1707

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10]. §

[Ode, servant de Prelude] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 5-14.

Vous trouverez dans l’Ode qui suit un Portrait du Roy qui vous fera plaisir.

Mere des grandes actions,
Constante & fidele sagesse,
Seule souveraine maîtresse,
De nos plus fortes passions,
Vive source des belles flames,
Feconde clarté de nos ames,
Doux fruit plus pretieux que l’or,
Ferme appuy de l’homme en tout âge,
Oeil du monde brillant tresor,
Faites-moy connoistre le Sage.
***
Mais déja de cette vertu,
Que rien ne corrompt rien n’altere,
Qui porte un front doux & severe,
Je vois un homme revêtu,
La justice regle son ame,
La seule pieté l’enflame,
La raison éclaire son cœur,
La gloire l’inspire & l’anime,
Et si son courage est vainqueur,
Sa victoire est toujours sans crime.
***
Toujours attentif sur les siens,
Toujours attentif sur soy-mesme,
La paix fait son bonheur suprême,
Et ses plus secrets entretiens,
Ses soins vigilans sa prudence,
Sa grandeur d’ame & sa constance,
Conduisent son juste dessein,
Si le sort contraire en décide,
Son visage toujours serein,
Fait voir un courage intrepide.
***
Son cœur modeste en ses succés,
Fait toujours une gloire vaine,
Et si son noble orgueil l’entraîne,
Il sçait en moderer l’excés,
Si son bonheur change de face,
Alors d’une prompte disgrace,
Le sage n’est point abatu,
Une ame qui n’est pas commune,
Se console dans sa vertu,
Et n’accuse point la fortune.
***
En vain ses ennemis jaloux,
Contre luy forment cent tempestes,
Il sçait sur leurs coupables testes,
En faire retomber les coups,
En vain pour éprouver son zele,
Le Ciel tente son cœur fidele,
Par mille évenemens divers,
Toujours rangé sous ses auspices,
De ses vœux sans relâche offerts,
Il redouble les sacrifices.
***
Avec un seul de ses regards,
Ses lumieres toutes celestes,
Dissipent les complots funestes,
Qu’il voit tramer de toutes parts,
Ses ennemis pleins d’arrogance,
Se brisent contre sa constance,
Pareils à ses fougueux torrens,
Dont le cours bruyant & rapide,
Va se répandre dans les champs,
Et ne laisse qu’un lit aride,
***
Tel fut ce Roy choisi des Cieux,
Toujours sage ardent pour la gloire,
Si saint & si grand dans l’Histoire,
David par tout victorieux,
Contre luy poussé par l’envie
Saül persecute sa vie,
Et s’en voit luy-mesme accablé,
La grace du Ciel l’abandonne,
David de ses faveurs comblé,
Devient maistre de sa Couronne,
***
Tel est ce sage, ce guerrier,
Ce grand défenseur de l’Espagne ;
Qu’en tous lieux l’honneur accompagne :
Entassant laurier sur laurier.
Plus un orgüeïlleux adversaire,
Contre ce Roy, contre l’Ibere,
Redouble ses puissans efforts,
Plus ce sage voit la victoire,
Couronner ses justes transports,
Et croistre l’éclat de sa gloire.
***
Le sage aprés mille travaux,
Aprés mille peines diverses,
Au milieu de tant de traverses,
Joüit d’un glorieux repos,
Il voit perpetuer sa race,
Il voit pleuvoir grace sur grace,
Sur les successeurs de son sang,
Il a le plaisir de voir croistre,
Des fils qui transmettront son rang,
À des petit fils qu’il voit naistre.
***
Le Sage est tranquille au dehors,
Au dedans son ame est égale,
Sa rare vertu se signale,
Toujours par de nouveaux efforts,
Dans le Conseil grand politique,
Dans ses ouvrages magnifique,
Juste en tout ce qu’il entreprend,
Dans ses discours plein de noblesse,
Ces traits marquent Louis le Grand,
Vray modele de la sagesse,

Priere à Dieu pour le Roy.

Défens, Seigneur, ce sage Roy,
Qui ne combat que pour ta gloire,
Qui n’a de rempart que ta foy,
Que ton saint Nom dans sa memoire,
S’il souhaite de voir ses ennemis défaits,
C’est pour te consacrer l’honneur de sa victoire,
Ou pour le seul plaisir de leur donner la Paix.

Vous avez dû remarquer que cette Ode a esté faite sur le sujet donné par Messieurs de l’Academie Françoise pour le Prix de Poësie qui fut donné le jour de la Feste de Saint Louis. Cette Ode est une des six qui avoient esté reservées pour disputer le Prix. Elle est de Mr de Gendron du Petit Fouchault, dont je vous envoyai une Ode en 1698. sur la Paix de Riswick, & qui fut tres-favorablement receuë du Roy & du Public.

[Nouvelles de Pondichery] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 79-84.

Par un Vaisseau Danois parti de Pondichery au mois d’Octobre de l’année derniere 1706. on a eu avis que le Fort à cinq grands Bastions Royaux de deux cens toises de Poligone exterieur que Mrs de la Compagnie des Indes Orientales ont fait bâtir & revêtir de Maçonnerie, qui fut commencé vers la fin de l’année 1701. a esté achevé à la fin du mois de May de l’année derniere, avec tous ses dehors ; sçavoir, ses demi-lunes & ses chemins couverts, ses contrescarpes revêtuës, & ses glacis avec des bâtardeaux, & des écluses de Maçonnerie dans les fossez.

La premiere pierre de ce Fort fut posée le 9. May 1702. par Mr le Chevalier Martin, Gouverneur de Pondichery & Directeur du Commerce aux Indes, qui fit mettre une Medaille du Roy dans les fondemens, avec deux tables de cuivre, sur l’une desquelles il fit graver en Langue latine, & sur l’autre en Langue Malabre qui est celle du pays, l’Inscription suivante :

Regnante in Galliis.
LUDOVICO MAGNO.
semper Invicto, semper Augusto.
DD. Franciscus Martin,
Eques Regi à Consiliis
Urbis Pondicherianæ, vigilantissimus Gubernator,
Et Indiarum Commercii intelligentissimus Dispensator.
Novæ hujus arcis fondamenta posuit impensis & nominæ Regiæ
Societatis judicæ. Die nona mensis Maij, anno Domini
m. d. ccii.
Opera Dionisii de Nion, Parisiensis
Regiarum Arcium
Instructoris.

On peut dire qu’outre la force de cet Ouvrage, que l’on assure n’avoir point de pareil dans toutes les Indes, sa construction est tres-belle. On n’entre dans ce Fort que par une seule porte d’une belle Architecture, dont l’ordonnance ressemble mieux à un Arc de Triomphe qu’à une Porte de Ville ; aussi est-elle nommée Porte Royale.

Comme le Gouverneur de Pondichery attendoit tous les jours des nouvelles de France par l’arrivée de quelques Vaisseaux, il avoit differé de donner un nom à ce Fort, mais voyant qu’il n’en arrivoit point, il choisit le jour de la Feste de Saint Louis pour faire prendre les armes à toutes les Troupes de sa Garnison, & lorsqu’elles furent assemblées au milieu de la Place il nomma ce Fort le Fort Louis. Aprés la Messe, le Te Deum, & l’Exaudiat furent chantez au bruit d’une triple décharge de l’Artillerie & de la Mousqueterie, aprés laquelle on fit la Procession, & l’on benit le Fort dedans & dehors au bruit de l’Artillerie.

[Transport du cœur de Mr le Duc de Nevers] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 87-99.

Le Cœur de Mr le Duc de Nevers a esté transporté de Paris à Nevers par Monsieur l’Abbé Bourgoing Deschamps, Prestre de la Communauté de saint Severin, où il s’est toûjours distingué par sa pieté & par sa sagesse. Il est du Diocese mesme de Nevers, petit neveu du fameux Pere Bourgoing, General de l’Oratoire, & d’une des plus nobles Familles du Nivernois.

On avoit déposé ce Cœur en arrivant dans le Convent des Minimes de Nevers, qui a esté basti & fondé par les Ducs de Nevers.

Mr l’Abbé de Bourgoing l’alla prendre le 26. du mois d’Aoust à dix heures du soir dans un Carrosse à six chevaux accompagné de Mr le President de la Chambre des Comptes de Nevers. Ce Carosse étoit precedé des Chevaliers de saint Charles qui sont de jeunes gens les mieux faits de la Province ; de quantité de Gardes & d’Officiers de la Maison du défunt, ainsi que de plusieurs Pages, sans compter les Domestiques qui étoient à pied. Tout ce cortege estoit en deüil, & le Carrosse estoit suivi de plusieurs autres Gardes, dont le Capitaine & le Lieutenant étoient à la portiere du Carrosse. Ces derniers Gardes estoient suivis de plusieurs Carrosses. Toute cette Pompe funebre estoit éclairée par un grand nombre de flambeaux. Le Cœur fut porté à saint Cyr, Cathedrale de Nevers, où Mr l’Evesque le reçût à la teste de son Chapitre. Mr l’Abbé Bourgoing luy fit le compliment qui suit.

Monseigneur, J’ay l’honneur de presenter à vostre Grandeur le Cœur de Tres-Haut & Tres-Puissant Seigneur, Messire Philippes Julien Mancini Mazarini Duc, Gouverneur & Lieutenant General pour Sa Majesté des Provinces de Nivernois & de Donziois, Chevalier des Ordres du Roy, cy-devant Gouverneur de la Rochelle, Broüage, Isles de Rhé & Païs d’Aunis, & Capitaine-Lieutenant d’une des Compagnies des Mousquetaires du Roy.

S’il m’estoit permis de relever icy par des Eloges pompeux & magnifiques ce que le monde estime, que ne dirois-je point de la naissance, des emplois & des richesses de l’illustre mort dont nous pleurons la perte ; qui ne sçait pas que sa Famille est une des plus nobles d’Italie & par elle-mesme & par ses glorieuses alliances. Combien de grands Hommes y ont paru qui se sont distinguez par leur courage, leur valeur & leur science ? Quelle a esté la gloire & la reputation de Paul Mancini son oncle paternel. Rome cette Ville superbe oubliroit-elle jamais un tel homme ? Que ne luy doit-elle point, n’y a-t-il pas fait fleurir les Sciences au commencement du siecle passé, & l’Academie des Humoristes, dont il a esté l’Instituteur, ne sera-t-elle pas un monument éternel de son amour pour les Sciences.

Mais que vous diray-je, Monseigneur, de son oncle maternel, ce grand Cardinal Mazarin, l’ornement & l’admiration de la France. Quelle fut son habileté pour concilier les esprits & faire mouvoir les ressorts de la paix ou de la guerre ? Qui sçût mieux que luy calmer les troubles & les émotions ? Tout conspire contre luy, les grands & les petits s’assemblent pour le perdre. Il dissipe la Ligue par un de ses regards. Les armes tombent des mains de ses ennemis ; & ceux qui en vouloient à sa vie, cherchent sa protection. Ce fut cet habile Ministre qui voyant dans Philippes Julien Mancini son neveu à travers d’une raison encore foible, des marques de la superiorité de son genie, crut qu’il devoit l’appeller à la Cour du plus grand Roy du monde. Il y vint, & il y fut admiré. Il eut part aux faveurs & à la confiance de Louis le Grand, & ce Prince le plus éclairé de tous, ce juge digne de son amitié.

De quels yeux fut-il alors regardé des Courtisans, estimé des uns, en butte à la jalousie des autres, il eut assez de prudence pour ménager ceux-cy, & assez d’adresse pour parer les coups de ceux-là.

Cette vie néanmoins tumultueuse ne convenant point à la tranquillité de son temperament, comprenant les dangers de la Cour, il forma le dessein de s’en éloigner & de se renfermer dans sa famille. C’est-là où il a donné mille fois des marques de sa moderation, de sa pieté, & de sa justice. Fidel Epoux, il n’a jamais cherché à plaire qu’à celle avec qui le ciel l’avoit uni, & qui merita jamais mieux ses soins & ses empressemens que l’illustre Diane de Thyanges ? En qui vit-on plus de graces, plus d’agrémens, & un merite plus universel ? Pere tendre, il a aimé ses enfans, il a veillé sur leur conduite ; on l’a vû leur donner des témoignages de sa bonté, mais d’une bonté éclairée & judicieuse. Bon maistre, que n’a-t-il pas fait pour ses domestiques. Combien y en a-t-il qui luy doivent leur fortune & leur établissement ?

Si des qualitez du cœur nous passons aux qualitez de l’esprit : quel genie plus penetrant que le sien ? Quelle plus noble maniere de s’exprimer ; quel feu d’imagination qui fut plus ami des Muses ? Quelle gloire ne s’est-il point acquis sur le Parnasse ?

Je laisse tous ces avantages, Monseigneur, pour vous le faire voir dans sa maladie. Quelle a esté sa soûmission aux ordres de Dieu ? Quel parfait détachement de toutes choses n’a-t-il pas fait paroistre ? Avec quelle patience n’a-t-il pas soutenu les douleurs les plus vives ? Il ne luy est jamais échapé aucune parole qui pust faire remarquer ou de l’agitation dans son esprit, ou de l’inquietude dans son cœur. Plein de confiance dans les misericordes du Seigneur, la vûë de la mort ne l'a point effrayé, & il a vû sans trouble approcher la dissolution de son corps.

Quels regrets ne merite point un tel homme ? Et comment pourrions-nous nous consoler d’une telle perte, sans Philippes-Jules son fils, en qui on voit revivre ses vertus ? Que ne doit point attendre nostre Province de ce jeune Seigneur ? Peut-il luy donner une marque plus sensible de sa bonté qu’en la faisant dépositaire de ce qu’il a de plus pretieux.

C’est ce cœur, Monseigneur, que j’ay l’honneur de presenter à Vostre Grandeur, persuadé que vous offrirez à Dieu pour luy vos vœux & vos sacrifices.

Mr de Nevers répondit à ce Discours, avec beaucoup d’éloquence, & je vous feray part de sa réponse, si elle tombe entre mes mains.

Ces Complimens furent faits à la porte de l’Eglise de S. Cir. Aprés quoy le cœur fut porté dans cette Eglise, qui estoit tenduë de noir, particulierement le Chœur qui estoit tendu depuis le haut jusqu’au bas. Le tout estoit chargé de quantité d’écussons de differentes grandeurs. Le lieu où l’on mit le cœur du Deffunt estoit entouré de chandeliers & de flambeaux d’argent garnis de cierges. Le maître Autel & tout le pourtour du Chœur étoient remplis de cierges de 3. livres chacun. Le lendemain la Messe fut celebrée Pontificalement, & chantée en Musique, & l’Oraison Funebre fut prononcée par un Pere Jesuite. Ainsi il y a lieu de croire qu’elle fut tres-belle.

Lettre d’un Pensionnaire du Collège des Jésuites de Toulouse, à un jeune Gentilhomme Espagnol, autrefois Pensionnaire du même Collège §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 99-106.

Rien n’est plus ordinaire dans le monde que la douleur & la joye. Elles se succedent tour à tour, & c’est pourquoy l’on dit ordinairement que l’un rit pendant que l’autre pleure. En effet, il est bien mort du monde pendant que tous les Sujets des deux plus grands Rois du monde se sont abandonnez aux transports de la plus vive joye, afin de celebrer avec autant d’éclat que de sincerité, la naissance du Prince des Asturies. Les jeunes Espagnols qui sont à Toulouse, n’ont pû attendre pour donner des marques de l’extrême joye que cette naissance leur faisoit ressentir, que la Ville de Toulouse eust commencé les Réjoüissances publiques qu’elle devoit faire pour cette naissance, & vous apprendrez par la Lettre qui suit, quel a esté l’épanchement de leur joye & de leur cœur, en cette occasion.

LETTRE
D’un Pensionnaire du College des Jesuites de Toulouse, à un jeune Gentilhomme Espagnol, autrefois Pensionnaire du même College.

Ce n’est pas en Espagne seulement, Mr, que les Espagnols font éclater leur joye. Quoyque rien ne soit plus magnifique que les réjoüissances faites à Pampelune, & que vous les décriviez mieux que ne devroit faire un Espagnol qui écrit en François, j’ay lieu de croire que vous apprendrez avec plaisir ce qui vient de se faire dans cette Maison au sujet de la naissance du Prince des Asturies. Nous en eûmes des nouvelles certaines par la Gazette d’Espagne Mecredi dernier, veille de la Nativité de Nôtre Dame. Je ne puis mieux vous marquer les transports de joye où s’abandonnerent nos Pensionnaires Espagnols en apprenant cette nouvelle, qu’en vous assurant qu’ils parurent sentir tout le bonheur de leur Nation. Les trois Messieurs d’Idiaques Don Joseph, Don Joachim, & Don Xavier, se distinguerent sur tous les autres. Cette famille ne peut vous estre inconnuë, estant tres-illustre en Espagne par sa noblesse & par le rang que les Seigneurs d’Idiaques tiennent à la Cour & dans les Armées. Ces trois jeunes Espagnols, dont l’aîné n’a que seize ans, s’étant disposez dés le soir même à faire leurs devotions, pour rendre graces à Dieu de l’heureux accouchement de leur Reine, se confesserent & communierent le lendemain avec la pieté que des parens tout Chrestiens leur ont inspirée. Aprés quoy voulant donner des marques publiques de leur joye, ils obtinrent de la Maison de Ville des Soldats, les Tambours, les Fifres, & les Trompettes, qu’ils placerent sur le soir à la Tour du College, où l’on avoit mis un grand nombre de pots à feu & de fusées. Ils allumerent eux-mêmes à l’entrée de la nuit au bruit des Trompettes, des Tambours, & des décharges de la Mousqueterie, le Feu de joye qui estoit dans la ruë vis-à-vis le Corps de Logis où ils ont leur Appartement. Ce Corps de Logis estoit illuminé depuis le haut jusqu’au bas dans toute sa longueur, le Portrait du Roy d’Espagne estant placé au milieu. À peine eurent-ils commencé à crier Vive le Roy d’Espagne & le Prince des Asturies, que tous les autres Pensionnaires & un nombre infini de personnes qui occupoient toute la ruë répondirent par les mêmes cris de joye. La Feste dura depuis huit heures du soir jusqu’à dix heures & demie. Pendant tout ce temps-là, on n’entendit que décharges de Mousqueterie accompagnées d’un grand nombre de fusées. Le Pont neuf estoit remply de peuple, parce qu’on y voit mieux la Tour du College qu’en aucun autre endroit. Tout ce grand peuple applaudit à cette Feste. Rien ne marque mieux le zele que leur illustre Famille a toûjours eu pour son Roy & pour sa Nation, que les sentimens qu’ont fait paroître en cette occasion ces trois jeunes Seigneurs. Tout Toulouse en a jugé ainsi.

[Réjouissances faites par Monsieur l’Electeur de Cologne, pour la naissance du Prince des Asturies] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 143-158.

Je ne doute point que vous ne preniez beaucoup de plaisir à lire la Feste que vous trouverez dans la Lettre suivante.

À Lille le 20 Septembre 1707.

On chanta icy avant hier le Te Deum dans l’Eglise Collegiale de S. Pierre, pour rendre graces à Dieu de l’heureuse Naissance du Prince des Asturies. Monseigneur l’Electeur de Cologne y Officia Pontificalement ; & toutes choses s’y passerent dans l’ordre que l’on a coûtume de tenir en ces Réjoüissances publiques. Le soir il y eut des feux de joye sur la grande Place, & S.A.E. donna chez Elle un magnifique souper à la principale Noblesse, pendant qu’on fit couler devant son Palais, qui estoit tout illuminé, deux fontaines de vin, pour tous ceux qui en voulurent prendre.

Ce Prince, non content de cela, pour celebrer avec encore plus d’éclat cette illustre Naissance, donna hier au soir à sa Maison de Campagne une Feste superbe, & des mieux ordonnées à Monseigneur l’Electeur de Baviere son frere, & à Mr le Duc de Vendôme, qui furent accompagnez à ce Festin par Mr le Maréchal d’Arco, & par un grand nombre d’Officiers Generaux & de Personnes de consideration, qui s’y trouverent avec eux. Ils passerent tous à cheval par cette Ville vers les trois à quatre heures aprés midy, & allerent s’embarquer au pied du glacis de la Citadelle sur les petites Galeres de S.A.E. de Cologne, qui s’y estoit renduë en personne pour les y recevoir.

Ces Galeres estoient magnifiquement ornées ; les Rameurs estoient d’une propreté achevée ; & l’on vint jusqu’à cette Maison de Campagne au bruit des Trompettes & des Timballes, ausquelles répondoient alternativement plusieurs troupes de Hautbois dispersées dans toutes les Chaloupes, dont cette petite & galante Flote estoit composée.

On fut salué en abordant par plusieurs pieces de Canon, qui estoient placées sur le bord de la Deusle ; & aprés un tour de jardin, toute cette illustre & belle Compagnie se rendit à un Theatre de verdure, dont la perspective naturelle fait voir en éloignement un bout de paysage tout des plus agreables. À peine fut-on assis, que l’on vit paroître sur la Riviere, Neptune dans son Char, tiré par deux Chevaux marins, lequel s’estant avancé sur le bord du Theatre, chanta les paroles suivantes.

NEPTUNE.

Quel bruit entens-je sur ces rives ?
D’où peut naître ce trouble affreux ?
Je voy de toutes parts les Nimphes fugitives
Chercher, pour se sauver, les autres les plus creux.
 Les fiers Titans, pour nous livrer la guerre,
Sont-ils sortis de leurs gouffres profonds ?
Et voudroient-ils encor sans crainte du tonnerre,
Pour attaquer l’Olimpe entasser monts sur monts ?
Pour s’élever par l’injustice
En vain l’on prétend faire effort.
La vertu triomphe du vice ;
Et sans elle, au lieu d’un beau sort,
On ne trouve qu’un précipice.
Pour s’élever par l’injustice,
En vain l’on prétend faire effort.

Deux Bergers sortant des Bocages voisins apprirent à Neptune la cause de ce bruit, par les Vers suivans, qu’ils chanterent tous deux ensemble.

LES DEUX BERGERS.

Ce bruit qui vient de vous surprendre,
N’est point un effort des Titans.
Admirez avec nous les exploits éclatans
De ces fameux Heros, qui viennent nous défendre.

PREMIER BERGER.

Nos Ennemis orgueilleux & jaloux,
Poussez de haine & de vengeance,
Preparoient dés long-tems leurs armes contre nous :
Mais ces Heros par leur prudence
Ont arrêté leurs grands projets ;
Et le Ciel avec eux toûjours d’intelligence,
A beny leurs desseins & remply nos souhaits

SECOND BERGER.

Aprés tant de soins & de peines,
Couverts de gloire & de lauriers,
Ils viennent l’un & l’autre au bord de ces fontaines
Se délasser de leurs travaux guerriers.

NEPTUNE ET LES DEUX
Bergers.

Qu’ils soient toûjours suivis de la victoire,
Qu’ils triomphent tous deux en cent climats divers.
Que leur brillante gloire
Vole aux deux bouts de l’Univers.

LE CHŒUR.

Qu’ils soient toûjours suivis de la victoire,
Qu’ils triomphent tous deux en cent climats divers.
Que leur brillante gloire
Vole aux deux bouts de l’Univers.

PREMIER BERGER.

Que chacun à l’envy s’empresse
À plaire à ces Heros, l’objet de nos ardeurs ;
Par un festin rustique & des chants d’allegresse,
Allons leur presenter l’hommage de nos cœurs.

NEPTUNE.

Je veux seconder vôtre envie,
Et preparer un lieu digne de ces Heros.
Vous qui sur les humides flots
Risquez si souvent vôtre vie,
Accourez à ma voix, fidéles Matelots ;
D’un trenchant Aviron fendez la vague émuë :
Venez élever à leur vûë
Ce Pavillon superbe, où souvent le Dieu Mars
Vient prendre du repos aprés tant de hazards.

LE CHŒUR.

Que chacun à l’envy s’empresse
À plaire à ces Heros, l’objet de nos ardeurs ;
Par un festin rustique & des chants d’allegresse
Allons leur presenter l’hommage de nos cœurs.

Pendant qu’on chantoit ce dernier Chœur, on vit avancer d’une vîtesse surprenante toutes ces petites Galeres, dont les Matelots ayant mis pied à terre, formerent en dansant avec leurs voiles, leurs rames & leurs crocs un Pavillon, qui fut dressé en un instant à la veuë des Spectateurs. Deux Matelots chantans entrecouperent la danse par les Couplets suivans.

AIR CHANTÉ
par deux Matelots.

De tant de traverses,
De routes diverses,
À l’abry des vens
Oublions les tourmens.
Goûtons l’avantage
D’un tranquille sort :
La Mer & l’orage
Ont beau faire effort ;
Craint-on le naufrage
Quand on est dans le port ?
Non, non, plus d’allarmes,
Joüissons des charmes
Qu’offre le beau temps.
De tant de traverses,
De routes diverses,
À l’abry des vens
Oublions les tourmens.
***
Les dons de fortune,
Les flots de Neptune,
Sont également
Sujets au changement.
Le port sert d’azile,
C’est un doux recours.
Un calme tranquille,
Donne de beaux jours :
Qu’il est difficile
Qu’il regne dans les Cours :
Dans ce verd Boccage
Goûtons l’avantage
D’un fort tout charmant.
Les dons de fortune,
Les flots de Neptune,
Sont également
Sujets au changement.

La danse estant finie, le Pavillon s’ouvrit tout d’un coup, & l’on vit paroître au milieu une Table en forme de fer à cheval, servie de tout ce que la saison peut fournir de plus delicat. Leurs Altesses Electorales, Mr le Duc de Vendôme, & les Personnes les plus qualifiées y prirent place, pendant que tous les Officiers de distinction allerent se mettre à plusieurs autres Tables, que l’on avoit placées aux environs sous des Tentes, où l’abondance des Mets disputoit à l’envy avec la propreté & le bon goût. Tant que dura le repas, les Timbales, les Trompettes & les Hautbois accompagnerent tour à tour la bonne-chere, & entretinrent la joye dans cette illustre Assemblée ; Et chacun revint ensuite par eau avec le même plaisir, & dans le même ordre qu’on y estoit allé, fort content de tout ce qui avoit paru dans cette agreable Feste.

[Suites des Réjouissances faites pour la naissance du Prince des Asturies] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 210-220.

Si je voulois vous faire part de toutes les réjoüissances qui ont esté faites à l’occasion de la Naissance du Prince des Asturies, toute ma Lettre en seroit remplie ; c’est pourquoy j’ay resolu de ne vous parler que de celles qui ont eu quelque chose de singulier, soit par des Decorations, par des Devises, ou par des Descriptions.

Mr le Pul, Viguier de Beziers, ayant esté averti par le Promoteur de Mr l’Evêque de Beziers, que ce Prelat avoit reçu une Lettre du Roy pour faire chanter le Te Deum, afin de rendre graces à Dieu de la Naissance du Prince des Asturies : Mr le Pul, dis-je, ayant esté averti que l’on devoit chanter le Te Deum, auquel il devoit assister comme Officier Royal, il fit aussi-tost peindre quelques Devises qu’il avoit faites sur la Naissance du Prince des Asturies. Il les envoya à Mr Nicolin, Maire de la même Ville, & elles brillerent au Feu de joye qui fut fait devant l’Hostel de Ville, le soir du jour que le Te Deum fut chanté le matin à Beziers. Voici ce qu’elles contenoient.

La premiere avoit pour corps un Soleil levant, & ces mots Espagnols pour ame :

Regoziia y alenta.
Il réjoüit la terre, & l’anime en naissant.

On voyoit dans la seconde, un Amour couronné qui descendoit du ciel en terre, & ce vers de Virgile :

Jam nova progenies coelo demittitur.
Le Ciel donne à l’Espagne une nouvelle Race.

La troisiéme representoit un Lis avec un bouton qui s’épanouit dans un Parterre, en face d’un Palais qui ressembloit à l’Escurial, avec ces mots Italiens :

Transpiantato non men fiorisce.
Dans la terre étrangere il ne fleurit pas moins.

La quatriéme, faisoit voir un Lion naissant, avec ces mots Espagnols :

Nasco Rey.
Je suis né Roy.

On remarquoit dans la cinquiéme, un Lis né parmi des roses, & ces mots Italiens :

Sono armate per lui.
Pour le Lys seulement ces Roses sont armées.

La sixiéme avoit pour corps un Amour qui tenoit un rameau d’olive, & ces paroles de Virgile pour ame :

Solvit formidine terras.
Cet Enfant, des maux de la guerre,
Délivrera bien-tost la terre.

La septiéme qui regardoit l’Archiduc en Catalogne, representoit un Aigle sur une Rade prest à voler, avec ces mots :

Spem ponit in alis.
Il n’a d’espoir que dans ses aîles.

La huitiéme estoit sur Mr le Maréchal Duc de Barwick en Espagne ; elle avoit pour corps une Colomne soûtenant un Statuë qui representoit la Divinité, & son Piédestal estoit chargé d’un Trophée d’Armes ; elle avoit ces paroles de Virgile pour ame :

Pietate insignis et armis.
Ce Heros a toûjours esté
Illustre en guerre, illustre en pieté.

Mr de Barwick passa à Beziers quelque temps aprés ces Réjoüissances, où il séjourna pendant trois jours. Il logea au Palais Episcopal, où il fut visité par Mr le Duc de Roquelaure qui commande en chef pour le Roy en Languedoc ; par Mr de Basville, Intendant de la Province ; par Mr de Margon Lieutenant de Roy ; par tout ce qu’il y a de personnes de distinction dans le Pays. Il fut aussi complimenté par tous les Ordres de la Ville. Voicy la Harangue que luy fit le Définiteur des Carmes de la Province de Toulouse.

MONSEIGNEUR,

Il est bien juste d’honorer par nos tres-humbles respects un Prince que les deux plus grands Rois de la terre distinguent par les Emplois les plus honorables de leurs Royaumes. A-t-il fallu veiller à la garde de nos Provinces ! la France a esté témoin de vostre vigilance & de vostre sagesse. A-t-il fallu se montrer à la teste des Armées pour les commander ? l’Espagne a esté le témoin de vostre prudence & de vostre valeur. On vous a vû dans nos Contrées tenir des Peuples dans leur devoir, devenir la terreur de nos voisins, renverser leurs Forteresses ; & dans d’autres climats on vous a vû dompter l’orgueil des Puissances confederées. Ne parle-t-on pas encore à vostre arrivée, de la celebre Bataille d’Almanza, de cette fameuse Journée, où vous avez merité une gloire immortelle. Ne s’entretient-on pas encore du grand nombre d’ennemis que vous avez vaincus, des legions que vous avez dissipées ; des peuples rebelles que vous avez réduits sous l’obéïssance de leur Roy ; n’applaudit-on pas encore à vos victoires ? Trop heureux de pouvoir feliciter celuy qui les a remportées. Vous avez fait triompher nos armes par tout où vous avez esté ; vous avez soûtenu des Royaumes chancelans. Digne appuy de tant de Couronnes, combien n’en meritez-vous pas ? Puissiez-vous heureusement finir cet ouvrage de gloire que vous avez si bien commencé ; que le Dieu des Batailles préside toûjours aux vôtres, comme il a déja fait, qu’il vous guide, qu’il vous accompagne, qu’il combatte avec vous, & que nous ayons un jour le bonheur de vous revoir couronné de nouveaux lauriers pour vous feliciter sur de nouvelles victoires.

[Suite du Journal de Fontainebleau] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 220-251.

Vous avez pris trop de plaisir à la lecture du Journal de Fontainebleau, qui est dans ma derniere Lettre, pour ne vous pas envoyer la suite comme je vous l’ay promis.

Le 30. Septembre, Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Berry allérent à la Chasse du Loup, & Leurs Majestez dînerent à leur petit couvert, afin d’aller à la chasse du Sanglier ; les Toiles estoient tenduës dans les ventes de Bombon. Il y avoit dans l’enceinte un grand nombre de Sangliers & d’autres bestes fauves ; sçavoir, des Cerfs, des Biches, des Chevreüils, & des Renards. La Cour s’y rendit, & le Roy, la Reine d’Angleterre, le Roy son fils, la Princesse sa sœur, Madame la Duchesse de Bourgogne, & Madame, estoient dans le même Carosse, & toutes les Princesses & les Dames, suivoient dans les Carosses & dans les Caléches du Roy & de Madame la Duchesse de Bourgogne, & un grand Cortege de Seigneurs à cheval, suivis d’un grand nombre de Carosses. Il y avoit plusieurs Chariots preparez dans l’enceinte en maniere de Plate-forme garnis de sieges couverts de tapis, pour les Dames, & des Dards. Il y avoit aussi un grand nombre de chevaux de main prests pour les Seigneurs qui voudroient aller à coups d’épée sur ces animaux. Le Roy d’Angleterre & Monseigneur le Duc de Berry, en dardérent plusieurs. On en tua 16. des plus considerables, & quelques Renards. Cette chasse donna beaucoup de plaisir à Leurs Majestez Britanniques, aussi bien que le spectacle qui accompagne toûjours ces chasses, à cause de la multitude de gens qui environnent les toiles, & de la grande quantité de peuple que la curiosité fait monter sur les arbres, & qui forme une tapisserie admirable par sa diversité, par tout où la vûë peut s’étendre. Madame la Duchesse de Bourgogne donna au retour un grand Concert de Musique au Roy, & à Madame la Princesse d’Angleterre, qui dura jusqu’à l’heure du souper. Vous ne douterez point de la beauté des Voix & de celle de la Symphonie, lorsque vous sçaurez que ce Concert fut executé par les Demoiselles Pensionnaires de Sa Majesté, par les Musiciens de sa Chambre, & par les Instrumens ; le tout estoit conduit par Mr de la Lande. Toutes les Dames assisterent à ce divertissement, où le Prologue de l’Opera de Phaëton, & plusieurs Actes furent chantez. Les Familles Royales souperent au grand Couvert du Roy, où la Cour est toûjours fort grosse, puisqu’outre le Cercle de Duchesses qui environne Leurs Majestez, le Cercle des Dames qui n’ont pas le Tabouret, n’est pas moins brillant. Les Seigneurs forment un troisiéme Cercle autour du second, & il est toûjours fort grand, parce que les Tables du Grand-Maistre & du Chambellan, où mangent les Seigneurs, sont toûjours levées avant le soupé du Roy, ainsi que celles que Sa Majesté fait servir pour les Seigneurs & Dames Angloises qui ont l’honneur de suivre Leurs Majestez Britanniques, l’attention de ce Monarque allant jusqu’à avoir ordonné des tables dans les Appartemens des Dames Angloises pour la suite de ces Dames.

Il y eut le premier Octobre, grande Toilette chez la Reine d’Angleterre, où Messeigneurs les Princes, Madame la Duchesse de Bourgogne, toutes les Princesses & les Dames, se rendirent. Le Roy y alla prendre la Reine pour la mener à la Messe, & le cortege estoit toûjours semblable à celuy dont j’ay déja parlé. Leurs Majestez dînerent ensuite au grand couvert. Il y eut l’apresdînée une magnifique promenade autour du Canal. Le Roy, la Reine d’Angleterre, Madame, & leurs Dames d’Honneur, estoient dans le même Carosse. Le Roy d’Angleterre, Madame la Princesse sa sœur, Monseigneur, Messeigneurs les Princes, toutes les jeunes Dames, & un grand nombre de Seigneurs, environnoient à cheval les Carosses de Leurs Majestez, qui estoient suivis de tous les Carosses des Princes, des Princesses, des Ambassadeurs, & de ceux de toute la Cour. Il y eut à cette promenade, environ cent cinquante Dames vêtuës en Amazones, & dont les habits estoient tres-magnifiques, & l’on y compta quatre-vingt-quatorze Carosses. On doit remarquer que ceux de la Maison Royale estoient attelez de huit chevaux, & que tous les autres en avoient six. Aprés que l’on eut fait plusieurs fois le tour du Canal, & que l’on en eut fait aussi plusieurs dans l’Allée Royale, cette galante Troupe finit sa promenade par quelques tours qu’elle fit autour du Parterre du Tibre, & aprés estre rentrée au galop dans la Cour de l’Ovale, les Dames se remirent en grand habit, pour se rendre ensuite à la Comedie de Pourceaugnac. Il y eut avant l’ouverture de la Piece, des Airs chantez par des Demoiselles de la Musique Pensionnaires du Roy. La Piece fut accompagnée des Danses qui entrent dans son sujet, & elle fut suivie d’un Ballet, dansé par les Danseurs Pensionnaires de Sa Majesté. On se rendit ensuite au grand Couvert du Roy, où le brillant des pierreries dont les Dames estoient parées, continua de faire l’admiration des Etrangers qui sont à Fontainebleau.

Le 2. Octobre, le Roy donna la main à l’ordinaire à la Reine d’Angleterre pour la mener à la Messe, au retour de laquelle Leurs Majestez dînerent chez elles à leur petit couvert. Les deux Rois allérent l’apresdînée tirer dans les Parquets. La Reine demeura en devotion presque tout le jour à cause du Dimanche. Madame la Princesse d’Angleterre, & Madame la Duchesse de Bourgogne, allerent à Vespres aux Loges, accompagnées d’un grand nombre de Dames ; elles visiterent les Solitaires qui sont dans cette Maison. Il y eut au retour, Appartement chez Monseigneur, où la beauté de la Musique, les Jeux & les rafraîchissemens occuperent la Cour jusqu’au souper au grand couvert. Monseigneur le Duc de Berry, & plusieurs autres Princes, avoient esté ce jour-là tirer dans les Plaines aux extremitez de la Forest.

Le 3. le Roy, aprés avoir ramené la Reine chez elle, dîna à son petit couvert & leurs Majestez Britanniques dînerent chez elles. Le Roy d’Angleterre ; Madame la Princesse sa sœur ; Monseigneur, Messeigneurs les Princes, Madame la Duchesse de Bourgogne & les Dames allerent à la chasse du Cerf, dont le rendez-vous estoit à la plaine du Rhu. La chasse fut tres-belle & Madame la Princesse d’Angleterre y prit beaucoup de plaisir, ainsi qu’à toutes les autres chasses où cette Princesse a esté. Les Dames, au retour, se remirent en grand habit pour aller à une seconde representation du Bourgeois Gentilhomme que Madame la Princesse d’Angleterre avoit souhaitée. Les ornemens de cette piece furent augmentez de plusieurs belles voix, & les Musiciens parurent avec des habits nouveaux. Il y eut aprés le Ballet qui finit cette piece, plusieurs Scenes jouées par Mrs Allard & du Moulin, accompagnées de plusieurs danses d’Arlequins & des Scaramouches qui danserent avec une legereté surprenante. On rentra chez le Roy aprés ce divertissement, & Sa Majesté ayant esté prendre la Reine à qui Elle avoit esté rendre visite au retour de la chasse, on soupa à l’ordinaire au grand couvert.

Tout estoit disposé le 4. pour une grande chasse, & Monseigneur devoit donner le retour chez luy ; mais ce divertissement fut dérangé par une pluye continuelle. Le Roy dîna ce jour-là à son petit couvert, & la Reine d’Angleterre chez elle, parce qu’elle s’étoit trouvée un peu incommodée. Le Roy son fils, Madame la Princesse sa sœur, Madame la Duchesse de Bourgogne & beaucoup de Dames dînerent avec les Princes chez Monseigneur, où l’on fut occupé une partie de la journée par differens plaisirs. Il y eut le soir appartement chez ce Prince, où Sa Majesté Britannique alla avec toute la Cour. Les Familles Royales souperent ensuite au grand couvert du Roy.

La pluye ayant continué le 5. rompit tous les projets de chasse de la journée. Le Roy alla aprés le Conseil du matin, à la Messe avec le Roy & la Reine d’Angleterre, & leurs Majestez dînerent à leur petit couvert. L’apresdînée se passa en visites de part & d’autre, & l’on alla visiter la Reine pour prendre congé d’Elle & de Madame la Princesse d’Angleterre, qui devoient partir le lendemain aprés dîné pour aller coucher à Corbeil, où se devoient rendre la veille un détachement de Gardes du Corps, & une Compagnie des Gardes Françoises pour monter la Garde chez Sa Majesté. Les Compagnies qui sont en quartier à Melun, eurent ordre d’estre sous les armes lorsque Sa Majesté y passeroit, ce qui avoit esté observé, lorsque Sa Majesté passa par cette Ville en venant à Fontainebleau. On fit partir des Officiers de toutes les Offices avec des Provisions pour preparer le soupé de Sa Majesté à Corbeil, & son dîné du lendemain, & pour avoir soin des Tables de sa suite. On representa le soir la Tragedie des Horaces. On joüa ensuite une petite Comedie nommée, Les folles Amours. On trouva que ces deux pieces, ainsi que les precedentes, avoient esté tres-bien joüées, & avec beaucoup d’art. Les Familles Royales souperent le soir au grand couvert.

Le 6. la Reine & Madame la Princesse d’Angleterre allerent à la Messe le matin, & dînerent à onze heures. Le Roy alla prendre la Reine à midi pour la mener à sa Messe, Les Carrosses & les Gardes de Sa Majesté l’attendoient au fer à Cheval dans la cour du Cheval blanc. En sortant de la Messe, le Roy & le Roy d’Angleterre, conduisirent ces Princesses à leur Carosse. Elles allerent à l’Abbaye du Lis, prés de Melun, non-seulement pour voir cette Maison, mais aussi afin de ne pas faire le chemin de Fontainebleau à Melun tout d’une traite. Aprés le départ de ces Princesses, le Roy d’Angleterre & le Roy, dînerent à leur petit couvert. Ils allerent ensuite à la chasse du Cerf à la Boissiere. Le premier Cerf ayant peu duré, on en courut un second qui dura longtemps, & qui donna beaucoup de plaisir. Madame la Duchesse de Bourgogne & les Dames estoient de cette chasse. Au retour, Monseigneur donna chez luy un grand retour de Chasse, où se trouvérent le Roy d’Angleterre, Madame la Duchesse de Bourgogne & le Princes. Le repas fut long, & les Dames s’habillerent ensuite pour paroître au souper de Sa Majesté.

Le 7. le Roy d’Angleterre qui avoit pris la veille congé du Roy, partit en poste à huit heures du matin, accompagné des Officiers des Gardes qui servent prés de Sa Majesté, Monsieur le Duc de Perth, premier Gentilhomme de sa Chambre, & ci-devant son Gouverneur, le suivoit en chaise. Les Officiers estoient à cheval, & Sa Majesté alla joindre la Reine sa Mere à Corbeil. Il a paru pendant tout le temps que Leurs Majestez Britanniques ont demeuré à Fontainebleau, que l’attention du Roy à procurer des divertissemens au Roy de la Grand’Bretagne, & à Madame la Princesse sa sœur, a eu tout l’effet que S.M. pouvoit souhaiter, & ils en ont paru tres-satisfaits, & la Reine, dont la vertu sert d’exemple, & qui au milieu de la Cour est souvent en retraite, a fait voir pendant son séjour, combien elle estoit penetrée des bontez & de la generosité de ce Monarque. Le Roy son Fils en a paru également touché, & l’on peut dire que ce jeune Prince a charmé toute la Cour, par ses manieres, & par sa politesse, & l’on a dit en le voyant joüer, qu’il joüoit aussi noblement que s’il avoit esté à Windsor, au milieu de toute sa Cour. Quant à la Princesse sa sœur, toutes ses actions ont esté accompagnées d’une bonne grace & d’une politesse dont la Cour n’a pas esté moins charmée qu’elle l’a esté du Roy son frere.

Aprés le départ de leurs Majestez Britanniques, le Roy continua d’entendre la Messe avant le Conseil, comme Sa Majesté faisoit auparavant, & l’on continua aussi de dire celle de Monseigneur à midi, à cause de Madame la Duchesse de Bourgogne & des Dames ; pendant cette Messe, la Musique chante toujours le même Motet, qu’Elle chante à celle du Roy. Le même jour 7. Sa Majesté dîna à son petit couvert, & alla tirer l’aprés dînée, & Madame la Duchesse de Bourgogne en habit d’Amazone alla à cheval avec ses Dames, trouver Sa Majesté pendant sa chasse. Messeigneurs les Princes estoient allez tirer aux extremitez de la Forest. Le Roy entendit à son retour un concert de Musique Italienne, où se trouverent Madame la Duchesse de Bourgogne, les Princes, & plusieurs Dames. Il fut executé par Mr de la Lande, & par sa famille.

Le 8. le Roy dîna à son petit couvert, aprés le Conseil qui avoit esté tres-long, & Madame la Duchesse de Bourgogne à son grand couvert où mangerent Messeigneurs les Princes. Monseigneur dîna chez luy avec des Princesses & des Dames, comme il fait ordinairement lors qu’il ne dîne point au grand couvert du Roy. L’aprésdînée il y eut chasse du Cerf dans les sentiers d’Avon, avec la Meute de Monsieur le Comte de Toulouse. Madame la Duchesse de Bourgogne, & les Dames y allerent vêtuës à l’ordinaire en habits d’Amazones. Au retour, elles se remirent en grand habit pour aller à la Comedie, & l’on joüa l’Homme à bonne fortune. Madame la Duchesse de Bourgogne alla souper au grand couvert du Roy où la Famille Royale se rassembla. Messeigneurs les Ducs de Bourgogne & de Berri estoient allez ce jour-la à la chasse du Sanglier.

Le 9. le mauvais temps empêcha le Roy d’aller tirer, ainsi que Sa Majesté l’avoit projetté. Madame la Duchesse de Bourgogne passa la journée en devotion, non seulement à cause du Dimanche ; mais aussi parce que les Mathurins qui sont Chapelains du Roy à Fontainebleau, celebroient ce jour-là une feste particuliere. Le Saint Sacrement estoit exposé dans la Chapelle, & cette Princesse y entendit Vespres & le Sermon, qui fut fait par un des Religieux de cette Maison ; elle alla le soir avec le Roy, au Salut du Saint Sacrement. Messeigneurs les Princes avoient esté tirer à leur ordinaire. Dans ces chasses particulieres, l’équipage du Veau trait, qui est celuy du Sanglier, est toûjours à portée, & au retour de ces chasses, il en coûte toûjours la vie à quelques Sangliers, & à quelques Fans. Le soir, il y eut Appartement chez Monseigneur, où l’on joüa un tres-gros jeu qui dura jusqu’à l’heure du souper qui fut au grand couvert.

Le 10. le Roy prit medecine par précaution. Sa Majesté, qui ne s’est jamais dispensée d’entendre la Messe, l’entend ces jours-là dans sa Chambre, où Monseigneur & Messeigneurs les Princes assistent toûjours, afin de se trouver à la Medecine. Ils allerent ensuite à la chasse du Loup. Madame la Duchesse de Bourgogne aprés avoir dîné à son grand couvert avec les Dames à qui elle fait l’honneur d’y donner place, se promena en Carosse dans la Forest. Il y eut un grand retour de chasse chez Monseigneur, auquel le Jeu succeda pendant que le Roy estoit au Conseil. Sa Majesté soupa ensuite à son grand couvert avec la Famille Royale. On apprit ce jour-là les desordres causez par le débordement de la Loire. Le Roy en fut fort touché, & comme Pere de ses Sujets, il ordonna qu’on examinast les dommages causez par cet accident, afin de soulager ceux qui ont souffert. On doit remarquer la tendresse du Roy pour ses Peuples en de pareilles occasions, & que Sa Majesté n’attend pas les demandes qu’on luy pourroit faire.

Le 11. le Roy alla l’aprésdînée à la chasse du Cerf avec sa Vennerie. Madame la Duchesse de Bourgogne & les Dames en Amazones, estoient de cette chasse. Elles se remirent en grand habit à leur retour, pour aller à la representation de la Tragedie d’Andromaque.

Vous trouverez à la fin de ma Lettre, la suite de ce Journal.

[Article de Bayone qui en contient plusieurs qui regardent la Reine Doüairiere d’Espagne] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 251-270.

La Reine Doüairiere d’Espagne, dont la pieté continuë de se signaler, fit baptiser & tint sur les Fonts dans la grande Eglise de Bayonne, le jour de S. Louis une Juive qui avoit embrassé volontairement la Religion Catholique, & cette grande Princesse qui donne tous les jours des marques d’une bonté genereuse par les biens qu’elle continuë de faire, mit cette nouvelle Catholique dans un Convent.

Le 28. du même mois, jour auquel on celebroit la Feste de Saint Augustin, Sa Majesté alla à la Benediction du Saint Sacrement dans l’Eglise des Augustins, où elle fut haranguée à la porte par le Pere Camartin Prieur de ce Convent. Son discours fut trouvé tres-beau, & fut applaudi de toutes les personnes de distinction qui accompagnoient la Reine. Sa Majesté, suivie des principales personnes de sa Maison, & de ce que Bayonne a de plus distingué, fut ensuite conduite devant le Saint Sacrement pendant que l’on chantoit le Te Deum, accompagné de l’Orgue, à l’issuë duquel la Musique chanta un Motet. La Symphonie fut admirée aussi bien que le Sr Loüis Delgrés qui chantoit le dessus, & dont la voix fut trouvée tres-belle par la Reine, & par toutes les personnes de l’Assemblée qui ont du goust pour la Musique. Aprés la Benediction du Saint Sacrement la Reine entra dans le Convent, où les Religieux luy presenterent une magnifique collation, dont Sa Majesté fut tres-satisfaite. La Suite de cette Reine estoit grande, & l’on peut dire que tout Bayonne se trouva à cette Feste.

[Réjouissances faites par Mr le Marquis de Marimon] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 254-270.

J’ay cru vous devoir envoyer la Lettre suivante de la maniere que je l’ay reçuë ; ceux dont elle vient estant mieux informez que moy de la verité de tout ce qu’elle contient. D’ailleurs, on ne peut mettre dans un trop grand jour l’inviolable fidelité de ceux qui l’ont portée aussi loin pour leurs legitimes Souverains, que l’on a fait dans la Maison de Marimon.

La nouvelle de la naissance du Prince des Asturies estant arrivée à Toulouse le 7. de Septembre, elle se répandit en un instant dans toute la Ville, où elle causa une joye generale. Mais elle parut avec éclat dans la maison de Mr le Marquis de Marymon Seigneur Espagnol, & arrivé depuis quelques mois à Toulouse avec sa famille. Cette joye aussi tendre que vive fut accompagnée de toutes les circonstances qui en pouvoient marquer l’excés & la sincerité. Plusieurs personnes de distinction s’étoient renduës chez ce Marquis dés le moment qu’elles eurent appris l’heureuse naissance qui faisoit le sujet de sa joye, dont tout le Public vit le soir du même jour des marques éclatantes. La nuit étant venuë, on alluma un grand feu dans la cour de la maison de Mr de Nicolas Conseiller au Parlement, où Mr de Marymon est logé. Les fenestres parurent en même tems éclairées d’un grand nombre de flambeaux de cire blanche, qui formoient une illumination aussi agreable par la regularité, qu’elle l’étoit à Toulouse par sa nouveauté. Pendant tout le tems que dura ce spectacle, on eut le plaisir de voir à diverses reprises l’air tout brillant de lumieres par le moyen d’un nombre infini de fusées, qui à la faveur d’une nuit tres-obscure produisoient un effet admirable. Mrs les Capitouls avoient eu l’honnesteté d’accorder à Mr de Marymon une Brigade de Soldats de la famille du Guet, qui pendant toute la feste ne cesserent point de faire des décharges de Mousqueterie, & les Trompettes & les Haut-bois de la Ville joüerent aussi pendant tout le temps qu’elle dura. Le concours de toutes sortes de personnes de l’un & l’autre sexe & de tous états fut extraordinaire ; & chacun admira le zele, l’empressement & l’amour tendre de ce fidelle sujet pour la personne & pour les interests de son aimable Souverain. Toute sa maison ne respiroit que joye. Madame la Marquise de Marymon avec toute sa famille en estoit penetrée. On n’a jamais vû d’épanchement de cœurs plus abondant ni plus sincere. Ce n’étoient que souhaits pour la santé & pour la conservation des personnes sacrées du Roy & de la Reine ; & que vœux pour le nouveau Prince, dont la naissance fait esperer la fin des malheurs de l’Espagne, & le repos de l’Europe entiere. Cette feste fut terminée par une magnifique collation, que Madame de Marymon donna à plusieurs personnes distinguées de l’un & de l’autre sexe, qui se trouverent chez elle.

Le nom de Mr le Marquis est Dom Joseph de Marymon y Gorbera ; il est Catalan, & sa maison est originaire de Barcelone. Rien n’est comparable à l’attachement qu’il a pour son Souverain legitime. Pour ne point manquer à la fidelité qu’il luy a jurée, il a abandonné son Païs, ses biens & ses Charges. Lorsque Barcelone se rendit à l’Archiduc, il en sortit avec Mr de Velasco, & ayant esté débarqué avec la garnison dans le Royaume de Grenade, il prit le chemin de Madrid ; tandis que sa famille qui estoit aussi sortie de cette Ville, passoit de Catalogne en Aragon, cherchant une retraite de là en Navarre. Ce Marquis accompagna ensuite Sa Majesté Catholique au siege de Barcelone ; il la suivit lorsqu’elle passa sur les frontieres de France pour retourner à Madrid. Ce Seigneur possedoit des Charges tres-considerables dans son Pays, avant les dernieres revolutions arrivées en Catalogne. Il estoit Surintendant des Arcenaux Royaux & de la fabrique des Galeres & des Vaisseaux. En consideration de ses services & de sa fidelité, le Roy Philippe V. luy avoit accordé la survivance de la Charge de Conseiller de Manteau & d’Epée dans le Conseil Souverain d’Arragon, occupée par Mr le Marquis de Serdagnola son Pere : mais ce Conseil ayant esté reformé, Sa Majesté luy accorda la survivance d’une pareille Charge dans le Conseil Souverain d’Italie. Ce Monarque joignit à cette nouvelle grace une pension de deux mille ducats. Ce Marquis a épousé Doña Maria Francisca de Velasco, de l’illustre famille des Velasco de Castille. Les enfans qu’il a eus de son mariage avec cette Dame, sont Doña Maria Francisca de Marymon y Velasco, Don Juan Antonio, Don Felix, & quelques autres. Madame de Marymon y Velasco est une Dame tres-accomplie. Elle a un grand fonds de Religion & de Pieté ; une éducation & des manieres dignes de sa naissance & de son rang ; une grandeur & une force d’ame à l’épreuve de tous les accidens ; un grand attachement pour sa famille, & une tendresse inexprimable pour ses Souverains. Mademoiselle Doña Maria Francisca de Marymon y Velasco, est digne fille d’une telle mere. Elle est tres-bien faite & tres-aimable ; elle a un naturel excellent, des inclinations toutes portées au bien & à la vertu ; une humeur agreable & égale ; une vivacité & une penetration surprenante ; un goust exquis pour toutes les belles choses, & un agrément singulier, qui se répand sur tout ce qu’elle fait, & ce qu’elle dit. Elle aime la Langue Françoise, & elle a de tres-heureuses dispositions à l’apprendre. Mrs ses freres ne démentent point leur naissance, & ils donnent déja de grandes esperances, quoy qu’ils soient encore fort jeunes. Mr le Marquis de Marymon a plusieurs freres. Ce sont Don Miguel Archiprestre d’Ager, Ecclesiastique sçavant & pieux, & que son merite, autant que sa naissance & sa fidelité, rend digne d’occuper les dignitez de l’Eglise ; Don Ramond Archidiacre de la Metropolitaine de Terragone. Don Antonio Doyen de la Cathedrale de Gironne. (Ces deux derniers sont dans une grande consideration à Madrid, où ils se sont retirez.) Ils ont un merite infini, & toutes les qualitez necessaires pour remplir dignement les places importantes, ausquelles ils ont preferé leur honneur & leur devoir. Don Felix Colonel de Dragons, & Don Bernardin Capitaine dans le Regiment de Mr son frere. Ces deux Officiers servent actuellement & avec beaucoup de distinction dans l’Armée de Son Altesse Royale Monsieur le Duc d’Orleans. Tous ces illustres freres ont abandonné leurs biens & leurs établissemens, pour demeurer inviolablement attachez à S.M.C. suivant en cela l’exemple de Mr le Marquis de Serdagnola Don Felix de Marimon leur Pere, autrefois Surintendant des Arcenaux Royaux, Tresorier & Intendant de la Principauté de Catalogne, ancien Gouverneur de Malaga, General de l’Artillerie, & l’un des premiers Membres de la Chambre generale du Commerce de toute la Monarchie Espagnole. Tant de grands emplois accumulez sur la teste de ce Seigneur, font suffisamment son éloge. Ce fut en sa faveur & en consideration de ses services, que le feu Roy Charles II. érigea en Marquisat la Terre de Serdagnola. Il fait à present son séjour à Madrid avec Mr l’Archidiacre de Terragone & Mr le Doyen de Gironne ses enfans. Il a aussi auprés de luy Madame la Comtesse de Guara sa fille, veuve du Comte de ce nom. Cette Dame a une fille & deux fils, l’un desquels, sçavoir Don Felix de Aslory Marymon, est Capitaine de Dragons dans le Regiment de Don Felix de Marymon, son oncle.

La Maison de Marymon tient un grand rang en Espagne depuis plusieurs siecles. Outre les grandes Charges de Surintendant des Arcenaux & de la Marine, de Tresorier & d’Intendant de Catalogne, qui y ont esté comme hereditaires, elle en a possedé plusieurs autres tres-considerables. Le dixiéme ayeul de Mr le Marquis de Marymon Don Joseph, fut de son temps Bayle general de Catalogne. Un Marymon a esté grand Chambellan de Jean I. Roy d’Aragon. Ceux de ce nom ont pris des alliances dans les premieres Maisons du Pays, sçavoir dans celles de Corbera, de Tord, & de Fernez. Leur Maison a donné plusieurs grands Sujets à l’Eglise & aux Armées ; & ce qui est encore infiniment plus estimable, c’est qu’elle fournit plusieurs exemples d’une fidelité inviolable & comme hereditaire envers ses Souverains. Je dis comme hereditaire, puisqu’on peut compter cinq generations de suite de ceux de cette famille, qui ont abandonné leur Pays, pour ne point reconnoistre d’autre Maistre que le legitime. Lorsque les Catalans secoüerent le joug des Espagnols sous Philippe IV. en l’année 1640. Don Juan & Don Bernardin de Marymon, ayeul & bisayeul de Mr le Marquis de Marymon Don Joseph, se retirerent à Madrid. Mr le Marquis de Serdagnola a suivi deux fois leur exemple, & il a laissé le sien à Mrs ses enfans & à ses petit-fils. Quant à ce qui regarde l’antiquité de la Maison de Marymon, on n’en sçauroit donner une plus grande idée, qu’en faisant remarquer que la Ville de Serdagnola a passé de masle en masle par une succession sans interruption à ceux de cette famille, depuis plus de 480. ans.

[Lettre de Mr Sarron] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 270-274.

Je crois devoir ajoûter icy la Lettre suivante, puisqu’elle regarde aussi la Naissance du Prince des Asturies. Elle est de Mr Sarron, dont les Ouvrages de cette nature, ont souvent brillé.

À MONSIEUR ***

Il n’y a gueres d’Epoques, Mr, plus singulieres & plus éclatantes, que celles qui se trouvent jointes ensemble à la naissance du Prince des Asturies. Il est né dans l'Année où l’Espagne a remporté à Almanza une fameuse Victoire sur ses ennemis. Il est né dans le Mois d’Aoust : mois auquel César Auguste a donné son nom. Il est né le Jour de Saint Louis, Roy dont on fait souvent le Panegirique. Année, Mois & Jour, qui comme une constellation de grandes Etoiles, ont illuminé la Naissance du Prince. Ce sujet estant si remarquable, Apollon a excité les Muses à le celebrer en plusieurs langues. Voila ce qu’il m’a inspiré en Latin & en François :

Super ortum Principis Asturiarum.

Natus in Augusto, Sanctique Die Lodoïci,
Altæ Anno palmæ : Clara quot omina sunt !

Sur la naissance du Prince des Asturies.

Quels Temps d’éclat sont joints du Prince à la Naissance !
C’est le Mois d’un grand Empereur.
C’est le jour d’un grand Roy de France :
L'An où l’Espagne est la terreur
Des ennemis de son Empire,
Vaincus dans un Combat fameux,
Qui va leur attentat détruire.
Pour le Prince on voit là cent presages heureux.

[Mort de l’Abbé de Lubiere]* §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 292-295.

Mr l’Abbé de Lubiere est aussi decedé, âgé seulement de 31. an. Il y avoit lieu d’esperer qu’il feroit de grands progrés dans les Sciences & dans la Chaire. Il avoit passé quelques années parmi les Jesuites ; mais le mauvais estat de sa santé l’obligea de sortir de cette Compagnie, qui fut aussi fâchée de le perdre, qu’il l’estoit de les quitter. Cet Abbé donna au commencement de cette année un Livre qui a pour Titre : l’Esprit du Siecle, & dont le succés a esté grand, Le Roy ayant vû cet ouvrage, paroissoit fort disposé à luy faire du bien, lorsque Sa Majesté en apprit la mort.

On trouve dans une Lettre qui est à la teste de cet Ouvrage un éloge fort delicat des Journalistes de Trevoux. Mr l’Abbé de Lubiere se preparoit à donner lorsqu’il est mort, un Recüeil des plus belles pensées des Peres de l’Eglise, sur toutes sortes de sujets de Morale. Il avoit redigé tout ce qu’il avoit trouvé dans les Peres qui pouvoit convenir à quelque vertu ou à quelque passion. Le Pere Plochut, Augustin & Docteur de Sorbonne, luy avoit aidé à faire le choix des matieres. Il est à souhaiter qu’il remplisse les vûës de son Ami deffunt. Cet Abbé avoit un grand talent pour la Predication ; il avoit prêché dans les meilleures Chaires de Paris, & il avoit esté choisi pour faire le Panegirique de Saint Ignace l’année prochaine à l’Eglise de Saint Loüis de la ruë S. Antoine, & pour faire le Sermon de la Cene devant le Roy. Cet Abbé estoit d’Arles, & cousin germain de Mr de Julien Lieutenant general des Armées du Roy. Il estoit originaire de la Principauté d’Orange, où son grand-pere estoit premier President du Conseil Souverain de cette Ville. Son pere quitta cette Principauté pour s’aller établir en Provence, & le zele de la Religion y avoit beaucoup contribué.

[Suite de l’article du Journal de Fontainebleau qui se trouve dans ce volume] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 306-320.

Je croyois ne mettre dans cette Lettre que deux Articles du Journal de Fontainebleau ; mais je me trouve obligé d’en faire trois. Voici le second, & ma Lettre finira par le dernier.

Le 12. on chanta à la Messe du Roy un Motet de la Composition de Mr du Buisson, Pensionnaire de la Musique de Sa Majesté, dont elle fut si contente qu’elle ordonna qu’on le chantast trois jours de suite. L’apresdînée, le Roy, Monseigneur, Madame la Duchesse de Bourgogne & Messeigneurs les Princes, coururent & prirent deux Cerfs à la Boissiere. Madame la Duchesse de Bourgogne donna le retour de chasse, aprés lequel cette Princesse & les Dames se remirent en grand habit pour se trouver au souper du Roy.

Monseigneur & Messeigneurs les Princes allerent le 13. au matin à la chasse du Loup. Madame la Duchesse de Bourgogne ayant voulu estre de la partie, fut suivie de ses Dames. On revint assez tard de la chasse. Monseigneur donna un retour chez luy en arrivant. On joüa ensuite jusqu’au soupé du Roy, qui avoit tiré l’apresdînée dans les parquets.

Le 14. le Roy ayant dîné à son petit couvert, alla à la chasse du Cerf dans les Centiers d’Avon, avec Madame la Duchesse de Bourgogne. Monseigneur & Messeigneurs les Princes revinrent aprés la mort du premier, & Sa Majesté & Madame la Duchesse de Bourgogne en coururent un second, qui ne fut pris que sur la fin du jour. Les Dames se remirent ensuite en grand habit pour aller à la Comedie du Menteur. Il y eut ensuite plusieurs Scenes entre un Scaramouche & un Harlequin, qui divertirent beaucoup. Le Roy soupa à son grand couvert avec la Famille Royale.

Le 15. l’ouverture de l’Octave de la Feste de Sainte Therese se fit aux Carmes des Basses-Loges. Madame la Duchesse de Bourgogne & plusieurs Dames y allerent en devotion. L’Office de cet Octave a esté fondé par la feuë Reine, qui portoit le nom de cette Sainte, pour demander à Dieu la conservation de la sacrée Personne du Roy, & sa Benediction sur toute la Famille Royale, & sur les Armées de Sa Majesté. Il y a Exposition du Saint Sacrement pendant l’Octave, & cette Feste se celebre avec beaucoup de solemnité. Monseigneur & Messeigneurs les Princes avoient esté à la chasse du Cerf le matin, & le Roy alla tirer dans les Parquets l’apresdînée. Le soir il y eut Jeu jusqu’à l’heure du souper du Roy où la Famille Royale se trouva.

Le 16. le Roy dîna à son petit couvert, & Sa Majesté alla ensuite tirer dans les Parquets. Monseigneur, Madame la Duchesse de Bourgogne, Messeigneurs les Princes & les Dames dînerent chez Madame la Duchesse du Lude, où il y eut Jeu jusqu’au retour du Roy. Il y eut le soir Appartement chez Monseigneur, & grand Jeu aprés la Musique jusqu’au souper de S.M. où la famille Royale soupa à l’ordinaire.

Je dois ajoûter icy que Madame de Torrecusa, Napolitaine, est depuis quelques jours à la Cour. Aprés avoir tout mis en usage à Naples pour contenir ses Vassaux dans la fidelité qu’ils doivent à leur legitime Souverain, cette Dame ayant esté obligée de ceder à la force, elle a mieux aimé abandonner ses grands biens & se retirer en Espagne, que de reconnoître l’Archiduc. Elle a esté reçuë du Roy avec beaucoup de distinction, à qui elle a esté presentée par Mr le Duc d’Albe. Cette Dame est servie par les Gentilhommes de cet Ambassadeur. Elle a aussi esté presentée à Monseigneur, & à toute la Maison Royale, & par honneur accompagnée de Mr de Saintot. & de Mr de Vilra. Elle demeurera à la Cour pendant quelques jours, & elle ira ensuite en Espagne, où sont Mrs ses enfans.

Madame Sobieska, Polonoise, est aussi depuis quelques jours à la Cour. Cette Dame, qui est une des plus qualifiées, devroit s’appeller Sobieski ; mais le masculin en Polonois se termine par le Ki, & le feminin par le Ka. Elle reçoit à la Cour tous les traitemens dûs à sa naissance & à son merite.

La Cour se trouva tres-grosse le 17. à la Messe du Roy, où tous les Etrangers, enchantez de la Musique, se trouverent mêlez parmi les Courtisans. Le Roy dîna à son petit couvert aprés le Conseil de Dépêche ; Monseigneur dîna aussi à son petit couvert, & Madame la Duchesse de Bourgogne à son grand couvert avec Messeigneurs les Princes. L’apresdînée les Dames allerent à la chasse du Cerf. Elles se remirent au retour en grand habit pour aller voir l’Astrate, Tragedie de feu Mr Quinault, à l’issuë de laquelle on joüa la Comedie des Plaideurs. Ensuite on soupa au grand couvert du Roy.

Le 18. Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Berry allerent aprés la Messe du Roy à la chasse du Loup. Sa Majesté aprés avoir dîné à son petit couvert, & Madame la Duchesse de Bourgogne chez elle avec les Dames qui devoient l’accompagner à la Chasse, allerent courir le Cerf dans les ventes de Bombon. Cette Princesse donna ce jour-là un grand retour de Chasse chez elle, & l’on joua ensuite jusqu’au souper du Roy.

Le 19. il n’y eut que Monseigneur le Duc de Berry qui chassa dans la matinée. Ce Prince se rendit au dîné de Madame la Duchesse de Bourgogne, où il dîna avec toutes les Dames qui devoient suivre cette Princesse. Le Roy alla tirer le même jour, aprés avoir dîné à son petit couvert, & Madame la Duchesse de Bourgogne alla promener à cheval dans la Forest, avec une nombreuse & galante suite. Elle y trouva Monsieur le Duc qui y chassoit avec sa Meute. Cette Princesse se mit de la partie, & aprés avoir suivi la Chasse deux heures, elle revint pour se trouver à la Benediction du Saint Sacrement qui estoit exposé à cause de la Feste de Saint Savinien, Patron & premier Archevêque de Sens, qui se solemnise dans tout le Diocese. Toute la Cour se rendit ensuite chez Monseigneur, où il y eut Apartement, & un gros Jeu aprés la Musique, & ce Jeu continua jusqu’à l’heure du souper du Roy.

S.M. donna le matin du 20. un Brevet de retenuë de cent mille écus, à Mr le Marquis de Cavois, sur sa Charge de grand Maréchal des Logis, moitié pour luy & moitié pour Me de Cavois. L’apresdînée ce Prince courut en Caléche le Cerf à la Boissiere, avec Madame la Duchesse de Bourgogne. Les Dames suivoient dans d’autres Caléches. Madame la Duchesse de Bourgogne donna le retour de chasse, où se trouverent Messeigneurs les Princes, qui avoient passé le jour à la chasse du Sanglier. Aprés le repas les Dames se mirent en grand habit pour accompagner Monseigneur à la Comedie de l’Avare. La famille Royale soupa ensuite au grand couvert du Roy.

S.M. alla tirer l’apresdînée du 21. & Madame la Duchesse de Bourgogne se promena en Cavalcade dans la Forest. Messeigneurs les Princes allerent à la chasse du Sanglier. On joüa au retour jusqu’au souper du Roy.

Vous trouverez la conclusion de ce Journal, & le retour du Roy à Versailles à la fin de ma Lettre. Je crois qu’une Chanson sera bien placée à la suite des divertissemens dont l’Article precedent est rempli. Elle ne regarde pourtant pas l’Amour, l’Auteur des paroles de cet Air, ne voulant plus aimer que la belle gloire. La Saison est favorable ; le Champ est ouvert, & les lauriers sont pour ceux qui les sçavent cueillir.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 320-321.

Je crois qu'une Chanson sera bien placée à la suite des divertissemens dont l'Article precedent est rempli. Elle ne regarde pourtant pas l'Amour, l'Auteur des paroles de cet Air, ne voulant plus aimer que la belle gloire. La Saison est favorable ; le Champs est ouvert, & les lauriers sont pour ceux qui les sçavent cüeillir.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Je ne suis plus amant, doit regarder la page 321.
Je ne suis plus Amant que de la belle gloire,
Elle seule à present occupe mes esprits ;
Et j'ay banny de ma memoire
Les Amintes & les Cloris.
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[Fin du Journal de Fontainebleau] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 391-401.

Voicy la suite & la fin du Journal de Fontainebleau, dont je crois que vous ne serez pas moins satisfaite, que de ce que je vous ay déja envoyé de ce Journal.

Le 22. Monseigneur & Messeigneurs les Princes allerent au retour de la Messe du Roy, à la chasse du Loup, & Sa Majesté alla l’aprésdîné avec Madame la Duchesse de Bourgogne à la chasse du Cerf, aux sentiers d’Avon. Cette Princesse & les Dames se remirent en grand habit au retour de cette Chasse, pour accompagner Monseigneur à la Representation de Venceslas, aprés laquelle on joüa George Dandin. Au sortir de la Comedie, Monseigneur, Madame la Duchesse de Bourgogne, & les Princes, allerent joindre le Roy, pour se rendre au souper de S.M.

Le 23. la Cour commença à quitter Fontainebleau, & Monsieur & Madame la Duchesse partirent pour se rendre à leur Maison de S. Maur. Monsieur le Comte de Toulouse partit aussi pour Ramboüillet, & les Meutes & les Equipages de ces Princes estoient partis la veille ; & plusieurs Seigneurs & Dames commencerent à partir successivement, afin d’éviter les embarras, qui n’auroient pas manqué d’arriver, si toute la Cour étoit partie en un jour. Messeigneurs les Princes allerent à differentes Chasses, aprés avoir dîné avec Madame la Duchesse de Bourgogne. Le même jour cette Princesse entendit joüer pendant son dîné sept Haut-bois, Bassons, & autres Symphonistes, vêtus de la livrée de Mr le Duc de Virtemberg. Ils faisoient une partie des douze que ce Prince avoit amenez en Provence, & qui ont deserté dans le temps de la levée du Siege de Toulon. Les cinq autres estoient demeurez malades en chemin. Madame la Duchesse de Bourgogne en fut tres-satisfaite, & elle leur fit donner une gratification. Le Roy tira l’aprés dînée dans les Parquets, & Sa Majesté, selon ses bontez ordinaires, & ce qu’Elle a toûjours fait dans les temps qu’Elle a quitté Fontainebleau, fit distribuer de grosses sommes pour la subsistance pendant l’année, des Pauvres, des Malades, & de la Maison des Orphelins. Sa Majesté ordonna aussi des gratifications pour tous les Concierges ; les Jardiniers, & les autres Officiers de cette Maison.

Les détachemens des Gardes partirent le 24. au matin, pour Petit-Bourg, & tous les Corps de la Maison du Roy furent distribuez sur la route, dans les mêmes lieux où ils avoient esté postez avant l’arrivée de sa Majesté. On chassa le cerf l’aprés dînée à la Boissiere, & Madame la Duchesse de Bourgogne & ses Dames, accompagnerent sa Majesté. Monseigneur, donna ensuite un grand retour de chasse, aprés quoi Madame la Duchesse de Bourgogne se mit en grand-habit, pour se trouver au souper du Roy. On est d’autant plus content de ce Voyage, que pendant tout le sejour qu’on a fait à Fontainebleau, il n’est arrivé aucun accident dans les chasses ; que personne de consideration n’y est tombé malade, & que tous les plaisirs qui ont succedé les uns aux autres, ont eu tout l’effet que l’on en esperoit. On peut dire aussi que Madame la Duchesse de Bourgogne, Messeigneurs les Princes, & toute la jeunesse de la Cour, quittent avec regret ce charmant sejour, où il semble que la Cour soit plus rassemblée qu’ailleurs ; outre que l’on y est toûjours dans un esprit de joye, de plaisirs & de divertissemens. Mr le Duc de Guiche & quelques autres Officiers Generaux de l’armée de Flandre, arriverent ce jour-là.

Le 25. Monseigneur, & Messeigneurs les Princes partirent à six heures du matin pour aller à Meudon. Le Roy & Madame la Duchesse de Bourgogne entendirent la Messe à dix heures, & dînerent ensuite, Sa Majesté à son petit Couvert, & Madame la Duchesse de Bourgogne, & ses Dames, chez Madame de Maintenon. Le Roy, Madame la Duchesse de Bourgogne, Madame la Duchesse du Lude, & trois Dames du Palais partirent dans le même Carosse, & arriverent à trois heures à Petit-Bourg, où Mr le Marquis d’Antin n’avoit rien oublié pour la reception de la Cour, de toutes les choses qui luy étoient permis de faire. Ce Marquis sçachant que le Roy devoit se promener en arrivant, avoit fait disposer dans son Jardin une Allée que Sa Majesté avoit marquée, parce qu’elle estoit necessaire pour l’embellissement de ce Jardin. Les terres en estoient égalées ; les trous faits pour planter les Ormes, qu’il avoit fait porter sur le lieu, afin que Sa Majesté pust avoir à Petit-Bourg le plaisir qu’elle prend souvent dans ses Jardins, en faisant planter devant Elle, des Avenuës & des Bosquets si grands, qu’il paroist, quand l’ouvrage est achevé, que ce soit un ouvrage de vingt années fait par la nature ; & la chose réüssit comme Mr d’Antin se l’estoit imaginée, Sa Majesté ayant fait planter devant Elle aussi long-temps que le jour le put permettre. Au retour, le Roy n’ayant aucun de ses Ministres pour travailler à son ordinaire, joüa avec Madame la Duchesse de Bourgogne & les Dames ; mais seulement pour occuper cette Princesse, pour laquelle Sa Majesté a toûjours beaucoup d’attention. Toutes les Dames souperent avec le Roy. S.A.R. Madame, avoit pris les devans pour se rendre à Paris, à cause d’un rhume dont elle se sentoit incommodée.

Le Roy entendit le 26. la Messe dans la Chapelle, pendant laquelle il y eut Musique ; Mr d’Antin ayant fait venir quelques Musiciens de Paris, pour augmenter le nombre de ceux que Sa Majesté entendit lors qu’elle passa à Petit-Bourg pour aller à Fontainebleau. Ce Prince retourna ensuite au Jardin, dont il ne sortit point que l’allée ne fust entierement plantée ; & Mr d’Antin supplia le Roy de trouver bon qu’il la nommât l’Allée Royale, puisqu’elle estoit du goût & de l’ordonnance de Sa Majesté. À l’issuë du dîné, qui fut servi à l’ordinaire par les Officiers du Roy, Sa Majesté partit avec les mesmes personnes qui avoient eu l’honneur de l’accompagner, & elle arriva sur les cinq heures du soir à Versailles. Tout le peuple estoit dans l’avenuë, afin de témoigner plutôt la joye que luy causoit un retour si souhaité. À peine fut-on rentré dans Versailles que Madame la Duchesse de Bourgogne, & toute la Cour allerent chez Monseigneur le Duc de Bretagne, que l’on trouva dans une santé parfaite. Le Roy n’alla point chez ce Prince, parce qu’on le devoit porter chez Sa Majesté. Mais ce jeune Prince ayant eu beaucoup de visites, Sa Majesté ordonna qu’on ne le portast chez Elle que le lendemain. Sa Majesté apprit en arrivant que la Ville de Lerida avoit esté emportée d’assaut.

Enigme. §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 416-418.

Le mot de l’Enigme du mois passé, étoit le Puits. Ceux qui l’ont trouvé, sont Mrs l’Abbé de Lerac, & le tout joly, Mr Richi de Lyon, Favier, D.D.S. Berkenhead, de Saint Germain en Laye ; Julien Milet, de la Gentilhommerie de Maire en Medoc ; Jame, du Faubourg S. Germain ; l’Arpenteur Royal de Belru ; le Boiteux des deux Aigles ; le Solitaire du Marais ; Tegor, de la ruë de la Cerizaye ; le Galant banal de S. Cloud ; un Pensionnaire de Mr Thomas ; le gros Tambour du bout ; le Solitaire ; Que-mine & son amy Darius ; Me de Neuvi-Paillou ; Mlles Roulon, de l’Echelle du Temple ; Geneviéve Jollain ; les filles de Mr Jame, du Faubourg S. Germain ; l’Aimable Brune d’Auteüil ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; la belle & grosse Maman, de la ruë du Pont aux Choux, & son aimable & grande fille, de la ruë du Monceau S. Gervais ; la Colombe de Merignac prés de Bordeaux ; la vieille Pie du Desert ; la rare Simplicité ; la Bergere Climene & son Berger Tircis ; les belles Vendangeuses du Seigneur de la Roche-Chargé ; Manon, de la ruë des cinq Diamans ; la petite Suedoise ; la Blonde sans pareille.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

À peine suis-je né, qu’ennemi de moi-même,
Je songe à former mon tombeau.
J’aime fort la verdure, & je ne bois point d’eau ;
Dés qu’il faut travailler, mon plaisir est extrême.
Je suis toûjours brun en naissant,
Et je blanchis en grossissant.
J’amuse la jeunesse ; elle me cherche & m’aime.
J’imite le serpent & je change de peau,
Et quoique toûjours le même,
Trois fois en moins d’un mois, je prens un air nouveau.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 419.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Quant à l'amour, doit regarder la page 420.
Quant à l'amour je vous convie,
Vous m'en demandez des leçons ;
Il ne faut pas tant de façons,
Ayez-en seulement envie ;
Amour sçaura bien vous former,
Aimez, aimez, & vous sçaurez aimer.
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[Prix de Toulouse délivré à un Imposteur] §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 419-421.

Je vous ay dit que Mr de la Monnoye de Dijon avoit remporté le trois de May le prix de l’Eclogue aux Jeux Floraux, ce qui n’est pas veritable. Cependant un autre auroit pû faire la même faute, puis qu’ayant voulu sçavoir depuis pourquoy l’on m’avoit mandé une fausseté pour un fait veritable, on m’a assuré qu’un homme avoit esté assez hardy pour se presenter dans l’Assemblée sous le nom de Mr de la Monnoye, & que le prix luy avoit esté délivré. Cependant j’ay sçû par Mr de la Monnoye même, qu’il n’est point Auteur des Vers ausquels ce prix a esté ajugé, qu’il ne l’a ny reçû ny prétendu recevoir ; qu’il n’aspire plus il y a long-temps à de pareils honneurs ; & que toutes les pieces, qui en ces sortes d’occasions pourroient à l’avenir estre envoyées sous son nom à Toulouse & ailleurs, seront tres-certainement supposées.

Il me reste à l’ordinaire une infinité d’articles, que je suis obligé de reserver pour le mois prochain. Je puis vous assurer que ma Lettre sera fort curieuse, à cause des belles matieres qui la remplissent ordinairement dans le mois de Novembre, & que d’ailleurs la Guerre m’en doit fournir aussi. Je suis, Madame, vostre, &c.

À Paris ce 29 Octobre 1707.

Le Libraire au Lecteur §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 422-426.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR

J’Avois promis, pour satisfaire à l’impatience du Public, que je debiterois le lendemain de la S. Martin, le Livre intitulé, Histoire du Siege de Toulon, où l’on voit les raisons politiques qui ont fait agir ceux qui l’ont entrepris, & tout ce qui s’est passé depuis le jour que Monsieur de Savoye est entré en Provence, jusqu’au jour que ce Prince en est sorti ; avec un Plan qui n’a point encore esté veu. Mais le bruit s’estant répandu que l’on travailloit à cet Ouvrage, l’Auteur a receu un si grand nombre de Memoires curieux, tant des Officiers de Terre que de ceux de la Marine, & d’une grande partie des Villes de Provence, qu’au lieu d’un Volume qu’il s’étoit proposé de donner au Public, il s’est trouvé obligé d’en faire deux gros ; en sorte qu’on auroit pû les relier en trois Volumes, dont chacun auroit esté aussi gros que le sont les Mercures. Cependant on croit faire plaisir au Public en ne faisant relier tout ce grand Ouvrage qu’en deux Volumes, qui ne se vendront que quatre livres les deux, quoique naturellement ils dûssent valoir autant que trois Mercures, puisqu’ils contiennent autant d’impression, & que l’Estampe, qui est in folio, ait beaucoup coûté. L’Auteur neanmoins ne voulant rien gagner sur cet Ouvrage, & voulant donner son travail gratis au Public, a voulu qu’on donnât cet Ouvrage luy, pour le prix que je viens de marquer, qui ne suffira pas pour retirer les frais de l’impression, & les ports de plus de deux cens gros paquets de lettres. Je dois avertir le Public, que comme en commençant l’impression de cet Ouvrage, on n’a pas crû qu’il dût estre si considerable, on n’en a pas fait imprimer une assez grande quantité pour satisfaire la curiosité d’un nombre infini d’Officiers de Terre & de Marine, dont les Emplois & les actions se voyent dans cet Ouvrage, ainsi que les noms de tous ceux qui se sont distinguez par leur zele dans toute la Provence, & qui doivent garder cet Ouvrage pour faire voir à leurs Descendans la gloire dont ils se sont couverts, en gardant au Roy la fidelité inviolable que luy doivent tous ses Sujets. Tout cela pourra estre cause que ceux qui se laisseront prévenir par l’empressement de ceux qui voudront avoir cet Ouvrage, pourront n’en plus trouver lors qu’ils en voudront avoir, & qu’il arrivera comme au Volume de l’affaire de Cremone, dont l’impression ayant manqué peu de jours aprés qu’il fut mis en vente, il n’a plus esté possible d’en trouver pour de l’argent.

Je dois ajoûter icy que l’Ouvrage ayant grossi par les raisons que je viens de dire, il ne peut estre donné au Public, que le Vendredy 18. de Novembre.

Avis §

Mercure galant, octobre 1707 [première partie] [tome 10], p. 426.

AVIS.

Le Mercure de Novembre se debitera le second de Decembre.