Christophe Schuwey

2017

La haine de Molière ? Une question de marketing

Financement : Université de Fribourg
2017
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2017, license cc.
Source : Christophe Schuwey, La haine de Molière ? Une question de marketing, Paris, OBVIL, 2017.
Ont participé à cette édition électronique : Elodie Bénard (Relecture, XML TEI), Chiara Mainardi (Relecture, XML TEI) et Oriane Morvan (Relecture, XML TEI).

Introduction §

Cette analyse resitue la prétendue « haine de Molière » dans le contexte des pratiques commerciales qui avaient alors cours. En observant l’ensemble des soi-disant attaques contre le dramaturge, on remarque en effet un procédé récurrent. En 1660, Les Précieuses ridicules suscitèrent les Véritables précieuses de Somaize et leurs discours caustiques sur Molière ; en 1663, La Critique de l’École des femmes donna lieu à La Véritable critique de l’École des femmes de Donneau de Visé et à La Contre-critique de l’École des femmes de Boursault ; en 1664, L’Impromptu de Versailles à la virulente Réponse à l’Impromptu de Versailles, de Donneau de Visé encore, ainsi qu’à L’Impromptu de l’Hôtel de Condé de Boursault. Or ces réponses et ces titres inversés ne constituent pas un hapax dans l’histoire de la littérature, mais découlent au contraire de techniques commerciales bien attestées. D’où l’hypothèse qui sous-tend notre propos : les attaques que subirait Molière ne seraient en réalité que la réaction opportuniste du marché de la littérature à l’émergence d’une nouvelle vedette.

Il faut en effet souligner que ces différentes attaques parurent sous forme de livre, et non, par exemple, de manuscrits. Il s’agissait donc de produits qui s’inscrivaient dans un circuit d’échanges et qui avaient normalement pour objectif de se vendre. Par ailleurs, l’article de Georges Forestier et de Claude Bourqui sur le buzz de l’École des femmes a démontré tout ce que Molière retira de la controverse autour de sa pièce vedette, en rappelant notamment que L’Impromptu de l’Hôtel de Condé ou la Contre-critique de L’École des femmes furent jouées toutes ensemble, un même soir, devant Molière, pour le plus grand plaisir du public1.

Afin de mettre en lumière les rouages de ces controverses, je propose toutefois d’inverser la perspective. Plutôt que de penser ces affaires du point de vue de Molière, on abordera les choses du point de vue de ses premiers détracteurs. Cette inversion permettra de sortir de la dichotomie ami-ennemi, qu’il s’agisse des discours caustiques des Véritables précieuses ou de l’agressive Vengeance des marquis. Des Précieuses ridicules à L’École des femmes, on voudrait comprendre en somme pourquoi l’on se querelle avec Molière.

Le goût de la dispute §

Les publications qu’engendrèrent les Précieuses ridicules révèlent mieux qu’aucune autre les mécanismes à l’œuvre. Afin de tirer parti du succès triomphal que connut la pièce (les recettes de la troupe augmentèrent soudainement de 340%), les libraires usèrent de stratégies variées. Les plus établis jouèrent la carte de la légalité. Barbin publia ainsi le Récit de la farce des précieuses que lui fournit Mademoiselle Desjardins. Celle-ci décrivait la représentation sans toutefois plagier le texte de Molière2. Un outsider comme le libraire Jean Ribou évoluant dans l’empire du marché gris, c’est-à-dire, le Pont-Neuf, força la main de Molière et fit imprimer subrepticement le texte des Précieuses ridicules quelques semaines seulement après la première représentation de la pièce3. Cette pièce réservée à la scène devenait ainsi un produit de libraire, permettant à Ribou et son collaborateur Somaize de publier une gamme d’ouvrages estampillée « précieuses ».

Le développement de cette gamme se fondait sur deux procédés courants du marché de la littérature. D’une part, faire figurer un terme en vogue – en l’occurrence « précieuse » – dans le titre de plusieurs ouvrages4, d’autre part, inverser un titre ou un sujet. Dans De la connaissance des bons livres, Charles Sorel avait résumé ainsi ces pratiques :

On remarque assez que pour rendre [le débit de certains livres] plus certain, on a observé cette méthode de les faire à l’imitation de ceux qui ont déjà rencontré heureusement. Ainsi quantité de livres donnent l’origine à d’autres, comme s’ils étaient remplis d’une semence fertile. […] Le livre de L’Honnête-homme, a été cause qu’on a fait celui de L’Honnête-Femme et que depuis on a vu L’Honnête-garçon, L’Honnête fille5 […].

Une excellente manière de profiter du succès d’un ouvrage ou d’une pièce consistait donc à en dériver le titre, et en particulier, à l’inverser, à l’instar du mécanisme théâtral des pièces concurrentes6. Le procédé s’appuyait sur le goût du public pour la disputatio. Ce dernier s’incarnait par exemple dans les conversations « agoniques » des romans de Mademoiselle de Scudéry ou dans le cadre de jeux de société tels que celui du « pour et du contre7 ». Or ces pratiques de sociabilité n’impliquaient à aucun moment un quelconque ressentiment et encore moins une haine à l’égard de l’interlocuteur. On jouait son rôle de contradicteur le temps de l’échange, pour le plaisir de débattre. Transposé au marché du livre, ce goût de l’agôn explique la parution des Véritables précieuses, le succès des Précieuses Ridicules donnant lieu à la pièce contraire. Aucune hostilité véritable n’infuse le discours liminaire. La préface des Véritable précieuses s’attache seulement à convaincre que l’ouvrage est meilleur que celui de Molière, dans le prolongement du titre de la pièce :

Mais c’est assez parler des Précieuses ridicules, il est temps de dire un mot des vraies, et tout ce que j’en dirai, c’est seulement que je leur ai donné ce nom, parce qu’elles parlent véritablement le langage qu’on attribue aux précieuses, et que je n’ai pas prétendu par ce titre parler de ces personnes illustres qui sont trop au-dessus de la satire pour faire soupçonner que l’on ait dessein de les y insérer8.

En d’autres termes, puisque la comédie de Molière jouait sur la langue, les Véritables précieuses proposaient un meilleur jeu de langage. Après s’être amusés aux élucubrations des personnages de Molière, spectateurs et lecteurs étaient invités à voir ce que disaient de Véritables précieuses.

Ce procédé commercial explique également que l’édition du Cocu imaginaire fut accompagnée d’un autre ouvrage intitulé La Cocue imaginaire, une inversion portant cette fois-ci sur le genre du protagoniste. Puisque, disait-on dans la préface, Le Cocu imaginaire avait triomphé,

presque tout Paris [avait] souhaité de voir ce qu’une femme pourrait dire à qui il arriverait la même chose qu’à Sganarelle9.

Cette même logique régit encore la querelle de L’École des femmes, la Critique de la pièce ayant donné lieu à La Contre-critique et à La Véritable critique. Cette dernière pièce n’avait évidemment rien de plus véritable que sa devancière et la présence du qualificatif s’explique par son efficacité marketing10. Quant à L’Impromptu de Versailles, il donna lieu à la Réponse à l’Impromptu de Versailles et à L’Impromptu de l’Hôtel de Condé. Ces derniers titres incluaient le marqueur « Critique de l’école des femmes » qui identifiait la gamme de produits ainsi que le marqueur « Véritable » ou « Contre », qui indiquaient la séduisante opposition. Cette pratique de l’inversion s’étendait jusqu’au contenu de la pièce même, La Véritable critique de l’École des femmes prenant pour cadre l’échoppe d’un marchand de la rue Saint‑Denis. Tandis que la Critique de l’École des femmes se situait dans un salon aristocratique, La Véritable critique proposait le pendant citadin et bourgeois de la pièce de Molière11.

Les bénéfices de l’agressivité §

La virulence de certains discours se relie également à des procédés commerciaux attestés. Afin qu’une dispute intéresse le public, afin que celui-ci daigne lire les Contre, Véritables et autres ouvrages dérivés, auteurs et les libraires devaient faire mousser l’affaire. Sorel avait théorisé cet enjeu :

Quand les sujets dont on écrit sont plausibles, comme si c’est une question du temps ou une critique de quelque ouvrage nouveau, cela est fort recherché, tant les esprits du siècle aiment à voir que les personnes les plus remarquables soient censurées. S'il s’y trouve quelque invective contre des personnes de conséquence, cela fait acheter le livre plus cher12 […].

L’objectif consistait donc à transformer les succès de Molière en « question du temps », en objet de débat, afin d’inciter le lectorat à acheter les ouvrages dérivés ou à se rendre aux spectacles.

Molière étant devenu « personne remarquable » depuis le succès des Précieuses ridicules, rien n’était alors plus attrayant que de le « censurer », le critiquer, le railler. La préface des Véritables précieuses remplissait exactement ce rôle. Lorsqu’elle accusait Molière d’avoir volé le sujet aux Italiens, de tenir son savoir-faire des mémoires de Guillot-Gorjut, ou de n’être qu’un farceur, elle appliquait un principe que des milliers de mazarinades avaient mis en œuvre jour après jour, moins de dix ans auparavant, celui de créer la rumeur, le débat, la controverse, prendre une figure à parti pour créer un nouveau créneau, une nouvelle demande, une nouvelle mode13.

On se convaincra de la vacuité de ces discours anti-Molière en observant leur absolue réversibilité. Elle s’illustre dans la préface des Précieuses ridicules mises en vers du duo Somaize-Ribou, le même qui avait publié deux mois auparavant les Véritables précieuses. Afin de vendre ces dernières, il fallait démontrer que les Précieuses ridicules étaient « fausses » ou du moins, incomplètes ; en revanche, vendre la « mise en vers » des Précieuses ridicules demandait de valoriser la pièce en prose originale, un renversement que la préface opéra d’un simple coup de plume :

Je dirai d’abord qu’il semblera extraordinaire qu’après avoir loué Mascarille comme j’ai fait dans Les Véritables Précieuses, je me sois donné la peine de mettre en Vers un ouvrage dont il se dit Auteur […] [Les Précieuses ridicules] ont été trop généralement reçues et approuvées pour ne pas avouer que j’y ai pris plaisir […] si j’en voulais croire ceux qui les ont vues, je me vanterais d’y avoir beaucoup ajouté 14

En évoquant la pseudo-controverse des précieuses, Ribou et Somaize promouvaient au passage les Véritables précieuses et remobilisaient l’attention de l’opinion autour de la lucrative controverse. Cette réversibilité des discours apparaissait plus flagrante encore dans le cas du Cocu imaginaire que publia le même Ribou six mois plus tard. À cette occasion, les textes liminaires constituaient de véritables panégyriques. Qu’on ne s’y trompe pas, toutefois : qu’il s’agisse d’attaques ou de louanges, l’objectif est de mobiliser l’intérêt du public autour de Molière afin d’alimenter le « Molière business ».

En plus des pièces liminaires, l’édition du Cocu imaginaire proposait un dispositif éditorial tout à fait particulier nommé « arguments de chaque scène ». Ces derniers consistaient en un texte bref placé avant chaque scène qui était censé décrire les différents jeux d’acteurs de celle-ci15. Ribou et Donneau de Visé compensaient ainsi la perte de l’action scénique que l’imprimé faisait subir au théâtre de Molière. Ces « arguments de chaque scène » s’acquittaient toutefois assez mal de cette tâche. Leur véritable fonction était de faire de la publicité pour la pièce de Molière, le succès du dramaturge faisant le bonheur des libraires. Ils transformaient ainsi Le Cocu imaginaire en une « question du temps » en reproduisant des débats (réels ou factices) que suscitait la pièce :

Plusieurs ont assez ridiculement repris cette scène, sans avoir pour justifier leur impertinence [autre chose à dire] sinon que l’infidélité d’une maîtresse n’était pas capable de faire évanouir un homme. D’autres ont dit encore que cet évanouissement était mal placé et que l’on voyait bien que l’auteur ne s’en était servi que pour faire naître l’incident […] Mais je répondrai en deux mots aux uns et autres, et je dis d’abord aux premiers qu’ils n’ont pas bien considéré que l’auteur avait préparé cet incident longtemps devant et que l’infidélité de la maîtresse de Lélie n’est pas la seule cause de son évanouissement16 […].

De l’intérêt suscité par Le Cocu imaginaire dépendait le succès de La Cocue imaginaire. Le produit dérivé ne pouvait se vendre qu’à condition que le public souhaite voir « comment une femme réagirait dans la même situation » que Sganarelle17.

 

La fonction des « arguments de chaque scène » éclaire alors le projet qui sous-tend La Critique de l’École des femmes. Faire figurer ces avis de spectateurs au sein de l’édition du Cocu imaginaire, c’était faire émerger dans un livre à large diffusion une critique dramatique, un type de contenus alors inédit au début des années 166018. On sait par la suite combien les pièces suscitèrent une abondante production dérivée de discours critiques19.

La Critique de L’École des femmes développa ce créneau en donnant voix sur le théâtre aux débats de spectateurs. Elle transformait ainsi L’École des femmes en une question du temps, pour parler comme Sorel. Les réponses à ce coup de génie de Molière furent une manière d’exploiter ce même marché. Dans Zélinde ou La Véritable critique de l’École des femmes, Donneau de Visé démultiplia les discours de spectateurs. Ce pot-pourri regroupait une Lettre sur la Critique de L’École des femmes, le discours d’une femme savante nommée Zélinde sur les pièces de Molière, une satire sur la mode, une conversation entre un boutiquier et sa cliente qui critiquaient L’École des femmes… Loin de chercher à contredire Molière, la pièce n’était ni pour ni contre le dramaturge. Pour Donneau de Visé, il ne s’agissait que d’exploiter au mieux un sujet à la mode. En démultipliant les points de vue et les critiques, Zélinde ou La Véritable critique présentait une formule éditoriale innovante mettant en scène des personnages de caractères et d’origines variés.

Le tremplin d’une carrière §

Les libraires comme les auteurs trouvèrent dans ce « Molière business » l’occasion de lancer ou de développer leurs carrières respectives. Avant la publication subreptice des Précieuses ridicules, Jean Ribou n’avait rien édité ; Somaize n’avait donné qu’un pamphlet contre Boisrobert à compte d’auteur20 ; Donneau de Visé fit son entrée dans le monde des lettres avec La Cocue imaginaire. Les triomphes de Molière constituaient ainsi un tremplin de choix.

 

La publication d’une gamme d’ouvrages estampillée « précieuses » permit à Jean Ribou de lancer son activité de libraire éditeur. Les vertus de la querelle furent telles qu’en 1666, il devint l’éditeur de Molière. En publiant le Cocu imaginaire et ses ingénieux « arguments de chaque scène », il avait démontré sa capacité d’innovation21. Lorsque le dramaturge dut changer de libraire et qu’il voulut soigner la réception du Misanthrope, il se tourna naturellement vers Ribou et ses formules éditoriales innovantes.

 

Parler de Molière servit également de tremplin à des auteurs comme Somaize et Donneau de Visé. Les nombreux ouvrages que le premier publia en une année autour des Précieuses ridicules lui donnèrent l’occasion de se faire un nom, de multiplier les dédicaces et les offres de service jusqu’à devenir secrétaire de la nièce de Mazarin, la célèbre Marie Mancini. Le second utilisa Molière comme fonds de commerce. De ses arguments du Cocu imaginaire en 1660 jusqu’à sa Réponse à L’Impromptu de Versailles en 1664, ses quatre premières années d’activité tirèrent parti des succès du dramaturge. Rédiger les arguments du Cocu imaginaire lui donna par ailleurs l’occasion de faire découvrir au monde des lettres ses qualités de chargé de communication.

Le célèbre « Abrégé de l’abrégé de la vie de Molière », qu’il inséra dans ses Nouvelles Nouvelles en 1663, s’inscrivait d’ailleurs dans une logique analogue et servit de produit d’appel. Parce que ce texte contient des rumeurs défavorables au dramaturge, il a souvent été lu comme une attaque contre Molière. C’est oublier que les Nouvelles Nouvelles constituaient une entreprise éditoriale massive en trois volumes, tirant parti de tous les sujets d’actualités et des modes littéraires du moment en assemblant des textes de genres et de sujets variés22. Dans cet ouvrage dont l’attrait résidait notamment dans le fait d’être critique23, Molière n’était ainsi qu’un sujet parmi d’autres. Cet « Abrégé » relevait ainsi de la même logique que celle de la Véritable critique de l’École des femmes : il s’agissait d’une rhapsodie de rumeurs, de lieux communs, de jugements des pièces à propos d’« une personne remarquable » du moment ; en somme, de tout ce qui intéressait le lecteur, afin de l’amener à acheter les Nouvelles Nouvelles. Le contenu de « L’Abrégé » n’est donc ni vrai, ni faux, il ne s’agit pas d’un document sur Molière, sinon à propos de l’intérêt qu’il suscite et la manière dont on en parle. Trois ans après la publication de cette pseudo-biographie, Donneau de Visé joua d’ailleurs ses comédies avec la troupe de Molière, sans que cela ne posât un quelconque problème24.

Parler de Molière servit enfin de tremplin à Edme Boursault, l’auteur de la Contre-critique de L’École des femmes. Durant toute la querelle de L’École des femmes, il jouit en effet d’une promotion toute particulière. Il signa d’une part la couverture de l’édition de la Contre-critique, à la différence par exemple de la Véritable critique de L’École des femmes qui n’était pas signée. D’autre part, son nom fut évoqué à plusieurs reprises dans la suite de la querelle. Molière, d’abord, le railla dans L’Impromptu de Versailles25. Dans les toutes premières répliques de L’Impromptu de L’hôtel de Condé ensuite, lorsque l’acteur Villiers explique pourquoi il doit acheter des rubans :

Demain Monsieur Boursault

Fait jouer sa réponse, et j’ai l’honneur d’y faire

Un marquis malaisé qui ne saurait se taire.

Jugez après cela s’il nous faut des rubans26.

Nommer un auteur vivant dans un texte ou une pièce relève de l’exception. Loin de régler un hypothétique contentieux avec Molière, Edme Boursault investit la querelle de L’École des femmes afin de se faire connaître, exploitant habilement le soutien dont il jouissait à l’Hôtel de Bourgogne.

 

L’étude des intérêts propres de Ribou, Donneau de Visé, Somaize et Boursault indique une fois encore qu’il ne s’agissait pas d’être pour ou d’être contre Molière. Les triomphes du dramaturge créèrent des appels d’air dans lesquels les plus rapides et les plus ingénieux surent s’engouffrer. Les libraires et les auteurs y acquéraient visibilité et réputation, même passagères, et multipliaient les livres vendus. Au vu du tremplin que représentait ce Molière business et le goût qu’avait le public pour la critique virulente, on comprend mieux la surenchère agressive dont firent preuve Donneau de Visé dans la « Lettre sur les affaires du théâtre27 » en 1664 et Le Boulanger de Chalussay dans Elomire hypocondre en 167028. Avant tout enjeu esthétique, Molière était le nom d’une occasion à saisir ; charge à l’auteur de varier les plaisanteries et la manière.

Conclusion §

Les premiers discours « contre » Molière n’étaient donc ni l’expression d’une profonde angoisse esthétique qui motiverait des défenseurs passionnés d’une certaine vision du théâtre, ni le fait de concurrents jaloux et aigris, ni d’amis ou d’ennemis de Molière. Si certains coups portés furent plus réels que d’autres, tout cela se situait avant tout sur le plan du commerce, de la publicité et des stratégies de succès29. Dans le contexte de ce marché du livre nerveux mis en place par les Mazarinades une décennie auparavant, il s’agissait de tirer parti de la mode, du créneau Molière en tant que vedette. C’est parce que le goût du public allait à la querelle, parce que cette dernière conférait un surplus de visibilité à ses protagonistes qu’il y eut des attaques. Plus tard, la critique voulut y voir une haine de Molière.

 

Ces observations plaident également pour un décentrement des études moliéresques. En observant les choses par le seul angle du dramaturge, on écrase le contexte de sa réception. Autour d’un phénomène culturel comme l’émergence de la vedette Molière se jouèrent dans un laps de temps très court des opérations essentielles pour tout le marché du divertissement. Plutôt que de nous parler de « haine de Molière », ces productions nous parlent de la création d’une vedette, des réactions qu’elle entraîne, et des phénomènes auxquels participèrent et dont tirent parti les auteurs et les libraires.