1709

Mercure galant, juin 1709 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1709 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1709 [tome 6]. §

[Article concernant des détails tres-curieux à l’ocasion de ce qui s’est passé touchant la Descente de la Chasse de Sainte Geneviève, & rempli de faits qui n’ont point encore esté rendus Publics, tant à l’égard du Ceremonial que de beaucoup d’autres choses] §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 36-89.

Je passe de ce qui regarde un grand Pape, auquel les traverses dont il est accablé, feront meriter la vie éternelle, & conserver dans l’autre monde le nom de Saint, que la pluspart de ses Predecesseurs ont quitté dés celuy-ci. Je ne prétens pas condamner leur memoire, puisqu’il n’est pas necessaire d’estre Saint pour estre sauvé. Je passe, dis-je, de ce qui regarde un grand Pape, à ce qui regarde une Sainte Fille, & je viens à l’Article que je vous ay promis. Si je ne vous avois prevenuë sur cet Article, vous pourriez croire que je ne vais vous dire que des choses que le Public a vuës, & dont les oreilles ont esté fatiguées ; mais il est constant qu’il échape bien des choses de ce qu’on voit ; que l’on ne peut estre par tout quand une Ceremonie se passe en beaucoup d’endroits ausquels les Spectateurs ne peuvent estre, & que suposé même que cela se pust, & que malgré la confusion ils eussent bien remarqué tout ce qu’ils ont vû, ce qui est impossible, il s’y passe des choses dont les motifs sont ignorez, & qu’à l’égard de ce qui s’est publié, la pluspart des choses essentielles ont esté ignorées de ceux qui les ont données au Public. Ainsi ce que vous allez lire doit estre regardé comme un morceau d’Histoire, auquel la Posterité devra ajouter foy, & dont suivant les temps & les ocasions, elle tirera des lumieres dont elle pourra avoir besoin. Je passe donc à l’Article que je vous ay promis.

La Procession appellée de la Chasse de Sainte Geneviéve, s’est faite le 16. du mois de May dernier.

Cette grande Ceremonie ne se fait que dans des occasions importantes, & que par Arrest du Parlement, en consequence des ordres de la Cour ; la rigueur extrême de l’hiver dernier, avoit tellement endommagé les meilleures Terres du Royaume, que presque tous les bleds & autres grains qui avoient esté semez, pendant l’Automne avoient péri. Quoi que l’abondance des bleds dans le Royaume eust esté si grande les années precedentes, qu’elle étoit même à charge, cette ruine apparente de la recolte avoit cependant rendu les bleds si rares qu’ils estoient tout d’un coup montez à un prix excessif, & le Peuple qui avoit déja souffert beaucoup par une longue guerre, estoit reduit à une grande extremité. Dans cet estat déplorable il eut recours à la Patronne de Paris, son azile ordinaire, afin qu’elle pust par son intercession, obtenir de Dieu, & la Paix & du Pain. Le Roy toujours sensible aux besoins de son Peuple, & informé de la misere où il se trouvoit, ordonna que suivant les formalitez ordinaires, on acordast à ses vœux la Descente & Procession de la Chasse de Sainte Geneviéve, dont il a toûjours ressenty dans de pareilles extremitez des effets de son secours miraculeux. En consequence des ordres de Sa Majesté, le Parlement ordonna par Arrest du 8. May que pour se disposer à cette grande Ceremonie, la Chasse de Sainte Geneviéve seroit découverte. Mr Dongois, Greffier en Chef, fut député pour donner avis de cet Arrest aux Chanoines Reguliers, dépositaires de ce pretieux tresor. Ils y obeïrent si promptement que dés le lendemain 9e May jour de l’Ascension, la Chasse fut découverte & exposée à cinq heures du matin. L’affluence du Peuple fut prodigieuse ce jour-là, & continua les jours suivans, & tout le Clergé Regulier & Seculier de Paris & des environs, y vint en Procession.

Le Samedy 11. les Prevost des Marchands & Echevins allerent en Corps au Parlement, pour representer à la Cour la necessité d’avoir recours à la Descente & Procession de la Chasse, & la prier d’interposer son autorité pour cela. Mrs de Ville s’estant retirez, la Cour sur les Conclusions de Mr le Nain Avocat General, la grande Chambre & la Tournelle estant assemblées, rendit un Arrest qui portoit que pour les motifs qui y estoient énoncez, qui sont d’obtenir de Dieu par l’intercession de Sainte Geneviéve, la Paix & du Pain, la Chasse de cette Sainte seroit descenduë & portée en Procession solemnelle ; que la Cour y assisteroit en Robes rouges, & que le Procureur General du Roy donneroit avis dudit Arrest à l’Archevêque de Paris & à l’Abbé de Sainte Geneviéve, afin qu’ils pussent convenir ensemble du jour auquel la-dite Procession se pouroit faire, afin de le faire sçavoir ensuite à la Cour, aussi bien qu’aux autres Compagnies ; que le Lieutenant Civil & les autres Officiers du Chastelet seroient mandez pour leur enjoindre de veiller à la garde de la Chasse & de s’en charger en la maniere accoûtumée. Mr le Procureur General alla luy-même le lendemain matin donner avis de cet Arrest à Mr l’Abbé de Sainte Geneviéve. Cependant Mr le Cardinal de Noailles Archevêque de Paris, voulant donner à tout son Peuple l’exemple de la confiance & de la pieté avec laquelle il doit implorer l’intercession de sa Sainte Patrone, alla le Dimanche 12. May à l’Eglise de Sainte Geneviéve. Les Chanoines Reguliers le reçurent avec tous les honneurs dûs à sa personne & à son caractere. Il y celebra Pontificalement une Messe solemnelle à laquelle les Chanoines Reguliers de l’Abbaye luy servirent de Diacres, de Sous-diacres & d’autres Officiers, & ils la chanterent seuls. Mrs les Prevost des Marchands, Echevins, & autres representant le Corps de Ville, y assisterent. Aprés la Messe Mr le Cardinal, & Mrs les Prevost des Marchands & Echevins voulurent bien disner au Refectoir de l’Abbaye en Communauté.

Le Lundy 13 May l’Eglise de Paris accompagnée de ses quatre Filles, qui sont les Chapitres de Saint Mederic, de Saint Benoist, de Saint Estienne des Grecs, & du Saint Sepulchre, alla sur les neuf heures du matin à l’Eglise de Sainte Geneviéve. On y celebra, suivant l’ancienne coustume, une Messe Solemnelle qui fut dite par Mr le Chantre. La Messe estant finie, tous les Chanoines qui composent le Chapitre de Paris, se rendirent dans le Chapitre de l’Abbaye ; ils en occuperent le costé droit & les Chanoines Reguliers le costé gauche, & aprés que Mrs le Doyen & le Superieur de Sainte Geneviéve, en l’absence de l’Abbé, se furent assis aux places qui leurs avoient esté preparées, Mr le Doyen representa par un beau Discours aux Chanoines Reguliers la misere du peuple, le besoin extrême d’avoir recours à la puissante intercession de sa Sainte Patrone, pour en obtenir du soulagement, & ajouta qu’il venoit leur demander au nom de la Ville de Paris la Descente & Procession de la Chasse de Sainte Geneviéve. Le Superieur répondit à Mr le Doyen, qu’il n’estoit pas moins touché que luy de la fâcheuse situation du Peuple ; & qu’il consentoit volontiers au nom de tout son Chapitre de faire la Ceremonie qu’on luy demandoit ; mais, que comme il estoit necessaire que les Chanoines Reguliers s’y disposassent par des jeûnes & par des prieres extraordinaires, on ne pouvoit leur accorder moins que trois jours, & qu’ainsi, sous le bon plaisir de tous Mrs du Chapitre, la Procession pourroit se faire le Jeudy 16. May ; & les deux Chapitres en convinrent, aprés quoy la Procession de Nôtre-Dame retourna à son Eglise.

On se disposa ensuite de part & d’autre à cette Ceremonie, les Chanoines Reguliers par un jeûne de trois jours, & des Eglises de Paris, tant les Chapitres que les Paroisses & Communautez Regulieres, par des Processions où toutes leurs Reliques estoient portées, suivant l’ordre du Mandement de Mr l’Archevêque ; ce qui fut continué le Lundy Mardy & Mercredy ; presque toutes les personnes considerables de Paris, se firent un devoir d’accompagner à pied leur Paroisse dans ces Processions, pour marquer leur zéle & leur devotion.

Le Lundy la Reyne de la Grande Bretagne se rendit à Sainte Geneviéve sur les six heures du soir, où elle fit sa priere pendant un temps assez considerable, devant la Chasse.

Le Mercredy veille de la Ceremonie fut un jour de jeûne dans tout Paris, & ce jour-là le Chapitre de la Sainte Chapelle, voulant aussi signaler son zéle en cette occasion, y vint de son mouvement celebrer la Messe, qui fut tres-solemnelle.

On commença les Vespres à deux heures ; elles furent chantées tres-solemnellement, & l’Abbé y Officia Pontificalement, ainsi qu’à Matines, que l’on commença à quatre heures ; pendant qu’on les chantoit le Roy de la Grand’Bretagne arriva accompagné de Madame la Princesse sa sœur. Il fut reçu à la porte de l’Abbaye par plusieurs Chanoines Reguliers qui le conduisirent à l’Eglise où il fit ses prieres devant la Chasse.

Mr le Chevalier du Guet, avec deux Lieutenants & une Brigade de ses Archers, vint sur les cinq heures du soir prendre possession de toutes les avenuës & des portes de l’Eglise & de la Maison, pour les garder & pour empêcher les desordres que la prodigieuse affluence du peuple, qui y estoit déja, pouvoit causer pendant la nuit.

À onze heures la plus petite Cloche aiant commencé à sonner, & ayant continué jusqu’à minuit selon l’ancienne coûtume, on entendit un concert de Trompettes sur la Gallerie du Clocher pour annoncer à toute la Ville, de la Descente de la Chasse.

À onze heures & demie Mrs les Lieutenans Civil & Criminel, arriverent accompagnez de Mrs les Avocats & Procureur du Roy en Robbe rouges, avec douze Commissaires, les Huissiers à Verge & autres Officiers qui devoient se trouver à la Ceremonie, & prendre la Chasse en leur garde.

À minuit les Chanoines Reguliers estant entrez à l’Eglise réciterent les Heures Canonialles, lesquelles finies, ils monterent tous au Sanctuaire nuds pieds, où s’estant prosternez la face contre terre, ils réciterent d’un ton grave & lugubre les sept Pseaumes Penitentiaux avec les Litanies, les Prieres & les Oraisons, puis le Celebrant ayant dit le Confiteor que tout le Clergé récita, il se tourna vers le peuple, auquel il donna l’Absolution generale marquée dans le Rituel de Sainte Geneviéve.

Cependant deux Chanoines Reguliers revêtus d’Aubes & d’Etolles, monterent à la Chasse pour la conduite dans la descente qu’on en alloit faire & quatre des plus anciens revêtus de Surplis & d’Etolles, l’attendirent en bas pour la recevoir. Si tost qu’on vit ce pretieux Tresor enlevé de sa place, on entendit les Trompettes qui par leur concert contribuerent à la devotion d’une action si sainte & si éclatante.

Si tost qu’elle eut esté reçuë en bas, pendant qu’on la portoit à l’Autel de Sainte Clotilde, où elle fut deposée, le Chantre entonna un Répons, qui fut continué par le Chœur ; aussi tost le Celebrant s’approcha de la Chasse pour l’encenser & la baiser, & fut suivi de tous les Chanoines Reguliers, qui allerent aussi luy rendre leurs hommages. Cependant Mr Gaudion, Greffier du Chastelet, dressa sur le lieu un Acte qui fut signé par les Lieutenant Civil & Criminel, Avocat & Procureur du Roy, Commissaires & autres Officiers du Chastelet, par lequel ils juroient & promettoient de ne point quitter la Chasse de vûë, jusqu’à ce qu’elle fut remontée & remise en sa place. Aussi tost ils s’en approcherent & permirent à toutes les personnes d’un rang distingué qui avoient voulu assister à la Ceremonie de la Descente de la Chasse de la venir baiser. Ce fut alors que Leurs Excellences Mr le Duc & Madame la Duchesse d’Albe, qui avoient eu la pieté de vouloir passer une partie de la nuit dans l’Eglise, vinrent aussi rendre leurs hommages aux pretieuses Reliques de la Sainte, avec une piété qui édifia tout le monde.

On commença ensuite la grande Messe qui fut tres-solemnelle ; tous les Chanoines Reguliers, Prestres ou non Prestres y Communierent, à l’exception d’un seul qui devoit dire la Messe des Porteurs de la Chasse à six heures dans la Chapelle du Cloître, où ils devoient tous Communier.

La Messe achevée les Chanoines Reguliers se remirent à réciter le Pseautier devant la Chasse, ce qui fut continué jusqu’à l’heure du départ de la Procession, & durant ce temps on permettoit au Peuple de la venir baiser, toûjours en presence des premiers Officiers du Chastelet & Huissiers qui étoient en haye de part & d’autre.

Cependant le Peuple se répendant de tous côtez sur le chemin que la Procession devoit tenir, & les fenestres & les portes, & plusieurs échaffaux dressez en divers endroits, ne suffisant pas pour les Habitans & pour ceux qui estoient venus de fort loin pour être spectateurs de cette auguste Ceremonie, on en voyoit jusques sur les toits & sur les cheminées.

À huit heures Messieurs du Parlement arriverent en tres-bel ordre aux nombre de prés de 200. Conseillers en Robes rouges. Mr le Pelletier Premier President fut reçû par le Superieur de la Maison, accompagné de plusieurs Chanoines Reguliers, deux desquels le conduisirent avec Mrs les autres Presidens & Conseillers à la Chasse qu’ils baiserent, puis au Refectoir pour s’y reposer & pour y déjeuner.

On en usa de même avec Messieurs de la Chambre des Comptes & de la Cour des Aides, qui arriverent presque en même temps, tous en habits de Ceremonie. Les premiers furent conduits dans une grande Salle, appellée Salle des Papes, & les autres dans une Salle neuve, où ils trouverent aussi dequoy se rafraîchir. Immediatement aprés les Processions des Religieux Mandians & des autres Eglises qui s’estoient assemblées à Nôtre-Dame arriverent, & sans entrer dans le Chœur, allerent baiser la Chasse & déposerent ensuite leurs Chasses & leurs Reliquaires dans la Chapelle du Cloître, & ceux qui composoient ces Processions furent ensuite distribuez en differens endroits de la Maison, pour y attendre le départ de la Procession generale.

Sur les neuf heures & demie la Procession de N.D. arriva ; les Porteurs de la Chasse estoient entrez un peu auparavant deux à deux dans l’Eglise, nuds pieds, revêtus d’une Aube, ayant des Chapelets blancs à leur ceinture, & precedez des deux Maistres en Charge avec leurs bastons dorez ; ils avoient esté baiser la Chasse, & ils étoient venus ensuite se placer dans les Chaises basses du Chœur, & si-tost qu’ils apprirent que la Procession de Nôtre-Dame approchoit, ils allerent attendre à la porte de l’Eglise la Chasse de S. Marcel, qu’ils reçurent sur leurs épaules, & l’ayant portée à l’endroit où estoit celle de Sainte Geneviéve, ils la firent incliner auprés d’elle comme pour la saluer, & ils allerent ensuite la déposer sur le grand Autel.

Le Chapitre de Nôtre-Dame entra dans le Chœur & prit place dans les Chaises du costé de l’Epitre ; il trouva les Chanoines Reguliers de Sainte Geneviéve déja placez dans les Chaires du costé de l’Evangile avec Mr l’Abbé revêtu de ses habits Pontificaux. Dés qu’il vit entrer Mr l’Archevêque, il se leva & aprés s’estre mutuellement saluez Mr l’Archevêque prit la premiere place du costé du Chœur, où estoit le Chapitre de Nôtre Dame & Mr l’Abbé reprit la sienne du costé de l’Evangile.

Les Chantres de Nôtre-Dame chanterent les Antiennes de Saint Pierre & Saint Paul, Titulaires de cette Eglise, puis celle de Sainte Geneviéve, & Mr l’Archevêque dit les Oraisons.

Cependant Mrs le Prevost des Marchands & Echevins, suivis de tous les Officiers de la Ville qui avoient accompagné la Procession de Nôtre-Dame, s’avancerent pour baiser la Chasse, & ils furent ensuite conduits dans une Salle qui leur avoit esté preparée.

Aprés que les Chantres de Nôtre-Dame eurent chanté les Antiennes, le Chantre de Sainte Geneviéve entonna celle de Saint Marcel & Mr l’Abbé dit l’Oraison. Mr l’Archevêque estant descendu de sa place, alla baiser la Chasse de la Sainte, & les Chanoines de son Eglise le suivirent.

Dans le même temps les Maîtres des Ceremonies, ainsi qu’il est déja marqué, ayant fait entrer les Processions dans la Maison, ils les firent sortir par la grande Porte de l’Abbaye dans l’ordre suivant.

Les Cordeliers, puis les Jacobins ; les Augustins ; les Carmes, qui estoient tous en tres-grand nombre, avoient plusieurs Chasses & Reliquaires portez par des Religieux de leurs Corps : ils furent suivis des Confreres de Nôtre-Dame de Bonne-Délivrance établis dans l’Eglise de Saint Etienne des Grecs ; ces Confreres étoient nuds pieds, vestus de grandes Aubes blanches ; ils estoient couronnez de fleurs & portoient plusieurs Chasses. Les Prestres de l’Oratoire marchoient ensuite avec les Ecclesiastiques de leur Seminaire, & portoient la Chasse de Saint Magloire, & les Peres Benedictins de S. Martin des Champs avec leur Chasse de Saint Paxent.

Les Eglises Collegiales, dites communément, Filles de l’Archevêque, qui sont Saint Honoré, Saint Germain l’Auxerrois, Saint Marcel, & Sainte Opportune, que l’on avoit placées en attendant le départ de la Procession, dans une des ailes de l’Eglise, suivirent immediatement, precedées de leurs Bannieres. Les Beneficiers & Chanoines de Sainte Opportune & de Saint Honoré, avec leurs Croix & Chasses, occupoient chacun un costé ; ils estoient suivis des deux Croix & des Clergez de Saint Germain l’Auxerrois & de Saint Marcel ; le premier avec la Chasse de Saint Landry, & l’autre avec celle de Saint Clement. On vit aprés paroistre les Bannieres des quatres Eglises de la filiation de Nôtre-Dame, & celle de Nôtre-Dame même ; elles estoient suivies des Enfans de Chœur, des Clercs Beneficiers & Chanoines mineurs de ces quatres Eglises, qui prirent la gauche. Les Bannieres de l’Eglise de S. Medard & de S. Estienne, de la filiation de Sainte Geneviéve, suivis de leurs Clercs & Enfans de Chœur, marcherent à leur droite. Les Croix de toutes ces Eglises precedoient les Chasses de Sainte Aure & de Saint Mederic, la premiere portée par des Barnabites, qui ne vinrent pas en Corps, mais seulement en nombre suffisant pour porter & environner cette Chasse.

Les deux Croix de Sainte Geneviéve & de Nôtre-Dame marchoient ensuite, & elles estoient suivies des Chasses de Saint Marcel & de Sainte Geneviéve, & precedées de celle de Saint Lucain ; celle de Saint Marcel fut enlevée de dessus le grand Autel par les Porteurs de la Chasse de Sainte Geneviéve ; & celle de Sainte Geneviéve environnée des Officiers du Chastelet, par les Orfévres en manteaux noirs ayant des couronnes de fleurs sur la teste ; l’une & l’autre furent portées de la sorte aux fanfares des Trompettes & au bruit des Orgues & des Cloches, jusqu’au Parvis de l’Eglise, où si-tost que celle de Sainte Geneviéve parut, il s’éleva un cri de joye du milieu d’un Peuple infini, qui remplissoit toute la place.

Ce fut là que les Porteurs des deux Chasses changerent & reprirent chacun la leur ; aprés les Chasses marchoit le Clergé ; sçavoir les Chanoines de Nostre Dame precedez des quatre Eglises Collegiales de leur filiation à gauche, & ceux de Sainte Geneviéve à droite ; ces derniers estoient nuds pieds, & chanterent seuls pendant tout le cours de la Procession. Mr l’Archevêque & Mr l’Abbé de Sainte Geneviéve, qui estoit nuds pieds, suivoient chacun leur Clergé, & estoient tous deux sur la même ligne, vêtus Pontificalement & donnant également la benediction par toutes les ruës. Ils estoient chacun precedez des Officiers de leur Justice ; celle du Chapitre de l’Eglise de Paris marchoit devant Mr l’Archevêque, & la Justice de Sainte Geneviéve devant Mr l’Abbé.

Le Parlement marchoit à droite ayant à sa gauche la Chambre des Comptes, puis la Cour des Aides, ayant à sa gauche le Corps de Ville.

La Procession passa en cet ordre par les ruës de Saint Etienne des Grés, de S. Jacques, par le Petit-Pont & par la ruë neuve Nostre-Dame. Ces ruës estoient tapissées, & les fenestres & balcons remplis d’une infinité de personnes de distinction. Les Porteurs des Chasses de Sainte Geneviéve & de Saint Marcel firent un échange de leurs Chasses, suivant l’ancienne coûtume, vis-à-vis le grand Portail de l’Hostel-Dieu, sur le Petit-Pont, & les porterent ainsi toûjours accompagnez des fanfares des Trompettes, jusques dans l’Eglise de Nostre-Dame, où on arriva sur les deux heures aprés midy au bruit des Orgues & des Cloches ; elle estoit remplie de monde jusqu’aux voûtes ; douze Chasses furent posées sur des Tables dans le Chœur & placées selon l’ordre suivant, sçavoir :

Saint Marcel.

Saint Lucain.

La Vierge.

Sainte Geneviéve, sur une même ligne qui faisoit face à l’Autel, & de cette maniere Sainte Geneviéve se trouvoit à la droite ; les Chasses de

Saint Paxent,

De Sainte Aure,

De Saint Magloire,

De Saint Landry, formoient une seconde ligne derriere cette premiere ; & la troisiéme ligne qui suivoit cette seconde estoit remplie par les Chasses de

Saint Clement,

Saint Honoré,

Sainte Opportune.

Saint Mederic.

Les autres Chasses & Reliquaires estoient dans les Chapelles qui sont autour du Chœur. Le Clergé de Nostre-Dame & celuy de Sainte Geneviéve entrérent seuls dans le Chœur, & les autres Corps furent placez dans l’Eglise en differens endroits par les Maîtres des Ceremonies. Aussi tost que Mr l’Archevêque fut entré à Nostre-Dame, il alla à la Sacristie pour se revêtir des Ornemens necessaires pour celebrer la grande Messe, & Mr l’Abbé de Sainte Geneviéve se plaça dans la premiere chaise du Chœur du côté droit, & aprés cet Abbé, Mr le Premier President ; Mrs les Presidens & les Conseillers estoient ensuite, & il restoit onze Chaises hautes, qui furent remplies, aussi bien que les Chaises vuides qui restoient en bas, par les Chanoines Reguliers de Sainte Geneviéve, à la reserve des cinq dernieres Chaises d’en haut où estoient placez Mrs les Lieutenans Civil & Criminel, Procureur & Avocats du Roy du Chastelet. Mr le Doyen de Nostre-Dame occupoit la premiere Chaise du costé gauche. Mr le premier President, les Presidens, les Maistres des Comptes, & tous ceux qui composent cette Chambre estoient ensuite, & la Cour des Aides & le Corps de Ville, occupoient le reste des Chaises, à la reserve de six places hautes qui estoient occupées par autant de Chanoines de Nostre-Dame, & le reste estoit placé sur les bancs disposez dans le Chœur & dans le Sanctuaire.

La Messe fut celebrée Pontificalement par Mr l’Archevêque. Les Chanoines de Sainte Geneviéve servirent de Diacres & de Soudiacres tant Indus que d’Office : le Chantre de Sainte Geneviéve avec son Bâton, tint le Chœur ; elle fut chantée partie par la Musique & partie par les Chanoines Reguliers de Sainte Geneviéve, quatre desquels chanterent le second Alleluya, de même que quatre Beneficiers de Nostre-Dame avoient chanté le premier.

La Messe estant achevée, & les Chantres de Nostre-Dame ayant chanté le Domine non secundum, & l’Antienne de Sainte Geneviéve, & les Chanoines de Sainte Geneviéve le Salve Regina, pour saluer la Sainte Vierge, Patrone de l’Eglise de Paris, les Processions marcherent pour s’en retourner dans le même ordre qu’elles estoient venuës. La Chasse de S. Marcel portée par les Porteurs de Sainte Geneviéve, conduisit celle de Sainte Geneviéve que les Orfevres porterent jusqu’au Petit-Pont, ou avant que de se separer, aprés que les Porteurs eurent repris chacun leurs Chasses, ils les firent incliner l’une contre l’autre comme pour se dire adieu. Celle de Saint Marcel passa en s’en retournant, au milieu des deux Clergez, les Chanoines de Nôtre-Dame ayant la droite. Mr l’Archevêque & Mr l’Abbé de Sainte Geneviéve étoient les derniers, & ils continuerent tous deux à donner la benediction tant dedans que dehors l’Eglise Nostre-Dame ; lorsqu’ils furent arrivez vis-à-vis le Portail de Sainte Geneviéve des Ardens, Mr l’Archevêque donna la benediction solemnelle pendant laquelle Mr l’Abbé de Sainte Geneviéve demeura droit & en Mitre, & les Chanoines des deux Eglises s’estant saluez avec des témoignages d’une mutuelle bienveillance, ils se séparerent.

La Procession ne se trouva plus composée que des Religieux Mandians, qui la quitterent à mesure qu’ils s’approcherent de leurs Eglises, & les Chanoines de Sainte Geneviéve avec leurs Paroisses de Saint Estienne & de Saint Medard, à droite, ayant ceux du Chapitre de S. Marcel precedez des Paroisses de S. Martin & de S. Hippolite à gauche ; le Doyen de cette Collegiale marchoit vis-à-vis le Prieur de Sainte Geneviéve, & Mr l’Abbé seul marchoit le dernier, la Chasse de Sainte Geneviéve estant à la teste du Clergé toûjours environnée des Officiers du Châtelet.

La Procession passa en cet ordre par la ruë Gallande, la Place Maubert, & la Montagne Sainte Geneviéve ; les Jacobins & les Confreres de Nôtre-Dame de Bonne Délivrance se mirent en haye dans le Parvis de l’Eglise de Sainte Geneviéve jusqu’à ce que la Procession fut rentrée ; les Porteurs de la Chasse de Sainte Geneviéve la mirent en travers sur des treteaux fort élevez à l’entrée de l’Eglise, & toute la Procession passa dessous ; elle fut ensuite portée par le milieu du Chœur au bas des colomnes d’où elle fut aussi-tost remontée & remise en sa place, en presence des Officiers du Chastelet, par les deux Chanoines Reguliers en Etolle qui l’avoient descenduë le matin ; aprés quoy Mr l’Abbé donna la benediction solemnelle, ce qui termina sur les cinq heures du soir, cette pieuse & éclatante Ceremonie.

La Chasse demeura découverte pendant huit jours, pendant lesquels elle a esté visitée par une grande foule de peuple & par tout ce qu’il y a de personnes de distinction à Paris. Plusieurs Processions y allerent encore durant cette huitaine ; les Religieux de l’Abbaye de Saint Germain des Prez y allerent en grand nombre, & y celebrerent solemnellement la Messe devant la Chasse le Jeudy 23. May. Et le Vendredy dernier jour de la huitaine pour terminer les Prieres publiques, il y eut le soir aprés Complies un Salut solemnel, avec une Procession autour de l’Eglise, aprés laquelle on chanta le Te Deum.

[Article le plus surprenant dont on ait jamais parlé] §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 141-149.

Aprés vous avoir parlé des Miracles que Dieu a faits par l’intercession de cette Sainte, je vais vous entretenir d’un fait le plus étonnant dont on ait jamais parlé, & qui doit faire convertir tous les Incredules & tous les Athées, suposé qu’il y en ait eu, car tous ceux qui ont voulu se distinguer par ce caractere, & faire croire qu’ils avoient un esprit fort & infiniment superieur aux autres, sentoient souvent dans le fond de leur cœur, des veritez qu’ils affectoient de ne pas croire, & plusieurs l’ont avoüé en mourant. Ce que je vais vous raporter n’est point une chose d’opinion qui se soit passée à la vûë de peu de personnes, & une fois seulement ; mais une chose qui se passe continuellement depuis trois ans, à la vuë de tout le Peuple d’une grande Ville, & qui dure encore. Enfin tous ceux qui en ont entendu parler, reconnoissent de plus en plus la puissance de Dieu, & font tous les jours de nouveaux Actes de Foy. Je crois que vous n’admirerez pas moins que moy la grandeur & la puissance de Dieu, lorsque vous aurez lû l’Article suivant, que je vous envoye de la même maniere dont je l’ay reçu, à la reserve du nom de la Ville, où Dieu continuë de faire voir que les hommes ne doivent pas se défier de sa Providence.

Un Chanoine d’une Collegiale tres-illustre & d’ancienne Fondation des Rois, & Ducs de Bretagne, a perdu tout d’un coup la parole dans le Chœur de son Eglise ; voulant un jour chanter les Pseaumes à son ordinaire, il ne put prononcer aucun mot, & même la voix & la parole luy manquerent entierement ; dés qu’il fut sorti du Chœur, la voix & la parole luy revinrent ; & estant rentré au Chœur à une des Heures suivantes ; la même chose luy arriva ; il perdit & la parole & la voix, qui luy revinrent à la sortie du Chœur.

Depuis environ trois ans, la même merveille arrive ; ce Chanoine parle hors du Chœur, & tres-bien, mais dans le Chœur, il devient muet. Ce qui est encore assez surprenant, est qu’à l’Autel il chante les grandes Messes à son tour, & même depuis quelque temps au Chœur la voix luy revient pour entonner les Antiennes & pour faire l’Office à son tour aux grandes Festes ; mais à l’égard des moindres Festes & des jours ordinaires, il luy est impossible de chanter ny Pseaume, ny Kyrie eleyson, ny Gloria in excelsis, ny Domine salum fac Regem. Ce Chanoine qui est fort sage & fort vertueux se trouve dans une grande humiliation d’un tel accident. Il prie Dieu sans cesse & le fait prier par les gens de bien de luy délier la langue, afin qu’il puisse chanter ses loüanges dans le Chœur de même qu’à l’Autel ; mais toutes le Prieres qui ont esté faites jusqu’icy pour obtenir cette grace du Ciel, ne l’ont pas délivré de sa peine. Il souhaite que sa disgrace soit sçuë dans tous les pays du monde, esperant qu’à force de Prieres, les ames pieuses répanduës par tout, auront la charité d’invoquer en sa faveur la misericorde de Dieu. C’est par ce motif qu’un homme de sa connoissance prend la liberté de vous écrire. Il ne juge pas encore à propos que l’on fasse sçavoir son nom ; mais dans la suite, il consentira qu’on le nomme. Vous pouvez cependant faire sçavoir ce fait au Public, qui est tres-veritable. Ce Chanoine, dont la vie est d’ailleurs irreprochable, est persuadé que son accident luy est venu de ce que voyant les besoins de son Eglise & craignant qu’elle ne pust supporter long temps la dépense d’un bas-Chœur, a tenté de le faire supprimer, & de regler qu’on ne chanteroit plus les jours ordinaires, mais seulement aux grandes Festes, & jamais Matines & Laudes, qu’on ne feroit que reciter à basse voix. Il croit que par ce sentiment qui ne fut pas suivi, il encourut la colere du Seigneur, en se défiant de sa Providence pour l’entretien de Supposts necessaires dans l’Eglise pour chanter l’Office suivant la Fondation, qui est tres-ancienne, & qu’on ne pourroit alterer sans scandale. Il a avoüé même que par la suppression du bas-Chœur, il avoit esperé augmenter les Prebendes qui sont en grand nombre, & dont le revenu est tres-modique.

[Description de la maniere dont les ruës de Madrid estoient decorées le jour que le Prince des Asturies y fit son Entrée aprés la grande Ceremonie dont on a veu trois belles Descriptions] §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 214-226.

Il manque aux trois Relations que je vous ay envoyées touchant Monseigneur le Prince des Asturies, une Description bien exacte & bien circonstanciée de l’Entrée que ce Prince fit à Madrid le 20. d’Avril, & sur tout de ce qui décoroit les ruës par lesquelles toute la Cour passa, & dont aucune Relation n’a parlé. Voicy ce que j’ay tiré d’une des plus belles Relations qui ayent esté faites de la grande & auguste Ceremonie qui a merité l’attention de toute l’Europe, & que je ne vous envoye point pour ne pas repeter plusieurs choses qui se trouvent dans les autres.

Toutes les ruës par lesquelles ce Prince devoit passer depuis le Buen-Retiro, où il estoit jusqu’au Palais, estoient tapissées depuis le toît jusqu’au pavé ; devant l’Eglise du Saint Esprit, qui est vis-à-vis l’Hostel de Medina-Celi, il y avoit un Dais sous lequel estoient les Portraits du Roy & de la Reine, & au milieu celuy du Prince ; devant celles du bon succés & de la Soledad, il y en avoit un autre avec de pareils Portraits, & celuy du Roy Tres-Chrestien ; on voyoit d’autres Dais semblables en deux endroits differens, devant S. Philippe le Real, & devant l’Hostel de Ville. La Fontaine de la Porte du Sol estoit ornée de festons de fleurs de tous costez, & au milieu de chaque feston on avoit placé de grands Bassins d’argent en maniere de Buffets, qui faisoient un spectacle tres-agreable. La Statuë qui somme la Piramide de cette Fontaine tenoit en sa main un Etendart aux Armes du Roy, & la base & le plan du grand bassin de cette Fontaine estoient remplis de caisses d’Orangers placez avec une symetrie tres-agreable.

La Fontaine de l’Hostel de Ville estoit ornée d’une maniere differente. On avoit élevé au devant de sa façade du costé de S. Salvador un Portique haut d’environ trente pieds. La Fontaine paroissoit sous le Portique, & entre les Bas reliefs & sur toute l’Architecture, on avoit placé des pots de fleurs & des orangers, comme à celle du Sol, & la Statuë qui la termine tenoit un Drapeau de taffetas couleur de feu, sur lequel estoient brodez en Chiffres d’argent les noms du Roy, & de la Reine, & celuy du Prince.

Proche l’Arcade de la grande Cour du Palais il y avoit un Theatre sur lequel estoient placez plusieurs Trompettes & Timbales qui joüoient des Fanfares. On voyoit dans le milieu de cette Court un Feu d’Artifice de figure octogone avec quatre étages de portiques de differens Ordres qui estoient terminez par un grand Soleil. Les ruës par lesquelles on devoit passer estoient sablées, & toutes celles qui y aboutissoient estoient barrées pour empêcher les Carosses d’y entrer.

À quatre heures aprés midy la Marche commença par le Corps de Ville à Cheval. Les Alguasils & les autres bas Officiers parurent les premiers deux à deux, & tenant chacun leurs Baguettes blanches de la main gauche. Les Regidors venoient aprés dans le même ordre ; ils estoient tous lestement vêtus à la Françoise, & montez sur de tres-beaux Chevaux, dont tous les crins estoient ornez de rubans de differentes couleurs ; le Corregidor estoit au dernier rang au milieu des deux plus anciens Regidors. Ceux-cy sont plus que les Echevins de Paris, & la Charge de Corregidor de Madrid répond presque à celle de Gouverneur de cette premiere Ville, & de Prevost des Marchands.

Aprés la Ville on vit passer un détachement de Gardes du Corps d’environ cent-cinquante Maîtres ; ils marchoient quatre à quatre le sabre à la main, & ils estoient precedez de trois de leurs Trompettes, leurs Officiers à la teste, & tous vêtus de neuf avec des galons d’argent en plein, comme ceux du Roy Tres-Chrêtien.

Les Cent Hallebardiers marchoient deux à deux le Chapeau sous le bras, & les hallebardes sur l’épaule ; il estoient suivis de Mr le Marquis de Zuintana Grand d’Espagne leur Capitaine ; il estoit à cheval avec son habit d’ordonnance. Trois rangs de Gardes du Corps venoient ensuite, & aprés eux on vit paroistre le Roy dans un magnifique Carosse entouré de ses grands Officiers, & suivy d’un nombre de ses Gardes pareil à celuy qui le précedoit immediatement.

Aprés le dernier des Carrosses du Roy marchoit un autre détachement des Gardes du Corps.

La Reine parut ensuite dans une Chaise à Porteurs, d’étoffe d’or & ouverte de trois cotez. Elle estoit environnée de tous les Grands d’Espagne à pied, & chapeau bas ; Madame la Marquise de Los Truxillos suivoit ; elle estoit aussi dans une Chaise à Porteurs.

Ensuite venoient trois rangs de Gardes du Corps qui precedoient le Prince ; il estoit dans un Carrosse du Roy assis sur les genoux de Madame de Salzedo : Madame la Princesse des Ursins estoit dans le fond du Carrosse, & la Nourrice & la Remueuse du Prince estoient sur l’Estrapontin. Les Officiers de Garde de service chez le Prince entouroient le Carrosse, & il estoit suivy de ceux où estoient ses Camaristes.

Lors que le dernier de ces Carrosses fut passé on vit defiler les quatres Compagnies des Gardes du Corps, c’est à dire tous ceux qui n’estoient pas des détachemens dont on à parlé. Trois Trompettes estoient à la teste de chacune. Celle d’Ossone marchoit la premiere, celle d’Aguilar ensuite ; celle de Tserclas, qui est la Walone, aprés ; & ensuite celle de Popoly Italienne. Enfin la marche fut terminée par deux Compagnies des Gardes à pied qui avoient esté de service au Retiro.

Ce fut dans cet ordre que le Prince se rendit au Palais sur les six heures, au bruit des Cloches de toute la Ville, & à la vûë d’un grand Peuple, accouru de toutes parts pour voir ce grand & nouveau Spectacle, pendant lequel chacun fit paroistre son zele, & on peut dire sa tendresse pour ces trois Personnes Royales, par des millions de Viva, qu’ils necesserent pas de repeter pendant tout le temps que dura la Ceremonie. Sur les huit heures du soir toute la façade du Palais fut illuminée par trois rangs de flambeaux de poing, & par des lumieres disposées avec simetrie des quatre côtez du grand carré long qui forme la grande Court, & demie heure aprés on tira le Feu d’Artifice qui parut des plus vifs & des plus brillants qu’on ait encore vû & au bruit de toutes les Cloches. Il y eut aussi par toute la Ville des illuminations, & des feux.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 321-322.

Je crois ne pouvoir mieux placer la Chanson suivante, qu’aprés l’Article que vous venez de lire, quoy qu’elle n’ait pas esté faite à l’occasion du mariage dont je viens de parler.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Vous m’aimez, page 322.
Vous m’aimez, que de vous il m’est doux de l’entendre,
Que jamais vôtre cœur ne change cher Tircis,
Qu’il soit aussi constant que tendre,
L’Amour tient rarement tout ce qu’il a promis :
Brûlons, brûlons de feux que rien ne puisse éteindre,
L’Amour contre l’Hymen doit-il me rassurer,
L’un me fait tout esperer,
Et l’autre me fait tout craindre.
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[Grammaire du Pere Buffier] §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 339-341.

Vous trouverez peu de raport de l’Article qui suit avec celuy que vous venez de lire, puisqu’il s’agit d’une Grammaire, & que les personnes dont je viens de vous parler, ont trop d’habileté pour estre renvoyez à l’étude de la Grammaire. Mais vous m’avez souvent marqué que cette varieté faisoit un des plus grands agrémens de mes Lettres.

La Grammaire du Pere Buffier que je vous annonçay le mois dernier comme un Ouvrage qui devoit estre bien-tost mis en vente, commence à se debiter. Elle a pour titre : Grammaire Françoise, sur un Plan nouveau pour en rendre les Principes plus clairs & la pratique plus aisée ; contenant divers Traitez sur la nature de la Grammaire en general ; sur l’usage ; sur la beauté des Langues & sur la maniere de les apprendre ; sur le Stile ; sur l’Ortographe ; sur les Accens ; sur la longueur des Silabes Françoises ; sur la Ponctuation, &c. Ce titre doit exciter assez de curiosité, & parle assez à l’avantage de cet ouvrage, sans qu’il soit necessaire que je vous en dise rien davantage. Il se vend chez Nicolas le Clerc, ruë S. Jacques à S. Lambert ; Michel Brunet, grande Salle du Palais, au Mercure Galant ; Leconte & Montalant, Quay des Augustins, à la Ville de Montpellier.

[Vers à la gloire de Mr le Maréchal de Berwick] §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 342-345.

Voicy des Vers qui ont esté faits à la gloire de ce Maréchal, par Mr Trotebas, Avocat, & qui luy furent presentez le 15. May, à son arrivée à Toulon.

Quel objet ravissant se presente à mes yeux ?
Je le voy tout brillant de gloire,
Couronné de lauriers, suivy de la Victoire !
Tel on peint le Maistre des Dieux.
***
À qui le comparer ? En luy seul il assemble
L’air guerrier, la noble fierté,
Et ce que mille autres ensemble,
Ont d’attraits & de majesté.
***
Filles de Jupiter, divines Interpretes,
  Muses, de grace, dites-moy,
Vous qui me revelez tant de choses secretes ;
Est-ce un Mortel, est-ce un Dieu que je voy ?
***
De tes sens ébloüis l’erreur est excusable.
Ce Heros est du Sang des Dieux ;
C’est ce Prince cheri des Cieux,
Dont tu chantas jadis, le Combat memorable. 2
***
C’est luy, qui pour venger & les Dieux & les Rois,
Mit en poudre, les Tours de la superbe Nice ;
Vainquit prés d’Almanza, les Germains, les Anglois,
Et fit de nos Mutins, un sanglant Sacrifice.
***
En un mot, c’estBerwick, ne le connois-tu pas ?
Déesses, pardonnez à ma surprise extrême,
Vous me l’aviez fait voir au milieu des Combats :
O Dieux, qu’il est icy, different de luy-mesme !
***
Berwick si formidable à nos fiers Ennemis ;
Berwick portant par-tout, la mort & l’épouvante ;
À Toulon parmy ses amis,
Ne fait voir dans ses veux, qu’une douceur charmante !

Enigme §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 355-359.

Le mot de l’Enigme du mois passé, faite par Mlle du Chesne, estoit un Lit. Mr de Chantarmel l’a expliquée par le Rondeau qui suit.

RONDEAU.

Un Lit bien-tost guerira ma migraine,
(Disois-je un jour au bord d’une Fontaine
Où je rêvois à l’Enigme du mois)
Ne quittons pas. Un instant quelquefois
Peut nous donner le fruit de nostre peine.
Je persevere. Une douleur soudaine
Frappant plus fort ma cervelle incertaine,
J’avois bienfait d’aller chercher je crois,
  Un Lit.
Mais non. D’abord la teste toute pleine
De ces grands mots, Orgueil, Mort, Pompe vaine,
De Conquerans, de simples Villageois,
Je m’endormis, & d’une haute voix
À mon réveil, je criay pour Duchesne,
  Un Lit.

Ceux qui ont trouvé le même mot sont, Mrs l’Abbé de Chassan ; de Greneville, Avocat ; de la Bastide, & de Longimont ; Tamiriste, le Secretaire de la Muse de la ruë S. Hyacinthe ; le Solitaire Desangloux & son Amy Darius ; l’aimable Trio du Quartier de la Magdeleine ; la Belle de la ruë aux Féves, & la Solitaire de la même ruë ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins, & plusieurs autres dont je n’ay pas jugé à propos de vous envoyer les noms.

Je vous envoye une Enigme nouvelle.

ENIGME.

Mon corps n’est composé que de longues arrestes,
Et je n’eus de tout temps que la peau sur les os,
Je brille en compagnie, & sans aucun repos,
Dans le fort de l’Esté je suis de toutes Festes.
Par un petit effort je cause un doux plaisir,
Et dans plusieurs replis tout mon corps se rassemble ;
Mes os par un seul nerf se tiennent tous ensemble,
Et sans les separer on peut les désunir.
***
Sans avoir du Serpent la Prudence en partage,
Comme luy quelquesfois je puis changer de peau,
Et répandant aux yeux un nouvel étalage
L’on ne me connoist plus tant je parois nouveau.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 359-360.

L’Air qui suit est icy fort à la mode malgré la Saison.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Plus je bois, page 359.
Plus je bois, plus j’ay soif, plus j’ay soif, plus je bois.
Sans cesse je remplis, & je vuide ma pinte,
Versez, versez, Amis, versez sans crainte,
Buvons & rebuvons cent fois,
Plus je bois, plus j’ay soif, plus j’ay soif, plus je bois.
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[Journal de tout ce qui s’est passé en Flandre depuis l’ouverture de la Campagne] §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 363-381.

Je passe à un Article, sur lequel, si toute la terre n’a pas aujourd’huy les yeux ouverts, ce n’est que parce que l’éloignement des lieux n’a pû encore permettre qu’elle en apprist le sujet. Il s’agit de sçavoir quelle sera le succés de la Campagne qui vient de commencer, dans laquelle les deux Partis également animez du desir de vaincre, acheteroient de grandes Conquestes encore plus cheres qu’elles ne devroient valoir, s’il estoit facile d’acheter des lauriers, & les deux Partis cherchent aujourd’huy à vaincre plus pour justifier leur conduite que pour faire des Conquêtes. Les Alliez, pour faire voir que les demandes qu’ils ont faites pour parvenir à la Paix ne sont pas aussi déraisonnables qu’elles ont esté trouvées par toute l’Europe, & par leurs Sujets même, souhaitent avidement de vaincre pour faire connoistre que les Preliminaires de Paix qu’ils ont proposez ne sont pas aussi exhorbitans, & aussi injustes qu’ils sont generalement trouvez ; & la France cherche à faire voir qu’elle a eu raison de les trouver tels & de les rejetter. C’est une espece de Procés entre les Parties, dont il semble que l’évenement de la Campagne qui vient de commencer doit decider. Et dans cette pensée il n’est rien que chaque Parti ne mette en usage pour triompher, tant il est vray que la gloire de n’avoir pas un démenti, & de paroistre juste dans ses sentimens, a toujours esté plus chere à tous les hommes, à cause de la vanité qui leur est ordinaire, que les avantages les plus considerables.

Les Alliez prétendent que s’ils remportent de grands avantages cette Campagne, l’Europe decidera en leur faveur, & reconnoistra qu’ils ont eu raison de vouloir obliger la France à recevoir les loix qu’ils ont voulu luy imposer ; & la France de son costé prétend que toute l’Europe connoistra qu’elle n’a pas dû s’y assujettir, pourvû qu’elle puisse seulement se deffendre, & empêcher les Alliez de penetrer chez elle. Voila dequoy il s’agit, & pourquoy on voit de part & d’autre de si formidables Armées en Campagne.

Il est bien glorieux à Mr le Maréchal de Villars de tenir aujourd’huy entre les mains la Cause de la France, & il ne paroist pas que jamais aucun General d’Armée se soit trouvé dans une pareille situation. Aussi ce Maréchal a-t-il donné une attention toute extraordinaire pour mettre en Campagne l’Armée qu’il commande, pour l’y faire subsister, & pour luy inspirer le desir de vaincre des Ennemis qui ont eu l’audace de la mépriser, quoy que les François ayent eu l’avantage de les vaincre cent & cent fois.

Voila sur quel pied la Campagne vient de commencer, & ce qui anime les deux Partis. Je vais presentement vous faire voir les mouvemens qui se sont faits depuis le 18. de ce mois, ainsi que les Marches & les Contre-Marches dont il paroist que les Alliez ont beaucoup plus fait que Mr le Maréchal de Villars, ce qui est une marque que jusqu’au jour que je vous écris, ce Maréchal a beaucoup mieux pris son Party.

Il a d’abord fait assembler son Armée aux environs de Lens, où il l’a fait cantonner pendant qu’il a fait travailler à tout ce qui pouvoit regarder sa seureté, & à rompre les desseins des Ennemis de quelque costé qu’ils voulussent l’attaquer. Pendant ce temps-là, les Ennemis passerent l’Escaut, & se cantonnerent de maniere qu’ils pouvoient tous estre rassemblez en un jour. Cependant cette facilité de pouvoir tomber avec des Troupes superieures sur Mr de Villars, ne leur fit rien entreprendre, & l’on n’a vû depuis de leur côté que des Marches & des Contre-Marches qui ont toujours fait voir beaucoup d’incertitude dans leurs desseins.

Mr le Maréchal de Villars commença par faire travailler à un retranchement depuis Courieres le long du Canal jusque vis-à-vis Mourchin, & il estoit dans sa perfection le 19. Il fit barrer le Canal vis-à-vis Mourchin par une bonne Digue qui fait gonfler l’eau dans le Marais impraticable depuis Benifontaine jusques à Cambrain, par de-là la Bassée, & depuis Benifontaine jusques à Cambrin, il a fait élever un retranchement sec ; mais tres bon.

Le même jour 19. Mr de Villars envoya ordre à Mr de Surville, Commandant de Tournay, d’en sortir avec huit Bataillons, & de joindre l’Armée dés que les Ennemis auroient passé la Deule.

Le 20. Mr de Puysegur alla marquer un Camp pour l’Armée, & Mr le Maréchal de Villars, allant à Saint Venant fit marquer des chemins & combler des fossez pour faire passer l’Armée sur quatre colomnes. La gauche de ce Camp estoit à Robeck prés de la Lys, pour couvrir S. Venant, & la droite à Hinges prés de Bethune, couvrant Bethune & Aire.

L’on fit sauter ce jour-là l’Ecluse du Pont à Dons, pour empêcher les Ennemis de pouvoir faire remonter des Batteaux au deçà de Lille.

Les Ennemis marcherent sur Bondu, Lincelles, & Roncq, le centre à Waterloo & Turcoin ; le Quartier general à Comines, & l’Artillerie à la teste des Troupes. Le Prince Eugene alla camper à Mouron ; le gros Canon des Ennemis étoit encore ce jour-là au Sas de Gand.

Le 21. Les Ennemis ne firent aucun mouvement selon que le raporterent des Deserteurs qui vinrent en grand nombre.

Mr le Maréchal de Villars retira les Troupes qui estoient dispersées dans l’Artois, pour les faire subsister plus facilement. On comptoit qu’il y avoit du fourage à Doüay & à Arras, pour plus d’un mois.

On se vantoit dans l’Armée ennemie que pendant que Mylord Marlborough avec une Armée aussi forte que la nostre tiendroit Mr de Villars en échec, le Prince Eugene marcheroit sur Aire avec vingt cinq ou trente mille hommes qu’ils prétendent avoir plus que nous. Mr de Villars, qui ne neglige rien, fit conduire à Aire tout ce qu’on put rassembler des choses necessaires à un Siege.

Le 22. les Ennemis occupoient les environs de Lille & d’Armentieres, & leur Avant-garde estoit à Seclin.

Mr de Villars envoya des Courriers pour faire avancer les Troupes qui occupoient les derrieres sur la Somme & sur l’Authie ; celles qui estoient depuis Cambray jusques à Oisy devoient aussi joindre l’Armée.

Les Gardes du Corps arriverent ce jour-là, & le reste de de la Maison du Roy avoit déja precedé.

Le matin du même jour nôtre Armée se mit en mouvement, & une partie passa le Pont à Vendin & marcha sous Doüay. On crut que c’estoit pour faciliter la jonction du Corps qui venoit du costé de Cambray.

Les Ennemis tinrent un grand Conseil de guerre à Loo, où il fut resolu, à ce qu’on assura, de donner Bataille, nonobstant les grandes contestations qu’il y eut à ce sujet.

Le 23. les Ennemis acheverent d’entrer dans la Plaine de Lille, & la Revûë generale de leurs Troupes se devoit faire le lendemain entre Seclin & Wartignies ; de sorte qu’ils pouvoient estre en presence le 26.

Le 24. la gauche de nôtre Armée estoit à Cuinchy, & la droite s’étendoit vers Doüay. Elle avoit le Canal devant elle, dont les crestes sont d’une hauteur & d’une largeur extraordinaire, & couverte par des Retranchemens & par des Marais presque impraticables.

Les Ennemis s’avancerent sur trois Colomnes, l’une commandée par le Prince Eugene qui venoit de Hautbourdin sur la Bassée ; l’autre côtoya la Deule du côté de Seclin, commandée par Mylord Marlborough ; & la troisiéme venoit du Pont à Marque. On apprit qu’ils vouloient faire trois attaques, une à Berclau sur le Canal ; l’autre au Pont à Sault sur le même Canal, & la troisiéme à nos Lignes vers la Bassée. On croyoit que les deux premieres seroient fausses & que la derniere seroit la veritable. Nous avions du costé des Lignes soixante-treize Bataillons pour les recevoir, & sur la hauteur de Cambrain, qui est la gauche des Lignes, cent pieces de canon. Le reste de nostre Infanterie consistant en soixante Bataillons bordoit le Canal pour soûtenir les autres attaques. La Cavalerie estoit campée de maniere à soutenir cette Infanterie, & toute nostre Armée à portée de se joindre au premier signal.

Mr le Maréchal de Villars écrivit à Mr de Surville Commandant à Tournay, qu’il pouvoit y rester avec les 8. Bataillons & les Dragons qu’il devoit mener à l’Armée.

Des Deserteurs rapporterent ce jour-là qu’on ne pouvoit voir plus de misere qu’il y en avoit dans Lille, où le Commerce estoit tout-à-fait cessé.

Mr le Chevalier de Luxembourg avoit joint l’Armée avec les Troupes qu’il commandoit, & Mr le Maréchal d’Arco, qui commande aprés Mr le Maréchal de Villars, avec celles des Electeurs.

Le 25. on vint donner avis à Mr de Villars que les Ennemis avoient retiré le canon qui étoit à Varrin, que ce canon estoit retourné à Lille, & qu’on l’avoit fait sortir aussi-tost de cette Ville par la Porte de la Madelaine.

Mr le Maréchal de Villars fit bien boire un Trompette des Ennemis qu’il chargea de dire à ses Generaux que si ses Retranchemens les empêchoient d’avancer il les feroit abattre dans le moment.

On distribua ce jour là de l’argent à toute l’Armée.

Le 26. les Ennemis allongerent leur droite vers la Lys sans passer cette Riviere, & leur gauche fit un mouvement sans passer la Deule.

Nostre Armée ne fit pas le moindre mouvement, & elle n’en devoit point faire que les Ennemis n’eussent pris un parti. Mr de Villars fit raser plusieurs Villages depuis les Lignes jusques à la Bassée, & abattre tous les Buissons, disant qu’il vouloit voir clair. Il y avoit de la poudre & du plomb à la teste de tous les Regimens.

Le 27. Les Ennemis qui avoient fait reconnoître l’Armée de Mr le Maréchal de Villars, & qui avoient appris qu’elle estoit en beaucoup meilleur état qu’ils n’avoient cru, prirent le party de se separer. Une partie est à Warneton, & l’autre à l’Abbaye de S. Amant, dont elle se saisit. Il y avoit trois jours que Mr de Villars en avoit fait arracher les Palissades. Il y estoit neanmoins resté cent hommes, avec ordre de se retirer aussi-tost que les Ennemis paroistroient, ce qui a esté executé.

Je ne vous ay point parlé de divers Partis des Ennemis qui ont esté enlevez depuis l’ouverture de la Campagne, & de la maniere honneste dont Mr de Villars a traité les Officiers qu’il a renvoyez, aprés leur avoir fait voir le bon estat de son Armée, afin qu’ils en assurassent leurs Generaux, & qu’ils leurs dissent de sa part que lorsqu’il s’agiroit de combattre, il seroit toûjours prest de faire la moitié du chemin.

Mr de Surville, Commandant à Tournay, a fait enlever prés d’Ath, par un Parti de sa Garnison, huit Officiers des Ennemis, & le Maistre d’un Cabaret, où ils se divertissoient.

Je puis vous assurer que le Journal que je vous envoye est unique, & que personne ne l’a vû, du moins en Corps, l’ayant tiré de plus de trente Lettres, écrites par des Officiers & même par des Officiers Generaux, & par des Officiers des Places qui sont proche du Camp de Mr de Villars. Un pareil Ouvrage est beaucoup plus difficile que l’on ne croit, parce que toutes les Lettres ne s’accordent souvent pas toûjours & particulierement sur les dattes ; mais comme j’ay vû beaucoup de Lettres qui parloient des mêmes Articles, j’ay preferé ceux qui se trouvent dans plusieurs Lettres, à ceux qui ne sont que dans une Lettre seulement.

[Recueil de diverses piece, touchant les Preliminaires de Paix proposez par les Alliez & rejettez par le Roy] §

Mercure galant, juin 1709 [tome 6], p. 382-383.

On commence à debiter icy un Livre intitulé Recü il de diverses Pieces touchant les Preliminaires de Paix proposez parles Alliez & rejettez par le Roy. Il n’est pas necessaire de vous dire l’empressement avec lequel on court acheter ce Livre. Vous en pouvez juger par le Titre qui doit exciter beaucoup de curiosité. Cet Ouvrage est remply de Pieces qui servent de preuves à toutes les choses avancées par l’Auteur, qui ayant pretendu, qu’on ne retirast seulement qu’une partie des frais de l’Impression de son Livre, pour s’acomoder au temps, & afin qu’il se repandit plutost dans toute l’Europe, est convenu avec le Libraire qui le vend qu’il le donneroit pour huit sols. Il se débite chez Michel Brunet, grande Salle du Palais au Mercure Galant.