1708

Mercure galant, août 1708 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, août 1708 [tome 9].
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Mercure galant, août 1708 [tome 9]. §

Au Roy. Poeme §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 5-15.

 

Je crois ne pouvoir mieux commencer ma Lettre que par l’ouvrage suivant. Les actions dont il parle doivent vous faire connoistre qu’il y a déja plusieurs mois que cet ouvrage est composé.

AU ROY.
POEME.

Magnanime Heros, dont la grandeur suprême
Est le prix éclatant d’une sagesse extrême.
Toy, qui sçais en tout temps commander & regner,
Et pour combler nos vœux, te plaist à l’enseigner ;
Charmé de tes vertus, plein du feu qui m’anime.
Louis, je viens t’offrir un encens legitime.
Je celebre ta gloire, heureux si mes accords
Répondent à mon zele, & suivent mes transports.
Ma Muse à tes hauts faits mille fois attentive,
T’a chanté, couronné de lauriers & d’olive,
Tantost fier, intrepide au milieu des hasards,
Dont jadis l’aspect seul fit fremir les Cesars,
Forçant les plus hauts murs, surmontant mille obstacles,
Dans tes moindres projets enfantant des miracles :
Eclairant tes Conseils, animant tes Soldats,
Maîtrisant la Victoire attachée à tes pas :
Tantôt Heros modeste, & Vainqueur toûjours sage ;
Du Demon des combats arretant le carnage,
Et dans l’éclat pompeux des Triomphes guerriers,
Aux douceurs de la Paix1 immolant tes lauriers,
Unissant dans ton cœur le Heros au Roy juste ;
La vaillance de Jule & la bonté d’Auguste,
Suspendant le Tonnerre, & content de tonner,
Aussi lent à punir que prompt à pardonner ;
Et par les nobles traits d’une vertu si pure
Du Monarque des cieux retraçant la peinture.
Ouy, Grand Roy, ta sagesse & tes exploits divers
Ont esté mille fois l’objet de mes concerts.
Que de chants solemnels, quand je vis ta clemence
Dérober à ton bras les droits de ta vaillance,
Et ton cœur genereux prévenant nos souhaits
Moissonner des lauriers dans le champ de la Paix !
Quand dédaignant l’éclat d’une gloire commune,
Maistre de tes desirs, plus grand que la Fortune,
Devenant le salut de cent Peuples vaincus,
Tu trouvois dequoy vaincre en ne les vainquant plus :
Quand le Duel détruit, les Erreurs étouffées,
Tous les jours à ta gloire érigeoient des trophées.
Et ton pouvoir suprême appelloit à tes pieds
Des Souverains jaloux, soûmis, humiliez,
Qui faisant succeder leur amour à leurs haines2
Venoient baiser la main qui leur donnoit des chaînes ;
Et frappez de l’éclat qui brilloit à leurs yeux,
Remplissant l’Univers de ton nom glorieux.
Quels chants, lorsque forcé de reprendre ta foudre,
À cent nouveaux Titans tu fis mordre la poudre,
Et que montrant par tout ta puissance & tes droits,
On te vit proteger, vaincre, faire des Rois,
Prevenir, dissiper la tempête & l’orage.
Effrayer le Danube & rassurer le Tage,
Le rendre plus celebre, augmenter ses trésors,
Instruire un jeune Mars à deffendre ses bords ;
Renouveller du Rhin les allarmes sanglantes ;
Faire fremir l’Oder sous tes Armes tonnantes ;
Disposer du destin de cent Combats divers,
D’une seule Campagne3 étonner l’Univers ?
Mais que vois-je ! tout change, & Mars & la Victoire
Grand Roy, semblent tourner leurs traits contre ta gloire ;
Quoi ! ces Dieux aujourd’huy conspirent contre toi
Qui t’aidoient à ranger l’Univers sous ta Loy ;
Vains & foibles efforts ! tous sert à ta sagesse
Tu vainquois sans orgueil, tu cedes sans foiblesse,
Rien n’abbat ton grand cœur ; la vertu le soutient
Les Destins sont contens, la Victoire revient ;
Elle s’offre à tes yeux avec ses premiers charmes,
Au party qui la perd renvoyant les allarmes
D’un front qui les ternit arrachant ses Lauriers,
Au champs Hesperiens elle suit tes Guerriers,
Et déja sur les pas du fier Duc de ta race,
De l’Aigle au becs affreux elle confond l’audace,
Renduë à la valeur, soumise à l’équité,
Elle enchaîne & punit le Rebelle dompté ;
Et par tout detestant l’orguëil qui l’a surprise,
Elle expie à ton gré sa fatale méprise.
Mars seconde tes vœux sur la terre & les flots,
Icy l’Anglois s’arreste à l’aspect du Heros4,
Dont l’Adda sur ses bords vit la fiere vaillance
D’un superbe Guerrier confondre l’arrogance ;
Là le feu dans les yeux, & la foudre à la main,
Le Vainqueur5 du Danube épouvante le Rhin.
Plus prés, ces fiers Titans, qui par mer6 & par terre
Vont jusques dans tes Ports défier ton tonnerre :
Prévenus, repoussez, déchûs de tout espoir,
Eternisent ta gloire, & montrent ton pouvoir ;
Et ce nuage affreux gros de mille tempestes
Qui menaçoit tes Lis, va crever sur leurs testes.

Si je sçavois le nom de l’Auteur de cet ouvrage, je luy rendrois la justice qui luy est dûë.

[Fête de collège à Narbonne]* §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 106-108.

 

Quelques jours aprés la Ceremonie qui donne occasion à cette Relation, les Peres de la Doctrine Chrétienne, qui ont le College de cette ville, ne voulant pas garder le silence dans une joye si generale, firent à ce sujet & à la loüange de M. l’Archevêque une action publique, ou rien de tout ce qui peut donner de l’éclat à une fête de College, ne fut oublié. M. l’Evesque d’Alet étoit venu voir M. l’Archevesque, & ces deux grands Prelats voulurent bien honorer cette Feste de leur presence, pour donner de l’émulation aux Ecoliers dans leurs exercices de literature.

Aprés un fort beau compliment Latin, on recita des vers Grecs, qui furent estimez de tous ceux à qui cette langue est aussi familiere qu’au sçavant Prelat à qui ils étoient adressez. On entendit ensuite un Poëme Latin, où la fiction qui fait la beauté des Poëmes épiques, ne fut pas moins admirée que l’élegance & la noblesse des Vers. On declama ensuite toutes sortes d’ouvrages sur le mesme sujet, & en toutes langues, Odes, Sonnets, Rondeaux, Epigrammes, tout fut mis en œuvre, & d’autant plus estimé, qu’on n’avoit eu que huit jours pour se preparer. L’execution répondit parfaitement à la beauté des ouvrages ; & la grace avec laquelle ces jeunes Enfans declamerent leurs Vers, soutint fort bien l’érudition & la reputation de leurs Maîtres.

[Détail des Ceremonies qui se sont faites à Tortose, lorsque S.A.R. s’est trouvée au Te Deum qu’elle y a fait chanter en actions de graces de la reduction de la même Ville] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 140-148.

 

La Lettre qui suit concernant encore l’Espagne, tiendra parfaitement bien son rang à la suite des Articles que vous venez de lire.

Au Camp de los Mazos de Mora, le 25. Juillet 1708.

Ce n’est pas assez de vous avoir mandé le détail de ce qui a précédé la prise de Tortose, qui fait tant d’honneur à Son Altesse Royale Monsieur le Duc d’Orleans. Je vois bien qu’il faut suivre cette affaire jusqu’au bout, & ne rien oublier de ce qui regarde la gloire de ce Prince pour satisfaire entierement le zele & l’attachement que vous avez pour sa personne.

Son Altesse Royale fit Jeudi dernier 19. de ce mois son entrée dans Tortose ; les Jurats la reçurent à la porte de cette Ville sous un dais sous lequel ce Prince ne marcha qu’un moment, & il se rendit accompagné de ces Jurats & de la Noblesse, des Officiers Generaux & de ceux de sa Maison passant au milieu des Troupes qui étoient en haye au bas d’une ruë qui conduit à la Cathedrale où Messieurs du Chapitre l’attendoient. Ils avoient au bas, de cette rue fait dresser un Autel, sur lequel ils avoient posé une Croix où ils conservent un morceau considerable de la vraye Croix de Nostre Seigneur ; elle étoit entourée de chandeliers remplis de cierges ; le Tresorier en Chape avec deux autres Dignitez de ce Chapitre aprés avoir presenté de l’Eau-benîte à Son Altesse Royale, lui presenterent cette Croix à baiser, & ensuite encenserent son Altesse Royale à laquelle ils firent à peu prés la même Ceremonie que lui avoient fait l’an passé Messieurs de Saragosse, & ils la reçurent au rang des Chanoines en luy faisant tenir une espece de devant d’Autel dont ils portoient chacun un Cordon avec sa houpe, & ils marcherent tous en cet état & se rendirent dans la Cathedrale.

Son Altesse Royale étant arrivée à la porte de l’Eglise, le Tresorier luy présenta encore de l’Eau benîte & l’encensa. Cette marche étoit precedée par les Ecclesiastiques & les Musiciens de cette Eglise, & devant & aprés son Altesse Royale, marchoient ses Officiers selon le rang de leur Charge, & tout ce Cortege au milieu des Troupes les Musiciens & les Ecclesiastiques chantant des Cantiques & des Motets d’allegresse. On se rendit dans cet ordre devant le Maître Autel au milieu duquel le Tresorier qui est la premiere Dignité de cette Eglise, entonna le Te Deum, à la fin duquel il dit les Oraisons en actions de graces pour le Roy, & pour la Paix qui sont marquées dans le Rituel Romain, avec une Oraison pour la conservation de la Personne de Philippe Duc d’Orleans. Ensuite le Tresorier avec ses deux Dignitez & les Prêtres assistans tirerent du grand Autel un Reliquaire d’or dans lequel est renfermé un morceau considerable d’une Ceinture de la Sainte Vierge, qui paroît presque entiere. Cette Relique est dans tout le pays, & même dans toute l’Espagne dans une singuliere veneration. On dit même que lorsque les Reines d’Espagne sont sur le terme d’accoucher, on leur porte en grande ceremonie cette sacrée Ceinture. Ces Mrs l’avoient envelopée d’une autre ceinture de ruban rouge qu’ils tirerent de ce Reliquaire, & ils en firent present à son Altesse Royale qui la remit à Mr l’Abbé Desrabines, Aumônier de ce Prince qui avoit l’honneur de marcher en Rochet à sa droite. Quand ces Messieurs les Chanoines eurent fait baiser cette Relique à S.A. Royale, & que toute la Ceremonie fut finie, ce Prince sortit de l’Eglise & tout le Chapitre l’accompagna jusques dans la ruë, aprés quoi son Altesse Royale alla dîner chez Mr Dasfeld, dans la Maison duquel elle travailla avec ses Generaux deux heures avant, & deux heures aprés le dîner ; le lendemain Vendredy vingtiéme une partie des Troupes de l’Armée & des Officiers de Son Altesse Royale vint camper à Tibens, le Samedi à Benisalet, & le Dimanche à Ginestar où ce Prince ne put se rendre que le Lundi, & d’où il vint camper ici le même jour.

Nous sommes vis-à-vis une petite ville nommée Mora, l’Ebre entre cette Ville & nous. Elle illumina tout le clocher de sa principale Eglise le soir du Lundi ; on tira de cette Ville, dont toutes les fenestres étoient illuminées, un grands nombre de coups de fusils.

Epithalame sur le Mariage de Mr le Marquis de Villequier, avec Mlle de Guiscard §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 151-160.

 

Pendant que les uns exposent leur sang pour le service du Roy & de l’Etat, les autres se marient afin que l’Etat ne manque pas de braves, & qu’ils puissent se succeder les uns aux autres. Il se fait peu de mariages de distinction, sans que quelques beaux Esprits exercent leurs veines en faisant des Epithalames. Celle qui suit est de Mr de la Fosse, dont les Pieces de Theatre ont souvent brillé sur la Scene avec beaucoup d’éclat.

EPITHALAME
Sur le Mariage de Mr le Marquis de Villequier, avec Mlle de Guiscard.

Allume tes flambeaux à celuy de l’Amour ;
Prepare tes doux nœuds, Himen, voici ton jour.
Et vous, Sœurs d’Apollon, pour celebrer la feste,
Venez, la lyre en main, les lauriers sur la teste ;
Venez & si mon choix, dés mes plus jeunes ans,
Aux biens les plus flatteurs prefera vos presens ;
Si l’ombre de vos Bois me fut toûjours plus chere,
Que l’éclat des grandeurs qu’adore le vulgaire,
De vôtre feu divin soutenez mes efforts,
Et souffrez que ma voix s’unisse à vos accords.
Jamais sujet plus beau n’échauffa vostre zele ;
Jamais de deux Amans une union plus belle
Ne fit honneur au Dieu qui les mit sous sa loi.
C’est l’Amour & Psyché qui se donnent la foi.
 L’un au beau sang d’Aumont doit le jour qu’il respire.
Pour meriter vos soins, ce Nom seul doit suffire.
C’est sous ce nom, reçu d’un long ordre d’ayeux,
Que son Pere aujourd’hui, vôtre appuy glorieux,
Aux plus hautes vertus d’un Heros magnanime
Mesle, pour les beaux Arts, son goust & son estime.
C’est chez luy, que trouvant un sort tranquile & doux,
J’éprouve en ses bontez sa tendresse pour vous.
 Et n’apprehendez pas qu’à vos chants moins sensible,
Son Fils montre pour vous un cœur moins accessible.
Touché de leur douceur, & de la Gloire épris,
Il écoute sa voix dans vos nobles écrits.
Plein des Tableaux fameux d’Homere & de Virgile,
Il s’anime aux Exploits & d’Enée, & d’Achile ;
Il en aime avec goust tous les traits éclatans,
Il y nourrit son cœur Bien-tost viendra le temps,
Ce temps si desiré de son jeune courage,
Où du mêtier de Mars le noble apprentissage
Luy fera pratiquer vos sublimes leçons.
Quelle matiere alors à vos doctes chansons !
O qu’alors attentif à sa nouvelle gloire,
J’espere en consacrer l’immortelle memoire
Par des sons si puissans, aidez de vos secours,
Que vos eaux, pour m’entendre, arresteront leurs cours !
Mais où m’emportes-tu, trop flatteuse esperance ?
 L’autre au sang de Guiscard doit sa haute naissance.
En elle on voit briller cet éclat respecté
Que la noble pudeur ajoûte à la beauté.
Elle y joint l’esprit doux, vif, toujours seur de plaire :
Digne fruit de l’exemple & des soins d’une mere.
Du bonheur d’un Epoux quels présages flatteurs !
 Ma voix est écoutée, & je vois les neuf Sœurs.
Elles viennent à moy, pleines d’impatience.
Je sens mes doux transports accrus par leur presence.
 Mais quels soudains éclairs viennent fraper mes yeux ?
Le Ciel s’ouvre, Venus, Venus vient en ces lieux.
C’est elle, à ses côtez les Graces demi-nuës,
Son char pompeux roulant sur de brillantes nuës,
Poussé par les Zephirs, par des Cygnes tiré,
Cette foule d’Amours dont il est entouré,
L’air plus doux, plus serein, dés qu’on l’a vû paroître,
Ou plutost ses attraits la font trop reconnoître.
Ce fut dans cet estat qu’elle vint autrefois
Se montrer à Paris, & demander sa voix.
 Mais ne va pas plus loin belle Déesse arreste ;
À quels perils tu cours ! Il est dans cette Feste,
Il est, pour t’exposer à de nouveaux débats,
Et plus d’une Junon, & plus d’une Pallas.
Par l’éclat tout puissant de tes beautez fatales,
Tu vainquis, il est vrai, ces deux fieres Rivales :
Mais enfin leurs attraits differens, divisez,
En devoient estre aux tiens à vaincre plus aisez.
Quel succés aura lieu de flatter ton attente,
Lorsque du jeune Epoux la Mere ébloüissante,
À tes veux montrera ses charmes infinis,
Où l’on voit tous les leurs, tous les tiens réünis ?
Je ne t’en dis point trop : À toutes trois semblable,
Elle a l’air de Junon, noble, grand, respectable ;
Les vertus de Pallas, & son port gracieux ;
La douceur de tes traits, ton soûrire, & tes yeux.
Crois moi, Déesse, évite un affront manifeste,
Et remonte au plutost à la voûte celeste :
Fui les cruels chagrins que tu peux prévenir.
 Mais pourquoy de ces lieux te voudrois je bannir ?
Soit par tes propres yeux, ou par la Renommée,
De toute sa beauté tu dois estre informée ;
Et puisque tu poursuis ton dessein & tes pas,
Tu viens preste à ceder le prix à ses appas.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 160-161.

Les Epithalames estant des chants de joye, la Chanson qui suit tiendra bien sa place aprés l’Epithalame que vous venez de lire.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Que je vous plains, doit regarder la page 160.
Que je vous plaints, brillantes fleurs,
De n’avoir pas plus de merite,
Quand vous serez auprés du sein de Marguerite
Son éclat va ternir vos plus vives couleurs.
Tout en cette belle est aimable,
Son teint vif, sa bouche admirable,
Une douce langueur, l’air tendre, un œil charmant,
Pour un heureux Amant
Rendroient Gogo toute adorable.
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[Mort de l’Abbé Miloni]* §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 161-191.

 

On a beau chanter & danser, il faut souvent quitter tous les divertissemens pour penser à la mort ; & comme il n’y point d’articles si frequens dans mes Lettres que ceux qui en parlent, je suis obligé de les recommencer souvent dans la mesme Lettre.

Mre N… de Gruel, Marquis de la Frette, est mort depuis peu. Il estoit fils de feu Mre Pierre de Gruel, Seigneur de la Frette, Mestre de Camp, Capitaine des Gardes de feu Monsieur Gaston de France, & de Dame Barbe Servien, qui avoit épousé en premieres nôces Mr le Feron, Conseiller au Parlement, dont elle avoit eu une fille unique ; sçavoir, Elizabeth le Feron, mariée en 1651. à Jacques Estuart, Marquis de Saint Maigrin, Capitaine Lieutenant des Chevaux Legers de la Garde, & Lieutenant General des Armées du Roy, tué le 2. Juillet de l’an 1652. au combat de la Porte saint Antoine, & en 1655. avec Charles d’Albert d’Ailly, Duc de Chaunes, Pair de France, Gouverneur de Bretagne, & ensuite de Guienne, deux fois Ambassadeur à Rome, & mort en 1698. Madame la Duchesse de Chaunes mourut le 6. Mars de l’année suivante ; ainsi elle estoit sœur uterine de Mr le Marquis de la Frette, qui vient de mourir. La Maison de Gruel est une des plus anciennes de Poitou & de la Marche ; elle y est alliée aux plus considerables de ces Provinces, elle y a soûtenu la grandeur de son origine par de grands biens, de grandes dignitez, & par de hautes alliances. Feu Mr le Marquis de la Frette, pere de celuy qui vient de mourir, avoit passé une partie de sa vie dans le service, où il s’estoit distingué par un grand nombre d’actions de valeur. Ses enfans ont suivy de si glorieux exemples, & ils n’ont pas moins marqué de fermeté dans toutes les actions où ils se sont trouvez. Celuy dont je vous apprens la mort herita en 1699. de Madame la Duchesse de Chaunes sa sœur, morte sans enfans. La Maison de Gruel a formé diverses branches, qui sont presque toutes éteintes. Elles ont produit en differens temps de grands hommes dans l’Eglise & dans l’épée. Barthelemy de Gruel fut tres-celebre par ses faits d’armes sous Henry II. & il se distingua beaucoup au Siege de Mets.

Messire Jean de Tirmois, Chevalier Seigneur d’Herqueville, Soûdoyen des Conseillers du Parlement de Rouen, est mort âgé de 88. ans, aprés avoir raporté deux Procez le jour precedent : il avoit beaucoup de capacité & de probité : il estoit d’une ancienne noblesse, & le chef de sa famille vint de Bretagne s’établir en Normandie en 1370.

Me Gargam Veuve de Mre Pierre de Larche, President aux Enquêtes du Parlement, est morte âgée de plus de 90. ans, ayant conservé le parfait usage de sa raison jusqu’à son dernier soupir. Elle avoit passé sa vie dans l’exercice des vertus Chrétiennes ; elle étoit tres-officieuse amie. Sa famille qui est originaire de Champagne, a produit beaucoup de gens de lettres.

Mrs de Gargam sont alliez à Mrs de Couion originaires de la même Province de Champagne, & à Mrs Jubert de Bouville. Feu Mr le President de Larche étoit un des plus habiles Magistrats du Parlement de Paris. Il s’étoit acquis une estime universelle par sa probité par son desinteressement & par l’étenduë de ses lumieres.

Le Pere Charles le Gobien de la Compagnie de Jesus est mort dans la Maison professe des Jesuites de cette ville âgé de 57. ans ou environ ; il étoit de Saint Malo, & d’une Maison assez considerable. Il entra jeune dans la Compagnie de Jesus, & il s’y distingua bien-tôt par sa vertu & son zele, pour la sanctification du prochain encore plus que par son esprit. Il travailloit particulierement à la Propagation de la Foy Catholique ; il a travaillé sans relâche pendant tout le cours de sa vie à un aussi saint ouvrage. Il a fait un Recueil de huit volumes de Lettres pieuses & édifiantes, écrites par les Missionaires de sa Compagnie dans l’Orient. Dans le huitiéme Recueil publié dans le temps que le Pere le Gobien est mort ce zelé Religieux a donné de pieuses & judicieuses reflexions sur la conduite des Missionnaires dans l’Empire de la Chine & des Remarques sur la maniere dont les étrangers y sont reçus & doivent s’y conduire ; on ne peut rien voir de plus édifiant ny qui réponde mieux au titre de ce Recueil. La Preface du 1. Volume, qui est tres-belle & tres-curieuse, renferme la vie du Pere Verjus qui a passé la plus grande partie de sa vie à travailler au progrés ou à l’entretien des Missions de l’Orient. On y trouve des choses tres-interessantes qui regardent ce Pere, qui étoit frere de Mr de Crecy Plenipotentiaire à Nimegue & à Riswik. Le le P. Gobien n’étoit pas le seul sçavant de sa famille, N… le Gobien qui vivoit dans le dernier siecle, & dont divers Auteurs ont parlé avec éloge, luy a fait beaucoup d’honneur.

Je dois ajouter que dans les Lettres recueillies par le Pere le Gobien dont je viens de vous parler ; on trouve l’Histoire de l’établissement de deux nouvelles Missions dans l’Amerique Meridionale, & l’Histoire de la découverte des Isles Marianes qu’on ne connoissoit presque point il y a quelques années, & il y rapporte avec une grande exactitude, tout ce qui s’y est passé depuis que les Missionnaires y ont penetré.

Mr de la Ruë Capitaine de vaisseau, qui fut emporté d’un boulet de canon dans une des dernieres actions qui se sont passées sur mer, avoit épousé Mlle Gobien, niece du Jesuite dont je vous apprens la mort, & fille de son frere aîné, qui étoit chef d’une Maison qualifiée de S. Malo.

Le Pere Dom Sanlecque, Prieur de la Chartreuse de Luny, est mort dans de vifs sentimens de pieté. Il avoit esté Procureur de celle de Paris pendant prés de 35. ans, & il en a gouverné le temporel avec beaucoup de succés. Ce Religieux estoit recommandable par sa vertu & par ses talens. Il sçavoit les belles Lettres, & il excelloit dans la partie de la Physique qui regarde les Mechaniques. Il fut tiré il y a 4. ou 5. ans de la Chartreuse de Paris pour gouverner celle de Luny en Champagne, proche la ville de Langres. C’est dans cette mesme Chartreuse qui subsistoit déja dans le 13e siecle, que le fameux Imposteur Tilon Colup, qui se faisoit passer dans ce siecle-là pour l’Empereur Frederic II. excommunié au premier Concile general de Lyon, & mort en 1270. supposoit s’estre sauvé en 1268. aprés que Charles d’Anjou Roy de Naples, y eut fait trancher la teste à Conradin son pretendu petit fils. Il disoit pour colorer son imposture que s’appercevant qu’on vouloit attenter à sa vie, il resolut de s’enfermer dans un Monastere, & que par le secours d’un Serviteur fidele, il estoit entré dans la Chartreuse de Squillace en Calabre, sous un nom supposé, en qualité de Frere Oblat, & de-là qu’il estoit passé en celle de Luny en Champagne. L’Empereur Rodolphe I. chef de la Maison d’Autriche l’ayant enfin en des Habitans de Nuys, chez lesquels il s’estoit refugié, le fit brûler. Le Pere Dom Sanlecque estoit cousin germain du fameux Pere Sanlecque, Chanoine Regulier de saint Augustin, de la Congregation de sainte Geneviéve, connu par ses talens, sur tout par celuy qu’il a pour la Poësie, & qui avoit esté nommé à l’Evêché de Bethléem par feu Mr le Duc de Nevers son amy ; mais qui ne jugea pas à propos de profiter de cette grace.

Mr le Comte Leopold de Lobcowitz, Chambellan de l’Empereur, est mort à Vienne dans de grands sentimens de pieté. Il a esté fort regreté de cette Cour ; ses manieres polies, sa generosité & la vertu dont il avoit fait toute sa vie une exacte profession, l’y avoient fait generalement estimer. Il estoit d’une tres grande Maison, originaire de Silesie, & qui avoit produit en divers temps de grands Hommes dans le Ministere & dans l’Epée. Ce Comte avoit porté les armes une partie de sa vie, & il avoit donné des preuves de sa valeur dans les guerres de Hongrie, où il s’estoit signalé pour le service de l’Empereur son Maistre. Il estoit fort amy de feu Mr Brockuys, tres-celebre Poëte Latin, & dont on vend à present en Hollande la nombreuse Bibliotheque. Il estoit aussi amy de Mr Hofman, fameux Medecin, & un des ornemens de la Cour de Berlin, qui vient de publier depuis peu des Dissertations choisies sur la Physique & sur la Medecine. Il y avoit peu de Sçavans en Allemagne qui n’eussent des liaisons particulieres avec ce Seigneur, qui s’appliquoit à faire connoître leur merite, & à leur procurer les graces qui pouvoient dépendre de son ministere. Il avoit esté un peu mêlé dans la querelle de Mr le Marquis Orsi, qui a fait depuis peu des Remarques sur la maniere de bien penser, sur les Ouvrages d’esprit du Pere Bouhours.

Mre Loüis Dessalles, Seigneur des Vouthons, est mort âgé de prés de quatre-vingts ans dans son Château de Condé en Lorraine. Il étoit Bailli d’Epinal, & Conseiller d’Etat de S.A.R. Monsieur le Duc de Lorraine. Ce Comte avoit porté les armes avec beaucoup de distinction. Il avoit esté Lieutenant Colonel du Regiment de Marsin, & il avoit exercé pendant 2. Campagnes la Charge de Maréchal des logis de la Cavalerie de France en Catalogne, sçavoir en 1673. & en 1674.

La Maison Dessales est une des plus anciennes du Royaume ; elle est originaire du Bearn. Antoine Dessalles vivoit sous les regnes de Charles VII. & de Loüis XI. Pierre Dessales son fils fut nommé Page de la Chambre de Loüis XI. & il se trouva en l’année 1467. à la Bataille de Montlhery ; en 1477. il se trouva à celle de Nancy où il vit perir le Duc de Bourgogne Charles le Guerrier. Il épousa en l’année 1490. en premieres nôces Dame Nicole de Vernancourt de Gombervaux. Philippe Dessales l’un des plus vaillans hommes du seiziéme siecle fut marié aussi 2. fois ; Renée d’Haussonville-Vaubecourt grande tante de feu Mr le Comte de Vaubecourt, & de Mr l’Evêque de Montauban fut sa seconde femme ; il l’épousa en 1755. il en eut 6. enfans, dont Jean Dessalles fut l’aîné. Ce dernier fut dans une grande consideration à la Cour de Lorraine ; Charles III. Duc de Lorraine le fit Conseiller d’Etat, & luy donna la qualité de Chambellan. Christophle Dessalles luy succeda, & fut de plus Gouverneur de Vitri. Claude Dessales Maréchal de Camp sous le Regne d’Henri IV. en descendoit ; il suivit ce Monarque dans toutes ses Campagnes, & le servit avec une fidelité inviolable. Henri Dessales son fils fut Guidon des Gendarmes de Mr le Duc de Boüillon grandpere de celuy qui porte aujourd’huy ce nom, & il épousa Dame Elizabeth de Meraude, niece & heritiere de feu Mr l’Electeur de Treves & de la même Maison que Mlle de Meraude qui a épousé depuis environ un an Mr le Marquis de Plancy-Guenegaud. Henry Dessalles eut de cette Dame neuf enfans, du nombre desquels étoit Henry Dessales, Seigneur des Vouthons qui de Marie-Magdelaine d’Aubry eut Mr le Comte Dessales qui vient de mourir, & qui étoit allié aux meilleures Maisons de Lorraine & de France. Mr Dessales est mort dans grands sentimens de Religion ; il s’est preparé à la mort pendant plus d’une année, & durant tout ce temps-là il n’a voulu entendre parler que des choses qui avoient rapport à son salut. De si saintes dispositions ont esté suivies d’une mort bien Chrétienne & bien édifiante. Ses dernieres paroles ont esté remplies d’expressions du plus vif amour de Dieu, & quoi qu’il n’eût aucun goût pour la spiritualité pendant sa vie, on peut dire qu’il en a pris tout d’un coup dans ses derniers jours l’esprit & les maximes. Mr le Duc de Lorraine & Mr l’Evêque d’Osnabrug son frere ont parlé à l’occasion de cette mort d’une maniere qui fait beaucoup d’honneur à cette Maison.

Mr l’Abbé Miloni est mort depuis quelque temps en Italie. Il estoit celebre par sa sagesse & par l’égalité de ses mœurs. On le consultoit de toutes parts sur la conduite de la vie, & personne ne pensoit plus juste que luy sur la morale. On a publié depuis sa mort à Rome, un Livre Italien de sa composition, qui a pour titre : Les Consolations de la Vieillesse, dediées à Mr le Cardinal Colloredo, ami particulier de cet Abbé. Ce judicieux Auteur fait voir dans les deux parties de cet ouvrage tout ce que Dieu, comme Auteur de la nature, fournit d’avantageux à la Vieillesse, & tout ce qu’il y répand de benedictions, comme Auteur de la grace. On voit par là selon le Plan de cet Abbé, que la foiblesse de ceux qui, parvenus au periode de leur vie, en trouvent le fardeau, pesant, & l’on y prépare les autres, qui jeunes encore ne l’envisagent qu’avec crainte, quoy qu’ils souhaitent d’y arriver.

Ciceron n’a l’avantage sur Mr l’Abbé Miloni dans l’ouvrage excellent qu’il a fait sur la Vieillesse, que l’ancienneté ; car cet Abbé pousse aussi loin ses raisonnemens & ses reflexions sur les avantages & les douceurs de la Vieillesse, que l’Orateur Romain.

Mr l’Abbé Miloni estoit fort lié avec Mr Berenga de Boulogne, & il engagea autrefois cet illustre Italien à travailler à son Proseo Secretario. Mr Miloni travailloit lorsqu’il est mort, à accommoder Mr Dini, Podestat de Boulogne, & Mr Tedeschi, qui estoient aux prises il y a long-temps sur les bornes de la Jurisdiction de cette Ville. Mr l’Abbé Miloni engagea aussi, il y à quelques années, Mr Fabricius d’Hambourg à faire imprimer les Prefaces & les Epitres de Grœvius, qu’il avoit entre les mains depuis la mort de ce dernier. Il engagea aussi Mr Valdschmidt premier Medecin du Landgrave de Hesse, connu par son attachement pour la Philosophie Cartesienne, à donner une édition plus ample & plus correcte de ses ouvrages, & qui a esté depuis publiée à Francfort, aux dépens de Frederic Knochius, celebre Libraire de cette Ville. Il n’y avoit pas long-temps que Mr Miloni, lorsqu’il est mort, avoit envoyé des Memoires à Mr Ouerbeck en Hollande pour les inserer dans sa description des Monumens antiques de Rome, gravez sur les Desseins levez à Rome même, par son cousin feu Mr Ouerbeck en Hollande, Peintre distingué. On n’a rien vû encore de plus exact sur cette matiere. Mr de Barbeyrac qui a donné une Traduction Françoise des Sermons de feu Mr Tillolson Archevêque de Cantorbery, estoit un des meilleurs amis de Mr Miloni ; ils s’étoient souvent visitez, & s’estoient mutuellement fait part de leurs lumieres ; & c’est à la priere de ces deux illustres amis que Mr Leydeker avoit enfin pris la résolution de rendre public son second tome de la Republique les Hebreux, où il traite de l’état des Juifs depuis le Schisme de Jeroboam jusqu’à la ruine de Jerusalem par Titus, frere de Domitien & fils de Vespasien. Mr Masson, qui a donné depuis peu la vie d’Ovide tirée de ses ouvrages, & distribuée par années sur le même Plan qu’il avoit fait celle d’Horace, avoit voulu la dedier à Mr l’Abbé Miloni, qui ne voulut point consentir à recevoir cet honneur, quelques instances que ses amis & ceux de Mr Masson luy pussent faire sur ce sujet : & il donne en cette occasion une preuve de l’humilité qui a toûjours esté sa vertu dominante. Jamais homme, en effet, n’a plus cherché à se cacher que Mr Miloni, il estoit tellement ennemi des loüanges, qu’il suffisoit de luy en donner par écrit, ou de vive voix, pour n’estre plus de ses amis ; & tous ceux qui faisoient profession d’en estre, avoient sur cela une circonspection singuliere. Il a fait usage de cette vertu jusqu’au dernier moment de sa vie : ses dispositions testamentaires en font voir des preuves qui luy font beaucoup d’honneur, & qui sont tres-propres à édifier ceux qui les verront.

[Avertissement donné par Mrs de l’Academie des Jeux Floraux] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 202-213.

 

Je vous ay promis de vous envoyer l’Avertissement touchant les Prix que l’Academie des Jeux Floraux doit distribuer l’année prochaine. Voicy ce qu’elle a fait imprimer sur ce sujet.

L’ACADEMIE DES JEUX FLORAUX.

L’Academie des Jeux Floraux fait sçavoir au Public que le troisiéme jour du mois de May de l’année 1709. Elle distribuera les quatre Prix ou Fleurs qu’elle doit donner chaque année.

Le premier est une Amaranthe d’or de la valeur de quatre cens livres, qui sera adjugé à une Ode.

Le second est une Violette d’argent de la valeur de deux cens cinquante livres, qui sera adjugé à un Poëme de soixantes Vers au moins, & de cent Vers au plus, tous Alexandrins & suivis, ou à Rimes plates, dont le sujet doit être heroïque.

Le troisiéme est une Eglantine d’argent du prix de 250. livres, qui sera adjugé à une Piece de Prose d’un quart d’heure, ou d’une petite demie heure de lecture, dont l’Academie des Jeux Floraux publiera toutes les années le sujet, qui sera pour l’année prochaine 1709.

l’Incertitude de l’avenir est un bien qui n’est pas assez connu.

Le quatriéme Prix est un Souci d’argent de la valeur de deux cent livres : on le donnera à une Elegie, à une Eglogue, ou à une Idylle.

Avec ces quatres Prix, on distribuera encore en même temps les deux Prix qui avoient esté destinez l’année presente pour le Poëme & pour la Prose, & qui n’ont pas été adjugez.

Le sujet de toutes les sortes de Poësie qui peuvent prétendre à ces Prix, sera au choix des Auteurs.

À l’égard des Vers, ils doivent être reguliers, & n’avoir rien de burlesque, de satirique, ni d’indecent.

Toutes personnes de quelque qualité & pays qu’elles soient, de l’un & l’autre sexe, pourront aspirer aux Prix.

Les Auteurs qui y prétendront, feront remettre leurs Ouvrages dans tout le mois de Janvier de de l’année 1709. lequel étant expiré, on n’en recevra plus.

Il faudra qu’on s’adresse à Mr de Lafaille, Secretaire perpetuel des Jeux Floraux, qui loge à la Place saint George.

Les Auteurs ne mettront point leur nom à leurs Ouvrages, mais seulement une sentence, & ils prendront les précautions necessaires pour n’en être pas reconnus & nommez dans le Public comme Auteurs, avant que les Ouvrages n’ayent été examinez & jugez.

Le Secretaire des Jeux en écrira la reception sur un Registre, où il mettra le nom, la qualité & la demeure des Personnes qui luy auront délivré les Ouvrages ; lesquels signeront le Registre, & en même temps en recevront un recepissé. Les Auteurs seront obligez de luy fournir trois copies pareilles & bien lisibles de chacun de leurs Ouvrages.

On avertit de nouveau les Auteurs de ne se point faire connoître avant la distribution des Prix, & de s’abstenir de toute sollicitation ; le Statut de l’Academie exclut du Prix tout Ouvrage pour lequel on aura sollicité. Il a été executé cette année, le cas s’étant presenté, afin d’empêcher les Auteurs de contrevenir à cette loi : c’est au sujet d’une Ode, qui par son merite devoit être examinée dans le Bureau general, & qui ne l’a pas été par cette seule raison, que l’Auteur s’étoit fait connoître à des Juges, & les avoit sollicitez.

On avertit encore que c’est une loi de l’Academie de n’adjuger les Prix qu’à des Ouvrages nouveaux, & d’exclure ceux qu’on reconnoîtra avoir déja paru : que les Auteurs qui font courir leurs Ouvrages avant qu’ils soient examinez & jugez, contreviennent à cette loi : qu’à l’avenir un Ouvrage dont il aura couru des copies dans le Public, ne sera pas regardé comme nouveau, & qu’il sera exclus du Prix.

Les Ouvrages qu’on découvrira n’avoir pas été faits par celuy qui s’en dira l’Auteur, seront aussi exclus du Prix. C’est un des Statuts de l’Academie. On avertit donc les Auteurs de qui les Ouvrages auront remporté de Prix, qu’ils seront obligez pour les recevoir de se presenter eux-mêmes l’aprés-midy du troisiéme jour du mois de Mai, s’ils sont dans la Ville de Toulouse ; & en ce cas on leur délivrera les Prix dés qu’ils se presenteront ; que s’ils sont étrangers & hors de portée de venir les recevoir eux-mêmes, ils seront obligez d’envoyer à une personne domiciliée à Toulouse une Procuration en bonne forme pour la remettre à Mr de Lafaille, avec le recepissé qu’il aura fait de l’Ouvrage.

Aprés que les Auteurs se seront fait connoître on leur donnera des attestations, portant qu’un tel, une telle année, pour un tel Ouvrage par luy composé, a remporté un tel Prix ; & l’Ouvrage en Original y sera attaché sous le contrescel de Jeux. Un même Auteur ne pourra neanmoins avoir le même Prix que trois fois en sa vie ; mais il poura les avoir tous, ou plusieurs en une même année.

Celuy qui aura remporté trois Prix, l’un desquels sera l’Amarante, pourra obtenir des Lettres de Maître ; & il sera toute sa vie du Corps des Jeux Floraux, avec droit d’assister & d’opiner comme Juge, avec le Chancelier, les Mainteneurs, & les autres Maistres, aux Assemblées publiques & particulieres qui regarderont le jugement des Ouvrages, & l’adjudication des Prix.

On avertit aussi que ceux qui remettront au Bureau de la Poste des Paquets adressez à Monsieur le Secretaire des Jeux, les doivent affranchir, s’ils veulent qu’on les retire : sans cette précaution ils doivent être assurez qu’on laissera leurs Paquets au Bureau. D’ailleurs pour ce qui regarde les Ouvrages qu’on envoyera pour les Prix, il est necessaire de se servir de la voye de quelque habitant de Toulouse, qui remette les Ouvrages, & en retire le recepissé de Monsieur le Secretaire, pour éviter l’embarras qui surviendroit, si une Piece ainsi remise par le Courrier à droiture à Monsieur le Secretaire, venoit à être jugée digne du Prix ; parce qu’on ne sçauroit à qui le délivrer.

[Querelle terminée entre deux beaux Esprits] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 213-217.

 

En finissant il y a deux mois, l’article dans lequel je vous entretins de ce qui s’estoit passé cette année à l’Academie des Jeux Floraux, à l’occasion de la distribution des Prix ; je vous parlay d’une querelle qui regardoit deux hommes d’esprit connus & estimez par leurs ouvrages. Cette querelle a esté terminée au gré des Parties interessées. Le prix de l’Ode n’avoit aucune part au demêlé, & quelque belle que fût celle de Mr l’Abbé de Maumenet, il ne pouvoit y prétendre à cause du tort qu’on luy avoit fait en imprimant son Ode dans le temps qu’il l’envoyoit à Toulouse. On sçait que l’Academie des Jeux Floraux rejette tous les Ouvrages imprimez ; cependant il y a lieu de croire que cette Ode qui est à la gloire de Son Altesse Royale le Mr Duc d’Orleans, étoit fort du goût des Juges, puisqu’ils firent examiner avec attention s’il étoit vrai qu’elle eût été imprimée, ce qui ne se trouva que trop veritable pour cet Abbé, qui est en possession de faire de tres-beaux Ouvrages, & de remporter des Prix. Cet examen luy donne lieu de se consoler de n’avoir pas remporté le Prix qui auroit pû être dû à son Ode, ainsi que l’approbation que l’on donne à tous ses Ouvrages. Il vient de faire une Ode nouvelle sur la prise de Tortose qui ne doit pas être trouvée moins belle que celle que l’on a fait imprimer à son insçû, puisque tout ce que fait cet Abbé part d’un genie élevé. L’Ode qui a remporté cette année le Prix à Toulouse pouvoit certainement le meriter ; mais celle de Mr l’Abbé de Maumenet seroit assurement entrée en concurrence. On verra l’année prochaine lequel l’emportera de ces deux illustres concurrens.

[Dictionnaire Historique & Geographique] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 222-229.

 

Enfin vous allez estre contente ; le Dictionaire Historique & Geographique dont vous m’avez demandé des nouvelles tant de fois, est sur le point de paroistre, & vous pourez juger par vous-même dans le mois d’Octobre prochain, s’il répond à l’attente que vos amis vous en font avoir depuis plus de deux ans que le sieur Coignard Imprimeur & Libraire ordinaire du Roy, en a commencé l’impression ; il sera bien difficile que cela n’arrive pas, puisqu’outre une ample & forte exacte description de ce qu’il y a de lieux remarquables dans toute la terre ; vous y trouverez ce qui a toûjours fait un de vos plus grands divertissemens, pendant les heures que vous avez bien voulu donner à la lecture, je veux dire, les mœurs & les coûtumes des Peuples, que de vastes mers separent de nous ; leur Religion ; leur maniere de s’habiller ; les ceremonies qu’ils observent quand ils se marient, ou quand ils enterrent leurs morts, & quantité d’autres choses extraordinaires, qui frappent & amusent d’autant plus l’esprit, qu’elles sont tout-à-fait hors de nos usages. Ce Dictionnaire est divisé en trois gros Volumes in folio. Quand vous l’aurez, vous pourrez dire que vous vous serez fait une petite Biblioteque des livres des plus fameux Voyageurs, tels que Thevenot, Tavernier, Olearius, Mandeslo, Bernier, Chardin, Doubdan, Jean Scruys, Coppin, Thomas Gage, Dampier & plusieurs autres, qui nous ont donné des Relations particulieres de ce qu’ils ont vû en certains Pays, où la curiosité les a fait aller. Ce que les Ambassades des Hollandois à la Chine & au Japon contiennent de singulier, n’est pas oublié dans ce grand Ouvrage.

Quant à l’historique, il y est mêlé abondamment, par rapport à ce qui s’est passé de plus digne d’estre sçeu dans tous les lieux dont il est fait mention ; & ce qui vous fera sans doute plaisir, est qu’il n’y a aucun Royaume en Europe, dont l’article ne soit accompagné d’un Extrait de la vie de tous les Rois qui l’ont gouverné. Vous trouverez ce même Extrait de la vie de quantité de grands Hommes dans les articles des Villes & Bourgs qui ont esté leur Patrie. Il n’y a personne qui ne soit bien aise de sçavoir en quel temps ils ont vécu, & par quel heureux talent ils ont merité la gloire de ne pas mourir entierement. Mr de Corneille ne pouvoit marquer mieux son zele pour le Public, qu’en finissant sa carriere par un Ouvrage, qui doit faciliter à ceux qui le liront, la connoissance de mille choses qu’il est bon de sçavoir, au moins superficiellement, & qu’ils ne pourroient trouver dans les Auteurs qui en ont traité, qu’avec de longues & penibles recherches. Il a employé à les faire, plus de quinze années d’un travail presque sans relâche, & vous jugez bien qu’il n’a pû en venir à bout, ni mettre tant de diverses matieres en ordre alphabetique, comme il s’est attaché à les ranger, qu’en lisant avec une extrême application une infinité de Volumes de toutes sortes, où elles sont répanduës confusément, & presqu’inutilement pour la plûpart de ceux que le soin de leur fortune & l’embarras de leurs affaires ne laissent pas en pouvoir de s’adonner à une étude un peu serieuse. Ainsi je puis asseurer, sans craindre de dire trop sur l’utilité de son Dictionnaire Universel, en ce qui regarde la Geographie ; qu’il surpasse de beaucoup ceux qui ont esté faits jusques-à-present, non seulement pour la quantité d’articles qui ne sont dans aucun autre ; mais encore pour les circonstances qui en rendent le détail plus étendu, & par consequent plus curieux & plus agreable.

[Fête de la Couronne d’épines de Nôtre Seigneur, celebrée à la Sainte Chapelle] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 236-241.

 

Le Samedy 11. d’Aoust on celebra dans la Chapelle du Palais la Fête de la Couronne d’Epines de Nôtre-Seigneur, qu’on y a exposée ce jour-là à la veneration des Fidéles ; les Peres Jacobins du Grand Convent de la ruë S. Jacques s’y rendirent en Procession, & ils y officierent avec beaucoup de pompe. Peu de personnes sçachant l’origine de ce Droit attaché à l’Ordre de Saint Dominique ; j’ay cru qu’on seroit bien aise d’en trouver icy un détail. Lorsque Saint Loüis eût fondé la Sainte Chapelle du Palais, il resolut de l’orner des plus belles Reliques qu’il pourroit trouver. Il sçavoit que la Couronne d’Epines étoit entre les mains des Empereurs Grecs de Constantinople ; il leur en fit demander une portion, qu’il obtint par la negotiation de deux Religieux de l’Ordre de Saint Dominique, qui se rendirent exprés à Constantinople pour obtenir ce précieux Vestige de la Redemption des hommes. Ces deux Religieux, chargez de ce sacré Dépôt, vinrent eux-même l’apporter au saint Roy de France, qui leur sçût tant de gré du succez de leur negotiation, & de la peine qu’ils avoient prise d’avoir apporté cette Relique en France, qu’à leur consideration, & pour conserver à la posterité la memoire d’un Don si considerable, fait par l’entreprise de deux Religieux de saint Dominique, il accorda à leur Ordre le droit d’officier à la Sainte Chapelle le jour de la Fête de cette Relique, qui fut fixée au 11e. d’Aoust. Les Religieux du Convent de la ruë saint Jacques, qui est le plus ancien des trois qui sont en cette Ville, se rendirent à l’ordinaire à la Sainte Chapelle, & ils y chanterent une grande Messe, pendant que le Chapitre qui leur avoit quitté la place, en chantoit une dans la Sainte Chapelle basse ; & dans la Procession qui se fit autour de ces deux Eglises, les Religieux y assisterent, suivis des Chanoines, & on y porta la Sainte Epine avec beaucoup de pompe. Le Pere Bonnefoy Jacobin prescha : (c’est toûjours un Religieux de cet Ordre qui presche le jour de cette Ceremonie) son Discours fut fort applaudi. Aprés avoir fait l’Histoire de la Relique, & un détail circonstancié de tous les hazards qu’elle avoit couru avant que de tomber entre les mains du Roy Saint Loüis ; il s’étendit sur les merites de la Passion, dont elle avoit esté un des plus terribles instrumens ; tout ce qu’il dit sur ce sujet fut tres touchant & tres recherché, & la morale qu’il en tira ne le fut pas moins ; il déplora d’une maniere fort vive, les excés & les desordres qui rendent tous les jours les merites de cette Passion inutiles.

[Détail aussi exact que curieux de tout ce qui s’est passé à Gand, lorsque Monseigneur le Duc de Bourgogne y a fait chanter le Te Deum pour remercier Dieu de la prise de Tortose] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 248-262.

 

Je passe au Camp de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je vous ay fait voir dans le Supplément de ma derniere Lettre, tout ce que ce Prince a fait depuis le jour du Combat d’Oudenarde, jusqu’au commencement de ce mois. Il s’est donné jusqu’au 10e. tous les soins que les plus grands Generaux ont accoûtumé de se donner ; & quoique son Armée n’ait fait aucun mouvement, ce Prince n’a pas laissé d’estre dans une agitation perpetuelle, allant sans cesse visiter tous les Quartiers de l’Armée, s’informant de toutes choses, donnant des ordres fort à propos, envoyant des partis, tenant des Conseils, écrivant fort souvent, & au milieu de tous ces soins, faisant souvent ses devotions pour obtenir du Dieu des Armées qu’il répande ses benedictions sur celle que le Roy a commise à sa prudence & à sa valeur.

Ce Prince alla le 10. à Gand pour y faire chanter le Te Deum en action de graces de la prise de Tortose. Ce qui se passa à cette occasion est digne d’estre sçu ; mais cependant vous n’en auriez pas un détail parfait si je n’avois pris soin d’en faire une Relation complette, tirée de quatre Lettres differentes, dont chacune rapporte des circonstances qui ne se trouvent point dans les autres, & cependant je ne vous répons pas qu’aprés avoir pris de si grands soins, il ne manque encore quelque chose à cette Relation dont la lecture doit neanmoins vous faire beaucoup de plaisir.

Le 10. Monseigneur le Duc de Bourgogne, Monseigneur le Duc de Berry, & Monsieur le Chevalier de saint Georges monterent à cheval à neuf heures du matin pour se rendre à Gand où ils arriverent environ sur les 11. heures.

Tous les Bourguemestres & les autres Magistrats, accompagnez de cent des plus notables Bourgeois qui tenoient chacun un flambeau de cire blanche allumé, s’estoient rendus en deçà du Glacis pour y recevoir Monseigneur le Duc de Bourgogne, & pour presenter le Dais à ce Prince ; il estoit de velours cramoisi, orné de crépines & de galons d’or, & soûtenu par dix des principaux Magistrats qui le devoient porter ; Mais Monseigneur le Duc de Bourgogne les remercia en refusant l’honneur qu’on vouloit luy faire.

Il entra ensuite dans la Ville au son d’un grand nombre d’instruments ; le canon dont on avoit resolu de faire plusieurs salves, ne se fit point entendre, ce Prince l’ayant ainsi souhaité, parce que les blessez qui estoient dans la place auroient pû en estre incommodez.

La marche qui commença par deux Escadrons des Gardes du Corps, fut fermée par deux autres Escadrons du même Corps.

Les ruës estoient tenduës des plus belles étoffes de Perse & des Indes, & garnies de feüillages avec un rang de Caisses garnies d’orangers de chaque costé ; toutes les fenestres estoient remplies de Dames dont les parures donnoient un nouvel éclat à la feste.

Les Bourgeois qui avoient pris les armes, & dont on fait monter le nombre à 12. ou 1 5000. hommes, bordoient toutes les ruës.

Il y avoit un homme au haut d’un des principaux clochers de la ville, assis sur un Dragon ; il tenoit un Drapeau avec lequel il joüa avec beaucoup d’adresse dans le temps que Monseigneur le Duc de Bourgogne commença à paroistre dans la Ville, en criant Vive le Roy, & tout le peuple dont l’affluence estoit fort grande, luy répondit avec des acclamations de Vive le Roy si souvent reïterées, que ce concert d’allegresse dura pendant toute la marche, qui finit à 11. heures & demie que l’on arriva à l’Eglise de Saint Baüon, Cathedrale de la Ville.

Mr l’Evêque de Gand qui n’est pas moins venerable par son âge que par sa dignité d’Evêque, attendoit Monseigneur le Duc de Bourgogne à la porte de cette Eglise, accompagné de tout son Clergé ; il fit un compliment à ce Prince, & luy presenta le Livre des Evangiles à baiser.

Monseigneur le Duc de Bourgogne, les Tambours des Cens-Suisses battant de la même maniere qu’ils font lorsque le Roy va à la Messe, ayant ensuite traversé l’Eglise au milieu d’un grand nombre de personnes de distinction & d’une grande foule de peuple, entra dans le chœur & se plaça sur le Prie-Dieu qui luy avoit esté preparé au haut du même chœur.

Mr l’Evêque de Gand commença ensuite une grande messe de la Trinité qui fut chantée en musique ; les voix furent trouvées tres-agreables, & la musique plut beaucoup.

La messe estant finie, le Chantre de cette Cathedrale estant au bout de l’Autel, annonça en latin & à haute voix, un mandement du Pape qui ordonnoit des prieres pour la prosperité de ses Armées.

Le Te Deum ayant aprés cette lecture esté entonné par Mr l’Evêque, fut continué par la Musique.

Toute la Ceremonie estant finie, Monseigneur le Duc de Bourgogne sortit dans le même ordre qu’il y estoit entré, & alla à l’Hostel de Ville où ses Officiers luy avoient preparé à dîné aux dépens de Mrs de Gand.

Le devant & les costez de l’Hostel de Ville estoient ornez de rameaux verds entre-mêlez de grands flambeaux de cire blanche allumez.

La Tapisserie du lieu où l’on devoit manger estoit de velours cramoisy, sur laquelle on avoit placé plusieurs Tableaux de distance en distance, entre lesquels estoient plusieurs bras garnis de bougies allumées ; mais si grandes qu’on auroit pû les prendre pour des cierges.

La Table estoit ovale, & le couvert qui faisoit beaucoup de plaisir à voir, se faisoit remarquer avec attention ; toutes les serviettes formoient differens animaux, dont les uns estoient aériens, & les autres aquatiques, & chaque espece d’animal étoit placé alternativement.

Le repas fut tres-magnifique ; on y servit de tres-beaux poissons, & le fruit fut trouvé admirable. La Symphonie se fit entendre pendant tout le repas, & fut trouvée fort bonne. Il seroit impossible de bien depeindre l’empressement que chacun marqua en cette occasion pour voir dîner Messeigneurs les Princes : toute la Salle se trouva remplie de tout ce qu’il y a de personnes considerables dans la ville de Gand. Monsieur le Chevalier de Saint George dîna avec Messeigneurs les Princes, avec lesquels plusieurs Officiers du premier rang Espagnols & François eurent l’honneur de manger.

Le repas fini, Monseigneur le Duc de Bourgogne monta à cheval pour aller au Château. Avant que ce Prince sortît de l’Hostel de ville, on renouvella les flambeaux des cent Notables Bourgeois, qui devoient encore accompagner ce Prince ; mais les ayant remerciez, ils le virent partir en le comblant de benedictions, & ce Prince se rendit au Château avec Monseigneur le Duc de Berry, & Monsieur le Chevalier de Saint George au milieu des acclamations publiques & des cris de joye de tout le peuple, qui ne pouvoit se lasser de les admirer.

Aprés qu’ils eurent visité tout le Château, ils remonterent à cheval aux cris redoublez de vive le Roy, & ils retournerent dans leur Camp, aussi satisfaits de leur voyage, que tout le grand peuple de Gand l’avoit esté de leur presence, & de leurs manieres honnêtes & engageantes.

[Mort de Mre Michel Gobert]* §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 274-277.

 

Mre Michel Gobert, Prestre, Chantre & Chanoine de la Sainte Chapelle de Paris, est mort âgé d’environ cinquante-cinq ans, aprés avoir mené une vie tout-à-fait édifiante. Il estoit d’une fort bonne famille de Paris & neveu de feu Mr Gobert, Maistre de la Musique du Roy, & aussi Chantre de la Sainte Chapelle. Sa Majesté pourvut à sa consideration son neveu, de ces deux Dignitez ; il faisoit dés lors de grands progrés dans les vertus qui conviennent le plus à un Ecclesiastique.

Mrs Gobert de Paris sont parens du celebre Gobert, riche Banquier de la Rochelle, qui obtint du Roy en 1655. des Lettres de Noblesse, & le Collier de l’Ordre de Saint Michel, à cause des services qu’il avoit rendus à Sa Majesté & à l’Etat.

La Dignité de Chantre de la Sainte Chapelle est élective par des Concessions particulieres des Rois predecesseurs de Sa Majesté, & particulierement de Philippes le Bel. Le Roy, qui regle toutes ses actions sur la plus exacte justice, croyant avoir droit de nommer à cette dignité comme aux autres, & aux Prebendes de cette Eglise, en consequence de la contestation que feu l’ancien Evêque de Coustances, Tresorier de la Sainte Chapelle, eut avec son Chapitre, s’en desista aprés la mort de ce Prelat, dés qu’on luy eut fait connoistre que sa prétention ne pouvoit avoir lieu, & depuis ce temps-là Mrs de la Sainte Chapelle ont nommé à cette Dignité, ainsi qu’ils le faisoient dans les siecles qui approchoient le plus de la fondation de leur Eglise. Ils ont élû, aprés la mort de Mr Gobert, Mr l’Abbé de Vauroüis, l’un des derniers Chanoines nommez par le Roy. Il est Docteur de Sorbonne, & joint à une naissance considerable un merite tres-distingué & une pieté singuliere. Sa Majesté luy avoit donné une Abbaye depuis quelques années.

Le Canonicat, vacant par la mort de Mr Gobert, a esté donné à Mr l’Abbé Vassal, Prestre du Diocese de Chartres, & Licentié de Sorbonne. Il est fils de Mr Vassal, Huissier du Cabinet du Roy. Il estoit de la derniere Licence dans laquelle il a paru avec distinction.

[Suite des marches de Son Altesse Royale depuis le Siege de Tortose, & ce qui s’est passé dans ces Marches] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 293-294.

 

Comme j’ay toûjours suivi pas à pas S.A.R. Monsieur le Duc d’Orleans, dans toutes les Relations qui se trouvent dans mes Lettres depuis que ce Prince est parti pour se rendre en Espagne, je tâcheray autant qu’il me sera possible de ne le pas perdre de vûë un seul jour dans toutes mes Lettres qui suivront celles dans lesquelles je vous ay parlé de luy. Je l’ay laissé au Te Deum que l’on chanta à Tortose le 19. du mois passé, pour rendre graces à Dieu de la prise de cette importante Place. Voyons tous les mouvemens de ce Prince depuis ce temps-là, & ceux de toute son armée.

Le 20. S.A.R. aprés avoit mis six Bataillons en garnison dans Tortose, fit partir une partie de l’Armée qui occupoit le Camp qu’il avoit formé prés de cette Place pour aller camper à Tibens, & l’Artillerie fut embarquée sur l’Ebre pour estre conduite à Miravet, & de là à Caspé. Mr le Chevalier d’Asfeld retourna dans le Royaume de Valence, avec les Troupes qu’il en avoit amenées, & que l’on renforça de quelques Regimens.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 369-372.

 

Les Notes de la Musique faisoient le sujet de l’Enigme du mois dernier, & cette Enigme s’estant trouvée fort difficile, elle n’a esté devinée que par tres-peu de personnes. Ce sont Mrs de la Fleutrerie ; B… Notaire ; Philippe Paradis, D.V. de Tours ; le Berger par excellence ; Castor & Pollux ; l’Enfant gasté, de la ruë saint Martin ; l’Amant rebuté, de la mesme ruë ; l’Amadis Moderne ; le Mechanicien, de Cour Cheverny en Sologne. Mlles l’Ami, & de Mareüil, du Fauxbourg S. Antoine ; la Jeune Muse renaissante, G.O. l’Amante d’Alexandre ; la plus jeune des belles Dames de la rue des Bernardins ; la Femme pucelle, du Quartier du Palais ; & la belle Gantoise.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Nous sommes quatre enfans aussi vieux que le monde,
Qui dans un vaste lieu d’une figure ronde,
Bâti sans aucuns fondemens,
Occupons quatre appartemens,
À quatre differentes estages,
Où le Pere commun en faisant nos partages
Nous mit aprés qu’il nous eut faits,
Pour suspendre l’effet d’une immortelle guerre
Capable de confondre & le Ciel & la terre,
Et nous faire joüir d’une durable paix.
***
Quoyque souvent prests à nous battre,
Mille & mille sujets nous renferment tous quatre,
Ce n’est que par nos bons accords
Que subsistent les plus beaux corps,
Ils sont tous composez du nôtre,
Et si quelqu’un de nous devient plus fort que l’autre
Dans la haute, moyenne, ou basse Region,
Par de funestes coups que l’on ne peut comprendre,
Nos ouvrages détruits & retournez en cendre,
Nous reprochent bien-tôt nôtre désunion.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1708 [tome 9], p. 372.

Je vous envoye une Chanson nouvelle, dont l’air & les paroles sont de Mr Thibaut.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par De vos rigueurs, doit regarder la page 372.
De vos rigueurs, ma Bergere,
Je me plaignois aux Echos.
Je soulageois ma misere
En leur apprenant mes maux ;
Mais, belle Iris, de nos plaisirs secrets
Je n’ay garde de les instruire ;
Les Echos sont des indiscrets,
Ames rivaux ils pourroient le redire.
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