1708

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1708 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1]. §

[Prelude dans lequel on trouve un Eloge du Roy prononcé par Mr l’Evêque d’Alais, à l’ouverture des Etats de Languedoc] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 5-15.

 

Je commence ma Lettre par un Article qui vous plaira, sans doute, puisque vous y trouverez un Eloge du Roy, fait par un sçavant Evêque, & prononcé dans la Chaire de verité le jour de l’ouverture des Etats de Languedoc. Elle se fit par une Messe du Saint-Esprit, chantée en Musique, & au milieu de laquelle, Mre François Chevalier de Saulx, Premier Evêque d’Alais, fit un Discours tres-éloquent. L’Eloge du Roy fut regardé comme une des principales beautez du Discours qu’il prononça. Ce Prelat dit d’abord, en parlant de Sa Majesté, qu’il cherchoit en sa Personne Royale, quelque chose de plus grand, que la Grandeur que les hommes estiment, & que ce qui rendoit ses grandes & immortelles actions plus considerables, est, qu’elles avoient toujours eu la justice pour leur principe, qu’elles avoient toujours esté accompagnées d’une piété, qui les rendoit en quelque maniere, divines & surnaturelles, puisqu’Elle les rapportoit toutes à Dieu.

Mr l’Evêque d’Alais entra ensuite dans le détail des actions de Sa Majesté, qui peuvent faire aller son Regne de pair, avec ceux de nos plus saints Monarques. L’heresie détruite, le blasphême puny, les vices proscrits ; le duel deffendu, sous des peines irremissibles ; l’entrée du Royaume ouverte à tous les Princes malheureux & dépoüillez de leurs Etats ; & des guerres entreprises & soutenuës pour le seul interest de la Religion, furent les principaux traits de la vie du Roy, que cet Evêque mit en œuvre, & dans un fort beau jour. Si nous nous souvenons, avec joye, dit-il ensuite, de toutes ses Victoires, & de quelle importance elles ont esté à l’Etat, nous ne devons pas considerer, avec moins de plaisir, tant de vertus si utiles à nostre instruction, & si propres à nous édifier, dont Dieu s’est plû à orner l’ame de ce Prince. Cette pieté, que l’Auteur de toutes choses a gravées dans le fond du cœur de ce Grand Monarque ; pieté qu’il prend tant de soin d’inspirer, non-seulement à sa Royale Famille ; mais aussi à tout son Peuple : cette moderation, dont la victoire, qui luy a fait si souvent gagner les cœurs de ceux dont il avoit triomphé par ses armes ; cette grandeur d’ame, & cette patience dans l’adversité, qui l’ont fait paroître aussi grand dans ses disgraces, que dans ses plus éclatantes prosperitez ; cette temperance, qui nous fait voir ce que peut la Religion, en nous faisant voir un grand Prince, qui regne sur ses desirs ; cette douceur & cette bonté qui temperent en luy le pouvoir souverain, & qui luy font doublement porter l’Image de Dieu ; ce naturel bienfaisant, qui assortit si bien le caractere de Grandeur, qui est imprimé dans son Auguste Personne ; toutes ces choses, continua ce Prelat, doivent plus estre l’objet de nostre admiration, que les étonnantes prosperitez, qui ont accompagné les soixante premieres années de son Regne. Il dit ensuite ; que n’étant pas monté en Chaire, pour consacrer un éloge aux simples vertus du siecle, il en avoit destiné un à celles qui font un parfait Chrétien, & que laissant à part tout ce qui montrera à la Posterité un Heros en la Personne du Roy, il n’avoit pretendu s’attacher qu’à ce qui fera voir à cette même Posterité, en la Personne de ce Prince, un Chrétien accomply, & un Rigide Observateur des maximes Evangeliques ; je ne dois, poursuivit-il, ni donner à Sa Majesté ce qui ne luy appartient pas, ni dérober à Dieu ce qui luy appartient ; mais je puis admirer en la Personne de ce Grand Prince, les merveilles de la Providence, & les Dons du Saint-Esprit, & comme la Religion est un Commerce sacré, entre Dieu & les hommes, qui a deux parties, & qui consiste en ce que Dieu aime les hommes, & leur fait don de ses Graces ; & que les hommes aiment Dieu, & luy rendent les hommages qu’ils luy doivent : rien ne m’empêche de chercher des exemples de l’une & de l’autre, dans la maniere dont le Roy sert Dieu, & dans la maniere dont Dieu benit le Roy. Cela donna lieu à Mr d’Alais, d’entrer dans un détail exact de tout ce que le Roy a fait pour la Religion ; & il fit voir alors, que la Guerre que ce Prince soutient aujourd’huy, est une veritable Guerre de Religion, & qu’ainsi, le Clergé a une double obligation de l’aider à la soutenir ; & il exhorta tous les Membres qui composoient cette illustre Assemblée, de faire attention aux besoins de l’Etat, & d’en faire une tres-serieuse à la cause qui les produit. Tout ce qu’il dit sur ce sujet fut tres-touchant, & attira de grands applaudissemens à ce Prelat.

Il fit ensuite l’Eloge du Roy d’Espagne, & il fit remarquer, que dans la conjoncture, où se trouvent aujourd’huy les deux Monarchies, on ne doit point regarder la naissance du Prince des Asturies, comme un signe équivoque de la part que le Ciel prend dans cette grande guerre, & qu’il ne pouvoit mieux marquer combien il s’interesse pour la cause que les deux Rois soutiennent, qu’en donnant à l’Espagne, une consolation qu’il luy a refusée, pendant un si grand nombre d’années, & sous le Regne d’un des plus pieux Princes qu’elle ait jamais eu.

[Benefices donnez par le Roy dans la derniere Promotion] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 108-116.

 

Saint Nicaise est le premier Evêque de Roüen dont le nom est venu jusqu’à nous. Douze de ses successeurs ont esté reconnus pour Saints. Clement VI. fut Archevêque de Roüen avant que d’estre élevé sur la Chaire de Saint Pierre. Cette Eglise a aussi donné 13. Cardinaux au sacré College, dont deux ont esté du sang Royal de France, & plusieurs Chanceliers à ce Royaume. Les Papes Martin IV. & Gregoire XI. ont esté Archidiacres de l’Eglise de Roüen. Ce Chapitre est composé de 50. Chanoines, dont il y a dix Dignitez, qui sont le Doyen, le Chantre, le Tresorier, six Archidiacres, & un Chancelier, sans parler de huit moindres Chanoines, & d’un tres-grand nombre de Beneficiers & de Chapelains. Les Archidiacres ont sous eux 27. Doyennez Ruraux, dans lesquels on compte 1388. Paroisses, dont il y en a trente dans la Ville de Roüen & cinq dans les Fauxbourgs. Il y a aussi vingt-six Abbayes dans le Diocese, en comprenant celles de Saint Oüen & de Saint Amand, qui sont dans Roüen. On trouve dans cette Ville & dans les Fauxbourgs 24. Maisons Religieuses d’Hommes, & dix de Femmes. L’Eglise Metropolitaine est sous le vocable de Nôtre-Dame. On y voit une Cloche estimée une des plus grandes du monde. On l’appelle George d’Amboise, parce qu’elle fut faite par ordre du Cardinal de ce nom, Archevêque de Roüen. Le Tresor de la Sacristie estoit bien plus considerable avant qu’il eust esté pillé par les Protestans dans le seizieme siecle. Les Archevêques de Roüen, qui ont le titre de Primats de Normandie, se sont soustraits de la Primatie de Lyon depuis l’an 1457. que le Cardinal d’Estouteville obtint cette exemption du Pape Calixte III. & tout recemment feu Mr Colbert dernier Archevêque de Roüen a fait confirmer par un Arrest du Conseil d’Etat, l’independance de son Eglise de celle de Lyon. Les Suffragans de Roüen sont Bayeux, Avranches, Evreux, Seez, Lisieux & Coûtances. Mr de Medavy, Predecesseur immediat de Mr Colbert, avoit succedé à feu Mr de Harlay, qui fut transferé à l’Archevêché de Paris, aprés la mort de Mr de Perefixe, & Mr de Harlay avoit eu l’Archevêché de Roüen aprés Mr de Harlay son oncle, dont la memoire est encore en veneration dans l’Eglise de Roüen, qu’il a édifiée par ses vertus, & qu’il a enrichie par ses bienfaits & par ses ouvrages.

Sa Majesté a nommé Mre François de Chasteau-neuf de Rochebonne, Chantre, Chanoine, Comte de Lyon, & l’un des Grand-Vicaires de Poitiers, à l’Evêché de Noyon, qui est une des douze anciennes Pairies de France. Ce Prelat est fils de Charles de Chasteau-neuf, Comte de Rochebonne, Commandant pour le Roy dans les Provinces du Lyonnois, Forest & Beaujollois, ci-devant Mestre de Camp du Regiment de la Reine ; & de Dame Therese de Grignan, sœur de François-Adhemar de Monteil, Comte de Grignan, Chevalier des Ordres du Roy, & son Lieutenant General en Provence. La Maison de Château-neuf est ancienne dans l’Eglise de Lyon, où les Seigneurs de ce nom sont revêtus depuis long-temps du titre de Comte de Lyon. Il y a presentement un frere & un oncle de ce nouveau Prelat dans ce Chapitre, où l’on se souvient encore d’y avoir vû le Comte de Rochebonne, un de ses grands oncles. Ce nouvel Evêque est Docteur de Sorbonne de la Maison de Navarre. Il estoit de la Licence qui finit en 1699. & que l’on nomme aujourd’huy par excellence Licence de Mr l’Abbé de Soubize, à cause que cet illustre Prelat presentement Evêque de Strasbourg, en estoit le principal ornement, autant par son merite personnel que par sa grande naissance.

Mr de Chasteau-neuf ayant toûjours esté sous les yeux d’un Evêque qui paroist santifié dés ce monde, il n’y a pas de doute que cet Eleve ne remplisse avec beaucoup de succés tous les devoirs de l’Episcopat.

[Dernier ouvrage de feu Mr Toinard] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 147-151.

 

Il paroît depuis peu un Livre de feu Mr Toinard ; il est intitulé : Evangeliorum Armonia, Græco-Latina, Nicolai Toinardi, Aurelianensis. Cet Ouvrage est fort estimé & rempli d’une grande érudition. Mr Toinard avoit tous les talens necessaires, pour travailler sur une matiere aussi difficile, puisqu’il entendoit parfaitement les Langues orientales. Il avoit composé, avant sa mort, un Traité, intitulé : Numismata Samaritana ; mais il n’a pû en voir l’impression achevée, de son vivant. La connoissance parfaite qu’il avoit de l’antiquité, luy avoit donné des liaisons, avec Mr Ezechiël Spanheim, qui au jugement des Critiques, est un des plus habiles Antiquaires de l’Europe. Ce sçavant homme, dont la derniere édition, qu’il a donnée à Londres (1706.) de son excellent Livre : De Præstantia & usu Numismatum Antiquorum, en parlant des Medailles Samaritaines, ou Hebraïques, & en rapportant les differens sentimens des Auteurs, sur l’ancienneté de ces Medailles ; & aprés avoir nommé les plus grands Ecrivains, comme Juges de cette matiere, offre de s’en rapporter au jugement de Mr Toinard, sur ce qu’il dit des Medailles Samaritaines ; c’est-à-dire, de celles dont les caracteres sont Samaritains, & de celles dont les caracteres sont Assiriens, qui sont les lettres Hebraïques d’aujourd’hui.

Ce sçavant Auteur, publia il y a trois ans, un petit écrit Anonyme, qu’il avoit composé, en faveur de Mr l’Abbé de Longruë, & des travaux, duquel il pretendoit que Mr Simon, à present dans les Païs étrangers, s’estoit fait honneur, dans ses Lettres choisies, sans le nommer. Mr Toinard découvrit la fraude, en faisant imprimer les deux Textes ; & comme celuy de Mr l’Abbé de Longruë estoit plus ancien, quoyqu’il n’eut jamais esté imprimé, le soupçon de Plagiat tomba sur Mr Simon. Mr Toinard donna à ce petit écrit, qui fit beaucoup de bruit, en ce temps là, le titre de : Phenonomene litteraire, &c. & il donna par là, une preuve de l’amour qu’il avoit pour la verité & du zele qu’il avoit pour la gloire du sçavant Abbé de Longruë.

[Mr de Bionville est nommé par le Roy, Maire Alternatif-Mi-Triennal de Mets, avec les Ceremonies qui ont esté observées en cette occasion] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 180-186.

 

Le Roy, ayant créé, il y a plusieurs années, des Maires, en titre d’Office, dans toutes les Villes du Royaume ; & le Public s’étant bien trouvé de cette Creation, Sa Majesté a jugé à propos de faire, par un Edit nouveau, ces Maires Anciens-Mi-Triennaux, & d’en créer d’Alternatifs Mi-Triennaux. Il y a eu à Metz plusieurs Concurrens pour cet Office, nouvellement créé ; mais la preference a esté donnée à Mr de Bionville, fameux Avocat, à qui les belles Lettres ne sont pas moins connuës que la Jurisprudence, & dont l’éloquence naturelle égale la solidité & la vivacité de l’esprit ; de maniere que si ce choix avoit dépendu du Peuple, il luy auroit donné la preference, dont Sa Majesté l’a jugé digne.

Le jour qui avoit esté marqué pour sa reception, il fut conduit de l’Hostel de Ville à la Cathedrale. La Garnison & la Bourgeoisie estoient sous les armes, & les tambours, les trompettes, les timbales, les haut-bois & les violons, se faisoient entendre par toute la Ville. Il estoit accompagné des Officiers de l’Etat-Major, & de tous les Officiers de Ville. Mr le Marquis de Refuge, Lieutenant General & Commandant en Chef dans la Province, se trouva aussi à cette ceremonie, tant pour recevoir le serment de Mr de Bionville, que pour luy mettre l’épée au costé, au nom de S.M. ce qui fut fait, aprés une Messe & un Te Deum en musique. Mr le Marquis de Refuge, qui n’est pas moins sçavant que brave, dit à ce nouveau Maire, en luy ceignant l’épée, ces paroles du Prophete Roy : Diffusa est gratia in labiis tuis, accingere gladio tuo, super femur tuum potentissime intende, prospere, procede & regna. L’annoblissement est une prerogative attachée de tout temps à la Dignité de Maître Echevin, ou Maire de la ville de Metz, qui est Colonel du Peuple, & qui le commande. Il est juste que ce Peuple ait un Noble à sa tête, puisqu’il est tres-aguerri & tres-fidelle, & reconnu pour tel, depuis plusieurs siecles. En 1552. il obligea Charles-Quint de s’éloigner, quoiqu’il eut assiegé la ville de Metz, avec trois Armées, & Sa Majesté, connoissant la valeur de ce Peuple, luy a souvent abandonné la garde de la Ville, quoique cette Place soit des plus importantes de l’Etat, & qu’il y eut des Armées ennemies, dans son voisinage. Le Comte de Souches, avec toutes les forces de l’Empereur, en 1674. le Duc de Lorraine, avec celles de l’Empereur, & de l’Empire en 1677. & le Duc de Marlborough, en 1705. avec les Troupes des Alliez, marcherent vers Metz, & quoiqu’il ne fût gardé que par ses Habitans, tous ces Generaux l’ont toujours respecté.

Plusieurs des Ancêtres de Mr de Bionville ont esté Maîtres Echevins, ou Maires de la Ville ; ainsi on peut dire qu’il est né dans le Commandement. La Ceremonie estant finie, on se rendit à l’Hostel de Ville, où l’on servit un repas magnifique, pour toutes les Puissances. Mr de Bionville leur donna à souper le même jour, & ce repas fut suivy d’un grand bal, dont Me de Valombre, sa fille, fit les honneurs.

[Suite des Réjoüissances faites pour la prise du Chasteau de Lerida] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 186-189.

 

Il s’est fait beaucoup de réjouïssances pour la prise du Chasteau de Lerida, qui n’ont pu trouver place dans mes Lettres, & je vous ay seulement parlé des principales Festes qui ont esté données en réjoüissance de cette importante Conqueste, & quoy qu’il ne soit plus temps de rappeller ce qui s’est fait à ce sujet, je ne puis m’empêcher de vous dire en peu de paroles que Mr Bouraine, Capitaine des 100. Chevaliers de la Compagnie, appellée des Buttes, établie à Chartres, a signalé son zele en cette occasion, & a fait chanter un Te Deum en Musique dans l’Eglise des Cordeliers. Je ne vous diray rien du feu d’artifice, qui fut tiré le soir, ni des Inscriptions qui l’ont accompagné, non plus que des illuminations, & du vin qui fut distribué au peuple. J’ajouteray seulement que Mr Bouraine, donna un magnifique souper aux 100. Chevaliers de sa Compagnie, & qui fut suivi d’un grand Bal.

Les Habitans de la ville de Mortain, en basse Normandie, sujets de S.A.R. se sont aussi fort distinguez. Le Te Deum fut chanté solemnellement par les Chanoines de l’Eglise Collegiale, en presence de tous les Officiers du Bailliage, de la Vicomté, & de l’Election, qui y assisterent en Corps. Le feu fut allumé ensuite par Mr l’Abbé de Viré, Doyen du Chapitre, & par celuy qui estoit à la teste du Corps des Officiers. Il y eut plusieurs décharges de mousqueterie, au bruit des acclamations publiques. Toute la Ville fut illuminée ; il y eut plusieurs repas particuliers, & le Chapitre & les Officiers, regalerent les principales personnes de la Ville.

La Prise de Lerida. Sonnet §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 189-195.

 

Je ne puis mieux placer le Sonnet qui suit, qu’aprés les Rejoüissances que vous venez de lire ; & je crois pouvoir vous dire, sans chercher à vous prévenir en sa faveur, qu’il a esté fort applaudy.

La Prise de Lerida.
SONNET.

Fastueux Ecrivains, qui tracez dans l’Histoire
Tant de Faits merveilleux du Grec & du Romain,
Cessez de nous vanter leur courage hautain,
La France a des Héros plus dignes de memoire.
***
Harcourt qu’on vit voler de Victoire en Victoire,
Ouvrit au Grand Condé ce glorieux Chemin ;
Tout couverts de Lauriers & la Palme à la main
Des plus fiers Conquerans ils ternirent la gloire.
***
La fortune, il est vray, contr’eux à Lerida,
Malgré tant de valeur autrefois decida.
Mais des loix du destin, sçachez l’ordre immuable.
***
De ce Roc orgueilleux, construit par les Geans,
Le sort ne leur rendit l’abord impénetrable
Que pour le reserver aux Armes d’ORLEANS.

Ce Sonnet est d’un homme dont le merite est connu, & qui n’a pas moins d’érudition que d’esprit. La gloire de S.A.R. luy estant chere, il resolut d’ouvrir sa veine pour la chanter, quoiqu’il ne fasse que tres-rarement des Vers. Il montra ce Sonnet à une Dame de consideration, & dont l’esprit est du premier ordre. Cette Dame luy dit, aprés l’avoir lû, qu’elle le trouvoit fort beau, & que rien ne consacroit mieux que les beaux ouvrages, la gloire des Heros à la posterité, sans quoi elle ne leur rendroit pas toujours toute la gloire qui leur est dûë ; mais que cela ne suffisoit pas, & que pour bien imprimer leurs grandes actions dans l’esprit des Peuples, il falloit des ouvrages qui pûssent non-seulement estre chantez dans les ruelles ; mais aussi parmy les personnes de toutes sortes d’étages, & que tout ce que l’on appelloit Vaudeville, ne devoit pas estre si indifferent que son nom le marquoit, parce qu’il ne s’agissoit que de chançons, mais que ces sortes d’ouvrages sont souvent remplis de veritez, de vivacité, & d’esprit : qu’ils sont chantez de tout le monde, & que plusieurs personnes font des Recüeils de ceux qui sont les plus applaudis ; & cette Dame prit delà ocasion de luy en apporter plusieurs, qui avoient esté faits, il y a prés d’un siecle.

L’Auteur du Sonnet, persuadé de la verité de tout ce que luy dit cette Dame, resolut d’essayer, s’il pouroit badiner en Vers, s’il m’est permis de parler ainsi, quoiqu’il soit d’un caractere oposé. Je ne prétens pas, quoique je me serve du mot de badiner, avilir les ouvrages, dont je veux parler, & je crois même qu’il est beaucoup plus facile de faire des ouvrages heroïques, que de badiner avec esprit, & dans le goût de ceux qui l’ont le plus délicat.

[Chanson sur le même sujet, sur l’air du Bransle de Mets] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 195-209.

 

Enfin, l’Auteur du Sonnet, animé par tout ce qu’on venoit de luy dire, & tout remply du desir d’entendre chanter par tout, la gloire de S.A.R. forma aussi tost le dessein de faire un assez grand nombre de couplets de chançon, pour pouvoir donner une idée de tout ce qui s’est passé au Siege de Lerida, & il fit les couplets suivans, sur l’air du Bransle de Metz ; cet air estant fort connu & fort aimé du Peuple, & tous les jours, dans la bouche du Public, s’il m’est permis de parler ainsi.

Voicy ces couplets. Vous sçavez que dans ces sortes d’ouvrages, on ne s’attache pas scrupuleusement à la richesse des rimes.

À celebrer la proüesse
Du Neveu du Grand Loüis,
Animons-nous, chers Amis,
Et chantons, pleins d’allegresse,
La Prise de Lerida
Met la Catalogne en presse ;
La Prise de Lerida
Met l’Archiduc à quia.
***
Pour ce recit d’importance,
Belles, prêtez-nous la main,
Et joignons au Dieu du Vin
Les jeux, les ris & la dance ;
La Prise de Lerida
Ramene la joye en France ;
La, &c.
***
Ce fut chose à tous connuë
Que l’Espagne en desarroy,
Ne pouvoit garder son Roy,
Sans estre mieux deffenduë ;
La Prise de Lerida
Rend la Ligue confonduë ;
La, &c.
***
Sans faire le Politique,
Ni trancher du grand esprit ;
Je sçay pourtant que Madrid
Craignoit ce Siege tragique ;
La Prise de Lerida
Luy sembloit problematique ;
La, &c.
***
Mais Orleans plein d’audace
Et pour qui rien n’est trop chaud ;
De Paris ne fait qu’un saut,
Pour affronter cette Place ;
La Prise de Lerida
N’est pas ce qui l’embarasse ;
La, &c.
***
Arrivé sur la frontiere,
Les Espagnols à l’envy,
Accourent tous devant luy ;
Les Boiteux, fort loin derriere :
La Prise de Lerida
Fait prendre à tous la rapiere ;
La, &c.
***
Même on tient pour veritable,
Qu’en sa route on ne voyoit
Que Castillanes au guet,
Toute d’humeur fort traitable ;
La Prise de Lerida
Rend ce Prince impraticable ;
La, &c.
***
Plein d’une ardeur Martiale,
Il vole vers Almansa ;
Son seul nom lors avança
La déroute Imperiale ;
La Prise de Lerida
Concertée à la Royale ;
La, &c.
***
Du même pas il enfile
La route de l’Arragon,
De ce Royaume félon,
Il n’épargne aucune Ville ;
La Prise de Lerida
En vaut seule autant que mille ;
La, &c.
***
Sarragosse, en sa puissance,
Combien d’autres Generaux
Auroient-ils fait là de maux,
Pillans tableaux & finance ?
La Prise de Lerida
Est son unique esperance ;
La, &c.
***
Loin d’entendre le grimoire
Qui se pratique en ce cas,
Il méprise or & ducats,
Et ne vise qu’à la gloire ;
La Prise de Lerida
N’enrichit que son histoire ;
La, &c.
***
Mais icy prenons haleine,
Et de ce jus tout divin,
Bûvons un coup en chemin,
Même une demie douzaine ;
La Prise de Lerida
En vaut ma foy bien la peine ;
La, &c.
***
À cette orguëilleuse Roche,
Faite de mains de Geans,
Sans s’étonner ; Orleans,
Dit, je tiens l’affaire en poche ;
La Prise de Lerida,
Dont il médite l’approche ;
La, &c.
***
Icy, sans obstacle, il tranche,
Et luy seul son Conseiller,
Il s’apprête à batailler :
Il avoit la Carte blanche ;
La Prise de Lerida,
Qui de son mieux se retranche ;
La, &c.
***
Suivant en tout la prudence,
Ne donnant rien au hazard,
On le prend pour un Cesar,
Tant il entre bien en danse ;
La Prise de Lerida,
Qu’il sçait mener en cadence ;
La, &c.
***
La main luy-mesme à l’ouvrage
Du siege il trace le Plan,
Et comme un autre Vauban,
À ce mêtier il fait rage.
La prise de Lerida,
Si fier de son pucelage,
La, &c.
***
Mais ce fut chose bien triste,
Lorsque le Camp s’innonda,
Le Grivois se débanda,
On n’en trouvoit plus la piste.
La prise de Lerida,
Où ce Heros seul insiste,
La, &c.
***
Le pain d’un Ducat la livre
Ou peu de chose s’en faut
Le Soldat crie tout haut
Mon Prince, item, il faut vivre.
La prise de Lerida,
Aux plus grands dangers le livre
La, &c.
***
L’Officier sans ressource
Perd tout espoir & vigueur,
Il luy releve le cœur
Par son crédit & sa bourse.
La prise de Lerida
Par la Gloire le rembourse,
La, &c.
***
Alors la Junte troublée
Veut laisser là ce dessein,
Il avoit la bale en main,
Pourquoy l’auroit-il lâchée ?
La prise de Lerida
Qu’il avoit si haut jurée,
La, &c.
***
Plein de l’exemple d’un Pere,
Que jamais on n’oublira,
L’Espagne, dit-il, verra,
Ce que Cassel a vû faire.
La prise de Lerida,
Si digne de sa colere,
La, &c.
***
Jour & nuit dans la tranchée
Comme le moindre Aigrefin,
Il y jette au Fantassin,
L’or & l’argent à poignée.
La prise de Lerida,
Vaut bien ceinture dorée,
La, &c.
***
Et l’a gîté comme un Liévre
Qui d’autre retraite n’a,
Il y prend son quinquina,
Et se mocque de la fiévre.
La prise de Lerida,
Vouloit un Prince aussi miévre,
La, &c.
***
Bravant ce Peuple féroce,
Il arrive au pied du roc,
Et frappe, ab hac & ab hoc,
Sans craindre playe ny bosse,
La prise de Lerida
N’est pour luy qu’un jour de nôce,
La, &c.
***
Lors à grands cris l’on appelle,
La troupe de Gallowé
Au secours tout preparé,
Mais Orleans fond sur elle,
La Prise de Lerida,
Q’enfin ce Mars dépucelle,
La, &c.
***
Sus donc, qu’on prenne le verre ;
Renouvellons nos efforts,
Et beuvons à rouges bords,
À ce grand foudre de guerre,
La prise de Lerida,
Met nos ennemis par terre,
La prise de Lerida,
Met l’Archiduc à quia.

[Epitre en Vers, de Minerve, à Mr le Marquis de Chamillart] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 215-226.

 

Vous aviez raison de me demander les Vers qui ont esté faits pour Mr le Marquis de Chamillart dans le temps qu’il estoit dans l’Armée de Flandre. Ils n’estoient pas encore tombez entre mes mains, lors que vous m’avez mandé que vous souhaitiez de les voir ; mais enfin m’estant mis en peine de les chercher ; le bruit de leur réputation a esté cause qu’il ne m’a pas esté fort difficile d’en trouver une copie : je vous l’envoye.

À MONSIEUR LE REBOURS.
ENVOY.

Reçois ces Vers que je t’adresse,
Je sçais, pour Chamillart quel zele t’interesse,
Et c’est à la faveur d’un nom si glorieux
Que ma Muse s’offre à tes yeux
Si tu luy trouves quelque grace,
La source n’en est pas dans le sacré valon,
Elle te doit sa noble audace,
Et tu luy tiens lieu d’Apollon.
Accepte donc son juste hommage,
Elle est seure de l’obtenir,
Puisqu’elle a le double avantage,
De chanter Chamillart & de t’appartenir.

MINERVE.
À MONSIEUR LE MARQUIS DE CHAMILLART.

Tu ne te croyois plus sous les yeux de Minerve ;
J’avois quitté la terre ; il est vray, Chamillart :
Mais comme de l’Olympe, avec soin je t’observe,
Mon retour de bien prés a suivy mon départ.
***
Dans ce Camp que tes yeux viennent de reconnoître,
J’ay cru, n’en rougis pas, qu’il falloit t’éclairer ;
Et dans ce noble soin dont t’a chargé ton Maître,
Sans moy, tes jeunes ans auroient pû s’égarer.
***
Ne me déguise rien ; déja seur de toy-même,
Tu croyois te passer de mes heureux secours ;
Mais quand on aime bien, on craint pour ce qu’on aime :
Je ne te confieray qu’à l’auteur de tes jours.
***
C’est moy, qui dans ce Camp, où Vendosme preside,
Mon Egide à la main, marchois devant tes pas :
C’est moy, dans tous les rangs, qui te servois de guide,
Quand tes yeux parcouroient les Chefs & les Soldats.
***
De quelle vive ardeur brûle toute l’Armée ?
Que Vendosme est content du cœur de ses Guerriers :
Sa main, dans l’Ausonie, à vaincre accoutumée,
Aspire, chez le Belge, à de nouveaux lauriers.
***
LOUIS, je l’ay prédit ; l’effet suivra l’oracle,
Va s’immortaliser par de nouveaux Exploits.
La fortune à ses vœux n’a mis qu’un vain obstacle :
Elle sera forcée à rentrer sous ses loix.
***
Que dis-je ? Le destin, par d’heureuses premices,
Vient de justifier ce que j’ay pressenti ;
Et s’il a contre lui déployé ses caprices,
Il a connu son crime, & s’en est repenti.
***
Sur les champs d’Almanza voy triompher l’Ibere,
Le Batave & l’Anglois, éperdus & tremblans,
Des superbes apprêts de leur vaine colere,
N’emportent aprés eux que les débris sanglans.
***
Voy, d’un autre costé, les remparts mis en poudre,
Villars glace d’effroy l’indomptable Germain,
Tout fuit devant ses pas, ou tombe sous la foudre,
Que le plus grand des Rois a remise en sa main.
***
Des plus audacieux, par tout l’orguëil expire ;
Par tout plus que jamais refleurissent les Lys ;
Ces Titans, qui des yeux devoroient vostre Empire,
Sous des Monts entassez semblent ensevelis.
***
À ce nom de Titans, tu ne peux te méprendre ;
Rappelle, Chamillart, ce que tes yeux ont vû.
Tel vouloit attaquer, qui songe à se deffendre ;
Tel se croyoit Vainqueur, qui craint d’estre vaincu.
***
Je voudrois bien, mon fils, t’en dire davantage :
Mais respectons du sort les Ordres éternels :
Ses terribles secrets cachez sous un nuage,
Ne se dévoîlent pas aux regards des mortels.
***
Les Dieux-mêmes, les Dieux n’ont pas ce privilege :
Ainsi dans l’avenir, ne porte pas tes yeux :
Espere seulement ; Minerve te protege ;
Et ton Auguste Maistre est cher à tous les Dieux.
***
Mais, j’apperçois déja ce Palais magnifique,
Digne & brillant sejour du Grand Roy que tu sers ;
C’est là que ce Heros, sans relâche s’applique
À regler, comme nous, le sort de l’Univers.
***
C’est là, qu’auprés de luy tu vas revoir ton pere.
Arrête tes transports pouroient estre indiscrets :
Et tandis que LOUIS, avec luy delibere,
Tu ne dois pas troubler leurs augustes secrets.
***
Voy, quel silence regne autour de cette porte ;
Du bonheur de la France, ils doivent ordonner.
Demeure ; & cependant, en attendant qu’on sorte,
Ecoute les conseils que je vais te donner.
***
À l’Auteur de tes jours, si LOUIS se confie,
Il doit à ses vertus ce titre glorieux ;
Par d’assidus travaux, il faut qu’il justifie,
Que sur luy son Monarque à dû jetter les yeux.
***
Si tu veux obtenir de mêmes recompenses,
Par les mêmes vertus, il y faut arriver.
Il en a mis en toy les premieres semences ;
Par les mêmes travaux tu dois les cultiver.
***
Tu ne sçaurois choisir un plus parfait modele ;
Du Peuple & des Soldats, c’est le Pere & l’appuy :
Tu connois pour son Roy son amour & son zele :
Tu dois luy ressembler, estant sorty de luy.
***
Voy, parmy tant de soins si grands, si difficiles,
Comme il agit sans cesse, & semble estre en repos ;
Tel un fleuve pompeux, roule ses eaux tranquiles,
Et sans trouble & sans bruit, enrichit les costeaux.
***
Si dans tes premiers pas il soutient ta foiblesse,
Tu pouras.... Mais on vient ; c’est luy que j’apperçois :
Tu vas le voir ; l’entendre : il suffit : je te laisse :
Qui peut le consulter, n’a plus besoin de moy.

[Mort de Catherine Neufville-Villeroy, Comtesse d’Armagnac]* §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 227-235.

 

Je passe au dernier Article des morts, & quoy qu’il y en ait déja beaucoup dans cette Lettre ; je me trouve néanmoins encore obligé d’en reserver quantité d’autres pour le mois prochain.

Dame Catherine de Neuf-ville-Villeroy, Comtesse d’Armagnac, est morte âgée de 65. ans. Elle a laissé de son mariage avec Louis de Lorraine, Comte d’Armagnac & de Brionne, Grand Ecuyer de France, Gouverneur d’Anjou, & Chevalier des Ordres du Roy, Henry de Lorraine II. du nom, Comte de Brionne, reçu en 1677. Grand Ecuyer de France en survivance de Mr le Comte d’Armagnac son pere, & Gouverneur d’Anjou aussi en survivance en 1684. Il épousa en 1689. Marie d’Epinay, fille unique de Mr le Marquis d’Epinay, Duretal, & de Broon, dont il a eu Mr le Comte de Lambesc ; les freres & sœurs de ce Marquis sont, François-Armand, Abbé de Royaumont, de Châteliers, & de Saint Faron ; Camille de Lorraine, nommé le Prince Camille, Maréchal des Camps & Armées du Roy ; Louis-Alphonse-Ignace, dit le Bailly de Lorraine, Chevalier de Malthe, Chef d’Escadre des Armée Navales, tué à la Bataille de Malaga le 24. Aoust 1704. Anne-Marie, Bachelier de Sorbonne, connu sous le nom d’Abbé d’Armagnac ; le Prince Charles, Mestre de Camp & Brigadier de Cavalerie ; Marguerite, mariée en 1675. à Don Nunno-Olvadez-Pereyra-de-Mello-de-Bragance, Duc de Cadaval, Grand de Portugal, & Grand-Maistre de la Maison de la feuë Reine de Portugal, veuf de Marie-Angelique-Henriette de Lorraine, sœur de Mr le Prince d’Harcourt ; Marie de Lorraine, mariée à Antoine Grimaldi, Duc de Valentinois, Prince de Monaco ; Charlotte dite Mademoiselle d’Armagnac, & trois autres filles mortes en bas âge. Me la Comtesse d’Armagnac estoit fille de Nicolas III. du nom, Duc de Villeroy, Pair & Maréchal de France, Gouverneur du Roy, Chevalier des Ordres de Sa Majesté, Gouverneur du Lyonnois, Forests & Beaujollois, & de Madelaine de Crequi, Dame de Mions & de Chaponay, seconde fille de Charles, Sire de Crequi, Duc de Lesdiguieres, Pair & Maréchal de France, & de Madelaine de Bonne sa premiere femme, fille du Connestable de Lesdiguieres. Elle estoit sœur de Monsieur le Maréchal de Villeroy, qui a eu de Dame de N… de Cossé, sœur de feu Monsieur le Duc de Brissac, Mr le Duc de Villeroy, qui a épousé Mlle de Louvois, Mr l’Abbé de Villeroy, & Mr le Chevalier de Villeroy, qui périt dans un Combat que les Caleres de Malthe donnérent contre les Turcs, il y a prés de dix ans, & de Françoise de Neufville, qui épousa en premieres noces le Comte de Tournon ; en seconde le Duc de Chaulnes, & en troisiéme le Marquis d’Hauterive. Nicolas de Neufville I. du nom, Seigneur de Villeroy, fut Lieutenant general au Gouvernement de l’Isle de France, Gouverneur de Pontoise, Mante, & Meulan, & Prevost des Marchands de la Ville de Paris en 1568.

Nicolas de Neufville son fils, Secretaire d’Etat, servit utilement quatre de nos Rois ; sçavoir, Charles IX. Henry III. Henry IV. & Louis XIII. au commencement de son regne. Il commença à exercer cette Charge à l’âge de vingt-quatre ans, qu’il eut du celebre Claude de l’Aubespine-Chasteau-neuf dont il avoit épousé la fille. Madelaine de l’Aubespine bisayeule de Me la Comtesse d’Armagnac s’est renduë illustre par son esprit autant qu’elle l’estoit par sa beauté. Elle composa plusieurs ouvrages en Prose & en Vers, & on luy attribuë une Traduction des Epîtres d’Ovide. Ronsard l’a fort chantée dans ses Poësies. Elle mourut à Villeroy en 1596. & Aubertau, Evêque de Seés, un des beaux esprits de son temps, fit son Epitaphe. Elle fut mere de Charles de Neufville, Marquis d’Alincourt, Gouverneur de Lyonnois, Forest & Beaujollois, qui laissa de Jacqueline de Harlay, outre Nicolas de Neufville, dont je viens de parler, Camille Archevêque de Lyon, & Commandeur des Ordres du Roy, & Ferdinand, Evêque de Chartres. Madelaine sa fille, premiere femme de Pierre Brulart, Marquis de Sillery, Secretaire des Ordres, fut digne fille d’une mere si illustre. Elle eut relation avec les Sçavans de son temps.

[Détail tres-exact de la feste donnée par le Roy, à Versailles, la veille de la feste des Rois] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 244-288.

 

Il est de certains usages, ausquels les siecles n’ont point porté d’atteintes, & il paroît qu’on ne pouroit, sans irreligion, manquer à les observer, quoy que cependant, il semble estre permis de ne les pas suivre, & que l’on ne fasse point un crime à ceux qui ne les observent pas. La Fête appellée, des Rois, est de ce nombre ; & ce qui s’est toujours pratiqué la veille de cette Fête, & souvent le jour, s’est fait de tout temps, avec plus ou moins d’éclat, selon la naissance & la fortune de ceux qui s’assemblent ces jours-là, pour suivre un usage estably de tous les temps. On ne doit pas s’estonner si le Roy, qui s’est toujours conformé à tout ce qu’il a trouvé estably, avec justice, & sur tout aux choses qui ont des apparences de Religion, quelques legeres qu’elles soient, a toujours observé, avec un éclat digne de son rang, & de la magnificence qui luy est naturelle, ce qui se pratique dans le temps de la Fête des Rois. Cette magnificence a paru cette année, avec toute son estenduë, la veille de la Fête des Rois, S.M. ayant resolu de regaler ce jour là une partie des principales Dames de la Cour, en leur donnant un soupé, qui devoit estre servi sur quatre tables differentes, de dix-huit couverts chacune, & qui devoit estre suivy d’un magnifique Bal, où devoient danser une partie des Dames du souper, ainsi que plusieurs Dames de distinction, & les principaux Seigneurs de la Cour.

Pour donner quelque ordre à cette Relation, je crois la devoir commencer par la maniere, dont l’escalier, par lequel on devoit passer, à l’Appartement où les tables estoient dressées, estoit illuminé ; & lorsque je vous auray dit tout ce qui regarde cet Apartement, qui est le petit Apartement de Sa Majesté, & que je vous auray parlé des ordres qui avoient esté donnez, afin que tout se passât sans confusion, pour le service de quatre tables, qui devoient estre remplies de soixante-douze personnes ; je les laisserai ensuite à table, aprés les avoir toutes nommées, & vous avoir dit ce qui se passa à ces tables, & pendant que l’on s’y divertira, suivant l’usage du jour, je passeray à l’appartement destiné pour le Bal, où j’entreray par l’escalier, qui y conduisoit, & qui est du costé de la Chapelle ; & aprés vous avoir fait une peinture de cet Appartement, je vous parleray du grand Salon, qui est à l’autre bout de cet Appartement, d’où j’entreray dans la Gallerie, afin de faire une description de l’estat où elle estoit alors, & de tout ce que l’on avoit fait pour la rendre toute brillante de lumieres ; & lorsque je vous auray fait voir les mesures que l’on avoit prises pour l’entrée des personnes à qui il devoit estre permis de voir le Bal, sans danser, je retourneray prendre l’Auguste Compagnie, qui remplissoit les quatre tables, pour la conduire au Bal, dont je vous parleray ensuite, aussi-bien que des habits, & de ce qui se passa au Bal, jusques à quatre heures du matin, que le Roy d’Angleterre, & Madame la Princesse sa sœur, retournerent à S. Germain.

Le premier des escaliers, dont je viens de vous parler, estoit illuminé par un grand nombre de Girandoles, posées sur de grands gueridons, que l’on nomme, Torcheres, & par un grand nombre de bougies, placées sur les rampes, & les lumieres que produisoient plusieurs lustres, qui estoient dans les deux pieces que l’on voit vis-à-vis & à la droite du haut de cet escalier, estant jointes à celles dont je viens de vous parler, produisoient toutes ensemble, un si grand éclat, qu’il ne pouvoit estre effacé que par celuy des Apartemens & de la Gallerie.

On entroit ensuite dans la Salle des Gardes, dans laquelle on avoit dressé des tables, où le fruit estoit posé.

Les buffets estoient dressez dans la piece suivante, d’où l’on entroit, dans ce que l’on appelle aujourd’huy, le Sallon. Ce Sallon, quoy que plus long que large, n’est fait que depuis quelques années, & il est composé de ce qui comprenoit auparavant l’Antichambre & la Chambre de Sa Majesté, qui est presentement dans le lieu que l’on nommoit cy-devant le Sallon. Les quatre tables estoient dressées dans le nouveau Sallon, dont je viens de vous parler.

Je ne vous dis point que les trois pieces dont j’ay parlé d’abord, estoient toutes brillantes de lumieres, puisqu’il est aisé de se l’imaginer. Je passe à ce qui avoit esté arresté, afin que le service pût estre fait sans confusion, quoy qu’il y eût quatre grandes tables à servir.

Soixante-douze Suisses, de la Compagnie des Cent-Suisses de Sa Majesté, avoient esté choisis pour porter les plats ; & comme il estoit impossible qu’il n’y eût de la confusion, si chacun ne sçavoit à quelle table il devoit porter les plats, dont il estoit chargé, ces quatre Quadrilles de Suisses, avoient chacune des rubans de couleurs differentes, & marquées pour chaque table ; en sorte que ceux d’une Quadrille ne pouvoient se mêler avec ceux de l’autre, aucun ne se separant de ceux qui portoient des rubans d’une même couleur.

On avoit nommé plusieurs Controlleurs de la Maison du Roy, pour poser les viandes ; de maniere qu’il y en avoit deux à chaque table, pour faire cette fonction.

Le service des Officiers du Gobelet, fut aussi partagé, touchant ce qui regarde leurs Charges ; & Mr Benoist, Controlleur de la Maison du Roy, regloit toutes les tables.

Mr le Marquis de Livry, Premier Maître d’Hostel, eut l’honneur de servir Sa Majesté, & Mr Felix, Controlleur general de la Maison du Roy, eut celuy de servir Monseigneur le Dauphin.

Le Roy soupa à dix heures, à son ordinaire ; & Sa Majesté ayant esté avertie qu’Elle estoit servie, entra dans la Gallerie, seulement pour y jetter un coup d’œil, afin de voir l’effet du grand nombre de lumieres, qui en faisoient briller toutes les beautez. Sa Majesté estoit acompagnée du Roy d’Angleterre, de Madame la Princesse sa Sœur, de tous les Princes, de toutes les Princesses de la Maison Royale, & de toutes les personnes qui devoient avoir, ce soir là, l’honneur de manger aux tables qui venoient d’estre servies.

Voicy les noms des personnes qui mangeoient à ces Tables.

PREMIERE TABLE.

LE ROY, & à la droite de Sa Majesté, LE ROY D’ANGLETERRE.

Madame LA PRINCESSE D’ANGLETERRE.

Madame, à la gauche de Sa Majesté.

Madame la Duchesse de Bourgogne.

Madame la Duchesse d’Orleans.

Les autres places furent occupées indifferemment. Celles qui les remplirent, sont :

Madame la Duchesse d’Aumont, qui fut Reine.

Me la D. de la Ferté.

Me la D. de Brancas.

Me la D. de Roquelaure.

Me la D. du Lude.

Me de Middelton.

Me la Princesse de Montauban.

Me la Princesse d’Epinoy.

& Me la Princesse d’Harcourt.

16.

SECONDE TABLE.

MONSEIGNEUR.

Monsieur le Duc d’Orleans.

Madame la Duchesse, qui fut Reine.

Mademoiselle de Bourbon.

Mademoiselle de Conty.

Me la Duchesse d’Albe.

Me de Bouflers.

Me de Souvray.

Mlle de Tourbes.

Mlle de Meleun,

Me la Maréchale de Clerembault.

Me de l’Aigle.

Me de Mirepoix.

Me de la Vieuville.

Me la Comtesse d’Harcourt.

Me la D. de la Feüillade.

Me la D. du Duras.

17.

TROISIÉME TABLE.

MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE.

Me la D. de Villeroy.

Me la D. de Lorge.

Me la D. de Nogaret.

Me d’O.

Me d’Epinay, qui fut Reine.

Me de Torcy.

Me de la Valliere,

Mlle de Villefranche.

Me de Gié.

Me de Villacerf.

Me de Belfond.

Me de Gondrin.

Me la D. de Noailles.

Me la D. de Guiche.

Me la Maréchale d’Estrées.

16.

QUATRIÉME TABLE.

MONSEIGNEUR LE DUC DE BERRY.

Me la Maréchale de Rochefort.

Me de Mailly.

Me de Beaumont.

Me de Listenay.

Me la Duchesse d’Estrées.

Me de Sforce.

Me de Chasteauthiers.

Me la Vidame.

Me de Maulevrier.

Me la Comtesse de Livry, qui fut Reine.

Mlle de Langeron.

Mlle de Sainte-Hermine.

Me de la Vrilliere.

Me de Tobieska.

Me de Montbazon.

Mlle de Boüillon.

17.

Il n’est pas surprenant que les 72. Couverts dont estoient le 4. Tables, n’ayent pas esté tous remplis, puisqu’il est presque impossible que parmy soixante-douze personnes il ne s’en trouve toûjours quelques-unes d’arrêtées par quelque obstacle qui les empêchent de joüir d’un honneur que leur naissance ou leur rang leur ont procuré.

Toutes ces Tables furent également servies ; aussi estoient-elles toutes regardées comme la Table du Roy.

Pendant que les Reines burent, on suivit l’usage ancien & general, & les cris de la Reine boit, se firent entendre ; & comme il arrivoit quelquefois que deux ou trois Reines buvoient dans le même temps, le bruit que faisoient ces cris, estoit plus ou moins grand ; mais toujours fort agreable, parce que les voix des Dames l’emportoient sur celles des hommes qui estoient à ces Tables, & ce qui augmentoit encore le bruit du Concert formé par tant de voix differentes, est que quoy que ceux qui servoient n’y mêlassent par leurs voix, les uns se frappoient dans les mains, & les autres trouvoient moyen de frapper harmonieusement sur quelque piece d’argenterie, de maniere que tous ces bruits ensemble, & formez sur differens tons, avoient quelque chose de divertissant, & convenoient fort à la Ceremonie du jour.

Laissons continuer un divertissement, d’autant plus rejouïssant qu’il n’est pas ordinaire, dans un lieu si Auguste, & passons par l’escalier qui conduit au grand Apartement du Roy, dans lequel on devoit danser, afin d’examiner tout ce que l’on peut dire de cet Escalier ; de cet Apartement ; du grand Sallon qui est au bout, & de la Gallerie que l’on voit dans le retour.

Cet escalier étoit éclairé de la même maniere que l’escalier de la gauche, & l’on y voyoit beaucoup de Torcheres & de Girandoles, ce qui en faisoit briller toutes les beautez, qui peuvent aller de pair avec tout ce qui enrichit les plus beaux Apartemens. Il y avoit sur un des paliers, un grand Buffet, chargé de toutes sortes de rafraîchissemens.

Les pieces par où l’on entroit dans le grand Apartement du Roy, aprés avoir quitté l’escalier, estoient garnies de Buffets, sur lesquels estoient encore d’autres rafraîchissemens, & d’une partie de tout ce qui devoit servir à la collation, qui devoit estre distribuée pendant le Bal. Ces piéces étoient parfaitement bien éclairées.

Il y avoit dans la Salle du Bal qui suivoit, douze Lustres, dix Torcheres, avec des Girandoles, & l’on avoit aussi placé plusieurs Girandoles, sur l’appuy des deux Tribunes, qui sont dans cette Salle, qui servent ordinairement à placer la Symphonie.

Le Cercle du Bal estoit au milieu de cette Salle. Il y avoit à l’un des bouts de ce Cercle, deux fauteüils, dont l’un étoit pour le Roy, & l’autre pour le Roy d’Angleterre. La figure de ce Cercle, representoit un quaré long, & des plians, qui suivoient les deux fauteüils dont je viens de parler, achevoient de former le premier rang ; il y en avoit un second, de Tabourets, & un troisiéme de formes. Il y avoit aux deux bouts de la Salle, & dans les croisées des Gradins, par étages, pour les Spectateurs.

Les Officiers ordinaires de la Musique, étoient placez dans les deux Tribunes ; ainsi on peut juger que le nombre en étoit considerable, & que tous les airs sur lesquels on dansa, furent parfaitement bien joüez.

La Chambre du Lit, & celle du Trône, que l’on trouvoit aprés la Salle du Bal, lorsque l’on étoit entré par le grand escalier qui est à la droite, étoient éclairées par plusieurs Torcheres, garnies de Girandoles, & par plusieurs autres Girandoles qui étoient sur les tables. On doit remarquer qu’il y a au milieu de chacune de ces Chambres, un Lustre d’une tres-grande beauté, & que les lumieres de ces deux Lustres, & celles des Girandoles, en faisoient briller les Cristaux, qui jettoient un éclat si ébloüissant, que la vûë ne pouvoit s’arêter long-temps à les regarder.

Il y avoit aussi un tres-magnifique Lustre, dans le Sallon où l’on entre en sortant de la Chambre du Trône. Il étoit non-seulement éclairé par les bougies dont le Lustre étoit garny ; mais aussi par les Girandoles qui étoient placées sur plusieurs Torcheres, & sur les tables de marbre de ce Sallon.

On entroit ensuite dans la Gallerie, qui étoit éclairée par un rang de Lustres, qui en remplissoient toute la longueur ; par un grand nombre de Girandoles, placées sur les tables, & en divers autres endroits, & par huit piramides de 15. pieds de haut chacune, & dont les bazes, de plus de 4. pieds de haut, étoient richement ornées.

Les piramides qui estoient portées par ces bazes, avoient huit étages, si remplis de flambeaux, qu’ils se touchoient les uns les autres. Il y avoit 132. bougies sur chacune de ses piramides, qui étoient terminées par une grosse bougie en flambeau, & toutes ces lumieres étant oposées à une étoffe d’or, qui couvroit le corps de ces piramides, il en sortoit un éclat si brilant & si vif, qu’il seroit dificile de l’exprimer.

Le Sallon qui est à l’autre bout de la Gallerie, entre l’Apartement de Madame la Duchesse de Bourgogne, & la Gallerie, & qui fait face à celui qui est au bout du grand Apartement du Roy, estoit illuminé de la même maniere, que celui par où l’on entre dans ce grand Apartement, & dont je vous ay déja parlé de l’illumination Il y avoit 70. Girandoles, tant dans ces deux Sallons, que dans la Gallerie.

Comme il auroit été mal aisé d’éviter la confusion, si on n’y avoit pas aporté un grand ordre ; les Huissiers de la Chambre occupoient toutes les avenuës de l’Appartement où l’on devoit danser, & Mr le Duc de la Tremoüille, premier Gentilhomme de la Chambre en année, leur avoit donné des Listes des personnes à qui il avoit jugé à propos d’accorder des places sur les Gradins de la Salle du Bal.

Le soupé finit sur les onze heures & demie, & toute la Cour ayant traversé la Gallerie ; le Sallon par lequel on entre dans le grand Appartement du Roy ; la chambre du Trône & celle du Lit, entra dans la Salle du Bal : Voicy les noms de ceux qui dansérent.

LE ROY d’Angleterre.

Monseigneur le Duc de Berry.

S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans.

Monsieur le Duc d’Enghien.

Mr le Duc d’Estrées.

Mr le Duc de Mortemart.

Tous les noms qui suivent sont mis icy sans qu’on ait observé de suivre les rangs de ceux qui les portent ; je ne sçay même si on n’en a point oublié quelques-uns.

Mr le Marquis de Gondrin.

Mr le Marquis de Nangis.

Mr le Comte de la Mothe.

Mr le Marquis de Listenay.

Mr le Marquis de Boisfremont.

Mr le Marquis de Roussillon.

Mr le Marquis de Seignelay.

Mr le Marquis de Tessé.

Mr le Marquis de Biron.

Mr le Marquis de Nesle.

Mr le Marquis d’Egvilly.

Mr le Marquis de Livry.

Mr le Marquis de Chabanois.

Mr le Comte de Montessor.

Mr le Marquis de Grave.

Mr le Marquis de Rouvroy.

Voicy les noms des Dames qui ont dansé au même Bal.

Madame la Princesse d’Angleterre.

Madame la Duchesse de Bourgogne.

Mademoiselle de Bourbon.

Mademoiselle de Conty.

Mademoiselle de la Roche-sur-Yon.

Les Dames qui suivent ne sont point nommées selon leur rang.

Me la Duchesse de Duras.

Me la Comtesse d’Harcourt.

Me la Duchesse de Noailles.

Me la Marquise de la Vrilliere.

Me de Gié.

Me la Marquise de Belle-fond.

Me la Marquise de Listenay.

Mlle de Sainte-Hermine.

Me de Chaumont.

Me de Tobieska.

Mlle de Langeron.

Mlle de Villefranche.

Il seroit difficile de vous faire une peinture bien exacte des habits de toutes ces Dames, & des pierreries qui leur servoient d’ornemens. Madame la Princesse d’Angleterre estoit en Robbe, ce que l’on appelle aujourd’huy grand Habit, & les habits de toutes les Dames du Bal, estoient de la même maniere. Celuy de cette Princesse estoit de velours jaune ; son Corps estoit tout garny de pierreries, aussi bien que sa Robbe, dont les attaches aussi de pierreries estoient des plus brillantes, & la Juppe de cette Princesse n’avoit pas de moindres ornemens. L’Habit de Madame la Duchesse de Bourgogne qui estoit de velours noir, estoit garni de même, & sa Juppe estoit semée de plusieurs bouquets de pierreries. Ces deux Princesses avoient de tres-belles Aigrettes, & toute leur coëffure estoit aussi mêlée de pierreries.

Tous les habits des Dames estoient aussi de velours de differentes couleurs, avec des parures de diamans, & les habits de celles qui estoient en deüil, estoient garnis d’hermines avec des attaches de diamans.

Le Bal s’ouvrit par le Roy d’Angleterre & par Madame la Princesse sa Sœur. On doit remarquer que la premiere fois que Sa Majesté Britannique se leva pour danser, le Roy se leva aussi, & que Sa Majesté se tint debout, pendant tout le temps que ce Prince dansa. On doit observer aussi, que les Princes, les Princesses, & generalement toutes les personnes qui danserent, saluerent Leurs Majestez, avant que de danser.

Le Roy d’Angleterre, aprés avoir dansé, avec Madame la Princesse sa Sœur, prit Madame la Duchesse de Bourgogne, & ces deux Princesses s’en acquitterent, avec tant de graces, que toute l’Assemblée en fut charmée. Madame la Duchesse de Bourgogne prit Monseigneur le Duc de Berry ; Monseigneur le Duc de Berry prit Mademoiselle de Bourbon ; cette Princesse dansa ensuite, avec Monsieur le Duc d’Orleans, qui prit Mademoiselle de Conty, qui dansa aprés, avec Monsieur le Duc d’Enghien, qui prit Mademoiselle de la Roche-sur-Yon, & Mademoiselle de la Roche-sur-Yon prit Mr le Duc d’Estrées, qui fut le premier des Seigneurs qui danserent, aprés les Princes ; & pendant le reste du Bal, on se prit indifferemment.

Il est aisé de s’imaginer, que toutes les danses, qui sont aujourd’huy le plus en usage, furent dansées, & que les contre danses ne furent pas oubliées. Il seroit difficile de trouver dans aucun Bal, quand même il seroit composé d’un plus grand nombre de Danseurs & de Danseuses, autant de personnes qui dansassent aussi-bien, non-seulement (& je le dis avec verité) parce que le bon air regne plus à la Cour qu’ailleurs, & qu’il peut estre difficilement imité par ceux qui n’y font pas leur sejour ordinaire, ou qui n’y viennent pas souvent ; mais aussi parce que l’on ne risque gueres de danser dans un lieu si auguste, & où l’on est si éclairé, sans estre persuadé que l’on ne s’exposera pas à la censure de ceux qui ne pardonnent rien. Cependant, il ne laisse pas d’estre constant qu’un Bal estant ordinairement composé d’un grand nombre de personnes, les unes ont plus de naturel pour la danse que les autres, & qu’il s’en trouve toûjours qui remportent le prix ; mais comme il est quelquesfois difficile de decider, & qu’on le peut faire par inclination, ou par goût, & que le goût de ceux qui decident n’est pas toujours juste, je crois ne devoir rien dire qui soit plus à l’avantage des unes que des autres ; & d’ailleurs l’on doit estre persuadé que ceux dont la danse a le moins brillé dans cette Assemblée, seroient sûrs de remporter le prix par tout ailleurs.

Le Roy quitta le Bal à une heure. La collation qui parut quelque temps aprés, fut d’abord presentée à tout le Cercle, & elle fut ensuite distribuée aux Spectateurs. Je ne dis point que cette collation fut composée de tout ce qui pouvoit estre servy dans un Bal, & rafraîchir une Assemblée, que la chaleur d’un lieu, remply de monde, & brillant de lumieres, devoit avoir alteré : on sçait assez que c’est à la Cour, où ces collations paroissent avec plus d’éclat, & que les Officiers du Roy, qui en ont soin, n’ont point de pareils dans le monde.

Le Bal recommença aprés la collation, & l’on peut dire que ce divertissement fit tant de plaisir aux Danseurs & aux Spectateurs, que l’Assemblée ne se separa que sur les quatre heures du matin.

Le Bal finy, Sa Majesté Britannique, & Madame la Princesse sa Sœur, retournerent à S. Germain. Les Gardes du Corps, les Cent-Suisses, ainsi que les Gardes Françoises & Suisses, estoient sous les armes, dans leurs postes ordinaires, & les tambours battirent aux champs, de même qu’ils font en plein jour, lorsque Leurs Majestez Britanniques viennent chez le Roy.

La description de cette Fête parle assez, sans qu’il soit necessaire d’en rien dire davantage, si ce n’est qu’il paroît impossible qu’on puisse voir, dans aucun lieu du monde, autant de pierreries ensemble, qu’il en parut dans ce Bal ; & qu’il est certain que l’on n’en peut donner dans des Appartemens plus magnifiques & plus étendus que ceux de Versailles, à cause de la Gallerie, & des deux grands Sallons, qui sont aux deux bouts.

[Rejoüissances faites par la Reine Douairiere d’Espagne] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 289-290.

 

La Reine Doüairiere d’Espagne, continuant d’estre charmée des honnestetez qu’elle reçoit de la part de Philippe V. cette Princesse continuë aussi d’en faire voir sa reconnoissance dans toutes les occasions, où elles en peut donner des marques publiques, & toutes les fois que les Espagnols en donnent de leur zele & de leur amour pour leur Souverain, & qu’ils ont lieu de faire éclater leur joye, par des réjoüissances publiques. Cette Reine qui fait son sejour à Bayonne, y fait aussi paroître sa joye, avec éclat : ce qui m’a souvent obligé de parler des Fêtes qu’elle y a données. La derniere, a esté à l’occasion du jour de la naissance de Sa Majesté Catholique cette Princesse fit, ce jour là, illuminer tout son Palais : Elle fit tirer beaucoup d’artifice, qui fut accompagné de divers concerts ; & ce divertissement fut suivy d’une Comedie, qui fut representée dans la grande salle de son Palais.

Estrenes de Minerve, à Monsieur le Marquis de Chamillart §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 304-310.

 

Les Vers qui suivent sont de l’Auteur qui se cache sous le nom de Minerve, & dont les ouvrages ont toûjours esté trouvez de bon goust, & remplis de sagesse & de bon sens. Comme ils ont esté presentez quelques jours avant le mariage de Mr le Marquis de Chamillart, presentement Marquis de Cany, ils peuvent servir de Prelude à l’article de ce mariage.

ESTRENES DE MINERVE,
À MONSIEUR LE MARQUIS DE CHAMILLART.

Chamillart, de ton sort connois toute la gloire,
Lorsque l’Hymen pour toy fait briller son flambeau ;
De mes premiers bien-faits rapelle la mémoire,
Et voy qu’elle est la main qui forme un Nœud si beau.
***
C’est la main de Minerve, oüy Minerve elle même ;
De Junon, de Lucine, exerce icy l’Employ,
Et le Dieu de l’Hymen, qui sçait combien je t’aime ;
Semble d’empressemens disputer avec moy.
***
Pour te marquer mes soins par de riches estrenes ;
Sur ce Vaste Univers, j’ay beau porter les yeux ;
T'unir à Mortemart, par d’éternelles chaînes,
Me paroît le present le plus digne des Dieux.
***
Je ne te vante point l’éclat de sa Naissance.
Tu sçais de quels Heros elle a reçû le jour,
Sur l’éclat de ses yeux, je garde le silence,
Je veux pour d’autre biens, t’inspirer de l’Amour.
***
J’aime mieux te tracer les beautez de son ame,
C’est là ce qui te plaist, m’en desavoüeras tu ?
Non, je te connois trop, c’est tout ce qui t’enflame,
Et rien n’est dans ton cœur, du prix de la vertu.
***
Sincerité, douceur, sagesse, tout conspire,
À te rendre plus cher, le choix que j’en ay fait,
C’est moy qui la conduis, qui l’éclaire, & l’inspire,
Je n’ay jamais formé d’ouvrage plus parfait.
***
C’est par un tel present qu’en vers toy je m’acquite,
De l’ardeur qui t’anime à m’offrir tous tes vœux,
À l’aspect éclattant, d’un si rare merite ?
Les autheurs de tes jours comme toy sont heureux.
***
Ainsi furent heureux Ulisse, & Penelope,
Lorsque de leur cher fils, couronnant les travaux,
J’unis à son destin, le destin d’Antiope,
Digne objet des soupirs de cent Roys ses Rivaux.
***
Le tendre attachement, qu’il montra pour son pere,
Qu’il eut pour ses devoirs, fit éclater mes soins,
Par les mêmes vertus, tu sçus l’art de me plaire ;
Ayme bien, Chamillart, & n’espere pas moins,
***
Déja, tout jeune encor, tu marches sur ses traces.
Du fruit de mes Leçons ne trompe point l’espoir ;
Si tu veux de ma main obtenir d’autres graces ;
Poursuis, & dans ses yeux, lis toûjours ton devoir.
***
Je ne te parle plus d’une épouse charmante,
Tu l’aimeras toûjours & je me le promets ;
L’amour de la vertu, par la vertu s’augmente,
Ses divines beautez ne vieillissent jamais.
***
Mais pour vôtre bonheur, je vois que toute s’apprête,
Ma presence en ces lieux troubleroit vos plaisirs,
À dieu : c’est à l’amour d’achever cette Fête,
Je lui laisse le soin de remplir vos desirs.

[Bal masqué donné à Versailles] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 325-330.

 

Quelques jours aprés le Bal que le Roy donna à Versailles, la veille de la Fête des Rois, il y en eut un autre, où il fut permis à toutes les personnes de la Cour de venir masquées, ainsi qu’aux Officiers de guerre, du nombre desquels pourtant, n’estoient compris que les Lieutenans-Colonels, & tous ceux qui sont au-dessus. Personne ne devoit entrer à ce Bal, sans s’estre fait connoître, & l’on avoit cru devoir se servir de toutes ces précautions, pour éviter la confusion qui se rencontre toujours en de pareilles occasions, & qui n’auroit pas manqué d’ariver, si l’on n’en avoit pas usé de la sorte, quoy qu’il n’y ait point en Europe de plus vastes Apartemens que ceux de Versailles ; mais la Cour de France est toujours si grosse, & Paris est remply d’un si grand nombre de personnes de distinction, qu’il est impossible de les joindre ensemble, sans que la confusion soit tout-à-fait grande. Ce n’est pas que cela ne soit arrivé quelques-fois ; & l’on peut dire, en parlant de ces sortes d’Assemblées, que la magnificence y regne dans un suprême degré, & qu’il est impossible d’en trouver autant en quelque lieu du monde que ce soit. Cependant, quoique les yeux y soient charmez, par un amas ébloüissant de riches habits, ils ne sont pas moins divertis, par l’ingenieuse varieté de diverses Mascarades, composées par des Compagnies differentes, non plus que par les habits de plusieurs Particuliers, qui en imaginent souvent de differens, qui n’ont jamais esté vûs, & dont la singularité fait plaisir. Enfin, l’on peut dire que tous les déguisemens du Bal, dont je vous parle, furent riches, galans & ingenieux. On dansa dans le même lieu, où le Bal serieux s’estoit donné, dix ou douze jours auparavant. Les illuminations estoient disposées de même que celles du premier Bal ; mais on en avoit retranché les Pyramides, parce que la fumée du grand nombre de lumieres, dont elles estoient couvertes, pouvoit endommager la peinture de la Gallerie.

Le Roy d’Angleterre vint incognito à ce Bal, accompagné de quelques Seigneurs de sa Cour. Ce Prince n’avoit pas voulu d’habit magnifique, afin de n’estre pas reconnu. Cependant il ne put échaper à la penetration du Roy, qui jugeant qu’il ne vouloit pas estre reconnu, ne le découvrit point. Sa Majesté soupa à son ordinaire, avant le Bal, avec la Famille Royale ; Monseigneur, & Monseigneur le Duc de Bourgogne ne masquerent point. Le Bal fut ouvert par Monseigneur le Duc de Berry, & par Mademoiselle de Bourbon. Rien ne fut épargné à la Collation : on y distribua de tres-beaux fruits, & des confitures seiches, en pacquets, & les eaux y furent servies en abondance. Le Roy demeura au Bal, jusqu’à une heure & demie, & l’on peut dire que toute l’Assemblée s’y divertit beaucoup, puisqu’elle ne se separa qu’à cinq heures du matin. Entre les déguisemens d’une invention toute singuliere, dont je vous ay déja parlé, on admira celuy de Mr le Vidame, qui estoit deguisé en Vase ; & lors qu’on l’eut pris pour danser, le pied du Vase se forma en pieds naturels ; les Ances en deux bras, qui s’étendirent, & le couvercle parut s’élever & former une tête ; & quand il eut cessé de danser, le Vase reprit sa premiere forme, & parut comme il estoit auparavant.

[Sur les affaires de Catalogne]* §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 372.

 

On ne doit pas s’étonner si le Prince Eugene voyant la situation des affaires de Catalogne, telle que je viens de la depeindre, a refusé absolument d’aller commander dans un païs où il perdroit seurement la reputation qu’il s’est acquise parmi les Alliez. Ce n’est pas qu’elle ne pust encore s’augmenter de la mesme maniere qu’elle a déja fait, s’ils continuoient de faire chanter des Te Deum pour toutes les batailles qu’il perdroit, & pour les places qu’il laisseroit prendre.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 396-400.

 

Le mot de l’Enigme du mois dernier estoit la Terre. Ceux qui l’ont trouvé sont, Mrs l’Abbé de la Place, Geographe à Rouen ; de la Touret de la ruë S. Denis ; de la Serriere, Grandet du Marais ; de Beaumont ; d’Overney, Suisse, & Robert de l’enclos du Temple. Le bel Adonis son voisin ; l’Ecolier malgré-luy, & son amy Pierrot ; D.B. le Solitaire Que-mine, & son Ami Darius ; le Diseur de bonne-avanture, & le Diable boiteux de la ruë S. Denis. Mlles de Ville-neuve & l’Esterel du Marais ; de Nesle, & de Champerou, de la ruë S. Antoine ; l’Aimable Roget de l’Arcenal ; Agnés du quartier du Palais, & Geneviéve Jollain, de la ruë S. Jacques ; la jeune Muse renaissante ; l’Aimable precieuse de l’enclos du Temple ; la sçavante Uranie du même quartier ; la belle & jeune B.… de la ruë de Bussi, & son aimable sœur ; l’aimable Preau & la charmante de Rouvroy, voisines du Val-de-Grace ; la Solitaire, de la ruë aux Féves ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; D.P. la fidelle Gogo, de Rouen ; la belle A. d’Orleans, & M : son amie.

L’Enigme que je vous envoye est de Me la Presidente Baucheron, de la Chastre en Berry.

ENIGME.

Un nombre impair joint quatre fois
Vous apprendra combien nous sommes,
Nous servons de deffense & d’ornement aux hommes
Ainsi qu’aux habitans des Bois.
Nous souffrons sans murmure,
Qu’un double fer taille nostre figure.
Quoy que nous soyons transparans
Nous sommes rarement sans de petits points blancs.
Quant à nostre couleur, c’est le sang qui la donne ;
Nous avons tres-souvent un demy cercle noir
Qui n’est pas agreable à voir,
Que difficilement aux Galands on pardonne.
On craint souvent nostre pouvoir
Quand on est animé d’un cruel desespoir,
Et l’on voit des Amans porter sur leurs visages
Des traits sanglans de nos outrages ;
Enfin pour achever de peindre nostre sort,
Nous croissons même aprés la mort.

[Divertissement de Marly, pendant le dernier séjour que la Cour y a fait] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 408-412.

 

Pendant qu’ils se donnent des mouvemens par tout, pour avoir des Troupes capables de soutenir la Campagne prochaine, les efforts des deux Rois, on se divertit à Versailles & à Marly ; & pendant le dernier sejour de Marly, qui a duré dix jours, il y a eu trois magnifiques Bals, en habits serieux ; & un autre Bal, où il n’a esté permis d’entrer qu’en habits de Masque. Je ne vous dis rien des pierreries, & des riches habits, qui ont brillé dans ces Bals où les meilleurs Danseurs de France, & qui n’avoient point dansé depuis long-temps, se sont fait admirer ; mais je vous parleray seulement d’une galanterie toute spirituelle, dont le nom de celuy ou de celle qui l’a faite m’est inconnu. Il parut tout-à-coup devant Madame la Duchesse de Bourgogne, un Amour, qui s’étoit glissé parmy la foule, sans estre apperçû, & qui aprés avoir mis un genoüil en terre, presenta à cette Princesse une Pomme d’or, sur laquelle on lisoit : À la plus gracieuse, & la plus aimable Princesse de l’Univers. Cette Pomme d’or estoit accompagnée d’une Chanson, sur l’air de Joconde, dont voicy les paroles.

Le Berger Paris couronna
Jadis une immortelle
Et la pomme qu’il lui donna
Etoit pour la plus belle ;
Un Dieu, Princesse, dans ce jour
Vous rend le mesme hommage,
Recevez ici de l’Amour
Cette Pomme pour gage.
***
Il vous la donne par mes mains
N’osant ici paroître,
Deguisé sous des traits humains,
Qui pourroit le connoître ?
Il vous suit pourtant en tous lieux
À vos pas il s’attache,
Et dans nos cœurs, & dans vos yeux
Quelquefois il se cache.

La Pomme d’or s’ouvroit, & il y avoit dedans un Bandeau de Mousseline plié, & renoüé d’un Ruban couleur de feu, avec deux petites aîles de Plumes blanches & couleur de feu, attachées par un pareil Ruban, avec ces mots & les vers suivants.

L’Amour.
À la plus aimable Princesse du monde.

Je suis Dieu des amours, des graces & des ris
Et sur tant de Beautez qu’on voit ici paroistre
C’est moi qui vous donne le Prix,
Le Dieu d’Amour doit s’y connoistre,
J’ai quitté mon Bandeau pour pouvoir desormais
Chaque instant admirer tant de graces nouvelles,
Et pour ne vous quitter jamais
J’ai moi-mesme coupé mes aîles.

[Article touchant les Discours prononcez aux ouvertures du Parlement] §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 412-414.

 

Je ne puis mieux finir que par un article aussi galant que celuy que vous venez de lire. Cependant je dois vous dire que ma mauvaise santé, & la perte de ma vûë, ne me permettant pas d’aller aux principales actions publiques, qui se font au commencement de chaque mois, & dont je me suis imposé une loy, de vous entretenir, je ne puis vous en parler que sur le raport de ceux dont j’ay fait l’épreuve de la memoire en plusieurs ocasions, & qui m’a toujours paru des plus heureuses ; cependant, comme il paroît assez impossible que l’on puisse retenir tout ce qu’il y a de plus brillant dans les differens discours, qui se prononcent en moins d’une ou deux heures de temps, comme l’on fait, sur tout le jour que le Parlement rentre, le jour de l’ouverture des Audiences, & le jour des Mercuriales ; & comme il peut arriver que ce que l’on m’en raporte ne soit pas toujours entierement conforme à la verité, j’ay toujours observé de ne rien mettre dans les discours que j’ay raportez, qui ne pût estre digne d’un homme d’esprit, & zelé pour la justice, & qui par consequent pût faire tort à sa reputation, quand il ne l’auroit pas entierement prononcé, suivant qu’il est raporté. Il y avoit beaucoup de ces discours dans ma derniere lettre, & je ne suis pas surpris que vous l’ayez trouvée si curieuse, puisque, contenant les nouvelles de deux mois entiers, elle estoit remplie d’un tres-grand nombre d’articles, qui ont dû vous faire plaisir, ainsi qu’à tous ceux qui l’ont lûë. Je suis, Madame, vôtre, &c.

À Paris, ce 31. Janvier. 1708.

Le Libraire au Lecteur §

Mercure galant, janvier 1708 [tome 1], p. 415-416.

 

Le Libraire au Lecteur.

L’Histoire du siége de Toulon ayant obligé l’Auteur de reculer le Mercure de Decembre d’un mois, cela a donné lieu à quelques Particuliers de dire que le Mercure étoit cessé, l’Auteur n’étant plus en état de le continüer ; cependant, il a donné au commencement de Janvier, un Volume plus gros que les autres, puisqu’il contient les nouvelles du mois de Decembre, & celles du mois de Novembre. On trouve dans le titre de ce Volume, Novembre, & Decembre.