1709

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1709 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9]. §

[Ce qui s’est passé au Louvre le jour de la Feste de Saint Louis, & les raports que Mr l’Abbé Fournier qui a presché le Panegirique de ce Saint devant Messieurs de l’Academie Françoise, & les raports que cet Abbé a trouvez, entre les vertus de ce Saint Monarque, & celles du Roy] §

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9], p. 5-21.

Vous attendez sans doute avec impatience l’Article par lequel je dois commencer cette Lettre, puisqu’il regarde le Panegyrique de S. Louis prononcé dans la Chapelle du Louvre devant Mrs de l’Academie Françoise le jour de la Feste de ce Saint ; & les rapports que les Predicateurs trouvent ordinairement entre plusieurs vertus de ce Saint, & celles que le Roy a fait briller le plus, & qui rendront sa pieté recommandable dans tous les siecles à venir.

Mr l’Abbé Fournier, dont la réputation l’avoit fait choisir pour prêcher le Panegyrique de Saint Loüis, & dont on attendoit beaucoup, parce qu’estant du Diocese de Nismes il avoit souvent entendu les sçavantes & touchantes Predications de Mr Fléchier son Evêque, & qu’il s’estoit fort attaché à la lecture de ses ouvrages, répondit à l’attente que l’on avoit de luy, & vous en pouvez juger par ce qui suit.

Aprés avoir rapporté dans son Exorde plusieurs raisons qui l’obligeoient d’appliquer à Saint Louis les predictions agreables que l’Ecriture semble adresser à Salomon, il fit une remarque fort singuliere sur les familles des deux Rois ; sçavoir que l’on compte dans l’une & dans l’autre, une égale durée & un pareil nombre de Rois. Josephe dans son Histoire des Juifs, liv. 10. ch. 11. donnant à la premiere famille vingt-un Rois & 494. ans de regne ; & que l’on trouve aujourd’huy dans la seconde, le même nombre de Monarques & le même nombre d’années en comptant depuis l’année 1215. que nâquit Saint Loüis, jusqu’à celle de 1709.

Je ne dois pas oublier un endroit qui charma tout le monde, tant par sa beauté que par la nouveauté de la matiere qui n’a jamais esté touchée par personne, ny peut être même imaginée. C’est une peinture qui fait voir l’avantage que la Couronne de France a sur toutes les autres Couronnes, & voicy les termes dont il se servit.

Qui a-t-il Messieurs de plus capable d’éblouïr l’ame, & de luy inspirer de l’orgueil que de se voir elevé à la dignité auguste de Roy de France. Cette Couronne brillante dont la gloire admirable, ainsi que celle des Lys qui la composent, efface tout l’éclat de la Pompe de Salomon, & ne voit rien sur la Terre qui luy soit semblable ; cette Couronne, superieure qui ne dépend ni du sort des Armes, ni du choix des Peuples, ni de l’approbation ou du sufrage des Pontifs ; cette Couronne si illustre qu’on la regarde comme le premier fleuron de celle de l’Eglise ; si ancienne qu’elle peut se dire la Tige & l’origine de plusieurs autres, si entiere qu’elle ne soufre point de partage, si absolue qu’elle renferme toutes les volontez dans une seule, si jalouse de son honneur qu’elle ne veut estre portée que par le sexe le plus noble, si puissante qu’elle peut seule se defendre contre toutes les entreprises de ses voisins ; cette Couronne, qui comme dit un S. Pape, éleve autant ses Maistres au dessus des autres Princes, que les Princes sont élevez eux mêmes au dessus de leurs Sujets, qui les met en état de n’avoir point d’autres Arbitres de leurs actions que leur propre conscience, point d’autres bornes que leur Justice, point d’autres Loy que leur bon plaisir, & leur sage volonté ; Couronne enfin, dont la pleine & absolue independance rendant ses Monarques les expressions & les Images de Dieu, les expose en même temps à oublier la qualité & la nature de l’homme.

Comme je n’ay entrepris de vous raporter icy que ce qui regarde le Roy & sa Couronne, j’ajouteray seulement à ce que vous venez de lire, que cet Orateur sur la fin de son Sermon, aprés avoir justifié l’entreprise de Saint Louis, & fait voir que ses disgraces luy avoient esté glorieuses, poursuivit en ces termes.

Apprenons de là, Messieurs, à ne pas juger temerairement de la conduite de la Providence, & à ne point prendre pour un effet de son courroux la rigueur salutaire qui nous afflige quelques fois. Souvenons-nous plutost qu’il y a plus d’une Benediction dans la Maison du Pere Abraham, & que les disgraces de Jacob sont infiniment plus avantageuses que les prosperitez d’Esaü. Que le Seigneur a plus d’une voye pour faire triompher ses Serviteurs, & que s’il neglige quelques fois le Heros, ce n’est que pour mieux faire éclater le Chrestien. Ne nous plaignons plus à ce prix-là, des traverses que Dieu a suscitées à S. Louis, ne nous plaignons plus de celles qu’il a fait éprouver à nôtre Auguste Monarque. Ce n’est qu’un Trait de plus ajouté à son Tableau, & un rapport qui formera entre son bien-heureux Predecesseur & luy une parfaite ressemblance. Ses actions l’ont rendu grand comme Saint Louis, ses épreuves le rendront Saint à son exemple. C’est le seul souhait qui nous restoit à faire pour luy, & la seule gloire à laquelle il est sensible. Il ajoûta ensuite en s’adressant à Messieurs de l’Academie : Vous seuls, Messieurs, pouvez dignement celebrer un tel Roy, & nous exprimer tous les mouvemens de sa grande ame, qui non contente d’avoir tout fait pour la Religion, est encore disposée à tout souffrir & à tout risquer pour elle.

L’aprés-dînée du même jour, l’Academie s’assembla pour distribuer les Prix, ce qu’elle fit à la maniere acoutumée. Le Prix de Prose fut delivré à Mr de la Mothe, connu par son merite, par tous les ouvrages qu’il a composez, & par les Prix de Poësie qu’il avoit déja remportez. Ainsi il ne luy manquoit plus qu’un Prix de Prose, pour faire connoistre qu’il travaille également bien en Prose & en Vers. Voici le sujet du Prix qui luy fut adjugé.

Bien-heureux celuy qui a la prudence & la sagesse ; mais plus heureux encore qui a la crainte de Dieu.

Mr de la Mothe fit voir dans la premiere partie de son discours, que l’homme estant l’ouvrage de Dieu, il est infiniment grand, & que pour paroître tel aux yeux de tous les hommes ; & avoir la prééminence, il cherche à se distinguer par toutes sortes de moyens remplis d’éclat ; mais principalement par la valeur & par la science ; que cependant il s’avilissoit par le peché, & que la desobéïssance avoit commencé à le dégrader & à le faire décheoir de sa grandeur.

Il montra dans la seconde Partie, que la crainte de Dieu faisoit recouvrer à l’homme sa premiere grandeur, par sa volonté qui s’unissoit avec Dieu, & par la grace qui le mettoit au-dessus de tout, & qui luy faisoit mépriser la mort & l’effort des Tyrans qui persecutoient l’Eglise.

Mr de la Mothe fit un remerciement à Mrs de l’Academie, par une Ode dont Mr de Sacy fit la lecture, & qui fut generalement applaudie. Mr l’Abbé Regnier luy répondit au nom de l’Academie, & luy dit qu’il auroit fallu qu’elle eut eu encore un Prix à donner pour couronner cette Ode ; mais qu’elle n’en avoit pas assez pour récompenser dignement son merite. À quoy Mr l’Abbé Bignon ajouta que l’Academie devoit desormais le mettre hors d’estat de disputer, ce que l’Assemblée approuva par une espece de murmure qui fit connoistre qu’elle applaudissoit à ce que Mr l’Abbé Bignon avoit dit.

Le Prix de Poësie fut ensuite délivré à Mr l’Abbé Asselin, qui n’estant encore âgé que de vingt-trois ans, vient d’estre reçû Bachelier de Sorbonne, ce qui marque la rapidité de ses progrés dans ses études, de même que le Prix de Vers fait voir la beauté de son genie.

Le sujet du Prix de la Poësie estoit sur ce que le Roy, au milieu du tumulte des Armes, protege les Arts & les Sciences.

Dans la premiere Strophe de son Ode, il s’adresse aux Dieux ; il leur demande si nous entendrons toûjours des cris : si nous serons toûjours sujets à mille allarmes, & si les Dieux nous abandonnent, quel autre secours nous avons à esperer ?

Il fit ensuite une vive peinture des Arts ; il dit que malgré la guerre il apperçoit un petit coin de terre où regne Minerve, & qu’elle soûtient toûjours ; que là le Philosophe y admire en repos & réfléchit sur les ouvrages de la Nature ; que les moindres choses y sont des merveilles ; que la Matiere y pense que le Corps a des sentimens ; & que l’Homme oblige la Parque à luy filer de nouveaux jours. Il fait voir que le Roy, soit qu’il se deffende ou qu’il soit victorieux, est toûjours le même Heros ; & il finit par une comparaison du Soleil, dont la lumiere attire à luy des vapeurs & des nuages épais dont les rayons penetrent au travers, tandis qu’au dessus il est dans sa Sphere toûjours clair & toûjours lumineux.

[Réjouissanses faites à Lima, capitale du Perou, aussi tost qu’on y eut appris la naissance du Prince des Asturies] §

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9], p. 78-112.

Ayant à vous parler des Rejoüissances qui se sont faites à Lima, Capitale du Perou, aussi-tost qu’on y eut appris la naissance du Prince des Asturies, j’ay crû vous devoir faire part d’une Lettre écrite par un Officier de Mr le Marquis Dos Rios Vice-roy du Perou, qui fait une Description de cette Capitale.

Je vous instruiray, Monsieur, puisque vous me l’ordonnez de ce que j’ay remarqué en ce Pays depuis que j’y suis. Lima Capitale de ce Royaume, & qui est le séjour ordinaire du Vice-roy que le Roy d’Espagne y tient, est prés du Callao, Port où les Vaisseaux abordent à deux lieuës de Lima ; elle est plus grande qu’Orleans. On ne voit rien que de beau & de fort regulier dans le Plan de la Ville qui est au pied des Montagnes & dans un terrain fort uni. Une petite riviere qui a peu d’eau, mais qui en Esté s’enfle extraordinairemens par la fonte des neiges des Montagnes voisines, baigne ses murailles. On trouve dans le milieu de la Ville une grande Place fort belle que le Palais du Viceroy, borne d’un costé ; l’Eglise Cathedrale & la Maison Archiepiscopale font l’autre face de la place & les maisons particulieres & quelques boutiques de Marchands forment les deux autre faces. Les tremblemens de terre, plus frequens & plus teribles encore dans le Perou que dans les autres parties de l’Amerique sont cause que les maisons n’ont qu’un étage. Le bois & la terre sont la matiere dont on les construit, & un toît plat qui les couvre, leur sert en même temps de terrasse. Les ruës sont belles, larges, grandes, & tirées au cordeau. Les Eglises Magnifiques & basties d’aprés les plus belles d’Italie. L’or & l’argent brillent sur les Autels, & quoyque le nombre des Eglises soit grand ce riche metal n’y est pas épargné ; il est vray que la forme manque quelque fois aux ouvrages d’Orfévrerie, & que le travail n’en est pas assés délicat. Les Jesuites ont cinq maisons à Lima toutes tres-magnifiques. Le College de Saint Paul qui ne le céde à aucune de ce genre, est la premiere. Le Port de Callao est tres-bon, il peut contenir mille Vaisseaux. Il y en a toujours plusieurs dont les Marchands se servent pour faire leur Commerce au Chili & à Panama, de même qu’en d’autres Ports des Etats du Roy d’Espagne en Amerique. La Forteresse est un bel Ouvrage ; elle commande le Port, & elle est bonne, & fournie d’une nombreuse Artillerie, toute de Bronze. Vous n’ignorés pas, Mr, que les Mines du Perou sont tres-celebres, & qu’on en tire une quantité d’Or extraordinaire. Nos Vaisseaux, j’entens ceux des deux Couronnes, ont tenté la route de la Mer du Sud ne pouvant passer qu’avec un extrême danger les détroits de la Sonde, de Malague, & les autres détroits de la Mer Orientale dont les Hollandois, & les Anglois, sont les Maistres ; & par là, Mr, ils s’ouvrent un nouveau passage à la Chine par les détroits de Magellan, & de le Maire. J’ay fait graver une Carte avec une description fidelle de ces deux détroits, de l’Isle de Feu & des Isles d’Anycan & de Beauchesne qu’on a nouvellement découvertes. La position du Cap de Horn le plus Meridional de l’Amerique, se trouve un peu differente de celle que l’on voit dans les Cartes ordinaires. Il est placé au 56e degré & demi de latitude Meridionale parce que quelques observateurs assurent que leurs Vaisseaux s’étant élevez vers le 57e degré & demi, ils n’aperçurent point ce Cap, qu’ils jugerent par consequent avec raison pouvoir estre environ à un degré au dessous d’eux. À l’égard des Isles d’Anycan, qui sont au Sud-Est de celles de Sebalde, c’est un amas d’Isles dont on ne connoist encore ny la grandeur ny le nombre. Mrs Fouquet & du Coudray Perée, qui commandoient les plus beaux Vaisseaux de ceux qui tenterent la route de la Mer du Sud, les découvrirent en revenant de la Mer du Sud, & leur donnerent ce nom en consideration de Mr d’Anican (Lépine) Chef de l’entreprise qu’ils executerent tres heureusement, & dont le zele pour la Religion & pour la gloire de l’Etat a brillé en tant d’occasions que le Roy l’a fait Chevalier de l’Ordre de Saint Michel pour recompenser ses services. Il est de Saint Malo d’une famille distinguée. Quant à l’Isle de Beauchesne elle a pris son nom d’un homme d’un merite particulier, & qui est aujourd’huy Sénéchal de la Ville de Saint Malo. Il découvrit cette Isle dans le Voyage qu’il fit en l’année 1701. à la Mer du Sud, ainsi que Mr de Lisle l’a remarqué dans ses belles Cartes de l’Amerique. Le premier Port du Perou où l’on moüille ordinairement, est celuy d’Arica à 19. degrez environ de latitude meridionale. Cette Ville & ce Port estoient autrefois tres-celebres, parce qu’on y chargeoit les richesses immenses qu’on tiroit des Mines du Potosi, pour les conduire par mer à Lima, mais depuis que les Forbans Anglois ont infesté ces mers par leurs Pirateries, on a pris soin de les conduire plus seurement, mais avec plus de dépense. Le Port de Hilo est à trente lieuës de celui-ci & à quarante de Lima. Celui de Pisco auprés duquel il y avoit autrefois sur le rivage de la mer une Ville celebre, qui fut presque détruite par le furieux tremblement de terre qui arriva le premier Octobre de l’an 1687. On a tâché de rétablir cette Ville à un quart de lieuë de là. Je suis, Monsieur, &c.

Voicy la Relation dont je viens de vous parler.

Lors que l’on apprit à Lima l’heureuse Naissance du Prince des Asturies, le Chapitre de la Cathedrale députa un Chanoine de son Corps, nommé Don Joseph Ruis-Cano, pour aller à Madrid feliciter S.M.C. Ce Chanoine est icy, où il est connu & estimé. Il y avoit déja fait quelque sejour, & il est venu avec quelques autres Espagnols de distinction, sur le Vaisseau l’Aimable, qui ariva à Port Louis, il y a quelques mois, lors que Mr de Chabert chef d’Escadre revint de la Mer du Sud avec les Vaisseaux du Roy qu’il y avoit conduits. Ce même Chanoine est aussi deputé de son Chapitre pour passer de la Cour d’Espagne à celle de Rome, pour y poursuivre la Canonisation du Bien heureux Dom Toribio de Mogrobejo, qui a esté Archevêque de Lima. Il y a peu d’Etrangers qui ayent à Paris plus de connoissances & plus d’amis que luy. C’est de ce Chanoine qu’on a sceu les particularitez des Festes dont je vous envoye le détail.

Le 25. du mois de Mars de l’année derniere à dix heures du soir la premiere nouvelle de la Naissance du Prince, que demandoient au Ciel avec tant d’instance & dans tant de climats differens, les fideles Espagnols, arriva à Lima. Dans le même instant cette nouvelle fut répanduë par tout par le son de toutes les cloches de la Cathedrale, & à son exemple par celuy de celles de toutes les Paroisses & de tous les Convens. Ce ne furent d’abord que cris de joye, applaudissemens, felicitations reciproques, feux, illuminations, rejouissances, & tout ce que peut produire dans une Ville grande & magnifique la joye la plus vive des particuliers & du Public. Ces premieres Festes durerent toute la nuit.

Le jour suivant le Chapitre alla au Palais du Viceroy, pour luy témoigner sa joye & le feliciter sur cet heureux évenement. Tout le Chapitre s’assembla ensuite pour resoudre de quelle maniere il donneroit en cette occasion les plus grandes demonstrations de sa fidelité, de son affection & de son zele pour un si digne Roy, & pour un Prince, que cette Metropolitaine n’avoit point cessé de desirer & de demander à Dieu. Il fut resolu qu’aprés des actions de graces renduës par un Te Deum solemnel, où Mr le Viceroy, les Tribunaux, les differens Corps de Justice, & les Communautez se trouveroient, on choisiroit un jour pour celebrer une Messe solemnelle, & pour faire des Festes du plus grand éclat ; & pour donner tout le temps necessaire aux plus grands preparatifs, on resolut de faire le 12 du mois de May suivant la plus grande & la plus éclatante réjouissance qui eust esté vuë au Perou depuis que les Espagnols en ont fait la découverte & la conqueste. Mr l’Archevêque de Lima n’estant pas en état d’agir ni même de s’y trouver à cause de ses continuelles infirmitez, le Venerable Doyen & ce fameux Chapitre nommerent de concert deux Commissaires pour l’execution de tout ce qui fut resolu en plein Chapitre, & tout fut executé dans le temps marqué, d’une maniere digne du zele de cet illustre Corps & de l’application, & du merite de ceux qui en furent chargez, qui sont Mr le Docteur Don Melchor de la Nava qui avoit la dignité de Chantre & qui a presentement celle d’Archidiacre de l’Eglise de Lima, & Mr le Docteur Don Bernardo Zamudio de Las Infantas, Chevalier de l’Ordre de Saint Jacques & Chanoine de la même Eglise. Ils s’acquiterent l’un & l’autre de leur commission avec un aplaudissement general.

On fit élever dans la grande Place de Lima deux Autels magnifiques d’une Architecture aussi admirable que sçavante, avec des Colomnes enrichies par l’argent, l’or, & les pierreries qui les couvroient ; de maniere qu’il ne s’est guere rien vû de plus riche que ces deux Autels, où les plus grandes richesses du Perou parurent rassemblées, toutes les Dames s’estant empressées d’y envoyer leurs plus belles pierreries & leurs joyaux les plus precieux. On prit soin en même temps de faire border de balustres & d’échafaux, les places & les ruës par où devoit passer la plus belle Procession qui eut encore esté vûë.

L’ouverture de cette grande Feste se fit trois jours avant le jour marqué, puis qu’elle se fit dés le 9. du mois de May, ce qui fut resolu par le Viceroy, par les Tribunaux, & par tous les Corps de Justice, dont le premier est celuy que les Espagnols apellent Audiencia, qui peut estre regardé comme ce que nous appellons Parlement. On voyoit avec les richesses & les ornemens des deux Autels de la grande place, deux grandes & belles Statues l’une de Saint Loüis, & l’autre de Saint Ferdinand, qui representent les Saints Ayeux du jeune Prince. Le détail des richesses dont brilloient ces deux Autels pourroit remplir un Volume entier. Tout s’estant donc trouvé en état dés le 9. du mois de May, les Festes & les réjouissances publiques commencerent dés ce jour-là, ou plutost furent continuées avec plus d’éclat n’ayant point cessé depuis le 25. du mois de Mars. Le jour marqué la belle place qui est devant la Metropolitaine & la façade de cette grande Eglise se trouverent magnifiquement ornées. Sur le soir les Tambours, les Timbales, les Trompettes, les Hautbois & les Violons y attirerent un concours prodigieux de gens de tous estats. Une illumination formée par une infinité de gros flambeaux de cire blanche, quoy que rare & fort chere en ce Païs-là, imita la clarté du plus beau jour pendant toute la nuit : toutes les ruës estoient aussi remplies de Feux & d’Illuminations.

On fait peu en Europe de Feux d’artifice d’une plus grande beauté que ceux qui se font d’ordinaire à Lima ; mais on n’y en avoit jamais vû de la magnificence de ceux qui s’y sont faits en cette occasion. Parmi tous les ornemens dont on avoit enrichi cette Place qui est en face de l’Eglise, on avoit élevé à perte de vûë differens Edifices allegoriques, d’où sortoient à tous momens des Feux de toutes sortes d’Artifices & en si grand nombre, qu’ils auroient fait de cette Place un Mont Ethna, qui auroit effrayé, si la varieté & la repetition successive des gerbes, des girandoles, & de tant de differentes machines de feu, n’en avoient fait un objet comme immense d’un spectacle pompeux qui ne contentoit pas moins l’esprit, qu’il charmoit la vuë. La Symphonie continua toute la nuit : les feux furent renouvellez à plusieurs reprises ; & les plaisirs y furent si diversifiez que peu de gens songerent à se retirer ce nuit-là ny les suivantes. Le Balcon de la grande Salle du Chapitre fut aussi richement orné & illuminé magnifiquement. Les Portraits du Roy & de la Reine d’Espagne y estoient exposez sous un Dais d’un tissu d’or bordé d’une grande crespine de même. Ce fut là l’objet de la plus grande attention du Peuple. Et un grand nombre d’Indiens ayant autant de zele que de tendresse pour Leurs Majestez, les admirerent un genoüil en terre, en leur donnant mille benedictions, & en meslant leurs applaudissemens aux cris de Vive le Roy, qui retentissoient de toutes parts. Dés le 9e de May on fit imprimer des billets circulaires pour inviter à cette solemnité toutes les personnes qui par leur presence & par leur nombre pouvoient en augmenter l’éclat. Tout se passa dans Lima pendant trois jours en rejoüissances publiques & particulieres & en preparatifs pour cette grande feste.

Le 11. au soir ces rejoüissances redoublerent dés le matin ; on avoit travaillé à élever dans la Place dix Chasteaux dans toutes les regles de l’Architecture, avec des figures allegoriques convenables au sujet dont il s’agissoit. Les Inscriptions & le détail de ces Monumens élevez à la gloire de S.M.C. & au bonheur de la naissance du jeune Prince meriteroient une Description particuliere. Le tout estoit de l’invention d’un des plus beaux esprits de Lima, & ce n’est pas peu dire, car il y a peu de grandes Villes où il se trouve plus d’esprit & un plus grand nombre de Sçavans & de gens de Lettres. On en voit une preuve dans le Seigneur Laurenço de las Llamosas, natif de Lima, qui est ici depuis quelques années, & dont les Sçavans & les gens de Lettres admirent l’esprit, la science, l’érudition, & le beau genie. Personne ne parle mieux que luy sur toute sorte de sujets, & personne n’écrit mieux en Prose & en Vers. Il joint à tant de grandes qualitez une affabilité & une conduite qui en font rechercher la societé.

Le 12. à huit heures du matin la grande Eglise, quoyque des plus spacieuses, se trouva si remplie de personnes de consideration de tout sexe & de tout âge qu’à peine y pouvoit-on entrer. Outre les Ornemens d’une prodigieuse richesse qui se trouvoient par tout avec autant de goust que d’art, on y avoit placé à portée les uns des autres cinq grands Chœurs de Musique, où une infinité d’Instrumens se joignoit à un plus grand nombre des plus belles Voix. La Musique en fut trouvée tres-belle. Elle estoit de la composition de Don Thomas de Torrejon Maître de Chapelle de cette Eglise. Cette Musique commença aussi tost que S.E. Mr le Marquis de Castel-Dos-Rius, Viceroy du Perou, parut avec toute sa suite, & avec la magnificence qu’il sçait ajouter à tout ce qu’il fait. Les Tribunaux vinrent avec S.E. Les differens Chœurs de Musique se répondirent les uns aux autres pendant que chacun prenoit sceance. Lors que chacun fut placé, on commença la Messe qui fut celebrée avec les Ceremonies les plus pompeuses, par Mr le Chantre, Mr l’Archevêque ne l’ayant pu, comme je l’ay déja dit, à cause de son grand âge & de ses infirmitez. Don Francisco Garçés Theologal de cette Eglise prononça un Panegyrique des plus éloquens. Il s’attira des aplaudissemens qui firent oublier le lieu où l’on estoit, & ce qu’il dit de touchant & de délicat de leurs Majestez Catholiques, & de l’heureuse naissance du Prince, charma toute l’Assemblée. La Messe estant finie, on chanta solemnellement le Te Deum. Ce fut où triompha cette belle & nombreuse Musique. Sur le soir on fit la Procession. On sçait de quelle magnificence se font les Processions dans toutes les Espagnes ; mais celle-cy estoit au dessus de tout ce qu’on en sçait. Le Saint Sacrement y fut porté. On y porta aussi Nôtre-Dame des Rois, qui est placée dans le Grand Autel de cette Eglise & pour laquelle le Peuple a une grande dévotion ; elle n’en estoit pas sortie depuis que l’Empereur Charles V. l’avoit envoyée d’Espagne. Les ruës estoient tapissées magnifiquement & on voyoit de riches tapis à toutes les fenestres. On avoit pratiqué par tout des échaffaux, des barrieres, & des balustres, pour la commodité du peuple & pour le dégagement de la Procession. En sortant on trouva sous les armes toutes les troupes de Cavalerie & d’Infanterie qui firent trois décharges dés que le Saint Sacrement parût ; & qui firent la même chose au retour. On en doit faire une Relation par ordre du Chapitre. Les Autels demeurerent ornez & illuminez deux jours de suite aprés la feste. Le concours y fut prodigieux nuit & jour, & il y eut une Musique continuelle, & on ne chanta pendant ces deux jours dans la grande Place où l’on avoit élevé ces deux magnifiques Autels, aprés les loüanges de Dieu, que celles du Roy & de la Reine d’Espagne.

Leurs Majestés Catholiques ne sont pas moins honorées & moins cheries au Perou & dans tous leurs Etats les plus éloignez qu’à Madrid & dans toute l’Espagne : à l’égard du Chapitre de Lima, il seroit mal aisé de porter plus loin le zele & l’affection. Toute cette Ceremonie luy coûta environs trois mille pistoles, & il a fait present à S.M.C. d’une pareille somme, & l’on porta de sa part aux coffres de S.M.C. dix mille Piastres, pour grossir d’autant les sommes qui luy devoient estre envoyées ; & que Mr de Chabert Chef d’Escadre a aportées, sa navigation ayant eu tout le succés que l’on en pouvoit attendre. Le Chapitre de Lima en son particulier en a donné avis à S.M.C. par les Lettres dont il avoit chargé pour S.M. Don Joseph Ruis-Cano qui n’ira executer sa Commission à Rome qu’aprés s’en estre acquité à Madrid.

[Lettre tres curieuse & fort estimée] §

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9], p. 166-182.

La Lettre que je vous envoye estant regardée comme un prodige de tous ceux qui l’ont luë, j’ay cru que je vous ferois plaisir de vous l’envoyer. Je la tiens d’une personne qui a esté temoin des faits qu’elle contient.

Je dois vous faire part d’un Miracle qui se fait tous les jours à Sceaux. C’est en effet un Ouvrage d’esprit si étonnant, que je ne sçay si la posterité le voudra croire, & pour vous disposer à y adjouter foy, je commence par dire qu’il s’agit de Mr de Malezieu. Personne n’ignore l’étenduë immense de son esprit, & la multiplicité de ses talens. On le connoist pour un de ces hommes merveilleux qui paroissent aprés plusieurs siecles, pour éclairer les autres. Son esprit est un Instrument universel qu’il applique à tout avec la même facilité. Les secrets les plus impenetrables des Mathematiques, les plus sublimes veritez de Metaphisique, les merveilles de l’Astronomie, les ressorts de la Nature, s’allient dans cet homme incomparable, avec les plus belles fleurs de la Poësie, & les charmes de la conversation. En un mot, pour me servir des propres termes d’un homme Illustre & tres-distingué par sa place & par ses talents ; quand je me trouve dans une conversation de gens d’esprit, il m’arrive quelque fois de sentir quelques legers mouvemens d’envie, & de faire une comparaison secrette de ce que j’entens, avec ce que je pourrois dire en pareille occasion ; mais quand Mr de Malezieu parle on reconnoist une si grande superiorité, qu’on s’abandonne tout entier à l’admiration, & qu’on ne s’avise pas un moment, d’envier ces dons d’en-haut, où l’on sent bien qu’on ne sauroit jamais atteindre.

Que ne doit-on pas croire d’un tel homme. Et cependant je doute encore si ce que je vais dire pourra estre crû. En tout cas ceux qui voudront se convaincre par eux mêmes, n’ont qu’à obtenir la permission d’aller quelques fois à la Cour de Madame la Duchesse du Maine, le fait que je vais avancer, a pour temoins plus de deux cent personnes des plus éclairées du Royaume, qui depuis trois ans que ce prodige paroît, en sont aussi étonnées que le premier jour.

Madame la Duchesse du Maine, que ses talens admirables élevent au-dessus des genies ordinaires autant que le sang Royal de France l’éleve au dessus du Peuple, ayant oüi parler plusieurs fois de ces grands personnages de l’antiquité, que leur merite a fait passer jusqu’à nous, voulut en avoir une connoissance plus particuliere ; elle engagea il y a environ trois ans Mr de Malezieu à luy expliquer les Comedies de Terence, dans ses heures de recreation : voila la premiere époque de toutes les merveilles qui ont paru depuis. Ces premieres explications, la saisirent d’une telle admiration, qu’il ne luy a pas esté possible depuis ce temps de les interrompre. Elle a donné tous les jours sans manquer une heure & demie à cette occupation si instructive & si digne de son esprit. Terence, Virgile, Homere, Euripide, & Sophocle lui ont esté entierement expliquez. Mais il faut dire comment. J’en ay esté temoins plus d’une fois ; je le croy parce que je l’ay veû. On ouvre devant Mr de Malezieu, l’Iliade en Grec, sans scholies, sans interpretation : il la lit sur le champ en françois sans prononcer un seul mot du texte, sans hesiter un instant, sans s’interrompre, sans se reprendre une seule fois, avec des termes si precis, & un arangement de paroles si merveilleux, qu’il n’est pas possible de s’empêcher de croire qu’on entend un excellent lecteur qui lit un livre françois, de la premiere excellence. Je sçay que de forts grands connoisseurs y ont esté trompez ; un homme de merite estant un jour entré dans la chambre de Madame la Duchesse du Maine pendant l’une de ces explications, se plaça derriere un paravent, d’où il ne pouvoit voir ni le Traducteur ni l’Assemblée. Mr de Malezieu expliqua l’adieu d’Hector & d’Andromaque. L’Assemblée fondit en larmes, & avoüa tout d’une voix n’avoir jamais rien entendu de pareil. On vit alors paroistre l’Auditeur caché. Il demanda avec empressement & de tres-bonne foy, où se vendoit cette admirable traduction. On luy presenta le Livre. Il crût qu’on se moquoit de luy, & enfin, convaincu par un explication qui luy fut faite à Livre ouvert, d’un endroit qu’il choisit luy même, nous eûmes le plaisir de le voir demeurer comme un homme ensorcelé & stupide d’admiration. Je veux bien avoüer icy ce qui m’est arrivé à moy même ; je me trouvay l’année derniere, à l’Explication du 4. Livre de l’Eneïde ; je fus charmé. Je sentis dans l’explication de Mr de Malezieu des beautez qui m’avoient échapé dans l’original, que je sçais par cœur, ou peu s’en faut ; il me parut incomprehensible, qu’une telle traduction put estre faite sur le champ. Je crus que s’estoit un jeu joüé que la traduction avoit esté limée, avec beaucoup de soin & de loisir ; & que l’admirable memoire de Mr de Malezieu avoit voulu se joüer de ma credulité. J'esperay de sa politesse qu’il ne seroit pas offensé, si je voulois aprofondir le mistere. J’avois Eschile. Je l’ouvris au hazard, & tombay sur un endroit fort pathetique de la Tragedie d’Agamemnon. Ce fut là veritablement que je crus rêver, & que je voulus douter du rapport de tous mes sens. Mr de Malezieu m’expliqua environ deux cent vers si vivement, si rapidement, si pathetiquement, & de plus, me les déclama en les expliquant avec tant de force & de vehemence, que je doute si jamais l’original representé devant les Atheniens, fit autant d’effet sur eux, que m’en fit alors cette admirable Traduction.

Ce fait que je viens de rapporter me conduit naturellement à parler de l’explication des Tragedies de Sophocle. Peut-estre que jamais aucun ouvrage, n’a agi si puissamment sur un Auditoire. Et quel Auditoire encore ? Où en pourroit-on trouver ailleurs un plus éclairé ? On sçait qu’il est composé d’excellens Juges, de Sçavans hommes dans les Langues, & en tout genre de Litterature ; & de Maistres de l’Art ; sans entrer dans un plus grand détail, l’Autheur de Penelope & de Joseph, ces merveilleuses Tragedies qui ont fait verser tant de larmes ; l’illustre Abbé Genest n’a voulu perdre aucunes de ces Explications ; on a eu la satisfaction de le voir plus d’une fois, cet homme qui fait si bien pleurer les autres, fondre luy-même en pleurs, pendant que Mr de Malezieu interpretoit, ou pour mieux dire representoit les Tragedies de Sophocle. Car en effet, c’estoit un spectacle, & un admirable spectacle, où l’excellence de l’action accompagnoit si parfaitement la magnificence & la justesse de l’expression, qu’elle faisoit sentir toute la grandeur de ce Prince des Tragiques, dont beaucoup de gens fort habiles d’ailleurs, n’ont pas une assez juste idée. Il falloit à tous momens que le Traducteur s’interrompist, pour donner temps aux acclamations & aux larmes. C’estoit alors que Mr l’Abbé Genest s’écrioit qu’il reconnoissoit Sophocle ; que Sophocle se seroit reconnu luy-mesme ; & non pas dans ces froides Interpretations Latines, où pour avoir voulu s’attacher servilement à la lettre, on a défiguré l’esprit de cet incomparable Autheur. Le reste de l’Auditoire applaudissoit par ses soupirs & par ses larmes. Les Sçavans, les gens du monde, les Dames tout estoit également attendri, & transporté d’admiration. En un mot j’ay vû representer nos plus excellentes Tragedies, par les Floridors, les Monfleuris & les Barons, je n’ay jamais vû d’Assemblée plus saisie, plus transportée, plus attendrie, que l’illustre Auditoire de Sceaux pendant les Explications de Mr de Malezieu. Je l’ay déja dit, je le repete, je n’espere pas estre crû. Car enfin cet effort d’esprit paroît au-dessus de l’homme. Sans parler de la connoissance parfaite des Langues, qui n’est qu’une bagatelle en comparaison du reste, quels talens ne faut-il pas, quelle étonnante presence d’esprit, quelle vivacité d’imagination, quelle facilité à parler sur le champ, quelle élevation de genie, quel foudre d’éloquence ? Je ne finirois point, si j’attendois que je fusse content de mes expressions ; quelques efforts que je fasse, je demeure fort au-dessous de mes idées, & je finis par les mesmes paroles que j’ay eu l’honneur d’entendre prononcer à la divine Princesse, qui par son goût excellent a donné lieu à ces admirables Traductions. M. de Malezieu m’a fait sentir dans les grands Hommes de l’antiquité des beautez que je ne connoissois pas ; j’avouë que je n’avois pas l’idée de la grandeur de la Tragedie, avant qu’il m’eût fait connoître Sophocle : mais j’avouë en mesme temps, que dans les dernieres lectures, tout admirable que m’ait paru Sophocle, ma plus grande admiration a esté pour son Traducteur.

[Remarques curieuses sur les Imprimez publiez chez les Ennemis] §

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9], p. 376-381.

Je reviens à ce qui regarde les Imprimez publics, publiez chez les Alliez, dont je vous ay déja parlé dans le plan que je vous ay donné pour vous faire voir l’ordre que je tiendrois en vous donnant le détail d’un évenement aussi grand que celuy de la Bataille dont on parle aujourd’huy presque dans toutes les parties du monde. Je vous ay parlé des changemens que l’on avoit faits dans la pluspart des Relations qui sont dans ces Ecrits, & qui ont esté envoyez aux Etats d’Hollande. Ces déguisemens sont faits avec beaucoup d’adresse, & l’on a tâché d’y affoiblir la grandeur des pertes faites par les Alliez ; mais on n’y est pas disconvenu des faits principaux comme ont fait des Ecrits volans tolerez & non donnez avec permission, qui ont osé nier que leur perte fust plus grande que la nostre, & qui loin de convenir de la beauté de nôtre retraite sans qu’on ait osé nous poursuivre, ont dit grossierement & imprudemment qu’ils nous avoient poursuivis toujours en couvrant la campagne de nos morts, & qu’ils avoient enlevé tous nos Etendarts, tous nos Drapeaux, & toutes nos Timbales, quoy que nous fussions beaucoup plus forts. Ils n’estoient pas bien informez, ou ne vouloient pas l’estre, que leurs Superieurs ont tenu un plus sage langage, & que tous les Generaux des Alliez ont fait voir là dessus une bonne foy plus ordinaire aux Gens de guerre qu’à ceux des Ecrivains qui ne mettent la main à la plume que pour parler directement contre la verité ; mais on a remarqué en cette occasion ce que dit le Proverbe ; sçavoir, que qui dit trop ne dit rien. Depuis les premieres nouvelles imprimées, ceux qui avoient marqué quelque sagesse dans leurs premiers Ecrits, ont fait voir qu’ils en avoient moins dans leurs seconds, en y inserant des Relations qui de notorieté publique sont entierement contraires à la verité, sous pretexte qu’ils donnent des Relations qui sont tombées entre leurs mains ; mais ils ne font pas reflexion qu’ils démentent par là les Relations originales qui ont esté envoyées à leurs Superieurs. Enfin il est constant que presque tout le Regiment des Gardes bleuës Hollandoises à pied a esté tué ou ruiné, ainsi que celuy de Dedem, & les six anciens Regimens Ecossois qui sont à la solde de l’Etat, & dont cinq Colonels ont esté tuez, & le sixiéme blessé tres-dangereusement ; que les Gardes bleuës à cheval n’ont pas esté mieux traitées ; que de tous ces Regimens il y a eu des Compagnies entieres dont on n’a trouvé aucuns restes ; & que les Troupes Angloises, & particulierement les Gardes, n’ont pas moins souffert, non plus que les Troupes de quelques Princes d’Allemagne ; & il paroît même que parmi la Liste des Officiers Generaux que les Alliez ont perdus, il s’en trouve encore plus d’Anglois que de Hollandois.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9], p. 395-396.

Cette Lettre estant toute extraordinaire, & ne parlant presque que de guerre, ce qui m’a obligé de remettre à un autre temps les Articles dont elle est ordinairement composée, je n’ay pu encore trouver de place, pour y mettre l’une des deux Chansons que je vous envoye chaque mois. Celle qui suit est d’une Dame qui a fait plusieurs Ouvrages d’un grand éclat, & qui ont eu un tres-grand succés dans le monde.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Vous me parlez toûjours d’Iris, doit regarder la page 395.
Vous me parlez toûjours d’Iris,
En seriez vous encore épris,
Expliquez-vous, qu’en dois-je croire ?
Rien ne peut calmer ma frayeur,
Iris est dans vostre memoire,
N’est-elle point dans vostre cœur ?
images/1709-09_395.JPG

Enigme §

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9], p. 396-400.

Je passe à l’article des Enigmes. Ceux qui ont trouvé le veritable mot de la derniere, qui estoit le Melon, sont Mrs Barrois ; de Manonville ; fils de Mr l’Envoyé de Lorraine ; de Montion ; de Losme ; Gagnat, l’Humaniste ; Dumont le fils, de la ruë saint Honoré ; Sarcus, de Beauvais ; de la Court, Conducteur de la Barque ; Jacque mon Neveu ; de la ruë Mauconseil ; le Sçavant d’Armanson ; Dercourt ; Moriset, de la ruë des Amandiers ; Gregoire du Palais Royal ; le jeune Vauclin ; Nicolas Petit pas, du Quay des Augustins ; Tamiriste ; le successeur de Tegor, Voisin du Petit S. Antoine ; l’Amant fidele, qui n’est pas aimé, de la ruë du Cimetiere de saint Nicolas des Champs ; le grand Devineur de l’Enfant Jesus ; les trois bons Amis de la ruë de la Huchette ; le Compere de l’aimable Angelique, de la ruë des Petits Champs ; le Discret de la ruë aux Févres ; l’Assemblée d’aprés soupé, derriere l’Hostel de Beauvais. Mlles Masson, du Marais ; Lienard, du Fauxbourg saint Germain ; la Commere de Mr Rault : la petite Tonton, de Passy : la Charmante Chantarmel, de la ruë neuve saint Eustache ; la plus belle Demoiselle de la ruë sainte Croix de la Bretonnerie ; la plus grande des belles E… de la ruë de la Truandrie ; V.D. sur son départ ; L… en joüant à l’Hombre ; les deux Sœurs à elles deux ; les deux belles Solitaires, du coin de la ruë des Fauconniers ; la charmante Baptiste, de la ruë saint Martin ; l’Aimable femme de Gregoire, du Palais Royal ; la Solitaire, de la ruë aux Feves ; la plus vertueuse Femme, de la ruë des Petits Champs ; l’aimable Angelique de la mesme ruë, & la Societé Mareschale.

Je vous envoye une Enigme nouvelle, elle est de Mr Daubicourt.

ENIGME.

Sans me vanter plus qu’il n’est necessaire,
Du beau Sexe je suis celle qui sçait mieux plaire,
  Et l’interieur de mon corps
  Plaît plus encor que les dehors,
Quand l’Art ingenieux d’une riche structure
  L’a paré d’une Mignature.
  Parmy les gens de qualité,
Comme par tout ailleurs, je fais quelque figure,
Quoyque de petite structure,
Je tiens fort bien mon rang dans la societé :
Si je ne suis ny sensible ny tendre,
De mes Amans je contente l’ardeur,
  Pour eux je me laisse répandre
  Sans estre moins en bonne odeur ;
Et quoy qu’à tous venans mon cœur se laisse prendre,
Je ne risque jamais de perdre mon honneur.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1709 [tome 9], p. 400.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : [l’Air] qui commence par Tircis, je le connois, doit regarder la page 400.
Tircis, je le connois, vous n’êtes point sincere,
En vain vous m’assurez d’une fidelle ardeur :
Contentez-vous, helas ! d’avoir trop sçû me plaire
Ne venez plus troubler ma raison ny mon cœur.
images/1709-09_400.JPG