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Mettre en ligne le patrimoine : évolution des usages, transformation des savoirs ?

06 Juin 2017

Mettre en ligne le patrimoine : évolution des usages, transformation des savoirs ?

À l'occasion de la publication des résultats du projets recherche « Mettre en ligne le patrimoine : évolution des usages, transformation des savoirs ? », conduit par la Bibliothèque nationale de France, l'OBVIL et Télécom ParisTech, nous partageons ici l'article publié par Philippe Chevallier dans le carnet de recherche de la BnF.



Ces dernières années, les interfaces d’accès aux collections numériques des bibliothèques patrimoniales ont vu leur audience croître en même temps que le nombre et la diversité des documents mis à disposition. Qui sont les utilisateurs de ces collections ? Comment les découvrent-ils et les utilisent-ils, selon quelle logique d’interrogation avec quels effets sur la connaissance ?

Pour répondre à ces questions, un projet de recherche de 10 mois (2016-2017) a été conduit par la Bibliothèque nationale de France, le labex Obvil et Télécom ParisTech : « Mettre en ligne le patrimoine : évolution des usages, transformation des savoirs ? ». À travers l’exemple de Gallica, bibliothèque numérique de la BnF et de ses partenaires, il s’agissait d’analyser l’évolution des usages des collections patrimoniales numérisées, en particulier la manière dont celles-ci sont perçues et intégrées dans des stratégies de recherche, professionnelles et amateurs.

Portée par des expertises variées, l’approche a croisé des méthodes qualitatives et quantitatives : état de l’art, entretiens, questionnaire en ligne, vidéo-ethnographie. Ce croisement est rendu nécessaire par la grande difficulté d’observer et d’analyser, à travers un unique dispositif, des parcours de plus en plus « maillés » (multi-supports, multi-tâches, etc.) : quantifier des opinions à travers un questionnaire en ligne n’explique pas les raisons de faire des internautes, parfois infra-conscientes ; le récit d’une pratique en entretien recouvre bien souvent les mille et un gestes composant une séquence de recherche sur le web.


Vidéo-ethnographie : entretien d’autoconfrontation avec un gallicanaute (Vincent Barras) © Nicolas Rollet

L’étude qualitative menée par l’équipe de Télécom ParisTech (Beaudouin, V., Garron, I., Rollet, N. (2017). « Je pars d’un sujet, je rebondis sur un autre». Pratiques et usages des publics de Gallica, BnF, Labex OBVIL, Télécom ParisTech). constitue le premier volet du dispositif d’enquête sur les usages de Gallica. Précédée par un état de l’art réalisé par le labex Obvil (Jahjah M. (2017). État de l’art théorique, méthodologique et critique sur les «usages» et les «pratiques», BnF, Labex OBVIL, Télécom ParisTech), elle a servi de support pour la formulation des questions dans l’enquête en ligne et a affiné la connaissance des publics en dépassant des clivages attendus entre chercheurs, étudiants et amateurs. Elle montre en particulier que, chez un même utilisateur, on peut observer tantôt des recherches ciblées (répondre à une question précise), tantôt des recherches approfondies (« creuser des filons ») ou enfin des explorations libres et ludiques ouvertes à toutes formes d’opportunités. La coexistence de ces usages hétérogènes semble être un des traits de ces utilisateurs avertis. Plus généralement, cette étude a permis de révéler l’existence de parcours utilisateurs dont l’attention oscille entre routine et découverte.

Mais la consultation de Gallica ne peut être perçue uniquement comme une activité solitaire face à l’écran, les usages relationnels sont facilités par l’environnement numérique : faire des recherches pour les autres, partager des documents, répondre à des questions posées par d’autres. Ce dernier point ouvre de nouvelles perspectives pour les enquêtes à venir.

Deuxième volet du dispositif, confié à la société TMO, l’enquête en ligne auprès de 7600 usagers de Gallica, la première depuis 2011, a permis de mesurer des évolutions remarquables en cinq ans : développement d’un public de séniors amateurs qui fait de la recherche personnelle le premier motif aujourd’hui de consultation de Gallica ; et en même temps : entrelacement croissant des motifs (professionnel / personnel ; recherche / loisir, etc.) qui rend difficile toute typologie des usagers. En particulier, les variables sociodémographiques sont de moins en moins explicatives des manières de faire, et même du niveau de maîtrise de l’interface. D’où l’importance de réinscrire ces résultats quantitatifs dans l’épaisseur de l’activité humaine, à travers une phase de vidéo-ethnographie.

L’étude vidéo-ethnographique menée par Télécom ParisTech (Rollet, N., Beaudouin, V. Garron, I. (2017). Vidéo-ethnographie des usages de Gallica : une exploration au plus près de l’activité, BnF, Labex OBVIL, Télécom ParisTech) constitue le troisième volet du dispositif d’enquête sur les usages de Gallica. L’objectif est d’observer au plus près les parcours des utilisateurs et les spécificités de leurs pratiques en ligne. La captation audiovisuelle de l’activité à l’écran est complétée par des entretiens d’autoconfrontation qui permettent de donner sens aux observations.

Deux axes d’analyse découlent des données recueillies. Le premier porte sur les phénomènes de catégorisation et d’évaluation (d’une liste de résultats, d’un document) et souligne la façon dont une idée, guidée par des motifs et dynamisée par de la sérendipité, peut émerger et se configurer dans le temps de la consultation. Le second explore la dimension écologique de l’usage de Gallica. Il met en lumière que l’utilisateur de Gallica est engagé dans de nombreuses opérations structurantes associant environnement numérique, matériel et social.

Ce projet a été suivi par un comité scientifique composé de : Didier Alexandre (labex Obvil), Valérie Beaudouin (Télécom ParisTech), Sophie Bertrand (BnF), Laure Bourgeaux (BnF), Philippe Chevallier (BnF), Milad Doueihi (labex Obvil), Isabelle Garron (Télécom ParisTech), Aline Girard (BnF), Marc Jahjah (labex Obvil), Anne Pasquignon (BnF), Thierry Pardé (BnF), Nicolas Rollet (labex Obvil / Télécom ParisTech).

Ce projet a bénéficié des conseils et de l’expertise de Thomas Beauvisage (laboratoire SENSE, Orange), Saadi Lahlou (London School of Economics) et Ludovic Lebart (CNRS, Télécom ParisTech), qu’ils en soient tous les trois chaleureusement remerciés.

Philippe Chevallier

Responsable des études à la délégation à la Stratégie et à la recherche de la Bibliothèque nationale de France

Source : https://bnf.hypotheses.org/1853