cette Princesse qui estoit dans l’un de ces Carosses, complimenta S.A.R. de la part de Sa Majesté Catholique, & luy dit par son ordre, que sans une indisposition qui luy estoit survenuë, elle n’auroit envoyé personne pour luy témoigner toute l’estime & toute la tendresse qu’elle avoit pour luy. Il descendit de carosse au bout du Pont, & il traversa une partie de la Ville à pied pour se rendre chez Mr l’Evêque, où il devoit loger. Les ruës estoient couvertes d’herbes & de fleurs, & les fenestres ornées de tres-beaux tapis. Ce Prince aprés avoir changé d’habit sortit accompagné d’une nombreuse Cour pour aller voir la Reine d’Espagne, à qui il presenta une Lettre de Madame qui est sa Cousine germaine. Sa Majesté Catholique lut cette Lettre avec une satisfaction qui fut remarquée de toute l’Assemblée, & dont elle donna des témoignages à S.A.R. par le redoublement des caresses qu’elle luy fit. Ce Prince alla ensuite souper chez Mr le Duc de Gramont avec la Duchesse son Epouse qu’il salua en la baisant. Les Dames les plus qualifiées de la Ville furent conviées à ce souper, aprés lequel S.A.R. alla coucher à l’Evêché. Elle se leva le lendemain sur les sept heures du matin, & elle receut sur les neuf heures & demie, les respects de tous les Corps de la Ville. Mr l’Evêque fit servir sur les onze heures un superbe dîner. Les premiers Officiers de la Maison de S.A.R. & plusieurs personnes de distinction eurent l’honneur de dîner avec elle. Mr de Bayonne voulut luy donner la serviette & ce Prince luy dit, Quoy, Monsieur, avec des mains sacrées ? Mr l’Evêque répondit, il n’y a rien de sacré pour vous, Monseigneur. À l’issuë du repas ce Prince accompagné de Mr le Duc de Gramont, alla prendre congé de la Reine d’Espagne, qui luy marqua autant de tendresse que d’estime. Il ne quitta cette Princesse que pour monter en carrosse avec Mr le Duc de Gramont, & pour continuer son voyage. La Reine d’Espagne qui avoit envoyé son carosse d’honneur pour accompagner ce Prince jusqu’au de là des portes de la Ville, sortit elle-même dans un de ses carosses accompagné de cinq autres, & suivit S.A.R. Ce Prince s’en estant apperceu descendit aussi-tost de carosse pour la prier de ne se pas donner cette peine. Cette Princesse feignit d’y consentir ; mais elle fit en même temps donner ordre à son Cocher d’aller le plus vîte qu’il pourroit, & de prendre les devans, ce qui fut executé, de maniere qu’ils ne se separerent qu’au passage d’une riviere où leurs carosses furent contraints de s’arrester. On ne peut rien ajoûter à des manieres si honnestes : elles ne charmerent pas seules S.A.R. & toute sa Cour, cette Princesse estant belle, bien faite, & ayant beaucoup d’esprit.

Enigme. §

Mercure galant, avril 1707 [tome 4], p. 366-371.

Le mot de l’Enigme du mois passé, étoit le Vaisseau. Ceux qui l’ont trouvé sont, Mrs de Labat Salocin ; Moussinat ; le Vasseur ; l’Abbé Darisxi ; le Marquis de G. Puteaux, de la ruë Traversine ; Minet ; B. & Robbe ; Jean Guy du Bessey, du Cloistre S. Benoist ; Jolivet & le fameux Girardin ; Poulet de Metz ; l’Abbé Archangely ; Dilange ; Forby & son amy ; Monbart ; l’Abbé Girard ; Perier ; le Galois le Soyeux, Contrôleur des Gabelles de Roüen ; Dom Zelut ; il Signor Bazini de Bolonia ; le fils de Dom Gabriel ; le Seigneur de la Rade S. Jean ; Melliti di Sameria ; Hoisnard ; Beauregard ; Edme-Nicolas Moreau de S. Florentin, Diocese de Sens, Maistre és Arts en l’Université de Paris ; l’Abbé baille-moy à boire ; le malheureux Lisandre, du Fauxbourg S. Germain ; l’oncle Chartrain ; le Chasseur de la ruë des trois Maillets ; le Rieur continuel ; le Gaillard du chien noir ; le Gantier de S. André ; le Poëte incomparable ; le docte Concadoc ; le Prudent avare ; B. aux 15 Maistresses ; l’Anagramiste ; le Premontré nouveau ; l’Adonis de la ruë Troussevache ; le beau Simon ; les deux Antagonistes des Quatre-Nations ; le Directeur de loin ; le Sellier de l’antiquité ; les deux Ambulans du Palais ; le Baron de l’éloquence ; le Peintre menteur ; le Disgracié ; le Peintre R… la Broche ; le beau Bourlier ; Tamiriste ; le Poulet ; le Solitaire de la ruë aux Feves ; Duo Feminin, de la porte Gaillon ; le bon Norman ; le Solitaire quesmine ; Mlles Tiers-Chasteau, du cul de sac de l’Opera, & Lolote, vis-à-vis l’Epée de bois de la ruë S. Honoré ; Beaupré ; la Fontaine ; Leger ; Cofin ; Lusavine ; Paves, Urtonelle ; Gautier l’aînée, de la ruë des Lombards ; des Hayes ; Lauroy ; le Févre la cadette ; Baudran ; Minet, de Chartres ; Mallet ; Aubert l’aînée ; Henriette Gourlade ; la jeune Muse renaissante ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; l’adorable Canchon & sa sœur Babet, du quartier S. Martin ; la petite Poule ; la belle Lingere de la ruë des Arcis ; la brune de Batte ; la chere amie de Saint Germain en Laye ; les deux Amies de la ruë des trois Maillets ; la charmante Pouponne ; N. des deux Anges, ruë S. Denis ; les deux Belles de la ruë des Bourdonnois ; Babet l’aimable ; Michon l’indiferente ; la Belle constante ; la Belle des trois bouteilles ; la Charmante veuve & sa chere amie, Mlle Bizot l’aînée.

Je vous envoye une Enigme nouvelle, faite par Mr de la Jobrie. Je crois que vous vous attacherez plus à la deviner, qu’à y chercher la richesse des rimes.

ENIGME.

Nez d’un Pere commun, peut-estre en même jour,
Nous sommes trente-deux, tous fore beaux, faits au tour.
Sous deux Chefs differens nous faisons deux Armées,
Et de nos Commandants nous portons les livrées.
Quoy qu’ennemis mortels en tout temps & saison,
Nous couchons pesle-mesle en la même maison.
Nous y vivons en paix, mais nous n’en sortons guere,
Que pour nous déclarer une cruelle guerre.
Celuy qui commande est tant soit peu poltron,
Il évite les coups & craint fort la prison.
La Princesse au contraire, ainsi qu’une Amazone,
Aux perils les plus grands expose sa personne.
Au fort de la meslée un courageux Soldat
Souvent change de sexe & gagne le combat,