François Lecercle

2017

La moliérophobie du théâtrophobe : à propos de l’abbé de La Tour

Financement : Université Paris-Sorbonne
2017
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2017, license cc.
Source : François Lecercle, La moliérophobie du théâtrophobe : à propos de l’abbé de La Tour, Paris, OBVIL, 2017.
Ont participé à cette édition électronique : Elodie Bénard (Relecture, XML TEI), Chiara Mainardi (Relecture, XML TEI) et Oriane Morvan (Relecture, XML TEI).

Introduction §

Molière est au cœur de la grande salve théâtrophobe française des années 1660 – où paraissent les premiers traités français influents, ceux de Pierre Nicole, du Prince de Conti et du Père Voisin1. Cela n’a rien d’étonnant : il a été la cible principale des adversaires du théâtre parce qu’il a développé une stratégie délibérée de provocation systématique, dont la hardiesse croît de pièce en pièce, de L’Ecole des femmes (1662) au Tartuffe (1664), à Dom Juan (1665) et même Amphitryon (1668). Du coup il restera longtemps la cible principale des attaques théâtrophobes. Un des témoignages les plus tardifs est celui de la gigantesque machine de guerre que sont les Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théâtre de l’abbé Bertrand de La Tour (1701-1780) publiées en 20 volumes, entre 1763 et 17782.

La Tour n’a pas encore sa place au Panthéon des « fous littéraires » mais, parmi les théâtrophobes, il établit un record avec ses 4158 pages d’éructations. A côté de lui, le champion anglais, William Prynne, fait figure d’amateur avec ses misérables 1200 pages3. Il n’est pas question de revenir ici sur les caractéristiques de cette logorrhée venimeuse et obsessionnelle qui tourne parfois à une suite de notes de lecture entremêlées de réactions épidermiques à l’actualité, ramenant tout, de la façon la plus artificielle, au théâtre, proclamé fauteur de tout vice et responsable de la décadence générale des mœurs. Dans ce fatras – qui est à la fois indigeste et désopilant et, finalement, intéressant parce que symptomatique – Molière est l’un des noms les plus récurrents. Il n’est pas exagéré de parler de « haine de Molière » car La Tour est taraudé par la douleur de voir porter au pinacle celui qui incarne le contraire absolu du théâtre qu’il a lui-même écrit – car cet abbé théâtrophobe a écrit des pièces de patronage dont la mièvrerie le dispute à une piété sirupeuse4. Cette hantise est perpétuellement ravivée : ce qui est frappant, quand on suit à travers le temps les sorties contre Molière, c’est à quel point elles sont suscitées par l’actualité. D’où des crispations périodiques : La Tour multiplie les sorties, au fil des 20 tomes, mais avec des moments particulièrement denses, aux tomes 5, 9 et 12.

Moliérophobie et moliéromanie : une haine nourrie par l'actualité §

Si La Tour est tellement obsédé, c’est que l’actualité lui renvoie perpétuellement cette image honnie : sa moliérophobie est à la mesure de la moliérolâtrie ambiante. Il parle de « moliéromanie » mais c’est un véritable culte qu’il dénonce : Molière est traité comme un « dieu ». Le chapitre « Eloge de Molière » (IX, 5), est hanté par cette idée : « le Dieu Molière » (171), « Molière divin » (172), « Molière égal aux Dieux » (173)5.

L’actualité force l’abbé à mesurer les progrès de la gloire de Molière : au fil des livres, il guette les signes de cette promotion, d’autant plus stupéfiante que, en son temps, « l’Académie Française [n’en avait] pas voulu » (IX, 2, 14). Il réagit d’abord à l’éloge de Molière, proposé par l’Académie en 1768, à l’instigation de Pinot Duclos, et remporté par Chamfort6, puis aux prix proposés par les académies de Lyon et de Besançon (IX, 5). Il réagit ensuite à une série continue de « scandales ». Cailhava de l’Estandoux prend Molière comme parangon de l’art dans De l’art de la comédie7. Le centenaire de Molière est célébré en 1773, par une cérémonie à la Comédie Française, que La Tour dénonce (XII, 1), exaspéré par « le culte du Dieu Molière » (XII, 2). Les comédiens français décident de ne jouer que Molière un jour par semaine (XIII, 3, 103). Molière est promu héros de théâtre par le Molière de L. S. Mercier, adapté de Goldoni (1776), ce que La Tour dénonce par une salve contre Mercier (XVIII, 3). Et l’exaspération va croissant, La Tour dénonçant les progrès de cette peste : « la Moliéromanie a gagné tous les arts » (XIX, introduction, 1)8. Dans le dernier volume, c’est le succès international qui motive les dernières sorties. Le Journal encyclopédique rend compte, en décembre 1772, du « Discours sur Molière » prononcé par P. J. Bitaubé à l’Académie royale de Berlin, en 17709, suscitant ce commentaire : « La Moliéromanie, sur les pas de César et de Louis XIV, a passé en triomphe le Rhin, comme l’anglomanie a traversé la Manche. M. Bitaubé et l’académicien de Berlin10 a enrichi le recueil de son académie d’un immense panégyrique de Molière qui enchérit sur tout de qu’en ont dit Chamfort, La Harpe et tous les enthousiastes de Molière qui, d’un libertin et d’un Tabarin, font un dieu » (XX, 1, 16-17).

Cette haine s’exprime en termes généralement très forts : La Tour condamne Molière comme l’incarnation absolue de l’abomination qu’est le théâtre. Mais les propos fluctuent, allant parfois jusqu’à la contradiction. A côté du mépris intense, on entend à l’occasion un son de cloche différent. Pour faire tomber Molière du piédestal où on veut le mettre, La Tour en vient à en faire un dramaturge ordinaire : « Molière est comme les autres, la manie de nos jours de l’élever sur ses contemporains et sur ses successeurs n’est rien que mode » (XV, 2). Parfois même, il apparaît comme moins nocif que d’autres. Dans une tirade contre L’Ecole des femmes, L’Ecole des maris et George Dandin, dénoncées comme apologie de l’adultère, La Tour s’en prend brusquement aux jansénistes : « Je n’ai garde de soupçonner dans les gens de théâtre un projet semblable à celui de Bourgfontaine où les Jansénistes, dit-on, composèrent un système réfléchi de déisme et formèrent le dessein suivi de détruire la religion et les mœurs. Molière en eût été capable, mais je ne fais ni cet honneur ni ce tort à ses confrères ». (V, 3, 64). Est esquissée ainsi une curieuse échelle des crimes : les jansénistes sont au plus bas11, Molière n’est que potentiellement aussi abominable, les autres dramaturges viennent ensuite. Mais la différence s’estompe parfois entre Molière et les autres, comme le suggère un parallèle entre Phèdre et Tartuffe12. Le fossé se comble entre le baladin qui renchérit d’impiété et le tragique qui, dans sa vieillesse pieuse, a renoncé au théâtre.

Les trois facettes du procès contre Molière §

Globalement, toutefois, c’est bien un procès en règle et continu que les Réflexions instruisent contre Molière. Il a trois facettes. La première est un procès ad hominem : La Tour multiplie les attaques contre la personne, les mœurs et la vie de sa cible : il lance des sous-entendus fielleux sur l’inceste (Molière épouse une fille dont on ignore le père) et emprunte à Bayle le récit de ses supposés malheurs conjugaux (V, 3, 65-67). Il s’en prend à son apparence physique : « Cet Arlequin était fort laid : une mine basse, des traits grossiers, une physionomie impudente et chagrine annonçaient son origine, son métier, ses mœurs et son caractère ». (XX, introduction, 2). Il ne se lasse pas de dénoncer son inculture et revient à plusieurs reprises sur la traduction de Lucrèce déchirée par un domestique, pour conclure que la perte en est légère ou que cette traduction est une pure invention (XVI, 1, 32 et XIX, 5, 137).

Le deuxième procès est intenté au dramaturge. La gloire de Molière est d’autant plus choquante qu’elle magnifie un médiocre, qui n’a tout fait que par goût du lucre : « Molière saisissait tout ce qui pouvait grossir sa recette » (XIX, introduction, 3). En outre, cette renommée est usurpée puisque Molière n’était qu’un plagiaire (XX, 1, 20). La Tour ne perd aucune occasion de le rabaisser, soit que sa réputation doive tout au hasard13, soit que son œuvre ne souffre pas la comparaison avec ses successeurs14. L’abbé n’est pas à une contradiction près, car la médiocrité ne justifie pas un tel acharnement. Si Molière était si insignifiant, il ne serait pas besoin de déployer une telle hargne.

La troisième facette est la principale : instruire le procès de Molière, c’est instruire celui du théâtre. Les deux vont de pair. La Tour s’emploie donc à recenser les crimes dont le dramaturge s’est rendu coupable pour montrer de quoi la scène est capable. Molière est, tout d’abord, l’« un des plus dangereux ennemis de l’Eglise » (I, 6, 123), car il porte atteinte à la religion, en particulier dans Dom Juan (I, 6). Mais sa nocivité est bien plus générale encore, car il attaque les fondements de la société, en particulier le mariage, dans Georges Dandin et dans Amphitryon (V, 2) qui distillent une morale des plus pernicieuses15. En quoi l’abbé manque de clairvoyance : il ne voit pas qu’il y a, dans Amphitryon, bien plus qu’une morale permissive et que la liberté accordée aux femmes n’est rien à côté des équivoques comiques sur la Trinité.

Autre crime : oser prendre la défense de son art et rétorquer aux justes censures dont il a fait l’objet. Il a été le premier à faire une apologie ouverte de la comédie, après la condamnation de son Tartuffe (VIII, 5). Le livre IX, qui s’emploie à pourfendre les prétendues réformes du théâtre, est largement focalisé sur Molière, présenté comme le chef de file des réformateurs. Le livre s’ouvre sur un chapitre entièrement consacré à Molière : « Réformation de Molière »16. C’est sans doute là le principal grief : non seulement Molière incarne la quintessence de la dépravation théâtrale, mais on le propose comme le parangon de la moralisation.

La Tour s’attaque donc aux trois réformes dont on crédite Molière : avoir épuré les mœurs de la Nation, en finir avec la grossièreté du théâtre et rompre avec le mauvais goût de la comédie. Il s’emploie à démolir l’idole par diverses accusations dont son outrecuidance : ce bateleur croit que la gloire lui est due, alors même que l’Académie Française n’a jamais voulu le recevoir (IX, 1, 14). Mais l’actualité apporte à l’abbé un démenti cinglant avec le prix que l’Académie propose. Molière prouve peut-être la dégénérescence des mœurs mais il inflige aussi au polémiste un désaveu personnel. La Tour a beau faire, la gloire croissante de Molière démontre qu’il prêche dans le vide.

Il y a sans doute une composante très intime dans cette haine : cet abbé lettré ressent la gloire de Molière comme une offense personnelle. La Tour a passé la deuxième moitié de sa vie à Montauban – de 1740 à 1780 – en déployant une grande activité pour se faire une place dans la vie culturelle (il finit secrétaire de l’Académie des belles lettres fondée par Lefranc de Pompignan), mais il constate le succès croissant de l’impiété et de l’immoralité.

Au coeur du scandale §

Si les salves contre Molière sont reprises de volume en volume, il est un lieu où elles sont particulièrement concentrées : le livre V, consacré essentiellement à l’indécence du théâtre. Molière y est la cible centrale, même si un seul chapitre le désigne nommément, le chapitre 8, « Comédie du Tartuffe ». La virulence y est extrême, assortie à une étrange façon de manier l’éloge pour mieux disqualifier. Le chapitre commence pourtant sur une note apparemment positive : « Aucune comédie n’a autant de célébrité que le Tartuffe de Molière » (160). Mais la disqualification intervient aussitôt, par palier : « Dès qu’elle parut, elle surprit par sa nouveauté, étonna par sa témérité, révolta par son impiété et sa licence. » (160). Et elle finit par une condamnation sans appel : « Elle est toujours un vrai scandale » (161), le mot étant à prendre au sens étymologique : la pièce est une véritable incitation au péché. Et le mouvement repart, ne maniant l’éloge que pour discréditer et pour accabler sous le mépris :

Elle a des beautés du côté littéraire, des portraits finement tracés, des vers heureux, des scènes bien filées, une intrigue bien nouée. Elle a de grands défauts, de plates bouffonneries, des vers faibles et forcés, des caractères outrés, un dénouement peu naturel et sans vraisemblance, des constructions louches. C’est à tout prendre un ouvrage médiocre et sans le goût du libertinage qui a fait sa fortune, elle ne serait pas sortie de la foule des trente autres poèmes qui ont autant et mieux mérité les lauriers poétiques sans les obtenir. (161)

Mais il n’est pas question de peser le pour et le contre. La Tour ne traitera que de l’indécence, annonçant d’emblée une conclusion sans appel : il prouvera « que c’est une des pièces les plus indécentes qui aient jamais paru » (161).

Comme souvent, l’argumentation est paradoxale, sinon contradictoire : Molière incarne le summum de l’indécence et une extrême médiocrité. La Tour va jusqu’à dénier les qualités qui, un siècle avant lui, faisaient de Molière la cible des moralistes : si Conti et Bossuet devaient l’abattre, c’est parce qu’il était si efficace.

Le chapitre sur Tartuffe constitue le cœur de l’attaque contre le théâtre car, si Molière concentre tous les défauts du théâtre, Tartuffe concentre tous les défauts de Molière. La nocivité de la pièce est donc inépuisable17, ce qui justifie une dénonciation étonnamment longue et minutieuse, qui déploie une liste presque scolastique de crimes. La Tour n’en dénombre pas moins de 14, en introduisant des subdivisions18.

Pour détailler les crimes commis par le dramaturge, La Tour considère successivement les personnages : Dorine, Damis, Orgon, etc. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas Tartuffe qui incarne les crimes majeurs, mais Elmire. Le cinquième crime est « une indécence scandaleuse », c’est-à-dire qui incite au péché :

C’est une indécence scandaleuse qu’une femme mariée fasse les plus impudentes et les plus séduisantes avances pour faire tomber dans le péché un homme dont elle connaît la faiblesse, sous prétexte de le démasquer. Aucun prétexte ne peut l’excuser. Il y a là deux péchés mortels, même dans la morale la plus relâchée : 1° de paraître consentir positivement au péché, ne fût-on pas dans le dessein de le commettre ; 2° de faire positivement tout ce qui peut y faire tomber un autre. […] J’ose dire que dans cette scène abominable, Elmire est plus coupable que Tartuffe puisque c’est elle qui le cherche, l’agace, lui offre tout, le conduit pas à pas avec un artifice dont le plus vertueux aurait peine à se défendre, aux sentiments, aux désirs, aux entreprises les plus criminelles. Et ce grand maître du vice ne voit pas qu’il manque son but, en diminuant la faute du Tartuffe par le piège séduisant que lui tend une femme impudente qui est sûre de le faire succomber, et faisant contraster avec lui un crime plus grand que le sien. (V, 8, 163-4)

Le sixième crime ne se distingue pas vraiment du précédent.

La manière dont cette femme le trompe est une nouvelle indécence. C’est une trahison tramée par un tissu de mensonges et un acquiescement simulé à toute la morale scélérate qu’on met dans la bouche de l’Imposteur […] Elmire est une Tartuffe, une hypocrite de crime, comme Tartuffe un hypocrite de vertu […] Je ne sais laquelle de ces deux hypocrisies est la plus criminelle. […] Ce personnage d’Elmire est d’une noirceur, d’une bassesse, d’une infamie, dont le théâtre fournit peu d’exemples. » (V, 8, 164-5)

De pareilles sorties font assez clairement apparaître les ressorts de la haine. C’est avec une évidente mauvaise foi que l’abbé impute tout le blâme à Elmire, dans la scène IV, 5 : il omet soigneusement la scène où Tartuffe prend l’initiative (III, 3) et les avertissements d’Elmire, qui dit agir contre son gré, contrainte par l’aveuglement de son époux. Dans ces conditions, accabler cette « séductrice » avec une surenchère dans l’invective participe d’une misogynie de clerc. Dans cette hargne, il y a sans doute une part de projection personnelle d’abbé soumis aux tentations, malgré sa réputation de sainteté19.

Si la bouffée misogyne est déjà significative, plus éclairante encore est la manière dont sont traités les crimes de Tartuffe20. Alors qu’Elmire est condamnée de la manière la plus directe et la plus implacable, ce n’est pas Tartuffe qui est mis en cause mais la façon dont le dramaturge le fait parler et agir. Cette modalisation est essentielle. Le 10e crime est défini ainsi : « La conduite et le langage qu’on fait tenir21 à Tartuffe sont de la plus scandaleuse indécence » (V, 8, 169). Le 12e crime : « Rien de plus impie, de plus infâme, de plus scandaleux que les sentiments et les principes qu’on prête à Tartuffe dans les deux scènes les plus intéressantes de la pièce, qui en sont proprement tout le nœud. » (V, 8, 170). Mine de rien, la modalisation change totalement la donne : alors qu’Elmire est un monstre de perversité, Tartuffe est présenté comme une victime du dramaturge. Du reste, La Tour lui trouve des circonstances atténuantes, pour le 9e crime : « Molière porte la maladresse jusqu’à joindre à tous les traits qui rendent Tartuffe odieux des circonstances qui en diminuent la noirceur. […] Tartuffe ne fait qu’accepter les biens et profiter de sa bonne fortune » (V, 8, 167-8). L’inégalité est flagrante dans le traitement des deux personnages : Molière est accusé de mettre sur scène une femme abominable et de prêter des façons abominables à un pauvre dévot qui se retrouve victime à la fois du dramaturge et d’une infâme tentatrice. On ne saurait rêver projection plus manifeste.

Conclusion §

Dans ses philippiques, La Tour ne fait pas preuve de beaucoup d’imagination. Il dresse la même liste de reproches que ses devanciers : Molière incarne l’indécence, l’impiété et l’hostilité à l’Eglise. Cela ne fait pas de lui, pour autant, un simple épigone car il déploie, à cette date tardive, une véhémence étonnante. Cette fureur a un caractère essentiellement réactif : c’est une réponse à la moliérolâtrie ambiante. Que les reproches ne changent guère ne signifie pas que l’histoire piétine et que l’abbé se contente de reprendre les arguments du siècle précédent, car le contexte change la donne. Molière prétendait renverser l’argumentaire théâtrophobe en revendiquant, pour son théâtre, des vertus didactiques et morales. Un siècle après, les progrès de sa gloire – dont La Tour fait à son corps défendant la chronique – lui donnent raison, en mettant cruellement en évidence la défaite du camp théâtrophobe. Il est en effet glorifié jusqu’au sein des institutions qui devraient incarner la défense de la tradition, comme l’Académie française. Son centenaire est célébré avec pompe sur la scène de « son » théâtre. Il est élevé – par Cailhava – au rang de modèle absolu. En franchissant les frontières et en se répandant dans tous les arts, sa gloire lui confère une stature européenne. Il est bien normal que cela déclenche, chez un abbé qui s’est essayé à la tragédie édifiante, des réactions paroxystiques. On peut parler, en ce cas, de « haine », car une agressivité exacerbée contre un ennemi à abattre est amplifiée par un ressort affectif profond. Molière en effet représente une menace personnelle car il défait les défenses narcissiques de l’abbé en le renvoyant à un double échec. Dramaturge piteux, il a retourné ses tentatives avortées en haine du théâtre – selon la logique du Verkherung ins Gegenteil. Théâtrophobe obsessionnel, il est constamment renvoyé par une actualité cruelle à l’inanité de son combat.