Madame de Genlis

1810

Arabesques mythologiques, ou les Attributs de toutes les divinités de la fable. Tome II

2017
Genlis, Stéphanie-Félicité Du Crest (1746-1830 ; comtesse de), Arabesques mythologiques, ou les Attributs de toutes les divinités de la fable ; en 78 planches gravées d’après les dessins coloriés de Madame de Genlis. Le texte contenant Histoire des faux Dieux, de leur culte, le détail des cérémonies religieuses, etc. précédé d’un discours sur la Mythologie en général et particulièrement sur l’influence que dut avoir le paganisme sur le caractère, les mœurs et la littérature des anciens Grecs et des Romains. Ouvrage fait pour servir à l’éducation de la Jeunesse. Par Madame de Genlis, tome II, Paris, Charles Barrois, 1810, 229 p. Source : InternetArchive.
Ont participé à cette édition électronique : Nejla Midassi (OCR, Stylage sémantique), Eric Thiébaud (Stylage sémantique) et Diego Pellizzari (Encodage TEI).

Avertissement. §

En rendant compte du premier volume de cet ouvrage, on a dit, dans quelques journaux, qu’il étoit étrange et bizarre de ne pas trouver riantes les fictions de la Mythologie ; cependant, j’appuie cette opinion par des raisonnemens que personne n’a réfuté et par des faits qu’on ne peut contester. L’histoire des Dieux que j’ai déjà donnée, est remplie de crimes, de monstres et de fables lugubres ; ce second volume qui contient l’histoire des demi-Dieux et des Héros n’offre que les plus tragiques récits, on n’y verra que des malheurs, des meurtres et des crimes épouvantables ; le troisième et dernier volume qui contiendra les métamorphoses ne présentera de même que d’horribles catastrophes et des forfaits atroces. J’avoue que j’ai toujours eu la bizarrerie de penser que c’est l’imagination la plus sombre et la plus noire, qui a pu produire un tel recueil de fables.

 

Un seul journal (toujours très-malveillant pour moi,) trouve aussi qu’il est très-étrange de mettre la Mythologie en Arabesques. Sans ironie et sans moquerie, comme sans fiel, je demanderai au censeur, si l’on peut trouver très-étrange l’idée de dessiner les attributs des Divinités de la Fable ? Mes Arabesques ne sont que ces attributs ; le mot Arabesque ne se rapporte qu’au genre de dessin, C’étoit le vrai mot pour ce genre, parce que ces petits dessins ne sont point des trophées, ce sont des Arabesques en miniature. Au reste, quand la malveillance la plus décidée (sans qu’on puisse deviner son motif) ne trouve à faire que de telles critiques, loin d’en être blessé on seroit bien tenté de la remercier.

L’Arabesque de la Reconnaissance n’est pas de moi, il est fait par *****.

Sémiramis. §

Cette Reine fameuse par sa beauté, son génie, ses exploits, sa magnificence et sa fin tragique, appartient moins à l’Histoire qu’à la Fable. On a surchargé de prodiges sa naissance, sa vie et sa mort. Sémiramis naquit à Ascalos, ville de Syrie, vers l’an du monde 2754. La Déesse Dercetis ou Derceto ou Atergatis lui donna le jour ; Dercetis, divinité monstrueuse et cruelle, étoit adorée sous une figure qui représentoit une femme jusqu’à la ceinture, et dont la partie inférieure se terminoit en queue de poisson. Vénus, qu’elle avoit offensée, lui inspira une violente passion pour un jeune homme. Elle devint mère de Sémiramis, et dans l’espoir de cacher sa honte et sa foiblesse, elle tua le jeune homme et elle exposa son enfant dans un désert, ensuite elle se jeta dans un lac ou elle fut métamorphosée en poisson. En mémoire de cette métamorphose les Syriens s’abstenoient de manger du poisson, ils consacroient dans le temple de Dercetis des poissons d’or et d’argent, et chaque jour ils lui en sacrifioient de vivans. Son temple étoit si riche que Crassus, marchant contre les Parthes, passa plusieurs jours à en piller les trésors. Cependant la malheureuse enfant de Dercetis, abandonnée dans un désert, y fut miraculeusement nourrie par des colombes, qui, soir et matin, lui apportoient dans leur bec du miel et des fruits, ce qui la fit appeler Sémiramis, nom syriaque de cet oiseau. Des bergers touchés de la beauté merveilleuse de Sémiramis, a recueillirent ; et celle qui devoit et monter sur un trône et remplir l’univers de sa renommée, fut élevée dans une humble chaumière.

Par la suite Ménonès, favori du Roi Ninus, vit Sémiramis, en devint amoureux, et l’épousa. Bientôt Ninus, épris d’une passion criminelle pour Sémiramis, se défit de son rival, et Sémiramis monta sur le Trône. Presque tous les historiens ont accusé cette Princesse d’avoir empoisonné Ninus. Elle régna seule sur les Assyriens, et avec une gloire éclatante ; elle fit construire Babylone, ville superbe dont tous les anciens se sont plu à conter des merveilles inouïes. On a vanté surtout l’élévation, l’étendue, la solidité de ses murailles, ses quais, son port sur l’Euphrate, ses canaux, le palais de la Reine, et ses jardins qui paroissoient toucher aux nuages et suspendus dans les airs. Mais ce qu’on admiroit le plus dans cette ville immense étoit le temple de Bel, dans le centre duquel s’élevoient huit tours bâties les unes sur les autres. Sémiramis, après avoir embelli Babylone, parcourut son empire. Elle laissa partout des traces de sa magnificence ; elle prolongea ce voyage par des conquêtes, en reculant les limites de ses vastes états. Elle fit aussi plusieurs exploits guerriers dans l’Éthiopie. On dit que dans ces courses triomphales, voulant gravir le mont escarpé appelé Bagiston, elle fit faire par ses soldats, une espèce d’escalier formé par le bagage enlevé aux peuples vaincus, et que marchant sur ces dépouilles elle parvint ainsi au sommet de la montagne.

Sémiramis avoit eu un fils de Ninus ; ce Prince, nommé Ninias, conspira contre sa mère, et suivant l’opinion la plus générale, se défit d’elle par un parricide. D’autres disent qu’il se contenta de la forcer d’abdiquer ; après sa mort les Assyriens l’honorèrent comme une divinité, et l’adorèrent sous la figure d’une colombe.

Persée. §

Acririus, roi d’Argos, ayant appris par l’oracle, qu’il périroit de la main de l’enfant que sa fille Danaë mettroit au monde, enferma Danaë dans une tour d’airain. Mais Jupiter, changé en pluie d’or, pénétra dans la tour, épousa Danaë et en eut un fils nomme Persée. Le barbare Acririus le fit jeter dans la mer, des pêcheurs le recueillirent et le portèrent à Polydecte, roi de l’île de Sériphe, l’une des Cyclades. Le roi le reçut avec humanité, prit soin de son éducation et par la suite l’adopta. D’autres disent qu’Acririus fit exposer ensemble sur la mer, dans une mauvaise barque, Danaë et son fils, et que l’un et l’autre trouvèrent un azile à la Cour de Polydecte.

Le Roi devint amoureux de Danaé qui résista toujours à une passion dont rien ne lassa la constance, car elle durcit encore, lorsque Persée, sorti de l’enfance, commençoit à montrer les qualités héroïques qui décéloient sa divine origine. Polydecte croyant qu’il lui nuisoit auprès de Danaë, ne songea plus qu’à l’éloigner par les moyens si fréquemment employés dans ce temps, par les mauvais pères et les Rois jaloux. Il le chargea d’entreprises extraordinaires, dans lesquelles le jeune héros devoit naturellement succomber ; il lui ordonna d’aller combattre les Gorgones, et de lui apporter la tête de Méduse, cette tête terrible qui changeoit en pierre tous ceux qui osoient la regarder. Mais Persée, aimé des Dieux, reçut pour cette expédition tous les secours surnaturels qui devoient en assurer le succès. Minerve lui donna son bouclier et son égide qui préservoit de tous les enchantemens funestes. Pluton posa sur sa tête son casque d’airain qui rendoit invisible, ouvrage admirable de Vulcain ; Mercure lui céda ses ailes et ses talonnières ; les Muses, amies des héros dont elles se plaisent à célébrer les exploits, lui prêtèrent le cheval Pégase ; Tous ces dons ne laissoient à Persée que la gloire de les avoir obtenus, car ils annulloient tous les dangers et toutes les difficultés de l’entreprise, En effet il vainquit sans peine les Gorgones et il coupa la tête de Méduse. Ce combat se passa sur le bord de la mer, quelques gouttes du sang de cette tête formidable tombèrent sur des branches d’arbustes, les rougirent et les pétrifièrent et telle est, suivant la Fable, l’origine du corail. Persée attacha au bouclier de Minerve la tête de Méduse, et la Déesse voulut qu’elle y resta toujours, comme un monument effrayant de ce grand exploit.

Persée ne borna pas là ses travaux : toujours monté sur Pégase, il se transporta dans la Mauritanie où régnoit le fameux Atlas. Ce Prince, averti par un Oracle de se tenir en garde contre un fils de Jupiter, refusa de rendre au héros les devoirs sacrés de l’hospitalité, aussitôt Persée lui présentant la tête de Méduse, le changea en cette montagne qui porte encore aujourd’hui son nom. Alors Persée enleva les pommes d’or du jardin des Hespérides. Ensuite il passa en Éthiopie. Là, régnoit Céphée, époux de l’orgueilleuse Cassiope, mère d’Andromède. Cette Reine imprudente autant que vaine, osa dire qu’elle et sa fille surpassoient en beauté Junon et les Néréides. Les Divinités ne pardonnoient jamais et surtout ce genre d’offense, celles-ci prièrent Neptune de les venger, et ce Dieu fit sortir du fond des gouffres de la mer un monstre épouvantable qui fit des ravages affreux. Céphée ayant consulté l’Oracle de Jupiter Ammon, apprit que ce fléau terrible ne cesseroit qu’en livrant au monstre sa fille Andromède. Dans ces désastres qui se renouveloient souvent, les Rois n’hésitoient jamais à sacrifier les personnes les plus chères. Céphée, et Cassiope qui seule étoit coupable, cédèrent sans résistance, ainsi que Phinée qui avoit dû épouser la Princesse. L’innocente et malheureuse Andromède fut conduite sur le bord de la mer, on l’attacha avec des chaînes sur un rocher, le monstre parut, il alloit s’élancer sur elle et la dévorer, lorsque Persée traversant les airs sur le cheval Pégase, vit cette belle Princesse prête à devenir la proie du monstre ; à l’instant même le héros, avec la vitesse de l’éclair, abbaisse son vol, et présentant au monstre la tête de Méduse devenue bienfaisante pour la première fois, il le change en rocher. Ensuite il se hâte de délivrer Andromède, il la conduit en triomphe au palais, la rend à ses parens, la demande pour épouse, l’obtient ; mais au milieu de la solemnité des noces, le lâche Phinée qui avoit abandonné la Princesse dans son infortune, vient avec une troupe de gens armés dans l’intention d’attaquer son rival. L’aventure du monstre pétrifié auroit dû lui faire connoître combien ce héros étoit redoutable, mais l’envie ne raisonne pas et rend aveugle. Persée changea en pierres Phinée et ses compagnons, et il obtint de Jupiter de placer Cassiope parmi les astres. Persée retourna en Grèce avec son épouse, il y retrouva Polydecte qui par son amour persécutoit toujours Danaë ; Persée lui porta la tête de la Gorgone qu’il lui avoit demandée, et Polydecte pétrifié fut ainsi puni d’avoir exposé les jours de ce jeune héros. Cependant Persée se rappelant ses premiers bienfaits rendit de grands honneurs à sa mémoire. Dans les jeux funèbres qu’on célébra pour ces funérailles, il eut le malheur d’accomplir l’oracle qui le condamnoit au parricide. Sans le vouloir il tua Acririus d’un coup de palet, il en eut tant de douleur qu’il abandonna Argos, et il alla bâtir une nouvelle ville dont il fit la capitale de ses états, et qui fut nommée Mycènes. Dans la suite Persée fut assassiné par Mégapenthe dont il avoit tué le père appelé Prætus. Après sa mort, les Dieux placèrent ce Héros dans le ciel parmi les constellations septentrionales avec Andromède, son épouse, Cassiope et Céphée. Les peuples de Mycènes et d’Argos lui rendirent les honneurs divins, ainsi que ceux de l’île de Sériphe ; il eut un temple à Athènes.

Icare ou Icarius, père d’Érigone. §

Cet Icare, père d’Érigone, étoit fils d’Œbalus. Bacchus reçut l’hospitalité chez lui, il en abusa, car sous la forme d’une grappe de raisin il séduisit Érigone, et il en eut un fils qui fut appelé Staphylus1. Bacchus laissa à Icare des outres remplies de vin, et il lui enseigna l’art de cultiver la vigne, Icare, suivant les ordres de Bacchus, chargea ses outres et ses ceps de vignes sur des voitures et alla dans l’Attique porter ces beaux et dangereux présens. Il offrit de son vin à plusieurs habitans qui tous s’enivrèrent, ceux qui les virent dans cet état ne doutèrent point qu’Icare ne les eut empoisonné, et ils assommèrent le malheureux Icare. On mit son corps dans une fosse au pied de quelques arbres. Sa chienne Méra, que sa fidélité a rendue célèbre, resta errante dans les champs, mais elle alloit chaque jour aboyer et gémir sur la tombe de son maître. Érigone qui n’avoit pas suivi son père, se mit en route pour l’aller rejoindre. Après l’avoir long-temps cherché en vain, elle rencontra la chienne Méra qui la conduisit sur le tombeau et qui, par ses hurlemens, lui fit connoître le triste sort d’Icare. Érigone désespérée se pendit aux arbres qui entouroient la tombe. Bacchus inspira aux Athéniennes une fureur qui les portoit à s’aller pendre aussi aux mêmes arbres. L’Oracle consulté répondit que l’on devoit venger la mort d’Icare et d’Érigone. On fit périr tous les meurtriers d’Icare, et l’on institua des fêtes appelées Jeux icariens qui consistoient à se balancer sur une corde attachée à deux arbres. Telle est d’origine de l’escarpolette. Érigone fut placée dans le Zodiaque où elle est la constellation de la Vierge ; Icare est Bootès ou le Bouvier et la chienne Méra la canicule.

Il y a eu deux autres Icares, l’un fut un riche Lacédémonien, père de Pénélope, et l’autre le malheureux fils de Dédale. Ce dernier, célèbre par ses talens, ses crimes et ses malheurs, étoit le plus ingénieux artiste de la Grèce. Il étoit sculpteur et mécanicien, il fit de belles statues, il inventa plusieurs instrumens utiles dans les arts, la cognée, le niveau, le compas, la tarière. Talus, son élève et son neveu, inventa la scie, Dédale en fut si jaloux qu’il le précipita du haut d’une tour. Minerve, protectrice des grands artistes, changea Talus en perdrix. Dédale fit le fameux labirinthe de Crète et Minos l’y renferma avec son fils Icare pour avoir favorisé les monstrueux amours de Pasiphaë. Dédale fabriqua pour lui et pour son fils des ailes, avec lesquelles l’un et l’autre s’envolèrent et s’échappèrent du labyrinthe, mais ces ailes étoient attachées avec de la cire ; l’imprudent Icare, malgré les avis de son père, s’éleva trop haut, le soleil fondit la cire, ses ailes se détachèrent, il tomba dans la mer à laquelle il a donné son nom. Dédale se réfugia en Sicile chez le roi Cocalus qui lui fit faire un grand nombre de beaux ouvrages. Quelque temps après Minos aborda en Sicile avec une flotte, il redemanda Dédale, et les filles de Cocalus, pour éviter à leur père le danger de le refuser ou la honte de le livrer, se chargèrent seules d’un crime également atroce et lâche, elles étouffèrent Dédale dans un bain.

Œdipe. §

L’histoire de cet infortuné Prince offre l’exemple le plus frappant de cette fatalité que les anciens croyoient inévitable ; dogme extravagant et funeste, qui rendoit inutile la vertu, ou qui du moins lui ravissoit toute sa sécurité, et qui ne laissoit pour les Dieux qu’une crainte vague, sinistre, et non ce respect et cet amour qui naissent de l’admiration, de la gratitude et de l’espérance ; car ces Dieux impuissans ou barbares sembloient se jouer des malheureux mortels, en leur commandant la vertu et en les précipitant dans le crime, puisqu’ils les privoient de l’innocence par des décrets irrévocables. Mais comme l’a si bien dit, l’un de nos plus ingénieux écrivains2 : qu’est-ce que des Dieux qui n’ont pas fait l’homme ?

Œdipe étoit fils de Layus3, roi de Thèbes, et de Jocaste, fille de Ménécée et sœur de Créon. L’Oracle ayant prédit à Layus qu’il périroit de la main de son fils, il fit exposer son enfant sur le mont Cithéron. On lui perça les pieds et on le suspendit à un arbre. Des bergers, toujours libérateurs dans la Fable des enfans abandonnés, eurent pitié de celui-ci et le portèrent à la Reine Péribé, épouse de Polybe, Roi de Corinthe. Le Roi qui n’a voit point d’enfans, non-seulement l’adopta, mais le fit passer pour son véritable fils. Comme cet enfant, depuis son exposition sur le mont Cithéron, conserva de l’enflure aux pieds, on l’appela Œdipe, nom composé de deux mots grecs qui signifient pieds enflés. Œdipe entrant un jour dans le temple de Delphes, consulta l’Oracle qui lui répondit qu’il tueroit son père et qu’il épouseroit sa mère. Cet Oracle affreux décida Œdipe à se bannir de Corinthe. Il alla en Béotie, sur les frontières de ce pays, il rencontra, sans le connoître, Laïus dans un char, qui lui disputa le passage dans un chemin étroit,

Et des honneurs du pas le frivole avantage ;

La querelle s’échauffa, on combatit et le malheureux Œdipe cédant, sans le savoir, à sa noire destinée, devint parricide en tuant Laïus. Delà, Œdipe se rendit à Thèbes où il trouva la Cour et la ville dans la plus grande désolation. Le Sphinx proposant une énigme que personne ne pouvoit deviner, tuoit tous les jours un nombre prodigieux d habitans. Ce monstre, suivant la plus commune opinion, naquit d’Echidna et de Typhon père et mère de tous les monstres de la fable. Le Sphinx avoit la tête d’une jeune femme, le corps et les griffes d’un lion, et de grandes ailes. Séduisant comme les Syrènes par son esprit et par la beauté de son visage, sa barbarie surpassoit celle des furies et des gorgones. Ce monstre exerçoit ses ravages sur le mont Phicée, d’où s’élançant sur les passans, il les saisissoit, les retenoit avec une force irrésistible, leur proposoit des énigmes difficiles, et les mettoit en pièces lorsqu’ils avouoient qu’ils ne pouvoient les deviner. Voici l’énigme que le Sphinx proposoit ordinairement : « quel est l’animal qui a quatre pieds le matin, deux sur le midi et trois le soir ». Œdipe, bravant les artifices et la cruauté du monstre, alla le chercher et devina cette énigme qu’il expliqua ainsi. Cet animal est l’homme, qui dans son enfance rampe et se traîne à l’aide de ses mains ainsi que de ses pieds : qui dans la force de l’âge ne se sert que de ses deux jambes, et qui dans la vieillesse a besoin d’un bâton faisant l’office d’une troisième jambe pour le soutenir.

Le Sphinx, outré de rage de se voir deviné se cassa la tête contre un rocher. Quelques auteurs prétendent que Sphinx étoit une fille naturelle de Laïus, mais la première fable est plus généralement reçue. Les anciens plaçoient des sphinx devant leurs temples pour faire entendre que les choses divines sont enveloppées d’obscurités. Auguste portoit par une raison de ce genre un sphinx sur son cachet hyérogliphe qui signifioit, que les secrets de ceux qui gouvernent doivent être impénétrables.

Œdipe, libérateur de Thèbes, épousa Jocaste qui avoit promis sa main au vainqueur du Sphinx. Ainsi l’infortuné Œdipe étant devenu parricide et incestueux, l’oracle fut entièrement accompli. Plusieurs années après, une peste cruelle désola le royaume, l’oracle consulté de nouveau, répondit que le ciel ne s’appaiseroit que lorsque le meurtrier de Laïus seroit puni. Œdipe fit faire les plus exactes perquisitions. Après beaucoup de recherches, Œdipe parvint à dévoiler le mystère affreux de sa naissance et à connoître tous ses crimes involontaires. La malheureuse Jocaste désespérée, monta au haut du palais, passa un lacet autour de son cou et s’étrangla. Œdipe, renonçant à voir la clarté du jour, s’arracha les yeux. Il avoit eu de Jocaste deux filles, la pieuse Antigone et Ismène, et deux fils, Etéocle et Polynice ; ces deux princes ennemis l’un de l’autre dès le berceau furent à-la-fois mauvais frères et enfans dénaturés ; dépouillés de tous les sentimens de la nature, inaccessibles à la pitié et dévorés d’ambition ils chassèrent du palais leur infortuné père, mais Antigone lui restoit. Cette princesse se dévoua tout entière au pieux devoir de servir de guide à son père, elle abandonna tout pour lui, et elle dut le consoler. Œdipe s’arrêta près d’un bourg de l’Attique nommé Colonne, dans un bois consacré aux Euménides. Nul mortel ne devoit mettre le pied dans ce lieu redoutable ; quelques Athéniens y aperçurent de loin les malheureux fugitifs, on les força d’en sortir, Antigone obtint pour elle et pour son père la permission d’aller à Athènes où Thésée les reçut avec générosité. Œdipe, averti par un oracle qu’il devoit terminer sa déplorable existence à Colonne voulut y retourner. Il s’y rendit seul avec Thésée. Après avoir marché quelque temps, il entend un coup de tonnerre, il croit que c’est l’augure certain de sa fin prochaine, il embrasse Thésée, lui recommande la vertueuse Antigone, lui dit de s’arrêter et s’achemine en silence sans guide et dans les ténèbres vers sa tombe… Arrivé près d’un précipice il s’en détourne pour se rendre auprès d’une fontaine dont le murmure règle sa marche incertaine. Il s’assied sur un rocher, se purifie dans une onde pure, ensuite il jette un long manteau sur ses épaules, il se voile la tête et il appelle Thésée, pour lui recommander encore sa fille. Alors la terre tremble et s’entr’ouvre lentement pour recevoir Œdipe sans violence, en présence de Thésée ; Œdipe ne se précipite point dans un gouffre, il se laisse aller doucement, il s’enfonce par degrés dans la terre, il disparoît, la terre se referme, se raffermit, et le ciel redevient serein4.

Après la mort d’Œdipe, Etéocle et Polynice se disputèrent la possession de Thèbes. Etéocle défendit Thèbes contre les sept chefs commandés par son frère Polynice, Thèbes fut sauvée ; mais les deux frères se tuèrent. Le sénat accorda la sépulture à Etéocle qui avoit combattu pour la ville, et il défendit sous peine de la vie, de la donner à Polynice qui avoit pris les armes contre sa patrie. Antigone, toujours dévouée aux malheureux, brave tous les périls, et va chercher le corps de Polynice pour lui rendre les derniers devoirs. Le barbare Créon qui commande dans Thèbes depuis la mort d’Etéocle, fait arrêter et mettre à mort Antigone ; Hémon, fils unique de Créon, qui aimoit cette princesse, se tua sur son tombeau. Eschyle a fait une belle tragédie sur ce sujet. Dans cette pièce, Etéocle dit, qu’on ne doit jamais hésiter à s’armer pour détendre la patrie. « Sa tendre nourrice, cette terre qui, lorsqu’au sortir du berceau nous rampions sur son sol favorable, a supporté le poids de notre enfance, et nous a nourris pour l’habiter et la défendre un jour au besoin ». On trouve ces belles sentences dans l’Œdipe de Sophocle :

« Le temps justifie toujours l’innocence ».

« La prudence et ta modération sont les plus beaux présens que les Dieux puissent faire aux hommes ».

Amphiaras. §

Amphiaras étoit fils d’Apollon. Ériphyle sa femme enseigna à Polynice, pour un collier d’or, le lieu où il s’étoit caché pour ne point aller à la guerre de Thèbes où il devoit périr. Étant à table, avec les chefs de l’armée, un aigle fondit sur sa lance, l’enleva, puis la laissa tomber dans un endroit où elle se convertit en laurier. Le lendemain la terre s’ouvrit sous lui, et l’engloutit avec son char et ses chevaux.

Alcméon, fils d’Amphiaraüs, fut obsédé des furies et de l’ombre de sa mère Eriphyle qu’il avoit tuée, par l’ordre de son père, à cause de sa trahison. Alcméon, déchiré par les plus affreux remords, se retira à Psophis, dans l’Arcadie, pour y faire des expiations, afin d’être délivré des furies ; ce qu’il fit entre les mains de Phégée, dont il épousa la fille Arsinoé ou Alphésibée, et il lui donna le fatal collier qu’il avoit emporté avec lui. Ses premières expiations ayant été sans succès, il en alla faire d’autres chez Achéloüs, père de Callirhoé, qu’il épousa aussi au mépris de ses engagemens avec Arsinoé, à laquelle même il alla reprendre le collier qu’il avoit donné pour en faire présent à sa nouvelle femme. Téménus et Axion, frères d’Arsinoé, la première épouse, poursuivirent le parricide et parjure Alcméon, et le tuèrent : mais Callirhoé, en apprenant cet événement, conjura Jupiter, et obtint de lui que ses deux fils Acarnas et Amphoterus, qui étoient encore enfans, devinssent en un moment hommes faits, pour venger la mort de leur père, ce qu’ils firent en tuant, non-seulement Téménus et Axion, mais encore Phégée et Arsinoé, et ils consacrèrent le fatal collier à Apollon. Properce, un de ceux qui donnent le nom d’Alphésibée à la fille de Phégée, au lieu de celui d’Arsinoé, dit que ce fut elle-même qui tua ses frères pour venger sur eux l’assassinat de son mari tout infidèle qu’il étoit.

Voici l’histoire de ce fameux collier qui causa tant de crimes et de malheurs. Les noces d’Hermione ou Harmonie, fille de Vénus et de Mars, avec Cadmus, furent très-brillantes ; tous les dieux y assistèrent, et firent des présens aux nouveaux époux. Minerve ou la Sagesse donna à la jeune épouse un voile ou péplum, symbole de la pudeur ; Cérès offrit du bled ; Mercure une lyre, etc.5 ; Vénus qui vouloit faire un magnifique présent à sa fille, pria Vulcain de fabriquer un collier d’or, d’un travail précieux, mais Vulcain qui haïssoit dans Hermione la fille de Mars, fit de ce collier un talisman qui devoit être funeste à toutes celles qui le porteroient. Hermione, qui éprouva beaucoup de malheurs, en fit don à Sémélée, sa fille, qui périt dans les flammes : après Sémélée, le collier passa à l’infortunée Jocaste, mère de Polynice ; ce dernier en hérita, il le donna à Éryphile ; et ensuite, comme on l’a vu, après la mort d’Alcméon, l’on consacra le collier dans le temple de Delphes. Alors ce temple fut pillé par les Phocéens ; dans ce pillage une femme s’empara du collier, l’emporta chez elle, et s’en fit une parure : aussitôt son fils, saisi des furies, brûla sa mère avec sa maison. On rapporta le collier à Delphes, on le jeta dans une fontaine : depuis ce temps on ne put le toucher sans offenser le soleil qui, dès qu’on vouloit y porter la main, élevoit à l’instant des tempêtes terribles.

Thésée. §

Egée, fils de Pandion roi d’Athènes, épousa Ethra, fille du sage Pithée ; mais voulant tenir cette union secrète, lorsqu’Éthra mit au jour Thésée, il lui ordonna de lui cacher sa naissance. Obligé de se séparer d’Éthra, il mit sous une grande pierre une épée et une chaussure, en lui recommandant de mener là son fils lorsqu’il auroit acquis la force d’un homme, et s’il pouvoit lever la pierre, de le lui envoyer avec l’épée et la chaussure. On cacha long-temps l’origine de Thésée, et Pithée son aïeul répandit le bruit qu’il étoit fils de Neptune. Il fut élevé par Pithée, et il eut pour gouverneur un sage, nommé Connidas, à qui les Athéniens par la suite décernèrent des honneurs divins. A peine Thésée fut-il sorti de l’adolescence, qu’Éthra le conduisit auprès de la pierre mystérieuse sous laquelle étoient déposées les preuves de sa naissance : Thésée la souleva sans peine ; il s’empara de l’épée et des brodequins, et il partit pour aller chercher son père. Durant ce voyage, qui fut long, il fit beaucoup d’exploits mémorables ; il extermina plusieurs brigands, entre autres, Périphète qui assommoit les passans avec une énorme massue ; le géant Sciron qu’il précipita dans la mer, ainsi que Cercyon : il ôta la vie au tyran Procuste qui faisoit couper les jambes de tous ceux dont la grandeur excédoit celle de son lit ; il tua la laye de Crommyon, espèce de monstre qui causoit de grands ravages ; il descendit aux enfers avec son ami Pyrithoüs qui étoit amoureux de Proserpine. Enfin il arriva couvert de gloire à Athènes où il trouva tout en confusion par la révolte des Pallantides, et par les intrigues de Médée, qui, s’étant sauvée de Corinthe, avoit trouvé un asile auprès d’Egée, séduit par ses artifices et entièrement gouverné par elle. Cette femme souillée de tant de crimes, avertie de l’arrivée de Thésée, célèbre par ses exploits, mais dont on ignoroit encore la naissance, prévint Égée contre lui, et détermina ce foible Prince à l’empoisonner. Le poison fut préparé dans un grand festin, mais au moment où Thésée saisissoit la coupe fatale, Égée jeta les yeux sur son épée, aussitôt il renversa la coupe, questionna Thésée, le reconnut, et le déclara solennellement pour son successeur.

Égée avoit jadis dressé des embûches à Androgée, fils de Minos Roi de Crète, et de Pasiphaë, et fait assassiner ce jeune Prince. Ce crime alluma la guerre entre Egée et Minos, les Athéniens vaincus furent obligés pour avoir la paix d’envoyer en Crète tous les ans, sept jeunes garçons et autant de jeunes filles pour servir de pâture au Minotaure, monstre demi-homme et demi-taureau, né des amours exécrables de Pasiphaë et d’un Taureau. L’époux de cette infâme Princesse, le sage Minos, au lieu d’exterminer ce monstre féroce qui ne se nourrissoit que de chair humaine, se plut à perpétuer sa honte et les cruautés du monstre, l’enferma dans le labyrinthe construit par Dédale, et prit soin de lui envoyer régulièrement d’innocentes victimes pour sa nourriture. Les Athéniens avoient déjà payé trois fois cet horrible tribut lorsque Thésée fut reconnu par son père. Thésée résolu d’affranchir sa patrie, suivi des jeunes gens désignés pour être envoyés en Crète, alla dans le temple Delphinien offrir pour eux à Apollon la branche des supplians, qui étoit un rameau de l’olivier sacré environné de laine blanche. L’Oracle lui dit de se laisser guider par Vénus ; en sortant du temple il se rendit sur le bord de la mer et là, il immola à sa Déesse protectrice une chèvre qui tout-à-coup fut métamorphosée en bouc. Thésée alors donna à Vénus le surnom peu élégant d’Epitragia, qui signifie Déesse du bouc.

Thésée ensuite s’embarqua, arriva en Crète, entra dans le labyrinthe, attaqua le monstre, le tua, et sortit du labyrinthe au moyen d’un peloton de fil qu’il avoit reçu d’Ariane, fille de Minos, devenue passionnément amoureuse de lui. Thésée enleva Ariane qu’il abandonna dans l’île de Naxos, et il épousa Phèdre, sœur de cette Princesse. Les anciens, dans la Fable et dans leurs ouvrages d’imagination, ont toujours représenté les femmes passionnées avec un caractère odieux, ou trahies par leurs amans, Ariane, Phèdre, Médée, Hermione, Cometho, Circé, Calypso, Didon, Scylla6, etc. Ils ont donné une touchante sensibilité aux héroïnes qu’ils ont voulu rendre intéressantes, Pénélope, Andromaque, Iphigénie, Antigone, etc. ; mais ils se sont bien gardés de leur donner cette impétuosité de sentiment et ce langage passionné qui déparent et qui dégradent les femmes. Le bon goût (toujours d’accord avec la morale) leur a fait sentir qu’une femme perd tous ses charmes, lorsqu’elle renonce à la douceur et à la modestie, qu’enfin l’énergie n’est pour elle que de l’emportement, puisque la pudeur doit contraindre en elle l’expression même de l’amour le plus légitime.

Égée, lorsque son fils partit pour la Crète, lui fit promettre, s’il revenoit victorieux, de mettre une voile blanche à son vaisseau, Thésée oublia cette convention, il laissa la voile noire à son navire. Égée l’attendoit tous les matins sur le bord de la mer, un jour il aperçut la fatale voile, il crut que son fils avoit perdu la vie, et s’élançant du haut d’un rocher il se précipita dans les flots.

Thésée, en mémoire de son heureuse expédition en Crète, inventa une danse dans laquelle on imitoit les tours et les détours du labyrinthe, on la nomma la Grue. Thésée avec les jeunes gens qu’il avoit sauvé, la dansa pour la première fois autour de l’autel appelé Cératon, parce que cet autel étoit formé de cornes d’animaux, sans autres matériaux, Thésée avoit un goût particulier pour la danse. Ce fut en voyant Hélène danser dans le temple de Diane la danse de l’innocence, qu’il devint amoureux d’elle ; quoiqu’elle n’eût que dix ans, il l’enleva, mais on le força de la rendre. Ce héros si fameux eut des mœurs infâmes. Il enleva à Trézène la Nymphe Anaxo, il séduisit Péribée, Phérébé, et Ioppé. Après avoir tué Sinnis et Cercyon il fit d’horribles violences à leurs filles et les déshonora. Pour avoir enlevé la fille d’Aidonée, Roi des Molosses, il fut long-temps retenu en prison chez ce Prince. Comme Pluton étoit aussi surnommé Adès ou Aidonnée, de là vint la fable de la descente de Thésée et de Pyrithoüs aux enfers.

Thésée avoit eu de son premier mariage avec Antiope, Reine des Amazones, un fils nommé Hypolite, pour lequel Phèdre conçut une passion criminelle dont ce jeune Prince eut horreur. Phèdre désespérée, l’accusa du crime dont elle étoit coupable, Thésée donna sa malédiction à ce fils innocent ; il demanda à Neptune de le venger ; les Dieux cruels du paganisme ne refusoient jamais la vengeance, équitable ou non ; les souhaits barbares de Thésée furent exaucés, Neptune suscita un monstre marin qui mit en pièces le malheureux et chaste Hypolite. Diane le ressuscita sous le nom de Virbius, et lui fit épouser la Nymphe Aricie. Phèdre s’empoisonna ; les sujets de Thésée se révoltèrent, il se réfugia chez Lycomède, Roi de l’île de Scyros, qui, gagné par ses ennemis, le précipita, en trahison, du haut d’un rocher dans la mer.

Voici la succession des Rois fabuleux d’Athènes, et la généalogie de Thésée :

Cécrops vint d’Égypte dans la Grèce sous le règne de Triopas, septième Roi d’Argos. Il fonda le royaume d’Athènes, il y établit les lois de son pays et le culte de ses dieux. Il laissa trois filles, Aglaure, Hersé et Pandrose. Après la mort de Cécrops, Cranaüs monta sur le trône, ensuite Erichthonius devint Roi d’Athènes. Son fils Pandion lui succéda ; il fut père de deux filles infortunées, Philomèle et Progné7. Érechtée, fils de Pandion, régna après son père, ensuite Pandion II, père d’Égée et aïeul de Thésée. Toute cette famille royale fut très-malheureuse ainsi que toutes celles des personnages célèbres de la Fable.

Hercule. §

Hercule fut d’abord appelé Alcide, par la suite la Pythie de Delphes lui donna le nom d’Hercule ou d’Héraclès d’où ses descendans furent nommés Héraclides. Selon d’autres, ce surnom qui signifie gloire de Junon lui fut donné pour avoir été le libérateur de cette Déesse en exterminant les deux géans Anonymus et Péripnoüs qui vouloient lui faire violence. Hercule eut pour mère la belle Alcmène fille d’Electrion8. Alcmène épousa Amphitrion auquel elle étoit unie de très-près par le sang. Amphitrion étoit fils d’Alcée et d’Hipponome, et petit fils de Persée. Il promit à Electrion de venger la mort de ses fils. Il acheta de Polyanus les bœufs que les fils de Ptérélas avoient enlevés à Electrion et les ramena à Mycène : l’un de ces bœufs s’échapa, Amphitrion lui jeta sa massue qui atteignit Electrion et le tua. Il se bannit d’Argos pour ce meurtre involontaire, et se retira avec Alcmène à Thèbes où il fut expié par Créon. Alcmène, le pressant de venger la mort de ses frères, il demanda des secours à Créon qui lui en accorda sous la condition qu’il délivreroit la contrée d’un renard qui la dévastoit ; ce renard étoit d’une grandeur prodigieuse, Les Thébaiens ne pouvoient l’appaiser qu’en lui livrant tous les mois un enfant qu’il dévoroit. Amphitrion, pour le combattre, emprunta de son ami Céphale, un chien appelé Lelax auquel nul animal ne pouvoit échapper, et un dard, qui alloit toujours droit au but. Amphitrion lâcha le chien merveilleux contre le renard, et aussitôt ces deux animaux furent pétrifiés. Alors, Amphitrion pour venger les frères d’Alcmène fit la guerre aux Thélébéens qu’il défit par le moyen de la perfide Cométho fille de Ptérélas leur roi. Cette fille dénaturée, passionément éprise d’Amphitryon, coupa à Ptérélas un cheveu d’or d’où dépendoit les destinées de ce prince9. Amphitrion ayant envahi les états de Ptérélas, fit périr l’infâme Cométho, elle méritoit sans doute un tel sort, mais celui qui l’avoit entraînée dans le crime et qui profitoit de sa trahison, n’avoit pas le droit de la punir de mort.

Ce fut pendant cette guerre que Jupiter, amoureux d’Alcmène, trompa cette princesse en prenant les traits d’Amphitryon. Alcmène mit au monde deux jumeaux, Hercule fils de Jupiter, et Iphiclès fils d’Amphitryon. Cet Iphiclès ou Iphiclus suivit Hercule dans ses expéditions et fut tué dans la guerre contre Augias ; il laissa un fils nommé Iolas, qui devint par la suite le plus fidèle compagnon d’Hercule. Il y eut un autre Iphiclus vaincu par Nestor.

Jupiter s’occupant de l’élévation d’Hercule, avant même qu’il eût reçu la vie, déclara dans rassemblée des Dieux, lorsque Alcmène fut au moment d’accoucher, que l’enfant de la race de Persée qui naîtroit dans ce jour, auroit une autorité souveraine sur tous les descendans de ce héros. Nicippe ou Nisippe, fille de Pélops, épouse de Sthénélus fils de Persée étoit grosse aussi ; Junon, par divers artifices, retarda l’accouchement d’Alcmène ; Nicippe accoucha avant elle, et donna le jour à Eurysthée, auquel Hercule se trouva assujéti. Junon qui depuis se réconcilia avec Hercule, fut son ennemie durant toute son enfance et sa première jeunesse. Elle envoya peu de jours après sa naissance deux serpens monstrueux qui montèrent sur son berceau, Hercule les saisit et les étouffa.

Hercule étant devenu grand, se trouva dans une incertitude pénible sur le genre de vie qu’il devoit mener. Il se retira dans un désert pour y réfléchir, alors lui apparurent deux femmes, dont l’une avoit une beauté à la fois douce, modeste et majestueuse (c’étoit la Vertu) l’autre, avec une contenance hardie ne devoit ses charmes qu’à l’éclat et à l’artifice de sa parure (c’étoit la Mollesse ou la Volupté) ; l’une et l’autre tâchèrent par des promesses de gagner Hercule, mais la Vertu qui lui promit la gloire, l’emporta, il la suivit en s’arrachant pour jamais des bras de la Molesse. Cette allégorie forme le sujet de beaucoup de tableaux représentant Hercule entre le vice et la vertu. Hercule eut pour instituteur le Centaure Chiron. Le célèbre Linus lui apprit à jouer de la lyre, mais un jour l’écolier impatienté, jeta l’instrument à la tête du maître et le tua.

Eurysthée prescrivit à Hercule des entreprises extraordinaires et périlleuses qu’on appelle les douze travaux d’Hercule dont voici le détail : le premier fut le combat contre le Lion de la forêt de Némée ; le second contre l’Hydre de Lerne, le lac de Lerne se trouvoit dans le territoire d’Argos, l’Hydre à sept têtes ou même à neuf et à cinquante suivant quelques auteurs se tenoit sur les bords de ce lac, quand on coupoit une de ces têtes elle renaissoit aussitôt à moins qu’on n’appliquât le feu à la plaie. Ce monstre faisoit des ravages effroyables, Hercule, avec l’aide d’Iolas le combattit, Iolas bruloit les têtes à mesure qu’Hercule les coupoit. Junon témoin invisible du combat, voyant Hercule au moment de triompher, envoya au secours de l’Hydre un Cancre marin, qui piqua au pied le héros, mais Hercule l’écrasa, et Junon plaça ce Cancre parmi les astres ou il forme le signe de l’Ecrévisse. Hercule ensuite tua l’Hydre. Le troisième exploit d’Hercule fut la chasse du Sanglier formidable d’Erimanthe. La mère de cet animal étoit Phæa ou la Truie de Crommyon mère aussi du Sanglier de Calydon. Lorsqu’Hercule porta à Euristhée ce Sanglier mort qu’il avoit mis sur ses épaules, Euristhée eut une telle peur, qu’il s’enfuit pour aller se cacher. Ainsi Hercule avoit un double mérite en obéissant avec tant d’exactitude à un Roi si exigeant et si poltron. Mais c’étoit obéir aux Dieux qui lui ordonnoient de se soumettre.

Hercule atteignit à la course la Biche aux pieds d’airain et aux cornes d’or, qu’il ne pouvoit percer du ses traits parce qu’elle étoit consacrée à Diane. Il la poursuivit sur le mont Ménale en Arcadie, montagne chérie des Dieux, séjour ordinaire du Dieu Pan, et sur laquelle Apollon alloit souvent chanter, en s’accompagnant de la lyre, la métamorphose de Daphné. Ce fut le quatrième exploit. Par le cinquième, Hercule délivra l’Arcadie des oiseaux monstrueux et destructeurs du lac Stymphale. Par le sixième, il dompta le Taureau de l’île de Crète, envoyé par Neptune contre Minos. Diomède, fils de Mars et de Cyrène, Roi des Bistoniens, peuple guerrier de la Thrace, étoit un abominable tyran, qu’il ne faut pas confondre avec Diomède fils de Tydée qui enleva le Palladium. Diomède fils de Mars nourrissoit ses chevaux de chair humaine. Hercule tua ce monstre, c’est le septième de ses travaux. Il dut l’accomplissement du huitième à sa victoire sur les Amazones, ensuite Hercule fit passer un fleuve dans les étables d’Augias Roi des Epéens, pour les nétoyer ; c’est le neuvième des travaux. Augias refusa au héros la récompense qu’il avoit promise, parce qu’il venoit d’apprendre que cette action lui avoit été prescrite. Hercule le détrôna et le tua. Hercule compléta les derniers travaux en exterminant le monstre Gérion, Roi d’Espagne, et géant qui avoit trois corps, trois têtes, six bras et six jambes. Après cette grande victoire, Hercule enleva les Pommes d’or du Jardin des Hespérides, et il retira Thésée des enfers. En outre Hercule ôta la vie au Tyran Busiris qui faisoit mourir les étrangers en les enfermant dans un taureau d’airain posé sur un brasier, Hercule fit subir au tyran cet horrible supplice. Il combattit le géant Antée fils de la terre, qu’il étouffa dans ses bras en le tenant en l’air, parce que toutes les fois qu’il touchoit la terre il en recevoit de nouvelles forces. Hercule extermina les Centaures, il délivra Prométhée attaché sur le mont Caucase. Il soulagea Atlas qui ployoit sous le poids du ciel dont ses épaules étoient chargées. Il sépara les deux montagnes appelées depuis les Colonnes d’Hercule. Il vainquit Erix à la lutte. Il délivra la terre d’une infinité de brigands entre autres d’Albion, du voleur Cacus, etc. L’une de ses plus belles actions fut d’abolir dans les Gaules les sacrifices humains. Cependant les Grecs ne renoncèrent point encore à cette horrible coutume ; Agamemnon sacrifia depuis Iphigénie, et aux funérailles de Patrocle, Achille immola douze Troyens, etc. Hercule fut très-sensible à l’amitié. On placera ici l’histoire d’Admète qui se trouve liée à celle d’Hercule : Admète étoit fils de Phérès Roi d’une contrée de la Thessalie dont Phère étoit la capitale, il fut l’un des Princes grecs qui s’assemblèrent pour la chasse du sanglier de Calydon, il eut encore part à l’expédition des Argonautes. Ce fut chez ce Roi qu’Apollon, réduit à garder les troupeaux se retira lorsqu’il fut chassé du ciel. Admète ayant voulu épouser Alceste fille de Pélias, ne put obtenir cette Princesse qu’à condition qu’il donneroit à Pélias un char traîné par un lion et par un sanglier. Apollon, reconnoissant des services que lui avoit rendus Admète, lui enseigna l’art de réduire sous un même joug deux animaux si féroces. D’autres content différemment cette fable et de la manière suivante : Lorsque les deux sœurs d’Alceste, trompées par Médée eurent tué leur père Pélias en croyant le rajeunir, Alceste, qui n’avoit point voulu prendre part à cette horrible exécution, se réfugia chez Admète son parent. Acaste son frère, voulant venger son père, et se persuadant que l’innocente Alceste étoit complice de cette abominable action la redemanda, mais Admète refusa de la rendre. Acaste assiégea Admète dans son palais, s’en empara et menaça Admète, prisonnier, de le faire mourir s’il ne lui livroit pas Alceste. Admète refusoit toujours avec fermeté, lorsqu’Alceste, instruite du danger où il se trouvoit, vint elle-même se remettre volontairement entre les mains d’Acaste, qui aussitôt rendit la liberté à Admète. Ce dernier, désespéré, craignoit tout pour la vie d’Alceste ; mais Hercule, revenant de chez Diomède, attaqua Acaste, le vainquit, délivra Alceste, qu’il rendit à Admète qui l’épousa. On dit encore que lorsque les deux époux entrèrent dans la chambre nuptiale, ils y trouvèrent des Dragons énormes envoyés par Diane oubliée par Admète dans un sacrifice solennel fait aux autres Dieux ; Apollon appaisa la colère de sa sœur qui depuis ce temps s’unit à lui pour protéger Admète. Apollon avoit obtenu des Parques, que lorsque ce Prince toucheroit à son heure dernière il éviteroit la mort si quelqu’un s’y dévouoit pour lui. Admète fut atteint d’une maladie mortelle, et la généreuse Alceste n’hésita point à s’immoler pour lui ; mais Hercule devint une seconde fois son libérateur, il descendit aux enfers, il vainquit Cerbère, en vain le monstre se réfugia sous le trône de Pluton, le héros l’arracha de cet asile, l’enchaîna, et sut le forcer à voir le jour. La Thessalie fut témoin de ce triomphe ; Cerbère, écumant de rage, répandit les poisons mortels de ses triples bouches sur les herbes de cette contrée, ce qui les rendit si vénéneuses et si propres aux opérations les plus terribles de la magie. Hercule, victorieux, ramena Alceste des enfers. Dans la tragédie d’Alceste, d’ Euripide, cette Princesse, en entrant dans le palais de son époux est voilée et muette, parce que ayant été parmi les ombres elle ne peut se montrer et parler qu’après avoir fait plusieurs purifications religieuses. Admète ignore tout ce que son ami a fait pour lui, il est prêt de succomber à la douleur que lui cause la perte d’Alceste. Hercule veut lui cacher son bonheur jusqu’à ce qu’Alceste puisse ôter son voile et parler, il la présente comme une étrangère pour laquelle il demande un asile. Admète répond qu’il ne veut plus voir de femmes, mais qu’Hercule peut disposer de son palais ; ensuite il parle de sa douleur, il déplore la perte de son épouse tandis qu’elle est là présente, mais immobile, silencieuse et voilée. Cette scène a quelque chose de frappant et d’original qui produiroit un grand effet au théâtre, surtout dans un opéra.

Il y eut une femme appelée aussi Admète, elle étoit fille d’Euristhée, elle inspira à son père l’ordre qu’il donna à Hercule de lui apporter la ceinture de la Reine des Amazones dont elle vouloit se parer. Athénée raconte que cette Princesse Admète s’étant sauvée d’Argos, aborda à Samos et devint prêtresse du temple de Junon. Les Argiens, irrités de sa fuite, promirent une récompense à des corsaires s’ils pouvoient enlever la statue de Junon, espérant faire tomber sur Admète la peine de ce vol. Les corsaires se saisirent de la statue et la portèrent sur leurs vaisseaux, ensuite ils voulurent s’éloigner, mais retenus par un pouvoir divin, il leur fut impossible de quitter le port. Alors ils déposèrent la statue sur le rivage et partirent : Admète vint reprendre la statue qu’elle trouva liée avec des branches d’arbres, parce que les Samiens avoient cru qu’elle s’étoit enfuie d’elle-même et vouloient la retenir. Depuis ce temps les Samiens portoient tous les ans la statue de Junon au bord de la mer, il la couvroient de feuilles et célébroient une fête qu’ils appeloient Ténéa parce qu’ils avoient tendu des branches d’arbres autour de la statue.

Télamon fut encore un des amis d’Hercule. Télamon, fils d’Eacus, eut le malheur, en jouant au disque, de tuer son frère Phocus, il fut banni pour ce meurtre involontaire et se retira dans l’île de Salamine où le Roi Céchréïs lui donna sa fille Glaucé en mariage et le nomma son successeur. Après la mort de Glaucé, Télamon épousa Péribée, fille d’Alcathoüs, il assista à la chasse du Sanglier de Calydon, ensuite il s’attacha à Hercule qu’il suivit dans ses expéditions.

Laomédon fils d’Ilus Roi de Troye, épousa Strimo, que d’autres appellent Thoosa, il en eut plusieurs fils entre autres Priam, et trois filles, Hésione, Artyoché et Cilla. Laomédon, Prince violent et de mauvaise foi, passa toute sa vie à tromper les hommes et les Dieux. Il bâtit les murs de Troye. Apollon et Neptune bannis alors de l’Olympe10, condamnés à vivre sur la terre, du travail de leurs mains, se mirent à son service pour un temps et un salaire convenu, mais quand les murs de Troye furent relevés, Laomédon non seulement refusa le salaire, mais chassa les deux divinités disgraciées. Neptune, qui n’avoit pas le pouvoir de subsister sans se consacrer aux travaux d’un manœuvre, conservoit cependant celui de faire d’effrayans prodiges, ayant toujours à ses ordres tous les monstres de la mer, il en fit paroître un qui ravagea les états de Laomédon ; les peuples se révoltèrent et forcèrent le Roi d’exposer au monstre sa fille Hésione ; Hercule délivra Hésione à condition que Laomédon lui donneroit de superbes chevaux dont Jupiter lui avoit fait présent lors de l’enlèvement de Ganimède ; mais Laomédon, incorrigible, refusa de tenir sa parole. Hercule fit le siége de Troye, s’en empara, tua Laomédon et tous ses fils à l’exception de Podarcès, et donna Hésione pour épouse à Télamon. On accorda à cette Princesse le droit de délivrer un des captifs, elle choisit son jeune frère Podarcès, pour la rançon duquel elle donna son voile et le bandeau d’or qui ceignoit sa tête ; depuis ce temps le jeune Prince changea son nom de Podarcès en celui de Priam du mot grec priamaï, j’achète, Hercule lui rendit le royaume de son père. Hésione eut de Télamon, un fils appelé Teucer.

Hercule, eut la plus tendre amitié pour le jeune Hylas fils de Théodamus, ou selon d’autres d’Euphémus, c’étoit un jeune homme d’une beauté singulière. Hercule l’emmena avec lui à la conquête de la Toison d’or. Un jour, Hylas s’éloigna de ses compagnons pour aller puiser de l’eau dans une fontaine, des Nymphes l’enlevèrent. Hercule, inconsolable de sa perte ne voulut plus suivre les Argonautes. Il les quitta pour aller chercher Hylas. Philoctète fut l’ami le plus intime d’Hercule, et celui qui recueillit ses derniers soupirs.

Hercule, ayant commis un meurtre, voulut se faire expier par Nélée Roi de Messène, et sur le relus de ce Prince, il saccagea et pris Messène, massacra Nélée et tous ses enfans, à l’exception de Nestor qui étoit absent ; Périclyménus, l’un de ces malheureux Princes, fut le seul qui lui résista : ayant reçu de son aïeul Neptune, le pouvoir de se transformer à son gré, il se métamorphosa en lion, en serpent, en abeille, à la fin Hercule le tua ; Hygin est le seul auteur qui le fasse échapper sous la figure d’un aigle. L’emportement du caractère d’Hercule alla quelquefois jusqu’à l’impiété : pendant l’une de ses expéditions en Afrique, il se sentit tellement brûlé par les rayons du soleil que, dans sa colère, il lança une flèche contre cet astre ; cette extravagance non-seulement n’irrita point Apollon, mais elle lui plut. Le Dieu fit présent à Hercule d’une immense coupe d’or dont le héros se servit ensuite comme d’une barque pour traverser la mer et repasser en Espagne. Hercule, auquel on peut reprocher tant de cruautés mêlées à ses belles actions, eut aussi de grandes foiblesses : il aima Omphale, fille de Jardanus, Roi de Méonie, et Reine de Lydie, pour lui plaire, il quitta sa massue pour une quenouille, et s’oublia long-temps en filant auprès d’elle. Hercule aima aussi Epicaste, Augé, dont l’histoire est singulière. Cette Princesse étoit fille d’Aléus et de Néra. Hercule la séduisit, il eut d’elle un enfant qu’elle exposa et qui fut nourri par une biche. On découvrit son déshonneur, et son père la remit à Nauplius avec l’ordre de lui ôter la vie, Nauplius eut pitié d’elle, et lui procura un azile chez Teuthras, Roi de la Mysie, qui l’adopta pour sa fille. Par la suite, l’enfant d’Hercule et d’Augé devint un héros sous le nom de Télèphe ; ignorant sa naissance et n’étant connu de personne, il arriva à la Cour de Teuthras, au moment où ce Prince alloit être détrôné par Idas, fils d’Apharée, Télèphe vainquit les ennemis du Roi et l’affermit sur le trône, Teuthras reconnoissant voulut lui donner pour épouse Augé, sa fille adoptive ; mais Hercule invoqué par Augé, préserva Télèphe d’un inceste, il reconnut sa mère. Télèphe se distingua par beaucoup d’exploits, il fut blessé par Achille, et comme rien ne pouvoit fermer cette plaie il consulta l’Oracle qui répondit qu’il ne guériroit que par ce qui avoit fait le mal. Ulysse devina le sens de l’Oracle, il appliqua sur la blessure de Télèphe, un peu de rouille de la lance d’Achille, et Télèphe fut aussitôt guéri.

Hercule eut encore beaucoup d’autres maîtresses, sans compter les cinquante filles de Thestius, qu’il aima toutes. Hercule eut deux épouses, et ces deux unions furent également malheureuses et funestes. Il épousa d’abord Mégare, fille du Roi de Thèbes. Pendant la descente d’Hercule aux enfers, on crut ce héros mort, Lycus usurpa le royaume de Thèbes, et voulut contraindre Mégare à l’épouser. Mégare résista avec une fidélité inébranlable. Hercule revint et tua Lycus ; mais Junon, irritée de nouveau contre Hercule, lui inspira une telle fureur qu’il massacra Mégare et tous les enfans qu’il avoit eus d’elle. Il devint ensuite amoureux de Déjanire dont la famille éprouva de si tragiques malheurs ; sa mère Althée fille de Thestius et d’Eurithémis, étoit l’épouse d’Œnée, Roi de Calydon. Lorsqu’elle mit au jour son fils Méléagre, les Parques lui apparurent et lui déclarèrent que cet enfant vivroit jusqu’à ce que le tison qui étoit au feu fût consumé, Althée se précipita vers le foyer, saisit le tison, l’éteignit et le serra soigneusement dans un coffre. Œnée ayant un jour oublié Diane dans ses sacrifices, la Déesse, pour s’en venger, suscita un sanglier qui vint ravager les terres de Calydon. Les Princes de la contrée s’étant réunis pour exterminer ce monstre, firent une partie de chasse à laquelle se trouva Atalante, fille du Roi d’Arcadie, cette Princesse blessa la première le sanglier dont elle reçut les dépouilles de la main de Méléagre, fils d’Œnée, mais les frères d’Althée, piqués qu’on eût décerné tout l’honneur de cette chasse à une fille, lui enlevèrent ces dépouilles, Méléagre qui aimoit Atalante en fut si transporté de fureur qu’il tua ses deux oncles. Althée pour venger la mort de ses frères, jeta au feu le tison fatal auquel les Parques avoient attachés la destinée de Méléagre, à mesure que le tison brûloit ce jeune Prince se consumoit et périt enfin, Althée se tua de désespoir. Les sœurs de Méléagre pleurèrent tant sa mort, que les Dieux touchés de compassion les changèrent en oiseaux, à l’exception de Déjanire et de Gorgo, qui, par la protection de Bacchus, conservèrent leur forme naturelle. La beauté de Déjanire attira à la Cour de son père un grand nombre de Princes qui demandèrent sa main. Œnée invita ces Princes à combattre entre eux en déclarant que Déjanire seroit le prix du vainqueur, Hercule et Achéloüs furent les seuls qui persistèrent dans leurs prétentions. Achéloüs, fils de l’Océan et de la Terre, et père des Syrènes et de plusieurs Nymphes, prit diverses formes en combattant Hercule ; étant sous celle d’un taureau il eut une corne arrachée par Hercule, il alla cacher sa honte dans les roseaux du fleuve Thoas, qui en reçut le nom d’Achéloüs. Le malheureux vaincu donna au héros victorieux, la corne d’Amalthée ou d’abondance, pour r’avoir la sienne11. Hercule épousa Déjanire dont il eut Hyllus. Trois ans après Hercule emmena son épouse, durant ce voyage il fallut passer le fleuve Évène ; le Centaure Nessus, amoureux de Déjanire, offrit de la porter sur son dos de l’autre côté du fleuve, Hercule y consentit, mais lorsque le centaure fut à quelque distance il hâta sa marche pour enlever Déjanire, Hercule, qui s’aperçut de son dessein, lui décocha une flèche qui l’atteignit et le blessa mortellement. Cette flèche, trempée dans le sang de l’Hydre, empoisonna le sang du Centaure qui, se sentant mourir, ne songea plus qu’à se venger ; il donna à Déjanire sa tunique ensanglantée, en l’assurant que si son époux devenoit infidèle, elle le rameneroit en lui faisant porter cette tunique. La crédule Déjanire remercia le Centaure et conserva précieusement ce présent fatal. Hercule devint amoureux de Iole, fille d’Eurite, ce Prince la lui refusa, Hercule subjugua l’Œchalie, enleva la Princesse et tua le Roi. Au retour de cette expédition, il chargea Lychas d’aller chercher les habits de cérémonie nécessaires pour faire un sacrifice. Déjanire instruite de son infidélité lui envoya la fatale tunique ; à peine Hercule en fut-il revêtu qu’il se sentit consumé par un feu dévorant, il tua Lychas qu’il précipita dans la mer et qui fut métamorphosé en rocher. Déjanire se poignarda. Hercule consulta l’Oracle, qui lui prescrivit de se rendre avec ses amis sur le mont Œta et d’y élever un bûcher. Hercule comprit le sens funeste de cet l’Oracle. Le héros, résigné à mourir, obéit, Philoctète alluma le bûcher, Hercule aussitôt s’y précipita. Ainsi périt le grand Alcide, environ trente ans avant la guerre de Troie. La mort d’Hercule forme le sujet des Trachiniennes12, belle tragédie de Sophocle. Dans cette pièce, Hercule avant de mourir dit : « Jupiter me prédit que nul homme vivant ne termineroit ma destinée, mais que ce seroit un habitant des enfers. Mon sort est accompli, c’est le Centaure mort qui m’ôte le jour ».

Hercule, reçu dans l’Olympe, y épousa Hébé. Il fut honoré comme un Dieu. La foudre tomba sur son bûcher et le réduisit en cendres, ce qui fut regardé comme une preuve de sa divinité. On lui bâtit un tombeau sur le mont Œta et l’on y établit une fête annuelle. On lui éleva en divers lieux des autels et des temples. Les Phéniciens offroient en sacrifice à ce demi-Dieu, des cailles, parce qu’ils croyoient que ce héros ayant été tué par Typhon, Iolas l’avoit ressuscité par l’odeur d’une caille.

Sénèque a fait deux tragédies sur la mort d’Hercule, sous les titres d’Hercule furieux et d’Hercule sur le mont Œta. Il y a aussi un Hercule furieux d’ Euripide.

 

A la suite de l’histoire d’Hercule, il ne sera pas déplacé de parler avec un peu de détail des Amazones, voici un abrégé de leur histoire :

Les Amazones étoient des femmes guerrières de la Cappadoce, sur les bords du fleuve Thermodon, elles étoient originaires |de la Scythie. On les appela d’abord Acropates, c’est-à-dire, ennemies et altérées du sang des hommes. Les Grecs les nommèrent Amazones. On donne à ce nom diverses étymologies. Ilinus et Scolopite, deux jeunes Princes Scythes, du sang royal, furent chassés de la Cour et du pays par la faction de quelques rivaux qui aspiroient à la couronne. Ils emmenèrent avec eux une nombreuse jeunesse et passèrent dans la Sarmatie asiatique, au-dessus du mont Caucase, d’où ils firent des courses sur les provinces voisines du Pont-Euxin. Mais les peuples qui l’habitoient les massacrèrent tous. Ce carnage donna occasion à l’origine des Amazones. Les femmes de ces infortunés, privées de leurs maris, formèrent la résolution de demeurer unies entre elles, de choisir une Reine et d’embrasser la profession des armes. Elles devinrent formidables par leur courage et leur activité. Elles s’assurèrent la possession du pays où elles se trouvoient, et bientôt elles étendirent les bornes de leur domination. Elles élurent deux Reines, l’une pour demeurer à la Cour, l’autre pour être à la tête des armées ; Marpésia et Lampéto furent les premières honorées du titre de Reine. Elles se jetèrent sur les provinces de l’Asie mineure, le long du Pont-Euxin ; elles s’acquirent un domaine considérable dans les vastes et fertiles plaines arrosées par l’Irie, et le Thermodon, elles s’y formèrent un établissement qui fut la plus célèbre et la plus durable de leurs habitations et elles y bâtirent la ville de Thémiscyre, où fut fixé le siége de leur puissance. Ensuite elles divisèrent leur empire en trois royaumes qui eurent chacun leur souveraine indépendante, quoique unies et liguées ensemble pour se défendre mutuellement. L’une tenoit sa Cour dans la Sarmatie, l’autre à Thémiscyre, et la troisième aux environs d’Éphès. Elles ne souffroient point d’hommes avec elles du moins à demeure, elles n’en recevoient qu’une fois l’an, ensuite elles les renvoyoient, mais chacune d’elles ne pouvoit former ces espèces de mariages qu’après avoir tué trois ennemis à la guerre. Elles faisoient mourir ou elles estropioient leurs enfans mâles et élevoient avec soin leurs filles auxquelles elles brûloient la mammelle droite, afin de pouvoir les exercer mieux à tirer de l’arc. Il y avoit près de trois cents ans que leur puissance se soutenoit avec éclat, lorsque Hercule reçut ordre d’Euristhée, son frère, d’aller enlever, pour la Princesse Admète, sa fille, la ceinture de la Reine des Amazones. Thésée, Roi d’Athènes, accompagna Hercule dans cette expédition. Ces guerriers se rendirent à Thémiscyre, la Reine Antiope refusant de donner sa ceinture, on combattit, mais la Reine vaincue et prisonnière racheta sa liberté par le sacrifice de sa ceinture, et Thésée emmena Hypolite, sœur de la Reine, à laquelle on donna le nom d’Antiope ; cette Princesse épousa Thésée et elle en eut le chaste Hypolite. Une autre sœur de la Reine des Amazones se rendit dans l’Attique avec une armée pour délivrer sa sœur Antiope ; l’armée des Amazones fut défaite, Antiope procura dans la Grèce d’honorables sépultures à ses anciennes compagnes. Penthésilée, Reine des Amazones du Thermodon, fit alliance avec Priam et alla au siége de Troie, elle y perdit la vie sous les coups d’Achille. Après cet événement les Amazones voulant venger la mort de leur Reine, firent en Thessalie une expédition funeste pour elles, dans laquelle presque toutes les Amazones périrent. Depuis cette époque, l’Histoire et la Fable ne parlent plus des Amazones13. Dans le second chant de l’Iliade, Homère parle du tombeau de l’Agile Myrine, une Amazone.

Amazonius étoit un surnom d’Apollon, parce qu’il avoit mis fin à la guerre des Amazones contre les Grecs.

Philoctète. §

Philoctète, fils de Pæan, fut l’ami et le compagnon fidèle d’Hercule. Ce héros en mourant lui donna ses redoutables flèches, dont l’atteinte étoit inévitable et la blessure mortelle ; Hercule expirant fit promettre à son ami qu’il ne découvriroit jamais le lieu de sa sépulture14 ; mais les Grecs sur le point de partir pour le siége de Troye, apprirent de l’oracle qu’ils ne prendroient la ville que lorsqu’ils seroient possesseurs des flèches d’Hercule. Ils interrogèrent Philoctète qui, ayant déposé ces armes dans le tombeau d’Hercule, ne vouloit ni violer son serment, ni priver sa patrie d’une grande gloire ; il garda le silence, mais il indiqua avec le pied, le lieu où il avoit inhumé Hercule. Il se rendit à Troye avec les Grecs, et durant le voyage, une des flèches d’Hercule tomba sur celui de ses pieds qui avoit montré la sépulture d’Hercule ; il se forma sur ce pied un affreux ulcère d’où s’exhala une infection si insupportable, qu’à la sollicitation d’Ulysse, on laissa cet infortuné dans l’île de Lemnos, où il souffrit pendant dix ans toutes les douleurs physiques et morales qui peuvent affliger la nature humaine. Cependant après la mort d’Achille, les Grecs voyant qu’il étoit impossible de prendre la ville sans les flèches d’Hercule que Philoctète avoit emportées avec lui à Lemnos, Ulysse, quoique ennemi mortel de ce héros malheureux, compta assez sur le pouvoir de son éloquence pour se charger d’aller chercher Philoctète, de l’appaiser et de le ramener. Ce voyage et cette négociation sont le sujet d’une admirable tragédie de Sophocle, qui a fourni à l’ auteur de Télémaque les plus beaux traits de l’épisode le plus touchant de son poëme. Philoctète, arrivé au camp des Grecs, combattit Paris et le blessa mortellement. Philoctète auparavant, avoit fait guérir sa plaie, par le médecin Podalire. Après la prise de Troye, il retourna à Mélibée où ses sujets se révoltèrent contre lui, il passa en Italie, vainquit les Campaniens et fonda la ville de Petilie. Il fut tué par les Rhodiens. On trouve dans le Philoctète de Sophocle, cette admirable maxime :

« Il n’y a que les grands cœurs qui sachent combien il y a de gloire à être bon ».

Aristée. §

Apollon enleva sur le mont Pélion en Lybie, la nymphe Cyrène fille d’Hyséus, il eut d’elle Aristée, dans la contrée appelée depuis Cyrène, du nom de la Nymphe. Apollon confia sa première éducation aux Nymphes, ensuite il le mit dans les mains de Chiron, instituteur de tous les demi-Dieux et de tous les héros. De Cyrène, Aristée alla à Thèbes où il épousa Autonoë, de laquelle il eut le malheureux Actéon.

Aristée apprît aux hommes l’art de la chasse, à élever des troupeaux et des abeilles, à cultiver divers végétaux et à faire cailler le lait… Il voyagea beaucoup, et bâtit la ville de Cyrène. Il se lia d’amitié avec Orphée, et cependant il poursuivit Euridice le jour de ses noces, elle fut piquée par un serpent en fuyant, et mourut de cette piqûre. Les Nymphes tuèrent toutes les abeilles d’Aristée ; par le conseil de Protée, il appaisa les mânes d’Euridice en sacrifiant des génisses, des entrailles desquelles il sortit des essaims d’abeilles, Aristée, après avoir habité quelque temps le mont Hémus, disparut tout-à-coup. On dit qu’il se précipita dans un abyme et que cet endroit fut reconnu depuis parce que l’on y entendit un Oracle. Il fut honoré après sa mort comme un Dieu.

Orphée, Arion, Amphion. §

Ce chantre divin de la Thrace étoit fils d’Aagre Roi de cette contrée et de la Muse Calliope, il fut père de Musée et disciple de Linus. Il voyagea, alla en Egypte et s’y fit initier dans les mystères d’Isis et d’Osiris. De retour dans la Grèce il communiqua les connoissances qu’il avoit acquises, il réforma le culte des Grecs, introduisit de nouvelles cérémonies, inventa de nouvelles fables, il donna du poids à ces fictions par son éloquence, et par le charme de la musique et de la poésie. Orphée, malheureux comme tous les personnages de la fable, perdit sa jeune épouse la belle Euridice le jour de ses noces. Il descendit aux enfers, où sa lyre enchanteresse suspendit tous les tourmens et surtout celui de haïr. Pluton attendri pour la première fois, lui rendit Euridice à condition qu’il ne la regarderoit que lorsqu’il seroit sur la terre, il ne put commander à son impatience, il retourna la tête et n’aperçut qu’une ombre fugitive qui disparut pour jamais.

Quelques auteurs prétendent qu’Orphée fut tué d’un coup de foudre, en punition d’avoir révélé, à des profanes, les mystères secrets d’Isis. Mais, suivant la tradition la plus commune, il fut mis en pièces par les femmes de Thrace irritées de ses mépris. Les sons de sa lyre avoient séduit et touché les Démons, ils attiroient autour de lui les rochers et les arbres, ils adoucissoient les animaux les plus féroces, et ils furent sans effet sur des femmes sans pudeur livrées à tout emportement de la jalousie et d’un amour effréné !

Les Thraces disoient que les rossignols qui déposoient leurs nids près du tombeau d’Orphée, avoient un chant plus éclatant et plus mélodieux.

On a parlé avec détail d’Amphion et d’Arion dans le premier volume, à la suite de l’article des Muses.

Jason. §

On va trouver encore dans cette histoire tous les crimes et tous les malheurs rassemblés. Toutes ces fables tragiques ont été produites par l’imagination la plus lugubre et la plus noire, et néanmoins on est universellement convenu de les appeler de riantes fictions ; et trouver le contraire est, dit-on, un étrange paradoxe ! La meilleure réponse à ce reproche est de continuer cette histoire poétique.

Jason, chef des Argonautes, naquit à Iolcos. Son père Eson, étoit fils de Créthée et de Tyro et beau-frère de Pélias et d’Alcimède, que quelques-uns nomment Amphinome ; par la suite, cette malheureuse mère ne pouvant supporter la longue absence de son fils, se plongea un poignard dans le sein. Eson, accablé de vieillesse et d’infirmités avoit confié la tutelle de son fils Jason à Pélias, à condition qu’il rendroit la couronne à Jason dès qu’il seroit en âge de gouverner ; mais comme ensuite on craignit pour les jours du jeune Prince, on fit courir le bruit de sa mort, on prépara ses funérailles et on l’envoya la nuit, renfermé dans un cercueil, chez le Centaure Chiron. Jason par la suite se trouva à la chasse du Sanglier de Calydon, après ce premier essai de sa valeur il se retira dans une solitude. Pélias, averti par l’Oracle qu’il devoit se défier de celui qu’il rencontreroit inopinément avec une seule chaussure, il offrit un grand sacrifice à Neptune, et tout-à-coup parut Jason qui, venant de passer à gué l’Evenus n’avoit qu’un brodequin, ayant perdu l’autre dans le fleuve. Jason, armé d’une lance et d’un javelot et couvert de la peau d’une panthère qu’il venoit de tuer, avec une longue chevelure flottant sur ses épaules, parut à toute l’assemblée, si beau et si majestueux, qu’on le prit pour le Dieu Mars, Jason demanda alors à Pélias de lui céder le gouvernement ; Pélias eut l’air d’y consentir, mais il sut persuader au jeune Prince d’aller d’abord dans la Colchide pour y enlever la Toison d’or. Jason y consentit et Junon excita la plupart des héros de la Grèce à le suivre dans cette expédition. Voici l’histoire de cette Toison si fameuse :

Athamas fils d’Eole, fut père de Phrixus et de Hellé qu’il eut de Néphélé sa première femme, il épousa ensuite Leucothoé qui, par tous les mauvais traitemens d’une marâtre, obligea Phrixus et Hellé de s’enfuir ; cette Leucothoé est la même qu’Ino. Témoin de l’horrible démence de son époux Athamas, qui, dans un mouvement de furie, avoit jeté son fils Léarque contre un rocher, elle se précipita dans les flots avec son autre fils Mélicerte et fut métamorphosée, ainsi que l’enfant en Divinités de la mer. Mélicerte est le même que Palémon, Dieu marin. Ino, étoit fille de Cadmus et d’Hermione. Des dames Thébaines qui avoient suivi Ino sur le bord de la mer quand elle s’y précipita, reprochèrent à Junon sa cruauté à l’égard de cette Princesse qu’elle avoit toujours persécutée. Junon, pour rendre à jamais ces Thébaines incapables d’éprouver une compassion qui l’outrageoit, les changea en rochers.

Phrixus et sa sœur Hellé, forcés de fuir la maison paternelle, se réfugièrent chez leur oncle Crétée, Roi d’Iolcos ; Démodice, femme de Crétée, devint amoureuse de Phrixus, et s’en voyant aussi méprisée qu’elle méritoit de l’être, elle l’accusa d’avoir voulu attenter à son honneur ; aussitôt, la peste ravagea le pays, l’Oracle consulté répondit que les Dieux s’appaiseroient si on leur immoloit les dernières personnes de la famille royale, comme cet Oracle désignoit Phrixus et Hellé, on les condamna à être immolés ; mais au moment où l’on alloit les égorger, ils furent entourés d’une nuée d’où sortit un superbe bélier, qui les enleva dans les airs et qui prit le chemin de la Colchide. Ce brillant Bélier, dont la Toison éblouissante étoit d’or, devoit la vie à Théophane, jeune fille aimée de Neptune, et changée en brebis. En traversant la mer, toujours portée avec son frère par le Bélier merveilleux, Hellé, effrayée, chancela, tomba et se noya dans cet endroit qu’on appela depuis l’Hellespont. Phrixus, arrivé dans la Colchide, y sacrifia le Bélier à Jupiter, en prit la Toison d’or, la suspendit à un arbre dans une forêt consacrée à Mars, et la fit garder par un Dragon qui dévoroit tous ceux qui se présentoient pour l’enlever. Mars, voulut que ceux chez qui seroit cette Toison vécussent dans l’abondance tant qu’ils la conserveroient, et qu’il fût néanmoins permis à tout le monde d’essayer d’en faire la conquête. Le Bélier fut mis au nombre des douze signes du Zodiaque.

Les Princes qui s’engagèrent dans l’expédition de la Toison d’or, s’appelèrent Argonautes15, du nom du navire appelé Argo sur lequel ils s’embarquèrent. Ce vaisseau fut construit du bois du mont Pélion, on employa aussi un chêne de la forêt de Dodone, qui forma le grand mât, et qui rendoit des Oracles. A son retour, Jason consacra le navire Argo à Pallas, qui le plaça parmi les étoiles.

Suivant l’opinion la plus commune, cinquante-deux princes grecs s’embarquèrent avec Jason. On songea d’abord à nommer le chef de cette entreprise ; Hercule, par ses exploits, sa naissance divine et l’éclat de sa réputation, eût réuni tous les suffrages, mais ce héros déféra le commandement à Jason, quoique ce jeune prince n’eût que vingt ans, parce qu’il étoit proche parent de Phrixus, et que c’étoit lui que Pélias avoit chargé de cette entreprise. L’emploi de pilote du vaisseau fut donné à Typhis ; après sa mort, Ancée lui succéda. Zéthès et Calaïs commandoient les rameurs, Hercule et Hylas étoient sur la proue, Pélée et Télamon sur la poupe. Orphée n’avoit d’autre emploi que celui de charmer ses compagnons par les sons de sa lyre, tous les autres ramoient. Les principaux Argonautes, après ceux qu’on vient de nommer, furent : Acaste, Actor, Admète, Amphiaras, Amphion, Castor et Pollux, Laërte, Nestor, Pélée, Philoctète, Télamon, Tydée, etc. Avant de mettre à la voile, Jason fit un sacrifice solennel à Jupiter, à Junon et à toutes les divinités de la mer. Tous les Argonautes étoient déjà dans le vaisseau, lorsque le savant Chiron, tenant Achille enfant entre ses bras, vint prendre congé de Jason ; et après l’avoir embrassé, ainsi que les autres héros, presque tous ses élèves, il leur donna des avis pour leur voyage, et fit des vœux pour le succès de leur périlleuse entreprise.

La navigation des Argonautes fut d’abord assez heureuse, mais ensuite une tempête les força de relâcher à l’île de Lemnos. Les femmes de cette île avoient massacré tous leurs maris et tous les hommes ; leur reine Hypsipile avoit seule sauvé son père Thoas, qu’elle tenoit caché. Jason aima cette reine, qu’il abandonna pour Médée16. Au sortir de Lemnos, les Tyrrhéniens livrèrent aux Argonautes un sanglant combat, où presque tous les héros furent blessés. Durant ce combat, Glaucus disparut miraculeusement, et fut mis au nombre des dieux de la mer. Ensuite ils allèrent en Samothrace, pour accomplir un vœu qu’avoit fait Orphée durant la tempête, et parce que Castor et Pollux vouloient être initiés aux mystères fameux qu’on célébroit dans cette île de la mer Égée. On rendoit là un culte particulier à Cérès, à Proserpine et aux dieux Cabires. On y venoit consulter un oracle aussi célèbre que celui de Delphes. Les anciens avoient beaucoup de confiance en de certains anneaux magiques qui, d’après leur superstition, préservoient des maladies et des dangers : les anneaux magiques de l’île de Samothrace passoient pour être les meilleurs. De cette île, les Argonautes entrèrent dans l’Hellespont, tournèrent du côté de l‘Asie, et abordèrent sur les côtes de la petite Mysie, au dessus de la Troade. Ce fut là qu’Hercule et Télamon quittèrent les Argonautes, pour aller chercher le jeune Hylas, que des nymphes avoient enlevé, tandis qu’il puisoit de l’eau dans une fontaine. Les Argonautes abordèrent à Cizique, ville située au pied du mont Didyme. Ils furent bien reçus par le roi Cizicus ; mais, par une funeste erreur, Jason le tua. Clite, épouse de ce prince, ne put lui survivre, et se pendit de désespoir. En sortant de Cizique, les Argonautes s’arrêtèrent dans la Bébricie. Là, régnoit Amycus, que Pollux vainquit au combat du ceste ; et comme Amycus, outré de sa défaite, dressa des embûches aux Argonautes, ceux-ci le firent périr. Les Argonautes allèrent ensuite dans la Thrace, chez Phinée, qui régnoit à Salmidesse. Le prince, fils d’Agénor, avoit épousé d’abord Cléopâtre, fille de Borée, de laquelle il eut deux fils, que par la suite il exila. Il la répudia pour épouser une autre femme, qu’il condamna à perdre la vie, parce qu’on l’accusa faussement d’avoir eu des intelligences avec ses enfans, auxquels il fit crever les yeux ; mais Borée vengea l’innocence de ses petits-fils, en rendant aveugle Phinée, qui obtint pour toute consolation la connoissance de l’avenir. Ce fut aussi pour le punir que Junon et Neptune envoyèrent les Harpies dans son palais, ces monstres infectoient ses viandes et souilloient sa table ; il en fut délivré par Zéthès et Calaïs, enfans de Borée et d’Orithie, qui étoient avec Jason au nombre des Argonautes. Ces jeunes héros avoient de beaux visages, une longue chevelure, les épaules couvertes d’écailles dorées, et des ailes aux pieds. Les Argonautes continuèrent leur route, ils abordèrent dans le pays des Mariandiniens où ils furent bien reçus, mais ils y perdirent deux de leurs compagnons, Idmon qui mourut d’une blessure faite par un sanglier, et le pilote Typhis. Idmon, fils d’Apollon et de Cyrène, étoit un fameux devin, quoiqu’il eût prévu qu’il périroit dans l’expédition des Argonautes, il avoit voulu y aller. Jason et ses compagnons allèrent de ce pays dans l’île d’Arécie et y soutinrent un rude combat contre des oiseaux miraculeux qui lançoient de loin des plumes meurtrières. Après beaucoup d’aventures et de périls, ils arrivèrent enfin dans la ville capitale de la Colchide. Vénus apprit à Jason l’art de séduire la Magicienne Médée, fille du Roi Aëtès et d’Idya que d’autres appellent Hécate. Ce fut par le moyen de l’oiseau d’amour nommé Iunx ou Iynx que Jason parvint à gagner le cœur barbare de la fière Médée17. Ils s’unirent en secret dans le temple redouté d’Hécate, Déesse sombre et terrible, digne de présider à ces noires amours.

Le roi prescrivit à Jason de mettre sous le joug deux taureaux (présent de Vulcain) qui avoient les pieds et les cornes d’airain, et qui vomissoient des tourbillons de flammes ; il falloit les atteler à une charrue de diamant, et leur faire défricher un vaste champ consacré à Mars, dans lequel on sèmeroit les dents d’un dragon, qui produiroient à l’instant une multitude d’hommes armés, qu’il falloit exterminer tous18. Enfin, on devoit tuer le monstre qui veilloit à la conservation de la toison d’or, et terminer tous ces travaux en un seul jour. Jason, assuré du secours de Médée, accepta toutes ces conditions. A la vue de tous les Argonautes, frémissant des périls qu’il alloit courir, il apprivoisa les taureaux, les mit sous le joug, conduisit la charrue éblouissante, laboura le champ, sema les dents du dragon ; et lorsqu’il vit sortir de la terre les combattans armés, il lança au milieu d’eux une pierre magique, qui les mit dans une telle fureur, qu’ils s’entre-tuèrent les uns les autres, sans qu’il en restât un seul. Alors, il courut chercher le monstre, gardien de la toison ; il l’assoupit avec des herbes enchantées ; il le tua sans peine dans cet état ; il enleva la toison ; et, chargé de cette précieuse dépouille, il retourna victorieux à son vaisseau. Médée, emportant tous les trésors de son père, vint secrètement le rejoindre au commencement de la nuit. Jason mit promptement à la voile, se doutant bien qu’il seroit poursuivi : il le fut en effet. Le roi fit mettre à la hâte plusieurs vaisseaux en état, qui partirent sous le commandement de son fils Absyrthe, frère de Médée. On atteignit bientôt le ravisseur. Jason prit terre avec Absyrthe, sous prétexte d’entrer en accommodement ; Médée les suivit. Le jeune Absyrthe, sans défiance, se laissa conduire dans un lieu écarté ; et là, le lâche Jason et l’exécrable Médée l’égorgèrent : ils dispersèrent ses membres sur la route, pour retarder la marche de ceux qui les poursuivoient, et ils se rembarquèrent.

Les Argonautes parcoururent les côtes orientales de l’Asie, traversèrent le Bosphore Cimmérien, les Palus Méotides, etc. Ils s’arrêtèrent dans l’île de Circé, où cette magicienne refusa d’expier Jason du meurtre d’Absyrthe. Ils arrivèrent aux colonnes d’Hercule, rentrèrent dans la Méditerranée, passèrent près de la Sicile, et tombèrent dans le détroit de Carybde et de Scylla, où ils alloient périr, si Thétis, pour sauver Pélée son époux, ne les en eût retirés. Ensuite Orphée, par sa lyre et par son éloquence, les sauva de la dangereuse séduction des Syrènes. Ils éprouvèrent encore beaucoup d’autres obstacles, dont la fortune les fit triompher19.

Quelques auteurs disent que, pendant l’absence de Jason, Pélias, son oncle, empoisonna Éson, son frère, père de Jason, et fit mourir le jeune Promachus, frère de Jason ; mais, suivant l’opinion reçue, Éson vivoit encore, et Médée le rajeunit. Jason demanda à Médée de le venger de Pélias ; ce qu’elle fit par un crime atroce. Elle se rendit à Iolcos, sous les traits d’une vieille magicienne, en déclarant à Pélias et à ses filles qu’elle avoit le pouvoir de rajeunir les vieillards et de ressusciter les morts ; et pour le prouver, elle reprit à leurs yeux sa forme naturelle ; et Médée alors étoit jeune et d’une éclatante beauté. Elle mit en pièces un vieux bélier, qu’elle fit cuire dans une marmite, et elle produisit un agneau qui paroissoit né depuis peu de jours. On dit qu’elle trempa, dans cette composition magique, une branche desséchée d’olivier, qui reverdit aussitôt, et se couvrit de feuilles et d’olives. Alors, Pélias ordonna à ses filles de suivre en tout, pour la terrible opération de son rajeunissement, les ordres de la magicienne. La seule Alceste refusa d’obéir ; mais la crédulité des autres leur donna cet horrible courage. Médée leur ordonna d’égorger leur vieux père, de couper son corps en morceaux, et de le jeter dans la chaudière posée sur un brasier ardent, et qui contenoit sa composition magique. Mais, au lieu de faire revivre Pélias, elle donna le signal convenu aux Argonautes ; aussitôt Iolcos fut attaqué ; Jason et ses compagnons s’emparèrent du royaume, qu’ils abandonnèrent ensuite à Acaste, fils de Pélias. Acaste, qui étoit un des Argonautes, célébra des jeux funèbres en l’honneur de son père, et ne punit point Jason et Médée ; il se contenta de les bannir de ses états. Ce fut aux jeux funèbres, célébrés par Acaste, qu’Astydamie, épouse d’Acaste, devint amoureuse de Pélée, qui méprisa cet amour criminel. Astydamie sut persuader en secret à Acaste, que Pélée avoit voulu la corrompre. Acaste dissimula son ressentiment, se promettant de saisir la première occasion favorable de se venger. Il conduisit Pélée à une partie de chasse sur le mont Pélias ; Pélée, fatigué, s’assit au pied d’un arbre, et s’endormit. Alors Acaste lui enleva ses armes, et le laissa seul, sans défense, exposé aux bêtes féroces et aux attaques des centaures, en général très-cruels ; mais Chiron le défendit et le sauva. Pour se venger d’Acaste, Pélée, assisté de Jason et de plusieurs autres Argonautes, surprit la ville d Iolcos, et mit Acaste en fuite. Astydamie tomba en son pouvoir, il avoit découvert ses calomnies. Par son ordre on la tua, on la hacha en morceaux que l’on dispersa dans une plaine et qu’il fit fouler aux pieds par son armée.

Jason célébra des jeux solennels en l’honneur de Neptune auquel il consacra le navire Argo. Après cette cérémonie il se retira avec Médée chez Créon, Roi de Corinthe. Au bout de quelques années il devint amoureux de Glaucé ou Creuse, fille du Roi, et il répudia Médée pour l’épouser. Médée dissimulant sa rage et son désespoir, eut l’air de se résigner. Elle fit présent à sa rivale d’une robe superbe ; mais à peine Créuse eut-elle mis ce fatal vêtement qu’elle fut consumée par un feu que rien ne put éteindre, son père voulant la secourir périt avec elle. Médée poignarda les enfans qu’elle avoit eus de Jason, ensuite elle mit le feu au palais et s’enfuit dans un char traîné par des dragons ailés. Médée alla se réfugier à Athènes où elle subjugua le vieux Roi Egée, dont elle eut un fils nommé Médus, qui, suivant quelques-uns, donna son nom aux Mèdes. On prétend aussi qu’un des fils de Jason et de Médée ne mourut point du coup de poignard qu’il reçut de cette affreuse magicienne, et que par la suite il donna son nom à la Thessalie où il régna.

Médée, après avoir voulu empoisonner Thésée, fut obligée de fuir d’Athènes, elle erra pendant quelque temps ; elle termina tranquillement ses jours dans la paix et l’obscurité, dénouement peu moral d’une telle histoire. Jason eut une fin tragique, comme il dormoit un jour sur un vaisseau, une poutre se détacha, et lui fracassa la tête.

Castor et Pollux. §

Castor et Pollux, fils de Jupiter et de Léda, furent élevés à Pallène où Mercure les porta aussitôt après leur naissance, ils s’illustrèrent dans l’expédition de la Toison d’or ; à leur retour, ils exterminèrent les corsaires qui ravageoient l’Archipel. Ce service, et l’apparition de deux feux qui voltigèrent autour de leur tête les firent placer, après leur mort, au nombre des Dieux tutélaires des nautoniers. Ces feux continuèrent à être regardés comme des signes de la présence de Castor et Pollux ; si on n’en voyoit qu’un, l’on craignoit la tempête, s’il s’en montroit deux, on espéroit le beau temps. Les deux frères, invités aux noces de leurs parentes Ilaire et Phébé, les enlevèrent ; elles étoient filles de Leucipe, quelques-uns dirent qu’elles étoient Prêtresses, l’une des Dieux, l’autre de Minerve. Ce rapt coûta la vie à Castor, qui périt quelque temps après de la main d’un des époux. Pollux, qui avoit reçu l’immortalité de Jupiter, demanda la résurrection de son frère, et de partager avec lui l’immortalité. Jupiter exauça cette prière touchante de l’amour fraternel, et ils habitèrent alternativement tour-à-tour, les enfers et les cieux. Cette fable est fondée sur ce que l’apothéose de ces héros les a placés dans le signe des Gémeaux, dont l’une des étoiles descend sous l’horizon quand l’autre y paroît. Chez les Lacédémoniens, Castor et Pollux avoient la forme de deux morceaux de bois parallèles, joints par deux baguettes de traverse, et cette ancienne figure s’est conservée jusqu’à nous par le signe , qui dénote encore ces frères Gémeaux du Zodiaque. Pour célébrer leur fête, les Romains envoyoient tous les ans, vers leur temple, un homme couvert d’un bonnet comme le leur, monté sur un cheval et en conduisant un autre à vide. La Grèce les compta parmi ses grands Dieux, ils eurent des autels à Sparte et dans Athènes. Les Romains leur élevèrent un temple par lequel on juroit, le serment des hommes étoit Adopol par le temple de Pollux, et celui des femmes Œ Castor par le temple de Castor. On les représentoit sous la figure de jeunes hommes à cheval, ou en ayant près d’eux, et avec un bonnet surmonté d’une étoile. Ils sont connus dans les poëtes sous le nom de Dioscures20 ou de Tindarides parce que leur mère étoit femme de Tindare Roi de Sparte. Ils se distinguèrent dans les jeux de la Grèce, Castor, par l’art de conduire les chevaux, ce qui le fit appeler dompteur de chevaux ; Pollux, par l’art de lutter, ce qui le fit regarder comme le patron des athlètes.

Achille. §

Le nom d’Achille a été porté par plusieurs personnages fameux dans la Mythologie. Le premier étoit fils de la Terre, il vivoit dans un antre où Junon se réfugia lorsqu’elle fuyoit les poursuites amoureuses de Jupiter. Cet Achille persuada à la Déesse d’épouser Jupiter, et le Dieu, en reconnoissance de ce service, promit à Achille que tous ceux qui dans la suite porteroient son nom se rendroient célèbres. Un autre Achille, fils de Jupiter et de Lamie, étoit si beau, qu’il remporta le prix de la beauté sur Vénus même qui le lui disputa. Ce fut le Dieu Pan qui rendit ce jugement, en punition de cette décision, l’Amour à la prière de Vénus, inspira au Dieu Pan une passion aussi violente que malheureuse pour la Nymphe Écho.

Un autre Achille eut pour tout droit à la célébrité une singularité peu agréable, il naquit avec des cheveux entièrement blancs.

Le grand Achille, immortalisé par Homère, étoit fils de Pélée, Roi de la Phthiotide en Thessalie, et de Thétis : on dit que sa mère le plongea dans le Styx pour le rendre invulnérable, tout son corps le devint excepté le talon par lequel Thétis le tenoit en le plongeant. Afin de lui donner l’immortalité, la Déesse le frotta d’Ambroisie et le mit dans un brâsier pour qu’il y consuma tout ce qu’il avoit reçu de mortel de son père. Pélée se réveilla, et voyant son fils dans le feu, se précipita vers lui et l’en retira, ce qui détruisit sans retour l’effet du charme heureux que la Déesse alloit opérer. Thétis, fut si irritée de ce contre-temps, qu’elle quitta son époux et son fils, et retourna parmi les Néréides. Pour avoir ainsi passé par les flammes, le jeune Prince qui, s’appela d’abord Higyron, fut surnommé Pyrisoüs. Il eut pour gouverneur, Phénix fils d’Amintor Roi des Dolopes en Epire, et le Centaure Chiron. On le nourrit de moëlle de lions, d’ours, de tigres et de plusieurs autres bêtes féroces. Il montra, dès son enfance, un caractère généreux, mais rempli de violence et d’emportement. Chiron, pour l’adoucir, lui apprit la musique et à jouer de la lyre. Sa mère, ayant su de Calchas qu’il périroit au siége de Troye et qu’on ne prendroit jamais cette ville sans lui, l’envoya à la cour de Lycomède dans l’île de Scyros, en habit de fille sous le nom de Pyrrha, pour l’y tenir caché ; étant ainsi caché, il devint amoureux de Déïdamie fille de Lycomède, il l’épousa en secret et en eut un fils nommé Pyrrhus. Lorsque les Grecs s assemblèrent pour aller assiéger Troye, Calchas leur indiqua le lieu de la retraite d’Achille, ils y députèrent Ulysse et Diomède qui se déguisèrent en marchands, s’introduisirent à la cour de Lycomède, ils étalèrent de riches bijoux, parmi lesquels ils placèrent une magnifique armure. Pendant ce temps, leurs gens par leurs ordres excitèrent un grand tumulte aux portes du palais. Ce bruit effraya Déïdamie et les jeunes personnes de sa suite, elles se sauvèrent toutes, mais Achille au lieu de les suivre se jeta de premier mouvement sur les armes, avec l’intention d’aller combattre. Cette action le trahit ; Ulysse n’eut pas de peine alors à lui persuader de s’arracher aux plaisirs pour voler à la gloire, et il l’emmena avec lui au siége de Troye. Thétis, ne pouvant plus lutter contre la destinée de son fils, fut demander pour lui des armes à Vulcain. Le Dieu ne consentît à lui en donner, qu’à condition qu’elle répondroit à son amour, elle le promit, mais elle déclara qu’elle vouloit d’abord se revêtir de la superbe armure, pour connoître, dit-elle, si ces armes iroient bien à Achille qui avoit la même taille. Elle ne les eut pas plutôt endossée qu’elle prit la fuite. Vulcain la poursuivit sans pouvoir l’atteindre, il lui jeta son marteau et la blessa au talon. Achille, arrivé devant Troye, devint la terreur des ennemis. Pendant le siége, Agamemnon fut contraint de rendre sa captive Chriséis à Chrisès, père de cette jeune grecque et grand-prêtre d’Apollon et il enleva à Achille sa captive appelée Hipodamie et surnommée Briséïs du nom de son père Brisès. Le ressentiment et la colère engagèrent Achille, à se retirer dans sa tente, et il ne voulut plus combattre. Durant cette retraite, les Troyens eurent toujours l’avantage. Dans cette extrémité, Agamemnon essaya de calmer la colère d’Achille, il lui fit offrir sept trépieds, dix talens d’or, vingt vases, douze coursiers, sept captives et Briséïs dont il jura qu’il avoit respecté la pudeur. Il députa Phénix, Ajax et Ulysse. Les députés trouvèrent Achille devant sa tente, jouant de la lyre ; en l’abordant, Phénix son ancien gouverneur lui dit : Quelque grand que tu sois Achille, égal aux Dieux, tu le dois à mes leçons21. Achille, inflexible, refusa les présens et rejeta les propositions de paix, mais il retint avec honneur Phénix dans sa tente. Les Troyens encouragés par la résistance d’Achille livrèrent un grand combat où les Grecs furent défaits. Ce fut dans cette occasion qu’Hector répondit au devin Polydamas : Que le seul augure favorable est de combattre pour sa patrie22. Achille, voyant le feu mis aux vaisseaux grecs, se laissa fléchir par les prières de Patrocle, il lui prêta ses armes et ses Thessaliens, en lui ordonnant de se contenter de chasser les Troyens sans les poursuivre et de ne point attaquer Hector. Patrocle repoussa les Troyens et tua Sarpédon, Roi de Lycie et fils de Jupiter ; mais oubliant les ordres d’Achille il poursuivit les Troyens, attaqua Hector et fut tué par ce Prince qui lui enleva ses belles armes. Ménélas et Ajax combattirent long-temps encore pour arracher des mains des ennemis le corps de Patrocle, ils y parvinrent et portèrent à Achille, le corps sanglant de son ami dépouillé de la divine armure. Achille, s’abandonnant à tout l’emportement de son caractère et de sa douleur, poussa des cris lamentables qui firent accourir Thétis, elle lui promit de nouvelles armes faites par Vulcain et plus belles encore que les premières, elle lui défendit de combattre avant de les avoir. En attendant, Achille se montra sans armes aux Troyens, et son seul aspect les fit fuir. A cette admirable idée que donne Homère, de la valeur et de la renommée de son héros, il en joint une plus sublime encore, il dit que les Troyens assemblèrent à la hâte un conseil, mais qu’ils étoient encore si effrayés de l’apparition d’Achille, qu’ils tinrent un conseil debout et tout armés, n’osant s’asseoir dans la crainte qu’Achille ne revint tout-à-coup fondre sur eux. Achille, conservant toujours son caractère passionné, fit enfin pour la vengeance et l’amitié, ce que la raison et l’intérêt de la cause commune n’avoient pu obtenir de lui, il se réconcilia avec Agamemnon. Achille, combattit les Troyens et fit des prodiges de valeur ; durant le combat, le Xante et le Simoïs débordèrent leurs ondes pour engloutir Achille, mais Vulcain sauva le héros par des feux rapides qui desséchèrent ces deux fleuves. Jupiter alors, déployant ses balances d’or, pesa les destinées d’Achille et d’Hector. Le bassin d’Hector descendit et toucha jusqu’aux fondemens des enfers. Achille tua Hector, s’empara du corps de ce malheureux Prince et le traîna autour des murailles de Troye, ensuite il fit de pompeuses funérailles à Patrocle. Il immola sur son tombeau douze jeunes Troyens de familles distinguées. Homère rapporte cette atrocité, non seulement sans indignation, mais avec une simplicité qui prouve que cette barbarie n’avoit rien d’étonnant dans le paganisme. Achille vouloit priver de la sépulture le corps d’Hector, mais il le rendit aux prières et aux larmes de Priam. Ensuite il prit une violente passion pour Polixène fille d’Hécube et de Priam, il la demanda en mariage, et lorsqu’il alloit l’épouser, Pâris lui décocha une flèche, qui, conduite par la main d’Apollon, l’atteignit au talon, Achille mourut de la blessure. On conte encore de ce Prince, que Thétis lui ayant proposé dans son enfance, de vivre long-temps sans gloire, ou de mourir jeune et chargé d’honneurs, il choisit le dernier parti. La fable qui suppose Achille invulnérable, n’étoit pas reçue du temps d’ Homère, ce poëte n’avoit garde de créer une fiction qui auroit anéanti toute la gloire de son héros. Après la mort d’Achille il s’éleva une querelle pour savoir à qui l’on donneroit ses armes, on décida qu’Ajax, fils de Télamon, et Ulysse pouvoient seuls prétendre à l’honneur de les recevoir. Ils plaidèrent leur cause devant les Grecs assemblés, l’éloquence l’emporta sur la valeur, Ulysse obtint les armes.

Les Grecs firent à Achille de magnifiques funérailles sur le promontoire de Sigée où il fut inhumé. On lui éleva un tombeau sur lequel, suivant une tradition démentie par une autre, Pyrrhus immola Polixène à ses mânes. La fable dit qu’Achille dans les enfers épousa Médée et Hélène, et qu’il eut de cette dernière un fils nommé Euphorion, qui fut tué d’un coup de foudre par Jupiter.

Un ancien auteur ( Stace) a fait sur l’enfance et sur l’éducation d’Achille un poëme intitulé l’Achilléïde, mais la mort l’empêcha de l’achever.

Une île du Pont-Euxin appelée Leuce, fut surnommée Achillée parce qu’on y rendoit à Achille, des honneurs divins. On y avoit placé le tombeau et le temple de ce demi-Dieu. On dit qu’ Homère, gardant des brebis dans cette île près de la tombe d’Achille, obtint par ses prières et par ses offrandes que ce Dieu se montrât à lui, mais qu’Achille se fit voir rayonnant d’une lumière si éclatante qu’ Homère en devint aveugle. Cette fiction est si ingénieuse et si belle, qu’il est étonnant qu’elle n’ait jamais été retracée par la poésie et la peinture. Les Amazones abordèrent un jour dans l’île Achillée et obligèrent les habitans à couper les arbres plantés autour du tombeau d’Achille, mais les cognées rebroussèrent contre les travailleurs et les tuèrent au pied des arbres. Les Amazones voulant entrer à cheval dans le temple, leurs chevaux les renversèrent, les dévorèrent et ensuite se précipitèrent dans la mer. Les vaisseaux qui avoient amenés les Amazones furent engloutis. On disoit encore de ce temple d’Achille, que tous les matins, au lever de l’aurore, une multitude d’oiseaux y entroient et le nétoyoient avec leurs ailes. Il y avoit une fontaine nommée Achillée, auprès de Milet, on l’appelloit ainsi parce qu’Achille s’y étoit baigné. Une île du Pont-Euxin fut nommée Achillea en mémoire d’Achille, à qui l’on y rendoit des honneurs divins. On appela Achilléenes, des fêtes célébrées dans la Laconie en l’honneur d’Achille.

Ce héros laissa un fils qui fut Pyrrhus Roi d’Epire qu’il eut de Déïdamie. Pyrrhus massacra le vieux Priam au pied d’un autel, précipita Astianax fils d’Hector et d’Andromaque du haut d’une tour ; il emmena captive Andromaque qu’il épousa, au mépris de la foi qu’il avoit jurée à Hermione fille de Ménélas. Cette amante irritée, fit assassiner Pyrrhus par Oreste.

Pâris. §

On a déjà vu que Priam, fils de Laomédon, s’appela d’abord Podarcès, qu’il fut emmené captif en Grèce avec sa sœur Hésione, qu’il fut racheté, retourna dans sa patrie, et y releva les murs de Troie détruits par Hercule. Il épousa Hécube, fille de Dimas, ou, selon d’autres, de Cirséus. Il en eut un grand nombre de fils, et plusieurs filles. Voici quels furent ses principaux enfans. Hector, Hélénus, fameux devin ; on prétend qu’il trahit sa patrie et que Pyrrhus, qui profita de sa trahison, l’emmena et lui donna la souveraineté de la Chaonie, contrée de l’Épire, Un livre entier de l’Énéide est consacré à cette fable. Énée fugitif, après la destruction de Troie, arriva à Buthrote, chez les Chaoniens, où régnoit Hélénus ; il trouva, dans un bosquet sacré, Andromaque faisant un sacrifice aux mânes d’Hector, près d’un ruisseau qu’elle appeloit le Simoïs. Hélénus avoit donné le nom de Pergame et d’Ilion à la ville de Buthrote ; Énée y reconnut en petit une image de Troie, le ruisseau qui la baignoit s’appeloit Xanthe. Énée baisa la porte faite sur le modèle de la porte Scée. Andromaque s’attendrit en voyant Ascagne qui lui rappeloit son fils, qui lui ressembloit, et qui auroit eu cet âge, elle fit de riches dons à Anchise, à Énée et au jeune Ascagne, elle leur donna des tissus merveilleux, ouvrages de ses mains. Ces détails, ces images douces et charmantes n’appartiennent pas plus au siècle d’ Homère, que les fictions les plus modernes. Cette touchante sensibilité ne pouvoir s’allier à la férocité de ce qu’on appelle les mœurs des temps héroïques. La sensibilité dans les poëmes d’ Homère ne se montre que par des traits rapides et profonds, et non par ces nuances délicates, ces détails prolongés, qui se retrouvent dans quelques-unes des pièces du théâtre grec, ouvrages composés à l’époque de la parfaite civilisation de la Grèce. Ainsi il sembleroit que, lorsqu’on veut imiter les anciens, ce ne seroit pas Homère, tout sublime qu’il est, qu’il faudroit prendre pour modèle, et que l’imitation de Sophocle, d’ Euripide, de Virgile surtout conviendroit mieux à nos mœurs, seroit plus facile et paroîtroit plus naturelle.

Laocoon, fils de Priam, fut Grand-Prêtre d’Apollon. Il s’opposa à l’entrée du cheval de bois, mais on ne voulut pas l’écouter ; en même temps deux grands serpens, qui sortirent de la mer, vinrent attaquer ses enfans au pied de l’autel, il courut à leur secours, et il fut étouffé comme eux dans les replis que ces monstres faisoient autour d’eux avec leurs corps. Cette fable est immortalisée par l’admirable grouppe, chef-d’œuvre de la sculpture antique, et l’un des plus beaux ornemens du Musée impérial.

Déiphobe fut, après Hector, le plus vaillant des fils de Priam. Après la mort de Pâris il épousa Hélène qui le trahit, comme on le verra par la suite.

Polydore, le plus jeune des fils de Priam, fut confié à Polymnestor, Roi de Thrace, qui l’assassina après la prise de Troie, pour s’emparer de ses richesses, Hécube, avec l’aide de ses femmes, creva les yeux de Polymnestor et fut métamorphosée en chienne.

Cassandre, fille de Priam, avoit promis à Apollon de l’épouser, s’il lui donnoit l’esprit de prophétie, lorsqu’elle l’eut obtenu, elle ne voulut plus tenir sa parole, et ce Dieu lui déclara qu’on n’ajouteroit aucune foi à ses prédictions.

Laodice, femme d’Acamas, quelques-uns disent de Démophoon, fut encore une fille de Priam ; la terre s’entr’ouvrit sous ses pas et l’engloutit, comme elle l’avoit desiré, pour échapper à l’opprobre de se voir réduite à l’esclavage par les destructeurs de son pays.

Polixène, autre fille de Priam, fut immolée sur le tombeau d’Achille.

Il reste à parler de l’enfant le plus célèbre de Priam, de celui qui causa la perte de cette malheureuse famille, et dont, pendant long-temps, l’existence fut ignorée.

Pâris ou Alexandre, fils de Priam et d’Hécube, fut, dès le berceau, proscrit par ses parens. Sa mère étant grosse de lui, consulta l’Oracle, qui lui répondit que cet enfant seroit un jour cause de la ruine de sa patrie. Aussitôt que Pâris fut né, Priam ordonna à un de ses officiers, appelé Archéloüs, de le faire mourir ; Archéloüs, par l’ordre secret d’Hécube, le donna à des bergers du mont Ida qui l’élevèrent parmi eux comme un des pâtres de la contrée. En grandissant il ne se fit remarquer que par sa beauté, son adresse dans tous les exercices du corps et sa valeur. Il fut aimé d’Œnone, bergère de ces montagnes et savante dans la connoissance des plantes et de leurs propriétés. Il répondit à ses sentimens et il l’épousa. Il fut choisi par Jupiter pour terminer le différend des trois Déesses, Junon, Pallas et Vénus. Il fut insensible aux richesses que lui promit la Reine de l’Olympe, il méprisa la sagesse que lui offroit Minerve, et séduit par l’espérance de posséder la plus belle femme de l’univers, il donna la pomme à Vénus. Il s’attira sa protection, mais il encourut la haine de Junon et de Pallas qui jurèrent sa perte et celle de toute sa famille. Lorsqu’on célébroit des jeux à Troie, il y alloit et entroit dans la lice, où il remportoit souvent la victoire sur ses frères et sur Hector même, auxquels il étoit inconnu. Priam voulut le voir, le questionna, le reconnut et lui rendit son rang. Il l’envoya en qualité d’ambassadeur à Sparte redemander sa tante Hésione, emmenée jadis par Hercule ; Menélas reçut parfaitement Pâris, le combla d’honneurs, et le laissa dans son palais en partant pour la Crète. Aussitôt que Ménélas fut parti, Pâris, amoureux d’Hélène, au mépris de toutes les lois de l’hospitalité, enleva Hélène, et en emportant une partie des trésors de Ménélas, la conduisit à Troie.

Hélène étoit fille de Léda (femme de Tyndare,) sœur de Clytemnestre et de Castor et Pollux. Elle étoit si belle qu’à l’âge de dix ans elle inspira une grande passion à Thésée et à Pyrithoüs qui l’enlevèrent, ils tirèrent au sort pour savoir auquel des deux elle resteroit. Elle échut à Thésée qui la confia à sa mère Ethra, en lui demandant de la garder jusqu’à ce qu’elle fut en âge d’être mariée. Castor et Pollux firent une irruption dans l’Attique pour redemander leur sœur ; Thésée et Pyrithoüs étoient absens. Académus les conduisit dans la retraite d’Hélène23, ils reprirent leur sœur qu’ils emmenèrent à Sparte avec Ethra qu’ils firent prisonnière.

Quelques années après, tous les Princes de la Grèce demandèrent la main d’Hélène, Tyndare leur fit jurer solemnellement d’assister et de défendre celui d’entre eux qui seroit choisi, ensuite il donna Hélène à Ménélas. Les premiers temps de ce mariage furent heureux, les deux époux eurent une fille appelée Hermione. Après son enlèvement Hélène éprouva les plus cuisans remords. La Fable dit qu’une plante naquit de ses larmes. Cette plante fut par cette raison nommée Hélénium. Homère conserve ce caractère à Hélène : et pour donner une idée de sa beauté, il la fait louer par des hommes que les passions ne peuvent abuser, ce sont des sages, des vieillards qui, en la voyant passer, conviennent entre eux qu’il n’est pas étonnant qu’elle ait causé tant de troubles et de divisions. Hélène, toujours humble, repentante et toujours dans les larmes, ne montre dans l’Iliade, que des regrets et de la douleur ; elle ne parle à Pâris que pour lui reprocher son malheur et son crime ; le poëte, dans toute cette histoire d’un séducteur et d’une femme coupable, a mis une pudeur, une morale qu’on ne sauroit trop admirer.

Après dix ans de siége, Troye fut prise, Pâris reçut une blessure mortelle de la main de Philoctète ; il se fit porter sur le mont Ida, dans l’espoir qu’Œnone le guériroit ; les uns prétendent que cette épouse abandonnée eut la cruauté de lui refuser ses secours, d’autres, qu’elle les lui prodigua vainement, et tous s’accordent à dire qu’après la mort de Pâris elle se tua. Hélène épousa Déïphohe, fils de Priam et d’Hécube, mais elle trahit ce malheureux Prince ; la nuit de la prise de Troye elle introduisit dans son appartement Ulysse et Ménélas ; qui ne lui ôtèrent la vie qu’après l’avoir horriblement mutilé, ils lui coupèrent le nez, les oreilles, les mains, et le laissèrent sans sépulture. Enée le vit en cet état dans les enfers, errant sur les rives affreuses du Cocyte ; Enée à son retour sur la terre lui éleva un monument.

Hélène se retira dans l’île de Rhodes, où Polixo, veuve de Tlépolême, pour venger son mari tué a la guerre de Troye la fit pendre à un arbre. Hélène eut de Pâris une fille à laquelle elle donna son nom. Après la prise de Troye, Hécube, furieuse, tua de sa main cette innocente et jeune Hélène.

Toute la famille de Priam fut exterminée à l’exception d’Enée, Prince Troyen, fils d’Anchise et de Vénus, et petit fils d’Assaracus, il fut élevé par le Centaure Chiron et combattit vaillament pour sa patrie, il avoit épousé Creüse fille de Priam. Il s’échappa de Troye en flammes, avec ses dieux Pénates, il chargea son père Anchise sur ses épaules et tenoit son fils Ascagne par la main. Creüse sa femme le suivoit, elle disparut tout-à-coup, il l’appela et la chercha vainement ; peu de temps après il eut une révélation qui lui apprit que Cybèle avoit enlevé Creüse qui ne reparoîtroît jamais. Suivant Virgile, il équipa des vaisseaux, et aborda en Afrique, où régnoit Didon ; mais dans cet épisode, le poëte fait un anachronisme de trois siècles, Didon n’a vécu que trois cents ans après la prise de Troye. Cette fable étant consacrée par l’Enéide, doit être rapportée ici. Didon fille de Bélus Roi de Tyr avoit épousé Sichée, que Pygmalion frère de Didon fit assassiner pour s’emparer de ses richesses, Didon prit la fuite, elle conduisit une colonie sur la côte d’Afrique, elle y fonda Carthage. Pour fixer l’enceinte de sa nouvelle ville, elle ne demanda modestement qu’autant de terrein que pourroit en couvrir une peau de bœuf, elle fit couper cette peau en longues lanières, ce qui fournit une assez grande étendue, et bâtit une citadelle qui fut appelée birsa cuir de bœuf : Didon qui avoit refusé d’épouser Iarbe, Roi de Mauritanie, prit une passion violente pour Enée, et lorsque ce héros la quitta, elle se poignarda. Enée se rendit en Italie, y fut bien reçu par le Roi Latinus, et s’unit à Lavinia fille de ce Prince, après avoir combattu et tué Turnus son rival. Enée soutint d’autres guerres avec autant de gloire ; ensuite enlevé par Vénus, il disparut de la terre. Les Romains l’honorèrent sous le nom de Jupiter Indigète24.

Agamemnon. §

Il y a dans l’histoire de cette famille une telle complication d’atrocités, d’incestes, de meurtres, de trahisons, que toutes ces horreurs y jettent beaucoup de confusion ; on s’attachera surtout à donner de la clarté à cet épouvantable récit.

Plisthènes fils de Pélops25 et d’Hippodamie, eut pour enfant Agamemnon et Ménélas, qu’il remit en mourant à son frère Atrée. Ce dernier les éleva comme ses propres enfans, c’est delà que ces deux Princes sont appelés Atrides, et fils d’Atrée quoiqu’ils ne fussent que ses neveux. Plisthènes eut encore une fille nommée Anaxibie qui épousa Strophius et qui fut mère de Pylade. Atrée, outre Plisthènes, eut encore un frère appelé Thieste. Atrée épousa Erope fille d’Euristhée Roi d’Argos. Il succéda à son beau-père tué dans l’Attique par les Héraclides ou descendans d’Hercule, et ce fut ainsi que les Pélopides montèrent sur le trône de Mycènes. Thieste frère d’Atrée, corrompit Erope épouse d’Atrée, et il en eut deux fils et une fille nommée Pélopée. L’Oracle lui ayant prédit qu’il auroit un fils de sa fille Pélopée, il la consacra, dès son enfance, à Minerve, et il ordonna de la transporter dans des lieux éloignés et qui lui fussent inconnus, croyant, par ces précautions, se mettre à l’abri de l’inceste dont il étoit menacé. Atrée ayant découvert les crimes de Thieste et d’Erope, chassa Thieste de sa cour. Mais, plusieurs années après, il le rappela sous prétexte de se réconcilier avec lui, alors il égorgea les deux fils de Thieste et d’Erope26. Il fit servir leurs membres déchirés dans les mets d’un festin solemnel qu’il donna à Thieste, et il lui fit boire leur sang mêlé dans du vin. Le soleil se cacha d’horreur pour ne pas éclairer une action si exécrable. On ne sait pas pourquoi le soleil ne se cacha pas de même pour les crimes aussi atroces de Tantale, de Térée, de Médée et de tant d’autres. Thieste échappant à la fureur d’Atrée, prit la fuite. Quelque temps après il rencontra, sans la connoître, sa fille Pélopée dans un bois consacré à Minerve, il lui fit violence, Pélopée lui arracha son épée qu’elle garda. Il eut d’elle un fils que sa mère exposa sur une montagne, et qui, ainsi que tous les Princes abandonnés de la fable, fut recueilli et élevé par des bergers. On le nomma Egisthe parce qu’il fut nourri par une chèvre. Après la mort d’Erope empoisonnée par Atrée, ce dernier, vit Pélopée sans connoître sa naissance, en devint amoureux et l’épousa sans savoir qu’elle étoit sa nièce. Par la suite, Egisthe vint à cette cour, la Reine Pélopée le reconnut et lui fit présent de l’épée de Thieste qu’elle avoit toujours gardée. Egisthe fut élevé avec Agamemnon et Ménélas. Lorsque ces jeunes Princes furent en âge de porter les armes, ils voyagèrent. Agamemnon et Ménélas élevés dans la haine de leur oncle Thieste et l’ayant rencontré à Delphes se saisirent de lui et le menèrent à Atrée qui le fit charger de chaînes et mettre en prison, alors Atrée ordonna à Egisthe d’aller assassiner Thieste, Egisthe obéit, mais comme il alloit lui percer le sein, Thieste reconnut son épée et son fils, Pélopée survint, on lui découvrit cet affreux secret, et saisie d’horreur elle arracha l’épée des mains de son fils et se la plongea dans le cœur ; aussitôt Egisthe porta cette épée sanglante au barbare Atrée en lui disant qu’elle étoit teinte du sang de Thieste. Atrée, s’applaudissant de sa vengeance alla offrir un sacrifice aux Dieux en action de grâce ; pendant cette cérémonie Egisthe le tua de sa propre main, il tira son père de prison, le mit sur le trône, et Thieste chassa ses deux neveux Agamemnon et Ménélas. Mais peu de temps après, Agamemnon reconquit le royaume et en étendit même les limites. Il épousa Clytemnestre, et son frère Ménélas Roi de Lacédémone épousa Hélène sœur de Clytemnestre. Pâris ayant enlevé Hélène, Agamemnon arma toute la Grèce contre le ravisseur et se fit nommer chef de l’expédition contre Troye. Il s’y rendit avec cent vaisseaux. Mais pendant que les Grecs s’assembloient à Aulis, il tua une biche consacrée à Diane. La Déesse en fut si irritée, qu’elle fit naître un calme qui empêcha la flotte de mettre à la voile, en même temps une peste meurtrière causa un ravage affreux dans l’armée. Les devins furent consultés, et Calchas répondit que la Déesse ne s’appaiseroit que par le sacrifice d’Iphigénie fille d’Agamemnon. Mais au moment où l’on alloit immoler cette jeune Princesse, Diane l’enleva et substitua une biche à sa place. Pendant la guerre de Troie, Agamemnon eut une violente dispute avec Achille au sujet d’une belle esclave appelée Briséis qu’il lui avoit enlevée et qu’il fut obligé de lui rendre lors de la prise de Troie. Cassandre, dont il étoit devenu amoureux, lui échut en partage, il l’emmena avec lui dans la Grèce. Pendant sa longue absence, son épouse, Clytemnestre s’étoit laissée corrompre par Egisthe, et il fut assassiné par elle et par Egisthe. Ce Prince eut de Clytemnestre cinq filles : Iphigénie, Chrysotémis, Iphianasse, Laodice, Electre ; et deux fils : Oreste et Halésus27. Il eut en outre de Cassandre sa captive, deux fils. Après la mort d’Agamemnon, Clytemnestre et son amant tuèrent Cassandre et ils immolèrent ses deux enfans sur son tombeau.

Clytemnestre. §

Clytemnestre, fille de Tindare, l’étoit suivant la Fable, de Jupiter, qui séduisit Léda, sous la forme d’un Cygne. Léda accoucha de deux œufs, de l’un desquels sortirent Castor et Pollux et de l’autre Hélène et Clytemnestre.

Agamemnon, avant de partir pour Troie, se réconcilia avec Egisthe et lui confia la garde de son épouse et le soin de régir ses états. En même temps il chargea un musicien de rester auprès de la Reine, et de lui jouer tous les jours sur sa lyre, des airs dans un certain mode qui n’inspiroit que des sentimens nobles et vertueux. Mais l’artiste, gagné par Egisthe, et abusant de son art, dégrada son talent ainsi que son caractère, en choisissant un mode séducteur dont l’harmonie disposoit les ames foibles à toutes les passions dangereuses. Egisthe corrompit Clytemnestre.

Lorsqu’Agamemnon fut de retour, son infidèle épouse, dissimulant sa perfidie, le reçut avec de grandes démonstrations de joie. Quelques jours après, Agamemnon étant dans son bain, Clytemnestre jeta sur lui un filet et avec l’aide d’Egisthe elle le massacra à coups de poignards. Après ce meurtre, les deux assassins tuèrent Cassandre et ses enfans, ensuite Clytemnestre épousa publiquement son complice et lui mit la couronne sur la tête. Oreste alors étoit enfant. Electre, sa sœur ainée, trouva le moyen de le soustraire à la rage de Clytemnestre ; elle l’envoya secrètement à la Cour de son oncle Strophius, Roi de la Phocide, où il fut élevé avec Pylade, fils de Strophius. Ces deux jeunes Princes prirent l’un pour l’autre, cette amitié héroïque et touchante qui, par la suite, les rendit plus célèbres que leurs exploits. Cependant l’existence d’Oreste remplit Clytemnestre de terreur, surtout lorsqu’il eut atteint l’âge où l’on pouvoit craindre sa vengeance. Egisthe et Clytemnestre envoyèrent des assassins chargés de le tuer, et enfin le bruit de sa mort se répandit ; Egisthe et Clytemnestre en conçurent tant de joie qu’ils se rendirent au temple d’Apollon pour en remercier les Dieux ; car les divinités adorées par les payens avoient fait assez de crimes pour que les plus grands scélérats osassent compter toujours sur leur protection. Cependant Oreste, guidé par le dessein de venger la mort de son père, étoit entré secrètement avec Pylade dans Mycènes, et caché chez Electre, il attendoit un instant favorable. Il trouva le moyen de s’introduire dans le temple avec son ami et quelques soldats, tout-a-coup il écarta la garde et tua, de sa main, sa mère et l’usurpateur régicide.

Dans les Coëphores28 d’ Eschyle, lorsqu’Oreste a tué sa mère, il arrive ivre de fureur et de son crime ; il rappelle avec véhémence tous les forfaits de Clytemnestre, il cherche à se justifier à ses propres yeux en les retraçant tous, un moment après il se trouble et il dit : fut-elle innocente ou coupable ? Il est prêt à trouver innocente la meurtrière de son père, qu’il vient d’immoler. Il y a dans ce mouvement inspiré par le remords, une profondeur de sentiment qui frappe et qui saisit29. Dans les Euménides, autre tragédie de cet admirable poëte, Oreste tourmenté des furies se rend à Athènes, Minerve établit l’aréopage pour le juger, il est absous. Après beaucoup d’expiations, Oreste fut rétabli dans ses états, mais les furies le tourmentant toujours, il consulta l’Oracle d’Apollon qui lui ordonna d’aller en Tauride enlever la statue de Diane et sa sœur Iphigénie, qui, jadis enlevée par la Déesse, avoit été transportée en Tauride où elle étoit prêtresse d’un temple de Diane. Oreste obéit, et, suivi de Pylade, il se rendit dans cette contrée barbare où l’on immoloit tous les étrangers sur l’autel de Diane. Oreste fut saisi et condamné, alors Pylade vint offrir sa vie pour sauver celle de son ami, Oreste ne se montre pas moins généreux, alors Pylade veut mourir avec Oreste. Euripide, dans ce combat héroïque, fait dire à Oreste : « capable de souffrir une fois le trépas, je me sens trop foible pour une double mort ». Dans cette même situation, un auteur moderne30 met dans la bouche du malheureux Oreste, fatigué de la vie, ces paroles qu’il adresse à Pylade :

Eh ! quel seroit, dis-moi, quel seroit mon asile,
Si, de concert avec le destin ennemi,
Tu m’ôtois à la fois la mort et mon ami ?…

Oreste s’étant fait connoître à sa sœur, celle-ci fit adroitement suspendre le sacrifice, en persuadant au Roi que ces étrangers étant coupables d’un meurtre, on ne pouvoit les immoler qu’après les avoir expiés, que la cérémonie devoit se faire sur la mer et que la statue de Diane, ayant été embrassée par ces meurtriers, qui avoient cru trouver un asile dans son temple, il falloit aussi purifier dans la mer cette statue profanée. Par ces artifices, Iphigénie monta sans obstacle sur le vaisseau de son frère, elle prit la fuite avec, les deux amis en emportant la statue de la Déesse. Pylade épousa Electre, sœur et libératrice de son ami. Euripide a fait une tragédie intitulée Electre dont l’intrigue intéressante n’a rien de commun avec celles des pièces modernes sur le même sujet. Voici une belle sentence de cette tragédie ;

« Le vice offre un exemple utile aux mortels vertueux, en fixant leurs regards sur sa difformité ».

Oreste massacra Pyrrhus et épousa Hermione. Ce Prince mourut de la morsure d’une vipère.

Ajax. §

Ajax fils d’Oïlée, fut un des Princes Grecs qui allèrent au siége de Troye. Il outragea Cassandre dans le temple de Minerve où elle s’étoit réfugiée pendant l’embrâsement de la ville. Minerve, pour l’en punir, fit élever par Neptune une tempête furieuse dès qu’il fut sorti du port. Après avoir échappé à une infinité de dangers il se sauva sur un rocher où il s’écria : J’en échapperai malgré les Dieux ; Neptune, indigné fendit le rocher avec son trident et l’engloutit sous les eaux. Virgile attribue sa mort à Pallas sans y faire intervenir Neptune. Ajax s’étoit fait une grande réputation par son courage et il rendit beaucoup de services pendant le siége de Troye.

Il y eut un autre Ajax fils de Télamon et de Péribée, qui ne se rendit pas moins célèbre que le premier. Celui-ci, tout aussi impie que l’autre, étoit invulnérable, excepté dans un endroit de la poitrine que lui seul connoissoit. Il fut au siége de Troye et s’y distingua beaucoup ; Hector proposa de combattre seul, un des ennemis ; les Grecs tirèrent au sort pour savoir quel guerrier on opposeroit au héros Troyen. Neuf guerriers furent admis à tirer au sort qui tomba sur Ajax fils de Télamon ; ils se bâtirent pendant un jour entier, la nuit vint, les Héraults les séparèrent ; mais les deux adversaires, charmés de leur valeur mutuelle, voulurent se donner une marque d’estime, avant de se quitter ils se firent des présens funestes, car le beaudrier qu’Hector reçut, servit à l’attacher au char d’Achille, lorsque celui-ci, après l’avoir tué, le traîna autour des murailles. Ensuite, après la mort d’Achille, Ulysse et Ajax se disputèrent ses armes, Ulysse l’emporta. Ajax en devint si furieux que, pendant la nuit, il se jeta sur tous les troupeaux du camp, et en fit un grand carnage, croyant attaquer Ulysse ; mais lorsqu’il recouvra son bon sens il tourna contre lui-même l’épée qu’il avoit reçue d’Hector et se tua. Son sang fut changé en Hyacinthe, fleur en laquelle avoit déjà été métamorphosé le jeune homme de ce nom tué par Apollon. Quelques-uns disent que le sang d’Ajax fut changé en pied d’alouette où l’on croit voir ces deux lettres AJ qui font le commencement du mot Ajax, et qui forment le son naturel par lequel on exprime la douleur lorsqu’on se sent blessé. Ce fut cet Ajax qui aima Tecmesse sa captive, fille du Phrygien Téleuthas, dont il eut un fils appelé Eurysacès, ce mot veut dire large bouclier ; Ajax lui destinant son bouclier, l’avoit ainsi nommé par cette raison. Teucer, frère d’Ajax fut déshonoré pour n’avoir pas vengé sa mort ; mais dans l’Ajax furieux, de Sophocle, il joue un beau rôle par le courage qu’il oppose à la haine des Atrides qui veulent l’empêcher d’ensevelir Ajax.

Les anciens qui ont inventé de si belles allégories, n’ont pris aucun soin de concilier les caractères de leurs Divinités avec leurs fonctions ; par exemple, dans l’Ajax furieux, de Sophocle, la première scène est entre Minerve et Ulysse, la Déesse dit qu’elle a égaré la raison d’Ajax, ce qui ne convient nullement à la Déesse de la sagesse ; cette scène est indigne de la tragédie, et Minerve ne s’y montre point dans son caractère ; elle propose à Ulysse de le rendre invisible, pour lui faire entendre Ajax en démence, afin de rire, dit-elle, aux dépens de son ennemi. Ulysse, ne se fiant point à l’invisibilité, n’ose voir Ajax, et montre une lâcheté aussi ridicule que honteuse, cependant à la fin il accepte la proposition ; Ajax vient, et comme il a les yeux fascinés par la Déesse, il ne voit qu’elle, quoique Ulysse soit présent. Minerve, dans cette scène, fait beaucoup de mensonges et de mocqueries, etc. Malgré tout le respect dû aux anciens, il faut avoir le courage de dire que, dans tous les temps et dans tous les pays, de telles inventions sont détestables puisqu’elles manquent absolument de convenance et de raison, deux choses qui ne se trouvent constamment que dans les grands auteurs modernes, parce qu’elles ne peuvent exister qu’avec la perfection de la morale qui donne à l’esprit une rectitude dont l’heureuse influence se répand sur les ouvrages du genre même le plus frivole.

C’est dans cette même pièce de Sophocle, qu’Ajax, dans un moment de calme, demande à voir son fils encore enfant, et que tout-à-coup craignant de retomber dans ses fureurs il s’écrie : retirez promptement cet enfant. Il semble que La Mothe ait imité ce beau mouvement dans sa tragédie d’Inès de Castro, lorsqu’Inès empoisonnée dit :

Otez-moi mes enfans, ils irritent mes peines !…

Ulysse et Diomède §

On doit remarquer à la gloire du christianisme qui a purifié et fixé toutes les idées vagues sur la vertu et surtout sur le véritable héroïsme, que, depuis l’établissement de cette morale divine, nul poëte, nul écrivain célèbre n’a imaginé de donner au héros d’un poëme ou d’un ouvrage dramatique, un courage équivoque, et un caractère plein d’artifice, de duplicité et de fourberie ; et tel est constamment Ulysse dans la fable et dans les tragédies grecques.

Ulysse (en grec Odisseus) étoit fils de Laertes, petit fils d’Archius, et arrière petit fils de Céphale. Sa mère s’appeloit Anticlée. Comme il montra dès sa jeunesse beaucoup de ruse et d’artifice, on prétendit qu’il étoit fils de Sisyphe le plus fourbe de tous les hommes31. Ulysse, alla dans sa jeunesse, à la chasse sur le mont Parnasse, il y fut blessé par un sanglier, et conserva toute sa vie la cicatrice de cette blessure, qui servit par la suite à le faire reconnoître, à son retour à Ithaque. Les habitans d’Ithaque l’envoyèrent en Messénie pour engager les Messéniens à rendre trois cents brebis qu’ils avoient enlevés ; ce fut à cette occasion qu’Ulysse se lia avec Iphitus, qui lui donna l’arc devenu si célèbre entre ses mains lorsqu’il le dirigea contre les poursuivans de Pénélope. Il épousa la vertueuse Pénélope, fille unique d’Icarius. Ulysse, étoit le Prince le plus éloquent de la Grèce, et le plus artificieux ; il eut autant de part à la prise de Troie, par ses stratagèmes, que les autres Princes grecs y contribuèrent par leur valeur. Il avoit tout tenté pour s’exempter d’aller à cette guerre, afin de ne pas quitter sa jeune épouse. Il feignit même d’être insensé. Palamède plaça sous le soc de la charrue d’Ulysse, Télémaque encore au berceau, Ulysse écarta son fils avant d’achever son sillon, et on découvrit ainsi que sa folie n’étoit qu’une feinte, ce qui, dans la suite, coûta la vie à Palamède. Ce dernier étoit fils de Nauplius, Roi d’Eubée, il se trouva à la guerre de Troie, pendant le siége il inventa divers jeux pour amuser les guerriers ; Ulysse qui nourrissoit contre lui un ressentiment implacable, forma pour le perdre le plus abominable complot, il fit enfouir secrètement une grande somme d’argent dans sa tente, et fit remettre ensuite une lettre supposée de Priam à Palamède, entre les mains d’un Phrygien gagné par lui, qui la montra, et qu’il fit périr aussitôt après. Dans cette lettre, Priam remercioit Palamède d’avoir trahi les Grecs et faisoit mention d’une somme d’argent qu’il lui avoit envoyée. D’après cette lettre Palamède fut cité devant le tribunal des Chefs, on trouva dans sa tente la somme d’argent et il fut lapidé.

Ulysse fut chargé par les Grecs de toutes les députations importantes ; il alla chercher Achille dans l’île de Scyros, et sut découvrir ce héros malgré son déguisement. Ce fut encore lui qui ramena Philoctète de Lemnos, il enleva le Palladium avec le secours de Diomède, il tua Rhésus en trahison, et prit ses chevaux. A son retour, il s’arrêta long-temps, malgré sa tendresse pour Pénélope, dans l’île dangereuse de Calypso. Pendant ce temps, Minerve, sous les traits de Mentor, Roi des Taphiens, conseille à Télémaque, fils d’Ulysse, de quitter Ithaque et d’aller chercher son père. Durant l’absence de Télémaque, les princes amoureux de Pénélope deviennent plus audacieux et plus pressans. Pénélope promet de faire un choix parmi eux quand elle aura fini la broderie qui l’occupe, c’étoit un voile funéraire destiné à ensevelir le vieux Laërte ; mais la Reine qui ne vouloit que gagner du temps, défaisoit durant la nuit, l’ouvrage qu’elle avoit fait pendant le jour.

Ulysse enfin s’arracha de l’île de Calypso, il s’embarqua sur un vaisseau qu’il avoit construit lui-même et équipé en trois jours. Une tempête affreuse brisa son vaisseau ; la petite fille de Cadmus, Ino, admise au nombre des divinités de la mer, vient à son secours, elle lui donne une écharpe divine avec laquelle il doit aborder heureusement en nageant, dans l’île des Phéaciens. Il trouva sur le rivage la belle Nausicaa, fille du Roi Alcinoüs et d’Areté, qui venoit de laver ses plus belles robes, et qui, tandis que ces vêtemens séchoient, jouoit au balon aves ses femmes. Ulysse se couvrit de branches de feuillages et courut implorer la Princesse qui lui dit de suivre son char. Ulysse fut parfaitement reçu par Alcinoüs et par la Reine Areté, qui, chaque jour en s’éveillant, demandoit sa quenouille d’or garnie d’une laine brillante couleur de pourpre. On ne fit aucune question au Roi d’Ithaque, car on ne demandoit aux étrangers leurs noms, qu’après avoir rempli tous les devoirs de l’hospitalité. Pendant le festin, Alcinoüs fit chanter le chantre Demodocus, « le favori des Muses (dit Homère ), qui reçut en partage et des biens et des maux, il fut privé de la vue, mais les Muses lui donnèrent un chant divin32 ».

Il chanta d’abord les amours de Mars et de Vénus. Ulysse qui n’étoit pas encore connu, lui demanda de chanter les exploits d’Ulysse. Pendant ce chant, Ulysse fut si attendri qu’il se couvrit le visage, car il n’étoit pas convenable dans les sacrifices et dans les festins de laisser voir ses larmes. La Reine Areté lui donna le plus précieux de ses coffres33 qui contenoit de magnifiques présens. Ulysse le ferma avec son nœud, que nul autre que lui ne pouvoit délier. On avoit fait un proverbe du nœud d’Ulysse pour exprimer une difficulté insurmontable, il avoit appris ce nœud de Circé.

Ulysse enfin se fit connoître et raconta ses aventures, ses combats chez les Ciconiens, son séjour chez les Lothophages où l’on trouvoit ces fruits délicieux qui faisoient oublier la patrie, séjour corrupteur dont il ne put arracher ses compagnons qu’en usant de violence, ses exploits chez les Cyclopes. ses ruses avec leur chef Poliphême, qui dévora plusieurs de ses compagnons, et auquel il creva l’œil unique qu’il avoit ainsi que tous les Cyclopes, au milieu du front, les détails de son entrevue avec Eole, qui lui donna des outres dans lesquels étoient renfermés les vents nuisibles, et que ses matelots déchaînèrent, en croyant trouver un vin précieux dans ces outres merveilleuses, ses malheurs sur la côte barbare des Lestrigons, dont le loi Antiphate dévora deux de ses compagnons ; ses aventures chez la magicienne Circé, fille du soleil, qui, par un breuvage enchanté, changea en pourceaux ses compagnons, et dont il se garantit par le moyen d’une plante bienfaisante nommée Moly ; la passion de Circé pour lui, qui la décida à rendre à ses compagnons leur première forme, et à lui conseiller de descendre aux enfers, pour y consulter sur ses destins, l’ombre du devin Tirésias ; comment après ce terrible voyage, il évita les pièges séducteurs des Syrènes34 et les gouffres affreux de Carybde et de Scylla ; ses dangers dans l’île du Soleil ou ses compagnons osèrent porter une main sacrilége sur les troupeaux consacrés à ce Dieu, qui les épouvanta par un affreux prodige ; car les chairs sanglantes de ces animaux sacrés, préparées pour un festin, tressaillirent et poussèrent de longs mugissemens ; enfin, son séjour dans l’île d’Ogygie où il passa sept ans avec la belle Calypso.

Ce récit d’Ulysse remplit d’admiration toute la cour d’Alcynoüs, on le combla de présens, on lui donna un vaisseau bien équipé avec un bon pilote, pour le reconduire à Ithaque. Sa navigation fut heureuse, il revit enfin sa terre natale. Sous le déguisement d’un vieux mendiant, il alla d’abord chez Eumée pasteur de ses troupeaux. Eumée, sans le reconnoître, le reçut avec une hospitalité touchante. Ulysse ne se fit d’abord connoître qu’à son fils, qui, toujours sous le même déguisement, l’introduisit dans le palais. En traversant une cour, il vit sur un fumier son ancien chien Argus, accablé de vieillesse ; ce chien fidèle le reconnoît, remue la queue, se traîne vers lui et meurt avant de l’atteindre. Ulysse est insulté par les poursuivans qui se sont établis dans le palais : un mendiant, nomme Arnée et surnommé Irus (qui signifie messager), parce qu’il faisoit beaucoup de commissions, attaque Ulysse qui le terrasse d’un coup de poing. Ulysse a un entretien avec la Reine qui ne le reconnoît pas. Sa nourrice le reconnoît en lui lavant les pieds, à la cicatrice de la blessure qu’il reçut jadis à la chasse, mais il lui impose silence. Pénélope déclare qu’elle épousera celui qui pourra tendre l’arc d’Ulysse : ce Prince avoit laissé cet arc dans son palais, parce que c’étoit un don d’hospitalité, don honorable que l’on conservoit soigneusement pour le laisser en héritage à ses enfans. Aucun des poursuivans ne peut tendre l’arc, Ulysse en vient à bout sans effort, et avec l’aide de son fils il extermine tous les poursuivans, et tous les domestiques infidèles. Il fit grâce au chantre Phémius, fils de Terpius, en faveur de son éloquence et de sa lyre. Télémaque demanda aussi et obtint la grâce du hérault Médon, par reconnoissance (dit Homère) des tendres soins qu’il avoit reçus de lui dans son enfance.

Ulysse, après avoir vaincu tous ses rivaux, régnoit paisiblement à Ithaque, lorsque Télégone, qu’il avoit eu de Circé, arriva dans l’île d’Ithaque. Ulysse, qui ne le connoissoit point, voulut s’opposer à sa descente dans l’île, il y eut un combat dans lequel Ulysse fut tué par son fils Télégone.

Télémaque monta sur le trône. Les uns disent qu’il épousa Nausicaa fille d’Alcynoüs, d’autres, qu’il eut pour épouse Cassiphone, fille de Circé. On ajoute que Télémaque, poussé à bout par le caractère turbulent et dominateur de Circé, la tua, et que Cassiphone, pour venger sa mère, assassina Télémaque.

Diomède, long-temps ami d’Ulysse, étoit fils de Tydée et petit fils d’Œnée, Roi de Calydon, sa mère se nommoit Déipile, fille d’Adraste Roi d’Argos. Tydée, père de Diomède, fut un Prince d’une horrible férocité, quoique la fable le place au rang des plus fameux héros. Il tua les fils de Mélas frère de son père et fut obligé de fuir pour ce meurtre. Il combattit avec beaucoup de courage au siége de Thèbes, il y tua Mélanippe qu’il haïssoit particulièrement ; on lui porta la tête de Mélanippe, il en brisa le crâne avec ses dents et en dévora la cervelle. Ce monstre fut tué dans une embuscade. Diomède son fils épousa Égialée. Il se trouva au siége de Troie, et dans un combat il y blessa Vénus à la main ; il tua l’espion Dolon ; et il aida à enlever les chevaux de Rhésus ; il eut presque toute la gloire de l’enlèvement du Palladium, et voici comment : il partit avec Ulysse pour cette expédition, lorsqu’ils furent arrivés au pied des murs de la ville, il monta sur les épaules d’Ulysse, et, parvenu au haut du rempart, il laissa Ulysse au lieu de l’aider à monter suivant leur convention. Il alla seul enlever le Palladium, et revint rejoindre Ulysse, qui, outré de ce procédé, marcha derrière lui, en tirant son épée dans l’intention de le tuer. Diomède aperçut de côté la lueur de l’épée, se retourna, para le coup et força Ulysse à passer devant lui. Cette aventure donna lieu au proverbe : la loi de Diomède, qui se disoit à l’occasion de ceux qu’on obligeoit à faire quelque chose contre leur gré.

Pendant le siége de Troie, Égialée, femme de Diomède, devint amoureuse d’un jeune homme nommé Cyllabare ; l’effronterie de sa conduite porta Diomède à s’exiler de son pays. Il alla s’établir en Italie, où Vénus changea ses compagnons en hérons.

On terminera cet article par quelques détails sur le siége de Troie. La ruine de cette ville étoit attachée à de certaines fatalités qui dévoient être accomplies avant sa conquête. Voici ces fatalités : un descendant d’Eacus devoit être parmi les assiégeans (Achille) ; il falloit avoir les flèches d’Hercule (Philoctète) ; l’enlèvement du Palladium étoit indispensable ; on devoit empêcher que les chevaux de Rhésus ne bussent de l’eau du Xante ; la cinquième et la sixième fatalité étoient la mort de Troïle, un des fils de Priam, et la destruction du tombeau de Laomédon ; enfin, le secours de Télèphe fils d’Hercule et d’Augé étoit nécessaire. A la fin de la dixième année du siége, les Grecs, d’après le conseil de Pallas, construisirent un cheval de bois d’une hauteur et d’une grosseur monstrueuse, sous prétexte d’une offrande religieuse : ensuite ils laissèrent ce cheval aux pieds des murailles, et feignirent d’abandonner le siége et de se retirer, alors les Troyens eurent l’étonnante simplicité de s’emparer de ce cheval colossal, ils abbattirent un pan de muraille pour le taire entrer dans leur ville : la nuit même de ce jour, les soldats Grecs enfermés dans les flancs du cheval en sortirent et prirent la ville.

Presque tous les Princes Grecs périrent à leur retour de Troie. Nauplius, Roi de l’Eubée, père du malheureux Palamède que les noires calomnies d’Ulysse firent lapider devant Troie, résolut de venger son fils sur tous les Chefs des Grecs. Il envoya ses deux autres fils, Oacès et Nausimédon, chez les épouses de ces Princes, pour leur apprendre ou l’infidélité ou la mort supposée de leurs époux. Ces nouvelles portèrent la désolation dans leurs familles. Anticlée, mère d’Ulysse, se pendit de désespoir ; Pénélope croyant qu’Ulysse avoit péri dans les flots et voulant avoir du moins la même sépulture, se jeta dans la mer, mais on l’en retira. Au retour des Grecs, l’implacable Nauplius alluma des feux sur les rochers Capharéens. Presque tous les Princes périrent contre ces rochers périlleux qu’ils prirent pour des ports, Nauplius et ses fils massacrèrent impitoyablement tous les naufragés qui tombèrent entre leurs mains.

 

Tels sont les héros les plus fameux de la Mythologie, on va parler encore de quelques autres personnages auxquels on n’a pu donner d’attributs particuliers

Nestor. §

Il étoit fils de Nélée et de Chloris. Il fit beaucoup d’exploits dans sa jeunesse et même au siége de Troie, quoiqu’il fût alors le plus vieux de tous les Princes grecs, mais il en étoit aussi le plus sage. Il perdit à ce siége son fils Antilochus qui fut tué en voulant le préserver des coups de Memnon ; il eut beaucoup d’autres enfans, Pisistrate, ami de Télémaque, Thrasymède, etc. et plusieurs filles, son épouse s’appeloit Euridice. En faveur de sa sagesse, Apollon le fit vivre trois-cents ans.

Idoménée. §

Idoménée, petit fils de Minos et Roi de Crète, étoit au siége de Troie, après lequel s’étant mis en mer pour s’en retourner dans son royaume, il fit vœu pendant une tempête de sacrifier la première chose qui se présenteroit à lui, s’il en échappoit. Ce Prince se repentit bientôt d’avoir fait un tel vœu ; car il rencontra son fils et le sacrifia. Ce qui fut cause d’une peste si cruelle que ses sujets le chassèrent. Il alla fonder un nouvel empire dans la Calabre et rendit son nouveau peuple heureux.

Mycile. §

C’étoit un habitant d’Argos. N’ayant pu débrouiller un oracle qui lui avoit dit de bâtir une ville où il se trouveroit, surpris par la pluie dans un temps serein et sans nuage, il alla en Italie où il rencontra une femme qui pleuroit ; croyant trouver le sens de l’oracle dans cette aventure, il bâtit la ville de Crotone en cet endroit.

Ovide rapporte autrement cette fable. Il dit que Numa, voyageant pour s’instruire rencontra un vieillard de Crotone, qui lui conta l’histoire du fondateur de Crotone de la manière suivante : il y avoit à Argos un sage nommé Mycile ; pendant qu’il dormoit, Hercule lui apparut, lui ordonna d’abandonner sa patrie, et d’aller s’établir sur les bords du fleuve Esare. Mycile se réveilla fort embarrassé, car les lois du pays, sous peine de mort, lui défendoient ce qu’ordonnoit le Dieu, c’est-à-dire de quitter son pays ; enfin Mycile se décida à obéir à Hercule, on découvre son dessein, on l’arrête. Lorsqu’à Argos on jugeoit un criminel, on jetoit dans une urne des boules blanches, si on vouloit l’absoudre, et des noires, si on vouloit le faire mourir ; tous les juges de Mycile n’employèrent que des boules noires. Mycile implore Hercule, et dans le moment où l’on renverse l’urne pour compter les voix, on trouve toutes les boules noires changées en blanches, Mycile fut absous et eut la liberté de partir ; à l’embouchure de l’Esare, il trouva le tombeau du célèbre Crotone, il y jeta les fondemens d’une ville, et lui donna le nom de cet homme illustre.

Chalcénor. §

L’oracle ayant ordonné à Chalcénor de bâtir une ville dans l’endroit d’où il verroit le soleil se lever, un de ceux qui l’accompagnoient l’ayant aperçu du pied d’une haute montagne, on y bâtit une ville qui fut nommée Idalion de deux mots grecs qui signifient j’ai vu le soleil, d’où la montagne fut aussi appelée ldalie, elle étoit dans l’isle de Chipre et consacrée à Vénus. Cette fable de Chalcénor rappelle l’histoire de Straton que voici : les esclaves de Tyr se révoltèrent et égorgèrent leurs maîtres ; ils convinrent ensuite d’élire pour roi celui d’entre eux, qui, à un certain jour qu’ils indiquèrent, apercevroit le premier les rayons du soleil. S’étant assemblés à cet effet dans une campagne, tous se tournèrent vers l’orient, les yeux attachés sur la partie du ciel d’où le soleil devoit sortir, un seul regardoit vers l’occident et fut traité d’insensé par ses camarades. Cependant ce fut en leur tournant le dos qu’il vit les premiers rayons du soleil, qui paroissoient sur le haut d’une tour fort élevée ; ses compagnons admirèrent son esprit, mais il avoua qu’il avoit été guidé par Straton son maître, que son attachement ne lui avoit pas permis de faire périr et qui vivoit encore, aussitôt ce même Straton fut élu roi.

Bellérophon. §

Étoit fils de Glaucus roi d’Epire ; ayant tué à la chasse, par malheur, son frère Pirène, il alla se réfugier chez Proclus roi d’Argos, dont la femme, appelée Sthénobée ou Antée, conçut pour lui une passion criminelle qu’il méprisa. Sténobée accusa Bellérophon, auprès de son mari, d’avoir voulu attenter à son honneur. Proclus l’envoya en Lycie avec des lettres adressées à Iobatès père de Sthénobée, pour le faire mourir ; Bellérophon monta le cheval Pégase, défit la Chimère, monstre qu’Iobatès lui ordonna de combattre ; on lui suscita une infinité d’ennemis dont il triompha, il dompta les Solymes, les Amazones et les Lyciens, et il épousa Philonoë fille d’Iobatès après avoir prouvé son innocence,

Allyrhotius. §

Allyrhotius enleva Alcipe, fille de Mars. Le Dieu, pour venger sa fille, tua le ravisseur, et ce fut pour ce meurtre qu’il fut cité en jugement devant un conseil composé de douze Dieux. Ce mot Aréopage (Tribunal d’Athènes) est formé de deux mots grecs le Bourg ou la Colline de Mars, parce que ce fut, dit-on, en ce lieu que Mars, ayant été appelé en jugement devant douze Dieux, fut renvoyé absous.

Évène. §

Roi d’Etolie, fils de Mars et de Stérope, outré d’avoir été vaincu à la course par Idas qui lui avoit promis sa fille Marpèse, s’il remportoit la victoire, se précipita dans un fleuve qu’on appela depuis Evène.

Alyattes. §

Alyattes étoit père de Crésus, et Roi de Lydie ; on conte de lui qu’un jour, étant assis devant les murs d’une ville, il vit passer une femme Thrace, ayant une urne sur la tête, une quenouille et un fuseau dans les mains, et traînant derrière elle un cheval attaché par la bride. Le Roi conçut tant d’estime pour une femme si laborieuse qu’il demanda de quel pays elle étoit, on lui répondit qu’elle étoit de Mysie, petit pays de Thrace ; là-dessus, ce prince fit prier, par ses ambassadeurs, Cotys Roi de Thrace, de lui envoyer une colonie de ce pays, hommes, femmes et enfans35. Ce trait n’est vraisemblablement pas fabuleux, car il est très-conforme aux mœurs de ces siècles reculés. Les anciens, qui avoient des idées si ingénieuses et si justes, ont attribué à tous leurs grands hommes le goût qui rapproche le plus de la nature, celui de l’agriculture, et aux femmes vertueuses, le goût sédentaire qui fixe auprès de ses foyers, celui de travailler à des ouvrages qui occupent agréablement et utilement sans exiger une application qui puisse détourner des devoirs domestiques ou inspirer un orgueil qui en fasse mépriser la simplicité. Les anciens nous représentent leurs sages labourant les champs, décorant leurs jardins, et les femmes dignes d’être proposées pour modèles, passant la plus grande partie de leur vie, à filer, à broder, à faire de la toile ou d’autres ouvrages de ce genre. C’est ainsi que l’histoire nous dépeint Tanaquille femme de Tarquin l’ancien, faisant les habits de son époux et de son gendre Servius Tullius36, Lucrèce travaillant tout le jour avec ses femmes, Livie, épouse d’Auguste, consacrée aux mêmes travaux ; c’est ainsi que la fable nous représente la chaste et fidelle Pénélope, et la belle Andromaque, qui, (dit Homère), formoit le double tissu d’une robe éclatante que sa main embellissoit de tableaux lorsqu’on vint lui annoncer la mort d‘Hector, la Reine Areté, femme d’Alcynoüs ayant brodé tous les tapis dont les sièges du palais étoient recouverts, et se faisant apporter sa quenouille en s’éveillant, Nausicaa sa fille allant au fleuve pour y laver, elle-même, ses plus belles robes, etc. Aussi, lorsqu’ Ovide veut peindre une coquette (Salmacis), il annonce qu’elle est paresseuse, qu’elle n’a d’autre occupation que celle de prendre soin de ses cheveux et de se regarder dans l’onde, de se parer, etc., delà, elle passe à l’effronterie la plus révoltante, elle déclare sa passion, et quoiqu’elle soit belle, elle n’inspire que du mépris et de l’horreur. D’après ces idées, les anciens pensoient qu’une femme ne pouvoit avoir le mérite qui doit la caractériser lorsqu’elle ne possédoit pas ces espèces de talens auxquels il attachoient un si grand prix, qu’ils croyoient que Minerve, c’est-à-dire, la Sagesse elle-même, avoit inventé ces arts que nous dédaignons et qui nous paroissent des occupations puériles, mais c’est une des erreurs de la dépravation, de confondre sans cesse la simplicité avec la frivolité. La véritable frivolité consiste à aimer des choses qui ne sont utiles sous aucuns rapports, et qui sont nuisibles et condamnables à beaucoup d’égards, comme le jeu, et la plupart de nos conversations. Au lieu de coudre, de filer, de broder, on ne veut point étudier, méditer et lire, peu de femmes s’en donnent la peine, mais on a la prétention de se distinguer, d’écrire, et de briller. A combien de femmes ne pourroit on pas dire justement :

Meglio per te s’avessi il fuso el’ vago37.

L’estime des anciens pour les femmes qui consacroient leurs loisirs aux occupations innocentes de leur sexe, étoit telle, que les poëtes nous disent qu’Agamemnon préféroit Chriséïs à Clytemnestre à cause de son adresse à travailler à la toile, le fut par le même sentiment qu’Énée, voulant faire un présent considérable à Segeste, lui donna une esclave Crétoise, nommée Pholoé, parce qu’elle étoit une habile brodeuse. Aux funérailles de Patrocle, on célébra des jeux funèbres dont Achille donna les prix. Homère, dit que l’un des premiers prix étoit une captive habile et industrieuse et il n’ajoute pas qu’elle fut belle38.

On trouve une conformité très-remarquable dans les mœurs des anciens et les mœurs qui existoient dans le temps de la chevalerie : les troubadours, malgré la grossièreté de leurs chants et de leurs poésies, eurent autant de succès, acquirent autant de gloire que les fameux chantres de la Grèce ; toutes les femmes, avoient le goût du travail, plusieurs, (entre autres, Matilde, femme de Guillaume le Conquérant), se plurent à retracer sur la toile les exploits de leurs époux ; des Princes alloient fonder des empires dans diverses parties de l’Europe., et chercher des aventures au-delà des mers : les tournois et les carrousels étoient, comme les jeux antiques, les images de la guerre ; l’esprit chevaleresque semble être le même que celui qui jadis anima les Alcide, les Thésée, les Pyrithoüs, etc. ; les liaisons touchantes des Frères d’armes, retracent parfaitement cette héroïque amitié des Oreste, des Pylade, des Hercule, des Philoctète, etc. Enfin nos chevaliers français, surtout, ont fait des exploits si merveilleux, qu’on peut les comparer, avec avantage, aux anciens Princes Grecs les plus renommés ; les Duguesclin, les Bayard, etc., éclairés par le christianisme, ne pouvoient avoir la férocité des héros de l’antiquité, dont ils eurent l’audace, la générosité, la force physique, la grandeur d’ame et le courage intrépide.

Divinités allégoriques. §

La Vertu. §

La Vertu, fille du Ciel et de la Vérité ; on la représente sous la figure d’une femme vêtue de blanc, assise sur une pierre quarrée. Ce cube de pierre sur lequel elle repose, exprime sa solidité ; on la peint aussi sous les traits d’un vieillard tenant une massue, symbole de la force ; quelquefois on lui donne des ailes déployées qui signifient qu’elle s’élève au-dessus du vulgaire ; son vêtement blanc est le symbole de la pureté. La Vérité mère de la Vertu est la fille du Temps ; elle est souvent personnifiée sous la figure d’une femme légèrement drapée, ayant l’image d’un soleil sur la poitrine et tenant une palme. La Vérité chrétienne est ingénieusement représentée dans quelques tableaux sous la figure d’une femme majestueuse, tenant le livre de l’évangile avec la palme du martyre, foulant aux pieds le globe du inonde, et fixant ses regards sur une croix lumineuse : qui dissipe les nuages sous lesquels se cache l’Erreur qu’on aperçoit dans l’ombre.

Les Romains élevèrent un temple à la Vertu, par lequel il falloit passer pour arriver à celui de l’honneur ; idée aussi juste, aussi belle, qu’elle est morale.

Métastase, dans l’opéra de Didon, fait cette invocation à la Vertu :

O sostegno dei mondo
Degli nomini ornamento e degli dei
Bella Virtude il mio piacer tu sei.
……………………………………
Tu m’assicuri ne’ miei perigli
Nelle sventure tu mi consigli
Et sol contento sento per te39.

On trouve dans la Jérusalem délivrée une belle peinture allégorique de la Vertu, mais le poëte l’a peint sous des traits trop austères, car la Vertu est plus belle encore qu’elle n’est sévère.

L’Amitié. §

Les Romains la représentoient sous la figure d’une femme ayant la tête entièrement découverte, pour exprimer sa sincérité, vêtue d’un habit simple, sur la frange duquel étoient écrits ces mots : la mort et la vie ; sur son front étoit cette autre devise : l’été et l’hiver40 ; elle avoit la poitrine ouverte du côté du cœur, et l’on y voyoit ces mots : de près et de loin ; les devises sont charmantes, mais elles sont placées d’une manière peu agréable. Ce qui est moins ingénieux encore, est de représenter cette consolante divinité, tenant des cœurs, ou se faisant une incision pour montrer son cœur, etc. Une idée plus heureuse est de lui faire embrasser un ormeau sec, entouré d’un cep de vigne, pour marquer qu’elle se montre plus tendre encore dans les disgrâces, que dans les succès. On lui donne pour attributs différentes fleurs, et surtout celles qui ne se flétrissent point, ou qui se fanent difficilement, les immortelles, la fleur de grenadier, etc. On croit que les anciens ne lui élevèrent point de temples, mais qu’elle eut des autels.

Nul auteur n’a mieux parlé de l’amitié que Montaigne, c’est lui qui, en se moquant des amitiés bannales, a dit : « c’est bien assez de se doubler, et n’en connoissent pas la hauteur ceux qui prétendent se tripler ».

On trouve dans Métastase ces jolis vers sur l’Amour et l’Amitié :

Nell’anime innocenti
Varie non son fra loro
Le limpide sorgenti
D’amor e d’amista.
  • Eroe cinese41.

La Reconnoissance. §

La cigogne est l’emblême de la Reconnoissance le plus universellement reçu. On dit que cet oiseau, s’arrache des plumes pour faire un nid à ceux qui l’ont mis au monde et qu’il les nourrit dans leur vieillesse. Aussi les anciens, qui, à la honte de l’humanité, avoient cru nécessaire de faire une loi qui obligeoit de prendre soin de ses parens tombés dans le malheur, l’avoient nommée la loi de la cigogne.

L’éléphant et le lion, animaux qui passent pour être reconnoissants, sont aussi des symboles de cette divinité. On lui donne quelquefois pour attribut un bouquet de fèves, parce que les anciens croyoient que ces légumes engraissoient et bonnifioient la terre qui les produit. Ils consacroient aux morts ces mêmes légumes, peut-être aussi parce qu’elles étoient une sorte d’emblême de la reconnoissance.

On pensoit qu’une des grâces présidoit à la reconnoissance ; on voyoit, dans un des temples de la Grèce, un autel avec cette inscription : à celle des Graces qui préside à la reconnoissance.

Les anciens ont représenté la mémoire des bienfaits, sous les traits d’une jeune personne ayant sur la tête une couronne de genièvre, un grand clou à la main, et debout entre un bon et un aigle. Pline dit que le genièvre ne vieillit pas, qu’il ne se corrompt jamais et que ses feuilles ne tombent point. On croyoit l’aigle aussi reconnoissant que l’eléphant et le lion. On conte qu’un aigle ayant reçu de la nourriture d’une jeune fille, lui fit part depuis de tout le gibier qu’il prenoit, et que, lorsqu’elle mourut, il se jeta en présence du peuple sur son bûcher allumé. Un de nos vieux auteurs ( Bertaut) a dit :

L’ingratitude règne au monde,
On ne se souvient que du mal,
L’injure se grave en métal,
Et le bienfait s’écrit dans l’onde !

M. de Voltaire a fait sur les ingrats les vers suivans :

Ingrats ! monstres que la nature
A formés d’une fange impure
Qu’elle dédaigna d’animer,
Il manque à votre ame sauvage
Des humains le plus beau partage,
Vous n’avez pas le don d’aimer.

L’Espérance. §

Suivant la Fable, elle se trouva au fond de la boîte de Pandore, pour adoucir tous les maux répandus sur la terre.

Cette divinité eut plusieurs temples à Rome, les Grecs l’honoroient sous le nom d’Elpis. On la représente communément appuyée sur un ancre de vaisseau ; les anciens l’ont aussi représentée sous la figure d’une femme, devant une ruche d’abeilles, appuyée sur une colonne, et tenant des épis et des pavots. Une colonne est un appui trop stable et trop solide pour l’Espérance humaine, un fragile roseau vaudroit mieux.

Un peintre anglais, le chevalier Reynolds, a ingénieusement représenté l’Espérance chrétienne42 tendant les bras vers des nuages d’où s’échappent des traits de lumière.

Les anciens l’ont peint quelquefois les yeux fixés sur l’arc-en-ciel qui promet un temps plus serein.

La Paix. §

La Paix étoit fille de Jupiter et de Thémis. Elle fut adorée par les Grecs et les Romains. Il n étoit pas permis de répandre du sang sur ses autels, ainsi les sacrifices qui honoroient les autres Divinités et même le maître des Dieux, eussent souillé ses temples. Ces inconséquences se rencontrent sans cesse dans la Mythologie, puisque toutes ces déités, par les caractères divers qu’on leur attribue et par leurs fonctions, se trouvent essentiellement ennemies les unes des autres.

L’Empereur Vespasien éleva un temple superbe à la Paix, qui fut réduit en cendres sous l’Empereur Commode. Les attributs de la Paix sont un rameau d’olivier, une corne d’abondance, et un caducée, symboles d’un commerce florissant que la Paix favorise. On la peint quelquefois, devant un brasier, brûlant des armes.

Aristophane donne à la Paix, pour compagnes, Vénus et les Graces.

Les colombes de Vénus faisant leur nid dans le casque de Mars est une idée ingénieuse qu’on a souvent employée pour désigner la paix.

La Fortune. §

On représente la Fortune aveugle parce qu’elle a quelquefois d’indignes favoris, mais on auroit dû remarquer que, si elle place souvent mal ses dons vulgaires, elle ne fait des choses véritablement éclatantes et extraordinaires que pour le génie et les grands talens. Pittacus fit placer des échelles dans les temples de la Fortune à Mitilène ; c’étoit un emblême par lequel il vouloit désigner les vicissitudes de la Fortune, qui élève ou abaisse à son gré ceux qu’elle maltraite ou qu’elle favorise. On a dit que les aigles et les serpens pouvoient seuls parvenir au sommet de ces échelles, ce mot est plus ingénieux que juste ; on peut bien en rampant gravir quelques échelons, mais pour atteindre les derniers il faut plus que de la souplesse.

Homère dit que la Fortune est fille de l’Océan, peut-être à cause de l’inconstance de cet élément. On prétend que Bubalus fut le premier sculpteur qui représenta la fortune. Il en fit une statue pour la ville de Smyrne, elle avoit une étoile sur la tête et tenoit à la main une corne d’abondance. Communément on la représente un pied sur une roue pour marquer sa mobilité. Les poëtes lui donnent des ailes, mais on ne la voit ailée sur aucun monument.

Automatia étoit le nom sous lequel on adoroit la Fortune, comme Déesse de l’heureux hazard. Timoléon, après ses victoires, eut la modestie de lui élever des autels.

Les Grecs nommoient la Fortune Tyché. On éleva une infinité de temples à cette Divinité, elle en eut plusieurs à Rome. Les Romains prétendoient que la Fortune, ayant quitté sans retour les Perses et les Assyriens, plana quelque temps sur la Macédoine, qu’ayant vu périr Alexandre le Grand, elle passa en Egypte et en Syrie, arriva enfin au mont Palatin, coupa ses ailes, jeta sa roue et entra dans Rome pour y établir à jamais sa demeure.

Tout le monde connoît la belle ode à la Fortune, de J. B. Rousseau.

Sous le règne de Marie de Médicis, la ville de Rouen fit présent au Duc d’Epernon d’un groupe de vermeil représentant la fortune embrassant d’Epernon ; au-dessous du groupe étoient écrits ces mots :

E per non lasciarti.

Autres divinités allégoriques43. §

La Renommée. §

Fille de la Terre et messagère de Jupiter. Les Grecs lui rendirent les honneurs divins, elle eut à Athènes un autel particulier. Elle ne se repose jamais, elle parcourt nuit et jour le monde, sous la figure d’un monstre ailé, d’une taille gigantesque, tenant une trompette et ayant un nombre infini d’yeux, d’oreilles et de bouches.

Quelle est cette Déesse énorme,
Ou plutôt ce monstre difforme,
Tout couvert d’oreilles et d’yeux,
Dont la voix ressemble au tonnerre,
Et qui, des pieds touchant la terre,
Cache sa tête dans les cieux ?

C’est l’inconstante renommée
Qui, sans cesse les yeux ouverts,
Fait sa revue accoutumée
Dans tous les coins de l’univers.
Toujours vaine, toujours errante,
Et messagère indifférente
Des vérités et de l’erreur,
Sa voix en merveilles féconde,
Va chez tous les peuples du monde
Semer le bruit et la terreur.
  • J. B. Rousseau, ode au prince Eugène.

La Victoire. §

La Victoire ou Nicé, fille de la Déesse Styx et du géant Pallas, étoit représentée sous la figure d’une jeune fille ailée, tenant d’une main une couronne d’olivier et de laurier, et de l’autre une branche de palmier. Les Athéniens ne donnoient point d’ailes à la Victoire, comme pour la fixer près d’eux. Les anciens avoient fait de la Violence, une Déesse, sœur de la Victoire.

L’Histoire. §

Fille du Temps et d’Astrée, elle présidoit à tous les événemens. On la peint avec un air majestueux, magnifiquement habillée, tenant un style d’une main et un livre de l’autre. On pourroit ajouter à cette allégorie qu’elle écrit à la lueur du flambeau de la Vérité.

L’Ambition §

Les Romains avoient élevé un temple à l’Ambition, et comme le dit fort bien l’Encyclopédie, ils le lui devoient. On représente cette divinité avec des ailes, et les pieds nus.

La Providence. §

On la représentoit sous la figure d’une femme âgée et vénérable, tenant une corne d’abondance d’une main, et de l’autre main, tenant une baguette qu’elle étend vers un globe sur lequel elle fixe les yeux. Les Romains en avoient fait une divinité à laquelle ils donnoient pour compagnes, les Déesses Antevorta et Portvorta. Elle avoit un temple dans l’île de Délos.

Sérapis, sur les médailles, signifie la Providence. Le boisseau qu’il porte sur la tête, exprime que la Providence nourrit les hommes et qu’elle fait tout avec mesure.

L’Occasion. §

L’Occasion, étoit représentée sous la figure d’une jeune femme ou d’un jeune homme chauve par derrière, n’ayant qu’une touffe de cheveux sur le front, un pied sur une roue, l’autre en l’air, tenant un rasoir et un voile, et quelquefois marchant, sans se blesser, sur le tranchant d’un rasoir.

La Faveur. §

Fille de l’Esprit et de la Fortune.

Ce mot en latin est masculin, aussi cette divinité a été mise, par quelques auteurs, au nombre des Dieux. Apelles l’avoit représenté sous la figure d’un jeune homme les yeux bandés et ayant des ailes, il étoit entouré de la Richesse, de la Flatterie, de l’Orgueil, de la Volupté, et suivi de l’Envie. Ce cortége lui convient assez bien, du moins en général, mais les yeux bandés offrent une idée fausse, parce que, d’après cette description même, il ne s’agit pas de la faveur que les Rois accordent et qui peut supposer quelquefois de l’aveuglement, il est question de la Faveur obtenue et dont jouissent les courtisans.

Voici une description de la Faveur, plus élégante que celle de la fable, mais qui se confond avec celle de la Fortune :

Au sein des mers, dans une île enchantée.
Près du séjour de l’inconstant Protée,
Il est un temple élevé par l’erreur,
Où la brillante et volage faveur,
Semant au loin l’espoir et les mensonges,
D’un air distrait fait le sort des mortels.
Son foible trône est sur l’aile des Songes,
Les Vents légers soutiennent ses autels ;
Là, rarement la raison, la justice
Ont amené les mortels vertueux ;
L’opinion, la mode, le caprice
Ouvrent le temple et nomment les heureux.
  • Gresset, Épître à ma muse.

La Nécessité ou le Destin. §

Platon dit que la Nécessité tient un immense fuseau de diamans, qui, d’un bout, touchoit à la terre et dont l’autre bout se perdoit dans les cieux. La Nécessité le tournoit avec effort et développoit ainsi toutes les révolutions des Empires et de la nature. On la confond avec le Destin, ou pour mieux dire, le Destin étoit cette aveugle Nécessité à laquelle, suivant les Païens, Jupiter lui-même étoit assujéti. Ce maître des Dieux, et cependant sans prévoyance et sans puissance absolue, ne peut rien sur le sort d’un simple mortel. Lorsqu’il veut sauver Patrocle, il faut qu’il examine sa destinée qu’il ne connoît pas. Il prend les balances immortelles, la pèse, et voit que le Destin l’emporte sur sa volonté. Il ne peut fléchir le Destin pour son fils Sarpédon, ni le garantir de la mort. Les ministres du Destin étoient les trois Parques, chargées d’exécuter les ordres de cette aveugle divinité. On représentoit le Destin couronné d’étoiles, tenant un sceptre de fer et l’urne qui renferme le sort des humains, et ayant sous ses pieds le globe de la terre. Il étoit né du Chaos et de la Nuit. Quoiqu’il fut le plus puissant des Dieux, il n’eut point d’adorateurs parce que ses arrêts étoient irrévocables, pensée ingénieusement exprimée dans ces vers de Métastase :

Se si adorano in terra e perche sono
Placabili gli dei ; d’ogn’ altro il fato
Nume il piu grande : e sol perche non muto
Un decreto giammai, non trovi esempio
Di chi voglia innalzargli nu’ ara, un tempio44.
  • Demofoonte.

Les Prières. §

Les Prières ou Lites, filles de Jupiter, sont ridées, louches et boiteuses ; elles sont à la suite d’Até, Déesse malfaisante, autre fille de Jupiter, qui, chassée du ciel, ne songe qu’à nuire aux hommes. Les Prières cherchent à réparer les maux qu’elle fait.

Quoiqu’on ait beaucoup loué cette allégorie, elle n’est pas l’une des plus heureuses de la fable. Il eût été plus naturel de représenter les prières sous des traits plus intéressans, éplorées, pâles, craintives et filles de l’espérance et de la piété.

 

Le Tasse a dit :

………………… e le preghiere
Mosse della speranza in dio sicura
S’alzar volando alle celesti spere
Come va foco al ciel per sua natura45.
  • La Gerusalemme Liberata.

La Fraude. §

Elle a une tête humaine et une physionomie séduisante, le reste de son corps à la forme d’un serpent tacheté de mille couleurs et qui se termine en queue de scorpion. Elle nage dans les eaux noires et bourbeuses du Cocite, dont elle tire son affreux venin ; elle ne laisse voir que son beau visage.

L’Envie. §

Elle a les yeux égarés, le teint livide, elle est coëffée de couleuvres, elle tient trois serpens d’une main, un hydre à sept têtes de l’autre, un aspic lui dévore le sein :

Au pied du mont où le fils de Latone
Tient son empire, et du haut de son trône
Dicte à ses sœurs les savantes leçons
Qui de leurs voix régissent tous les sons,
La main du temps creusa les voûtes sombres
D’un antre noir, séjour des tristes ombres,
Où l’œil du monde est sans cesse éclipsé,
Et que les vents n’ont jamais caressé.
Là, de serpens nourrie et dévorée,
Veille l’Envie honteuse et retirée,
Monstre ennemi des mortels et du jour,
Qui de soi-même est l’éternel vautour,
Et qui, traînant une vie abbattue,
Ne s’entretient que du fiel qui le tue.
Ses yeux cavés, troubles et clignottans,
De feux obscurs sont chargés en tout temps,
Au lieu de sang dans ses veines circule
Un froid poison qui les gèle et les brûle,
Et qui de là, porté dans tout son corps,
En fait mouvoir les horribles ressorts.
Son front jaloux et ses lèvres éteintes
Sont le séjour des soucis et des craintes ;
Sur son visage habite la pâleur,
Et dans son sein triomphe la douleur,
Qui sans relâche à son ame infectée,
Fait éprouver le sort de Prométhée.
  • J. B. Rousseau.

La Calomnie. §

La Calomnie fut personnifiée par Appelles d’une manière un peu compliquée, mais ingénieuse. Ce grand peintre fut accusé d’avoir conspiré contre Ptolomée Roi d’Égypte, dont il étoit fort aimé. Délivré du danger, il se vengea de la calomnie par un tableau à jamais célèbre. A droite étoit assis un homme à grandes oreilles comme Midas, cet homme tendoit la main à la calomnie qui s’avançoit ; il avoit près de lui, deux femmes, l’Ignorance et la Méfiance, de l’autre côté venoit la Calomnie. C’étoit une belle femme qui paroissoit irritée, elle tenoit de sa main gauche une torche ardente, et de la droite elle traînoit par les cheveux un jeune garçon, qui tendoit les mains vers le ciel. Devant elle marchoit une figure hydeuse qui avoit les yeux perçans, c’étoit l’Envie. Deux autres femmes parloient ensemble à la Calomnie, c’étoient l’Embûche et la Tromperie. Une autre femme qui suivoit vêtue de noir avec des habits déchirés, étoit la Repentance. Elle tournoit la tête en arrière, fondant en larmes, et regardoit avec confusion la Vérité qui s’approche d’elle. Lucien, dans son dialogue contre la Calomnie, nous a conservé ce modèle d’allégorie morale.

L’Ignorance. §

Les Grecs la peignoient sous la figure d’un enfant nu, les yeux bandés, monté sur âne. C’est une mauvaise allégorie, parce que, sous la figure d’un enfant, l’ignorance n’est ni un défaut ni un tort ; et les yeux bandés sont inutiles, puisqu’un enfant, dans le sens moral, ne peut être clairvoyant. Cochin la représente sous les traits d’une femme difforme, aveugle et avec des oreilles d’âne. Rubens l’a peint d’une manière admirable dans la gallerie du Luxembourg.

Lemière en a fait cette description :

Il est une stupide et lourde déité,
Le Tmolus46 autrefois fut par elle habité,
L’Ignorance est son nom : la paresse pesante
L’enfanta sans douleur au bord d’une eau dormante,
Le hasard raccompagne et l’erreur la conduit,
De faux pas en faux pas la sottise la suit.

La Discorde ou Eris. §

Ses attributs sont ceux des furies : elle est coiffée avec des serpens, elle tient une torche ardente d’une main, une couleuvre et un poignard de l’autre. Elle a les yeux étincelans, la bouche écumante et les bras ensanglantés, Homère dit que Jupiter chassa la Discorde du ciel parce qu’elle y causoit d’éternelles brouilleries, et cependant ce même poëte représente les Dieux se querellant sans-cesse.

Les Potaiades étoient les Déesses de la fureur.

La Terreur ou Formido. §

Une femme avec une tête de lion. Les Romains adoroient la Pâleur conjointement avec la Peur ; ils en avoient fait des Dieux, parce qu’en latin leurs noms sont masculins. La Peur étoit fille de l’Ignorance. Très-belle idée, car en effet l’ignorance produit un nombre infini de vaines terreurs, et d’ailleurs, l’objet d’une terreur fondée est beaucoup plus effrayant lorsqu’on n’en connoît pas la nature.

Le Vice. §

Un homme aveugle et nud, coiffé avec des couleuvres, portant comme l’Envie un serpent qui lui ronge le cœur, ayant derrière lui un torrent impétueux, et marchant sur un rocher au bord d’un précipice. Les anciens retraçoient la même idée, sous la figure d’une femme hideuse, tenant d’une main un frein brisé, de l’autre un fouet et des couleuvres, se soutenant sur une jambe de bois, et descendant avec terreur, dans une obscure et profonde caverne.

Nella sorte piu serena
Di se stesso il vizio e pena47.
  • Issipile. —  Métastase.

La Mort. §

Elle étoit fille de la Nuit. Hésiode fixe son séjour dans le Tartare, Virgile la place devant la porte des enfers. Ce fut là qu’Hercule l’enchaîna avec des liens de diamans lorsqu’il délivra Alceste. Les anciens lui élevèrent des statues et des autels. Elle fut particulièrement honorée en Phénicie. Hésiode dit qu’elle a un cœur de fer et des entrailles d’airain. Les anciens ne l’ont jamais représentée sous la forme d’un squelete. On ne pouvoit être familiarisé avec cette forme hideuse, ni même la bien connoître quand on brûloit les corps, et lorsqu’on n’avoit aucune connoissance anatomique. Les anciens peignoient la Mort, pâle, livide, d’une taille gigantesque, planant sur les hommes avec de grandes ailes noires, grinçant les dents, tenant un glaive formidable, et marquant ses victimes avec des ongles ensanglantés. Quelquefois ils l’ont représentée comme la Douleur, tenant un flambeau éteint et renversé, mais fumant encore. On lui sacrifioit un coq.

Les modernes représentent un squelete tenant une faulx, ils lui donnent pour attribut un sablier renversé.

Les anciens firent de la Vieillesse, une divinité infernale fille de l’Erèbe et de la Nuit.

La Nuit étoit fille du ciel et de la terre, elle épousa l’Acheron dont elle eut les furies et beaucoup d’autres enfans. On la représente avec des habits noirs parsemés d’étoiles.

Le temple de la Mort (The Temple of death), par le Duc de Buckingham, est une pièce de vers qui a de la réputation, mais qui est beaucoup trop longue pour la rapporter ici.

La Fable. §

Fille du Sommeil et de la Nuit, épousa le Mensonge ; elle est magnifiquement habillée, son visage est couvert d’un masque.

L’Imagination. §

Ripa la désigne sous les traits d’une femme vêtue d’une robe de couleur changeante, avec des ailes à la tête et portant une couronne formée par de petites figures. Cette allégorie n’est pas heureuse ; il semble que l’Imagination seroit mieux caractérisée, en représentant une femme ailée, cachée jusqu’à la ceinture dans des nuages, les cheveux en désordre, la tête rayonnante, couronnée de lauriers, les yeux élevés vers le ciel, tenant d’une main un verre ardent qu’elle échauffe aux rayons du soleil et de l’autre, une corne d’abondance qu’elle renverse sur la terre et de laquelle tombent des perles, des pierreries et des fleurs.

Un de nos poëtes ( Chaulieu) a personnifié ainsi l’Imagination :

Quel éclair perce la nue,
Quelle est la Divinité
Qui vient offrir à ma vue
Tant de graces et de beauté ?
Qui comme elle peut paroître ?
Sa main sème plus de fleurs
Que l’aurore n’en fait naître.
Et qu’Iris n’a de couleurs.

Son art forme sa coiffure,
L’or, les perles, les saphirs,
Et sa riche chevelure
Est le jouet des zéphirs,
Ce beau feu qui l’environne
Tient de sa vivacité,
Et tout l’air de sa personne
Marque sa légèreté.

Devant elle la Richesse
Marche avec l’Invention,
Alentour volent sans cesse
Le Charme et la Fiction.
Qu’à ses traits, sa gentillesse,
Et qu’à mon émotion
Je reconnois ma Déesse,
C’est l’Imagination, etc.

Pour exprimer la crainte des maux enfantés par l’Imagination, on a inventé l’allégorie suivante : un enfant qui souffle en l’air des bulles de savon, et qui, s’effrayant de de leur chute, inspire la même frayeur à une foule d’enfans sur qui ces bulles vont tomber. Encyclopédie.

Cette allégorie seroit jolie, si l’on ne savoit pas que les enfans connoissent trop ce jeu pour prendre un tel effroi. Il faut de la vraisemblance en tout, c’est-à-dire, de la raison, et c’est à quoi on ne pense pas assez en composant des contes, des fables et des allégories.

La Flatterie48. §

Une femme vêtue d’une robe de couleur changeante, jouant de la flûte et ayant auprès d’elle un cerf. Les anciens croyoient que le cerf aimoit tellement la flûte, qu’en l’écoutant il se laissoit prendre. On donne aussi pour attributs à la Flatterie, des soufflets propres à rallumer le feu et un Caméléon, parce qu’on croyoit que la peau de cet animal réfléchit les couleurs des objets qui l’environnent, ce qui est une erreur ; la lumière seule agit sur la peau du Caméléon, et suivant son degré de force, en varie les couleurs.

Le Désespoir. §

Il tient une branche de cyprès, il a un poignard dans le sein, et un compas rompu à ses pieds.

L’Hypocrisie. §

Le ciel est dans ses yeux, l’enfer est dans son cœur.
  • Voltaire.

On la représente avec des pieds de loup et un voile noir sur sa tête.

Tout le monde connoît cette belle maxime de La Rochefoucault :

« L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu ».

L’Impiété et l’Injustice. §

Fille de l’orgueil et de l’ingratitude, elle est représentée sous les traits d’une femme d’une figure ignoble et avec un maintien arrogant, tenant sous son bras un pourceau et brûlant un pélican avec une torche ardente. L’immortel auteur de Télémaque dit :

« L’Impiété se creusant elle-même un abyme, dans lequel elle se précipite sans espérance ».

Un buste de femme avec une épée étoit, chez les Égyptiens (comme on l’a déjà dit)49 le symbole de l’impiété, qui détruit et ne peut rien produire.

Sous Philippe, Roi de Macédoine, Dicéarque, chef d’une flotte prête à partir pour l’expédition la plus injuste, fit élever deux autels, l’un à l’Impiété et l’autre à l’Injustice50. Alciat représente l’Injustice sous la figure d’une femme foulant aux pieds une balance et tenant un crapaud.

La Superstition. §

Une vieille ayant sur la tête un chat huant tenant d’une main un cercle d’étoiles, de l’autre une chandelle allumée. Il faudroit ajouter à cette figure des oreilles de Midas.

La Médisance. §

On lui donne pour attributs un poignard et un rat qui mord et ronge tout ce qu’il rencontre.

La Fragilité. §

Une femme couverte d’un voile transparant, tenant d’une main un bouquet de fleurs et de l’autre, une phiole de verre suspendue à un fil.

La Tyrannie. §

Une femme armée, debout, ayant une couronne de bronze, tenant un poignard, un mords et un joug. On pourroit ajouter à cette peinture l’idée de Denis le Tyran, un glaive tenant à un crin suspendu sur sa tête.

Le Déshonneur. §

On lui donne des ailes de chauves-souris et une trompette.

L’Aveuglement d’esprit. §

Ses symboles sont une taupe et une tulipe.

La Trève. §

Elle est assise sur un trophée d’armes et sans casque, mais portant encore une cuirasse pour marquer que les hostilités ne sont que suspendues par des conventions fondées sur la bonne foi, ce que la figure indique par sa main gauche portée sur sa poitrine en signe d’assurance, et par l’épée qu’elle tient de la main droite et dont la pointe est baissée vers la terre.

Echéchiria ou Ecéchiria étoit la Déesse des Trèves, on la représentoit recevant une couronne d’olivier.

Dryden, a fait sur une Trève cette belle et frappante comparaison :

Thus, when black clouds draw clown the lab’ring skies51
Ere yet abroad the winged thunder flies
An horrid stillness first invades the ear
And, in that silence we the tempest fear.

L’Éternité. §

Son symbole le plus connu est un serpent qui se mord la queue. On lui donne encore pour attributs, un globe, le phénix et l’éléphant.

On représente aussi l’Éternité sous l’emblême de trois figures sous un même voile.

La Molesse. §

C’est dans le lutrin de Boileau qu’il en faut chercher la description. On n’en citera que ces vers si connus :

…… La Molesse oppressée
Dans sa bouche, à ce mot, sent sa langue glacée
Et lasse de parler, succombant sous l’effort,
Soupire, étend les bras, ferme l’œil et s’endort.

La Paresse. §

Fille du Sommeil et de la Nuit. On a vu, dans le premier volume, Murcie Déesse de la Paresse52.

La Tempérance et la Santé. §

On la représente sous la figure d’une femme tenant un frein et une coupe. La Santé, fille de la Tempérance est la même que Salus. On l’adoroit sous le nom d’Hygiée. Voyez le premier volume.

La description de Gresset fourniroit le sujet du plus charmant tableau :

        Il est une jeune Déesse
Plus agile qu’Hébé, plus fraiche que Vénus,
Elle écarte les maux, les langueurs, les foiblesses,
        Sans elle la beauté n’est plus.
        Les Amours, Bacchus et Morphée
        La soutiennent sur un trophée
        De myrthe et de pampres orné,
        Tandis qu’à ses pieds, abbatue,
        Rampe l’inutile statue
        Du Dieu d’Épidaure enchaîné.

La Clémence. §

Elle tient d’une main une brandie de laurier, et de l’autre, une lance. Le pied de sa statue fut un asile dans Athènes. On lui dédia dans Rome un temple et des autels, après la mort de Jules-César.

La Fidélité. §

Horace dit qu’elle est couverte d’un voile blanc.

On la représente aussi sous la figure d’une femme revêtue de blanc, tenant d’une main un cachet, de l’autre une clef et ayant à ses pieds un chien.

On confond cette divinité allégorique avec la Constance.

Voici la description poétique du séjour habité par la Constance.

In a small isle amidst the wildest seas
Triumphant Constancy has fix’d her seat.
In vain the syrens sing, the tempest beat,
Their flatt’ry she rejects nor fear their threat53.
  • Henry and Emma, by Prior.

La Gloire. §

Elle a des ailes, et pour attributs, une trompette et une corne d’abondance. Sur les anciennes médailles elle est représentée nue jusqu’à la ceinture, portant une sphère où sont les douzes signes du Zodiaque et une petite figure qui tient une palme d’une main, et de l’autre, une guirlande. Sur plusieurs médailles romaines on la voit sous la figure de Rome personnifiée sous les traits d’une Amazone assise sur des dépouilles, portant de la main droite un globe surmonté d’une petite victoire, et de la main gauche tenant un hast. Mais, dans un tableau, le globe et la petite figure de victoire seroient des attributs fort désagréables. Les ailes, la trompette et une couronne de laurier suffiroient. Cette divinité qu’on n’a représentée qu’en accessoire, mériteroit bien de l’être comme figure principale, par la majesté, l’éclat et l’expression sublime qu’elle doit avoir et par la lumière éblouissante qui doit éclairer sa tête ; un grand artiste ne pourroit faire un meilleur choix. La Gloire embrassant la Vertu seroit un admirable sujet de tableau ; d’autant plus que la simplicité, le calme et la tranquilité de la Vertu formeroient le plus beau contraste avec l’enthousiasme et le mouvement passionné de la Gloire.

On a représenté l’amour de la Gloire sous les traits d’un enfant ailé, couronné de laurier, tenant d’une main une couronne civique, (faite de feuilles de chêne), et de l’autre une couronne obsidionale (faite de gramen)54. Un amour adolescent vaudroit mieux qu’un enfant, et, pour exprimer tous les genres de Gloire, il faudroit le poser sur un trophée d’armes et l’entourer de tous les attributs des arts.

La Sagesse. §

Les Lacédémoniens la représentoient sous la figure bizarre d’un jeune homme ayant quatre mains, quatre oreilles55, portant un carquois et tenant une flûte. Les anciens ont dit aussi que Minerve jouoit parfaitement de la flûte ; la douceur de cet instrument l’a fait regarder comme un des attributs de la Sagesse, qui doit toujours, avant d’employer la sévérité, mettre en usage tous les moyens de douceur et de persuasion.

La Prudence. §

Elle est représentée tenant un miroir entouré d’un serpent.

Les feuilles de mûrier et le cerf sont aussi des symboles de prudence.

La Liberté. §

Cette divinité qui, dans l’ordre politique et social et avec les modifications nécessaires, est chère à toutes les grandes ames, n’a jamais été représentée que sous les traits odieux de la licence. Loin que ses symboles puissent la rendre respectable, ils la déshonorent56, soit qu’on n’ait eu d’elle qu’une fausse idée, soit qu’on n’ait été frappé que des maux infinis que l’on peut faire en abusant de son nom.

On représente la liberté, tenant un bonnet et debout près d’un char dont le joug est rompu. On lui donne pour attribut un chat, c’est-à-dire, l’animal le plus indocile, le plus capricieux et le plus ingrat.

La Félicité ou Eudémonie. §

Elle a les attributs de la Paix. On lui fit bâtir un temple à Rome.

L’Indulgence. §

Est représentée par les anciens sous la figure d’une femme d’une physionomie douce et calme, assise entre deux animaux indomptés.

L’Amour de la patrie. §

Un jeune guerrier, ayant derrière lui un brasier allumé, s’avançant devant un épais tourbillon de fumée, tenant dans ses mains, comme l’Amour de la gloire, une couronne de chêne et une couronne de gramen, et foulant à ses pieds des hallebardes et des piques.

Le trait de ce jeune Indien embrassant, en pleurant dans le jardin des plantes, un arbre de son pays, exprime beaucoup mieux l’Amour de la patrie.

Métastase a dit :

E istinto di natura
L’amor del patrio nido57.

L’Expérience. §

Une vieille femme vêtue de gaze d’or, tenant d’une main un carré géométrique, de l’autre, une baguette avec un rouleau sur lequel sont écrits ces mots : rerum magistra, la maîtresse des choses. Elle a à ses pieds une pierre de touche et un vase d’où s’évaporent des flammes.

Aristote dit que l’Expérience est la fille du Temps.

L’Étude et le Temps. §

Un jeune homme assis, écrivant à la clarté d’une lampe, ayant près de lui un coq. Il faudroit mettre le coq sur une fenêtre, qu’il parût chanter pour annoncer les premiers rayons du jour et que la lampe fût presque éteinte.

Voici de jolis vers sur l’Etude :

S occuper c’est savoir jouir,
L’oisiveté pèse et tourmente,
L’ame est un feu qu’il faut nourrir
Et qui s’éteint s’il ne s’augmente.
  • Voltaire.

Le Temps, divinité allégorique, la même que Saturne. (Voyez le premier volume).

Lemière a fait un beau vers sur le Temps, il a dit :

On se plaint que le temps ait fui,
Il faut qu’il pèse ou qu’il échappe.

M.  Thomas nous a laissé une belle Ode sur le Temps.

Le Temps enlevant d’une main la Jeunesse, et de l’autre, répandant les attributs des sciences et des arts seroit une allégorie juste et consolante. Il nous ravit un âge brillant et des agrémens frivoles, mais lui seul peut donner la Science, la Sagesse et perfectionner de grands talens.

La Science. §

Elle a des ailes à la tête, et pour attributs un miroir, une boule, un triangle et des livres.

On représente aussi la Science sous la figure d’une femme tenant une balance ; on voit, dans l’un des bassins, de l’or et des pierreries, dans l’autre, un livre et une plume qui emportent la balance.

La Persévérance. §

Une femme tenant d’une main une mèche allumée et de l’autre, un serpent qui mord sa queue.

La Vigilance et la Diligence. §

La Vigilance a pour symboles une flèche, une lampe et une grue. La Diligence tient un sablier et un éperon.

La Bienveillance, la Bonté et la Tolérance. §

La Bienveillance est couronnée de feuilles de vignes et d’ormeau ; elle tend le bras gauche, et de l’autre, serre contre son sein un alcyon.

La Bonté est vêtue, dit Alciat58, d’une gaze d’or, il ne donne pas de raison de cette magnificence, d’autant plus singulière que l’éclat paroît peu convenir à la Bonté, qui ne veut jamais briller. Elle est couronnée d’une guirlande de rue59 ; elle tient un pélican dans ses bras, elle est debout, parce qu’elle est toujours prête à agir ; on la place à côté d’un arbre planté sur le bord d’une onde pure.

L’Indulgence, comme on l’a dit, est représentée avec un maintien doux et paisible et elle est assise entre deux animaux indomptés. Mais la Tolérance, qui est l’indulgence religieuse, n’a jamais été personifiée, du moins d’une manière supportable. Il semble qu’on pourroit la caractériser ainsi : une femme couronnée d’olivier, portant d’une main le flambeau de la foi, et de l’autre, le voile de la charité qu’elle est prête à étendre sur les objets et les actions qu’elle ne sauroit approuver, mais qu’elle ne veut ni condamner, ni proscrire.

La Puissance ou la Monarchie. §

Une femme magnifiquement vêtue, assise sur un trône, tenant un scèptre, des balances et des clefs.

L’Harmonie. §

Une belle femme couronnée de pierreries, assise sur un trône, jouant de la lyre, ayant à ses pieds un tigre couché et deux colombes.

La Perfection. §

Une femme, le corps dans le Zodiaque et traçant un cercle entier avec un compas.

L’Humilité. §

Une femme vêtue de gris, ayant une couronne sous ses pieds, un agneau couché près d’elle et tenant une balle. Une balle qui ne s’élève jamais davantage qu’en se jetant à terre est, dit-on, l’image de l’Humilité.

La Curiosité et le Secret. §

La grenouille à cause de ses gros yeux est son symbole. Un cachet et une clé désignent le Secret. On personnifie le Secret sous la figure d’un jeune homme dans l’ombre et enveloppé d’une draperie noire ; il a sur la bouche un bandeau sur lequel il imprime lui-même un cachet.

La Pudeur. §

Un voile sur la tête, tenant un lys, ayant une tortue sous ses pieds. Voyez dans le premier volume Dryas Déesse de la Pudeur.

La Pudeur est le don le plus rare des cieux,
Fleur brillante, l’amour des hommes et des dieux,
Le plus riche ornement de la plus riche plaine,
Tendre fleur que flétrit une indiscrète haleine.
  • Racine fils.

L’Innocence. §

Une jeune fille couronnée de palmes, ayant les mains et les bras dans une eau pure et un agneau près d’elle. La Rosalba a fait un tableau charmant de l’Innocence tenant sur son sein une colombe.

La Virginité. §

Une jeune fille carressant une licorne, emblême fondé sur l’opinion que l’on avoit jadis que la licorne se laissoit prendre et apprivoiser par une vierge. D’autres représentent la Virginité sous la figure d’une jeune fille vêtue de blanc avec une couronne d’émeraude et s’attachant une ceinture de laine blanche, parce que, dans l’antiquité, les jeunes filles avoient cette sorte de ceinture qu’elles ne quittoient que le jour de leurs noces. Quant à l’émeraude, c’étoit suivant beaucoup d’auteurs, un symbole de Virginité ; aussi l’émeraude étoit-elle consacrée à Vénus Uranie, c’est-à-dire Céleste.

La Chasteté. §

Une jeune fille vêtue de blanc, tenant un crible d’où s’écoule une eau pure, à ses pieds l’Amour abattu, avec son arc brisé. On la représente aussi voilée, tenant un sceptre et deux tourterelles.

Fin du deuxième volume.