1710

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1710 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1]. §

[Autre Portait aussi d’un honneste Homme ; mais en Vers] §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 82-89.

Voicy un autre Portrait fait par Mr le Chevalier de Vertron, dont on pourra aussi envoyer les noms de ceux que l’on croira ressembler à ce portrait.

Heureux, qui n’a point de desirs !
Heureux, qui se fait violence !
Qui se prive de ses plaisirs,
Et se plaist dans la dépendance !
***
Heureux l’homme de bonne foy,
Simple, sage, plein d’innocence,
Qui toûjours severe pour soy,
Pour son prochain est rempli de clemence !
***
Heureux, qui cherit le silence,
Qui ne parle qu’utilement,
Et se repose uniquement
Sur la divine Providence !
***
Heureux, qui connoissant son extrême indigence,
L’expose au Ciel incessamment ;
Et qui de son Dieu seulement
Attend toute son assistance !
***
Heureux, qui n’a rien d’affecté !
Heureux l’homme sans volonté ;
Et qui tout vuide de luy-même,
Est tout plein du vray Dieu qu’il aime !
***
Heureux qui penetré des besoins du Prochain,
Lui partage son cœur, son esprit, & son pain !
Heureux celuy qui l’édifie !
Heureux celuy qu’on humilie,
Et qui sçait profiter de ses abaissemens !
***
Heureux, qui n’a jamais de vertus chimeriques ;
Et qui cherit ses domestiques,
Comme s’ils estoient ses enfans !
***
Heureux, qui ne va point par des routes obliques !
Heureux, plus heureux qu’on ne croit,
Qui marche constamment dans le chemin étroit !
***
Heureux qui par ses soins, par son œconomie
Sçait amasser pour l’autre vie ;
Et ménager si bien ses precieux momens,
Qu’il n’en perd pas un seul en vains amusemens !
***
Heureux, qui se voit sans attache ;
Qui se fait petit, qui se cache ;
Et qui ne suit jamais ses propres mouvemens !
***
Heureux qui sur la Grace uniquement se fonde ;
Qui sçait, & ne croit rien sçavoir ;
Qui peut, & qui n’a du pouvoir,
Que pour obliger tout le monde.
***
Heureux celuy, qui du Sauveur
S’efforce d’estre la copie !
Heureux celuy de qui le cœur
Goûte la parole de vie !
***
Heureux qui sçait aimer, craindre, croire, esperer,
Comme le doit un vray Fidelle !
Heureux qui sçait perseverer,
Et soûmettre à l’esprit une chair si rebelle !
***
Heureux l’homme nouveau, qui souvent dans son cœur
Trouve une utile, douce & sainte solitude ;
Et qui fait toute son étude
De la Croix de son Redempteur !
***
Heureux le Grand sans tyrannie !
Heureux le Petit sans envie !
Heureux l’Homme toujours égal,
Qui ne pense d’autruy, ny ne dit aucun mal !
***
Heureux qui gemit & qui prie
Pour le prochain comme pour soy ;
Et qui sent pour le vice une horreur infinie !
Heureux qui se fait une loy
De son devoir, qu’il aime & qu’il veut toûjours suivre !
***
Heureux qui souffre tout, & ne fait rien souffrir !
Heureux, celuy qui sçait bien vivre !
C’est le moyen de bien mourir !

[Eloge de feu Mr de Corneille] §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 270-299.

Je vous tiens parole, & je m’acquitte de ce que je vous ay promis en vous envoyant l’Eloge de feu Mr de Corneille, Ecuyer, mort à l’âge de 84. ans. Il a porté le nom de Jeune, dans un âge fort avancé, à cause qu’il avoit un frere plus âgé que luy, connu sous le nom du grand Corneille, & qui s’estoit acquis ce surnom à juste titre. On avoit encore donné au cadet le surnom d’honneste homme, à cause de la droiture de son cœur generalement connuë. Il estoit universellement aimé, & il n’a pas paru qu’il ait jamais eu aucun ennemy ni qu’il se soit broüillé avec personne. Il étoit obligeant, d’une humeur douce, & se faisoit un plaisir d’en faire à tous ceux qui en souhaitoient de luy.

Comme l’esprit estoit hereditaire dans sa famille, il ne faut pas s’estonner s’il prit le party des Lettres. Il estoit universel, & la Poësie n’a pas fait son unique occupation. Il a donné cinq gros Volumes in Folio au Public, dont je vous parleray dans la suite, ainsi que d’autres ouvrages de Prose. Ses premiers ont esté des preuves du talent qu’il avoit pour la Poësie, & c’est ordinairement par où les jeunes gens commencent à exercer leur esprit. Il traduisit les Methamorphoses d’Ovide, & plusieurs autres Ouvrages de ce galant Auteur en Vers François, dont on a fait un grand nombre d’Editions. Ses Ouvrages de Theatre ont diverty la Cour pendant tout le temps de la Regence, & long-temps aprés, & parmy ses Comedies & ses Tragedies, dont je ne vous nommeray que quelques-unes, puisque le Recueil de ses Pieces est imprimé, il y en a eu dont les succés ont surpassé ceux des Pieces des plus fameux Auteurs ; & entre ses Comedies, Dom Bertrand de Sigaralle, a esté si estimé & si suivy, que l’on a remarqué que pendant un certain nombre d’années, il a esté joüé plus de vingt fois à la Cour, sans les representations qui en ont esté données au Public. Mr de Corneille n’estoit encore que dans un âge tres-peu avancé, lors qu’il fit joüer sur le Theatre du Marais, le Tymocrate. Nous n’avons point vû d’Ouvrage de nos jours qui ait esté representé si long-temps de suite, puisque les representations en furent continuées pendant un hyver entier ; & cette Piece fit tant de bruit, que le Roy l’alla voir sur le Theatre du Marais. Le sujet de cette Piece fut si heureux, & cette Tragedie fut si interessante, qu’on vit paroistre aussi tost plusieurs Pieces, dont les Heros estoient haïs sous un nom & aimez sous un autre. Comme la Troupe des Comediens du Marais ne passoit pas pour estre la meilleure de Paris, & que celle de l’Hostel de Bourgogne la surpassoit infiniment, & qu’elle avoit toutes les voix, cette Troupe entreprit de joüer cette Piece, à cause de la reputation extraordinaire qu’elle avoit euë ; mais comme tout Paris la sçavoit par cœur, cette Troupe n’eût pas tous les applaudissemens qu’elle attendoit, & le grand nombre de Representations qu’en avoient donné les Comediens du Marais, avoient fait qu’ils possedoient si bien cette Piece, qu’il fut impossible aux Copies d’atteindre jusqu’à la perfection des Originaux ; de maniere que lors qu’il estoit question de la voir representer, on preferoit les Comediens du Marais à ceux de l’Hôtel de Bourgogne.

Mr de Corneille fit joüer quelque temps aprés la mort de l’Empereur Comode sur le mesme Theatre des Comediens du Marais, où le Roy & toute la Cour, sur le bruit qui se répandit des grands applaudissemens que cette Piece recevoit, allerent en voir la representation, & quelque temps aprés elle fut joüée sur le Theatre du Louvre, où l’on en donna encore ensuite plusieurs representations.

Les Comediens de l’Hostel de Bourgogne, chagrins des avantages que recevoient les Comediens du Marais, mirent tout en usage pour s’acquerir Mr de Corneille, & il se trouva obligé de travailler pour eux, parce qu’ils avoient fait entrer dans leur Troupe quelques Comediens du Marais, sans lesquels ses Pieces auroient esté mal jouées. Il fit donc representer le Stilicon sur le Theatre de l’Hostel de Bourgogne. Je ne vous dis rien de cette Piece. Personne n’ignore qu’elle fut le charme de tout Paris. Mr de Corneille donna ensuite Camma, Reine de Galatie, & la Cour & la Ville se trouverent en si grand nombre aux Representions de cette Piece, que les Comediens ne trouvoient pas de place sur le Theatre pour pouvoir joüer avec tranquilité, & il arriva une chose en ce temps-là qui n’avoit point encore esté faite par aucune Troupe. Les Comediens jusqu’à cette Piece n’avoient joüé la Comedie que les Dimanches, les Mardis, & les Vendredis ; mais ils commencerent à cause de la foule, à joüer les Jeudis, ce qui leur arriva dans la suite, lors que les Pieces estoient fort suivies, ce qu’ils ont toûjours fait depuis, & ce qui leur a vallu beaucoup d’argent.

Parmi ses Tragedies on en trouve une qui a passé pour un Chef-d’œuvre. Jamais Piece n’a esté plus touchante & plus suivie. C’est de l’Ariane dont je veux parler, & ce qui doit surprendre tout le monde, est que Mr de Corneille estant retiré à la Campagne avoit fait cette Piece en quarante jours. Il n’avoit pas moins de facilité à travailler à ses ouvrages de Theatre, que de memoire pour les retenir, & tous ceux qui l’ont connu particulierement ont esté témoins que lors qu’il estoit prié de lire ses Pieces dans quelques Compagnies, ce qui estoit autrefois fort en usage, il les recitoit mieux qu’aucun Comedien n’auroit pû faire, sans rien lire ; il estoit si sûr de sa memoire, que souvent il ne portoit point ses Pieces avec luy.

Les Comediens m’ayant pressé avec de fortes instances, de mettre aprés la mort de Me Voisin tout ce qui s’estoit passé chez elle pendant sa vie à l’occasion du métier dont elle s’estoit mêlée, je fis un grand nombre de Scenes qui auroient pû fournir de la matiere pour trois ou quatre Pieces ; mais qui ne pouvoient former un sujet parce qu’il estoit trop uniforme, & qu’il ne s’agissoit que de gens qui alloient demander leur bonne-avanture, & faire des propositions qui la regardoient ; mais toutes ces Scenes ne pouvant former le nœud d’une Comedie, parce que toutes ces personnes se fuyant & évitant de se parler, il estoit impossible de faire une liaison de Scenes, & que la Piece pust avoir un nœud ; je luy donnay mes Scenes, & il en choisit un nombre avec lesquelles il composa un sujet dont le nœud parut des plus agreable, & qui a esté regardé comme un Chef-d’œuvre. Le succés de cette Piece qui a esté un des plus prodigieux du siecle, en fait foy. Le succés de la Comedie de l’Inconnu a esté aussi des plus grands. Il y avoit des raisons pour donner promptement cette Piece au Public ; de maniere que pour avancer, je fis toute la Piece en Prose, & pendant que je faisois la Prose du second Acte, il mettoit celle du premier Acte en Vers ; & comme la Prose est plus facile que les Vers, j’eus le temps de faire ceux des Divertissemens, & sur tout du Dialogue de l’Amour & de l’Amitié qui n’a pas déplu au Public. Nous avons fait encore ensemble la superbe Piece de Machines de Circé, de laquelle je n’ay fait que les Divertissemens. Les Comediens avoient traité du Theatre des Opera de feu Mr le Marquis de Sourdeac ; & comme tous les mouvemens des Opera y estoient restez, je crus qu’en se servant des mesmes mouvemens qui avoient servi aux Machines de ces Opera, on pourroit faire une Piece qui seroit recitée, & non chantée, & nous cherchâmes un sujet favorable à mettre ces Machines dans leur jour. De maniere que lorsque la Piece parut elle ne ressembloit en rien aux Opera qui avoient esté chantez sur le même Theatre. Le succés de cette Piece fut si prodigieux qu’elle fut joüée sans interruption depuis le commencement du Caresme jusqu’au mois de Septembre, & les Representations en auroient encore duré plus long-temps si les interests d’un Particulier n’en eussent point fait retrancher les voix. Il est à remarquer que pendant les six premieres semaines, la Salle de la Comedie se trouva toute remplie dés midi ; & que comme l’on n’y pouvoit trouver de place on donnoit un demi Louis d’or à la porte, seulement pour y avoir entrée, & que l’on estoit content quand pour la même somme que l’on donnoit aux premieres Loges, on estoit placé au troisiéme rang. Je n’avance rien dont les Registres des Comediens ne fassent foy.

Comme feu Mr de Corneille, avoit le bonheur de réussir dans tout ce qu’il entreprenoit & que l’Opera eût esté étably au Palais Royal, il fut sollicité d’y travailler, & il fit l’Opera de Bellerophon, qui fut aussi joüé pendant prés d’une année entiere. Outre la beauté des Vers & de la Musique on remarqua dans cette Piece ce qui ne s’estoit pas encore vû dans aucun Opera ; c’est à dire, un sujet aussi plein & aussi intrigué qui si la Piece avoit eu quinze cens Vers, quoy qu’à cause de l’étenduë que donne la Musique, les Opera n’en contiennent ordinairement que quatre à cinq cens. Son genie parut encore dans l’Opera de Psiché ; ce sujet avoit esté mis en Comedie pour le Roy, avec des Intermedes si remplis & si superbes pour tout ce qui en regardoit les ornemens, que la France n’a rien vû de plus beau que ce Spectacle qui avoit esté donné dans la superbe Salle des Machines qui se voit dans le Palais des Thuileries. Les Comediens voulurent donner cette Piece au Public, en y laissant les Intermedes, & sans que le Corps de la Piece fust mise en Opera ; mais la dificulté parut grande à tous les Auteurs, car la Piece qui avoit esté recitée avoit autant de Vers que les Tragedies ordinaires, & il n’en falloit pas le quart pour estre chantée, & que cependant tout le sujet y entrast ; c’est de quoy Mr de Corneille vint à bout, & il sçut la reduire en Opera sans rien changer du sujet de la Piece ; de maniere qu’en n’employant que quatre cens Vers, le Public vit les mêmes incidens qu’il avoit trouvez dans la Piece de dix huit cens, ce qui surprit tous les Auditeurs, & luy attira beaucoup de loüanges.

Je ne finirois point cet Eloge si je voulois faire l’Histoire de tous les Ouvrages de Theatre de Mr de Corneille, & j’aurois quelque chose de singulier à vous dire sur chacune de ses Pieces. La Poësie estoit le moindre de ses talens, & on en jugera par ses Ouvrages de Prose que je vais vous raporter. Il sçavoit parfaitement la Langue. Rien ne luy estoit caché dans les Arts, & toute la terre luy estoit connuë. Voicy des preuves parlantes & incontestables de ces trois choses.

Les remarques que cet homme universel a fait sur Vaugelas sont une preuve sans replique qu’il connoissoit la Langue dans toute sa pureté, & l’on peut en lisant ce Livre s’éclaircir des doutes que l’on peut avoir lorsque l’on veut écrire & parler juste. Aussi ce Livre est il fort recherché & consulté de ceux qui veulent acquerir le nom de Puristes, que feu Mr de Corneille, a mieux merité que beaucoup d’autres, & j’ay souvent oüi dire à Mr l’Abbé de Dangeau, qui comme vous sçavez est de l’Academie Françoise, & qui se plaisoit à luy rendre justice, qu’il estoit leur Maître.

Les deux Volumes in folio qu’il a donnez au Public sous le nom de Dictionnaire des Arts, doivent faire connoistre, sans qu’il soit besoin d’en dire davantage, que tout ce qui les regarde, luy estoit parfaitement connu. Il me faudroit faire un Volume, si je voulois parler de tout ce qu’ils contiennent, & de tous les Instrumens qui regardent les Arts. J’ajouteray seulement que ces deux Volumes ont esté trouvez si beaux & si utiles, que l’impression en a esté entierement enlevée presque dans le temps qu’elle a paru, quoy qu’elle se soit venduë dans le temps que l’Academie Françoise a donné son Dictionnaire au Public. Il avoit beaucoup travaillé avant sa mort, pour en donner une seconde Edition ; & il estoit si laborieux, qu’il travailloit en mesme temps aux trois gros Volumes in folio qu’il a donnez au Public un peu avant sa mort, & qui font connoistre qu’il estoit universel, & qu’il connoissoit la Terre entiere. Ces Volumes ont pour titre, Dictionnaire universel, Geographique & Historique, contenant la Description des Royaumes, Empires, Estats, Provinces, Pays, Contrées, Deserts, Villes, Bourgs, Abbayes, Chasteaux, Forteresses, Mers, Rivieres, Lacs, Bayes, Golphes, Détroits, Caps, Isles, Presqu’Isles, Montagnes, Vallées ; la situation, l’étenduë, les limites, les distances de chaque Pays ; la Religion, les Mœurs, les Coûtumes, le Commerce, les Ceremonies particulieres des Peuples, & ce que l’Histoire fournit de plus curieux touchant les choses qui s’y sont passées. Le tout recueilly des meilleures Livres de Voyages, & autres qui ayent paru jusqu’à present, par Mr Corneille de l’Academie Françoise, & de celle des Inscriptions & des Medailles.

Le Public estoit tellement persuadé de la bonté de ses Ouvrages, que dés qu’il apprenoit qu’il en avoit quelqu’un sous la Presse, il en retenoit & en payoit d’avance des Exemplaires, chacun témoignant par cet empressement le desir qu’il avoit d’en avoir des premiers ; de maniere que l’Edition de ce Dictionnaire s’est trouvée venduë presque aussitost qu’elle a esté achevée, & Mr de Corneille, dans le temps qu’il est mort, avoit déja fait beaucoup de remarques sur son Ouvrage, & ramassé beaucoup de choses curieuses pour en composer une seconde Edition.

Je dois avoüer icy que je tiens de luy tour ce que je sçay de la Langue Françoise, & que pendant un assez grand nombre d’années j’ay soûmis mes Ouvrages à sa correction ; ce qui a fait croire davantage, & ce qui estoit cessé depuis douze années, ce grand homme estant assez occupé d’ailleurs, & beaucoup détourné par des incommoditez que ses années & un travail immense & continuel luy avoient attirées.

Il avoit un grand fond de probité, de droiture, de sagesse, de bonté, de modestie, de charité, & de vertu. Ennemi de la médisance, il ne pouvoit souffrir les personnes dont l’unique conversation est de faire inventaire des actions d’autruy. Jamais homme n’a eu plus de Religion, & n’est mort avec plus de resignation aux volontez de Dieu, & il voyoit tous les jours approcher la mort avec une fermeté incroyable, sans cesser neanmoins son travail qui luy estoit necessaire, parce que les gens de Lettres ne sont pas ordinairement les plus favorisez de la fortune, & que l’Ecriture dit, Qui laborat orat, qui travaille prie.

Ce grand homme estoit recommandable par tant d’endroits differens, que je ne doute point que celuy qui aura le bonheur de remplir la place qu’il occupoit dans l’Academie Françoise, ne trouve encore de nouveaux sujets d’en faire un bel Eloge. Personne n’ignore qu’il estoit aussi de l’Academie Royale des Medailles & Inscriptions.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 299-300.

Je crois pouvoir placer une Chanson aprés l’Eloge d’un homme qui en a fait de si belles ; elle est du Solitaire du Bois du Val-Dieu.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Fiers Aquilons, [page] 300.
Fiers Aquilons, quittez nos Plaines,
Laissez regner un vent plus doux.
Poëtes, faites couler vos veines ;
Broüillards épais dissipez-vous.
Charmans Hostes de ces Bocages,
Oiseaux, reprenez vos ramages :
Plus belle que l’Astre du jour
Philis revient faire icy son sejour.
images/1710-01_299.JPG

[Livre intitulé Dissertation sur les Caracteres de Corneille & de Racine, contre le sentiment de la Bruyere] §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 305-307.

Tous leurs emplois sont bien differens. Les uns ne sont occupez que du travail du corps & les autres de celuy de l’esprit qui ne laisse pas d’avoir ses peines, d’occuper beaucoup, & de donner plus de chagrins à ceux qui en font profession qu’à ceux qui ne font leurs Ouvrages qu’en chantant & en songeant moins à la gloire qu’aux moyens d’avoir de quoy vivre. Un Auteur qui est encore dans un âge tres-peu avancé, vient de mettre au jour un petit Livre intitulé Dissertation sur les Caracteres de Corneille & de Racine, contre le sentiment de la Bruyere, & quoy que les Auteurs dont il est parlé dans cet Ouvrage ayent esté mis pendant qu’ils ont vécu au nombre des Auteurs du premier rang, & qu’ils soient fort loüez dans ce Livre, je ne sçay s’ils estoient encore vivans, s’ils n’y trouveroient rien qui les chagrinast.

Il se vend chez François de Laulne, Place Sorbonne attenant le College de Cluny à l’Image Saint François ; & chez Jean Musier, à la descente du Pont-Neuf à l’Olivier.

[Publication d’un Dictionnaire poétique par le Père Vanier]* §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 330.

Le P. Vanier Jesuite, habile Poëte, & qui fait imprimer à Lyon un Dictionnaire Poëtique, a fait une Eglogue adressée à Mr Bon, dont je viens de parler ; dans laquelle il le felicite sur la belle découverte qu’il vient de faire. Cette Eglogue est Latine, ce qui m’empesche de vous l’envoyer. Elle est parfaitement belle.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 343-349.

Je passe à l’Article des Enigmes qui ont fait autrefois l’occupation des plus grands Princes de la Grece, & dans les Cours desquels on donnoit des prix à ceux qui les expliquoient. La derniere Enigme a esté devinée par Mr Olivier, de la Ville de Grasse ; voicy l’explication qu’il en a donnée en Vers, & il a justement trouvé la raison qui m’a obligé de vous envoyer deux fois de suite des Enigmes qui ayant le mesme mot, sont neanmoins entierement differentes ; ce qui marque la diversité du genie des hommes, qui en travaillant sur la mesme matiere ne rencontrent en rien.

En vain vouliez-vous nous surprendre
Et nous faire long-temps chercher,
La Cloche ne peut se cacher ;
Elle sonne si haut qu’elle se fait entendre
Lors qu’on voudroit s’en empêcher.

Ceux qui ont deviné le mot sont, Mrs le Chevalier de Boissieux, âgé de douze ans, & qui n’en manque pas une ; le Chevalier ; le Chevalier d’Ellis, de S. Germain en Laye ; Ridel ; des Crenaux ; Robinet ; le Petit Brunet, de la ruë S. Honoré ; du Fresne, demeurant chez Me la Maréchale de la Ferté ; Roger le Blazonneur, Organiste du Roy Jacques ; le Solitaire de la ruë aux Fêves ; de la M.… pere du Petit Jacob, Cloistre Nostre-Dame ; le Solitaire des Angloux, & son Amy Darius ; le Berger Tircis de la Bergere Climene ; l’Anagramatiste ; l’Amant trop curieux, & le beau Nouvelliste. Me la Marquise, & son aimable fille la bonne amie ; Mlles Percheron & du Buisson, du Marais ; d’Astruc, du Faux-bourg S. Germain ; de la Coliniere ; de Rezé, proche les Comediens, que l’on assure avoir des Remedes qui guerissent tous les maux des Dents ; Marie Anne, du Cloistre S. Nicolas du Louvre ; My Lady, Angloise ; la Jeune Muse renaissante, G.O. la Brune & Blanche, de la ruë des Bernardins ; la Charmante Therese qui ne veut pas joüer à l’hombre ; la Belle Brune, de la ruë Neuve des Petits Champs ; l’aimable Muse du Palais d’Orphée, de Roüen ; & la Grosse Gouvernante de Mr le Prince de Tarente, qui l’a expliquée en Vers.

Je vous envoye une Enigme nouvelle. Elle est de Mr d’Aubicourt.

SONET ENIGMATIQUE.

Mon nom pris chez les Grecs se soûtient noblement,
Quoy que de siecle en siecle on me fasse renaître ;
En France comme ailleurs je ne connois pour Maître
Qu'un usage établi sur le raisonnement.
***
Si les Grands de la Cour, qui parlent poliment,
Ecrivoient comme on parle en me faisant paraître,
Quel Mortel ne feroit gloire de me conaître ?
L’on s’énonceroit mieux & plus facilement.
***
Ainsi dans le Discours on abrege Caresme,
Tout le monde le dit, sans l’écrire de même,
Les Savans peu d’acord, ainsi me font errer :
***
Quand sur de tels abus, on consulte le Sage,
Il les condane tous & tolere un usage
Qu’aucun Français ne peut suivre sans s’égarer.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 350.

Je vous envoye une Chanson nouvelle ; elle est de Mr Charles.

AIR NOUVEAU.

Le Vin, &c. [page 350].
Le Vin est necessaire
Quand on veut vivre en repos,
Si le Dieu d’Amour altere
Bachus vient fort à propos ;
Tous les deux sçavent me plaire
J’aime l’Amour & les Pots.
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[Election de Mr le Président de Mesme et de Mr l’Abbé Oudard de la Mothe à l’Académie française]* §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 367-369.

Mrs de l’Academie Françoise s’estant assemblez selon l’usage, quarante jours aprés la mort de Mr de Corneille, & de Mr le Comte de Crecy pour nommer ceux qui doivent remplir leurs places, ont choisi Mr le President de Mesmes & Mr l’Abbé Oudart de la Mothe, connu par plusieurs ouvrages de Theatre & par le beau Recueil d’Odes qu’il a donné au public, & qui a reçu un applaudissement general. Il a remporté sept ou huit Prix de l’Academie de Toulouse, & deux ou trois de l’Academie Françoise, où il a eu l’avantage de parler plusieurs fois & de faire des Remerciemens à ce sçavant & illustre Corps.

Mr le President de Mesmes, distingué par son nom, par son esprit & par ses dignitez est entré par cette nomination dans un Corps ou l’on a toujours vû des Cardinaux, des Evêques, des Ducs & Pairs & des Ministres d’Etat. Ainsi l’on peut dire qu’il n’est pas déplacé.

[Ajout à l’éloge de Mr Corneille]* §

Mercure galant, janvier 1710 [tome 1], p. 369-370.

Je dois ajoûter icy ce que j’ay oublié de vous dire dans l’Eloge que j’ay fait de Mr de Corneille ; sçavoir, que son grand travail, & sur tout le grand nombre de Livres & de Memoires qu’il a esté obligé de lire pour composer les cinq Volumes in folio qu’il a donnez au Public, luy avoient fait perdre la vûë quelques années avant sa mort ; que son Eloge a esté fait par un Aveugle, & que sa place a esté remplie par un autre Aveugle qui doit faire aussi son Eloge le jour de sa reception.