François-Louis Gauthier

1769

Traité contre les danses [graphies originales]

2019
François-Louis Gauthier, « Traité contre les danses » [1769], in Traité contre les danses et les mauvaises chansons, Lyon, Rusant, 1821, p. 1-216. PDF : Google.
Ont participé à cette édition électronique : Infoscribe (saisie, TEI-XML), Nolwenn Chevalier (édition TEI) et Eric Thiébaud (édition TEI).
[v]

Discours préliminaire. §

Un Chrétien, par rapport aux danses et aux chansons, ne doit point écouter le monde, ses usages, ses maximes ; mais la vérité qui est Jésus-Christ.

En écrivant contre les danses et les différentes espèces de mauvaises chansons dont je parle dans le petit ouvrage que je donne au public, je me suis attendu à avoir beaucoup de contradicteurs. J’ai bien pensé qu’on trouveroit étrange que j’entreprisse de condamner ce que tant de personnes se permettent sans scrupule, en s’appuyant sur l’approbation, ou du moins sur l’approbation, ou du moins sur le silence d’un grand nombre d’ecclésiastiques et de directeurs des ames. Il en est en effet plusieurs qui regardent comme permis ce dont je vais montrer le danger et même le mal. D’autres, sans l’approuver expressément, négligent, par défaut de zèle, ou par une lâche complaisance, d’employer l’autorité et les ressources de leur ministère pour éloigner les personnes qu’ils conduisent, de ces divertissemens qui perdent tant d’ames. [vj]C’est ce qui m’a fait penser qu’il pourroit être utile, avant que d’entrer en matière, de commencer par montrer la vérité, qui, considérée en elle-même, est l’idée que Dieu a de toutes choses ; et le jugement qu’il en porte, doit être la règle souveraine de toutes nos actions et de toute notre conduite ; et non pas les préjugés des hommes, la multitude des mauvais exemples et les coutumes du monde, dont l’esprit est si opposé à celui de J. C., qu’en promettant à ses apôtres l’esprit de vérité, il a dit (Jean, c. 14, v. 17.) que le monde ne pouvoit le recevoir. Saint Paul dit aussi : (1. Cor. c. 2, v. 12.) Pour nous, nous n’avons point reçu l’esprit du monde, mais l’esprit de J. C.

La cupidité est le grand ressort qui remue et fait agir la plupart des hommes. Ce qui plaît aux sens et flatte cette cupidité, est ce qui, pour l’ordinaire, les détermine ; et ils ont tant d’amour pour leurs propres foiblesses, qu’il n’est rien qu’ils ne fassent pour les défendre et les soutenir. Ils le peuvent d’autant plus facilement, que toutes les vérités ont cela de commun, qu’on trouve toujours quelques raisons, au moins apparentes, pour les combattre ; et quelque foibles que soient ces raisons, on les saisit avec empressement pour avoir quelque prétexte de ne [vij]pas se rendre à des vérités qu’on n’aime pas, et pour continuer à se croire permis ce à quoi on ne veut pas renoncer. Le poids de la cupidité empêchant l’ame de s’élever jusqu’aux vérités qui déplaisent, pour s’y attacher et en faire sa règle, on s’efforce de les abaisser en quelque sorte jusqu’à soi, et de les faire, pour ainsi dire, tomber dans ses inclinations particulières, toutes déréglées qu’elles sont, et si on manque entièrement de raisons qu’on puisse leur opposer, on a recours aux coutumes du monde et aux exemples de la multitude : comme si l’erreur, pour être devenue commune, changeoit de nature, et comme si la vérité dépendoit du caprice des hommes pour être vérité.

Mais qu’on s’efforce tant qu’on voudra de la concilier avec ses passions ou avec ses intérêts, on pourra bien réussir à se la cacher, mais réussira-t-on à l’anéantir, et pourra-t-on éviter de l’avoir un jour pour juge ? La parole de J. C. sur cela est précise. (Jean, 12, 48.) Celui, dit-il,qui rejette et qui ne reçoit pas mes paroles, a pour juge la parole même que j’ai annoncée : c’est cette parole qui le jugera au dernier jour.

Notre plus grand intérêt est donc de bien connoître la vérité que J. C. a [viij]annoncée et qui est contenue dans sa parole, de la suivre en tout point, et pour cela de faire plier sous son autorité infaillible tous les raisonnemens humains, et tout ce qui s’oppose en nous à la pratique de ses saintes règles. Elle ne veut régner sur nous que pour notre bien, et pour nous faire régner éternellement avec elle dans le ciel ; elle accablera un jour du poids de ses vengeances ceux qui lui auront résisté jusqu’à la fin de leur vie. Ne cherchons donc point à nous envelopper de ténèbres qui nous la cachent ; n’entreprenons pas de la combattre, et mettons plutôt notre gloire à lui céder. La victoire de la vérité en nous et sur nous est notre propre victoire, puisqu’elle ne peut vaincre en nous, qu’en nous rendant nous-mêmes victorieux du démon, du monde et de notre propre concupiscence.

J’ai dit que la vérité, considérée en elle-même, c’est l’idée que Dieu a de toutes choses, et le jugement qu’il en porte ; c’est pour cela que la vérité est éternelle comme Dieu même ; et parce qu’il ne peut se tromper, toutes les idées des hommes qui sont contraires aux siennes, ne peuvent être que des erreurs ; et s’il s’agit de quelque point qui ait rapport à la morale et à la conduite de la vie, on ne peut que faire le mal en agissant et se conduisant selon ces [ix]erreurs et ces idées opposées à celles de Dieu.

Aussi, toutes les saintes Écritures nous donnent-elles la vérité comme devant être la seule règle de nos jugemens et de nos actions. David dit à Dieu, dans le psaume 118, v. 151 : Toutes vos voies sont vérité : Omnes viæ tuæ veritas. Les voies de Dieu sont celles par lesquelles il vient à nous, ou celles par lesquelles nous allons à lui. Si toutes ses voies sont vérité, il est donc clair qu’il ne vient à nous, et que nous n’allons à lui, qu’autant que nous nous attachons à la vérité et que nous la suivons ; et qu’au contraire, il s’éloigne de nous et nous nous éloignons de lui à proportion que nous nous éloignons de la vérité. Dès que nous ne la suivons plus, il est évident que, du moins dans le point précis par rapport auquel on s’en écarte, on est hors des voies de Dieu qui sont toutes vérité ; et se peut-il que ce qui est hors des voies de Dieu ne soit pas mauvais, rien ne pouvant être bon dans les créatures que par une participation de sa bonté, qui est la source inépuisable d’où sortent, comme autant de ruisseaux, les différentes perfections et les différens caractères de bonté qui se trouvent dans chaque être particulier ?

Dieu a autrefois fait entendre du ciel [x]une voix par laquelle il a dit de Jésus-Christ : (Matth. 1, 5.) C’est là mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toute mon affection : écoutez-le. Mais on ne peut bien écouter Jésus-Christ, qu’en écoutant la vérité et en obéissant à ses préceptes ; puisque Jésus-Christ a dit de lui-même : (Jean. 14, 6.) Je suis la voie, la vérité et la vie.

La vérité que Dieu nous enseigne dans les saintes Ecritures, qui sont sa parole, est, selon saint Augustin, cet adversaire dont Jésus-Christ dit : (Matth. 5, 25.) Accordez-vous au plutôt avec votre adversaire pendant que vous êtes en chemin ; de peur que cet adversaire ne vous livre au Juge, et que le Juge ne vous livre au ministre de la justice, et que vous ne soyez jeté dans une prison. (serm. 251, n.° 7.) « Quel est cet adversaire », demande le saint docteur ? Et il répond : « L’adversaire dont il est parlé ici, ne peut être le diable, qui est souvent ainsi appelé dans les Ecritures ; car elles ne nous exhorteroient jamais à nous accorder avec cet esprit de malice. Il y a donc un autre adversaire ; mais c’est l’homme qui se fait à lui-même cet adversaire : car s’il étoit par sa nature son adversaire, il ne se trouveroit pas avec lui dans le chemin, et il s’y trouve [xj]afin que vous vous accordiez avec lui. Quel est-il donc cet adversaire que J. C. a en vue, et qui ne peut être le diable ? C’est la parole de Dieu et sa loi : Quis est adversarius tuus ? Sermo legis. Quel est le chemin pendant lequel il faut nous accorder avec cet adversaire ? C’est la vie présente, parce que nous ne sommes ici-bas que des voyageurs ; Quæ est via ? Vita ista. Comment la parole de Dieu est-elle notre adversaire ? Elle l’est en ce qu’elle nous défend tout ce que la cupidité désire et ce à quoi elle nous porte. Par exemple, la parole de Dieu dit : Vous ne commettrez point d’adultère, et vous voulez en commettre. Elle vous dit : Ne désirez point le bien de votre prochain ; et vous voulez prendre ce qui ne vous appartient pas. Elle vous dit : Honorez votre père et votre mère ; et vous manquez au respect que vous leur devez. La loi vous dit : Vous ne porterez point faux témoignage ; et vous ne vous éloignez pas du mensonge. Quand vous voyez que vous faites tout le contraire de ce que la loi ordonne, ne vous est-il pas aisé de comprendre que vous vous en faites un adversaire ? Faites donc en sorte qu’elle n’entre pas chez vous pour être contre vous. Accordez-vous [xij]avec elle pendant que vous êtes en chemin. Dieu veut bien venir à votre secours pour vous accorder ensemble : Adest Deus qui vos concordet. Et comment Dieu vous accordera-t-il ensemble ? C’est en vous pardonnant les péchés par lesquels vous avez violé sa loi, et en vous inspirant la justice qui vous fera faire les bonnes œuvres qu’elle commande : Quomodò vos concordat Deus ? Donando peccata, et inspirando justitiam, ut fiant opera bona. »

Voulons-nous donc obtenir un jour un jugement favorable, de la vérité qui doit nous juger après notre mort ? Faisons en sorte de ne la pas rendre notre adversaire en cette vie ; et pour cela laissons-nous conduire par elle, et obéissons-lui. Pratiquons tout ce qu’elle commande, et abstenons-nous de tout ce qu’elle défend. (Psal. 36, 27 ; et 1. Pet. 3, 11.) Evitons le mal, et faisons le bien.

Selon la manière très-ordinaire de parler des saintes Ecritures, vivre avec piété et dans la justice, c’est marcher dans la vérité. On ne vit donc dans la piété qu’autant que la vérité est la règle de la vie qu’on mène.

David étant près de mourir, dit à Salomon son fils dans les derniers avis qu’il lui donna, que Dieu lui promettant de [xiij]conserver le trône à ses descendans, n’avoit fait cette promesse que sous la condition qu’ils seroient fidèles à observer ses lois ; et pour marquer ce en quoi cette fidélité devoit consister, il dit : (3. Reg. 2,4.) Que la parole que Dieu lui avoit donnée étoit qu’il auroit toujours des descendans assis sur le trône d’Israël, si ses enfans marchoient devant lui dans la vérité, de tout leur cœur et de toute leur ame.

Salomon parlant à Dieu de David son père, lui dit : (3 Reg. 3, 6.) Vous avez usé de miséricorde envers David mon père, selon qu’il a marché devant vous dans la vérité et dans la justice. Selon ces paroles de Salomon, marcher dans la vérité et marcher selon la justice, sont donc une même chose. Le saint roi Ezéchias étant tombé dangereusement malade, et ayant été averti par le prophète Isaïe de mettre ordre aux affaires de sa maison, parce qu’il alloit bientôt mourir, fit à Dieu une prière, où, pour lui représenter les sentimens de piété dans lesquels il lui avoit fait la grâce de vivre, il lui dit : (4. Reg. 20, 3.) Souvenez-vous, Seigneur, je vous prie, dequelle manière j’ai marché devant vous dans la vérité.

Le prophète Isaïe, pour dire un peuple juste, dit que c’est un peuple [xiv]observateur de la vérité : (Is. 26, 2.) Gens justa custodiens veritatem.

Jésus-Christ parlant du péché de l’Ange rebelle, qui entraîna par sa chute un grand nombre d’autres esprits célestes, dit, pour marquer ce péché, que le démon n’est pas demeuré dans la vérité : (Jean, 8, 44.) In veritate non stetit. On ne pèche donc que parce qu’on ne demeure pas dans la vérité en la suivant. L’apôtre saint Jean, dans sa troisième épître qu’il adresse à Gaïus, voulant lui témoigner sa joie de ce que des gens venus de chez lui, lui avoient dit de sa piété et de la sainteté de sa vie, lui écrit : (v. 3 et 4.) J’ai une extrême joie du témoignage que nos frères m’ont rendu de votre piété sincère, et de la vie que vous menez selon la vérité. Et aussitôt après il ajoute : On ne peut me faire un plus grand plaisir, que de m’apprendre que mes enfans marchent dans la vérité. Enfin, saint Paul, exhortant les Ephésiens à bien vivre, les exhorte à pratiquer la vérité par la charité, afin de croître en toutes manières en Jésus-Christ qui est notre Chef. (Ephes. 4, 15.)

Toutes ces autorités prises des Ecritures de l’ancien et du nouveau Testament et si multipliées, ne sont-elles pas plus que suffisantes pour nous convaincre [xv]qu’on ne peut bien vivre qu’en suivant fidèlement la vérité ; et qu’ainsi c’est elle qui doit être la règle inviolable de toute notre conduite, et non pas les préjugés des hommes, les coutumes du monde, et les mauvais exemples qu’on y voit, quand ils seroient en aussi grand nombre que les grains de sable de la mer ?

Les Pères de l’Eglise ont enseigné unanimement la même doctrine sur l’obligation de prendre en tout la vérité pour sa règle ; et il ne faut pas s’en étonner, puisqu’ils avoient puisé toute leur science dans les saintes, Ecritures. Tertullien commence son traité du voile que les vierges doivent porter, par ce principe, « que rien ne peut prescrire contre la vérité, ni la longueur du temps et la succession des années, ni la qualité des personnes qui autorisent certains usages, ni les priviléges particuliers des pays. Veritatem cui nemo præscribere potest, non spatium temporum, non patrocinia personarum, non privilegia regionum. » (De velandis virginibus, c. 1, p. 172.)

« C’est en vain, dit saint Cyprien, que ceux qui n’ont rien à répondre à la force de nos preuves et de nos raisons, nous opposent la coutume, comme si la coutume pouvoit l’emporter sur la vérité, ou comme si, dans les choses [xvj]spirituelles, il ne falloit pas suivre ce qui a été révélé par le Saint-Esprit : Frustrà quidam qui ratione vincuntur, consuetudinem nobis apponunt quasi consuetudo major sit veritate, aut non id sit in spiritualibus sequendum quod melius fuerit à Sancto Spiritu revelatum. » (Lettre 75, à Jubaïen, édit. d’Oxf. pag. 310.)

Saint Athanase, cet intrépide défenseur de la divinité du Verbe contre les ariens qui l’attaquèrent, a fait un excellent discours, qu’il emploie tout entier à montrer qu’il ne faut pas juger de la vérité par la seule autorité dé la multitude. J’ai cru devoir mettre ici un extrait de ce discours, dans l’espérance que j’ai conçue que l’autorité de ce grand docteur de l’Eglise, qui a souffert pour elle tant de travaux, et la force des preuves et des raisons qu’il allégue, pourroient faire revenir de leurs préjugés plusieurs de ceux qui approuvent et reçoivent sans examen tout ce qui, flattant les passions, est embrassé par le plus grand nombre et soutenu par la coutume.

« Comment, dit-il, n’auroit-on pas compassion de ceux qui jugent de la bonté d’un sentiment, et de la solidité d’une doctrine, par le seul nombre des personnes qui les reçoivent ou les [xvij]rejettent ? Ne savent-ils pas bien que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’ayant choisi que douze disciples sans lettres, simples, pauvres et sans défense, les a remplis de confiance et de courage contre tout le monde ? Il n’a point disposé ces douze apôtres à suivre plusieurs milliers d’hommes ; mais il a plutôt préparé plusieurs milliers d’hommes à se soumettre à ces douze apôtres… Celui qui, manquant de bonnes preuves pour défendre le sentiment dans lequel il est, a recours pour sa défense à la multitude, avoue qu’il est vaincu…. Que la multitude qui veut nous obliger à déférer à son sentiment, nous fasse voir cette vérité qui est si belle et si agréable, et ce sera une voie fort abrégée et fort prompte pour nous persuader comme on se le propose. Mais pour ce qui est d’une multitude qui veut établir et autoriser une opinion sans en donner des raisons qui soient recevables, elle n’est nullement capable de nous en imposer. Car quelles personnes, en quelque grand nombre qu’elles fussent, pourroient me persuader que la nuit est jour, ou me faire recevoir des pièces de cuivre pour des pièces d’or, ou me faire prendre un poison dont la malignité me seroit connue, pour une [xx]mauvais chrétiens qui ne veulent pas y conformer leur vie ? Cet esprit de malice est toujours également altéré du sang des ames ; et il en perd beaucoup plus par le violement de l’Evangile et par les fausses interprétations qu’il lui donne, ou qu’ils reçoivent facilement, pour les violer avec moins de scrupules et de remords, qu’il n’a autrefois perdu d’ariens par les erreurs dans lesquelles il les a engagés et fait persévérer opiniâtrément, quoique le nombre en ait été très-grand.

Puisque la vérité est la seule règle sûre que nous devons suivre, et qu’en ne la suivant pas, on ne peut que s’égarer dans les routes de l’iniquité, et marcher dans le chemin de l’enfer, désirons donc sincèrement de la connoître. Mais au contraire, beaucoup de chrétiens, bien loin de désirer que Dieu fasse luire à leur cœur la lumière de la vérité, la craignent, la fuient et la rejettent lorsqu’elle leur est présentée ; en sorte qu’on n’a que trop de raisons de leur appliquer la plainte que J. C. faisoit des Juifs qui résistoient opiniâtrément à sa parole : (Jean. 3, 10.) Ils ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étoient mauvaises. Quelle est la source d’une disposition si criminelle et si funeste ? J. C. vient de le dire : c’est parce qu’on se plaît dans de [xxj]mauvaises œuvres, et à suivre des passions que la vérité condamne. C’est pourquoi il ajoute tout de suite : (v. 20, 21.) Celui qui fait le mal hait la lumière, et il ne s’approche point de la lumière, de peur que ses œuvres ne soient condamnées. Mais celui qui agit selon la vérité, s’approche de la lumière, afin qu’on connaisse que ses œuvres sont faites en Dieu.

Saint Augustin, réfléchissant sur l’amour que les hommes ont naturellement pour la vérité, puisqu’ils n’aiment point à être trompés, demande (Confess. l. 10, c. 23.) « pourquoi ils craignent en différentes occasions de la connoître, en sorte que lorsqu’on la leur dit, on s’attire leur haine, comme J. C. s’est attiré celle des Juifs pour la leur avoir prêchée ? Et il répond que cela vient de ce que cet amour même qu’ils ont naturellement pour la vérité est troublé et offusqué de telle sorte, qu’ils prennent pour la vérité tout ce que la dépravation de leur cœur leur fait aimer, quoique ce soit toute autre chose. Ainsi ce qu’ils aiment au lieu de la vérité, et qu’ils prennent pour elle, la leur fait haïr. Ils aiment son éclat et sa beauté ; mais ils n’aiment point ses remontrances et ses reproches :Amant eam lucentem, oderunt eam redarguentem ».

[xxij]Quelles sont les suites funestes de cette opposition si criminelle à la vérité, que l’on conserve dans son cœur, lorsqu’on sent qu’elle est contraire à ses inclinations ? Par un terrible, mais très-juste châtiment de Dieu, on est traité selon les désirs déréglés de son cœur : on craint et on fuit la lumière de la vérité, et elle se cache. La vérité se cachant ainsi, l’ame se trouve remplie de ténèbres souvent si étendues et si épaisses, que l’erreur ayant pris la place de la vérité, et le mal celle du bien, ceux qui tombent dans ce malheur, souvent ne s’aperçoivent pas qu’ils y sont tombés.

S. Grégoire Pape a parlé de ce terrible châtiment que Dieu exerce contre ceux à qui la vérité déplaît et qui en fuient la lumière, en expliquant l’endroit de l’évangile où il est dit (Jean, 8 , 59.) que les Juifs ayant pris des pierres pour les jeter à J. C. il se cacha et sortit du temple. (hom. 18, in ev. n.° 5, tom. i, p. 1309.) « Que nous marque le Seigneur en se cachant, demande le saint docteur, sinon que la vérité se cache à ceux qui ne veulent pas mettre les saintes règles en pratique ? Quid abscondendo se Dominus significata nisi quòd eis ipsa veritas absconditur, qui ejus verba sequi contemnunt ? »

[xxiij]Saint Paul prédisant la grande séduction de l’Antéchrist, qui viendra avec la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes, et de prodiges, et avec toutes les illusions qui peuvent porter à l’iniquité ceux qui périront, donne pour raison de la facilité avec laquelle tant de personnes se laisseront séduire, l’opposition qu’elles auront à la vérité. (2. Thess. 2 , 10 et 11.) N’ayant pas reçu, dit le saint apôtre,et aimé la vérité afin d’être sauvés , c’est pour cela que Dieu leur enverra une séduction si efficace, qu’ils croiront au mensonge ; afin que tous ceux qui n’ont pas cru la vérité et qui ont consenti à l’iniquité, soient condamnés.

Plus ce malheur est grand, plus on doit craindre d’y tomber : et que faut-il faire pour l’éviter ? Il faut commencer par ôter de son cœur tout ce qui en peut fermer l’entrée à la vérité, et pour cela renoncer aux passions qui en font craindre la lumière, et qui, tant qu’on les aime, rendent indigne d’en être éclairé.

Saint Augustin (l. 4, c. 15,  n.° 27.) reconnoît dans ses confessions, que ses passions excitoient en lui un bruit qui l’empêchoit d’entendre la douce voix de la vérité. « Je prêtois pourtant, ajoute-t-il, quelquefois l’oreille à cette harmonie céleste, et j’aurois bien voulu me voir [xxiv]près de l’Epoux, et avoir la joie d’entendre sa voix ; mais les fougues de mon orgueil, qui, en pensant m’élever, me jetoit dans le fond de l’abîme, ne me le permettoit pas. Car je ne vous écoutois pas, Seigneur, avec la fidélité nécessaire pour arriver à la joie que vous faites goûter à ceux qui n’ont d’attention qu’à vous ; et pour ressentir ce tressaillement intérieur qui est réservé à ceux dont le saint prophète dit (Ps. 50, v. 10), que l’humilité a brisé les os. »

Ce même saint dit encore dans un autre endroit de ses confessions : (l. 2, c. 1) « Je me livrai à une infinité de passions qui, pullulant de jour en jour dans mon cœur, y firent comme une forêt, où l’épaisseur des arbres empêche la lumière de pénétrer : Sylvescere ausus sum variis et umbrosis amoribus. » (ibid. c. 3, à la fin.) « Mes iniquités formoient entre vous et moi, ô mon Dieu ! comme un nuage épais qui me cachoit la lumière si pure de votre vérité : Et in omnibus erat caligo intercludens mihi, Deus meus, serenitatem veritatis tuæ. »

On sait que quelque agréable que soit le pain corporel à ceux qui se portant bien, ont un bon appétit, il est amer à ceux dont la fièvre a dépravé le goût. [xxv]Il en est de même du pain spirituel de la vérité ; il plaît à ceux dont l’ame est en bon état par la piété, ou qui du moins désirent d’y être. Mais la fièvre des passions et du péché, lorsque l’ame en est agitée, la dégoûte de ce pain spirituel de la vérité, et la porte à le rejeter lorsqu’on le lui présente. Qu’on commence donc, pour bien recevoir ce pain, par renoncer à ses passions et au péché.

Un second moyen pour parvenir à la connoissance de la vérité, c’est d’aimer à faire de saintes lectures, et en particulier celle du saint Evangile, dont saint Augustin dit « qu’il est la bouche de J. C. par laquelle, quoiqu’il soit assis à la droite de son père, il ne cesse de nous parler : (serm. 85, n.° 1.) Os Christi evangelium est ; in cælo sedet, sed in terrâ loqui non cessat. » « Ne soyons pas sourds à sa voix : Nos non simus surdi. » « Vous ayant laissé l’Evangile, dit encore le même saint docteur, il est par-là avec vous : (serm. 242, n.° 10.) Cùm evangelium tibi reliliquit in evangelio tecum est. » « Car il n’a point menti en disant : Assurez-vous que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles : (Matth. 28, 20.) Non enim mentitus est, dicens : Ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usquè ad consummationem seculi. » Aimons [xxvj]donc à aller, le plus souvent que nous pourrons, entendre dans la lecture de l’Evangile le grand et infaillible docteur de la vérité.

Un troisième moyen d’en recevoir de Dieu la connoissance, c’est de la lui demander souvent. Nous pourrions employer pour cela très-utilement cette prière de David dans le psaume 42 : (v. 3.) Envoyez votre lumière et votre vérité. Qu’elles me conduisent sur votre montagne sainte et dans vos tabernacles. « Voilà, dit saint Augustin, expliquant ces paroles, voilà deux mots différens que le prophète emploie en priant Dieu de lui envoyer sa lumière et sa vérité ; mais ces deux mots ne signifient qu’une même chose : (Ps. 42, n.° 4.) Hæc nomina duo, res una. Qu’est autre chose la lumière de Dieu, que la vérité de Dieu ? Et la vérité de Dieu est-elle autre chose que la lumière de Dieu ? Quid enim aliud lux Dei, nisi veritas Dei ? aut quid veritas Dei, nisi lux Dei ? Cette lumière étant toute spirituelle, ne peut être vue que par l’œil du cœur : Hæc lux oculum cordis inquirit. » Mais afin que cet œil intérieur puisse la voir, il faut qu’il soit pur. C’est pourquoi S. Augustin rapporte à ce sujet cette parole de Jésus-Christ : Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ! [xxvij]et le cœur est d’autant plus pur, qu’il s’éloigne davantage du péché qui en fait l’impureté, et qu’il s’unit plus intimement à Dieu qui est la source de toute pureté.

Un quatrième moyen de parvenir à la connoissance de la vérité, c’est quand on consulte pour les affaires de sa conscience, et pour avoir la décision de quelque point de morale, de s’adresser par préférence à ceux qu’on a lieu de croire plus instruits des vrais et sûrs principes de la morale chrétienne, et plus attentifs à enseigner la voie de Dieu dans la vérité, sans avoir égard à la qualité des personnes ; comme les Juifs, (Matth. 22, 16.) tout ennemis qu’ils étoient de Jésus-Christ, furent forcés de reconnoître que c’est ce qu’il faisoit dans toutes ses réponses lorsqu’il étoit interrogé et consulté.

Mais combien est-il, au contraire, ordinaire de consulter avec un désir secret de recevoir quelque réponse favorable à la cupidité, afin d’en suivre plus tranquillement les inclinations ! De-là l’obscurité qu’on affecte souvent de répandre sur les consultations qu’on fait, la préférence qu’on donne à des casuistes moins éclairés et moins exacts, la crainte qu’on témoigne avoir d’une décision qui obligeroit à des efforts ou à des retranchemens qu’on n’a pas le courage de faire, [xxviij]quoique peut-être on en sente la nécessité. On n’a donc que trop de sujets d’appliquer à beaucoup de chrétiens de nos jours, ce que S. Paul écrivoit à Timothée son disciple par un esprit de prophétie : (Ép. 2, c. 4, v. 3 et 4.) Il viendra un temps que les hommes ne pourront plus souffrir la saine doctrine, et qu’ayant une extrême démangeaison d’entendre ce qui les flatte, ils auront recours à une foule de docteurs propres à satisfaire leurs désirs ; et fermant l’oreille à la vérité, ils l’ouvriront à des fables. N’est-ce pas là une véritable hypocrisie que de paroître, en consultant, chercher la lumière de la vérité ; pendant qu’en effet on ne désire que de trouver des ténèbres qui empêchent de voir le mal qu’on doit éviter, et le bien que l’on doit pratiquer ? Combien une telle hypocrisie irrite-t-elle Dieu et est-elle capable de faire pleuvoir, pour me servir des paroles même de saint Augustin, des ténèbres vengeresses sur les criminelles passions auxquelles on aime à se livrer ! (Confess. l. 1, cap. 18, n.° 29.) lege infatigabili spargens pœnales cæcitates super illicitas cupiditates. Le saint docteur, vivement affligé de cette duplicité de cœur de plusieurs de ceux qui paroissent rechercher la connoissance de la vérité, pendant qu’intérieurement ils la [xxix]craignent et la fuient, s’en plaint dans ses confessions d’une manière fort touchante en s’adressant à Dieu comme vérité éternelle : (Confess. l. 10, c. 26, n.° 37.) « Vous êtes partout, lui dit-il, Vérité éternelle ; et du trône où vous présidez à toutes choses, vous répondez à tous ceux qui vous consultent, et vous leur répondez tout à la fois, quelque différentes que leurs consultations puissent être. Vous répondez toujours clairement ; mais on ne vous entend pas toujours avec la même clarté. Chacun vous consulte sur ce qui lui plaît ; mais vos réponses ne sont pas toujours conformes aux désirs et aux inclinations de chacun. Vos bons et fidèles serviteurs sont ceux qui, au lieu de vouloir que vous leur répondiez selon leurs désirs et leurs inclinations, ne cherchent qu’à les conformer à ce qui vous plaira. »

Qu’on lise dans cette disposition le petit ouvrage que je donne au public, et j’ai lieu d’espérer que quelque contraires que les principes que j’ai établis soient aux inclinations de la nature corrompue, aux maximes et aux coutumes du monde, il portera quelque fruit, du moins pour un certain nombre de personnes. Je l’ai entrepris dans cette vue et dans cette intention. J’ai eu soin de demander à Dieu [xxx]qu’il voulût bien bénir mon travail ; et je conjure les personnes qui liront ce que j’ai écrit pour le bien de mes frères, de soutenir la foiblesse de mes prières par la ferveur des leurs.

Récapitulation des principes et des raisonnemens renfermés dans cet ouvrage. Lett. de M. de Sainte-Marthe. C’est la 37.e du 2.e tome, page 138. §

Si un Pasteur est blâmable de s’opposer autant qu’il peut, aux Danses que font ses Paroíssiens, dont il reconnoît les mauvais effets par son expérience. Quel jugement on doit porter de la Danse. Que dans la pratique, elles sont toujours dangereuses et mauvaises. Comment elles ont commencé. Quelles sont les pompes du diable.

Vous me demandez, Monsieur, quel crime a commis et quelle peine mérite un pasteur, qui, ayant lu dans les saints pères que la danse est une pompe du diable, un piége de l’esprit d’impudicité, un [xxxj]artifice de l’enfer pour séduire les hommes, un feu qui n’est capable que d’embraser le cœur des jeunes gens et d’y exciter toutes sortes de passions déshonnêtes, a tâché, autant qu’il a pu, de bannir les danses de sa paroisse, en représentant à ceux qui sont sous sa conduite spirituelle, qu’on s’y expose à un extrême péril de perdre son ame, en leur disant, après l’Ecriture sainte, que celui qui aime le péril ne manquera pas d’y tomber ; en leur racontant des histoires très-avérées de plusieurs filles qui y ont perdu ce qu’elles ont de plus précieux ; en leur marquant qu’on ne fait jamais ces sortes d’assemblées, que l’amour impur n’y préside ; qu’il ne s’y rencontre des jeunes gens impudens qui ne cherchent qu’à se corrompre et à corrompre les autres en chantant des chansons scandaleuses, en tenant des discours libres ; en s’expliquant encore plus dangereusement par des regards immodestes, et même quand ils le peuvent, comme ils le peuvent et l’osent presque toujours, par quelque attouchement. En vérité, Monsieur, si je n’avois pas l’honneur de vous connoître, je croirois qu’en me faisant une telle question, vous ne parlez pas sérieusement, et que vous ne songez qu’à vous divertir. Je vous dirai donc, pour toute réponse, que vous n’avez qu’à [xxxij]consulter votre propre conscience ; car je suis assuré qu’elle est assez éclairée pour vous répondre très-justement.

Mais ce pasteur, dites-vous, fait quelque chose de plus ; il a refusé l’absolution à quelqu’un de ses paroissiens qui avoit été à la danse, sans se mettre en peine de ses exhortations. Je suis persuadé, Monsieur, que ce ne sera pas vous qui oserez blâmer la conduite d’un pasteur qui connoissant le foible de ses paroissiens, et ayant expérimenté qu’ils ne sauroient s’exposer à un tel péril sans s’y perdre, et qui voit même peut-être qu’ils y ont commis des crimes grossiers, croit devoir exiger d’eux qu’ils se mettent, par une pénitence sincère, en état de recevoir l’absolution avant que de la lui demander. Les casuistes qui trouvent le moyen de rendre probables les opinions les plus relâchées, pourroient être assez ingénieux pour trouver que cette conduite est au moins probablement bonne.

Je viens de lire dans Denis le chartreux, qu’encore que des religieux puissent sans crime faire quelque faute contre l’observation du silence, contre l’obligation de se lever diligemment pour aller à matines ou d’employer utilement leur temps ; « néanmoins, dit cet auteur, la coutume de s’écarter de la règle et de manquer [xxxiij]en ces sortes de choses sans s’en mettre en peine et sans se corriger, ne peut être excusée de péché mortel ». Et le fondement de cette opinion est qu’un religieux ne peut être dans cette grande négligence sans avoir du mépris de sa règle. Mais que dirons-nous donc de ceux qui méprisent la voix de leur pasteur, sans y avoir égard ; qui s’exposent au péril de tomber dans des crimes, et qui peut-être ne sortent point de ce péril sans en avoir commis et sans en avoir fait commettre à d’autres ? Vous m’étonnez de m’assurer que ces brebis désobéissantes ont pour protecteurs non-seulement des gens grossiers et débauchés comme eux, mais des ecclésiastiques d’érudition. Vous ajoutez qu’ils citent S. François-de-Sales, et qu’ils disent après lui que la danse par elle-même est une chose indifférente. J’avoue avec ce saint évêque, que la danse en elle-même est une action indifférente ; car elle a été louée dans David. Ce saint roi, transporté d’une joie toute sainte, dansoit devant l’arche, ayant l’esprit et le cœur remplis des sentimens de la bonté de Dieu à son égard.

Quiconque n’auroit point d’yeux ni d’oreilles, quiconque pourroit assister à des danses sans y entendre rien, et sans y rien voir des sottises qui s’y passent, [xxxiv]et qui au contraire auroit assez de force d’esprit pour n’y être occupé que de Dieu, pourroit innocemment se trouver à la danse, qui est une pierre de scandale à toutes les autres personnes ; encore faudroit-il que cela se pût faire sans désobéir à ses pasteurs légitimes, et sans donner mauvais exemple à son prochain ; mais puisque les paysans n’ont pas cette vertu, puisqu’ils sont pleins de passions, et que les danses servent à animer ces passions et à les rendre plus violentes, puisque ces assemblées ne se terminent jamais sans crime, puisqu’un seul débauché peut inspirer ses mauvais désirs à ceux qui le regardent, et qu’en effet il s’y dit des choses qu’on ne doit pas entendre, et qu’il s’y fait des choses qu’on ne doit pas voir, il est de la prudence des pasteurs de s’opposer à des danses, qui, dans la pratique, sont toujours dangereuses et corrompues, quelles qu’elles soient dans des précisions métaphysiques et dans la spéculation. C’est un grand péché de tenter Dieu ; quiconque se jeteroit dans la mer ou dans une fournaise, sous prétexte que Dieu a conservé dans le fond des abîmes le prophète Jonas, et les trois Israélites dans la fournaise où Nabuchodonosor les fit jeter, ne laisseroit pas d’être homicide de soi-même. Or, la mer et le feu ne sont [xxxv]pas plus dangereux à la vie du corps, que ces danses à la vie de l’ame : d’où je conclus que quiconque a quelque soin de son salut, se passera d’un tel divertissement, de peur que se trouvant dans un passe-temps consacré au démon, il ne tombe sous sa puissance ; il obéira à la voix de son pasteur, il fera pénitence de sa faute s’il ne lui a pas obéi, et il n’écoutera point la voix du serpent qui veut le séduire.

Ceux qui ont recherché comment les danses sont venues jusqu’à nous, ont remarqué qu’elles s’introduisirent dans l’Egypte au temps que le peuple de Dieu y étoit en captivité, qu’on commença d’abord à danser aux chansons hors des villes, et qu’ensuite on y employa des flûtes et d’autres instrumens : que des places publiques elles passèrent sur les théâtres, et que de là elles sont entrées dans les palais des princes et des grands. Mais en quelqu’état qu’on les considère, les saints n’ont jamais pu se persuader que Dieu en soit l’auteur, et ils ont conclu au contraire qu’elles n’ont pu être que l’ouvrage du démon : ce qui a fait dire à Tertullien, que Dieu a formé le monde, mais que c’est le diable qui en fait les pompes et les vanités. Saint Cyprien le dit de même expressément, et saint Chrysostôme ne fait point difficulté de dire que c’est le [xxxvj]diable qui danse encore aujourd’hui dans les danseurs. Mais je m’engage insensiblement dans cette matière. Demandez à Dieu, Monsieur, qu’il me fasse oublier le monde et ce qui est dans le monde ; qu’il me fasse renoncer au diable et à ses pompes, comme je m’y suis engagé en recevant le sacrement de la foi : qu’il éclaire mes yeux ; que je condamne, que j’efface de mon cœur tout ce qui est contraire à la vérité de Jésus-Christ, à sa justice, à son obéissance, et à ce parfait amour que je lui dois.

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Traité contre les danses. [Première partie.] §

Chapitre premier.

Justes idées sur les Danses contre lesquelles on écrit. §

Jésus-Christ dit (Jean, c. 3, v. 20.) que quiconque fait le mal hait la lumière, et ne s’approche point de la lumière, de peur que ses œuvres ne soient condamnées. De là, l’opposition que tant de gens ont aux vérités qui condamnent le mal auquel ils sont attachés, et les efforts qu’ils font pour trouver des prétextes de ne pas se rendre à ces vérités. De là, en particulier, toutes les fausses maximes que bien des gens avancent et soutiennent en faveur des danses, tout ce qu’ils opposent aux autorités et aux raisons par lesquelles ceux que la vérité éclaire et instruit en montrent le danger et le mal.

Afin de leur ôter tout prétexte d’éluder {p. 2}la force de ces autorités et de ces raisons, comme si, pour avoir sujet de condamner les danses, on y supposoit un mal qui n’y est réellement pas, je vais commencer par donner la juste idée des danses contre lesquelles j’écris. Il s’agit des danses telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui, et non des danses qui, considérées dans une précision métaphysique, ne consistant qu’en certains sauts, paroitroient ne rien présenter de répréhensible, d’où par un tour d’imagination on vient ensuite à conclure que les danses, telles qu’elles sont en usage, ne renferment point le mal ni le danger qu’on prétend s’y rencontrer, et qu’on y voit effectivement.

Que sont donc les danses dont nous parlons, et dont nous nous proposons de tâcher d’inspirer le plus grand éloignement ? Ce sont des assemblées de personnes de différent sexe, et surtout de jeunes personnes, où, au son de quelques instrumens ou de quelques chansons, de jeunes garçons dansent avec de jeunes filles, et où, pendant les intervalles de leurs danses, ils s’entretiennent de choses pour le moins très-vaines, si elles ne sont pas mauvaises, et agissent les uns avec les autres d’une manière très-familière.

Sur cette idée que je donne des danses qui se pratiquent ordinairement, il n’y a que l’un de ces deux partis à prendre, ou de dire que cette idée est fausse, et que les danses ne sont pas telles que je les représente ; ou qu’étant telles, elles n’ont rien {p. 3}de dangereux ni de mauvais. Prendre le premier parti, ce seroit aller contre l’évidence ; et je ne crois pas qu’on ose le faire. Prendre le deuxième parti, ce seroit aller contre les principes de la Religion et de la bonne morale, et se rendre l’avocat de la plus mauvaise cause ; or, tout chrétien ne doit-il pas rougir d’être l’apologiste de ce qui ne peut être défendu qu’en s’écartant des vrais principes ?

Pour en convaincre pleinement et faire sentir combien sont dangereuses et indignes des chrétiens les danses, selon l’idée que je viens d’en donner, et qui répond à ce que tout le monde est en état de voir, j’apporterai un grand nombre de preuves ; ensuite je répondrai à toutes les objections qu’on a pris à tâche de multiplier, afin de détruire, s’il étoit possible, la force de ces preuves.

Peut-être quelques-uns trouveront-ils que je me serai trop étendu, et que j’aurois pu me réduire à moins de preuves. Mais je prie que l’on considère, 1.° qu’il s’agit de combattre un préjugé et une opinion dont la plupart des esprits sont préoccupés, et que l’amour qu’on a pour tout ce qui flatte les sens, porte à soutenir et à défendre contre toute raison. Or, quoi de plus propre à faire revenir tant de personnes de leurs préventions à cet égard, que d’accabler, pour ainsi dire, par la multitude et le poids des preuves, ces esprits que leurs préjugés portent à se roidir contre tout ce qu’on leur oppose ? 2.° Il s’agit d’arrêter, {p. 4}ou du moins de diminuer le torrent des péchés dont les danses sont partout l’occasion : et peut-on opposer trop de digues à un torrent qui fait tant de ravages spirituels, et qui entraîne tant d’ames dans les enfers ? 3.° Quelques curés ou confesseurs entre les mains desquels ce petit écrit pourra tomber, et qui ont été jusqu’à présent trop indulgens pour les danses et pour les personnes qui les aiment, parce qu’ils ne les ont point envisagées sous le vrai point de vue où il faut les considérer, pourront être plus touchés de cette multitude de preuves, que si on en avoit allégué quelques-unes en petit nombre ; et, en voyant tant de témoins déposer contre les danses, on peut espérer qu’ils se reprocheront d’avoir pensé autrement, et d’avoir trop facilement toléré ce qui dans tous les temps a été si hautement condamné ; qu’ils reviendront sur leurs pas, étant toujours honorable et utile de revenir à la vérité, quand on commence à la reconnoître, et qu’ils emploîront l’autorité de leur ministère à s’opposer à un mal dont ils sentiront mieux la grandeur et les funestes suites.

Revenons à l’idée que j’ai donnée des danses telles qu’elles se pratiquent, parce qu’en la développant, je disposerai par là les esprits à mieux sentir la force des preuves sur lesquelles j’en appuierai la condamnation.

J’ai dit, 1.° que les danses sont des assemblées de personnes de différent sexe, et surtout de jeunes personnes qui se réunissent {p. 5}pour se réjouir ensemble. Tout le monde le voit et le sait ; et cette seule idée ne fait-elle pas envisager les plus grands dangers pour les jeunes garçons et les jeunes filles ainsi rassemblés dans le dessein de se réjouir ? Ne sait-on pas combien est violente la pente de la nature pour le mal, et qu’elle n’a pas besoin d’être fortifiée par une réunion si dangereuse, et si propre à allumer dans les uns et dans les autres le feu des passions ? N’est-ce pas ordinairement dans la jeunesse qu’elles se font plus vivement sentir, qu’on a moins d’attention à les réprimer, et qu’on en prend moins les moyens ? Ces moyens sont la vigilance, la prière, la mortification et la pénitence ; et la plupart des jeunes garçons et des jeunes filles ne regardent-ils pas ces vertus comme étrangères, en quelque sorte, à leur âge, et comme étant réservées à un âge plus avancé, où il leur conviendra d’être plus sérieux et plus retenus ? Les jeunes filles qui vont aux danses se parent ordinairement avec plus de soin avant que d’y aller, et elles s’y étudient, plus que dans toute autre circonstance, à plaire. Dès lors ne faut-il pas être frappé d’aveuglement pour ne pas voir que des danses même qui passent pour les plus honnêtes, naissent mille périls pour la chasteté ; qu’il est moralement impossible d’en sortir, sans qu’elle soit pour le moins affoiblie, même dans ceux et celles en qui elle paroissoit le plus affermie ? N’est-il pas évident que les différens mouvemens du corps et les gestes qui se font dans {p. 6}les danses, que la façon libre de se regarder, ne peuvent que donner au démon la plus grande facilité de lancer dans le cœur de ceux et celles qui dansent, et de ceux même qui les voient danser, les traits enflammés de ce malin esprit, dont saint Paul parle en écrivant aux Ephésiens, dont on doit sans cesse être attentif à se garantir, si on ne les a pas encore reçus, en leur opposant le bouclier de la Foi, ou à les éteindre, si quelques-uns ont déjà malheureusement pénétré dans l’ame ? (Ephés. c. 6, v. 16.)

Si on a lu le premier livre de l’histoire de l’ancien Testament, qui est le livre de la Genèse, on sait ce qui arriva à Dina, fille de Jacob et de Lia, âgée alors d’environ quinze ou seize ans. Poussée par le désir indiscret de voir et d’être vue, elle sortit pour aller voir, non des personnes d’un autre sexe, mais les femmes du pays de Sichem, apparemment pour étudier leur démarche, leurs ajustemens et leurs manières. Sichem, fils d’Hémor, prince de ce pays, l’ayant vue, conçut de l’amour pour elle, l’enleva et la déshonora. Dina, en sortant et se livrant à la curiosité, ne paroit point avoir eu en vue aucun crime, et elle ne s’attendoit pas à être ainsi enlevée par violence ; tout ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir voulu voir et être vue ; au lieu que la sûreté des jeunes personnes de l’autre sexe consiste à se tenir le plus renfermées et le plus cachées qu’il leur est possible. Ce dont il me paroit qu’on ne peut guère douter, c’est qu’en se {p. 7}montrant indiscrètement, elle fut très-occupée de sa figure, se comparant à cet égard aux filles du pays que la curiosité lui fit considérer, et qu’elle laissa entrer dans son cœur un secret désir de plaire, quoique confus et sans aucun objet particulier. Dieu qui vouloit apprendre aux filles de tous les siècles combien un tel désir est mauvais à ses yeux, et qu’on ne sauroit prendre trop de précautions contre une passion qu’il est facile d’exciter, mais très-difficile de réprimer, quand une fois elle est excitée, permit que Sichem conçût pour elle une passion sans mesure, et que Dina en fut la malheureuse victime. Dieu avoit protégé contre de pareils dangers Sara et Rébecca, aïeules de Dina, parce qu’il n’y avoit point de leur faute, lorsqu’elles s’y trouvèrent ; mais il ne protégea pas Dina, parce qu’elle s’étoit exposée contre son ordre à un danger qu’elle pouvoit et qu’elle devoit éviter. N’est-ce pas le cas où se mettent ceux et celles qui vont aux danses ? Hélas ! si, lors même que l’on est éloigné des occasions, on a tant de peine à conserver la chasteté, dont la garde est si difficile, comment se flatte-t-on de la garder en l’exposant aussi témérairement qu’on le fait aux danses ? On ne peut être chaste que par une grâce spéciale de Dieu, de qui vient la chasteté comme toutes les autres vertus ; et le grand moyen d’obtenir cette grâce, c’est de la demander instamment à Dieu. C’est ce que reconnoît Salomon par ces paroles du livre de la Sagesse : (c. 8, v. 21.) {p. 8}Comme je savois que je ne pouvois avoir la continence, si Dieu ne me la donnoit, et c’étoit déjà un effet de la sagesse de savoir de qui je devois recevoir ce don, je m’adressai au Seigneur, je lui fis ma prière, et je lui dis de tout mon cœur : etc. Ce principe posé, je demande si les personnes qui vont aux danses, croient pouvoir par elles-mêmes et sans le secours de Dieu, conserver la chasteté, ou si, étant persuadées qu’elle est un don de sa miséricorde, elles se préparent aux danses par des prières qu’elles font à Dieu d’échapper aux piéges qui sont tendus de toutes parts à cette vertu ? Comment le demanderoient-elles ? Elles ne voient pas ces pièges, et la plupart ne sentent pas assez le prix de la chasteté, pour craindre d’y tomber ; mais je suppose qu’elles le craignent, et que pour éviter ce malheur il leur vienne à la pensée de se recommander à Dieu pour être en garde contre tout ce qui peut attaquer leur innocence : quelles prières seroient celles qu’elles feroient alors pour en demander la conservation, et quel effet auroient-elles devant Dieu ? Ne seroit-ce pas plutôt l’insulter que le prier, de lui demander de ne pas périr dans des dangers auxquels on s’exposeroit par sa propre faute après ce qu’il a si expressément dit : Celui qui aime le péril, y périra ? (Ecclés. c. 3, v. 27.) Le Saint-Esprit ne dit pas, celui qui est par nécessité dans le péril, y périra, mais celui qui l’aime, (et on l’aime, quand on le recherche). Dieu veut bien nous aider dans les tentations qui nous arrivent par {p. 9}nécessité et que nous ne saurions éviter ; mais il abandonne aisément ceux qui les recherchent par choix.

J’ai dit en second lieu des danses que je combats, qu’elles se font au son des instrumens et des chansons ; or, ce son frappant agréablement les oreilles, n’a-t-il pas souvent pour effet d’amollir le cœur, et de le disposer à recevoir les plus funestes impressions ? Ce qui se chante alors n’exprimant pour l’ordinaire qu’un amour impur, en porte facilement les dangereuses étincelles, ou même les flammes dans l’ame. Si en chantant on n’articule aucune parole, les airs qui se jouent sur les instrumens rappellent souvent à l’esprit des chansons très-mauvaises qu’on a eu le malheur d’apprendre, et qu’on n’a pas oubliées ; et, supposé que, dans ce temps même de la danse, ni les chansons, ni le son des instrumens et des airs qu’on y joue, n’aient pas fait d’impression, peut-on nier que cela n’ait jeté dans le cœur une mauvaise semence qui, étant demeurée cachée pendant un temps, y germe, paroît au moment qu’on s’y attend le moins, et produit enfin des fruits de mort ?

J’ai dit en troisième lieu des danses telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui, que comme chacune des personnes qui vont aux assemblées pour danser, ne danse pas toujours, les intervalles de temps que la danse n’occupe pas, sont ordinairement remplis par des conversations et des manières d’agir très-libres que les jeunes personnes de {p. 10}différent sexe ont ensemble, et qui ne peuvent que faire de très-grandes plaies à la chasteté. On ne contestera pas le fait ; et de tout cela ne résulte-t-il pas que partout où la chasteté sera bien établie, les danses ne pourront guère y trouver de place.

Mais de cette considération générale sur les danses, qui devroit seule suffire pour faire sentir qu’elles doivent être entièrement et pour toujours bannies de tous les lieux où l’on fait profession du christianisme, il faut passer au détail des preuves en grand nombre qui établissent le devoir de s’en éloigner et de se les interdire. Nous tirerons ces preuves, 1.° des saintes Ecritures ; 2.° des saints pères et des saints docteurs de l’Eglise ; 3.° des conciles ; 4.° des théologiens catholiques les plus connus par leur piété et par leur science ; 5.° des théologiens protestans ; 6.° enfin, des païens même. Si toutes ces preuves ne touchent et n’ébranlent point, elles serviront du moins à faire voir combien est grande l’inflexibilité de cœur de ceux qui ne s’y rendront pas, et combien est opiniâtre leur résistance à la vérité.

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Chapitre II.

Preuves contre les Danses, tirées des Saintes Ecritures. §

Les saintes Ecritures défendent, 1.° de regarder trop attentivement et avec délibération des personnes d’un sexe différent ; 2.° de converser souvent sans nécessité et trop familièrement avec elles ; 3.° de se conduire et d’agir trop librement à leur égard : or, tout cela se trouve dans les danses plus qu’ailleurs, et d’une manière plus dangereuse ; et tout cela s’y trouve, non comme un accessoire qu’on peut en séparer, mais comme étant le fond, la base et l’ame, si on peut parler ainsi, de la danse.

Par rapport aux regards qu’on jette sur des personnes d’un sexe différent, délibérément et avec attention, le Saint-Esprit dit dans le chapitre 9 du livre de l’ecclésiastique (v. 3.). Ne regardez pas une femme volage dans ses désirs, de peur que vous ne tombiez dans ses filets. (v. 5.) N’arrêtez point vos regards sur une fille, de peur que sa beauté ne vous devienne un sujet de chute. (v. 8.) Détournez vos yeux d’une femme parée, et ne regardez point une beauté étrangère. (v. 9.) Plusieurs se sont perdus par la beauté d’une femme : car c’est par là que la concupiscence s’embrase comme un feu. Dans un autre chapitre du même livre, le Saint-Esprit dit encore : (c : 25, v. 28.) Ne faites point attention à la beauté d’une {p. 12}femme, et ne la considérez point parce qu’elle est agréable. (v. 33.) La femme a été le principe du péché, et c’est par elle que nous mourons tous.

Jésus-Christ nous a marqué non-seulement le danger, mais le mal qu’il y a dans les regards qu’on fait volontairement et avec attention sur les personnes d’un sexe différent, lorsqu’il a dit : (Matth. c. 5, v. 28.) Quiconque regarde une femme avec un mauvais désir pour elle, a déjà commis l’adultère dans son cœur. Selon cette parole de la vérité même, combien y a-t-il de gens dont la vie n’est qu’un adultère continuel !

C’est parce que le saint homme Job craignoit le danger et le mal qu’il y a dans les regards, qu’il disoit : (c. 3.1, v. 1.) J’ai fait un pacte avec mes yeux ; car pourquoi aurois-je considéré une vierge ? Est-il bien facile de garder dans les danses un pareil pacte, que tout bon chrétien est obligé de faire comme Job ? Si on l’avoit fait comme lui, bien loin de courir aux danses, ne les fuiroit-on pas comme une des occasions les plus dangereuses et les plus ordinaires de pécher ? Que dis-je, n’est-il pas au contraire de l’essence de la danse de fixer ses regards sur la personne ? N’est-ce pas la première leçon que des maîtres corrupteurs donnent et inculquent à leurs malheureux élèves ? et cela seul ne porte-t-il pas sur le front sa condamnation ?

A l’égard des conversations trop fréquentes et sans les précautions nécessaires avec des personnes d’un sexe différent, surtout avec {p. 13}celles qui sont volages, qui aiment à rire et à se divertir, et dont les discours ne sont propres qu’à amollir le cœur, le Saint-Esprit dit dans le même livre de l’Ecclésiastique et dans le même chapitre 9 (v. 4.) : Ne vous trouvez pas avec une femme qui danse, et ne l’écoutez pas, de peur que vous ne périssiez par la force de ses charmes. (v. 11.) Plusieurs ayant été surpris par la beauté d’une femme étrangère, ont été rejetés de Dieu ; car l’entretien de ces femmes brûle comme un feu.

Dans le chapitre 42 du même livre, le Saint-Esprit nous donne encore cet avis : (vv. 12 et 13.) Ne demeurez point au milieu des femmes ; car comme le ver s’engendre dans les vêtemens, ainsi l’iniquité de l’homme vient de la femme ; c’est-à-dire comme le ver se forme dans les vêtemens, sans qu’on s’en aperçoive, que, lorsqu’il n’est plus temps d’y remédier, ainsi le mal spirituel qui naît des conversations trop fréquentes et trop familières avec les personnes d’un autre sexe, est un mal qui ne s’aperçoit pas d’abord, parce qu’il a gagné insensiblement le cœur, passant des yeux dans les pensées et les désirs, et trop souvent des désirs dans les actions.

Pour mieux faire sentir cette vérité, le Saint-Esprit ajoute (v. 14.) : Un homme qui vous fait du mal, vaut mieux qu’une femme qui vous fait du bien, et qui devient un sujet de confusion et de honte. Quel peut être le sens de cette sentence si extraordinaire ? Elle signifie que la méchanceté d’un homme qui nous afflige est moins à craindre que les {p. 14}manières douces et agréables d’une femme, même vertueuse et bienfaisante. Pourquoi ? Parce que le mal que fait un méchant homme, peut servir à exercer la patience, et être par là une occasion d’acquérir des mérites ; au lieu qu’une femme qui gagne et attire par ses bonnes manières et par ses bienfaits, peut devenir un sujet de chute.

Le Saint-Esprit, parlant en particulier dans la livre des proverbes, des personnes de l’autre sexe dont la fréquentation et les entretiens sont plus dangereux, parce qu’elles sont plus portées et plus propres à séduire ceux qui ont l’imprudence de s’arrêter avec elles, dit de ces sortes de personnes : (Prov. c. 5, vv. 3 à 8.) Les lèvres de la prostituée sont comme le rayon d’où coule le miel, et son gosier est plus doux que l’huile ; mais la fin en est amère comme l’absinthe, et perçante comme l’épée à deux tranchans : ses pieds descendent dans la mort, ses pas s’enfoncent jusqu’aux enfers ; ils ne vont point par le sentier de la vie ; ses démarches sont vagabondes et impénétrables : maintenant donc, mon fils, écoutez-moi, et ne vous détournez point des paroles de ma bouche : éloignez d’elle votre voie, et n’approchez point de la porte de sa maison. Combien trouve-t-on dans les assemblées de danses de jeunes personnes, qui à la vérité, ne sont pas des prostituées comme celles dont Salomon parle en cet endroit, mais qui du moins sont très-volages, et dont on peut dire que par là leurs lèvres, jusqu’à un certain point, sont comme le rayon {p. 15}du miel, par ce qu’il y a d’agréable et de séduisant dans leurs discours efféminés ! Si on peut dire avec le Saint-Esprit, que les pas de ces sortes de personness’enfoncent jusqu’aux enfers, (en ce sens que, n’y tombant pas tout d’un coup, du moins ils y descendent comme insensiblement et par degrés,) combien doit-on craindre, en s’attachant à elles, de descendre avec elles dans les enfers où leurs pas les conduisent !

Enfin, l’écrivain sacré défend les manières trop familières et trop libres d’agir avec des personnes d’un sexe différent. Ces sortes de familiarités passent souvent dans le monde pour des choses indifférentes et sans danger ; cependant le Saint-Esprit nous dit que se les permettre, c’est cacher le feu dans son sein, et prétendre en même temps qu’on ne sera pas brûlé. C’est dans le chapitre 6.° du livre des Proverbes, que le Saint-Esprit parle ainsi (vv. 27, 28 et 29.)

C’est encore pour nous avertir de fuir les manières trop libres d’agir avec des personnes d’un autre-sexe, qu’il est dit dans le livre de l’ecclésiastique : (c. 9, vv. 12 et 13.) Ne vous asseyez jamais avec la femme d’un autre ; ne soyez point à table avec elle, appuyé sur le coude : ne disputez point avec elle en buvant du vin, de peur que votre cœur ne se tourne vers elle, et que votre affection ne vous fasse tomber dans la perdition.

Il est aisé de comprendre que les précautions et la retenue que le Saint-Esprit recommande aux hommes dans tous les {p. 16}endroits qui viennent d’être rapportés, à l’égard des femmes, sont également nécessaires aux femmes par rapport aux hommes, et leur sont par conséquent également recommandées par le Saint-Esprit.

Que tous craignent donc les écueils, qui n’ont que trop souvent fait faire à la chasteté de funestes naufrages. Dieu a permis que plusieurs justes s’y soient brisés, afin que la chute des forts fasse trembler les foibles ; et que tous apprennent que le plus sûr moyen d’éviter les plus grands désordres, est d’en fuir les occasions, et même les moindres apparences. Nous ne sommes pas plus saints que David, plus sages que Salomon, plus forts que Samson ; et on sait combien les occasions où ces grands personnages se sont trouvés, leur ont été funestes. La vue de Bethsabée, femme d’Urie, fit tomber David dans l’adultère. (Liv. 2 des Rois, c. 11.) La trop grande complaisance de Samson pour Dalila lui fit perdre ses forces, et le fit tomber entre les mains de ses ennemis. (Liv. des juges, c. 16.) Enfin, on voit dans l’histoire des Rois, (L. 3, c. 11.) que les femmes étrangères que Salomon aima passionnément, corrompirent à un tel point le cœur de ce roi, auparavant si sage, qu’elles lui firent suivre des dieux étrangers. Qui ne doit pas trembler à la vue de ces exemples effrayans ! Ne pas craindre ce qui peut conduire au mal, c’est donner trop sujet de penser qu’on y est déjà engagé. Aussi Jésus-Christ dit-il : (Matth. c. 5, vv. 29 et 30.) {p. 17}Que si notre œil droit ou notre main droite sont pour nous une occasion de péché, nous devons les arracher et les jeter loin de nous. Il est évident que par l’œil et la main qui seroient une occasion de péché, J. C. a voulu marquer quelque chose qui nous seroit aussi cher et aussi nécessaire que l’œil et la main droite. Il veut alors qu’on arrache cet œil, qu’on coupe cette main, ce qui ne pourroit se faire sans une très-grande douleur ; pour marquer que quoi qu’il en puisse coûter pour se séparer des occasions de péché, il faut s’y résoudre et le faire. Il ajoute qu’il faut jeter loin de soi cet œil et cette main qu’on a arrachés, parce qu’ils étoient une occasion de péché, pour nous apprendre que nous ne saurions mettre une trop grande distance entre nous et ce qui peut nous exposer au danger d’offenser Dieu, le péché étant le plus grand de tous les maux. Les plus grandes précautions sont particulièrement nécessaires à la conservation de la chasteté ; la modestie la plus exacte dans les regards, les paroles et les manières, en est le plus fort rempart. Ces deux vertus se soutiennent mutuellement : et quiconque en néglige une, ne peut garder l’autre. L’auteur du traité contre les spectacles, dit : « Que fait au spectacle un chrétien fidèle, à qui il n’est pas permis de penser volontairement aux vices, ces pensées lui en faisant perdre la retenue, et le rendant plus hardi à se porter aux crimes ? » Je dis de même : Que fait au milieu des danses un chrétien fidèle qui ne doit rien éviter avec {p. 18}tant de soin que le péché, ni rien tant craindre que la perte ou l’affoiblissement de la chasteté ? Quid inter hæc christianus fidelis, facit, cui vitia non licet nec cogitare, ut in ipsis depositâ verecundiâ audacior fiat ad crimina ? Cet ancien auteur ajoute : « L’ame de l’homme tendant naturellement au vice, et y tombant facilement d’elle-même, que fera-t-elle, si elle y est poussée par tous ce qui l’environne, qu’elle voit et qu’elle entend ? » Cùvimens hominis ad vitia ipsa ducætur, quæ spontè corruit : quid faciet si fuerit impulsa ? « Il faut donc, conclut-il, détourner notre esprit et notre cœur de toutes ces choses qui ne peuvent que porter au mal : Avocandus est animus ab istis. »

Les saintes Ecritures nous fournissent une seconde preuve contre les danses dans ces paroles du prophète Isaïe : (c. 3, vv. 16 et 17.) Parce que les filles de Sion se sont redressées, qu’elles ont marché la tête haute, qu’elles ont fait des signes des yeux, qu’elles se sont donné des airs de mollesse dans leurs démarches étudiées et contraintes, le Seigneur rendra sale et chauve la tête des filles de Sion ; et il les réduira à la nudité la plus honteuse. Ce qui est reproché aux filles de Sion, ne se trouve-t-il pas dans les danses qui se font parmi nous ? N’y voit-on pas les filles chrétiennes affecter de s’y redresser comme faisoient autrefois les filles de Sion contre lesquelles le prophète s’élève ? N’y font-elles pas des signes des yeux, qui sont pour elles et pour ceux à qui elles les font comme des messagers {p. 19}d’impureté ? Ne s’y donnent-elles pas dans les mouvemens étudiés et contraints qui font proprement les danses, des airs de mollesse qui ne montrent que trop le dérèglement intérieur de l’ame ? Saint Basile, expliquant cet endroit, dans son commentaire sur Isaïe, (tom. 1, pag. 464.) dit qu’une fille, telle que le saint prophète la représente, jette par ses regards et ses gestes peu modestes et trop libres, dans le cœur de ceux qui la voient, un poison mortel : Aspectu ipso exitiosum quoddam virus jaculatur. Après quoi le saint docteur ajoute : Ah ! plût-à-Dieu qu’on ne pût pas faire encore aujourd’hui aux filles chrétiennes le reproche que le prophète Isaïe faisoit autrefois aux filles juives ! Atque utinam Ecclesie quoque filiabus hoc idem exprobrari non posset !

Une troisième preuve contre les danses, tirée des saintes Ecritures, c’est que Jésus-Christ et ses Apôtres nous y donnent, par rapport à l’importante et difficile affaire de notre salut, plusieurs avis qu’il est impossible de suivre dans les danses, et contre lesquels même elles vont directement.

En saint Matthieu, Jésus Christ nous dit : (c. 26, v. 41.) Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation ; et dans saint Luc. (c. 21, v. 36.) C’est en tout temps que Jésus-Christ dit qu’il faut prier et veiller.

L’apôtre saint Pierre nous donne le même avis en ces termes : (1. ép. c. 5, v. 8.) Soyez sur vos gardes, et veillez : car le démon tourne autour de vous comme un lion rugissant, {p. 20}cherchant qu’il pourra dévorer. Manqueroit-on assez de bonne foi pour ne pas reconnoître que le temps et la circonstance des danses, sont un temps et une des circonstances où le démon est plus occupé à tourner autour des ames pour les perdre, et où il lui est plus facile de les dévorer, c’est-à-dire de s’en rendre le maître, en les faisant tomber dans le péché ? C’est donc aussi là un temps et une circonstance où la prière et la vigilance, qui nous sont tant recommandées en tout temps, sont plus nécessaires. Mais qui est-ce qui oseroit dire que le temps où l’on danse est propre à remplir ce double devoir ? L’extrême dissipation qui est inséparable des danses, n’en rend-elle pas incapable ? Y pense-t-on même le moins du monde à s’en acquitter ?

Saint Paul recommande aux chrétiens, (ép. aux Rom. c. 6, v. 13.) de ne point abandonner les membres de leurs corps au péché pour lui servir d’armés d’iniquités. N’est-ce pas aller directement contre ce précepte, que d’employer à la danse des pieds que Dieu ne nous a donnés que pour marcher décemment et avec modestie, et pour aller où le devoir et nos besoins nous appellent ? Ne pourroit-on pas même dire que Dieu est comme foulé aux pieds des personnes qui dansent ; parce qu’elles mettent, en quelque sorte, sous leurs pieds sa loi, en la violant en beaucoup de manières, et donnant à d’autres occasion de la violer ?

Le même saint Apôtre exhorte les Ephésiens, et nous en leur personne, à ne donner {p. 21}point de lieu et d’entrée au diable. (c. 4, v. 27.) Et dans ces danses n’ouvrez-vous pas au démon toutes les portes de ses sens, et en particulier vos yeux et vos oreilles, comme pour l’inviter à entrer dans votre ame sans la moindre résistance ?

Voici un autre avis de saint Paul dans son épître aux Colossiens. (c. 3, vv. 5 et 6.) Faites mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous, la fornication, l’impureté, les abominations, les mauvais désirs ; puisque ce sont ces excès qui font tomber la colère de Dieu sur les hommes rebelles à la vérité. Bien loin que dans les danses on fasse mourir les membres de l’homme terrestre, qui sont les passions et les vices, tout au contraire, n’y contribue-t-on pas à leur donner plus de vie et d’activité ? Qu’on s’examine bien au sortir des assemblées de danses, et qu’on soit sincère ; pourra-t-on s’empêcher de reconnoître que les passions sont plus animées, que les tentations sont plus fréquentes et plus violentes, et qu’on a moins de force pour leur résister ? J’en prends à témoins les personnes qui ont autrefois le plus aimé ce pernicieux divertissement, mais que la grâce a touchées ; ne reconnoissent-elles pas, en gémissant, qu’elles y ont commis, et en même temps vu commettre à d’autres beaucoup de fautes ? Et ne sont-elles pas d’autant plus croyables sur ce point, que parlant contre elles-mêmes, elles ne le font que par un amour de la vérité, qui ne peut être suspect, et qui leur fait désirer de {p. 22}réparer, par l’humble aveu qu’elles font de leurs anciennes fautes, le mauvais exemple qu’elles ont donné ?

Chapitre III.

Témoignages des SS. Pères et Docteurs de l’Eglise contre les Danses. §

Les saints Pères qui ont été chacun dans leur temps les organes de l’Eglise, ont tous parlé avec force contre les danses. Le premier dont je dois rapporter le témoignage à ce sujet, est l’illustre martyr et docteur S. Ignace, évêque d’Antioche, dans sa lettre aux Magnésiens. En les exhortant à célébrer spirituellement le sabbat ou le dimanche, il met les danses au nombre des actions qu’on doit particulièrement éviter en ce saint jour. « Que chacun de vous, dit-il, observe le sabbat spirituellement, ne faisant pas consister simplement cette observation à interrompre les ouvrages corporels, et dans le repos du corps ; mais en mettant votre plaisir dans la méditation de la loi de Dieu, et à admirer ses ouvrages dans la création du monde, plutôt qu’à danser et à vous livrer à des marques de joie insensées. » (M. Cotellier, dans son recueil des ouvrages des SS. Pères qui ont fleuri dans les temps voisins de celui des Apôtres, tom. 2. pag. 59, édition d’Anvers.) Unusquisque vestrûm sabbatis et spiritualiter, {p. 23}meditatione legis gaudens, non corporis remissione, opificium Dei admirans, non… saltationibus, plausibusque insanis oblectans se.

St. Basile, dans une homélie qu’il a faite contre les excès du vin, s’élève aussi avec force contre les danses, et particulièrement contre les jeunes personnes de l’autre sexe, qui aiment et recherchent ce divertissement. (hom. in ebriosos, tom. 2, pag. 123.) « Oubliant, dit ce saint docteur, la crainte de Dieu, et méprisant le feu de l’enfer, au lieu qu’elles devroient regarder leur maison, et le souvenir de ce jour terrible où les cieux s’ouvriront, et où le Juge souverain des vivans et des morts descendra pour rendre à chacun selon ses œuvres ; au lieu qu’elles devroient s’appliquer à purifier leur cœur de toute mauvaise pensée, et effacer, par leurs larmes, les péchés qu’elles ont commis, et se préparer ainsi au grand jour de l’avénement du Seigneur, elles secouent le joug de Jésus-Christ ; et, ôtant de dessus leur tête le voile dont l’honnêteté demanderoit qu’elles fussent couvertes, elles s’exposent ainsi sans pudeur aux yeux des hommes, elles ont elles-mêmes un regard hardi, elles se livrent à des ris immodérés, et s’agitent dans leurs danses comme des personnes qui sont dans des transports de frénésie et de fureur, ad saltandum quasi quodam furore concitæ ; elles allument ainsi la passion des jeunes gens pour elles, omnem juvenum libidinem in se ipsis provocantes ; enfin, faisant ces danses hors {p. 24}des murs de la ville où les saints martyrs sont honorés, elles font par là de ces lieux saints, comme une boutique de leurs obscénités : In martyrum basilicis prœ mœnibus civitatis choros constituentes, loca sancta officinam obscenitatis suæ effecerunt. »

Tout ce que saint Basile dit ici des danses contre lesquelles il s’élève, ne se trouve-t-il pas dans la plupart de celles qui se font aujourd’hui parmi nous ? Peut-on nier qu’il n’y ait dans ces dernières tous les traits de ressemblance avec celles dont parle le saint docteur ? Les filles ne s’y exposent-elles pas, comme il s’en plaignoit, à la vue des jeunes gens qui s’y assemblent pour danser avec elles, ou du moins pour les voir danser ? Ne s’y livrent-elles pas pour l’ordinaire à des ris immodérés ? Les mouvemens de leurs corps, pendant qu’elles dansent, ont-ils la décence et la modestie qui conviennent particulièrement à leur sexe et à leur âge, et généralement à toute personne chrétienne qui doit être assez maîtresse d’elle-même, pour régler tous ses pas d’une manière digne de Dieu ? Si ces jeunes personnes n’ont pas formellement dessein d’exciter la passion des jeunes gens pour elles, ne doivent-elles pas du moins craindre que cela n’arrive, puisque rien n’est plus facile et plus ordinaire ? Enfin, dans les danses d’aujourd’hui, respecte-t-on plus la présence de Dieu et des Anges, qu’on ne faisoit dans celles dont saint Basile se plaint, et n’y perd-on pas également de vue le terrible jour du Jugement ?

{p. 25}Saint Jean-Chrysostôme est un des pères de l’Eglise qui a le plus souvent et plus fortement parlé contre les danses. Il le fait d’abord en expliquant à son peuple l’endroit de l’Evangile selon saint Mathieu, (c. 14, v. 6.) où il est rapporté que la fille d’Hérodiade dansa devant le roi Hérode, qu’elle lui plut en dansant, et que ce prince lui ayant promis de lui accorder tout ce qu’elle demanderoit, elle eut la cruauté de lui demander, comme pour prix de sa danse, la tête de saint Jean-Baptiste. Sur quoi le saint docteur commence par ces mots : (hom. 48, en S. Matth. tom. 7, pag. 436.) « C’est dans la fille d’Hérodiade un double crime, et d’avoir dansé et d’avoir plu par sa danse : Duplex crimen, et quòd saltavit et quòd placuerit. » Il ajoute que « c’est le diable qui la fit danser avec tant de grâce, et qui fit par là qu’elle plut à Hérode qui fut ainsi pris dans ses piéges : Id diabolus effecit, ut illa saltans placuerit, et Herodem tunc caperet ». La raison qu’en donne S. Jean-Chrysostôme, c’est que le diable se trouve partout où il y a des danses : (pag. 498.) Ubì saltatio, ibì diabolus. « Les aimer, ajoute ce Saint, c’est abuser des dons du Créateur, et aller contre les vues qu’il s’est proposées en nous donnant des pieds : en effet il ne nous les a pas donnés pour en faire un usage aussi honteux que celui qu’on en fait dans les danses, mais seulement pour marcher modestement. Si le corps est déshonoré par cette manière indécente {p. 26}de marcher, combien plus l’ame l’est-elle ? Si corpus id agens turpe est, multò magìs anima. Ces danses sont les divertissemens des démons, et c’est par le plaisir qu’on y trouve que les ministres de Satan lui attirent des ames par leurs flatteries : Sic saltant, sic adulantur dæmonum ministrì. (pag. 500.) A la vérité, les danses d’aujourd’hui ne causent pas la mort de saint Jean-Baptiste, comme celle de la fille d’Hérodiade la causa ; mais elles en causent une beaucoup plus funeste aux membres de Jésus-Christ. Atque etiam si Joannes non interficiatur, sed Christi membra longè graviùs impetuntur. Ceux qui dansent maintenant, ne demandent pas qu’on leur apporte dans un plat la tête du saint précurseur ; mais ils demandent pour le démon les ames de ceux qui sont présens : Non enim caput in discopetunt ii qui nunc tripudiant, sed animas simul recumbentium. Si la fille d’Hérodiade ne se trouve pas aux danses d’aujourd’hui, le diable qui dansa alors, en quelque sorte, en elle, s’y trouve, et les anime ; et par ces danses, il entraîne captives les ames qu’il trouve dans ces assemblées si dangereuses : Nam et si non adsit filia Herodiadis ; sed qui per illam tunc saltavit diabolus, per illas nunc choreas agit, animas descumbentium agens captivas. » Qui est-ce qui, à cette description si effrayante et trop véritable de ce qui se passe, même dans les danses de notre temps, ne doit pas {p. 27}trembler, s’il lui reste un peu de foi ? Et qui de ceux qui prennent la défense des danses, osera préférer son autorité et celle des aveugles mondains, à l’autorité de ce saint docteur ? S. Ambroise, dans une lettre à Sabin, évêque de Plaisance, (Lett. 58, n.° 5, tom. 2, pag. 1013,) lui écrit que « rien n’est plus immodeste que de se donner en spectacle dans les danses, pour y imiter les gestes indécens et les postures efféminées des comédiens ».

Dans son troisième livre des vierges, (c. 5, n.° 25, tom. 2, pag. 180,) après avoir dit que la joie d’un chrétien ne doit se trouver que dans le témoignage d’une bonne conscience, il ajoute tout de suite que « la pudeur ne sauroit être en sûreté, et que tout est à craindre des attraits de la volupté, lorsqu’on finit par la danse les autres divertissemens ». Ibì intecta verecundia illecebra suspecta est, ubì comes deliciarum est extrema saltatio. Le saint docteur cite à ce sujet cette parole d’un païen, qu’une personne qui n’est point ivre, ne danse point, à moins qu’elle ne soit folle. (Nous dirons dans la suite qui est ce païen, et à quelle occasion il a parlé de la sorte.) Puis il fait cette réflexion : Ibid.c. 6, n.° 27.) « Si, selon les lumières de la sagesse du siècle, l’ivresse ou la folie sont le principe de la danse, qu’en doit on penser selon les Ecritures, où ce qu’on lit de saint Jean-Baptiste, précurseur de Jésus-Christ, mis à mort selon le désir et la demande d’une danseuse, fait voir quelles funestes suites {p. 28}le plaisir criminel de la danse entraîne après lui ? » Il en fait une autre sur ce qu’Hérodiade produisit elle-même sa fille pour la faire danser au milieu d’une assemblée d’hommes. Et qu’est-ce, dit-il, en effet, (ibid. c. 6, n.° 27, pag. 181), « que la fille d’une femme adultère pouvoit apprendre d’elle, sinon à exposer sans crainte sa pudeur ? Car quelle pudeur peut-il y avoir où l’on danse ? Quid enim potuit de adulterâ discere, nisi damnum pudoris ? Quid enim ibì verecundiœ potest esse ubì saltatur ? » Voilà une fille qui danse, ajoute S. Ambroise, mais c’est la fille d’une adultère : (ibid. n.° 31) Saltat sed adulterœ filia ; et il en prend occasion d’avertir les mères chastes et chrétiennes, « d’apprendre à leurs filles, non à danser, mais tout ce qui appartient à la Religion : Quæ verò pudica, quæ casta est filias suas religionem doceat, non saltationem ». Que cette leçon est importante, mais qu’elle est aujourd’hui peu suivie ! Combien voit-on de mères qui se glorifient de ce que leurs filles ont bonne grâce en dansant, et qui n’ont pas honte de les laisser dans une très-grande ignorance des vérités de la Religion ! On sait parfaitement les règles de la musique et de la danse ; et on n’a presque aucune idée des mystères de Jésus-Christ, de l’étendue des commandemens de Dieu, des grâces attachées aux sacremens, des dispositions nécessaires pour s’en bien approcher ; de ce qui fait le sujet de nos plus grandes solennités, et des {p. 29}sentimens de piété dans lesquels on doit les célébrer. Est-il étonnant que, connoissant si peu les divines beautés de notre sainte Religion, et ce qu’elle a d’intéressant pour le cœur, on n’ait de goût que pour la vanité du siècle et pour ses dangereux plaisirs ?

Saint Augustin ayant eu, même avant sa conversion, tant de respect pour saint Ambroise, et tant d’empressement à écouter ses instructions, auroit-il pu, après que Dieu l’eut touché, et ensuite élevé à l’épiscopat, n’être pas un ardent imitateur de son zèle contre tous les abus et les désordres qui régnoient de son temps ! Il ne vit jamais qu’avec la plus vive douleur, celui des danses, et surtout de celles que le concours des Fidèles aux tombeaux des martyrs occasionnoit. Que ne fit-il pas pour les abolir ! Et quelle consolation fut-ce pour lui, lorsque Dieu bénissant son ministère, il eut le bonheur d’y réussir !

Il blâme d’abord les danses en général, en quelque temps et en quelque lieu qu’elles se fassent, en expliquant le psaume 69 (n.° 2.) il observe que le démon, selon la différence des temps, prend aussi différentes formes pour attaquer les chrétiens ; que dans le temps que les princes infidèles persécutoient les adorateurs du vrai Dieu, le démon avoit la forme de lion, la fureur des persécuteurs étant figurée par celle d’un lion rugissant ; qu’ensuite les persécutions ayant cessé, le démon avoit pris la forme d’un serpent, s’appliquant d’autant plus à {p. 30}séduire et à tromper les Fidèles, qu’il ne pouvoit plus les persécuter autrement ; que les danses sont un des moyens qu’il emploie pour les perdre. Les esprits de malice, dit ce père, n’ayant pas maintenant la liberté d’exercer leur cruauté sur les corps des chrétiens, ils déchirent les ames. « Et comment ? C’est par les danses, les blasphèmes, les impudicités : Quia non habent quid agant sæviendo, saltando, blasphemando, luxuriando, non impetunt corpora christianorum, sed lacerant animas christianorum. » Si les danses étoient un divertissement indifférent et permis, saint Augustin les joindroit-il aux blasphèmes et aux impudicités, en parlant des moyens que le diable, sous la forme du serpent, prend pour séduire les chrétiens ; et diroit-il qu’elles mettent les ames en pièces, comme ces deux autres espèces de crimes, contre lesquels tout le monde prononce condamnation ?

Dans un sermon sur la fête du grand saint Cyprien, en parlant du désordre qui avoit long-temps régné, de passer la nuit de la fête de ce Saint à chanter et à danser, il dit que « cette peste, après avoir résisté quelque temps, avoit enfin cédé au zèle de l’évêque du lieu, qui n’avoit rien épargné pour faire cesser ce scandale. (serm. 311, n.° 6.) Illa pestis aliquantulùm cessit diligentiæ, etc. »

Est-ce sans raison que saint Augustin donne aux danses le nom de peste ? Ét n’est-il pas évident qu’il ne les appelle ainsi {p. 31}que parce que leur contagion nuit pour le moins autant aux ames, que la peste nuit aux corps ?

Saint Augustin avoit eu la douleur de voir à Hypone, aux fêtes des martyrs, ces profanes divertissemens, qu’il appelle dans le même sermon, des jeux en l’honneur des démons qui se plaisent à séduire ainsi les hommes ; mais il avoit eu la consolation de les abolir. Il nous apprend dans une de ses lettres adressées à Alippe son ami et évêque de Tagaste, ce qu’il avoit fait pour cela : un des moyens qu’il employa fut de faire lire au peuple l’histoire de l’adoration du veau d’or par les Juifs, rapportée au chapitre 32 de l’Exode : il y est dit que le peuple se leva dès le matin, pour offrir à ce veau des holocaustes et des victimes pacifiques ; qu’ensuite il s’assit pour boire et pour manger, et qu’ils se levèrent pour danser : sur quoi saint Augustin, qui n’étoit alors que simple prêtre, fit observer au peuple que dans toute l’Histoire sainte on ne voit que la circonstance de la consécration et de l’adoration du veau d’or, où les excès de bouche et de danses aient eu lieu pour la célébration d’une fête : « et il en conclut que cette manière de célébrer les fêtes, n’est digne que des fêtes des idolâtres », et est par conséquent indigne des véritables chrétiens. Lorsqu’on fabriqua ce veau d’or, Moïse étoit avec Dieu sur la montagne de Sinaï, pour recevoir de sa main les tables de pierre, sur lesquelles {p. 32}furent gravés les dix commandemens. En descendant de la montagne pour porter au peuple ces tables de la loi, Moïse vit le veau et les danses qui se faisoient en son honneur : alors sa colère s’embrasa, il jeta les tables qu’il tenoit entre ses mains, et les brisa au pied de la montagne. L’exemple de ce zèle de Moïse donna une nouvelle activité à celui de saint Augustin, contre les désordres qu’il s’efforçoit de détruire, exhortant son peuple à ne plus célébrer, à l’avenir, les fêtes des martyrs par des chansons, des danses et des excès de bouche qui les profanoient. Il leur dit sur ces deux tables de la loi brisées par Moïse : « Quoi ! ne seroit-il pas étrange qu’ayant affaire avec des enfans de la nouvelle alliance, dont le caractère et la différence d’avec les Juifs doit être, selon l’apôtre, (2. Cor. c. 3, 113,) de porter la loi de Dieu écrite dans leur cœur, nous ne pussions pas amollir et briser le même cœur de ceux qui tiennent encore aux abus dont nous nous plaignons, et qu’ils persistassent à vouloir pratiquer tous les ans dans les solennités des Saints, ce que le peuple juif n’a fait qu’une seule fois, et dans une occasion d’idolâtrie ? »

Le cœur de ses auditeurs fut en effet brisé par la force et l’onction de ses paroles, à laquelle Dieu joignit l’onction intérieure de sa grâce. Rien n’est plus touchant que le récit que ce Saint fait lui-même à Alippe du fruit de son discours. Il le finit {p. 33}en les menaçant que Dieu les frapperoit par la verge de fureur, s’il méprisoit ce qu’on venoit de leur lire. « Je poussai, dit-il, cette menace de la manière que m’inspira celui qui conduisoit mon esprit et ma langue. En cet endroit nous fondions tous en larmes : ce ne fut pas moi qui commençai, mes larmes ne firent que suivre celles de mes auditeurs ; et voyant que ce que je leur disois les faisoit pleurer amèrement, j’avoue que je ne pus me retenir. Après donc qu’on eut bien pleuré de part et d’autre, je finis plein d’espérance de les ramener. » Si les églises avoient aujourd’hui un nombre de ministres aussi saints et aussi zélés que S. Augustin, ne pourroit-on pas espérer qu’élevant comme lui avec force leurs voix contre les danses, on les verroit cesser, du moins en beaucoup d’endroits où elles ne se perpétuent que parce que ceux qui devroient s’y opposer ne le font pas avec assez de vigueur, ou ne se sont pas acquis, par la lumière de leur doctrine et par la sainteté de leur vie, assez d’autorité pour faire sur l’esprit des peuples toute l’impression que leurs discours devroient y faire ?

Saint Ephrem le Syrien, un des plus illustres des anciens solitaires, dont les écrits ont été si célèbres et si estimés dans l’antiquité, qu’au rapport de saint Jérôme, ils étoient lus publiquement dans l’église après les saintes écritures, (catalog. scriptorum ecclesiast. c. 15, tom. 4, part. 2, p. 129.) S. Ephrem, dis-je, a fait un discours sur {p. 34}l’obligation dans laquelle sont tous les chrétiens de s’abstenir des divertissemens contraires à la sainteté du christianisme : pouvoit-il manquer de s’y élever contre les danses ? Voyons en quels termes il en parle (Edit. de Cologne, pag. 107 et suiv.). « Qui jamais, dit ce Saint, pourra montrer qu’il est permis à des chrétiens de danser ? Qui des prophètes l’a enseigné ? Quel évangile l’autorise ? Dans quel livre des apôtres trouve-t-on aucune décision favorable aux danses ? Si un pareil divertissement peut être permis à des chrétiens, il faut dire que tout est plein d’erreur dans la loi, les prophètes, les écrits des apôtres et les évangiles. Mais si toutes les paroles de ces saints livres sont véritables et inspirées de Dieu, comme elles le sont en effet, il est incontestable qu’il est défendu à des chrétiens de rechercher les divertissemens dont nous venons de parler : Si Dei hæc sint verba, et vera et divinitùs inspirata, ut reverà sunt : nefas sanè fuerit, christianis quæ jam dixerunt agere… N’employons donc pas, je vous en conjure, mes chers frères, à ces coupables divertissemens le temps qui nous est donné pour faire pénitence. Ecoutons plutôt le prophète David, qui nous crie : (Ps. 94, v. 2.) Prévenons la face du Seigneur avec une confession humble… Prévenons-le avant que nous entendions ce cri : (Matth. 26, v. 6.) Voilà l’époux qui vient ! Comment le saint prophète veut-il que nous prévenions la face {p. 35}ou l’arrivée du Seigneur ? C’est, dit-il, par le chant des psaumes, et non par des divertissemens ridicules : c’est par le chant, non des cantiques du diable, qui sont les mauvaises chansons, mais des cantiques du Seigneur. » Venez, continue David, (v. 6.) Adorons-le, prosternons-nous devant lui ; et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits : le prophète ne dit pas : Jouons des instrumens pour nous divertir ; mais chantons les psaumes : ce chant met en fuite les démons. « Mais, où il y a des danses et des instrumens pour y exciter, là, est la fête du diable, et les saints anges sont dans la tristesse » : Ubi citharæ ac chori, ibi angelorum tristitia, et diaboli festum.

« O funeste artifice du démon ! et avec quelle malheureuse adresse trompe-t-il les ames et persuade-t-il aux chrétiens de faire le mal au lieu du bien ! Aujourd’hui on les verra s’adonner aux danses, selon la doctrine de satan, aujourd’hui ils paroissent le renoncer, et demain ils le suivent. Aujourd’hui ils semblent s’attacher à Jésus-Christ, et le lendemain ils le déshonorent et le renoncent. Aujourd’hui chrétiens, et demain païens : aujourd’hui religieux, et demain impies : aujourd’hui serviteurs de Jésus-Christ, et demain apostats et ennemis de Dieu. Ne vous y trompez pas, mes frères, ne vous y trompez pas : on ne peut servir tout à la fois deux maitres, selon la parole de Jésus-Christ. (Matth. c. 6, v. 2.) On ne peut {p. 36}servir Dieu, et danser en quelque sorte avec le démon : Nemo potest Deo servire, ac cum diabolo choreas ducere Ne chantez point aujourd’hui avec les anges les cantiques du Seigneur, pour être demain aux danses avec les démons : Noli hodiè psallere cum angelis ; et crastinâ die in tripudiis esse cum dæmonibus. Souvenons nous de la menace que le Seigneur a faite en disant : (Luc 6, v. 25) Malheur à vous qui êtes dans la joie ! parce que vous serez dans l’affliction et dans les pleurs… Vous savez, mes frères, nous dit saint Paul, (Gal. c. 3, v. 27.) que nous tous qui avons été baptisés, avons été revêtus de J. C. Comment donc en nous dépouillant de Jésus-Christ, c’est-à-dire de ses sentimens, voulons-nous servir l’antechrist ? Nous avons reçu de l’apôtre le commandement de tout faire pour la gloire de Dieu. (1 Cor. c. 10, v. 31.) Est-ce à quoi l’on fait attention dans les danses ?… On vous le répète, mes frères, ces divertissemens ne conviennent point à des chrétiens, mais aux païens qui ne connoissent point Dieu : Iterùm dico, non sunt ista christianorum, sed gentium Deum non habentium : Pourquoi, ô homme ! vous tant agiter pour vous procurer des plaisirs ? Un seul accès de fièvre peut mettre fin à vos danses et à vos autres divertissemens. Une seule heure peut vous séparer pour toujours de ceux et de celles avec qui vous avez coutume de danser. En une seule heure {p. 37}ces pieds dont vous faites un si mauvais usage, peuvent être sans mouvement.

« Alors tous ceux qui ont été les compagnons de vos plaisirs se retireront, en vous abandonnant. Il n’y aura plus, près de vous, que les démons, ces esprits invisibles à qui vous avez obéi, et qui n’attendront que le consentement du Seigneur pour entraîner votre malheureuse ame dans le lieu des supplices qui lui sont préparés, et où elle recueillera ce qu’elle aura semé, je veux dire les pleurs, l’affliction, le serrement de cœur, les grincemens de dents et toutes sortes de maux. En effet, on ne peut ici-bas se plaire comme les démons dans les danses, et se réjouir avec les anges dans le ciel : Neque enim licet et hic cum dæmonibus choreis delectari, et ibi cum angelis psallere. »

Après avoir entendu saint Ephrem parler si fortement contre les danses, et alléguer de si puissans motifs et de si fortes raisons pour les condamner, tous ceux qui osent en prendre la défense ne doivent-ils pas être pour toujours réduits au silence, ou ne parler que pour reconnoître humblement l’erreur où ils ont été jusqu’à présent à ce sujet, et dans laquelle ils en ont peut-être malheureusement entraîné beaucoup d’autres ?

Je finis toutes ces autorités des saints contre les danses, par celle de S. Charles, archevêque de Milan, qui a fait un traité entier contre ces divertissemens si persévéramment prescrits, et si opiniâtrément {p. 38}défendus. Il dit en particulier dans ce traité en latin, (c. 16) « Qu’il se souvient que lui et quelques camarades, lorsqu’ils étoient encore écoliers et laïques, entraînèrent, comme malgré lui, à une assemblée de danses un philosophe très-grave, qui ayant considéré avec attention cette sorte de divertissement, et ce qui s’y passoit, fut extrêmement surprise de ce qu’il y vit, et s’écria dans sa surprise, que c’étoit là une invention toute singulière pour corrompre les mœurs. Cùm genus ludi contemplatus esset, magnâ affectus admiration clamavit, illud esse inventum ad mores depravandos singulare ». Saint Charles a présidé aux conciles de Milan tenus de son temps ; ainsi on trouve ses sentimens sur les danses dans les réglemens de ces conciles.

Dans le troisième, (part.1. des actes, p.69) où il est parlé de la manière de célébrer les fêtes des saints, les danses y sont expressément défendues ; et quoique le concile les réprouve d’une manière particulière, aux heures où l’on célèbre l’Office divin, ce qu’il dit des maux de toute espèce que les danses en général entraînent après elles, fait voir qu’elles ne sont permises en aucun temps, ni en aucune circonstance. « On ne s’assemble jamais pour les danses, est-il dit dans ce concile, sans que Dieu y soit beaucoup et très-grièvement offensé : Ad choreas, tripudia saltationes, nunquàm ferè conveniri solet sinè multis et iis quidem gravissimis Dei offensionibus. » Et comment le {p. 39}concile montre-t-il que les danses sont pour l’ordinaire une source de beaucoup et de très-grands péchés ? « C’est, dit-il, à cause des pensées déshonnêtes, des paroles impures, de la corruption des mœurs, et des pernicieuses amorces pour toutes les œuvres de la chair qui y sont continuellement jointes : Idque ad turpes cogitationes, obscœna dicta, inhonestas actiones, morum corruptelas, et perniciosas adomnia opera carnis illecebras illis perpetuò conjunctas. » Le concile va jusqu’à dire « que les adultères et les plus honteuses actions d’impudicité, aussi bien que les querelles et les meurtres, et beaucoup d’autres maux sont très-souvent les malheureux fruits des danses : Tum propter cædes, rixas, dissidia, stupera, adulteria, aliaque mala plurima indè consequentia ». Pour marquer en détail quelques-uns de ces autres maux, le concile ajoute que « par ces funestes divertissemens par lesquels le diable attire les ames, beaucoup de fidèles sont détournés des Offices divins, de la prière, des saintes lectures et de l’assistance aux instructions, particulièrement nécessaires à ceux qui sont dans l’ignorance de la religion, dont le nombre n’est que trop grand, et des autres exercices de piété par lesquels les jours particulièrement consacrés à Dieu doivent être sanctifiés : Iis ipsis diebus fideles plerosque nefariis istis blanditiis satanæ illectos, à divinis officiis religiosis, supplicationibus lectionibusque {p. 40}sacris abduci, avertique rudes à percipiendis fidei rudimentis aliosque ab aliis christianæ pietatis, in quo eo tempore religiosè incumbendum est, abstrahi et amoveri ». Le concile finit par dire « que ces maux sont certainement très-grands devant Dieu et devant l’Eglise : Hoc certè gravissimum est in conspectu Dei et Ecclesiæ ». Peut-on avoir tant soit peu à cœur son salut, et s’exposer, en aimant les danses, à tant et de si grands maux ? Mais surtout comment avec un peu de foi peut-on ne pas craindre de s’en charger devant Dieu, même sans commettre soi-même ces péchés, en prenant la défense des danses qui en sont la source ?

Le quatrième concile de Milan, (act. part. 3, p. 143. columna secunda), recommande aux curés d’avoir pour le temps de la visite de l’évêque, une liste de ceux dans la conduite publique desquels il y aura quelque chose à reprendre et à corriger, afin que l’évêque leur donne les avertissemens nécessaires, et emploie, s’il le faut, son autorité pour les faire rentrer dans leur devoir : et marquant qui sont ceux qui doivent être mis sur cette liste, après avoir nommé les hérétiques, les blasphémateurs, les usuriers, les concubinaires, et autres pécheurs semblables, il nomme « ceux qui ont coutume de profaner les jours de fêtes par des œuvres serviles, par des danses, et autres actions semblables : Illorum qui servilibus operibus dies festos violant aut choreis aliisque ejusmodi actionibus profanare soleant ».

{p. 41}Dans les instructions que saint Charles a faites pour les prédicateurs, parlant des mauvaises coutumes qu’ils ne doivent cesser de reprendre dans leurs instructions, et qu’ils doivent s’efforcer d’abolir, comme donnant lieu à beaucoup de péchés, il marque en particulier les danses, lesquelles, dit-il, excitent dans les ames des inclinations et des passions qui leur donnent la mort : « Choreas, saltationes et tripudia è quibus mortiferœ cupiditates excitantur, de suggestu sæpè graviter reprehendet atque inseclabitur. » Que faut-il donc penser des confesseurs qui souffrent tranquillement que leurs pénitens et leurs pénitentes aillent aux bals et aux danses ? Et si le silence des prédicateurs ou des confesseurs à cet égard, suffit seul pour les rendre très-criminels devant Dieu, combien plus le sont ceux qui ne rougissent pas d’avancer, qu’il n’y a rien de mauvais dans ces sortes de divertissemens, et qu’on peut se les procurer innocemment, pourvu qu’on n’ait point de mauvaises intentions en les recherchant !

Saint Charles recommande encore aux prédicateurs de s’efforcer de déraciner les abus que la corruption des mœurs a introduits dans les noces ; et entre ces abus, il marque principalement les danses. (act. part. 4., p. 402, col. 1, à la fin.) Præcipuè verò in id incumbet, ut si quæ morum corruptelæ nuptiis celebrandis ex depravato usu adhibentur, radicitùs extirpentur, præsertìm saltationes, choreæ, etc.

{p. 42}Enfin dans les canons pénitentiaux, c’est-à-dire dans les règles pour bien administrer le sacrement de pénitence, dont saint Charles veut que les confesseurs soient instruits, pour s’y conformer dans l’imposition des pénitences que ces canons prescrivent, on voit qu’en parlant du troisième commandement qui ordonne la sanctification des dimanches, ils imposent une pénitence de trois ans à ceux qui auront dansé devant les églises, ou un jour de fête, après avoir promis de ne le plus faire. (act. part. 4, p. 436, col. secunda.) si quis antè ecclesias, vel die festo saltationes (quas ballationes vocant) fecerit emendationem pollicitus, pœnitentiam aget tribus annis. Il est vrai qu’il s’agit dans le canon des danses faites devant l’église, ou un jour de fête ; mais nous avons vu avec quelle force saint Charles a parlé contre les danses en général, et quelle effroyable peinture il a faite des funestes suites qu’elles entraînent pour l’ordinaire après elles. Si donc la circonstance particulière d’avoir dansé devant une église, ou un jour de fête, exige qu’on impose, pour être allé dans cette danse, une pénitence de trois ans, ne seroit-il pas contre toute raison de penser que les danses faites dans les places publiques éloignées de l’église, ou dans les maisons particulières, ne méritent aucune pénitence ? Parce qu’une faute n’est pas aussi griève qu’une autre, s’ensuit-il qu’on puisse se la permettre plus facilement, ou qu’il ne faille faire {p. 43}aucune pénitence pour l’expier après s’en être rendu coupable ?

Chapitre IV.

Jugement des Conciles contre les danses. §

Le concile de Laodicée, tenu selon les uns en 365, sous le pape Libère, et, selon d’autres en 367, sous le pape Damase, déclare dans le canon 53 (conciles du père Labbe, tom. 1, pag. 1506,) « qu’il ne faut pas que les chrétiens qui vont aux noces, s’y conduisent d’une manière honteuse et indécente, ou qu’ils y dansent ; mais qu’ils doivent seulement dîner ou souper modestement comme il convient à des chrétiens ». Le concile permet aux chrétiens de faire aux noces des repas où tout se passe sagement, et il ne leur permet point les danses, comme n’étant point convenables à la sainteté de leur vocation, parce qu’on ne peut éviter d’y pécher, comme on peut l’éviter dans les repas qui sont nécessaires, en observant les règles de la tempérance.

Le troisième concile de Tolède, en Espagne, tenu en 589, sous le pape Pélage II, dit dans le canon 23, (Labbe, tom. 5, pag. 2014, à la fin.) « Il faut entièrement abolir la coutume irréligieuse qui s’est introduite aux fêtes des saints, que les peuples, au lieu d’assister à l’Office divin, emploient le temps à des danses et à de {p. 44}mauvaises chansons ; ce qui fait que non-seulement ils se nuisent à eux-mêmes, mais ils troublent encore par le bruit qu’ils font, la piété des chrétiens plus religieux. » Le concile recommande aux ministres du Seigneur et aux juges séculiers d’employer tous leurs soins pour bannir ce désordre de toute l’Espagne.

Le concile appelé in trullo, (qui veut dire dôme, parce qu’il fut tenu sous un dôme dans le palais de l’empereur Justinien) déclare « qu’il condamne et bannit les danses publiques des femmes, comme entraînant après elles beaucoup de fautes, et la perte d’un grand nombre d’ames : (can. 62. Labbe, tom. 7, p. 1169) Publicas mulierum saltationes multam noxam exiliumque afferentes.. amandamus et expellimus. »

Le concile romain tenu en 826, sous le pape Eugène II, se plaint, (can 35. Labbe, tom. 6, p. 112) « qu’il y en a, et surtout des femmes qui font en sorte qu’on vienne aux jours de fêtes, non dans des vues droites et saintes qu’on doit avoir, mais pour danser et chanter des chansons honteuses. Si ceux qui se conduisent ainsi, ajoute le concile, sont venus à l’église avec de moindres péchés, ils s’en retournent avec de plus grands. Que les prêtres aient donc grand soin d’avertir le peuple qu’on ne doit venir à l’église en ces saints jours que pour prier ».

Le concile de Rouen, tenu l’an 1581, (Labbe, tom. 15, p. 825) s’exprime ainsi : {p. 45}« Nous connoissons et nous éprouvons combien sont grands les artifices du diable pour susbstituer son culte à celui de Dieu et des saints. » Il en donne pour preuves qu’aux fêtes solennelles des apôtres et des autres saints, « on tient des foires et des marchés publics, par lesquels non-seulement cet esprit de malice détourne le peuple de fréquenter les églises et d’assister à l’office divin et à la prédication de la parole de Dieu, mais où il a encore trouvé moyen d’introduire beaucoup de tromperies, de fraudes, de parjures, de blasphèmes, d’injures et d’outrages faits au prochain, et des jeux obscènes et impudiques : en sorte que les débauches ont en ces jours-là pris la place des aumônes, les danses, celle de la prière, et les bouffonneries, celle des prédications qu’on devroit aller entendre : Diabolus eleemosynas vertit in crapulas, orationem in choreas, et concionem in scurrilitatem ». Après cette plainte, les pères du concile disent : « Nous condamnons et réprouvons les ivrogneries, les disputes, les jeux mauvais et déshonnêtes, les danses, comme n’étant pleines que de folies, les mauvaises chansons ; en un mot, tout ce qui ne peut porter qu’à l’impureté, et généralement tout ce qui n’est qu’une profanation des saints jours de fêtes. »

Le concile de Reims, tenu en 1583, au titre des jours de fètes, défend expressément de profaner ces saints jours par des jeux et des danses : Iisdem diebus, nemo ludibus, {p. 46}aut choreis det operam. (Labbe, tom. 15, p. 889.)

Le concile de Tours, tenu la même année 1583, défend ces danses sous peine d’anathème, et il recommande aux curés de dénoncer à l’évêque ceux qui n’auront pas obéi à ce canon, afin que l’évêque prononce nommément contre eux la sentence d’excommunication. La raison qu’en donne le concile, « c’est qu’il est absurde, c’est-à-dire contre toute raison et contre tout ordre qu’en des jours qui sont destinés à apaiser la colère de Dieu, les fidèles se laissent détourner, par les artifices et les attraits du diable, des divins Offices et des prières par lesquelles ils doivent s’efforcer d’attirer sur eux le pardon de leurs péchés ». (Labbe, tom. 15, p. 1019.)

Le concile d’Aix, tenu l’année 1583, fait le même réglement sur la sanctification des fêtes par rapport à la fuite des danses, que celui du concile de Tours, qui vient d’être rapporté : et il y joint la même menace d’excommunication contre ceux qui violeront ce réglement. (Labbe, tom. 15, p. 1146.)

Le concile d’Avignon, tenu en 1594, met les danses et les spectacles au rang des ivrogneries et des excès de bouche qu’on doit éviter, surtout les jours de fêtes, comme en étant une profanation manifeste : Commessationes, ebrietates, chorea et spectacula, omnisque alia dierum festorum profanatio cessabunt. (Labbe, tom. 15, p. 461.)

Le concile d’Aquilée, tenu en 1596, porte {p. 47}en termes formels : « Le temps des jours de fêtes doit être employé à écouter les prédications, et à assister à la sainte Messe et aux divins Offices, et non pas à des festins : beaucoup moins encore doit-on, après qu’on a dîné, employer aux danses et aux jeux un temps destiné â assister à l’office du soir, pour y louer Dieu d’un même cœur et d’une même bouche : Multò minùs peracto prandio ad saltationes et lusus déclinandum. » Il recommande ensuite aux évêques d’avoir soin que les curés insistent souvent sur ce point dans leurs instructions.

Le concile de Narbonne, tenu en 1609, défendant comme les conciles précédens, aux jours de fêtes, tous les divertissemens capables de porter à l’impureté : Ne festi dies in lasciviâ agantur, nomme expressément les danses, dont il dit qu’il faut s’abstenir, non en ces jours-là seulement, mais principalement en ces jours-là : A choreis, tripudiis, et ludis publicis, dictis diebus prohibitis maximè abstinere debent. Le concile donne ensuite la raison de cette défense. C’est, dit-il, de peur que Dieu ne se plaigne de la manière dont nous célébrons les fêtes, comme il se plaignoit autrefois des Juifs au sujet des leurs, en disant par le prophète Isaïe : (c. 1, v. 13.) « Votre encens m’est en abomination, je ne puis plus souffrir vos sabbats et vos autres fêtes où il n’y a qu’iniquité et fainéantise… (v. 14) Elles me sont à charge, je suis las de les souffrir. » (Labbe, tom. 15, p. 1582.)

Le concile de Bordeaux, tenu ensuite en {p. 48}1624, parlant de la célébration des fêtes, commence par remarquer que le cœur de l’homme est si naturellement porté au mal, que ce que les saints pères ont autrefois établi pour réunir les peuples dans des assemblées de prières, ne sert plus, par un renversement étrange, qu’à les emporter dans différens excès. Après quoi il ajoute : « Afin donc que les jours de fêtes établis pour vaquer à la contemplation des choses célestes, et à éclairer les esprits des fidèles sur les choses du salut, soient saintement observées par le peuple chrétien, nous renouvelons le décret du dernier concile provincial, en défendant de profaner ces saints jours par aucuns jeux, par des danses ou d’autres excès semblables : Neque ullis commes sationibus, ludis, ebrietatibus ; choreis et aliis excessibus profanentur. Decretum ultimi (concilii) provincialis innovantes prœcipimus illud ab omnibus observari. » (Labbe, tom. 15, p. 1642.)

On doit joindre à tous ces réglemens si unanimes des différens conciles que je viens de citer, celui du troisième concile de Milan, que j’ai rapporté plus haut en marquant ce que saint Charles a pensé des danses. En vain croiroit-on pouvoir affoiblir la preuve, qui résulte en général des décrets de ces conciles contre les danses, sous prétexte qu’il ne s’y agit que des jours de fêtes et de dimanches, et du temps des saints offices ; en vain voudroit-on en conclure qu’en d’autres jours et en d’autres temps les danses ne sont {p. 49}point défendues par les conciles. D’abord, je demande s’il y a un seul concile, en quelque temps, en quelque lieu qu’il ait été tenu, qui ait mis les danses au rang des choses indifférentes ; et qui ait marqué aucune condition à observer dans les danses, afin qu’en les observant, tous abus et tous dangers pour l’ame en soient retranchés ? Il est incontestable qu’on ne trouve rien de semblable dans aucun concile : et de là ne s’en suit-il pas évidemment que les danses, selon l’idée que nous en avons donnée en commençant ; sont mauvaises par elles-mêmes et de leur nature ; et qu’ainsi il n’est aucun jour, ni aucune circonstance où elles puissent être permises ? Mais de plus, si on fait quelque attention aux paroles de plusieurs conciles que j’ai cités, on a dû remarquer que les danses y sont condamnées, même dans les noces, où l’usage en est le plus ordinaire, ce qui en montre le vice essentiel et radical ; qu’elles y sont défendues comme étant par elles-mêmes la source d’une infinité de désordres, et par conséquent dangereuses et mauvaises de leur nature : ce qu’on verra en relisant ce que j’ai rapporté du concile in trullo, et du troisième concile de Milan. Si donc ces conciles insistent particulièrement sur la circonstance des fêtes, c’est parce que ces misérables divertissemens n’étoient ordinairement pratiqués que ces jours-là, surtout dans les campagnes ; ce qui n’est encore aujourd’hui que trop commun, et qui occasionne les mêmes suites et les mêmes {p. 50}désordres, dont les conciles se plaignoient. Au reste, en parlant de ces désordres, des dangers, des maux que j’ai fait considérer dans les danses en général, je n’ai pas prétendu qu’ils se trouvent tous réunis dans chacune en particulier ; mais je soutiens qu’il n’est aucune danse dans laquelle quelqu’un au moins de ces maux et de ces dangers ne se trouve, et cela suffit pour qu’on doive les interdire à tout chrétien.

Chapitre V.

Témoignages des Évêques dans leurs Instructions pastorales, des Catéchismes, et des Théologiens contre les Danses. §

Je pourrois me dispenser d’ajouter de nouvelles autorités à celles des saints pères et des conciles que je viens de citer. Mais puis-je faire trop d’efforts, et employer trop de moyens pour m’opposer à un désordre devenu si commun, et dont tant de gens osent prendre la défense, non par lumière, mais par prévention pour les coutumes et les maximes du monde, ou même, parce que, livrés à l’amour de ces dangereux plaisirs, leur cœur ne peut s’en détacher ?

Dans tous les temps, les évêques les plus éclairés et les plus zélés ont donné des instructions pastorales pour exhorter les Fidèles à éviter les danses ; et les curés attentifs au {p. 51}bien des ames confiées à leurs soins, n’ont rien négligé pour les bannir de leurs paroisses. Je me bornerai à en citer quelques-uns de ces derniers temps.

Je commence par Félix Vialart de Hersé, évêque de Châlons en Champagne. L’éminente piété, les lumières et les immenses travaux de cet évêque dans la conduite de son diocèse, donnent à son témoignage une force et une autorité singulières.

Lorsqu’il fut élevé sur ce siége, il trouva le diocèse dans un état qui donna bien de l’exercice à son zèle ; et il s’appliqua, infatigablement, à remédier aux abus et aux désordres qui y régnoient. Celui des danses, dont il connoissoit les dangers, ne fut pas négligé ; et il a fait plusieurs instructions pastorales et plusieurs ordonnances pour les bannir des lieux et des paroisses où elles étoient en usage. Il a aussi écrit à tous ses curés plusieurs lettres circulaires pour les exhorter à employer contre ce désordre tous les efforts, toute l’activité de leur zèle, et toutes les ressources de leur ministère. Je vais rapporter quelques traits de ces ordonnances, instructions pastorales et lettres circulaires.

Dans une ordonnance rendue dans le cours d’une visite de son diocèse en l’année 1661, (article 3, sur la sanctification des fêtes, n.° 4.) M. Vialart parle ainsi : « Désirant apporter remède aux abus et scandales qui se commettent fort souvent les dimanches et les fêtes, et autres jours de {p. 52}l’année, à l’occasion des danses qui ont coutume de s’y faire, et où Dieu se trouve offensé en plusieurs manières, nous défendons, sous peine d’excommunication, toutes les danses publiques aux principales fêtes de l’année, (ces fêtes sont nommées tout de suite…) comme aussi de danser publiquement les dimanches et fêtes commandées, durant le service divin, ou proche de l’église, ni sur le cimetière, ni de nuit, ni avec des chansons dissolues… Et voulons qu’outre la première publication qui sera faite par le curé, de notre présente ordonnance, dans la huitaine ou quinzaine au plus tard, elle soit encore publiée tous les ans, le dimanche avant la fête de tous les saints, et celui d’après pâques. Exhortons néanmoins ledit curé de détourner, autant qu’il pourra, ses paroissiens d’un divertissement si périlleux et si peu convenable à des chrétiens, qui ne sont en ce monde que pour faire pénitence ; et se souvenir que ceux à qui la danse est en particulier une occasion d’offenser Dieu mortellement et de se damner, sont incapables d’absolution et de communion, s’ils ne promettent tout de bon de la quitter, et ne la quittent effectivement, après avoir manqué à leurs promesses. »

Dans une lettre du 9 octobre 1645, adressée à tous les doyens, promoteurs, curés et vicaires de son diocèse, pour empêcher la profanation des jours de dimanches et de {p. 53}fêtes, M. Vialart, après s’être plaint que ces saints jours ne sont guère plus en honneur que les autres de la semaine, et qu’on n’en fait presque plus de discernement, ajoute : « Et ce qui est encore plus déplorable, c’est que ces jours de piété tournent en dissolution par les jeux et les danses, par la fréquentation des tavernes, par des débauches publiques et scandaleuses, au mépris du service divin, qui est délaissé, et de la Religion que les hérétiques prennent de là sujet de décrier et de blasphémer. »

Dans une lettre pastorale adressée à tous les Fidèles de son diocèse, et datée du 4 novembre 1654, pour les exhorter à faire un bon usage des calamités publiques dont il avoit plu à Dieu de les visiter les années précédentes, et à se réconcilier avec lui par une sérieuse pénitence et un véritable changement de vie, le saint prélat entre dans le détail des principaux péchés qui ont pu allumer contre eux le feu de la colère de Dieu, pour les exhorter à y renoncer et à les faire cesser : et, dans ce détail, il marque en particulier les danses. « Que l’on ne profane plus, dit-il, comme on faisoit auparavant, les jours dédiés à la gloire de Dieu, par des œuvres serviles, par des jeux et des danses dissolues. »

Dans le recueil des lettres pastorales de M. Vialart, il y en a une du 16 novembre 1658, adressée à tous ses curés, pour les exhorter à s’employer avec zèle à combattre et à détruire les vices, les scandales, et les {p. 54}mauvaises coutumes dont il fait une très-longue énumération. Dans cette énumération il n’a eu garde d’omettre les danses. Les plaintes qu’il fait à ce sujet dans cette lettre pastorale, méritent une singulière attention. « En combien de lieux, dit-il, commet-on des excès et des débauches honteuses, dans le temps des noces, dont la sainteté est si recommandable, et aux jours des fêtes de patrons, qui devroient être honorés par une dévotion extraordinaire, une modestie toute chrétienne et une sainte imitation de leurs vertus ! A leur place, les jeux, les danses dissolues, les intempérances, les querelles s’y pratiquent hautement ; voilà, sans doute, de grands maux qui sont dignes de la compassion et des gémissemens des gens de bien… La véritable charité ne doit point se lasser de parler sans cesse contre les vices enracinés, et les mauvaises coutumes, que je viens de toucher. Il faut les reprendre souvent en public dans la chaire de vérité, en représenter vivement les inconvéniens funestes ; et, selon la parole de l’Ecriture, se faire une muraille d’airain pour s’y opposer et en arrêter le cours. »

En 1676, le 20 septembre, M. Vialart donna un mandement où il renouvela les ordonnances qu’il avoit déjà publiées contre les danses, et défendit à tous ses curés de recevoir, pour présenter un enfant au baptême, ceux et celles qui auroient violé sur ce point ce qu’il ordonnoit.

{p. 55}Parmi un nombre d’écrits pleins de piété et de maximes les plus solides, que ce digne prélat composa ou fit composer pour l’instruction de son peuple, il y en a un qui est proprement le précis des ordonnances qu’il avoit faites sur ce sujet.

Enfin il est rapporté dans sa vie, que le 14 décembre 1665, et le 3 septembre 1667, le Parlement de Paris avoit rendu deux arrèts pour interdire les danses publiques, sous peine de cent livres d’amende, tant contre chacun des contrevenans, que contre les seigneurs qui les auroient souffertes, et les officiers qui auroient dû les empêcher et qui ne l’auroient pas fait. Au mois d’août 1669, on contrevint d’une manière scandaleuse à ces arrêts dans le village de Récy, proche de Châlons. Le présidial qui étoit en bonne intelligence avec le prélat, et dont le chef étoit un homme de bien, ayant été informé de cette contravention, ordonna par une sentence de la fin du mois de septembre 1669, que lesdits arrêts seroient exécutés dans toute leur rigueur ; et pour les avoir violés, il condamna le seigneur du lieu à deux cents livres d’amende, au lieu de cent prescrites par les arrêts. Le seigneur en interjeta appel au parlement, mais il fut mal reçu. La cour rendit un arrêt le 2 août 1670, par lequel il ordonne que le seigneur de Récy fera vider son appel dans six mois, et cependant que l’arrêt du 2 septembre 1667 sera exécuté, et suivant icelui fait inhibition et défenses audit seigneur et à ses {p. 56}officiers, de permettre ni de souffrir aucunes danse publique dans le lieu de Récy, à peine de deux cents livres d’amende, et d’interdiction contre lesdits officiers. L’auteur de la vie de M. Vialart, après avoir rapporté ce fait mémorable, ajoute que M. de Châlons appuya ce jugement et s’en servit pour faire connoître le danger de ces sortes de divertissemens, et combien ils étoient contraires à l’esprit du christianisme pour les mœurs.

D’autres évêques de France, animés du même zèle que ce saint prélat, ont donné comme lui des instructions pastorales et des ordonnances contre les danses ; mais ce que je viens d’en rapporter suffit pour montrer à quoi le zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des ames, porte ceux qui en sont chargés par rapport aux danses, si contraires à l’une et à l’autre. Nous avons aussi des instructions pastorales de plusieurs évêques de Flandre contre les danses ; je me contenterai de citer sur cela les noms de quelques-uns de ces évêques et la date de leurs instructions. Il y en a une de l’année 1675, d’Alphonse de Berges, archevêque de Malines ; une de 1629, d’Antoine Triest, évêque de Gand : une de 1604, 25 février, de Jean Ferdinand, évêque de Namur.

Il est naturel de joindre à ces instructions pastorales, ce qui est dit de la danse dans plusieurs catéchismes donnés par les évêques à leurs diocèse. Ces catéchismes, en parlant sur le sixième commandement, des {p. 57}occasions d’impureté qu’il faut fuir avec soin, pour ne pas tomber dans ce vice, mettent expressément au rang de ces occasions, les danses, comme les mauvais livres et les mauvaises chansons.

Ce qu’en dit le catéchisme du concile de Trente, tiendra lieu de ce que je pourrois rapporter de quantité d’autres. Entrant dans le détail des occasions d’impureté qu’il faut éviter, marque pour cinquième occasions, les entretiens et les discours impurs et déshonnêtes ; après avoir cité sur cela les paroles de saint Paul : (1. Cor. c. 15, v. 23.) Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs ; le catéchisme ajoute en termes formels : « Et comme les chansons tendres et amoureuses et les danses produisent le même effet, il faut aussi les éviter soigneusement. »

Toutes les décisions des bons théologiens moraux, (c’est-à-dire qui ont écrit sur les règles des mœurs) s’accordent à défendre les danses comme étant très-pernicieuses.

Le cardinal Bellarmin, dans son sixième sermon, qui est sur le troisième dimanche de l’avent, se fait cette question : Peut-être n’y a-t-il pas de mal, ou y en a-t-il peu que les hommes dansent avec des femmes ? Et voici sa réponse : « Il n’y a rien au contraire de plus pernicieux. Si on peut mettre de la paille dans le feu sans qu’elle brûle, un jeune homme pourra aussi danser avec une fille ou une femme sans brûler du feu de l’impureté. » Bellarmin rapporte ensuite {p. 58}cette parole de Cicéron, que saint Ambroise avoit rapportée avant lui, qu’il faut être ivre ou fou pour danser. Après quoi ce cardinal ajoute : « Rougissez ; un païen a pensé plus sainement que vous, et un païen vous condamnera au jour du jugement : la seule lumière naturelle a mis ce païen en état d’enseigner que la danse ne convient qu’à des personnes ivres ou insensées ; et vous qui êtes un enfant de Dieu, et qui êtes éclairé de la lumière céleste de l’Evangile ; vous chez qui on ne devroit pas seulement nommer de telles inepties, vous avez la folie de vous livrer aux danses, même dans les jours les plus sacrés et les plus solennels. »

Le même Bellarmin, dans son dix-neuvième sermon, qui est sur le dimanche de la quinquagésime, s’élève en ces termes contre ceux qui donnent ou reçoivent des leçons pour apprendre, non à marcher décemment, mais à danser : « Faut-il donc acheter à prix d’argent l’art de périr pour l’éternité ? Je dirai sans hésiter ce que je pense à ce sujet : Si l’adultère et la fornication sont un mal, je ne vois pas comment ce n’en est pas un que des hommes dansent avec des femmes, la danse pouvant facilement porter à ces crimes. »

Enfin, dans le troisième sermon du même cardinal, sur ces paroles de saint Luc : (c. 1, v. 26.) Dieu envoya l’ange Gabriel en une ville de Galilée appelée Nazareth, à une vierge nommée Marie. Parlant encore contre les danses, il dit : « Oh ! si au milieu des {p. 59}danses quelqu’un vous ouvroit les yeux pour voir le grand nombre de démons qui sont mêlés parmi ceux qui dansent ! Oh ! si quelqu’un pouvoit faire apercevoir avec quel empressement ils s’approchent de ceux et de celles qu’ils trouvent dans les assemblées de danses, et comme ils sont appliqués à jeter dans le cœur des hommes à l’égard des femmes, et des filles à l’égard des hommes, les étincelles ou plutôt les flammes de l’amour impur, pour faire de leurs cœurs une fournaise de concupiscence ! Oh ! si vous pouviez voir comment ces esprits de malice se réjouissent à la vue de ceux qu’ils ont engagés dans cet amour impur ! »

Vincent de Beauvais, de l’ordre de saint Dominique, (l. 3. p. 9., disp. 6.) apporte un grand nombre de raisons pour montrer avec quel soin il faut éviter les danses. Une première raison, c’est que le temps de la vie présente n’est pas le temps de songer à se divertir, et surtout par un divertissement aussi dissipant que la danse ; mais le temps de gémir et de pleurer, parce que nous sommes ici-bas dans un lieu d’exil, dans une vallée de larmes, et comme dans une prison, et que de quelque côté que l’homme se tourne il ne voit autour de lui que des sujets d’affliction.

La seconde, c’est que les danses sont un culte rendu au démon qui en a été l’inventeur, qui en est le docteur, et qui y excite.

La troisième raison pour laquelle ce {p. 60}théologien veut qu’on évite les danses, c’est à cause du grand nombre de péchés qui s’y rencontrent, parce qu’on y viole les promesses faites au baptême, qu’on y pèche par tous ses membres, qu’on les y immole tous à l’impudicité ; et que les chansons lubriques que souvent on y chante, allument nécessairement le feu de la concupiscence.

Saint Antonin, archevêque de Florence, (2. part. tit. 6. c. 6.) après avoir comparé les mouvemens de la danse à ceux du démon, qui tourne autour de nous comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un qu’il puisse dévorer, et en avoir tiré cette conclusion : « Que ceux qui dansent faisant le chemin du démon, se trouveront un jour avec lui dans l’enfer, qui est le terme de ce chemin » ; cite l’endroit de l’Apocalypse où il est dit (c. 9., v. 1. et suivans.) que l’ange ayant sonné de la cinquième trompette, le puits de l’abîme s’ouvrit, qu’il s’éleva du puits une fumée semblable à celle d’une fournaise, qu’il sortit de cette fumée des sauterelles qui se répandirent sur la terre, et qui reçurent un pouvoir tel que l’ont les scorpions de la terre, qui est de piquer ; que ces espèces de sauterelles étoient semblables à des chevaux préparés pour le combat ; qu’elles avoient sur la tête comme des couronnes d’or, des cheveux de femme, et des dents comme des dents de lion : et voici l’explication morale que ce saint archevêque donne à cet endroit de l’Apocalypse, en en faisant usage contre les danses : « Ces {p. 61}sauterelles, dit-il, sont les personnes qui dansent. Le puits de l’abîme dont les sauterelles sortent, c’est le fond de l’enfer, parce que l’amour de la danse est inspiré par les démons dont l’enfer est la demeure. La fumée de la grande fournaise d’où sortent les sauterelles, représente les vapeurs spirituelles, et les effets de la concupiscence et de l’impudicité, qui ont donné naissance aux danses, et qu’elles enflamment de plus en plus. Les sauterelles montrées à St. Jean comme ayant des couronnes d’or et des cheveux de femme, et étant semblables à des chevaux préparés au combat, signifient que les démons se servent des personnes de l’autre sexe qui dansent, et qui, avant d’aller à la danse, ont plus de soin de se parer que dans toute occasion, pour attaquer et faire tomber les serviteurs de Dieu, qui sont les ennemis de ces esprits de malice. »

Le même saint continuant à parler contre les danses, traite d’ennemis de Dieu ceux qui les aiment ; et il ajoute qu’il n’est pas étonnant qu’on les regarde comme tels, puisqu’ils agissent contre tous les commandemens de Dieu, et contre tous les sacremens. Il le prouve par les raisonnemens suivans : « Par les danses, on agit contre le sacrement de baptême, parce qu’on viole la promesse solennelle qu’on y a faite de renoncer au diable, à ses pompes et à ses œuvres, ne pouvant aimer la danse sans suivre le diable, qui y porte, sans {p. 62}s’attacher à ses pompes au rang desquelles il faut certainement mettre les danses, et sans y faire ses œuvres, qui sont les péchés dont (comme nous l’avons déjà dit bien des fois) les danses sont une source très-abondante. Contre le sacrement de confirmation, parce qu’après y avoir été marqué au front du sceau de Jésus-Christ, qui est le signe de la croix, on porte par les gestes et les postures indécentes des danses, le sceau et le caractère du démon, de qui vient tout ce qui est immodeste. Contre le sacrement de pénitence, parce qu’elles sont un obstacle à l’esprit de gémissement et de componction qu’on doit avoir en s’approchant de ce sacrement, ou qu’elles vident le cœur de celui qu’on a eu, et qu’on a dû en rapporter. Contre le sacrement de l’Eucharistie, parce que par là on chasse Jésus-Christ de la ville spirituelle de son ame où l’on l’a reçu, pour aller le crucifier dans les assemblées mondaines. Contre le sacrement de mariage, qui est outragé par les danses dans les personnes mariées, parce que les danses donnent très-souvent occasion à de mauvaises pensées et à de mauvais désirs, contraires à la fidélité conjugale. Enfin, contre le sacrement de l’extrême-onction, qu’on a peut-être déjà reçu dans quelque maladie, ou qu’on espère de recevoir avant de mourir, puisque par les danses on se sert pour offenser Dieu, de ses pieds qui ont été sanctifiés par les onctions qui y ont {p. 63}été faites, ou qu’on espère qui y seront faites un jour. »

Si ceux qui aiment les danses se déclarent ainsi les ennemis de Dieu par les outrages qu’ils font par elles à tous les sacremens, ils se déclarent en même temps les ennemis des saints que Dieu glorifie dans le ciel, en profanant leurs fêtes par les danses qui se font en ces jours-là plutôt qu’en tout autre jour ; ils ne pourront donc avoir au jugement futur aucuns saints pour intercesseurs, puisqu’ils les auront tous offensés aux jours mêmes que l’Eglise a consacrés à leur culte : et coupables comme nous sommes de tant de péchés, que deviendrons-nous quand Dieu nous jugera, si ceux que nous pouvons avoir pour intercesseurs auprès de lui se rendent nos accusateurs, à cause des outrages que nous leur aurons faits ?

Le pieux et savant Gerson, chancelier de l’Eglise de Paris, dans un sermon sur le troisième dimanche de l’avent, où il parle de la luxure, dit de ce vice, qu’il est un serpent venimeux, qui pour blesser les ames se cache et se glisse comme sous l’herbe verte des plaisirs mondains. (tom. 3. p. 921.) Venenosum serpentem qui se occultat in herbâ viridi mundanœ voluptatis. Ensuite il dit en particulier des danses, qui sont un de ces plaisirs mondains et des plus dangereux, que la fragilité des hommes est telle, que les danses deviennent le principe presque inévitable d’une multitude de péchés. (ibid. p. 925.) Fragilitas hominum talis {p. 64}est, quemadmodùm difficulter fiunt choreæ sinè diversis peccatis. Il va même jusqu’à dire peu après, que tous les péchés se trouvent comme rassemblés dans les danses : Nota quod omnia peccata chorisant in choreâ. En rapportant le sentiment de plusieurs saints et de plusieurs grands hommes, qui, à l’envi les uns des autres ont condamné les danses et se sont efforcés d’en détourner, je ne dois pas omettre ce qu’en écrit en latin, François Pétrarque, italien de naissance, un des plus beaux génies de son siècle, mort en 1374 chanoine de Padoue. Dans le premier des livres à qui il a donné pour titre : Des remèdes contre la bonne et la mauvaise fortune, et qu’il a fait en forme de dialogue, au vingt-quatrième dialogue, qui est sur les danses, il fait parler la joie et la raison. La joie dit qu’elle trouve un grand plaisir dans les danses ; qu’elle s’y porte avec ardeur, et que c’est pour elle un divertissement très-agréable, dont elle ne peut se détacher. Qu’est-ce que Pétrarque fait répondre sur cela à la raison ? Rendons-nous y bien attentifs : « Je serois bien surprise, dit la raison, si le son de la lyre et de la flûte (c’est-à-dire en général tous les instrumens) n’excitoit pas à danser, et si une vanité n’en entrainoit pas une autre, mais beaucoup plus grande et plus honteuse ; car on trouve dans le chant un plaisir qui est souvent utile et saint, puisqu’en chantant de saints cantiques, on peut être par là élevé à Dieu et aux choses spirituelles ; {p. 65}mais dans les danses il n’y a rien qui ne soit propre à porter au crime, et qui ne passe les bornes de l’honnêteté et des mœurs. » Ex choreis nihil unquàm nisi libidinosum. « Elles offrent un spectacle ridicule, qui ne peut que déplaire à des yeux chastes, et qui est indigne d’un homme sensé, inane spectaculum, honestis invisum oculis, viro indignum. L’agitation des mains, les mouvemens trop légers des pieds, la dissipation et la hardiesse des regards, montrent qu’il y a dans l’ame quelque chose de déréglé qui ne peut être vu des yeux du corps. Ceux qui ont quelque amour pour la modestie, doivent soigneusement prendre garde à ne rien faire paroître d’efféminé dans leurs paroles ou dans leurs actions, parce que les sentimens les plus cachés, les plis et les remplis du cœur les plus secrets se manifestent souvent par de fort petits indices. Le mouvement du corps, la manière d’être assis ou couché, les gestes, le ris, la démarche, le discours, sont autant de signes qui produisent en quelque sorte au-dehors ce qu’il y a dans l’ame… O plaisir ridicule que celui des danses ! Supposez que vous assistiez à une danse où il n’y a point d’instrumens, et que vous y voyiez des femmes, et des hommes encore plus efféminés que les femmes, faire en silence tous les différens tours qui se font dans les danses, revenir sans cesse au lieu d’où ils sont partis, et faire toutes les autres inepties qui accompagnent les {p. 66}danses ; dites-moi, je vous prie, si vous avez jamais rien vu de si ridicule, ni de plus extravagant ? A présent, le son des instrumens, en occupant de ce qui frappe l’oreille, empêche qu’on ne soit aussi attentif à ce qu’il y a de ridicule et d’indécent dans les mouvemens du corps qui se font aux danses : mais alors c’est une folie qui en couvre une autre : Amentia una aliam tegit. En dansant en pense moins au plaisir présent, qu’à celui qu’on se promet ensuite. La danse est donc comme un prélude de l’impureté : Non tam ibì delectatio præsens est quàm speratæ delectationis auspicium, veneris præludium illud quidem. La liberté qu’on y donne à ses mains, à ses yeux et à sa langue, la mollesse du chant et les ténèbres de la nuit, pendant laquelle les danses se font souvent, et qui est naturellement ennemie de la pudeur et l’amie des crimes, puisqu’elle donne plus de liberté pour les commettre ; tout cela chasse la retenue qu’inspire la pudeur, et lâche la bride aux passions. Voilà, si je ne me trompe, le plaisir que vous croyez rendre innocent en lui donnant le nom de danse, en couvrant ainsi le crime sous le voile d’un jeu et d’un divertissement permis : Ludi tegmine crimen obnubitis… Otez toute impudicité, et vous aurez bientôt ôté les danses : Tolle libidinem, sustuleris choream. Dans les danses, c’est la légèreté de l’esprit qui rend les corps si légers, et qui leur donne tant {p. 67}de facilité à se tourner de tous côtés : In choreis animorum volubilitas corpora secum volvit ; en sorte que c’est proprement aux danses qu’on peut avec raison appliquer cette parole du psaume 2, v. 9 : Les impies marchent en tournant sans cesse : In circuitu impii ambulant. Ce jeu, puisqu’on veut l’appeler ainsi, a été cause de beaucoup d’infamies : Hic ludus multorum stuprorum causa fuit. »

Tel est le jugement de Pétrarque sur les danses qui se faisoient de son temps, et qui assurément n’étoient pas plus criminelles que celles d’à présent. M. de Roquette, évêque d’Autun, pensant que s’il pouvoit alléguer contre les danses l’autorité de quelque homme du monde, en réputation par son esprit et ses écrits, son sentiment pourroit être plus capable de faire impression (comme n’étant pas suspect d’être trop sévère), que celui des ministres de l’Eglise, ou des personnes de piété, auxquelles, pour avoir un prétexte de ne se pas rendre à ce qu’ils disent de meilleur, on attribue une sévérité outrée ; M. d’Autun, dis-je, s’adressa à M. le comte de Bussi-Rabutin, pour savoir ce qu’il pensoit du bal.

Voici ce que lui répondit ce courtisan détrompé des fausses maximes du monde et de ses pernicieuses coutumes : (cette lettre se trouve à la fin des avis que M. de Bussi donna à ses enfans, page 420.) « J’ai toujours cru les bals dangereux ; ce n’a pas été seulement ma raison qui me l’a fait {p. 68}croire, ç’a encore été mon expérience ; et quoique le témoignage des pères de l’Église soit bien fort, je tiens que sur ce chapitre celui d’un courtisan doit être de plus grand poids. Je sais bien qu’il y a des gens qui courent moins de hasard en ces lieux-là que d’autres ; cependant les tempéramens les plus froids s’y réchauffent. Ce ne sont d’ordinaire que de jeunes gens qui composent ces sortes d’assemblées, lesquels ont assez de peine à résister aux tentations dans la solitude ; à plus forte raison dans ces lieux-là, où les beaux objets, les flambeaux, les violons et l’agitation de la danse échaufferoient des anachorètes. Les vieilles gens qui pourroient aller au bal sans intéresser leur conscience, seroient ridicules d’y aller ; et les jeunes gens auxquels la bienséance le permettroit, ne le pourroient pas sans s’exposer à de trop grands périls. Ainsi, je tiens qu’il ne faut point aller au bal quand on est chrétien ; et je crois que les directeurs feroient leur devoir, s’ils exigeoient de ceux dont ils gouvernent les consciences, qu’ils n’y allassent jamais. »

Il est beau de voir un homme du monde et d’un si rare génie, donner ici des leçons aux directeurs de conscience sur la manière dont ils doivent se conduire à l’égard de leurs pénitens et pénitentes qui fréquentent les bals et autres assemblées de danses. Après cela accusera-t-on de rigorisme ceux qui tiennent ferme pour ne pas permettre ce {p. 69}qu’un homme instruit par sa propre expérience, plus que par les livres, s’est cru obligé de recommander à ses enfans d’éviter ?

Après avoir rapporté le jugement que des théologiens plus anciens ont porté de la danse, je vais en citer quelques autres plus récens, et qui par là peuvent nous être plus connus.

Henri de saint Ignace, de l’ordre des carmes, dans son savant ouvrage auquel il a donné pour titre : Ethica amoris, c’est-à-dire la morale de l’amour, traitant, par rapport au sixième commandement, de l’amour qui doit réprimer la concupiscence, emploie un chapitre entier à montrer que les danses sont si dangereuses, qu’elles se passent rarement, ou même jamais sans péché : Chorearum et saltationum frequentatio adeò periculosa est, ut sinè peccato rarò vel nunquàm fiat. C’est le titre du chapitre 10 de la sixième partie du livre 10, qui traite des préceptes du décalogue. (tom. 2, pag. 185 du chiffre romain.)

Le père Alexandre, célèbre jacobin, dans sa théologie morale et dogmatique, expliquant le sixième commandement, et prescrivant des règles pour l’observer exactement, donne pour huitième règle, que les danses sont dangereuses pour la chasteté et l’innocence chrétiennes, et que pour cette raison les Fidèles doivent les éviter. (tom. 2, p. 822.) Saltationes et choreæ periculosæ sunt castitati et innocentiœ christianæ, eoque nomine vitandæ sunt à fidelibus.

{p. 70}On peut voir encore sur cela la morale de Grenoble, et les conférences de Luçon. En un mot, il n’est aucun bon livre de morale, dont l’auteur, s’il a occasion de parler des danses, n’en parle pour les condamner, et pour exhorter les Fidèles à s’en abstenir.

La faculté de théologie de Paris, dans ses articles de doctrine, imprimés chez Estienne, parlant des comédies, des bals et des danses, s’exprime ainsi dans l’art. 73 de la première partie : « Les comédies et les autres spectacles sont justement défendus ; c’est un péché que d’y assister : il faut porter le même jugement des bals ; et généralement toutes sortes de danses doivent être regardées comme dangereuses : Comediæ aliaque ejusmodi spectacula vetita sunt, iisque interesse peccatum est ; idem judicandum de choreis quæ vulgò bals vocantur : cœtera verò saltationum genera periculosa. »

Il y a quelques années qu’on donna au public les décisions d’un assez grand nombre de docteurs de Sorbonne sur plusieurs questions proposées par rapport aux danses ; et les réponses faites à chaque question tendent à montrer les dangers des danses, et que les curés et les confesseurs doivent apporter tous leurs soins pour en inspirer beaucoup d’éloignement à tous ceux dont ils sont chargés. Ce cas de conscience a été imprimé Chez Philippe-Nicolas Lottin, et les docteurs qui l’ont signé sont au nombre de dix-neuf.

Si, au jugement des théologiens {p. 71}catholiques, je voulois joindre celui des théologiens protestans, ne pourrois-je pas en citer plusieurs ? Et après tout, pourquoi hésitons-nous à appeler en témoignage contre les danses ces théologiens, quoique séparés de la communion de l’Eglise, puisque saint Ambroise n’a pas dédaigné de rapporter à ce sujet la parole de Cicéron, célèbre orateur païen ? D’ailleurs, cette réunion des théologiens des différentes communions, si opposés d’ailleurs entre eux, démontre la certitude d’un point de doctrine sur lequel ils sont d’accord, et il semble même qu’étant enseigné par des docteurs étrangers à l’Eglise, des enfans de l’Eglise doivent rougir de penser moins sainement qu’eux.

Chapitre VI.

Témoignage d’Auteurs et de Ministres protestans contre les Danses. §

Le premier que je nommerai est Gisbertus Vossius (ou Voetius) professeur de théologie en l’académie d’Utrecht ; dans la quatrième partie de ses disputes théologiques, au titre, des choses élevées de ce monde. Sur le septième commandement, pag. 336, il déclare que la profession de maître à danser, en tant que ceux qui l’exercent, apprennent autre chose qu’à se bien tenir et à marcher décemment, est une profession illégitime, {p. 72}comme celle des comédiens, et que les magistrats chrétiens ne doivent point souffrir qu’on donne des leçons publiques de danse. Dans le même endroit, Vossius rapporte les synodes des protestans qui ont décerné des censures contre ceux qui fréquentoient les danses, les jugeant indignes d’assister aux assemblées publiques de prières, et de faire la cène. Plus bas, (pag. 346.) le même auteur ne permet pas d’apprendre à danser en son particulier ; et la raison qu’il en donne, c’est « qu’il est à craindre que quand on l’aura appris, on ne fasse montre de sa science à cet égard ; ou si on n’a pas cette intention, et qu’en effet on n’en doive point faire usage, pourquoi, dit Vossius, perdre le temps à apprendre ce qu’on n’a pas dessein de faire quand on le saura ? »

En s’élevant ainsi contre les danses, Vossius propose des moyens ecclésiastiques et politiques, qu’il croit qu’on doit employer pour les abolir. Entre les moyens ecclésiastiques, le premier qu’il propose, c’est que tous ceux qui sont chargés du ministère de l’instruction et de la parole, soient unanimes à condamner hautement les danses, et le fassent souvent. Le second moyen est de reprendre en particulier, et même, s’il le faut, en public, ceux qu’on voit fréquenter les danses. Le troisième, c’est, comme je viens de le dire, d’interdire la cène à ceux et à celles qui ne voudront pas renoncer aux danses, et de les frapper enfin des censures, s’ils sont incorrigibles.

{p. 73}Entre les moyens politiques qu’il propose à ceux qui ont l’autorité temporelle, le premier est de ne souffrir aucune école publique de danse ; le second, de condamner à des amendes ceux qui prêtent ou louent leur maison pour des assemblées de danses ; le troisième, de condamner à de pareilles amendes ceux et celles qu’on surprendra dansant dans les foires, dans les places publiques ou dans les rues, après que la défense en aura été faite.

A ce ministre protestant, j’en joindrai un grand nombre d’autres, qui ont composé en commun un traité contre les danses, qu’ils ont adressé au roi de Navarre par une épître dédicatoire, à la fin de laquelle ils prennent la qualité de ministres du saint Evangile des églises françaises réformées. Ce traité a été imprimé en 1679, chez François Estienne (le lieu de l’impression n’est point marqué). Il porte pour titre : Traité des danses, auquel est amplement résolue la question de savoir s’il est permis aux chrétiens de danser.

Ces ministres emploient tout ce traité à montrer par un grand nombre d’autorités des saintes Ecritures et des Pères, et par les plus fortes raisons, que les danses doivent absolument être interdites aux chrétiens ; et ils le finissent en répondant à plusieurs des raisons qu’on allégue pour les justifier. Lorsque j’ai pris le même plan dans le traité que je donne, je n’avois pas encore lu celui des ministres ; mais ce plan est si naturel et si simple, qu’il se présente de lui-même à l’esprit.

{p. 74}Je vais donner une analyse et quelques extraits de ce traité excellent en lui-même ; et quoique le français, dans lequel il est composé, soit rempli de termes surannés, qui ne sont plus maintenant en usage, cependant, voulant donner les extraits avec la plus exacte fidélité, afin qu’on soit plus touché de la force avec laquelle les ministres, auteurs du traité, ou qui l’ont adopté, parlent contre les danses, je ne supprimerai ni ne changerai de ces termes, si ce n’est peut-être quelques-uns en petit nombre, qui seroient tout-à-fait inintelligibles, ou qui expriment d’une manière trop grossière le vice de l’impureté, qu’on fait voir être l’ame et le fruit des danses.

D’abord, dans l’épître dédicatoire au roi de Navarre, les ministres, après s’être plaints des efforts que beaucoup de gens font pour justifier les danses, disent : « Nous sommes dans un siècle si débordé, qu’il n’y a rien de si louable qui ne soit condamné, ni si détestable qui ne soit approuvé ; mais pour tout cela jamais mensonge ne deviendra vérité, et ne doivent les vrais ministres et pasteurs être moins courageux à maintenir la vérité de l’Eglise, que ceux-là sont effrontés à l’assaillir. »

En conséquence, ils déclarent qu’il a été avisé entre eux, « être très-nécessaire de mettre ce traité au jour, pour affermir dans le bien ceux qui ne sont pas encore adonnés au mal ; pour ramener au bon chemin ceux qui, s’étant égarés, se rendent {p. 75}toutefois dociles et capables de raison, et pour convaincre les plus incorrigibles et opiniâtres, afin de les retrancher du troupeau et les tenir pour tels, non pas qu’ils se disent, mais qu’ils sont à la vérité, faisant profession de connoître Dieu, dit l’Apôtre, mais le reniant par leurs œuvres. »

chapitre II.

Pour procéder avec ordre dans ce traité, et ôter tout lieu d’échapper à la force des autorités et des raisons que ces auteurs allèguent, ils commencent par donner l’idée des danses contre lesquelles ils écrivent. « Les danses, disent-ils, sont des sauts et des mouvemens, mesurés de façons diverses, en assemblées d’hommes et de femmes, au son de choses vaines et profanes, et non à autre fin que de prendre et donner du plaisir. Voilà les danses d’aujourd’hui, même à les considérer en leur plus grande simplicité, et sans d’infinies circonstances qui ne leur apportent rien de mieux. Or, ce sont des plaisirs du monde, que nous ne pouvons aucunement approuver. »

chapitre III.

Leur première raison pour les condamner, « c’est qu’elles ont toujours été les effets, les suites et les dépendances de très-grands vices, comme d’intempérance, d’impudicité. Là où la sobriété sera plus étroite, {p. 76}les danses ne seront point ; mais à la suite des grandes chères et des banquets… Qu’il n’y avoit point de danses en la compagnie de Jésus-Christ et de saint Jean-Baptiste, mais en la cour d’Hérode où toute souillure régnoit, jusqu’aux incestes ».

Ensuite les ministres, considérant la danse du côté des mouvemens qui la composent, observent « que l’ame qui les commande, et donne commencement à ces mouvemens, est nécessairement telle, qu’elle rend le corps qu’elle gouverne, volage, léger, remuant, sans arrêt ; ce qui ne peut convenir à l’honneur de l’homme chrétien… Quant à ce que de telles démarches se font par règles et mesures, ce n’est point pour les approuver davantage ; car c’est toujours faire ce que font les fous et les insensés : il y a seulement cette différence, que le faire avec règle et mesure, c’est, comme dit un certain poète comique (Térence), faire l’insensé avec raison, et montrer qu’on a la cervelle plutôt aux pieds qu’en la tête ; et nous disons que pour cela la folie et la vanité des hommes se montrent bien plus grandes… Avoir mis cette vanité en art, et aller à l’école pour l’apprendre, n’est-ce pas là la vanité des vanités ? Comme si nous n’avions pas des occupations meilleures, et comme si cette vie étoit si longue, que pour la passer, il en faille donner une partie à une étude, laquelle a pour perfection de savoir faire le fou en compagnie, par des mouvemens et {p. 77}des gesticulations étranges ! Les chrétiens ont une science qui doit posséder entièrement leurs cœurs, savoir : la connoissance du vrai Dieu, l’étude et la méditation des choses célestes, le mépris de cette vie, les préceptes de bien et saintement vivre, de savoir renoncer au monde et à ses voluptés. S’il faut apprendre à mesurer ses pas, ce doit être de la façon que le sage nous enseigne en ces paroles : (Prov. c. 4, vv. 26 et 27.) Dressez le sentier où vous mettez le pied, afin que toutes vos démarches soient fermes. Ne vous détournez ni à droite ni à gauche ; et retirez votre pied du mal. C’est qu’il faut tenir règle et mesure en toutes nos actions, mettre bon ordre à nos désirs et à nos affections, afin qu’elles ne nous emportent pas à quelque vice ; se retirer du mal, et si l’on veut encore, c’est de garder une droite sobriété en sa manière de marcher, aussi bien que dans toutes les autres actions de la vie ; afin que jusqu’à nos pas il n’y ait rien qui ne soit un témoignage de vertu. Voilà la mesure de nos pas que la parole de Dieu nous recommande, non pas de garder mesure à rendre l’homme vain en une danse, et cependant en toutes ses actions marcher en étourdi, et en ses conseils, faits et paroles, ne garder ni mesure ni raison. »

chapitre V.

De là, passant aux folâtreries et gaîtés déréglées qui sont l’ame de la danse, les {p. 78}ministres protestans posent un principe trop ignoré de la plupart des chrétiens, et qu’ils ne devroient cependant jamais perdre de vue : c’est que, « quand l’homme fidèle use de la récréation, ce n’est pas tant pour le plaisir, autrement ce ne seroit pas récréation ; mais il en use pour d’autres fins meilleures et plus nécessaires, comme celles du boire et du manger » : Appliquant ce principe aux gaîtés des danses, contre lesquelles ils s’élèvent, ils disent : « Quand on voudra confronter de telles gaîtés avec les règles de la continence et de la sobriété chrétiennes, il ne se trouvera point que ce soient des choses que l’on puisse jamais accorder. Ces règles sont d’être sobres, modestes, et resserrés en toutes les parties de l’ame, de n’aimer point le monde, mais de le mépriser et de fuir ses voluptés, pour avoir sa conversation aux cieux ; de se réjouir comme ne se réjouissant pas, et ce qui est encore d’une abstinence plus étroite, de veiller, de mortifier ses membres, de crucifier sa chair et ses convoitises, de matter son corps, et le réduire en servitude ; d’aller plutôt à une maison de deuil, qu’à une maison de festin ; (eccl. c. 7, v. 3,) c’est-à-dire d’aller chercher tout ce qui resserre nos gaîtés par une représentation assidue de la mort ; bref, de s’employer à son salut avec crainte et tremblement. (Philipp. c. 2. v. 12). Voilà des commandemens pour tenir de court notre chair et nos folies, et non pour lâcher les rênes à la {p. 79}chair, et la laisser échapper à un tel abandon de ses plaisirs… Or, à cela nous disons que toutes ces gaîtés sont directement contraires… Les danses tranchent tous ces liens, et donnent la liberté à la chair, pour l’affranchir de telles craintes et sollicitudes, et lui ouvrir la porte à tous les plaisirs, pour s’y répandre en toutes ses aises. Reste-t-il parmi ces gaîtés aucunes traces de crainte de Dieu, de guerre contre la concupiscence, de mortification du vice ? Mais plutôt, le monde y règne, et ses gaîtés y sont nourries de toute sorte de licence. »

chapitre VI.

Et comme on voudroit dispenser la jeunesse de ces règles si sévères, les ministres protestans s’y appliquent particulièrement à montrer que, bien loin que la danse soit plus permise dans la jeunesse, elle y est au contraire plus dangereuse… « qu’étant plus portée à la joie, à la gaîté, le remède est, non pas d’accorder à la jeunesse tout ce à quoi ce plaisir, c’est-à-dire la folie et la vanité la poussent, mais de lui retrancher plutôt ce qui seroit nuisible, et plus pour augmenter les maladies de l’âge, que pour les corriger ; selon que les médecins ont accoutumé envers les corps mal sains, et inclinans à des maladies, d’user de régimes plus sévères. C’est le conseil de l’Apôtre. Fuyez, dit-il, les désirs et les passions {p. 80}des jeunes gens. (2 Tim. 2. c. 2. v. 22.) C’est un combat que les jeunes gens ont à soutenir plus furieux qu’en aucun autre âge, le diable ne s’oubliant pas à user de l’occasion, et à présenter tous les plaisirs pour donner de la force aux convoitises en ce qu’il peut. Or, en ce combat, le danger est de vouloir ce que les ennemis désirent, et la victoire est de les fuir, et de s’en abstenir ; ce qui se doit faire en la jeunesse avec une prudence et une sollicitude d’autant plus grandes, que c’est le commencement du combat, où faillir et donner prise à l’ennemi, comme il arrive à la guerre, est un mauvais présage pour tout le cours du combat… Par conséquent, lorsqu’on dit que la jeunesse est gaie, et qu’on la doit laisser danser, il faut prendre l’argument tout contraire. »

Après avoir interdit si sévèrement les danses aux jeunes gens, ces auteurs protestans l’interdisent encore avec plus de force aux jeunes personnes de l’autre sexe. Quant aux jeunes femmes et filles, ajoutent-ils, ce que la parole de Dieu leur ordonne, « pour conserver leur âge tendre en un état saint et honnête, dira toujours que la danse leur est encore moins convenable… Le propre de la pudeur et de la crainte en une vierge, c’est de lui tenir le visage honnêtement baissé. Y a-t-il apparence que cette pudeur puisse permettre à une fille au milieu d’une compagnie, de lever ainsi le front et le visage… tourner toute sa personne de {p. 81}mille manières, et prendre une contenance si hardie et si gaie ? » Cela ne peut être.

chapitre VII.

Non-seulement, selon les théologiens, on ne doit pas « prendre plaisir à danser, mais on ne doit pas non plus se plaire à voir danser ; car c’est donner à connoître qu’on a le cœur vain et charnel, et qu’il s’amuse encore aux folies du monde et à des choses qui ne valent rien ; de plus, c’est, pour bien dire, participer au mal au lieu de le reprendre, la différence n’étant pas grande en matière de vice, d’y consentir ou de prendre plaisir à le voir faire et de le faire selon que les saints personnages anciennement prononçoient contre ceux qui assistoient aux théâtres, et prenoient plaisir aux folies qui s’y faisoient ».

chapitre VIII.

Parlant des chants dont les danses sont souvent accompagnées, ils remarquent aussi : « que les chansons les plus communes seront là des paroles pleines d’amour, c’est-à-dire d’impureté. Or, de telles choses n’appartiennent point aux chrétiens qui doivent avoir appris à purifier leur bouche de toute parole déshonnête et folle, et à détester tellement toute espèce de souillure, que les noms n’en soient pas ouïs {p. 82}seulement entre eux. (Ephés. c. 4, v. 29 et c. 5, v. 3.) Cependant, ces choses sont des parties essentielles de la danse pour les échauffer, les animer, et leur donner les mouvemens…. Si on réplique que les danses ne se feront pas toujours avec de telles chansons de voix et de paroles prononcées, mais au son des instrumens, ce n’est pas encore assez pour les justifier ; car les instrumens représenteront à l’esprit le sujet de ces chansons, et ne serviront qu’à donner le poison avec plus de plaisir ».

chapitre IX.

Mais ce sur quoi ils insistent comme étant le comble du mal dans les danses, c’est que les hommes et les femmes s’y trouvent ensemble pour s’y donner réciproquement du plaisir. « Car, disent-ils, en pareilles circonstances la femme est un objet de concupiscence pour l’homme, et l’homme pour la femme, la matière de l’inflammation est dans tous les deux, et il ne faut que les seuls regards pour y mettre le feu, et faire brûler leurs cœurs de mauvais désirs ; tellement que la rencontre n’en est guère sans inconvénient. Non pas toutefois qu’il ne soit jamais permis aux hommes et aux femmes de se trouver ensemble ; mais seulement en de saints actes, et avec une telle prudence, que les fins, l’état des {p. 83}personnes, les actions soient là comme autant de préservatifs pour empêcher tous mauvais accidens… Que si encore les assemblées sont telles, qu’avec la rencontre des yeux il y ait communication de paroles, autres que bien pures et bien chastes ; et que l’on prenne plaisir à dire et ouïr des choses sales et déshonnêtes, c’est jeter de l’huile au feu. Chacun sait quelle est la force des paroles mauvaises à corrompre les mœurs. (1. Cor. c. 15, v. 33)… Mais si, outre cela encore, et en de telles assemblées, il y a des privautés entre l’homme et la femme, tout est perdu… En quelque part que nous découvrions le danger, il le faut craindre et fuir, et nous ne devons jamais penser ou que le danger n’y soit pas si grand, ou que nous soyons assez forts pour en échapper. Le danger n’est jamais petit, où il y a tant soit peu de chose attirant au mal notre nature qui déjà n’y court que trop vîte d’elle-même, et il se faut souvenir de la sentence des sages, que d’une petite étincelle se fait souvent un grand incendie. Quant à nos forces de pouvoir être fermes dans les dangers, et d’en sortir sains et purs, après y être venus, nous nous tromperons… Là-dessus se promettre l’assistance de la vertu de Dieu, quand on délaisse ses voies pour suivre le danger, c’est un abus ; voilà la sentence qui en est donnée : Quiconque cherche le danger y tombera et y périra ; il faut que la folle présomption soit ainsi punie. »

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chapitre X.

Et en effet, si la seule rencontre de l’homme avec la femme peut par le moyen des regards « allumer le feu des convoitises ; s’il en est de même des paroles obscènes, des chansons folles, des manières trop libres, on peut juger des grands inconvéniens que toutes ces choses produisent, quand elles concourent ensemble dans un même lieu, entre les mêmes personnes, le cœur surtout n’étant là que pour se donner du plaisir. Or, la danse réunit tous ces dangers ».

Revenant ensuite aux personnes qui prennent plaisir à assister aux danses, ils remarquent que les inconvéniens dont ils viennent de parler, « ne seront pas seulement pour ceux qui dansent, mais pour les autres qui sont spectateurs ; que si le regard d’une fille qui dansoit a produit un si grand effet sur le cœur d’Hérode, qui osera se permettre de regarder avec plaisir de nombreuses assemblées de femmes et de filles qui dansent, et espérer de n’en recevoir aucun dommage moral ? S’il y en a qui disent que nous voyons ces périls de trop près, et qu’ils n’en voient pas tant que nous en comptons ; qu’ils sachent que ce sont les délices du péché qui les aveuglent, et l’habitude de tant d’obscénités qui leur en ôte le sentiment ».

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chapitre XI.

Remontant jusqu’aux motifs que nous devons nous proposer dans chacune de nos actions, afin qu’elles soient chrétiennes, ils font voir qu’aucun de ces motifs ne se trouve et ne se peut trouver dans les danses. « Les choses, disent-ils, par lesquelles nous jugerons de nos actions, sont trois principalement : si elles sont conformes à notre vocation, si l’édification de notre prochain en peut être aidée, et si elles tendent à la gloire de Dieu. Notre vocation exige que nous fuyions le péché jusqu’aux moindres apparences, afin de conserver une pureté très-étroite ; que nous ne nous conformions point au monde, mais que nous prenions pour règle la volonté de Dieu, pour bien ordonner toutes les parties de notre vie ; et encore qu’ayant nos affections ravies en l’amour des choses célestes, nous ne soyons point amusés et retenus en de vains plaisirs. A ces fins, si nous rapportons ce qui a été dit de la danse, il n’y a pas un seul point que nous y puissions approuver ; car la pureté ne peut être entière et vraiment ennemie du péché parmi tant de vices et d’attraits au mal. Il n’y a rien de la volonté de Dieu en de telles insolences, qui sont autant de façons profanes du monde ; et Dieu ne sauroit avoir en aucune action, le cœur plongé plus avant dans les folles délices et les plaisirs de la terre, {p. 86}que là. Quant à l’édification du prochain, tout y est contraire, et on n’apprendra jamais rien de bien en tous ces spectacles de folies et de vanités, en tous ces exemples de cœurs s’enivrant de plaisir… Pour ce qui regarde la gloire de Dieu, nous laissons à juger après toutes ces considérations, s’il y a rien qui y tende… Que si les danses n’ont rien de convenable, ni à la vocation des chrétiens, ni à la charité et à l’édification du prochain, ni à la gloire de Dieu, que leur peut-il rester pour les dire bonnes ? »

chapitre XIII, XIV, XV, XVI.

Enfin, après avoir prouvé par l’Ecriture, les Pères, les conciles, les païens même, que les danses sont condamnables, ces ministres répondent à quelques-unes des raisons que les avocats des danses, (c’est ainsi qu’ils appellent ceux qui entreprennent de les justifier) alléguent pour s’efforcer de montrer qu’elles sont indifférentes, et que c’est s’opposer à la liberté chrétienne, que d’en faire un péché. Pour détruire cette idée, ils font remarquer que, selon l’idée juste qu’on en doit avoir, « elles ont leur origine dans de très-grands vices, et que la forme et les fins sont contraires à beaucoup de vertus et de devoirs chrétiens, étant allèchement de péché ; bref, les danses mènent avec elles une suite de beaucoup d’inconvéniens ».

{p. 87}Et sur ce que quelques personnes pouvoient répliquer qu’à la vérité on ne peut pas nier qu’aux danses d’aujourd’hui il n’y ait beaucoup d’abus, mais qu’il faut réformer l’abus sans rejeter la chose, voici leur réponse : « Nous répondrons, qu’en cas de réforme, il faut user d’une prudence bien grande, et considérer la nature des abus, et si ce sont des accidens survenus à une chose bonne en elle-même, ou autrement. Car si la chose est bonne en elle-même, il faut la conserver, mais en ôter les abus… Que si le vice est en la chose inséparablement, et ne se peut retrancher qu’en anéantissant la chose même, il ne faut rien épargner… Or, les danses ne sont point d’une autre nature. A bien examiner les parties, les causes et les effets inséparables des danses, même en leur plus grande simplicité, vous n’y trouverez autre chose que vice. Et (par conséquent) ce que l’on feroit à un arbre venimeux en sa racine, en son bois, en ses feuilles, en son fruit, de le couper par le pied (encore qu’il pût servir à donner de l’ombre) et de le mettre au feu, afin que personne n’y fût plus abusé, il le faut faire de la danse ; l’ôter entièrement, afin qu’il n’y ait plus d’abus et de dommage. »

chapitre XVII.

Comme on insiste quelquefois sur les prétendus avantages qu’on voudroit attribuer à {p. 88}la danse, ils les parcourent. C’est, dit-on un exercice propre à la santé. « Que nous accordions, répondent les ministres, que la santé du corps en puisse être aidée, est-ce une cause d’en user, quand notre ame, notre profession, notre honneur y reçoivent tant de dommages ? Car quelle sagesse de racheter sa santé avec tant de dommages ? Mais c’est une vaine excuse d’alléguer les exercices de la santé en la danse, quand c’est proprement contre l’avertissement de saint Paul, (Rom. c. 13, v. 14,) accorder à la chair ses plaisirs et ses convoitises. »

Un autre avantage qu’on prétendoit trouver dans les danses, c’est qu’elles sont un acheminement et un préparatif à beaucoup de mariages. Pour détruire ce vain prétexte, les ministres, auteurs de ce traité, font voir que des mariages qui ne se feroient que par une suite des passions excitées par les danses, sont bien plus propres à en montrer le danger et le mal, qu’à les justifier, et que de tels mariages ayant un aussi mauvais principe, ne peuvent guère être chrétiens ; mais que quand même de pareils mariages produiroient de très-grands avantages temporels, les danses qui auroient été le moyen d’y parvenir, n’en seroient pas plus légitimes. « Si les danses, disent-ils, se doivent justifier à raison de tels profits, ce seroit celle de la fille d’Hérodias, laquelle pour une seule danse gagna la promesse de la moitié d’un royaume. Cependant quelle danse plus {p. 89}criminelle et plus détestable ? Il faut, ajoutent-ils, que les chrétiens aient de bonne heure appris la règle que saint Paul donne (Rom. c. 3, v. 8.) de ne faire jamais le mal, afin que le bien en arrive. Et quand même l’on sera parvenu au mariage par une telle voie, que pourra-t-il s’ensuivre ? Une chose qui prendra sa naissance dans de telles sources, quelle pourra-t-elle être dans tout son corps ? Quelle espérance aura-t-on que Dieu l’approuve, et veuille mêler ses bénédictions parmi ce qui se passe de mauvais dans les danses ? Les choses saintes se doivent traiter par des moyens saints et légitimes ; et celui qui veut faire une bonne œuvre, la doit commencer sur de meilleurs fondemens. »

Tout le traité est terminé par une conclusion énergique et pressante, dont voici quelques traits :

« Et c’est pour toutes ces raisons que nous exhortons nos églises à chasser et reléguer ces mauvaises coutumes aux enfers, dont elles sont venues, aux solennités des idoles, à une cour d’Hérode, enfin, aux lieux de débauches ; car, dans un si grand nombre de raisons de les juger toutes indignes de notre profession, il n’y en a pas une seule qui nous doive engager à les supporter comme choses indifférentes, et sous prétexte d’aucun profit public ou particulier. Si notre vie a quelquefois besoin de relâche ou de récréation, il y a assez d’autres moyens plus honnêtes. Et vouloir {p. 90}acheter nos plaisirs avec de telles pertes et de tels dommages, même de nos ames, ce ne seroit pas agir prudemment. Aux chrétiens bien sages, la crainte d’offenser Dieu, l’amour de la vertu, la garde de leur salut sont des choses plus chères que tout ce qui se pourroit nommer de plaisirs au monde… Que perdrons-nous en perdant les danses ? Mais plutôt que ne gagnons-nous pas en nous privant d’un fol et vain plaisir ? Nous retranchons ce qui est en tout point répugnant à notre vocation ; nous chassons tout ensemble mille occasions de pécher ; nous rendons à nos assemblées le nom de compagnies spirituelles et chrétiennes ; et pour tout dire, en un mot, nous mettons hors de chez nous ce que nous ne pouvons tenir et conserver avec la grâce de Dieu entière. Et, s’il nous prend donc envie de danser, gardons-nous-en ; c’est notre chair, ou la concupiscence qui a envie de se repaître de vanité. Quelqu’un vient-il pour nous mener aux danses ? défions-nous-en ; c’est la main du diable qui tâche de nous attirer dans ses pièges et de nous perdre. Laissons ce que Dieu condamne, soyons prudens pour obtenir les progrès de notre salut : fuyons les lieux de pécher et leurs attraits ; renonçons au monde, foulons aux pieds tous ses vains plaisirs. Le Seigneur Dieu nous en fasse à tous la grâce, auquel soient gloire et force à jamais ! »

Nos lecteurs se seroient-ils attendus à {p. 91}entendre des docteurs protestans parler si fortement et si solidement contre les danses ? Et combien un tel exemple doit-il couvrir de confusion les ministres de l’Eglise catholique, qui sont moins instruits des règles de la morale, ou moins attentifs à les faire observer aux personnes de la conscience desquelles ils sont chargés ! mais combien plus doivent-ils rougir, s’ils sont assez lâches pour regarder comme permis ce qui est en soi si dangereux, et ce qui perd tant d’ames ! On ne trouve cependant que trop de prêtres et même de confesseurs qui, étant interrogés sur ce qu’il faut penser des danses, répondent qu’elles sont permises, pourvu qu’on ne s’y porte pas à de certains excès grossiers, dont un peu d’éducation et de soin de sa réputation (où la Religion peut n’entrer pour rien) suffit pour se garantir. N’est-ce pas là faire tomber sur soi la malédiction que Dieu prononce par le prophète Isaïe, lorsqu’il dit : (c. 3, v. 20) Malheur à vous qui dites que le mal est bien, et que le bien est mal ; qui donnez aux ténèbres le nom de lumière, et à la lumière le nom de ténèbres !

Un célèbre interprète, expliquant ces paroles d’Isaïe, fait cette belle et solide réflexion : (M. Duguet, sur le chap. 5. d’Isaïe. v. 20. tom. 1, pag. 308 et 309.) « Il y a quelque espérance, lorsque les hommes respectent les règles, quoiqu’ils ne les suivent pas, et qu’ils condamnent leurs actions, au lieu de les excuser sous de vains prétextes. On peut les conduire à l’amour de la vérité {p. 92}par la connoissance qu’ils en ont ; et il ne faut, pour les convertir, que fortifier leur foiblesse et les soutenir contre des inclinations dont ils gémissent et dont ils ont honte : mais, lorsqu’ils accusent la vérité, au lieu de se condamner eux-mêmes, et qu’ils pèchent par principe, en supposant que le mal est un bien, et osent donner à la vérité le nom d’erreur ; il n’y a plus de remède, selon le cours ordinaire, à cette double corruption de l’esprit et du cœur ; et la Religion ne peut plus subsister parmi des hommes qui en sont ennemis et par leurs actions et par leurs sentimens. Il arrive rarement qu’une nation éclairée tombe dans un obscurcissement si universel, qu’elle ne discerne plus le vrai du faux, et le juste de l’injuste. Les crimes qui ont quelque chose de noir et de lâche, font toujours quelque horreur ; et, si on y tombe, on n’est pas assez hardi pour les excuser. Mais tout ce qui flatte l’orgueil et l’ambition, tout ce qui contribue à la douceur et aux délices de la vie, tout ce qui favorise l’amour des richesses et l’inclination à la dépense, trouve des approbateurs, et souvent même parmi ceux qui paroissent avoir renoncé à la vie des hommes du siècle. Ceux qui conservent une lumière plus pure, sont en si petit nombre et ont si peu d’autorité, qu’ils ne peuvent s’opposer à la chute générale des mœurs ; et qu’ils s’estiment heureux s’il leur est permis de vivre en particulier selon les maximes {p. 93}dont le siècle est ennemi : encore leur échappe-t-il souvent, ou par surprise ou par une lâche complaisance pour l’opinion des autres, qui a de secrètes racines dans le cœur, de louer ce qui ne mérite que des larmes, et d’approuver ce que Dieu condamne. »

Cette réflexion si lumineuse ne peut-elle pas s’appliquer fort naturellement aux danses, qui paroissent à beaucoup de gens un divertissement permis, et dont en conséquence ils prennent la défense, parce que, pour me servir des paroles de ce savant auteur, elles contribuent à la douceur et aux délices de la vie, et que volontiers on appelle bon tout ce qui plaît, pourvu qu’il n’ait rien de grossièrement mauvais, quoiqu’il soit réellement condamnable selon les principes de la bonne morale, et au jugement de la vérité éternelle ?

Chapitre VII.

Témoignage d’un célèbre Jurisconsulte contre les Danses. §

Le célèbre jurisconsulte dont je veux parler, c’est M. Louis de Héricourt, connu par son bel ouvrage des lois ecclésiastiques mises dans leur ordre naturel. (Voici comme il parle dans la chapitre 10 qui traite des fêtes, des {p. 94}reliques, etc. art. 8. pag. 348. Il s’agit à la vérité, dans cet article, des danses aux jours de dimanches et de fêtes, mais j’ai déjà observé, qu’outre la profanation de ces saints jours que les danses qu’on y fait entraînent après elles, elles ont, en quelques jours qu’elles se fassent, des dangers et des vices qui en sont inséparables. D’ailleurs, si les danses étoient un divertissement innocent de sa nature, tout ce qu’on devroit recommander par rapport à elles pour les jours de dimanches et de fêtes, ce seroit de n’y pas donner trop de temps en ces saints jours, et surtout de n’y pas employer le temps du service divin. Mais toutes les danses publiques sont expressément défendues ces jours-là, sans aucune restriction ; et, s’il est seulement parlé de danses publiques, c’est que les juges à qui il est ordonné d’employer leur autorité pour l’exécution des lois de l’Eglise sur ce point, ne peuvent à cet égard l’exercer que contre les délits publics.) Ecoutons donc parler M. de Héricourt.

« Les Fidèles, dit-il, doivent consacrer au Seigneur les dimanches et les fêtes, et assister au service divin : c’est pourquoi il est défendu pendant ces jours de faire des actes de justice, de tenir des foires, des marchés et des danses, etc. »

M. de Héricourt cite sur cela le troisième concile de Tolède, dont j’ai rapporté plus haut les paroles, ensuite l’article 23 de l’ordonnance d’Orléans de 1560, sous Charles IX, qui porte : « Défendons à tous juges de {p. 95}permettre qu’aux jours de dimanches et de fêtes annuelles et solennelles, aucunes foires et marchés soient tenus, ni danses publiques faites ; et leur enjoignons de punir ceux qui y contreviendront. »

Enfin, il rapporte une déclaration de Louis XIV, du 16 décembre 1698 où il est dit : « Ordonnons que les articles 23, 24, 25 de l’Ordonnance d’Orléans et le 28.e de celle de Blois, portant défenses de tenir des foires et des marchés, et des danses publiques les dimanches et fêtes, d’ouvrir les jeux de paumes et les cabarets ; et aux bateleurs et autres gens de cette sorte de donner aucune représentation pendant le service divin, tant les matins que les après-dinées, soient exécutées. Enjoignons à tous nos juges et autres ressortissans en nos cours de parlement, de les faire lire et publier dans leurs ressorts avec notre présente déclaration… et à eux et tous autres juges de punir les contrevenans, par condamnation d’amendes, et autres peines plus graves, s’il y échet, suivant l’exigence des cas. » Voilà, comme on voit, l’autorité spirituelle et la temporelle réunies à pourvoir à la sanctification des dimanches et des fêtes, en défendant en ces jours-là les danses publiques. C’est donc manquer tout à la fois à ce qu’on doit à Dieu, et aux princes dont la puissance est une image et une émanation de la sienne, que de permettre, et, ce qui est encore pis, d’autoriser ces danses, et d’y aller, lorsque par la négligence de ceux {p. 96}qui ont le pouvoir de les empêcher, elles ont lieu dans une paroisse ; et cependant Jésus-Christ nous dit expressément : (Matth. c. 22, v. 21.) Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Réflexions.

Sur les Textes que l’on vient de citer. §

Si, après toutes ces autorités des saintes Ecritures, des saints docteurs, tous ces règlemens des conciles, et toutes ces décisions des théologiens les plus éclairés, et les plus pieux qui viennent d’être rapportés, on ose encore prendre la défense des danses, et que l’on s’obstine à les croire permises, ne montre-t-on pas par là évidemment qu’on ferme volontairement les yeux pour ne pas voir clair en plein jour ; qu’on ne tient aucun compte de tout ce qu’il y a eu et de ce qu’il peut y avoir encore dans l’Eglise de gens les plus éclairés et les plus pieux, et qu’on manque de respect pour l’Eglise même que, dans les conciles, a parlé si clairement et si fortement contre les danses ? Peut-on nier qu’on ne doive obéir à toutes les lois des supérieurs qui sont justes et qui tendent à la gloire de Dieu et au bien des ames ? Les évêques assemblés dans les conciles dont nous avons parlé, n’étoient-ils pas les supérieurs légitimes des Fidèles ? Les jugemens et les règlemens qu’ils ont portés sur les danses, n’ont d’autre but que de garantir les ames du péché, et de {p. 97}les éloigner de ce qui nuiroit à leur salut. De quel droit prétend-on donc s’opposer à ces jugemens et à ces réglemens ? Y a-t-il même de la raison à le faire, et n’est-ce pas une conduite insensée de ne s’y pas rendre ?

Si tous les habiles médecins décidoient d’un commun accord, qu’en vivant de telles et telles manières, ou qu’en usant de telles et telles nourritures, on s’expose à un danger évident de tomber dans quelque maladie mortelle, ne seroit-on pas frappé de leur avis, et ne s’en rapporteroit-on pas à leur jugement, pour se priver de ce qu’ils auroient décidé être contraire à la santé, et pouvoir causer la mort, quelque peine d’ailleurs qu’on pût souffrir de cette privation ? Les principes, sur lesquels les docteurs de l’Eglise décident que les danses sont de leur nature dangereuses et nuisibles à l’ame, ne sont-ils pas beaucoup plus certains que ceux de la médecine ; et ne doit-on pas beaucoup moins prendre de précautions pour conserver la vie du corps, qu’il faudra nécessairement perdre un jour, qu’on n’en doit prendre pour conserver la vie spirituelle de la grâce, que nous pouvons, avec le secours de Dieu, ne perdre jamais, si nous le voulons ? C’est Dieu même qui, comme on l’a fait voir, a révélé dans ses Ecritures, et par la tradition constante des saints pères, que les danses ne peuvent que causer la perte éternelle de ceux et de celles qui les aiment, et qui ne veulent pas y renoncer. C’est donc une vérité certaine et incontestable qu’elles ne sont pas permises ; et {p. 98}cependant on n’y demeure pas moins attaché. Est-ce là rendre l’hommage que l’on doit à la vérité infaillible de Dieu, qui ne peut ni se tromper, ni nous tromper ? N’est-ce pas manquer de foi, que de ne vouloir pas s’en rapporter à sa parole, et de ne penser qu’à se réjouir en ce monde, sans se mettre en peine de ce qu’on deviendra dans l’autre pour l’éternité ?

Chapitre VIII.

Témoignages des Païens même contre les Danses. §

Si on n’a pas honte de refuser de se rendre aux vérités révélées dans les saintes Ecritures et dans la tradition, et enseignées unanimement par tous les docteurs de l’Eglise, qu’on rougisse du moins de ne pas penser sur les danses aussi sainement que l’ont fait plusieurs sages païens. Salluste, un de leurs historiens, dans son livre de la conjuration de Catilina, (c. 15.) remarque que cet ennemi de la république fit entrer plusieurs femmes dans sa conjuration, espérant qu’elles engageroient leurs maris à se joindre à lui, ou que, s’ils ne le vouloient pas, il les feroit mourir par elles. Entre ces femmes, Salluste nomme en particulier Sempronia, qui étoit une femme distinguée par sa naissance et par sa beauté, qui savoit très-bien {p. 99}le grec et le latin ; mais Salluste ajoute en même temps, qu’elle savoit mieux chanter et danser qu’une honnête femme ne devoit le savoir : Litteris græcis et latinis docta, psallere, saltare elegantiùs quàm necesse est probæ : aussi remarque-t-il aussitôt après, « qu’elle étoit dominée par l’impureté ; qu’elle alloit plus souvent chercher les hommes, que les hommes ne la cherchoient ; et que ce qui pouvoit servir à contenter ses passions, lui étoit plus cher que son honneur et sa pudeur ». Ce portrait d’une habile danseuse est-il bien favorable aux danses ?

Cicéron, le plus célèbre des orateurs et des philosophes de l’ancienne Rome, exprime non-seulement son sentiment particulier, mais encore l’opinion commune sur la danse, dans un plaidoyer en faveur de Lucius Lucinus Muréna, lieutenant-général de Lucullus dans les provinces d’Asie, et depuis consul. Un des reproches que l’on faisoit à Muréna, étoit qu’il avoit dansé en Asie : cette accusation parut à Cicéron si grave et si forte, qu’il n’eut garde de justifier Muréna, supposé qu’il eût dansé, comme s’il n’avoit rien fait en cela de bien répréhensible ; mais il nia constamment le fait : ce qu’il dit à ce sujet est tout-à-fait remarquable. « Caton, dit-il, appelle Lucius Muréna un danseur. S’il lui fait avec vérité ce reproche, c’est une accusation bien forte et bien grave ; mais s’il est faux, c’est un sanglant outrage fait à Muréna. C’est {p. 100}pourquoi, votre autorité étant si grande, ô Marc Caton ! vous devez prendre garde à ne point donner témérairement le nom de danseur à un consul du peuple romain ; mais pour donner quelque fondement à votre accusation, vous devez auparavant considérer et faire voir à quels vices il faut que celui contre qui vous l’intentez ait été sujet, pour rendre croyable ce que vous lui reprochez ; car on ne peut guère trouver quelqu’un qui danse, étant sobre, à moins qu’il ne soit fou : Nemo ferè saltat sobrius, nisi insanus. » Le fondement de cette maxime est qu’en effet les mouvemens, les gestes et les sauts des personnes qui dansent, sont absolument contraires à ceux d’une personne qui se possède, et semblent marquer que celles en qui on les voit, sont comme en fureur et ne sont pas maîtresses d’elles-mêmes. C’est ce qui fait dire à Louis Vivès, précepteur de l’empereur Charles-Quint, dans un excellent ouvrage qu’il a fait, sur la manière de bien élever une fille chrétienne, au titre des danses, après avoir rapporté les paroles des deux païens que je viens de citer : « Je me souviens d’avoir entendu dire que quelques personnes arrivées depuis peu en France, ayant vu des femmes danser, en furent si effrayées, qu’elles prirent la fuite, les croyant et les disant agitées de quelque fureur extraordinaire. En effet, ajoute Vivès, qui est-ce qui, n’ayant jamais vu personne danser, peut, la première fois qu’il en voit, ne pas {p. 101}croire que celles qu’il voit danser sont en fureur, rien n’étant plus contraire à l’état d’une personne sensée que celui où l’on se met en dansant ? Ac profectò quis non mulieres furore correptas credat, cùm saltant ; si saltantes anteà nunquàm spectavit ? »

Selon Æmilius Probus, les Romains estimoient que la danse devoit être mise au rang des choses vicieuses :Scimus saltare etiam in vitiis poni. Scipion témoigne sa douleur, dans une oraison contre Tibérius Gracchus, de ce qu’il avoit vu en sa jeunesse une école où il y avoit cinq cents personnes, tant garçons que filles, qui apprenoient à danser.

On voit ici que la saine raison, qui étoit la seule lumière qui éclairât les Païens, privés de celle de la Foi, vient se joindre à la Religion pour condamner et interdire les danses.

Chapitre IX.

Circonstances qui contribuent à rendre les Danses plus dangereuses et plus criminelles. §

J’ai observé précédemment qu’on ne pouvoit pas conclure, de ce que les danses sont particulièrement défendues les jours de Dimanches et de Fêtes, pendant le service divin, qu’elles soient innocentes et permises en d’autres jours et en d’autres temps ; ce qui {p. 102}s’en suit uniquement, c’est que les danses, mauvaises en tous les temps, le sont particulièrement les jours consacrés à Dieu, et que la circonstance de ces jours est une circonstance qui rend plus criminels ceux qui se livrent à cette sorte de plaisir.

Tout le monde convient que les œuvres serviles et les travaux ordinaires sont défendus en ces jours-là, et qu’on doit observer cette défense, à moins que, par quelque pressante nécessité, on ne se trouve dans le cas de la dispense. Pourquoi les œuvres serviles, bonnes de leur nature et permises en tout autre jour, sont-elles défendues les jours particulièrement consacrés au service de Dieu ? C’est afin que, s’abstenant des travaux et des occupations ordinaires, on ait plus de loisir, plus de liberté d’esprit et de cœur pour s’appliquer à Dieu, aux exercices de piété, et à la grande affaire du salut, que souvent les affaires temporelles font trop long-temps perdre de vue.

Mais si les distractions et les dissipations d’esprit et de cœur, que causent naturellement les soins et les travaux temporels, obligent de les suspendre les jours de dimanches et de fêtes pour vaquer plus librement à Dieu ; combien est-on criminel de leur substituer les danses, beaucoup plus capables de dissiper, et d’une manière infiniment plus dangereuse ? Le fruit qu’on doit s’appliquer à retirer de la célébration du dimanche et des fêtes, c’est de réveiller et d’enflammer davantage en soi l’amour de Dieu et des biens {p. 103}célestes, en s’y occupant particulièrement des grâces qu’on a reçues de lui, et des biens qu’il nous promet pour l’autre vie. C’est encore de faire des retours plus sérieux sur soi-même, pour reconnoître les péchés où l’on a été entraîné les jours précédens par la fragilité humaine, et pour s’en purifier par de saints gémissemens, en s’en humiliant devant Dieu et lui en demandant pardon, du cœur plus encore que de la bouche. Or, combien est-on éloigné d’entrer dans ces sentimens, quand on emploie une partie de ces jours consacrés à Dieu, à des danses, dont l’effet naturel et inévitable est de jeter l’ame dans une dissipation qui ne la laisse plus assez maîtresse d’elle-même pour s’appliquer à Dieu, d’affoiblir et d’éteindre par là l’esprit de prière, et d’allumer dans le cœur le feu de la cupidité, pendant qu’on ne devroit s’occuper qu’à rendre plus ardent et plus actif le feu de la charité.

Une des intentions que l’Eglise a eues en instituant les fêtes en l’honneur des saints, a été qu’en nous réjouissant avec eux de ce que de cette terre pleine de misères ils sont passés dans le lieu du repos éternel, nous soyons en même temps excités, par le souvenir de leurs exemples, à prendre, pour arriver au bonheur dont ils jouissent, la route qu’ils ont prise. Or, dit saint Augustin, (ser. 316, p. 1.) les saints n’ont pas mérité le bonheur du ciel en dansant, mais en priant ; en tombant dans les excès de vin, mais en jeûnant ; en querellant, mais en {p. 104}souffrant patiemment les torts et les outrages qui leur ont été faits : Lætamur quia de terrâ laboris ad regionem quietis martyres transierunt ; sed hoc non saltando, sed orando ; non potando, sed jejunando ; non rixando, sed tolerando meruerunt.

Comment donc prétend-on honorer les saints aux jours de leurs fêtes par des danses et des excès de boisson, et d’autres désordres pour lesquels ils n’ont eu que de l’horreur et de l’éloignement, et qui sont une profanation manifeste de ces jours appelés particulièrement saints, parce que les chrétiens, qui doivent être saints dans toute la conduite de leur vie, s’y doivent conduire encore plus saintement que les autres jours ? N’est-ce pas là faire des jours du Seigneur les jours du démon, parce qu’on s’y livre plus pleinement à lui ? N’est-ce pas changer les fêtes de la Religion en des fêtes toutes profanes et toutes païennes ? Et cette profanation des jours consacrés à Dieu, n’est-elle pas une sorte de sacrilége ?

Si quelqu’un étoit assez impie pour faire de l’église un lieu de débauche, ou même d’entretiens d’affaires temporelles ; pour faire d’un autel, sur lequel on offre le saint sacrifice, une table pour boire et pour manger, et des habits sacerdotaux des habits ordinaires ; qui est-ce qui ne seroit pas frappé de cette profanation, et ne s’en plaindroit pas hautement, quand même il ne feroit pas d’ailleurs profession d’une grande piété ? Les jours de dimanches et de fêtes étant {p. 105}consacrés à Dieu, comme une église, un autel, les habits et les vases destinés au sacrifice lui sont consacrés, pourquoi craint-on moins de les profaner par des danses incompatibles avec la sainteté de ces jours, et avec ce qu’on y doit faire pour honorer Dieu ? En tout ce qui a rapport à la Religion, si on y mêle quelque chose que la Religion n’approuve pas, on sera toujours en droit de demander avec saint Paul : (2. Cor. c. 6, v. 15.) Quel rapport peut-il y avoir entre Jésus-Christ et Bélial ? Aussi, saint Augustin dit qu’il y auroit moins de mal à travailler à la terre les jours entiers des dimanches et des fêtes, qu’à y danser : Meliùs totâ die foderent, quàm totâ die saltarent. (tom. 2, p. 32, n° 6.)

Le même saint docteur dit encore : (tract. not. 3.) « L’observation du sabbat, c’est-à-dire du jour consacré à Dieu, nous regarde encore plus que les Juifs, parce que nous devons l’observer d’une manière toute spirituelle. Les Juifs observent leur sabbat d’une manière toute servile et toute charnelle, parce qu’ils l’emploient à l’impureté et aux danses, qui portent à la débauche ; combien leurs femmes feroient-elles mieux d’employer ce jour-là à leurs ouvrages de laine qu’à danser ! Que Dieu nous garde, mes Frères, de dire qu’ils observent le sabbat ! » Il faut se rappeler ici ce que j’ai rapporté plus haut, que long-temps avant saint Augustin, saint Ignace, martyr, écrivoit aux Magnésiens : (p. 59.) « Ne célébrons {p. 106}plus à l’avenir le sabbat à la manière des Juifs, nous contentant de n’y rien faire ; mais que chacun de vous célèbre le sabbat spirituellement, trouvant sa joie dans la méditation de la loi de Dieu, dans la considération et l’admiration de ses ouvrages, et non en prenant plaisir à des danses, à des marques de joie folles et insensées : Non saltationibus plausibusque insanis oblectans se. »

M. Bossuet, dans ses réflexions sur la comédie, (tom. 7, p. 643.) s’applique à montrer que l’assistance aux spectacles, défendue en tout temps, l’est encore plus les jours de dimanches et de fêtes. Et comme ce qu’il dit sur les spectacles est également applicable aux danses, je crois devoir rapporter ses propres paroles en substituant les danses aux spectacles. « En vérité, dit-il, on pousse trop loin la licence. Les commandemens de Dieu, et en particulier celui qui regarde la sanctification des fêtes, sont trop oubliés ; et bientôt le jour du Seigneur sera moins à lui que tous les autres, tant on cherche d’explication pour l’abandonner à l’inutilité et au plaisir. » Et sur ce que l’auteur, que M. Bossuet réfute, disoit en permettant d’aller à la comédie les jours même de fêtes, qu’elle ne commence qu’après l’office, le savant réfutateur lui répond : (ibid. p. 643 et 644.) « Qui empêchera que par la même raison l’on ne permette les autres ouvrages, sans doute plus favorables et plus nécessaires ? Qui a introduit ce {p. 107}retranchement du saint jour ? Et pourquoi n’aura-t-il pas les vingt-quatre heures comme les autres ?… Ceux qui fréquentent les danses songent-ils seulement qu’il y a des vêpres ? En connoît-on beaucoup qui, affectionnés au sermon et à l’office de la paroisse, après les avoir ouïs, aillent perdre à la danse, dans une si grande effusion d’une joie mondaine, l’esprit de recueillement et de componction que la parole de Dieu et ses louanges auront excité ? Disons donc que les danses ne sont pas faites pour ceux qui savent se sanctifier dans le vrai esprit du christianisme, et assister sérieusement à l’office de l’Eglise. »

Aussi, nos rois très-chrétiens, dans leurs ordonnances, et les parlemens dans leurs arrêts, se sont joints aux saints conciles pour défendre les danses publiques les saints jours de dimanches et de fêtes, et surtout les fêtes patronales. Nous avons déjà vu ce qu’en rapporte M. d’Héricourt. J’ajoute que François I les a défendues par ses Lettres patentes du 7 février 1520, adressées au prévôt de Paris, et aux baillis de Meaux, de Senlis et de Valois. Cette défense se trouve réitérée par Charles IX, dans son édit du mois de janvier 1560, art. 2, et 245 ; et par Henri III, dans son ordonnance du mois de mai 1579, ou édit de Blois, art. 23 : défenses qui ont été confirmées depuis par une autre ordonnance de Louis XIII, en 1610, et par celle de Louis XIV, du 16 décembre 1698, rapportée plus haut et enregistrée au {p. 108}parlement le 31 du même mois, et rapportée dans le procès-verbal de l’assemblée générale du clergé de France de l’année 1700. (p. 79.) A quoi enfin on peut ajouter un arrêt du conseil d’état, rendu en 1666, et plusieurs arrêts rendus au parlement, comme celui du 15 octobre 1588, et celui du 3 septembre 1667.

Après tant d’ordonnances et d’arrêts, soit du conseil d’état, soit des cours souveraines qui défendent les danses publiques les saints jours de dimanches et de fêtes, il ne reste plus qu’à désirer que tous ceux entre les mains de qui Dieu a mis son autorité, soit dans le for extérieur, soit dans le for intérieur, ne négligent rien de tout ce qui est en leur pouvoir, pour abolir une coutume qui ressent beaucoup plus le paganisme que la religion chrétienne.

Une seconde circonstance qui rend les danses plus dangereuses et plus criminelles, c’est lorsqu’elles se font la nuit ; et c’est ainsi que se font celles qu’on appelle bals. Tout le monde sait que la nuit contribue ordinairement à rendre plus hardi pour le mal. Combien de gens souffrent ou prennent plus facilement, à la faveur des ténèbres, des libertés criminelles qu’ils n’oseroient prendre ou souffrir en plein jour, par un reste de pudeur, ou par la crainte des hommes ? Rien de plus opposé que les danses en général, et en particulier celles de la nuit, à cette règle de saint Paul : Marchons avec bienséance et avec {p. 109}honnêteté, comme on marche durant le jour. (Rom. c. 13, v. 13.)

Une troisième circonstance qui rend les danses plus criminelles, c’est lorsqu’elles sont accompagnées de déguisement, comme il est encore très-ordinaire aux bals. Si, comme je viens de le marquer, les ténèbres de la nuit contribuent à donner plus de hardiesse pour prendre ou souffrir des libertés criminelles, cette hardiesse ne doit-elle pas naturellement beaucoup augmenter, lorsqu’étant caché par un masque et sous un habit extraordinaire, on est assuré de n’être pas connu ? Mais la manière de se déguiser la plus dangereuse et la plus criminelle, c’est lorsqu’on change les habits de son sexe pour prendre ceux de l’autre sexe. Dieu l’avoit défendu à son ancien peuple dans les termes les plus forts. Combien cette défense regarde-t-elle encore plus les chrétiens qui, vivant sous la loi de grâce, sont obligés à une plus grande sainteté ! Une femme, est-il dit dans le Deutéronome, (c. 12, v. 5.)ne prendra point un habit d’homme, ni un homme un habit de femme ; car celui qui le fait est abominable devant Dieu. En effet, que de désordres et de scandales peuvent naître de ce changement d’habits de son sexe ! La femme, en changeant ainsi d’habits, se dépouille assez aisément de la pudeur et de la modestie naturelles aux femmes ; et l’homme aussi, en prenant l’habit qui convient à l’autre sexe, donne lieu de craindre qu’il n’en ait la mollesse et l’esprit, ou qu’il ne les {p. 110}prenne bientôt : ce qui est un renversement de la nature, abominable aux yeux de Dieu. Qui s’attendroit, après une défense aussi expresse que celle qui vient d’être rapportée, à trouver encore des chrétiens, qui, par un mépris marqué de Dieu et de ses volontés, vont directement contre ce qu’il a si expressément défendu !

Une quatrième circonstance qui rend les danses plus criminelles, c’est lorsqu’elles se font les jours ou les temps particulièrement consacrés à la pénitence, tels que sont les jours de jeûnes, et spécialement dans le saint temps de carême. Je rapporterai, pour le prouver, les autorités et les raisons que M. Bossuet a employées contre l’auteur apologiste de la comédie, qui, non content de la permettre en général à tous les chrétiens, n’a pas eu honte d’avancer qu’ils pouvoient prendre ce divertissement.

Le temps même du carême, « encore, dit-il, que ce soit un temps consacré à la pénitence, un temps de larmes et de douleur pour les chrétiens, un temps où, pour me servir des termes de l’Ecriture, la musique doit être importune, et auquel le spectacle et la comédie paroissent peu propres, et doivent, ce semble, être défendus ; l’auteur, dit M. Bossuet, (p. 637 et 639.) semble n’avoir proposé toutes ces raisons que pour passer par-dessus, malgré le texte de l’Ecriture dont il les soutient. C’est confondre toutes les idées que l’Ecriture et la tradition nous donnent du jeûne. Le jour {p. 111}du jeûne est si bien un jour d’affliction, que l’Ecriture n’exprime pas autrement le jeûne que par ces termes (Lévit. c. 16, v. 29, et 31.) Vous affligerez vos ames, c’est-à-dire vous jeûnerez. C’est pour entrer dans cet esprit d’affliction, qu’on a introduit cette pénible soustraction de la nourriture. Pendant qu’on prenoit sur le nécessaire de la vie, on n’avoit garde de songer à donner dans le superflu ; au contraire, on joignoit au jeûne tout ce qu’il y a d’affligeant et de mortifiant, le sac, la cendre, les pleurs, parce que c’étoit un temps d’expiation et de propitiation pour ses péchés, où il falloit être affligé, et non pas se réjouir. Le jeûne a encore un caractère particulier dans le nouveau testament, puisqu’il est une expression de la douleur de l’Eglise dans le temps qu’elle aura perdu son époux, conformément à cette parole de Jésus-Christ même : (Matth. c. 9, v. 15.) Les amis de l’époux ne peuvent s’affliger pendant que l’époux est avec eux ; il viendra un temps que l’époux leur sera ôté, et alors ils jeûneront. Il met ensemble l’affliction et le jeûne ; et l’un et l’autre, selon lui, sont le caractère des jours où l’Eglise pleure la mort et l’absence de Jésus-Christ. Les saints pères expliquent aussi que c’est pour cette raison, qu’approchant le temps de la passion, et dans le dessein de s’y préparer, on célébroit le jeûne le plus solennel, qui est celui du carême. Pendant ce temps consacré à la pénitence et {p. 112}à la mémoire de la passion de Jésus-Christ toutes les réjouissances sont interdites ; de tout temps on s’est abstenu d’y célébrer des mariages ; et pour peu qu’on soit versé dans la discipline, on en sait toutes les raisons. Il ne faut pas s’étonner que durant ce temps on défende spécialement les spectacles, quand ils seroient innocens. On voit bien que cette marque de la joie publique ne conviendroit pas avec le deuil solennel de toute l’Eglise ; loin de permettre les plaisirs et les réjouissances profanes, elle s’abstenoit des saintes réjouissances, et il étoit défendu d’y célébrer les nativités des saints, parce qu’on ne pouvoit les célébrer qu’avec une démonstration de la joie publique. Cet esprit se conserve encore dans l’Eglise, comme le savent et l’expliquent ceux qui entendent les rits. C’est encore dans le même esprit qu’on ne jeûne point le dimanche, ni durant le temps entre Pâques et la Pentecôte, parce que ce sont des jours destinés à une sainte réjouissance, où l’on chante l’Alleluia, qui est la figure du cantique de joie du siècle futur : si le jeûne ne convient pas au temps d’une sainte joie, doit-on l’allier avec les réjouissances profanes, quand d’ailleurs elles seroient permises ?… (ibid. p. 640.) Parmi les sermons de saint Ambroise, on en trouve un de saint Césaire, archevêque d’Arles, où il répète trois ou quatre fois, que celui qui chasse pendant le carême, horum quadraginta dierum curriculo, ne {p. 113}jeûne pas ; encore, poursuit-il, qu’il pousse son jeûne jusqu’au soir, selon la coutume constante de ce temps-là, il pourroit bien paroître avoir mangé plus tard, mais cependant il n’aura pas jeûné au Seigneur : Potes videri tardiùs te refecisse, non tamen Domino jejunâsse. Ce saint écrivoit à la fin du deuxième siècle. Dans le neuvième, le grand pape Nicolas I imposa aux Bulgares qui le consultoient, la même observance selon la tradition des siècles précédens. Cette sévérité venoit de l’ancienne discipline des pénitens, qu’on étendoit, comme on voit, jusqu’au carême, où toute l’Eglise se mettoit en pénitence. Et de peur qu’on ne s’imagine que cette discipline des pénitens ne fût excessive ou déraisonnable, saint Thomas l’appuie de cette raison, que ces spectacles et ces exercices empêchent la récollection des pénitens, et que leur état étant un état de peine, l’Eglise a droit de leur retrancher, par la pénitence, même des choses utiles, mais qui ne leur sont pas propres, sans y apporter d’autre exception que le cas de nécessité, comme seroit la chasse, s’il en falloit vivre : tout cela conformément aux canons et à la doctrine des saints. »

Est-il plus aisé d’allier les danses que les spectacles avec l’esprit de récollection et de componction, qui doit être en tout temps dans les chrétiens, et surtout dans les pénitens, mais qui doit particulièrement se renouveler en eux, et y être plus agissant dans les {p. 114}jours et les temps spécialement consacrés à la pénitence, comme le saint temps de carême, plus que tout autre ?

Chapitre X.

En convenant que les Danses doivent ordinairement être évitées, ne peut-on pas les permettre du moins aux jours de noces, où elles sont d’usage partout ? §

Si les danses entre des personnes de différent sexe, et surtout de jeunes personnes, sont toujours pour le moins dangereuses, comme on ne peut raisonnablement en douter après toutes les preuves qu’on en a données et toutes les réflexions qui ont été faites, il s’en suit certainement qu’elles ne sont pas plus permises aux noces qu’en toute autre circonstance, parce qu’il ne faut jamais se mettre soi-même, ni mettre les autres dans aucune occasion de péché. Aussi, le concile de Laodicée, qui est le premier de tous les conciles que nous avons cités contre les danses, défend-il expressément qu’il y en ait aux noces en particulier, recommandant qu’on s’y contente de quelques repas où tout se passe d’une manière digne de la sainteté qui doit être dans les chrétiens, comme dans l’histoire du mariage du jeune Tobie avec Sara. Le Saint-Esprit dit expressément (c. 9, v. 12.) que dans le repas même des noces {p. 115}tout se passa selon la crainte du Seigneur. Il n’est que trop ordinaire que dans les festins des noces les règles de la tempérance ne soient pas bien exactement observées, qu’on y chante des chansons mauvaises, et qu’on y tienne des discours indécens ; et quand des jeunes gens viennent à la danse, déjà échauffés par des chansons lubriques qu’ils ont chantées ou entendues, et par les discours très-indécens qu’une infinité de gens ne rougissent pas de tenir à l’occasion du mariage qui se célèbre, combien est-il facile, je dirai même inévitable, qu’ils soient fortement excités à la volupté par la vue des jeunes personnes d’un autre sexe, au milieu desquelles ils se trouvent, et par la très-grande familiarité que la danse leur fait avoir avec elles ? N’est-il pas également à craindre pour ces jeunes personnes d’un sexe foible et fragile, que l’esprit impur ne profite de la présence des jeunes gens avec qui elles sont, et de tout ce qui les environne, pour s’insinuer dans leur ame, et porter à leur chasteté les plus mortelles atteintes ?

Un jour de noces est un jour où les personnes, dont le mariage rassemble leurs parens et leurs amis, ont reçu un sacrement : ceux et celles qui ont assisté à l’administration de ce sacrement, ont dû joindre leurs prières à celles des deux personnes qui l’ont reçu, pour attirer sur elles la bénédiction de Dieu. Et quel rapport y a-t-il entre ces prières qui ont dû être faites de part et d’autre, et les danses, les excès de {p. 116}bouche, les paroles et les chansons libres, dont la plupart des noces sont aujourd’hui souillées et déshonorées ? Qu’est-ce que les païens peuvent penser de la sainteté de nos sacremens, quand ils voient les chrétiens eux-mêmes en faire si peu de cas, que le jour où l’administration d’un de ces sacremens les rassemble, est un de ceux où ils paroissent plus licencieux, en se livrant plus librement à leurs passions et à des manières d’agir dont d’honnêtes païens rougiroient ?

Le zèle de saint Jean Chrysostôme l’a porté à s’élever plusieurs fois contre ces scandales et ces désordres qui déshonorent les noces des chrétiens, quoiqu’ils ne fussent alors ni si communs, ni si grands qu’ils le sont parmi nous. Ce saint docteur nous parle encore à nous-mêmes dans ses sermons qui sont venus jusqu’à nous ; écoutons-le avec le respect que mérite un si grand saint, et plus encore la vérité éternelle qui a parlé par sa bouche.

Je sais, dit saint Jean Chrysostôme, dans une homélie, sur l’épître aux Ephésiens, (hom. 20, tom. 2, p. 154.) « que je paroîtrai ridicule à plusieurs, en faisant observer les règles que je vais vous prescrire par rapport aux noces ; mais si vous me croyez, j’espère que l’avantage que vous en retirerez, vous fera comprendre que je ne vous aurai rien dit que d’utile. Loin de rire de ce que je vous dis, ce qui vous paroîtra ridicule, c’est là mauvaise coutume que je combats ; et vous ne pourrez {p. 117}vous empêcher de reconnoître que ce qui se fait maintenant est une conduite d’enfans sans raison, ou même de gens ivres ; et que celle que je m’efforce de vous persuader est une conduite pleine de modestie et de sagesse, et qui vous feroit commencer à mener dès ce monde une vie toute céleste. Que dois-je donc vous dire à ce sujet ? C’est qu’il faut bannir de vos noces les mauvaises chansons, qui sont les cantiques du diable ; les courses et le concours des jeunes gens, dont les discours et les manières ne montrent que trop qu’ils sont dominés par l’impureté : Omnia turpia cantica, quæ sunt satanica, inhonestas cantilenas, immundorum juvenum circuitiones aufer à nuptiis… Car celui qui, au temps même de ses noces, ne peut souffrir ni les danses, ni les instrumens qui les animent, ni les chants mous et dissolus, ne pourra guère dans la suite faire ou rien dire d’indécent ou de honteux : Nam qui neque tibias, neque saltantes, neque fractos cantus sustinuerit, idque tempore nuptiarum, vix ipse in animum induxerit ut turpe aliquid un quàm aut faciat aut dicat ».

Ce saint parle encore sur la même matière, dans une homélie sur l’épître aux Colossiens ; il le fait même avec plus d’étendue que dans celle que je viens de citer. (hom. 12, tom. 2, pag. 118 et suiv.) « Tout dans vos noces, dit-il, devroit être plein de tempérance, de modestie, de gravité et d’honnêteté ; et j’y remarque tout le contraire, y voyant {p. 118}des gens qui sautent comme des chevreaux et des mulets… Dans toutes vos actions vous avez soin de séparer le mauvais du bon ; comme quand vous voulez ensemencer vos terres, ou que vous faîtes vos vendanges, vous ôtez tous les mauvais grains ; de même, si vous composez quelque parfum, vous prenez bien garde qu’il n’y tombe rien qui soit de mauvaise odeur. Le mariage est une espèce de parfum, parce que ceux qui le contractent, doivent s’y conduire de manière que, par la sainteté de leur conduite, ils répandent la bonne odeur de Jésus-Christ. Pourquoi y laissez-vous tomber la boue du péché qui l’infecte ?… Le mariage est-il donc un jeu de théâtre ? C’est un mystère, et la figure d’une grande chose. Si vous ne respectez pas la figure, respectez au moins ce qu’elle représente. Ce sacrement est grand, dit saint Paul, (Ephés. c. 5, v. 32.) Je dis en Jésus-Christ et son Eglise, c’est-à-dire que ce qui en fait la grandeur, c’est qu’il représente l’union ineffable de Jésus-Christ avec l’Eglise son épouse. Quelle nécessité y a-t-il qu’il y ait des danses à vos noces ? Les danses ne conviennent qu’aux mystères et aux cérémonies des païens : In mysteriis Græcorum sunt saltationes. Mais ce qui convient à nos cérémonies, ce sont : le silence, une honnête gravité, la pudeur et la modestie : In nostris autem silentium, honesta gravitas, pudor et modestia… Réfléchissons sur toutes ces choses, ne {p. 119}déshonorons pas un si grand mystère. Le mariage est un signe de la présence de Jésus-Christ, et vous vous enivrez ! Dites-moi, si vous voyiez l’image du roi, voudriez-vous la déshonorer ? Non sans doute. Les désordres dont je me plains, qui se passent à l’occasion du mariage, paroissent être des choses indifférentes ; mais ils sont dans la vérité de très-grands maux, et tout y est plein d’iniquité, Saint Paul dit : (Eph. c. 5, v. 4.) Qu’on n’entende parmi vous ni paroles déshonnêtes, ni folie, ni bouffonnerie, ce qui ne convient pas à votre état ; et on n’entend dans vos noces que des discours bouffons et déshonnêtes… Le diable peut-il manquer de se trouver où l’on tient de pareils discours ? Ubi sermo obscœnus, adest diabolus sua efferens. Lorsque je vous parle ainsi, je vous suis peut-être trop à charge et trop importun ; mais c’est ce qui prouve l’excès de la corruption qui règne parmi vous, de ce que ceux qui la reprennent sont regardés comme trop austères. N’entendez-vous pas saint Paul qui dit : (1. Cor. c. 10. v. 31.) Soit que vous mangiez ou que vous buviez, et quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ? Et vous, au contraire, vous faites tout pour votre propre honte et votre confusion ! N’entendez-vous pas aussi le prophète-roi qui dit : (ps. 2, v. 11.) Servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement ? Et vous vous répandez en {p. 120}des excès de joie et de dissolution ! Jésus-Christ ne se trouve point où sont les joueurs d’instrumens : Ubì sunt tibicines, nequaquàm est Christus ; et s’il y en a dans une maison où il entre, il commence par les faire sortir, et il opère ensuite des miracles, comme on le voit dans l’histoire de la résurrection de la fille de Jaïr, chef de la synagogue, rapportée par saint Matthieu. (c. 9, v. 23 et suiv.) Il n’est rien de plus agréable que la vertu, rien de plus doux que la modestie, rien de plus désirable qu’une conduite pleine d’honnêteté. Que les noces se fassent en la manière que je le recommande, et l’on éprouvera la vérité de ce que je dis, que le plaisir solide se trouve, non dans ce qui flatte les passions, mais dans la pratique de la vertu : Faciat quispiam nuptias quales ego dico, et videbit voluptatem. »

Un homme aussi saint et aussi éclairé que saint Jean Chrysostôme, ne mérite-t-il pas bien qu’on l’en croie, plutôt que le monde qui est si corrompu et si aveugle ?

Je ne puis m’empêcher d’ajouter à ce qu’on vient d’entendre de saint Jean Chrysostôme, ce qu’on écrit contre les danses qui se font aux noces, les ministres protestans, du traité desquels j’ai fait plus haut l’analyse. Je le rapporterai dans leurs propres termes, comme j’ai fait à l’égard des autres extraits que j’en ai donnés. C’est dans le chapitre 19, où, parlant des circonstances qui contribuent à rendre les danses plus {p. 121}mauvaises, ils s’expriment ainsi sur la troisième : Ce qui rend les danses encore plus abominables devant Dieu, est de les avoir introduites aux noces et solennités du mariage. Il est vrai qu’il semble à la plupart du monde, que c’est une partie principale des noces, et toutefois, il n’y a rien qui leur soit plus contraire, si l’on considère les causes du mariage, la sanctification ordinaire, les bénédictions et le contentement qu’on y peut désirer : car le mariage est une sainte ordonnance de Dieu, pour réprimer la convoitise et toute impudicité. Tellement que, recevoir aux solennités du mariage ce qui peut irriter la concupiscence, et non l’éteindre, et ce qui peut donner lieu à l’impudicité, en quelque sorte, c’est renverser l’ordonnance de Dieu, la profaner, et en attirer des effets tout contraires. Or, telles sont les danses, et Dieu n’aura jamais pour agréable que l’on abuse des remèdes qu’il a ordonnés. De plus, les chrétiens doivent agir saintement dès les commencemens, afin que les commencemens étant saints, le reste le soit aussi. Ç’a toujours été la coutume de venir à l’église, afin que là leurs mariages fussent sanctifiés par la parole de Dieu et l’oraison, que leurs promesses fussent comme déposées entre les mains de Dieu, que de sa bouche ils prissent les assurances de ses bénédictions. Voilà proprement les solennités de mariage entre les chrétiens. Si après la réception du sacrement il {p. 122}se fait quelque banquet, s’il y a assemblée de parens et d’amis, et quelque réjouissance ; ce sont des choses qui peuvent encore s’accorder comme civilités humaines, moyennant que la modestie et la sobriété y soient gardées. Mais si, au sortir de cette solennité sainte, on s’abandonne à tout plaisir sans modération, et que l’on vienne aux danses, voilà tous ces beaux commencemens renversés… On aura appelé Dieu pour être auteur de cette œuvre, et une heure après, on lui donnera congé avec outrage, pour recevoir le diable et ses suggestions. N’est-ce pas se moquer de Dieu, et avoir appelé l’Eglise et les anges pour être un jour témoins contre cette perfidie et cet abus des choses saintes ? Et quelle sera la bénédiction de Dieu avec ce mépris ? Aux mystères des chrétiens, il ne faut que prières, cantiques saints, honnêteté, modestie. Quand les chrétiens se marient, c’est afin, comme le dit saint Paul, (Héb. c. 13, v. 4.) qu’en toutes choses on se comporte avec honnêteté dans le mariage, et que le lit nuptial soit sans tache. Or, pour avoir le mariage avec cette pureté et cet honneur, il le faut avoir tel dès le commencement : car si l’impureté s’y attache en quelque sorte ; on ne peut pas l’effacer bientôt ; et le péché est un hôte fort difficile à faire déloger quand on l’a reçu. Dès l’entrée donc il faut établir le mariage tel qu’on le veut avoir dans tout son cours. C’est ce qui se {p. 123}fait quand on appelle Dieu pour auteur de cet acte ; que l’on s’étudie à ne rien faire qui ne soit bien pur et saint ; qu’avec le mariage l’on reçoit en la famille la modestie, la pureté et la vertu ; que l’on en bannit les choses profanes, le péché, le diable, et toutes ses œuvres… Au reste, de quoi servent à ceux qui se marient les danses en leurs noces ? Est-ce pour les faire plus magnifiques ? Mais la vraie magnificence et la plus honorable, ce sera s’il n’y a rien qui ne soit bien honnête et selon les principes de la vertu. Est-ce pour les célébrer avec plus de plaisir ? mais il faut devenir agréables, premièrement à Dieu, qui est là présent ; il faut aussi choisir des plaisirs qui ne causent point de dommage. Est-ce pour exciter les convoitises de la chair ? Mais on entre en mariage pour les éteindre… Et il n’y a pas de doute que ce n’aient été les pratiques du diable d’introduire là les danses, afin que l’ordonnance de Dieu fût violée, la sanctification du mariage changée en souillure et en malédiction, et qu’on vît naître d’une chose bonne, toutes sortes de maux… Il faut que toutes ces méchantes coutumes disparoissent ensemble du milieu de nous, et que nous rendions l’institution de Dieu sainte en son entier, de peur qu’il ne se courrouce, et que ce qu’il nous avoit donné pour remède, il ne le convertisse lui-même en punition, comme il n’arrive que trop souvent en de pareilles {p. 124}fautes… Jésus-Christ assista aux noces à Cana avec ses disciples : il sera aux nôtres avec toute l’abondance de ses grâces, si nous voulons ; mais qu’il nous souvienne toujours de la sentence de saint Jean Chrysostôme : Là où sont les menétriers et les danses, Jésus-Christ n’y est point. En un mot, les noces ne sont point un théâtre de folie et de turpitude, mais une solennité sainte d’une chose sacrée, pour mener la vertu, la modestie, la chasteté, l’honneur, Dieu même avec toutes ses grâces dans la maison des époux. »

Que répondront au jour du jugement à Dieu, tant de chrétiens qui connoissent si peu la sainteté du mariage, et qui, y entrant sans aucune vue de servir Dieu et sans le moindre sentiment de piété, célèbrent leurs noces d’une manière toute païenne, lorsque Jésus-Christ leur opposera ce qu’en ont écrit les docteurs protestans dont je viens de rapporter les paroles, et qu’il leur reprochera que dans le sein même de l’Eglise, ils ont moins sainement pensé des choses de la Religion et de la sainteté de nos sacremens, que des hommes qui avoient le malheur d’en être séparés par l’hérésie, et qui ne regardoient point la célébration du mariage comme un vrai sacrement ? Qu’ils préviennent ces reproches, et qu’ils ouvrent enfin les yeux à la lumière qui leur est présentée par des hommes qui ne doivent pas leur être suspects de rigorisme, et pour lesquels on ne peut s’empêcher d’être vivement affligé qu’ils {p. 125}n’aient pas été aussi éclairés sur tous les articles de notre foi, qu’ils l’ont été sur ce point de morale.

Chapitre XI.

On doit non-seulement éviter les Danses, mais on doit même éviter, autant qu’on peut, d’être présent aux danses. §

Si l’on ne doit pas aimer à danser, on ne doit pas non plus aimer à voir danser les autres. Prendre plaisir à être spectateur ou spectatrice des danses, c’est leur donner une sorte d’approbation, et par là y participer en sa manière. Et saint Paul déclare (Rom. c. 1, v. 32) que non-seulement ceux qui font les choses défendues (dont il venoit de parler)méritent la mort, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font. Il écrit aussi aux Ephésiens (ch. 5, v. 11.) : Ne prenez point de part aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt condamnez-les.

De plus, si on trouve du plaisir à voir danser, on ne peut guère tarder à en trouver à danser soi-même ; et si on a eu jusqu’alors de la répugnance à le faire, on sera facilement excité par l’exemple des autres, qu’on aura aimé à voir dans ce divertissement, à le rechercher et à s’y livrer soi-même, pour peu qu’on puisse le faire avec bienséance. Enfin, on ne peut s’arrêter à regarder les danses sans être en même temps {p. 126}témoin de beaucoup de familiarités et de libertés criminelles qu’ont ensemble les personnes de différent sexe, ou en dansant, ou après avoir dansé. Et combien cette vue est-elle capable de produire dans l’ame de mauvaises pensées et de mauvais désirs, qu’on ne peut alors dire être involontaires, puisqu’on veut ce qui les produit !

Voici encore ce qu’enseignent sur cela les ministres protestans dans leur chapitre dixième de leur traité contre les danses. Il est si conforme aux principes de la religion et si solidement prouvé par les saintes Ecritures, qu’il ne peut être que très-utile de le mettre sous les yeux des catholiques : « S’il est besoin de se trouver aux compagnies quelquefois, il le faut faire prudemment, et selon que nous sommes enseignés, regarder avec discrétion quelles sont les compagnies que nous voulons fréquenter ; car il n’est pas permis de se réunir à toutes sortes de gens, de peur que tombant dans la compagnie de gens déréglés, l’on ne communique au mal, et que de mauvaises paroles ou actions on n’en remporte quelque vice… Il faut user du conseil que les anciens conciles donnoient jadis aux chrétiens quand ils seroient à quelques noces, qu’ils mangeassent sobrement et honnêtement ; et les tables étant levées, si les ménétriers entroient pour commencer les danses, qu’ils partissent de là. Qu’ils se retirent donc ; et s’ils ont fait une faute de s’être approchés de telles assemblées du monde, {p. 127}qu’ils n’ajoutent pas une seconde faute d’être ou parties, ou spectateurs des actions qu’ils doivent condamner. Mais ce sera malhonnête, disent-ils, de laisser la compagnie. Soit ; la faute en est aux autres qui vous en donnent l’occasion ; car quand vous aurez été appelé par vos amis, et que vous serez là avec eux tant qu’il vous sera permis pour votre salut et votre honneur, vous aurez abondamment satisfait à l’amitié ; mais que sous quelque prétexte vous oubliiez les devoirs de votre profession, il n’y a point de raison d’agir ainsi, parce qu’il ne fut jamais permis que l’amitié liât si fort, que de faire l’un complice et compagnon des vices de l’autre. C’est ici plutôt que la sainte et constante hardiesse chrétienne se doit montrer, à ne point participer aux œuvres mauvaises, mais plutôt à les reprendre et les condamner, si ce n’est de paroles, pour le moins par une soudaine retraite, et par tous les témoignages qu’on ne les approuve point. Tout ce qu’ils pourront dire de ceux qui se retirent, sera qu’ils ne veulent point danser, c’est-à-dire qu’ils sont chrétiens, ennemis des vices ; qu’ils détestent le mal jusqu’aux apparences ; qu’ils renoncent au monde et à ses plaisirs, et fuient toutes les occasions qui portent au mal : si cela leur déplaît, ce n’est que ce qui nous a été promis par ces paroles de la première épître de saint Pierre (c. 4, v. 4.) Ils trouvent maintenant étrange que vous ne couriez {p. 128}plus avec eux, comme vous faisiez autrefois, à ces assemblées de débauche et d’intempérance, et ils prennent de là sujet de vous charger d’exécrations. Mais il est à espérer aussi que notre constance en touchera plusieurs qui, si nous participions à de telles actions, suivroient notre exemple. »

N’étant permis à personne d’aimer à regarder les danses, que doit-on donc penser des ecclésiastiques, et surtout des curés qui, lorsqu’il se fait des danses dans leurs paroisses, en sont tranquilles spectateurs dans le lieu même de l’assemblée ? Quel doute qu’ils ne se rendent d’autant plus criminels devant Dieu, que leur exemple est plus capable de faire impression, et qu’on est plus porté à s’en prévaloir pour regarder comme permis un divertissement qu’on n’est déjà que trop porté à justifier, quelque mauvais qu’il soit ? Un curé qui se rendra spectateur des danses qui se font dans sa paroisse, aura-t-il bien du zèle et de la force pour les condamner dans la chaire et au confessional ? et auroit-il bonne grâce à le faire s’il l’entreprenoit ? Cependant n’est-ce pas pour lui un devoir indispensable de s’élever souvent contre la source de tant de maux ? C’est ce que saint Charles recommandoit aux curés de son diocèse : et tout curé qui néglige de le faire, ne doit-il pas prendre pour lui ces paroles de Dieu dans la prophétie d’Ezéchiel ? (c. 33, v. 6.) Que si la sentinelle voyant venir l’épée ne sonne pas de la trompette, et que le {p. 129}peuple ne se tenant point sur ses gardes, l’épée vienne et leur ôte la vie, ils seront surpris dans leur iniquité ; mais néanmoins je redemanderai son sang à la sentinelle. C’est là un langage figuré dont Dieu donne lui-même l’explication sur-le-champ, en ajoutant : (v. 7) Fils de l’homme, vous êtes donc celui que j’ai établi pour servir de sentinelle à la maison d’Israël : vous écouterez les paroles de ma bouche, et vous leur annoncerez ce que je vous aurai dit. Ce qui est dit ici au prophète Ezéchiel, ne regarde-t-il pas aussi tous ceux qui ont la charge des ames ? Ils sont établis comme des sentinelles sur le troupeau qui leur est confié, pour examiner et considérer tout ce qui peut nuire aux ames dont ils sont chargés, pour les en avertir, et pour employer tous leurs soins à les en garantir. Est-ce là ce que font, par rapport aux danses, les curés qui y assistent ? Leur présence dit-elle à ceux et à celles qu’ils voient danser : Vous vous livrez à un divertissement très-dangereux et très-mauvais ? ne semble-t-elle pas au contraire leur dire : Je trouve bon et j’approuve que vous vous réjouissiez comme vous faites ? Il est vrai que les curés qui ne se font point de scrupule d’être présens aux danses de leurs paroissiens, prétendent excuser une conduite si peu pastorale et si opposée à toutes les règles, en disant que leur présence peut servir à arrêter des libertés criminelles qui s’y prendroient, et bien des péchés qui pourroient s’y commettre si leur présence ne retenoit pas ceux qui dansent. {p. 130}Mais en s’appuyant d’une si mauvaise raison, ces curés ne doivent-ils pas craindre que Jésus-Christ en les jugeant ne leur dise : (Luc. c. 19, v. 22.) Méchant serviteur, je vous condamne par votre propre bouche ! En effet, s’ils croient leur présence aux danses nécessaire, ou du moins utile pour empêcher des désordres qu’ils croient avoir lieu de craindre, ils conviennent donc que les danses peuvent facilement donner lieu à ces désordres ; et dès-lors, bien loin de paroître approuver les danses par leur présence, ne doivent-ils pas au contraire employer tout ce qu’ils ont de zèle et d’autorité à les empêcher, s’il est possible, dans leurs paroisses ? Qui voudroit excuser un officier de guerre, qui verroit tranquillement et sans rien dire, les soldats qu’il commande, piller les lieux par lesquels il les conduiroit, sous prétexte qu’il seroit là présent pour les empêcher d’attenter à la vie de ceux dont ils prendroient le bien ? Quand on est chargé de la conduite des autres, on ne doit pas se borner à n’empêcher que les plus grands maux ; on doit encore s’opposer, autant qu’on le peut, à tous. Je veux même que la présence des curés qui assistent aux danses, arrête certaines libertés plus grandes ; (ce qui est fort douteux, parce que de tels curés ne se font guère respecter ni craindre.) En arrêtant ainsi la main, c’est-à-dire les actions extérieures, arrêteront-ils le cœur, c’est-à-dire les mauvais désirs et les autres mauvais effets cachés, que les danses des {p. 131}personnes de différent sexe produisent naturellement ? Si donc un curé, qui a des lumières et du zèle, désire bien sincèrement de s’opposer aux maux sans nombre et très-grands qui naissent des danses, quel parti prendra-t-il ? Ce ne sera pas d’être présent à ces danses ; mais de parler souvent en chaire contre elles ; d’exhorter avec charité et avec douceur les personnes de la paroisse qui les aiment, à y renoncer ; d’être ferme et de ne point admettre aux sacremens ceux et celles qui refuseront de se rendre à ses avis ; de faire à Dieu de fréquentes et de ferventes prières pour obtenir de sa miséricorde qu’il ouvre le cœur de ses paroissiens à ses exhortations ; et, s’il ne peut, par tous les efforts et toute l’industrie de son zèle, arrêter un mal dont il sent toutes les funestes suites, il ne doit pas se décourager pour cela ; mais redoubler dans le secret ses gémissemens, espérant qu’ils ne seront pas entièrement sans fruit pour quelques-uns de ceux qui en auront été l’objet ; ou que s’ils ne leur servent pas, ils lui serviront à lui-même, en attirant sur lui, pour sa propre sanctification, les grâces qu’il n’aura pas obtenues pour la sanctification des autres.

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Chapitre XII.

Ceux qui ont quelque autorité doivent, autant qu’ils le peuvent, s’opposer aux Danses, et empêcher d’y aller ceux et celles qui dépendent d’eux. §

Les premiers qui doivent s’opposer aux danses, et en détourner, le plus qu’il leur est possible, ceux sur qui ils ont quelque autorité, ce sont les ministres de Jésus-Christ, et particulièrement les pasteurs et les confesseurs. Une de leurs plus essentielles vertus, c’est le zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut du prochain, en sorte qu’on puisse leur appliquer cette parole de l’Ecriture, que les apôtres reconnurent (Jean, 2, v. 17.) avoir été écrite de Jésus-Christ le souverain pasteur des ames, lorsqu’il chassa les vendeurs du temple : (Ps. 68, v. 10.) Le zèle de votre maison me dévore. On est chrétien pour soi ; on est pasteur et ecclésiastique pour le prochain ; mais sans zèle on lui est inutile. Et quel doit être ce zèle ? Il doit ressembler à celui de Jésus-Christ, étant, comme le sien, non un zèle commun, languissant et sans action, mais un zèle ardent, un zèle dévorant ; cependant toujours réglé par la sagesse de Dieu et conduit par son esprit, qu’il faut, pour l’obtenir, lui demander avec {p. 133}instance. Que produit ce zèle quand on en est animé ? Il fait qu’on ne peut voir, sans en être ému et sans la plus vive douleur, ce qui offense Dieu et ce qui perd les ames. Or, nous avons vu de combien de péchés les danses sont la source, et par conséquent de combien d’ames elles causent la perte. C’est ainsi qu’il est dit dans les actes des apôtres : (c. 17, v. 16.) Saint Paul étant à Athènes, son esprit se sentit ému dans lui-même, en voyant que cette ville étoit si attachée à l’idolâtrie. Ce saint apôtre dit lui-même, en écrivant aux Corinthiens : (2. Cor. c. 11, v. 29.) Qui est scandalisé, (c’est-à-dire tenté et porté au péché)sans que je brûle ? C’est comme si le saint apôtre disoit : Je ne puis voir Dieu offensé, et quelqu’un de mes frères se perdre en marchant dans la voie du péché, sans que mon zèle s’enflamme, et sans que je ressente dans mon ame une douleur aussi cuisante que celle que ressent dans son corps un homme qu’on brûle à petit feu.

Combien sont éloignés d’avoir ce zèle tant d’ecclésiastiques, de pasteurs et de confesseurs, qui n’osent élever leur voix contre les danses, ou qui l’élèvent trop foiblement, se contentant de dire qu’on feroit bien mieux de n’y pas aller, (comme s’il ne s’agissoit ici que de tendre à une plus haute perfection) sans condamner ouvertement et fortement les personnes qui y vont, et sans employer l’autorité que leur donnent leur caractère et leur ministère pour en détourner absolument, comme d’un grand mal, surtout les {p. 134}personnes dont ils sont chargés ! Est-ce ainsi qu’ont parlé des danses les saints qui nous ont précédés ? et n’ai-je pas fait voir avec quelle force ils se sont élevés contre elles ? Ils ne se sont pas contentés de parler, mais ils ont agi, et ils n’ont pas craint, pour les abolir dans les lieux où elles étoient en usage, de s’exposer à la censure, aux contradictions, et même à la persécution du monde. La vie de saint Eloy, évêque de Noyon et de Tournay, nous fournit en sa personne un exemple bien touchant de ce zèle plein de courage et de force pour déraciner les abus, et particulièrement les danses. Voici ce que rapporte à ce sujet un des historiens des plus dignes de foi, par la critique aussi exacte que judicieuse dont il a fait usage en écrivant les vies des saints. (M. Baillet, vie de saint Eloy, au premier décembre.) « Saint Eloy, dit ce célèbre auteur, n’avoit de rigueur que pour lui-même, il étoit plein de tendresse pour les autres ; mais sa douceur étoit toujours accompagnée de beaucoup de fermeté ; et souvent lorsqu’il paroissoit le plus indulgent, c’étoit alors qu’il faisoit paroître sa rigueur épiscopale… Un jour de saint Pierre, prêchant dans une paroisse proche de Noyon, il parla fortement contre les danses et les autres jeux qui tenoient encore du paganisme, où les bonnes mœurs étoient fort en danger. Les habitans du lieu se revoltèrent, et ne purent souffrir qu’on leur ôtât des divertissemens qu’ils avoient vu pratiquer à leurs pères, {p. 135}et qu’ils tenoient d’une coutume immémoriale : ils conspirèrent ensemble la perte de leur pasteur, s’il ne cessoit ses invectives contre les danses, et ne les laissoit dans leurs anciens usages. Saint Eloy en eut avis, mais le danger ne l’empêcha pas d’y retourner à la première fête, doutant si Dieu ne lui avoit pas réservé cette occasion pour répandre son sang pour la justice, afin de ne le point frustrer de la gloire du martyre, à laquelle il osoit aspirer. Il prêcha donc en ce lieu avec encore plus de véhémence qu’auparavant contre ces désordres. On ne répondit à son zèle que par des injures et des outrages, et l’on ne parloit que de le massacrer, quoiqu’il ne se trouvât personne qui voulût mettre la main sur l’oint du Seigneur, à cause de la vénération générale qu’on avoit pour lui. Saint Eloy voyant qu’il n’avançoit point, poussé d’ailleurs par l’esprit de saint Paul, et armé du même pouvoir, il livra, par l’excommunication, les plus mutins et les plus endurcis au démon pour mortifier leur chair, et faire en sorte que leur ame fût sauvée au jour du Seigneur. Ce sont les paroles même de saint Paul, au sujet de l’excommunication qu’il lança contre l’incestueux de Corinthe. Il y en eut près de cinquante, surtout des domestiques d’Erchinoald ou Archambaud, maire du palais, qui se trouvèrent ainsi à la discrétion du démon, et apprirent aux autres à craindre les jugemens de Dieu {p. 136}dans ceux de son Eglise. Leurs peines et leurs humiliations durèrent un an entier, et ce ne fut qu’à la fête suivante, que le saint évêque, ayant reçu leurs soumissions et celle de tous les habitans, leur accorda la grâce de leur délivrance. »

Il faut que saint Eloy ait jugé les danses bien pernicieuses aux ames, pour avoir été disposé à souffrir la mort plutôt que de ne pas faire tous ses efforts pour les abolir dans les lieux où il avoit autorité, et pour employer à cet effet la peine de l’excommunication, qui est la plus grande dont l’Eglise puisse faire usage contre ceux qui s’obstinent dans l’erreur ou dans de grands déréglemens. Dieu a visiblement autorisé ce jugement que saint Eloy portoit des danses, et ce que son zèle lui fit faire pour les abolir, en punissant d’une manière visible ceux qui, ne pouvant souffrir ses réprimandes, se révoltèrent contre lui, et en n’accordant la cessation des maux qu’ils souffroient, qu’aux prières du saint évêque. L’exemple de ces malheureux frappés de Dieu, d’une manière éclatante, pour avoir résisté à leur évêque dans ce qu’il fit pour abolir les danses, ne fera-t-il aucune impression sur tant de gens qui osent en prendre la défense, et qui, en conséquence, murmurent contre les pasteurs et les confesseurs qui, animés du même zèle que saint Eloy, s’élèvent comme lui contre un désordre qui, pour être répandu partout et autorisé par une infinité de gens n’en est pas moins dangereux, ni moins {p. 137}condamnable ? Que tous ces àpologistes des danses, qui ne peuvent opposer au zèle de ceux qui les défendent que des murmures et non de bonnes raisons, ne se rassurent pas sur ce que Dieu ne se déclare pas par des punitions sensibles, contre ceux qui leur résistent, comme il en exerça autrefois contre ceux qui résistèrent à saint Eloy. Dieu est patient parce qu’il est éternel, et souvent il n’épargne en ce monde, que pour punir plus rigoureusement en l’autre. Ce fut par miséricorde qu’il affligea autrefois, par ces châtimens extérieurs, ceux que saint Eloy excommunia, puisque ces peines servirent à les faire rentrer en eux-mêmes ; au lieu que le silence que Dieu garde maintenant, pour l’ordinaire, à l’égard de ceux qui résistent à ses ministres, parce qu’ils ne peuvent souffrir qu’ils s’opposent à leurs passions, est un silence de justice, qui, ne servant qu’à les endurcir dans le mal, les rend plus dignes des supplices éternels, réservés aux pécheurs impénitens.

Après les ministres de J. C., ceux qui ont une obligation plus particulière de s’opposer aux danses, ce sont les pères et mères à l’égard de leurs enfans, et les maîtres et maîtresses à l’égard de leurs domestiques ; ils doivent mettre en usage tous les moyens qu’ils peuvent prendre pour les en détourner.

D’abord, c’est une obligation indispensable pour les pères et mères d’empêcher, autant qu’ils le peuvent, leurs enfans d’aller aux danses. Si, par une négligence notable d’un père et d’une mère, un seul de leurs {p. 138}enfans tomboit dans le feu ou dans l’eau, et s’il y périssoit, tout le monde ne se réuniroit-il pas pour les blâmer hautement de cette négligence ? Combien sont plus blâmables les pères et les mères qui, par une semblable négligence à préserver leurs enfans, lorsqu’ils le peuvent, de tomber dans le péché mortel, les laissent aller où ils sont en grand danger d’en commettre ! On est indigne du nom de père et de mère, lorsqu’après avoir enfanté des fils et des filles pour le siècle présent, on les laisse, par une molle et excessive indulgence, périr pour le siècle futur.

C’est ce qui a fait prononcer à saint Paul cette terrible sentence : (1. Tim. c. 5, v. 8.) Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, il est pire qu’un infidèle. Si le bruit de ce tonnerre ne réveille point de leur négligence tant de pères et de mères qui ne se mettent point en peine de l’ame et du salut de leurs enfans, ils ne sont pas seulement plongés dans un profond sommeil, mais ils sont encore enfoncés dans une profonde mort.

Les saints pères ont fortement parlé contre les mères qui, pouvant nourrir leurs enfans, les donnent à nourrir à d’autres femmes ; et la principale raison de ces plaintes, c’est qu’en donnant leurs enfans à des nourrices étrangères, elles les exposent au danger de leur faire sucer les vices de ces nourrices avec leur lait, si elles étoient de mauvaises mœurs. A combien de plus grands dangers {p. 139}les pères et mères exposent-ils la pureté de leurs enfans, en les laissant aller aux danses, où tout ce qu’on voit et ce qu’on entend n’est propre qu’à corrompre ?

Cependant, combien y a-t-il aujourd’hui de mères qui non-seulement laissent tranquillement leurs filles aller aux bale et aux danses, mais trouvent même un sujet de gloire lorsqu’elles les voient danser avec un art, une adresse et une grâce qui leur attirent des louanges ; et lorsque ne l’ayant pas vu, elles entendent dire que leurs filles se sont distinguées, par ce dangereux talent, dans cet art si funeste !

L’obligation qu’ont les pères et mères d’empêcher, autant qu’ils peuvent, leurs enfans d’aller aux danses, est à peu près la même des maîtres et maîtresses, par rapport à leurs domestiques, puisqu’on peut également appliquer à ces derniers la sentence de saint Paul qui vient d’être rapportée : Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il est pire qu’un infidèle, il a renoncé à la foi.

Aussi, saint Augustin a-t-il réuni les devoirs des maîtres et maîtresses envers leurs domestiques, avec ceux des pères et mères envers leurs enfans, dans une exhortation qu’il fait aux uns et aux autres à se bien acquitter de ce qu’ils doivent à ceux dont ils sont chargés.

Ce que le saint docteur dit sur cela est si beau et si touchant, que j’ai cru devoir le rapporter tout entier. Il est tiré d’un sermon {p. 140}de ce père sur l’endroit de saint Mathieu, c. 25, où il est parlé du serviteur paresseux, qui fut condamné pour n’avoir pas mis à profit le talent qui lui avoit été confié. (ser. 94.) « Vous venez, dit ce père, de voir dans ce qu’on nous a lu de l’Evangile, quelle est la récompense des bons serviteurs, et la punition des mauvais. Vous venez de voir que tout le crime de ce serviteur réprouvé, et si sévèrement puni, est de n’avoir pas voulu mettre à profit le talent qui lui avoit été confié. Il l’a gardé, et il l’a représenté en son entier : mais le Seigneur vouloit du profit ; car Dieu est, pour ainsi dire, avare par rapport à notre salut. Or, si celui qui n’a péché qu’en ne rendant pas le profit de ce qu’il avoit reçu, est puni si sévèrement, à quoi doivent s’attendre ceux qui le perdent et le dissipent ? »

Après cette observation générale, saint Augustin commence par s’appliquer à lui-même la parabole dont il s’agit : « Nous sommes, continue-t-il, les dispensateurs des trésors du Seigneur : nous les distribuons, vous les recevez ; mais nous voulons qu’ils profitent entre vos mains. Vivez donc saintement ; car c’est le profit que nous cherchons. »

De cette application de la parabole que saint Augustin se fait à lui-même, il passe à une autre application à tous ceux et à toutes celles qui, en quelque état qu’ils soient, en ont d’autres sous leur charge, comme les pères et mères, les maîtres et maîtresses. {p. 141}« Ne croyez pas, dit-il, que la sage administration de ce qui vous a été confié ne vous regarde pas. Vous ne pouvez le faire du lieu élevé d’où je vous parle, mais vous le pouvez quelque part que vous soyez. Lorsqu’on ne parle pas de Jésus-Christ avec le respect qui lui est dû, prenez sa défense, répondez à ceux qui murmurent contre lui, reprenez les blasphémateurs, séparez-vous de leur compagnie. Vous serez un dispensateur digne de récompense, si vous gagnez à Jésus-Christ quelqu’un de vos frères. Tenez notre place dans vos maisons. Le nom d’évêque que nous portons, vient de l’inspection et de l’intendance que nous avons sur le peuple dont nous sommes évêques, et du soin que nous devons prendre de son salut en veillant sur lui. Que chacun de vous dans sa propre maison, s’il en est le chef, croie donc que l’office de l’évêque le regarde, et qu’il doit se mettre en peine d’examiner quelle est la foi de ceux qu’il a sous lui, de peur que quelques-uns d’eux ne tombent dans l’hérésie ; de peur que sa femme, son fils, sa fille, son serviteur ou son esclave, qui a été acheté comme lui d’un grand prix, ne périsse. L’apôtre saint Paul met le maître au-dessus du serviteur, et soumet le serviteur au maître ; mais Jésus-Christ a payé pour tous les deux un même prix. Ne méprisez donc pas le moindre de vos frères, et employez tous vos soins et toute la vigilance dont vous êtes capables, à {p. 142}procurer le salut de tous. Si vous le faites, vous serez des dispensateurs fidèles de ce que vous avez reçu ; vous ne serez point de ces serviteurs paresseux que l’Evangile condamne, et vous vous mettrez à couvert du châtiment si terrible dont vous venez de voir qu’ils sont punis. »

De ce que les pères et mères doivent, autant qu’il est possible, inspirer à leurs enfans de l’éloignement pour la danse, s’en suit-il qu’il ne leur est pas permis de leur donner pendant un temps un maître à danser ? Je vais vous faire répondre pour moi un auteur très-connu par l’estime que lui ont acquise ses ouvrages qui ont été si bien reçus du public : je veux parler de M. Rollin, ancien recteur de l’université de Paris, dans un petit supplément qu’il a fait au traité de la manière d’enseigner et d’étudier les belles-lettres. Parlant en particulier, dans le second article, des études qui peuvent convenir aux jeunes filles, il traite, dans la section troisième, de la lecture des poètes, de la musique et de la danse. Je laisse ce qu’il dit de la lecture des poètes et de la musique, parce que cela est étranger à mon sujet, et je m’arrête seulement à ce qu’on lit dans cet article sur la danse. « La danse, y est-il dit, (page 56 et 67.) fait ordinairement une des parties les plus essentielles de l’éducation des filles, et l’on y consacre sans peine beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Je me borne à examiner simplement et sans prévention quel est, sur cet article, le devoir d’une mère {p. 143}chrétienne et raisonnable. Comme il y a des études destinées à cultiver et à orner l’esprit, il y a aussi des exercices propres à former le corps, et l’on ne doit pas les négliger. Ils contribuent à régler la démarche, à donner un air aisé et naturel, à inspirer une sorte d’honnêteté et de politesse extérieure, qui n’est pas indifférente dans le commerce de la vie, et à faire éviter les défauts de grossièreté et de rusticité qui sont choquans, et qui marquent peu d’éducation. Mais il suffit pour cela d’apprendre à de jeunes personnes à ne point s’abandonner à une molle nonchalance qui gâte et corrompt toute l’attitude du corps, à se tenir droites, à marcher d’un pas uni et ferme, à entrer décemment dans une chambre ou dans une compagnie, à se présenter de bonne grâce, à faire une révérence à propos ; en un mot, à garder toutes les bienséances qui font partie de la science du monde, et auxquelles on ne peut pas manquer sans se rendre méprisable. Voilà, ce me semble, à quoi doit tendre l’exercice dont je parle ; et j’ai vu avec joie des maîtres à danser de la première réputation, se renfermer dans ces bornes pour satisfaire aux désirs des mères chrétiennes, qui joignent à une grande naissance une piété encore plus grande. Il n’est pas nécessaire que je m’arrête ici à montrer combien tout ce qui est au-delà de ce que je viens de dire, peut devenir dangereux pour de jeunes {p. 144}demoiselles, et combien les suites en peuvent être funestes. Une dame un peu jalouse de sa réputation, ne seroit pas contente qu’on lui fît un mérite d’exceller dans le chant et dans la danse. » Sur quoi M. Rollin cite l’exemple de Sempronia, que j’ai rapporté plus haut : « C’est, dit-il, la remarque que fait Salluste en disant de Sempronia, dame de naissance, mais absolument décriée pour les mœurs, qu’elle chantoit et dansoit avec plus d’art et de grâce qu’il ne convenoit à une honnête femme. »

Enfin, tous ceux qui ont quelque autorité temporelle, comme les magistrats, les Seigneurs de paroisse et leurs officiers de justice, sont obligés de s’opposer, autant qu’ils peuvent, aux danses, et d’employer, pour les déraciner des lieux où elles sont établies, tous les moyens d’autorité qu’ils ont en main, en réglant néanmoins l’usage de ces moyens par la prudence, qui doit avoir égard aux circonstances des temps, des lieux et des personnes, en imitant la conduite de Dieu dont il est dit (Sagesse, c. 8, v. 1.) Qu’il atteint avec force depuis une extrémité jusqu’à l’autre, et qu’il dispose tout avec douceur. J’ai rapporté plus haut les canons des conciles et les ordonnances de nos rois sur ce que ceux qui sont revêtus de l’autorité temporelle doivent faire à l’égard des danses publiques, des travaux et des œuvres serviles qui sont une profanation des jours de dimanches et de fêtes. Si ceux qui sont revêtus d’une autorité {p. 145}temporelle croient que, pour se bien acquitter de leur charge, il leur suffit de pourvoir de leur mieux au bien temporel de ceux qui leur sont soumis, sans se mettre, en aucune façon, en peine de ce qui regarde leur bien spirituel, qu’ils lisent ou qu’ils écoutent ce que saint Augustin écrivoit à ce sujet à Macédonius qui occupoit alors une grande place dans l’état. Voici ce que ce célèbre évêque lui disoit (lettre 155, n.os 10 et 11.) pour l’engager à ne pas borner l’usage de son autorité au bien temporel des peuples, mais à l’étendre encore à leur bien spirituel : « Si toute la prudence par laquelle vous tâchez de maintenir les choses dans l’ordre, et de faire du bien aux hommes, si toute la force qui vous fait soutenir, sans vous étonner, tout ce que la malice des hommes peut entreprendre contre vous ; si toute la tempérance qui vous fait résister au torrent de la corruption, si toute la justice qui reluit dans l’intégrité de vos jugemens, qui vous fait rendre à chacun ce qui lui appartient ; si tout cela, dis-je, ne tend qu’à garantir ceux à qui vous prétendez faire du bien, de ce qui pourroit menacer leurs corps et leur vie, à assurer leur repos contre les entreprises des méchans, à faire que leurs enfans croissent comme de jeunes plantes, que leurs filles soient parées comme un temple magnifique, que leurs celliers regorgent l’un dans l’autre, que leurs brebis soient fécondes, que leurs bœufs soient gras, que nulle ruine ne {p. 146}défigure leurs héritages, qu’on n’entende point de clameurs publiques, qu’il n’y ait parmi eux ni querelle ni procès ; vos vertus ne sont pas plus de véritables vertus, que le bonheur de ceux pour qui vous travaillerez ne sera un véritable bonheur. Je ne crains point de vous le dire (et cette modeste retenue que vous louez en moi dans votre lettre, avec des termes si pleins de bonté, ne m’en doit point empêcher) ; je vous dis donc encore une fois, que si, dans les fonctions de votre charge où vous paroissez orné de ces vertus, vous n’avez pour but que de garantir les hommes de tout ce qui pourroit les faire souffrir selon la chair, sans vous mettre en peine à quoi ils rapportent ce repos que vous tâchez de leur procurer, c’est-à-dire, pour m’expliquer plus clairement, comment ils rendent au vrai Dieu le culte qui lui est dû, (car ce n’est que pour avoir plus de moyens de le lui rendre, qu’une vie tranquille est désirable, et c’est tout le fruit qu’on en peut tirer ; toutes vos peines ne serviront de rien pour la vie où se trouve la véritable félicité. Vous trouverez peut-être que je parle trop hardiment, et que j’oublie cette retenue et cette modestie que j’ai coutume de garder dans les lettres où il s’agit d’intercéder pour les criminels ; mais cette modestie même, qui n’est autre chose qu’une certaine crainte de blesser et de déplaire, doit céder ici à une crainte bien plus forte ; car je {p. 147}craindrois et de déplaire à Dieu, et de manquer à l’amitié que vous avez voulu qui fût entre vous et moi, si j’étois plus réservé à vous donner de sa vis salutaires. »

Qu’il seroit à souhaiter que toutes les personnes en places et en autorité donnassent, comme Macédonius, leur estime et leur confiance à des hommes capables de leur donner les avis dont ils ont besoin, pour se bien acquitter des emplois difficiles et périlleux attachés aux grandes places, et assez dépouillés de tout intérêt propre et de toute considération humaine, pour dire à ceux qui les honorent de leur confiance, toutes les vérités qui peuvent leur être utiles ! Qu’il seroit aussi à désirer que ceux qui sont revêtus du ministère ecclésiastique, ne cherchassent, comme saint Augustin, que le bien des ames, plutôt que leurs propres intérêts, et à plaire aux hommes ; et que, sans avoir égard à la condition des personnes, ils enseignassent toujours, à l’exemple de leur divin Maître, la voie de Dieu dans la vérité ! Ayons soin de demander à Dieu des ministres ainsi remplis de la lumière et de la force de son Esprit.

Fin de la première Partie.

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Traité contre les danses. [Seconde partie.] §

Chapitre premier.

Réponses aux objections qu’on fait pour affoiblir, et détruire même, s’il étoit possible, ce qui a été dit contre les Danses. §

Tertullien commence son bel ouvrage de la défense de la religion chrétienne contre les païens, appelé pour cela’ apologétique, par cette judicieuse remarque : (apol. c. 7.) « Que la vérité n’est point étonnée de sa situation en ce monde, où elle éprouve de continuelles contradictions, parce qu’elle sait qu’elle y est étrangère, et qu’il est facile de trouver des ennemis parmi des étrangers. » Ne soyons donc pas surpris de voir les païens contre dire la vérité de notre sainte religion, et les hérétiques la vérité de nos dogmes. Mais ce qu’il y a de plus affligeant, s’il n’est pas surprenant, c’est de voir des chrétiens même contre dire la vérité des règles de morale les plus incontestables, et s’efforcer de les affoiblir, en leur substituant leurs propres idées, {p. 149}les maximes, les préjugés et les coutumes du monde. Quoi de plus déplorable que de voir les disciples même de Jésus-Christ convertis, par les pernicieuses maximes qu’ils établissent, en prédicateurs du diable ! il en a en effet, comme Jésus-Christ a les siens ; mais avec cette grande et fâcheuse différence, que les prédicateurs du diable sont en bien plus grand nombre que ceux de Jésus-Christ, et qu’ils sont ordinairement bien mieux écoutés et plus suivis, parce qu’ils parlent conformément aux désirs déréglés et aux passions, que ne le font les prédicateurs de Jésus-Christ, dont le ministère est d’annoncer les vérités contraires aux sentimens et aux inclinations de la nature corrompue, et qui les combattent. En effet, s’agit-il de parler en faveur des passions ? La plupart croient en savoir assez pour s’ériger en docteurs, pour décider en maître, et comme des gens consommés dans la science de la religion, que ce qu’il y a de plus criminel ou de plus dangereux est permis. De là en particulier toutes ces objections qu’on oppose à ce qui a été dit contre les danses, et auxquelles on revient sans cesse, comme si on ne pouvoit y répondre, ou comme si on n’y avoit jamais rien répondu de raisonnable.

Le désir d’inculquer davantage les vérités qui ont déjà été établies, d’ôter tout prétexte à ceux qui s’obstinent à les rejeter, et de dissiper, s’il est possible, les ténèbres dans lesquelles ils aiment à s’envelopper, nous portera à les suivre dans toutes les objections {p. 150}qu’ils font. La plupart de ces objections ne seroient dignes que de mépris, s’il étoit permis de mépriser le péril des ames infirmes ; mais comme ils éblouissent la plupart des gens du monde, toujours aisés à se tromper sur ce qui les flatte, il est à propos de les suivre dans tous leurs écarts, pour tâcher de les ramener. J’espère, avec le secours de Dieu, que les réponses que je donnerai à chacune de ces objections, seront aussi solides que les objections sont frivoles.

Chapitre II.

Objections tirées de l’Ecriture sainte. §

Comme nous avons pris dans les saintes Ecritures les premières preuves que nous avons alléguées pour montrer le mal ou le danger inséparable des danses ; c’est aussi dans les saintes Ecritures que plusieurs vont d’abord chercher de quoi affoiblir ce que nous avons dit à ce sujet. Ils se prévalent de cet endroit du livre de l’ecclésiaste : (c. 3. v. 4.) Il y a un temps de s’affliger, et un temps de sauter de joie. Ensuite ils croient trouver de quoi autoriser les danses dans ce qui est dit dans le livre de l’Exode (c. 15, v. 20.) de Marie prophétesse, sœur d’Aaron : que célébrant, avec Moïse et les enfans d’Israël, le passage miraculeux de la mer rouge, elle prit un tambour à la main, et que toutes les {p. 151}femmes marchèrent après elle avec des tambours, formant des chœurs de musique.

On comprend bien que ceux qui cherchent et saisissent avec ardeur ce qui a la plus foible apparence de favoriser les danses, n’ont garde de manquer de citer ce qui est rapporté dans le second livre des rois : (c. 6, v. 14.) David, revêtu d’un éphod de lin, dansoit devant l’arche de toute sa force. L’éphod étoit un vêtement court, et différent par là des vêtemens ordinaires des orientaux, lesquels tomboient jusque sur les talons.

Enfin, quelques-uns prétendent trouver de quoi autoriser les danses dans ces paroles de Jésus-Christ : (Matth. c. 11, v. 16 et 17.) A qui comparerai-je ce peuple ? (Le peuple Juif.)Ils ressemblent à ces enfans assis dans la place, qui crient à leurs compagnons : Nous avons chanté des airs gais, et vous n’avez pas dansé, nous avons chanté des airs tristes, et vous n’avez pas pleuré.

Je pense que les personnes tant soit peu éclairées et de bonne foi sentent déjà par elles-mêmes combien ces endroits de l’Ecriture sont peu favorables aux danses ; et que prétendre s’en servir pour les justifier, c’est faire de la parole de Dieu un abus manifeste et intolérable. Cependant, pour ne pas laisser le plus petit retranchement aux apologistes des danses, je répondrai à chacun de ces passages en particulier. Au temps de l’ancien auteur du traité sur les spectacles, dont j’ai déjà parlé, plusieurs cherchoient dans les saintes Ecritures de quoi justifier les {p. 152}spectacles, comme on y cherche maintenant de quoi justifier les danses. Avant que de répondre aux passages dont on abusoit, cet ancien auteur fait cette observation, que nous avons la même raison de faire que lui : « Je dirai, qu’il vaudroit mieux ne rien savoir des saintes Ecritures, que de les lire pour en abuser ainsi. » Est-il en effet un abus plus criminel que de se servir pour autoriser les vices, des livres saints qui n’ont été écrits que pour nous enseigner et nous porter à la vertu et à la pratique de l’Evangile, selon cette parole de saint Paul : (Tim. c. 3, vv. 16 et 17.) Toute écriture inspirée de Dieu, est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger et conduire à la piété et à la justice, afin que l’homme de Dieu soit parfait et disposé à toutes sortes de bonnes œuvres ? Combien s’éloigne-t-on de cette intention du saint, quand on va chercher dans les livres saints, et qu’on fait d’inutiles efforts pour y trouver de quoi justifier les danses !

Le premier passage qu’on allégue en faveur des danses, est celui de l’Ecclésiaste, où l’on lit : Il y a un temps de s’affliger, et un temps de sauter de joie. Mais je demande si, sauter de joie est la même chose que danser ? Il peut arriver quelquefois que dans les sauts que la joie fait faire, il y ait quelque chose qui ne soit pas assez grave, relativement aux personnes et aux circonstances ; mais, dans les simples sauts, il n’y a rien de dangereux pour les mœurs ; et nous avons évidemment montré les dangers qui se {p. 153}trouvent dans les danses que nous condamnons, parce qu’elles se font avec des personnes de différent sexe, et avec des gestes et des attitudes peu modestes.

Salomon, dans le passage de l’Ecclésiaste ; n’a nullement pensé aux danses ; mais il a seulement parlé d’une manière historique de ce qui se passe continuellement dans le monde, où quelquefois on est affligé et on pleure, et d’autres fois on saute de joie : c’est pourquoi il commence le chapitre d’où sont tirées les paroles qu’on objecte, par cette sentence : Toutes choses ont leur temps. Mais dans cette remarque du Saint-Esprit, qu’il y a un temps de s’affliger et un temps de sauter de joie, son intention principale a été de nous avertir de prendre garde à bien distinguer le temps destiné aux larmes, et celui qui est destiné à la joie ; et que c’est dans cette vie qu’il faut gémir et pleurer, en attendant dans l’autre vie la consolation et la joie. Jésus-Christ lui-même nous a appris à prendre cette vie pour le temps de deuil et de pleurs, et celui de l’autre vie pour le temps de la joie, lorsqu’il a dit : (Matth. c. 5. v. 5.) Heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ! Marquant à ses disciples ce à quoi ils étoient destinés pour ce monde et ce qui leur étoit réservé en l’autre, il leur adresse ces paroles : (Jean, c. 16, vv. 20 et 22.) En vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous gémirez, vous autres, et le monde sera dans la joie ; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie… et personne ne {p. 154}vous ravira cette joie ; au contraire, le démon, tout opposé à Jésus-Christ, porte présentement les hommes à rire et à se divertir, en se réservant, par une cruelle usure, de leur faire acheter des plaisirs si courts par une éternité de supplices.

Au lieu donc de se servir de la parole du Saint-Esprit, qu’il y a un temps de pleurer, et un temps de sauter de joie, pour autoriser les danses, servons-nous-en plutôt pour nous convaincre que notre partage en ce monde doit être les gémissemens et les larmes, à la vue de tant de péchés que nous avons commis, de tant de dangers dont nous sommes environnés, et de notre éloignement du ciel, dans lequel seul le vrai bonheur nous est promis. Mais, hélas ! presque personne ne veut pleurer saintement et utilement en ce monde, sur l’autorité de Jésus-Christ ; et lorsqu’on entend cet oracle de sa bouche : Heureux ceux qui pleurent ! presque tout le monde dit dans son cœur : Heureux ceux qui rient et qui se divertissent !

Si on ne peut trouver, dans le passage de l’Ecclésiaste, rien qui autorise les danses, telles que sont celles que nous condamnons, trouve-t-on plus facilement rien qui y ressemble dans l’exemple de Marie, sœur de Moïse et d’Aaron, laquelle tenant un tambour à la main, étoit suivie d’un grand nombre de femmes, qui ayant aussi des tambours, formoient des chœurs de musique ? Ecoutons sur cela le récit de l’Ecriture : (v. 20.) Marie, conduisant le chœur des femmes, {p. 155}répétoit après celui des hommes : Chantons une hymne à la gloire du Seigneur, parce qu’il a révélé sa grandeur, et qu’il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier. Combien, dans les danses contre lesquelles nous nous élevons, est-on éloigné de penser à chanter ainsi des hymnes à la gloire de Dieu ! Et ce qu’on y entend chanter, peut-il servir à autre chose qu’à le faire offenser ? Quel rapport entre ce mélange indécent et sans pudeur, de personnes de différent sexe, pour se livrer à la licence d’une joie folle et criminelle, et ces chœurs de femmes qui répétoient avec une harmonie majestueuse les hymnes sacrées, après que les chœurs d’hommes les avoient entonnées ? Et combien, par conséquent, doit-on rougir d’oser comparer ces danses avec la marche si pleine de religion de Marie, que tant de femmes ne suivirent alors que pour glorifier Dieu à son exemple, à l’envi les unes des autres !

Est-il plus raisonnable d’alléguer en faveur des danses, que l’amour du plaisir sensuel a introduites parmi nous, l’exemple de David qui a dansé de toutes ses forces devant l’arche ? Avant que de répondre aux amateurs et aux défenseurs des danses, qui veulent se prévaloir de cet exemple, je leur demanderai s’ils ont autant remarqué tout ce qui est dit dans l’histoire de ce saint roi pénitent, des différens caractères si admirables de sa pénitence, qu’ils ont remarqué sa danse ; et s’ils sont autant touchés des gémissemens qu’il poussoit sans cesse, et des {p. 156}larmes qu’à la vue de ses péchés il répandoit toutes les nuits si abondamment, que son lit en étoit tout trempé, qu’ils sont touchés de le voir danser devant l’arche du Seigneur ? Pourquoi, étant si empressés à se prévaloir de la danse de David, le sont-ils si peu à imiter sa pénitence ? Mais, sans nous arrêter à observer que cette danse de David, se livrant seul à ces mouvemens devant l’arche, ne ressembloit en rien aux danses que nous réprouvons, dont le mélange de personnes de différent sexe fait le fonds et le danger, est-il pardonnable de ne considérer cette danse du Prophète-Roi, qu’avec des yeux tout charnels, comme s’il n’y avoit cherché que le plaisir sensuel que recherchent uniquement ceux qui vont aujourd’hui aux danses ? « David, dit saint Ambroise, (l. 5, in Lucam, n. 5) a dansé devant l’arche du Seigneur, non par l’amour de la volupté, mais par un esprit de religion : David antè arcam Domini non pro lascivio, sed pro religione saltavit. Et tout ce qui est rapporté à la Religion est bienséant ; en sorte que nous ne rougissons de rien de ce qui peut servir à honorer Jésus-Christ. (idem 2, de pœnit. n. 41.) Totum decet quidquid defertur religioni, ut nullum obsequium quod proficiat ad cultum et observantiam Christi erubescamus. »

Plus les sentimens de Religion sont vifs au-dedans de l’ame, plus il est difficile qu’elle les contienne, et qu’elle les empêche de se répandre au-dehors. « Un homme touché de {p. 157}Dieu jusqu’au fond du cœur, dit un célèbre interprète sur la danse de David, (M. d’Asfeld, concordance et explication des rois et des paralipomènes, tom. 4. p. 100 et suiv.), ne peut se défendre de laisser échapper des étincelles du feu qui le brûle au-dedans. Quand il se voit libre et sans témoins, il lève tantôt les yeux au ciel pour marquer son admiration et sa confiance, et tantôt il les baisse vers la terre pour confesser son indignité. Il étend ses mains pour implorer la miséricorde divine, et il se frappe la poitrine pour punir lui-même le coupable. En se prosternant en terre, il commence à exécuter l’arrêt qui le condamne à retourner en poudre. Ses gémissemens sont les interprètes de son repentir, et il verse une abondance de larmes pour effacer ses crimes par ce nouveau baptême. Si on étoit de loin spectateur de toutes ces actions et de ces gestes, on en seroit d’abord étonné ; mais si, en approchant de plus près, on entendoit ses paroles, et si on pouvoit lire dans le cœur qui les dicte, on seroit attendri par le spectacle d’une religion si vive, si enflammée et si pure. Il faut porter le même jugement de la danse de David. Qui s’arrêteroit à la première apparence que présente cette action, pourroit être tenté, comme Michol, de la condamner comme peu séante à la majesté d’un roi et à la gravité d’un prophète. Mais si, en pénétrant jusque dans la cause, on unit ces {p. 158}mouvemens extérieurs de l’ardente piété d’où ils partent, on ne trouvera dans toute sa conduite rien que de respectable et que de grand. Ce prince religieux, emporté par les saillies de son amour pour Dieu, et devenu distrait pour tout ce qui l’environne, par une sainte ivresse, ne voit plus que son bienfaiteur qui le met en ce moment au comble de ses vœux ; et afin de donner à sa reconnoissance et à sa joie tout l’essor, et d’en suivre les transports, il prend une tunique, comme le vêtement le plus propre à en seconder l’activité ; et il quitte les marques de la majesté royale en la présence de Dieu, devant qui tout doit s’anéantir et disparoître. »

Peut-on raisonnablement douter que ces grands sentimens de religion n’aient été le principe de la danse de David devant l’arche, lorsqu’on fait quelque attention à la réponse qu’il fit à Michol qui, le voyant danser et sauter devant le Seigneur, s’en étoit moquée en elle-même, et qui ensuite lui dit en raillant : Que le Roi d’Israël a eu de gloire aujourd’hui en paroissant devant les servantes de ses sujets comme un bouffon ! Quelle fut la réponse de David à ce reproche et à cette raillerie de Michol ? Apprenons-le de l’histoire sacrée. (2 Rois, c. 6, vv. 21 et 22.) Oui, dit-il, devant le Seigneur qui m’a choisi plutôt que votre père et que toute sa maison, et qui m’a commandé d’être le chef de son peuple d’Israël, je danserai et je paroîtrai vil encore plus que je n’ai paru ; je serai {p. 159}méprisable à mes propres yeux et devant les servantes dont vous parlez, et même j’en ferai gloire. Une danse où l’on est rempli de sentimens d’humilité si sincères et si profonds, peut-elle, sans un prodigieux aveuglement, être mise en parallèle avec les danses profanes contre lesquelles nous écrivons ? Va-t-on à ces danses pour s’abaisser et s’anéantir devant le Seigneur, à l’exemple de David ? Y est-on occupé, comme lui, de l’infinie grandeur de Dieu et de l’extrême bassesse de l’homme ? Quoi, au contraire, de plus capable de faire perdre Dieu de vue, que les danses dont le moindre mal est une très-grande dissipation d’esprit et de cœur, où elles jettent ? Si, pendant qu’on danse, il venoit à l’esprit qu’on est en la présence de Dieu, et si le sentiment de cette divine présence commençoit à pénétrer l’ame, pourroit-on continuer à se tenir sous ses yeux dans une situation qu’on ne pourroit alors douter lui être très-désagréable ? C’est donc se faire à soi-même la plus grossière illusion que de prétendre autoriser des danses où l’on ne pense nullement à Dieu, par l’exemple de David, dont la danse n’exprimoit que les sentimens de la plus vive religion.

Il ne reste plus qu’à répondre à l’endroit de l’Evangile, où Jésus-Christ parle à des enfans qui disent à leurs compagnons : Nous vous avons chanté des airs gais, et vous n’avez point dansé. Qu’y a-t-il là qui paroisse justifier les danses ? C’est, dira-t-on, que ceux qui n’ont point dansé, en entendant des {p. 160}airs gais, en sont repris : mais est-ce Jésus-Christ qui les en reprend ? Fait-il autre chose qu’employer une comparaison ; et cette comparaison autorise-t-elle plus les danses, que la parabole de l’économe infidèle autorise son infidélité ? Cet économe, en agissant en homme très-infidèle à son maître, a agi en même temps en homme très-prudent pour les affaires temporelles ; et c’est uniquement à nous inspirer la même prudence dans l’affaire du salut, que cette parabole est destinée.

Les saints Pères sachant combien les mauvais chrétiens sont disposés à se prévaloir de tout ce qui paroît dans les saintes Ecritures tant soit peu favorable à leurs passions, et prévoyant qu’il s’en pourroit trouver quelques-uns qui abuseroient de ce texte de l’Evangile pour justifier les danses, ont eu soin d’avertir les Fidèles de n’en pas tirer une conséquence si contraire aux vues de Jésus-Christ. Saint Ambroise, (l. 2, de pœnit. c. 6, n. 42.) après les avoir citées, dit expressément : « Il faut bien prendre garde que quelqu’un, trompé par une interprétation grossière et trop humaine de ces paroles, ne croie pouvoir s’en servir pour autoriser ces mouvemens lubriques qui se font dans les danses, et qui ne conviennent qu’à des baladins et à des bouffons. Ces mouvemens sont vicieux et répréhensibles, même dans la jeunesse. (n. 43.) Il ne s’agit donc point ici de cette espèce de danse, qui a pour compagne inséparable l’impudicité ; mais {p. 161}Jésus-Christ a seulement voulu nous élever à quelque chose de spirituel, par ce qui se passe de corporel et de sensible dans les danses ordinaires. » « Voici donc, conclut S. Ambroise, (n. 44.) le sens mystérieux : Hoc est mysterium, des paroles du Sauveur, nous avons chanté, et ce que nous avons chanté, c’est le cantique du nouveau testament, dont le sujet est la réconciliation des hommes avec Dieu par Jésus-Christ ; et vous n’avez point dansé, c’est-à-dire vous n’avez point élevé votre ame à cette grâce spirituelle, parce qu’elle n’en a point été touchée. Nous avons chanté des airs lugubres, et vous n’avez point fait pénitence. Les airs gais qui n’ont point touché les Juifs, c’est la vie commune de Jésus-Christ, qui sembloit plus capable de les attirer ; et ces airs lugubres, c’est la vie la plus austère de saint Jean-Baptiste qui ne les a point amenés à la pénitence. Jésus-Christ explique ainsi lui-même ce qu’il a voulu faire entendre par l’exemple de ce que les enfans se disent les uns aux autres ; car Jean-Baptiste, dit-il, est venu ne mangeant point et ne buvant point du vin ; et vous dites : Il est possédé du démon. Le fils de l’homme est venu buvant et mangeant, et vous dites : C’est un homme de bonne chère et qui aime à boire. C’est avec raison, conclut saint Ambroise, que Dieu a rejeté le peuple juif, parce qu’il n’a point fait pénitence à la prédication de Saint Jean-Baptiste, et qu’il a {p. 162}rejeté la grâce qui lui a été offerte par Jésus-Christ. »

Une remarque importante qu’il me paroît utile de faire sur l’explication toute spirituelle que saint Ambroise a faite de cet endroit de l’Evangile, c’est qu’on y voit combien l’esprit qui animoit les saints est différent de celui dont les personnes mondaines sont animées. Celles-ci n’ont que des idées toutes charnelles, et saisissent avec empressement tout ce qu’elles peuvent trouver dans les Ecritures, qui paroît favorable au goût et aux maximes du monde pour s’en autoriser ; et les saints, au contraire, se servent, pour s’élever jusqu’à Dieu et aux choses spirituelles, de ce qui paroît dans certains endroits des Ecritures donner des idées charnelles ! Jugeons par là de l’esprit qui nous anime. Et comme, selon le grand principe de saint Augustin (l. 3. de la doctrine chrétienne, n. 15.) « l’Ecriture ne commande que la charité et ne défend que la cupidité », comprenons que nous n’entendons et ne lisons l’Ecriture avec fruit, qu’autant que cette lecture sert à enflammer en nous la charité, et affoiblir notre cupidité. Est-ce là le fruit que retirent de la lecture des saintes Ecritures ceux et celles qui voudroient y trouver quelque chose qui autorise les danses, lesquelles ne peuvent qu’enflammer la cupidité, et par conséquent éteindre ou du moins affoiblir la charité ?

Les ministres protestans que nous avons déjà cités plusieurs fois, ont répondu avant {p. 163}nous aux exemples qu’on voudroit tirer des livres saints en faveur de la danse : ce qu’ils ont dit à ce sujet nous a paru assez lumineux et assez solide pour mériter de trouver encore ici sa place.

La première réponse qu’ils font est, que si les danses dont parle l’Ecriture étoient telles que celles d’aujourd’hui, elles ne pourroient servir à les justifier ; mais à cette réponse ils en ajoutent une seconde, en faisant voir les différences entre les danses qu’ils combattent, et celles des femmes israélites et de David. Le but de ces danses dont parle l’Ecriture étoit « de se réjouir en Dieu en lui rendant grâces ; ce que ne pouvoient faire des personnes si saintes, jouissant si saintement en la présence de Dieu, avec une sainte modestie et une gravité convenable. Ainsi s’en allèrent les femmes d’Israël après Marie avec des tambours et autres instrumens, mais en donnant gloire à Dieu de la délivrance de son peuple ; car cela est exprimé. Quant aux sauts de David devant l’arche, ils ne pouvoient être autres qu’accompagnés de psaumes et de cantiques : car il est dit que c’étoit devant le Seigneur qu’ils jouoient des instrumens, et que David sautoit de toutes ses forces. Cependant, lorsque ces choses se faisoient, les hommes n’étoient point avec les femmes… Or, maintenant faisons comparaison de ces danses-là à celles d’aujourd’hui, pour voir si elles se ressemblent. Celles-là donc avoient pour unique fin une affection véhémente de {p. 164}donner louange à Dieu avec le témoignage d’une joie sainte ; et celles-ci ne tendent au contraire qu’à prendre et à donner du plaisir. C’étoient là des mouvemens de personnes touchées et émues d’une douce jouissance des bienfaits de Dieu ; et ce sont ici des danses, après des banquets, de personnes pleines de vin et de viande, ou de cœurs vains et folâtres. Là, les sons étoient des sujets sacrés, des cantiques et des actions de grâces, pour conduire les pas de manière qu’il n’y eût rien de profane : ici, les chansons les plus folles et les plus indécentes sont les mieux reçues. Là, les hommes n’étoient point avec les femmes, il n’y avoit point d’embrassemens, de baisers, d’entretiens : ici, tout sont pêle-mêle avec toute privauté, avec licence et abandon. Voilà la différence comme du jour à la nuit ».

Cette différence étant si sensible, falloit-il beaucoup de pénétration pour l’apercevoir ; et, si l’on ne s’aveugloit pas volontairement, ne l’auroit-on pas tout d’un coup aperçue ?

Mais au moins, puisque par les réflexions qui viennent d’être faites, le jour de la vérité luit d’une manière si frappante, qu’on cesse d’y fermer les yeux, et que désormais on raisonne et qu’on agisse toujours en enfans de lumière.

Mais, dit-on, en accordant qu’il n’y a dans les saintes Ecritures rien qui autorise absolument les danses, ne peut-on pas raisonnablement demander à ceux qui {p. 165}défendent avec tant de sévérité de chercher ce dangereux divertissement, pourquoi, si elles sont si dangereuses, Jésus-Christ et les Apôtres n’ont rien dit positivement d’un si grand péril et d’un si grand mal ? Je réponds avec M. Bossuet (dans ses réflexions sur la comédie, tom. 7. de la collection de ses ouvrages, p. 630 à la fin, et 631.) « que ceux qui voudroient tirer avantage de ce silence, n’auroient qu’à autoriser les gladiateurs et toutes les horreurs des anciens spectacles, dont l’Ecriture ne parle pas. Les saints Pères qui ont essuyé de pareilles difficultés, nous ont ouvert le chemin pour y répondre qu’en général tout ce qui intéresse les hommes dans des inclinations vicieuses, est proscrit avec elles dans l’Ecriture. Les immodesties des tableaux dont l’Ecriture ne dit rien expressément, sont condamnées par tous les passages où sont rejetées en général les choses déshonnêtes ». Il en est de même des danses. S. Jean n’a rien oublié, lorsqu’il a dit : (épit. 1, c. 2, vv. 15 et 16.) N’aimez point le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du père n’est point en lui ; car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ; ce qui ne vient point du père, mais du monde. Si la concupiscence n’est pas de Dieu, tout ce qui la favorise, et plus encore tout ce qui l’excite, n’est point de lui, mais du monde ; et les Chrétiens n’y doivent prendre aucune part, puisque Jésus-Christ {p. 166}dit d’eux : (Jean, c. 17. v. 14.) Mes disciples ne sont pas du monde, comme je ne suis pas moi-même du monde. Saint Paul a aussi tout compris dans ces paroles de son épître aux Philippiens. (c. 4, v. 8.) Tout ce qui est vrai, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui est aimable, tout ce qui est d’édification et de bonne odeur, tout ce qui est vertueux, ce qui est louable dans les mœurs ; que ce soit là ce qui occupe vos pensées. Tout ce qui empêche donc d’avoir ces saintes pensées, et qui en inspire de contraires, ne doit point plaire à des chrétiens, et doit au contraire leur être suspect.

Chapitre III.

Objections tirées des Docteurs de l’Eglise. §

Après avoir pris dans les saintes Ecritures des autorités pour la condamnation des danses, j’en ai pris ensuite dans les ouvrages et les sermons des saints docteurs de l’Eglise. Mais que ne font pas encore les personnes qui, remplies de l’esprit du monde, prennent la défense des danses, pour affoiblir l’impression de ce qu’ont dit contre elles ces saints docteurs ? Ce qui a, disent-ils, animé leur zèle à ce sujet, c’est que de leur temps les danses étoient jointes à l’idolâtrie, et qu’elles se faisoient en l’honneur des fausses divinités ; au lieu que les danses qui se font parmi nous, sont de simples divertissemens, où il {p. 167}n’entre rien, comme autrefois, d’un culte faux et superstitieux.

Je conviens que l’idolâtrie n’ayant plus lieu parmi nous, les danses d’aujourd’hui n’en sont pas une suite ; mais outre que l’origine qu’elles ont eue, puisqu’on reconnoît qu’elles ont été établies d’abord pour honorer les fausses divinités, devoit seule suffire pour en inspirer de l’éloignement à des chrétiens, ces danses n’étoient infectées d’idolâtrie, que parce qu’elles venoient après les sacrifices offerts aux idoles, et non pas qu’elles fussent elles-mêmes mêlées à un culte idolâtre : aussi, cette raison n’entroit pour rien dans les motifs par lesquels les saints Pères de l’Eglise attaquoient la danse. Quoiqu’il n’y eût point d’idolâtrie extérieure et sensible, comme dans celle que saint Augustin condamnoit de son temps, il ne laissoit pas de les appeler les jeux du démon, (Jer. 311, n.° 6.) ludos dæmoniorum ; parce que, soit parmi les païens, soit parmi les chrétiens, elles font plaisir aux démons qui mettent leur joie dans la perte des ames, dont les danses sont une occasion très-ordinaire. Qu’on fasse attention aux raisons pour lesquelles les saints pères les ont si fortement condamnées, on verra que la principale qu’ils ont alléguée est, qu’elles sont une école d’impureté, à cause du mélange de jeunes personnes de différent sexe, et à cause de tout ce qui s’y dit, qui s’y fait, et qui s’y voit d’immodeste. Or, cette raison ne regarde-t-elle pas les danses qui se font maintenant, {p. 168}comme celles qui se faisoient autrefois et du temps des saints docteurs ? Les chrétiens d’aujourd’hui ont-ils plus d’éloignement du vice, et sont-ils plus affermis dans la vertu, que ne l’étoient ceux à qui les anciens Pères de l’Eglise parloient ? Au contraire, nos mœurs ne sont-elles pas plus corrompues, et ne se corrompent-elles pas chaque jour de plus en plus ? Que reste-t-il parmi nous de l’ancien esprit de piété ? La plupart des chrétiens ne savent ce que c’est que la vigilance chrétienne, et l’esprit de prière et de mortification nécessaire pour se garantir de la corruption qui se répand comme un torrent, et gagne comme une gangrène ; à peine avons-nous conservé quelque extérieur de religion. Après que l’esprit intérieur nous a presque entièrement abandonnés dans un siècle marqué à tant de traits qui le déshonorent, et qui nous rapprochent si fort du paganisme, les danses seroient-elles moins dangereuses qu’elles ne l’étoient du temps des saints Pères, où un grand nombre de chrétiens vivoient encore dans la ferveur du christianisme ; au lieu qu’il n’y en a presque plus aujourd’hui qui en connoissent et en sentent la sainteté et les devoirs ? Ce que les saints Pères de l’Eglise ont dit autrefois contre les danses, a donc encore plus de force par rapport à nous, que par rapport aux Fidèles de leur temps ; par conséquent, les danses doivent être plus sévèrement défendues aujourd’hui qu’autrefois. L’auteur que M. Bossuet réfute dans ses réflexions sur la {p. 169}comédie, n’avoit pas eu honte, quoique prêtre et religieux, d’écrire en faveur des spectacles ; et pour éluder l’autorité des anciens docteurs, il prétendoit pareillement que les saints pères ne blâmoient dans les spectacles de leur temps, que l’idolâtrie et les scandaleuses et manifestes impudicités. Voici la réponse du savant et illustre évêque de Meaux, qui vient merveilleusement à mon sujet : (collection des ouvrages de M. Bossuet, tom. 7, p. 623 et 624.)

« C’est lire trop négligemment les ouvrages des saints pères, que d’assurer, comme fait l’auteur, qu’ils ne blâment, dans les spectacles de leur temps, que l’idolâtrie et les scandaleuses et manifestes impudicités. C’est être trop sourd à la vérité, de ne pas sentir que leur raison porte plus loin. Ils blâment, dans les jeux et les théâtres, l’inutilité, la prodigieuse dissipation, le trouble, la commotion de l’esprit, peu convenables aux chrétiens, dont le cœur doit être le sanctuaire de la paix. Ils y blâment les passions excitées, la vanité, la parure, les grands ornemens qu’ils mettent au rang des pompes que nous avons abjurées par le baptême ; le désir de voir et d’être vu ; la malheureuse rencontre des yeux qui se cherchent les uns les autres ; la trop grande occupation à des choses vaines ; les éclats de rire qui font oublier la présence de Dieu, et le compte qu’il faut rendre de ses moindres actions et de ses moindres paroles ; et enfin {p. 170}tout le sérieux de la vie chrétienne. Dites que les saints pères ne blâment pas toutes ces choses et tous ces amas de périls que les théâtres réunissent : dites qu’ils n’y blâment pas les choses honnêtes qui enveloppent le mal, et lui servent d’introducteur… Parmi ces commotions dont je parle, qui peut élever son cœur à Dieu ? Qui ose lui dire qu’il est là pour l’amour de lui et pour lui plaire ? Qui ne craint pas dans ces folles joies d’étouffer en soi l’esprit de prière, et d’interrompre cet exercice, qui, selon la parole de Jésus-Christ, (Luc. 18, 1.) doit être perpétuel dans un chrétien, du moins en désir et dans la préparation du cœur ? On trouvera dans les saints pères toutes ces raisons et beaucoup d’autres. Que si on veut pénétrer les principes de leur morale, quelle sévère condamnation n’y trouvera-t-on pas de l’esprit qui mène aux spectacles, où, pour ne pas reconnoître tous les autres maux qui les accompagnent, on ne cherche qu’à s’étourdir soi-même, pour calmer la persécution de cet inexorable ennui qui fait le fonds de la vie humaine, depuis que l’homme a perdu le goût de Dieu ?

« Quelle que soit la sévérité qu’on verra dans les saints docteurs, dit encore (ibid. p. 745.) cet illustre évêque, elle sera toujours au-dessous de celle de Jésus-Christ, qui soumet à un jugement si rigoureux, non pas les paroles mauvaises, mais les paroles inutiles, lorsqu’il dit : (Marc. c. 12, {p. 171}v. 36.) Je vous déclare qu’au jour du jugement, les hommes rendront compte de toutes les paroles inutiles qu’ils auront dites. »

J’ai démontré que les dangers et les maux que M. Bossuet fait remarquer ici dans les spectacles, se trouvent également dans les danses. Sa réponse frappe donc autant les danses que les spectacles ; et elle trouve par conséquent très-bien sa place dans ce petit traité.

En vain s’efforceroit-on de mettre ici les saints en contradiction avec les saints, en opposant à ce qu’ont dit contre elles les saints pères, ce qu’on lit dans l’introduction à la vie dévote de saint François de Sales : (c. 23 et 24.) « Que les danses et les bals sont des choses indifférentes de leur nature ; et qu’ainsi on peut y aller, pourvu que ce soit rarement, avec beaucoup de circonspection, et par une sorte de nécessité. » Mais qu’on lise attentivement les ouvrages ; de S. François de Sales, et l’on verra que cet aimable saint envisageoit la danse comme un simple mouvement du corps, abstraction faite de toutes les circonstances qui les accompagnent, comme la réunion des deux sexes. Car aussitôt, considérant les danses de la manière dont elles se font aujourd’hui, il ajoute « que ces divertissemens penchent fort du côté du mal, et sont très-dangereux ». (Ce sont ses termes.) Et un des grands dangers qu’il y trouve, « c’est que l’amour profane et impur s’y engendre fort aisément » : c’est pourquoi {p. 172}il croit pouvoir dire des danses ce que tous les médecins disent des champignons. « Ils assurent, dit-il, que les meilleurs ne valent rien. Je vous en dis autant des bals et des danses. Ces sortes de divertissemens ridicules sont ordinairement dangereux ; ils dissipent l’esprit de dévotion, diminuent les forces de l’ame, refroidissent la charité, réveillent dans l’ame mille sortes d’affections. » N’est-ce pas là en dire assez pour en éloigner ? Si après cela saint François de Sales donne les danses comme une chose indifférente de leur nature, ce ne peut être qu’en les considérant en général comme un simple exercice corporel, et séparément de tout ce qui les rend si dangereuses, eu égard à la manière dont elles se font.

Aussi, ce saint a-t-il cru devoir prescrire différentes considérations bonnes et fort saintes, auxquelles il dit « qu’il faut avoir recours après les danses, pour empêcher les impressions dangereuses que le vain plaisir qu’on a reçu seroit capable de faire. » Et quelles sont ces considérations ? C’est, par exemple, dit-il, de penser, lorsqu’on étoit à prendre ce plaisir de la danse, que plusieurs réprouvés brûloient dans l’enfer pour les péchés commis à la danse et à cause des danses ; que plusieurs religieux et personnes de piété étoient à la même heure devant Dieu, chantant ses louanges, et contemplant ses divines perfections ; et que leur temps a été par là {p. 173}bien mieux employé que celui qu’on a mis à danser ; qu’on a fait pitié à la sainte Vierge, aux anges et aux saints, lorsqu’ils ont vu que le cœur s’arrêtoit à ce plaisir si ridicule ; qu’enfin à mesure qu’on y a donné plus de temps, on s’est aussi plus approché de la mort qui mettra fin à tous ces plaisirs. »

Je demande maintenant s’il est bien facile et bien ordinaire de s’appliquer, au retour de la danse, à toutes ces considérations, que saint François de Sales croit néanmoins nécessaires pour empêcher les funestes impressions du plaisir qu’on y a cherché et goûté ? Et si l’on convient que le conseil de ce saint n’est ni pratiqué, ni même praticable, ce qu’il paroît dire de favorable aux danses ne tombe-t-il pas de lui-même ? Et n’est-il pas évident que c’est bien réellement défendre les danses, que de ne les permettre qu’à des conditions qu’on sent bien ne pouvoir guère être remplies ? Voilà pourtant tout ce qu’on peut alléguer d’un saint en faveur de la danse : n’en doit-on pas conclure qu’il faut que ce divertissement soit bien dangereux, pour qu’en semblant le permettre, on se croie obligé de prendre tant de précautions pour empêcher les suites funestes qui en peuvent naître ?

Vossius, théologien protestant, que j’ai déjà cité, établit à ce sujet un principe fondé sur le bon sens, comme sur la bonne morale. (Voss. suprà, p. 338.) Il dit « qu’il faut juger des choses moins par ce qu’elles {p. 174}sont selon quelques idées spéculatives, que parce qu’elles sont dans l’usage ordinaire ». Quand donc, en considérant les danses spéculativement et dans une généralité métaphysique, on trouveroit par le raisonnement, qu’il peut y avoir quelques danses innocentes, il n’en est pas moins vrai que par une suite de la corruption naturelle à tous les hommes, elles sont presque toujours une occasion de tentation et de chute pour plusieurs, et surtout pour les jeunes personnes de l’un et de l’autre sexe qui s’y trouvent. Cette raison n’est-elle pas suffisante pour engager à retrancher absolument une source si abondante de péchés ? Qu’importe qu’on puisse absolument danser sans péché, si presque toujours on y pèche pendant la danse ou après, ou si, n’y péchant pas, on s’expose visiblement au danger de pécher ? Le péché est un si grand mal que nous ne saurions mettre une trop grande distance entre nous et le danger de le commettre. Vouloir aller précisément jusqu’à la dernière ligne, pour ainsi dire, et jusqu’au dernier point qui sépare le bien du mal, c’est risquer trop visiblement de tomber dans le mal qu’on semble vouloir éviter. Aussi, saint Paul écrit-il aux Thessaloniciens : (1. c. 5, v. 22.) Abstenez-vous de tout ce qui a l’apparence du mal. Et Tertullien nous avertit « qu’on ne sauroit trop prendre de sûretés lorsqu’il s’agit de l’éternité. » Nulla satis magna securitas, ubì periclitatur æternitas.

{p. 175}

Chapitre IV.

Objection : On danse en public. §

On objecte en troisième lieu contre ce qui a été dit pour condamner les danses, que se faisant en public, il ne peut rien s’y passer de bien criminel ; la convoitise, si elle s’élève, étant retenue par la présence des assistans devant qui on craindroit de faire quelque chose d’immodeste qui les choqueroit.

Je réponds à cette objection : 1.° que le monde est aujourd’hui si corrompu, que souvent on ne rougit pas de prendre ou de souffrir en public des libertés très criminelles, dont plusieurs de ceux qui en sont témoins ne font que rire et plaisanter, tandis qu’ils devroient en témoigner leur indignation et les condamner hautement. Je réponds en second lieu, que si la présence des hommes peut arrêter les actions extérieures dont on sent qu’ils seroient choqués, elle ne peut certainement arrêter les mauvaises pensées, les mauvais désirs, et le consentement intérieur qu’on leur donne, parce qu’on sait que les hommes ne voient pas ce qui se passe au-dedans. Et de quoi peut servir d’être pur aux yeux des hommes, si on ne l’est pas aux yeux de Dieu qui sonde les reins et les cœurs, (Ps. 7, v. 10.) et devant qui l’on n’est réellement que ce qu’on est dans le cœur ? {p. 176}Je réponds en troisième lieu, qu’on ne sera pas toujours en présence des hommes : et n’est-il pas à craindre que les passions ayant été excitées par la danse, ne portent, après qu’on en sera sorti, à faire dans le secret des actions propres à les satisfaire ? Et combien tout chrétien doit-il être touché de cette parole de Jésus-Christ : (Matth. 10, v. 26.) Il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni rien de secret qui ne doive être connu. C’est ce qui arrivera au jour du jugement dernier.

Chapitre V.

Objection : On n’a pas été tenté dans les Danses. §

On a, dit-on, assisté à des danses, sans avoir été attaqué des tentations auxquelles on dit qu’elles exposent, et sans rien éprouver des mauvais effets qu’on leur attribue. Mais je demande : veille-t-on assez sur son cœur pour s’apercevoir de tout le mal qui s’y passe ? Craint-on assez le péché pour être alarmé des funestes impressions que fait sur l’ame ce qui y porte ? Que de fautes, surtout intérieures, que bien des gens commettent sans presque y penser en les commettant ou après les avoir commises !

Cependant, je suppose pour un moment, ce que j’ai bien de la peine à croire, que jamais on n’ait souffert aucun préjudice ni {p. 177}aucun dommage spirituel de la fréquentation des danses. Dans cette supposition, je réponds avec saint Jean Chrysostôme : (hom. 37, in Matth. tom. 7, p. 424.) « N’est-ce pas certainement un grand dommage et un grand préjudice pour votre ame et pour votre salut, d’employer si mal un temps dont tous les momens doivent vous être infiniment précieux, et d’être pour les autres un sujet de scandale ? En effet, quand vous sortiriez de ces divertissemens sans qu’ils aient produit en vous aucun mauvais effet, pouvez-vous n’être pas coupable en inspirant aux autres, par votre exemple, une plus grande ardeur pour ces plaisirs si dangereux ? Par là, tous les désordres qui en naissent, à l’égard de tant de personnes, si vous voulez, plus foibles que vous, retombent sur votre tête : car comme il n’y auroit personne qui s’empressât de préparer les lieux et les assemblées destinés à ces divertissemens, si personne n’y étoit présent, il s’en suit qu’il est certain qu’il suffit d’en être spectateur et d’y prendre part, pour être condamné au feu de l’enfer aussi bien que ceux pour qui ils auront été une occasion de péché. Quand donc vous pourriez prendre part à ces divertissemens sans que votre chasteté en souffrît, ce que je ne crois pas possible, vous ne laisseriez pas d’être sévèrement puni pour avoir contribué par votre mauvais exemple à la perte des autres. Certainement, quelque chaste que vous {p. 178}puissiez être, vous le seriez encore davantage en fuyant ces plaisirs si dangereux. Ne contestons donc pas inutilement, et n’imaginons pas de vaines excuses ni des défenses qui ne peuvent nous servir devant Dieu. Notre grande défense consiste à nous éloigner de cette fournaise de Babylone, et à fuir, comme le chaste Joseph, cette Egyptienne séductrice, quand, pour nous sauver de ses piéges et de ses mains, il faudroit abandonner tout et nos habits même. Par là nous nous procurerons les vrais et solides plaisirs ; par la paix de la conscience qui ne sera point troublée par des remords, nous mènerons en ce monde une vie pure et chaste, et nous obtiendrons en l’autre la vie éternelle, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

Chapitre VI.

Objection : Il faut se récréer quelquefois. §

Une cinquième objection, c’est qu’on a quelquefois besoin de délassement après le travail, pour le reprendre ensuite avec une nouvelle ardeur, et en mieux soutenir les fatigues ; et la danse est un délassement : si on l’interdit aux gens de travail, et particulièrement aux gens de la campagne les jours de dimanches et de fêtes, où, interrompant leurs travaux ordinaires, ils n’ont rien à {p. 179}faire, l’oisiveté dans laquelle ils seront, pourra les porter à quelque mal plus grand que celui de danser qu’on veut empêcher.

Réponse. Je conviens qu’après le travail quelques délassemens permis et qui n’ont rien de dangereux pour la conscience, de ceux dont de pareils dangers ne peuvent guère être séparés. Or, par tout ce qui a été dit jusqu’à présent, n’avons-nous pas, pour ainsi dire, fait toucher au doigt les dangers auxquels la pureté est exposée dans les danses ? Saint Paul écrivant aux Philippiens, (c. 4, v. 4,) leur dit : Réjouissez-vous dans le Seigneur, c’est-à-dire sans qu’il y ait rien dans votre manière de vous réjouir qui puisse l’offenser. Et que demande saint Paul pour qu’on se réjouisse ainsi dans le Seigneur ? Suivons ce qu’il ajoute : (v. 5.) Que votre modestie soit connue de tout le monde. Et voit-on régner dans les danses cette modestie que demande le saint Apôtre ? Mais, dit-on, si on ne permet aux jeunes personnes de danser, elles pourront faire pire. Malheur à elles, si cela arrive ! Un grand mal en excuse-t-il un moindre ? On parle dans l’objection comme s’il y avoit à choisir entre deux maux, en laissant celui qui est plus grand, pour se porter à celui qui l’est moins ; mais n’est-ce pas un principe de conduite incontestable, qu’il faut éviter tout mal et n’en approuver aucun, quelque petit qu’il soit ?

{p. 180}On nous demande à quoi, en interdisant les danses, nous voulons que les gens de travail, et surtout ceux de la campagne, s’occupent les jours de dimanches et de fêtes ? On nous dit que le mal de l’oisiveté est en ces jours-là plus à craindre pour eux que celui des danses. Je réponds encore une fois, qu’il ne s’agit pas de choisir entre un mal et un autre mal ; c’est un principe dont il ne faut jamais se départir. J’ajoute que si l’oisiveté a ses dangers, les danses ont aussi les leurs ; et l’affaire du salut est une affaire si importante, qu’il n’est pas permis de l’exposer volontairement à aucun danger, de quelque nature qu’il soit.

Mais que feront donc ceux à qui l’on interdira, les dimanches et fêtes, les danses aussi bien que le travail ? D’abord, s’ils ont de la piété, (et tous en doivent avoir) ils seront ravis que l’interruption de leurs travaux ordinaires leur donne le loisir, non-seulement d’assister (non par routine, mais avec religion et recueillement) à la sainte messe et aux offices publics, mais encore de faire en particulier des prières et des lectures par lesquelles ils se dédommagent de celles qu’ils ne peuvent faire, comme ils le souhaiteroient, les jours de travail, et qui les rappellent de la dissipation où les affaires inévitables de leur état les ont jetés pendant la semaine, comme malgré eux. Après cela, s’il leur reste du temps, et s’ils ont besoin de délassement, ne peuvent-ils pas s’en procurer de permis, soit par des promenades {p. 181}et des conversations où la gaîté soit jointe à la modestie, soit par de petits jeux innocens ?

Qu’on nous donne des chrétiens vraiment dignes de ce nom, et l’on verra qu’ils sauront bien trouver le moyen de passer les dimanches et fêtes sans s’ennuyer, et cependant sans faire ni se permettre rien qui offense Dieu. M. Bossuet viendra encore ici à l’appui de cette réponse, par celle qu’il a faite au misérable auteur, apologiste des spectacles. (tom. 7., p. 626.) « On dit qu’il faut bien trouver un relâchement à l’esprit humain. Saint Jean Chrysostôme répond que, sans courir au théâtre, nous trouverons la nature si riche en spectacles divertissans ; et que d’ailleurs la Religion, et même nos affaires domestiques, sont capables de nous fournir tant d’occupations oû l’esprit se peut relâcher, qu’il ne faut pas se tourmenter pour en chercher davantage : enfin, que le chrétien n’a pas tant besoin de plaisir, qu’il lui en faille procurer de si fréquens et avec un si grand appareil. Mais si notre goût corrompu ne peut s’accommoder des choses si simples, et qu’il faille réveiller les hommes gâtés par quelques objets d’un mouvement plus extraordinaire, en laissant à d’autres la discussion du particulier qui n’est point de ce sujet, je ne craindrai point de prononcer, qu’en tous cas il faudroit trouver des relâchemens plus modestes et des divertissemens moins emportés. »

{p. 182}Le prélat rapporte à ce sujet l’exemple du peuple juif. (suprà, p. 161.) « Les Juifs, dit-il, n’avoient de spectacles pour se réjouir que leurs fêtes, leurs sacrifices, leurs saintes cérémonies. Gens simples et naturels par leur institution primitive, ils n’avoient jamais connu ces inventions de la Grèce… Le peuple innocent et simple trouvoit un assez agréable divertissement dans sa famille, parmi ses enfans : c’est où il venoit se délasser, à l’exemple de ses patriarches, après avoir cultivé ses terres ou ramené ses troupeaux, et après les autres soins domestiques qui ont succédé à ces travaux ; et il n’avoit pas besoin de tant de dépenses, ni de si grands efforts pour se relâcher. »

L’endroit de saint Jean Chrysostôme que M. Bossuet a eu en vue dans la réponse qu’on vient d’entendre, est de l’homélie 37 sur saint Matthieu. Le saint docteur y parle en ces termes contre les spectacles : (tom. 7, p. 424.) « Si vous voulez donner à votre esprit quelque relâche, et vous procurer quelque délassement permis, allez vous promener dans quelque campagne, sur les bords d’une rivière ou d’un étang ; considérez avec attention et admiration la beauté des fleurs et des fruits qui sont dans les jardins ; écoutez le chant et le ramage si varié des oiseaux ; allez visiter les tombeaux des martyrs, où non-seulement vous ne trouverez rien qui puisse vous nuire, mais où vous trouverez encore des avantages spirituels pour {p. 183}votre ame, et la santé de votre corps, que les malades ont souvent recouvrée par la vertu des reliques des martyrs et par l’efficacité de leurs prières. Après avoir cherché de pareils délassemens, vous n’aurez point sujet de vous repentir, comme quand vous allez chercher les divertissemens des spectacles. De plus, vous avez une femme et des enfans ; si vous les aimez comme vous le devez, pourrez-vous trouver de plus grand plaisir que d’être avec eux ? Vous avez une maison et des amis ; n’y a-t-il pas du plaisir et même du profit à se trouver avec eux ? Et lorsque ce sont des amis sages et fidèles, que le commerce que l’on a avec de tels amis est accompagné de tempérance et de retenue, qu’y a-t-il de plus agréable que des enfans pour un père qui les aime ? Et quoi de plus doux, pour un mari qui veut mener une vie honnête et chaste, que la compagnie de sa femme ? Quid enim, quæro, filiis jucundius ? Quid uxore dulcius iis qui continere volunt ? On rapporte, continue saint Chrysostôme, une parole des Barbares, qui est remplie de la plus grande sagesse. Voyant les Romains passionnés pour les spectacles, et entendant parler des plaisirs qu’ils y alloient chercher, les Barbares disoient : On croiroit que les Romains, qui ont inventé ces plaisirs, n’ont ni femmes, ni enfans ; faisant entendre par là que pour quiconque veut vivre honnêtement, il n’y a rien de {p. 184}plus doux que la compagnie de sa femme et de ses enfans, et qu’elle peut tenir lieu de beaucoup d’autres divertissemens. Imitons du moins, dit toujours le même père, (un peu auparavant) les Barbares chez qui il n’y a pas ces divertissemens si honteux du théâtre et des danses, dont nous imaginons ne pouvoir nous passer. Barbaros saltem imitamini, qui hujusmodi spectaculi turpitudine carent. Comment pouvons-nous être excusables, nous qui, comme chrétiens, sommes citoyens du ciel par notre vocation, qui sommes associés au chœur des chérubins, et qui entrons en société avec les saints, d’être néanmoins pires en ce point que les Barbares ? Quæ nobis igitur deinceps excusatio erit, cùm nos cælorum cives, cherubinorum choro adscripti, angelorum consortes, barbaris hâc in re pejores simus ? »

A la fin de ses réflexions sur la comédie, M. Bossuet propose un moyen qui seroit bien propre à dégoûter des dangereux ou criminels plaisirs de ce monde, quels qu’ils soient, des chrétiens sur qui les grands objets de la Religion feroient les impressions qu’ils doivent y faire. Ce moyen, si on en faisoit usage, auroit la même vertu pour éloigner des danses, que pour éloigner des spectacles. C’est pourquoi je les propose d’après cet illustre évêque, et en employant ses propres paroles. (tom. 7, p. 654 et 655.) « Pour déraciner, dit ce grand homme, tout à la fois le goût de la comédie, il faudroit {p. 185}inspirer celui du saint Evangile et celui de la prière. Attachons-nous donc, comme saint Paul, à considérer Jésus, l’auteur et le consommateur de notre foi ; (Hébr. c. 12, v. 2.) ce Jésus qui, ayant voulu prendre toutes nos foiblesses à cause de sa ressemblance, à la réserve du péché, a bien pris nos larmes, nos tristesses, nos douleurs, et jusqu’à nos frayeurs ; mais il n’a pas pris nos joies, ni nos ris, et n’a pas voulu que ses lèvres, où la grâce étoit répandue, (Ps. 44, v. 3.) fussent dilatées une seule fois par un mouvement qui lui paroissoit indigne d’un Dieu fait homme. Je ne m’en étonne pas ; car nos douleurs et nos tristesse sont très-véritables, puisqu’elles sont de justes peines de notre péché. Mais nous n’avons point sur la terre, depuis le péché, de vrai sujet de nous réjouir. Ce qui fait dire au sage : (Eccl. c. 2, v. 2.) J’ai estimé les ris une erreur ; et j’ai dit à la joie : Pourquoi me trompes-tu ? (Ou, comme porte l’original) : J’ai dit au ris : Tu es un fou ; et à la joie : Pourquoi fais-tu ainsi ? Pourquoi me transportes-tu comme un insensé, et pourquoi me viens-tu persuader que j’ai sujet de me réjouir, quand je suis accablé de maux de tous côtés ? Ainsi le Verbe fait chair, la vérité éternelle, manifestée dans notre nature, en a pu prendre les peines qui sont réelles, mais n’en a point voulu prendre les ris et les joies qui ont trop d’affinité avec la déception et l’erreur. »

{p. 186}Jésus-Christ n’est pas pour cela demeuré sans agrément : Tout le monde étoit en admiration des paroles de grâce qui sortoient de sa bouche. (Jean. c. 6, v. 6.) « Et non-seulement ses Apôtres lui disoient : Maître, à qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle ; mais encore ceux même qui étoient venus pour se saisir de sa personne, répondoient aux pharisiens qui leur en avoient donné l’ordre : Jamais homme n’a parlé comme cet homme. Il parle néanmoins avec une toute autre douceur, lorsqu’il se fait entendre dans le cœur, et qu’il y fait sentir ce feu céleste dont David étoit transporté en prononçant ces paroles : (Ps. 38, v. 4.) Le feu s’allumera dans ma méditation. C’est de là que naît dans les ames pieuses, par la consolation du Saint-Esprit, l’effusion d’une joie divine, un plaisir sublime, que le monde ne peut entendre, par le mépris de celui qui flatte les sens, un inaltérable repos dans la joie de la conscience, et dans la douce espérance de posséder Dieu. Nul récit, nulle musique, nul chant, (j’ajoute nulle danse) ne tient devant ce plaisir. S’il faut pour nous émouvoir, des spectacles, du sang répandu, de l’amour, que peut-on voir de plus beau ni de plus touchant que la mort sanglante de Jésus-Christ et de ses martyrs, que ses conquêtes par toute la terre, et le règne de la vérité dans les cœurs, que les flèches dont il les perce, et que les chastes soupirs de son Eglise, et {p. 187}des ames qu’il a gagnées et qui courent après ses parfums ? Il ne faudroit donc que goûter ces douceurs célestes et cette manne cachée, pour fermer à jamais le théâtre, (et toute maison de danse,) et faire dire à toute ame vraiment chrétienne : (Ps. 118, v. 85.) Les pécheurs (ceux qui aiment le monde)me racontent des fables, des mensonges et des inventions de leur esprit ; ou, comme disent les septante, ils me racontent, ils me proposent des plaisirs, mais il n’y a rien là qui ressemble à votre loi ; elle seule remplit les cœurs d’une joie qui, fondée sur la vérité, dure toujours. »

Je prie que l’on considère que ce n’est point ici une pure mysticité destituée de fondement, puisqu’elle est toute appuyée sur les saintes Ecritures. D’ailleurs, le grand Bossuet avoit l’esprit trop élevé et trop solide pour se repaître de vaines idées et en vouloir repaître les autres. Lui refuser cette louange, ce seroit se faire tort à soi-même ; parce que ce seroit ne pas connoître ce qui fait les sublimes génies, les rares talens et la solide science.

{p. 188}

Chapitre VII.

Objection : On a toujours dansé. §

On objecte en sixième lieu, en faveur des danses, que dans tous les temps et dans tous les lieux, elles ont été en usage, surtout dans les occasions de réjouissances publiques. Est-il croyable, dit-on, que s’il y avoit tant de mal ou tant de danger, l’usage en fût si ancien et si répandu ? Ne devroit-on pas être arrêté par la considération de cette multitude innombrable de personnes qui se permettent ce plaisir, ou qui l’approuvent dans les autres, et contre lesquelles il faut nécessairement prononcer un jugement de condamnation, si l’on condamne les danses ?

Réponse. Combien de péchés et même de désordres pourra-t-on excuser, si la coutume, qui les rend très-ordinaires et très-communs, est une excuse légitime ? « Comme les hommes, dit saint Augustin, (liv. 3 de la doctrine chrétienne, c. 10, n.° 15.) sont portés à juger de la nature du péché par leurs usages et par leurs coutumes, plutôt que par la malice de la convoitise, il arrive souvent qu’on croit ne devoir blâmer que ce que les gens de son pays et de son temps ont coutume de condamner ; et pareillement {p. 189}ne rien louer et approuver que ce qui est communément approuvé par ceux avec qui l’on est en commerce. »

Mais est-ce là une règle bien sûre pour juger sainement des choses et pour se bien conduire ? Et que deviendra en beaucoup d’occasions l’observation de la loi de Dieu, si la coutume (qui est très-souvent contraire) est une règle de conduite ? Qu’est-ce qui fait la coutume ? C’est la multitude qui se porte à des actions qui passent ainsi en coutume. Or, Dieu disoit à son ancien peuple dans le livre de l’Exode : (c. 23, v. 2.) Vous ne suivrez point la multitude pour faire le mal. C’est la multitude qui marche par le chemin large et spacieux, dont Jésus-Christ dit,qu’il mène à la perdition, comme il dit au contraire du chemin qui mène à la vie, qu’il est étroit, et qu’il y en a peu qui le trouvent. (Matth. c. 7, vv. 13 et 14.) Laisser donc le chemin étroit pour marcher par la voie large en suivant les mauvaises coutumes, et par elles la multitude, c’est renoncer à la vie éternelle, et courir à l’enfer où la multitude se précipite sans cesse. Lorsque saint Paul écrit aux Romains : (c. 12, v. 2.) Ne vous conformez pas au siècle présent, n’est-ce pas comme s’il disoit : Ne suivez pas les mauvaises coutumes du monde, non plus que ses mauvaises maximes et ses mauvais exemples ?

Tertullien, exhortant les chrétiens à ne pas suivre les coutumes contraires à la loi de Dieu, établit ce grand principe qu’il ne {p. 190}faudroit jamais perdre de vue : (traité du voile des vierges, c. 1.) « Que ni le temps, ni la dignité des personnes, ni les priviléges des pays ne peuvent prescrire contre la loi de Dieu ; car c’est quelqu’une de ces trois choses qui donne ordinairement lieu à la coutume qui, ne subsistant d’abord que par l’ignorance ou la simplicité des hommes, se fortifie ensuite par l’usage, et s’élève contre la vérité. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est appelé la vérité et non pas la coutume » ; par conséquent, en nous ordonnant de suivre la vérité, il nous défend de nous régler par la coutume.

Saint Cyprien dans sa lettre à Pompée, évêque de Sabra, (la 74.e de l’édition d’Oxford, p. 317.) établit le même principe. « La mauvaise coutume, dit-il, ne doit point prévaloir sur la vérité : car une coutume qui n’a point la vérité pour fondement, est une vieille erreur. Laissons donc l’erreur, et suivons la vérité qui est toujours victorieuse. C’est ce que Jésus-Christ nous présente dans l’Evangile, lorsqu’il dit : Je suis la vérité, (Jean. c. 14, v. 6.) C’est pourquoi, si nous sommes en Jésus-Christ, et si nous avons en nous J. C., si nous demeurons dans la vérité et si la vérité demeure en nous, tenons-nous attachés à ce qui est vrai, plutôt qu’à ce qui est selon la coutume. »

Saint Jean Chrysostôme expliquant à son peuple l’endroit de la Genèse, où il est parlé du mariage de Jacob avec Rachel, (c. 29.) en prend occasion de parler contre {p. 191}les danses et les autres désordres qui avoient lieu de son temps aux noces, et qui étoient autorisés par la coutume. (hom. 56, sur la Genès. tom. 4, p. 139.) « Vous voyez, dit-il, dans le mariage dont vous venez de lire l’histoire, avec quelle modestie les anciens patriarches célébroient leurs noces. Y entendoit-on le son des flûtes et des autres instrumens de musique ? Y voyoit-on ces danses diaboliques qu’on voit parmi nous ? Nùm tunc choreæ diabolicæ ? » Et comme on prétendoit justifier cet abus par la coutume, ce saint docteur détruit ainsi cette vaine excuse : « Je sais bien qu’il y en a plusieurs à qui la coutume sert de prétexte ; mais nous sommes obligés de dire ce qui doit servir à leur salut, et ce qui peut les délivrer des supplices de l’autre vie. Où il s’agit de la perte des ames, comment osez-vous m’alléguer la coutume ? J’en ai une bien meilleure à vous opposer : c’est celle des anciens patriarches, quoiqu’ils aient vécu dans un temps où la lumière de notre sainte religion ne brilloit pas avec l’éclat où elle a paru depuis la prédication de l’Evangile… Si ce que vous faites est honnête et utile, il faut toujours le faire, quand ce ne seroit pas la coutume : mais s’il est mauvais et pernicieux, il faut vous en abstenir, quand même la coutume en seroit établie. Si ce qui est passé en coutume est par là légitime, les voleurs, les adultères et toute autre espèce de méchans pourront, selon la coutume, être jugés {p. 192}innocens, puisque depuis long-temps il y a dans le monde des adultères et des voleurs. Mais bien loin qu’en faisant mal, on puisse tirer de la coutume aucun avantage ni aucune excuse, on est au contraire d’autant plus condamnable, qu’on n’a pas eu la force de surmonter une mauvaise coutume. Ne violons donc pas les lois divines pour suivre les usages du monde, et ne préférons pas à ces lois saintes les pernicieuses coutumes qui sont les lois de celui qui trouve son plaisir dans notre perte ; je veux dire du démon : Illius enim lex sunt hæc qui gaudet de interitu nostro. » Ce saint ne pouvoit se lasser de faire éclater son zèle contre le mépris très-réel qu’on fait de Dieu, quoiqu’on ne se l’avoue pas à soi-même, en prétendant justifier par la coutume ce qui est mauvais à ses yeux. Parlant encore dans une de ses homélies sur la première épître aux Corinthiens, (hom. 12, tom. 10, p. 104, et suiv.) contre ce qui dans les noces déshonoroit la sainteté du mariage, et en particulier contre la coutume des danses, il fait d’abord observer à ses auditeurs, que le mariage étoit regardé comme une chose très-honorable chez les étrangers, c’est-à-dire chez les païens : « Cependant, ajoute-t-il, le mariage étant fait, il se passe aux noces les choses les plus ridicules et les plus indécentes, dont beaucoup de personnes n’aperçoivent pas le ridicule et l’indécence, trompées qu’elles sont par la coutume, et n’ayant qu’elle dans l’esprit. » {p. 193}Et quelles sont ces choses indécentes autorisées par la coutume, qui, selon saint Jean Chrysostôme, déshonorent le mariage ? « Ce sont, dit-il, les danses, les paroles et les chansons déshonnêtes, les excès de viande et de vin ; en un mot, tout ce que le diable y introduit de mauvais. Je sais qu’en reprenant ces désordres, je paroîtrai ridicule à plusieurs, et qu’on m’accusera de manquer d’esprit et de sens en voulant abolir ces anciennes lois : cependant, je ne puis garder sur cela le silence. Peut-être que si tous ne reçoivent pas bien ce que je me crois obligé de dire contre ces abus, au moins quelques-uns, quoiqu’en petit nombre, en profiteront ; et qu’ils aimeront mieux être raillés avec nous, que de se moquer et de rire de nous, mais d’un ris digne de larmes et des plus grands supplices… Je souffrirai donc de devenir l’objet des railleries de plusieurs personnes, pourvu que mon discours puisse porter quelque fruit ; et en effet, ne me rendrois-je pas moi-même ridicule et répréhensible, si, pendant que je vous exhorte à ne vous point mettre en peine de la gloire qui vient des hommes, j’étois moi-même attaqué de la maladie qui la fait rechercher, comme on la recherche quand on craint leurs railleries et leurs mépris ? »

J’ai cité plusieurs lettres de saint Augustin à Alipe, où il lui raconte comment il étoit venu à bout de faire cesser parmi les catholiques d’Hypponne certains festins pleins {p. 194}d’excès et de désordres, qu’on avoit coutume de faire en Afrique dans les églises, les jours des fêtes des saints, et particulièrement des martyrs. Nous avons vu quelle vive impression le discours du saint docteur à ce sujet fit sur ses auditeurs. Cependant, le lendemain on vint lui dire que quelques-uns de ceux même qui l’avoient écouté, murmuroient encore, et que la coutume avoit tant d’empire sur eux, qu’ils disoient entre eux : Pourquoi nous ôter présentement ce qu’on nous a souffert depuis si long-temps ? Ceux qui nous ont laissé faire ce qu’on veut nous retrancher aujourd’hui, n’étoient-ils pas chrétiens aussi bien que ceux-ci ? Que répondit saint Augustin à cela ? Il le marque à Alipe en ces termes : (lett. 29, n.° 8.) « Je leur dis que la meilleure et la plus courte réponse que je pourrai faire à ceux qui parloient ainsi, étoit de leur dire : Otons au moins présentement ce qu’il y a si longtemps qu’on auroit dû ôter. »

Ce saint, repassant sous les yeux de Dieu ses égaremens passés, gémit en particulier sur ceux dans lesquels les mauvaises coutumes l’avoient entraîné ; et en déplorant son propre malheur, il déplore en même temps celui de tant de mauvais chrétiens qui croient pouvoir faire innocemment ce qui paroît autorisé par la coutume, et qui par là se perdent sans y penser. (Confess. l. 1, c. 13, n.° 25.) « Malheureux torrent de la coutume, s’écrie ce saint pénitent dans ses confessions, où sont ceux qui te résistent ? Ne te {p. 195}verrons-nous jamais à sec ? Et jusques à quand entraîneras-tu les malheureux enfans d’Adam dans cette mer si profonde et si orageuse, dont ceux même qui se tiennent au bois de la croix du Sauveur ont tant de peine à se sauver ? » Qu’est-ce que se tenir au bois de la croix du Sauveur, pour n’être pas entraîné par le torrent de la coutume ? C’est opposer les lois de l’Evangile et les exemples de Jésus-Christ à toutes les mauvaises coutumes et à tous les mauvais exemples. Et n’est-ce pas évidemment pour nous faire sentir que c’est ce que doit faire tout chrétien, que Tertullien a dit ce que j’ai rapporté, que Jésus-Christ ne s’est pas appelé la coutume, mais la vérité ?

On a vu plus haut le canon 22 du troisième concile de Tolède, où les pasteurs et les magistrats sont exhortés à employer toute leur autorité pour abolir la coutume pleine d’irréligion, qui s’étoit introduite parmi le peuple, de déshonorer par des danses, les fêtes des saints. Le concile ne pensoit donc point que des abus et des désordres fussent plus tolérables pour être passés en coutume.

Le pape Nicolas I, dans une de ses lettres à l’empereur Michel, parlant d’une coutume très-pernicieuse au clergé et au peuple, qui s’étoit introduite, lui dit « qu’il veut d’autant plus s’appliquer à la déraciner de l’Eglise, qu’il a appris par les saints canons, qu’une mauvaise coutume ne doit pas être moins évitée qu’une pernicieuse corruption ». (Labbe, tom. 8. des conciles, p. 292.)

{p. 196}C’étoit une coutume presque universelle parmi les Israélites des dix tribus, d’aller adorer le veau d’or que Jéroboam, roi d’Israël, avoit fait faire. Mais l’Ecriture rapporte que Tobie fuyoit seul l’exemple de tous les autres, et qu’il alloit à Jérusalem au temple du Seigneur, où il adoroit le Seigneur son Dieu, en lui offrant fidèlement les prémices et les dîmes de tous ses biens. (Tobie, c. 1, vv. 2 et suiv.) Cette coutume, si contraire à la loi de Dieu, ne faisoit donc aucune impression sur l’esprit et le cœur du jeune Tobie : pourquoi en feroit-elle sur nous ? Ne devons-nous pas à Dieu la même fidélité que ce saint homme ? Et nous est-il plus permis qu’à lui de nous écarter de la vérité, en suivant les coutumes qu’elle condamne ?

Dans l’objection à laquelle je réponds, on prétend que, dans les réjouissances publiques, le bal et les danses, qui y sont ordinaires, et qui font partie de ces réjouissances, sont permis. Mais nous avons entendu saint Paul nous dire que c’est dans le Seigneur, c’est-à-dire sans l’offenser, et en conservant toujours une exacte modestie,qu’il se faut réjouir. Cette maxime de saint Paul ne doit-elle pas être suivie dans les réjouissances publiques comme dans les particulières ? Et n’avons-nous pas montré que dans les danses il ne peut y avoir de modestie, et qu’il s’y commet, au contraire, ordinairement beaucoup de péchés ?

Après quelque grand événement {p. 197}favorable à un état et au roi qui le gouverne, comme la naissance d’un prince, une grande victoire remportée, la Religion nous porte à aller au temple du Seigneur pour lui rendre des actions de grâces publiques ; mais lorsqu’aux cantiques d’actions de grâces on fait succéder les bals, les danses et d’autres divertissemens profanes, ne peut-on pas alors demander avec saint Paul : Quelle union peut-il y avoir entre la justice et l’iniquité ? Quel commerce entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre Jésus-Christ et Bélial ? (2. Cor. c. 6, vv. 14 et 15.)

Personne ne s’intéresse plus sincèrement au bien des rois et des états que les bons chrétiens ; ils se font un devoir de religion de prier souvent pour la santé et la vie des rois, pour la prospérité de leurs armes, pour éviter les fléaux dont l’état peut être menacé, pour faire cesser ceux dont il est affligé : par une suite nécessaire de ce sentiment, tout ce qui est favorable au prince et à l’état fait le sujet de leur joie ; mais alors leur joie et les témoignages publics qu’ils en donnent, prenant leur source dans la piété, sont dignes de la sainteté du christianisme, parce qu’ils ne les font jamais sortir des bornes étroites de la tempérance, de la modestie et de toutes les autres vertus qui font le vrai chrétien.

C’est sous ce caractère que Tertullien représentoit autrefois les chrétiens dans son apologétique, ou défense des premiers chrétiens contre les calomnies des païens. On {p. 198}accusoit les chrétiens de ne pas célébrer, comme ils devoient, la naissance des empereurs, ou les victoires qu’ils avoient remportées sur leurs ennemis. Cette injuste accusation étoit fondée sur ce qu’en ces fêtes publiques ils ne se livroient pas aux mêmes excès et aux mêmes désordres que les païens. C’est un des points sur lesquels Tertullien prend leur défense. (c. 75.) « Vous traitez, dit-il, les chrétiens en ennemis publics, parce qu’ils ne rendent pas aux empereurs des honneurs vains, faux et téméraires ; et que professant la vraie religion, ils célèbrent la fête de leur naissance ou de leurs triomphes, plutôt par les mouvemens d’une conscience pure, que par les désordres d’une honteuse débauche. Ne peut-on témoigner son affection pour l’empereur qu’en dressant des tables au milieu des rues, en mangeant dans les places, en changeant la ville en une grande taverne, en répandant sur le pavé tant de vin qu’il se change en boue, en courant par bandes dans les rues comme des insensés, en cherchant partout à satisfaire ses désirs impudîques ? Ne peut-on donc prendre part à la joie publique qu’en se déshonorant publiquement ? Et convient-il de faire aux fêtes des empereurs, des choses qu’on regarderoit comme indécentes les autres jours ? Quoi ! ceux qui vivent dans les règles d’une exacte discipline, afin que leurs prières obtiennent le salut de l’empereur, changeront de conduite pour honorer {p. 199}l’empereur ? et la licence et la corruption passeront pour piété ? Ce qui sert à allumer la concupiscence, sera réputé un acte de religion ? Oh ! que nous méritons bien d’être condamnés ! Pourquoi, en effet, par notre chasteté, notre sobriété et la régularité de notre conduite, paroissons-nous vouloir abolir les fêtes et les réjouissances qui se font pour les empereurs, en ne prenant point de part aux désordres qui s’y commettent ? » Et pour montrer que les empereurs n’avoient pas de sujets plus fidèles et plus remplis de respect et d’amour pour eux que les chrétiens, Tertullien ajoute peu après : (c. 39.) « Nous prions pour les empereurs, pour leurs ministres, pour les puissances, pour le bon état des affaires et pour la tranquillité publique. »

N’est-ce pas là donner des preuves plus réelles de l’amour qu’on a pour le prince et pour le bien de l’état, que de se livrer dans les réjouissances publiques à toutes sortes de folies et d’excès ?

Salvien, prêtre de Marseille, (l. 5, de Providentiâ.) se plaignoit de ce que de son temps, après avoir reçu de Dieu quelque faveur publique, on alloit, en signe de réjouissance et avec plus d’ardeur, en foule aux spectacles qui étoient alors en usage. Appliquons aux danses ce que Salvien dit des spectacles usités de son temps : ses raisonnemens, tous puisés dans le fond de la Religion, nous apprendront si l’occasion d’une réjouissance publique peut rendre les bals et les {p. 200}danses plus légitimes qu’en tout autre temps. « Extravagance monstrueuse ! s’écrie ce saint homme, vouloir honorer Jésus-Christ par des spectacles (ou par des danses) lorsque nous avons reçu de lui quelque bienfait, après une victoire, et lorsqu’il a donné un heureux succès à quelqu’une de nos entreprises ! Par une telle conduite, faisons-nous autre chose qu’imiter la conduite d’un homme qui accableroit d’injures son bienfaiteur, qui l’outrageroit dans le temps même qu’il lui marqueroit plus d’amitié ; et qui, pendant qu’il l’embrasse, lui plongeroit un poignard dans le sein ? Qui peut douter que celui-là ne se rende coupable d’un grand crime, qui rend le mal pour le bien, pendant qu’il ne lui est pas permis de rendre le mal pour le mal ?… O extrême folie ! nous offrons à Jésus-Christ pour ses bienfaits les impuretés du théâtre, (ou des danses et nous lui immolons pour victimes des divertissemens très-honteux ! Est-ce là ce qu’il est venu nous apprendre quand il est né dans le monde, revêtu d’une chair comme la nòtre ?… Voilà sans doute une belle manière de lui rendre tout ce qu’il a fait et souffert pour nous, qu’après avoir été rachetés par sa mort, nous lui offrions une vie si criminelle ! Jésus-Christ, dit saint Pierre, (ép. 1, c. 2, v. 21.)a souffert pour nous, vous laissant un exemple, afin que vous marchiez sur ses pas. Est-ce en allant aux spectacles et aux danses, que {p. 201}nous suivons Jésus-Christ ? Est-ce là l’exemple qu’il nous a donné, lui dont il étoit dit dans l’Evangile, qu’il a pleuré, mais dont on ne dit pas qu’il ait jamais ri ? Quant à nous, nous ne nous contentons pas de rire et de nous réjouir, si nous ne le faisons follement et en nous abandonnant au péché, et si les impuretés et les crimes ne se trouvent mêlés dans nos ris. Quelle erreur et quelle folie est cela, qu’une joie toute simple ne nous paroisse pas en être une, et que nous ne croyions nous bien divertir, que quand le péché accompagne nos divertissemens ! L’apôtre saint Pierre (c. 1, v. 15.) nous exhorte à être saints dans toute la conduite de notre vie, comme celui qui nous a appelés est saint. Qu’on voie donc la sainteté éclater en nous, non-seulement quand nous nous acquittons des devoirs de la religion, et dans ce qui y a un rapport plus direct, mais dans nos actions même les plus communes, et par conséquent dans nos divertissemens et nos réjouissances. »

{p. 202}

Chapitre VIII.

Objections : Plusieurs directeurs permettent la Danse. §

Une septième objection qu’on fait pour soutenir les danses, c’est que si elles étoient aussi dangereuses que nous le disons ; il n’y auroit pas tant de confesseurs qui permettent à leurs pénitens et pénitentes cette sorte de divertissement, ou qui ne s’y opposent que foiblement.

Réponse. Je demande si l’autorité de ces confesseurs si indulgens, est préférable à celle des docteurs dont j’ai rapporté les décisions contre les danses. Dira-t-on qu’ils ont plus de lumières et de piété, et qu’ils sont plus habiles dans l’art de conduire les ames, que ces anciens pères ? On ne donne à la conduite de ces confesseurs, si faciles et si complaisans au sujet des danses, la préférence sur la doctrine de ceux que l’Eglise révère comme ses docteurs, que parce que leur facilité est plus conforme aux désirs déréglés du cœur. Mais n’est-ce pas là plutôt une raison de ne pas s’en rapporter à leur jugement, puisque tout ce qui s’écarte de la voie étroite, et tout ce qui appartient à la voie large, est réprouvé par Jésus-Christ ?

On veut se prévaloir de la multitude des confesseurs indulgens pour les danses ; mais {p. 203}ne sommes-nous pas avertis par Jésus-Christ, de nous garder des faux prophètes ; (Matth. c. 7, v. 15) et que, si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse ? (ibid. c. 15, v. 14.)

On lit au 3.e livre des rois, (c. 22.) que pour un seul véritable prophète, nommé Michée, qui eut le courage de dire la vérité à Achab, il se trouva quatre cents faux prophètes qui ne cherchèrent qu’à le flatter, et qui, en l’assurant qu’ils lui parloient de la part de Dieu, qui ne les avoit pas envoyés, l’engagèrent dans une entreprise qui lui coûta la vie. Après un tel exemple, est-il permis de se rassurer sur la multitude des confesseurs qui trompent les ames, ou par ignorance ; ou par une lâche complaisance ; pendant qu’un très-petit nombre plus occupés du soin de plaire à Dieu et de sauver ceux dont ils sont chargés, que de plaire aux hommes, enseignent, à l’exemple de leur divin Maître,la voie de Dieu dans la vérité, sans avoir égard à la condition des personnes ? (Matth. c. 22, v. 16.) Dieu a permis par un très-juste jugement qu’Achab fût trompé par quatre cents faux prophètes, parce qu’il désiroit de l’être. En effet, quand le roi Josaphat lui demanda s’il n’y avoit pas quelque prophète du Seigneur par lequel ils pussent consulter le Seigneur, Achab lui répondit qu’il y en avoit un, par qui ils pouvoient consulter le Seigneur ; mais qu’il haïssoit cet homme-là, parce qu’il ne lui prophétisoit jamais rien de bon, et qu’il ne lui annonçoit que {p. 204}du mal. (5. Rois, c. 22, v. 8.) N’étoit-ce pas faire entendre clairement qu’il ne consultoit pas dans une intention sincère de connoître la volonté de Dieu et de la suivre, mais avec un secret désir qu’on lui dît ce qui lui plaisoit et ce qu’il vouloit ? C’est pour le punir de cette mauvaise disposition que Dieu permit au démon d’être un esprit menteur dans la bouche de ces quatre cents prophètes, pour qu’ils le trompassent en lui cachant la vérité qu’il craignoit de voir. N’est-ce pas là encore aujourd’hui la disposition de beaucoup de mauvais chrétiens qui, aimant leurs vices et les erreurs qui les favorisent, sont secrètement ennemis de la vérité, et ne peuvent souffrir ceux qui la leur représentent ? S’ils paroissent consulter sur ce qui regarde leur conscience, c’est de mauvaise foi, comme les Juifs dont le prophète Isaïe se plaint en ces termes : (c. 30, vv. 9, 10 et 11.) Ce peuple est toujours rebelle : Ce sont des enfans menteurs, des enfans qui ne veulent pas écouter la loi de Dieu ; qui disent aux voyans : Ne voyez point, et à ceux qui ont des visions : N’ayez point de visions d’une justice si sévère. Dites-nous des choses qui nous agréent ; n’ayez que des visions pleines de mensonge ; éloignez-nous de la voie droite, détournez-nous du sentier étroit.

Avec une telle disposition, par laquelle on ne consulte que pour trouver une réponse favorable à ses passions, ne mérite-t-on pas, comme Achab, d’être trompé par ceux que l’on consulte ? C’est ce que l’apôtre saint {p. 205}Paul fait craindre aux chrétiens, lorsqu’après avoir averti les Thessaloniciens, que l’antechrist doit venir avec toutes les illusions qui peuvent porter à l’iniquité, il en rend aussitôt cette raison : (2. Thess. c. 2, vv. 10 et 11.) Parce qu’ils n’ont pas reçu et aimé la vérité pour être sauvés, c’est pour cela que Dieu leur enverra un esprit d’erreur si efficace qu’ils croiront au mensonge ; afin que tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, et qui ont consenti à l’iniquité, soient condamnés. En effet, la vérité éternelle qui doit un jour nous juger, pourra-t-elle ne pas condamner ceux qui s’en seront déclarés les ennemis ; qui craignent de la connoître ; qui aiment ceux qui, pour les flatter et leur plaire, la leur cachent ; qui ont une opposition secrète, et quelquefois même marquée, pour ceux qui leur présentent sans déguisement la vérité à la lumière de laquelle ils doivent marcher ? Ces gens, disent-ils, sont trop sévères ; ils mettent le ciel à trop haut prix : ils sont plus capables de rebuter que d’attirer à Dieu. N’est-ce pas là un langage à peu près semblable à celui d’Achab par rapport au prophète Michée ?

{p. 206}

Chapitre IX.

Objection : Si l’on défend les Danses, on abandonnera l’usage des sacremens. §

Si les confesseurs, dit-on, sont aussi fermes contre les danses, qu’on dit dans ce traité qu’ils doivent l’être, et s’ils refusent l’absolution aux personnes qui ne veulent pas y renoncer, il arrivera que plusieurs de ces personnes abandonneront les sacremens. N’est-ce pas là un inconvénient qui doit porter les confesseurs à user de condescendance à l’égard de ceux et de celles qui sont tellement attachés à la danse ?

Réponse. Il est évident que des chrétiens qui sont tellement attachés aux danses, qu’ils aiment mieux renoncer aux sacremens que de renoncer à un si dangereux divertissement, sont pour cela seul tout-à-fait indignes d’en approcher ; et que, s’ils en approchent dans cette disposition, ils ne peuvent s’en approcher que par routine, par bienséance, et à leur condamnation. Le mal de s’éloigner des sacremens par une attache excessive à son plaisir, est très-grand ; mais celui de les profaner n’est-il pas encore plus grand ? Quiconque aime mieux se priver des sacremens que de céder à ce qu’un confesseur éclairé et sévère lui prescrit, s’excommunie lui-même ; et on peut justement lui {p. 207}appliquer cette parole du prophète Osée : Votre perte, ô Israël ! ne vient que de vous. (Osée, c. 13, v. 9.)

Au reste, le vrai moyen d’attirer les ames à Dieu n’est pas de violer les règles selon lesquelles les ames doivent être conduites, mais de les porter à les observer fidèlement ; parce que c’est à cette observation que Dieu attache sa bénédiction sur le ministère. Et en effet, dans le petit nombre des conversions qui se font aujourd’hui, il est aisé de remarquer que pour l’ordinaire c’est par le ministère des confesseurs les plus instruits des règles et les plus attentifs à les suivre, que Dieu les opère : ils ont à la vérité la douleur de se voir souvent abandonnés de ceux à qui la sainte vérité de l’Evangile déplaît, et qui veulent être conduits par la voie large ; mais quant à l’exactitude et à la fermeté, les confesseurs joignent une grande charité et une grande douceur pour ceux qui leur résistent, et que leurs exhortations sont soutenues par des prières fréquentes et ferventes ; Dieu leur donne aussi de temps en temps la consolation de voir quelques-unes de ces personnes se repentir de leur résistance, céder enfin à la force de la vérité, les remercier de ce qu’ils ne la leur ont pas cachée, et de ce qu’ils n’ont pas eu pour elles une indulgence qu’ils auroient jugée cruelle, parce qu’elle les auroit perdus.

{p. 208}

Chapitre X.

Neuvième et dernière objection : Défendre les Danses, c’est peine perdue. §

On a beau écrire et parler fortement contre les danses, on ne viendra jamais à bout de les abolir : pourquoi donc entreprendre de le faire ?

Réponse. Où conduit un pareil raisonnement ? Si on le suit, il ne faudra pas plus écrire ni parler contre les juremens, les ivrogneries, les impudicités, les injustices et les autres désordres, que contre les danses. Voit-on beaucoup de pécheurs convertis par les meilleurs sermons ? En pourroit-on conclure qu’il est inutile de parler fortement contre les vices, et qu’il faudroit se contenter de faire des catéchismes pour apprendre aux bonnes gens ce qu’ils doivent croire ? Le fruit qui se peut tirer des meilleures choses dépend de la grâce de Dieu dont les jugemens sont impénétrables ; et la dépendance où nous sommes de la grâce pour faire le bien, doit-elle nous empêcher de prendre tous les moyens extérieurs qu’il est dans l’ordre de Dieu que l’on prenne pour le pratiquer ou pour le procurer ? C’est ordinairement à l’usage de ces moyens qu’il attache sa grâce, sans laquelle Jésus-Christ nous dit que nous ne pouvons rien. (Jean, c. 15, v. 5.) C’est {p. 209}donc une conséquence très-fausse que de conclure qu’il est inutile d’écrire ou de parler contre les danses, parce que, quelque chose qu’on dise ou qu’on écrive contre elles, on ne les abolira certainement pas, et qu’on n’empêchera pas une infinité de personnes de s’y livrer comme elles ont fait jusqu’à présent. Mais si cette conséquence est fausse, dès lors le raisonnement d’où on l’a tirée n’est-il pas évidemment faux ? Raisonne-t-on si mal par rapport à la santé du corps, et aux remèdes qui peuvent la conserver, ou la rétablir lorsqu’elle a été altérée par la maladie ? Dit-on qu’il ne faut pas les employer, parce qu’ils n’opèrent pas toujours la guérison des malades pour qui on les emploie ? On sait qu’ils sont utiles à plusieurs, et c’en est assez pour en faire usage dans tous les cas où l’état des malades semble les exiger. En écrivant et en parlant contre les danses, on est bien éloigné de penser que toutes les personnes qui y sont attachées y renonceront ; et qu’on réussira, comme on le souhaiteroit, à les abolir : on est, au contraire, persuadé que le nombre de ceux et de celles qui céderont à la force de la vérité, sera toujours infiniment plus petit que le nombre de ceux qui y résisteront. Mais on regarde comme un très-grand gain celui d’une seule ame rachetée par le Sang de Jésus-Christ ; et dût-on ne retirer pour fruit de son travail que le gain de cette ame, on s’en croiroit bien récompensé.

Mais pourquoi vouloir mettre des bornes {p. 210}à la bonté et à la miséricorde de Dieu, et ne pas espérer que, par le secours de sa grâce, la lumière de la vérité pénètrera dans un plus grand nombre d’esprits et de cœurs ? Nous avons entendu saint Jean Chrysostôme déclarer, en déclamant contre les danses, que si plusieurs le trouvoient en cela ridicule, il espéroit que du moins son discours seroit utile à quelques-uns. C’est cette même espérance qui nous anime. D’ailleurs, nous savons que Dieu nous demande notre travail, et non le fruit de ce travail dont nous ne sommes pas les maîtres. Ceux qui doivent parler sont coupables quand ils se taisent ; mais ils ne le sont pas lorsqu’ils parlent à des morts. Le ministre, chargé de planter et d’arroser, ne sait pas si son travail réussira, parce que c’est Dieu qui donne l’accroissement à ce qui est planté et arrosé : mais il n’est pas douteux que si le ministre ne travaille pas, il ne pourra pas recueillir ce qu’il n’aura pas semé.

Aussi, quoique le peuple Juif résistât opiniâtrément à la voix des Prophètes, Dieu ne laisse pas de dire à Isaïe : Criez sans cesse, faites retentir votre voix comme une trompette ; annoncez à mon peuple les crimes qu’il a faits ; et à la maison de Jacob, les péchés qu’elle a commis. (Is. c. 68, v. 1.)

Saint Paul, écrivant à l’évêque Timothée, son disciple, lui dit : Pressez les hommes à temps et à contre-temps ; reprenez, suppliez, menacez, sans vous lasser jamais de les tolérer et de les instruire. (Tim. 2. c. 4. v. 2.)

{p. 211}Saint Grégoire-le-Grand montre, par l’exemple de Jésus-Christ, que ceux qui ont la charge d’instruire, ne doivent pas se lasser de le faire, quoiqu’ils ne voient pas de fruits de leurs instructions ou qu’ils en voient peu. (hom. 18, sur les évang. n.° 3.) « Quoi qu’on voie, dit-il, la perversité des méchans croître, non-seulement il ne faut pas cesser de prêcher et d’instruire, mais il faut encore le faire avec plus d’ardeur et plus souvent. C’est ce dont le Seigneur nous avertit par son exemple, puisqu’après que les Juifs, résistant à sa parole, l’eurent appelé possédé du démon, il ne laissa pas de répandre avec plus de profusion les grâces de ses instructions, en disant à ces Juifs qui venoient de l’outrager d’une manière si indigne : En vérité, en vérité, je vous le dis : si quelqu’un garde ma parole, il ne mourra jamais (Jean, c. 8, v. 51.) »

Quels motifs n’avons-nous pas de croire plutôt à la parole de Jésus-Christ qu’à celle du monde ? Les maximes du monde sont des maximes meurtrières, parce qu’elles donnent la mort aux ames qui ont le malheur de les suivre, et qui, en les suivant, perdent la vie de la grâce, et se rendent dignes de la mort éternelle de l’enfer. Les maximes de J. C. sont au contraire salutaires et vivifiantes, parce qu’en y conformant sa vie, on vit de son esprit, et qu’on mérite par là de vivre un jour éternellement avec lui dans sa gloire. Ce que le monde dit, tend à rendre ici-bas la vie plus agréable et plus commodé ; mais {p. 212}c’est pour la lui rendre éternellement malheureuse après la mort. Ce que dit Jésus-Christ, demande qu’on mène sur la terre une vie plus resserrée et plus gênante ; mais c’est pour conduire à la jouissance des biens incompréhensibles et immuables, qui sont réservés dans le ciel pour ceux qui aiment Dieu. Si nous savons nous aimer nous-mêmes, ne nous mettrons-nous pas plutôt en peine de ce qui peut nous être utile pour la vie future, qui ne doit jamais finir, que de ce qui peut nous faire plaisir en cette vie qui est si courte ? N’est-ce pas être véritablement sage que de savoir nous priver de plaisirs qui pourroient nous exposer au danger de nous perdre pour l’éternité ? Et n’est-ce pas, au contraire, une insigne folie que de sacrifier son salut éternel pour quelques satisfactions d’un moment ? Ecoutons en tremblant, et méditons souvent cette parole de Job, (Job, c. 21, vv. 11, 12, 13.) Leurs enfans sortent de leurs maisons comme des troupeaux de brebis ; ils sautent et dansent en se jouant, ils battent le tambour et jouent de la harpe ; ils se divertissent au son des instrumens de musique, ils passent jusqu’à la vieillesse leurs jours dans les plaisirs ; en un moment ils descendent dans l’enfer (ou dans le tombeau.) Que deviennent à la mort les plaisirs dont on a joui pendant la vie ? Et si ces plaisirs ont engagé l’ame dans le péché, de quoi sont-ils suivis dans les enfers ? Voyez ce qu’en dit le mauvais riche qui, étant sur la terre, avoit été vêtu de pourpre et de lin, et avoit fait tous {p. 213}les jours bonne chère : (Luc, c. 16, v. 24.) Je souffre cruellement dans cette flamme. Et pourquoi y souffre-t-il ainsi ? Abraham, dont il implore le secours dans ses tourmens, pour qu’il lui procure quelque soulagement, le lui dit : (v. 25.) Mon fils, souvenez-vous que vous avez reçu vos biens pendant votre vie. C’est-à-dire, vous n’avez pensé qu’à y vivre à votre aise et dans les plaisirs. Vous deviez regarder les biens et les plaisirs de ce monde comme des biens étrangers pour vous, parce que vous deviez tendre à d’autres biens et à d’autres plaisirs. De ces biens et de ces plaisirs, que vous deviez regarder comme n’étant pas vos biens, parce que vous n’étiez pas fait pour eux, vous en avez fait vos biens et vos satisfactions en y attachant votre cœur : vous n’avez donc rien à prétendre à des biens que vous avez méprisés, et vous devez reconnoître que les tourmens que vous souffrez, sont la juste punition du mépris que vous avez fait des vrais biens que la foi devoit vous faire apercevoir, et que vous deviez seuls rechercher.

Ah ! si nous avions assez de foi pour nous transporter en esprit dans l’autre vie, et y voir les funestes suites des plaisirs défendus qu’on aura recherchés, et les heureuses suites des mortifications qu’on aura pratiquées et des maux qu’on aura soufferts patiemment pour l’amour de Dieu, faudroit-il faire tant d’efforts pour nous persuader de renoncer à des plaisirs qu’on ne peut guère se procurer sans offenser Dieu, et en particulier à celui {p. 214}des danses ; et ne nous rendrions-nous pas plus facilement à des vérités pour lesquelles le monde n’a tant d’opposition que parce qu’elles contredisent les désirs déréglés de la concupiscence ?

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Conclusion du traité contre les danses. §

Je crois avoir montré par des preuves convaincantes, que les danses ne sont pas des divertissemens chrétiens, et doivent par conséquent être évitées par toutes les personnes qui font une profession sincère du christianisme. Je crois encore avoir fait aux objections, par lesquelles on s’efforce d’affoiblir ces preuves, des réponses sans réplique, du moins pour ceux qui ne proposent des difficultés que pour l’éclaircissement de la vérité, et non dans le dessein de lui résister opiniâtrément dans quelque jour qu’on la mette. Ne faut-il plus rien afin que les vérités exposées dans ce petit écrit, soient favorablement reçues et suivies ? Elles demeureront toujours stériles, et le cœur y demeurera toujours fermé, si cette onction dont l’apôtre saint Jean dit (épît. 1, v. 27.)qu’elle enseigne toutes choses, et qu’elle est la vérité, ne vient se joindre à l’instruction extérieure. Cette onction est celle du Saint-Esprit qui enseigne par la grâce et par la charité qu’il répand dans le cœur d’une manière qui n’est propre qu’à lui. Les hommes frappent l’oreille du corps, mais le Saint-Esprit ouvre celle du cœur, lui parle, et s’en fait obéir ; parce qu’il fait aimer ce qu’il enseigne, et {p. 216}qu’il donne la force de le pratiquer. C’est donc cette onction sainte que toutes les personnes qui liront ce traité doivent demander, et que je dois aussi prier Dieu de leur accorder afin qu’il leur profite.

Esprit de vérité, placez-vous dans nos cœurs pour nous instruire et nous toucher ! Dissipez par votre divine lumière les ténèbres et les erreurs dans lesquelles les maximes, les exemples et les préjugés du monde ont pu nous retenir jusqu’à présent. En faisant luire à notre esprit la lumière de la vérité, faites-la aussi pénétrer dans nos cœurs, en sorte que nous ayons un éloignement fini et persévérant pour tout ce qui peut vous offenser et vous déplaire ; et que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui est aimable, tout ce qui est d’édification et de bonne odeur, tout ce qui est vertueux, et tout ce qui est louable dans les mœurs, occupe désormais uniquement nos pensées, éclate dans toutes nos œuvres. (Philip. c. 4, v. 8.)

Fin de la seconde Partie.