Madame de Genlis

1810

Arabesques mythologiques, ou les Attributs de toutes les divinités de la fable. Tome I

2017
Genlis, Stéphanie-Félicité Du Crest (1746-1830 ; comtesse de), Arabesques mythologiques, ou les Attributs de toutes les divinités de la fable ; en 54 planches gravées d’après les dessins coloriés de Madame de Genlis. Le texte contenant Histoire des faux Dieux, de leur culte, le détail des cérémonies religieuses, etc. précédé d’un discours sur la Mythologie en général et particulièrement sur l’influence que dut avoir le paganisme sur le caractère, les mœurs et la littérature des anciens Grecs et des Romains. Ouvrage fait pour servir à l’éducation de la Jeunesse. Par Madame de Genlis, tome I, Paris, Charles Barrois, 1810, IV-165 p. Source : Internet Archive.
Ont participé à cette édition électronique : Nejla Midassi (OCR, Stylage sémantique), Eric Thiébaud (Stylage sémantique) et Diego Pellizzari (Encodage TEI).

Avertissement. §

Je n’oserois offrir à la jeunesse ces petits Arabesques de mon ouvrage1, si médiocres quant au dessin et à la composition ; aussi ne les ai-je faits que pour l’enfance. Il m’a paru que cette idée en amusant les enfans pourroit leur être utile. Les noms toujours doubles pour la symétrie, sont écrits de manière que l’enfant ne pourra les lire en lui présentant le dessin comme il doit être vu, alors il sera forcé de le deviner par les attributs. Les personnes mêmes qui ne savent pas la Mythologie, pourront lui faire répéter ces petites leçons ; quand il aura nommé les divinités, on retournera l’estampe dans le sens de l’écriture, pour lire le nom, afin de voir si l’enfant ne s’est pas trompé, il faudra toujours demander à l’enfant raison des attributs, par exemple, pourquoi l’on donne au Temps une faux et des ailes, pourquoi Mercure est représenté tenant une bourse, un caducée, etc. : toutes ces explications se trouvent dans le texte.

Les fleurs qui servent d’ornemens à ces Arabesques ne sont point mises au hasard, on a eu soin d’orner chaque Arabesque des fleurs consacrées à la divinité dont il offre le nom.

Le texte de ces Arabesques n’est point fait pour l’enfance, afin qu’au moins, en donnant aux enfans l’explication de ces attributs, les jeunes personnes puissent trouver quelque intérêt dans la lecture de ce petit ouvrage, qui ne présente qu’une partie de la Mythologie, mais qui n’est point un abrégé ; on y trouvera même des recherches que ne contiennent point des ouvrages beaucoup plus volumineux sur le même sujet. Enfin on pourra sans inconvénient le laisser entre les mains de la jeunesse ; et je ne connois point d’ouvrages sur la Mythologie, que l’on puisse avec bienséance livrer aux jeunes personnes, pas même le petit Dictionnaire de Chompré, et les autres Abrégés. Le grand Dictionnaire de M.  Millin, ouvrage si estimable, si utile aux antiquaires, si instructif pour les gens du monde n’a point été fait pour la première jeunesse, et ne peut servir à son éducation. Il seroit encore beaucoup moins possible de donner à la jeunesse celui de M.  Noël, qui n’a été fait que pour les Savans ; car les Mythologies indiennes contiennent des récits et des détails dont nul art ne pourroit voiler l’indécence.

Je me suis particulièrement attachée à mettre dans ce nouvel ouvrage, une morale pure, une parfaite décence, un ordre qui puisse classer tous les faits dans la mémoire, des recherches curieuses et une extrême précision. Si cet essai obtient le suffrage des jeunes mères, et si ma santé me le permet, je donnerai l’année prochaine, les Arabesques des divinités allégoriques, des demi-Dieux, et des Héros de la Fable.

Discours.
Sur la Mythologie en général et particulièrement sur l’influence que dut avoir le Paganisme sur le caractère, les mœurs et la littérature des anciens Grecs et des Romains. §

Ce recueil de fables sans liaison, sans plan, sans but, seroit le plus mauvais des ouvrages, si on le considéroit comme un ouvrage d’imagination fait par un seul poëte, par un seul homme ; mais la vérité, premier principe de toutes choses, a formé d’abord le fonds de cet étrange mélange. Il n’est pas douteux que l’Histoire a servi de base à la Fable. Saturne et Jupiter ont existé, et l’amour et la reconnoissance des peuples en ont fait des Dieux. Tous les premiers bons rois ont été divinisés chez toutes les nations privées de la connoissance du vrai Dieu. L’idée de l’Apothéose a pris naissance dans les états monarchiques, telle est l’origine du polythéisme. Cet excès d’enthousiasme n’a jamais existé dans les républiques, qui sont toujours trop défiantes, pour n’être pas ingrates. Cette défiance même ne prouveroit-elle pas que ce gouvernement n’est ni naturel, ni fait pour être durable ? C’est le mécontentement étouffé, mais connu ou du moins soupçonné, qui produit l’inquiétude : la sécurité n’a jamais été réelle que dans les monarchies bien établies, elle est alors parfaite sous les bons rois. Personne n’y craint une révolution, parce que nul ne peut la desirer.

Une première erreur en produit mille autres ; une multitude de fables sont nécessairement enfantées par une première fable. Après avoir déïfié un grand roi, on imagina de lui donner des attributs faits pour retracer allégoriquement ses vertus ou pour rappeler quelque exploit remarquable et particulier ; voilà pourquoi il est impossible de donner une explication satisfaisante de tous les attributs des faux Dieux ; ceux qui nous paroissent les plus insignifians, sont peut-être très-ingénieux, ils ont pu être imaginés sur des faits que nous ignorons. C’est, par exemple, ce que l’on doit penser relativement à presque toutes les plantes consacrées aux divinités païennes. Pourquoi le pourpier est-il consacré à Mercure ; le chiendent à Mars ; le safran aux Euménides, etc. ? Le safran, dit-on, étoit l’emblême des remords, mais on peut encore ici demander pourquoi ? Toutes ces choses sans doute et une infinité d’autres étoient fondées absurdes traditions ou sur des opinions dont la connoissance n’est pas venue jusqu’à nous.

Il est évident aussi que la plupart des Fables qui déshonorent l’histoire des faux Dieux, ont été successivement inventées long-temps après leur apothéose ; car l’admiration qui les a divinisés n’a pas dû les représenter voleurs, adultères, incestueux, etc. Des peuples privés de la seule lumière qui puisse donner l’idée parfaite de la véritable morale, auront sans doute loué souvent dans leurs héros de grandes injustices ; mais ils n’ont pu leur attribuer des actions viles et des crimes sans éclat.

En déïfiant le héros, on n’aura parlé d’abord que de ses vertus, de ses exploits, en ajoutant à ces récits quelques fables allégoriques ; ensuite on aura surchargé cette histoire de faits miraculeux ; et enfin de bons et de mauvais poëtes, ne songeant plus qu’à plaire par la nouveauté et par l’imagination, auront créé sur ce fonds des multitudes de Fables, qui, par conséquent, ne pouvoient avoir entre elles le moindre rapport. Voilà pourquoi aucun des Dieux de la Mythologie n’a un caractère distinctif, ils font les actions les plus contradictoires ; tantôt ils sont vengeurs de l’innocence, tantôt ils protègent les coupables ; ils se montrent tour-à-tour démens, vindicatifs, injustes, équitables, barbares et compatissans. La Fable donne un amant à la chaste Diane ; quelquefois elle représente Mars intimidé ; elle le fait comparoître en suppliant devant un conseil composé de douze Dieux ; le souverain de l’Olympe et des Dieux est toujours tremblant pour son autorité, il craint tous les oracles, il craint jusqu’aux enfans des simples mortelles ; les Déesses implacables, les Furies mêmes, sont souvent sensibles à la pitié.

Ces réflexions peuvent servir à justifier quelques incohérences de la Mythologie ; mais comment justifier les peuples qui adoptèrent de telles fables et qui adorèrent de tels Dieux ? Cependant la croyance de ces Dieux valoit mieux que l’athéisme, parce qu’on croyoit aussi que dans une autre vie ils punissoient le crime et récompensoient la vertu. Il est possible encore que quelques allégories qui nous paroissent mauvaises, ne le fussent point (par les raisons qu’on vient de dire), aux yeux des Grecs et des Romains ; mais, en général, les allégories non douteuses forment la plus belle partie de la Fable. Je dis non douteuses, car celles que les commentateurs ont cru découvrir, ne sont nullement heureuses, et il est probable qu’elles sont entièrement fausses. J’ai parlé ailleurs de celle qu’on a prétendu trouver dans les pommes d’or du jardin des Hespérides, dont les uns ont fait des trésors cachés, d’autres des moutons, etc ; Et je crois avoir prouvé que la supposition la plus vraisemblable, c’est que ces pommes étoient véritablement des pommes d’or, parce que ce genre de magnificence étoit fort commun chez les anciens. J’en ai cité un nombre infini d’exemples2. Les anciens ont tellement excellé dans l’allégorie, que les commentateurs devroient penser que toute Fable qui n’offre pas un sens allégorique très-clair et très-ingénieux, n’est tout simplement qu’une pure Fable.

Autant presque tous les Dieux de l’Olympe sont révoltans par leurs vices et par les actions qu’on leur attribue, autant les divinités allégoriques sont heureusement imaginées et représentées. La beauté parée par les Grâces, les Grâces suivies de la Persuasion (Suada), l’Amour, fils de la beauté, ayant des ailes un bandeau, un flambeau, un arc et de flèches ; son union avec Psyché (l’ame) ; le mystère nécessaire au charme de cette union, l’Amour s’envolant quand le mystère est dévoilé ; l’histoire de Cura, déesse de l’inquiétude ; la Vertu représentée sous les traits de la force, parce qu’elle doit toujours combattre, etc. : toutes ces allégories sont parfaites La généalogie des Divinités purement allégoriques, ou la manière dont elles sont représentées ne l’est pas moins : telles que la Fortune aveugle, un pied sur une roue. La Providence, sous la figure de Sérapis, ayant un boisseau sur la tête pour marquer qu’elle nourrit les hommes et qu’elle fait tout avec mesure. La Vérité, fille du Temps et mère de la Vertu. La Pauvreté fille du Luxe et de la Paresse. La Richesse, fille du Travail et de l’Industrie. La Faveur, fille de l’Esprit et de la Fortune. L’Envie, coiffée de couleuvres et portant un serpent qui lui ronge le sein. L’Impiété, sous une forme monstrueuse, n’ayant que le buste d’une figure humaine, placée sur le bord d’un abyme, un glaive à la main, parce qu’elle ne produit rien et ne peut que détruire. La Pudeur, mise au rang des Divinités champêtres, fuyant le tumulte des villes et se réfugiant dans les forêts. L’Honneur, auquel les anciens élevèrent un temple et qu’ils placèrent d’une manière aussi morale qu’ingénieuse. (On ne pouvoit y entrer sans passer par celui de la Vertu, etc.)

Au milieu d’une multitude de Fables absurdes, on trouve encore dans la Mythologie, outre ces allégories charmantes, une infinité de traits et d’images dans lesquels on reconnoît cette simplicité naïve, cette mélancolie vague que l’on admire si justement dans les ouvrages des anciens. Les sculpteurs et les peintres n’étudient point assez l’Histoire et la Mythologie ; ils pourroient y trouver mille sujets intéressans et nouveaux. On commence à se lasser des Romulus, des Mutius Scévola, des Régulus, des Vénus, des Adonis, des Dianes, etc. Il reste encore même, dans les Fables les plus connues, une foule de traits que la peinture n’a jamais retracés. Par exemple, le vieil Anacréon sortant d’un festin, et qui, en chancelant, laisse tomber sa couronne de roses au pied d’un cyprès ! Pénélope, entre son père et son époux, pressée par le premier de rester à Lacédémone avec lui, et par Ulysse de le suivre à Ithaque, pour toute réponse baissant, en rougissant, son voile. La Fable, sans expliquer cette action, (et quelles réflexions n’eussent pas fait là-dessus les modernes !) ajoute seulement qu’Icare, privé de sa fille, éleva dans ce lieu un autel à la Pudeur. Phèdre, au lever de l’Aurore, assise et cachée derrière un myrte, les cheveux épars, tenant l’aiguille d’or qui les rattachoit, et perçant avec distraction les feuilles du myrte ; tandis qu’elle a les yeux fixés sur le char d’Hippolyte qu’on aperçoit dans l’éloignement. En mémoire de ce fait, dit la Fable, on éleva par la suite, auprès de ce myrte criblé, un temple à Vénus Spéculatrice. On pourroit citer beaucoup d’autres traits de ce genre.

Une chose très-remarquable, et dont (à ma connoissance) on n’a jamais donné de raisons ; c’est cette teinte de profonde mélancolie répandue dans la Mythologie, dans les poëmes, dans les pièces dramatiques, et même dans les productions du genre le plus gracieux des Païens. Cette mélancolie n’a rien de commun avec celle qu’on a tâché, de nos jours, de mettre à la mode dans les ouvrages de littérature. Chez nous c’est un systême, une combinaison pour attacher le lecteur et pour l’intéresser, Chez les Grecs c’est un sentiment naturel qui se mêle à tout. Il y a toujours dans toutes les réflexions répandues dans leurs ouvrages, quelque chose de triste et de plaintif, ou sur le sort, ou sur les hommes, ou sur la vie ; et c’est ainsi que, sans avoir le dessein de former des contrastes, ils unissent presque toujours, aux images les plus riantes, les idées les plus mélancoliques. Ils ont peint l’Amour entouré des jeux et des ris ; mais ils le représentent avec des ailes et lui donnent des flèches de cyprès… L’Aurore sème des roses sur son passage ; mais elle répand des pleurs en nous ouvrant les barrières du jour ! Le Sommeil qui suspend nos maux est frère de la Mort !… Il est étonnant que l’on ait tant loué les riantes fictions de la Mythologie ; mais nous avons tant vu de Vénus et d’Amours, que l’imagination a pris la multiplication de ces tableaux pour la multiplicité des Fables. Néanmoins, à l’exception de quatre ou cinq pages, tout est triste, lugubre, effrayant et tragique dans ce volumineux recueil. On y trouve une multitude de monstres affreux : les Furies, les Gorgones, les Harpies, les Grées, la Chimère, l’Hydre de Lerne, les Syrènes, Echidna, Cerbère, Orthus et Gérion, le Sphinx, le Minotaure, les Centaures, les Onocentaures, les Cyclopes ; des Géans à cent bras, des Dragons, des Spectres ; les Larves, les Lemures, les Lamies, les Anguipèdes, Sybaris, etc. etc.3 Les fables de la Mythologie n’offrent que des crimes atroces ou des malheurs. Les histoires de Pyrame et de Thisbé, d’Orphée et d’Euridice, de Léandre et de Héro, de Phaéton et de ses sœurs, de Cynireet de Myrrha, d’Adonis, de Biblis et de Caunus, de Philoctète, de Dircé, de Pasyphaé, de Méléagre, de Médée et de Jason, de Protésilas, de Sangaride et d’Atys, de Galatée et d’Acis, de Cyparisse, d’Hyacinthe, de Nisus et de Scilla, de Corésus et de Callyroé, de Philomèle et de Progné, d’Iphis et d’Anaxarète, de Dédale et d’Icare, des Danaïdes, de Déjanire, de Céïx et Alcyone, de Coronis et d’Ischis, de Clytie ; les désastres des familles, des Atrides, de Cadmus, d’Eriphile, et d’Amphiaraüs, de Layus, de Niobé, de Priam, des Eacides, de Thésée, etc., toutes enfin sont tragiques. On répète que la Mythologie vivifie les campagnes ; mais elle n’y prodigue les demi-Dieux et les fictions que pour les attrister4, pour répandre sur tous les objets la profonde mélancolie du génie grec et romain. L’ombrage sous lequel on repose, cache et renferme une Nymphe solitaire ; mais la hache, en faisant tomber l’arbre, ôtera la vie à l’Hamadryade ! L’Echo, qui répond à la voix du Berger, est une amante infortunée, victime de l’amour, reléguée ; pour jamais au fond des cavernes et des antres ténébreux ! Les fleurs même, le tournesol, l’hyacinthe, le narcisse, l’odorante marjolaine, les fleurs printanières de l’amandier, le lierre, la menthe, et tant d’autres, ne rappellent que de déplorables aventures ; la rose consacrée à Vénus, est teinte du sang d’Adonis, de ce sang naquit aussi la brillante anémone ; c’est encore le sang d’un amant malheureux qui rougit les fruits du mûrier. Le sang d’Ajax donna naissance au pied-d’alouette. Ces Fables lugubres ensanglantent les eaux ainsi que les prairies ; du sang ou des larmes ont formé ou grossi les lacs, les fleuves et les fontaines. Les mers portent des noms qui consacrent les plus tragiques Fables. La Mythologie a multiplié près de leurs bords les écueils et les monstres, Charybde, Scylla, les Simplegades, etc. Le corail fut produit par le sang de la tête coupée de Méduse, et l’ambre par les larmes des sœurs de Phaéton. Les îles, les montagnes, les rochers, rappellent des Fables aussi lamentables. La contemplation des cieux n’offre pas de plus doux souvenirs. On voit des monstres parmi les astres, le Cancer, le Dragon des Hespérides, le Scorpion, le Lion de Némée, le Sagittaire ; les autres astres rappellent les malheurs d’Orion, d’Arcas, de Cassiopée, des Pléiades, des Hyades, etc. Et voilà ce qu’on appelle les fictions les plus riantes !… La même imagination a produit les Champs-Elysées, séjour mélancolique où les ombres silencieuses, sans inquiétudes, mais sans affections, doivent passer l’éternité à se reposer des fatigues de la vie ; et dans ce systême, que devient la plus noble partie de nous-mêmes, que devient l’ame ? La priver de la faculté d’admirer et d’aimer, n’est-ce pas l’anéantir ? On sent que l’Elysée des Païens fut enfanté par la lassitude des embarras de la vie, qui n’imagina rien de mieux que les loisirs et le repos. Aussi suppose-t-on que pour jouir de cette tranquillité, il faut avoir perdu jusqu’au souvenir des peines de la vie, et de la vie même. On n’entre dans le séjour de l’éternelle paix qu’après avoir bu des froides eaux du Léthé ! Toutes ces idées sont profondément mélancoliques.

Cette religion, cette croyance et le dogme reçu de la fatalité, ont dû donner aux anciens cette mélancolie habituelle si frappante dans toutes leurs productions ; et ce sentiment n’ayant en eux rien d’affecté, produit dans leurs ouvrages des beautés admirables ; car le vrai sublime et le beau moral dans toute sa perfection, ne peuvent jamais dériver que de la grandeur d’ame, de la sensibilité, de la tristesse et de la douleur. D’ailleurs la vie est semée de tant de peines, que le langage de la mélancolie paroît toujours avoir une sorte de profondeur ; il ressemble à celui de la saine philosophie. La beauté physique même n’est parfaite que lorsqu’elle offre l’expression de la mélancolie. Toutes les belles têtes grecques ont une expression de tristesse et même de douleur. Les Grâces ont tout le charme de la jeunesse, de la fraicheur et de l’ingénuité ; mais elles ne sont point belles parce qu’elles sont riantes.

Il y a, dans la véritable mélancolie, un certain vague, une certaine mollesse qui s’allient bien rarement avec les démonstrations véhémentes. L’homme mélancolique n’est jamais à l’extérieur un homme ardent ; sans doute il sent avec énergie, mais ses affections sont concentrées au fond de son ame, il est naturellement silencieux, rêveur, souvent sentencieux, parce qu’il pense profondément et qu’il souffre. Il se renferme en lui-même pour se livrer tout entier à l’idée dominante qui l’attache et qui l’attriste ; son indifférence pour tout ce qui ne tient pas au souvenir et aux regrets qui l’occupent, lui donne l’air du calme et de l’indolence ; sa sensibilité se décèle par des traits qui lui échappent, mais il n’a jamais le dessein de la montrer : ainsi donc on le peindroit mal, en lui donnant des mouvemens impétueux et un langage passionné, et c’est un défaut qu’on peut reprocher à quelques auteurs modernes. Qu’on se rappelle les héros d’ Homère, et les personnages intéressans des tragédies grecques, on trouvera qu’ils ont tous le caractère que je viens de tracer. Ils ne s’expriment avec véhémence que lorsqu’ils maudissent ou qu’ils se vengent. On sait qu’ils avoient divinisé la vengeance.

Quant à l’enfer des Payens, l’histoire en a fourni le fonds et les idées.

Le lac ou le marais Acherusie près d’Héliopole en Egypte, étoit situé entre cette ville et le lieu destiné à l’inhumation des morts, de sorte qu’il falloit le traverser dans une barque pour y arriver. Afin d’être admis à la sépulture, le mort devoit avoir dans la bouche une petite pièce de monnoie nommée danacé. Cet usage s’étoit maintenu par un motif d’utilité publique ; les prêtres d’Egypte refusoient le passage du lac à ceux qui étoient morts sans payer leurs dettes ; la pièce de monnoie, placée dans la bouche du défunt, annonçoit que tous ses créanciers étoient satisfaits, puisque cette pièce lui restoit encore pour payer son passage. Orphée, dans son voyage en Egypte, recueillit ces faits et en forma les fables du passage de 1’Acheron et de l’avare nautonier des Enfers.

Les supplices des criminels du Tartare furent imaginés, d’après les châtimens imposés en Egypte aux malfaiteurs. Pour ne point avilir le travail et l’industrie, on ne les condamnoit qu’à des travaux inutiles ; les uns remplissoient d’eau des cuves percées, d’autres portoient des boules sur les bords du sommet d’une montagne escarpée, etc. ; de là on inventa le supplice des Danaïdes, celui de Sisyphe, etc.

Des peuples qui adoroient des Divinités cruelles, telle que Bellone, Déesse du carnage, les Praxidices, Déesses des vengeances, les Furies, etc., devoient avoir des mœurs barbares ; et en effet on trouve une grande férocité dans leurs poëmes, dans leurs tragédies, dans leur histoire, dans leurs jeux, et même dans la pompe de leurs triomphes : on sait qu’on arrosoit de sang le char du vainqueur.

La Mythologie offre quelques beaux traits de morale, mais elle ne présente aucun enchaînement de principes moraux, et elle autorise une infinité de vices ; aussi les anciens n’ont jamais eu l’idée de la perfection morale, et chez eux l’admiration pour le héros d’un poëme ou d’une tragédie, ne fut jamais l’un des plus grands moyens d’émouvoir et d’intéresser. La vertu, parmi eux, fut toujours souillée par la férocité ou mêlée d’erreurs et d’inconséquences. Cependant la lumière de l’Evangile, par une force irrésistible, éclaira même les persécuteurs des premiers Chrétiens ; on a beau fermer les yeux à la clarté du soleil, alors on ne distingue pas cet astre éblouissant, niais on entrevoit toujours ses rayons qui rendent les ténèbres moins épaisses et moins obscures. Ainsi la morale évangélique, déjà répandue du temps d’ Epictète et de Marc-Aurèle, contribua sans doute à donner plus de perfection à leurs ouvrages, qui néanmoins, malgré leur beauté, ne sont pas exempts d’erreurs répréhensibles.

La délicatesse d’expression, ces tournures adoucies avec tant de charmes que nous admirons dans les ouvrages des anciens, paroissent inconcevables chez des peuples dont les mœurs étoient incontestablement très-féroces ; chez des peuples dont les têtes étoient ou sanglantes ou d’une licence effrénée5 ; chez des peuples enfin qui enterroient vivantes de jeunes femmes, et qui nourrissoient des tigres pour dévorer des hommes !… mais cette délicatesse de langage et d’expression ne venoit point de l’ame ; elle n’étoit, en général, produite que par la superstition. On croyoit qu’on ne pouvoit prononcer certains mots, certaines phrases sans attirer sur soi de grandes infortunes ; et que même exprimer de certaines craintes, portoit malheur. Cette idée leur faisoit souvent donner de fausses épithètes aux choses qu’ils redoutoient ; ils leur attribuoient des noms flatteurs pour se les rendre favorables ; ceux qui s’embarquoient sur la mer, que nous appelons Mer-Noire, la nommoient Mer-Hospitalière, quoiqu’elle fût très-dangereuse. Ils appeloient les Furies Euménides, c’est-à-dire, douces, bienfaisantes, bénévoles6.

C’est cette crainte superstitieuse de prononcer un nom fatal, qui fait toute la beauté de cet hémistiche de Phèdre : c’est toi qui l’as nommé !… Phèdre n’ose articuler ce nom, si funeste et si cher, dans la crainte d’aggraver à-la-fois son crime et son malheur ; mais elle tressaille lorsqu’il frappe son oreille, elle éprouve la double joie, et de ne l’avoir pas prononcé et de l’entendre : et elle s’écrie avec saisissement : c’est toi qui l’as nommé !… ce qui sous-entend : ce n’est pas moi qui ai commis cette imprudence. Dans ce sens ce mot, plein de vérité, est très-beau. J’avoue que sans cette idée je n’en comprends pas la beauté, ni pourquoi on l’applaudit avec tant de transport.

Si l’ignorance ou l’oubli des usages anciens nous empêche de sentir le prix de quelques traits naïfs et vrais de leurs ouvrages, cette même ignorance nous y fait aussi trouver souvent des finesses et des délicatesses qui n’y sont pas. Tous les beaux esprits du siècle dernier se sont réunis pour louer, avec la plus vive admiration, le peintre Timanthe, qui, en faisant le tableau du sacrifice d’Iphigénie, ne connoissant point d’expression (disent-ils) qui pût rendre la douleur de son père, voila la tête d’Agamemnon. Si telle eût été l’idée du peintre grec, il n’auroit fait qu’éluder une grande difficulté ; et un tour d’adresse n’est nullement un trait de génie. On sait que les artistes grecs avoient plus de confiance dans leurs forces : eux qui ont représenté, d’une manière si admirable, une mère mourante (Niobé), voyant expirer ses filles percées de flèches ; et un père (le Laocoon), étouffé avec ses enfans par des serpens monstrueux. Les anciens se cachoient toujours le visage lorsqu’ils croyoient toucher à leurs derniers momens, ou lorsqu’ils se sentoient attendris ; ce n’est que depuis l’établissement du Christianisme, que les héros ont cessé de rougir de la sensibilité et des larmes données à l’amitié, à la nature et à la pitié !… Dans l’Odyssée, lorsqu’Ulysse, inconnu chez Alcinoüs, entend chanter ses propres aventures, il voile son visage pour cacher ses pleurs.… On retrouve ce sentiment et cette espèce d’orgueil dans tous les ouvrages des anciens ; ainsi, dans le tableau de Timanthe, Agamemnon voile son visage pour dérober ses larmes aux yeux des Grecs, qui les trouveroient d’autant plus inexcusables, que le sacrifice d’Iphigénie assure la prise de Troie.

Lorsque dans les Perses (d’ Eschyle), un courrier vient annoncer la défaite des Perses, Atossa, mère de Xercès, se tait ; le chœur questionne ; enfin, Atossa demande au courrier, qui n’a point encore parlé de Xercès, quels chefs vivent encore ? quels sont ceux de ces rois qu’il nous faut pleurer ? Le courrier répondant à sa pensée, dit : Xercès respire et voit le jour. Atossa s’écrie : Ah ! tu me rends la lumière ?… Ce dialogue doit nous paroître plus touchant et plus beau qu’il ne devoit l’être pour les Grecs ; ce n’est point par la crainte d’apprendre le plus grand des malheurs, et par une délicatesse de sentiment qui seroit sublime dans ce cas, qu’Atossa ne dit pas mon fils vit-il encore ? C’est tout simplement parce qu’une superstition, généralement reçue, l’empêche de prononcer ces paroles qu’à sa place, la mère la moins tendre, n’oseroit proférer.

Combien de fois les anciens ont été injustement critiqués ou loués mal-à-propos, même par les érudits ! c’est ce qu’on peut facilement apercevoir avec un peu de lecture, et l’habitude de réfléchir et de comparer.

Entre toutes les absurdités de la Mythologie, il en est une surtout bien étrange et qu’on n’a jamais relevée. Les Dieux emploient continuellement les mêmes moyens pour punir et pour récompenser ; ils métamorphosent en fleuves, en rochers, en montagnes, en plantes, et les objets de leur courroux et ceux qu’ils protègent et qu’ils aiment.

Les Dieux, pour récompenser le berger Cytheron du culte qu’il leur avoit rendu, le changèrent en montagne. Ces mêmes Dieux, pour punir Hémon d’une passion incestueuse, le métamorphosèrent en montagne ; les Dieux, touchés des vertus de Crocus et de Smylax, les changèrent l’un en safran, l’autre en if ; Apollon, pour venger la mort de Leucothoë dénoncée par Clitie, métamorphosa cette dernière en tournesol, etc. etc.

Cette religion est sans doute la seule qui ait offert l’extravagante singularité d’une multitude de sectes, toutes opposées les unes aux autres par leur doctrine et par leur culte, et néanmoins toutes réunies par la même croyance. Les adorateurs de Vesta et de la chaste Diane, détestoient le culte de Vénus. Les sectateurs de Minerve méprisoient ceux de Bacchus et de Comus, etc., et cependant toutes ces Divinités, ennemies entre elles ; ces Divinités, qui persécutoient avec autant d’acharnement que de cruauté ceux qui négligeoient leurs autels ; ces Divinités, qu’on ne pouvoit raisonnablement honorer à-la-fois, habitoient toutes l’Olympe !…

Ainsi la dépravation et le crime n’étoient pas seulement autorisés par l’exemple des Dieux, chaque vice avoit des temples sur la terre et un protecteur dans le ciel. Les brigands même, les voleurs de grand chemin, partageoient leur butin dans le bois sacré et sur l’autel de leur Divinité, la Déesse Laverne7 . Chaque action coupable ou vile étoit légitimée par une dévotion particulière, qui faisoit partie du culte général.

Que ne doit-on pas à la religion bienfaisante et pure, dont l’éclatante lumière a pour jamais anéanti de si monstrueuses erreurs !

Ces réflexions doivent faire excuser les principes pernicieux et contradictoires qui se trouvent répandus dans les écrits des anciens philosophes. Une morale uniforme n’existoit point alors. La morale ne peut avoir pour base que la religion ; et la religion payenne admettoit et même commandoit mille doctrines diverses en exigeant un culte pour les différens Dieux. Les anciens philosophes n’ont été ni inconséquens, ni systématiques, dès qu’ils ne nioient pas les Dieux ; ils ne pouvoient rien écrire qui fut contraire à leur religion. Diagoras, qui fit gloire de l’athéisme, fut un impie. Dicéarque, qui éleva un autel à l’Injustice, auroit pu être un homme religieux. Dans l’antiquité, la morale relâchée des Epicuriens devoit être rejetée par les Stoïciens ; mais nul n’avoit le droit de s’en scandaliser. Elle ne portoit point d’atteinte à une religion qui consacroit toutes les erreurs. Telle est cette Mythologie que l’on n’a jamais peinte sous ses véritables couleurs, parce qu’en général on ne la juge que sur des Poëmes modernes et sur des représentations théâtrales qui n’en donnent nullement l’idée ; et que les savans n’ont vu dans cette espèce d’érudition qu’une science frivole. Mais quand on songe que ces Fables formèrent, pendant tant de siècles, la religion des Egyptiens, des Grecs et des Romains, il me semble qu’il est intéressant de découvrir l’influence qu’elles durent avoir sur le génie et les mœurs de ces peuples. Je ne me flatte assurément pas d’avoir approfondi une telle recherche dans un discours superficiel de quelques pages, je conviens même que je ne pouvais rien ajouter de plus, parce que le bon sens et la réflexion, dénués d’études scientifiques et par conséquent d’une véritable érudition, peuvent bien offrir quelques aperçus nouveaux ; mais ne doivent pas s’engager dans de longues dissertations sur de semblables sujets. En même temps j’avoue que je crois avoir ouvert un champ nouveau à cette étude, et qu’il me semble que j’ai prouvé 1.° que la Mythologie grecque, malgré l’opinion contraire universellement reçue, ne présente en général que les fictions les plus tragiques, les plus lugubres et souvent les plus odieuses ; et 2.° que les effets de son influence furent de donner au génie grec et romain une profonde mélancolie, une grande férocité à leurs mœurs et une morale non-seulement sans base, sans but, sans enchaînement de principes ; mais remplie d’inconséquences, de contradictions et d’erreurs monstrueuses ; et qu’enfin cette délicatesse qui nous paroît être de sentiment dans leurs productions, et qu’il seroit si difficile de concilier avec leur férocité et leur cynisme effronté à d’autres égards, cette délicatesse que nous trouvons si sublime, n’est communément que dans l’expression, ne vient point de l’ame, et ne fut produite que par des usages fondés sur des superstitions.

Uranus. §

Uranus ou le Ciel, fils du Jour et du Chaos ; le plus ancien des Dieux ; il eut pour épouse la Terre, sa sœur, appelée Ghé ou Titéa, nom qui signifie : nourrice. Il fut père de l’Océan, des Centimanes ou Géans à cent bras, des Cyclopes, des Titans et des Titanides. Uranus renferma dans le Tartare les Gentimanes et les Cyclopes. Ghé, leur mère, pour les délivrer, révolta, contre Uranus, les Titans et surtout Saturne ou Cronos, le plus jeune des Titans, qui combattit et mutila son père ; du sang versé par ce parricide et répandu dans la mer, naquirent les Furies, des Géans et Vénus8.

Ainsi, dès la première page de la Mythologie, voilà du sang et des crimes ; un mauvais père, une épouse criminelle, des enfans parricides.

Saturne et Cybèle. §

Saturne ou le Temps (que les Grecs appeloient Cronos), fils d’Uranus, eut pour femme Rhéa, la même que Cybèle, qu’on appelle encore Bérécinthe, Ops, Dindimène. Saturne eut pour frères les Titans, l’un d’eux lui céda son droit d’aînesse à condition qu’il dévoreroit tous ses enfans mâles ; mais Cybèle lui présentoit une pierre emmaillotée (nommée Abadir ou Bétyle), qu’il dévoroit en croyant détruire ainsi ses enfans. De cette manière, Jupiter, Neptune et Pluton furent sauvés. Par la suite, Saturne, détrôné par son fils Jupiter, se réfugia dans cette partie de l’Italie qu’on appeloit le Latium. Il y donna de si belles lois et gouverna ses peuples avec tant de douceur, que son règne fut appelé le règne de l’âge d’or. Saturne est représenté sous la figure d’un vieillard ailé, tenant une faux. Le sablier est l’un de ses attributs.

Les Saturnales étoient des fêtes en l’honneur de Saturne. Ces fêtes se célébroient pendant six ou sept jours de suite. On ne pouvoit pas entreprendre la guerre tandis qu’elles duroient. Pendant les Saturnales, les maîtres servoient eux-mêmes leurs esclaves, dans des repas magnifiques. Il n’étoit pas permis alors de faire punir les criminels. Les jeux de hasard, défendus dans d’autres temps, étoient autorisés durant toute la célébration des Saturnales. La plus grande licence se mêloit à ces fêtes, dans lesquelles on permettoit tout à des esclaves et à des valets. On fut souvent obligé de faire des lois pour réprimer les excès qui s’y commettoient. Les Opalies ou fêtes d’Ops étoient une dépendance des Saturnales.

Cybèle, femme de Saturne. Sa mère aussitôt après sa naissance la fit exposer dans une forêt où les bêtes féroces prirent soin d’elle et la nourrirent. Elle aima Atis, qui lui préféra la nymphe Sangaride. Cybèle, pour s’en venger, métamorphosa le jeune Atis en pin. Les prêtres de Cybèle étoient les Cabires, les Telchines (espèces de demi-Dieux qui même avoient un culte), les Corybantes, les Curétes, les Dactyles ou Idéens, etc. On représente Cybèle coiffée avec des tours. Le buis et le pin lui étoient consacrés. Les fêtes de Cybèle, en mémoire de la mort d’Atis, n’étoient, pendant les premiers jours, que des fêtes funèbres. On y portoit le deuil, on y faisoit des lamentations, et tout y rappeloit une tragique aventure.

 

On a mis des chaînes à cet arabesque, parce qu’elles sont un des attributs du Temps qui enchaîne ainsi qu’il développe tous les événemens de la vie.

 

Cette seconde page n’offre pas des images plus gracieuses : une mère qui expose sa fille aux bêtes féroces, un oncle qui dévoue tous ses neveux à la mort, un père qui dévore ses enfans, un enfant qui détrône son père, une épouse qui anéantit un jeune homme par jalousie, toutes ces inventions sont aussi tragiques que révoltantes.

On bornera là ce genre de remarques, on verra dans presque toutes les fables suivantes, ou des violences, ou des crimes, ou des malheurs ; et l’histoire des divinités en contient infiniment moins que celle des demi-Dieux et des Héros.

Jupiter et Junon. §

Jupiter, fils de Saturne et de Rhéa, épousa Junon sa sœur, détrôna son père et devint maître souverain des cieux et de la terre. Il défit et foudroya les Titans, géans rebelles, qui s’étoient révoltés contre lui. Il enleva Ganimède, fils de Tros, roi de Troie ; ce fut sous la figure d’un aigle qu’il fit cet enlèvement, et Ganimède, dans l’Olympe, devint l’échanson des Dieux9. Depuis ce temps l’aigle fut l’oiseau de Jupiter. Le chêne lui étoit consacré, ainsi que le hêtre.

Jupiter partagea le monde avec ses frères ; il garda le ciel, donna l’empire des eaux à Neptune et celui des enfers à Pluton.

Prométhée, fils de Japet et frère d’Epiméthée, ayant fait des hommes de terre et d’eau, les anima du feu céleste qu’il tira du soleil et qu’il cacha dans la tige creuse de la plante nommée férule. Jupiter, irrité de ce larcin, fit attacher Prométhée sur le mont Caucase, où une Aigle, fille de Typhon et d’Echidna10, devoit lui dévorer éternellement le foie toujours renaissant. Cependant, après un long supplice, Prométhée fut délivré pour avoir révélé à Jupiter, qui vouloit épouser Thétis, que l’enfant qui naîtroit de Thétis, seroit plus grand que son père. Mais Jupiter, en délivrant Prométhée, voulut qu’il portât toujours à son doigt, un fragment de la roche du Caucase, afin qu’il fût toujours vrai qu’il y fût attaché ; et voilà, suivant la fable, l’origine des bagues. Prométhée forma les hommes prudens et ingénieux ; Epiméthée, son frère, qui l’aida dans ce travail, fit les hommes imprudens et stupides. Les Dieux, choqués de ce que Jupiter prétendoit avoir seul le droit de créer les hommes, formèrent une belle femme, nommée Pandore, à laquelle ils donnèrent toutes les perfections. Jupiter, sous prétexte de lui faire aussi son présent, lui donna une boîte, dans laquelle tous les maux de la nature étoient renfermés. Pandore remit la boite fatale à son époux Epiméthée qui l’ouvrit, et tous les maux se répandirent sur la terre, mais l’espérance se trouva au fond de la boîte. Pandore eut d’Epiméthée, Pyrrha qui épousa Deucalion. Ces deux époux, par la suite, en faveur de l’innocence de leurs mœurs, furent sauvés du déluge.

On verra sur la formation de l’homme, dans l’histoire de Cura, une autre fable beaucoup plus ingénieuse que celle-ci.

Les Flamines étoient des prêtres ou sacrificateurs, celui de Jupiter, appelé Flamine Diale, étoit le plus respecté. Le Flamme Diale étoit soumis à certaines lois particulières très-bizarres. Il ne pouvoit toucher ni à de la chair crue, ni à des lèves, ni à du lierre, ni même proférer le nom d’aucune de ces choses. Ce que l’on coupoit de ses ongles et de ses cheveux devoit être enterré sous un chêne vert, etc. Il ne pouvoit faire divorce. Jupiter, maître du ciel et de la terre, n’avoit point créé les hommes, aussi n’y avoit-il rien de paternel ni même de protecteur dans ses attributs. On ne pensoit pas qu’on dût l’aimer ; il ne falloit que redouter la divinité représentée toujours tenant un foudre. La fable dit que les Cyclopes, en forgeant le foudre de Jupiter, firent en même temps un casque pour Pluton ; que ce casque rendoit invisible celui qui le portoit et que Persée l’emprunta pour combattre Méduse.

Les jeux Olympiques, institués par Hercule, en l’honneur de Jupiter, furent ainsi nommés, d’Olympie, ville de l’Élide, dans le Péloponèse, auprès de laquelle ils se célébroient, non tous les cinq ans, mais après quatre ans pleins et révolus d’un jeu à un autre. Ces jeux commencèrent l’an du monde 3195. Celui qui remportoit le prix, jouissoit de grandes prérogatives.

Junon, sœur et épouse de Jupiter, étoit Déesse des richesses et des royaumes ; jalouse de Jupiter, elle le faisoit épier par Argus qui avoit cent yeux. Mercure endormit cet espion avec sa flûte et ensuite lui coupa la tête. Junon mit les yeux d’Argus sur la queue du paon, oiseau qui lui fut consacré. Sous le nom de Lucine, Junon présidoit aux accouchemens. Alors, ainsi qu’à Cérès, on lui consacroit le pavot. Considérée comme Junon, on lui consacroit le dictame de Crète.

Neptune, Amphitrite, Téthis et Thétis. §

Neptune, fils de Saturne et de Cybèle et Dieu des mers, épousa Amphitrite. Les Grecs le nommoient Poséïdon. Il porte un sceptre à trois dents, nommé trident.

On célébroit, dans l’isthme de Corinthe, les jeux Isthmiques, en l’honneur de Neptune.

Thétis, surnommée la belle Thétis par Homère, n’étoit qu’une Néréide, et selon quelques auteurs, fille de Chiron ou d’Actor. Elle fut élevée par Junon. Elle étoit si belle, que Jupiter, Apollon et Neptune desirèrent l’épouser ; mais Thémis, ou selon d’autres, Prométhée, révéla l’oracle des Parques qui déclaroit que le fils que Thétis mettroit au monde, seroit plus grand que son père. Prométhée pour avoir révélé cet oracle fut délivré de son supplice. Les Dieux renoncèrent à la main de Thétis qui fut demandée par Pélée, roi de Thessalie. Thétis, que ses premières conquêtes avoient dû rendre ambitieuse, ne vouloit point épouser un mortel. Pour se soustraire aux poursuites de Pélée, elle prit mille formes différentes, elle se changea en feu, en eau ; elle prit successivement la figure de tous les animaux les plus redoutables des forêts. Enfin, Chiron, ou selon d’autres, Protée enseigna à Pélée les moyens de triompher de sa résistance, et Thétis devint l’épouse de Pélée et la mère d’Achille.

Il ne faut pas confondre cette Thétis avec Téthys, fille d’Uranus et de Ghé, elle épousa l’Océan qui la rendit mère de 3000 filles, appelées Océanides. Océan, ou Pontus, ou Nérée, fils d’Uranus et de Ghé, époux et frère de Téthys, étoit le plus ancien Dieu protecteur de la mer. On confond quelquefois les Océanides avec les Néréïdes, nymphes de la mer, qui prirent en effet leur nom de Nérée ou l’Océan, leur père, mais qui eurent Doris pour mère. Les nymphes des fleuves et des rivières, se nommoient Nayades et Potamides, celles des lacs et des marais, Lymniades, celles des fontaines, Crénées. Les Tritons étoient des demi-Dieux marins. Le berger qui gardoit les troupeaux de Neptune, se nommoit Protée, il avoit le pouvoir de prendre à son gré toutes sortes de formes. Il étoit devin, mais il ne révéloit l’avenir que lorsqu’on l’y forçoit en le liant. Il eut plusieurs enfans, entre autres, Polygone et Télégone, fameux par leurs brigandages et leurs cruautés ; ils osèrent provoquer Hercule à la lutte, et le héros les tua.

Pluton et Proserpine. §

Pluton, Dieu des enfers, fils de Saturne et de Cybèle, enleva Proserpine, fille de Jupiter et de Cérès, tandis qu’elle cueilloit des fleurs sur le mont Etna. La nymphe Cyanée qui voulut s’opposer à cet enlèvement, fut changée en fontaine. Cérès redemanda sa fille, et Jupiter décida qu’elle lui seroit rendue si elle n’avoit rien mangé aux enfers. Ascalaphe découvrit qu’elle avoit mangé sept grains de grenade. Proserpine, pour le punir de cette délation, le métamorphosa en hibou.

Pluton aima une nymphe nommée Menthe qui fut changée par Proserpine, en la plante de ce nom. On consacroit au Dieu des morts, l’ébénier, le Satyrion ; le capillaire étoit consacrée Pluton et à Proserpine. L’enlèvement de Proserpine est le sujet d’un joli poëme de Claudien11. On croyoit que le cheveu fatal coupé à chaque homme au moment de la mort, étoit consacré à Proserpine, comme à la reine des enfers et des ombres. Les mortels qui pénétroient vivans dans ce lugubre empire étoient obligés de lui présenter un rameau d’or. Ce précieux rameau se trouvoit dans une forêt mystérieuse dont la Sybille de Cumes enseigna le chemin à Énée, lorsqu’il descendit aux enfers. Pirithoüs, fils du téméraire Ixion, et roi des Lapithes, ne fut pas moins audacieux que son père, il forma le projet d’enlever Proserpine. Thésée, son ami, descendit avec lui dans les enfers ; arrivés dans ces redoutables lieux ils s’assirent pour se reposer, afin de reprendre de nouvelles forces ; mais ensuite il ne leur fut plus possible de se relever, une puissance vengeresse les retint cloués à cette place fatale. Hercule vint les délivrer, il emmena facilement Thésée, mais il ne put délivrer Pirithoüs qu’en l’arrachant avec effort et sanglant, du rocher sur lequel il étoit assis, et delà Pirithoüs eut le surnom d’Apigos. Cette fable est contée ainsi par Hygin et par d’autres ; mais selon l’Odyssée, Thésée et Pirithoüs restèrent aux enfers.

La Sicile rendit le culte le plus solennel à Proserpine. Les Locriens et les Arcadiens lui élevèrent aussi des temples. Chez les Grecs et les Romains les serviteurs et les amis de ceux qui venoient de perdre le jour se coupoient les cheveux et les jetoient dans le bûcher funéraire, pour fléchir Proserpine. Les Grecs appeloient cette Déesse Perséphoné. On dit que Proserpine, dans sa jeunesse, caressée par un moineau, voulut le prendre et le nourrir, l’oiseau se réfugia dans le creux d’un rocher ; Proserpine alloit le saisir lorsqu’un fleuve impétueux sortit tout-à-coup du rocher et trompa son attente. Ce fleuve devint fameux et fut nommé Hercyne.

Les Parques. §

Filles de l’Erèbe et de la Nuit, elles filoient aux enfers la vie des mortels : la couleur de la laine qu’elles filoient désignoit le sort des humains soumis à leurs décrets : la noire annonçoit une vie courte et infortunée : la blanche promettoit une existence longue et heureuse. Lachésis tenoit le fuseau, Clotho la quenouille, Atropos coupoit le fil. On représentoit les Parques avec des couronnes pour désigner leur pouvoir sur tous les hommes ; celle de Clotho étoit formée de sept étoiles, les autres avoient des couronnes d’or. — L’asphodèle croissoit dans un lieu ténébreux des enfers, nommé la vallée des larmes. Le nerprun, la fougère, etc. étoient consacrés aux divinités infernales. Outre Pluton, Proserpine, les Parques, les Furies, il y avoit encore aux enfers trois juges, Minos, Eaque et Rhadamante. Ils précipitoient les méchans dans un gouffre affreux : le Tartare. Ils ouvroient l’entrée des champs Elysées, jardins immortels et délicieux, aux ames vertueuses. Le batelier des enfers s’appeloit Caron. Un chien à trois têtes, Cerbère, en gardoit les portes de fer. L’enfer avoit plusieurs fleuves : le Styx, l’Achéron, le Cocyte, le Phlégéton, le Léthé ou le fleuve d’oubli, ainsi nommé parce que ceux qui buvoient de ses eaux perdoient le souvenir du passé.

Le plus ancien des fleuves infernaux étoit l’Erèbe, il existoit avant tout et même avant les Dieux ; il s’unit à la Nuit, sa sœur, et de cet hymen, suivant quelques auteurs, naquirent les Titans ; il soutint ses enfans dans leur guerre contre les Dieux, ce qui le fit précipiter dans les enfers. La fontaine Styx étoit une nymphe, fille de l’Océan, elle secourut Jupiter dans la guerre des Titans, et en récompense Jupiter en fit le fleuve le plus redoutable des enfers ; il voulut qu’elle fût à l’avenir le gage sacré des promesses des Dieux. En jurant par le Styx, il falloit que les Dieux eussent une main étendue sur la terre et l’autre sur les mers. Le Styx, dit Hésiode , forme sous terre un ruisseau toujours couvert d’une sombre nuit, sou onde coule dans le Tartare ; mais la dixième partie de ses eaux est réservée pour la punition des Dieux parjures. Le Dieu coupable demeure un an sans respiration, sans parole et sans vie ; il est étendu sur un lit dans un engourdissement total, et privé du nectar et de l’ambroisie. Ensuite il est exclu encore pendant neuf ans de la société des Dieux, et ce n’est qu’après ce temps qu’il peut rentrer dans tous ses droits.

Les principaux criminels du Tartare étoient Tantale, tourmenté de la faim et de la soif, plongé dans un fleuve sans pouvoir boire, voyant de beaux fruits suspendus au-dessus de sa tête sans y pouvoir atteindre ; en punition d’avoir égorgé son fils Pélops, qu’il servit à manger aux Dieux. Titie, auquel un vautour dévore le foie pour avoir voulu faire violence à Latone. Ixion, placé sur une roue qui tournoit éternellement avec une extrême vitesse, pour avoir osé déclarer sa passion à Junon.

Les juges des enfers auroient pu augmenter le supplice d’Ixion pour un crime plus horrible encore ; mais les Dieux l’en avoient absous. Pour se dispenser de faire à son beau-père Déïon les présens de noce d’usage, il le fit périr en le précipitant dans une fournaise ardente. Il eut tant de remords de ce forfait, que Jupiter, pour le consoler, le reçut vivant dans l’Olympe et l’admit à sa table ; ce fut-là qu’Ixion devint amoureux de Junon. Cette fable est assurément l’une des plus absurdes de la mythologie, puisque les Dieux accordèrent au repentir d’un crime atroce ce qu’ils n’avoient jamais accordé à la vertu la plus pure. Tout ce que les remords peuvent obtenir tant que l’homme existe, c’est le pardon ; ils ne méritent jamais sur la terre des récompenses. On voyoit encore aux enfers les Danaïdes condamnées à remplir d’eau une cuve percée, pour avoir assassiné leurs maris la première nuit de leurs noces, à l’exception d’Hypermnestre qui sauva son mari Lyncée, etc.

Les Kers étoient des espèces de génies infernaux dont Hésiode et quelques autres auteurs ont parlé. Ces génies féroces et sanguinaires, comme les Parques, enfans de la Nuit, suivoient les guerriers dans les batailles, s’acharnoient sur les blessés et les mourans, leur enfonçoient leurs griffes dans le corps et suçoient leur sang, et après les avoir achevés, jetoient derrière eux leurs cadavres et alloient chercher de nouvelles victimes.

Hésiode divise ainsi les Dieux mânes : les premiers habitans du globe, ceux qui virent l’âge d’or, formèrent les génies supérieurs nommés Demones. Ceux qui vécurent dans le siècle d’argent, produisirent les mânes ou esprits souterrains ; et les hommes de l’âge de fer, les esprits malfaisans. Ce fut Orphée qui introduisit chez les Grecs l’usage d’évoquer les mânes. Les Thessaliens surtout excelloient dans cet art. Parmi les mânes on distinguoit en Grèce quelques génies particuliers ; ainsi on adoroit en Elide Taraxipas, démon infernal, qui se plaisoit à effrayer les chevaux et dont le nom signifie le turbulent. La figure de Taraxipas étoit placée dans le Stade d’Olympie, c’étoit un écueil redouté contre lequel les chars s’étoient plusieurs fois brisés.

Lorsque les mânes étoient nommés Lemures ou Remures, on les regardoit comme des génies courroucés. Leur nom, suivant l’opinion la plus générale, vient de Rémus qui fut tué par son frère, et dont l’ombre irritée eut besoin, pour être adoucie, des fêtes que Romulus institua en son honneur, et qui furent appelées lemurales ou remurales. Pendant la célébration de ces fêtes lugubres, on fermoit à Rome les temples de toutes les autres divinités et personne ne pouvoit se marier. Cette fête duroit cinq jours, et c’étoit au milieu de l’obscurité et à minuit qu’elle finissoit. Alors chaque père de famille se relevoit, marchoit pieds nuds dans les ténèbres et parcouroit toute la maison, en faisant un peu de bruit avec la main, pour écarter les ombres qui ne se plaisent que dans les lieux silencieux ; ensuite il se lavoit les mains afin de les purifier, parce qu’elles avoient dispersé les ombres, et il rejetoit des fèves noires qu’il avoit mises dans sa bouche, cela fait il prononçoit à voix basse ces mots : Je me rachette et ma famille avec ces fèves. Neuf fois il répétoit la même formule sans regarder derrière lui. Enfin, après un instant de silence, il s’écrioit à haute voix en frappant sur un vase d’airain : « Mânes de mes ancêtres, Lémures, Dieux des enfers, sortez de ce séjour ! » Aussitôt on allumoit des feux de toutes parts et la cérémonie étoit finie.

Les Larves étoient les ames des hommes vicieux, condamnés après leur mort à errer long-temps sur les bords du Styx ou de l’Achéron ; les Dieux leur avoient donné le pouvoir d’épouvanter les médians par d’effrayantes apparitions. Ceux qui ne recevoient pas la sépulture devenoient aussi des larves : on représentoit ces fantômes malheureux sous des figures hideuses.

La vue du feu consoloit les mânes, c’est pourquoi les anciens renfermoient des lampes dans les tombes. On chargeoit des esclaves du soin de les allumer et d’entretenir leur flamme ; c’étoit un crime de les éteindre.

Les Incubes ou Ephialtes, démons malfaisans, s’efforçoient d’étouffer les hommes durant leur sommeil. Les Empuses étoient des spectres qu’Hécate envoyoit à ceux qui l’évoquoient. Ces spectres avoient la figure ou d’un bœuf, ou d’un chien, ou d’une femme, mais seulement la tête ; le reste finissoit comme ces statues qui n’ont qu’un long pied en gaine. Les Lamies étoient des spectres femelles qui se nourrissoient de chair humaine, et surtout du sang des jeunes gens et des enfans, elles avoient le visage luisant de feux, l’un de leurs pieds étoit de fer, l’autre d’âne, elles avoient toujours le corps couvert de sang. Les Mormolycies et les Striges étoient des monstres de ce genre. On ne peut terminer cette noire énumération sans faire mention de Jalémus ; c’étoit un fils d’Apollon, qui éprouva tant d’infortunes, que son nom passa en proverbe pour dire un homme malheureux. On appela, jalémies de son nom, plusieurs chants funèbres. La déesse des funérailles se nommoit Nénie. On donnoit aussi ce nom aux chants funèbres dont on attribue l’invention à Linus. Comme ces chants étoient ordinairement vides de sens, on en prit occasion d’appeler Nénies les mauvais vers. Nœnies, qui s’écrit différemment, étoient des fêtes en l’honneur de Bacchus, et qu’on célébroit la première fois qu’on buvoit du vin nouveau. On ne sacrifioit à Pluton et aux Dieux infernaux que des victimes noires.

La Fable dit que le Mensonge recevoit les ombres des mains de Caron pour les conduire devant les juges infernaux. Campé, monstre épouvantable, étoit geôlière du Tartare : Jupiter la tua.

Les Euménides. §

Les Furies, appelées aussi Dirées, Erinnyes ou Euménides, filles de la Discorde, étoient au nombre de trois et s’appeloient, Mégère, Tisiphone et Alecton. Elles ne sortoient des enfers que pour aller sur la terre tourmenter les coupables. On les représente coiffées avec des serpens entortillés dans leurs cheveux, et tenant des piques et des torches ardentes.

Le safran, le narcisse, faune, le cèdre, le genévrier, l’hièble et les chardons étoient consacrés aux Euménides.

Les Furies n’ont jamais été susceptibles d’amitié, mais elles ont connu l’amour ; la furie Alecton passant près du mont Astère, vit le jeune berger Cythéron et en devint amoureuse ; mais n’en étant point écoutée, elle détacha un serpent de sa coiffure, et l’ayant jeté sur le cou du malheureux pâtre, celui-ci en fut étranglé. Cette mort fit donner le nom de Cithéron à la montagne où le berger avoit perdu le jour. On éleva dans ce lieu un temple aux Furies, et l’on entoura de cyprès ce monument. Les Furies eurent plusieurs temples dans la Grèce. Le célèbre Epimenide de Crète leur en fit élever un superbe à Athènes, les prêtres s’y nommoient Bésychides.

Dans les Coëphores, tragédie d’ Eschyle, on voit les Furies mêmes céder à la voix puissante de la Sagesse. Lorsqu’Oreste, après son parricide, est absous, les Furies, désespérées, veulent livrer Athènes à la discorde et à la peste, leur haine attiroit tous ces fléaux, Minerve entreprend de les fléchir en faveur de sa ville chérie, ce qu’elle fait avec un art admirable : ce discours de Minerve, même dans la traduction, est sublime ; c’est la sagesse et la modération qui s’expriment avec une modestie, une finesse, une douceur enchanteresses. Les Furies s’appaisent avec une gradation parfaite ; cette scène est un chef-d’œuvre. On ne faisoit jamais aux Furies que des libations d’eau et non de vin ; c’est pourquoi Sophocle les appelle les sobres déesses.

Lorsqu’on avoit commis un crime, on faisoit des expiations pour se délivrer des Furies. Quand le crime étoit grave, on trouvoit difficilement quelqu’un qui voulût l’expier. On se présentoit en silence devant celui qui devoir recevoir l’expiation ; on enfonçoit en terre le glaive qui avoit donné la mort, l’expiateur faisoit immoler un jeune pourceau ou une brebis noire d’un an, et le sang de la victime servoit à purifier les mains du meurtrier. On faisoit ensuite des libations, le coupable se prosternoit devant l’autel des Furies, que l’on couvroit de gâteaux. Lorsque, sans avoir commis de crime, on avoit été sollicité d’y prendre part, il étoit nécessaire de se purifier les oreilles en les lavant. Les Lacédémoniens, pour se purger de quelque crime, coupoient un chien en deux morceaux et passoient entre ces deux parties déchirées. L’expiation étoit aussi en usage parmi les Romains, mais avec plusieurs cérémonies différentes ; après avoir offert des sacrifices, on passoit sous le joug, c’est-à-dire, sous une pièce de bois soutenue par deux autres. Horace se soumit à cette expiation après le meurtre de Camille. Il y avoit encore, dans l’antiquité, des expiations plus solemnelles, appelées taurobolia, c’est-à-dire, aspersion de sang de taureau ou de sang de bélier, On creusoit une fosse dans laquelle descendoit le criminel, la tête ceinte de bandelettes. On mettoit sur sa tête un couvercle percé d’une infinité de trous, et sur ce couvercle on égorgeoit le taureau ou le bélier ; le sang découloit sur le coupable, il sortoit de la fosse hideux à voir et tout souillé de sang. Il falloit renouveler ce sacrifice tous les vingt ans. Des femmes recevoient aussi cette expiation, on y associoit qui on vouloit, et même des villes entières la recevoient par députés. Quelquefois on faisoit ces sanglans sacrifices pour le salut des Empereurs. Les anciens, livrés aux plus noires superstitions, croyoient que lorsqu’on avoit tué quelqu’un en trahison, on ôtoit à ses mânes le moyen de s’en venger en lui coupant les pieds, les mains, le nez et les oreilles ; c’est ainsi que fut traité, par Ménélas, Déïphobe, mari d’Hélène, et ce fut dans cet état qu’Enée le vit dans les enfers.

Némésis. §

Déesse des vengeances célestes, selon les uns, fille de Jupiter ; selon d’autres, de la Nuit. Elle punissoit l’orgueil et fin justice des hommes. Elle présidoit à l’oreille droite et souvent on lui en consacroit la représentation en argent. On adoroit surtout cette Déesse à Rhamnus, ville de l’Attique ; elle y avoit un magnifique temple et une statue qui passoit pour un chef-d’œuvre de l’art. Athènes célébroit, en son honneur, les Némésées, pendant lesquelles on faisoit des expiations en faveur de ceux qui avoient abusé des présens de la fortune ou des dons de la nature. On la couronnoit quelquefois de pierreries et plus souvent de narcisse. Cette fleur qui rappeloit un jeune orgueilleux12, épris de lui-même, victime de l’amour propre, devoit naturellement être consacrée à la Déesse qui punissoit ceux qui n’aimoient qu’eux-mêmes.

 

Les Praxidices, filles d’Ogigès, divinités vengeresses, étoient au nombre de trois : Alalcoménie, Telxinie et Aulis. On juroit par elles ; on leur bâtit un temple.

Cérès. §

Cérès, fille de Saturne et de Cybèle, Déesse des moissons et mère de Proserpine qu’elle eut de Jupiter. Elle chercha par toute la terre, sa fille enlevée par Pluton ; après beaucoup de courses, elle s’arrêta sur les bords du lac de Syracuse, elle vit flotter sur les eaux du lac, le voile de sa fille, et la nymphe Aréthuse apprit à la Déesse l’enlèvement de Proserpine par Pluton. Cérès obtint de Jupiter, que sa fille passeroit six mois de l’année sur la terre.

Cérès enseigna l’agriculture à Triptolème, fils de Céléus, roi d’Eleusis, et de Métanire.

On appeloit les Mystères par excellence, les mystères qu’on célébroit à Eleusis en l’honneur de Cérès. On n’étoit admis aux grands mystères, qu’après cinq ans de noviciat dans ce qu’on appeloit les petits mystères de Cérès. Au bout de ce temps on recevoit, de nuit, le récipiendaire. Après lui avoir fait laver les mains, à l’entrée du temple, et l’avoir couronné de myrte, on ouvroit une cassette qui contenoit les livres où se trouvoient écrites les lois de Cérès, et le détail des principales cérémonies de ses mystères, on les lisoit au récipiendaire et on les lui faisoit transcrire ; un léger repas succédoit à cette cérémonie ; ensuite l’initié passoit dans le sanctuaire dont le prêtre tiroit le voile, et tout étoit alors dans une grande obscurité ; un moment après, une vive lumière faisoit découvrir la statue de Cérès, magnifiquement ornée, après quoi l’on retomboit dans une profonde obscurité. On entendoit le tonnerre, on voyoit des éclairs et mille figures effrayantes et monstrueuses. Mais enfin le calme revenoit avec le jour, et l’on se trouvoit dans des jardins délicieux, image des Champs-Élysées. C’étoit là qu’on révéloit aux initiés tous les secrets des mystères. La fête de l’initiation duroit neuf jours. Les principaux Ministres étoient le Hyérophante ou Mystagogue ; le second étoit le porte-flambeau ; le troisième, le héraut sacré ; et le quatrième s’appeloit le ministre de l’autel. Il y avoit en outre beaucoup de prêtres subalternes. On garda long-temps un secret impénétrable sur ce qui se passoit dans les mystères d’Éleusis, et ce ne fut que fort tard qu’on parvint à en savoir quelque particularité. Il étoit défendu de les divulguer, sous peine de la vie.

La célébration des fêtes de Cérès offroit aussi un spectacle fort triste, en mémoire des douleurs de la Déesse, pour l’enlèvement de Proserpine.

Minerve. §

Déesse de la sagesse et des arts. Jupiter épousa Métis : ayant appris du Ciel qu’elle alloit donner le jour à une fille d’une sagesse surnaturelle, il la dévora ; et quelque temps après, éprouvant une violente douleur de tête, il ordonna à Vulcain de la lui fendre d’un coup de hache, aussitôt Minerve, toute armée, sortit de son cerveau. Cette divinité créa les sciences et les arts ; on lui attribue l’art de broder et de filer ; c’est elle qui enseigna aux hommes l’usage des chars et celui de l’olivier. C’étoit la divinité tutélaire d’Athènes. Lorsque Cécrops bâtit cette ville, Minerve et Neptune se disputèrent l’honneur de lui donner un nom ; les douze grands Dieux furent choisis pour arbitres et décidèrent que celui des deux qui pourroit produire la chose la plus utile à la ville, lui donneroit son nom. Neptune, d’un coup de trident, fit sortir de terre un cheval, et Minerve fit naître l’olivier. On lui adjugea le prix. Comme la Déesse s’appeloit en grec Athéné, la ville fut nommée Athènes. Minerve voulut que l’arbre, qui termina cette grande contestation et auquel elle devoit la victoire, fût, à l’avenir, le symbole de la paix et qu’il lui fût consacré ; car la Déïté inventrice et protectrice des arts, et surtout la Sagesse est amie de la paix. Elle protégea plusieurs héros, entre autres, Hercule, Persée, Diomède, Ulysse, Télémaque, Bellérophon, Tydée. Elle punit son orgueilleuse élève Arachné, qui se vantoit de mieux travailler qu’elle, elle la changea en araignée. Elle priva Tirésias de la vue, parce qu’il avoit eu la témérité de la regarder pendant qu’elle se baignoit. Le hibou lui étoit consacré. Les Athéniens célébroient, en son honneur, des fêtes appelées les grandes et les petites panathénées.

On représente la Sagesse, armée, parce qu’elle doit, ainsi que la vertu, combattre les passions et l’erreur. Voici, selon Apollodore, l’origine du surnom de Pallas que reçut Minerve. Son éducation fut confiée à Pallas, fille de Triton ; elles aimoient toutes les deux les exercices des armes ; un jour, en combattant ensemble, Pallas alloit porter à Minerve un coup dangereux, si Jupiter n’eût mis l’Égide devant sa fille13. Pallas, épouvantée recula, dans ce moment, Minerve la blessa à mort ; elle en eut tant de regret, qu’elle fit une image toute semblable à Pallas et elle arma sa poitrine de l’Égide qui avoit causé sa frayeur. Pour l’honore mieux, elle voulut que cette statue demeurât auprès de Jupiter. Électra apporta ce Palladium à Ilium ; le roi Ilus fit construire un temple magnifique, dans lequel on le plaça. D’autres content différemment la fable du Palladium. Les uns disent que le Scythe Abaris, qui reçut d’Apollon l’esprit de divination et une flèche sur laquelle il traversoit les airs, fabriqua une statue de Minerve avec les os de Pélops, qu’il vendit aux Troyens qui crurent sur sa parole que cette statue venoit du ciel. D’autres prétendoient que cette statue descendue du ciel, s’étoit placée elle-même dans un temple de Minerve, à Troie. L’oracle assura qu’on ne prendroit jamais la ville tant que cette statue resteroit à Troie. Les Grecs, sous la conduite d’Agamemnon, étant venus assiéger Troie, Ulysse et Diomède passèrent par des souterrains et enlevèrent ce fameux Palladium : peu après la ville fut prise. Les Grecs, selon quelques-uns, ne prirent qu’un faux Palladium fait à la ressemblance du véritable, à dessein de tromper ceux qui voudroient l’enlever. Enée, dit-on, apporta le véritable en Italie où il fut renfermé depuis et conservé dans le temple de Vesta. Cette fable du Palladium ressemble à celle du bouclier de Numa. Ancile est le nom qu’on donna à un bouclier que Numa assura être tombé du ciel et à la conservation duquel il prétendit qu’étoit attachée la destinée de l’Empire romain. Il en fit faire onze autres parfaitement semblables, afin qu’il fut plus difficile de voler le véritable, et il en confia la garde à douze prêtres qu’il institua et qu’il nomma Saliens. Quand on portoit les Anciles ou boucliers, dans une fête qui duroit trois jours, au commencement de mars, on ne pouvoit ni se marier, ni rien entreprendre d’important.

Bacchus. §

Bacchus, Dieu du vin, conquérant de l’Inde et fils de Jupiter et de Sémélé. Cette dernière ayant fait jurer par le Styx14 à Jupiter qu’il lui accorderoit ce qu’elle vouloit lui demander, elle exigea qu’il vînt la voir dans toute sa gloire. L’éclat du Dieu embrasa Sémélé qui périt consumée. Jupiter tira de son sein Bacchus, qu’il mit dans sa cuisse et qu’il y garda quelques mois. Bacchus aima Ariane, Erigone, etc. : son père nourricier s’appeloit Silène. Ses fêtes (les orgies, les bacchanales) étoient célébrées par des femmes nommées Bacchantes. Le lierre lui étoit consacré depuis qu’un jeune homme, appelé Cissus, se tua en faisant une chute après avoir dansé devant lui ; Bacchus le métamorphosa en lierre. On représente Bacchus tenant un thyrse ou baguette entourée de lierre. On portoit à ses fêtes un van mystérieux ou licnon absolument nécessaire à ces cérémonies. Les Bacchantes portoient aussi des thyrses et se couronnoient de liseron.

Bacchus changea en chauve-souris les Minéïdes, parce qu’elles avoient refusé de célébrer ses fêtes. Il punit le roi Penthée15 pour la même raison. Il inspira une telle fureur à Agavé sa mère, et à Autonoë sa tante, qu’elles le massacrèrent en croyant tuer un lion.

Les Bacchantes avoient plusieurs surnoms, entre autres, ceux de Thyades, de Menades, de Bassarides, etc. Dans les fêtes de Bacchus, ces femmes, l’opprobre de leur sexe, échevelées et à moitié nues, couroient en criant et en faisant retentir les airs de leurs hurlemens et de leurs instrumens barbares ; elles menaçoient et frappoient les spectateurs en formant des danses qui consistoient en bonds irréguliers et convulsifs. Tout en elles annonçoit l’ivresse et la fureur ; on les voyoit dans ces fêtes infâmes déchirer de jeunes taureaux et dévorer leur chair crue. Suivant la Fable, elles suivirent Bacchus dans les Indes. Lorsqu’elles revinrent en Béotie avec Bacchus, Lycurgue les fit emprisonner toutes, mais Bacchus l’ayant rendu furieux, les Bacchantes furent remises en liberté, La Fable peint les Bacchantes aussi barbares que dépravées : celles de Thrace, méprisées par Orphée, massacrèrent et mirent en pièces ce chantre infortuné, dont la lyre avoit touché l’inexorable Dieu des enfers, et suspendu les tourmens des criminels plongés dans le Tartare. Elles firent beaucoup d’autres cruautés. Malgré l’infamie de leurs mœurs et de leurs mystères, les Bacchantes, comme prêtresses d’un Dieu puissant, étoient fort respectées : l’histoire rapporte que lorsque les tyrans des Phocéens eurent pris Delphes, les Thyades, saisies d’une fureur bachique, errèrent perdant la nuit et arrivèrent à Amphisse, elles se couchèrent et s’endormirent dans la place publique. Les femmes de cette ville confédérée des Phocéens, craignant qu’elles ne fussent insultées par les soldats des tyrans, se rangèrent autour d’elles, afin que personne ne pût en approcher, gardant en même temps un profond silence pour ne point troubler leur sommeil. Quand les Thyades furent réveillées, les Amphissiennes leur donnèrent à manger et les reconduisirent ensuite en lieu de sûreté.

Les thymelies étoient des chansons en l’honneur de Bacchus. Ces chansons tirèrent leur nom de Thymélée, fameuse baladine qui fut agréable à l’empereur Domitien. On appela, par la même raison, Thyméliens, les gens de théâtre qui dansoient et chantoient dans les intermèdes ; enfin le lieu où ils faisoient leurs représentations reçut aussi le nom de Thymélé.

Les pæans étoient des espèces d’hymnes et de cantiques en l’honneur de Bacchus, d’Apollon et des autres Dieux ; on fit même des pæans pour illustrer les grands hommes.

Bacchus fut surnommé Narthécophore, c’est-à-dire, qui porte une canne de férule. On le représente quelquefois avec une de ces cannes à la main, peut-être parce que cette plante étoit révérée comme ayant renfermé le feu du ciel dérobé par Prométhée. Quelques auteurs disent que ce bâton étant léger, Bacchus persuada aux buveurs d’en porter toujours, afin que s’ils se battoient, ils le pussent impunément. On surnommoit Narthécophores ceux qui étoient initiés aux mystères de Bacchus.

Les agranies ou agrionies étoient des fêtes instituées à Argos, en l’honneur d’une fille de Prœtus. Les femmes y cherchoient Bacchus, et ne le trouvant point, elles disoient qu’il s’étoit retiré chez les Muses ; elles soupoient ensemble, et après le repas elles se proposoient des énigmes, il y avoit à Orchomène une particularité dans la célébration des agrionies ; c’est que les femmes d’une famille devenue odieuse par quelque action barbare, étoient exclues de cette fête.

Vesta. §

Déesse du feu, fille de Saturne et de Rhéa. Les prêtresses de ses temples s’appeloient Vestales, elles ne pouvoient se marier qu’au bout de trente ans de profession. Elles entretenoient le feu sacré. Si la négligence d’une vestale laissoit éteindre ce feu, la vestale étoit punie, non de mort, mais sévèrement. Si une vestale manquoit à son vœu de virginité, elle étoit enterrée vive. On ne pouvoit rallumer le feu sacré qu’aux rayons du soleil réunis au fond d’un vase concave présenté au soleil. Ce n’étoit pas seulement dans les temples que l’on conservoit le feu sacré de Vesta, mais encore à la porte de chaque maison particulière, d’où vient le nom de vestibule. Numa Pompilius, qui institua les vestales de Rome, qu’en nomma que quatre : Servius Tullius ou, selon d’autres, Tarquin l’ancien en porta le nombre à six.

Numa défendit qu’on reçût aucune vestale au-dessous de l’âge de six ans ni au-dessus de dix. La loi Pappia ordonnoit au grand pontife, au défaut de vestales volontaires, de choisir vingt jeunes filles romaines, de les faire toutes tirer au sort en pleine assemblée, et de saisir celle sur qui le sort tomberoit ; mais communément le pontife recevoit les vestales sur la présentation des parens : il suffisoit, pour être reçue vestale, que d’un côté ni d’un autre on ne fût point sortie de condition servile ou de parens qui eussent exercé une profession basse. Aussitôt qu’une vestale étoit reçue, on lui coupoit les cheveux, et l’on attachoit sa chevelure à la plante nommée Lotos. Ce qui, dans une cérémonie religieuse, étoit regardé comme une marque d’affranchissement et de liberté. La vestale ensuite laissoit croître ses cheveux. Les vestales avoient le visage découvert, portoient sur la tête une espèce de turban, elles avoient sur leur habit un rochet de toile fine d’une extrême blancheur, et une mante de pourpre, ample et longue, qui, ne portant que sur une épaule, leur laissoit un bras libre et à moitié nu. L’élégance de ce costume a beaucoup contribué à nous donner pour les vestales un intérêt que nos religieuses n’ont pu nous inspirer. Comment ne pas préférer un manteau de pourpre à une guimpe ? Nos dégoûts et notre admiration ne sont fondés souvent que sur les choses les plus frivoles. D’ailleurs, une vestale n’étoit reçue que lorsqu’elle n’avoit rien de défectueux sur le corps ; il falloit même qu’elle fût belle.

Dès que la vestale avoit mis le pied dans le parvis du temple, elle étoit affranchie de la puissance paternelle, et elle acquéroit le droit de tester. Seuls exemples sans doute de filles pouvant tester dès l’âge de six ans. En entrant chez les vestales, elle apportoit une dot, dont elle pouvoit, comme on l’a dit, disposer à son gré. Si elle mouroit sans testament, son bien restoit à la maison. Outre l’entretien du feu, sacré les vestales étoient chargées des vœux de tout l’Empire, et leurs prières étoient regardées comme une ressource publique. Elles avoient leurs jours solemnels : le jour de la fête de Vesta le temple étoit ouvert extraordinairement, et on pouvoit pénétrer jusqu’au lieu même où reposoient les choses sacrées qu’on n’exposoit qu’après les avoir voilées ces gages de la durée et de la félicité de l’Empire romain sur lesquels les auteurs se sont expliqués diversement. Quelques-uns veulent que ce fut l’image des grands Dieux, d’autres croyent que c’étoit celle de Castor et Pollux, ou d’Apollon et Neptune. Pline parle d’un Dieu particulièrement révéré des vestales ; qui étoit à-la-fois le gardien des enfans et des généraux d’armée. On dit aussi que les vestales conservoient dans l’intérieur du temple deux tonneaux mystérieux, l’un vide et ouvert, l’autre plein et couvert, dans lequel les vestales seules pouvoient regarder. Ce qui paroît avoir quelque rapport avec les tonneaux dont parle Homère , qui étoient à l’entrée du palais de Jupiter, l’un, plein de maux et l’autre, de biens. On regardoit les vestales comme des personnes sacrées, on leur rendoit les plus grands honneurs ; elles avoient toute liberté de sortir. Elles vivoient dans le luxe et dans la mollesse ; elles alloient aux spectacles, au cirque. Les hommes avoient la liberté d’entrer le jour chez elles et les femmes à toute heure. Une vestale fut insultée le soir, en rentrant chez elle, par des jeunes gens qui ignoroient qui elle étoit. De là vint la coutume de faire marcher devant elles un licteur avec des faisceaux, afin de prévenir de semblables désordres. Si les consuls ou les préteurs se trouvoient sur leur chemin, ils faisoient baisser leurs haches et leurs faisceaux devant elles. Ce fut le respect qu’on leur portoit qui arrêta l’entreprise de tribuns contre Claudius. Ce dernier, malgré leur opposition, avoit obtenu les honneurs du triomphe ; les tribuns entreprirent de le renverser de son char au milieu de la marche de son triomphe. La vestale Claudia, sa fille, avoit suivi tous leurs mouvemens, elle se jeta dans le char au moment même où le tribun alloit renverser Claudius. Elle se mit entre son père et lui, et elle arrêta par ce moyen la violence du tribun, retenu alors, malgré sa fureur, par l’extrême respect dû aux vestales. Claudius alla en triomphe au Capitole, et sa fille, au bruit des acclamations de tout le peuple, se rendit au temple de Vesta.

Les vestales avoient la prérogative de pouvoir sauver la vie à un criminel que l’on conduisoit au supplice lorsqu’elles le rencontroient sur leur chemin, pourvu qu’elles fissent le serment qu’elles se trouvoient là sans dessein et seulement par hasard. Elles étoient appelées en témoignage et entendues en justice, mais elles n’y pouvoient être contraintes : il y avoit peine de mort pour quiconque se jetteroit sur leur char ou sur leur litière lorsqu’elles iroient dans la ville. Auguste leur donna aux spectacles une place d’honneur vis-à-vis celle du préteur. La grande vestale (Maxima), c’est-à-dire, la plus ancienne, portoit au cou une bulle d’or. Numa, qui les avoit dotées, assigna des terres particulières sur lesquelles il leur attribua des droits et des revenus. Dans la, suite elles furent enrichies par une grande quantité de fondations et de legs testamentaires. Mais outre les donations communes à tout l’ordre, on faisoit encore des dons particuliers aux vestales, quelquefois c’étoient des sommes d’argent très-considérables. Les vestales vivoient dans une grande magnificence : elles étoient toujours suivies en public par un nombreux cortége de femmes et d’esclaves. Elles étoient enterrées dans l’enceinte de la ville, honneur rarement accordé aux plus grands hommes. Une statue fut déférée à la vestale Suffetia pour un champ dont elle gratifia le peuple romain ; et sa statue fut mise dans le lieu qu’elle choisit elle-même, prérogative qui ne fut accordée à aucune autre femme.

Les vestales, sous prétexte de travailler à la réconciliation des familles, entroient dans toutes sortes d’affaires et d’intrigues. On vit la vestale Vibidia intercéder, avec succès, auprès de Claude pour l’infame Messaline. La seule entremise des vestales réconcilia Sylla et César ; elles étoient dépositaires des testamens et des actes les plus secrets : ce fut dans leurs mains que César et Auguste remirent l’écrit qui contenoit leurs dernières volontés.

Dans les premiers temps de Rome, les Gaulois étant aux portes de la ville, les vestales prirent la fuite ; Albinus plébéien, qui, sur un chariot, fuyoit aussi avec sa famille, les rencontra, il mit pied à terre avec sa femme et ses enfans, et fit monter les vestales sur son chariot. Il les conduisit à la ville de Céré où elles furent reçues avec respect : ce fut en mémoire de cette hospitalité religieuse, dit Valère Maxime , que les sacrifices ont été appelés depuis cérémonies, du nom même de la ville de Céré, où les vestales furent reçues. Les pontifes étoient les juges naturels des vestales : la loi soumettoit leur conduite à leurs perquisitions seules, et cette surveillance étoit aussi vigilante que sévère. On croyoit que le salut de l’état en dépendoit, et cette superstition étoit chez les Romains la plus enracinée et la plus puissante de toutes. La négligence du feu sacré devenoit un présage funeste pour les affaires de l’Empire. De malheureux événemens que la fortune avoit placés à-peu-près dans le temps où le feu s’étoit éteint, établirent à cet égard un préjugé universel. C’étoit le souverain pontife qui prononçoit l’arrêt de condamnation d’une vestale. Il ordonnoit l’assemblée du conseil ; il avoit droit d’y présider ; mais son autorité n‘avoit point lieu sans une convocation solemnelle du collége des pontifes. On ne s’en tenoit pas toujours aux jugemens rendus par le conseil souverain des pontifes ; le tribun du peuple avoit droit de faire ses représentations, et le peuple, de son autorité, cassoit les arrêts qu’il jugeoit injustes ; ce qu’il ne faisoit jamais, dans une matière si importante dans son opinion, que lorsque la sentence étoit en effet évidemment inique. On observoit dans la procédure contre les vestales une infinité de formalités, on écoutoit les délateurs, on les confrontoit avec les accusées, on les entendoit elles-mêmes plusieurs fois, et lorsque l’arrêt de mort étoit rendu, on ne le leur signifioit point d’abord ; on commençoit par leur interdire tout sacrifice et toute participation aux mystères, on leur défendoit de faire aucune disposition à l’égard de leurs esclaves, etc. Numa avoit condamné les vestales criminelles à expirer sous les verges ou à être lapidées ; ce fut Tarquin qui institua le supplice dont on les punissoit ordinairement, et qui consistoit à les enterrer vives. Domitien punit diversement quelques-unes de ces malheureuses filles ; il laissa à deux sœurs de la maison des Ocellates la liberté de choisir leur genre de mort.

Le jour terrible de l’exécution d’une vestale étant venu, toutes les affaires, tant publiques que particulières, restoient suspendues ; toute la ville, saisie de terreur, étoit en même temps dans le mouvement de la plus vive agitation. Le grand-prêtre, suivi des autres pontifes, se rendoit au temple de Vesta. Là, il dépouilloit la vestale coupable de ses ornemens sacrés ; ensuite, on étendoit la malheureuse victime dans une espèce de cercueil où elle étoit liée et enveloppée de manière que ses cris n’auroient pu se faire entendre, on la conduisoit dans cet état, depuis le temple de Vesta jusqu’à la porte Collatine, auprès de laquelle, en dedans de la ville, étoit une butte ou éminence qui s’étendoit en long et qui étoit destinée à ces sortes d’exécutions, on l’appeloit le champ exécrable ; cependant ce même terrain servoit à la plupart des jeux populaires et des spectacles. Il est vrai que les jeux étoient aussi barbares que les supplices.

Le chemin du temple de Vesta à la porte Collatine étoit assez long, la vestale devoit passer par plusieurs rues et par la grande place ; le peuple accourcit de tous côtés à ce triste spectacle, quoiqu’il craignit de le rencontrer ; mais la curiosité l’emportant sur la crainte, plusieurs s’avançoient sur les traces du cortége funèbre, d’autres suivoient de loin, et tous gardoient un morne et profond silence. Lorsque la coupable étoit arrivée au lieu du supplice, l’exécuteur ouvroit la bière et délioit la vestale ; le pontife levoit les mains vers le ciel et adressoit aux Dieux une prière secrète. Ensuite il tiroit la vestale du cercueil, elle en sortoit cachée sous des voiles ; le pontife l’entraînoit jusqu’à l’échelle qui descendoit dans la fosse, où elle devoit être enterrée vivante. Alors il la livroit à l’exécuteur, après quoi il lui tournoit le dos et se retiroit brusquement avec les autres pontifes. Cette fosse sépulcrale formoit une espèce de caveau creusé assez avant dans la terre. On y mettoit une lampe allumée dont la sombre lumière devoit durer aussi long-temps que la vie de l’infortunée victime ! Elle trouvoit encore dans ce tombeau du pain, de l’eau, du lait et de l’huile ; ces alimens, soutiens de la vie, qui ne pouvoient plus que prolonger son supplice ! Au fond de la tombe étoit dressé le lit de mort, où, privée de tout espoir et de toute consolation humaine, elle devoit exhaler son dernier soupir. Aussitôt que la vestale étoit descendue, on retiroit l’échelle, alors, avec précipitation et à force de terre et de pierres, on combloit l’ouverture de la fosse au niveau du reste du terrain.

Cette institution dura environ onze cents ans, et l’on croit que, pendant cet espace de temps, il n’y eut environ que vingt vestales condamnées à la mort.

Sous le consulat de Pinarius et de Furius, le peuple fut frappé d’une infinité de prodiges. Dans cette extrémité, un esclave accusa la vestale Urbinia, elle fut arrachée des autels, convaincue et punie du dernier supplice. Son suborneur n’attendit pas les poursuites du pontife, il se hâta de s’ôter lui-même la vie. La vestale Posthumia ayant donné de violens soupçons contre elle, par son luxe et par sa coquetterie, fut accusée, elle subit un examen scrupuleux et se justifia ; mais en punition de la légèreté de sa conduite, on lui interdit les jeux et les spectacles. Domitien, qui avoit condamné les deux sœurs des Ocellates, accusa encore la vestale Cornelia, la plus âgée des vestales et par conséquent décorée du titre de Maxima16. Il la fit condamner contre toutes les règles, sans l’entendre et quoiqu’elle fût absente. Elle protesta en vain de son innocence, elle descendit dans le tombeau en conjurant le pontife de défendre sa mémoire. Elle refusa avec horreur la main que le bourreau lui présentoit pour l’aider à descendre, et se passa de son secours. Un chevalier Romain, nommé Celer, qu’on accusoit d’avoir été ton amant, expira sous les verges, et protesta, jusqu’à son dernier soupir, que Cornélia étoit la plus pure des vestales. Ainsi, sous le règne sanguinaire de Domitien, on vit se renouveler trois fois cet événement si tragique et si rare : trois vestales furent suppliciées.

Héliogabale avoit, dès son enfance, été consacré au Soleil ; il devint amoureux de la vestale Julia Aquilia Severa, la tira de son temple, la conduisit à l’autel et l’épousa, en disant que de l’union d’un pontife du Soleil et d’une prêtresse de Vesta, il ne pouvoit manquer de sortir une race toute divine. Cette action fut, aux yeux des Romains, le plus grand crime qu’eut commis ce monstre.

Voici les noms des vestales condamnées qua nous a conservés l’histoire : Pinaria, Popilia, Oppia Minutia, Sextilia, Opimia, Floronia, Caparonia, Urbinia, Marcia, Licinia, Emilia, Mucia, Veronilla, Cornelia, et deux sœurs de la maison des Ocellates. Quelques-unes d’entre elles eurent le choix de leur supplice, d’autres le prévinrent, trouvèrent le moyen de s’évader ou de se donner la mort. Caparonia se pendit, Floronia se poignarda. On croit que ce furent là, à-peu-près, toutes les victimes de cette institution. L’ordre des vestales étoit si respecté, que ce fut la dernière chose du paganisme qui fut détruite. Mais enfin Gratien abolit leurs priviléges et s’empara de leurs biens. Cependant les vestales subsistèrent encore quelque temps, mais dans la misère et dans l’obscurité.

Voici l’histoire fabuleuse des vestales justifiées par des prodiges : Claudia prouva son innocence en tirant un vaisseau avec sa ceinture, et Tucia en portant de l’eau dans un crible, depuis les bords du Tibre jusqu’au temple de Vesta. Le feu sacré s’éteignit par l’imprudence d’Emillie, qui s’étoit reposée du soin de l’entretenir sur une jeune vestale sans expérience.

Emillie, responsable de l’événement, fut accusée ; car on supposoit que le feu sacré ne pouvoit s’éteindre que lorsque la vestale s’étoit rendue indigne de le conserver. Emillie, en présence des prêtres et des vestales, s’avança vers l’autel, invoqua Vesta, ensuite arracha un morceau de son voile, le jeta sur les cendres froides qui s’enflammèrent à l’instant, et elle fut justifiée. Sénèque parle d’une vestale qui, pour avoir souillé sa pureté, fut précipitée d’un rocher, elle tomba au fond du précipice sans se blesser ; mais on eut la barbarie de la ramener sur le rocher et de la précipiter de nouveau.

Malgré tout l’éclat qui les environnoit, les vestales devoient être fort à plaindre. Exposées par leur luxe, leur mollesse et leur genre de vie à toutes les séductions du monde et des passions, elles ne pouvoient remplir leurs devoirs qu’avec les plus pénibles efforts. Surveillées avec toute la vigilance d’une superstition terrible qui faisoit regarder leurs foiblesses comme des crimes d’état, quelles devoient être leurs craintes, leur terreur, lorsqu’elles avoient seulement quelque imprudence à se reprocher !… Les vierges chrétiennes, consacrées au vrai Dieu, n’ont point reçu ces vains honneurs ; mais, à l’abri des dangers du monde, elles n’ont point eu de combats à soutenir, des craintes sinistres n’ont point troublé leur repos, et combien elles sont plus intéressantes que ces vestales mondaines, livrées à toutes les agitations de la coquetterie, de l’orgueil et de l’intrigue ! Qui pourroit refuser un juste tribut d’admiration à ces vierges généreuses et bienfaisantes qui renoncent à tous les plaisirs, à tous les biens terrestres pour se dévouer à l’éducation de la jeunesse au fond des cloîtres, ou pour soigner, dans les hôpitaux, les enfans, les vieillards et les guerriers blessés ? Qu’elles sont respectables ces mains si pures, que l’or n’a jamais souillées, et qui ne sont occupées qu’à répandre un baume bienfaisant sur des blessures douloureuses !… Un peintre peut préférer pour ses pinceaux une vestale antique ; mais quel est l’ami de l’humanité qui pourroit voir sans respect et sans attendrissement une Sœur de la Charité ?

Vénus et Vulcain. §

Vénus, Déesse de la beauté, mère de l’Amour et des Grâces, naquit, selon les uns, de l’écume de la mer, et selon d’autres, de Jupiter et de Dionée. Aux noces de Thétis et de Pelée, la Discorde jeta sur la table autour de laquelle tout l’Olympe étoit rassemblé, une pomme d’or portant cette inscription : à la plus belle. Les Dieux décidèrent que Vénus, Junon et Minerve pouvoient seules se la disputer. Le berger Pâris, fils inconnu alors de Priam, roi de Troie, fut choisi pour juge des prétentions des trois Déesses. Il donna la pomme à Vénus.

Anchise, prince troyen, épousa secrètement Vénus : ayant osé s’en vanter, Jupiter, pour le punir, le frappa de la foudre qui ne l’écrasa pas, et ne fit que le blesser légèrement. De l’union de Vénus et d’Anchise naquit Enée. Après la prise de Troie, Vénus déguisée en chasseresse, se laissa poursuivre par Enée jusqu’auprès de Carthage, celui-ci la reconnut à sa démarche ; les anciens appeloient Aorasie l’invisibilité des Dieux, et ils pensoient que les Dieux n’étoient jamais reconnaissables vus en face, mais seulement lorsqu’ils tournoient le clos. Vénus aima le Dieu Mars et Adonis. Ce dernier dut sa naissance à une vengeance atroce de Vénus : Cenchréïs, épouse de Cynire, roi de Chypre, s’étant vantée d’être plus belle que Vénus, la Déesse, pour se venger, inspira à Myrrha, fille de Cynire, une passion incestueuse pour son père. Elle trouva le moyen, à l’insçu de Cynire, de se substituer la nuit à la place de sa mère. Cynire, en connoissant ce crime exécrable, voulut la tuer, elle se sauva ; il la poursuivit jusqu’en Arabie où elle fut métamorphosée en l’arbre qui produit l’encens. Malgré cette métamorphose, opérée sous les yeux de Cynire, ce malheureux père, possédé de fureur, perça l’arbre avec son épée, et y fit une ouverture par laquelle Adonis, fruit de cet inceste, fut mis au monde. Dès qu’il fut né, les Nymphes se chargèrent de son éducation. Il avoit une beauté ravissante. Vénus le présenta à Proserpine, qui voulut le garder ; il s’éleva alors une grande dispute entre les deux Déesses : Jupiter décida qu’Adonis resteroit la moitié de l’année aux Enfers, et le reste avec Vénus. Adonis étoit grand chasseur ; Mars, jaloux d’Adonis, se métamorphosa en sanglier et le tua. Vénus changea son sang en anémone, de ce sang naquit la rose, ou selon d’autres, la rose blanche alors n’en fut que rougie.

Les Adonies étoient des fêtes qu’on célébroit en l’honneur d’Adonis. On y prenoit le deuil, on y donnoit des marques publiques de la plus profonde affliction ; des femmes couroient dans les rues, les cheveux épars ou la tête rase, en se frappant la poitrine et en faisant de lugubres lamentations : ces tristes cérémonies duroient quatre jours.

Adonis étoit un fleuve près de Biblus en Phénicie. Le sable du Mont-Liban, apporté par les vents, lui donnoit, dans une certaine saison, une couleur rouge ; on prétendoit que ce changement venoit du sang d’Adonis, qui indiquoit ainsi tous les ans l’époque de ses funérailles.

La plus belle des Déesses s’unit au plus laid des Dieux ; Vénus épousa Vulcain. Vénus étoit représentée avec l’Amour et les Grâces, entourée des Jeux et des Ris, et sur un char traîné par des colombes ; voici pourquoi cet oiseau lui fut consacré. L’Amour un jour paria avec Vénus qu’il cueilleroit plus de fleurs qu’elle en une heure de temps. La Nymphe Péristère se joignit à Vénus, ce qui fit perdre à l’Amour sa gageure. L’Amour, en colère, métamorphosa la Nymphe en colombe ; Vénus voulut depuis que la colombe lui fût consacrée.

Voici les principaux surnoms de Vénus : Aphrodite (mot qui vient du grec et qui signifie écume) et Anadiomène (sortant de la mer) ; Anaïtis, nom sous lequel les Perses et les Arméniens l’adoroient ; Artympasa, Vénus adorée par les Scythes ; Armata Venus ou Vénus armée. Les Lacédémoniens adoroient Vénus sous ce nom, en mémoire de la victoire que les femmes avoient remportée sur les Messéniens ; Nephté ou Nephti étoit la Vénus des Egyptiens ; Acidalie, nom qu’on donnoit à Vénus lorsqu’on la considéroit comme la Déesse qui cause les soins et les inquiétudes : Acidalie étoit aussi une fontaine où les Grâces alloient se baigner. L’atrocité et la barbarie des vengeances de Vénus la fit aussi surnommer Androphonos (homicide) et Anosia (impitoyable). Le premier surnom lui fut donné parce qu’elle fit périr par la peste un grand nombre de Thessaliens, pour venger la mort de la courtisane Laïs qu’on avoit tuée dans son Temple. Les Propétides, filles d’Amathonte, ayant nié la divinité de Vénus, la Déesse leur ôta toute pudeur ; elles périrent misérablement, et furent changées en rochers. Vénus se vengea en ce genre de Diomède qui la blessa à la main au siége de Troie ; elle inspira à Egialée, épouse de ce prince, un amour criminel pour un jeune homme, nommé Cyllabare, et les déréglemens de cette princesse forcèrent Diomède à s’exiler de son pays. Elle changea en rocher Anaxarète, parce qu’elle étoit insensible à l’amour ; elle métamorphosa Arsinoé en caillou, pour la même raison. Les femmes de l’île de Lemnos négligèrent son culte, Vénus les punit d’une manière bizarre, et peut-être aussi cruelle ; elle leur donna une odeur si désagréable, que leurs maris les abandonnèrent ; mais les Lemniennes, devenues furieuses, les poursuivirent et massacrèrent impitoyablement tous les hommes, maris ou non. Elles élurent alors Hypsipile pour leur reine. Elles découvrirent ensuite qu’Hypsipile avoit sauvé du massacre son père Thoas ; elles tuèrent Thoas et vendirent Hypsipile, comme esclave, à des pirates. Jason, allant à la conquête de la toison d’or, aborda dans l’île de Lemnos, durant le règne d’Hypsipile, il l’épousa et ensuite l’oublia pour Médée. Hypsipile, devenue esclave, fut vendue à Lycurgue, roi de Némée, qui lui donna son fils Archemore à nourrir ; cet enfant fut laissé par Hypsipile, sur une plante d’ache, tandis qu’elle alloit montrer une fontaine aux sept chefs armés contre Thèbes ; cet enfant mourut de la morsure d’un serpent que les princes tuèrent. Licurgue voulut punir de mort la négligence de la nourrice, mais les Argiens la prirent sous leur protection. Ce fut en mémoire de cet événement, que Licurgue institua les jeux Néméens, jeux funèbres où les vainqueurs se couronnoient d’ache.

Vénus, appelée encore Cypris, étoit surtout adorée à Paphos, à Chipre, à Amathonte, à Gnide, à Cythère.

Le géant Typhon fut amoureux de Vénus, il la poursuivit un jour sur les bords de l’Euphrate, mais deux poissons sortirent tout-à-coup de la mer et portèrent Vénus et l’Amour au-delà du fleuve. Ce Typhon étoit un monstre, fils de la Terre et du Tartare. Il avoit cent têtes de serpent, ses langues étoient noires, le feu étinceloit dans ses yeux ; il sortoit de toutes ses bouches des voix différentes et terribles, des sifflemens de serpens, des aboyemens et des hurlemens de chiens, des mugissemens de taureaux, des rugissemens de lions, etc. ; Jupiter le foudroya. De Typhon naquirent tous les vents nuisibles et destructeurs. Les Latins nommoient aux osselets le coup de Vénus, le coup qui arrivoit quand toutes les faces des osselets étoient différentes, ce coup déclaroit le roi du festin. C’est à ce sujet qu’ Horace dit, voyons au sort celui que Vénus établira roi de la table.

Héro étoit une prêtresse de Vénus ; Léandre l’aima, il passoit à la nage l’Hellespont pour l’aller voir pendant la nuit, elle allumoit au haut d’une tour un fanal pour l’éclairer. Léandre à la fin se noya, et Héro, de désespoir, se précipita dans la mer. Le myrte et la rose étoient consacrés à Vénus.

Il y avoit une autre Vénus, considérée comme la Déesse des plaisirs purs de l’esprit et de l’ame ; on l’appeloit Vénus Uranie, c’est-à-dire, Céleste. Cette Vénus eut peu d’autels et l’on n’institua point de fêtes en son honneur.

A la suite de l’histoire de Vénus, on croit devoir faire mention des beautés célèbres de la fable et de l’antiquité. Voici les plus renommées : Hiéra, femme de Télèphe, on dit qu’elle surpassoit Hélène même en beauté. Hélène, si belle dès son enfance, que Thésée, devint amoureux d’elle, en la voyant danser dans un temple, la danse de l’innocence, elle n’avoit alors que dix ans. Elle fut depuis épouse de Ménélas, et enlevée par Pâris, elle devint la cause du siége de Troie.

Harpalice étoit la plus belle fille d’Argos ; son père Climénus ne la maria qu’avec beaucoup de peine et ensuite poignarda son gendre pour la reprendre. Harpalice lui fit manger son propre fils. Il y eut plusieurs autres Harpalices.

Aspasie de Phocée, fille d’Hermotime, étoit d’une beauté parfaite, mais il lui survint sous le menton, une tumeur qui la défiguroit ; elle vit en songe une colombe qui lui dit de mettre en poudre quelques roses sèches, des couronnes consacrées à Vénus et de les appliquer sur son mal ; Aspasie suivit ce conseil et la tumeur disparut. Il me semble qu’on peut expliquer cette fable d’une manière tort simple : il croît souvent sur les rosiers sauvages, une espèce d’éponge végétale qu’on appelle dans les boutiques, Bédeguar, et qui, desséchée et, réduite en poudre, est regardée comme un spécifique pour dissoudre les goîtres. Ainsi il est probable que la belle Aspasie avoit un goître dont elle fut guérie par ce remède, qui étoit connu des anciens.

Tyro, princesse d’une beauté merveilleuse, étoit fille de Salmonée et d’Alcidice. Salmonée, après la mort d’Alcidice, épousa Sidero, qui fut une cruelle marâtre pour la belle Tyro. Salmonée fut un roi très-impie, Jupiter le foudroya. Tyro eut deux enfans de Neptune, elle épousa Crétès ; ce fut d’elle que descendit le sage Nestor.

Les Grecs faisoient tant de cas de la beauté, qu’ils la célébrèrent et la couronnèrent même dans les hommes. Nirée, roi de Naxos, fils de Charopus et d’Aglaïa, étoit le plus beau des princes Grecs qui firent le siége de Troie. Aconce, jeune homme d’une grande beauté, étant allé à Délos pour y sacrifier, vit Cydippe, aima et ne fut point écouté. Un jour, dans le temple de Diane, il grava ces mots sur une boule d’or : Je jure par Diane, Aconce, de n’être jamais qu’à vous. Cydippe, aux pieds de laquelle il avoit laissé tomber cette boule, la ramassa, lut cet écrit sans y penser et s’engagea de même. Toutes les fois qu’elle vouloir se marier à un autre, elle étoit saisie d’une fièvre violente ; et croyant que c’étoit une punition de Diane, elle épousa Aconce. Les habitans d’Egesta, en Sicile, firent élever un monument à un certain Philippe, quoiqu’il ne fût pas leur concitoyen, étant né Crotoniate, uniquement à cause de sa grande beauté. Les belles paupières de Démétrius de Phalère, lui firent donner le surnom de Charitoblepharos (c’est-à-dire), sur les paupières duquel siégent les Grâces. Callicrate, le plus bel homme non-seulement de Sparte, mais de la Grèce, fut tué à la bataille de Platée. Cypsélus établit des jeux sacrés chez les Parrhasiens où l’on disputoit le prix de la beauté. Hérodice, femme de ce Prince, y remporta la première victoire.

Il y avoit a Sparte et à Lesbos, dans le temple de Junon, des défis de beauté entre les femmes. Les calistées étoient des fêtes en l’honneur de Junon et de Cérés. Il y avoit un prix pour la plus belle des femmes qui s’y trouvoit. Les Eléens célébroient ces fêtes en l’honneur de Minerve, mais le prix étoit pour le plus bel homme. Le vainqueur étoit mené en triomphe la tête ceinte de bandelettes. L’auteur d’Anacharsis, à ce sujet, fait dire à son héros : « J’ai vu souvent dans la Grèce de pareils combats, tant pour les garçons que pour les femmes et les filles. J’ai vu de même chez des peuples éloignés, des femmes admises à des concours publics ; avec cette différence pourtant que les Grecs décernent le prix à la plus belle et les Barbares à la plus vertueuse ». Diodore de Sicile conte que Sopithès étoit un prince indien dont les états étoient régis par les lois les plus bizarres et les plus cruelles. La beauté extérieure étoit parmi eux une qualité essentielle. Ils faisoient mourir tous les enfans laids et malfaits. On ne recherchoit que la beauté dans les mariages ; aussi ce peuple étoit-il d’une beauté singulière, mais lâche et efféminé.

Vulcain, Dieu du feu, étoit fils de Jupiter et de Junon ; et selon quelques mythologues, de Junon seule, qui, honteuse de le voir si malfait, le précipita du haut du ciel, ce qui le rendit boiteux. On conte différemment cette fable : on dit que Jupiter, irrité contre Junon de ce qu’elle avoit excité une tempête pour faire périr Hercule, la suspendit au milieu des airs avec deux fortes enclumes aux pieds, que Vulcain vint délivrer sa mère, que Jupiter le précipita dans l’île de Lemnos, et que ce fut cette chute qui rendit Vulcain boiteux ; que cependant, par le crédit de Bacchus, Vulcain fut rappelé dans le ciel où il s’étoit bâti un palais d’airain parsemé d’étoiles brillantes. D’autres enfin, disent qu’après la défaite des Dieux auxquels Junon, dans leur révolte, s’étoit jointe, Jupiter la suspendit en l’air ; et par le moyen d’une paire de mules d’aimant que Vulcain fabriqua (pour se venger de ce qu’elle l’avoit mis au monde tout contrefait), il lui attacha sous les pieds deux enclumes après lui avoir lié les mains derrière le dos avec une chaîne d’or ; que les Dieux n’ayant pu rompre la chaîne, eurent recours à Vulcain, qui la délia à condition qu’on lui donneroit Vénus en mariage. Vulcain forgeoit les foudres de Jupiter, il établit ses forges dans l’île de Lemnos, et se fit aider dans ses travaux par les Cyclopes, monstres qui n’avoient qu’un œil au milieu du front. On avoit coutume, dans les sacrifices de Vulcain, de faire consumer par le feu toute la victime, ne réservant rien pour le festin sacré. On lui bâtit des temples, des chiens gardoient ces temples, et le lion lui étoit consacré. On établit des fêtes en son honneur ; dans la principale on couroit avec des torches allumées qu’il falloit porter jusqu’au but sans les éteindre. On regarda, comme fils de Vulcain, tous ceux qui se rendirent célèbres dans l’art de forger les métaux ; Olenus, Albion, Brotée17, Ericthonius, ont passé pour être ses enfans. D’autres auteurs disent qu’Albion et Bergion étoient des géans, fils de Neptune ; ils attaquèrent Hercule parce qu’il n’avoit pas ses flèches, et ils voulurent l’empêcher de passer le Rhin, mais Jupiter les accabla d’une grêle de pierres. Brotée, fils de Vulcain et de Minerve, se voyant, par sa laideur, la risée de tout le monde, se jeta dans le feu du mont Etna. Ericthonius fut un autre fils de Vulcain ; peu après sa naissance Pallas le mit dans un panier qu’elle donna aux trois filles de Cécrops, nommées Aglaure, Hersé et Pandrose, en leur défendant de l’ouvrir ; mais ces princesses cédèrent à leur curiosité, et n’eurent pas plutôt ouvert le panier fatal, qu’elles furent agitées des furies et se précipitèrent du haut de l’endroit le plus élevé de la citadelle d’Athènes. Par la suite Ericthonius fut roi d’Athènes. Il avoit les jambes si difformes, qu’il n’osoit paroître en public que dans un char de son invention, dans lequel la moitié de son corps étoit cachée. Vulcain eut encore un autre fils nommé Cœculus : sa mère, assise à côté de la forge de Vulcain, fut frappée d’une étincelle qui la rendit mère d’un enfant auquel elle donna le nom de Cœculus, parce qu’il avoit les yeux fort petits. Par la suite, Cœculus ne vécut que de vols et de brigandages et bâtit la ville de Préneste. Ayant donné des jeux publics, il exhorta les citoyens à aller fonder une autre ville ; et comme il ne pouvoit les y engager, parce qu’ils ne le croyoient pas fils de Vulcain, il invoqua ce Dieu, et l’assemblée fut aussitôt environnée de flammes ; ce qui lui causa une telle frayeur qu’elle promit aussitôt de faire tout ce qu’il vouloit.

On ne sait pas pourquoi la fable a supposé une liaison entre Vulcain, le plus actif et le plus laborieux de tous les Dieux, et la Paresse, divinité allégorique. La Mythologie nous apprend que la Paresse, fille du Sommeil et de la Nuit, fut métamorphosée en tortue, pour avoir écouté les flatteries de Vulcain.

L’île de Vulcano ou Volcano, est une île d’Italie, voisine de celle de Lipari ; on en tire beaucoup de soufre. Sur le haut de cette île, du côté du nord, se trouve une montagne dont le sommet est ouvert et dont il sort presque continuellement du feu et de la fumée. C’est de cette île, qui sans doute tire son nom de Vulcain, que l’on a donné le nom de volcans à toutes les montagnes qui jettent du feu.

Les Cyclopes, monstres qui n’avoient qu’un œil au milieu du front, étoient les forgerons de Vulcain, et travailloient aux foudres de Jupiter, sur le mont Etna, dans les foyers de Lemnos et ailleurs. Les trois premiers Cyclopes, Brontès, Stérope et Pyracmon, étoient fils du Ciel et de la Terre, et les autres de Neptune et d’Amphitrite. Apollon les tua tous pour avoir forgé la foudre avec laquelle Jupiter foudroya Esculape. Cette action fit chasser Apollon du ciel ; ce fut pendant cet exil qu’il se retira chez Admète, roi de Thessalie, dont il garda les troupeaux.

De tous les Cyclopes, le plus fameux fut le géant Polyphême, qui n’étoit point forgeron, et auquel la fable donne des mœurs pastorales qui s’accordoient fort mal avec sa cruauté. Il se plaisoit à cultiver son champ, à mener paître ses moutons, à traire ses brebis, il étoit même sensible à l’amour ; mais il n’en dévoroit pas moins tous les étrangers qui tomboient entre ses mains. Il fut très-amoureux de la nymphe Galatée ; Ovide dit que pour lui plaire, il se peignoit avec un râteau, se rasoit avec une faux, et se regardoit ensuite avec complaisance dans une fontaine. Il nourrit deux petits ours pour les offrir à la nymphe. Malgré cette galanterie, la nymphe lui préféra le jeune Acis, fils de Faune et de la nymphe Simœthis. Polyphême lança un énorme rocher sur son rival et le tua. Galatée changea le sang de son amant en un fleuve qu’on appela depuis Acis.

Ulysse eut beaucoup de peine à se tirer de la caverne de Polyphême ; ce géant mangea quatre de ses compagnons.

Les Grâces et Pitho ou Suada. §

Les Grâces, filles de Jupiter et d’Eurinome, ou selon la plus commune opinion, de Bacchus et de Vénus, s’appeloient Thalle, Aglaé, Euphrosine. Leur ceinture donnoit à la beauté son charme le plus touchant, elle embellissoit Vénus même ; c’est ce qu’on appelle le ceste de Vénus. Etéocle, roi d’Orchomène, leur éleva le premier des autels. Ces Déesses habitoient de préférence les bords du Céphise ; c’est pourquoi les poëtes les appellent souvent Déesses de Céphise et d’Orchomène.

Pitho, ou Suada, ou Suadela, fille de Vénus et Déesse de la persuasion, suivoit toujours les Grâces.

Cette allégorie charmante mériteroit d’être plus connue. On lit, dans Pausanias , qu’on yoyoit à Elis les statues des trois Grâces représentées de cette sorte : l’une tenant à la main une rose, l’autre une branche de myrte et la troisième un dé à jouer ; symboles dont cet auteur donne lui-même l’explication suivante : c’est que le myrte et la rose sont consacrés aux Grâces ainsi qu’à Vénus, et que le dé désigne le penchant naturel que la jeunesse a pour les jeux et les plaisirs. Mais cette dernière explication est peu satisfaisante ; car les jeux de dés ne peuvent jamais être ceux des Grâces. Ces divinités charmantes avoient des temples à Elis, à Delphes, à Perge, à Sicyone, à Périnthe, à Bysance ; elles avoient aussi des temples communs avec d’autres divinités. Ordinairement les autels qui étoient consacrés à l’Amour, l’étoient aussi aux Grâces. Elles avoient place encore dans les temples de Mercure, parce qu’on pensoit que le Dieu de l’éloquence ne pouvoit se passer de leur secours. Par la même raison, les Muses et les Grâces n’avoient communément qu’un même temple. On célébroit plusieurs fêtes en leur honneur, mais la saison riante de l’espérance, le printemps, leur étoit particulièrement consacrée. Les anciens n’oublioient point de fêter les Grâces et les Muses dans leurs repas ; on les honoroit les unes et les autres le verre à la main. Pour s’attirer la faveur des Muses, on buvoit neuf coups ; on n’en buvoit que trois en l’honneur des Grâces. Les anciens regardoient les Grâces comme des divinités bienfaisantes, dont le pouvoir heureux s’étendoit à toutes les douceurs de la vie. Elles dispensoient la gaieté, l’égalité d’humeur, la libéralité, l’éloquence persuasive. Elles présidoient aux bienfaits qu’elles doivent embellir et même à la reconnoissance, dont elles rendent l’expression plus touchante. Les Athéniens ayant secouru les habitans de la Chersonnèse dans un besoin pressant, ceux-ci, pour éterniser le souvenir d’un tel service, élevèrent un autel avec cette inscription : Autel consacré à celle des Grâces qui préside à la reconnoissance. On voyoit dans la plupart des villes les figures des Grâces faites par les plus grands maîtres ; Apelles les peignit, Socrate les sculpta en marbre, Bupales en or, etc, Pindare consacra à leur gloire une belle ode, la dernière de ses Olympiades.

Les Lacédémoniens n’admettoient que deux Grâces, et les nommoient Pæna et Cléta.

L’Amour et Psyché. §

L’Amour ou Cupidon, que les Grecs nommoient Éros, étoit fils de Mars et de Vénus. Il se fit d’abord un arc de frêne et des flèches de cyprès ; il en eut, par la suite, d’autres en or18. Il fut, dit-on, nourri dans son enfance de la moelle des tigres et des ours, ce qui lui donna cette cruauté qu’on lui a tant reprochée depuis. Il aima Psyché dont le nom en grec signifié ame. Il la fit enlever par Zéphire, qui la transporta dans un palais délicieux ; mais ne voulant pas se faire connoître, il l’épousa dans les ténèbres, lui cacha son nom et ne lui donna rendez-vous que dans l’obscurité. Tant de mystère persuada à Psyché qu’elle avoit épousé un monstre, et voulant s’en assurer, elle alluma une lampe et regarda l’Amour tandis qu’il dormoit ; mais une goutte d’huile de la lampe tomba sur l’Amour et le réveilla ; alors il s’envola et il abandonna Psyché qui se trouva livrée à la colère de Vénus, jalouse de sa beauté. Après avoir souffert beaucoup de persécutions, Psyché obtint son pardon de l’Amour, et elle retrouva son époux et le bonheur. On représente l’Amour avec des ailes couleur de pourpre et d’azur, mêlées d’or, un arc, un carquois, un flambeau, et un bandeau sur les yeux. Tantôt il est peint sous la figure d’un enfant, et tantôt sous celle d’un adolescent. Le myrte et les roses lui étoient consacrés ainsi qu’à Vénus et aux Grâces. Psyché est représentée avec des ailes de papillon, parce que les anciens, regardant l’ame comme un souffle, avoient fait du papillon le symbole de ce souffle immortel qui s’exhale avec la vie. C’est pourquoi, pour exprimer la mort et l’immortalité de l’ame, ils ont gravé sur un grand nombre de pierres précieuses un papillon posé sur une tête de mort.

Une chose assez singulière, c’est que les Grecs n’ont jamais élevé de temples à l’Amour et à l’Amitié ; ils se contentèrent de leur consacrer des autels ; et à ceux de l’Amour ils unissoient toujours une autre divinité, ou Vénus ou les Grâces, etc.

Dans Iphigénie en Aulide d’ Euripide, le chœur dit que l’Amour a deux sortes de traits, par l’une il fait le bonheur de la vie, par l’autre il y jète le trouble et la confusion, etc, M. de Voltaire a imité ce passage dans Nanine, (morceau fort déplacé dans une comédie).

Je vous l’ai dit, l’Amour a deux carquois,
L’un est rempli de ces flèches cruelles, etc.

Euripide ne charge point l’Amour de deux carquois, il dit seulement qu’il a différens traits : image plus naturelle et beaucoup plus agréable.

On ne peut parler de l’Amour sans donner l’histoire abrégée du fameux rocher de Leucade, qui exista véritablement et qui coûta la vie à tant d’amans malheureux.

Leucade est une île de la mer Ionienne, en face de l’Isthme qui sépare l’Achaïe du Péloponèse, vis-à-vis de Céphalonie. Un promontoire formé par des rochers escarpés, dominant et s’avançant sur la mer, termine cette île du côté du midi : de la cîme la plus élevée de ce rocher, on se jetoit dans la mer pour se guérir d’une passion malheureuse (car on avoit l’espoir d’échapper à la mort), ce qui a rendu ce promontoire fameux sous le nom de saut de Leucade.

Phaon, jeune Lesbien, reçut de Vénus un vase rempli de parfums, ce qui le rendit le plus beau des hommes. Il fut passionnément aimé de Sapho qu’il abandonna. Sapho dédaigna l’amour d’ Alcée, quoiqu’il fut ainsi qu’elle, placé au premier rang des poëtes lyriques. La supériorité des talens de Sapho excita l’envie et la haine ; calomniée et persécutée, elle alla chercher un asyle en Sicile ; on l’y reçut avec de grands honneurs et on lui éleva une statue ; mais cet éclat, et ce genre de gloire, qui ne sont pas faits pour une femme, ne sauroient lui tenir lieu de bonheur. Sapho, désespérée de ne pouvoir ramener Phaon, tenta le saut de Leucade et périt dans les flots.

On appeloit ce promontoire Leucade ou Mont-Leucadien, du mot leuccos qui signifie blanc, à cause de la blancheur de ses rochers. D’autres disent que Leucadius, fils d’Icare et frère de Pénélope, ayant eu dans le partage des biens de son père, le territoire du cap de Leucade, donna son nom à ce petit domaine ; d’autres tirent le nom de Leucade, de Leucas, Jacinthien, l’un des compagnons d’Ulysse, et prétendent que ce fut lui qui éleva le temple d’Apollon bâti sur le sommet du Promontoire ; d’autres, enfin, croyent que le cap Leucade devoit sa dénomination à l’aventure d’un enfant appelé Leucatée, qui s’élança du haut de cette montagne dans la mer, pour se dérober aux poursuites d’Apollon.

Tous les ans, le jour de la fête d’Apollon, Dieu de Leucade, on précipitoit du haut de la montagne un criminel condamné à mort. C’étoit un sacrifice expiatoire que les Leucadiens offroient à Apollon pour détourner les fléaux qui pouvoient les menacer. En même temps on attachoit au coupable des ailes d’oiseaux et même des oiseaux vivans, pour le soutenir en l’air et rendre sa chute moins périlleuse. On rangeoit au bas du précipice de petites chaloupes pour tirer promptement le criminel hors de la mer ; si on pouvoit ensuite le rappeler à la vie, on le bannissoit à perpétuité ; voilà ce qu’on faisoit pour le bien de la patrie. Mais il y eut en outre, comme on l’a dit, des amans malheureux qui, de leur propre mouvement, se précipitoient eux-mêmes, regardant ce saut comme un remède souverain contre l’amour, auquel on pouvoit recourir sans renoncer à l’espérance de vivre. On se rendoit à Leucade des pays les plus éloignés ; on se disposoit à cette rude épreuve par des sacrifices et des offrandes, et l’on étoit persuadé qu’avec la protection du Dieu et l’assistance des personnes placées au bas du précipice, on recouvreroit, en conservant la vie, la tranquillité qu’on avoit perdue. Cette superstition étoit accréditée par la croyance où l’on étoit que Jupiter n’avoit trouvé d’autre remède à l’excès de sa passion pour Junon, qu’en venant s’asseoir sur la roche Leucadienne. On disoit aussi que Vénus, inconsolable de la mort d’Adonis, recourut à la science d’Apollon comme au Dieu suprême de la médecine ; que le Dieu la mena sur le Promontoire de Leucade, et lui conseilla de se jeter dans la mer, qu’elle obéit, et qu’en sortant de l’onde, elle se trouva calme et consolée. On ne sait pas précisément quel mortel osa le premier suivre cet exemple des Dieux ; les uns disent que ce fut Deucalion, trop sensible aux charmes de Pyrrha19 ; quelques auteurs prétendent que ce fut la fille de Ptérélas, amoureuse de Céphale, ou Calyce, atteinte de la même passion pour un jeune homme nommé Evathlus. L’histoire parle de deux poëtes, l’un nommé Nicostrate, qui fit le saut sans aucun accident, et fut guéri de sa passion pour la cruelle Tittigigée ; l’autre, appelé Charinus, qui se cassa la cuisse, et mourut quelques heures après. On cite encore quelques amans qui subirent heureusement l’épreuve de Leucade, entre autres un citoyen de Buthrote en Epire, qui, toujours prêt à s’enflammer pour des objets nouveaux, se soumit quatre fois à cette épreuve, et toujours avec le même succès. Une des plus célèbres victimes de Leucade, fut Artémise, fille de Lygdamis, et reine de Carie20. Cette princesse, qui s’étoit distinguée par son courage dans les combats, prit une passion violente pour un jeune homme de la ville d’Abydos nommé Dardanus21, qu’elle ne put rendre sensible. Artémise, guidée par la rage, entra dans sa chambre et lui creva les yeux ; ensuite elle alla à Leucade, se précipita du haut de la roche, et périt victime de son amour et de sa fureur. Elle fut enterrée dans l’île de Leucade, où l’on montroit son tombeau.

L’Hymen ou l’Hyménée. §

Les uns le font naître d’Uranie, d’autres d’Apollon et de Calliope, ou de Vénus et de Bacchus. Les attributs sont deux flambeaux qui n’ont qu’une même flamme. La marjolaine lui est consacrée. On portoit aussi aux mariages des branches d’aubépine.

Quelques auteurs content sur l’Hymen cette jolie histoire.

Hyménée étoit un jeune homme d’Athènes, d’une naissance obscure et d’une beauté parfaite. Il devint amoureux d’une jeune fille d’un rang très-élevé, et il se déguisa en femme afin d’approcher d’elle. Un jour qu’il étoit avec elle et beaucoup d’autres jeunes personnes, sur le bord de la mer, célébrant la fête de Cérès Eleusine, des pirates les enlevèrent toutes ainsi qu’Hyménée à cause de son déguisement. Les pirates les conduisirent dans une île écartée, et, s’y livrant à la joie, ils s’enivrèrent et s’endormirent. Alors Hyménée saisit leurs armes, les distribue aux jeunes filles, se met à leur tête et tous les pirates furent égorgés ; Hyménée laissa dans l’île les femmes qu’il avoit délivrées, et se rendit à Athènes ou il fit ses conditions avec les parens des captives. Il obtint pour sa récompense celle qu’il aimoit. Ce mariage fut si heureux, que dans tous ceux qui furent célébrés depuis on invoqua toujours le nom d’Hyménée, dont les Grecs firent ensuite un Dieu : les Romains le nommoient Thalamus.

Voici les noms des épouses fidèles les plus célèbres dont la Fable fasse mention :

Pénélope, Andromaque, Alceste, Canente, dont on parlera avec plus de détail dans la suite de cet ouvrage.

Evadné, fille de Mars, ou selon d’autres, d’Iphis et de Thébé ; elle fut insensible à l’amour d’Apollon, et elle épousa Capanée : celui-ci ayant été tué d’un coup de tonnerre au siége de Thèbes, Evadné se jeta sur le bûcher de son mari. Argie, fille d’Adraste et femme de Polynice dont elle alla chercher le cadavre avec Antigone pour lui rendre les derniers devoirs, ce qui irrita tellement le tyran Créon, qu’il fit mourir ces deux vertueuses princesses. Argie fut métamorphosée en fontaine.

Laodamie mourut de saisissement à l’aspect de l’ombre de son mari, Protésilas, qu’elle avoit ardemment desiré de revoir. Il y eut une autre Laodamie, fille de Bellérophon, qui fut aimée de Jupiter, Diane la tua à coups de flèches, parce qu’elle se croyoit plus belle que cette déesse.

Arganthone fut si touchée de la mort de Rhésus son époux, tué au siége de Troie, qu’elle en mourut de douleur22.

Alcyone, fille d’Eole, fut inconsolable de Céix son mari, fils de Lucifer23, qui pour aller retrouver cette épouse chérie, s’étoit noyé en traversant la mer. Les Dieux, pour récompenser leur fidélité, les métamorphosèrent l’un et l’autre en alcyons, et voulurent que la mer fût toujours tranquille tandis que ces oiseaux feroient leurs nids sur les ondes, où, dit-on, ils le font ordinairement.

Hypermnestre, une des cinquante filles de Danaüs, malgré les ordres de son père (qui sur la foi d’un oracle vouloit faire périr tous ses gendres), sauva son époux Lyncée, qui ensuite justifia l’oracle en tuant Danaüs.

Hylonome, femme Centaure, ne put survivre à son mari Cyllarus24.

Mars. §

Mars, Dieu de la guerre, étoit fils de Junon, qui, en s’asseyant sur une fleur que lui enseigna Flore, donna la naissance à Mars.

Le pays que Mars habita le plus souvent fut la Thrace. Il fut aimé de Vénus et de plusieurs nymphes. Les Grecs appeloient ce Dieu Arès. Halirrothius, fils de Neptune, enleva Alcippe, fille de Mars. Le Dieu irrité tua le ravisseur. Neptune, désespéré de la mort de son fils, fit appeler Mars en jugement devant un conseil composé des douze grands Dieux. Mars fut absous. Ce fameux conseil s’assembla à Athènes. On appela le lieu où fut porté ce jugement l’aréopage, nom formé de Arès (Mars), et de pagos hauteur, parce qu’on s’étoit assemblé sur une colline. Telle fut l’origine du fameux tribunal appelé l’aréopage. A Rome les prêtres de Mars, appelés Saliens, gardoient les anciles ou boucliers sacrés. Les Crées immoloient un chien à Mars, les Romains lui sacrifioient un cheval. Le frêne et le chiendent lui étoient consacrés.

Bellone. §

Déesse du carnage, étoit fille de Phorcys et de Céto, et sœur ou femme de Mars25 ; c’est elle qui atteloit les chevaux de ce Dieu. Elle avoit un temple à Rome dans lequel le Sénat donnoit audience aux ambassadeurs. A la porte de ce temple étoit une petite colonne appelée la guerrière, contre laquelle on lançoit un javelot toutes les fois qu’on déclaroit la guerre.

Mercure. §

Mercure, fils de Jupiter et de Maïa, et Messager des Dieux. Ce nom vient, dit-on, de marchands ou marchandises. Les Grecs le nommoient Hermès, ce qui signifie interprète ou messager. Il étoit le Dieu de l’éloquence, du commerce, des voyageurs et des voleurs.

Le goût de la littérature s’accorde si mal avec les spéculations d’argent, que l’on ne pouvoit rien imaginer de moins ingénieux, que de faire le Dieu de l’éloquence, Dieu du commerce ; et, d’ajouter à cette fausse idée de le faire encore Dieu des voleurs est de plus une absurdité choquante. Mercure étoit chargé du soin de conduire les ames des morts aux Enfers. En y conduisant Lara, par ordre de Jupiter, il l’épousa et en eut les Dieux Lares. Il vit un jour, sur le Mont-Cithéron, deux serpens qui se battoient ; il leur jeta sa baguette pour les séparer, les serpens s’entortillèrent à l’entour, et Mercure voulut depuis la porter ainsi en signe de paix. On appelle cette baguette un caducée. On représente Mercure avec le caducée, symbole d’éloquence et de paix ; ce Dieu avoit des ailes à la tête et aux pieds : le pourpier lui étoit consacré.

La Fable dit que Mercure portoit un roseau d’or pour conduire les ames des morts aux Enfers. Outre Mercure, Dieu des voleurs, il y avoit encore une Déesse des voleurs, nommée Laverne ; chez les Romains elle avoit un bois qui lui étoit consacré, où les voleurs alloient partager leur butin.

Iris. §

Fille de Thaumas et d’Electra, Messagère des Dieux et surtout de Junon. On la représente portée sur l’arc-en-ciel.

La Fable donne d’horribles sœurs à cette Déesse, elle dit que les Harpies sont filles aussi de Thaumas et d’Électra ; cependant quelques auteurs prétendent qu’elles naquirent de Pontus et de Ghé, ou de Neptune et de Ghé. On compte trois Harpies, qu’on appelle Aello, Ocypète et Celeno. C’étoient des monstres toujours affamés, qui, avec un visage de femmes, avoient un bec et des ongles crochus, un ventre énorme, le corps couvert de plumes hérissées, des mains et des pieds d’hommes et des oreilles d’ours. Elles se jetoient avec autant de célérité que de fureur et d’avidité sur toutes les viandes qu’elles apercevoient ; elles les enlevoient avec une effrayante rapidité en souillant et en infectant tout ce qu’elles touchoient ; elles tourmentèrent surtout Phinée, fils d’Agénor, roi de Phénicie, en punition de ce qu’il avoit fait crever les yeux à ses deux fils, sur une fausse accusation de leur belle-mère.

Diane. §

Déesse de la chasse, fille de Jupiter et de Latone, et sœur d’Apollon. Considérée comme la Lune, elle s’appelle Phébé ou Sélène ; elle étoit regardée aussi comme Déesse des Vierges et de la chasteté. Elle changea Actéon en cerf, parce qu’il l’avoit surprise au bain, et il fut dévoré par ses propres chiens. Diane, comme toutes les Divinités de la Fable, étoit vindicative et barbare dans ses vengeances. Un chasseur de Possidonie s’étoit fait une loi de consacrer à Diane la tête et les pieds de tous les animaux qu’il tueroit à la chasse ; un jour, ayant mis à mort un monstrueux sanglier, il n’offrit à la Déesse que la tête qu’il suspendit à un arbre, il s’endormit sous cet arbre, et Diane détacha la tête du sanglier qui tomba sur le malheureux chasseur et le tua.

Œnée ayant négligé d’offrir à Diane les prémices de son champ, Diane fit sortir de la forêt de Calydon un sanglier énorme qui ravagea toute la contrée.

Chioné, fille de Lucifer, eut la témérité de se préférer à Diane pour sa beauté, et la Déesse la tua d’un coup de flèche.

Niobé, fille de Tantale et de Dioné, épousa Amphion, roi de Thèbes. Elle en eut douze enfans, six fils et six filles ; et fière de sa fécondité, elle se préféra à Latone ; Apollon et Diane, pour venger leur mère, tuèrent à coups de flèches tous les enfans de Niobé. Pendant neuf jours entiers leurs corps restèrent exposés baignés dans le sang, personne ne les inhuma. Jupiter, ayant pris part à cette vengeance atroce, avoit pétrifié tout le peuple ; le dixième jour, enfin, ils furent enterrés. La malheureuse Niobé resta seule pétrifiée au milieu des rochers arides du Sipylus, montagne située entre la Lybie et la Magnetie ; mais Niobé, changée en rocher, conserva, pour son supplice éternel, le sentiment de sa douleur. La pierre en laquelle Jupiter la métamorphosa versoit des larmes nuit et jour sans interruption.

Les brauronies étoient des fêtes en l’honneur de Diane, dans le bourg appelé Brauron ; on y voyoit de jeunes filles depuis l’âge de cinq jusqu’à dix ans, vêtues de robes couleur de safran. On rapporte ainsi l’origine de cette institution. Il y avoit dans un bourg de l’Attique un ours apprivoisé, consacré à Diane : une jeune fille voulant un jour badiner avec cet ours, il entra en fureur et la mit en pièces : les frères de cette fille tuèrent l’ours. Cet événement fut suivi d’une peste qui désola l’Attique. Par l’ordre de l’oracle, on consacra à Diane plusieurs jeunes filles. On fit même une loi qui défendoit à toutes les filles du bourg de se marier sans avoir fait les fonctions de prêtresse dans le temple de Diane ; delà vint qu’elles assistoient toutes aux brauronies.

Diane, considérée comme protectrice des mânes, s’appelle Hécate : de toutes ces fonctions Diane a pris le surnom de triple Déesse.

On a fait dériver le nom d’Hécate du mot grec ecaton, cent, soit parce qu’on lui offroit souvent des hécatombes, soit parce qu’elle retenoit, pendant cent ans, au-delà du Styx, ceux qui n’avoient pas reçu les honneurs funéraires. A Athènes Hécate fut surnommée Epipyrgidie, c’est-à-dire, élevée comme une tour, parce que sa statue avoit une hauteur extraordinaire.

Le premier jour de chaque lune, et lorsque le Soleil descendoit sous l’horison, plusieurs peuples de la Grèce et de l’Italie officient à Hécate un festin qu’ils plaçoient ou sur le toit de leurs maisons ou dans le milieu des grandes routes ; on l’appeloit le souper d’Hécate. C’étoit parmi eux une ancienne tradition que des serpens, envoyés par la déesse, venoient le dévorer. Des fruits, du pain et surtout des œufs en composoient les mets.

La Fable dit que Diane aima Endimion, berger de Carie. Elle avoit un temple superbe à Ephèse, qu’Erostrate, un insensé, brûla le jour de la naissance d’Alexandre-le-Grand, afin de faire passer son nom à la postérité. On défendit, par un décret, de prononcer et d’écrire ce nom déshonoré, ce qui n’a pas empêché qu’il ne soit parvenu jusqu’à nous.

Chez les Grecs les jeunes gens des deux sexes ne coupoient leurs cheveux qu’à l’époque où ils entroient dans l’adolescence. Les jeunes filles les coupoient la veille de leur mariage, et les offroient à Diane et aux Parques. Les jeunes Trézéniens des deux sexes les offroient à Hippolyte qui n’avoit jamais été marié. Dans Sycione on faisoit cette offrande à Hygée, dans Argos et dans Athènes à Minerve. D’autres jeunes Grecs consacroient leur première chevelure à Esculape, ou à Apollon, ou à Bacchus. L’usage de couper ses cheveux et de les offrir aux divinités de la mer dans une tempête, avoit fait naître une superstition, on croyoit que c’étoit une action de mauvais augure de couper ses cheveux et ses ongles dans un vaisseau, à moins qu’on ne fût dans un grand danger. On coupoit aussi ses cheveux dans le deuil, et pour les déposer sur les corps de ceux qu’on avoit aimés ou sur leurs tombeaux.

Apollon. §

Apollon ou Phébus ou Hélios, fils de Jupiter et de Latone, et frère de Diane, étoit le Dieu du Jour, des arts, de la poésie et de la médecine. Latone, mère d’Apollon et de Diane qu’elle portoit dans son sein, fut chassée du Ciel par Junon, qui fit promettre à la Terre de ne point lui donner d’asile. L’infortunée, toujours errante et partout poursuivie, invoquoit en vain le maître des Dieux qui l’abandonnoit et la laissoit sans défense, livrée aux fureurs de Junon. Un soir, accablée de fatigue, elle arriva sur les bords d’un étang, et demanda à des paysans la permission d’y puiser de l’eau pour étancher sa soif ; ceux-ci, loin de la satisfaire, troublèrent l’eau pour l’empêcher de boire ; et le Ciel métamorphosa en grenouilles ces barbares, que la beauté souffrante et persécutée ne pouvoit attendrir.

Neptune eut pitié de Latone ; il frappa le fond de la mer de son trident, il en fit sortir l’île de Délos, qui jusque-là, cachée sous les eaux, n’avoit point pris part au serment de la Terre. Mais cette île étoit flottante ; Apollon, depuis, la fixa parmi les Cyclades dont elle fait partie. Ce fut dans cette île, créée pour l’hospitalité, et sous un palmier, superbe, qu’Apollon et Diane virent la lumière dont ils alloient régler le cours. Aussitôt des cygnes firent en chantant sept fois le tour de Délos ; Apollon, en reconnoissance, mit par la suite sept cordes à sa lyre, et voulut que le cygne fût désormais l’emblême des bons poëtes. Les Nymphes baignèrent Apollon naissant, dans leurs ondes ; Thétis lui donna du nectar et de l’ambroisie, et le jeune Dieu, seul digne de célébrer son immortalité, la chanta sur sa lyre d’or.

Après le déluge, Junon, toujours irritée contre Latone, fit naître du limon de la terre un serpent monstrueux, nommé Python, qu’elle chargea de poursuivre sa vengeance. Mais Apollon en délivra sa mère et le tua à coups de flèches. Apollon fit couvrir de sa peau le trépied sur lequel s’asséyoit la Pythonisse pour rendre ses oracles. En mémoire de cet événement on institua les jeux Pythiens ; une couronne de chêne fut d’abord le prix du vainqueur, ensuite une couronne de laurier, et enfin, quand les jeux commencèrent à perdre de leur éclat et qu’il fut moins glorieux d’y vaincre, on imagina de donner une couronne d’or. Dans tous les jeux des anciens il y avoit des courses de chevaux, de chars, des combats à la lutte, etc. Les poëtes y célébroient les vainqueurs, et les immortalisoient par de beaux vers, et l’on doit à ce genre de triomphe les odes de Pindare.

Malgré ses talens divins, Apollon eut des concurrens ; le Dieu Pan, qui croyoit exceller dans l’art de jouer de la flûte, le défia ; Tmolus, roi de Lydie, pris pour arbitre, adjugea le prix au Dieu de l’harmonie. Mydas, roi de la Phrygie, témoin de ce combat musical, récusa ce jugement, et Apollon lui fit venir des oreilles d’âne. Le satyre Marsyas osa aussi défier Apollon, qui n’accepta le défi qu’à condition que le vaincu seroit à l’entière discrétion du vainqueur. Après la victoire, Apollon fit écorcher vif Marsyas. Ces traits de la plus féroce barbarie se renouvellent sans cesse dans l’histoire des Dieux. D’après une ancienne fable, Minerve, dans ses voyages, trouva l’os de la jambe d’un cerf, dont elle fit une flûte ; mais s’étant aperçue qu’en jouant de cet instrument son visage se défiguroit, elle le jeta loin d’elle en prononçant la plus terrible malédiction contre celui qui oseroit le ramasser. Marsyas trouva cette flûte, et à force de s’exercer, il parvint à en jouer de manière à charmer toutes les nymphes ; ce fut alors qu’enivré de ces louanges, il eut la témérité de défier Apollon avec sa lyre ; les Muses furent les juges du combat. Après la mort de Marsyas, son corps fut remis à son élève Olympus, pour l’inhumer. Ainsi s’accomplit d’une manière cruelle la malédiction de Minerve. Le sang de Marsyas forma un fleuve qui prit son nom ; d’autres disent que ce fleuve dut son origine aux larmes que les nymphes répandirent après sa mort.

Apollon, le plus beau des immortels, malgré les talens enchanteurs de la musique et de la poésie, fut très-malheureux dans ses amours. Il ne put plaire à Issé, fille de Macarée, qu’en se déguisant en berger.

Apollon devint amoureux de la Sibylle de Cumes, qui étoit alors dans tout l’éclat de la jeunesse : elle promit au Dieu de répondre à sa tendresse, s’il vouloit lui accorder autant d’années de vie qu’elle tenoit de grains de sable dans sa main, et quand elle eut obtenu cette grâce, elle ne montra plus que de l’insensibilité et de l’ingratitude. Mais elle avoit oublié de demander qu’elle pût passer ce grand nombre d’années dans l’état de jeunesse où elle étoit alors ; elle devint si décrépite qu’il ne resta d’elle que le souffle26. Apollon n’eut pas plus de succès auprès de Cassandre, fille de Priam et d’Hécube. Il lui accorda le don de prophétie, et ensuite elle l’accabla de mépris ; alors Apollon empêcha qu’on ajoutât foi à ses prédictions.

Il aima Coronis, fille de Phlégias, dont il eut Esculape, Dieu de la médecine ; mais ensuite Coronis se laissa séduire par Ischis ; Apollon, instruit de son infidélité par le corbeau, lui perça le sein, et pour punir le corbeau de sa funeste délation, il teignit en noir son plumage qui étoit d’une blancheur éclatante. Une autre fable donne une autre origine au plumage noir du corbeau : elle dit qu’Apollon voulant faire un sacrifice à Jupiter, envoya le corbeau avec la coupe pour lui rapporter de l’eau ; le corbeau s’arrêta sur un figuier afin d’attendre la maturité du fruit ; ensuite, pour excuser son retardement, il prit un serpent qu’il accusa faussement de lui avoir fait obstacle lorsqu’il vouloit puiser de l’eau. Mais Apollon, que ce mensonge ne put abuser, noircit le plumage du corbeau, le plaça vis-à-vis de la coupe pleine d’eau et donna au serpent l’ordre et le pouvoir de l’empêcher de boire.

Daphné, fille de Pénée, fleuve de Thessalie, fut d’abord aimée de Leucippe, fils d’Œnomaüs, qui se déguisa en femme pour approcher d’elle. Le refus qu’il fit un jour de se baigner avec Daphné et ses compagnes, fit connoître sa supercherie ; alors Daphné et ses compagnes tuèrent à coups de flèches ce malheureux amant. Apollon n’inspira pas de plus tendres sentimens à cette nymphe cruelle. Daphné, évitant ses poursuites, invoqua son père qui la changea en laurier. Apollon désespéré, orna du feuillage de cet arbre son front et sa lyre. Le laurier depuis lui fut consacré et devint la couronne des poëtes, des musiciens et des guerriers. Les Béotiens instituèrent en l’honneur d’Apollon et de Daphné des fêtes appelées Daphnéphories, et qui se célébroient de neuf ans en neuf ans.

On nommoit daphnéphages, c’est-à-dire mangeurs de laurier, des devins qui, avant de rendre leurs réponses, mangeoient des feuilles de laurier, parce que cet arbre étant consacré à Apollon, ils vouloient par-là faire croire que ce Dieu les inspiroit. Apollon se fit aimer de Leucothoë, fille d’Orchame et d’Eurinome, mais par un artifice, en la séduisant sous la figure d’Eurinome sa mère. Clitie, sœur de Leucothoë et sa rivale, découvrit cette intrigue, et par jalousie en instruisit son père : ce dernier fit enterrer Leucothoë vivante. Apollon métamorphosa cette infortunée en l’arbre qui porte l’encens. Clitie, devenue justement pour Apollon un objet odieux, résolut de se laisser mourir de faim. Apollon la changea en héliotrope ou tournesol, fleur qui regarde toujours l’astre de la lumière, et qui languit et s’incline tristement sur sa tige lorsqu’elle est privée de ses rayons.

Apollon fut aussi malheureux père que malheureux amant. Il eut de Climène un fils nommé Phaéton, auquel Epaphus, fils de Jupiter et de Io, soutint un jour qu’il n’étoit pas fils du Soleil. Pour répondre à cette injure d’une manière éclatante, Phaéton fit jurer par le Styx, à son père, qu’il lui accorderoit une grâce qu’il avoit à lui demander. Alors il exigea que le char du Soleil lui fût confié. Phaéton monta sur ce char, ne put conduire les coursiers, mit le feu à la terre et fut foudroyé par Jupiter. Ses sœurs, Phaétuse, Lampétie et Lampétuse, furent inconsolables de sa mort ; les dieux les changèrent en peupliers et leurs larmes en ambre.

Esculape, Dieu de la médecine, autre fils d’Apollon, fut aussi foudroyé par Jupiter27. Apollon tua les Cyclopes qui, dans cette occasion, avoient forgé les foudres de Jupiter, et le maître des Dieux, en punition de ce meurtre, bannit Apollon du Ciel. Ce Dieu disgracié descendit sur la terre, se réfugia en Thessalie où il garda les troupeaux du roi Admète. Un jour, il laissa égarer ces troupeaux, Mercure les déroba ; le berger Battus, témoin de ce vol, promit de n’en point parler, parce que Mercure lui donna la plus belle vache du troupeau ; mais Mercure, pour éprouver la discrétion de son complice, se présenta à lui sous une autre forme. Battus révéla tout, et Mercure changea Battus en pierre de touche. Apollon se retira dans la Troade, et se joignit à Neptune pour bâtir les murs de Troie. Laomédon, roi de cette contrée, leur refusa le salaire qu’il leur avoit promis ; Neptune fit sortir de la mer un monstre qui porta la désolation dans toute la Phrygie ; Laomédon fut contraint par l’oracle d’y exposer sa fille Hésione, Hercule la délivra â condition qu’on la lui donneroit pour épouse ; Laomédon, incorrigible dans sa mauvaise foi, manqua encore de parole dans cette occasion, Hercule le tua et donna Hésione à Télamon.

Cycnus, fils d’Apollon et de la nymphe Thyria ou Hyria, désespéré de n’avoir pas obtenu de son ami Phylius un taureau qu’il lui avoit demandé, se précipita dans le lac Canopus. Sa malheureuse mère, ne pouvant lui survivre, s’y jeta après lui. Apollon les métamorphosa l’un et l’autre en cygnes28.

Apollon fut malheureux dans tous ses sentiments, il eut une vive amitié pour le jeune Hyacinthe, et un jour en jouant avec lui au petit palet, il lança maladroitement le palet et le tua ; il le métamorphosa en la fleur qui porte ce nom.

Cyparisse, fils d’Amiclée, ou selon d’autres, de Télèphe, étoit le favori d’Apollon ; il avoit un cerf apprivoisé qu’il tua par inadvertance ; il s’en affligea tellement qu’il voulut s’ôter la vie ; Apollon le changea en cyprès.

Apollon avoit des temples dans une infinité de lieux, à Épidaure, à Argos, à Athènes, à Rome, et celui de Délos étoit si célèbre, que les Perses qui, dans la guerre contre les Grecs, brûlèrent tous leurs temples, épargnèrent celui-ci. Apollon étoit encore célèbre par ses oracles : le plus fameux étoit celui de Delphes29. Les prêtres d’Apollon étoient très-révérés. Ce fut pour avoir offensé son grand-prêtre Chrysès, dont Agamemnon enleva la fille Chryséis, que les Grecs, aux champs de Troie, périrent sous ses traits.

Les Rhodiens rendoient un culte particulier à Apollon considéré comme Dieu du jour ; ils lui élevèrent une énorme statue, appelée le Colosse de Rhodes. Ce Colosse d’airain, d’une hauteur extraordinaire, représentoit Apollon, et fut regardé comme une des sept merveilles du monde. Cette statue, ouvrage de Charès qui mit douze ans à la faire, avoit soixante-dix coudées de haut30 ; et comme elle étoit placée de manière que les deux pieds posoient sur deux moles qui formoient le port de la ville de Rhodes, les vaisseaux passoient à pleines voiles entre ses jambes. On dit que peu de personnes pouvoient embrasser un des pouces de cette gigantesque statue. Cette prodigieuse masse, malgré sa pesanteur, demeura sur pied pendant 1360 ans, et ne tomba que par un tremblement de terre. Cette statue pouvoit étonner et même effrayer par sa grandeur ; mais son attitude et ses jambes horriblement écartées devoient ôter à la figure toute espèce d’élégance et de noblesse. Après sa chute, un marchand Juif l’acheta des Sarrazins, la fit mettre en pièces et en chargea neuf cents chameaux31.

Apollon est représenté sous les traits d’un beau jeune homme avec des cheveux blonds, un carquois sur l’épaule, un arc à la main, ou dans son char d’or traîné par quatre chevaux placés de front. Ces coursiers divins sont attelés par les Heures. L’Aurore, fille de Phébus, tous les matins, ouvre à son père les portes de l’Orient, en semant des roses sur la carrière qu’il doit parcourir ; chaque soir le char du Soleil descend dans la mer, et le Dieu adoucit alors l’éclat de ses rayons brûlans pour aller se reposer dans le sein de Thétis.

Voici les noms des chevaux du Soleil : Eoüs, Pyroïs, Éthon, Phlégon. Les Heures, filles de Jupiter et de Thémis, étoient au nombre de trois et s’appeloient : Eunomie, Irène et Dicé. Elles gardoient les portes du ciel. Elles eurent des temples. Les Athéniens célébroient une fête en leur honneur, appelée Horæa.

Apollon étoit le conducteur des Muses, il les inspiroit et présidoit à leurs chants et à leurs travaux32. Outre les jeux Pythiques, on célébroit en son honneur, les jeux Déliens, à Délos ; les jeux Séculaires, à Rome ; les jeux Théoxéniens, à Pellène, etc.

Le cygne, la cigale, le corbeau, le loup, le griffon, le vautour et le coq lui étoient consacrés, et parmi les végétaux, le laurier, l’olivier sauvage, le tamarin et la bruyère.

Les Muses §

Les Muses, filles de Jupiter et de Mnémosine, Déesse de la mémoire. Elles étoient neuf sous la conduite d’Apollon, savoir : Clio, Muse de l’histoire ; Calliope, du poëme héroïque ; Uranie, présidant à l’astronomie ; Euterpe, à la musique ; Polymnie, à la poésie lyrique ; Erato, aux poëmes amoureux ; Melpomène, Muse de la tragédie ; Thalie, de la comédie ; Terpsychore, de la danse.

Les filles de Piérus, roi de Macédoine ; les Piérides, croyant chanter mieux que les Muses, osèrent les défier, furent vaincues et changées en pies.

Les Sirènes eurent la même audace et avec aussi peu de succès. Les Muses, pour châtiment, leur arrachèrent les plumes des ailes et s’en ornèrent la tête ; c’est pourquoi les Muses sont souvent représentées avec une petite touffe de plumes sur la tête, monument de leur victoire sur les Sirènes33.

Thamyris, fils de Philammon, célèbre musicien, et d’Argiope, et petit-fils d’Apollon, excella tellement dans l’art de chanter et de jouer de la lyre, que les Scythes, séduits par ses talens, le firent roi. Il fut le troisième qui remporta le prix du chant aux jeux Pythiques ; mais enivré de ses succès et de sa fortune, il eut l’impiété de défier les Muses à qui chanteroit le mieux : les Déesses acceptèrent le défi, à condition que s’il étoit vainqueur, elles se remettroient toutes à sa discrétion ; et que dans le cas contraire, il subiroit la peine qu’il leur plairoit de lui imposer. Thamyris fut vaincu, et loin de montrer l’indulgence et la générosité que devroient inspirer l’amour et la culture des sciences et des arts, les Muses eurent la barbarie de lui crever les yeux, de lui ôter sa belle voix, et de lui faire oublier tout ce qu’il savoit ; l’infortuné Thamyris jeta sa lyre dans une rivière et mourut de désespoir.

Les Muses habitoient le Mont-Parnasse, l’Hélicon, le Pinde, etc. ; plusieurs fontaines leur étoient consacrées ; entre autres Castalie, l’Hypocrène, le fleuve Permesse, etc. ; elles montoient Pégase, un cheval ailé : ce cheval merveilleux eut une naissance et des alliances très-extraordinaires. Quand Persée eut coupé la tête de Méduse, il naquit du sang de cette tête un Géant armé d’une épée, qu’on appela Chrysaor, et un cheval ailé, qui fut Pégase. Chrysaor aima Callirhoë, fille de l’Océan, et de cet amour naquit Gérion ; de sorte que Gérion étoit petit-fils de la tête de Méduse, fils de Chrysaor et neveu de Pégase. On dit que Pégase fit jaillir d’un coup de pied la fontaine Hypocrène. Bellérophon se servit de Pégase pour combattre la Chymère, ensuite il voulut, sur ce même cheval, monter à l’Olympe ; mais Jupiter fit piquer Pégase par un taon, et l’audacieux cavalier fut renversé.

Les Muses un jour, s’amusant à danser, furent troublées dans leurs jeux par les plaisanteries grossières d’un Berger qu’elles punirent en le changeant en olivier sauvage.

Les Muses, après un voyage, retournant au Parnasse, furent arrêtées par un violent orage, et se réfugièrent chez Pyrénée, roi de Daulis, dans la Phocide. Ce prince les insulta, et voulut les retenir prisonnières ; les Muses prirent des ailes et s’envolèrent. Pyrénée, aussi stupide qu’insolent, monta sur une haute tour d’où il se jeta en l’air pour voler après elles, il tomba et se cassa la tête.

La Fable dit que toutes les Muses sont Vierges, afin de marquer combien elles doivent être chastes et pures. Cependant Apollon épousa Calliope dont il eut Orphée34, et il eut d’Uranie Linus, autre musicien célèbre. Ce dernier, malheureusement pour lui, fut maître de lyre d’Hercule ; un jour il donna un coup à son élève pour le rendre plus attentif, et le terrible disciple frappa Linus à la tête avec sa lyre et le tua.

Voici les musiciens les plus célèbres de la Mythologie, on doit en faire mention dans cet article, puisqu’ils furent inspirés par les Muses. Orphée jouoit si divinement de la lyre, qu’il adoucissoit, charmoit les bêtes féroces, suspendoit le cours des fleuves ; l’onde devenoit immobile pour l’écouter, et les rochers et les arbres, attirés par ses accords, s’animoient et prenoient du mouvement pour s’approcher de lui. Euridice, sa femme, étant morte de la morsure d’un serpent le jour de ses noces, en fuyant les poursuites d’Aristée35, Orphée descendit aux Enfers. Les sons enchanteurs de sa lyre suspendirent les tourmens de tous les criminels du Tartare, et touchèrent tellement Pluton, que ce Dieu lui rendit Euridice, à condition qu’il ne la regarderoit que lorsqu’il seroit sorti des Enfers. Mais Orphée, pour s’assurer de son bonheur, le perdit sans retour ; il se retourna, et il n’aperçut Euridice que pour la voir se replonger dans le séjour des ombres. Ce malheureux époux se retira dans une solitude, renonçant pour jamais à la société des femmes. Les Bacchantes de Thrace, irritées de ses mépris, se jetèrent sur lui et le mirent en pièces. Bacchus métamorphosa en arbres ces femmes forcenées, il changea en cygne le chantre infortuné, et mit sa lyre au nombre des étoiles.

Lycus, roi de Thèbes, répudia Antiope, sa femme, pour épouser Dircé. Jupiter, selon quelques auteurs, prit alors la forme d’un satyre pour séduire Antiope ; d’autres disent qu’il la trompa sous la figure même de Lycus, comme si celui-ci eut voulu se raccommoder avec elle. Dircé, croyant qu’Antiope revoyoit Lycus, se saisit d’elle, l’enferma, et lui fit souffrir des maux infinis. Enfin Antiope s’échappa, et elle alla accoucher sur le Mont-Cythéron, de Zéthus et d’Amphion ; ces deux jeunes princes, instruits par la suite, de l’histoire de leur mère, eurent la férocité d’attacher Dircé à la queue d’un taureau furieux qui la mit en pièces : ces deux frères ne se quittèrent jamais. Zéthus fut un grand chasseur et Amphion un musicien célèbre. Il bâtit la ville de Thèbes aux accords de sa lyre ; les pierres se rangeoient d’elles-mêmes à leur place. Ce fut cet Amphion qui épousa Niobé dont les enfans périrent sous les traits d’Apollon et de Diane. Arion, autre musicien fameux, étant sur un vaisseau, fut au moment de périr par la scélératesse des matelots qui voulurent l’égorger pour avoir son argent. Arion obtint d’eux la permission de jouer encore une fois de son luth, avant de mourir. Au son de cet instrument des dauphins s’attroupèrent autour du vaisseau. Arion s’élança dans la mer et l’un de ces dauphins le porta sur le rivage. Arion se réfugia chez Périandre, roi de Corinthe, qui fit courir après les pirates, dont la plupart furent punis de mort.

Les Musées étoient des fêtes instituées en l’honneur des Muses, d’où l’on a donné le nom de Musées, aux académies, aux cabinets des savans, et aux collections de statues et de tableaux.

L’Aurore. §

déesse qui ouvroit les portes du Jour, et qui après avoir attelé les chevaux au char du Soleil, le précédoit sur le sien. Elle étoit fille de Titan et de la Terre, et suivant Hésiode, d’Hypérion et de Thia. Elle épousa Persès et eut pour enfans les Vents, les Astres et Lucifer. Elle enleva Tithon, l’épousa et en eut deux fils, Émathion et Memnon, roi d’Ethiopie. Leur mort lui causa tant de douleur que l’abondance de ses larmes produisit la rosée du matin. Voici l’histoire de ce Memnon, roi d’Ethiopie : Priam l’engagea à venir à son secours dans la ville de Troie, assiégée par les Grecs, en lui envoyant en présent un ceps de vigne en or. Memnon fut tué par Achille. L’Aurore, baignée de pleurs, conjura Jupiter de rendre quelques honneurs à la mémoire de son fils, et Jupiter fit sortir de ses cendres une multitude d’oiseaux, qui, tous les ans mouillant leurs ailes déployées dans un fleuve, venoient ensuite arroser le tombeau de Memnon. On dit qu’en Egypte, une statue de Memnon rendoit, au lever du soleil ; des sons éclatans et mélodieux, et au coucher de cet astre un son mélancolique et plaintif. Le second époux de l’Aurore fut Céphale qu’elle enleva à Procris. Céphale par la suite, voulut revoir Procris et l’éprouver. Il se présenta à elle sous une autre forme et la séduisit sous ce déguisement. Alors il l’accabla de justes reproches et finit par se raccommoder avec elle. Il chassoit tous les ours, et Procris, devenue jalouse, le suivoit secrètement dans les forêts pour observer sa conduite. Un matin Céphale, jetant les yeux sur un buisson, vit des branches s’agiter et ployer ; il crut que c’étoit une biche, et lança contre le buisson un dard qui ne manquoit jamais le but et dont l’Aurore lui avoit fait présent. Il courut aussitôt pour saisir sa proie, et il trouva la malheureuse Procris baignée dans son sang et mourante ; elle s’étoit cachée derrière ces arbustes pour épier, comme à son ordinaire, l’objet de sa fatale jalousie. Céphale se livra à la plus vive douleur, l’Aurore l’emmena en Syrie et eut un fils de lui. Les anciens représentent l’Aurore vêtue d’une robe de couleur safranée, sortant d’un palais de vermeil, montant un char de même métal, tiré par Pégase, parce qu’elle est amie des Muses et des poëtes ; enfin elle est couronnée de fleurs, elle tient de la main gauche un flambeau, et de l’autre elle répand des roses pour marquer que les fleurs, dont la terre se pare, doivent leur fraîcheur à la rosée du matin.

Isis. §

Io, fille du fleuve Inachus, fut aimée de Jupiter, et ce Dieu, pour la soustraire aux persécutions de Junon, la métamorphosa en vache. Junon, ayant des soupçons, la lui demanda. Jupiter n’osa la lui refuser, Junon la mit sous la garde d’Argus aux cent yeux : celui-ci l’emmena dans un bois près de Mycènes et l’attacha à un olivier, et Jupiter chargea Mercure d’enlever cette vache à Argus. Mercure, sous les traits d’un berger, aborda Argus, l’endormit aux sons de sa flûte, ensuite lui coupa la tête36. Mais Junon rendit Io furieuse, et la fit errer et poursuivre, selon les uns, par une furie, selon d’autres, par un spectre ou par un taon. Elle se jeta dans la mer ; Jupiter lui rendit sa première forme, et elle fut adorée en Egypte sous le nom d’Isis. Dans la suite Isis épousa Osiris et régna avec lui en Egypte. Elle eut pour fils Horus, que l’on confond souvent avec Harpocrate. La rose blanche et la fleur de Lotus étoient consacrées à Isis. On la représentoit voilée et avec l’inscription tracée dans ce dessin.

La Table isiaque est un précieux monument qui, dans l’antiquité, fut consacré à Isis. On croit qu’il représente un calendrier des fêtes égyptiennes. La figure d’Isis occupe la plus grande des trois bandes qui partagent la surface de cette Table. Voici son histoire et ses dimensions données par M.  Millin : Cette Table, de cuivre rouge, a de longueur trois pieds dix pouces, et de largeur deux pieds trois pouces neuf lignes. Les figures y sont gravées à une ligne de profondeur, et presque tous leurs contours sont marqués par des filets d’argent. Cette Table appartenoit en 1600 au cardinal Bembo qui l’avoit reçue en présent du Pape Paul III, auquel, dit-on, un serrurier l’avoit vendue. Ensuite elle passa au Duc de Mantoue. Lorsque Mantoue fut pris en 1630 par les Impériaux, cette Table fut perdue. Après beaucoup d’années on l’a retrouvée dans les archives de Turin, d’où elle a été transportée à la Bibliothèque Impériale.

Harpocrate. §

Dieu Égyptien, fils d’Isis et d’Osiris, Dieu du Silence. Les Grecs le nommoient Sigalion. Les lentilles et le pêcher lui étoient consacrés. La déesse du Silence s’appeloit Angérone.

Voici une Fable que l’on a trouvée dans l’Encyclopédie anglaise (Chamber’s Dictionary). L’Amour un jour, pour engager Harpocrate à garder le silence sur les intrigues de Vénus, lui fit présent d’une belle rose, la première qui ait paru sur la terre. Depuis ce temps il fut d’usage d’avoir une rose placée dans les lieux de divertissemens, pour engager les convives à bannir toute contrainte sous la promesse du Silence. Ainsi la rose devint le symbole de la discrétion, ce qui donna même lieu à une expression proverbiale, être sub rosa (sous la rose), signifioit que l’on ne devoit pas craindre qu’une conversation fût divulguée. C’étoit une idée ingénieuse et délicate de joindre, sous un seul emblême, la discrétion à l’amitié et à l’amour. Les modernes n’ont pas adopté cette idée ; la rose n’est plus aujourd’hui que le symbole de l’amour et de la gaîté.

Thémis. §

Déesse de la Justice, fille du Ciel et de la Terre, c’est-à-dire, d’Uranus et de Titéa. Jupiter la força de l’épouser, et il eut d’elle, la Loi et la Paix. On donne à cette divinité pour attributs, la balance et le compas qui marquent la justesse et l’équité des jugemens, le glaive qui doit punir les coupables, et la palme réservée à l’innocence. Ces attributs sont de l’invention des modernes ; M.  Millin , dans son dictionnaire de la fable , dit qu’il n’existe point de monumens antiques représentant Thémis.

Janus. §

Fils d’Apollon et de Créuse, fille d’Érechtée, roi d’Athènes, ou de Saturne et d’Entoria. Il fut bienfaiteur des hommes, et les Romains le mirent au rang des Dieux. Ce fut celui de la paix. On lui bâtit un temple à Rome, qui étoit ouvert pendant la guerre et fermé pendant la paix. On offroit à Janus du miel, des dattes et des figues. On représentoit ce Dieu avec deux visages, l’un par devant et l’autre par derrière. Il est fort mai caractérisé dans cet Arabesque, car des Figues ne peuvent guères rappeler Janus. Mais je n’aurois jamais pu ni faire ni placer dans un Arabesque deux visages sur une tête.

Les Januales étoient des fêtes de Janus, que l’on célébroit à Rome le premier de janvier.

On donna à l’une des portes de Rome le nom de Janualis à l’occasion de la fable suivante : les Sabins assiégeant Rome avoient déjà atteint cette porte que l’on avoit fermée à l’approche de l’ennemi ; mais elle s’ouvrit tout-à coup d’elle-même, sans qu’on put venir à bout de la refermer parce que Junon, ennemie des Romains, en avoit enlevé les serrures. Les Sabins entrèrent en foule dans Rome ; alors il sortit du temple de Janus, des torrens d’eau bouillante, avec tant d’abondance et d’impétuosité, qu’une multitude de Sabins fut engloutie ou brûlée et le reste obligé de prendre la fuite.

Hébé. §

Déesse de la Jeunesse, fille de Jupiter et de Junon. Quelques auteurs disent de Junon seule, qui lui donna naissance après avoir mangé beaucoup de chicorée sauvage dans un festin donné par Apollon. Hébé fut chargée de l’emploi de servir le nectar aux Dieux. Mais un jour, ayant fait un faux pas, elle tomba d’une manière qui alarma la pudeur de Minerve, et Ganimède fut mis à sa place37.

Hébé épousa Hercule, lorsque ce héros fut reçu dans l’Olympe. Elle en eut une fille, nommée Alexiare, et un fils appelé Anicétus. A la prière d’Hercule, elle rajeunit Iolas38. On la représente couronnée de fleurs et tenant une coupe d’or.

Pomone, Vertumne et Flore. §

Pomone, Déesse des fruits, étoit décidée à garder sa liberté, Vertumne, Dieu des vergers, se déguisa en vieille, gagna sa confiance, lui persuada de se marier, se fit connoître, obtint sa tendresse et l’épousa. Flore, déesse des fleurs, épousa Zéphire.

Les florales, ou fêtes de Flore, furent instituées ou du moins renouvelées pour honorer la mémoire d’une courtisane, nommée Acca Laurentia, qui institua le peuple Romain héritier de tous ses biens. Le peuple, par reconnoissance, fit l’apothéose de sa bienfaitrice, lui donna le nom de Flore, et célébra en son honneur des fêtes dignes d’une telle divinité. Des courtisanes toutes nues y formoient des danses infâmes, et c’est ainsi que toutes les époques les plus intéressantes de l’année devinrent chez les Grecs et chez les Romains celles des excès les plus licencieux. La renaissance des fleurs et des fruits, les vendanges célébrées dans les fêtes champêtres, les florales, les lupercales, les orgies, ne furent jamais, parmi les Païens, qu’une honteuse profanation des bienfaits les plus précieux de la nature.

Nous avons aussi des jeux floraux (mais littéraires) en France, à Toulouse, doux et beau climat, où le Soleil semble avoir une influence également heureuse et sur les fleurs et sur les esprits. Les uns prétendent que ces jeux furent établis en 1324, par sept gentilshommes. D’autres disent que c’étoit une ancienne coutume, que les poëtes de Provence s’assemblassent à Toulouse pour lire leurs vers et en recevoir le prix qui se donnoit au jugement des anciens, que ce ne fut que vers 1540 qu’une dame, nommée Clémence Isaure, légua la meilleure partie de son bien à la ville de Toulouse pour éterniser cet usage. La cérémonie des jeux floraux commence le premier de mai par une messe en musique ; le 3, on donne les prix qui sont au nombre de cinq. Un prix de discours en prose, un prix de poëme, les trois autres d’ode, d’églogue et de sonnet. Les trois premiers prix sont une violette d’or, la première et la plus jolie fleur du printemps ; une églantine d’or et une fleur de souci de même métal, des fleurs d’argent forment les derniers prix. Les jeux floraux ont été érigés en Académie par lettres-patentes, en 1694. Le nombre des académiciens étoit fixé à quarante, comme à l’Académie française.

Il y a dans cette institution une grâce, une galanterie et une ancienneté qui dévoient la rendre intéressante et respectable, d’autant plus que cette Académie a produit des gens de lettres distingués, et qu’elle a couronné souvent de très-beaux vers. Elle fut abolie durant la révolution : elle refleurit sous ce régne où l’on a vu déjà réparer tant d’injustices et rétablir tant de choses utiles.

Pan. §

Dieu des campagnes et des bergers, étoit fils, selon les uns, de Jupiter et de Calisto ; selon d’autres, de Mercure et de Pénélope. Il accompagna Bacchus dans son expédition des Indes, et eut part à ses conquêtes ; il aima plusieurs nymphes, entre autres, Syrinx, qui, pour se dérober à ses poursuites, prit la fuite ; arrivée sur les bords du fleuve Ladon, son père, elle implora son secours, le fleuve la métamorphosa en roseau, dont Pan fit la première flûte à sept tuyaux inégaux. On représente Pan sous la figure d’un satyre, avec des cornes et des pieds de chèvre, et tenant le pedum ou bâton pastoral. Il présidoit aux troupeaux. C’étoit en son honneur qu’on avoit institué les fêtes licencieuses appelées Lupercales. Pan en grec signifie tout. On croit que sous ce nom les anciens adoroient la nature.

On appeloit terreur panique une terreur subite, telle que celle qu’éprouvèrent les Gaulois quand ils se disposèrent à piller le temple de Delphes, et qui leur fut inspirée par le Dieu Pan. Les Satyres, les Sylvains et les Faunes étoient des espèces de Divinités subalternes et champêtres qui habitoient les bois. La Fable donne aux Satyres, et en général à tous les Dieux et demi-Dieux des champs et des bois, des mœurs infâmes et le caractère le plus grossier et le plus brutal. Imagination qui n’est rien moins que riante, qui souilloit pour eux toutes les idées champêtres, et qui n’offroit rien d’agréable aux poëtes.

Les Dryades et les Hamadryades étoient les nymphes des forêts ; les Oréades, nymphes des montagnes ; les Orestiades, des cavernes ; les Napées présidoient aux prairies et aux bocages ; les Lymniades, aux lacs et aux marais ; les Ephydriades ou Ephydrides, aux eaux ; les Potamides, aux fleuves et aux rivières ; les Crénées, aux fontaines ; les Epygies étoient les nymphes de la terre. Les Limoniades présidoient aux fleurs, etc. Palès étoit la déesse des bergers et des troupeaux. Faune ou Faunus, fils de Picus, fut honoré après sa mort comme un Dieu champêtre, que les Romains appeloient Fatuellus. Fauna ou Fatua, sa femme étoit honorée de même, on la regardoit comme la première des Déesses Fanes, Déesses de la classe des nymphes39. Il y avoit encore beaucoup d’autres Divinités subalternes, présidant aux champs et aux campagnes.

On trouvoit chez les Païens un nombre infini de bois sacrés : il n’y avoit presque point de temple qui ne fût accompagné d’un bois consacré à la Divinité qu’on y révéroit. Les anciens avoient en général une grande vénération pour les forêts. La plus fameuse étoit celle de Dodone, en Épire, près de la ville de ce nom. Les chênes en étoient consacrés à Jupiter. Il y avoit un temple élevé en l’honneur de ce Dieu, et un oracle le plus ancien et le plus fameux de tous les oracles de la Grèce. Les pigeons qui habitoient la forêt, passoient aussi pour avoir le don de prédire l’avenir. On croyoit encore que la fontaine Dodone avoit la propriété de rallumer les torches nouvellement éteintes. Au rapport d’ Hérodote, l’oracle de Dodone et celui de Jupiter Hammon, dans la Lybie ont la même origine et doivent tous les deux leur établissement aux Egyptiens. En voici l’origine suivant la Fable : Deux colombes s’étant envolées de Thèbes en Egypte, il y en eut une qui alla dans la Lybie, et l’autre ayant volé jusqu’à la forêt de Dodone dans la Chaonie, province de l’Epire, s’y arrêta, et comme elle avoit le don de la parole, elle apprit aux habitans du pays que l’intention de Jupiter étoit qu’il y eût un oracle en ce lieu. On ajoute que Jupiter avoit donné ces deux colombes à sa fille Thébé. Les oracles se rendoient par le son de bassins ou de chênes résonnans, interprétés par les Dodonides qui étoient les prêtresses du temple. Une vieille femme, nommée Pélias, étoit ordinairement chargée de ce soin.

Ces superstitions sur les forêts et sur les arbres se sont perpétuées long-temps après la chute du paganisme. Les Druïdes étoient les ministres du culte idolâtre chez les Gaulois. Leur nom est pris d’un mot grec qui signifie chêne, parce qu’ils demeuroient et faisoient leurs sacrifices dans les forêts. Il y avoit différens ordres parmi eux : les deux principales classes étoient celles des Sarronides, qui se consacroient à l’éducation de la jeunesse et des Bardes qui étoient leurs poëtes ; on les appeloit encore Scaldes, Vacies, Eubages, etc. Les Druïdes avoient une vénération particulière pour les chênes ; ils alloient au commencement de leur année dans une forêt ou ils élevoient un autel de gazon au pied du plus beau chêne ; ils gravoient sur le tronc de l’arbre les noms des Dieux qu’ils croyoient les plus puissans. Ensuite un Druïde, vêtu d’une tunique blanche, montoit sur le chêne, y coupoit le gui avec une serpe d’or ; les autres Druïdes le recevoient dans un voile blanc, et enfin l’on faisoit tremper ce gui dans une eau qu’on distribuoit au peuple comme un préservatif contre les enchantemens et les maladies. Il y avoit aussi des Druïdesses : elles gardoient une perpétuelle virginité, elles rendoient des oracles et on leur attribuoit le pouvoir de calmer ou d’exciter les tempêtes. La plus fameuse des Druïdesses fut Velleda, espèce de sibylle qui vivoit chez les Germains, du temps de Vespasien. Séparée des hommes et de toute société, elle habitoit une tour isolée au milieu d’une vaste forêt. Là, du haut de cette tour, elle rendoit ses oracles aux peuples rassemblés à certaines époques pour l’écouter et pour la consulter. Elle exerçoit ainsi au loin une puissance supérieure à celle des rois. Les plus illustres guerriers n’entreprenoient rien sans son aveu, et lui consacroient une partie du butin fait sur l’ennemi. Après sa mort elle fut révérée comme une divinité, et les Germains donnèrent son nom aux prophétesses. A gui l’an neuf étoit le cri ou refrein des Druïdes, lorsqu’ayant cueilli le gui le premier jour de l’an, ils alloient le porter en pompe dans les villes et dans les campagnes voisines de leurs forêts40. A gui l‘an neuf fut aussi depuis une quête que l’on faisoit jadis dans quelques diocèses, le premier jour de l’an, pour les cierges de l’église ; elle se faisoit par des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe ; il s’y introduisit des abus qui la firent abolir. On donnoit encore le nom de bachelette à cette réjouissance, peut-être à cause des jeunes filles qui quêtoient. Il paroît naturel que le culte rendu aux divinités champêtres ait subsisté long-temps après l’abolition du culte des grands Dieux. On pouvoit en peu de temps détruire les autels et les temples des vides, une religion sans morale est bientôt oubliée quand on a renversé ses idoles, c’est-à-dire, les signes extérieurs qui la rappellent ; mais la simplicité et la pauvreté mettent à l’abri des révolutions de tout genre. Les gens de la campagne devoient conserver plus long-temps leurs erreurs, eux qui n’élevoient que des autels de gazon, qui n’avoient pour temple que des bocages ou des forêts, qui révéroient des arbres, des lacs, des fontaines, et qui adoroient le soleil et la lune, non dans les superbes cités de Delphes et d’Ephèse, mais dans les vallées et sur les montagnes. Voilà pourquoi Jupiter, le maître des Dieux, et les autres Divinités du premier ordre41 tombèrent promptement dans le plus profond oubli, tandis que les rites du culte des Divinités subalternes, des bois et de la campagne, se sont perpétués jusqu’à nos jours. On retrouve encore dans la Grèce, à certaines époques de l’année, au printemps, dans le temps des moissons et des vendanges, quelques traces des cérémonies et des usages qui s’observoient parmi les Païens aux fêtes de Cérès, de Flore et de Bacchus.

Dryas, Callianasse et Callianire. §

Dryas, Déesse de la Pudeur, fille de Faune, aimoit l’ombre et la solitude, elle avoit fixé sa demeure dans le fond des forêts, loin des cours et des cités. Idée très-jolie pour nous, mais très-fausse dans le systême mythologique. La Pudeur ne pouvoit pas choisir un plus dangereux séjour, puisque les bois et les forêts étoient habités par les Sylvains, les Faunes et les Satyres, divinités odieuses que la Pudeur surtout devoit redouter et fuir.

Les Romains firent de la Pudicité une Déesse, qui avoit à Rome des temples et des autels. On distingua la Pudicité en patricienne ou qui regardoit l’ordre sénatorial, et en plébéienne, réservée pour le peuple. Cette dernière avoit son temple dans la rue de Rome, qu’on appeloit la Longue, tandis que celui de la Pudicité patricienne étoit au marché aux bœufs. Tite-Live rapporte ainsi l’histoire de cette distinction : Virginia, de famille patricienne, épousa un homme du peuple, nommé Volumnius. Les matrones patriciennes la chassèrent du temple de la Pudicité, quoique sa conduite fût irréprochable, mais uniquement parce qu’elle s’étoit mésalliée. Virginia bâtit elle-même, dans la rue Longue, un temple à la Pudicité, qu’elle appela plébéienne, où les femmes qui n’étoient point de l’ordre sénatorial alloient en foule rendre leurs vœux. La Pudicité étoit représentée sur les médailles par une femme assise qui porte la main droite et le doigt index vers son visage, pour montrer que les yeux, le front et le visage doivent offrir l’expression de la pudeur et de la modestie.

L’origine du voile est reportée par les Grecs, à la Modestie et à la Pudeur, qui sont également timides. L’usage d’avoir la tête couverte ou découverte dans les temples n’a point été le même chez les différens peuples du monde. Les anciens Romains rendoient leur culte aux Dieux la tête couverte. Selon l’ancienne coutume, dans les sacrifices et autres cérémonies sacrées, celui qui sacrifioit immoloit la victime, la tête voilée. Cependant ceux qui sacrifioient à l’Honneur et à Saturne, comme à l’ami de la vérité, avoient la tête découverte. Dans les prières qu’on faisoit devant le grand autel d’Hercule, l’usage étoit d’y paroître la tête découverte ; soit à l’imitation de la statue d’Hercule, soit parce que cet autel et le culte d’Hercule existoient avant le temps d’Énée, qui, le premier, introduisit la coutume de faire le service divin avec un voile sur la tête. Le voile fait encore, comme autrefois, une partie essentielle de l’habillement des Grecques, et distingue les conditions. Celui de la maîtresse et de la servante, de la femme libre et de l’esclave est différent. Aujourd’hui le voile des dames grecques est de mousseline tissu d’or aux extrémités. Les Arméniennes portent un voile rouge ou jaune.

Diodore de Sicile raconte que Minerve, Diane et Proserpine ayant résolu d’un commun accord de garder leur virginité, furent s’établir dans les prairies de la Sicile, que là, elles travaillèrent de leurs mains, un voile de fleurs dont elles firent présent à Jupiter, etc. Lorsqu’Hercule eut quitté la guerre pour s’occuper de l’institution des jeux, des fêtes, etc. tous les Dieux, pour honorer sa vertu, lui firent différens présens ; Minerve lui donna un voile ; Vulcain une massue et une cuirasse ; Neptune, un cheval ; Apollon, un arc ; Mercure, une épée, etc.

Voici les principaux personnages de la Fable, distingués par leur chasteté et leur modestie ;

Pénélope, épouse d’Ulysse ; plusieurs nymphes et quelques femmes vertueuses dont on a déjà parlé. Canente, fille de Janus et de Vénilia, elle prit son nom de la beauté de sa voix. Elle épousa Picus, fils de Saturne et roi d’Italie. Elle fut inconsolable de sa mort, sa douleur la consuma sur les bords du Tibre, son corps s’évapora dans les airs, il ne resta d’elle que la voix. Son nom fut donné au lieu où elle avoit cessé d’être, elle fut mise, avec son mari, au nombre des Dieux indigètes.

Bolina, nymphe qui se jeta dans la mer pour éviter les poursuites d’Apollon. Ce Dieu, touché de sa vertu, lui rendit la vie et lui donna l’immortalité.

Ea, nymphe qui, en fuyant le fleuve Phasis, implora les Dieux qui la changèrent en île. Aréthuse, en fuyant le fleuve Alphée, fut changée en fontaine, et ne put même, sous cette forme, éviter ce fleuve persécuteur qui mêla son onde avec la sienne.

Panope, l’une des Néréides, se rendit recommandable par sa sagesse et par l’intégrité de ses moeurs. C’étoit une des divinités qu’on nommoit littorales (Divinités de la mer). Il y eut une autre Panope qu’Hercule épousa, et dont il eut un fils qu’il nomma aussi Panope.

Parmi les hommes, Hippolyte, fils de Thésée ; Phrixus, fils d’Athamas ; Phénix, fils d’Amintor et gouverneur d’Achille, tous les trois faussement accusés par leurs belles-mères, furent des princes chastes et vertueux. Phase, qui résista à l’amour de Thétis, fut changé en fleuve. Elien nous a conservé les noms de quelques hommes célèbres par leur chasteté : le joueur de lyre, Amébée ; Diogène, l’auteur tragique ; le fameux athlète Clitomaque ; un autre athlète nommé Eubatas, qui résista à toutes les séductions de Laïs, la plus belle courtisane de la Grèce, éperdument amoureuse de lui. La mémoire de sa fidélité fut immortalisée par sa femme, qui lui fit ériger, à Cyrène, une statue de grandeur héroïque.

Dans l’antiquité l’émeraude étoit un symbole de virginité. Par cette raison on consacra cette pierre à Vénus Uranie.

Callianasse et Callianire étoient des nymphes qui présidoient à la décence des mœurs. Toutes ces Divinités n’avoient point d’attributs, ceux de cet Arabesque ne sont que des ornemens.

Borée. §

Dieu des Vents du Nord, fils d’Astréus et d’Héribée. Il enleva Orythie, fille d’Erecthée, roi d’Athènes, et la nymphe Pythis ; pour se venger de la préférence qu’elle donnoit au Dieu Pan, il la précipita contre des rochers ; la Terre touchée de compassion, métamorphosa cette malheureuse nymphe en pin.

Borée, métamorphosé en cheval, donna naissance à douze poulains d’une telle vitesse qu’ils couroient sur des épis sans les rompre, et sur la mer sans enfoncer.

Eole, fils de Jupiter et de Mélanipe, est le Dieu des Vents du Midi ; il régnoit sur les îles Vulcaines, appelées depuis Eolides. Sa résidence étoit à Lipara, une de ces îles.

Aquilon, Vent impétueux du Nord, étoit fils d’Eole et de l’Aurore.

On n’a pu exprimer dans cet Arabesque l’action des Vents, que par des branches d’arbres brisées et poussées du même côté.

Plutus. §

Dieu des richesses, fils de Cérès et de Jasion. On le dit aveugle comme la Fortune, pour exprimer la mauvaise distribution qu’il fait quelquefois de ses dons. Il avoit des temples en plusieurs villes de la Grèce.

Pœnie ou Pénie. §

Déesse de la pauvreté. Platon raconte que Plutus s’unit à elle et en eut Cupidon. On prétend que cette Fable signifie que l’Amour rapproche les extrêmes.

Momus. §

Momus, fils du Sommeil et de la Nuit. Dieu de la raillerie et des bons mots. On le représente avec une Marotte. Mais comme la Marotte ne caractérise que la Folie, on a imaginé, pour désigner la raillerie maligne, de représenter dans cet Arabesque un aiguillon à moitié caché sous des fleurs.

Comus. §

Dieu des festins. Son nom venoit d’un mot grec qui signifie manger. La Fable ne lui donne point d’attributs ; mais comme les anciens se couronnoient de roses dans les festins, on a mis à cet Arabesque des couronnes de cette fleur.

La Déesse de la gourmandise s’appeloit Adéphagie.

Morphée. §

Fils du Sommeil et de la Nuit, le premier des Songes, et, selon quelques-uns, le Dieu même du Sommeil. Le pavot lui étoit consacré.

Brizo, Déesse honorée à Délos, présidoit aux Songes ; c’étoit elle qui les envoyoit comme des oracles. Les Déliennes lui offroient de petites barques pleines de toutes sortes de présens, surtout des provisions de bouche, à l’exception des poissons, pour obtenir d’heureuses navigations. Son nom vient de brizein, dormir.

Esculape, Panacée, Télesphore ou Évémérion et Hygée ou Hygiée. §

Esculape, Dieu de la Médecine, étoit fils d’Apollon et de Coronis. Ayant appris l’infidélité de Coronis, Apollon tua cette nymphe et tira de son sein Esculape dont elle étoit enceinte : il confia cet enfant au Centaure Chiron qui lui apprit la médecine. Esculape acquit bientôt une grande réputation, et après sa mort on lui rendit des honneurs divins. On dit que Jupiter le foudroya à la prière de Pluton, qui se plaignoit qu’Esculape diminuoit sa puissance en diminuant le nombre des morts. II étoit surtout adoré à Epidaure, où l’on dit qu’il se rendit sous la forme d’un serpent. Le serpent étoit consacré à Esculape. Panacée, fille d’Esculape, présidoit à la guérison de toutes sortes de maladies. Hygiée, fille aussi d’Esculape, étoit la Déesse de la santé, et Télesphore ou Evémérion, le Dieu de la convalescence42.

Epidaure fut une ville fameuse du Péloponèse, célèbre par son temple d’Esculape et par les cruautés du géant Périphète, qui assassinoit les passans et se nourrissoit de chair humaine ; Thésée le tua et dispersa ses os dans les campagnes d’Epidaure. Les offrandes que l’on faisoit à Esculape consistoient en une table d’airain ou de marbre, sur laquelle on gravoit les détails de la maladie qu’on avoit eue et des remèdes employés pour la guérir. On appendoit dans les temples ces sortes de tables votives qui étoient très-instructives pour apprendre l’art de guérir les diverses maladies. On croit qu’ Hippocrate en tira parti pour former les principales règles de la médecine. Les Asclépiades, descendans d’Esculape, furent les premiers médecins qui visitèrent les malades retenus au lit, et qui examinèrent les symptômes et la marche des maladies ; ce qui leur fit donner ainsi qu’à leurs disciples, le nom de cliniques, pour les distinguer des empiriques, qui n’exerçoient la médecine que dans les places publiques. Clinique est un mot grec, qui signifie lit. Les médecins et les botanistes les plus célèbres de la Fable furent :

Japis, fils de Jasus, le plus intéressant de tous, mérita la protection d’Apollon par ses vertus et son goût pour la musique. Le Dieu lui offrit de le faire exceller dans cet art ou dans tout autre à son choix. Japis demanda que ce fût dans l’art de la médecine, parce que son père, depuis long-temps, étoit malade.

Le Centaure Chiron connoissoit les propriétés de toutes les plantes, il enseigna cet art à Esculape, à Achille, à Hercule, etc.

La belle Agamède, fille d’Augé, dont parle Homère, livre II de l’Iliade, qui connoissoit toutes les plantes que la terre produit et leurs différens usages.

Acèse, fille d’Esculape, avoit une profonde connoissance de la médecine.

Angitia, sœur de Médée, habitoit, près du lac Fucin, un bois qui portoit son nom ; elle employoit sa science à guérir les malades.

Œnone, fille du fleuve Cebrène qui couloit en Phrygie au pied du mont Ida, étoit une bergère d’une grande beauté. Apollon qui l’aima, lui donna le don de prophétie, et la connoissance de toutes les plantes et de leurs propriétés. Le beau Pâris, réduit à la condition de berger, vit Œnone sur le mont Ida, obtint sa tendresse, l’épousa et en eut un fils nommé Corythus. Entraîné depuis par la funeste faveur de Vénus, l’infidèle Pâris enleva Hélène et combattit au siége de Troie. Lorsqu’il fut blessé, il se ressouvint d’Œnone, il osa compter encore sur le cœur et sur les secours de celle qu’il avoit abandonnée. Il se fit porter près d’Œnone sur le mont Ida. La malheureuse bergère ne vit que son danger ; mais elle employa vainement tout son art pour le guérir. La flèche qui l’avoit blessé étoit une des flèches empoisonnées d’Hercule. Paris expira dans les bras d’Œnone qui mourut du regret de sa perte.

Podalire et Machaon, enfans d’Esculape, furent d’habiles médecins. Podalire, dit-on, inventa la saignée. En revenant de Troie, jeté par la tempête sur les côtes de Carie, il guérit Syrna, fille du roi Damathus, tombée du haut d’une tour, en la saignant des deux bras : elle l’épousa en reconnoissance. Ce fut Podalire qui eut la gloire de guérir la blessure de Philoctète. Machaon, frère de Podalire, conduisit, avec son frère, trente vaisseaux contre Troie. Il retira la flèche dont Ménélas avoit été blessé par Pandarus, il fut blessé lui-même par Paris ; alors Nestor le fit monter sur son char et le conduisit dans sa tente, Machaon voulut ensuite venger la mort de Nirée et fut tué par Eurypyle, fils de Télèphe. Il reçut les honneurs héroïques dans la Messénie, où son culte fut introduit par Gloncus.

Mélampe, fils d’Amithaon et de Dorippe, fut charlatan sous deux formes, car il fut devin et médecin ; il guérit les filles de Prœtus de leur fureur. On lui attribue l’invention de purger par les médecines.

Strénua. §

Déesse du travail. Elle agissoit et faisoit agir avec vigueur. Elle avoit un temple à Rome. La Fable ne lui donne point d’attributs. Une ruche a paru être celui qui désigne le mieux l’activité et le travail.

Il ne faut pas confondre Strénua avec Strenia, déesse romaine, qui présidoit aux présens qu’on se faisoit le premier jour de l’année, et qu’on nommoit Stréna, étrennes.

 

Agénorie ou Agérona étoit la Déesse de l’industrie.  

Murcie. §

Déesse de la paresse. Son nom venoit de murcus, murcidus, stupide, lâche, paresseux. Elle avoit un temple à Rome. On couvroit ses statues de mousse pour marquer sa nonchalance. La tortue et le colimaçon lui étoient consacrés43.

Cura. §

Déesse de l’inquiétude. Cura (dit Hygin ), ayant vu de l’argile, s’avisa d’en faire l’homme, ensuite elle pria Jupiter d’animer son ouvrage, et l’obtint. Cela fait, il fut question de lui donner un nom : la Terre prétendoit que cet honneur lui appartenoit parce qu’elle avoit fourni la matière : Jupiter le lui disputoit comme l’auteur de ce qu’il y a de plus noble dans cette créature : Cura réclamoit aussi ce droit comme ayant fait l’ouvrage, Saturne jugea ce différend en faveur de la Terre, puisque l’homme a été fait de terre (ex humo) ; mais il ordonna que la Déesse de l’inquiétude posséderoit l’homme tant qu’il vivroit, qu’après sa mort son corps retourneroit à la Terre, et que son ame iroit se réunir à la divinité.

Il est étonnant que cette charmante allégorie ne soit pas plus connue. La Mythologie n’en offre point de plus ingénieuse.

La Fable ne donne point d’attributs à Cura. On a imaginé de la caractériser par des branches de sensitive, symbole de crainte et de sensibilité, une lampe allumée ; car l’inquiétude veille : et l’emblême de l’espérance, l’ancre de vaisseau, non brisée, mais ne tenant plus qu’à un fil.

Achlys. §

Déesse des ténèbres et de la tristesse. La Fable ne lui donne point d’attributs. Une ancre brisée prête à se détacher d’un lien rompu, une lampe éteinte, des urnes sépulcrales, des épines, des feuilles jaunies et desséchées, désignant la fin de l’automne, une tête de mort, des branches de cyprès, symbole du deuil, ont paru des attributs faits pour caractériser cette lugubre Divinité.

Britomarte. §

Fille de Jupiter, aima beaucoup la chasse et suivoit souvent Diane dans les forêts. Voulant éviter les poursuites de Minos, elle se jeta dans la mer et tomba dans des filets de pêcheurs ; Diane l’en retira. On l’honora en Crète, sous le nom de Dictinna, du mot grec dictyon (filet), parce qu’on lui attribue l’invention des filets qui servent à la chasse.

Abéone et Adéone. §

Divinités qui présidoient aux voyages, Abéone au départ et Adéone au retour. On plaçoit souvent leurs statues avec celle de la Liberté, pour marquer que le droit le plus naturel de la liberté consiste à partir et à revenir à son gré. Et c’est pourquoi on a mis dans cet Arabesque, sur un bâton de voyageur le bonnet de la Liberté.

Les Dieux Lares ou Pénates. §

C’étoient des Dieux qu’on regardoit comme les protecteurs des maisons. On plaçoit leurs images dans son foyer, on leur faisoit même des chapelles particulières que l’on appeloit Lararium. Ces Dieux étoient jumeaux et enfans de Mercure et de Lara. L’ail leur étoit consacré ; c’est peut-être de cette consécration qu’est venue l’idée que l’ail préserve du mauvais air. On couvroit de violettes les autels des Dieux Lares.

 

On n’a placé dans ces Arabesques que les divinités grecques et romaines, à l’exception d’Isis et d’Harpocrate, son fils, divinités égyptiennes ; mais une partie de l’histoire d’Isis appartient à la Mythologie grecque. Les autres divinités dont on n’a point parlé sont : Osiris qui épousa Isis et qui fut assassiné par son frère Typhon. Horus, fils d’Isis et d’Osiris, que l’on confond avec Harpocrate. Anubis, que les uns disent fils de Typhon, et les autres, frère d’Osiris. On le représente avec une tête de chien. Apis, roi d’Argos, fils de Jupiter et de Niobé, passa en Égypte sous le nom d’Osiris et épousa Isis. Par la suite les Egyptiens adorèrent un bœuf qu’ils appeloient Apis44. Sérapis, on le représente avec un boisseau sur la tête, pour marquer que la providence ne fait rien qu’avec mesure. Le Dieu Canope, divinité des Chaldéens et des Egyptiens, représenté sous la figure d’une masse informe, surmontée tantôt d’une tête de femme, tantôt d’une tête d’homme. Mithras, ancienne divinité des Perses, qui adoroient en elle le Soleil ou le feu.

Il y a dans la Mythologie grecque et romaine plusieurs divinités subalternes qu’il étoit impossible de représenter dans ces Arabesques, du moins avec quelque agrément, telles que Vibilie, Déesse des voyageurs égarés. Carna ou Cardea, qui présidoit aux serrures. Vagitanus, qui présidoit aux premiers cris des enfans. Alemona, qui les protégeoit dans le sein de leur mère. Déverra, Déesse du balayage. Robigo ou Rubigos qui préservoit les blés de la maladie nommée rouille, etc. Le Dieu Terme qui servoit de limites aux champs. On le représentoit sous la figure d’une tuille, d’une pierre carrée ou d’un pieu planté dans la terre.

FIN.