François-Victor Équilbecq

1913

Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français

2013
Source : F.V. Équilbecq, Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français. Ernest Leroux, 28, Rue Bonaparte, Paris VIe, 1913.
Ont participé à cette édition électronique : Juliette Patissier (Stylage et XML).

Préface §

Pour bien connaître une race humaine, pour apprécier sa mentalité, pour dégager ses procédés de raisonnement, pour comprendre sa vie intellectuelle et morale, il n’est rien de tel que d’étudier son folklore, c’est-à-dire la littérature naïve et sans apprêts issue de l’âme populaire et nous la livrant dans sa nudité primitive.

Aussi convient-il d’encourager tous ceux qui, appelés par leurs fonctions à vivre au contact de populations aussi mal connues de nous que le sont encore les Noirs de l’Afrique Occidentale, ont eu la patience et le talent d’écouter parler les indigènes et de recueillir de leur bouche les contes merveilleux ou légendaires, les fables d’animaux, les apologues satiriques qui constituent le fond de la littérature orale de ces peuplades privées de littérature écrite.

Par tout le continent africain, et notamment dans l’immense région qui s’étend entre le Sahara et la forêt équatoriale et que nous appelons communément le Soudan, cette littérature orale fleurit depuis des siècles et elle a acquis, de génération en génération, une richesse et une ampleur d’autant plus considérables que, sauf dans une minorité de musulmans instruits et versés dans la langue arabe, aucune littérature écrite n’est venue lui faire concurrence.

Un certain nombre de voyageurs, de missionnaires, de fonctionnaires et d’officiers ont rapporté d’Afrique des contes, des fables et des légendes et les ont publiés dans des ouvrages divers ou dans des articles de revues. Mais ces publications ont le défaut d’être dispersées et par suite peu accessibles à ceux que le folklore nègre intéresse plus particulièrement. Les recueils proprement dits de contes soudanais sont rares à l’heure actuelle, bien que l’éditeur Ernest Leroux nous ait dotés, à cet égard, d’une bibliothèque renfermant des ouvrages aussi précieux et intéressants que ceux de Bérenger-Féraud, de Ch. Monteil, de Dupuis-Yakouba, de P. de Zeltner.

Grâce au concours bienveillant de M. le Gouverneur Clozel, que l’on trouve toujours disposé à favoriser toutes les publications d’ethnographie et de linguistique soudanaises, cette bibliothèque s’enrichit aujourd’hui d’une nouvelle série, due à M. l’administrateur Equilbecq, série dont le présent volume ne forme que le début et dont l’importance ni l’intérêt n’échapperont à personne.

Les hasards de sa carrière ont promené M. Equilbecq du Sénégal au Niger et des montagnes de la Guinée aux vallées marécageuses de la Volta. Partout où il est passé, il s’est mis en relation avec les griots, qui forment en quelque sorte la caste littéraire chez les populations du Soudan, et il a collectionné toutes les histoires qu’il a pu se faire conter. Sa moisson a été fort riche et se trouve être fort variée. Mais il ne s’est pas contenté de moissonner : il a voulu tirer parti de sa récolte et il nous présente aujourd’hui une étude d’ensemble sur la littérature populaire du Soudan que tout le monde lira avec le plus vif intérêt et que les folkloristes en particulier salueront avec le plus vif plaisir.

Les deux principaux mérites de son travail, à mon avis, se résument en ceci : d’une part la multiplicité et la variété des contes publiés, d’autre part les considérations générales dont il fait précéder sa publication et qui l’éclairent d’un jour tout spécial.

Je suis persuadé que son ouvrage rencontrera le succès auquel il a droit : les spécialistes, comme je l’indiquais à l’instant, y trouveront matière à compléter leurs connaissances et sans doute à découvrir des aperçus nouveaux ; la masse du public, elle aussi, voudra lire ce livre et ceux qui le suivront, car, aujourd’hui comme au temps de La Fontaine, nous aimons tous et toujours à nous faire conter l’histoire de Peau d’Ane ; notre plaisir se double même d’une piquante sensation de curiosité lorsque c’est un nègre qui nous la conte, pourvu que ce nègre ait trouvé un interprète aussi averti que l’est M. Equilbecq.

Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. §

Chapitre I. §

Préliminaires et exposé du plan. — Dans quelles conditions ces contes ont été recueillis. — Leur utilité pour l’étude de la psychologie indigène. — Nécessité de les transcrire avant qu’ils aient perdu leur caractère pré-islamique. — De quelle façon la forme a été respectée. — Justification d’un titre, en apparence, un peu trop général. — Sources diverses des contes. — Contes personnels et contes, tirés d’autres folkoristes, étudiés dans cet essai.

Bibliographie.

Plan de cette étude. — Classification des contes d’après leur caractère prédominant : légendes cosmogoniques, ethniques, héroïques, sociales, pseudo-scientifiques. — Récits d’imagination pure : anecdotes, hallucinations individuelles, merveilleux simplement surnaturel, merveilleux macabre, contes de morale théorique et de morale pratique. — Fables. Légende burlesque de l’hyène et du lièvre. — Contes égrillards. — Contes à combles. — Contes charades.

Cette classification est toute relative.

Depuis dix ans bientôt l’auteur de ce recueil a successivement servi, au Sénégal, en Guinée et au Soudan, dans l’Administration des Affaires Indigènes. Pendant ce temps il a mis à profit les loisirs que lui laissait son travail pour transcrire les contes populaires du pays que lui racontaient des indigènes de toutes classes et de toutes professions : griots1, gardes, interprètes, dioulas2, laptots3, simples cultivateurs.1

Ce travail ne lui a pas été corvée et il ne dissimule pas que le plaisir d’entendre narrer des histoires que beaucoup tiennent pour uniquement puériles a tout d’abord sensiblement stimulé sa vocation naissante de folkloriste. Mais il n’a pas tardé à se rendre compte du parti qui peut être tiré de ces récits pour la compréhension de la psychologie indigène. Le noir, qui se déroberait à un interrogatoire précis, dont le but, pressenti, éveille en lui une défiance confuse, se révèle au contraire en toute ingénuité dans ses contes où se traduisent les tendances — tout au moins idéales — de la race. Il n’éprouve aucune fausse honte à exposer, sous l’apparence d’un récit fantaisiste, la conception qu’il a de l’univers et de sa formation, des lois, morales et naturelles qui le régissent et, en général, de la vie.

Au point de vue pratique, l’utilité de ces récits n’est pas moindre pour le fonctionnaire qui entend diriger les populations assujetties au mieux des intérêts du pays qui l’a commis à cette tâche. Il faut connaître celui que l’on veut dominer, de façon à tirer parti tant de ses défauts que de ses qualités en vue du but que l’on se propose. Ce n’est qu’ainsi qu’on parvient à s’assurer sur lui ce prestige moral qui fait les suprématies effectives et durables.

Les conclusions que l’on peut tirer de la lecture des contes sous ce rapport ont, au moins, une valeur confirmative de ce que l’observation directe du noir nous aura déjà appris.

D’autre part, à cette heure où l’Islam envahit de plus en plus la terre d’Afrique, il est bon d’enregistrer sans retard des traditions qui ne sont pas encore tout à fait dénaturées dans les pays déjà islamisés et qui, dans les régions encore intactes, ont conservé — ou peu s’en faut — leur pureté. Ces traditions sont les suprêmes vestiges des croyances primitives de la race noire et, à ce titre, méritent d’être sauvées de l’oubli.

Elles le méritent encore au point de vue littéraire. Le fond des récits et la façon dont ils sont traités les maintiennent au niveau des contes populaires indo-européens ou sémites, avec lesquels ces récits offrent d’ailleurs de manifestes ressemblances.

Quant à la forme qu’on a respectée, autant qu’il était possible de le faire pour être compris des lecteurs français, elle est, espérons-nous, celle même que comporte la narration de contes populaires4 Les contes recueillis de 1904 à 1910 ont été sténographiés sous la lente dictée des narrateurs indigènes : Ahmadou Diop, Boubakar Mamadou, Amadou Kouloubaly, Ousmann Guissé, Gaye Bâ, etc. Ceux transcrits au cours des années 1911 et 1912 ont été traduits par Samako Niembélé, un interprète intelligent, parlant assez correctement le français et je pourrais dire qu’ils sont plutôt son œuvre que la mienne, si je n’avais essayé, par quelques mots changés çà et là, de donner à son style la vivacité et l’expression qu’il ne pouvait, malgré une connaissance assez avancée de notre langue, lui communiquer autant qu’il l’aurait souhaité.

J’insiste sur ce point que ni le fond ni les détails n’ont eu à souffrir de ce souci d’amélioration de la forme.

On trouvera ici beaucoup d’expressions locales, familières sans doute aux coloniaux, mais médiocrement intelligibles, sauf explication, pour le lecteur européen. J’ai cru pourtant devoir les conserver pour laisser au récit sa couleur locale encore qu’il y ait une incohérence apparente à mélanger dans un même conte des expressions ouoloves comme « tiéré »5 et soussou comme « kélé »6. En fait, notre occupation, en amenant des rapports plus fréquents entre populations qui s’ignoraient à peu près auparavant, favorise la création d’une sorte de sabir ouest-africain au sein duquel des vocables du Ouadaï voisineront bientôt avec des expressions du Cayor ou du Baoulé. Ce sabir contient en puissance le patois futur de l’A.O.F. dont le français restera — nous y comptons — la langue officielle et littéraire.

* * *

Les contes enregistrés dans ce recueil émanent de sources assez diverses pour justifier plus qu’à demi le sous-titre, guère trop général, qui leur a été donné. Pour que ce sous-titre fût absolument légitime, il faudrait qu’au nombre des contes rassemblés ici figurent ceux de la Côte d’Ivoire et du Dahomey. Néanmoins, étant données les grandes ressemblances des contes de ces deux dernières colonies7 avec ceux des trois autres pays composant le Gouvernement Général, on peut dire qu’il existe une littérature ouest-africaine, homogène dans ses grandes lignes et provenant d’une mentalité générale commune. C’est pourquoi le sous-titre « Contes indigènes de l’Ouest-Africain, français » semble pouvoir être maintenu.

Quant au titre principal : Aux lueurs des feux de veillée, il s’explique par les conditions dans lesquelles se racontent généralement ces récits. C’est le soir, aux lueurs vacillantes du feu près duquel les noirs attardent leurs veillées, sinon dans le flou laiteux d’une nuit lunaire, qu’on les entend narrer le plus volontiers. La pénombre ajoute son charme de mystère au merveilleux pittoresque des contes. Si l’impression devient trop angoissante, un conte égrillard, une fable satirique dissipent la terreur qui commence à peser sur l’auditoire.

Il semble même que ce décor de demi-obscurité soit devenu indispensable pour le conteur. A l’exception, en effet, des noirs qui ont longuement vécu en contact avec nous et qui ont acquis à ce contact un certain scepticisme, il n’est guère de narrateur qui raconte volontiers ses légendes à la lumière du soleil. J’en ai acquis la certitude par ma propre expérience.

L’indigène éprouve une sorte de défiance instinctive qui le fait répugner tout d’abord à livrer ses traditions à la curiosité des Blancs. Il ne peut saisir pour quelle raison l’Européen, qui affiche souvent l’incrédulité, peut s’intéresser à des récits de vieillards ou d’enfants. Aussi cherche-t-il une arrière-pensée à cette curiosité. Il faut le convaincre peu à peu, feindre soi-même de croire aux êtres mystérieux de la nuit et surtout lui prouver, par des citations d’histoires de même nature, que déjà l’on a mis d’autres conteurs en confiance. Alors il ne se défend plus et loin d’être hésitants à votre appelles contes affluent bientôt… d’autant mieux que la perspective d’un « bounia » (cadeau) détermine les bons vouloirs, d’abord indécis.

Il résulte de ce qui vient d’être dit que la récolte des contes, assez maigre au début des recherches, se fait de plus en plus fructueuse au bout d’un certain temps : 41 des contes de ce recueil ont été enregistrés de 1904 à 1907 ; 47, de 1909 à 1910, en moins de 6 mois et 187 de juillet 1911 à octobre 1912. On voit la progression  !

Sources des contes §

La majeure partie est d’origine bambara (70).

Puis viennent, par ordre de fréquence.

Peuhl (ou Torodo)………………… 54
Gourmantié………………………. 42
Ouolof………………………….. 26
Haoussa…………………………. 24
Malinké…………………………. 23
Hâbé……………………………. 17
Môssi…………………………… 8
Soussou…………………………. 3
Kouranko………………………… 2
Sénofo………………………….. 2
Kissi…………………………… 1
Khassonké……………………….. 1
Dyerma………………………….. 1
Gourounsi……………………….. 1

Voici la répartition détaillée de ces contes, classés par races, pour permettre à ceux qui désireront étudier plus spécialement la littérature merveilleuse de telle ou telle race, de se retrouver plus aisément dans ce recueil :

Classification des contes par répartition entre les diverses races §
I. Contes Ouolof (26). §
La légende de Diâdiane NDiaye.
Les trois gloutons.
La fille d’Aoua Gaye.
L’ensorcelée de Thiévaly.
Le laptot giflé.
Le guéhuel et le damel.
Les incongrus.
Le lion, le guinné et le ouarhambâné.
Le fils du sérigne.
Les maîtres de la nuit.
Le chat-guinné de Saint-Louis.
L’enterré vif.
La précaution inutile.
Le spahi et la guinné.
Le ngortann.
Le cabri.
Mamadou et Anta la guinné.
Le milicien et les cabris.
Le chasseur de Ouallalane.
Service de nuit.
Une ronde impressionnante.
Hammat et Mandiaye.
Le guinné altéré.
La sage-femme de Dakar.
Les talibés rivaux.
Ibrahima et les hafritt.
II. Contes soussou (3). §
Le fils des bâri.
L’enfant de Salatouk.
L’almamy-caïman.
III. Contes Dyerma (1). §
L’homme touffu.
IV. Contes Gourounsi (1). §
Le canari merveilleux.
V. Contes Sénofo (2). §
L’éléphantiasis de Moriba.
Les présents des faro.
VI. Contes Môssi (8). §
Les six géants et leur mère.
L’hyène, le lièvre et le calao.
La lionne et l’hyène.
La lionne et le chasseur.
Le fils du seigneur Ouinndé.
L’organe dénonciateur.
Le mauvais gardien.
La case de cuivre pâle.
VII. Contes Malinké (23). §
Le minimini.
La tâloguina de Dàfolo.
Le châtiment de la diâto.
Le konkoma.
Déro et ses frères.
Le chien et le caméléon.
Namara Soundiéta.
Le rapt des métaux précieux.
L’igname.
Le guina du tâli.
Le roi et le lépreux.
La fausse fiancée.
Le petit sorcier.
La sorcière punie.
Le feu des guina.
La guiloguina.
La chèvre domestiquée.
Fadôro.
La première des dots.
Le pupille du cailcédrat.
L’hyène et le singe vert.
La gourde.
Les calaos et les crapauds.
VIII. Contes Haoussa (24). §
Le vampire.
L’hermaphrodite.
La moqueuse.
Les amants fidèles.
Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée.
Jalousie de co-épouse.
L’avare et l’étranger.
L’implacable créancier.
La femme-biche.
Mariage ou célibat ?
La femme de l’ogre.
Le lionceau et l’enfant.
L’orpheline de mère.
Takisé, le taureau de la vieille.
Le jaloux assagi.
Le dioula et le lièvre.
La bergère de fauves.
L’hyène et le pèlerin.
Aubaine manquée.
Les trois femmes du sartyi.
La fanfaronnade.
Les six compagnons.
Le riche et son fils.
Khadidya l’avisée.
IX. Contes Peuhl (ou Torodo) (54). §
Kahué l’omniscient.
La cliente de mauvaise foi.
Hâbleurs bambara.
La tête de mort.
L’arbre à fruits humains.
La geste de Samba Guélâdio Diègui.
Les adroits voleurs.
Bassirou et Ismaïla.
Bilâli.
Aux fêtes de la circoncision.
L’hyène machiavélique.
Frère lièvre règle ses dettes.
Les coups de main du guinnârou.
Amady Sy, roi du Boundou.
L’ancêtre des griots.
Le bien qui vous vient en dormant.
Les coureurs émérites.
Une leçon de courage.
La buse et le soleil.
Bissimilaye et Astafroulla.
Le bengala d’âne.
Ingratitude.
Le vieillard, son fils et les sept têtes.
Samba et Dioummi.
La chèvre grasse.
Le choix d’un lanmdo.
Les quatre fils du chasseur.
Amatelenga.
L’origine des pagnes.
Hammadi Diammaro.
Le guinnârou de Fonfoya.
Le melon révélateur.
L’intrus dans l’Aldiana.
Le mariage de Niandou.
L’éléphant de Molo.
L’ivresse de l’hyène.
La bague aux souhaits.
Les dons merveilleux du guinnârou.
Le kitâdo vengé.
La femme fatale.
Le fils adoptif du guinnârou.
La chèvre au mauvais oil.
Màdiou le charitable.
La Mauresque.
La mounou de la Falémé.
L’homme au piti.
Le koutôrou porte-veine.
Fatouma Siguinné.
Le karamoko puni.
Les fourberies de MBaye Poullo.
Le barké.
Les prétendants de Fatoumata.
Quels bons camarades !
Le pardon du guinnârou.
X. Contes Habé (17). §
En retour d’une offrande de farine.
Le laôbé et le yébem du cailcédrat.
La mangeuse de clients.
La fiancée de race yblisse.
Le congé à l’hyène.
Le fer qui coupe le fer.
Affront pour affront.
Le chiffon magique.
Anntimbé, ravisseur du bohi.
L’anneau de la tourterelle.
Amadou Kékédiourou, sauveur des siens,
La sentence du koutôrou.
Le feint lépreux.
Les ancêtres des Bozo.
L’assistante de la nuit de noces.
Les ailes dérobées.
La case magique du défilé.
XI. Contes Gourmantié (42). §
Le cadavre ambulant.
Trois frères en voyage.
Les deux voleurs.
Le lâri reconnaissant.
L’anguille et l’homme au canari.
Les méfaits de Fountinndouha.
La tortue et la pintade.
Le miel aux tyityirga
Goumbli-Goumbli-Niam etc.
Les tomates de la pori.
Concours matrimonial.
Le cultivateur.
La fille qui voulait apprendre à chanter.
La créance de la Mort.
Le tailleur de boubous en pierre.
Revanche conjugale.
La vengeance du pori.
L’hyène et le poulet sans plumes.
La termitière-aux-pora.
Le procès funèbre de la bouche.
La protection des djihon.
La grenouille indiscrète.
La femme enceinte.
Chacun son tour !
Le cheval noir.
La queue d’yboumbouni.
Les deux faux dioulas.
La nyinkona.
Au temps de la famine.
Outénou et le marabout.
Une leçon de bonté.
L’invention des cases.
Les perfides conseillers.
La revendication du lièvre.
Le tisserand et le serpent.
Bénipo et ses sŒurs.
Les orphelines.
Le courage mis à l’épreuve.
Les prétendants.
Diadiàri et Maripoua.
Le lièvre qui traya la vache de brousse.
Le bouvier d’Outênou.
XII. Contes Bambara (70). §
Le riz de la bonne épouse.
A la recherche de son pareil.
Bala et Kounandi.
La tortue et l’oiseau-trompette.
La case des botes de brousse.
La plus terrible des créatures.
Ybilis.
Le plus brave des trois.
D’où vient le soleil.
Les deux vérités de la chèvre.
Binanmbé, l’homme à la sagaie.
Le bouc et l’hyène à la pêche.
Histoire de NMolo-la-crapule.
NDar ou l’enfant-né-avec-des-dents.
Pourquoi les poules éparpillent leur manger.
Amadou Sofa Niânyi.
Le lion, le sanglier et le lièvre.
L’épreuve de la paternité.
Soutadounou.
La fille du massa.
Les ouokolo et l’apprenti chasseur.
Le fama et le marabout.
La famille Diâtrou à la curée.
Les obligés ingrats de NGouala.
Les œufs de blissiou.
Le mari jaloux.
Les voleurs de miel.
La flûte d’Ybilis.
Le maître chasseur et ses deux compagnons.
La lionne coiffeuse.
Au village des sorciers.
Le lièvre et l’hyène aux cabinets.
Les funérailles du calao.
Le chien de Dyinamissa.
La peur de l’eau.
Les générosités de l’hyène.
La conquête du dounnou.
Mamady-le-chasseur.
La femme aux sept amants.
Les deux jumelles.
Les nyama et le cultivateur.
Le lièvre, l’hyène et le taureau de guina.
L’hyène et l’homme, son compère.
Le sounkala de Marama.
La marâtre punie.
Engagement d’honneur.
Le diable jaloux.
L’hyène commissionnaire.
Le joli fils de roi.
Les jumeaux de la pauvresse.
En l’année des grêlons comestibles.
Le singe ingrat.
Zankêni Karâto, l’agaceur de malechance.
Le dispensateur de pluie.
Le couard devenu brave.
Les pleureurs et le cultivateur.
Le fils du maître voleur.
Ntyi vainqueur du boa.
Le chien lutteur.
Les inséparables.
Le boa marié.
Les sinamousso.
Le lièvre et les pleureurs.
Les musiciens ambulants.
Les deux Ntyi.
La revanche de l’orphelin.
Quelqu’un qui cherchait aussi malin que soi.
Le boa du puits.
Le forage du puits.
Les deux intimes.
XIII. Contes kouranko (2). §
Le cheval de nuit.
Nancy Mâra.
XIV. Contes khassonke. §
Le dévouement de Yamadou Hâve.
XV. Contes kisso. §
Chassez le naturel.

[Bibliographie] §

Dans cette étude de la littérature merveilleuse indigène je tiendrai compte, non seulement des récits recueillis par moi personnellement, mais encore de ceux publiés par différents folkloristes.

Afin que le lecteur puisse contrôler les sources étrangères auxquelles je me référerai au cours de ce travail, je les indique ci-dessous en une brève notice biographique.

 

ARCIN,La Guinée française. Challamel, éditeur, 19078.

BAROT, L’Ame soudanaise. Pages libres, 1902.

MGR. BAZIN, Dictionnaire Français-Bambara. Imprimerie Nationale, 1901.

BÉRENGER-FÉRAUD, Contes populaires de la Sénégambie. Leroux éditeur.

DELAFOSSE, Essai sur la langue agni. André éditeur, 1901.

Lieutenant DESPLAGNES, Le plateau central nigérien. Larose, éditeur, 1907.

DUPUIS-YAKOUBA, Contes des Gow. Leroux, éditeur, 1911.

FAIDHERBE, Le Sénégal.

FROGER, Etude sur la langue mossi. Leroux, éditeur, 1910.

DE GUIRAUDON,Manuel de langue foule. Welter, éditeur, 1894.

Lieutenant LANREZAC, Essai sur le folklore indigène. Revue Indigène, 1908.

MOUSSA TRAVÉLÉ, Manuel bambara. Geuthner, éditeur, 1910.

UN MISSIONNAIRE DE SÉGOU, Manuel de bambara. Maison Carrée, Alger, 1905.

 

Pour les contes d’origine indo-européenne :

Contes des Bretons armoricains, par Luzel. Bibliothèque populaire Gauthier-Villars.

Barsaz-Breiz, par H. de la Villetnarqué. Franck éditeur, 1846.

Contes de Grimm. Philipp RECLAM, Leipzig.

La Bretagne, par Pitre-Chevalier. W. Coquebert éditeur.

Contes des 1001 Nuits, traduits par Galland.

Contes inédits des 1001 Nuits, traduits par de Hammer et Trebutien. Doddey éditeur, 1828.

[Plan] §

L’étude de ces divers contes9 se subdivisera comme suit :

I. Classification des contestables et légendes d’après leurs caractères prédominants.

II. Thèmes favoris des conteurs. Procédés les plus usités pour provoquer l’intérêt et l’émotion. Comparaison, au double point de vue du fond et de la forme, avec les conteurs indo-européens et sémites. Influences étrangères possibles.

III. Personnages des contes. Personnages humains et extra-humains. Professions le plus souvent mises en scène. Les animaux dans les contes. Caractère essentiel, différent de celui qui leur est attribué dans les fables.

IV. Personnages animaux des fables. Le geste burlesque de l’hyène et du lierre : comparaison avec le roman du Renard.

V. Conclusion. — Le noir d’après ses contes et fables. Sa morale idéale. Sa morale pratique. Quels modèles il se propose et quels exemples il suit.

Je renvoie aux sommaires détaillés des chapitres qui se trouvent en tête de cet essai.

I. — Classification générale d’après les caractères prédominants. §

On peut répartir ces récits entre 7 grandes catégories :

A. Légendes cosmogoniques, ethniques, héroïques et sociales.

B. Contes de science fantaisiste (histoire naturelle, astronomie, etc.).

C. Récits d’imagination pure et dépourvus d’intentions didactiques.

D. Contes à intentions didactiques, tant de morale pure que de morale pratique.

E. Fables. Geste burlesque du lièvre et de l’hyène.

F. Contes égrillards. Contes à combles (se confondant souvent avec les contes égrillards).

G. Contes-charades10.

Cette division en catégories n’a rien que de relatif et, pour l’établir, j’ai dû ne tenir compte que du caractère le plus marqué du récit à classer, alors que, par ses caractères accessoires, ce même récit pourrait se voir rangé dans une ou deux autres catégories.

Nous allons voir, en étudiant chacune de ces grandes catégories, qu’elle comporte encore d’autres subdivisions. Indiquer dans le tableau ci-dessus ces subdivisions nuirait à la clarté de la classification.

A. Légendes cosmogoniques, ethniques, héroïques et sociales. §

Ces légendes essaient d’exposer — sans grande conviction, d’ailleurs — la création du monde, l’origine de certaines races ou de certains peuples, l’histoire des héros fabuleux, l’évolution de la civilisation.

Je n’ai recueilli que peu de légendes cosmogoniques ou métaphysiques ; ce sont les contes intitulés : D’où vient le solei.11La créance de la MortLe chien et le caméléonL’anguille et l’homme au canariLes nyama et le cultivateur. Mais on en trouvera de nombreux exemples chez d’autres folkloristes. Ainsi, la controverse du crapaud et du caméléo.12 nous apprend qui, des montagnes ou de la boue, a été créé en premier lieu ; celui du « Déluge universel » nous expose la tradition agni sur ce sujet. Le conte de Froger, intitulé : « Le genre humain » élucide le problème de la création de la femme selon les Môssi. Enfin, la différence des races et l’infériorité des noirs sont expliqués par des contes divers de Laumann, d’Ollone, d’Arcin13 et de Bérenger-Féraud14.

L’évolution de la civilisation, telle que l’entendent les noirs, se trouve exposée dans les contes ci-après : L’invention des cases. — Le minimini ou la fondation des villages. — La conquête du dounnou et Antimbé, ravisseur du bohi, (relatifs à l’invention des tambours). — L’ancêtre des griots. — Le cadavre ambulant. — La première des dots. — Les sinamousso.

La légende se fait historique ou quasi-historique pour expliquer l’origine de divers téné15. Voir à ce sujet les contes de Fadôro — de La femme enceinte — du Cheval noir — du Lionceau et l’enfant.

Elle est même délibérément historique — abstraction faite du merveilleux — quand elle célèbre les exploits d’un héros mythique comme Samba Guénâdio Diêgui (La geste de S.-G. Diègui) Namara Soundieta, NDar, Amadou Sefa Niânyi, la fondation d’une dynastie royale : (Légende de NDiadiane, NDiaye), la conquête du pouvoir (L’éléphant de Molo) ou encore quand elle rappelle les aventures des Sorko pêcheurs ou des Gow chasseurs du Niger16 l’émigration des Agni, sous la conduite d’Aoura Pokou, leurs guerres au Baoulé contre les Gori17, la faiblesse paternelle du damel Amady NGôné18, la folie « caligulienne » de l’almamy torodo Amady Si (Amady Si, roi du Boundou) le dévouement du Khassonké Yamadou Hâvé ou de la fille du massa, etc., etc.19.

On pourrait s’étendre longuement là-dessus, mais de plus longs développements contraindraient à dépasser le cadre, peut-être trop ample déjà, qu’on s’est imposé pour cette étude.

B. Contes de science fantaisiste (histoire naturelle, astronomie, etc.) §

Ces récits, bien entendu, ne prétendent nullement à la science et c’est très consciemment qu’ils procèdent de l’imagination de leurs conteurs. Les auditeurs ne les tiennent guère, non plus, pour scientifiques et leur demandent un amusement bien plutôt qu’un enseignement.

Le plus souvent ils donnent la cause originelle des particularités physiques de certains animaux : les zébrures horizontales du pelage de l’hyène (L’hyène et l’homme son compère) ; la déclivité de son arrière-train (Les générosités de l’hyèneLa chèvre grasse) ; les rayures abdominales de la biche (La femme-biche) ; ils expliquent pourquoi les grenouilles n’ont plus de queue (La grenouille indiscrète) pourquoi le cheval arbore un si beau panache et l’hippopotame, un moignon ridicule, en guise d’appendice caudal ; d’où vient l’enfoncement des yeux du singe dans leurs orbites (Le singe ingrat).

Ils expliquent encore les habitudes qu’ont certains animaux : les tourterelles, d’aller toujours par deux (Les deux jumelles) ; l’hyène, de farfouiller dans la paille bottelée (L’hyène commissionnaire) ; les poules, d’éparpiller leur manger (Pourquoi les poules etc…) ; les motifs qu’a la race caprine de redouter l’eau (La peur de l’eau) ceux qu’elle eut de se résigner à la domestication (Les chèvres domestiquées).

De même ils exposent l’origine de certains oiseaux (Les obligés ingrats de Ngouala. — Le cultivateur, etc., etc.).

C. Récits (merveilleux ou non) de pure imagination et sans intentions didactiques. §

J’ai classé dans cette catégorie les contes qui n’ont d’autre but que de provoquer l’intérêt par l’exposé d’événements de deux sortes : les uns, comportant des personnages de nature fabuleuse et les autres ne produisant en scène que des personnages de nature humaine qui évoluent au milieu d’une action purement anecdotique ou romanesque.

Il y a lieu de distinguer cette catégorie de celle dont on parlera immédiatement après, en ce que le conteur n’imagine que pour le plaisir d’imaginer tandis que l’autre catégorie trahit des intentions d’enseignement moral.

I. — Récits merveilleux. §

Les récits uniquement merveilleux sont les plus nombreux. Il serait trop long de les énumérer. Aussi me bornerai-je à indiquer qu’ils se subdivisent en 3 classes principales et à donner quelques exemples, afin de mieux préciser la pensée qui a présidé à cette sous-classification.

Ce sont :

Les hallucinations individuelles où le conteur rapporte ses propres visions, nées d’un état d’exaltation tel que la terreur de l’obscurité ou même une folie commençante. Les contes d’Amadou Diop ne sont guère que cela. Je citerai notamment : La fille d’Aoua GayeService de nuitLe cabriUne ronde impressionnante. C’est encore le cas pour La guiloguina et quelques autres contes correspondant à des impressions réelles de gens affolés par un sentiment de la nature que l’on vient d’indiquer. Dans ces derniers récits le conteur rapporte un événement arrivé à d’autres qu’à lui (voir Le konkoma — Le chasseur de Ouallalane — Les maîtres de la nuit, etc.).

Le merveilleux ordinaire où jouent leur rôle tous les êtres fabuleux créés par l’imagination des noirs : génies, hafritt, taloguina, nains, ogres, animaux-génies, etc. Ces contes sont très nombreux. Nous en étudierons les personnages en détail au chapitre III (personnages des contes).

Le merveilleux macabre. On en trouve des exemples moins nombreux que ceux de la subdivision précédente. (Voir les contes « d’Ybilis » de « La flûte d’Ybilis », du Cadavre ambulant », de « La fille qui voulait apprendre à chanter », du « Vieillard, son fils et les 7 têtes », de « La moqueuse », de « La créance de la Mort » de, « La sorcière punie », de « L’implacable créancier », du « Vampire »). Les races gourmantié, haoussa et bambara surtout, semblent, comme la race bretonne en France, très hantées de l’idée de la mort20.

Il existe un conte gourmantié : La femme enceinte analogue au conte haoussa de L’implacable créancier mais l’impression d’effroi y est moins intense. De même, pour une variante malinké de « La flûte d’Ybilis » où la substitution de Thyène au démon Ybilis atténue l’horreur du conte bambara.

II — Contes anecdotiques et romanesques. §

A côté de ces récits fantastiques ou simplement merveilleux se placent ceux ayant pour base un événement romanesque ou même une anecdote sans portée. C’est le caractère de la majorité des contes recueillis par Bérenger-Féraud dans ses Contes populaires de la Sénégambie et d’un conte du Dr Barot. (Lanséni et Maryama.) Parmi ceux du présent recueil je citerai tant comme romanesques qu’anecdotiques : Bala et KounandiLa MauresqueLes inséparablesLe couard devenu braveLes deux intimes.

D. Contes à intentions didactiques, tant de morale pure que de morale pratique. §

Ces contes, que l’on pourrait appeler aussi contes moraux — car leur didactisme s’inspire généralement d’un prosélytisme moral — sont de deux sortes : les contes de morale idéale (religieuse et musulmane le plus souvent) ou théorique et ceux de morale pratique ou réelle. Ces derniers contes ont un grand rapport avec les fables et ne s’en différencient que par la nature humaine de leurs personnages.

1° Contes de morale théorique. §

J’ai dit que les contes de morale théorique présentent le plus souvent un caractère religieux. Il convient cependant de noter que cette religion n’est pas toujours l’Islam. Ainsi « Une leçon de bonté » est sûrement d’inspiration fétichiste, ainsi que le conte du « Riz-de-la-bonne-épouse »21, celui de « La femme fatale » ou du « Mariage de Niandou » qui préconisent le respect dû aux parents et aux personnes âgées.

Dans ces divers contes, il n’y a pas intervention divine comme dans les contes islamiques. Les génies seuls assurent le respect des principes. Dans d’autres récits au contraire c’est Dieu qui intervient sous divers noms (Allah, Outênou, Ouinndé etc.) soit directement, soit par l’entremise de ses serviteurs. Il prend le rôle de ces êtres surnaturels qui semblent d’anciennes personnifications des forces de la Nature dans le panthéisme dit « fétichisme » (Voir notamment les contes intitulés : Mâdiou le charitableLe barkéLe marabout et le fam.22Les obligés ingrats de NgoualaLe ngortannL’enterré-vifLe melon révélateur, etc).

2° Contes de morale pratique. §

Cette catégorie peut, au point de vue forme, se subdiviser en apologues symboliques et en contes proprement dits. Parmi les apologues symboliques il y a lieu de citer : Le guehuel et le damelKahué l’omniscientLa tête de mortTrois frères en voyageLe fils du sérigneLe choix d’un lanmdo, etc. Ces contes, généralement sentencieux — ne sont pas toujours aisément intelligibles.

Pour les contes proprement dits où le récit offre un élément d’intérêt plus accentué, se reporter, entre autres, à ceux-ci après désignés : Le pardon du guinnârouLe bien qui vous vient en dormantLe lâri reconnaissant — et divers contes de Bérenger-Féraud23, de Froger24 et de Moussa Travélé25.

E. Fables. Geste burlesque du lièvre et de l’hyène. §

On pourrait ranger les fables dans la 2e classe de la catégorie précédente (morale pratique) si elles ne présentaient ce caractère spécial que leurs principaux acteurs sont des animaux, à l’exclusion presque absolue de l’homme dont le rôle — quand il lui advient d’en jouer un — n’est jamais qu’accessoire. Ce n’est pas que les animaux ne figurent dans les contes mais, dans ce cas, ils y sont dépeints avec des caractéristiques qui les rendent essentiellement différents du type, qui leur est attribué dans les fables. Les animaux des contes sont, soit des génies travestis, soit de véritables animaux-génies. Qui reconnaîtrait, par exemple, l’hyène grotesque et couarde des fables dans le chef des hyènes du conte de « Binanmbé » ou bien encore dans celui du conte intitulé « D’où vient le solei.26 » ?

Le caractère fixé pour chaque animal dans la littérature « fablesque » est purement conventionnel. Ainsi le lièvre dont les Indo-Européens ont fait le symbole de l’inquiétude toujours en éveil27 devient chez les noirs l’animal avisé, détenteur de ce sac à malices dont nous avons fait, nous, la propriété de compère le renard. Le lion n’est pas toujours pour eux le roi des animaux et l’éléphant leur paraît plus souvent digne de ce titre d’honneur. Le serpent en qui nous voyons l’emblème de la prudence n’est pas nettement campé comme tel. En revanche, il ne joue pas inévitablement le rôle d’ingrat auquel l’a condamné notre imagination28. Même dans le conte-fable « Ingratitude », il met en garde l’homme contre l’ingratitude d’un propre congénère de celui-ci.

Chaque peuple a ses conceptions, plus ou moins convaincues, sous ce rapport et nul ne songerait à proposer le recueil des fables de notre La Fontaine comme un modèle de vérité scientifique.

* * *

En regard des fables — relativement rares — qui relatent les aventures d’animaux divers, il en est un grand nombre qui s’attachent avec complaisance à évoquer les tours pendables de frère lièvre à son éternelle dupe : l’hyène. C’est ainsi qu’à côté des fables ésopiques s’est constitué au moyen âge Le Roman du renard.

A première vue on est tenté d’établir des similitudes, d’identifier Diâtrou, l’hyène, au brutal Isengrin et frère lièvre à Goupil le renard, mais l’ouvre médiévale est avant tout une suite de fabliaux satiriques où l’humeur gouailleuse du populaire s’esbaudit à un pastiche de la société féodale. Or il ne semble pas qu’on en puisse dire autant de la geste burlesque de l’hyène et du lièvre dans la littérature indigène, encore qu’elle célèbre, elle aussi, le triomphe de l’esprit madré sur la force brutale.

Cependant il serait présomptueux de prétendre porter un jugement définitif sur cette question. Quoi qu’il en soit, il est un fait à retenir c’est qu’à part le titre de roi donné à l’éléphant on ne voit pas trace dans les fables indigènes d’une société animale constituée avec ses marabouts, ses parasites des puissants, ses dignitaires et ses magistrats, bien que la société indigène offre des exemples d’un semblable état de choses29.

Nous reviendrons un peu plus longuement sur tout cela quand, au chapitre IV, nous étudierons les personnages des fables et, plus spécialement les deux grands premiers rôles.

F. Contes égrillards, humoristiques et à combles. §

De même que celle de nos ancêtres gaulois ou moyen-âgeux, la civilisation attardée des noirs ne s’effraie ni de l’anecdote scatologique, ni du récit égrillard. On sait d’ailleurs qu’en France même, la pudibonderie… verbale ne remonte guère qu’à deux siècles et demi tout au plus.

Est-ce immoralité chez l’indigène ? Non pas ; mais amoralité absolue. Le noir, non catéchisé, est naturellement et ingénuement amoral. Il n’a pas, comme nous, cet atavisme de morale religieuse dont l’influence persiste même chez les « libres-penseurs » les plus dégagés, en apparence, de l’étreinte du passé et qui nous fait nous effaroucher devant le récit d’actes ou d’événements somme toute conformes à la loi de Nature.

Il semble cependant que cette amoralité s’achemine peu à peu vers la réprobation de certains de ces actes naturels puisqu’elle cesse de s’en désintéresser, ce qu’elle manifeste en commençant à les tourner en dérision, au lieu de les laisser passer aussi inaperçus que le fait de manger quand on a soif ou de dormir lorsqu’on a sommeil.

C’est, d’ailleurs, en les exagérant que l’humeur gaillarde du noir parvient à rendre comiques ces actes-là. Aussi ferons-nous voisiner les contes à combles dans cette catégorie avec les récits scabreux.

Par « contes à combles » j’ai voulu désigner ces récits d’exagération puérile où la drôlerie résulte du caractère excessif des actes prêtés à ceux qui y figurent. Cette dénomination a été donnée en souvenir de cette mode des « combles » qui sévit jadis en France… dans un milieu où l’on se montre assez accommodant quant à la qualité de l’esprit. Quel est le comble de la vitesse ? Quel est le comble de ceci ? Quel est le comble de cela ?

Les thèmes habituels des contes égrillards sont : l’adultère et les vaines précautions des maris jaloux ; les mésaventures des amants surpris en posture « déshonnête » ; les incongruités formidables (Les incongrus) des « gauloiseries » sur les organes sexuels, tant masculin que féminin (Le procès funèbre de la bouche. — L’organe dénonciateur. — Le jaloux assagi. — Bissimilaye et Astafroulla. — Le bengala d’âne, etc.).

Comme spécimens de contes à combles, je signalerai notamment : Les trois gloutons. Les coureurs émérites. — Les six géants et leur mère. — Amatelenga. — Les dons merveilleux du guinnârou (et diverses variantes de ce conte de Grimm). Sechse kommen durch die ganze Welt »30.

Comme contes simplement humoristiques ou satiriques, je citerai entre autres : Hâbleurs bambara. — L’avare et l’étranger ; ceux qui racontent les exploits de quelques joyeux sacripants : tels que Fountinndouha (les méfaits de Foutinndouha). — Les fourberies de M. Baye Poullo ; la merveilleuse habileté de voleurs hors de pair : (Les adroits voleurs. — Le fils du maître voleur. — Les deux faux dioulas), à moins qu’ils ne rapportent quelque histoire de feinte naïveté comme : Les coups de main du guinnârou.

G. Contes-Charades. §

Ces récits ont pour objet d’animer les conversations de la veillée en leur fournissant des sujets de discussions ou d’entretiens prolongés.

Quelques contes à combles se rattachent à cette catégorie qui a une grande analogie avec celle des « Roetselmoehrchen » allemands (notamment : Les 2 faux dioulas). A citer encore : Le plus brave des trois. — L’arbre à fruits humains.

On en trouvera des spécimens dans Bérenger-Féraud : (L’homme à la poule) et dans Froger. (Les trois grigris, —Zaleum et Songo).

Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. §

1° Fond : Thèmes favoris des noirs, 2° Forme : Leurs procédés de prédilection. Comparaison à ce point de vue avec les Aryens : Mythologie. — Allemands (Grimm et Bechsteitv). — Bretons (Barsaz-Breiz, Luzel, La Braz). — Russes (Sneegoroutchka). — Français (Perrault, Mme d’Aulnoy, Mme Leprince de Beaumont) ; Histoire de France. — Scandinaves (Andersen. Légende de Sire Olaf dans le bal des Elves) et sémites (1.001 nuits et légendes bibliques). — Procédés qui semblent exclusivement indigènes. — Thèmes indo-européens qui ne semblent pas avoir été traités dans la littérature merveilleuse des noirs. — Le chevaleresque dans les légendes indigènes. Les Torodo. — Le symbolisme indigène : les apologues. — L’onomatopée. — La forme du conte. Les parties rythmées et chantées. Un jugement prématuré rectifié par l’expérience.

Je vais, dans ce chapitre, être obligé une fois de plus à une sèche nomenclature, mais il va de soi que cette étude n’est pas destinée à tous les lecteurs de ce recueil. Elle n’a pour but que de faciliter leur travail à ceux qui entreprendraient d’étudier la matière plus à fond. Aussi ne conseillai-je qu’à ceux-là la lecture un peu aride de cet avant-propos.

Thèmes favoris des conteurs indigènes. §

Il est certains thèmes pour lesquels les noirs ont une préférence marquée. Ces thèmes se retrouvent pour la plupart dans les littératures mythiques des autres races avec des variantes assez légères.

D’autres, au contraire, semblent — ici, comme dans tout le cours de cet essai, je préfère n’affirmer qu’au cas de certitude absolue — semblent, dis-je être spéciaux à la littérature indigène.

La faiblesse protégée. Un de ces thèmes, qui dénote de la part des noirs une sensibilité assez prompte à s’apitoyer, est celui qui a trait à l’existence misérable des orphelins de mère (la marâtre joue seule ici le rôle odieux qu’elle partage dans l’imagination des Européens avec la belle-mère proprement dite). Par bonheur les puissances surnaturelles viennent en aide à ces déshérités pour la cessation de leurs peines et le triomphe de la justice31 à moins que ce triomphe ne se voie assuré par reflet d’un hasard, apparent ou réel. Voir : Le sounkala de Marama, —L’orpheline de mère, —Les orphelines, —La marâtre punie, —Sambo et Dioummi, etc.

La vantardise humiliée. — Il n’est si fort sur terre qui ne puisse trouver plus fort encore que soi. A ce thème se rattachent des contes en grand nombre qui prouvent que tel est un colosse, comparé aux êtres de sa race, qui se trouve n’être plus qu’un nain minuscule et débile en regard des guinné. A citer en ce sens : Hâbleurs tfambaraLes six géants Môssi.

La bonne et la mauvaise petite fille. — C’est le thème de divers contes allemands et français (Bechstein : Die Bienenkoenigin, Goldmaria und Pechmaria ; Grimm : Bei Frau Holle. — Perrault : Les fées, etc.). Quelqu’un mène à bien certaine entreprise parce que ses qualités de cœur lui attirent des sympathies et des concours utiles. Tel autre, au contraire, à qui le succès de son compagnon a fait espérer même réussite, échoue dans une entreprise de même nature parce que ces qualités de cour lui font défaut. Voir : Le sounkala de Marama. — L’orpheline de mère. — La femme de l’ogre. — Les présents des faro. — Hammat et Mandiaye, etc.

Le sacrifice d’une vierge à un monstre et la libération par un héros d’un peuple contraint à ce tribut. — C’est la vieille légende de Persée et de Thésée vainqueur du Minotaure. On la retrouve aussi dans les contes allemands, celtes et méridionaux (V. Grimm. Voir aussi Le dragon d’Elorn, La Tarasque), Le monstre32 est tué soit par l’amoureux de la victime désignée (Le boa du puits. Amadou Sêfa Niânyi)33, soit par un sauveur désintéressé (Les 2 NtyiSamba Guénâdio Diêgui). Ce thème est très fréquemment développé.

Le dévouement d’un homme à sa race. — (V. Le Dévouement de Yamadou Hâvé et (peut-être) La fille du massa)34. Thème de Décius, de Codrus et d’Arnold de Winkebried.

Les enfants précoces. — V. NDar ou l’enfant-né-avec-des-dentsAmadou KékédiourouL’enfant de Salatouk, etc.35.

Le courage mis à l’épreuve. — (V. Les prétendants de FatoumataLe couard devenu brave).

La petite sœur ou le petit frère avisé. — C’est encore souvent un cas d’enfants précoces comme dans le conte Kado : Amadou Kékédiourou ou dans Khadidia l’avisée. Un enfant sauve sa sœur, ses frères, ses oncles, sa mère et, en général, le fait presque malgré eux, en passant outre à leur défense de les accompagner. (V. La bergère de fauvesLa femme de l’ogreLe boa marié, etc.).

Ce thème, sur lequel brode complaisamment l’imagination, tant indigène qu’indo-européenne, paraît s’inspirer de cette idée que les apparences sont presque toujours le contrepied de la vérité et que chez tel qui manifeste une évidente intériorité physique se rencontrent des ressources de perspicacité et de malice plus précieuses que la force brutale pour sortir indemne d’un mauvais pas, comme si la faiblesse faisait aux débiles une nécessité de se rattraper du côté de la malice. Semblable idée a dû faire incarner la roublardise dans le lièvre, si peu apte à se défendre par la force.

Les jettatori. — Une croyance vague au mauvais oeil se décèle dans les contes intitulés : Le Kitâdo vengéLa chèvre au mauvais œilL’hyène et le bouc à la pêcheLa lionne et l’hyène, etc.

Le voleur émérite. — V. Le fils du maître voleurLes fourberies de M. Baye Poull.36.

Les hommes doués d’une force extrême ou d’une faculté extraordinaire. — Voir les 6 géants Môssi et leur mèreA la recherche de son pareilLe maître chasseur et ses 2 compagnonsAmatelengaHâbleurs bambara, etc. A ce thème se rattache le suivant :

Association d’hommes ou d’êtres merveilleusement doués en vue de parvenir à la fortune. — Ces contes rappellent ceux de Grimm et de Bechstein, intitulés Sechse kommen durch die ganze Welt. (Voir Ntyi, vainqueur du boaLes dons merveilleux du guinnârouLes 6 compagnons).

La révélation par l’intéressé du défaut de sa cuirasse. — V. Amadou Kêkédiourou, Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée et divers contes des Gow (Dupuis-Yakouba).

La répulsion pour les marques cicatricielles. — Ce thème se retrouve parmi les populations qui usent elles-mêmes de ces marques et non pas seulement chez celles qui ne s’en font aucune. V. Le Boa mariéKhadidia l’aviséeLe prince qui ne veut pas d’une femme niasséeLa femme de l’ogreL’anguille et l’homme au canariUne leçon de courageLe cheval noirLe roi et le lépreux. — Engagement d’honneur, etc., etc.

L’avarice bafouée. — V. YbilisLe vieillard et les 7 têtesL’avare et l’étranger.

La jalousie conjugale tournée en dérision. — C’est le thème de maints contes gaillards de tous les pays et de toutes les races d’hommes. L’humanité ne se lasse pas de se gausser d’un sentiment que jamais pourtant elle ne cessera d’éprouver. V. La précaution inutileLe jaloux assagiLe mari jalouxBala et Kounandi.

La jalousie entre co-épouses. — Ce thème remplace, nous l’avons dit plus haut, dans la littérature indigène, le thème de la belle-mère jalouse de sa bru. V. Le riz de la bonne épouseLes sinamoussoJalousie de co-épouse, etc.37.

C’est cette haine jalouse d’une femme contre sa compagne qui se reporte souvent sur les orphelins de celle-ci, comme en témoignent divers contes cités plus haut et relatifs aux dits orphelins.

Il y aurait certainement un grand nombre d’autres thèmes à énumérer, mais ceux que je viens de citer sont les plus fréquemment mis en œuvre38.

Procédés de prédilection des conteurs noirs. §

Il y a lieu maintenant de voir de quelle façon nos conteurs brodent sur leurs divers thèmes. Tout en indiquant les procédés d’intérêt dont ils usent le plus volontiers, nous signalerons les ressemblances de ces procédés avec ceux que les Indo-Européens emploient et nous constaterons au passage de très nombreuses ressemblances.

Voici les principaux de ces détails dont s’enjolivent nos récits :

L’avalement de l’adversaire. — V. Le fer qui coupe le fe.39. Ce procédé est employé aussi pour embellir celui à qui on l’applique (V. Les prétendants de Fatoumata).

Le corps où l’on pénètre sans difficulté. — V. Hâbleurs bambar.40.

La rémunération modeste demandée en échange d’un service qu’on va rendre. — Une vieille femme, en général demande comme récompense d’une précieuse révélation qu’elle se dispose à faire, soit de la viande sans os (des Œufs) soit un peu de son et une vieille pipe (V. La fausse fiancée. — L’homme touffu. — Les 3 femmes du sartyi, etc).41

La ruse de celui qu’on porte à noyer et qui persuade à un autre de prendre sa place en lui affirmant que c’est là un sûr moyen de gagner des trésors. V. MBaye Poullo, La fiancée de race yblisse, etc.42

Les épreuves bizarres auxquelles un prétendant est astreint pour se voir agréer. V. Le mariage de Niandon. — Affront pour affront, etc. Ces épreuves sont parfois scabreuses ; elles peuvent n’être qu’amusantes. (Les prétendants).

Le baobab aux fruits d’or ou contenant de l’or. (V. Déro et ses frères. Histoire de NMolo Diâra la crapule. — Les présents des faro, etc.)43

L’animal qui excrète de l’or — Voir Ntyi le menteur (M. Travélé)44.

Le dédain de l’athlète pour les armes qu’on lui présente. — V. Amatelenga.

Les procédés que je viens de rapporter sont, à ma connaissance, presque exclusivement indigènes. Ceux qui vont suivre ont des correspondants dans la littérature indo-européenne. Nous noterons ces rapports de ressemblance au fur et à mesure. Ils sont tellement fréquents qu’ils pourront faire croire à plus d’un lecteur que le noir est surtout un imitateur et que sa littérature merveilleuse n’est qu’un pastiche pur et simple.

Le lieutenant Lanrezac s’est élevé contre cette opinion dans son Essai de folklore au Soudan. Il a dit le nécessaire, à mon sens, pour condamner cette hypothèse et soutenu victorieusement la thèse que la littérature indigène est presque absolument originale. Nous verrons en effet que l’influence qui paraîtrait la moins probable — celle des races européennes avec lesquelles le noir est en contact depuis beaucoup moins de temps qu’avec les sémites musulmans — serait, en réalité, la plus manifeste, à en juger d’après les apparences. Les musulmans qui, auraient dû, semble-t-il, inspirer fortement la littérature merveilleuse des noirs, n’y laissent au contraire que de rares traces d’influence.

Sans doute il se rencontre quelques réminiscences de la Bible dans les contes des pays islamisés de longue date mais l’énumération en serait brève.

Ainsi on peut rapprocher l’histoire de Déro et de ses frères de celle de Joseph vendu par les siens et leur rendant le bien pour le mal. De même dans les contes des Gow de Dupuis-Yakouba on notera des réminiscences de l’histoire de Joseph et de la femme de Putiphar (histoire qui est d’ailleurs un peu celle de Phèdre et d’Hippolyte).

On peut encore rapprocher de la bénédiction d’Isaac mourant, surprise par Jacob au moyen d’un stratagème, celle du roi Dinah surprise par son second fils (Lanrezac, op. cit.) mais de telles rencontres, sont, je le répète, très peu fréquentes.

J’aurai à peu près épuisé les comparaisons entre les littératures islamique et indigène, au point de vue des procédés, en énumérant quelques détails, réminiscences des 1001 Nuits. Contre mon attente, ces ressouvenirs, qui peuvent d’ailleurs souvent se référer aussi bien à des procédés indo-européens, ne sont pas très nombreux. Ainsi : la condition imposée à un passager transporté par un génie de ne pas prononcer le nom de Dieu (Conte des calenders. Le cavalier d’airain) se retrouve dans le conte ouolof Ibrahima et les hafrit.45.

Les marques signalétiques faites à la maison d’un voleur pour la reconnaître et effacées par l’intéressé se rencontrent aussi bien dans Le fils du maître voleur que dans Ali Baba et dans le conte d’Andersen : Das blaue Licht.

L’art de se débarrasser d’un cadavre gênant est pratiqué de la même façon dans Le tailleur et le bossu (1001 Nuits) et dans Le fils adoptif du guinnârou.

A citer encore :

Le mutisme tenacement observé au milieu de provocations insultantes ou en présence d’événements de nature à faire rompre le silence ; cf. Les 3 sœurs jalouses de leur cadette (1001 Nuits) et L’orpheline de mère.

Les multiples transformations afin de se dérober à la poursuite d’un ennemi46.

Le « Sésame ouvre-toi ! ». — Cf. La case de cuivre pâle.

L’ingratitude des frères pour leur sauveur et le meurtre répondant au bienfait. Cf. Codedad et ses frères (1001 Nuits), divers contes de Grimm et Fatouma Siguinné.

La curiosité punie. — Cf. conte des calenders et La mounou de la Falémé.

Les calomnies des co-épouses pour perdre l’épouse préférée, par exemple, en représentant celle-ci comme étant accouchée d’un monstre ; cf. Codedad et ses frères. Les sœurs jalouses de leur cadette (1001 Nuits) et Les 3 femmes du sartyi. (Voir aussi contes de Grimm et La belle au bois dormant).

Le dormeur éveillé. — Cf.(Moussa Travélé) : Le cultivateur et son fils. C’est le thème du conte des 1001 Nuits portant ce titre et aussi de la fable : Perrette et le Pot au lait.

Voyageurs retenus loin de leur pays par l’effet de circonstances obstinément hostiles à leur retour ; voir : Ibrahima et les haffritt. C’est le sujet même de l’Odyssée, dont les 1001 Nuits trahissent de multiples réminiscences.

Le tapis volant. — Voir Mamadou et Anta la guinné. Cf. conte du prince Ahmed et de la fée Péri-Banoum (1001 Nuits).

Influence indo-européennes. §

Ces influences, nous les tenons pour plus apparentes que réelles. Il y a lieu cependant de constater que la littérature indigène reproduit surtout les détails des mythes indo-européens (Grèce antique, Bretagne, France, Allemagne, Russie même)47.

Je vais indiquer ces rencontres. Il s’en trouve même sur le terrain de la légende historique. Sous ce dernier rapport, j’appellerai l’attention sur les détails ci-après :

Procédé de Sévi écrasant le tas de pagnes et de bijoux apporté en tribut par le tounka (La geste de S.-G. Diêgui) Cf. Brennus jetant son épée dans la balance où se pèse le tribut libérateur de Rome et Noménoé faisant le poids avec la tête de l’envoyé du roi frank.

Procédé de Malick Sy48, le rusé marabout obtenant, par sa diligence entendue, un terrain considérablement plus vaste que celui que comptait lui concéder le chef du pays. Cf. la ruse de Didon, faisant découper en lanières la peau de bœuf qui devait contenir la terre accordée pour la fondation de Carthage.

Les serments de bons desseins réciproques entre ennemis irréconciliables : cf. Jean-Sans-Peur et le duc d’OrléansLe Kitâdo vengé.

Procédé de Konkobo Moussa (Geste de S.-G. Diêgui) s’emplissant la culotte de terre afin de s’interdire toute tentative de fuite. Cf. les milices flamandes s’attachant avec des chaînes dans le même but à Roosebecque et les Cimbres49 à Verceil.

Les enfants reprochant à un futur héros de n’avoir pas de père. Cf. Contes des Sorkos : Farang Nabo. Contes des Gow : Misandé Sambadjo. Cf. Xénophon Cyropédie : Cyrus enfant et Mandane.

On en trouverait encore sans grand peine un certain nombre d’autres.

Procédés germaniques. §

Au nombre des procédés qui sont communs aux littératures merveilleuses allemande et indigène, je citerai, tout en m’efforçant de rester aussi bref que possible :

La gifle qui semble décapiter la personne à qui on l’applique. Cf. L’amandier (Grimm et Bechstein) et La fille qui veut apprendre à chanter.

L’aide prêtée par les bêtes. — Cf. Ntyi vainqueur du boaLa femme de l’ogreLa protection des djihonLe cheval noir et Die Bienenkoenigin (Bechstein et Grimm) (Cf. aussi La belle aux cheveux d’or.)

Les armes dédaignées par le jeune géant. — Cf. Amatelenga et Der junge Riese (Grimm).

La capture de l’animal cornu, grâce à une ruse qui l’amène à enfoncer ses cornes dans un tronc d’arbre d’où il ne pourra plus les retirer. Cf. Le brave petit tailleur (Grimm et Bechstein) et Le fils du seigneur Ouinndé.

La poursuite retardée par des obstacles naturels suscités par la sorcellerie. Cf. La fiancée de race yblisseLa queue d’YboumbouniKhadidia l’avisée et Die Wassernixe (Grimm).

Le talisman de nourriture et les aliments qui se préparent d’eux-mêmes. Cf. Les 4 fils du chasseurLe sounkala de MaramaLa bergère de fauvesHammat et Mandiaye et Tischlein deck’dich (Grimm et Bechstein).

Le fouet qui frappe de lui-même. — Cf. La nyinkona et Knuppel aus dem Sack (Grimm et Bechstein).

Les animaux parias qui associent leur misère pour en diminuer les inconvénients. Cf. Die bremer Musikanten (Grimm et Bechstein) et L’hyène machiavéliqu.50.

La marchande de galettes soporifiques. — Cf. conte de l’Homme touffu et Sneewitche.51 (la pomme empoisonnée).

L’égoïsme féroce du cruel compagnon de route et l’aumône d’un peu d’eau, payée d’un prix exorbitant. Cf. Die beide Wanderer (Grimm) —FaladaLa fausse fiancéeLes 2 Ntyi.

La demande de cheveux d’un être puissant ou merveilleux, épreuve malaisée comme condition d’un pardon ou d’une faveur : Cf. Le fils du seigneur Ouinndé (cheveux de tyityirga) La queue d’Yboumbouni et Boccace (Décaméron) —Grimm : Der Teufel mit den 3 goldene Haaren.

Le remède indiqué à un blessé, par l’entretien d’animaux qui ne soupçonnent pas sa présence. Cf. Déro et ses frèresLes 2 Ntyi, et Grimm : Die beide WandererDer treue Johannes.

L’apparent déshérité tirant parti de son maigre lot. — Cf. Les 2 Ntyi et Die 3 Gluckskinder (Grimm) où le héros s’enrichit en vendant un chat dans un pays où il est inconnu et où foisonnent les souris.

L’enfant promis à un génie (de l’eau dans la plupart des cas), promesse qui n’est pas tenue : Cf. Die Nixe im Teich et Das Moedchen ohne Hoende (Grimm).

Les signes pour se faire reconnaître comme le vainqueur du monstre. Le vainqueur laisse sur place ses sandales et ses bracelets (Le boa du puitsSamba Guénâdio Diêgui) ; son couteau (Les 2 Ntyi) ; son chien (B.-F. Samba Poul) ; ou emporte un morceau de la bête (la peau du caïman, la langue du lion) Samba GuénâdioDie 2 Bruder (Grimm).

Dans le conte de Hammadi Diammaro, ce dernier use d’un moyen analogue pour confondre les imposteurs.

Le sabre destiné à un héros qui, seul, pourra s’en emparer. — Cf. B.-F. Faveurs accordées aux nouveaux convertis et Légende de Siegmund.

L’association de héros merveilleusement doués que j’ai signalée comme un des thèmes favoris des conteurs noirs est aussi un procédé commun aux littératures germanique et indigène.

Le langage des animaux devenu intelligible grâce a un aliment-talisman. — Cf. Le lièvre et le dioula et Die weisse Schlange (Grimm). Cf. également l’apologue de début des 1001 Nuits : L’âne, le bœuf et le cultivateur. Dans tous ces contes, il en coûte la vie à qui, détenteur de ce secret, se laisserait aller à le révéler.

La danse irrésistible par l’effet de certaine chanson ou d’un air joué sur un instrument magique. Cf. Le joli fils du roi et Der Jude im Dorn (Grimm). — Das blaue Licht (Andersen).

La révélation par quelqu’un du procédé grâce auquel on viendra à bout de lui. Voir Amadou Kêkédiourou. — Ntyi vainqueur du boa. — Der Mann ohne Herz (Bechstein). — Contes des Gow. — Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée, etc. Cette révélation est souvent interrompue dans les contes indigènes ; d’où le salut de l’imprudent trop expansif.

L’âne qui excrète de l’or. Voir : Les trois menteurs (Arcin, op. cit.), Kalon Ntyi (M. Travélé) —Esel streck’dich (Grimm et Bechstein).

L’épreuve de la maîtrise en friponneries, notamment par l’enlèvement de quelqu’un qui s’y attend. V. Le fils du maître voleurLes fourberies de MBaye Poullo Kalon Ntyi. Cf. Die Probestucke des Meisterdiebes (Grimm et Bechstein) et le conte égyptien rapporté par Hérodote.

La femme fourbe et ambitieuse qui se substitue à la véritable fiancée qu’elle est chargée d’accompagner. Cf. La fausse fiancée et Falada (Paul Arndt. Es war einmal) ou à la femme qu’elle a fait périr : Die falsche Braut (Grimm). — Jalousie de co-épouse52.

Les promesses merveilleuses faites par des filles qui rêvent d’un époux. Cf. Les 2 sŒurs jalouses de leur cadette (1001 Nuits), Grimm : divers contes et Les trois femmes du sartyi.

Le stratagème pour s’introduire dans le paradis en dépit de celui qui en garde l’entrée. Cf. Bruder Lustig (Grimm) et L’intrus dans l’Aldiana (Dr Cremer).

La découverte d’une source là où ne la soupçonnaient pas les gens du village privé d’eau. Cf. Déro et ses frères et Der Teufel mit den 3 goldene Haaren (Grimm).

Je note, pour en finir avec cette longue comparaison entre contes allemands et contes indigènes, l’analogie qui existe entre la puérile explication de l’origine du soleil (D’où vient le soleil) et celle du conte de Grimm (Der Mond) relative à la lune.

Procédés français. §

Si maintenant nous comparons les procédés des conteurs noirs à ceux des conteurs français, nous trouverons, outre les rapports déjà signalés accessoirement, les ressemblances suivantes.

Précaution détenir un enfant à l’écart de telle chose ou de telle personne qui doit lui être fatale. — Cf. La Fontaine (Fables) —La biche au boisLa belle au bois dorman.53.

La bête reconnaissante à qui l’a épargnée. V. contes des Gow. Sanou Mandigné. Cf. La belle aux cheveux d’o.54.

L’Œuf miraculeux de Florise (dans l’Oiseau bleu) a ses équivalents dans les oeufs du conte de L’orpheline de mère ou les calebasses de Hammat et Mandiaye et du Sounkala de Marama.

L’odeur de chair fraîche. Voir La femme de l’ogreLa lionne coiffeuseLa fiancée de race yblisse. Cf. Le petit Poucet.

L’ogresse ou la sorcière qui tue ses propres enfants, croyant tuer ses hôtes. — Cf. Amadou Kêkédiourou et Le petit Poucet.

Les choses semées sur la route pour retrouver son chemin au retour. Ce sont des graines de plantes rampantes (La femme de l’ogre) un sac de cendre troué, (L’hyène, le lièvre et le somono). (Arcin, op. cit.). Cf. Le petit Pouce.55.

La baguette magique56. Voir : Les obligés ingrats de Ngouala.

Les petits animaux transformés en chevaux. Voir : Les jumeaux de la pauvresse. — Cf. Cendrillon : (les lézards, les souris et le rat).

Le héros ingénu lors de ses débuts dans la vie. — Cf. Guénâdio Diêgui et Pérédur (ou Perceval le Gallois)57.

L’oiseau voleur, cause des accusations portées contre un innocent. — (Voir Geste de S-G. Diêgui). — Cf. la légende populaire de la pie voleuse.

L’épreuve du triage de grains pénible à effectuer. — Cf. La protection des djihon. — Gracieuse et Percine.58.

Le mannequin qui trompe l’exécution des mauvais desseins. — Cf. La flûte d’YbilisLe forage du puitsLe pardon du guinnârou et L’adroite princesse (Mme d’Aulnoy).

La feinte d’un animal pour déjouer les invites doucereuses d’un ennemi de sa race. — Cf. L’hyène et le bouc à la pêche. — L’hyène et le pèlerin — et La Fontaine (Fables) : Le coq et le renard.

Le remède indiqué à un puissant et qui se compose des organes vitaux de celui qui a tenté de nuire au conseilleur du dit remède. — Cf. IngratitudeLe tailleur de boubous en pierreLa protection des djihonLa tortue et la pintade — le renard conseillant au lion malade de s’envelopper d’une peau de loup écorché vif. (La Fontaine, Fables).

Procédés celtiques. §

Passant aux contes de la littérature celtique, nous trouvons, comme présentant des ressemblances évidentes avec les procédés des récits indigènes, les détails suivants :

La ronde de lutins59 empêchant le voyageur attardé dans la nuit de poursuivre son chemin. — Cf. Le chasseur de Ouallalane et divers contes de korrigans.

Les substitutions d’enfants. — Un génie substitue un enfant de sa race à un enfant de race humaine. Cette tradition est également allemande et Scandinave (Les doeckâlfar). — Cf. Le fils des bâri et L’enfant supposé (Barsaz-Breiz)60.

Le procédé pour amener un muet volontaire à rompre le silence. — Cf. Légende de NDiadiane NDiaye et l’Enfant supposé (Barsaz-Breiz).

Nombre d’aventures et de détails évoquent en outre des souvenirs de l’histoire grecque ou romaine :

Le dévouement de Yamadou Hâvé rappelle celui du Romain Décius, du Grec Codrus ou du Suisse Arnold de Winkelried.

La folie d’Amady Sy, élevant une gueule tapée à la co-royauté n’est pas sans analogie avec celle de Caligula nommant consul son cheval Incitatus.

Le refus des parents de se sacrifier pour racheter la vie de leur enfant et le dévouement de l’épouse, contrastant à cette occasion avec leur conduite, c’est le thème de l’Alkestis d’Euripide et aussi ceux de La Mauresque et de Diadiari et Maripoua, comme du Kitâdo vengé.

Nous trouvons les conditions presque irréalisables imposées à quelqu’un, avec l’arrière-pensée de l’envoyer à la mort, dans le conte des Sorko.61 où Fatimata de Tigilem exige de son mari qu’il lui apporte de la graisse d’un hippopotame qui a jusqu’alors anéanti tous ses adversaires. — Cf. La protection des djihon. Ce thème est fréquent dans la littérature merveilleuse de tous les peuples. C’est l’histoire des travaux imposés à Hercule par Eurysthée. — Cf.

Conte de Gracieuse et Percinet (Mme d’Aulnoy) Le prince Ahmed et la fée Peri-Banoum (1001 Nuits), La belle aux cheveux d’orLe brave petit tailleur (Grimm).

La curiosité fatale de la femme. — Thème de Psyché, de Lohengrin, Serpentin Vert etc., de l’Apologue de l’Âne, le bœuf et le cultivateur (1001 Nuits), de la Mauresque, du Lièvre et le dioula, du Koutôrou porte-veine.

L’avis donné au moyen de présents symboliques. — Voir Namara SoundiétaLes 6 compagnonsLes 2 intimesQuels bons camarades !

Le sacrifice fait aux divinités des éléments pour obtenir le succès d’une entreprise. Voir : La conquête du Baoulé (Delafosse, Op. cit.) Iphigénie sacrifiée à Neptune, etc.

La transformation d’êtres humains en animaux inconnus jusqu’alors et, par suite, l’origine de cette nouvelle espèce d’animaux — L’explication de particularités physiques d’autres espèces. Voir les divers contes de pseudo-histoire naturelle.62 — Cf. Philomèle, Progné, etc.

La transformation d’une jeune fille en chose inanimée pour la soustraire aux désirs d’un être surhumain : Goloksalah et Penda Balou (Bérenger-Féraud, Op. cit.) Cf. Légende d’Apollon et de Daphné et autres légendes mythologiques grecques.

La femme essayant de séduire un proche parent de son mari (fils, frère) et, faute d’y parvenir, accusant celui-ci d’avoir voulu la violenter. Contes des Gow : Kelimabé — Cf. Phèdre, Joseph, les femmes de Camaralzaman (1001 Nuits).

L’énigme donnée à deviner sous peine de mort. — Cf. BilâliŒdipe et le Sphinx. — Contes de Grimm. Au cas où le mot de l’énigme est trouvé, celui ou celle qui l’a proposé meurt sur le champ ou tout au moins tombe sous le pouvoir de celui qui l’a résolue.

L’ami dévoué qui se porte garant, au péril de sa vie, du retour de son ami condamné. — Cf. Les 2 amis peulhs (B.-F., op. cit.), Damon et Pythias.

L’épreuve de l’amitié dans l’adversité. — Cf. L’homme aux nombreux amis (B.-F. op. cit) et Timon le misanthrope.

Le musicien qui attire les animaux par lecharme de son instrument. — Cf. Farang Nabo (contes des Sorkos) Légendes d’Orphée et d’Amphion.

Le bijoux perdu (ou rejeté) retrouvé dans un poisson63. — Cf. Le marabout et le famaLa bague aux souhaitsL’anneau de Polycrate (Hérodote).

Le mari se séparant de sa femme pour sauver la vie d’un ami, malade de désir ou d’amour pour celle-ci. — Cf. Les 2 amis peulhs (B.-F. Op. cit). et Séleucus Nicanor répudiant Stratonice au profit de son fils Antiochus.

La révélation d’un forfait qui semblait devoir rester à jamais inconnu. — Cf. Le melon révélateur et Les grues d’Ybicu.64.

Enfin, sans comparer spécialement à telle ou telle fraction de la littérature indo-européenne, nous aurons à mettre en regard des procédés généraux communs de celle-ci les procédés indigènes ci-après :

La croyance à la voix du sang. — Voir Bala et KounandiLanséni et Maryama (Barot) —Le fils du seigneur OuindéL’épreuve de la paternitéFatouma SiguinnéHammadi BitâroLes 3 femmes du sartyi, etc.

Épreuves analogues aux ordalies : Voir Delafosse : La mort du chien et, contes des Gow, l’épreuve subie par Sanou Mandigné. Voir aussi l’interrogatoire du cadavre dans Le cheval de nuit et La taloguina.

L’indiscrétion punie. Histoires pour impressionner les touche-à-tout. Voir : Le canari merveilleux.

Caractère fatidique des nombres 3 ou 7 et de leurs multiples. Il y aurait trop d’occasions de le souligner. Le lecteur le constatera en cours de lecture.

Le talisman d’invisibilité.L’anneau de Gygès, le bonnet (Hutlein) des contes allemands. Le bonnet magique de Sanou Mandigné (contes des Gow). Le sirikou bambara. La queue d’hyène (pour les voleurs).

La bague à souhaits. Le Wunschring des Allemands. Voir La bague aux souhaits. L’anneau de la tourterelle, etc.

Minuit, heure des apparitions et des crimes chez les noirs comme chez les blancs. Voir : Les jumeaux de la pauvresseAmadou Kêkédiourou.

Les loups-garous. — Voir : L’ensorcelée de Thiévaly. — La taloguina. — L’almamy caïman.

La mort aux porteurs de mauvaises nouvelles. — (Voir Amadou Kêkédiourou. — La geste de S.-G. Diêgui).

Procédés exclusivement indigènes. §

En outre un certain nombre de procédés peuvent, jusqu’à plus ample informé, être considérés comme exclusivement indigènes :

La transformation de quelqu’un par l’avalement. — V. Hammadi DiammaroFatouma Siguinné, etc.

Certaines épreuves bigarres ou scabreuses. — Mariage de Niandou. — Affront pour affront. — Les prétendants, etc. Ces épreuves sont généralement des conditions posées pour l’acceptation d’un prétendant.

Les bêtes justicières. — Voir : Le châtiment de la diâto — La lionne coiffeuse.

Un animal de brousse ou un guinné se changeant en femme pour assurer sa vengeance. — Voir Mamady le chasseur. — La flûte d’Ybilis. — Kamankiri NDana (contes des Gow). — La lionne et le chasseur.

Le vol d’une autruche et la recherche de sa graisse. — V. Les fourberies de MBaye Poullo et Le fils du maître-voleur.

Le faux talisman qui passe pour ressusciter les morts par son contact et dont un personnage, dénué de scrupules, fait commerce. La résurrection d’un prétendu cadavre. Voir Kalon Ntyi (M. Travélé) —Les 3 menteurs (Arcin). — Les fourberies de MBaye PoulloMensonge et Vérité (Froger).

Les enfants élevés par des guinné. — V. Déro et ses frères. — Les jumeaux de la pauvresse. — Le Kitâdo vengé. — Le fils adoptif du guinnârou, etc.

Les griots excitant le courage des victimes qu’on mène au sacrifice. (Le geste de Samba Guenâdio Diêgui) par leurs chants ou leurs imprécations.

Les gestes magnétiques. — Voir : NDar — Kélimabé (contes des Gow).

La révélation interrompue des métamorphoses ou sortilèges successifs grâce auxquels un chasseur se dérobe à la colère des bêtes de la brousse. Voir Kamankiri NDana et divers autres contes des Gow et des Sorkos. (Dupuis-Yakouba et Desplagnes, op. cit.) Mamady le chasseur. — Le riche et son fils. — Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée, etc.

La femme fourbe se faisant accompagner par le mari dont elle médite la perte et dissuadant celui-ci d’emporter chacune des armes qu’il prend successivement pour sa sûreté. Voir contes des Gow, —Mamady le chasseur. — La lionne et le chasseur. — Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée.

L’hyène prise comme monture. — V. L’hyène et le pèlerin. — Les prétendants etc.

Le geste « jettatorique » de la barbiche braquée. — V. L’hyène et le bouc à la pêche. — La chèvre au mauvais œil. — La lionne et l’hyène.

La compagnie tenue, malgré eux, à des gens que l’on voudrait sauver et les multiples transformations de celui qui les accompagne. — V. Amadou Kêkédiourou. — Khadidia l’avisée. — La bergère de fauves et divers autres contes de petits frère ou sœur avisés.

L’enfant qui parle dans le sein de sa mèreet s’enfante de lui-même. — V. Misandé Sambadjo (contes des Gow) —Tiéoulé (Lanrezac) —Amadou KêkédiourouAmatelenga etc.

Le cadeau artificieux. — V. La chèvre grasse. — Les générosités de l’hyène.

La bête blessée emportant l’arme dans sa plaie et menant ainsi le chasseur jusqu’au village des animaux. — V. D’où vient le soleil et (contes des Gow) Sanou Mandigné chez les éléphants.

L’avalement comme mode de combat. — V. Misandé Sambadjo (contes des Gow). — Le fer qui coupe le fer.

Le retour irrésistible à son naturel. — V. Chassez le naturel… et Le lièvre et l’hyène aux cabinets. V. aussi Delafosse (op. cit.) Le Ciel, l’araignée et la mort.

Thèmes omis par la littérature indigène. §

Par contre, il est des thèmes dont il ne semble pas que la littérature indigène ait tiré parti.

Rien d’analogue à Circé ou aux magiciennes des 1001 nuits, changeant, d’un geste, les hommes en animaux dans le but de leur nuire. Ce thème est pourtant très employé par les conteurs musulmans.

Il n’y a pas de conte qui manifeste la conception d’un Scharaffenland, d’un pays de Cocagne où les hommes vivraient heureux dans l’abondance et l’inaction. Cependant un rêve de cette nature semble plus conforme encore au tempérament des noirs qu’à celui de l’Indo-Européen65.

Pas d’histoires de brigands non plus, de ces récits cauchemardants dont la Roeuber-brautigam de Grimm est un type achevé et qu’on retrouve aussi dans les 1001 Nuits (Ali-Baba et les 40 voleurs).

Pas d’êtres minuscules de nature humaine. Rien qui équivaille aux voyages de Gulliver à Liliput ou au conte de Grimm et de Bechstein : Daumesdick. Certains héros des contes indigènes paraissent petits, mais c’est par contraste avec les géants, d’origine surnaturelle, qui figurent en même temps qu’eux dans le récit.

Pas de meurtres simulés dont l’exécution serait prouvée par la présentation des organes de certains animaux, comme on le voit dans Geneviève de Brabant, Camaral-zaman (1001 nuits) ou la 2e partie de la Belle au bois dormant (épisode d’Aurore et du petit Jour). Dans Déro et ses frères on présente bien au père le vêtement ensanglanté de Déro, mais ce conte n’est pas d’inspiration indigène. C’est une réminiscence incontestable de l’histoire de Joseph livré par ses frères.

Pas de haine de la belle-mère contre sa bru. Cet élément d’intérêt dramatique est — nous l’avons déjà dit — remplacé par la haine des co-épouses entre elles ou des marâtres contre les enfants d’un autre lit.

Pas d’intersignes comme dans les contes bretons.

Pas de paysans naïfs jusqu’à la stupidité comme dans les contes allemands.

Pas d’existence, ou plutôt, de personnalité caractérisée donnée à des ustensiles usuels. Cf. avec le conte d’Andersen qui met en scène une théière un sucrier, des pinces à feu, etc. (Es war einmal. Paul Arndt).

Pas de races traditionnellement caricaturées comme les Souabes ou les Schildburger en Allemagne, à moins qu’on ne considère comme telle celle des Bagnoums (V. Bérenger-Féraud : La chasse au lion des Bagnoums).

Pas de professions raillées ou décriées comme, jadis en Bretagne, celle des tailleurs. Les griots n’ont pas un plus mauvais rôle que les autres indigènes, encore que dans la vie réelle ils bénéficient d’une très relative estime. Peut-être les contes sont-ils — en principe — leur œuvre, ce qui expliquerait que, sur ce point, la littérature ne soit pas le reflet toujours fidèle de l’esprit de la race qui en fait son moyen d’expression.

Pas de légende dans le genre de celles des 7 Dormants, de Rip van Winkle ou du moine extatique. Les conteurs noirs n’ont vu que le côté comique des sommeils indéfiniment prolongés.

Pas de contes de revenants proprement dits. — Tous ceux où l’on voit des morts agir n’ont pas ce caractère, à mon avis. Les mères d’orphelines revivent après être sorties de la tombe. Quant à celle de Marama (Le sounkala de Marama) c’est une vision de rêve et non pas un revenant réel. Le mort du Cadavre ambulant est un mort que l’on n’a pas enterré et non un véritable revenant.

Pas de légendes relatives aux génies de là terre ou du sous-sol, non plus qu’aux génies de la montagne. Je ne voudrais cependant pas me montrer trop catégorique à ce propos, n’ayant recueilli de contes que dans des régions dépourvues d’accidents de terrain bien caractérisés et étant insuffisamment renseigné, faute d’un séjour prolongé, sur la littérature merveilleuse des montagnards du cercle de Bandiagara.

Le chevaleresque dans la littérature des noirs §

C’est principalement dans les récits des Torodo que nous relevons les traces d’une mentalité chevaleresque, analogue à celle de notre moyen âge. Je regarde ce que j’ai intitulé La geste de Samba Guénâdio Diêgui comme une chanson de geste véritable. Je renvoie le lecteur à cette légende, non sans avoir souligné les quelques détails ci-dessous :

Noms donnés aux armes et aux montures des héros. — Le fusil de Samba s’appelle Boussalarbi, tout comme l’épée de Charlemagne avait nom : Joyeuse et celle de Siegfried : Balmung. Le cheval de Samba s’appelle Oumoullatôma et celui de Birama NGourôri : Golo, de même que celui des 4 fils Aymon était appelé : Bayard et ceux de Gradlon, roi de Kérys : Morvarc’h et Gadifer.
Naïveté ingénue de Samba adolescent. — Il est honnête et ne soupçonne pas le mal chez autrui. Il prend pour argent comptant les fins de non-recevoir gouailleuses de son oncle Konkobo Moussa. Cette naïveté n’est pas sans analogie avec celle que manifestent Pérédur ou Lez-Breiz.
Combat singulier de 2 chefs. — (Duel de Samba et de Birama). Voir de même dans Amadou Sêfa Niânyi, le duel d’Amadou et de Samba Koumbelé.
L’offre généreuse, faite à l’ennemi désarmé, de moyens de continuer le combat. — Samba donne à plusieurs reprises, au cours du combat, un cheval à son oncle Konkobo qui a eu les siens tués sous lui.
L’étrange loyauté des adversaires de Samba qui vient dans leur camp la veille de la bataille et qu’ils traitent avec le plus grand respect des droits de l’hospitalité, par égard pour la bravoure confiante qu’il manifeste ainsi envers eux.
La volonté de vaincre ou de mourir dont fait preuve Konkobo en alourdissant sa culotte avec de la terre, pour s’interdire la fuite au cas où son courage aurait une défaillance.
7° La ressemblance déjà soulignée plus haut entre l’acte de Sévi et le geste de Brennus.
La générosité de Samba vainqueur de Birama rendant spontanément au vaincu — par solidarité raciale — la moitié des troupeaux qu’il a conquis sur lui.

Les notes de la légende compléteront ce qu’il y a d’un peu sommaire dans cette étude hâtive de l’esprit chevaleresque chez les Torodo.

Le symbolisme indigène. — Les apologues. §

Ce symbolisme reste forcément assez obscur car les interprètes qui traduisent les termes abstraits de la langue indigène ne possèdent que rarement le français d’une façon suffisante pour rendre exactement l’idée. Aussi leurs explications, même comparées entre elles, ne m’ont-elles été que d’un faible secours pour découvrir ce qu’elles voulaient exprimer.

J’ai indiqué les principaux apologues, tant ouolofs (Adina-Guéhuel et Damel), que peuhls (Kahué l’omniscient — La tête de mort) gourmantié (Trois frères en voyage) et môssi (Enseignements d’un fils à son père ; Froger.)

Les thèmes favoris sont :

Celui des 3 puits dont 2, communiquant entre eux, représentent les puissants de la terre qui laissent à l’écart le troisième, lequel symbolise les pauvres gens.
Celui des 2 bœufs. — L’un reste maigre encore qu’il ait de la nourriture en abondance et qu’il mange plus qu’à sa faim. L’autre devient de plus en plus gras quoiqu’il n’ait rien à manger auprès de lui. Le premier maigrit sans cesse, miné par les soucis que lui donne sa parenté. Le second vit en égoïste et en solitaire et n’a même pas besoin de nourriture tant il prospère naturellement.
Celui d’Adina ou la misère humaine qui, ne pouvant soulever un fardeau, en augmente encore le poids après chaque tentative inutile qu’il a faite pour le charger sur sa tête.
Celui du guéhuel et du damel déjà enregistré par Bérenger-Féraud (Histoire de Cothi-Barma) et qui enseigne la défiance envers les femmes, la considération pour les vieillards et quelques autres menus axiomes de sens commun.

Dans l’apologue de Kahué l’omniscient il y a beaucoup de puérilité et le symbole est parfois inintelligible. Malgré de nombreux efforts et quoique je me sois renseigné près de divers Indigènes, je n’ai pu trouver d’explications satisfaisantes ni surtout concordantes du sens de ces mots : soutoura, hakilé et dyiké, et, par suite, il m’est impossible de déterminer le sens des symboles auxquels ils correspondent. Peut-être le parfait symbolisme est-il après tout celui qui se prête à mille interprétations différentes.

On peut aussi cataloguer sous l’étiquette : symbolisme, les dons faits à certains personnages des contes, soit pour les avertir, soit pour les menacer. Ainsi, dans « Les 6 compagnons », la femme d’un roi haoussa répond aux propositions d’un soupirant par l’envoi d’un os, de feuilles de tôro et d’une poignée d’herbes. Elle lui indique ainsi, sans commentaires, les précautions qu’il aura à prendre selon les périls qu’il doit éviter. Dans Namara Soundiéta, celui-ci menace le chef qui lui refuse un terrain où enterrer sa mère, de détruire ses villages (balles et poudre), de tuer quiconque accepterait le prix de la concession (un couteau) de démolir ses cases où les volailles viendront prendre leurs ébats (poules et pintades) et de mettre ses villages en tel état que les arachides et le coton y pousseront sans être cultivés ni récoltés.

On peut encore voir du symbolisme dans le procédé de la sœur de Birama NGourôri (La geste de S.-G. Diêgui) qui, pour annoncer d’une façon moins brutale à son frère que ses troupeaux ont été enlevés, lui fait apporter pour son repas un couscouss uniquement composé d’herbes, sans le moindre morceau de viande, lui donnant ainsi à entendre qu’à moins de reconquérir ses bestiaux dérobés, il n’aura plus désormais que les produits du sol pour le nourrir.

Je ne m’étendrai pas plus longuement sur le symbolisme indigène. Il serait aisé d’en multiplier les exemples. Les contes de ce recueil en offriront un certain nombre à ceux qui seraient tentés d’étudier la question plus à fond.

L’onomatopée chez les noirs. §

De même, je n’effleurerai ce sujet qu’en passant. L’oreille des noirs ne perçoit pas, semble-t-il, les sons de la même façon que la nôtre, sinon, il faudrait conclure qu’ils interprètent leurs perceptions d’une manière très différente de nous. J’ai cru devoir transcrire les sons comme ils m’ont été figurés plutôt que de les traduire par les onomatopées françaises correspondantes, quitte à indiquer en note ces dernières.

Ces onomatopées indigènes, comme les nôtres, rendent non seulement les bruits, mais encore les mouvements silencieux tels que le tortillement du serpent ou le balancement d’un objet. A côté de cela, on trouve dans les chansons des noirs des mots sans signification spéciale qui forment une sorte de refrain analogue aux « tra dé ri dera » ou aux « et lon lon laire et lon lon la » de nos chansons françaises.

Voici quelques-unes de ces onomatopées :

Ouellêni iô ! : bruit des grelots attachés en bracelets aux chevilles des enfants = Dindelinn ?
Gouinsinkélé gouinsan : aucune signification.
Kénié kéniéndé : frottement des écailles du serpent les unes contre les autres = Frik ! Frak !
Bayevélé ! Vélébaya ! : bruit de l’eau jetée à la volée et qui retombe dans l’eau = Floc ! Flac !
Bataou ! : bruit d’un objet tombant dans l’eau et s’y engloutissant = Plouf ?
Miniki manaka ! : allure sinueuse du serpent (impression visuelle) = Tortilli, tortilla ?
Kourmé diendien dienkou : bruit de sonnailles du harnachement =  ?
Kouhoukou : Roucoulement des tourtourelles = Tourdourou ?
Yérébéré : onomatopée rendant l’impression visuelle produite par un objet qu’on balance =  ?
Fim ! Fim ! Crissement des éperons dans les flancs de la monture = Kriss ! Kriss !
Figuilan ndianyeu : bruit de la queue d’Yboumbouni fouettant l’air = Flips ! Flaps !

[Conclusion] §

Quelques mots me restent à ajouter touchant la forme des récits que je publie. Sa relative correction a surpris plus d’un de mes collègues à qui j’avais communiqué mon manuscrit. Moi-même je suis resté quelque temps indécis, me demandant si je ne devais pas les présenter dans la forme brute sous laquelle ils m’avaient été contés. Le résultat obtenu par quelques folkloristes qui avaient adopté cette méthode m’a tout à fait détourné de l’employer à mon tour.

En ce qui concerne les parties rythmées, et chantées je les ai transcrites textuellement. J’étais d’abord assez sceptique sur la réalité de leur existence et les ai tenues longtemps pour une fantaisie de traducteurs qui auraient voulu imiter la forme des contes de Perrault ou de Mme d’Aulnoy. Je le croyais d’autant plus que dans aucun des récits recueillis par moi, au Sénégal et en Guinée, je n’en avais trouvé la moindre trace et que les contes des Mille et une Nuits n’en présentaient point d’exemple dans la traduction, d’ailleurs médiocrement fidèle, de Galland. Depuis mon arrivée au Haut-Senégal-Niger, j’ai eu au contraire maintes fois l’occasion d’en entendre chanter et une traduction des contes inédits des Mille et une Nuits, lue depuis cette époque, m’a convaincu que dans toutes les littératures merveilleuses le petit couplet est une partie essentielle du conte. C’est en souvenir de ce démenti donné à ma première opinion que je n’avance que sous réserves les convictions que je me suis formées en matière de folklore, préférant n’être formel qu’en cas de certitude absolue.

Ces petites strophes se chantent sur un rythme monotone. Le conteur, pour les chanter, adoucit la rudesse de sa voix masculine en prenant une voix de tête dont l’effet devient assez comique, par contraste, lorsque c’est, par exemple, un garde-cercle qui raconte.

Quant au style, en général, je renvoie à ce que j’ai dit au début de la préface. La traduction a été aussi littérale que possible, tout en tâchant de garder à ces contes faits pour être dits à haute voix toute la saveur qu’y ajoute la mimique expressive des conteurs. J’avoue toutefois que pour leur donner plus de vivacité, j’ai substitué parfois le style direct au style indirect et que j’ai remplacé, de temps à autre, par des noms les périphrases qui désignaient les personnages. S’il y a péché, le fait de l’avouer me vaudra, je l’espère, un demi-pardon.

Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes §

Personnages merveilleux. La divinité : Allah, Outônou, Ouinndé, Ngouala. — Potentats débonnaires : les « guinné ». — Pourquoi on a diversifié leurs appellations génériques. — Différence avec les djinns arabes. — Mélange du génie africain et du démon sémite. — Répugnance des noirs à les désigner sans périphrase. — Leurs diverses appellations. — Géants et nains. — Personnification des quatre éléments. — Les démons et les hafritt. — Les animaux-génies. — Conceptions différentes des animaux, personnages des contes et des animaux jouant un rôle dans les fables. — Aspect physique des guinné. — Effet produit par leur vue. — Moyen d’en éviter ou d’en réparer les effets. — Ouokolo, tyityirga, konkoma, gotteré. — Mœurs des guinné. — Leur caractère. — Moyen de se soustraire à leur malfaisance. — Intervention éventuelle. — Leurs unions avec la race humaine. — Leurs métis. — Enlèvements et substitutions d’enfants. — Les bàtitado. — Durée de la vie des guinné. — Goules et vampires. — Sorciers et anti-sorciers. — Jettatori — Végétaux, minéraux, objets, abstractions jouant un rôle dans les contes. — Talismans, remèdes merveilleux, armes magiques.

Chaque littérature merveilleuse a ses personnages de prédilection : êtres surnaturels ou êtres humains. Les êtres surnaturels se distinguent par les traits, le caractère, les mœurs, l’apparence physique que leur prête l’imagination des conteurs ; les hommes d’après leurs professions, certaines de celles-ci étant plus souvent mises en scène que les autres66.

Nous allons passer en revue, étudier sommairement les divers personnages des contes indigènes en indiquant les attributions qui leur sont conférées selon les différentes races qui les imaginèrent.

Tout d’abord, constatons le rôle de la divinité dans quelques-uns de nos contes. Le dieu s’appelle Allah dans les contes des peuples anciennement islamisés et il a, en gros, le caractère du dieu de Mahomet. Chez les Bambara à demi-fétichistes, il devient Gouala ou Nouala et la conception arabe est déjà déformée sensiblement. Quant au dieu des Môssi, il est d’un caractère plus autochtone, c’est Ouinndé. Il en est de même d’Outênou, la divinité des Gourmantié.

En général, ces dieux sont des souverains débonnaires et qui tiennent à l’homme de très près : Outênou pardonne aux méfaits de ce sacripant de Fountinndouha et s’en fait même le complice puisqu’il se laisse corrompre par la promesse d’un bounia67. NGouala, passagèrement gêné dans ses affaires, demande du crédit à ses obligés. Outênou philosophe avec un marabout. Les races qui ont imaginé ces potentats accommodants ne peuvent être ni méchantes, ni foncièrement férues de hiérarchie.

Pour messagers ces dieux ont les malakas de même qu’un nâba môssi, ses soronés ou un bâdo gourmantié, ses lâris.

Démons. — Les démons, ce type de la révolte vaincue et de l’éternelle rancune, semblent assez rares et de conception islamique. Leur nom ; les blissi-ou (venu d’Yblis) indique cette origine. Encore Ybilis est-il moins un démon qu’un guinné68 féroce et malfaisant69. Les noirs emploient souvent le mot français « diables » pour désigner les guinné mais c’est faute de connaître celui de « génies » qui serait un peu plus conforme au caractère qu’ils prêtent à ces êtres surnaturels sans toutefois leur convenir absolument.

Guinné. — Les guinné jouent le rôle le plus constamment important dans les contes merveilleux ou moraux. D’où ce nom leur vient-il ? Déjà les Latins employaient le mot genius (venu du grec gênios) et les Arabes le mot djinn qui en est sans doute le prototype. Ces génies ont ici un caractère si différent de celui des djinns de la légende arabe et des génies tels que nous les concevons que j’ai cru devoir leur conserver le nom générique indigène. J’ai adopté pour cette étude le nom ouolof avec lequel mes premières études de folklore m’avaient tellement familiarisé qu’il me paraît le seul nom qui convienne. Aucune autre raison ne me porte à favoriser le nom bambara, gourmantié, peuhl ou haoussa de préférence à celui-ci.

Le nom de guinné, à mon avis, a dû être donné à une conception mythique et panthéiste, antérieure à l’apparition de l’Islam. Cette conception serait d’origine africaine. En revanche, l’idée du démon me paraît une importation sémite.

Répugnance a les nommer. §

De même que les Grecs usaient d’une antiphrase pour nommer les malfaisantes Erynnies, de même qu’en Écosse on use de la même précaution narrative, qu’en Allemagne les fées sont « les bonnes dames » (Die weise Frauen), de même les noirs convaincus ne s’aventurent-ils pas à appeler les guinné par leur nom générique. Ils les nomment : la chose, l’être, la créature de brousse (kongomorho bambara, moutâné ndâzi) l’homme de l’eau (moutâné rouha), le maître de l’eau (diandiam en peuhl)70. Le noir qui navigue sur le Niger entre Mopti et Ségou désignera de même la faro71 par cette périphrase : la femme peuhle (foula mousso) de peur que, mécontente de ce nom de faro, elle ne submerge sa barque.

Noms divers. — Cependant les guinné ont leur nom : en bambara : guina, en gourmantié : dyini et odyingou ; en peuhl : guinnârou (pl. guinâdyi), dzinna en songhay ; bêlou72 en gourmantié de Pâma ; siga en môssi ; bâri en soussou ; yébem en kâdo (pl. dougouné). Ces noms sont ceux des guinné de grande taille. Les nains eux, portent des noms spéciaux qui leur sont un brevet plus catégorique encore d’autochtonie : ouokolo ou nyama (bambara) tikirga ou tyityirga (môssi) pori (au pluriel pora) gourmantié ; gotteré (peuhl), konkoma (malinké), artakourma (dyerma) dêguédégué (ou dêdégué) (même pluriel kâdo).

Au cours des récits où figureront ces personnages surnaturels, je leur conserverai le nom que leur donne l’indigène du pays où l’action se passe. En effet ces guinné ne sont pas tous absolument taillés sur le même patron. Ils se différencient assez nettement les uns des autres pour nécessiter un nom distinct et plus évocateur que celui, trop uniforme, de guinné. Je n’emploie ce dernier vocable d’une façon générale que pour les explications contenues dans cet essai. Les récits exigeront plus de couleur, donc plus de précision.

Caractère des guinné. — leurs différentes variétés. §

Je vois dans ces guinné des sortes de divinités inférieures, reste d’une religion primitive qui adorait craintivement les éléments symbolisés. Comme nature, les guinné sont intermédiaires entre l’homme et le dieu supérieur dénommé ou pressenti. Lorsque cette divinité eut centralisé les attributions dans ses mains et monopolisé à son profit le culte, les anciennes divinités de second ordre passèrent au rang de grandeurs déchues, presque de démons. Les dieux de l’antiquité ne furent-ils par rabaissés au rang de démons au moyen âge lorsque le Christ régna en dieu incontesté sur le monde ?73.

Nous allons les étudier par rapport aux éléments. Guinné de la terre et des profondeurs souterraines, guinné de l’air, guinné du feu, guinné de l’eau.

I° Guinné de la terre et des profondeurs souterraines. — Ce sont les guinné ouolof, les guina bambara, etc. Ils se divisent en géants et en nains. Je ne connais pas de contes se rapportant aux guinné souterrains comme on en trouve dans la littérature allemande. Cela tient sans doute à ce que les accidents de terrain sont rares en Afrique et que les quelques races qui habitent les régions accidentées sont peu communicatives et de tempérament défiant. J’en ai fait l’expérience avec les Foutanké et les Habé et je n’ai malheureusement séjourné que très peu de temps dans le Fouta Djallon ou dans le cercle de Bandiagara, ce qui m’a empêché d’apprivoiser des gens, très réfractaires tout d’abord à la confiance, surtout en ce qui concerne les êtres mystérieux.
Je sais cependant qu’au Bouré on croit à l’existence d’un guinné qu’on appelle Sanou (c’est-à-dire l’Or ou le semeur d’or). Les filons sont les traces de son passage sous la terre.
De temps à autre il se venge des mineurs qui violent sa retraite en provoquant un éboulement meurtrier puis, apaisé pour quelque temps, il les laisse en paix pendant une période plus ou moins prolongée. Je ne serais pas surpris qu’il y ait eu dans ces régions aurifères des sacrifices humains destinés à calmer la colère du Sanou et à obtenir de lui la permission d’exploiter les mines. La légende du Ouagadou rapportée par Lanrezac (op. cit.) me confirme dans cette opinion. Sitôt en effet que, manquant au pacte consenti, les habitants de ce pays laissent Mamadou Saké tuer le serpent fétiche à qui l’on consentait des sacrifices périodiques, on cesse de trouver de l’or dans la région.
Les gotteré peuhl semblent aussi de véritables gardiens des trésors cachés (tels les korrigans bretons). Vaincus à la lutte, c’est avec de l’or qu’ils rachètent leur vie.
2° Guinné de l’air. — Les ouokolo se déplacent souvent au milieu des tourbillons qui, aux approches de l’hivernage, courent en entonnoirs de poussière à la surface du sol desséché. Il suffit, paraît-il, de donner un coup de dent dans ce tourbillon pour couper en deux le guinné. On voit alors tomber des gouttes de sang sur le sol.
La tornade est considérée comme le signe du passage d’un guinné.
On pourrait peut-être ranger les hafritt parmi les guinné de l’air. Ceux-ci, dont la conception est plus proche de l’idée de djinn que les autres guinné sont des génies qui se déplacent en volant, des sortes de génies-oiseaux dont le déplacement s’effectue progressivement, donc avec une moindre rapidité que celui des autres guinné. Ces derniers se transportent d’un endroit à un autre avec la rapidité de la pensée.
3° Guinné du feu. — Comme guinné du feu, je ne vois guère à citer que les taloguina. Dans les contes autres que celui de ce nom on voit des guinné vomir le feu (V. Le konkoma) se transformer en torche ardente (V. Service de nuit) ; mais le feu n’est pas leur essence même et ils ne vivent pas en lui comme dans un élément indispensable à leur existence74.
4° Guinné de l’eau : Ils portent les noms de guiloguina en malinké, de faro chez les Bambara ; de mounou chez les Torodo, de moutâné rouha chez les Haoussa, d’arikouna dyini chez les Dyerma et de diandiam chez les Peuhl. Il y a en outre le démon des rapides de Soutadounou (v. le conte de ce titre) et le caïman Goloksalah guinné des rapides de la Falémé (v. Bérenger-Féraud).
Ce sont eux qui submergent les barques, rongent les cadavres des noyés et provoquent les inondations. Lorsque Kayes fut inondé en 1905, on dit que le faro du Sénégal se vengeait de ce qu’on lui avait capturé un de ses enfants ; que celui-ci se trouvait dans la citerne de la Délégation sur le plateau, et qu’elle tentait d’aller l’y reprendre.
Ces guinné ne sont pas toujours malfaisants, et rendent parfois service aux hommes, semblables en cela aux autres guinné.

Animaux-guinné §

Parmi les guinné, certains ont pour forme normale la forme animale. Il y a lieu de les distinguer de ceux qui ne prennent cette forme qu’accidentellement et en vue d’un but à réaliser. Je citerai dans cette catégorie des animaux-guinné : Niabardi Dallo le caïman, Ninguinanga le boa et le lièvre de Féna. (A. S. Niânyi), l’hyène du conte de Binanmbé, le lièvre de Le lièvre et le dioula, le serpent Minimini, le cheval de nuit, le ouârasa le bayéni (Mauvais Gardien) les hyènes du conte « D’où vient le soleil », celles qui gardent les métaux précieux (conte du Rapt des métaux), l’éléphant Mamadi Bâ (Molo), l’hyène qui renseigne le roi Dinah (Lanrezac op. cit.) le caïman Goloksalah (B.-F.) le charognard de Fatouma Siguinné ; l’hyène et le lion gardiens de la morale ; les enfants animaux de la reine des guinné (Hammat et Mandiaye) etc., etc.

Ces animaux-guinné perdent, lorsqu’ils figurent dans les contes, les caractéristiques conventionnelles que les fables leur attribuent d’une façon invariable. Le pleureur perd sa turbulence et ses instincts malfaisants pour devenir secourable (v. La femme enceinte). L’hyène n’est plus un animal grotesque, avide et couard mais un sage gardien des talismans (Binanmbé). Ce sont donc en réalité des guinné sous forme animale et non des animaux ayant la puissance surnaturelle des guinné.

Aspect physique §

1° Les Géants. — L’aspect véritable des guinné n’est pas connu et ne saurait l’être car — disent les Peulh — ils prennent toutes les formes qu’il leur plaît. Aussi les verrait-on tels qu’ils sont réellement qu’on ne pourrait affirmer que cet aspect est réellement le leur75.

Les Ouolof se les représentent comme des géants à membres grêles76 ayant un seul œil fendu dans le sens vertical et placé sur le front au-dessus d’un nez très allongé. Ils leur supposent de très longs cheveux et une barbe qui tombe jusqu’aux pieds.77 Enfin ils leur font jeter le feu par les yeux et par la bouche. Quant aux déguisements qu’ils peuvent revêtir, ils sont innombrables : bouc, cabri, chat, serpent, cartouche, torche flambante, etc, etc.

Selon les Peuhl, le guinnârou est de taille gigantesque ; ses pieds sont tournés à l’envers et sa bouche fendue verticalement. Lui aussi porte des cheveux très longs. Quant à sa couleur, elle est infiniment variable ainsi que les formes qu’il prend. Dans Hammat et Mandiaye il est présenté comme ayant le dos en forme de lame de rasoir et avec un seul de chacun des membres que l’espèce humaine possède en double.

Le guina bambara ressemble au guinné ouolof. Les contes où l’on parle de lui sont d’ailleurs très sobres de descriptions.78

Le conte de La mounou de la Falémé s’accorde avec la description qui m’a été faite des faro pour dépeindre celles-ci comme des femmes de couleur claire à cheveux longs et lisses ainsi que les portent les femmes maures (ou syriennes, c’est-à-dire de race blanche).

Aucune indication précise, différente de celles que je viens de transcrire, ne m’a été donnée sur l’aspect physique des guinné gourmantié, haoussa, dyerma, hâbé79.

2° Les Nains. — Nul conte ouolof, à ma connaissance, ne fait jouer de rôle aux nains et de ce côté nous n’avons aucun détail sur leur aspect physique. En revanche ces petits guinné figurent dans un certain nombre de contes bambara et l’un d’eux en donne un signalement assez précis.

Le nom du nain gourmantié : « pora » signifie aussi jumeau. Il y a chez beaucoup de races noires un préjugé hostile aux jumeaux qui sont considérés comme sorciers (Peulh, Bambara, Gourmantié, Môssi, etc.).

Le tyityirga môssi est-il, comme l’indique Desplagnes (op. cit.) une larve errant dans l’attente de sa réintégration ? Aucun renseignement précis ne me permet de l’affirmer ou d’y contredire80.

D’après les Peulh, les gotteré ont une tête énorme. Leurs pieds ne présentent pas le caractère anormal de ceux des guinâdyi. — Les gotteré sont robustes et trapus et porteurs d’une très longue barbe.

Le konkoma malinké est, lui aussi, une variété des ouokolo (ou nyama) bambara et, à la barbe près, il répond au signalement qui vient d’être donné du gottéré.

Le ouokolo est un guinné intermédiaire entre le grand guinné et l’homme. Haut d’un mètre au plus, il a les pieds tournés en arrière et porte la longue barbe qui semble à peu près générale chez les nains ; il est toujours de couleur sale par suite de l’habitude qu’il a de se coucher parmi la cendre.

Son nom de nyama est donné en sobriquet au gens de petite taille. On le donne aussi aux griots.

Effet produit par la vue des guinné §

Comme pour les Napeae antiques, qui les voit devient fou et meurt le plus souvent. Sinon il reste muet ou paralysé. Ceux même qui sont parvenus à les mettre en fuite gardent longtemps l’esprit égaré et le corps malade et ne se rétablissent que malaisément.81 Cependant on peut se préserver de ce danger en portant des grigris spéciaux, donnés généralement par les guinné eux-mêmes. (Voir Le fils adoptif du guinnârou). L’homme assez brave pour rester calme à leur aspect a des chances de se tirer indemne du mauvais pas. (Les maîtres de la nuit, Le cabri, etc.).

Mœurs et habitudes des Guinné. — Les guinné proprement dits habitent parfois des villages bâtis à la façon de ceux des hommes. Ces villages restent invisibles pour quiconque ne possède pas de talisman particulier tel par exemple que la bague du mari d’Anta la guinné82. Il y a même de ces villages au fond de l’eau pour les guilo-guina et les faro83. Une faro habite entre Ségou et Mopti sur le Niger une île qu’on nomme Faroti. Si cette faro est irritée, les innombrables oiseaux qui sont sur la grève restent silencieux. S’ils jacassent bruyamment c’est un signe que la faro n’est point en colère et que l’on peut passer sans péril.

Les guinné sont cependant plutôt d’humeur solitaire et habitent de préférence certains arbres, les plus majestueux de la brousse. Ceci semble confirmer mon hypothèse que ce sont d’anciens dieux inférieurs comme le furent par exemple les dryades et les sylvains. Leurs demeures végétales de prédilection sont les baobabs, les fromagers, les cailcédrat, les tâli et les siengueu. Ceux qui sont moins farouchement individualistes habitent, à deux ou trois, des bosquets dans un isolement moins absolu.

D’autres sont encore plus éclectiques en fait d’habitation. Ils élisent domicile dans des termitières (v. Le chiffon magiqueLa femme de l’ogre) ou encore dans des terriers.

Le guinné possède au plus haut point l’instinct de propriété. Il n’aime pas qu’on viole son domicile, qu’on fasse un lougan sur son terrain (Le chien de Dyinamissa, —Les coups de main du guinnârou), qu’on vienne chercher du bois dans ses futaies (Le feu des guina). Il se venge cruellement de toute atteinte portée à ses droits. Parfois même il fait payer à l’espèce humaine sans discernement le tort qu’un homme lui aura fait subir (v. Le diable jaloux). Il y a chez les guinné comme chez les humains, pour ceux du moins qui vivent en société, une hiérarchie constituée. Ils ont des chefs de village (v. La gourde), des rois et même des reines (v. La sage-femme de Dakar, —Hammat et Mandiaye). Il n’existe pas de loi salique chez les guinné.

Les guinné ont des troupeaux à eux (voir à ce sujet le conte de Soutadounou — Les ancêtres des Bozo, etc.). Cultivent-ils des lougans ? Eux qui sont doués du pouvoir de procurer aux hommes tant de choses par une simple manifestation de leur volonté ne doivent pas se donner beaucoup de peine pour faire produire la terre. Cependant la logique n’est pas l’inspiratrice exclusive des faiseurs de contes. Aussi ne peut-on conclure par déduction qu’ils ne cultivent pas de lougans. Et en effet nous voyons dans « Les tomates de la pori » que celle-ci en cultive un. Les guinné d’ailleurs se nourrissent volontiers de végétaux et si, l’on en croit le conte kouranko de Nancy Mâra, ne les mangent qu’à condition qu’ils n’aient pas subi de cuisson.

Il y a des guinné marabouts et même « ouâliou » mais, ceux-là me font l’effet d’être déjà démarqués par l’Islam envahissant (le conte d’Ibrahima et des hafritt est plutôt arabe que ouolof). C’est d’ailleurs chez les Ouolof que j’ai trouvé presque exclusivement ce type de guinné. Le véritable guinné ne saurait avoir de religion que celle de soi-même s’il est, comme je le pense, un des vestiges d’une ancienne religion panthéiste. Il dut y avoir, dès l’origine, de bons et de méchants guinné comme il est des forces naturelles favorables et de néfastes. C’est cette bonté ou cette méchanceté que le musulman traduira par croyance ou mécréance, mais il y a là une interprétation inexacte de la conception initiale.

Intelligence. — Le guinné devine la pensée. Il dit presque invariablement à qui il rencontre : « Je sais ce que tu as dans le cœur. — Je sais ce que tu veux ».

Caractère. — Comme tous les êtres animés et conscients, le guinné est tantôt bon, tantôt méchant et même l’un et l’autre en même temps et selon les circonstances. Quelquefois, sa malfaisance se restreint à des farces dangereuses. C’est ainsi qu’il s’amuse à épouvanter ceux qui s’aventurent dans son domaine d’obscurité car la nuit appartient au guinné et il interdit l’ombre comme d’autres interdisent l’espace. Ses apparitions terrifiantes semblent surtout avoir pour but d’éprouver le courage des voyageurs (v. Le guinné altéré. — Les maîtres de la nuit. — S.-G. Diêgui, etc.). Le courage le désarme et le rend impuissant.

Il n’est pas que le courage pour se sauver de lui. De bons grigris sont efficaces, soit pour l’écarter, soit pour guérir les effets fâcheux produits par sa vue. Ces grigris peuvent être des mots du Koran comme dans le chasseur de Ouallalane. Quant aux simagrées des médecins toubabs, elles restent de nul effet (v. Le spahi et la guinné in fine).

Pour la faro, il y a des précautions particulières à prendre, notamment quand on passe à proximité de l’île appelée Faroti entre Mopti et Ségou. Il est nécessaire, si l’on a parmi les provisions des douceurs (lait ou miel), d’en verser un peu dans le fleuve en offrande à la faro ; faute de le faire on courrait le risque d’être englouti.

Le conte du Laptot giflé indique encore un moyen de se préserver des maléfices du guinné lorsque l’on vient à quitter sa maîtresse tard dans la nuit. Il faut que celle-ci attache son pagne de la main gauche et reste assise jusqu’à ce que l’amant soit rentré chez lui.

Ils n’aiment pas les abeilles ; aussi n’habitent-ils pas les arbres où se trouvent des ruches (v. Le miel aux tytyirga).

Les chevaux aussi protègent leurs cavaliers contre les guinné (v. à ce sujet le conte de Service de Nuit). — Enfin il est à noter que la présence d’un chien noir épouvante aussi les êtres de la nuit (v. à ce sujet Les nyama et le cultivateurLe canari merveilleux et Le chien de Dyinamissa). Je renvoie le lecteur à la note détaillée qui suit ce conte.

On peut aussi deviner leur véritable nature à leur façon de parler (le guinné aime à parodier l’accent de ses interlocuteurs) et à leur prononciation nasale. (Voir la fille d’Aoua Gaye).

Certains guinné protègent la faiblesse persécutée : les orphelines tourmentées par leurs marâtres, les frères victimes de mauvais frères, les sinamousso dont les autres co-épouses cherchent la perte, etc. D’autres au contraire ont un secret penchant pour les gens malhonnêtes et les aident de tout leur pouvoir (v. NMolo, MBaye Poullo, etc., etc.). Quelquefois, ils font payer assez cher leurs services. Ainsi, dans Le pardon du guinnârou, le guinné veut la vie de la sœur de son protégé en échange de l’aide donnée.

Ils sont vindicatifs (v. Le guinné du tâli et L’implacable créancier) et parfois même gratuitement féroces comme le guinnârou de Fonfoya. Cependant ils ont l’orgueil de leur race et opposent volontiers, en paroles sinon en actions, leur loyauté à la félonie de la race des hommes (v. Mamadou et Anta la guinné).

Quelques guinné ont aussi des habitudes d’anthropophagie qui les apparentent aux ogres de la légende indo-européenne. (V. La femme de l’ogreLe boa mari.84Ntyi vainqueur du boaKhadidia l’aviséeLes ailes dérobées etc.). Les faro rongent certaines parties du corps des gens qu’elles ont entraînés au fond de l’eau. Ainsi, il y a quelques années, un père blanc s’étant noyé avant d’arriver à Ségou, on l’a retrouvé avec le nombril et la cloison du nez entièrement rongés ; ce sont les morceaux de prédilection de la faro.

Les ouokolo (ou nyama) bambara sont plutôt farceurs que réellement malfaisants ; en général, ils semblent avoir un faible pour les tomates et ne les demandent pas au travail de la terre mais à leurs talents de filous. Ils dérobent aussi volontiers le couscouss dans les cases. On les corrige de cette mauvaise habitude en pimentant fortement ce mets. Quand ils se sont bien brûlé le palais, ils n’y reviennent plus.

Les nains sont en général peu serviables. Voir cependant le conte de L’hermaphrodite.

Quant à leur intelligence, elle passe pour très bornée. Aussi leur nom est-il souvent adressé comme injure collective à la caste des griots.

Ils ont pour fétiche le Komo : fétiche des Bambara.

Le konkoma malinké est malfaisant gratuitement si l’on en croit le conte de ce nom, le seul que j’aie recueilli sur lui.

Le gottéré peuhl aime à provoquer à la lutte ceux qu’il rencontre. Le vaincu est voué à la mort. Si c’est le nain qui a le dessous, il offre de se racheter avec de l’or85. Il est prudent, au cas où on le reçoit à rançon, de lui faire à la main une incision pour lui rappeler sa promesse. Si on néglige cette précaution, il revient peu après tuer par surprise son trop confiant créancier.

Ceci est à rapprocher de ce que l’on dit du ouokolo. Si vous le frappez, il vous demande de lui donner un second coup. Ce serait une grave faute que d’accéder à sa demande. Un coup unique est mortel pour le Ouokolo. Le deuxième coup serait mortel à celui qui le porterait86.

Allah, d’après les musulmans, ne reste pas toujours impassible en présence des méfaits de certains guinné trop malfaisants. Le châtiment d’un guinné par le pivert alors qu’il prépare la ruine d’un village. (Conte du NGortann) en est la preuve.

Les guinné s’unissent assez volontiers à la race des hommes, les guinné mâles principalement car il semble ressortir du conte d’Anta que les femmes guinné s’y prêtent moins facilement. Comme exemple de ces dernières unions, je citerai les contes de Mamadou et d’Anta la guinné, — La guiloguina, La tâloguina, — La mounou de la Falémé, — Kelimabé et Moussa Nyamé (Contes des Gow. D.-Y.) Le cas le plus fréquent est celui où c’est une femme de race humaine qui épouse un guinné (Nancy MâraKahué l’omniscientMoussa Nyam.87La femme de l’ogreLe mari de NantênéLe cheval noirGoloksalah et Penda Balo.88).

Les enfants nés de ces unions tiennent en général du guinné plus que de la race humaine. Ils se sentent plus à l’aise parmi les guinné. Ainsi, dans le conte de La femme de l’ogre, le fils du guinné soustrait sa mère à l’appétit paternel mais, après l’avoir menée hors d’atteinte, il s’en retourne près des siens. En général ces métis sont des sortes de surhommes : des sages comme Kahué l’omniscient, des héros comme Moussa Nyamé. Kahué jouit d’une jeunesse prolongée au-delà des limites normales.

Ces unions ne sont pas heureuses et finissent de façon fâcheuse ; aussi se contractent-elles généralement grâce à l’insincérité du prétendant qui dissimule sa véritable nature avant et même, dans la plupart des cas, après le mariage.

Les guinné adoptent volontiers des enfants de race humaine et les enlèvent à leurs parents dans cette intention. Ils les instruisent, leur donnent certains pouvoirs de divination ou de prestidigitation89. Ils en font surtout des médecins capables de guérir les maladies et au besoin de les provoquer. Voir à ce sujet : Le kitâdo vengé — Les jumeaux de la pauvresse — Le fils adoptif du guinnârou, — L’orpheline et son frère, — Déro, — Les talibés rivaux, etc., etc.

Par contre, les guinné se débarrassent fréquemment de leurs enfants mal venus en les substituant à des enfants d’hommes. Les Peuhl appellent ces enfants des batitâdo. Cette croyance était celle des anciens Bretons et des Allemands90. Le conte d’Ondine est inspiré par cette idée, puisqu’il s’agit de faire acquérir, par la petite créature des éléments, l’âme immortelle dont elle est dépourvue. Quand il arrive à des indigènes d’avoir des enfants retardés dans leur développement et qu’ils soupçonnent d’être fils de guinné, ils peuvent obliger leurs parents à les reprendre en les exposant dans de certaines conditions et en les adjurant de retourner avec ceux de leur race. Le procédé breton et alllemand consiste à les obliger à parler de façon à se trahir par le timbre grêle de leurs voix puis à les fouetter jusqu’à ce que les korrigans ou Wichtelmoenner, leurs parents, accourent les reprendre91.

La durée de la vie des guinné n’est pas indéfinie, leur existence est longue et leur croissance lente et dès qu’ils ont atteint un âge avancé ils meurent pour recommencer à vivre.

Quant aux konkoma ce sont, dit la tradition, des porcs épics qui renaissent dans les mêmes conditions.

* * *

Outre les génies de différentes sortes que nous venons de passer en revue et les hommes de toutes professions, y compris celles de voleur, de griot, d’apiculteur et d’éleveur de poules, les personnages ci-après jouent leur rôle dans les contes : goules, vampires, sorciers et contre-sorciers, végétaux, minéraux, objets divers et abstractions variées : la faim, la mort, le mensonge et la vérité, etc, etc.

Après avoir examiné rapidement ces divers personnages, j’étudierai aussi brièvement que possible les talismans, remèdes merveilleux, armes magiques et tous objets qui, sans être, à proprement parler, des talismans, présenteront un caractère surnaturel.

Goules : Ybilis déterreur et mangeur de cadavres est une véritable goule (V. Flûte d’Ybilis).

Vampires : Dans le conte peuhl : « Les mots magiques » il est parlé d’une soukoun âdio ». Cette soukounâdio est le vampire suceur de sang. V. aussi La mangeuse de ses clients (conte kâdo) et Le vampire.

Sorciers : Les sorciers jouent dans les contes un rôle assez fréquent. V. la tâloguina, —La sorcière punie, —Le chien sorcie.92, —L’almamy caïman, —Le chat guinné de Saint-Louis (Ce dernier est plutôt une sorte de loup-garou comme le sont les sorciers dont parle Samba Atta Dabo dans L’ensorcelée de Thiévaly), les caïmans du Milo (Fadôro) etc. Contre cette engeance malfaisante il y a un remède. Lorsqu’ils se sont dépouillés de leur peau pour aller rôder dans la nuit sous une autre forme que leur forme naturelle, il faut saupoudrer la face interne de cette peau soit avec du sel soit avec du piment. Les sorciers sont alors à votre merci93.

Il existe d’ailleurs des exorcistes ou conjureurs des sorciers : les bourhama (en ouolof) qui les obligent par leurs conjurations à réparer le mal causé. Ces exorcistes sont doués d’un pouvoir plus ou moins fort C’est sous la dictée de l’un d’eux qui se targue d’une puissance supérieure à celle de ses confrères, que j’ai transcrit le conte intitulé L’ensorcelée de Thiévaly. Chez les musulmans, ce rôle est tenu le plus souvent par les marabouts, chez les fétichistes bambara par les nama, chez les gourmantié, par les niogoudâno. Ces derniers combattent par des fumigations le mauvais sort jeté.

On trouvera dans Bérenger-Féraud (Op. cit.) quelques indications relatives à la croyance aux sorciers dans la Sénégambie. — Chez les Sénofo et les Bobo comme chez les Kissiens et les Kouranko, dès qu’une mort subite fait soupçonner le maléfice d’un sorcier, on procède à des épreuves destinées à révéler le nom de celui-ci. Le conte du Cheval de nuit documentera le lecteur sur ce point. Il y est procédé à un véritable interrogatoire du cadavre.

On peut rapprocher de la croyance aux sorciers la foi en l’efficacité néfaste du mauvais œil. Voir le Kitâdo vengé, — La chèvre au mauvais œil, etc., etc. Les possesseurs du mauvais œil sont d’ailleurs considérés comme des jettatori conscients, ce qui n’est pas toujours le cas, en Italie par exemple. La croyance au « cattio occhio » est générale en Orient et notamment en Turquie. Pline et Virgile en parlent ainsi que Théocrite. (V. Contes inédits des 1001 nuits, op. cit. Notes du Tome II p. 323).

Comme végétaux figurant dans les contes il y a lieu de citer le riz (V. Le choix d’un d’un damel.)

Comme minéraux : le caillou (Ntyi vainqueur du boa.)

Comme choses diverses : le gigot, (Le sounkala de Marama), la boule de mil et la cravache (La nyinkona), la marmite (Hammat et Mandiaye), la sauce, les canaris et les calebasses (Bergère de fauves).

Comme abstractions : La Mort94 (V. La mort créancière, —L’intrus dans l’Aldiana 95, la Faim, Le choix d’un lanmdo, l’Humanité [Adina] , le Mensonge et la Vérité)96. Voir aussi abstractions des contes ci-après : Kahué l’omniscient, —L’éléphantiasis de Moriba, les diverses parties du corps (Le procès funèbre de la bouche).

Comme animaux fabuleux : le ouârasa, le mangeur d’hommes (Le plus brave des 3, le minimini), l’yboumbouni.

Talismans §

Les talismans sont nombreux et variés Citons :

La bague (Bissimillaye et Astafroulla, La bague aux souhaitsMamadou et Anta la guinnéMâdiou le charitable).
Les œufs ou les calebasses magiques (Hammat et Mandiaye, —Le sounkala de MaramaLa conquête du dounnouAnntimbé ravisseur du bohi).
La cravache qui frappe d’elle-même (La nyinkona).
La calebasse (ou le canari) inépuisable (La nyinkona et La bergère de fauves.)
Le tapis volant (Mamadou et Anta la guinné).
La poudre magique qui rend intelligible le langage des bêtes (Le lièvre et le dioula).
La poudre magique qui fait sortir de terre un tata avec sa population et son bétail (La revanche de l’orphelin et Le pupille du cailcédrat).
L’arme qui assure le pouvoir à son possesseur (sagaie de Binanmbé, fusil de Molo)97
Le bonnet qui rend invisible98 (Contes des Gow : Sanou Mandigné).
L’onguent qui contraint les gens à ramasser de l’herbe jusqu’à épuisement (Bilâli).
Le grigri révélateur d’aînesse (Bilâli. — Les quatre fils du chasseur).
L’onguent léthargique (Fatouma Siguinné).
Le grigri de malice99 et d’habileté dans la friponnerie (MBaye Poullo et Le grigri de malice).
Le grigri de bravoure (L’homme au piti).
Le grigri de science (Mâdiou le charitable).

Armes merveilleuses. §

Le grigri de victoire (Yamadou Hâvé).
Le fusil qui tue quantité de gens d’un seul coup (A.-S. Niânyi. — S.-G. Diêgui. — La bague aux souhaits).
La poudre à tuer le gibier (La lionne et l’hyène).
La barbiche meurtrière (Même conte. Le bouc et l’hyène à la pêche).
Le sabre qui coupe des têtes multiples d’un coup unique (Voir B.-F. Faveurs aux nouveaux convertis).

Remèdes souverains. §

Les drogues des « Talibés rivaux ».
Les remèdes de Déro.
Ceux de Ntyi le patient (Les deux Ntyi).

Objets merveilleux autres que des talismans100. §

L’arbre prophétique du Boundou (Amady Sy)101
Le canari-aigrette (Le canari merveilleux).
La graisse et les boyaux de Takisé (Le taureau de la vieille).
L’arbre aux fruits d’or.
Le baobab rempli d’or (Les présents des faro).

Chapitre IV. Personnages des fables. §

Les fables et leurs acteurs. — Personnages non merveilleux des fables et des contes. — Les professions mises en scène. — But des fables indigènes. — Sont-ce des satires sociales ? — Les deux grands premiers rôles. — Le lièvre roublard et sceptique, mais serviable. — L’hyène stupide et crédule, féroce, vorace et infatuée. — Divers sobriquets de l’hyène. — Son rôle dans les contes. — Rôle de l’homme dans les fables. — Portrait peu flatté. — Animaux divers jouant un rôle fréquent dans les fables. — Le roi des animaux dans la littérature indigène : lion, éléphant et hyène ; le riz.

On ne saurait dire de ces fables, comme de celles de La Fontaine par exemple, qu’elles ont le caractère d’un enseignement voulu de morale pratique. Moraliser n’est pas leur principal but et s’il leur arrive de formuler un précepte de cette sorte c’est par hasard pur et sans que le conteur ait cherché à le faire.

Les fables ne sont pas non plus — comme on aurait tendance à le croire au premier abord — des sortes de fabliaux satiriques dans le genre des récits analogues du Moyen-Age. Elles ne visent pas, à travers l’hyène, la brutalité et l’avidité des puissants et n’exaltent pas, dans le lièvre, la roublardise de la faiblesse opprimée. Du moins il ne me le semble pas.

On pourrait objecter pourtant que la société animale comporte, dans les fables, une hiérarchie rappelant d’assez près celle de la société indigène. A la tête des animaux se trouve un roi qui est soit l’éléphant, soit le lion, soit même l’hyène102 et, qui pis est, l’araignée (chez les Agni). Le noir qui a conçu les guinné comme semblables aux hommes, au point de vue du caractère, imagine de même les animaux organisés en société semblable à la sienne mais il n’a pas pour but, en adoptant cette conception, de railler, sous un voile d’allégorie, la constitution du groupement social dont il fait partie. Il lui semble qu’il n’existe qu’une forme de société possible : la sienne, et il ne songe pas à se fatiguer l’imagination à rêver d’une autre organisation sociale.

Les fables indigènes sont donc des récits exclusivement destinés à l’amusement des auditeurs et n’ont nullement pour but d’enseigner la morale, fût-elle uniquement pratique, ni de dénoncer les abus sociaux.

Parmi ces récits, les plus nombreux — et de beaucoup — sont ceux qui rapportent les bons tours joués par maître lièvre à l’hyène, son ennemie intime. Généralement ces bonnes farces se terminent tragiquement pour la bête couarde féroce et stupide qui en est l’objet, mais la bassesse de son caractère nous l’a rendue, par avance, si antipathique et ridicule qu’on applaudit de tout cœur à la victoire du kékouma (le rusé compère).

Ce dernier a, d’ailleurs, toute sorte de droits à la sympathie. Toujours serviable, du moment qu’il ne s’agit pas de fournir un travail qui le fatiguerait, mais simplement de donner un malin conseil ou de suggérer une heureuse idée, absolument désintéressé, et ne réclamant pas de récompense pour ses bons offices, comment ne lui souhaiterait-on pas réussir dans ce qu’il entreprend ?

Avec cela rien moins que naïf ! S’il oblige gratuitement, ce n’est pas qu’il se fasse illusion sur la gratitude de ses obligés. Tout en les aidant, il les guette du coin de l’œil afin qu’ils ne lui jouent pas quelque mauvais tour tandis qu’il s’emploie à leur rendre service (V. L’homme, le caïman et le lapi.103, —Le lièvre, la panthère et les antilope.104). Il trouve sans doute sa rémunération dans cette satisfaction d’orgueil qu’il éprouve à voir que tous, même les plus forts, sont contraints d’avoir recours à son intelligence. Pour ce qui le concerne, il n’est point de mauvais pas dont il ne se tire à son honneur. Une fable le montre pris au piège (un piège grossier)105 mais on ne le garde pas longtemps (V. Le forage du puits). Quant à celle du Hibou et du lièvre, c’est le seul cas où le lièvre commette véritablement un impair et ne le rachète pas par son ingéniosité.

Je l’ai dit, il ne montre pas une ardeur immodérée pour le travail. Pourquoi se donnerait-il de la peine puisqu’avec un petit effort d’intelligence il arrive aisément à faire son profit de ce que les autres ont créé pour eux-mêmes ? (V. Le forage du puits, —La case des animaux de brousse, —Le lapin, la hyène et l’éléphant). Il élabore de la ruse aussi naturellement, je dirais presque aussi inconsciemment, qu’il boit, mange ou respire. Et ce n’est pas un mince titre à l’admiration des noirs.

Qu’il figure dans les contes ou dans les fables, c’est toujours à son honneur, différent en cela de l’hyène, dont le rôle est beaucoup plus relevé dans les contes que dans les fables où son sort constant est celui de la dupe. Maître lièvre dupe toujours en spéculant sur les défauts de ceux à qui il a affaire : gourmandise ou vanité. C’est un psychologue averti ; en dépit de sa faiblesse il vainc invariablement et c’est peut-être à cause de cette faiblesse même qu’on l’a opposé à l’hyène forte et brutale pour le piquant du contraste. Son triomphe, devient de ce fait, encore plus significatif que celui du renard sur le loup dans les fabliaux de notre pays.

Vis-à-vis de l’homme, c’est en ami qu’il se comporte toujours106. Il en serait fort mal récompensé s’il était d’un naturel confiant mais sire lièvre escompte d’avance l’ingratitude de son obligé, ce qui lui permet d’en esquiver les manifestations.

Le lièvre est souvent figuré, la kora en main. Serait-il une personnification du griot rusé tandis que l’hyène serait celle du pitre de bas étage : le founé opposé au diéli ? Ce point serait assez intéressant à élucider ; mais je n’ai pas d’éléments d’appréciation assez sûrs pour me prononcer là-dessus.

Comme toutes les dupes, l’hyène, victime du lièvre, n’en a pas moins sans cesse recours à lui et nul autre que lui n’a sa confiance. Veut-elle s’associer à quelqu’un pour une entreprise ? C’est au lièvre qu’elle s’adresse et c’est lui qu’elle charge d’en élaborer le plan. Et pourtant ces associations ne lui réussissent guère ! (V. Arcin, Le lapin, l’hyène et le somono, etc). Ceci est bien observé. Dans la vie ne voyons-nous pas la dupe aller instinctivement au charlatan, dédaignant l’honnête associé qui ne force pas l’attention par une jactance exubérante ou des dehors artificiels ?

L’hyène n’est pas seulement sotte et crédule, elle se signale en toute circonstance par son insigne mauvaise foi, mauvaise foi de brute qui se sait forte et qui n’allègue de prétexte que pour railler celui qu’elle peut écraser s’il ne feint pas de prendre pour argent comptant sa grossière explication. Malgré cela, son machiavélisme rudimentaire se retourne fatalement contre elle sitôt qu’elle a affaire au kékouma.

Quant à son avidité gloutonne, elle la manifeste dans tous les contes (V. notamment Les œufs de blissiou. — L’hyène, le lièvre et le taureau de guina. — La case de cuivre pâle). Elle ne peut retarder d’un instant l’heure de la bombance et se met l’imagination à la torture pour hâter le départ du lièvre, son guide, vers le lieu du festin.

Comment elle se comporte envers ceux qu’elle appelle ses amis, c’est ce que nous montrent les contes de L’hyène et l’homme son compère. — La famille Diâtrou à la curée. Les avanies qu’elle subit ne l’empêchent pas de rester infatuée d’elle-même au plus haut point. Ses enfants commettent-ils une maladresse ? elle est prompte à les renier et à les taxer de bâtardise car quiconque ne lui ressemble pas intellectuellement ne peut être né de ses œuvres.

Quand au courage, elle montre une prudence excessive qui ressemble à tel point à la couardise qu’il est aisé de la confondre avec ce sentiment. Une plume d’autruche piquée devant l’orifice de son terrier suffit pour la terroriser et la contraindre à subir dans cette retraite les tortures de la faim.

En un mot l’hyène a tous les défauts et pas une qualité.

Ses sobriquets. — L’hyène est un des animaux qui ont le plus de sobriquets : chose ou être de nuit (Souroufin), le puant (Soumango), le bourricot de nuit, le déterreur de cadavres (Soubobâra), Dioudiou, (onomatopée), Diâtrou, Souroukou, Niénemba (le pitre femelle). Le nom de genre est « nama ».

Je ne m’arrêterai pas davantage sur les autres animaux qui figurent dans les fables de ce recueil et — en tant que véritables animaux — dans les contes. Bien peu manqueraient à l’appel de ceux qui foisonnent sur la terre d’Afrique. Je ne vois guère que la girafe, le chacal ou le canard dont il ne soit pas parlé dans ceux que je reproduis ici. Ceux qui se représentent le plus souvent sont le boa, le charognard ou vautour d’Afrique, le lion, la chèvre, la mouche, le singe pleureur, le chien, le bœuf, la pintade, l’autruche, la tortue, l’oiseau-trompette, le cheval, le lézard, la panthère.

Je noterai cependant que le chien semble symboliser l’indiscrétion et le bavardage (V. Le chien et caméléon et conte de Delafosse : La mort du chien). Le singe, comme l’homme son semblable, y incarne l’ingratitude (V. le singe ingratLe lièvre et les pleureurs). Il représente en outre l’humeur de malfaisance.

J’ai dit que l’homme n’est que rarement présenté à son avantage dans les fables107 où il est mis en contact avec les animaux108. Dans les contes et fables de cette nature, les griefs des animaux contre lui sont énumérés soit de façon acrimonieuse, soit d’une manière plaisante, mais toujours en grande abondance et on est obligé de reconnaître que le portrait est exact et justifie la pointe du fabuliste français que le plus pervers des animaux :

Ce n’est point le serpent, c’est l’homme109.

Puisque je suis amené à parler de La Fontaine, je citerai quelques fables de lui auxquelles certains détails des contes et fables indigènes nous font penser : Livre VIII, 3. Le lion, le loup et le renard (Cf. IngratitudeLe bouc et l’hyène à la pêche). Le chat et les deux moineaux (Cf. Les calaos et les crapauds). Le coq et le renard. Livre II, 15 (Cf. L’hyène et le bouc à la pêche et L’hyène et le pèlerin).

En revanche, on chercherait vainement une fable indigène analogue à La cigale et la fourmi. Les noirs y donneraient délibérément tort à la fourmi, tant ils confondent aisément l’économie et la prévoyance avec l’avarice. (Voir à ce sujet leurs contes sur les avares). De même, ils sont trop vaniteux pour goûter la leçon de la fable « Le renard et le corbeau » et, si vraiment les griots sont pour quelque chose dans la conception des contes et des fables, on comprendra qu’ils ne soient guère disposés à prêcher une morale si contraire à leurs intérêts.

Les animaux ont leur roi comme ceux de notre littérature « fablesque », mais ce n’est pas toujours, le lion. Pour la plupart des races, c’est l’éléphant, la plus robuste, sinon la plus féroce, des bêtes de la brousse ; pour d’autres, c’est le lion ; pour quelques autres ce sera l’hyène et même… l’araignée. Celle-ci mériterait la royauté par sa rouerie et son intelligence, si on en croit les Agni. Je ne parle que pour mémoire de la royauté du riz, cette royauté étant toute allégorique dans le conte où les animaux la proclament (Choix d’un lanmdo).

Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion §

Révélation par les contes et fables, non de ce que sont les noirs, mais de ce qu’ils rêvent d’être, tant au point, de vue idéal qu’au point de vue pratique. — Quelques aphorismes de morale des apologues. — Psychologie succincte des indigènes. — A) Sentiments : 1° Sentiments affectifs. Sentiments de famille. Conception de la beauté. Instinct sexuel. — 2° Sentiments religieux préislamiques. Sociabilité. Solidarité raciale. Esprit d’association. Dévouement au maître. Magnanimité. Reconnaissance. Charité. Humeur hospitalière. Respect de la vieillesse. Sentiments envers les animaux, envers les captifs. Vanité. Sens de l’ordre et de la discipline. — B) Idées ; Indifférence pour la vie. Admiration du courage, de la ruse. Considération pour la complaisance, la courtoisie. Indulgence pour la paresse ingénieuse. Mépris de l’envie, de l’avarice, de l’humeur fanfaronne, de la prétention, de l’ivrognerie, de l’intempérance verbale et de l’indiscrétion. Goût pour les paris risqués. — Les hypothèses cosmogoniques, ethniques et zoologiques des noirs. — Conclusion. — But de l’auteur : planter des jalons pour faciliter le travail de ceux qui voudront approfondir une matière digne d’une étude plus poussée que celle-ci.

Il me reste, pour en finir, à relever quelques indications de psychologie, découlant des récits du présent recueil. Assurément on ne peut conclure de façon ferme que le noir présente les défauts ou possède les qualités qu’il attribue aux héros de ses récits. Cela équivaudrait à juger des Français d’après les œuvres de Ponson du Terrail ou de Xavier de Montépin et des déductions ainsi basées n’aboutiraient qu’à de grossières erreurs. Ce que l’on peut dire simplement c’est que nous retrouverons dans les contes et fables les tendances idéales et théoriques de la race dont ils émanent.

La geste de S.-G. Diêgui, notamment, nous révèle l’esprit chevaleresque des Torodo et, si l’on peut parfois comparer une période de notre évolution à l’état présent de la civilisation chez telle ou telle race indigène, il n’y aurait aucune audace à admettre des rapports marqués entre la mentalité des Torodo et celle de nos belliqueux ancêtres des premiers temps du Moyen-Age.

De même, les contes gaillards nous confirmeront dans cette idée que la paillardise existe toujours — avouée ou non avouée — au fond du cœur de toutes les races.

Les apologues et les fables sont intéressants en ce que leurs conclusions nous montrent sans équivoque de quelle façon l’indigène comprend l’existence au point de vue pratique.

J’en extrais dès à présent quelques maximes. « Le besoin seul nous apprend la juste valeur de ce qui sert à le satisfaire » (Le choix d’un lanmdo). — « Les chefs s’entendent entre eux comme larrons en foire et toujours les petits seront par eux tenus à l’écart » (KahuéLe fils du sérigneLes trois frères en voyage). — « Mieux vaut peu de nourriture et point de soucis que de la nourriture à satiété et des ennuis à l’avenant » (Les trois frères en voyageKahué). — « Il ne faut pas se confier aux femmes » (Guéhuel et damel, —Mariage ou célibat ? —Le riche et son fils). — « Il n’est personne au monde qui ne trouve plus fort que soi » (Hâbleurs bambara et divers analogues signalés plus haut). — « Chassez le naturel, il revient au galop ». (L’hyène et le lièvre aux cabinets, —Chassez le naturel). — « Pour garder son pouvoir, un talisman doit rester caché »110 (Le koutôrou porte-veine, etc.). — « Il faut se méfier de la bouche, c’est elle qui nous trahit ». (V. La tête de mort). — « Un fils adoptif n’a pas pour son père les sentiments d’un fils » — (Guéhuel et damel). « La vérité doit parfois être atténuée ou même cachée » (Hammat et Maudiay.111).

On pourrait citer bon nombre d’aphorismes de ce genre, mais je ne prétends pas épuiser le sujet et je m’en tiendrai là.

Psychologie indigène.

Pour un lecteur attentif, il ressortira aisément de la lecture des récits de ce recueil une impression, sinon très nette du moins très exacte, de la mentalité des indigènes. Et l’impression ainsi obtenue sera de beaucoup plus instructive que celle que pourraient donner toutes les définitions imaginables.

Sentiments affectifs. — Prenons d’abord parmi les sentiments affectifs l’amour des parents pour leurs enfants et réciproquement celui des frères et sœurs entre eux. Nous trouverons moins d’exemples d’amour paternel que d’amour filial, en ce qui concerne le père du moins. Il est même plusieurs contes qui paraissent en contradiction avec la notion des devoirs de dévouement des parents envers leurs enfants chez les peuples de race blanche. Dans le conte peuhl de La Mauresque, dans celui (gourmantié), de Diadiâri et Maripoua, dont le premier est une réplique partielle, dans le conte du Fils adoptif du guinnârou, les parents refusent de sacrifier leur vie pour ressusciter leur fils mort112. De même, le père de Hammadi Bitâra (conte de Fatouma Siguinné) sacrifie bien légèrement son fils à de faibles soupçons. De même encore le kuohi113 dans « Le joli fils de roi ».

Cependant on peut opposer à ces exemples l’amour, allant jusqu’à la plus extrême faiblesse, d’Amady NGoné pour son fils114 indigne Biroum Amady ; les parents sacrifiant leurs biens puis leur vie pour sauver leur fille (L’implacable créancier) ; la mère de la jeune mariée vengeant sa fille que le père n’a pas le courage de venger. (Une leçon de courage). En général, la mère manifeste une affection plus profonde que le père pour ses enfants, ce que l’on constatera chez les mères de toute race (V. le conte du prince qui ne veut pas d’une femme niassée. — La lionne et le chasseurMamady le chasseurLa lionne et l’hyène).

Il semble résulter de certains contes ; L’hyène, le lièvre et l’hippopotame (Goumbli-Goumbli-Niam), que les parents ont, comme la mère du Petit Poucet, une préférence pour le dernier-né.

L’exemple de fils ingrats envers leurs parents ne se rencontre que dans le conte de Bérenger-Féraud déjà cité. Les noirs n’ont guère hérité de l’irrespect de leur ancêtre Cham pour son père Noé. La voix du sang — cette voix du sang dont le mélodrame a tant abusé — parle éloquemment au cœur des jeunes noirs, si l’on en croit le conte intitulé « L’épreuve de la paternité », où les fils adultérins, bien qu’ignorant leur origine réelle, font franchir délibérément à leurs chevaux le corps du mari de leur mère, alors que les véritables fils se refusent à cette épreuve, malgré tous leurs efforts pour obéir à l’ordre formel de leur père.

Les contes d’orphelines et de marâtres témoignent aussi du profond amour filial des noirs. Voir encore le dévouement de la fille du massa se sacrifiant, dans le conte ainsi intitulé, pour garder le pouvoir à son père.

Cet amour des enfants est susceptible de s’atténuer sous l’influence de certaines considérations. Aussi NDar ne pardonne pas à sa mère de l’avoir abandonné et S.-G. Diêgui condamne le frère de son père à la mendicité après l’avoir réduit à la déchéance. Le lionceau (Le lionceau et l’enfant) tue sa mère pour venger celle de son camarade que la lionne a dévorée. Diéliman aussi tue sa mère pour sauver sa femme (La sorcière punie). Deux contes (Quels bons camarades ! et Les deux intimes) nous montrent des fils aidant leurs camarades à tromper leur père et cela (dans le conte : Quels bons camarades !) avec leur propre mère.

Dans ces derniers contes, la puissance de l’amitié chez les noirs est fortement mise en relief. On pourrait dire que cette parenté d’élection qu’est l’amitié crée souvent des liens beaucoup plus solides que la parenté de sang. — Le titre de frère, donné à un camarade, caractérise l’amitié à son plus haut degré. Cela ne signifie pas cependant qu’entre frères il y ait une affection bien résistante. Le frère est représenté jaloux de son frère (Le joli fils du roi. — Les perfides conseillers). Souvent la sœur aînée abdique d’un cœur léger son rôle de protectrice d’un frère plus jeune (V. La revanche de l’orphelin). — Par contre, je citerai un conte dans lequel un frère montre un dévouement très grand à son cadet (V. L’ancêtre des griots).

Je ne déduirai pas de deux contes où les frères entretiennent des relations avec leurs sœurs que l’inceste soit chose courante parmi les noirs. Ce serait généraliser hâtivement (V. Bénipo et ses sœurs et l’Origine des pagnes). (En France le conte de Peau d’Âne nous représente bien un roi désireux d’épouser sa fille). Ce n’est pas qu’il n’existe des allégations en ce sens, mais affirmer n’est pas prouver.

De marâtre à enfants d’un premier lit il ne saurait y avoir d’affection. De très nombreux contes en témoignent et notamment ceux ci-après : Sambo et DioummiLe sounkala de Marama. Je n’en vois qu’un seul où une marâtre ait le beau rôle. C’est celui de La marâtre punie.

Le beau-père est, au contraire, généralement présenté sous le jour le plus favorable. Il montre autant de tendresse pour l’enfant du premier lit que pour ceux qu’il a eus de sa propre femme ; souvent il n’est payé que d’ingratitude par son fils adoptif (V. Guéhuel et damel et le conte de B.-F. Kothi Barma).

Continuant cet examen rapide des sentiments familiaux des noirs, nous en venons à l’amour conjugal. Ici l’amour en général a des droits plus sérieux au qualificatif de désir qu’à l’épithète de platonique. Il y a pourtant dans la littérature indigène des histoires d’amour purement spirituel (V. en ce sens : Les inséparables, —La Mauresque, —Diadiâri et Maripoua [1ère partie], — Amadou Sêfa Niânyi115). On rapporte même des exemples de fidélité excessive : les amants fidèles, la femme d’Ibrahima (Ibrahima et les hafritt) qui attend son mari neuf ans mais finit tout de même par se remarier.

En revanche, les histoires de maris trompés sont innombrables. Le noir les prend gauloisement et considère que la jalousie est une maladie quelque peu ridicule puisqu’elle s’obstine à empêcher l’inévitable. Peut-être se console-t-il tout simplement, en raillant le voisin, d’une infortune à laquelle lui aussi n’échappera pas.

Il sait que toute précaution restera vaine (La précaution inutile), que jamais homme ne sera assez malin pour obliger sa femme à la fidélité, si roublard soit-il d’autre part ; (V. L’hyène commissionnaire). Aussi la jalousie tragique semble-t-elle assez rare, si l’on en croit les contes, car je n’en vois qu’un seul où le désir exaspéré amène une tragédie domestique (V. B.-F., Le beau-frère coupable). Encore, dans ce conte, est-ce le beau-frère qui tue parce qu’il ne peut amener sa belle-sœur à céder à ses instances.

En général la femme inspire aux noirs aussi peu d’estime qu’elle leur fait, par contre, éprouver de désirs violents. Ils la tiennent pour bavarde et incapable de stabilité dans ses affections. Lui confie-t-on un secret, elle s’empresse de le trahir par étourderie ou par malignité (Guéhuel et damelLe koutôrou porte-veineLe riche et son fils — Malick-Sy)116. Dans le conte de Diadiâri et Maripoua, celle-ci, qui avait offert sa vie en sacrifice pour sauver Diadiâri, le trahit ensuite pour un amant qu’elle croit plus riche et tend à ce dernier l’arme qui doit tuer son mari. De même, Ashia trompe Amadou Sêfa, qui l’a sauvée du serpent, avec un amant qu’elle juge cependant inférieur à son mari, comme elle le lui exprime sans équivoque dans le cours du récit.

De même, la femme cherche toujours à desservir ses co-épouses et même à les faire périr si cela lui est possible (v. La femme-biche. — La gourde. — Les trois femmes du sartyi. — L’hermaphrodite. — Takisé. — Les deux sinamousso. — Jalousie de co-épouse. — L’implacable créancier, etc., etc.). Après la mort de celle-ci, c’est sur les enfants de la co-épouse qu’elle se venge (v. les contes de marâtre cités plus haut).

De ce qui précède on peut conclure — ce que confirment les faits — que le noir possède, fortement accentué, le sentiment de la famille. Il aime sa mère et honore son père mais est moins fortement attaché à ses frère et sœur en ce sens que son affection pour ceux-ci peut plus aisément s’affaiblir par suite des constants froissements du contact quotidien. Quant aux questions d’intérêt c’est une cause de zizanie peu importante, étant donnée la constitution patriarcale de la famille indigène, où la qualité de chef est toujours déterminée par des règles précises.

Au point de vue désir sexuel, on pourrait croire le noir plus proche de la bestialité que le civilisé mais il n’y a qu’une différence d’épaisseur dans le vernis. D’après les contes, ce désir se manifeste avec violence chez le noir. Bilâli inspire un appétit si violent aux filles qu’il rencontre sur sa route qu’elles mettent à mort leurs parents pour lui ouvrir la route sur laquelle elles le suivront docilement117. De son côté lui et son compagnon acceptent volontiers la mort en échange de la possession de femmes qu’ils désirent (v. BilâliL’homme au piti, etc.).

Il est rare qu’une considération quelconque combatte l’effet de ce désir. Cependant un conte de B.-F. : Les deux amis peuhl, montre, par exception, le conflit du devoir et du désir et même le triomphe du devoir.

A côté du désir sexuel, il y a place pour l’amour véritable, né d’une émotion esthétique en présence de la beauté soit physique soit morale. La ligne de démarcation est malaisée parfois à tracer. Il semble pourtant que le sentiment soit pur encore dans le conte de Bala et Kounandi, dans Lansêni et Maryama (Barot) et dans Amadou Sêfa Niànyi. Chez Amadou Sêfa, il triomphe de l’infidélité d’Ashia et celle-ci reste pour lui une sorte de joyau qu’il enchâsse dans le précieux écrin d’une chaise d’or. Pour satisfaire ses moindres désirs, il envoie à la mort sans scrupule. Il ne lui demande que de rester belle. La Beauté lui tient lieu de toute autre vertu.

Sur la conception indigène de la beauté physique, les contes renferment peu de détails. On parle des pieds petits de S.-G. Diègui, mais sans commenter davantage. Dans le conte de Hammadi Diammaro, le conteur, sur mon invitation, a décrit les perfections d’une femme telle qu’elle devrait être à son sens pour être tenue pour jolie118. Il est délicat d’insister en pareille matière. Le conteur, pour flatter l’Européen, prendrait comme type de la beauté pure les traits de la race blanche.

Ce ne serait donc que sous les plus expresses réserves que j’accepterais les indications du Dr Barot, ainsi formulées dans sa brochure « L’Ame soudanaise » :

« Il m’est arrivé personnellement d’interroger souvent les Noirs. Chez nous ils préfèrent les hommes grands à nez droit, portant la barbe, noire de préférence. Ils admirent beaucoup nos cheveux lisses. Ils se moquent de nos pieds rétrécis déformés par les chaussures ; les yeux bleus leur plaisent davantage119. Chez eux ils regardent comme les plus beaux et les plus belles ceux dont les traits du visage et la couleur de la peau se rapprochent le plus de la race blanche ».

Une seule certitude ressort, à ce point de vue, des contes que je connais, c’est que la marque cicatricielle, la balafre faciale, en quoi nous avons tendance à voir un ornement, ne présente pas d’attrait pour les noirs qui la considéreraient au contraire comme disgracieuse, s’il faut en juger par les contes, très nombreux et d’origines très diverses, où jeunes filles et jeunes gens recherchent, pour l’épouser, un jeune homme ou une jeune fille qui ne soit pas défiguré par des marques de cette nature (v. La femme de l’ogre, —Le boa marié, —L’anguille et l’homme au canari, —Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée).

Amitié. — Le noir apporte à l’amitié une ardeur excessive et rendrait aisément des points à Oreste et Pylade, à Nysus et Euryale. Cette amitié va jusqu’à des extrémités qui peuvent nous choquer, à moins qu’elles ne nous paraissent héroïques… d’un héroïsme que nous ne serions pourtant guère tentés d’imiter. Le cas de ces fils sacrifiant l’honneur de leur père à la passion de leur intime ami (Quels bons camarades ! Les deux intimes), du lionceau tuant sa mère pour venger celle de son ami, de Bassirou oubliant qu’Ismaïla a tué le fils d’un ami par rage de voir la mère de celui-ci résister à sa convoitise (Bassirou et Ismaïla), de ce peuhl qui, pour sauver son ami mourant de désir, lui cède sa propre femme120, tout cela montre que la fraternité d’élection inspire des sentiments aussi forts pour le moins que la fraternité du sang.

Il est bon de noter en passant que l’histoire de Mafal, dans Bérenger-Féraud, témoigne d’un certain scepticisme quant au dévouement des amis dans l’adversité121. On se rappellera aussi le dicton de Kothi Barma dans le conte de Bérenger-Féraud. « On a parfois un ami, on n’en a jamais plusieurs » (cf. le conte de L’hyène et l’homme son compère).

Idées religieuses. — Sociabilité. — Si nous écartons d’emblée les contes — relativement peu nombreux dans ce recueil — d’inspiration musulmane, on trouvera peu d’indications sur les idées religieuses des noirs.

Le dieu des Gourmantié : Outênou est, comme son confrère Ouinndé, dieu des Môssi, un potentat assez bénin qui philosophe, par le truchement de ses envoyés, avec les serviteurs plus ou moins sincères d’Allah, son concurrent envahissant. Quant à NGouala (ou Nouala), sorte d’Allah déformé à l’usage des Bambara fétichistes évoluant vers le monothéisme, c’est, lui aussi, une personnalité pleine de « bonace », un roi d’Yvetot, parfois à court d’argent, qui se voit obligé d’avoir recours aux humains de temps à autre quand l’arrivée d’hôtes inattendus ou la mort de sa belle-mère lui occasionnent des dépenses inaccoutumées.

Outênou connaît les faiblesses humaines ; comme juge, il frôle, et de très près, la prévarication. Aussi serait-il mal venu à prêcher l’intégrité aux hommes. (V. Les méfaits de Fountinndouha où il donne raison à un sacripant, celui-ci lui ayant promis comme épices un don de trois idiots).

Tous ces dieux sont faits à l’image des petits potentats locaux, ce qui donnerait à penser que ces derniers ne furent pas toujours de si odieux tyrans qu’on les a représentés.

Ici, comme partout, l’anthropomorphisme se manifeste et les dieux sont faits à l’image des plus puissants des hommes dans une société où la puissance fut initialement la plus respectée des qualités.

Le noir se gausse, à l’occasion, des mômeries des hypocrites (V. Outênou et le marabout et Le bœuf marchand de grigris)122. Il ne méconnaît pas le parti fructueux que tirent les marabouts et prêtres de toute sorte des sentiments religieux des naïfs… ce qui ne l’empêche pas, à l’occasion, de tomber dans leurs filets.

Il semble qu’il y ait dans quelques contes des traces de dendrolâtrie ou culte primitif des arbres. V. à ce sujet le conte de NMolo Diâra où celui-ci sacrifie un mouton au baobab. V. aussi le conte d’Amady Sy et ce qu’il y est dit des arbres prophétiques de Sendêbou, qui approuvent ou désapprouvent l’élection des nouveaux chefs et annoncent à l’almamy sa mort ou sa guérison en cas de maladie.

Il y a lieu aussi de noter quelques manifestations de patriotisme ou, plus exactement, de solidarité raciale. Le noir a, en premier lieu, la fierté de son village natal et en éprouve la nostalgie quand il en est éloigné. Ce patriotisme de clocher, si naturel à l’homme, se manifeste dans le conte du Courage mis à l’épreuve. Le kitâdo, qui n’a plus de parents dans son village d’où on l’a chassé, regrette pourtant d’en être éloigné.

Cette idée prend rarement une plus grande extension pour devenir un sentiment s’apparentant au patriotisme. Quand le fait se produit, quand il y a, comme dans l’histoire de Yamadou Hâvé, un acte de dévouement à la race, ce dévouement-là n’a qu’un rapport relatif avec celui d’un Décius et d’un Winkelried se vouant à la mort pour assurer la victoire de leurs compatriotes. C’est un marché où Yamadou stipule, en échange du sacrifice de sa vie, le pouvoir pour ses descendants et tous les avantages qu’il peut obtenir. C’est encore le cas, quoique à un moindre degré, puisqu’elle a déjà le pouvoir de fait, pour le dévouement de la reine Aoura Pokou sacrifiant son fils au fleuve Comoé dans le conte rapporté par Delafosse.

Quant à la fille du massa, dans le conte de ce nom elle se sacrifie pour son père plutôt que pour sa race.

Esprit d’association. — Le noir a-t-il tendance à s’associer en vue d’un but à atteindre ? Il semble assez sceptique quant aux avantages qui peuvent résulter de la mise en commun de l’effort. Son bon sens et son esprit d’observation lui ont démontré que si l’union fait la force, elle fait la force surtout du plus roublard des membres de l’association. Dans les contes où il s’agit d’association, on voit presque toujours les associés naïfs roulés éhontément. Dans les fables, cette malchance de l’un des associés est constante et l’associé qui ne retire de son association que des désavantages s’appelle l’hyène. L’autre est le lièvre. La moralité semble donc ici : Ne vous associez à quelqu’un que si vous avez la rouerie du lièvre.

Si l’association produit ses effets utiles quelquefois, c’est dans des contes où l’imagination cherche moins à serrer la réalité que dans les fables123 (au point de vue de l’action, sinon des personnages). Voir en ce sens, Les dons merveilleux du guinnârou. Mais il y a des contes, au moins aussi nombreux, où l’association profite à un seul qui rémunère peu généreusement ses associés eu égard aux risques courus (V. Les six compagnons, —Ntyi vainqueur du boa, etc., etc.).

Dévouement au maître. — Les sentiments d’affection qu’un maître peut inspirer à son serviteur vont-ils, de la part de ce dernier, jusqu’au sacrifice de soi-même ? Il n’en est pas d’exemple. Sans doute les captifs de la mère de Samba Guélâdio Diêgui lui donnent tout le mil qu’ils ont glané et se contentent d’herbes et de feuilles d’arbre pour leur propre nourriture — sacrifice digne d’être pris en considération de la part de gens qui traitent dédaigneusement ceux des autres races de mangeurs d’herbe124 — mais on ne verra pas d’exemples analogues à ceux du fidèle Jean ou d’Henri-au-cœur-cerclé-de-fer dans les contes allemands125.

Certains captifs ont cependant une très forte affection pour leurs maîtres puisqu’ils mettent le souci de l’honneur de ceux-ci au-dessus du désir de leur plaire. Sévi Malallaya (conte de S.-G. Diêgui) et Albarka Babata (conte des Sorkos, Desplagnes, op. cit.) reprochent à leur maîtres leur inaction. Voir aussi le conte du làri reconnaissant, fidèle à son maître dans le malheur, conformément au proverbe bambara que l’on doit boire de l’infusion amère de cailcédrat avec celui qui vous a fait boire jadis de son eau miellée.

Reconnaissance. — Les noirs apprécient la beauté morale de la reconnaissance, mais ne croient pas outre mesure à la fréquence de sa mise en pratique. Ils représentent volontiers l’homme comme l’ingrat par excellence (V. Ingratitude, —Les obligés ingrats de NGoualaMâdiou le charitable 126).

Molo et S.-G. Diêgui témoignent une médiocre reconnaissance aux animaux qui leur ont donné leurs talismans. L’un et l’autre tuent leur bienfaiteur. Il est vrai qu’ils n’agissent ainsi que pour empêcher que pareil don soit fait à quelque autre homme. C’est une explication, mais pas une excuse. De même encore les frères de Hammadi Bitâra (conte de Fatouma Siguinné) essaient de faire périr le frère qui les a sauvés.

Il y a d’ailleurs des contes où des animaux, et même des hommes, se montrent reconnaissants envers qui les a obligés (V. IngratitudeLe lâri reconnaissan.127La protection des djihon, etc.).

Magnanimité. — Les noirs comprennent la magnanimité et admirent l’effort auquel elle oblige celui qui pardonne une offense. S’il y a, dans leurs contes, des récits dont un ressentiment, souvent féroce128, fait le fond, il s’en trouve beaucoup aussi où l’offensé oublie son ressentiment, telle l’orpheline pardonnant à sa marâtre (La marâtre punie), le pauvre pardonnant au fils de roi (D’où vient le soleil). V. encore : Une leçon du bonté, —Les deux NtyiBassirou et Ismaïla. Chez les fétichistes surtout on constate une certaine facilité à oublier les injures, tandis que le pieux NDar, envoyé d’Allah, ne pardonne pas à sa mère et que S.-G. Diêgui, croyant, n’oublie qu’à demi les mauvais procédés de Konkobo Moussa à son endroit, non plus que ceux du tounka envers sa mère.

Compassion. — L’indigène n’a pas de pitié pour les infirmes, peut-être parce que, sa sensibilité physique étant peu développée, il ne sent pas toute l’horreur de leur sort. Maintes fois j’ai vu mes porteurs se gausser au passage des aveugles et se pâmer aux cris inarticulés des muets ou au gambillement des boiteux. A ce point de vue, ils sont inférieurs aux blancs, non par la sensibilité, mais par la compréhension de la souffrance. Cela est tellement probable que, pour certaines misères, celle par exemple des orphelins que tourmente une marâtre, ils sont pleins d’une pitié attendrie, comme le montrent les nombreux contes imaginés sur ce thème.

Hospitalité. — Générosité. — Les indigènes ont-ils le sens de l’hospitalité et de la générosité sans arrière-pensée ? J’ai tendance à croire que, dans les manifestations apparentes de ces sentiments chez eux, il y a plus d’ostentation que de bienveillance, instinctive ou réfléchie. On peut cependant invoquer à l’appui de l’opinion contraire l’antipathie violente dont ils témoignent contre l’avarice. Ils criblent ce vice de sarcasmes dans un certain nombre de contes, parmi lesquels je citerai : L’avare et l’étranger et Ybilis.

Peut-être, il est vrai, ces sarcasmes ont-ils pour but de stimuler la vanité de ceux qui font passer leur intérêt propre avant leur amour-propre. Peut-être la gloriole des uns joue-t-elle de la fausse honte des autres pour les amener à ne rien conserver pour soi. Cette explication me semblerait plausible si les contes sont, dans leurs premières conception et forme, l’œuvre de ces parasites qu’on nomme griots.

Respect pour les vieillards. — Le noir respecte les vieillards en général parce qu’il y retrouve l’image de son père et de sa mère, soit dans le présent, soit dans l’avenir. De plus, il considère en eux l’expérience acquise qui confère à ceux-ci une force morale rehaussant singulièrement le prestige qu’ils ont pu perdre du fait de leur affaiblissement physique (V. à ce sujet le conte de La femme fatale).

Pitié. — Envers les animaux, les indigènes ne manifestent guère de pitié. Ils soignent ceux qui leur sont utiles et dont la perte leur occasionnerait un remplacement onéreux, mais ils ne les aiment qu’en raison du parti qu’ils en tirent129. Les Peuhl prennent soin de leurs bœufs autant que des membres de leur propre famille, sinon davantage. Les Torodo, notamment, aiment leur cheval jusqu’à lui donner un nom comme à une personne. Quand au chien, on le considère comme gardien de la maison et comme un protecteur contre les méfaits des guinné, (V. Le chien de Dyinamoussa, —Le canari merveilleux) mais on ne lui témoigne pas d’affection véritable.

Dans un seul conte on voit l’attachement désintéressé à un animal : l’affection maternelle d’une vieille pour son taureau. (V. Takisé, le taureau de la vieille).

Quant aux captifs, on les tient pour des gens de caste inférieure avec lesquels il est déshonorant de s’unir. C’est ainsi que S.-G. Diêgui veut se suicider à cause du mariage de sa mère avec le captif Barka. Cependant il semble résulter des contes que, loin de refuser aux fils, nés de captifs et d’hommes libres, l’intelligence et les qualités de cœur, on les oppose souvent, et à leur avantage, aux enfants issus de parents libres l’un et l’autre.

Orgueil. — L’orgueil est le défaut le plus évident des noirs. C’est le premier dont on se rende compte d’abord et c’est par l’orgueil qu’on tient le plus sûrement ceux-ci. Le lièvre, ce psychologue avisé, n’ignore pas que l’orgueil est le plus grand ressort des êtres pensants et il en joue magistralement vis-à-vis de ses dupes. (Voir les contes du Grigri de malice, de La vache de brousse, etc., etc.).

Sens de l’ordre et de la discipline. — La plupart des noirs, ceux du moins qui se sont constitués en société, ont le sens de l’ordre et, pour obtenir qu’il règne dans leurs groupements, ils s’astreignent sans difficulté à l’obéissance. Voyez les Diolof choisissant Diâdiane pour chef parce qu’il a su faire un partage juste du produit de leur pêche entre de petits pêcheurs130 et, par là, empêcher le retour des contestations quotidiennes auxquelles ce partage donnait lieu Auparavant.

Idées. — Si, de l’étude des sentiments, nous passons à celle des idées, nous trouverons encore dans les contes des indications utiles à recueillir.

Le noir — ceci résulte de sa littérature même — voit à l’existence divers buts, presque tous matériels d’ailleurs : La conquête du pouvoir, celle de la fortune, celle de la femme désirée. Le quatrième but répond à ses instincts de vanité : c’est la conquête de la considération131.

Pour atteindre ces buts divers, le noir sacrifiera tout, même sa vie qu’il considère comme chose négligeable, car il ne voit au-delà de la vie que ce pis-aller peu effrayant : le néant. Même islamisé, il ne semble guère croire à une vie future ou, s’il y croit, c’est avec l’espoir de racheter, grâce à quelques bonnes œuvres de la dernière heure, tous les méfaits, petits et gros, qu’il aura pu commettre au cours de son existence.

Ce mépris de la vie est facile à constater dans les contes. Voyez avec quelle indifférence le conteur narre la mort des porteurs de mauvaises nouvelles (S.-G. Diêgui). Un coup de poing de Birama et c’est fini. Le narrateur ne s’attarde pas pour si peu. S’indigner, s’attendrir même, il n’y songe pas. La contrariété que ces courriers fâcheux causent à leur maître légitime justifie ce geste brutal et de si peu de conséquences. D’ailleurs, en ce pays, on a si souvent la mort sous les yeux qu’on se familiarise avec l’idée d’une fin définitive. L’Européen comme les noirs.

Dans le conte de Bilâli encore, deux des personnages, Bilâli et Sanio, promettent leur vie contre la possession éphémère de la femme désirée ; un troisième fait cet échange contre des bœufs et un beau cheval. Ils acceptent que leur vie soit courte, sous condition qu’elle soit bonne.

Cette façon d’envisager l’existence prouve une bien faible foi en l’Au-Delà. Et en effet la conception de la vie reste profondément matérialiste malgré tous les enseignements de l’Islam. Il s’agit donc de réaliser la plus grande somme de jouissances en ce monde et les moyens dont on usera pour y parvenir constitueront les deux grandes vertus que le noir prise par dessus tout : le courage et la ruse.

Le courage est donc apprécié grandement et les braves sont honorés par les guinné eux-mêmes. (V. en ce sens contes du Guinné altéré) — de S.-G. Diêgui — d’Hdi Diammaro — La lionne coiffeuse, etc. Mais comme le courage n’est souvent qu’une force aveugle et incapable de tirer parti de ses ressources, l’admiration des noirs place la ruse encore bien au-dessus de lui. Aussi le héros de la vie pratique est-il le lièvre, symbole de l’homme avisé, ou bien encore des individus d’une honnêteté plus que douteuse mais débrouillards comme MBaye Poullo, NMolo Diâra, Féré (du Fils adoptif du guinnârou).

Sans doute le héros principal du conte — littérature de passe-temps — est l’homme courageux ; mais celui des fables — littérature d’enseignement pratique (de fait plus encore que d’intention) — est le personnage roublard qui, malgré son peu de moyens physiques, arrive à ses fins et triomphe constamment de la force brutale.

Ceci ne veut pas dire que le noir refuse son admiration — toute platonique — aux qualités que toutes les races humaines s’accordent à honorer, sinon à mettre en pratique. Il leur donne volontiers cette satisfaction dont se paie la vanité de bon nombre d’humains.

Ainsi le conte, et même la fable, honorent le respect de la parole donnée (Le roi et le lépreux)132. Ils flétrissent l’envie (Sambo et Dioummi, —Les deux Ntyi), l’avarice (Les deux Ntyi). Ils raillent les fanfaronnades des hâbleurs (V. Les six géants et leur mère, —La fanfaronnade, —Hâbleurs bambara, —A la recherche de son pareil, etc.) Ils conseillent la modération dans les ambitions et désirs de toute sorte. C’est ainsi que ceux qui prétendent trouver chez leur future épouse des qualités peu communes (ce que symbolise peut-être l’idée de la personne sans balafres se voient punis de leur excessive prétention) par les défauts moraux, contre-partie de la perfection physique (Voir tous les contes relatifs aux marques cicatricielles).

Les contes et fables blâment encore la goinfrerie et l’intempérance (V. L’ivresse de l’hyène, etc.). Ils prônent la discrétion, parfois même aux dépens de la franchise, car la vérité n’est pas toujours bonne à dire et mieux vaut la taire quand elle est trop désagréable à entendre. (V. Hammat et Mandiaye.) Ils montrent la complaisance et la courtoisie récompensées (Voir la femme fatale, —Hdi Diammaro, etc.).

De même ils sont sévères pour l’intempérance de langue (V. Le sounkala de Marama, —Orpheline de mère, —Hammat et Mandiaye, —Le canari merveilleux)133, mais moins au point de vue moral qu’au point de vue pratique. Ici le noir raille plus qu’il ne morigène. On ne trouve pas chez le noir :

                          Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.

>Quant à la paresse, elle se voit excusée avec une indulgence amusée dès qu’elle se montre ingénieuse.

Le lièvre, notamment, a toute la sympathie de l’auditeur des contes quand il trouve moyen de tirer profit du travail auquel il a refusé de participer (V. La case des animaux de brousse et Le forage du puits). NMolo bénéficie de la même indulgence quand il fait travailler à sa gerbe les petits palefreniers du fama Da Diâra.

Il reste encore à signaler le goût des noirs pour des paris dont l’enjeu est souvent leur propre vie (V. Guéhuel et damel, —La tête de mort, —Les bons coureurs, —Quels bons camarades ! —Le bien qui vient en dormant).

Pour en finir avec cette étude un peu aride je renvoie le lecteur à ce j’ai dit (Chapitre I) des conceptions ethniques, cosmogoniques et zoologiques des noirs telles qu’elles semblent ressortir des contes de ce recueil.

Il va de soi que je n’entends pas dégager de ces contes une cosmogonie cohérente et complète. J’ai indiqué seulement à titre de curiosité les quelques récits relatifs à ces idées.

Ici se termine une étude que j’aurais voulu condenser davantage et présenter sous une forme moins aride ; mais j’ai dû sacrifier la concision à la clarté. Je me suis préoccupé avant tout d’effectuer un premier tri des matériaux que je présente au public afin de préparer son travail à celui que la littérature merveilleuse indigène intéressera et qui voudra en faire une étude plus approfondie et plus savante que celle-ci.

F. V. Equilbecq.

N’ayant pris connaissance des « Contes populaires d’Afrique » (R. Basset. Guilmoto, éditeur), et des « Contes soudanais » (Monteil. Leroux, éditeur), que tardivement et au cours de l’impression de cet essai, je n’ai pu, malgré l’intérêt de comparaison qu’ils présentent, faire état de ces recueils dans l’étude ci-dessus. Je les signale à ceux que le folklore indigène intéresse et y renverrai dans les notes et éclaircissements placés à la fin de chacun de mes contes quand il y aura lieu à comparaison.

Conteurs ayant collaboré au présent recueil §

AHMADOU DIOP — Ouolof. — Brigadier-chef de gardes régionaux à Yang-Yang (Sénégal).
BOUBAKAR MAMADOU — Torodo. — Garde-régional de 1re classe à Yang-Yang. (Sénégal).
SALIFOU GORNGO — Môssi. — Garde-cercle à Pama (Cercle de Fada).
DEMBA KAMARA — Malinké. — Garde-cercle à Pama (Cercle de Fada).
BADIAN KOULIBALY — Bambara. — Garde-cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
KAMORY KEÏTA (dit Samba Diallo) — Malinké. — Garde-cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
FILI KONÉ (dit Dielifili) — Malinké. — Garde-cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
MOUSSA DIAKITÉ — Bambara. — Garde cercle à Fada NGourma (Cercle de Fada).
GAYE BA — Torodo. — Brigadier-laptot à Dubréka.
EDOUARD NGOM — Ouolof. — Brigadier des Douanes à Sambadougou (Cercle de Faranah, Guinée Fr.).
SAMAKO NIEMBÉLÉ (dit Samba Taraoré) — Bambara. — Interprète à Fada puis à Bandiagara.
AMADOU SY — Torodo. — Interprète à Koyah (Guinée Fr., Cercle de Dubréka).
KALOUDO — Peuhl. — Elève-médecin à Fada, Ngourma.
OUSMANN GUISSÉ — Torodo. — Griot. Lampiste à Dubréka.
MBABA GALLO — Ouolof. — Griot de MBallarhé (Cercle de Louga, Sénégal).
BALLO YATARA — Peuhl. — Griot de Fada.
AMADOU YÉRO (dit Sidi Mâbo) — Torodo. — Griot et dioula à Fada.
OUMAROU SAMBA — Peuhl. — Griot de Bandiagara.
MAKI KARAMBÉ — Kâdo. — Griot de Bandiagara.
AMADOU MBAYE — Ouolof. — Cadi de Yang-Yang (Sénégal).
SAMBA ATTA DABO (dit Sadiandiam Dâbo) — Ouolof. — Exorciste à Yang-Yang.
CLEVELAND. Ecrivain indigène à Kaolakh (Sénégal).
Mame NDiahouar — Ouolof. — Menuisier à Kaolakh.
ALDIOUMA TARAORÉ — Sénofo de Sikasso. — Menuisier à Fada.
FAMORO SARDOUKA. — Dioula kissien.
KEURFA KÉRA. — Malinké de Leyadoula (Cercle de Faranah). — Cultivateur.
KANDA KAMARA. — Malinké de Faranah.
SANICI TARAORÉ. Chef de village malinké (Demba Siria ; Cercle de Faranah).
FADÊBI TARAORÉ — Bambara de Kôkou (Cercle de Bougouni, Côte d’Ivoire).
BENDIOUA — Gourmantié. — Palefrenier à Bogandé (Cercle de Fada).
YAMBA — Môssi. — Palefrenier à Bogandé (Cercle de Fada).
PATÉ DIALLO — Peuhl. — Palefrenier à Bogandé (Cercle de Fada).
DYIGUIBA TAPILI — Kâdo. — Palefrenier à Bandiagara.
NOUNDIA TENDABA — Gourmantié. — Boy à Fada et Bandiagara.
ISSA KOROMBÉ — Dyerma. — Cuisinier à Fada et Bandiagara.
AMADOU KOULOUBALY — Bambara. — Cuisinier à Yang-Yang.
DEMBA SAMAKÉ — Bambara. — Cuisinier à Dubréka.
YARÉDIA, — jeune Gourmantié — de Fada.
YÉRIFIMA, fils d’Onouânou, — Gourmantié de Fada.
YAMBA, fils d’Oyempâgo. — Elève gourmantié de l’école de Fada.
TALATA. — Elève gourmantié de l’école de Fada.
SANKAGO, fils d’Abdou. — Elève gourmantié de l’école de Fada.
IBRAHIMA GUIRÉ. — Elève gourmantié de l’école de Fada.
MOPO. — Elève gourmantié de l’école de Fada.
TANKOUA, fils de Papandia. — Elève gourmantié de l’école de Fada.
HAMANN TOURÉ. — Elève rimâdio de l’école de Bandiagara.
MAKI TAL. — Elève rimâdio de l’école de Bandiagara.
AMADOU BA. — Elève rimâdio de l’école de Bandiagara.
BILALI TAMBOURA. — Elève rimâdio de l’école de Bandiagara.
SAGOU KÉLÉPILI. — Elève kâdo de l’école de Bandiagara.
MAKI KARAMBÉ. — Elève kâdo de l’école de Bandiagara.
BAKRARI KAMARA. — Elève malinké de l’école de Bandiagara.
NGADA KAREMBÉ. — Rimâdio de Bandiagara.
Fe SOGOUÉ TARAORÉ. — Malinké — de Keurfamoréa (Cercle de Kankan, Guinée fr.).
Fe AMINATA TARAORÉ. — Malinké — de Soumankoye (Cercle de Kankan).
Fe SAMBA OUOLOGUÉ (dite Samba Kâdo). — Mendiante de Bandiagara.
Fe ADAMA YOUMANDI — Peuhl — de Bauddêni (Cercle de Fada).
Jeunes gourmantié de Bogandi (Cercle de Fada) :
Fe YELBI
Fe OURDlO
Fe NASSA
Fe KAMISSA SOUKO — Malinké, — femme d’Amadou Ly, interprète à Fada.
Fe FATIMATA OAZI — Dyerma, — (ayant vécu longtemps chez les Haoussa) femme de l’interprète Samako Niembelé.
Fe ELISABETH NDIAYE, Ouolove de St-Louis.
Le Dr CREMER, médecin de l’Assistance médicale indigène à Koury (Cercle de Dêdougou) a bien voulu me communiquer quelques contes recueillis par lui. Trois de ces contes figurent dans le recueil.

Contes §

I. Takisé, Le taureau de la vieille

(Haoussa) §

Une des vaches du troupeau d’un Peuhl s’échappa au moment de vêler et alla mettre bas dans un « vieux » lougan (champ). Elle regagna ensuite le parc à bestiaux de son maître. Les taureaux, la voyant débarrassée, se mirent à la recherche de son petit, mais ils eurent beau fouiller les broussailles, ils ne trouvèrent rien et rentrèrent tristement au parc en se disant que le veau avait sans doute été dévoré par quelque fauve.

Une vieille, qui cherchait des feuilles d’oseille pour la sauce de son touho (couscouss), dans ce lougan abandonné, aperçut le veau couché sous un arbuste. Elle l’emporta chez elle et le nourrit de son, de mil salé et d’herbe.

Le veau grandit et devint un taureau gros et gras.

Un jour un boucher vint demander à la vieille de lui vendre son taureau mais elle s’y refusa formellement « Takisé, dit-elle (elle avait donné ce nom à son nourrisson), « Takisé n’est pas à vendre. » Le boucher, mécontent du refus, alla trouver le sartyi134 et lui dit : « Il y a chez la vieille Zeynêbou un « gros taureau qui ne doit être mangé que « par toi tant il est beau. »

Le sartyi envoya le boucher et 6 autres avec lui sous le commandement d’un de ses dansama135, chercher le taureau de la vieille. Quand la petite troupe arriva chez Zeynêbou le messager du chef dit à celle-ci : « Le sartyi nous envoie prendre ton taureau « pour l’abattre dès demain ». — « Je ne puis « m’opposer aux volontés du roi, répondit-elle. « Tout ce que je vous demande c’est de « ne m’enlever Takisé que demain matin. »

Le lendemain, au point du jour, le dansama et les sept bouchers se présentèrent chez la vieille et se dirigèrent vers le piquet auquel était attaché Takisé. Celui-ci marcha à leur rencontre en soufflant bruyamment et cornes basses. Les huit hommes, peu rassurés, reculèrent et le dansama, appelant la vieille, lui dit : « La vieille ! dis donc à ton taureau « de se laisser passer la corde au cou. »

La vieille s’approcha du taureau : « Takisé ! mon Takisé, lui demanda-t-elle, laisse-les te passer la corde au cou. » Le taureau alors se laissa faire. On lui mit le licol et on lui attacha une patte de derrière avec une corde pour l’emmener chez le sartyi. Arrivés devant le roi, les bouchers couchèrent le taureau sur le flanc et lui lièrent les quatre membres puis un d’eux s’approcha avec son coutelas pour l’égorger ; mais le coutelas ne coupa même pas un poil de l’animal, car Takisé avait le pouvoir d’empêcher le fer d’entamer sa chair.

Le chef des bouchers pria le sartyi de faire venir la vieille. Il déclara que, sans elle, il serait impossible d’égorger Takisé qui devait avoir un grigri contre le fer. Le sartyi manda la vieille et lui dit : « Si on n’arrive pas à égorger ton taureau sans plus tarder, je vais te faire couper le cou. »

La vieille s’approcha de Takisé qui était toujours lié et couché sur le côté et lui dit : Takisé mon Takisé laisse-toi égorger. Tout est pour le sartyi maintenant. »

Alors le doyen des bouchers égorgea Takisé sans nulle peine. Les bouchers dépouillèrent le cadavre, le dépecèrent et en portèrent toute la viande devant le sartyi. Celui-ci leur commanda de remettre à la vieille pour sa part la graisse et les boyaux.

La vieille mit le tout dans un vieux panier et l’emporta chez elle. Arrivée là, elle déposa graisse et boyaux dans un grand canari, car elle ne se sentait pas le courage de manger de l’animal qu’elle avait élevé et à qui elle avait tant tenu.

La vieille n’avait ni enfant ni captive et devait faire son ménage elle-même ; mais il advint que, depuis qu’elle avait déposé dans le canari des restes de Takisé, elle trouvait chaque jour sa case balayée et ses canaris remplis d’eau jusqu’au bord. Et il en était ainsi chaque fois qu’elle s’absentait un moment. C’est que la graisse et les boyaux se changeaient tous les matins en deux jeunes filles qui lui faisaient son ménage.

Un matin, la bonne femme se dit : « Il « faut que je sache aujourd’hui même qui me « balaye ainsi mon aire et me remplit mes « canaris… ». Elle sortit de sa case et en ferma l’entrée avec un séko136 puis, se tenant derrière le séko, elle s’assit et guetta à travers les interstices du nattage, ce qui allait se passer à l’intérieur.

A peine était-elle assise qu’elle entendit du bruit dans la case. Elle attendit sans bouger. C’étaient des frottements de balais sur le sol qui produisaient ce bruit. Alors elle renversa brusquement le séko et aperçut les deux jeunes filles qui couraient vers son grand canari pour y rentrer au plus vite : « Ne rentrez pas ! leur cria-t-elle. Je n’ai « pas d’enfant, vous le savez : nous vivrons « ici toutes trois en famille. »

Les jeunes filles s’arrêtèrent dans leur fuite et vinrent auprès de la vieille. Celle-ci donna à la plus jolie le nom de Takisé et appela l’autre Aïssa.

Elles restèrent longtemps avec la vieille sans que personne s’aperçut de leur présence car jamais elles ne sortaient. Un jour un gambari (marchand) se présenta chez elle et demanda à boire. Ce fut Takisé qui apporta l’eau, mais l’étranger était tellement ravi de sa beauté qu’il ne put boire.

Quand il rendit visite au roi, le gambari lui raconta qu’il avait vu chez une vieille femme du village une jeune fille d’une beauté sans pareille : « Cette fille, conclut-il ne peut avoir qu’un sartyi pour époux. »

Le sartyi ordonna incontinent à son griot d’aller, en compagnie du dioula, chercher la jeune fille. Elle se présenta, suivie de la vieille. « Ta fille est merveilleusement jolie dit le sartyi à cette dernière, je vais la prendre pour femme. — Sartyi, répondit la vieille, je veux bien te la donner comme épouse mais que jamais elle ne sorte au « soleil ou ne s’approche du feu, car elle fondrait « aussitôt comme de la graisse. »

Le sartyi promit à la vieille que jamais Takisé ne sortirait aux heures de soleil et que jamais non plus elle ne s’occuperait de cuisine. Il n’y avait donc pas à craindre de cette façon qu’elle fût exposée à la chaleur qui lui était funeste.

Takisé épousa le roi qui lui donna la place de sa femme préférée. Celle-ci, déchue de son rang, n’eut plus que la situation des femmes ordinaires, de celles qui ne doivent jamais se tenir, sans ordre exprès, au côté de leur mari.

Au bout de sept mois, le sartyi s’en fut en voyage. Le lendemain de son départ, ses femmes se réunirent et dirent à Takisé : « Tu es la favorite du chef et tu ne travailles « jamais. Si tu ne nous fais de suite griller « ces graines de sésame, nous allons te tuer « et nous jetterons ton corps dans la fosse « des cabinets. »

Takisé, effrayée par cette menace, s’approche du feu pour faire griller les graines de sésame dans un canari, et, à mesure qu’elle en surveillait la torréfaction, son corps fondait comme beurre au soleil et se transformait en une graisse fluide qui donna naissance à un grand fleuve.

Les autres femmes du roi assistaient, sans en être émues, à cette métamorphose. Quand tout fut terminé, l’ancienne favorite leur dit ceci : « Maintenant, soyez-en certaines, « nous voilà perdues sans retour car « le sartyi, une fois revenu de voyage, nous « fera couper la tête. Sûrement il ne « pourra nous pardonner d’avoir contraint « sa préférée à travailler près du « feu jusqu’à ce qu’elle soit entièrement « fondue. Et la première décapitée, ce sera « moi. »

Les femmes du roi vécurent donc, jusqu’au retour de leur mari, dans l’appréhension d’une mort inévitable.

Le sartyi revint de voyage quelques jours après. Avant même de boire l’eau qu’on lui offrait, il appela sa préférée « Takisé ! Takisé ! » L’ancienne favorite alors s’approcha de lui et lui dit : « Sartyi et mari, je ne peux rien te cacher. En ton absence, les petites (c’était les co-épouses qu’elle désignait ainsi) ont fait travailler ta favorite, Takisé, près du feu. Elle a fondu comme beurre et, ce fleuve nouveau que tu aperçois dans le lointain, c’est elle qui lui a donné naissance en fondant de la sorte. »

« — Il me faut ma Takisé ! » Telle était l’idée fixe du sartyi qui courut aussitôt vers le cours d’eau, suivi de son ancienne favorite.

Quand ils furent au bord du fleuve, le roi se changea en hippopotame et plongea à la recherche de Takisé. La favorite d’autrefois, qui avait un sincère amour pour son mari, prit la forme d’un caïman et entra dans l’eau, elle aussi, pour ne pas quitter le sartyi.

Depuis lors hippopotame et caïman n’ont pas cessé de vivre dans les marigots.

FATIMATA OAZI (Interprété par SAMAKO NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ).

ÉCLAIRCISSEMENTS §

Cf. Die Wichtelmoenner (Grimm) et Sneegoroutchtka, conte russe.

II. Le fils des bâri

(Soussou) §

En avril 1899, j’ai été désigné pour rétablir le poste de Douanes de Dankaldo dans le Kissi. A ce moment-là j’avais avec moi, comme caporal-laptot, un Timiné137, du nom d’Ali Bangoura, qui avait déjà fait avec moi le poste de Matakon. Quand je partis de ce dernier poste, Nâna, la femme de mon caporal, était enceinte. Lorsqu’en 1902 on m’envoya à Salatouk dans la Mellacorée je m’y retrouvai encore avec Ali Bangoura. Sa femme était enceinte de nouveau.

Ne pouvant supposer que la grossesse de celle-ci durât depuis mon départ de Matakon, je demandai à Ali ce qu’était devenu l’enfant dont elle avait dû accoucher après mon départ et il me raconta l’histoire que voici :

Vers le mois de mai 1899, Nâna avait donné naissance à un garçon, mais ce petit garçon ne ressemblait en rien aux autres enfants. Il était venu au monde avec une tête énorme et, à l’âge de trois ans, il ne savait pas encore se tenir sur ses jambes. Où on le plaçait, il restait immobile, à vrac, comme un paquet. La bave qui coulait de sa bouche avait donné la gale à sa mère. Et ses parents se désolaient, ne pouvant rien comprendre à tout cela.

Une vieille leur dit un jour : « Mais ce n’est pas un être humain, ce petit monstre, c’est un bâri !

« — Qu’allons-nous en faire ? se demandait le caporal-laptot. — Jette-le dans la brousse ! lui conseilla la vieille. Il disparaîtra et vous en serez débarrassés !

« — Crois-tu ? dit le caporal anxieux. Mais si le commandant138 l’apprend !… Je n’ose pas.

« — Tu n’as pas besoin d’avoir peur, répliqua la vieille. Expose-le sous un arbre de la plage. S’il est de race humaine, il restera où tu l’auras placé. Mais si c’est un bâri — comme j’en suis convaincue, — ceux de sa race viendront le prendre et l’emporteront avec eux. Il n’y a pas de danger que tu te trompes ».

La vieille a demandé 7 œufs, du riz pilé délayé dans un peu d’eau jusqu’à consistance de pâte et une bouteille de tafia de traite. Du riz, elle a fait 7 boulettes, chacune de la grosseur d’un œuf. Puis elle a placé les œufs dans une assiette, les boulettes de riz dans une autre et la bouteille de tafia sur une troisième. Elle, le caporal, Nâna et trois autres vieilles ayant passé l’âge d’avoir des enfants sont partis vers 6 heures du soir au moment où la nuit tombe. Les quatre vieilles portaient l’enfant.

Ils se sont rendus à la plage et ont déposé le petit sous un grand fromager. Les trois assiettes avec leur contenu ont été rangées devant l’enfant. Et la vieille a dit à celui-ci : « Quand tu ne vas plus nous voir, si tu préfères rester avec ta mère, tu n’as qu’à te mettre à pleurer. Mais si tu veux retourner avec ceux de ta race, va-t’en tout de suite. Nous renonçons à toi ».

Déjà les autres vieilles étaient allées avec Nâna se cacher derrière l’énorme tronc du fromager. Quand à Ali Bangoura, il s’était éloigné de dix pas, attendant pour voir ce qui allait se passer…

La vieille se dirigea vers le fromager pour s’y cacher avec les autres femmes. A peine avait-elle fait un pas qu’une effroyable bourrasque vint secouer frénétiquement les branches du fromager. Dans l’arbre les singes se mirent à caqueter, à faire un tintamarre assourdissant. Les feuilles s’envolaient comme un essaim, en tourbillonnant par centaines. Cela dura une bonne demi-heure. Tous étaient transis, immobiles d’épouvante. — Enfin le vent cessa.

L’enfant avait disparu et avec lui toutes les offrandes : les 7 boulettes, les 7 œufs et la bouteille de tafia. Seules, les assiettes étaient toujours au même endroit.

Jamais depuis on n’a revu l’enfant. Jamais plus on n’a entendu rien de lui.

Conté par Édouard Ngom.

III. La tête de mort

(Peuhl) §

En entrant dans un village, un homme a trouvé une tête décharnée et aux orbites vides de leurs yeux, qui était sur le bord de la route. C’était la tête d’un homme mort depuis sept ans : « Pourquoi cette tête-là est-elle ici ? se demande le passant ».

Et la tête répond : « C’est ma bouche qui m’a fait mourir ! »

L’étranger poursuit son chemin. Il dit au chef de village. « J’ai vu la tête d’un homme mort depuis sept ans. Et maintenant encore elle parle. — Ce n’est pas vrai ! réplique le chef. — Eh bien si tu constates qu’elle ne parle pas, tu pourras me tuer ! »

Le chef envoie des hommes pour se rendre compte de la chose. L’étranger va avec eux et leur montre la tête : « La voilà, leur dit-il. — Tête, demandent les envoyés, est-il vrai que tu aies parlé ? »

La tête ne répond rien. Deux fois, trois fois on répète la question. Pas de réponse.

Les envoyés s’en retournent vers le chef : « Nous avons interrogé la tête, lui rapportent-ils et elle ne nous a rien répondu. — « En ce cas, dit le chef, ramenez l’étranger près de la tête et tuez-le à cet endroit ».

On emmène l’homme. Les uns disent : « On va le tuer à coups de fusil ». D’autres disent : « Non ce sera par le bâton ! »

On se dispose à le faire périr. « Arrêtez ! s’écrie la tête ». Et à l’homme : « Quand tu m’as questionnée en passant, que t’ai-je répondu ?

  • — « Que c’est ta bouche qui t’a fait mourir ».
  • — « Un peu plus, reprend la tête et la bouche allait te faire mourir toi aussi. J’avais insulté un chef par de mauvaises paroles. J’aurais dû me taire car c’est à cause de cela que l’on m’a tranchée ici. Si tu étais entré dans le village sans me poser de questions, si tu n’avais parlé à personne, on ne t’aurait pas amené ici pour te donner la mort ! ».

Les gens ont rapporté cette conversation au chef qui a dit : « Il faut laisser libre le nouveau venu ».

Il est sage de réfléchir avant de parler, sinon il en résulte des ennuis. La bouche est dangereuse.

Conté par OUSMANN GUISSÉ.

Interprété par GAYE BA.

IV. Les ailes dérobées

(Kâdo) §

Un prince, nommé Sakaye Macina, voyageait pour son agrément. Il arriva un jour sur une place de marché. Comme il descendait de cheval, il entendit un vieillard crier : « Qui veut, pour un jour de travail, gagner 100 mesures d’or ? »139.

Sakaye s’approcha du vieillard et lui dit : « Je suis prêt à travailler toute une journée pour un tel salaire ! » Ce vieillard était un yébem140 qui ne venait au marché que pour duper quelque étranger afin de l’emmener chez lui et de le manger. Il répondit : « Eh bien, Sakaye Macina, laisse ici ta monture et viens avec moi jusqu’au pied de cette haute montagne. C’est là que tu trouveras de la besogne à faire ».

Sakaye suivit, sans mot dire, le yébem qui avait pris le chemin de la montagne indiquée. Quand ils furent au pied de cette montagne, le yébem dit à son compagnon : « Grimpe là-haut. Tu y verras d’autres travailleurs déjà en train de s’occuper. »

  • — « Mais par où monter ? demanda Sakaye. Je ne sais comment m’y prendre ! La pente est par trop raide ! ».
  • — « Je vais te procurer une monture qui te portera jusqu’au sommet du mont ! »

Et le vieux frappa dans ses mains. Aussitôt une gigantesque tourterelle apparut, toute sellée et bridée : « Enfourche ce cheval ! » dit le vieux à Sakaye. Celui-ci obéit à l’invitation et l’oiseau s’éleva jusqu’au faîte du mont. Il déposa son cavalier sur un gros rocher et disparut.

Sakaye regarda tout autour de lui et aperçut une case toute vermeille. Cette case était d’or pur.

Il s’en approcha et vit un autre vieillard dont les yeux étaient aussi gros et aussi rouges que le soleil quand il se lève à l’horizon.

Comme il se dirigeait vers ce vieillard, il vit, au loin et bien au-dessous de lui, l’univers entier (car la montagne sur laquelle il se trouvait était la plus haute de toute la terre).

Quand il fut tout près du vieillard-aux-yeux-de-soleil, il reconnut quantité de crânes humains épars sur le sol. Il demanda au vieux à qui appartenait la case d’or et qui avait tué les propriétaires de tous ces crânes.

Il lui demanda aussi pour quelle raison un homme aussi vieux que lui se trouvait seul dans cet affreux endroit car, d’après les apparences, il était le seul à y habiter.

« Sakaye Macina, lui répondit le vieux, c’est moi le gardien de cette maison. Ceux qui l’habitent sont des yébem, mangeurs d’hommes. Te voilà en leur pouvoir et tu ne leur échapperas pas ! Leur père à tous t’a rencontré au marché : il t’a leurré de l’espoir de beaucoup d’or. Donc attends-toi à la mort car, dans un instant, tu auras cessé de vivre. On va te dévorer quand le yebem qui t’a attiré ici sera de retour. Et il ne saurait tarder !

  • — « Es-tu aussi un mangeur d’hommes ? lui demanda Sakaye ».
  • — « Moi ? répondit le vieux, non pas !

« Je suis un yébem, mais pas un anthropophage. J’appartiens à une autre race que ceux-là, mais ils me contraignent à rester ici, par le pouvoir d’un grigri qui m’ôte l’usage de mes jambes ; sans quoi je retournerais auprès des miens. Ils me forcent à me tenir devant leur case pour leur servir de gardien et il m’est impossible de me relever ».

  • — « Eh bien, vieux ! reprit Sakaye, où sont-ils en ce moment ces yébem propriétaires de la case et maîtres de tes jambes ?
  • — « Ils sont à la chasse et en reviendront en même temps que leur père, celui que tu connais déjà ».
  • — « Alors, personne dans la case maintenant ? »
  • — « Personne, si ce n’est de jeunes yébem qui s’amusent à faire une partie de hin141 ».

« — En ce cas j’y vais entrer et me cacher dans quelque grenier en attendant la nuit. A ce moment-là je m’échapperai ».

  • — « Je t’en supplie n’y entre pas ! Tu serais cause de ma perte car les yébem, à leur retour, me tueraient sans pitié sitôt qu’ils auraient senti l’odeur de chair humaine dans leur case. »

Sakaye qui savait que le guinné-aux-yeux-de-soleil ne pouvait rien contre lui, puisque le grigri l’empêchait de se mettre debout, entra précipitamment dans la case.

A la vue de l’intrus, les jeunes yébem qui étaient en train de jouer et s’étaient débarrassés de leurs ailes pour se mettre à l’aise, s’effrayèrent et sautèrent dans un grand trou qui s’ouvrait au milieu de l’aire de la case. Mais ils avaient eu le temps de reprendre leurs ailes. Seule, leur jeune sœur abandonna les siennes dans sa précipitation.

Quand elle se retrouva au milieu de ses frères ceux-ci lui dirent : « Petite ! tu as laissé tes ailes là haut à la discrétion de l’intrus. Retourne les chercher, au risque même d’être capturée par lui. Tu dois tenter de les reprendre car il est sans exemple qu’une yébem ait laissé ses ailes entre des mains humaines. »

La jeune yébem, malgré sa frayeur, remonta dans la case et s’adressant à Sakaye : « Humain ! lui dit-elle, je t’en prie, rends-moi mes ailes ! »

  • — « Ce ne sera qu’à une condition, lui répondit le prince. Tu vas me transporter chez moi ? »
  • — « Je te le promets ! » affirma-t-elle.

Alors Sakaye lui rendit ses ailes et elle les fixa à leur place. Cela fait, elle mit le prince sur son dos et s’envola, si haut, si haut ! que celui-ci ne pouvait plus apercevoir la terre.

Elle le déposa juste devant la porte de l’amirou142 son père. Ensuite elle voulut s’en retourner mais Sakaye la retint de force. Il lui retira ses ailes143 et alla les cacher dans le magasin de l’amirou. Puis, au bout de quelques jours, il la prit pour femme.

Ils vécurent ainsi quelques années ensemble et Sakaye eut de la yébem trois enfants droits « comme un chemin »144 tous les trois et jolis comme des verroteries.

Malgré la joie qu’elle ressentait d’être mère, la yébem n’avait pas le cœur satisfait. Elle aspirait à la montagne.

Une nuit, pendant que ses enfants et son mari dormaient, elle se transforma en souris et, par un petit trou, se glissa dans le magasin de son beau-père. Elle y reprit ses ailes et se les fixa aux épaules ; puis elle revint chercher ses enfants, les cacha sous ses ailes et prenant son essor, elle regagna sa chère montagne.

Conté par AMADOU BA, élève rimâdio de l’école de Bandiagara, 1912.

Interprété par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS. §

Ce conte a quelques vagues rapports avec la légende allemande mise en opéra par Scribe : Le lac des fées ; (conte de Musoeus : Le voile enlevé).

Voir également, contes inédits des Mille et une Nuits : Histoire de Djamasp et de la reine des serpents, tome I, pp. 209. Histoire de Hassan de Bassra.

Voir, même ouvrage, même conte, p. 194, le travail qu’accomplit Hassan sur la montagne pour le compte du vieillard qui l’y fait porter par un rokh.

V. L’avare et l’étranger

(Haoussa) §

Il y avait un homme d’une avarice extrême qui quitta son village et s’en alla habiter à l’écart, tant il craignait que des étrangers ne vinssent lui demander l’hospitalité et partager avec lui son touho (couscouss). On n’ignorait pas dans le pays que jamais il n’avait offert à manger à quelqu’un et qu’il ne remettait jamais à sa femme le mil nécessaire pour leur nourriture qu’après l’avoir soigneusement mesuré par poignées.

Un étranger entendit railler sa ladrerie : « Aujourd’hui, affirma-t-il, je vais manger du touho de l’avare ».

Il se rendit chez celui-ci et entra dans la case au moment même où la femme demandait à son mari : « Maître, faut-il apporter le touho ? ».

L’avare apercevant l’étranger dit : « Pourquoi l’apporter puisqu’il n’est pas prêt ? »

La femme comprit ce que parler voulait dire et se garda bien de démentir son avare époux.

L’étranger alla s’asseoir à côté du maître de la maison : « Mon hôte, lui dit-il, voici 3 jours que je suis en route et j’ai grand faim, car, de ces 3 jours, je n’ai pris aucune nourriture ».

« — Ah ! geignit l’avare, l’année dernière ma récolte a été pitoyable ; aussi cette année en suis-je réduit, faute de mil, à me nourrir de feuilles et d’herbes. C’est ce qui fait que je n’ai rien à t’offrir ».

L’étranger sortit et, par un détour, revint sur la route qui l’avait conduit à la case de l’avare. Pendant ce temps, ce dernier s’était fait apporter son touho. Tout à coup il aperçut l’étranger qui, de nouveau, venait à lui : « Vite ! vite ! cria-t-il à sa femme, enlève le touho et quand l’étranger entrera, annonce-lui que je viens de mourir ». L’étranger arrive : « Mon mari vient de mourir, lui déclare la femme. — Bon, répond-il j’ai beau avoir faim, il me reste assez de force pour lui creuser une tombe. Passe-moi un nôma (daba, pioche ou houe). » Et il se mit à creuser une fosse.

Il saisit le faux cadavre, le jeta dedans et combla la fosse complètement. L’avare restait muet, comptant sur sa femme pour le retirer de là.

L’étranger se remit en chemin. Alors la femme rouvrit le tombeau et en fit sortir son mari : « En fit-il cent fois plus, cet étranger ! s’écria l’avare, jamais il ne tâtera de mon touho ! Apporte-le moi maintenant ».

Au moment où l’avare portait les doigts au touho, l’étranger apparut brusquement tout près de lui. L’avare prit alors la calebasse et la versa avec sa sauce dans la poche de devant de son boubou. Le touho qui avait été tenu au chaud lui brûlait l’estomac et le ventre et la sauce découlait de sa poche : « Mon hôte, dit l’étranger, tu affirmes ne pas avoir de couscouss et voilà la sauce qui suinte de ta poche ! »

« — Etranger répliqua l’avare, je vais te dire la vérité ; jamais étranger, fût-ce un moutâné ndâzi145 ne mangera chez moi ».

L’étranger s’éloigna. Il se rendit dans une grande forêt pleine de guinné qui tuaient tout homme qui passait par là. Quand ils le virent arriver, ils se précipitèrent à sa rencontre, des couteaux aux poings : « Je ne viens pas ici pour vous nuire leur dit-il, mais seulement pour vous faire connaître que quelqu’un vous a insultés ».

« — Et quel est celui-là ? crièrent-ils furieux ».

  • — « C’est l’homme qui habite là-bas. Il a juré que personne, même un moutâné ndâzi, ne mangera de son mil ». — « C’est bon grommelèrent les guinné, retourne dans ton village et tu verras demain matin ! ».

Pendant la nuit les guinné sont venus chez l’avare. Ils lui ont dérobé tout son mil. Le lendemain, l’avare s’en va porter plainte pour ce vol devant le chef de village. En route il rencontre un guinné qui avait pris la figure d’un homme et il lui raconte sa mésaventure.

  • — « Va chez le chef, lui conseille le moutâné ndâzi et préviens-le que, s’il ne te retrouve pas ton mil, tu vas mourir devant sa case ».

Arrivé chez le chef, l’avare lui parle ainsi : « Chef, on m’a volé mon mil : il ne me reste rien pour nourrir ma femme et mes enfants. Si tu ne me fais pas rendre ce qu’on m’a pris, je vais mourir ici-même devant ta porte ».

« — Mais s’exclame le chef : je ne sais qui est ton voleur ».

A ces mots, l’avare se laisse choir sur le sol comme s’il était mort. Le chef du village l’examine et, le croyant réellement défunt, il ordonne de l’ensevelir. Cette fois il fut définitivement enterré et « ne revit plus la terre »146 car, avant qu’on l’enfouît, l’étranger à qui il avait refusé le couscouss et qui se trouvait là lui avait fendu la tête d’un coup de nôma.

Depuis ce temps, on ne refuse jamais à manger aux gens de passage.

Conté par ISSA KOROMBÉ.

Interprété par SAMAKO NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENT §

Cf. Le gourmand. Conte Soninké (Monteil. Op. cit.).

VI. Le canari merveilleux.

(Gourounsi) §

Baffo était une petite fille mal élevée. Toujours elle se battait avec ses camarades et elle se refusait obstinément à travailler. De plus, elle ne pouvait voir un objet sans y toucher.

Ses parents la frappaient souvent pour la corriger, mais c’était peine perdue : elle n’en devenait pas meilleure pour cela.

Un jour Baffo est allée au marché. Elle y voit de petits canaris blancs tout neufs. Elle en prend un et demande au dioula147 qui était assis à côté de l’étalage : « Quel est le prix de ce canari ?

« — Je n’en sais rien répond le dioula. D’ailleurs il n’est pas à vendre ! »

Baffo jette à terre 20 cauris et s’éloigne en emportant le canari. « Quand le marchand s’en reviendra, se dit-elle, il trouvera les cauris à la place du canari ».

Or ces petits canaris blancs n’étaient autres que des aigrettes qui, à chaque jour de marché, se changeaient en canaris pour vivre un peu au milieu des hommes.

Avant que Baffo ait atteint sa case, le canari est redevenu oiseau. Il saisit la fille et s’envole avec elle jusqu’en haut d’un grand arbre. Puis, déposant Baffo sur une grosse branche, il s’envole de nouveau et disparaît.

Baffo pousse des cris. On l’entend et on va prévenir ses père et mère.

Ceux-ci accourent, amenant avec eux leur chien noir qui grimpa au fromager et en redescendit Baffo.

La leçon profita à la fillette qui se corrigea de son indiscrétion. Et, par reconnaissance, elle n’oublia jamais, chaque fois qu’elle mangeait son couscouss, d’en donner la première et la dernière poignée au gros chien noir qui l’avait tirée de ce mauvais pas.

Conté par FATIMATA OAZI

Interprété par SAMAKO NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ.

VII. La fausse fiancée

(Malinké) §

Un fama fit demander à un autre fama de lui donner sa fille Dêdé en mariage et celui-ci y consentit.

Au moment du départ de la fiancée pour se rendre chez son mari, son père lui donna une griote comme compagne de voyage. Elles se mirent en route.

On était en pleine saison sèche et la chaleur était excessive. Les villages se faisaient rares sur la route et, le dernier jour du voyage, elles avaient une très longue étape à effectuer dans une région complètement désertique. Ce jour là, la provision d’eau vint à s’épuiser. Seule la griote avait gardé de l’eau dans une outre qu’elle portait.

Dêdé, qui avait grand soif, demanda un peu à boire à sa compagne de route : « Si tu ne me donnes pas la moitié de tes bijoux, lui répondit celle-ci, je ne te donnerai pas de mon eau ».

La princesse remit alors à la griote un bracelet de bras et un bracelet de pied et, en échange, celle-ci versa de l’eau plein une coquille d’huître pour qu’elle put se désaltérer un peu.

Plus loin, Dêdé éprouva de nouveau le besoin impérieux de se rafraîchir. La griote exigea d’elle le reste des bijoux dont elle était parée et lui remit de nouveau de l’eau plein la coquille d’huître.

On n’était plus très loin du village du fiancé quand la princesse, pressée par une soif ardente, supplia encore la griote de lui donner à boire.

  • — « Donne-moi tous tes vêtements et tout ce qui témoigne de ton origine royale, de façon qu’en nous voyant ensemble on croie que c’est moi la véritable fiancée du fama. »

Dêdé, vaincue par la soif, céda aux exigences de la griote. Celle-ci alors lui retira ses pagnes et ses boubous et lui remit en échange les vêtements rouges de sa caste dont la princesse se revêtit.

Elles se présentèrent ainsi devant le fama.

Celui-ci, voyant la griote dans les vêtements de la princesse, la prit pour sa fiancée et la fit entrer dans sa case.

Dêdé resta près d’elle comme servante. Elle ne révéla rien de ce qui s’était passé car elle eût eu honte d’avouer qu’elle avait cédé à la nécessité.

L’année suivante, la griote donna un enfant au fama et on confia le petit à Dêdé pour le soigner. Chaque matin elle l’emportait avec elle sur son dos quand elle allait chasser des lougans les perroquets qui venaient pour manger la récolte. Elle s’asseyait sur une grande termitière et faisait sauter le petit garçon dans ses bras pour apaiser ses cris. En même temps elle chantait :

Tais-toi petit de griote.
Le jour que mon père m’a donnée au massa148
C’est pour que je sois celle qui couche avec le roi.
Le jour que ma mère m’a donnée au massa
C’est pour que je sois celle qui couche avec le roi
Tais-toi petit de griote. Tais-toi !

Tous les jours elle répétait cette chanson.

Il arriva qu’un jour une vieille qui cherchait des champignons en bordure du lougan entendit Dêdé chanter. Elle s’en fut trouver le roi et lui dit : « Grand massa, si tu me rassasies de viande sans os, je t’apprendrai une nouvelle intéressante149 ».

Le roi lui fit donner des œufs durs autant qu’elle en voulut. Alors la vieille lui déclara ceci : « La femme qui est chez toi comme ta femme n’est pas la vraie fille du roi. C’est sa griote seulement. Si tu tiens à savoir la vérité, fais venir ici toutes les filles du village et ordonne leur de répéter la chanson qu’elles chantent le matin en effarouchant les oiseaux pilleurs de lougans ».

Le massa fit convoquer toutes les filles du village, chacune portant l’enfant confié à ses soins. Il les invita à répéter la chanson qu’elles chantaient le matin : et elles obéirent. Quand vint le tour de Dédé, qui était la dernière, celle-ci chanta une tout autre chanson que celle que la vieille avait surprise. Alors cette dernière, qui se tenait au côté du chef, dit : « Ce n’est pas cette chanson-là ! »

Le massa tira son sabre du fourreau et menaça la fausse griote de l’égorger sur le champ si elle ne chantait pas la véritable chanson.

Épouvantée, Dêdé déposa à terre l’enfant qu’elle avait sur son dos puis, le reprenant et le faisant sauter dans ses bras, elle chanta :

Tais-toi, petit de griote, etc.

Quand elle eut fini de chanter, le massa comprit de quelle fourberie il avait été la victime. Il fit venir la griote et lui coupa la gorge. Dêdé alors se lava les mains dans le sang de l’aventurière150 et prit la place à laquelle elle avait droit.

Quant au fils de griote, on le rendit à ceux de sa caste.

Conté par KAMISSA SOUKO, femme malinké

(région de Siguiri) épouse de MAMADOU LY,

interprète à FADA NGOURMA.

Traduit par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS §

Cf. contes allemands « Falada » et « Die beiden Wanderer. Cf. aussi : La biche au bois ».

VIII. Les calaos et les crapauds

(Malinké) §

En ce temps-là, crapauds et calaos vivaient en bonne intelligence. Le roi calao avait donné sa fille en mariage au roi des crapauds.

Un fils était né de cette union. Un jour, il dit à sa mère : « Je vais rendre visite à « grand-papa calao ». Il se mit en route avec un camarade et ils arrivèrent chez le grand-père.

Le camarade du prince crapaud se prit de querelle avec un des oncles de son ami. Celui-ci le saisit et — crac ! — d’un coup de bec, il le coupa en deux. L’oncle calao avala par mégarde un des morceaux et surpris d’y trouver si bon goût, il porta l’autre morceau au grand-père calao en lui disant : « Baba ! la chair de ces sales bêtes est délicieuse à manger. Goûtes-en donc ! »

Grand-papa calao prit le morceau et l’avala. La chair de crapaud lui parut d’une saveur réellement très agréable. Il y prit goût à tel point qu’il résolut de s’en procurer de nouveau. Mais il ne voyait pas le moyen de parvenir à ses fins.

Il alla trouver le chat151 et lui fit part de son désir et de son embarras. « Tu es le beau-père du roi des crapauds, lui répondit le chat. Eh bien ! tu n’ignores pas que, lorsqu’on a accordé sa fille à quelqu’un, l’usage veut que le gendre vienne cultiver le champ de son beau-père ! Envoie inviter le roi crapaud à défricher ton lougan demain matin. Il viendra, accompagné de tout son peuple, et tu pourras faire d’eux tout ce qu’il te plaira ».

Grand-père calao envoya donc mander son gendre. Et toute la gent crapaude arriva, précédée d’un griot152 qui frappait du dounnou153 et qui chantait :

Culture pour le beau-père (bis).
Culture de la gent crapaude pour le beau-père !

Tous les calaos s’étaient cachés autour du lougan. Les crapauds pénétrèrent dans le champ de grand-papa calao, sans donner d’autre avis de leur venue — comme, d’ailleurs, le prescrivent les convenances en pareil cas. — Et ils commencèrent à défricher.

Tous en même temps, les calaos se précipitèrent sur eux et les gobèrent.

Depuis lors jamais plus crapauds et calaos ne redevinrent d’accord.

KAMORY KEÏTA dit SAMBA DIALLO, 1911.

Interprété par SAMAKO NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS §

Comparer à la fable de La Fontaine. Le chat et les 2 moineaux.

IX. Chassez le naturel…

(Kissien) §

Le lièvre et le singe s’entretenaient un jour. Et, tout en conversant avec son interlocuteur, chacun d’eux laissait libre cours à son tic familier. De temps à autre, le singe se grattait de brefs coups de patte saccadés et le lièvre, qui redoute sans cesse d’être surpris par quelque ennemi de sa race, ne pouvait s’empêcher à tout instant de tourner la tête tantôt d’un côté, tantôt de l’autre.

Les deux animaux ne pouvaient se tenir en repos.

  • « Il est extraordinaire vraiment, fit observer le lièvre au singe, que tu ne puisses laisser passer une minute sans te gratter ! »
  • — « Ce n’est pas plus singulier que de te voir sans répit tourner la tête dans toutes les directions ! riposta le singe ».
  • — « Oh ! protesta le lièvre, je saurais bien m’en empêcher, si j’y tenais absolument ».
  • — « Eh bien ! voyons si tu pourras y parvenir. Tâchons, toi et moi, de rester immobiles, celui qui bougera le premier aura perdu son pari ».
  • — « Entendu ! » accepta le lièvre.

Et tous deux s’étudièrent à ne pas faire le moindre mouvement.

L’immobilité ne tarda guère à leur sembler insupportable. Le singe se sentait démangé comme jamais il ne l’avait été de sa vie. Quant au lièvre, il éprouvait de vives angoisses au sujet de sa sûreté depuis qu’il ne pouvait plus lancer à tout instant des coups d’œil furtifs vers chacun des points de l’horizon.

A la fin, n’y tenant plus :

  • « Au fait ! dit-il notre pari ne nous interdit pas de nous raconter quelque histoire pour rendre le temps moins long, n’est-il pas vrai, frère singe ? »
  • — « Assurément ! répondit celui-ci, qui se doutait de quelque stratagème de son compère et s’apprêtait à en faire son profit en s’inspirant de l’exemple qu’allait lui donner le lièvre ».
  • — « Eh bien ! je commence, dit ce dernier. Figure-toi qu’un jour de saison sèche, me trouvant dans une vaste plaine, je courus le plus grand danger… ».
  • — « Tiens ! s’exclama le singe, il m’est arrivé la même chose à moi aussi !… »
  • — « Oui ! poursuivait le lièvre pendant ce temps, je vis des chiens accourir vers moi en aboyant. Il en venait de tous côtés : à droite !… à gauche !… devant moi !… derrière moi !… Je me tournais de ce côté… j’en entendais par là et puis par là… et par là encore ! »

Et tout en disant cela sire lièvre, comme entraîné par son récit, mimait ses inquiétudes en cette occurrence fâcheuse et regardait dans toutes les directions auxquelles il faisait allusion.

Le singe, de son côté, racontait son histoire, sans écouter le moindrement ce que disait son interlocuteur.

« Un jour, disait-il, je fus assailli par une troupe d’enfants qui me pourchassèrent à coups de pierres. J’en recevais ici ! — (Il se grattait le flanc droit comme pour désigner la place où le coup avait porté) là !… (au flanc gauche) sur les reins, à la cuisse, à la nuque ». Et, à chaque partie du corps qu’il nommait ainsi, il l’indiquait d’un geste précipité qui faisait cesser l’impérieuse démangeaison.

Le lièvre ne pouvait plus contenir son envie de rire. Il éclata ! Et le singe, en le voyant pouffer, rit aussi de tout son cœur.

  • — « Oui ! Oui ! lui dit-il je t’entends. Vois-tu, nous aurons beau dire et beau faire, jamais nous ne changerons notre naturel. La preuve en est faite et bien faite. Tenons-nous en là. Nul de nous n’a gagné le pari et nul de nous ne l’a perdu ».

Conté par EDOUARD NGOM.

ECLAIRCISSEMENTS. §

Cf. Conte Le lièvre et l’hyène aux cabinets.

Noter que le lièvre ici est représenté comme le type de l’animal craintif.

X. Service de nuit.

(Ouolof) §

En 1884, à Saint-Louis j’ai vu quelque chose d’extraordinaire.

C’est en remplissant une mission dont m’avait chargé mon officier : M. Baffart-Coquard, sur mon retour de N’Diago154 entre une heure et deux heures du matin. J’avais été envoyé pour faire revenir l’aide de camp du colonel, commandant supérieur des troupes de Saint-Louis. La cause de cette convocation c’est que l’aide de camp en question : M. le lieutenant Fametal rendait impossible le bal qui avait lieu à N’Diago ce soir là. Il était plus joli que tous les autres officiers qui dansaient là-bas.

Aussi ses camarades avaient-ils arrangé un bon tour pour l’obliger à rentrer à Saint-Louis.

J’avais accompagné mon lieutenant à N’Diago. Jusqu’à une heure du matin j’étais resté couché avec les soldats d’infanterie. A ce moment, mon lieutenant est venu me réveiller. Il m’a dit : « Ahmadou, il ne faut pas avoir peur. Un spahi n’a jamais peur ! Il y a un camarade à nous, un officier qui gâte tout le bal. Personne ne sait comment l’en empêcher. Aussi je te charge d’une mission — et le capitaine que tu vois t’en charge aussi. (Ce capitaine était de l’infanterie). Si tu fais ce qu’il faut, nous te donnerons 20 francs de bounia155 ».

  • — Et moi je lui réponds : « Mon lieutenant, il y a dans le bal un commandant à quatre galons ! Il y a un lieutenant-colonel et vous voulez me faire mentir devant mes supérieurs ! Le colonel, commandant supérieur des troupes va me f….. dedans !
  • « — Ce n’est pas la peine de t’effrayer, Ahmadou, je me rends responsable de ce qui arrivera.

Alors je dis :

  • « C’est bon ! ».
  • « — Va t-en seller ton cheval et vivement ! Dès que ce sera fait, monte dessus aussitôt. Et puis arrive au triple galop et entre dans la salle en parlant fort devant tous les officiers qui sont là. Dis hardiment : « Lieutenant Fametal, répondez ! Le commandant supérieur des troupes de Saint-Louis vous ordonne de rentrer immédiatement car vous êtes venu au bal sans permission. »
  • — Je monte à cheval. Je trotte d’abord comme si j’étais en colère puis, lorsque je suis tout près, je charge !

La moitié de ceux qui étaient au bal se sauvent. On se demande : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » Moi je réponds : « C’est moi, spahi ! J’arrive directement de Saint-Louis. Je viens avec mission du colonel, commandant supérieur des troupes, appeler son secrétaire Monsieur le lieutenant Fametal ! Il est venu au bal sans permission. Et le colonel, commandant supérieur des troupes m’a chargé de lui dire de me suivre et de revenir en même temps que moi à Saint-Louis ». (Ce n’était pas vrai. Je l’ai dit, mais je mentais).

Je dis au lieutenant : « Mon lieutenant, je ne puis vous attendre car on m’a donné l’ordre de me dépêcher. »

Je m’en retourne. J’arrive à Saint-Louis à deux heures du matin. Les coqs commençaient à chanter. Je passe devant la maison de Michas… et tout à coup je vois quelque chose qui, partant du sol, montait si haut que mes yeux n’en pouvaient voir la fin.

C’était tout blanc !

Mon cheval s’est cabré par trois fois ! Il ne voulait pas suivre la rue où nous étions. Je lui donne une forte claque pour le forcer à passer. Il refuse de m’obéir !

Alors le guinné qui était devant moi devient comme un bâton qui brûle ! Qu’est-ce que c’est que cela ? me dis-je et un vent froid me passe dans le cou et sur le crâne ! Le cheval refusait d’avancer. Je le fais tourner pour prendre une autre rue, je passe enfin.

Le lendemain, j’ai demandé aux vieilles gens ce que cela signifiait. On m’a répondu : « C’est un guinné que tu as rencontré. Si tu n’avais pas été sur ton cheval tu serais devenu fou. Quand tu es à cheval, les guinné ne peuvent pas faire leurs sottises car ils sont amis des chevaux ». (— Toi, commandant, tu ne l’as jamais remarqué ? La nuit ils viennent blaguer avec eux, leur tresser les crins156… Non ? Tu ne me crois pas ? Vous autres blancs, vous ne voulez jamais rien croire ! Enfin bon ! —).

Le lendemain tout le monde est rentré à Saint-Louis. Le lieutenant, Monsieur Fametal, a quitté la maison du colonel, commandant supérieur des troupes. Il est venu me trouver chez mon officier, Monsieur Baffart-Coquard. Il m’a dit : « Spahi, tu as de la chance que ton supérieur soit là ! Chaque fois que je te rencontrerai sans lui, je te fais fusiller ».

Il était venu, à deux heures du matin, réveiller le colonel commandant supérieur des troupes. Il lui avait demandé : « Mon colonel, c’est vous qui m’avez fait appeler ? » Et le colonel avait répondu : « Parbleu ! ce sont vos camarades qui vous ont f….u dedans ! »

Comme il ne pouvait plus retourner à N’Diago, il avait été forcé d’aller se coucher.

Le lieutenant et le capitaine m’ont donné les 20 francs.

Tiens ! je suis fatigué ! J’ai chaud ! Donne-moi l’alcool de menthe que tu m’as promis pour cette histoire là.

Moi j’ai vu ça ! Ce ne sont pas des kalao-kalô !157

Conté par AHMADOU DIOP.

XI. Le plus brave des trois.

(Bambara) §

Deux amis vivaient dans un même village, chacun avec sa maîtresse. Un jour, la maîtresse de l’un d’eux alla en promenade dans un village pas très éloigné. Au soir, l’amant, qui se nommait Kéléké, ne la voyant pas revenir, pria Missa, son ami, d’aller au devant d’elle.

Comme Missa revenait avec la jeune femme, celle-ci qui marchait en avant de lui aperçut un morhoméné ouâra158 (c’est-à-dire une panthère mangeuse d’hommes)159 qui s’avançait à leur rencontre.

« Missa, dit-elle, voilà une panthère qui vient sur nous ».

  • — « Attends un peu, répondit-il. Je vais la tuer ».

Il tire son grand sabre et, d’un coup, abat le fauve mangeur-d’hommes. Ensuite il dit à la femme : « Il faut que je mette à l’épreuve la bravoure de ton amant ! Étends-toi sur le dos, je vais placer le morhoméné ouâra sur toi, les pattes de derrière repliées sur tes cuisses, celles de devant sur ta poitrine et sa gueule à ta gorge. Puis j’irai prévenir Kéléké que tu viens d’être étranglée par une panthère et qu’elle est en train de te dévorer. Nous verrons s’il a du courage ! »

La femme accepte l’épreuve et Missa, la laissant là toute seule dans l’obscurité ; s’en va trouver son camarade :

« Ami, lui dit-il en l’abordant, près de la grande termitière rouge qui se trouve sur la route du village voisin, une panthère m’a pris ta maîtresse et elle est en train de la dévorer. J’ai eu peur et je me suis enfui ».

Kéléké n’attend même pas que son camarade ait fini de parler. Sans armes, sans même un bâton, il part comme le vent. Missa a peine à le suivre. Quand il est auprès de la bête, Kéléké se précipite sur elle et, d’un formidable coup de poing, la rejette violemment sur un côté du chemin.

Sa maîtresse alors se relève et lui dit en riant : « Ne te fais pas de mal à la main ; le morhoméné ouâra est déjà mort. Missa et moi nous avons voulu savoir si tu m’abandonnerais en cas de péril réel ».

Dites-moi : quelle est, de ces trois personnes, la plus brave ? Est-ce Missa qui a osé s’attaquer au morhoméné ouâra, armé d’un simple sabre ? Est-ce la femme qui a eu le courage de rester seule, en pleine nuit, sous le cadavre du fauve, sans savoir si celui-ci était tout à fait mort ou bien encore si une autre panthère ne surviendrait pas ?

Est-ce enfin Kéléké qui voulait combattre l’animal, armé de ses seuls poings ?

Conté par SAMAKO NIEMBELÉ dit SAMBA TARAORÉ.

XII. L’homme touffu

(Dyerma) §

Un père de famille, à sa mort, laissa deux orphelins, un fils appelé Daouda et une fille du nom d’Aïssata. Cette dernière était si jolie que son frère craignit que le roi ne la lui enlevât de force. Aussi construisit-il dans son lougan même160 une case où il logea sa sœur pour la soustraire à la vue du kuohi161. Il cessa lui-même d’habiter le village et vécut près d’Aïssata pour la protéger, si besoin en était.

Un jour que Daouda chassait l’éléphant, un bouvier se présenta à la porte de la case et demanda à boire. L’orpheline lui apporta de l’eau.

Après avoir bu, le bouvier dit à la jeune fille : « Tu es vraiment jolie ! Si tu y consens, je te prendrai comme femme et je te donnerai cent taureaux en dot ».

  • — « Éloigne-toi bien vite, répondit Aïssata, mon frère ne saurait tarder. S’il te rencontrait ici, tu serais un homme mort ».

Le bouvier tint compte de l’avis et s’enfuit sans même s’occuper de son troupeau qui paissait près du champ de mil des orphelins. Une fois rentré au village, il courut trouver le roi et lui dit : « Kuohi, je sais où il y a une fille d’une beauté sans égale et je puis te l’amener, à condition que tu me donnes des hommes pour l’enlever car elle est gardée par son frère qui est d’une extrême cruauté ».

Le roi le fit escorter par 30 cavaliers et il les guida vers la case de Daouda. Quand la petite troupe fut à peu de distance de la case, le bouvier se rappela la menace que lui avait faite Aïssata de la vengeance de son frère. La peur le reprit. Il s’arrêta net et, s’adressant à son escorte : « Entourez cette case, dit-il. C’est là que se trouve la jolie fille que nous devons amener au kuohi. Pour moi, je vais à la recherche de mon troupeau qui s’est égaré ce matin ».

Les cavaliers marchèrent à la case. Aïssata qui les voyait venir de loin appela son frère en lui criant : « Voici des cavaliers qui viennent m’enlever ».

Daouda cessa aussitôt son travail de culture, rentra dans la case prendre ses armes et revenant, l’arc tendu et le carquois à l’épaule, il dit à sa sour : « Je vais les tuer tous, à l’exception d’un seul qui ira annoncer la mort de ses compagnons à celui qui les a envoyés ici ».

Les cavaliers étaient maintenant proches de la case. Ils poussaient des cris aigus pour épouvanter le défenseur d’Aïssata, mais Daouda commença à décocher ses flèches dont chacune traversait de 3 à 4 cavaliers. Il abattit ainsi 29 hommes et n’épargna que le dernier qui s’enfuit et alla prévenir le roi du désastre.

Le kuohi exaspéré ordonna à cent cavaliers et à cent guerriers à pied d’aller s’emparer de la jeune fille. De tous ces hommes il n’en revint qu’un au village. Les autres avaient été tués par Daouda.

Successivement le kuohi envoya plusieurs colonnes qui furent, les unes après les autres, anéanties par l’orphelin.

Un jour, une vieille vint le trouver et lui dit : « Tu gaspilles tes guerriers sans résultat. Si tu me promets un présent de valeur, dès demain tu auras en ton pouvoir la jolie fille, sœur de celui qui a tué plus de la moitié de tes guerriers.

  • — « Trouve le moyen de me procurer cette jeune fille, déclara le kuohi et ton fils aura pour femme une de mes filles ».

La vieille salua le roi et s’en revint chez elle, où elle fit bouillir une plante soporifique puis, après avoir retiré de cette décoction les feuilles qu’y avaient bouilli, elle y délaya de la farine de mil. De cette pâte légère elle fabriqua des « mâssa »162.

La vieille prit alors le sentier qui menait au lougan des orphelins et tout, en marchant, elle criait « Mâssa ! Qui veut acheter de bonnes mâssa ? » Daouda, qui n’avait pas goûté de ces galettes depuis son départ du village, héla la vieille, lui en acheta deux et les mangea à belles dents. Il n’avait pas fini de mâcher la dernière bouchée qu’il tomba à terre profondément endormi.

La vieille ne perdit pas de temps. Elle courut prévenir le kuohi qu’il pouvait sans crainte envoyer prendre Aïssata par 2 hommes seulement car son défenseur ne se réveillerait pas avant le lendemain.

Le roi dépêcha deux hommes avec ordre de se saisir de l’orpheline. Quand Aïssata les aperçut, elle secoua son frère « Réveille-toi ! Deux hommes viennent pour s’emparer de moi ! — Passe moi mon carquois et mon arc ! » balbutia Daouda, sans faire le moindre mouvement, tant il était paralysé par le sommeil.

Les cavaliers s’emparèrent d’Aïssata et l’emportèrent chez le roi qui l’épousa. Quand Daouda reprit ses sens et qu’il s’aperçut de la disparition de sa sœur, il devint à moitié fou de rage. Il s’enfonça dans la forêt ne voulant plus voir d’êtres humains. Il y vécut, chassant avec les ziné ; il mangeait et dormait en leur compagnie. Il était devenu tout à fait sauvage ; des arbustes, des herbes poussaient sur sa tête.

Un jour que, fatigué de marcher, il s’était étendu sous un arbre, des bûcherons l’aperçurent. Ils se jetèrent sur lui, le ligottèrent et l’entraînèrent au village où ils le livrèrent au roi.

Le kuohi fit couper les herbes et les arbustes qui lui avaient poussé sur la tête ; on lui rasa les cheveux. Ensuite le roi le donna à sa femme Aïssata pour qu’il gardât l’enfant qu’elle avait eu de lui. Aïssata ne reconnut pas en ce captif son frère Daouda ; mais lui l’avait reconnue dès en entrant dans sa case. Il prit l’enfant et chanta cette chanson : « Ô mon neveu amuse-toi ! Fils de celle que j’ai nourrie avec le lait des vaches de notre père, amuse-toi ! »

Aïssata, en l’entendant, se mit à pousser des cris. Le kuohi accourut avec ses captifs et s’inquiéta de ce qu’elle avait à crier ainsi « Kuohi ! dit-elle, tu as fait de mon frère ton captif et tu me l’as donné pour garder mon fils ! »

Le roi demanda à Daouda si Aïssata disait la vérité. Celui-ci alors raconta au kuohi toute son histoire ; quand il fut à la fin, son beau-frère lui donna de l’or et de l’argent en quantité, des bijoux, des chevaux, des vaches et lui abandonna tout pouvoir sur la moitié du village. Par la suite il lui confia une colonne à commander car Daouda avait prouvé, aux dépens même du roi, qu’il était brave et qu’il tirait adroitement de l’arc.

Conté par FATIMATA OAZI.

Traduit par SAMAKO NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS §

Cf. La princesse du Soleil (Luzel, Contes et légendes des Bretons Armoricains.) Merlin-devin (De La Villemarqué, Barsaz-Breiz) Sneewittchen (Grimm).

XIII. Pourquoi les poules éparpillent leur manger

(Bambara) §

On avait apporté une calebasse de karité à la poule et au chien. Tout le beurre de karité qui embeurrait les légumes était descendu au fond de la calebasse, si bien que le dessus se trouvait complètement sec.

Le chien, qui savait à quoi s’en tenir, ne s’attarda pas à manger le dessus du plat. Il enfonça son museau jusqu’au fond de la calebasse et fit ses délices des haricots ruisselants de beurre qu’il atteignait ainsi.

La poule, moins avisée, ne picorait que le dessus du plat.

Quand les deux convives furent rassasiés, le chien retira son museau de la calebasse et dit à la poule : « Faut-il que tu sois bête pour ignorer que jamais on ne doit manger d’un plat sans s’assurer de ce qui se trouve au fond ! »

C’est depuis ce jour-là que les poules ont pris l’habitude de gratter et d’éparpiller leur nourriture pour voir d’abord le fond du plat qu’on leur donne à manger.

Conté par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.

XIV. Le procès funèbre de la bouche

(Gourmantié) §

Quand la bouche fut morte, on consulta les autres parties du corps pour savoir d’elles laquelle se chargerait de l’enterrement.

La tête, qu’on avait interrogée la première, déclara ne pas vouloir entendre parler de cette corvée-là « C’était toujours la bouche qui se plaignait d’être fatiguée quand, moi seule, je portais les fardeaux ! déclara-t-elle Que quelque autre se charge de l’inhumation ! »

L’oreille aussi refusa toute assistance « C’est moi qui entends, récrimina-t-elle et c’était toujours cette présomptueuse qui se targuait d’avoir entendu ! »

  • — « De même pour nous ! déclarèrent les yeux. Ce que nous apercevions, c’était elle toujours qui, à l’en croire, l’aurait vu ! » Les mains, à leur tour, refusèrent la tâche : « Ce n’est qu’une ingrate à qui il est arrivé maintes fois de nous donner un coup de dent lorsque nous lui portions la nourriture ! »
  • — « Et moi, s’écria le ventre, j’ai contre elle de trop amers griefs ! Ne s’est-elle pas cent fois déclarée rassasiée, alors que j’avais encore faim ? En tant de circonstances elle m’a empêché par son orgueil de me remplir à ma convenance ! »

Le pied ne montra pas moins d’acrimonie contre la défunte. « Cette bouche ! dit-il, elle s’attribuait des mérites qu’elle n’avait nullement ! A tout instant on l’entendait dire : je suis allée ici ; je me suis rendue là. Était-ce elle qui y allait, elle qui s’en vantait si glorieusement ? On aurait juré vraiment qu’elle faisait tout et les autres rien ! » Quand fut venu le tour du « bengala »163 il montra plus de complaisance « Ce sera moi qui l’enterrerai ! déclara-t-il, car elle fut pour moi une servante et une amie. C’était elle qui parlait pour moi quand j’éprouvais le besoin de me donner un peu de mouvement. C’était elle qui me donnait à manger164 ».

Ainsi la bouche trouva tout de même son fossoyeur mais, il faut le reconnaître, ce n’avait pas été sans peine.

Conté par BENDIOUA.

Traduit par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS §

Ce récit fait songer quelque peu à la fable « Les membres et l’estomac ».

XV. Le fils du sérigne

(Ouolof) §

Samba Atta Dâbo, l’exorciste, m’a raconté ceci :

Il y avait un sérigne165 très savant qui envoya son fils voyager : « Pars demain matin de bonne heure, lui recommanda-t-il, et la première chose que tu trouveras sur ton chemin, avale-la. La deuxième chose que tu verras, tu devras l’enterrer. Quant à la troisième qui se rencontrera, regarde-la bien pour te rendre compte exactement de ce que ce sera. Enfin, si tu vois encore quelque chose pour la quatrième fois, demandes-en le nom. Et quand le nom t’en aura été donné, alors tu reviendras ici. »

Au matin le gourgui166 s’est mis en route. Il a suivi le chemin que lui avait indiqué son père jusqu’à ce que quelque chose se soit montré à ses yeux. Cette première chose c’était une sorte de grande case.

« Comment avaler cela ? » se demande-t-il, tout effrayé.

Mais la case diminue, diminue… et devient grosse à peine comme une graine de dar’har167. Il l’a avalée sans difficulté.

Il poursuit son voyage. Et voici qu’il rencontre de nouveau quelque chose : un siga, c’est-à-dire un petit morceau de bois, de la grosseur d’un crayon à peu près. Se souvenant des ordres de son père, il a mis le siga dans le sable, mais, immédiatement, le siga saute du trou où il a tenté de l’enterrer. Et chaque fois que le gourgui essaie de remettre en terre le siga, le siga lui saute des mains. Pas moyen de le faire rester aux endroits où il veut le mettre ! Il y renonce.

Ensuite le gourgui a rencontré 3 séanes168. Dans le premier il y avait de l’eau ; dans le dernier aussi, mais rien dans celui du milieu. Après qu’il eut laissé les séanes derrière lui, il se trouva en face d’un ouarhambâné169 plus fort qu’Oumar170, deux fois plus grand. Il est venu ramasser du bois avec deux lanières de cuir. Il en a formé un énorme fagot. Chaque fois qu’il soulève ce fagot pour se le mettre sur la tête, le trouvant trop lourd, il le rejette à terre et se remet à ramasser du bois pour l’ajouter à cette charge qu’il lui est déjà difficile de soulever.

Le gourgui demande à cet homme :

« Comment t’appelles-tu ? » — Et l’autre lui répond : « Mon nom est Adina ».

Le fils du marabout est revenu chez son père pour lui raconter ce qui lui est arrivé. Le sérigne lui dit : « Qu’as-tu vu, mon petit garçon ? — Mon père, dit-il, j’ai d’abord vu quelque chose qui ressemblait à une case ». — « C’est la misère qu’elle représente, explique le père. Ceux qui gardent bien leur misère en leur cœur verront un jour leur ennui les quitter. Qu’as-tu rencontré après cela ? »

  • — « J’ai vu, dit le gourgui, un morceau de bois de la grosseur d’un siga ».

« — Voilà un heureux présage pour tout le monde ! Allah vous revaudra plus tard ce que vous aurez fait sur terre. Et personne ne pourra cacher dans la terre les bonnes actions faites par autrui. Elles en ressortent toujours. »

« — J’ai vu encore trois séanes, dit le gourgui. Le premier communiquait avec le troisième mais, dans celui du milieu, il n’y avait rien. Que signifie cela ? »

« — Cela veut dire, répond le sérigne, qu’à la fin du monde seuls les hommes riches seront en bons rapports entre eux. Quant aux pauvres, on les rejettera : ils ne compteront plus ».

Le gourgui rapporte enfin que le porteur de bois ne pouvait arriver à soulever son fardeau et que, chaque fois qu’il avait en vain tenté de le faire, il allait chercher d’autres branches pour les ajouter à ce fagot déjà trop lourd : « Ce porteur, dit-il m’a déclaré se nommer Adina171 ».

« — Ah ! répond le savant marabout, celui-ci a dit vrai en se donnant ce nom. A la fin du monde on verra ceux qui ne peuvent venir à bout de leur tâche en augmenter eux-mêmes les difficultés, ne faire que des sottises, de sorte que leur embarras n’aura pas de fin. Ils feront comme les débiteurs qui augmentent sans cesse le chiffre de leurs dettes. »

C’est ainsi que le sérigne expliqua à son fils ce que ce dernier avait vu.

Conté par SADIANDIAM DABO.

Interprété par AHMADOU DIOP.

ÉCLAIRCISSEMENTS §

Cf. (présent recueil) Kahué l’omniscientTrois frères en voyage et (Monteil, Contes soudanais), le conte khassonké, intitulé : Curieux.

XVI. Le dévouement de yamadou havé

(Khassonké) §

Il y a 400 ans environ, des Peuhl descendant de Diâdié, fondèrent un village du nom de Bambéro, qui tire ce nom d’une montagne voisine. Le village peu à peu prit de l’importance et ne tarda pas à compter 333 flèches ou guerriers. Les Tomaranké (Khassonkè172 et Malinké du Tomara dans la région de Médine) virent d’un mauvais œil la prospérité rapide de ces nouveaux venus et, poussés par la jalousie et la cupidité, leur déclarèrent la guerre.

Les Peuhl étaient bien peu nombreux encore pour résister à tant d’ennemis mais, malgré cela, ils se résolurent à la résistance la plus acharnée. Un marabout de Souyama-Toran, qui devait plus tard fonder le royaume du Boundou et qui, à ce moment, voyageait dans le Haut-Sénégal pour s’instruire, vint alors à Bambéro. Il se nommait Malick Sy173. Il proposa aux Peuhl de leur préparer un grigri qui leur assurerait la victoire malgré leur grande infériorité numérique : « Mais, ajouta-t-il, il vous faudra souscrire à la condition que je vais vous poser… »

« — Parle ! dirent les Peuhl ».

« — Voici ma condition : vous fixerez ce grigri à la pointe d’une flèche. Au début du combat, l’un de vous que je sais, un membre de la famille de Diâdié, un de ceux que vous aimez le plus de vos concitoyens, décochera la flèche au milieu des ennemis. Il sera tué dans le combat mais, à ce prix, je vous garantis la victoire. »

Chacun alors de s’offrir pour ce mortel honneur mais Malick Sy resta inébranlable jusqu’à ce qu’un jeune homme du nom de Mamadou ou (Yamadou) Hâve se fût proposé.

Alors le marabout déclara : « Celui-ci est l’homme que j’attendais ! »

« — Voilà qui est bien, dit Yamadou aux Peuhl, mais, puisque je m’offre pour votre salut, je vous demande de consentir à votre tour à mes demandes !

Il y avait là quatre tribus Peuhl : les Diallo, les Diakhité, les Sidibé, les Sankaré. Toutes donnèrent leur consentement.

  • — « Le marabout, reprit Yamadou, a dit que, par la vertu du talisman, je mourrai demain pour le salut de ma race. Je suis prêt ; mais j’ai trois enfants : deux garçons et une fille ; le premier est Ségo Dohi, le second : Mamadou Dohi et la troisième : Sané Dohi. Chers Peuhl, je vous les confie, eux et leurs enfants ! Je demande que leurs descendants commandent aux Peuhl du Khasso. Je désire qu’ils puissent épouser les femmes de votre race. Bien entendu, je ne parle que de celles qui seraient libres et à qui ils pourraient se marier sans enfreindre les prescriptions d’Allah. »

Les Peuhl ont, à l’unanimité, déclaré qu’il en serait selon son désir.

C’est à la mare de Tombi-Fara que s’est produit le choc entre les Malinké et les Peuhl.

Dès le début de l’action, Yamadou Hâvé s’est précipité, sa flèche en main, jusqu’au milieu des ennemis et les en a frappés. Il s’est battu vaillamment et n’est tombé qu’au moment où les Malinké prenaient la fuite. Et la prédiction du marabout s’est entièrement réalisée. La victoire resta aux Peuhl. Leurs adversaires avaient perdu leur roi et leur armée fut anéantie.

La paix était assurée pour de longues années et les Peuhl s’acquittèrent de leur dette envers les enfants du héros. Ils les élevèrent avec considération. S’ils empoisonnèrent Mamadou Dohi à cause de son intolérable arrogance, ils firent de Ségo Dohi leur roi, dès sa majorité et maintinrent le pouvoir suprême à ses descendants.

C’est de Ségo Dohi que descendent : Mojacé Sambala, chef de Médine ; Diourha Sambala un des défenseurs de cette ville avec Paul Holl ; Kinty Sambala, allié de la France et l’interprète Alfa Séga.

Hava Demba aussi en descend, lui qui fut l’allié de l’émir Abdoul Rhady dans la guerre du Diolof du temps de Napoléon Ier.

Conté par CLEVELAND, écrivain indigène.

ÉCLAIRCISSEMENTS. §

Cf. le dévouement de Décius, de Codrus, d’Arnold de Winkelried et de la reine Pokou (La conquête du Baoulé. Delafosse).

XVII. La flûte d’ybilis

(Bambara) §

Un enfant qui était sorcier, mais que sa mère portait encore sur le dos, dit un jour à celle-ci : « Mère, porte-moi chez mon oncle ; j’ai envie de le voir ».

La mère le chargea sur son dos et se dirigea vers le village de son frère. En route, la pluie l’obligea à s’abriter dans une vieille case pleine de crânes humains. C’était la case d’Ybilis.

Au bout de quelques instants ils entendirent Ybilis qui rentrait. La mère et l’enfant se cachèrent dans la toiture et aussitôt Ybilis parut, porteur d’un cadavre qu’il venait de déterrer.

Il posa son fardeau à terre puis, se débarrassant de sa flûte, il la ficha dans la paille de la toiture, là où il avait pour habitude de la placer. Il alluma ensuite un grand feu qui dégagea une fumée épaisse. Cette fumée incommoda fort le petit qui se mit à crier : « Mère ! Mère ! la fumée ! »

Ybilis fut grandement surpris d’entendre cette voix. Il s’imagina que c’était le cadavre qui parlait. Il reprit sa flûte et sortit de la case malgré la pluie qui continuait à tomber à torrents. Une fois dehors, il se mit à jouer la flûte. Et sa flûte disait :

J’ai déterré des cadavres du côté du Levant
Et du côté où tombe le soleil.
Et nul cadavre ne m’a dit :
« Mère ! la fumée ! Mère ! la fumée ! »

Cela fait, Ybilis rentra et remit sa flûte où il l’avait prise. Le bois manquant tout à coup pour entretenir le feu, il sortit de nouveau pour aller en ramasser.

Avant qu’il fût de retour, le petit redescendit de la toiture avec sa mère et s’empara de la flûte d’Ybilis, puis il reprit sa place sur le dos de la femme, et tous deux regagnèrent le village.

Ybilis revint avec du bois. Il fit cuire le cadavre et s’en repût.

Le lendemain seulement, au moment de repartir à la recherche des cadavres, il chercha sa flûte pour l’emporter avec lui mais il lui fut impossible de mettre la main dessus.

Vingt années entières, il la chercha partout sans succès. Un jour enfin qu’il arrivait près d’un village il entendit un bilakoro174 jouer de la flûte : Et cette flûte disait :

J’ai déterré des cadavres vers le Levant
Et du côté où tombe le soleil
Et nul de ceux-là ne m’a dit
« Mère ! la fumée ! Mère ! la fumée ! ».

« Oh mais ! murmura Ybilis, c’est de ma flûte qu’on joue là-bas ! » Il alla près de l’adolescent sous une forme qui ne pouvait éveiller la défiance de celui-ci puis, arrivé tout à côté de lui, il se changea en arbre.

Le soir, quand le bilakoro rassembla ses moutons pour regagner le village, Ybilis prit la forme d’une femme très belle et le suivit ainsi jusqu’à la case de ses parents. Il y entra avec lui et dit au père : « Je n’ai pas de mère et je suis venue pour t’épouser ».

Le père était cet enfant d’autrefois qui avait dérobé à Ybilis sa flûte. Il reconnut du premier coup d’œil à qui il avait affaire mais il dissimula : « Cela va bien, répondit-il, et je vais te prendre pour femme ».

Il donna à sa première épouse l’ordre de faire chauffer de l’eau pour ses ablutions. Après s’être lavé, il vint trouver Ybilis : « Femme, lui dit-il, c’est à ton tour d’aller te laver. Il reste de l’eau là-bas. Vas-y. Ensuite tu viendras me rejoindre dans ma case où tu me trouveras couché sous ma couverture et tu te coucheras derrière moi175 ».

Ybilis alla faire ses ablutions. Avant qu’il revint, l’homme avait lié ensemble trois pilons à mil et les avait placés sous la couverture de façon à faire croire que c’était un homme qu’elle recouvrait.

Quand Ybilis revint, il aperçut cette forme confuse et se coucha près d’elle sans souffler mot mais, à minuit, il se réveilla et, d’un seul coup de ses mâchoires, il trancha net les trois pilons, croyant tuer son voleur de flûte. Ensuite il partit, sans se préoccuper de son instrument.

Le lendemain l’homme appela sa vieille mère et lui raconta ce qui s’était passé. On ne revit plus Ybilis dont la flûte resta dans le village.

Conté par SAMAKO NIEMBÉLÉ, dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS §

Le travestissement d’un génie, ou d’un animal, en femme pour se venger de quelqu’un est un procédé fréquent dans les contes de tous les pays.

La substitution d’un mannequin à une personne se rencontre aussi fréquemment. Cf. L’adroite princesse (Mme d’Aulnoy). — Pardon du guinnârou. — Le forage du puits.

XVIII. La bague aux souhaits

(Peuhl) §

Au pays de Sahel, il y avait un chasseur maure, nommé Ahmed, qui possédait pour tout bien un chien et un chat. Un jour qu’il était à la chasse, il a rencontré une guinnârou, dont les cheveux tombaient jusqu’à terre. Il s’est tout doucement approché d’elle sans qu’elle semblât l’apercevoir. Il lui voit au doigt une jolie bague d’or. Alors l’idée lui vient de tuer la guinnârou pour lui voler sa bague. Il charge son fusil… Mais la guinné n’ignore pas un seul de ses mouvements. Elle se retourne et lui dit : « Pourquoi me tuer, Ahmed ! Viens près de moi ». Ahmed obéit.

Je sais, continue-t-elle, ce qui se passe dans ton cœur. Tu es pauvre et tu veux me tuer pour me prendre ma bague, mais cela ne t’enrichirait guère ! Je vais te fournir les moyens de devenir vraiment riche. »

Elle entre dans sa case et en ressort aussitôt : « Voici dit-elle le grigri que je t’ai promis ». Elle ouvre le coffret qu’elle a apporté et en retire une bague d’argent : « Tu vas mettre cette bague à ton doigt. Chaque fois que tu désireras obtenir quelque chose, tu te l’ôteras du doigt et tu la poseras à terre. Ensuite, étendant ta main au-dessus d’elle, tu demanderas à Allah ce que tu voudras avoir. Tu passeras de nouveau la bague à ton doigt et, le lendemain matin, tu verras que tu possèdes déjà ce que tu auras demandé à Dieu. »

Le Maure rentre dans son village. Pendant la nuit il a ôté sa bague et l’a posée à terre, selon les indications de la guinnârou. Il prie Allah de lui faire gagner de l’argent. Puis il s’endort et, pendant son sommeil, la guinnârou qui le protège enterre dans le sol une marmite pleine d’or.

A son réveil, Ahmed gratte la terre, en retire la marmite et s’approprie l’or qui y est contenu.

Il a acheté des bœufs, des chevaux, des moutons, tout ce qu’il lui faut avec cet or là. Puis il s’est construit un tata.

Il va ensuite se marier. Avant qu’il le fasse, la guinnârou lui dit : « Ahmed, une fois marié, il ne faut pas laisser voir ta bague à ta femme. Sinon elle agira de telle façon que tu redeviendras malheureux ».

Ahmed s’est marié et un long espace de temps s’écoule sans que sa femme voie la bague. Elle sait seulement qu’il en a une. Mais, un jour, Ahmed a oublié d’enlever l’anneau pour le ranger dans le coffre : il se couche avec sa femme et, quand il s’est endormi, la femme aperçoit la bague. Elle la lui ôte et en fait cadeau à son kélé176.

La femme dit au kélé : « J’ai entendu que cette bague fait avoir tout ce qu’on lui demande. C’est une guinnârou qui accorde ce que l’on a souhaité. Si c’est exact, je te demande de faire saisir mon mari, son chien et son chat et de les faire jeter de l’autre côté du fleuve ».

Le kélé a exprimé ce souhait. La guinnârou vient aussitôt, saisit Ahmed et ses animaux et les dépose sur la rive opposée du cours d’eau. Ce fleuve est très large et il fourmille d’animaux malfaisants. Personne ne peut le passer à cet endroit-là et jamais on n’a osé y risquer une pirogue.

La femme a installé son kélé dans la case d’Ahmed.

Le lendemain matin, vers 6 heures, Ahmed se réveille et s’aperçoit qu’il est dans la brousse sur l’autre rive du fleuve. Alors il commence à s’effrayer, en songeant qu’il n’a ni fusil ni rien. Il se demande comment il va faire pour se procurer de la nourriture. Une heure se passe dans ces angoisses.

La guinnârou alors s’en vient trouver Ahmed : « Le jour où je t’ai donné la bague, lui reproche-t-elle, je t’ai recommandé de ne pas laisser ta femme s’en emparer : Maintenant il te faut rester ici trois mois. Je vais te donner un fusil et de la poudre de chasse. Chaque matin, tu tueras deux poissons. Tu mangeras l’un le matin et l’autre le soir. Le dernier jour de ce délai arrivé, avant de tirer ton dernier coup de fusil, tu viendras me trouver et je te donnerai quelque chose ».

Ahmed a suivi les instructions de la guinnârou.

Au dernier jour du troisième mois, il ne lui restait plus qu’un coup de fusil à tirer. La guinnârou est venue la nuit pendant qu’il dormait. Elle appelle le chat et le chien et leur dit : « Mettez-vous à l’eau immédiatement, traversez le fleuve et rendez-vous à la case de votre maître. Vous y trouverez porte close, mais cela ne fait rien ! vous entrerez quand même. La femme d’Ahmed va faire cette nuit ce qu’elle n’a pas encore fait depuis l’enlèvement de son mari. Elle dormira avec la bague au doigt. Vous lui prendrez la bague et me la rapporterez ».

Le chat est parti avec le chien qui reste à faire le guet devant la porte. Il vole la bague et tous deux reprennent leur chemin pour revenir à la guinné. Arrivés au fleuve, le chat grimpe sur le chien qui va le passer à la nage mais, quand ils sont au milieu de l’eau, le chien lui dit : « Montre-moi cette bague ; moi aussi je veux la voir. » Le chat prend la bague pour la faire voir à son camarade, mais elle lui échappe et tombe à l’eau. Un poisson se trouvait ; là il avale la bague177.

De retour près de la guinnârou, le chien et le chat lui racontent la chose : « C’est bon ! dit la guinné, je vais vous préparer un grigri pour retrouver le poisson qui a avalé l’anneau. Demain je ferai passer ce poisson près d’Ahmed. Celui qui sera tué par le premier coup de fusil ne sera pas ce poisson-là ; ce sera le deuxième seulement et dans son corps se trouvera la bague ».

La guinnârou a ainsi parlé au chien sans qu’Ahmed sache rien de ce qui s’est passé. Puis elle s’en est allée.

Ahmed se réveille : « Ah ! se dit-il, je n’ai plus qu’un coup de fusil à tirer et, après, plus moyen de me procurer de quoi manger ! » Il vient au bord du fleuve et aperçoit deux poissons. Il tire et les tue tous les deux. Il les saisit, l’un après l’autre, et les dépose sur la rive.

Le chien sait ce qu’il a à faire et le chat aussi puisque la guinnârou le leur a enseigné ; mais tous deux restent muets.

Ahmed ouvre le premier poisson, puis le second ; il en jette les boyaux. Alors le chat et le chien se précipitent dessus, les saisissent par leurs extrémités et tirent, chacun de son côté. La « saleté » se déchire et la bague tombe à terre.

« Prends ta bague » disent-ils à Ahmed. Et ils lui racontent comment la guinnârou les a envoyés pour reprendre la bague dérobée, comment le poisson l’a avalée et ce que la guinnârou leur a prescrit.

Ahmed attend jusqu’à la nuit. Il retire alors la bague de son doigt et formule un souhait. La guinnârou vient les prendre, lui et ses animaux, et les dépose entre la femme et le kélé. Le chat se place près du lit et le chien devant la porte à l’intérieur de la case.

Après avoir regardé la femme et le kélé, Ahmed sort doucement et va appeler ses captifs : « Gardez bien les issues du tata, leur commande-t-il, que personne ne puisse sortir ! »

Il revient ensuite se coucher à la place où la guinnârou l’avait tout d’abord déposé.

Pendant la nuit, la femme d’Ahmed cherche le kélé pour ce que l’on devine ; c’est Ahmed qu’elle touche et il fait des manières. Il refuse. La femme lui demande alors : « Pourquoi es-tu fâché aujourd’hui ? — Oh ! répond Ahmed, aujourd’hui je veux rester tranquille ». — La femme a beau lui demander pardon et insister pour qu’il se prête à son désir. — « Non, dit-il, je ne le veux pas ».

Alors la femme se fâche et se retourne de l’autre côté. Ils sont restés ainsi jusqu’à quatre heures du matin.

A ce moment le kélé veut saisir la femme dans la même intention. Il pose sa main sur la poitrine d’Ahmed et s’aperçoit qu’elle est velue. Il regarde mieux alors et reconnaît Ahmed. Il est pris d’une violente terreur.

A six heures Ahmed sort. Il envoie ses captifs convoquer les hommes du village « Comment va-t-on mettre à mort ces deux là ? » demande-t-il.

Il appelle sa femme et lui dit : « Mon bengala avait beau être gros, il n’y en avait pas assez pour toi. Tu es allé chercher un kélé et tu m’as fait toutes les misères possibles. Eh bien ! avant que je te tue, il faut que tu t’accouples avec lui devant tout le monde ».

La femme et le kélé ont été bien forcés d’en passer par là. Ensuite Ahmed a fait venir ses captifs et trois hommes armés de fusils. On a fait un « feu de salve » et les coupables sont morts. On les a enterrés tous deux à cet endroit là.

Depuis lors, et maintenant encore, les hommes ne doivent pas se fier aux femmes.

Conté par OUSMANN GUISSÉ.

Interprété par GAYE BA;

ÉCLAIRCISSEMENT

Comparer la vengeance de l’amoureux évincé dans « Affront pour affront ».