1707

Histoire du siège de Toulon, première partie, [Mercure galant], octobre 1707 [tome 11].

2017
Source : Histoire du siège de Toulon, première partie, [Mercure galant], octobre 1707 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Histoire du siège de Toulon, première partie, [Mercure galant], octobre 1707 [tome 11]. §

[Observations faites par Mr de Benat]* §

Histoire du siège de Toulon, première partie, [Mercure galant], octobre 1707 [tome 11], p. 210-218.

Le 22. sur les cinq heures du matin, on me vint avertir que deux Brigantins & deux Chaloupes venoient au Cap de Benat. J’ordonnay qu’on leur laissât mettre pied à terre, & ayant assemblé aussi-tost mon monde, je dis que je voulois voir les Ennemis de prés ; lors que je jugeay qu’ils pouvoient s’avancer, nous allâmes au-devant d’eux au nombre de trente : je dis à mon Cadet, qui bat bien le tambour, de le prendre, & au lieu de la marche je lui fis battre un Rigaudon ; toute nôtre troupe fut charmée, & poussa un grand cry de joye ; nous nous avançames vers mon vignoble, par où il falloit que les Ennemis passassent pour venir à nous. Nous en vîmes bien-tôt paroître soixante ; mais à peine nous eussent-ils aperçus & entendu le Rigaudon, qu’ils demeurerent si déconcertez qu’ils prirent la fuite. Nous les poursuivîmes, & nous leur fismes deux décharges qui en blesserent quelques-uns. À dire le vray, il en seroit peu échapé, si je l’avois voulu ; puisque si je leur avois dressé une embuscade, il n’en seroit échapé aucun ; mais je fis réflexion que cette action se passant à la vûë de l’Amiral d’Angleterre, entouré de cent voiles qui estoient à la portée du canon de mon cap, elle ne pouvoit que l’irriter, & le porter pour s’en venger à faire chez moy une descente de mille hommes & de plus, s’il avoit voulu, pour mettre le feu par tout, ce que je n’aurois pû éviter ; parce que mes forces ne vont qu’à empêcher que je ne sois insulté par un coup de main de cent ou de deux cens hommes tout au plus. Mais revenons aux brigantins & aux chaloupes des Ennemis, il ne leur fallut pas dire de se mettre au large, ils le firent de fort bonne grace, & ils cinglerent par un petit vent qu’ils avoient en poupe vers Cavaliere, où ils aborderent & descendirent sur les dix heures. Cavaliere est une Terre noble enclavée dans la Baronnie de Bormes qui appartient à Mr le Marquis de Marignane. On y recueille beaucoup de bled ; il y a une Bastide & quelques Bergeries. Il ne s’y trouva que quelques païsans qui achevoient de fouler le bled, & qui prirent d’abord la fuite. Les Ennemis avancerent à cette Bastide, & la brûlerent avec tout le bled qui y étoit, ainsi que celuy qui étoit encore en gerbes aux aires, & ils allerent ensuite à quelques cabanes de pauvres païsans aux environs, où ils mirent le feu, brûlerent tout leur bled, & non contens de tous ces desordres ils brûlerent tout le bois coupé qui estoit à la plage, dont la plus grande partie m’appartenoit ; ils mirent aussi le feu au bois qui estoit au-dessus de la Bastide, ce qui causa un incendie qui dura presque deux jours, & qui brûla demie lieuë de pays. On prétend qu’ils n’ont fait cet acte d’hostilité, qui est contre le droit de la guerre, que pour se vanger d’avoir esté repoussez à Benat. Sur le midy il se détacha un vaisseau de l’Armée avec quatre chaloupes ; c’estoit le mesme vaisseau qui avoit enlevé mon canot, & il alla mouiller par le revers devant le petit Port de Leoube, où il y avoit sept barques de Bormes chargées de bois à brûler pour Marseille. Ce vaisseau fit grand feu de son artillerie pour écarter les Patrons qui estoient sur des hauteurs avec d’autres personnes, afin d’empêcher le brûlement. À la faveur du canon les chaloupes entrerent au Port, & nonobstant quantité de coups de fusils qu’on leur tira de terre, ils brûlerent entierement ces sept barques.