Observations sur la construction d’une salle d’opéra. §
LA quantité de salles de spectacles détruites depuis 20 années par les incendies ; le nombre effrayant de victimes livrées à la fureur des flammes, et mille autres accidens aussi funestes, engagent tous les gouvernemens, à ne jamais permettre qu’un édifice (qui, dans une grande ville est le rendez vous des citoyens pour y jouir du spectacle des arts, et se délasser de leurs travaux) fut construit dans un espace resserré et entouré de maisons ou de palais qui finissent toujours par être incendiés.
Ces funestes évenemens mettent la fortune des citoyens en danger ; anéantissent les chefs d’œuvres des beaux arts, et exposent la vie de ceux qui les cultivent à des malheurs sans cesse renaissans.
Si l’on ajoute à ces tableaux effrayans, les entraves perpétuelles, qui ressérrent le génie, qui captivent l’imagination, qui circonscrivent les idées, qui enchaînent la volonté, et qui forcent le peintre, le maître des ballets, le musicien, et souvent le poète, à sacrifier au rétréci du local, les grands effets de leur art ; on sentira qu’une salle construite et placée comme est celle de l’opéra, ne peut qu’exciter des craintes sans cesse renouvellées. Le frontispice de ce théâtre {p. 4}touche pour ainsi dire au bâtiment de la bibliothèque nationale, et cet édifice renferme ce que le génie des hommes à enfanté de plus rare et de plus précieux. C’est le sanctuaire des sciences ; il renferme la collection la plus complette et la plus nombreuse qui existe en Europe.
Le théâtre de Louvois construit légèrement à quatre ou cinq toises de l’opéra, tenant à une quantité de maisons mal baties, augmente encore le danger, la rue neuve le Pelletier, déjà fort étroite l’est devenue davantage, depuis qu’on y a élevé une foule de petites maisons construites en bois, et occupées par un grand nombre de locataires ; comment est il possible que des bâtimens aussi inflammables ayent été tolérés sous les yeux d’un gouvernement sage.
Il seroit donc à desirer pour le progrès des arts qui concourent unanimement 0 la perfection d’un spectacle dont la nation Française se glorifiera toujours, il seroit à desirer, qu’on élevât un monument digne d’elle, qui permit aux artistes de donner l’essor à leur imagination, et qui rassurât le public sur des craintes que des événemens fâcheux ne rendent que trop légitimes.
L’opéra brûlé deux fois en dix neuf ans, et dans ce même espace, les théâtres de Vienne, de Milan, de Vénise, de Stockholm, d’Amsterdam, de Lyon, de Mantoue, de Varsovie, des Boulvards, de l’Odéon etc. consumés tous avec une telle rapidité, qu’il fut impossible d’arrêter les progrès du feu : tant de catastrophes cruelles sont bien faites pour fixer l’attention {p. 5}d’un citoyen. C’est en cette qualité que j’écris et que je soumets mes réflexions aux gens de goût et aux artistes. Elles me paroissent d’autant plus solides, qu’elles sont le fruit d’une expérience acquise sur presque tous les théâtres de l’Europe pendant soixante années. Effrayé des effets de tant de désastres, j’ai remonté aux causes ; et en appréciant enfin les beautés éparses de ces différens monumens, je n’ai pu fermer les yeux sur les défauts dont ils étoient et sont encore remplis. Si mes réflexions ont de la publicité ; elles engageront des hommes plus instruits que moi, à jetter de nouvelles lumières sur un objet qui intéresse autant l’humanité que la gloire de la nation, l’embellissement de la capitale, et les progrès des arts en général.
Je ne pardonnerai jamais aux artistes de vouloir faire briller leurs talens aux dépens des convenances et de subordonner les convenances à leurs fantaisies ; je ne voudrois pas non plus, que celui à qui le gouvernement donneroit la préférence, négligeât dans la construction de ce grand édifice des choses absolument essentielles, et qui, jusqu’à ce moment ont été oubliées : La commodité du public qui paye, et le droit qu’il a de voir et d’entendre, méritent des égards particuliers ; mais le parti que les architectes ont pris depuis quelques années, s’oppose au plaisir que l’on va chercher ; la forme ronde nouvellement adoptée, et de la qu’elle il seroit très avantageux de se passer, prive le spectateur des charmes de la scène, des effets des décorations et des tableaux variés que {p. 6}lui offre la danse, de sorte que le public qui donne son argent, ne voit que le profil des objets qu’il devroit voir en entier. Ce rond ou ce cercle tronqué par le Proscénium forme deux parties rentrantes, de manière que les loges qui se trouvent placées depuis l’avant-scène jusqu’au point central de ce cercle ne jouissent que de la moitié du spectacle ; c’est-à-dire, que les loges de la droite ne voyent que ce qui se passe à la gauche du théâtre, et que les loges de la gauche n’apperçoivent que les objets qui agissent sur la droite : Tels sont les désagrémens résultans de cette forme ronde. J’avoue qu’elle est agréable à l’œil, mais je dis qu’elle est destructive de l’illusion et du plaisir. Il seroit donc sage de prendre un autre parti, et de ne pas sacrifier le tableau à la forme du cadre.
L’architecte doit s’occuper encore de la conservation des spectateurs et des acteurs ; en s’appliquant sérieusement à cette partie, il dissipera les craintes, il calmera la frayeur, il préviendra tous les accidens et tous les dangers qui en troublent le plaisir et en éloignent les jouissances.
Si l’on me consultoit sur la construction d’une salle de spectacle, je conseillerois dabord de ne point sacrifier aux beautés de l’art, les choses absolument essentielles aux charmes de la représentation, à la sureté du public, et à celle du service, qui en raison de la variété et de la multiplicité des mouvemens, doit se faire d’une manière facile. N’ayant que des notions fort imparfaites de l’architecture, je me tairai sur la construction et sur les proportions que les {p. 7}parties doivent avoir entre elles, pour former un beau tout. Je ne parlerai point des différens ordres d’architecture qui peuvent entrer dans la composition de cet édifice, et contribuer à sa magnificence. Je garderai encore le silence sur les ornemens tant intérieurs qu’extérieurs qui peuvent l’embellir, mais je dirai avec les gens de goût que ce monument doit annoncer l’habitation des arts ; qu’il doit être simple, noble et élégant comme eux ; commode par la multitude des dégagemens et des sorties ; la partie sur la quelle j’oserai m’étendre, sera celle du théâtre, parce que mes connoissances m’y autorisent. Au reste, aucun architecte ne peut dédaigner les avis de ceux qui connoissent, par des épreuves constamment réitérées, tous les défauts qu’il est presqu’impossible de préssentir, qui échappent souvent aux combinaisons de l’artiste mais qui ne se dérobent point à l’œil de l’expérience.
J’ai vû tous les théâtres de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France et du Nord. De cette quantité d’édifices, je n’en commis pas un dont les défauts ne surpassent les beautés.
La construction d’une salle d’opéra est bien différente de celle d’une salle de comédie ; je ne parle ici que de la partie du théâtre, de son étendue, de ses dessus, de ses dessous, et des parties latérales. Je dis donc, que le théâtre actuel est trop petit pour les grandes choses qu’on y donne, et qu’il seroit encore plus petit, pour les plus grandes choses que l’on pourroit y donner ; il faut un cadre plus vaste et {p. 8}propre à recevoir sans gêne, les tableaux de l’imagination et du génie : on me dira peut-être qu’on y représente facilement Psiché, Paris et la Caravane ; que les raisonneurs consultent le maître des ballets, le machiniste et le peintre, ils seront étonnés des difficultés qu’ils ont eu à vaincre, des obstacles qu’ils ont eu à surmonter et des entraves qui s’opposent non seulement à leur goût, mais les forcent souvent à renoncer aux vastes projets qu’ils avoient conçus : ce n’est point une halle que je demande, quatre pieds d’ouverture de plus à l’avant-scène, et dix-huit pieds ajoutés à la profondeur du théâtre, produiroient une étendue suffisante à toutes les grandes compositions ; je vais offrir un seul exemple.
Je suppose qu’un poète fit entrer dans le plan de son opéra l’attaque d’une place fortifiée ; la destruction de ses remparts et l’incendie générale de la ville ; qu’il voulût ensuite faire paroître le vainqueur dans un char attelé de quatre chevaux de front, le faire devancer et suivre par soixante hommes de cavalerie et deux cens d’infanterie ; qu’il voulût joindre à ce pompeux cortège les captifs, les trophées remportés sur les vaincus, enfin tous les accessoires qui pourroient ajouter de la grandeur et de l’intérêt à cette entrée triomphale, comment, dis-je, le poète s’y prendroit-il pour faire exécuter cette idée Grandiose sur un théâtre si petit, et aussi mal distribué que celui de l’opéra ? il faudrait absolument qu’il renonçât à son plan, et qu’il le regardât comme un rêve de son imagination.
{p. 9}Cependant on voit de ces grands et magnifiques tableaux dans les opéras Italiens, naturellement décharnés, privés d’action, d’intérêt, et dénués des ressources immenses et des secours puissans que la réunion des arts et la multiplicité des talens nous offrent à l’opéra ; convenons de bonne foi qu’il nous reste encore de grands tableaux à imaginer, mais que les cadres nous manquent ; ou qu’ils sont trop petits.
Une salle de spectacle doit être exactement isolée. Il seroit à désirer que les rües qui y aboutissent en fussent éloignées et assez spatieuses pour que l’on pût y pratiquer de larges trotoirs, qui préservassent la partie du public la plus nombreuse du danger d’être écrasée par les voitures. Cotte précaution seroit d’autant plus sage, que les cochers de Paris et les meneurs de cabriolets le sont moins.
Un théâtre isolé fournit à l’architecte les facilités de multiplier les dégagemens et les sorties ; n’étant point gêné par un espace donné, il peut pratiquer de beaux corridors, de magnifiques escaliers, des galleries extérieures et ne rien négliger enfin de ce qui contribue à la commodité et à la sûreté du public ; distribution, qu’il lui est impossible d’exécuter dans une petite cage resserrée de tous cotés par des maisons.
Ce théâtre isolé doit communiquer à un bâtiment isolé comme lui, par deux galleries couvertes qui conduiroient les artistes à la droite et à la gauche du théâtre. Ce corps de bâtiment serviroit aux loges des acteurs, des actrices, des danseurs, des danseuses et de tous les sujets employés à la représentation de {p. 10}l’opéra ; on y pratiqueroit un grand foyer propre à l’exercice des danseurs, et à la répétition des pas particuliers ; le comble de ce bâtiment serviroit encore aux magazins des habits de costume et à l’attelier des tailleurs ; ce qui éviteroit le gaspillage résultant des transports continuels.
Ce bâtiment assureroit tout à la fois la tranquillité et la précision du service, il seroit éloigné de huit toises au moins du corps de l’édifice ; cette distance formeroit une cour assez spacieuse pour y construire une pièce d’eau de trois toises en tous sens et de six pieds de profondeur ce qui produiroit un total de 1944 pieds cubes d’eau. Par le moyen des conduits, qui y aboutiroient, elle se rempliroit à volonté à mesure que les circonstances exigeroient qu’on la mit à sec.
Les deux galleries communicatives du bâtiment isolé au théâtre seroient soutenues par des arcades ; ce qui formeroit deux parties couvertes et abritées, propres à y placer les pompes, les échelles, les crocs, les sceaux, et généralement tous les instrumens propres aux incendies.
J’exigerois encore comme une chose absolument indispensable que l’on donnât aux parties latérales de la droite et de la gauche du théâtre six toises au moins de largeur à prendre depuis le premier chassis qui suit le Proscénium jusqu’au maître mur ; cet espace nécessaire à la manœuvre perpétuelle des ouvriers, à l’entrée des acteurs, des corps de danse, des chœurs, et des comparses, donneroit beaucoup de facilité à {p. 11}toutes les brandies de service, et il en naîtroit un ensemble, une précision, une variété dans les effets et un silence qui n’ont jamais existé à l’opéra.
Est-il possible que dans un lieu resserré de toutes parts, on puisse se livrer aux impressions de son rôle, et se pénétrer du caractère que l’on doit représenter ? La vie des acteurs est perpétuellement en danger et menacée de cent morts différentes, celle des ouvriers occupés dans les dessus et les dessous du théâtre également exposée ; tel est le tableau fidèle du désordre, de la confusion et de la crainte qui règnent sur ce théâtre.
Indépendamment des six toises de distance dont je viens de parler, il feroit de la plus absolue nécessité de construire deux corps de bâtiment placés sur l’alignement de la partie du théâtre, mais cependant assez éloignés d’elle. On y communiqueroit par un pont solide soutenu par une grande arche. Les deux pavillons de L’Odéon, théâtre le mieux construit et le plus sagement distribué de la capitale, jetteront de la clarté sur ma proposition. L’un de ces deux pavillons offriroit aux peintres décorateurs un attelier commode à la peinture des décorations. L’autre présenteroit de vastes magazins propres à y déposer celles dont on ne se sert pas aujourd’hui, mais dont on se servira quelques jours après. Il résulteroit de la construction de ces deux bâtimens ; sûreté, œconomie, et facilité dans le service du théâtre. Sureté, parce que les décorations, les accessoires de toute espèce ne pourroient ainsi que le pavillon parallèle {p. 12}devenir la proye des flammes, qu’ils serviroient encore de rempart au théâtre, et que quatre pompes placées sur chacun des ponts, maîtriseroient le feu, et en arrêteroient les progrès. Œconomie, parce que l’on n’auroit plus ni chevaux, ni voilures, ni conducteurs à entretenir, que les décorations ne se dégraderoient plus par le cahos des charriots et le frottement qu’elles éprouvent. Ils en effacent les teintes et les dessins, brisent les champstournés et les découpés de tous les chassis. Les décorations étant portées à bras soit de la salle des peintres au théatre soit du théatre an magasin, n’éprouveroient aucun des inconvéniens qui résultent naturellement du transport par charriots.
L’augmentation que j’ai donnée à la largeur et à la profondeur du théâtre faciliteroit le moyen d’y établir deux hangards ou magasins fermés par de grandes arcades : Ces deux emplacemens seroient pratiqués de droite et de gauche sur les parties latérales du théâtre et les arcades se fermeroient à volonté. On y déposeroit les décorations du jour, les chars, les accessoires, les troupes ou les comparses nécessaires à la pompe du spectacle. C’est alors qu’il n’y auroit ni tumulte ni confusion, que la scène seroit libre, que les acteurs seroient tranquilles, que la manœuvre du théâtre s’exerceroit avec plus de facilité et de précision. A la suite de ces deux magasins il seroit de tonie nécessité d’y placer deux réservoirs et deux pompes.
{p. 13}Ayant augmenté la largeur de cet édifice, on me demandera sans doute ce que l’on feroit de l’emplacement qui existeroit depuis les corridors des loges jusqu’au gros mur de ce bâtiment. Je vais répondre à celle question : 1° Les circonstances en détermineront la distribution ; la guerre ne peut être éternelle ; les douceurs de la paix attireront une foule d’étrangers, l’industrie renaîtra, le commerce deviendra florissant ; les manufactures reprendront une nouvelle activité ; les arts imagineront dès chefs d’œuvre, et toutes les sources taries de la richesse publique deviendront abondantes : c’est alors que la mode de louer des loges à l’armée se renouvellera et ce sera cette époque heureuse, qui en fixant la prospérité de la France, déterminera la distribution de ce bâtiment. 2° Il faut de toute nécessité une salle pour les administrateurs précédée d’une antre pièce, il faut un secrétariat, une pièce ou bibliothèque de musique et d’ouvrages dramatiques, il faut encore un café et des lieux à la moderne avec des réservoirs.
Si tout ceci ne convenoit pas, on pourroit (et la circonstance de la paix le détermineroit) pratiquer des petites pièces en face des premières loges, qui seroient louées à l’année, et que les propriétaires orneroient à leur fantaisie : tous les architectes savent que cet usage est adopté dans tous les grands théâtres de l’Italie. Les pièces dont j’ai parlé plus haut et que je crois absolument nécessaires seroient placées au dessus de la distribution que l’on nomme retirade.
{p. 14}Je reviens à la partie du théâtre. Il seroit fort utile que l’administration du spectacle de la république et des arts, eût huit hommes pris du corps des pompiers, ils ne quitteroient point le théâtre pendant les représentations. Ils auroient de grandes séringues telles qu’on en a en Allemagne et en Angleterre. Elles suffiraient dans le premier moment de danger, à éteindre les plafonds et les rideaux ; dailleurs, les pompes placées de droite et de gauche du théâtre suppléeroient abondamment, et dans un instant, à l’insuffisance de ces séringues, si le cas l’exigeoit.
Je crois fermement que le feu prendrait bien moins facilement aux plafonds et aux rideaux, si la distance qui règne entre chaque chassis des décorations avoit plus d’étendue. Dailleurs les ciels, les plafonds et les rideaux étant moins préssés les uns contre les autres auroient un jeu bien plus libre, et ne s’embarrasseraient plus dans leurs mouvemens.
D’une plus grande distance entre les chassis et d’un plus grand intervalle de la cage à ces chassis il résulterait non seulement beaucoup d’avantages pour l’effet des décorations mais encore une économie d’autant plus précieuse à l’administration, que loin de diminuer la magnificence des scènes, elle y ajouterait infiniment. Il me sera facile de faire sentir et de démontrer cette vérité.
Un théâtre ouvert dans ces flancs permet au peintre décorateur, de supprimer des chassis, par la raison que la distance qui règne entre eux et le mur, lui facilite le moyen de leur donner plus de largeur ; {p. 15}de sorte qu’une décoration composée d’un fond et de trois ou quatre chassis paroîtroit bien plus vaste et plus grandiose que celle qui seroit formée de huit ou dix chassis étroitement resserrés. On sent qu’il est impossible dans cette dernière distribution de pratiquer de beaux percés et de grandes échappées de vue ; aussi se plaint on de la monotonie et de la symétrie qui règnent dans les décorations : quelque bien pensées et quelque bien peintes qu’elles soient, elles n’offrent que des rues droites, que des allées d’arbres ou de colonnes, et le point de perspective angulaire et pris de côté dont les célébrés Bibien et Servandoni se sont si heureusement servis, n’a pu, faute de moyens, être adopté sur un théâtre étranglé vers le fond, et trop resserré dans ses flancs.
Le théâtre de l’Odéon fût construit pour la comédie Française et l’architecte avoit parfaitement bien combiné tout ce qui étoit nécessaire à ce genre de spectacle ; l’idée que l’on avoit conçue d’y transporter l’opéra n’étoit point admissible ; quelle différence entre le nombre d’artistes qui compose la comédie et celui qui est emploié au théâtre des arts ; à la comédie Française, la régie d’unité de lieu est scrupuleusement observée ; déslors point, ou peu de changemens de décorations ; à l’opéra, les sites varient à chaque instant, et lorsqu’il y a dans les pièces d’apparat, soixante personnes sur le théâtre Français, il y en a trois cens sur celui de l’opéra sans compter les inutiles.
{p. 16}Avant, de quitter la partie du théâtre, je dois observer que les réservoirs pratiqués dans les ceintres me paroissent absolument inutiles, parce que l’expérience m’a démontré qu’ils ne pouvoient être d’aucuns secours ; celui que je place entre les deux corps de batimens, et ceux que j’établis sur les côtés du théâtre en offrent d’aussi prompts que de multipliés, celui qui seroit dans la cour préserveroit toute la charpente, la manœuvre des dessus et des dessous et fourniroit encore abondamment, au moyen des pompes foulantes, l’eau nécessaire aux deux réservoirs placés dans les enfoncemens du théâtre ; dèslors plus d’obstacles, plus de dégrès incommodes à monter ; en multipliant les secours, j’opposerois aux causes qui détruisent communément tous les théâtres, une grande quantité d’eau ; je la conduirois aisément partout où il en faudroit il seroit même inutile de multiplier les réservoirs ; s’il étoit difficile d’y parvenir ; les chemins qui conduisent aux secours de ce genre, doivent être libres et d’un accès facile ; il faut beaucoup d’espace pour qu’un service accéléré puisse se faire sans augmenter le désordre et le découragement qu’occasionnent les désastres, et que la crainte du danger accroît en raison des obstacles qui éloignent la promptitude des secours. L’action du feu étant de monter, et d’élever au dessus de lui la fumée, elle suffoque les ouvriers et les contraint de fuir ; pour éviter la mort, ils abandonnent leur poste ; c’est ce qui est arrivé devant moi plusieurs fois, {p. 17}et ce qui m’autorise à regarder les réservoirs placés dans les ceintres comme inutiles.
Ce sont, je le répète, les pompiers qui doivent avoir la garde des réservoirs et des pompes, pour veiller à ce que les uns soient toujours remplis, et à ce que les autres soient toujours en état de jouer. Ils doivent avec quatre ouvriers qui leur sont adjoints, faire une ronde d’inspection tous les soirs après les répétitions et les représentations ; et pour parer à tous les inconvéniens, ils doivent coucher alternativement dans la salle et faire des rondes dans la nuit. L’administration peut facilement se procurer l’argent nécessaire à cette dépense utile ; elle tranquillisera le public, et en veillant à sa sûreté, elle s’occupera également de la conservation des talens en tous genres qui concourent à ses plaisirs et à l’embellissement de ce spectacle.
On feroit encore tous les quinze jours en présence des administrateurs, ou des directeurs, l’essai des pompes, ainsi que l’inspection des réservoirs dont on renouvelleroit l’eau au moins tous les mois.
Je proposerois encore une chose de prévoyance et d’utilité ; ce seroit de pratiquer dans le gros mur du fond du théâtre une arcade de la longueur environ de douze pieds sur quinze ou dix-huit de hauteur. Cette ouverture seroit fermée par une porte à deux battans recouverte en tôle ; dans des momens de danger, on l’ouvriroit pour disposer facilement et à volonté des tuyaux adaptés aux pompes placées dans la cour et à côté du grand réservoir ; nulle difficulté alors {p. 18}pour monter sur le théâtre ; les échelles, les crocs, et autres ustensilles emmagasinés sous les deux terrasses séparant la salle du bâtiment destiné aux acteurs.
Cette ouverture servirait encore, dans plusieurs circonstances, à prolonger le théâtre et à éloigner le point de perspective. Le théatre de Naples et celui de Louisbourg offrent cet avantage. Dèslors le peintre décorateur, et le maître des ballets peuvent étendre leurs idées et déployer sans obstacles les richesses de leur imagination. Cette ouverture enfin faciliterait les moyens de monter des chars attelés, de la cavalerie et de l’infanterie.
Il est aisé de sentir que cette prolongation du théatre ne pourrait s’opérer sans le secours d’une charpente mobile dont toutes les pièces seraient numérotées et qui se monteraient et démonteraient avec facilité et en très peu de teins.
Une chose tout aussi nécessaire à la sureté du public, et qui doit d’autant plus fixer l’attention de l’architecte, qu’elle est indispensable, c’est de disposer toutes les portes de manière qu’elles s’ouvrent en dehors, toutes celles des sorties ne doivent avoir qu’une même clef ; les deux portiers de l’administration en auraient chacun une, et ils seraient tenus d ouvrir avant la fin du dernier divertissement, où à l’instant qui leur serait prescrit par l’inspecteur de la salle.
Cette précaution de faire ouvrir en dehors ne doit plus être négligée. L’exemple que je vais citer, {p. 19}et qui malheureusement n’est pas le seul de ce genre, en démontrera l’absolue nécessité. Dans un incendie égal à celui de l’opéra une foule de spectateurs prit la fuite avec précipitation ; plusieurs d’entre eux se cramponnèrent aux portes soit pour assurer leur sortie, soit pour éviter les risques d’être renversés ou écrasés ; cette colonne grossit à un tel point, et les efforts réunis pour pousser en-avant furent tels que ceux qui tenoient les portes furent déplacés, ils ne les quittèrent point mais ne pouvant résister au choc, elles se fermèrent, il ne fut plus possible alors de faire reculer des gens qui n’entendoient rien et qui étoient saisis de frayeur ; les cris de la mort et du désespoir, des enfans et des femmes écrasés, d’autres dévorés par le feu, étouffés par la fumée, telle est l’esquisse de cet effrayant tableau ; l’instant d’après fut le signal de la mort ; les flammes gagnèrent, elles dévorèrent tout. Nul n’échappa à leur fureur, et la salle d’Amsterdam fut le tombeau d’un nombre prodigieux de citoyens qui furent abîmés sous ses débris.
Le plafond de l’avant-scène, ou Proscénium doit avoir assez d’étendue, pour que la voix ne se perde pas dans les ceintres, mais pour qu’elle se porte avec facilité et quelle soit propagée dans la partie occupée par le spectateur.
Une précaution essentielle et qu’il est bien inconcevable qu’on n’ait pas encore prise, c’est de ne laisser aucune communication entre la charpente du ceintre du théâtre chargée de ponts, de machines, de toiles, de cordages, et la charpente du plafond de {p. 20}la salle. Rien de plus facile que d’interrompre toute continuité. La construction du Proscénium se refuse pas à ce moyen ; il faudroit que les massifs de l’avant-scène supportâssent une voûte sur la quelle seroit élevé un mur de brique qui couperoit toute communication. Cette construction faciliteroit encore les moyens que Soufflot a ingénieusement employés à la salle de Lyon. Il y existe un espèce de rideau de tôle double, dont les côtés s’emboitent dans deux rainures pratiquées dans les massifs de l’avant-scène ; de sorte qu’à la moindre apparence de feu, la salle et le théâtre se trouvent, pour ainsi dire séparés par un mur de fer.
Dans les beaux jours de l’été, les spectacles sont déserts ; on abandonne la magie des arts, pour aller jouir des prodiges de la nature ; je fis faire cette observation à Soufflot au moment où il alloit construire le théâtre de Lyon, et je lui conseillai d’élever dans les loges une séparation qui s’ouvriroit à volonté, comme on ouvre les glaces ou les jalousies d’une voiture. Je lui dis : les loges de huit places seront réduites à quatre ; dans les grandes représentations on n’aura d’autre peine à se donner que de baisser un panneau. Soufflot, qui avoit la modestie des grands talens adopta mon avis ; il est bien malheureux que cet artiste célébre en dépit de l’envie n’ait pas eu le courage de mépriser les cris de l’ignorance, et de la sottise ; il eût la foiblesse de succomber sous les coups de Patte ; il en mourût.
{p. 21}Les grands talens en tous genres ressemblent aux belles productions de la nature : chaque arbre, chaque fleur a sa chenille et son insecte.
Après avoir murement réfléchi sur la partie du théatre, l’architecte doit s’occuper des spectateurs. Il faut comme je l’ai dit plus haut, qu’ils soient commodement placés qu’ils voient et qu’ils entendent de quelqu’endroit de la salle où ils se trouvent.
Une précaution qui n’est pas à négliger est la forme intérieure de la salle. Les acteurs dans toutes les circonstances, ne doivent être ni trop près, ni trop éloignés du spectateur ; l’acteur doit être, pour ainsi dire, le point central du cercle que la forme des loges décrit dans sa totalité. Cette juste distance, qui n’a jamais été observée dans aucun théatre est indispensablement nécessaire aux charmes de l’illusion. La scène est comme un tableau dont on ne peut sentir tout l’effet que dans un certain point d’optique.
Un autre objet au quel on n’a jamais réfléchi, c’est que le spectateur dans quelque place que ce soit ne doit point voir ce qui se passe derrière les décorations ; s’il a la faculté d’y porter ses regards, il perd une partie du plaisir qu’il se proposoit d’avoir, et on lui ôte à tous égards celui de l’illusion ; en plongeant ainsi dans les ailes, il y découvre la manœuvre du théatre, il y apperçoit cent lumières incommodes et lorsqu’il veut ensuite ramener ses regards sur la scène, tout lui paroît noir et confus, son œil fatigué ne distingue plus les objets, ou ne les voit qu’à travers un brouillard. Indépendamment de cet {p. 22}inconvénient, il en resulte un autre absolument contraire au plaisir des yeux et à la magie de la peinture : l’ordre de la décoration est interrompu, et les intervalles que l’œil mesure entre chaque chassis, coupent par lambeaux l’ouvrage du peintre, détruisent le mérite de sa composition et privent enfin le spectateur d’une des parties enchanteresses de la scène.
Voici encore un inconvénient plus destructif des grands effets. Si dans un opéra, il y a un incident, un coup de théatre, une action dont dépende le dénouement ; si par exemple, le spectateur touché de la situation malheureuse d’Oreste, prêt à être immolé à la fureur de Thoas, si dans ce moment, dis-je, je vois Pilade et sa suite se préparer à voler au secours de son ami, si j’apperçois le glaive destiné à punir le tyran ; je prévois le dessein de Pilade, je m’en occupe, j’oublie les acteurs qui sont en scène, mon attention se partage, et mon imagination se divise, pour ainsi dire, entre les deux objets qui l’ont frappée. Pilade paroît, et cette catastrophe qui forme le dénouement ne me fait aucune impression ; l’acteur m’a mis dans sa confidence, je sais tout, j’ai pénétré son dessein, j’ai découvert le piège, et rien ne peut me ramener à l’intérêt qu’on m’a fait perdre.
La scène en effet ne peut faire illusion, se jouer de nos sens et nous transporter vers les objets qu’elle nous offre, si l’on n’a l’art de dérober les ressorts qui les font mouvoir : en découvre-t-on les fils ? en voyons-nous le méchanisme ? L’illusion s’affoiblit, la surprise cesse et le plaisir fuit.
{p. 23}L’étendue du théâtre est une chose de convenance. La nature et le genre de spectacle ainsi que le nombre des citoyens et des étrangers doivent en détermiuer les dimensions.
J’ai vû en Italie de très grands théatres, qui étoient trop petits quant à la partie du service. Comme ils ne sont point machinés et que tout s’y meut et y joue à force de bras, la manœuvre s’y fait avec beaucoup de peine, de confusion et d’imprécision : mais ces salles m’ont toujours parues trop grandes et pour le public et pour les acteurs, et surtout pour la mesquinerie qui règne en général dans les opéras Italiens.
Dans les théatres trop vastes, les acteurs paroissent des pigmées et ne sont jamais en proportion avec les décorations ; il est à présumer par l’immensité des salles d’Italie, qu’elles ont été construites par des peintres-décorateurs ; rien de si grand en effet et de si pompeux que les décorations ; rien de si pauvre et de si maigre que la scène, composée presque toujours de deux ou trois interlocuteurs, rarement accompagnés ; je sens donc le danger et les inconvéniens d’un trop grand théatre ; je sais qu’il entraîneroit à des dépenses ruineuses ; il faut que la partie proprement dite de la scène ne soit ni beaucoup plus longue ni beaucoup plus large, ni beaucoup plus élevée que celle qui existe aujourd’hui ; mais il est nécessaire et absolument utile, je le répète, que les parties latérales, c’est à dire, l’espace qui doit règner de droite et de gauche, depuis la décoration jusqu’au {p. 24}mur, ait au moins quatre toises, que le derrière du théatre ne soit point étranglé, et offre un libre passage à tous les sujets employés à ce spectacle ; je ne renoncerai jamais à l’idée des deux parties enfoncées de droite et de gauche dont j’ai parlé et qui formeroient à l’extérieur, (si on le croyoit indispensable), deux corps avancés.
Je dois répéter que ces deux salles sont indispensables à l’œconomie, à la tranquillité et â la facilité du service.
J’ai déjà souhaité pour l’effet du spectacle, que le public ne pût appercevoir aucune lumière dans les chassis. Mais je voudrois encore que l’on pût supprimer toutes celles de la rampe ; elles sont préjudiciables aux charmes de la représentation et aussi fatigantes pour les spectateurs que pour les acteurs, de toutes les manières de distribuer les lumières, il n’en n’est pas de si incommodes ni de si ridiculement placées ; rien de si faux que ce jour qui frappe les corps du bas en haut ; il défigure l’acteur, il fait grimacer tous ses traits, et en renversant l’ordre des ombres et des clairs il démonte, pour ainsi dire toute la physionomie, et la prive de son jeu et de son expression. La lumière, où les rayons du jour frappent tous les corps de haut en bas : Tel est l’ordre naturel des choses. Je ne sais donc ce qui a pu déterminer les machinistes à adopter et à perpétuer une manière d’éclairer si fausse, si désagréable pour l’acteur, si fatigante pour le public, et si diamétralement opposée aux règles de la nature.
{p. 25}Mais comment éclairer le Proscénium ? par le haut et par les cotés : que les colonnes de l’avant-scène soient creuses vers la partie du théâtre ; que dans le vide, qu’offrira le demi-cercle, on y ménage des foyers de lumière qui seront réfléchis par un corps lisse et poli ; que l’on donne à ce corps la forme cycloïdale, qui est celle dont il peut résulter le plus grand avantage ; que l’on éclaire ensuite les ailes par masses inégales ; qu’un peintre soit chargé de cette distribution : alors on parviendra à imiter les beaux effets de la lumière. Au reste tout ceci demande des recherches, des essais et de la constance ; ce qui est d’autant plus difficile, qu’on effleure tout, qu’on n’approfondit rien, qu’on tient aux anciennes habitudes du théatre, et qu’il est plus aisé d’être froid imitateur que d’imaginer et de créer.
D’après mes idées, les frises où les plafonds offrant un plus grand espace entre eux, il seroit facile de les éclairer en couvrant les tringles qui porteroient les lumières, d’un fer blanc battu et poli, courbé en quart de cercle et propre à réfléchir les rayons de la lumière sur le théatre.
Je voudrois beaucoup de simplicité dans les ornemens des loges ; la richesse de celles-ci seroit aussi préjudiciable aux femmes qui les occupent, que celle de l’avant-scène le deviendroit aux acteurs et aux décorations. Si cependant il paroissoit convenable de marquer la séparation des loges, je m’imagine qu’il faudroit renoncer alors, aux colonnes et aux pilastres de l’architecture soumises à des principes immuables, {p. 26}et à des proportions raisonnées, dont on ne peut s’écarter sans inconvénients. Ne pourroit-on pas avoir recours au genre gothique qui n’a point de règle fixe, et qui se prêle, par conséquent à la fantaisie de l’artiste ? Il me semble qu’il rempliroit parfaitement cet objet, tant par sa légèreté que par son flûté ; ce style gothique embelli par le goût, pourroit paroître neuf. On s’en est servi avec succès dans la nouvelle salle que l’on a construite à Londres. Au reste, je soumets cette idée aux lumières, au goût et aux connoissances des architectes.
Je ne dois point oublier de dire qu’il seroit d’une nécessité absolue de pratiquer un foyer beaucoup plus large que celui qui existe aujourd’hui ; la longueur seroit égale à la façade du bâtiment ; on pourroit alors y donner et des concerts et des fêtes, lorsqu’il seroit question d’un nouvel ouvrage, on y répéteroit les opéras et les ballets ; un orchestre et un amphithéâtre élevés à l’autre extrémité de cette salle seroient susceptibles d’un beau décore. Ces deux parties en diminuant la longueur lui donneroient une forme agréable et mieux proportionnée. On sentira le triple avantage résultant de cette proportion.
Quelques architectes riront peut-être de mes idées ; peut-être ceux qui sont sans cesse occupés dé la perfection de leur art, y trouveront-ils matière à réflexion et c’est de ceux-là seuls que j’ambitionne le suffrage. Je ne leur donne point mes pensées comme les règles de leur art. Mais j’ai crû pouvoir parler avec quelqu’assurance de tout ce qui tient au {p. 27}goût, à la commodité, à la sûreté des salles de spectacles. C’est au talent de l’artiste à tirer de tout ce que j’ai dit ce qui pourra s’adapter aux règles de l’architecture.
Les gens de goût ne pardonneront point à Louis l’architecte d’avoir construit trois salles de spectacles, dont la dernière est aussi remplie de défauts que les deux autres. Quel est l’architecte mort ou vivant, qui ait eû l’avantage de construire trois grands théâtres et l’immense dortoir du palais égalité ; construction froide, sans mouvement, et qui ne brille aux yeux du vulgaire ignorant que par la profusion des ornemens ?
On dira sans doute que mon plan est à cet art ce qu’est à la morale la république de Platon, qu’il est tout à la fois gigantesque et fantastique.
Je ne serai point étonné de tout ce qu’on dira, par la raison que je sais depuis long-tems que les nouveautés utiles sont aussi mal reçues à Paris que les nouveautés futiles le sont avec enthousiasme.
Je ne me suis occupé ici que d’un grand monument, que du temple des arts ; je n’ai songé qu’à leurs progrès ; et en m’intéressant à leur gloire, je n’ai point oublié celle d’une grande nation. La commodité et la sureté publique ont sollicité mon attention ; j’ai pensé que ce vaste édifice fourniroit à l’architecture et à la sculpture les moyens d’y déployer toutes les richesses du goût et de l’imagination. Les plafonds, le rideau d’avant-scène, les loges, et le décore du grand foyer offrent à la peinture la faculté {p. 28}d’employer et de répandre les charmes de ses pinceaux sur tous les objets qui lui seront confiés ; j’ai pensé encore que la danse en action, cet art intéressant, à qui (peut-être) j’ai donné les premiers principes d’existence, agrandiroit ses idées, multiplieroit ses moyens, et varieroit les genres qui sont à sa disposition, si elle renonçoit surtout aux caricatures Arabesques, qui la dégradent ; genre fantastique, qui a effacé ceux qui existoient. Ils offroient sans cesse les images d’une heureuse variété ; le nouveau ne présente au contraire que les tristes tableaux de la monotonie, et la répétition fatigante des mêmes temps, des mêmes pas et des mêmes pirouettes. Lorsque les arts suivent la mode, ils s’égarent et se perdent.
J’ouvre encore un nouveau champ à la poésie en la délivrant des entraves qui restreignoient l’imagination et qui opposoient des barrières au génie ; la musique vocale et instrumentale ne sera plus gênée dans son exécution ; ses différents effets ne seront plus étouffés par un bruit sourd, confus et dissonnant ; les nuances et le clair-obscur qui donnent l’ame et la vie à cet art divin, et sans le quel il n’existe point d’effets, seront vivement senties ; elles prêteront une triple valeur à ses accords. Les acteurs seront plus libres dans leur jeu, dans leurs entrées, dans leurs sorties ; les incidens, les coups de théâtre, les situations, et tout ce qui tient enfin aux charmes et à l’illusion de la scène, s’oppéreront facilement et avec précision. Le peintre-décorateur aura à sa disposition {p. 29}tous les moyens propres à étendre ses idées et à varier ses compositions.
Le machiniste enfin n’aura plus d’obstacles à combattre ni de difficultés à vaincre ; ce qui paroissoit impossible deviendra facile à opérer ; la manœuvre du théâtre s’exécutera sans bruit, sans confusion, sans désordre, et cette partie brillante et magnifique de la scène (malheureusement trop négligée) reparoîtra avec éclat, et se montrera sous les formes les plus enchanteresses et les plus multipliées.
D’après tout ce que j’ai dit, il est aisé de voir que j’ai parlé d’un vaste monument élevé aux arts et dont la construction peut immortaliser les artistes.
Loin de mon imagination les petites choses ; il n’en existe déjà que trop ; des maisonnettes, des échopes et des baraques obstruent et dégradent la majesté du petit nombre de nos beaux monumens, affligent le bon goût et offensent le respect que l’homme bien organisé doit aux productions du génie et des arts.
On dira sans doute, (car le bien est toujours contrarié) que mon plan est trop vaste, que le terrein est cher et que la construction de ce grand édifice occasionneroit une dépense considérable ; on me permettra de répondre à ces trois objections.
1°. Un théâtre qui a journellement en activité 300 personnes, doit-être assez vaste pour qu’elles puissent y agir sans peine et sans confusion.
2°. Quant à la partie de la salle destinée pour le public, elle doit être assez spacieuse, pour que les recettes et les représentations extraordinaires puissent {p. 30}s’élever à dix ou douze mille francs ; au reste, c est la nature et le genre de spectacle, la population et le nombre des citoyens qui doivent déterminer l’espace et l’étendue de ce monument, et sous ce rapport une plus grande dépense sera compensée par une plus forte recette.
Quant à la dépense, ce n’est pas à moi à la calculer. Le citoyen, ami des arts, a rempli sa tâche, quand il a proposé des vues et des idées qu’il croit utiles. C’est à la sagesse des hommes d’état qui nous gouvernent, qu’il appartient de combiner les circonstances et les temps, les efforts et les avantages, le but et les moyens.
Le Carouzel, cette vaste et magnifique place, est défigurée par l’irrégularité des bâtimens qui font face au palais des Tuilleries ; ces bâtimens informes ne seroient-ils pas bien remplacés par un superbe monument consacré aux arts, dont la façade seroit tourné du côté du palais ? Ces maisons appartiennent presqu’en totalité à la nation ; ce sacrifice ne lui coûteroit rien. Cet emplacement avoisine la seine et est préférable à tout autre. Dans le cas où l’achévement du Louvre seroit mis à exécution, il offriroit alors une place immense, et, dans cette circonstance, ce seroit à 1’architecte à élever du côté de la place du vieux Louvre un frontispice qui répondit à la majesté du local, et au décore qu’exige le temple des arts.
Dailleurs n’a-t-on pas toujours fait entrer le spectacle de 1’opéra dans la masse générale des dépenses {p. 31}du gouvernement ? la foule d’artistes et de talens en tous genres qui le composent, enfante des modes propres à alimenter l’industrie, à accélerer l’activité des manufactures ; les nouveautés qu’ils imaginent chaque jour rendent les nations étrangères tributaires de nos goûts, de nos costumes et de nos fantaisies l’opéra n’a-t-il pas toujours ajouté un poids sensible dans la balance de ces mêmes intérêts ? ne peut-on pas espérer que le gouvernement frappé de ce grand avantage et effrayé des dangers aux quels les citoyens sont journellement exposés dans la salle existante, ordonnera enfin la construction d’un édifice, qui manque à la capitale et qui immortaliseroit l’époque où ce monument seroit élevé.
Il y auroit un moyen de construire l’opéra sans mise de fonds, en faisant une cession gratuite d’une petite partie du terrein, mais les gouvernemens en général ont presque renoncé à placer leur confiance dans les compagnies financières qui calculent toutes à leur profit. Cependant on pourroit les restreindre à suivie strictement le plan qui auroit été couronné au concours. Les deux corps de batimens réguliers, les deux batimens qu’on éleveroit en face des deux parties latérales du temple des arts, ne pourroient se construire qu’a la distance de quinze toises de ce bâtiment. L’architecte qui auroit remporté le prix seroit spécialement chargé de toutes ces constructions.
Au reste il ne faudroit pas que ce plan fut adopté par la faveur ; là, où le mérite parle, l’intrigue et la cabale doivent se taire. La protection et la partialité {p. 32}sont toujours aveugles ; le grand chapitre des petites considérations gâte tout. Tout cela, dis-je, a été et est encore le fleau des grands talens.
Ce que je viens de dire sur la construction d’une salle d’opéra, est environné d’un nuage, que le génie des artistes pourra seul dissiper. Ce ne sera pas la première fois qu’une idée mal rendue aura donné le jour à des idées plus grandes et mieux développées ; la foiblesse et le besoin furent les premiers principes des arts et des sciences.
FIN.
[Programmes de ballets] §
Avertissement. §
J’ai hésité quelque tems à joindre à cette édition de mes lettres sur la danse et sur les arts, quelques-uns des programmes de mes ballets : je ne me dissimule pas que ce ne sont pas précisément des ouvrages, et qu’ils n’apprennent rien sur l’art de la danse proprement dit.
Cependant en y réfléchissant, j’ai pensé que ces programmes pourroient avoir quelqu’utilité, ou plutôt qu’ils en avoient une très réelle ; en effet, c’est d’après eux que la plupart des ballets qu’on a donnés au public depuis moi ont été dessinés ; on a fait mieux, on ma fait l’honneur d’en prendre plusieurs et de les suivre scène par scène.
Assurément je suis très flatté de cette préférence ; mais les compositeurs, qui, par ces plagiats, m’ont donné cette marque d’estime pour mon talent, ont en tort de me faire le sacrifice du leur. Je ne doute pas que s’ils eussent travaillé d’après leur propre imagination, ils n’eussent fait aussi bien : du moins auroient-ils eu le mérite de l’invention. Quoiqu’il en soit, mes programmes de ballets ont appris à travailler un plan, à lui donner les grandes divisions qui forment les actes, et les sous-divisions, qui déterminent les scènes. Ce sont des espèces d’extraits de pièces dramatiques, dans les quels je me suis borné à suivre et à indiquer les différentes situations des personnages.
Je suis persuadé que les auteurs, en arrêtant sur le papier leurs idées sur une tragédie ou une comédie, commencent à en faire, si je puis m’exprimer ainsi, le programme ; et ce n’est quo dans l’exécution qu’ils donnent tout le développement dont il est susceptible.
{p. 34}Un programme offrant d’une manière plus rapprochée la totalité de l’ouvrage, on saisit mieux le plus on moins d’accord des parties, le plus ou moins d’effet des situations, et la vue de tout l’ensemble, en satisfaisant l’imagination, la dispose et l’échauffe pour la composition.
C’est d’après ces considérations que je me suis déterminé à faire imprimer ceux de mes programmes qui me sont restés ; car plus jaloux de la gloire et des progrès de mon art que de mon propre intérêt, j’en ai donné la majeure partie à mes élèves, ou à des artistes à qui ils pouvoient être utiles.
Je pense que le lecteur ne jugera pas à la rigueur cette espèce d’ouvrage. J’ai écrit sans prétention, plus occupé de mon sujet que du soin de travailler mon style. Ces programmes n’ont été dabord faits que pour moi, et pour arrêter l’esquisse de mes compositions, comme les peintres qui font toujours des esquisses des grands tableaux, qu’ils projettent ; et l’on a vu quelquefois les esquisses avoir un très grand mérite, par cela seul qu’ils indiquoient avec chaleur les caractères des figures et la beauté de la composition.
J’ai cru devoir faire précéder l’impression de mes programmes, de cet avertissement, afin de prévenir les critiques, en faisant connoître mon motif.
Il en est un autre dont il faut bien faire l’aveu : on a tant de fois mis mon ouvrage à contribution sans me nommer, on s est si souvent et si hardiment paré de mes dépouilles que j’ai senti qu’il ne me resteroit plus rien, si je ne prenois le parti de déposer et de consigner le peu qui me reste, afin que 1’opinion publique, je n’ose dire la postérité, puisse le reconnoître et le réclamer pour moi.
Les Horaces.
Ballet tragique. §
Personnages. §
- Le vieil Horace, chevalier Romain.
- Horace l’ainé, amant de Fulvie.
- Les deux Horaces, ses frères.
- Curiace l’ainé, chevalier Albain, amant de Camille.
- Les deux Curiaces, ses frères.
- Procule, Sénateur Romain.
- Camille, sœur des Horaces, amante de l’ainé des Curiaces.
- Fulvie, fille de Procule, amante d’Horace.
- Julie, confidente de Camille.
- Dames Romaines.
- Tullus, Roi de Rome.
- Métius, Roi d’Albe.
- Dames et Chevaliers Romains.
- Chevaliers Albains.
- Prêtres et sacrificateurs.
- Soldats Romains.
- Soldats Albains.
- Esclaves.
Acte I. §
Scène I. §
Camille aime tendrement l’ainé des Curiaces ; elle est promise à ce chevalier : c’est de l’aveu de leurs parents qu’ils se sont fait celui de leur tendresse ; un évenement cruel vient traverser leur mutuelle félicité. Les Curiaces ont été choisis par le peuple d’Albe, pour terminer, par un combat singulier, les querelles qui subsistent depuis longtems entre leur république et Rome. Les Romains ont à leur tour nommé pour défenseurs de leurs droits les trois Horaces. Le sort de ce combat doit décider de celui de la patrie. Si les Horaces sont vaincus, Rome est asservie, s’ils sont victorieux, Camille perd son amant. De quelque côté qu’elle envisage sa destinée, elle n’y voit que le présage le plus funeste. Tantôt elle apperçoit Curiace couvert de lauriers, encore fumant du sang de ses frères ; tantôt elle voit son amant percé de coups, et traîné sur la poussière ; tous ces tableaux affreux que son imagination lui retrace, déchirent son âme. Cependant elle veut orner ce funeste spectacle d’un don qui sera d’autant plus précieux à son amant qu’il est l’ouvrage de ses mains. Elle lui a brodé une échappe, et elle se flatte que ce gage de l’amour, le rendra invulnérable ; elle charge Julie de porter à {p. 38}Curiace ses vœux, sa tendresse et ce tribut de son amour. Julie se dispose à remplir cet ordre lorsque Curiace paroît.
Scène II . §
Il vole vers Camille ; il la rassure sur ses inquiétudes ; il lui fait les plus tendres adieux. Camille peint dans cette scène tout ce que l’amour, en opposition avec le devoir, peut exprimer ; son cœur combattu par la tendresse qu’elle doit à ses frères, par l’amour qu’elle doit à son père et à sa patrie, par l’honneur de sa famille, et par un sentiment encore plus cher, se livre tour-à-tour impressions diverses qui affectent son âme. Cependant elle ne peut se refuser au plaisir innocent d’orner de ses mains, celui dont la vie lui est si précieuse. Coriace enchanté regarde ce gage de l’amour, comme le présage heureux de sa victoire ; il tombe aux genoux de Camille, il lui témoigne sa reconnaissance ; mais le bruit éclatant des timbales et des trompettes réveille dans son cœur le désir de combattre, et ralume cette ardeur martiale que les larmes de son amante avoient amortie pendant quelques instans. C’est envain qu’elle veut le suivre ; l’effroi s’empare d’elle ; les genoux fléchissent ; elle chancelle et tombe dans un fauteuil, absorbée par la crainte, la douleur et le désespoir.
Scène III. §
Les Horaces viennent embrasser leur sœur et lui dire peut-être un éternel adieu. Ce moment est cruel pour Camille, l’Amour se taît, la nature parle ; la voix du sang et celle de la patrie se font entendre. Le danger de ses frères élève dans son cœur tous les sentimens de la tendresse ; elle s’oppose à leur départ ; elle insulte Rome et les Dieux ; elle se précipite alternativement dans leurs bras, et les arrose des larmes précieuses de l’amitié.
Scène IV. §
Le vieil Horace, Procule, Fulvie.
Le vieil Horace court à ses fils. Guidé par l’honneur, embrasé de l’amour de la patrie, il les conjure d’en être les défenseurs ; et leur recommande cette fermeté et ce courage héroïque, appanage des âmes bien nées. Procule qui les invite à combattre, à vaincre ou à mourir en Romains, leur jure que Fulvie sera le prix qu’il accordera à l’ainé des Vainqueurs. Camille, témoin de cette scène et des vœux qui se forment aux dépens de sa félicité, tombe dans les convulsions du désespoir et peint ce que la fureur a de plus affreux.
Les Horaces partent ; leur père et Procule les suivent, Fulvie fait mille tendres vœux pour leur victoire ; mais s’appercevant que Camille change de {p. 40}visage, et que les signes de la mort s’impriment sur ses traits, elle vole à elle. Camille tombe dans les bras de ses femmes qui l’emménent et s’empressent à lui donner des secours.
Acte II. §
Scène I. §
Le bruit des timbales et des trompettes retentit de toutes parts ; au commandement des chefs, les troupes mettent bas les armes, et le silence succède au bruit. Les deux armées se prosternent, les prêtres font des libations, l’encens brûle. Tullus et Métius s’avancent, et jurent en présence des deux camps, et aux pieds des autels, qu’eux et leurs descendans s’en tiendront inviolablement à ce que le sort du combat entre les Horaces et les Curiaces aura décidé.
Après ce serment qui est approuvé de part et d’autre, les trompettes donnent le signal du combat. Les Horaces et les Curiaces entrent en lice. Ils s’attaquent avec autant de valeur que d’intrépidité : l’air {p. 41}retentit des coups qu’ils se portent. Tantôt la victoire penche en faveur des uns, tantôt elle semble se déclarer pour les autres. Chaque armée fait des vœux pour sa patrie ; l’espérance et la crainte s’emparent successivement des soldats. Cependant le succès semble devoir couronner les efforts des Curiaces. Déjà deux des Horaces sont étendus sur la poussière ; les Albains poussent des cris d’allégresse, et font retentir l’air du bruit de leurs boucliers. Un seul Curiace est blessé, sans être cependant hors de combat ; dans cette circonstance, Horace a recours à la ruse ; il feint de prendre la fuite pour diviser les forces réunies de ses adversaires. L’un le poursuit, et près d’en être atteint, Horace se retourne avec la promptitude de l’éclair, et lui passe son épée au travers du corps. Les Romains jusqu’alors abattus et consternés, font éclater leur joye. Horace s’élance avec fureur sur le second des Curiaces, qui bientôt paye de tout son sang celui qu’il vient de répandre. Le dernier des Curiaces qui, déjà blessé ne peut opposer qu’une foible défense, reçoit la mort ; Horace, en le privant du jour l’immole aux mânes de ses frères, et à la liberté des Romains, qui poussent vers le ciel des cris d’allégresse et de reconnoissance. Les Albains quittent leur camp, enlèvent leurs morts, et expriment leur désespoir. Les Romains entourent avec admiration le vainqueur. Tullus le couronne en présence de l’armée.
Scène II. §
Le vieil Horace et Procule.
Le vieil Horace trompé par le rapport qu’on lui a fait de la fuite de son fils, se montre
avec l’expression de la honte et du désespoir ; Procule qui le conduit et qui n’a pas été
témoin de l’issue du combat, lui demande en le suivant : que vouliez
vous qu’il fit contre trois !
Le vieil Horace lui répond avec cet
enthousiasme qu’inspire l’honneur : qu’il mourût.
Dans cet
instant Tullus qui apperçoit le père du vainqueur, court à lui, lui montre son fils couvert
de gloire et de lauriers. Le vieil Horace sort de l’accablement ou il étoit plongé, pour se
livrer à l’excès de la joie ; il vole dans les bras de son fils ; il ne peut s’en détacher ;
cependant Horace se rappelle que son triomphe est désespérant, puisqu’il le prive de deux
frères qu’il cherissoit ; il les apperçoit couverts de sang, et étendus sur la poussière ;
il s’arrache des bras de son père ; il se précipite sur les corps de ses frères ; il mêle
les larmes de l’amitié au sang qui coule encore de leurs blessures. On l’entraîne pour lui
dérober la vue de ce spectacle déchirant, et il est conduit au capitole où un peuple
nombreux l’attend avec impatience.
Acte III. §
Scène I. §
Fulvie, dames Romaines, Camille.
Horace, précédé et suivi du peuple Romain, des troupes de la république et des sénateurs, paroît sur un char de triomphe. Les armes des vaincus forment des trophées, qui accompagnent ce char ; les dames Romaines s’empressent à lui offrir des lauriers. Fulvie sensible à la gloire de son amant, le couronne de ses propres mains. Cet instant est marqué par la joye et par la félicité. C’est au milieu de cette fête que Camille paroît pour y semer l’horreur et la confusion.
Scène II. §
Cette fière Romaine, désespérée d’un triomphe qui lui enlève son amant, se livre sans ménagement à ce que l’amour au désespoir peut inspirer de barbare ; elle insulte son père qui fait de vains efforts pour la calmer ; elle maudit Rome et les Romains : puis s’élançant sur son frère, avec la fureur d’une lionne, elle lui arrache l’écharpe qu’elle avoit donnée à Curiace ; elle la passe dans ses bras ; elle accable Horace de reproches ; elle abhorre ses exploits ; elle méprise sa valeur ; elle déteste son courage, et s’abandonnant aux mouvemens impétueux de son âme, {p. 44}elle profère les imprécations les plus horribles contre la patrie ; elle exprime avec le langage énergique des yeux, de la physionomie, des gestes et des mouvemens du corps, l’imprécation fameuse que Corneille lui fait prononcer dans sa tragédie. Horace outré de colère et n’écoutant plus que la voix de la vengeance s’élance sur elle et lui plonge son épée dans le sein. A ce spectacle horrible les Romains reculent épouvantés. Horace frémit lui-même, le fer lui tombe de la main ; une rumeur générale s’élève parmi les sénateurs. Le vieil Horace dévoué à sa patrie, applaudit au parricide de son fils. Les dames Romaines sont saisies de frayeur ; Tullus oublie le service important qu’Horace vient de rendre aux Romains ; son crime en diminue le prix, il ordonne qu’on arrête le triomphateur : on le charge de fers ; il se jette dans les bras de son père ; il fait à Fulvie les plus tendres adieux ; il part ; mais se rappellant tout-à-coup que l’amour de la patrie l’a entraîné au parricide, il s’élance vers sa sœur ; on l’arrête, et cette scène, offre un grouppe général. D’un coté, on voit Camille entourée de femmes désolées ; d’un autre on voit Horace se livrer au repentir qu’excite une atrocité. Là on voit des grouppes de guerriers, et de femmes qui peignent leur effroi et leur douleur. C’est par ce tableau varié d’expressions et de sentimens, que l’on termine la troisième acte de ce ballet.
Acte IV. §
Scène I. §
Horace est placé près d’une table, sur la quelle sont posés les trophées qu’il a remportés. Il attend son jugement avec la fermeté d’un Romain. L’amour de la patrie ne ferme cependant pas son ame à la douleur qu’il éprouve d’avoir immolé Camille ; il ne peut se souvenir de l’atrocité de son crime, sans frémir d’horreur ; il compare ensuite avec une ame philosophique, ses trophées avec ses chaînes : il attend la mort avec autant de tranquillité que de résignation : il s’assied un instant ; il se retrace le passé ; il regarde avec plaisir ses couronnes et ses trophées, qui seront d’éternels monumens de sa valeur, de sa gloire, de ses malheurs et des services importans que le sang des Horaces a rendus à la patrie ; puis se retraçant tout à coup les imprécations que Camille à proférées contre les Romains, il s’applaudit d’avoir méconnu son sang, et d’avoir puni une ennemie de la patrie.
Scène II. §
Fulvie a su corrompre la fidélité des gardes : on la voit tenant une lampe à la main, descendre en tremblant, les dégrès qui conduisent au souterrain. {p. 46}Horace l’apperçoit, vole à ses genoux : cette amante vient lui offrir un asyle ; elle lui promet de l’y rejoindre, ou d’obtenir sa grace, et l’invite, par ce que l’amour a de plus tendre et de plus persuasif, de profiter de l’instant. Horace indigné de la lâcheté qu’elle veut lui faire commettre, s’éloigne lentement et par degrès de Fulvie, en frémissant de honte. Fulvie tombe à ses genoux, et ne pouvant rien obtenir elle s’abandonne à sa douleur. Puis se retraçant son amant livré à des bourreaux, elle tire un poignard de son sein, et lève le bras pour s’en frapper. Horace arrête le coup et la désarme : il la supplie de conserver ses jours. Fulvie, dont le cœur est déchiré par la crainte et le désespoir, ne peut plus soutenir les idées, qui affligent son ame ; elle tombe évanouie. Horace la retient dans ses bras, la traîne mourante sur un siège, fait des efforts inutiles pour la rappellera la vie : c’est en vain qu’il l’appelle ; privé de tout secours, il tombe à ses pieds, anéanti sous le poids de sa douleur.
Scène III. §
Le père d’Horace paroît : il partage la situation de son fils, et s intéresse à celle de Fulvie, qui revoit bientôt la lumière ; ce respectable vieillard fait éclater sa joye à la vue des trophées, qui lui retracent la valeur de son fils ; il l’exhorte à recevoir son arrêt {p. 47}avec le même courage qui l’animoit lorsqu’il combattit les trois Curiaces. Il a vaincu en héros ; il doit mourir en Romain. Horace jure à son père qu’il ne démentira pas, par une foiblesse indigne de son cœur, le sang qui coule dans ses veines.
Scène IV. §
Procule, Chevaliers, Gardes.
On entend un grand bruit. Une foule de gardes et de chevaliers Romains accompagnent Procule. Ils sont éclairés par des flambeaux, et ils entrent précipitamment dans la prison, les uns par une porte basse, les autres par celle qui est au haut de l’escalier. Procule présente à Horace le décret du sénat ; il le reçoit avec respect et le lit sans crainte. Fulvie croyant que c’est l’arrêt de la mort d’Horace, se livre au desespoir : mais quelle n’est pas sa satisfaction, lorsque lisant avec l’avidité de la crainte et de l’espérance sur les traits de son amant, elle y apperçoit les signes du bonheur et de la reconnoissance : C’est sa grace que Tullus lui envoyé, et qu’il doit autant à l’estime de son Roi qu’à l’amour du peuple. Il se précipite dans les bras de Procule ; Fulvie tombe aux genoux de son père ; le vieil Horace serre dans ses bras son fils et son ami ; Procule, qui veut que ce moment soit l’époque de la félicité d’Horace, lui donne Fulvie ; il accepte ce bienfait avec transport ; son père se saisit de ses trophées, les porte en triomphe, et on l’emmène pour le montrer au peuple.
Acte V. §
Scène I. §
Dames et Chevaliers Romains.
Le peuple est impatient de voir son libérateur. Un bruit d’instrumens militaires assez éloigné augmente gradativement et annonce l’arrivée du vainqueur d’Albe. Des troupes et des musiciens devancent son char ; il est traîné par quatre chevaux blancs, attelés de front. Le vieil Horace marche devant ce char, et montre au peuple les trophées que la valeur de son fils a su lui obtenir. Le char du triomphateur est accompagné par Procule et Fulvie, par des chevaliers Romains et des dames amies de Fulvie. Le char s’arrête au milieu de la place ; la musique cesse ; et dans cet instant le peuple s’abandonne à son enthousiasme en criant trois fois vivat. Les {p. 49}troupes frappent de leurs sabres leurs boucliers en signe d’allégresse. La musique éclate de nouveau ; et le cortège fait le tour de la place.
Scène dernière. §
Tullus.
Une seconde musique militaire annonce l’arrivée de Tullus. Ce Roi veut donner au jeune Horace des marques distinguées de son estime et de sa gratitude. Horace s’élance de son char, pour se précipiter aux pieds de Tullus, il le relève et l’embrasse ; Procule, Fulvie, les dames et les chevaliers entourent Tullus ; et cette réunion forme un grouppe d’autant plus général, que les troupes les dames et le peuple, par un mouvement spontané, expriment par des gestes et des postures variées, les sentimens de l’admiration et de l’allégresse.
Ce grouppe est suivi d’une danse militaire exécutée par vingt-quatre chevaliers Romains ; autant de dames tenant à leurs mains des couronnes de laurier et des branches d’olivier, se réunissent à eux. Vers la fin de ce pas caractéristique, ceux qui l’exécutent, se rassemblent à l’entour de Tullus. Cessation totale de la musique. L’attention redouble, l’intérêt s’accroît et la curiosité impose le silence. Tullus {p. 50}unit Horace à Fulvie, et pose sur la tête du jeune héros une couronne de laurier. Horace tombe aux genoux de Tullus. Le vieil Horace et Procule font éclater leur reconnoissance ; les chevaliers et les dames Romaines expriment leur admiration et par un sentiment unanime, le peuple applaudit à la justice de Tullus, et au bonheur des deux époux ; de toutes parts on jette des couronnes ; des officiers charges d’étendards et de trophées les élevent en signe d’allégresse, et enrichissent ce vaste tableau. C’est par ce grouppe général, et au bruit éclatant d’une musique guerrière que se termine ce ballet.
FIN
Euthyme et Eucharis.
Ballet héroï-pantomime. §
Avant-propos §
Plus je travaille, et plus je sens mon insuffisance : d’après cet aveu, qui n’est sûrement pas celui de l’amour-propre, je me trouve obligé de continuer à donner des programmes. Mais en convenant de ma foiblesse, je dois encore avouer avec la même franchise, que la pantomime est de tous les arts imitateurs le plus borné. Il avoit autrefois, (à ce que l’on suppose par des traditions aussi vagues qu’incertaines) un langage fort éloquent ; quelques traits échappés à plusieurs auteurs sur la sublimité de cette poésie muette, en ont donné la plus haute opinion. Mais comme il est aussi difficile de marcher, sans s’égarer, dans les routes obscures de l’antiquité, que d’anatomiser des objets presque décharnés , et de distinguer exactement ceux dont la forme se perd dans l’immesurable distance des siècles, il faut présumer avec les commentateurs raisonnables, que les anciens avoient des gestes de convention, qui devenoient les signes représentatifs de telle ou telle chose, j’en ai parlé avec assez d’étendue dans mes lettres précédentes ; j’ai même avancé qu’il a existé des dictionnaires explicatifs de tous les gestes possibles. Il faut croire encore que ce que nous nommons danse et ballet n’est rien moins que pantomime. La danse est l’art des pas, des mouvemens gracieux et des belles positions. Le ballet, qui emprunte de la danse une partie de ses charmes, est l’art du dessin, des formes et des figures. La pantomime est purement celui des sentimens et des affections de l’âme exprimés par les gestes.
{p. 54}Les mouvemens des gestes sont dirigés par la passion ; les mouvemens de la danse sont déterminés par les règles du goût et de la bonne grace ; les mouvemens variés du ballet sont le résultat des opérations du génie relativement au dessin et aux différens rapports qui doivent régner dans le calcul des nombres et des figures. Cette distinction une fois bien établie, on ne confondra plus trois choses qui s’annoncent avec des caractères distinctifs ; ces trois choses réunies et mises ensemble composent un ballet en action, ou un Drame-ballet-Pantomime.
Ce que l’on entend actuellement par danse et ballet-pantomime, n’existoit pas chez les anciens. La pantomime ou l’art du geste, étoit associée chez eux à la déclamation des pièces de théâtre. Les interlocuteurs avoient un accoutrement si bizarre, qu’il n’est pas possible de croire qu’une telle mascarade pût produire de si grands effets ; pour suppléer à l’immensité des théâtres et aux dégradations du lointain, et pour n’avoir pas l’air Pygmée, ces acteurs avoient des cothurnes très-exhaussés, des ventres postiches, des têtes ou masques affreux, dont la bouche étoit ouverte et béante ; ces masques énormes emboitoient toute la tête ; leur base étoit appuyée sur les épaules ; une espèce de cornet se terminoit en s’évasant vers la bouche de ces visages postiches et hideux, et répercutoit les cris de l’acteur ; l’attirail gigantesque et monstrueux de celui-ci ne lui permettoit aucun mouvement des bras ; mais un pantomime, vêtu sans doute plus lestement, faisoit les gestes, pendant que le comédien déclamoit ; ces gestes et cette déclamation étoient accompagnés par l’orchestre ; la musique, comme on doit le supposer, fortifioit l’expression du pantomime, règloit ses gestes et en déterminoit l’action dans des tems justes et {p. 55}mesurés ; elle ménageoit encore à l’acteur essoufflé, et enterré, pour ainsi dire, sous un harnois incommode, le temps de reprendre baleine. Voilà le spectacle, non tel qu’il étoit chez les Grecs dans sa création, mais tel qu’il existoit à Athènes et à Rome, dans le tems de sa perfection, si le geste étoit expliqué par la poésie ; si la pantomime étoit fortifiée par les Interlocuteurs, qui étoient à la tête des chœurs, il n’est pas étonnant que les gestes qui accompagnoient le dialogue, fussent entendus de tout le monde, j’ai employé la pantomime de la même manière et avec succès dans les opéras d’Alceste, d’Orphée, d’Helene et Paris, de la composition du célèbre Gluck.
Mon but n’étant point de jouer le sçavant, ni d’ennuier le public par des citations, qui sont autant d’énigmes que les amateurs de l’antiquité expliquent chacun dans le sens qui lui paroît, ou le plus probable, ou le plus conforme à leur opinion, je garderai le silence sur tous ces prodiges mystérieux, et je tâcherai de mettre de l’action dans mes ballets, sans renoncer toutefois à la danse, qui doit en être la base et le fondement. Je demanderai de l’indulgence pour moi, et pour la pantomime, art au maillot, qui n’articule que des mots sans suite et souvent mal prononcés. J’aime mon art ; on doit chérir l’objet qui contribue à notre réputation et à notre subsistance : mais je ne l’aime point d’un amour effréné ; je ne dirai pas dans l’effervescence d’un enthousiasme aveugle, que c’est l’art par excellence ; je me garderai bien de le mettre en parallelle avec la poésie qui dit tout, et avec l’architecture qui ne dit rien ; je conviendrai de bonne foi que les programmes sont les truchemens de la pantomime au berceau ; qu’ils indiquent le trait historique ou fabuleux : qu’ils expriment clairement ce {p. 56}que la danse ne dit que confusément, parceque nos danseurs ne sont ni Grecs ni Romains. J’ajouterai enfin que le programme trace la marche que le génie a pris relativement à la distribution des scènes, aux épisodes et à l’ordonnance du tableau en général. Il ne me reste qu’à solliciter la continuation des bontés du public ; et mon art parlera toujours très éloquemment, lorsqu’il pourra contribuer à ses délassemens et à ses plaisirs.
Sujet du ballet. §
La flotte d’Ulisse avoit été jettée par une tempête sur les côte d’Italie un Grec de l’armée de ce Prince, nommé Lybas ayant insulté une jeune fille de Témesse, les habitans furieux massacrérent l’auteur de l’outrage ; mais bientôt les Témessiens furent affligés de tant de maux, qu’ils se disposoient à abandonner entièrement leur ville, quand l’Oracle d’Apollon leur conseilla d’appaiser les mânes de Lybas, en lui faisant bâtir un temple, et en lui sacrifiant tous les ans une jeune fille. Ils obéirent à l’Oracle, et Témesse n’éprouva plus de calamités. Quelques années après un brave Athlète nommé Euthyme, s’étant trouvé à Témesse, dans le tems qu’on alloit faire le sacrifice annuel d’une jeune fille, il entreprit de la délivrer et de combattre l’ombre de Lybas. Le spectre parût, dit-on, en vint aux mains avec l’Athlète, fut vaincu, et de rage alla se précipiter dans la mer. Les Témessiens rendirent de grands honneurs à Euthyme, et il épousa la jeune fille qui devoit être immolée.
Pausan. lib. 6. ce trait se trouve dans tous les dictionnaires de la fable au mot Lybas.
Personnages. §
- Euthyme, amant d’Eucharis.
- Eucharis, jeune personne qui doit être immolée aux mânes de Lybas.
- L’Ombre de Lybas.
- L’Amour.
- L’Hymen.
- L’Amitié.
- Esclaves, qu’Euthyme a conduits pour Victimes et qu’il offre en échange d’Eucharis.
- Prétres et Sacrificateurs.
- Jeunes filles Témessiennes.
- Jeunes hommes de Témesse.
- Peuple.
- Soldats.
Scène première §
Le jour étant arrivé, où l’on doit immoler une jeune Témessienne, aux mânes de Lybas, tout est préparé pour ce cruel sacrifice. Déjà l’on conduit à l’autel la jeune Eucharis : le sort fatal l’a choisie pour être victime ; le coup affreux qui va trancher sa vie, est prêt de tomber sur elle ; mais il est suspendu par l’arrivée d’un jeune homme.
Scène II. §
Ce jeune homme est Euthyme, amant passionné d’Eucharis. Il vient présenter d’autres victimes aux Témessiens en échange d’Eucharis, et il est disposé, en cas de refus, d’offrir sa propre vie, pour sauver celle de l’objet qu’il adore. Eucharis, voyant son amant, court dans ses bras, et il vole dans ceux d’Eucharis. Ils s’expriment les sentimens les plus tendres. Euthyme conduit ses victimes à l’autel : cette offre est rejettée par les prêtres. Désespéré, il vole vers Eucharis ; lui fait les plus tendres adieux, marche précipitamment vers l’autel, et présente son sein au glaive du sacrificateur. Eucharis ne peut voir ce spectacle sans effroi ; sa vie lui est moins chère que celle de son amant. Elle l’arrache de l’autel, {p. 60}s’y précipite et sollicite le coup mortel. Euthyme arrête le bras du sacrificateur prêt à frapper ; il offre une seconde fois sa vie. On le refuse, on le menace. Il entraîne Eucharis de l’autel, et la tenant dans ses bras, il défie tous les Témessiens de venir la lui ravir. Cette témérité imposante surprend tout le peuple. Cependant il faut que l’Oracle s’accomplisse, et que le sacrifice s’achève. Les jeunes filles de Témesse voyant dans Euthyme leur défenseur et leur libérateur, se rangent autour de lui, et en lui témoignant leur reconnoissance, elles animent encore sa force et son courage. Les prêtres ordonnent aux Témessiens de se saisir de la victime ; ils veulent obéir, mais aucun d’eux ne peut résister à la force d’Euthyme. Il écarte les uns, il terrasse les autres ; il court vers le tombeau de Lybas, il évoque son ombre, il le défie au combat. Le tonnérre gronde, les éclairs percent la nue, les flots de la nier s’élèvent avec fracas, le ciel s’obscurcit, la terre tremble, un bruit souterrain se fait entendre ; la tombe s’ouvre, l’ombre de Lybas se lève, fait un geste menaçant, accépte le combat et descend de son tombeau. Les prêtres consternés abandonnent les fonctions de leur ministère et courent dans le temple pour chercher un asile. Le peuple épouvanté fuit de toute part. Eucharis qui craint tout pour son amant, et qui ne craint rien pour elle, reste pour être témoin d’un événement si extraordinaire. Le combat s’engage, et, après une lutte opiniâtre, le valeureux Euthyme, terrasse le spectre et le foule à ses pieds. A cette victoire tout le peuple {p. 61}accourt ; il témoigne son admiration, sa joye, sa reconnoissance. Euthyme quitte sa proye pour un instant, sans pourtant la perdre de vue. Elle lui échappe, l’ombre de Lybas gagne la cime des rochers. Euthyme la poursuit avec fureur ; et au moment où il va l’atteindre, le spectre se précipite dans la mer. Les Témessiens expriment leur joye. Par un miracle inattendu, le temple élevé à Lybas et l’autel s’écroulent ; les jeunes Témessiennes ne craignent plus pour leurs jours ; les mères ne tremblent plus sur le sort de leurs filles ; les pères peuvent se livrer sans trouble à l’espoir de voir renaître leur postérité, et Eucharis peut posséder ce qu’elle chérit. On entoure Euthyme, on le regarde comme un dieu tutélaire, qui vient d’assurer à cette contrée la paix et le bonheur. On l’emmène pour le couronner, et pour l’unir à l’objet chéri, qui a fait éclore en son ame tant d’humanité, d’intrépidité et de courage.
Scène III. §
Eucharis est félicitée par ses compagnes. C’est à sa beauté, c’est à ses charmes qu’elles doivent l’abolition d’un sacrifice barbare qui les faisoit également trembler pour leurs jours. Elles s’empressent à dépouiller Eucharis de ses habits de victime. On la pare des vêtemens destinés à la cérémonie de son hymen, et on se livre ensuite à l’expression vive de la joye.
Scène IV. §
Euthyme paroît, orné de l’habit nuptial. Il aborde Eucharis en tremblant. Celle-ci aussi pénétrée d’amour que de reconnoissance, vole à lui. Elle lui exprime les sentimens les plus tendres, elle veut le couronner de ses propres mains. C’est envain qu’il se défend ; l’amour d’Eucharis, et l’amitié de ses compagnes l’engagent à recevoir l’hommage qu’on s’empresse a lui rendre. Les jeunes gens de Témesse viennent prendre ces deux amans pour les conduire au temple de l’hymen : c’est à l’autel de ce dieu que l’innocence et le courage doivent être unis pour toujours.
Scène dernière. §
Les deux amans sont conduits à l’autel : une musique mélodieuse annonce l’arrivée des immortels. Un nuage doré, parsemé de fleurs et supporté par des Amours et des Zéphyrs, descend des cieux. Il s’entr’ouvre et l’on apperçoit l’hymen, l’amour et l’amitié : ces divinités bienfaisantes unissent Euthyme à Eucharis. L’amitié allume le flambeau de l’hymen à celui de l’amour ; ils enchaînent ces amans avec des Heurs. Le peuple de Témesse rend hommage à l’amitié. C’est un sentiment qu’il adopte en faveur d’Euthyme son libérateur.
Deux personnes de l’un et l’autre sexe s’attachent à l’amour ; deux autres se livrent à l’hymen, et deux autres enfin s’unissent à l’amitié. Insensiblement ceux {p. 63}qui se sont voués à l’hymen éprouvent de l’ennui, des dégoûts et cherchent à s’éviter. Ceux qui se sont livrés à l’amour, ne sont pas long-tems sans être tourmentés par la jalousie : ils se piquent et se boudent. Ceux qui se sont consacrés à l’amitié, éprouvent des plaisirs doux, tranquilles et constans. L’amitié réunit les deux amans, concilie les deux époux, et cette entrée de neuf personnes qui n’est qu’un épisode, peut donner une esquisse des ballets moraux. Sans l’amitié il n’est, point en effet d’union solide ; c’est ce sentiment qui enchaîne, pour ainsi dire, tous les autres, et qui fait le bonheur de la vie.
Ce spectacle est terminé par des danses analogues à la circonstance, sur une passacaille et une chaconne d’un nouveau genre.
FIN.
Médée.
Ballet tragique. §
Personnages. §
- Médée, Princesse de Colchide.
- Jason, Prince de Thessalie, époux de Médée.
- Créon, Roi de Corinthe.
- Créuse, fille de Créon.
- Les deux enfans de Médée.
- Gouvernante des enfans de Médée.
- Corinthiens et Corinthiennes.
- Lutteurs et Gladiateurs.
- Les Euménides, la Haine, la Jalousie et la Vengeance.
- Troupe de Démons.
- Prêtres de l’Hymen.
- Peuples.
- Officiers et soldats.
Première partie. §
Créon qui craint les prétentions de Médée au trône de Corinthe, et qui voudroit l’assurer pour jamais à Creuse, croit ne pouvoir mieux faire que d’engager secrètement Jason à s’unir avec elle. Pour réussir dans ce projet, il donne à ce héros les fêtes les plus brillantes, afin de procurer plus d’occasions à sa fille de le séduire par ses charmes, aux quels Jason n’est déjà que trop sensible ; Créuse de sou coté ne jouit pas d’une plus grande tranquillité ; mais l’ardeur de ces amants, malgré toute sa violence n’a point encore osé éclater. Cependant l’œil pénétrant et jaloux de Médée perce à travers ce mystère ; les soins de Jason pour Créuse, son empressement à lui plaire, les préférences qu’il lui donne sans cesse, et dont Créuse lui tient compte, jettent Médée dans les plus affreux soupçons. Créon, qui lit dans l’aine de cette Princesse, cherche à la distraire en lui offrant successivement le spectacle varié de la lutte, de la course et de la danse ; mais tous ces tableaux différons, tous ces hommages qu’on s’empresse à lui rendre, ne peuvent calmer ses inquiétudes ; elle quitte son estrade, présente la main à Créon, en jettant sur Jason et Créuse qui la suivent, un regard menaçant qui décèle le trouble et l’agitation de son ame. Le départ précipité de Médée interrompt la fête ; et termine la première partie de ce ballet.
Seconde partie §
Créon toujours occupé de ses projets, est absorbé par le poids de ses réflexions J il veut abdiquer la couronne, il veut unir Jason à sa fille ; il veut que ce Prince, en se séparant de Médée, lui ordonne de fuir ses états, tous ces grands événemens, que prépare sa politique, doivent être l’ouvrage des charmes de Creuse et de leur empire sur le cœur d’un jeune Prince, tout à la fois tendre, ambitieux, ingrat et perfide.
Creuse, qui suit les pas de son père, interprête défavorablement son inquiétude, il l’apperçoit, il lui tend les bras, elle y vole et s’y précipite ; Créon, après s’être mystérieusement assuré de n’être point entendu, lui confie ses desseins, il trouve dans l’aine de Creuse, tous les sentimens qui peuvent flatter son espoir ; elle applaudit avec transport à un projet qui s’accorde si bien avec les intérêts de son cœur. Créon, qui entend du bruit, quitte Creuse avec précipitation, et elle lui jure, en l’embrassant, la plus prompte obéissance.
Jason aborde Creuse avec ce trouble et cette émotion qui caractérisent si bien l’amour. Creuse veut fuir ; il l’arrête en tremblant, et lui fait l’aveu de sa passion ; Créuse triomphe, elle oppose à des sentimens si tendres, le courroux de Médée, et 1’empire quelle a sur son âme ; Jason lui en {p. 69}promet le sacrifice, embrasse ses genoux, et dans l’instant où ces amants expriment leur mutuelle tendresse, Médée paroît.
Son action est celle de la fureur, mais habile en l’art de feindre, elle cache sa rage sous le voile de la candeur, elle court vers Créuse et la serre tendrement dans ses bras ; Jason, que sa passion emporte, et qui ne voit que Créuse, oublie ce qu’il doit à Médée. Cette magicienne se livre progressivement à tous les mouvemens de la jalousie, et ne pouvant supporter sans mourir l’idée de l’ingratitude et de l’infidélité de son epoux, elle tombe expirante dans ses bras ; Créuse s’empresse à lui donner ses soins ; mais Médée revoyant la lumière et sa rivale, la fuit avec horreur. La jalousie n’étant qu’impuissante, elle s’abandonne aux transports de la vengeance, elle tire son poignard, s’élance sur Créuse ; Jason arrête le coup mortel, il désarme Médée, qui, désespérée de n’avoir pu assouvir sa rage, part en menaçant, et en exprimant ce que la haine et la fureur ont de plus effrayant. Créuse, vivement émue du danger qu’elle a couru, quitte Jason en l’assurant de la constance de ses sentimens.
Créon profite du désordre qui règne dans l’âme de Jason, pour achever de triompher de ses scrupules ; il lui offre son trône et la main de Créuse, à condition qu’il renverra Médée. Jason hésite ; la reconnoissance balance encore les droits de l’amour ; mais à la vue du sceptre et de la couronne que Créon lui présente, Jason oublie tout ; il accepte avec transport. {p. 70}Médée paroît avec ses enfans ; ils se précipitent à ses pieds ; elle veut tenter, quelque chose qui lui en coûte, un dernier effort : elle réclame ses premiers sermens, elle le presse de lui rendre sa tendresse, elle lui montre ses fils, gages précieux de la foi qu’il lui a jurée ; elle lui présente un poignard et son sein, en le conjurant de lui percer le cœur, s’il ne veut lui rendre le sien. Jason, pénétré du plus vif repentir, se jette, malgré les efforts de Créon, dans les bras de Médée, il la serre étroitement dans les siens, l’innonde de ses larmes, il va lui rendre sa foi, il va refuser la couronne, il va refuser Créuse. Créuse paroît et triomphe.
Il se débarrasse des bras, de son épouse pour voler dans ceux de son amante ; et sa passion lui faisant oublier qu’il doit tout à Médée, il pousse la cruauté jusqu’à lui ordonner impérieusement d’éviter sa présence, et de fuir pour jamais les états de Créon.
Médée, les yeux fixés vers la terre, paroît immobile ; l’arrêt de sa disgrace absorbe, pour ainsi dire, toutes les facultés de son âme ; elle est dans l’anéantissement le plus affreux, lorsque tout à coup elle en sort pour se livrer toute entière à sa rage. Elle éloigne ses enfans, elle évoque les élémens, les enfers et les dieux ; elle change le sallon en une grotte épouvantable ; la haine, la jalousie et la vengeance accourent à sa voix ; elle leur commande de servir sa fureur, et ces filles de l’enfer lui présentent le feu, le fer et le poison ; elle ordonne au feu de renfermer dans un coffret qu’elle destine à Créon les matières les plus {p. 71}combustibles, et les flammes les plus actives ; elle commande au poison de répandre ses venins mortels et ses vapeurs empestées sur un bouquet de diamans, que sa cruauté réserve à Créuse ; elle demande au fer un instrument propre à assouvir sa rage ; il tire de son sein un poignard, que la jalousie, la haine et la vengeance présentent à Médée. Cette magicienne, se félicitant des forfaits quelle va commettre, ordonne à la troupe infernale de disparoître.
Enivrée de ses fureurs, Médée appelle ses enfans, elle veut en faire ses premières victimes ; mais son bras mal-assuré refuse d’obéir. Le fer échappe de sa main, et la nature semble lui reprocher l’atrocité d’un tel crime, elle charge ses enfans des présens empoisonnés ; et elle les accompagne, pour faire agir plus sûrement les ressorts qu’elle a résolu d’employer pour assouvir sa vengeance.
Troisième partie. §
Ce Prince est sur son trône ; il en descend, après avoir reçu l’hommage des trois ordres de l’état Il approche de l’autel, il montre Jason au peuple, comme le Prince que son cœur choisit pour régner à sa place ; il abdique le trône, et en fait serment sur l’autel. Jason prête à son tour le serment usité. Créon, après avoir uni Jason à sa fille, le couronne de sa propre main, et le conduit au trône ; le peuple {p. 72}tombe aux pieds du nouveau Roi ; les cris d’allégresse éclatent de toutes parts ; le bruit des timballes et des trompettes retentit dans les airs ; le peuple applaudit au choix de Créon. Créuse mêle sa joye à celle de ses sujets ; Créon, au comble de ses vœux, marche vers le trône, il est suivi par les prêtres de l’hymen, qui, en tombant à ses pieds, lui remettent la coupe nuptiale ; après l’avoir élevée vers le ciel, il la présente à Jason qui s’en saisit avec le plus vif empressement ; elle est déjà sur le bord de ses lèvres ; Médée paroît ; tout change à son aspect.
Jason est pénétrée de honte et de dépit ; Créuse est saisie de crainte et n’ose plus lever les yeux. Créon témoigne le plus violent courroux ; le peuple consterné attend en frémissant l’issue d’un tel événement.
Médée, qui n’a pu s’empêcher de marquer quelqu’émotion à la vue de la coupe que Jason tenoit avec tant de joye, craignant de se trahir, cache sa rage sous le voile de la dissimulation et de l’hypocrisie ; elle aborde ses ennemis avec les apparences d’une résignation décidée ; elle leur sourit agréablement, comme pour leur faire entendre qu’ils doivent se rassurer ; que bien loin de vouloir troubler leur bonheur, elle ne vient que pour y contribuer encore de tout son pouvoir ; elle montre les présens qui sont entre les mains de ses enfans. Créuse et Jason commencent à se tranquilliser ; le visage de Créon s’adoucit, un des enfans lui présente humblement le coffret de la part de sa mère ; Médée prend elle-même {p. 73}le bouquet, et paroît se faire gloire d’en orner sa rivale ; elle la serre étroitement dans ses bras avec les démonstrations de la bienveillance la plus sincère ; elle fait ses tendres adieux à Jason ; elle l’unit à Créuse, en feignant de demander au ciel de combler de faveurs une union si parfaite. Jason plein de la plus vive reconnoissance, embrasse Médée, la perfide se retire en laissant éclater tout l’emportement d’une joye barbare.
Le départ de cette magicienne fait renaître le calme dans tous les cœurs ; mais il ne dure qu’un instant. Créuse ressent tout à coup les funestes effets des présens de Médée ; un poison dévorant s’allume dans ses veines, et répand sur ses traits l’empreinte de la mort ; Créon, frappé de ce spectacle déchirant, menace vainement Médée : soudain il est enveloppé par les tourbillons de flammes qui s’élèvent du coffret ; les vapeurs empestées qu’ils exhalent, le suffoquent ; il recule, il chancelle et tombe expirant. Créuse, à cet aspect, se traîne vers lui ; elle se jette sur son corps, mêle ses souffrances à celles de son père, et veut, en mourant dans ses bras, confondre son dernier soupir avec le sien. Jason troublé, Jason au désespoir, s’efforce en vain de secourir les malheureuses victimes du courroux de Médée. Cette magicienne paroît triomphante sur un char traîné par des monstres qui vomissent des flammes ; un de ses enfans expire à ses pieds, elle a le bras levé pour frapper l’autre ; Jason se précipite à ses genoux et la conjure d’épargner au moins cette dernière victime ; mais l’implacable {p. 74}Médée se rit de ses prières, met le comble à ses forfaits, et plonge le fer dans le sein du dernier de ses fils ; elle jette à Jason le poignard ; il le saisit avec fureur ; il veut s’en frapper, mais il est désarmé par la haine, la jalousie et la vengeance. Médée, qui veut prolonger les tourmens de Jason, ordonne aux enfers de les accroître encore ; les furies et les démons accourent à sa voix ; ils se grouppent de différentes manières et poursuivent Jason qui est effrayé d’un spectacle aussi horrible ; près d’expirer, il conjure Médée de terminer ses tourmens ; elle ordonne au fer de lui donner un poignard ; Jason s’en saisit, s’en frappe et meurt à côte de Créuse. Les enfers expriment leur joye barbare ; le ciel s’obscurcit ; la terre tremble, une pluie de feu embrâse le palais ; il s’écroule : tout fuit, et l’exécrable Médée se frayant une route dans les airs, s’envole en s’applaudissant de l’énormité de ses forfaits.
FIN.
Les Graces.
Ballet anacréontique. §
Avant-propos. §
Ce ballet est tiré du poème de M. Wieland, intitulé les Graces. C’est au goût, au génie, à l’élégance de ce rival heureux d’Anacréon, que je devrai le succès de ma composition, qui n’est, j’en conviens qu’une esquisse légère, ou qu’une copie bien imparfaite de l’original ; mais il n’appartient pas à tout le monde de jouer avec les Graces et de badiner avec l’amour il faut être comme M. Wieland, l’ami, le confident, et le favori des muses. Quelqu’imparfait que soit mon ouvrage, n’aurai-je pas un mérite aux yeux de la nation Allemande et et du monde littéraire, en multipliant les tableaux de ce poème charmant ? une copie du Corrége, de l’Albane ou du Titien, quelqu’au dessous qu’elle soit de l’original, indiqua cependant le goût et la manière de faire du peintre célèbre. A l’exemple de l’Abeille je dois caresser toutes les fleurs ; et, après avoir butiné dans les jardins d’Anacréon et d’Ovide, je dois encore voltiger dans ceux des Wieland et des Gesner.
Je préviens le public que je ne me suis servi que des 2ème, 3ème et 4ème chants du poème, et que j’ai été contraint de renoncer à toutes les beautés de détail, que la pantomime ne peut exprimer, pour me livrer à l’action et à tout ce qui s’appelle tableau de situation ; je me suis vu forcé d’avoir recours à des moyens étrangers à l’original, pour pouvoir indiquer l’instant, où, les Graces, cessant d’être méconnues, paroissoient avec le caractère de leur essence et de leur immortalité. J’ai ajouté (parce que je n’ai pu m’en dispenser) à la scène de Daphnis et de Philis ; j’ai fait enfin {p. 78}intervenir Vénus, pour gagner du coté de la pompe et de la machine, une partie des choses délicieuses que j’ai été obligé de sacrifier à l’insuffisance de la pantomime, qui ne fait que bégayer confusément, lorsque les grandes passions ne lui prêtent point de ressort et ne la font, pour ainsi dire, qu’articuler.
J’ai fait, au reste, tout ce qui moralement m’a été possible pour imiter mon modèle. Si je n’ai pas mieux réussi, je dirai pour ma justification, que ce n’est point avec les foibles ailes du papillon, qu’on peut suivre et atteindre le génie.
Personnages. §
- L’Amour.
- Les Graces, sous la forme de trois Bergères.
- Lycénion, vieille Bergère qui a nourri les Graces sans connoître leur origine.
- Damet, vieux Berger uni à Lycénion.
- Daphnis, Berger.
- Philis, jeune Bergère.
- Troupe de Bergers Arcadiens.
- Troupe de Bergères Arcadiennes.
- Vieux Arcadiens.
- Vieilles Arcadiennes.
- Vénus.
- Jeux, Ris et Plaisirs de la suite de Vénus.
Avertissement. §
Il est à propos de prévenir le public que les Graces ignorent leur origine, que sous un habit champêtre et des toits rustiques, elles se croient filles de Lycénion ; que cette même Lycénion qui les a élevées, ignore elle-même que ces aimables filles sont des immortelles ; qu’elles ne reconnoissent l’enfant de Cythère, que lorsqu’il fait éclater sa puissance en rendant la jeunesse à Lycenion et à Damet, et que l’instant qui suit, est l’époque de la reconnoissance entre l’Amour et les Graces, et celle du dénouement de l’intrigue. Les scènes suivantes tiennent plus à l’épisode qu’au sujet même ; cependant, on y est insensiblement ramené par les fêtes que l’Amour institue, et par la présence de Vénus.
Les Graces. §
Scène première. §
L’amour égaré, las et fatigué, se couche sous un rosier sauvage ; le sommeil le surprend. Le sol rendu fécond par l’influence de ce dieu charmant, produit autour de lui un tapis émaillé de fleurs odoriférantes.
Scène II. §
Trois jeunes filles d’une beauté ravissante, accoutumées à orner de bouquets et de guirlandes le lit de leur mère, paroissent et sont occupées du soin de chercher et de cueillir des fleurs ; elles apperçoivent que la terre en est couverte à l’endroit où repose l’amour ; elles y volent avec empressement. Mais qu’elle est leur surprise lorsqu’elles voyent un enfant, emmailloté, pour ainsi dire, de ces fleurs ? Confuses, interdites et tremblantes, elles ne savent si elles doivent s’approcher ou fuir ; un charme inconnu les entraîne cependant vers l’amour, que les impressions agréables d’un songe embellissent encore ; elles avancent avec autant de précaution que de légèreté ; elles considèrent, et admirent en silence les traits de cet enfant : son sourire aimable, cette tendre innocence, cette bouche vermeille, dont le plaisir semble s’exhaler, ces yeux qui, quoique fermés, expriment {p. 82}le sentiment ; tout enfin jette les trois Arcadiennes dans une surprise qui tient du ravissement. Ce sentiment fait bientôt place à la frayeur : en examinant de plus près l’aimable enfant, elles apperçoivent près de lui un arc, un carquois et des flèches éparses dans les fleurs, elles tremblent sur les dangers qu’elles courent et ne s’éloignent cependant qu’à pas lents. La plus jeune des trois Graces, moins craintive et plus curieuse que ses compagnes, veut examiner encore ce tendre enfant ; elle approche sur la pointe des pieds ; elle tourne autour de lui, elle se baisse et le considérant d’un œil curieux, elle s’écrie en fuyant : Mes sœurs ! il a des ailes, c’est un oiseau, ou peut-être c’est l’amour. A ce mot, on tremble, on pâlit, on frissonne, on veut fuir et insensiblement on se rapproche. Nouvel examen, nouvelle contestation, nouveaux débats. L’enjouée Thalie, toujours fertile en expédiens, tire ses sœurs à l’écart : elle leur propose de former des guirlandes, des fleurs dont l’enfant est entouré et de l’en enchaîner si fortement, qu’il ne puisse leur échapper, si c’est un oiseau ; ni être à craindre, si c’est l’amour. On adopte cette idée ; les jeunes beautés se débarrassent de leurs guirlandes, elles en composent de nouvelles et en assujettissent les bras, les ailes et les jambes de l’enfant de Cythère. Satisfaites de leur ruse et de leur précaution, elles s’en applaudissent et courent se cacher derrière un buisson de roses pour en attendre le succès.
L’Amour en s’éveillant se trouve captif et cherche vainement à rompre ses liens ; les jeunes Arcadiennes {p. 83}à demi cachées, jouissent de son embarras et de son dépit ; elles éclatent de rire, l’enfant ailé les apperçoit et ne doute pas qu’elles ne lui aient joué ce tour. Il les appelle de ce ton, qu’il sait si bien employer, quand il veut séduire, il les conjure au nom de Vénus de rompre ses liens. De qui, leur dit-il, de qui l’amour peut-il attendre du secours si la beauté le fuit, si les Graces l’abandonnent ? il mêle des larmes à ses prières, et leur jure une reconnoissance éternelle.
Les Bergères emües et attendries se reprochent leur cruauté et Thalie, la plus jeune d’entre elles, soutient que c’est une barbarie. Approchons, dit-elle, à ses sœurs, il nous prie avec tant de grace ! il est dailleurs si bien lié, répond Aglaé. Et ne sommes-nous pas trois, continue Euphrosine, quel mal peut nous faire un enfant ? elles avancent ; les larmes et les prières de l’amour remplissent leur ame de l’émotion la plus vive, elles se préparent à lui rendre la liberté. A peine a-t-il un de ses petits bras dégagé qu’il trésaille de joye, et qu’il s’en sert pour embrasser sa libératrice. Thalie rougit, se lâche et lui donne un coup sur les doigts. Ah, ah ! vous êtes méchant, lui dit-elle, eh bien ! pour vous punir vous resterez enchaîné. A cet arrêt l’amour frémit, il prie, il presse, il répand quelques larmes et promet d’être plus sage. Comment résister à son langage persuasif ? on l’écoute, il intéresse, on brise ses liens, on lui rend la liberté et il en consacre à la reconnoissance les premiers momens. Thalie, Aglaé et Euphrosine partagent ses innocentes caresses, il leur jure de ne les {p. 84}quitter jamais ; il leur promet de les conduire à Paphos. Vous serez, leur dit-il, aimables sœurs, vous serez, sous le nom chéri des Graces, l’ornement de l’empire de Cythère ; vous embellirez la beauté même ; les arts, les talens, ne pourront plaire sans vous, rien ne sera aimable sans votre secours, et votre influence, en répandant des charmes sur tous les objets, embellira jusqu’à la vertu.
L’amour, pour les convaincre de son attachement, réunit plusieurs guirlandes éparses pour n’en former qu’une seule avec la quelle il s’enchaîne aux trois jeunes Bergères qui en tiennent l’extrémité.
Le fils de Vénus, par un sentiment qui lui est inconnu, aime les trois Arcadiennes, sans malice, sans méchanceté, comme si elles étoient ses sœurs, et ces filles charmantes qui réunissent ce qu’ont de divin, la beauté simple, l’innocence naïve, la gaité modeste et la douce sérénité, prodiguent leurs caresses à l’Amour, comme si elles pressentoient à leur tour que ce dieu est leur frère.
Un instant de réflexion ramène les Bergères à, leur devoir ; leur absence à été longue ; que dire à leur mère ! Il faut partir, que faire de cet enfant ? l’abandonner dans cette forêt, seroit une cruauté ; quel parti prendre ? L’enjouée Thalie propose à l’Amour de le mettre dans leur corbeille : nous l’emporterons, dit-elle, nous l’offrirons à notre mère comme un oiseau que nous avons trouvé sous des fleurs. Cette idée qui plaît, est soudain adoptée ; {p. 85}on fait de la corbeille un lit de fleurs ; on y place l’enfant ailé, et on l’emporte en triomphe en jouant et en folâtrant avec lui.
Scène III. §
Ce vieux Berger et cette vieille Bergère, assis près d’une table sur la quelle est servi un repas champêtre et frugal, attendent le retour de leurs filles ; ils expriment leur crainte et leur tendre inquiétude ; ils ne savent à quoi attribuer une aussi longue absence, et déjà ils se livrent au sentiment accablant de l’incertitude, lorsqu’enfin ils les voyent paroître.
Scène IV. §
Lycénion leur fait les plus tendres reproches : Thalie, qui se jette dans ses bras, y trouve son excuse ; elle dit à Lycénion, qu’elles ont trouvé, ses sœurs et elle, une chose rare, mais charmante ; elles courent ensuite avec précipitation vers la porte, oh elles ont laissé l’Amour. Elles présentent la corbeille à Lycénion ; elles ont eu soin de la couvrir de leur voile ; Thalie veut, avant tout, que sa mère devine ce qu’il y a dans cette corbeille et sans se donner le tems d’attendre sa réponse, elle la découvre elle-même. Lycénion reconnoît l’Amour et recule d’effroi ; elle frémit sur le danger qui menace ses filles et leur fait de ce dieu la peinture la plus terrible. L’Amour {p. 86}qui est sorti de sa corbeille est effrayé du tableau : en vain, les Bergeres veulent prendre sa défense, en vain, l’une vante sa candeur, l’autre sa beauté, celle-ci son innocence ; rien n’appaise Lycénion ; elle veut, quoiqu’il en puisse être, que le petit monstre soit mis à la porte.
Cette résolution consterne les jeunes Arcadiennes et les pénetre de douleur. L’Amour témoin sensible de leur peine, va se servir de son pouvoir ; il sent combien il lui est important de ranger Damet et Lycénion de son parti et combien ses discours feroient peu d’impression sur des cœurs glacés par l’age et fermés sans retour aux attraits du plaisir. Il transforme donc soudain Damet en jeune Berger et il opère le même prodige sur Lycénion ; par cette métamorphose, l’un et l’autre se trouvent ramenés à cet âge heureux, où le cœur s’ouvrant au plaisir est l’image de la rose qui s’épanouit au soufle léger du Zéphyr.
Ces deux êtres nouveaux se prosternent aux pieds de l’Amour, pour lui témoigner leur reconnoissance, et les trois Arcadiennes, enchantées de ce qui vient d’arriver, ne regardent le fils de Vénus que comme un dieu bienfaisant. Dans le même instant, la cabane se transforme en une superbe gallerie ; toutes les colonnes sont de pierres précieuses enrichies des métaux les plus recherchés, et entourées de pampres, de vignes, de guirlandes de roses et de lacs d’Amour formés de myrthe et de jasmin. A cette métamorphose à la quelle le dieu de Paphos n’a point de part, {p. 87}il reconnoît la présence invisible de sa mère et celle de Bacchus dispensateur de la gaité.
Par un nouveau prodige, un nuage léger cache, pendant quelques, instants les filles de Lycénion ; insensiblement il se dissipe, et l’Amour voit les Graces. Ce ne sont plus les jeunes Arcadiennes, ce ne sont plus de simples Bergères, ce sont des divinités : une jeunesse immortelle brille dans leurs yeux ; une robe tissue par les Zéphyrs et ornée par Flore voltige autour d’elles, les colombes de Vénus volent et traversent les airs, tenant dans leurs becs des couronnes de roses, qu’elles viennent poser sur la tête des Graces : l’Amour enchanté se précipite dans leurs bras, et s’écrie en les embrassant ; Vous êtes mes sœurs, vous êtes les Graces !
Scène V. §
Tant de prodiges excitent la curiosité des Bergers et des Bergères ; ils accourrent en foule, et frappés d’étonnement à l’aspect de toutes ces merveilles, ils expriment leur admiration, leur ravissement et leur respect.
L’Amour ne veut point abandonner l’heureux séjour de l’Arcadie sans y instituer des fêtes et des jeux qui perpétuent à jamais le jour fortuné qui l’a uni aux Graces ; il ordonne aux Bergers de le suivre ; les Bergères accompagnent de leur côté les Graces et s’embellissent en marchant sur leurs pas.
Scène VI. §
Un ancien Roi d’Arcadie avoit ordonné qu’on célébrât une fête annuelle, mêlée de jeux et de danses, dans la quelle le Berger le plus beau, le plus leste et le plus adroit seroit couronné des premières roses du printems : ce jour étoit arrivé ; l’Amour inspiré par les Graces, trouve qu’il manque quelque chose à cette institution, que la beauté y est oubliée et que c’est une injustice qu’il faut réparer ; il ordonne donc qu’à l’avenir la plus belle des Bergères recevra une couronne de roses de la main du Berger, qui aura remporté le prix accordé à l’élégance, à l’adresse et à l’agilité. Cet ordre est suivi : tous les Bergers applaudissent à l’idée de l’Amour ; toutes les Bergères en rougissent de plaisir et la joye et la reconnoissance se peignent dans leurs yeux.
Philis, jeune insensible, qui paroissoit moins connoître le désir de plaire qu’aucune de ses compagnes, étoit celle qui avoit le plus de droit au prix de la beauté ; le jeune Daphnis, aussi beau et aussi timide que Philis étoit belle et insensible, l’aimoit avec ardeur et la suivoit depuis deux printems ; mille fois {p. 89}il s’étoit approché d’elle pour lui découvrir ses feux et mille fois sa timidité l’avoit empêché de les lui dévoiler.
L’Amour, avant de quitter l’heureux séjour de l’Arcadie et le berceau des Graces, voulut couronner la constance de Daphnis, en disposant le cœur de Philis à la tendresse et en ouvrant son ame aux charmes du plaisir, toujours délicieux, quand il est l’ouvrage du sentiment.
Scène VII. §
Philis triste et rêveuse, fixe un rameau sur le quel sont perchées deux tendres tourterelles, image la plus belle de l’Amour et de la fidélité ; puis détournant les yeux, elle considère deux cygnes qui folâtrent sur les eaux d’un bassin rustique ; elle apperçoit sur un autre bassin un autre cygne, qui seul et sans compagne, paroît livré à la tristesse. Sa vue se portant de là vers le sommet d’une montagne, elle y découvre un Berger occupé du tendre soin de couronner sa Bergère et de l’orner de fleurs, que le plaisir semble faire éclore autour d’elle. Un peu plus bas elle voit un Berger qui brise son chalumeau, et qui exprime ce que la douleur et la langueur ont de plus touchant. Tous ces tableaux variés qui lui sont offerts par la nature, excitent ses réflexions, elle se méconnoît dans les uns, elle se retrouve dans les autres ; le jeune Daphnis caché derrière un buisson de fleurs observe son amante.
Scène VIII. §
Le moment est favorable ; Philis plongée dans une douce rêverie, et le cœur ému du spectacle que la nature vient de lui offrir, seroit sans doute, moins fière et moins farouche ; l’Amour presse, il entraîne le Berger, mais sa timidité rallentit ses pas ; la crainte de déplaire à Philis le fait fuir et il va se cacher dans le bosquet.
L’Amour voit qu’il lui faudroit trop de tems pour vaincre la timidité du Berger, s’approche doucement de la Bergère et se place à ses cotés. Philis, la tête appuyée sur un de ses beaux bras, et livrée aux sentimens divers qui remplissent son âme, ne voit et n’entend rien ; vainement l’Amour frappe du pied, tousse et soupire ; plongée dans ses réflexions elle n’écoute que son cœur. Le dieu s’approche de plus près ; il agite ses ailes, et l’air frais et délicieux qu’elles répandent autour de la Bergère semble lui donner un nouvel être. Elle se retourne en soupirant et apperçoit l’Amour. Dans sa surprise elle hésite et ne sait si elle doit rester, ou fuir ; un charme enchanteur la relient ; elle considère avec admiration et avec plaisir l’enfant dangereux ; il est le plus beau et le plus touchant qu’elle ait vu jusqu’alors ; ses cheveux bouclés dont l’ambroisie s’exhale, les ailes dorées qui couvrent ses épaules d’albâtre, son petit arc, ses flèches, son carquois, tout attache ses regards, fixe son attention ; et la sensibilité succède bientôt à1’admiration ; elle serre tendrement dans ses bras l’aimable enfant et elle se sent animée par un {p. 91}sentiment qui lui est inconnu ; elle ne veut plus enfin quitter l’Amour, et la crainte qu’elle a, que cette espèce d’oiseau charmant ne lui échappe, lui fait naître l’idée de lui couper les aîles. A l’aspect du danger dont il est menacé, l’Amour frémit, il tombe en pleurant aux genoux de Philis et il la conjure, au nom de la beauté, dont elle est l’image, de ne point le priver d’un ornement qui lui est cher.
Philis attendrie et touchée par les larmes de l’Amour ne peut résister à ses prières ; ses ailes sont conservées ; mais, par un autre caprice elle en arrache une plume. L’Amour pousse un cri, et Philis après s’être ornée le sein de cette plume fatale, passe autour du col du petit dieu un ruban et le mène en laisse en jouant avec lui et en lui prodiguant d’innocentes caresses.
L’Amour, pour se venger du mal qu’elle vient de lui faire et pour servir en même temps Daphnis, tire malicieusement une fléche de son carquois : Philis qui commence à devenir curieuse, veut tout apprendre se saisît de la fléche ; elle en examine la forme et voulant indiscrètement savoir si elle est aigue, l’enfant malin, qui la guette, lui pousse le bras et la lui fait entrer dans le bout du doigt. Philis jette un cri, pousse un soupir, se plaint de la noirceur de l’Amour et enveloppe le mal du coin de son tablier, en gémissant et en laissant couler quelques larmes.
L’Amour appelle Daphnis qui d’un clin d’œil se transporte aux pieds de Philis ; elle l’apperçoit et {p. 92}rougit ; le Berger lui prend la main, elle le repousse d’un bras mal assuré avec la fierté de l’innocence. Daphnis enhardi par l’Amour ne se rebute point ; Philis cède ; sa fierté se change en pitié et bientôt cette pitié devient tendresse : ses beaux yeux, qui n’étoient ouverts que pour se fixer avec indifférence sur les objets tranquilles de la nature, s’arrêtent avec complaisance sur le Berger, dont les charmes lui paroissent nouveaux.
Scène IX. §
L’Amour qui est allé chercher les Graces, pour les rendre témoins de cette union, paroît dans le lointain avec ses aimables sœurs : leur présence embellit tout, leur influence répand sur tous les objets de nouveaux attraits. Rien aux yeux de Daphnis n’est aussi beau que Philis ; rien aux yeux de Philis n’est aussi beau que son Berger. Enivrés de leur bonheur mutuel ils se jurent une tendresse éternelle, et ils éprouvent l’un et l’autre ce sentiment délicieux, qui n est vivement senti, que lorsque l’Amour règne sur le cœur de concert avec les Graces.
L’instant des jeux est annoncé par une musique douce et champêtre, et le coteau se garnissant de Bergers et de Bergères, Philis et Daphnis se séparent pour joindre chacun leur troupe et se jurent encore en se quittant de s’aimer à jamais.
Scène X. §
Déjà le coteau est rempli d’une foule de Bergers, qui, en le descendant, font place aux Bergères. Lorsqu’ils ont gagné la plaine, ils se disposent à y commencer leurs jeux. De vieux Arcadiens, et de vieilles Arcadiennes se placent en ordre comme juges au bas de la montagne, pour décerner la couronne au vainqueur ; les Bergères se rangent sur la colline. L’Amour et les Graces président à cette fête.
Les jeux commencent ; on tire de l’arc ; on se livre ensuite à la lutte, et on finit les exercices par des danses, formées autour des statues d’Apollon, et d’Hyacinte. Les Bergères peignent tour-à-tour leur tendre inquiétude, chacune fait des vœux pour son Berger. Cependant le moment de la décision approche, les juges se lèvent et vont prononcer ; le trouble augmente parmi les Bergères ; partagées en petits groupes, elles attendent avec timidité l’instant qui va nommer le vainqueur.
Les voix sont recueillies ; on prononce enfin ; Daphnis obtient le prix et la joye brille dans les yeux de Philis. Le son des haubois, des flûtes et des chalumeaux porte au loin le triomphe du Berger ; l’echo fait retentir son nom ; Philis le répéte tout-bas et son cœur lui répond. L’allégresse règne parmi les compagnons du vainqueur, ils dansent autour de Daphnis ; ils le couronnent et le conduisent en triomphe, sous une espèce de baldaquin de fleurs.
{p. 94}Les Bergères descendent à leur tour du coteau, précédées par l’Amour et par les Graces ; Philis inquiète et tremblante n’ose lever les yeux, et si par hazard elle les lève, ce n’est que pour regarder les filles de Lycénion et pour se dire qu’elles seules méritent la préférence. Cependant Aglaé qui devine le sujet de ses inquiétudes, vole à elle, la serre dans ses bras et la rassure, en lui faisant entendre, qu’on ne trouve beau que ce qu’on aime et qu’elle doit ne rien craindre du cœur de son Berger.
Les danses commencent. Les Bergers sont placés sur le coteau pour voir les jeux ; les Bergères se disputent le prix de la course, d’autres celui du tambourin ; celles-ci forment des danses avec des guirlandes, tandis que celles-là tracent en dansant avec des cerceaux garnis de roses, différentes figures variées, les Graces présentes à ces jeux, les embellissent encore en formant sous les berceaux différentes figures pittoresques. Moins jalouses de plaire que de prêter de l’éclat aux Bergères, leur présence est plus marquée par les charmes qu’elles leur communiquent que par les leur propres. L’influence secrette de ces immortelles répand sur toute l’assemblée un esprit de bienveillance et de gaité. Point de jalousie, point de tracasserie, point d’amour-propre, point de coquéterie : chaque Bergère paroît moins s’enorgueillr de ses attraits que de ceux de sa compagne : ce prodige est opéré par les Graces ; ces sentiment sont leur ouvrage.
{p. 95}Des Bergers descendent de la colline ; le beau Daphnis paroît couronné de roses ; il aborde les filles de Lycénion, et leur dit que leur beauté mériteroit la préference ; mais qu’il n’a qu’une couronne et que l’Amour le rend injuste ; puis cherchant avec l’empressement du désir sa chère Philis qui, par modestie, s’est cachée derrière ses compagnes, il vole à elle, la tire de la foule, lui pose la couronne sur la tête et tombe à ses pieds.
Philis rougit ; elle prétend moins au prix de la beauté qu’au cœur de son amant ; un sentiment de justice la détermine ; elle s’échape des bras de Daphnis pour courir vers les Graces ; elle voudroit avoir trois couronnes à leur offrir, elle marque son embarras, elle regarde l’amour, et par le pouvoir de ce dieu, sa couronne se multiplie : chacune des Graces en reçoit une ; mais enchantées de la modestie touchante de Philis, elles la couronnent elles-mêmes de leur main divine. L’Amour qui applaudit au choix de Daphnis, l’enchaîne à Philis avec une guirlande de roses, et les unit l’un à l’autre. On se livre de nouveau à des danses qui expriment tout à la fois la joye, le plaisir et l’enjouement.
Scène XI. §
Un prodige inattendu interrompt la fête : Vénus paroît sur un nuage doré porté par les Zéphirs ; elle est accompagnée des jeux, des ris, des plaisirs, et une {p. 96} foule de petits Amours s’empresse à la couronner. A cet aspect, le dieu de Cythère vole aux Graces, il les prend par la main et les conduit à la mère. Un bois de roses naissantes s’élève sous les pas du fils de Vénus et des trois immortelles et leur fraye une route de fleur qui les conduit à la cour céleste. L’Amour je jette dans les bras de sa mère et lui présente ses charmantes sœurs, qui, après avoir reçu de la déesse les plus tendres caresses, se grouppent autour d’elle. Tous les Bergers s’approchent du bois ; ils y cueillent les roses que l’Amour fait éclore ; ils en ornent les cheveux de leurs Bergères, et des rameaux fleuris qu’ils arrachent, ils forment des berceaux, des couronnes et des guirlandes. Philis, Daphnis, Lycénion et Damet se prosternent aux pieds de Vénus, de l’Amour et des Graces ; tous les Bergers et toutes les Bergères s’empressent à leur rendre le même hommage ; les trois aimables sœurs leur promettent de règner toujours invisiblement parmi eux, de se mêler à leurs danses et d’embéllir leurs fêtes.
Elles leur recommandent de célébrer tous les ans celle que l’Amour vient d’instituer, et les assure que la récompense qui vient d’être accordée à la plus belle sera désormais le prix de la plus vertueuse.
Tous les Bergers et toutes les Bergères étendent les bras vers ces divinités bienfaisantes, qui se frayant une route dans les airs, disparoissent avec les groupes de nuages et de zéphirs qui les environnent.
{p. 97}Dans le même instant un temple et un autel consacrés aux Graces s’élèvent de dessous terre. Un grouppe qui offre l’image de ces immortelles, paroît ensuite derrière l’autel, il les représente enchaînées l’une à l’autre et se tenant par les mains. Les Bergers enchantés de ce nouveau prodige expriment leur joie et leur félicité. Philis et Daphnis unis à jamais, sont les premiers à orner de festons et de guirlandes l’autel des Graces ; ils y déposent leurs couronnes ; ils se rejoignent ensuite aux Bergers et se livrent à des danses, qui caractérisent l’expression naïve d’une joie pure. Cette fête Anacréontique est terminée par un grouppe général enrichi de tous les accessoires que la puissance de l’Amour leur a prodigués pour orner leurs Bergères et pour embellir leurs jeux.
FIN.
Renaud et Armide.
Ballet héroïque §
Personnages. §
- Armide.
- Renaud.
- Le chevalier danois.
- Un esprit sous la figure deLucinde.
- Esprits, et démons sous les formes agréables desPlaisirs, de Nymphes et de Nayades.
- L’Amour.
- La Haine, la Fureur, la Vengeance.
- Esprits sous la forme desGraces.
Acte I. §
Scène I. §
Renaud ayant délivré les captifs d’Armide, cette magicienne prit la résolution de s’en venger : elle attira par les charmes de son art le jeune guerrier sur les bords de l’Oronte ; Renaud s’y arrête : une inscription gravée sur une colonne de marbre frappe ses regards, et excite sa curiosité1, il entre dans une petite barque, la laisse voguer au courant du fleuve et aborde dans l’isle pour y jouir des prodiges que l’inscription annonçoit. Renaud ne trouvant dans cet endroit aucune des merveilles promises, se dispose à regagner le rivage.
Scène II. §
Les Nayades sortent du sein des eaux et se frayent un passage à travers les roseaux. Des buissons de roses et des arbres fleuris s’entr’ouvrent ; les Nymphes s’en échappent, et toutes s’empressent à séduire le jeune héros ; les tableaux voluptueux que ces Nymphes lui peignent, les grouppes variés qu’elles forment au tour de lui, l’enchantent et le séduisent ; elles désarment Renaud et se servent de son épée de son {p. 102}casque et de son bouclier, pour embellir leurs jeux, leurs attitudes et leurs positions ; elles le couronnent de fleurs et elles l’enchaînent avec des guirlandes.
Scène III. §
Armide paroît et triomphe. Une vapeur soporifique s’empare des sens du jeune guerrier. Les Nymphes le conduisent sur un lit de verdure ombragé par des arbres ; il s’endort et les Nymphes s’empressent à lui peindre les songes les plus agréables.
Armide qui s’étoit cachée derrière un bosquet, vole vers sa proye pour lui porter mille coups ; mais son bras est arrêté par un charme plus puissant que tous ses enchantemens ; elle se reproche sa faiblesse, elle veut une seconde fois frapper sa victime, mais les traits aimables de Renaud, un sourire enchanteur tel que celui que le plaisir et l’amour impriment sur la physionomie, suspendent le coup ; le fer échappe de la main d’Armide ; sa rage fait place aux sentimens les plus tendres ; son cœur qui respiroit la vengeance ne respire plus que 1’amour. Elle va s’asseoir près du jeune héros ; elle 1’enchaîneavec des guirlandes et le transporte dans son palais.
Acte II. §
Scène I. §
Cette Princesse paroît avec son vainqueur ; ils sont entourés par un cortège enchanté et voluptueux ; es jeux, les plaisirs, les graces, l’amour et une foule {p. 103} d’amans fortunés composent leur suite et peignent par leurs attitudes et leurs jeux la félicité dont ils jouissent. Ces images séduisantes font sur le cœur du jeune guerrier l’impression la plus vive. Les tableaux animés du plaisir effacent de son ame l’amour de la gloire ; ils préfére les roses aux lauriers ; on orne son vêtement de fleurs ; on le couronne de myrthe ; et enivré de son bonheur, il se jette aux genoux d’Armide. Ces deux amans expriment que rien n’egale leur bonheur. Ils quittent ainsi que leur suite le lieu de la scène, pour parcourir tous les endroits délicieux du jardin enchanté(1).
Scène II. §
Ubalde et le chevalier Danois ayant surmonté à l’aide d’un verge d’or les obstacles que la magie leur avoit élevés, paroissent dans ce jardin ; mais ils sont {p. 104}arrêtés par des Nymphes ; elles les invitent à quitter la gloire pour s’abandonner aux plaisirs ; les Graces et l’Amour entourent Ubalde ; il ne resiste que bien foiblement aux pièges de la volupté, et par une force supérieure, il est entraîné vers les objets délicieux qui s’offrent à lui ; il va céder à l’impression de leurs charmes ; mais le chevalier Danois s’empare de la verge d’or ; il l’agite, et les fantômes voluptueux disparoissent à l’instant.
Scène III. §
Les deux guerriers vont poursuivre leur entreprise, lorsqu’une Nymphe sons la forme et la figure de Lucinde, jeune Danoise, tendrement aimée du chevalier, l’aborde avec l’empressement du désir ; elle lui rappelle ses sermens, elle lui exprime sa tendresse. Le chevalier Danois oublie tout pour se livrer au plaisir de voir et de retrouver ce qu’il chérit. C’est en vain qu’Ubalde emploie les remontrances pour l’éloigner des charmes qui séduisent sa raison, il n’écoute rien ; Lucinde l’engage à. suivre ses pas ; mais au moment où il se dispose à l’accompagner, Ubalde secoue la baguette d’or ; la fausse Lucinde disparoît, l’illusion cesse, et le chevalier, honteux de cet instant d’égarement, se retire avec Ubalde, en se reprochant sa crédulité et sa foiblesse.
Acte III. §
Scène I. §
Armide et son amant sont suivis du plus brillant cortège ; ils se placent sur un sopha ; les Jeux, les Plaisirs, les Nymphes, les Graces et les Amours s’empressent à l’envi à exécuter des danses, et à se groupper de diverses manières autour de Renaud et d’Armide. Cette magicienne tient un miroir qui lui a été présenté par l’Amour ; elle y admire les traits réfléchis de Renaud ; le jeune guerrier y cherche à son tour ceux de son amante ; leurs yeux s’y rencontrent ; ils y lisent mutuellement les signes de leur bonheur. Armide emploie tout ce que l’art et la coquéterie peuvent avoir de séduisant, lorsqu’elle est accompagnée par les Graces. Renaud enchanté de sa félicité l’exprime par son action.
Cependant Armide le quitte pour un instant, elle doit vaquer à quelque mystère magique préparé pour lui assurer la possession constante de Renaud. Ce n’est qu’avec douleur qu’il voit cette absence momentanée ; l’Amour dont il brule pour Armide est si violent, que l’idée d’en être séparé un instant, jette le trouble dans son âme.
Scène II. §
Ubalde et le chevalier Danois qui ont été présens à ce qui vient de se passer, s’avancent vers Renaud ; {p. 106}à leur aspect, il reste interdit et confus. Ubalde lui présente le bouclier de diamants ; le jeune héros n’a pas plutôt jette les yeux sur ce miroir fidèle qui a la vertu de démasquer les foiblesses et les vices, qu’il recule de honte ; la vue de son ajustement efféminé et des guirlandes dont il est orné, l’enflamme de colère ; il arrache ses vêtemens, il brise sa couronne, il déchire ses guirlandes, et se hâte de se dépouiller de tous les vains ornemens qui ternissent sa gloire.
Le chevalier Danois, profitant de cet instant, fait briller à ses yeux les armes qu’il lui apporte ; Renaud s’en saisit avec transport ; il abhorre sa faute, il déteste sa passion, il regrette les jours qu’il a dérobés à la gloire, à l’honneur et à son devoir, et qu’il a honteusement passés dans la mollesse ; il embrasse les deux chevaliers, et les conjure de l’arracher d’un lieu où son cœur pourroit courir encore quelques nouveaux dangers.
Scène III. §
Ils vont partir, lorsqu’Armide instruite par son art de ses malheurs, paroît avec précipitation. Renaud, qui craint de succomber aux attraits séduisans de la magicienne, détourne ses regards et n’ose lever les yeux ; elle l’accable de reproches ; elle passe à la prière ; elle se précipite même aux pieds de Renaud, qui, vivement ébranlé et le cœur flottant {p. 107}entre l’amour et la gloire, ne résiste que foiblement aux nouveaux pièges, que la volupté lui présente. Ses amis, honteux de sa foiblesse, emploient de leur côté tout ce qui peut le ramener à son devoir : ils l’arrachent des bras d’Armide, à la quelle il fait les plus tendres adieux. Cette amante éplorée, ne pouvant soutenir, sans mourir, l’idée désespérante du départ de celui que son cœur idolâtre, tombe évanouie. A cette vue Renaud se dégage des bras des deux chevaliers pour voler aux genoux de sa maîtresse ; il s’y précipite, il prend ses mains ; il les arrose de ses larmes et fait de vains efforts pour la rappeller à la vie. Les deux chevaliers indignés de la foiblesse de Renaud, lui présentent de nouveau le bouclier de diamans et l’arrachent enfin des pieds d’Armide. Le départ de Renaud est accompagné de tous les regrets d’un cœur fortement épris, et qui sacrifie à son devoir l’objet qu’il aime. Ce héros s’éloigne à pas lents en regardant sans cesse Armide, et en peignant tous les sentimens qui déchirent son cœur.
Scène dernière. §
Armide en revoyant la lumière ne peut plus douter de l’inconstance de son amant ; c’est envain qu’elle l’appelle et qu’elle éclate en reproches. Désolée de la perte qu’elle vient de faire, elle se livre à tous les sentimens qu’inspire le désespoir. Elle évoque la haine, la fureur et la vengeance. Ces filles de l’enfer accourent et obéissent à sa voix. Armide {p. 108}brise le carquois et les Haches de l’Amour ; elle met en pièces son bandeau, et s’armant du flambeau de la vengeance, elle embrase son palais. Le tonnerre gronde, les éclairs percent la nue, une pluie de feu tombe avec fracas et accèlere les flammes ; Armide monte sur son char ; la vengeance, la haine et la fureur se grouppent à ses côtés ; elle se fraye une route dans les airs. Dans cet instant tout le palais s’écroule, et l’on n’apperçoit qu’un désert épouvantable habité par des monstres.
FIN.
Adèle de Ponthieu.
Ballet tragi-héroïque, en quatre actes. §
Avant-propos. §
Le spectacle héroïque de l’ancienne chevalerie formera toujours un spectacle intéressant, lorsqu’il sera présenté à une nation qui aime l’honneur et qui chérit la gloire. C’est à ces deux vertus que cet ordre auguste dut sa naissance ; formé par la noblesse il fut, ce qu’il devoit être, l’école de l’héroïsme. Amour de la patrie, dévouement pour son Roi, religion, désintéressement, humanité après la victoire, respect pour les dames, dont les chevaliers défendoient la vertu au péril de leurs jours ; tels étoient les fondemens respectables de cette institution. Ce n’étoit qu’après des épreuves longues et pénibles, qu’après avoir donné des marques eclatantes d’honneur et de vertu, que l’on pouvoit parvenir au grade de chevalier.
Si les jeux institués dans la Grèce firent germer l’amour de la gloire et de la patrie ; si l’espérance d’un triomphe passager fit éclore tant de grands hommes, et donna tant de défenseurs à la république Romaine ; quels effets ne dut pas produire sur une noblesse guerrière, le spectacle magnifique des Tournois ? ils furent adoptés dans toutes les cours de l’Europe ; et la chevalerie étoit si recommandable sous le règne de {p. 112}François I, que ce Prince, rival de Charles Quint, voulut être fait chevalier après la bataille de Marignan.
Tout change et dégénère ; une institution si belle a subi le sort de toutes les choses humaines, elle ne subsiste plus ; mais on se souvient encore, et l’on se rappellera toujours avec regret, que les siècles de la chevalerie furent les siècles d’honneur et de la galanterie.
Après cette esquisse légère, je crois devoir tracer celle du sujet que j’ai choisi. J’espère qu’il aura d’autant plus de succès qu’il est offert à une nation qui a le courage pour armes, et l’honneur pour devise.
Sujet du ballet. §
Renaud, Comte de Ponthieu, a promis Adèle sa fille à Alphonse, chevalier étranger. Raymond de Mayenne adore Adèle et n’a jamais osé lui. faire l’aveu de ses tendres sentimens. Adèle, contrainte à son tour par une inclination que son cœur a combattue, mais qu’il n’a jamais pu vaincre, aime tendrement Raymond. Alphonse les surprend dans le moment, où ils se déclarent leur amour. Ce chevalier, violent et emporte, se livre sans ménagement à tous les excès de la jalousie et de la fureur ; il insulte son rival, Adèle et Renaud. Celui-ci oubliant le poids de ses ans, veut tirer vengeance de l’affront dont Alphonse le couvre. Raymond s’y oppose ; il prend la querelle de Renaud, et défie Alphonse qui accepte le combat. Mais Raymond n’étant encore qu’écuyer, ne peut, suivant les loix de la chevalerie, se mesurer en champ-clos avec un chevalier. Il supplie Renaud de le décorer de ce titre honorable. Il est armé chevalier avec toute la pompe due à son rang. Les deux champions paroissent dans le champ-clos, armes de pied-en-cap, et après un combat aussi furieux qu’opiniâtre, Alphonse est tué par Raymond. Adèle est le prix glorieux du vainqueur.
Personnages. §
- Renaud, Comte de Ponthieu, père d’Adèle.
- Adèle de Ponthieu.
- Raymond de Mayenne, amant secret d’Adèle.
- Gabrièle, sœur d’Adèle.
- Alphonse, chevalier Espagnol, à qui Adèle est promise.
- Dames de la cour d’Adèle.
- Chevaliers.
- Hérauts d’armes.
- Juges du camp.
- Ecuyers.
- Pages.
Acte I. §
Scène I. §
Des chevaliers et des dames magnifiquement vêtus, entrent successivement dans ce sallon. Ils précèdent Alphonse, Renaud et Adèle. Chacun s’empresse à féliciter ce couple heureux, que l’hymen doit incéssamment unir On se livre à des danses : elles sont interrompues par Renaud qui présente la main à Alphonse, comme un gage sacré de la promesse qu’il lui fait de lui accorder Adèle. Alphonse tend à son tour la sienne à Renaud, en témoignage de sa foi. Après cette cérémonie, qui étoit pour les chevaliers l’engagement le plus saint, Renaud s’approche de sa fille, pour lui ordonner de confirmer le don qu’il vient de faire de sa main ; mais au moment qu’Alphonse se dispose à recevoir sa promesse, Adèle tombe évanouie dans les bras de son père. On vole à son secours ; on la conduit dans son appartement, et tout le monde se disperse.
Scène II. §
Alphonse interdit, se livre à des inquiétudes ; elles font place aux soupçons. Les premières étincelles de la jalousie semblent l’éclairer sur l’indifférence d’Adèle. Il sort dans la résolution de pénétrer un mystère, dont la seule idée le fait frémir de honte et de fureur.
Acte II. §
Scène I. §
Elle profite de l’instant ou elle est seule, pour écrire à Raymond. Elle l’engage à se déclarer à son père ; elle lui promet de mettre tout en usage pour le fléchir, et pour le déterminer à rompre l’hymen malheureux qui doit l’arracher pour toujours à ce qu’elle aime. Elle confie ce billet à une de ses femmes, dont elle connoît la fidélité et le zèle.
Scène II. §
Dans le moment où elle lui commande le secret et la vigilance, elle apperçoit Raymond qui, instruit de ce qui s’est passé, vole à son secours. Interdite, tremblante, indécise et confuse, elle ne sait quel parti prendre ; elle balance dans son cœur les loix austères de la vertu avec les égaremens de l’Amour ; elle veut reprendre sa lettre ; mais Raymond, agité par cette impatience ordinaire aux amans, s’en saisit, en fait la lecture avec empressement, et se précipite à ses genoux, pour lui témoigner son amour et sa reconnoissance.
Scène III. §
Alphonse paroît ; ce chevalier d’un caractère violent et emporté, est confirmé dons ses soupçons. Sans entrer dans aucun détail, il accable Adèle de reproches ; il pousse l’injure jusqu’à attaquer sa vertu : il insulte Raymond, et se livre sans ménagement à tous les excès de sa fureur.
Scène IV. §
Renaud, qui arrive, devient aussi la victime des emportemens d’Alphonse. Celui-ci, qui le croit complice de l’inconstance Adèle, le charge d’outrages ; il l’accuse de félonie en manquant à sa parole. Cette injure, la plus sensible que l’on pût faire à un chevalier, pénétre Renaud d’indignation et de colère. Il oublie le poids de ses ans, il met l’épée à la main, et s’élance sur son ennemi, pour laver dans son sang le déshonneur dont il vient de le couvrir. Adèle se jette au milieu des combattans ; elle embrasse les genoux de son père. Raymond indigné se précipite aux pieds de Renaud, et le supplie de le laisser embrasser une querelle qui est la sienne, et qui lui est d’autant plus glorieuse, que sa juste vengeance et sa victoire le rendront digne de la main d’Adèle. Raymond délie le fier Alphonse ; il lui jette son gant. Alphonse le ramasse avec mépris, et veut bien accepter le Cartel, quoi qu’il ne lui soit pas proposé par un chevalier. Il quitte la scène comme un furieux, en provoquant son rival au combat. Celui-ci se jette dans les bras de Renaud et le supplie de lui accorder le grade de chevalier.
Acte III. §
Raymond n’étant point encore initié dans l’ordre des chevaliers, Renaud veut l’y recevoir. Tout est préparé pour cette auguste cérémonie. Un grand {p. 118}nombre de dames et de chevaliers sont invités à cette réception.
Raymond se met à genoux ; Renaud lui présente une épée nue, sur la quelle il lui fait prêter le serment usité, et après l’en avoir frappé de deux ou trois coups sur l’épaule, il lui donne l’accolade. Les chevaliers s’empressent autour de Raymond. Les dames lui présentent les différentes pièces de son armure. Adèle le pare de ses couleurs. Cette cérémonie est suivie de danses caractéristiques et guerrières.
Le nouveau chevalier, animé par la gloire, armé par l’Amour, impatient, de venger Adèle et son père, part avec la noble assurance d’un héros qui va combattre pour l’honneur et pour la beauté. Adèle inquiète sur le succès du combat, ne peut s’empêcher de montrer quelque trouble : mais rappellant son âme à des sentimens héroïques, elle remet sa défense entre les mains de Raymond, et semble ne plus douter de la victoire.
Acte IV. §
Scène I. §
Une marche guerrière et triomphale annonce l’arrivée des champions. Les chevaliers et les dames se placent sur les gradins. Le peuple se disperse sur {p. 119}l’amphithéatre. Les juges du camp occupent l’estrade. Les deux champions paroissent et sont précédés des hérauts d’armes ; leurs parrains les accompagnent. Adèle et Renaud ferment cette marche.
Les instrumens se taisent. Un silence profond qui en impose, et fait naître le trouble et l’espérance, ajoute à la pompe du spectacle. Adèle le rend surtout intéressant : soutenue dans les bras de son père, et les yeux élevés vers le ciel, elle fait des vœux pour son amant : tout le peuple en fait pour elle. Raymond par sa démarche fière et assurée semble lui promettre la victoire, et lui montrant les couleurs dont elle l’a paré, il lui jure qu’elles sont le garant de son triomphe et de son bonheur.
Scène II. §
Une musique bruyante se fait entendre. On ouvre la barrière. Les deux chevaliers, accompagnés des hérauts d’armes et des parrains, entrent dans la lice. Ils se mettent à genoux ; ils jurent d’observer les loix sacrées de l’honneur et de se pardonner mutuellement leur mort. Les parrains leur présentent des armes égales : ils placent les combattans aux deux extrémités du champ-clos ; on ferme la barrière, un nouveau silence règne. Ce moment tranquille et effrayant annonce celui du combat, et redouble l’effroi d’Adèle. Le bruit éclatant des timbales et des trompettes est le signal de la mort. Les deux chevaliers armés de pied en cap, et la hache à la main, s’élancent l’un sur l’autre avec rapidité. Après des coups {p. 120}portés avec vigueur et pâtés avec adresse, ils parviennent à se couper mutuellement les courroies de leurs cuirasses : elles tombent à-demi : ils les arrachent avec fureur : ils jettent loin d’eux leurs haches et leurs boucliers, et mettent l’épée à la main. Raymond reçoit un coup furieux sur son casque ; il chancelle, il est prêt à tomber. Les acclamations du peuple, un cri perçant d’Adèle qui tombe mourante dans les bras de son père, rallument le courage et la fureur de Raymond. Il s’élance avec la rapidité de la foudre sur son adversaire, qui, ne pouvant résister à son impétuosité, reçoit le coup mortel. Raymond victorieux vole aux genoux d’Adèle. Elle revoit la lumière et son amant ; elle se jette dans ses bras pour n’en sortir jamais. Son père les unit. L’assemblée applaudit à cet hymen. On se livre à des danses ; et cette fête qui est le triomphe de la beauté, de l’amour et de la valeur, se termine par un pas général, qui peint la félicité des deux époux, la joie pure de Renaud, et l’intérêt tendre que les chevaliers et les dames prennent à cette union.
FIN.
Psyché et l’Amour.
Ballet héroï-pantomime. §
Personnages. §
- Psyché.
- Vénus.
- L’amour.
- Adonis.
- L’hymen.
- Mercure.
- Les Graces.
- Nymphes, Jeux, Ris et Plaisirs ; troupes d’Amours et de Zéphyrs.
- Les Euménides.
- Les Parques.
- Troupes de Démons.
- Prêtres et Prêtresses de l’Hymen.
- Divinités célestes.
Argument. §
Ce sujet est assez connu, pour me dispenser d’en donner un programme. On sait que Psyché étoit d’une beauté rare ; que Vénus en devint si jalouse, qu’elle employa tout son pouvoir pour la persécuter, que l’Amour frappé des charmes de Psyché, conçut pour elle la passion la plus vive, et qu’il se détermina à l’épouser ; que la curiosité de cette jeune Princesse pour connaître son vainqueur, qui ne la voyoit que la nuit, excita pendant quelque tems la colère de ce dieu, et qu’il l’abandonna quelques instans ; on n’ignore pas, dis-je, que Venus profita de ce moment, pour s’abandonner à sa vengeance, et qu’elle livra la malheureuse Psyché aux fureurs des divinités infernales ; qu’indépendamment des tourmens que les furies lui firent éprouver dans ce séjour de douleur, elle y perdit encore ses charmes et sa beauté ; que l’Amour toujours tendre et toujours épris se fraya une route dans les enfers, qu’il y enleva Psyché prête à perdre la vie, qu’il la transporta dans le palais de Vénus, qu’il reconcilia enfin cette divinité avec Psyché, qui recouvra sa fraîcheur et ses charmes : et que l’Amour l’épousa.
Je préviendrai la critique juste et éclairée des artistes, en leur annonçant que j’ai supprimé les ailes que les poëtes et les peintres donnent quelquefois à Psyché, et toujours à l’Amour ; je dirai que chaque art a sa magie et ses règles de convenance ; que les ailes de Psyché se seroient opposées aux différens effets de mes grouppes ; cette raison m’a encore déterminé à supprimer les attributs que l’on prête à l’Amour. Dailleurs, dans {p. 124}cette circonstance, il a cessé d’être enfant ; il veut cacher à Psyché tout ce qui caractérise sa divinité ; il veut lui plaire comme mortel ; j’ajouterai, que ce dieu ayant formé le projet d’epouser Psyché et de lui être fidèle, il a été très prudent à lui de se défaire de ses ailes, symbole bien caractéristique de la légèreté, de l’inconstance et de l’infidélité.
Je n’entreprendrai point de rendre avec des phrases les tableaux, les situations et les grouppes perpétuellement variés de la scène nocturne du premier acte ; il faudroit beaucoup de mots pour exprimer un sentiment ou une pensée ; et il ne faut qu’un geste pour peindre l’un et l’autre ; la pantomime est une langue universelle, qui articule, pour ainsi dire, avec la rapidité de l’éclair. J’oserai seulement dire, que tout dans cette scène y est ménagé par la décence, qu’il n’y avoit qu’une ligne imperceptible à franchir pour choquer la bienséance et révolter la pudeur d’un sexe que le respect et l’honnêteté doivent également ménager. Au reste cette scène absolument neuve à la pantomime héroïque, peut être regardée, (si toutefois j’ai eu le bonheur de réussir,) comme le point géométrique au quel peut être poussé l’art du geste, et celui où il doit s’arrêter, pour donner une juste idée de la difficulté vaincue.
Première partie. §
Scène I. §
Psyché en habit de victime est enchaînée sur un rocher escarpé ; elle ne peut regarder sans frémir les précipices dont elle est environnée : accablée sous le poids de son infortune, elle étend les bras vers le ciel, elle implore son secours, et ne pouvant plus résister aux images effrayantes que son imagination lui trace, elle tombe presque mourante, dans l’attitude la plus propre à exprimer l’excès de sa douleur et de son désespoir.
Scène II. §
L’Amour, vivement épris des charmes de Psyché, ne peut être insensible à sa douleur ; il veut la soustraire aux dangers qui la menacent, et à la vengeance de Vénus : Il paroît avec Zéphyre, et lui ordonne de transporter Psyché dans son palais. Zéphyre a bientôt atteint la cime du rocher ; l’Amour d’un seul geste le change en un char brillant, qui soutenu par des nuages, s’élève et traverse les airs. Le dieu de Cythère, satisfait d’avoir dérobé Psyché aux tourmens que lui préparoit l’implacable jalousie de sa mère, quitte la scène en exprimant l’excès de son bonheur.
Seconde partie. §
Scène I. §
Psyché endormie sur de riches carreaux, est environnée par les Graces ; les Nymphes, les Jeux, les Ris et les Plaisirs ; leurs mouvemens, leur action et leurs danses légères lui tracent les tableaux variés du plaisir et de la volupté. Ces images séduisantes frappent son imagination ; elles ouvrent son cœur à la tendresse. Elle exprime dans son sommeil toutes les impressions délicieuses que la troupe enjouée se plaît à lui peindre(1).
Scène II. §
Un trait vif et brillant d’harmonie annonce l’Amour ; ce bruit éveille Psyché. Dans le même instant un léger nuage s’élève à sa droite ; il est surmonté par des Amours et des Zéphyres. Deux Nymphes tenant un miroir s’en approchent ; les Zéphyres le soutiennent ; et ce grouppe pyramidé est {p. 127}dessiné dans nn instant. Psyché fixe un regard étonné sur les objets enchanteurs qui l’entourent. Les Graces la parent d’une ceinture de diamans ; elles posent sur sa tête un diadême éclatant, de pierres précieuses ; elles ornent son habit de guirlandes de roses. L’Amour, caché derrière les Nymphes, jouit de la surprise, de la beauté et des graces de l’objet qui l’enchante ; mais quel est l’étonnement de Psyché, lorsqu’elle jette les yeux sur le miroir, le premier, sans doute, qu’elle ait vu ; elle se mire, elle se considère, elle recule, elle avance ; et sa physionomie, ses mouvemens et ses gestes étant répercutés par le miroir, elle ne peut concevoir qui peut produire cet enchantement ; elle réfléchit, et retourne au miroir ; elle y déployé ses graces ; elle prend des positions différentes : la glace les lui répète. Elle exprime tous les sentimens que l’influence secrète de l’amour lui inspire. Ce dieu paroît, et se place derrière elle ; les traits aimables de l’amour s’impriment sur le miroir : Psyché, qui n’a rien vu de si beau, trésaille d’admiration ; elle se retourne ; mais l’Amour a disparu. Elle ne voit plus que des Nymphes, et ne retrouve plus les traits de son vainqueur ; elle s’assied avec dépit et s’abandonne à ses réflexions.
L’image séduisante de l’Amour la rappelle bientôt à la glace : elle n’y voit qu’elle et les Graces ; mais les Graces ne sont pas l’Amour. Psyché est triste ; sa contenance annonce tout à la fois son amour et son affliction : l’enfant de Cythère lui avoit apparu en songe ; elle avoit retrouvé son image sur le miroir ; {p. 128}il a disparu, mais il est dans son cœur : l’Amour, vivement touché s’approche, et sa physionomie réfléchie pour la seconde fois par la glace, rappelle Psyché au bonheur : il lui tend la main, elle veut s’en saisir, et ne trouvant qu’une surface polie, elle se retourne avec précipitation : mais l’Amour a disparu ; le jour baisse ; et ce dieu ordonne à la cour brillante de Psyché de s’éloigner.
Psyché cherche à travers l’obscurité ou son vainqueur, ou une issue pour sortir des ténèbres ; mais elle trouve bientôt l’amour qui la quitte d’instant en instant, pour augmenter son trouble et son impatience, et qui revient toujours à elle, plus tendre, et plus empressé : C’est vainement que Psyché le presse de se faire connoître ; les refus de l’Amour sont constans ; il veut jouir de l’incognito.
A la fin de cette scène nocturne, dont il est impossible de décrire les situations variées et les tableaux qui en résultent, l’Amour se trouve soudainement accablé de sommeil. Morphée sollicité, sans doute par Vénus, répand avec profusion ses pavois sur les yeux de Cupidon ; ce dernier fait de vains efforts pour résister à une situation qui lui enlève le plaisir de voir ce qu’il aime. Il tombe endormi sur le Sopha placé dans le fond du palais. Psyché exprime sa surprise et son dépit ; mais animée par le sentiment de la curiosité, elle se retire doucement, et reparoît bientôt tenant une lampe à la main ; elle approche en tremblant, elle examine avec admiration les traits enchanteurs de l’Amour, une éteincelle de la lampe {p. 129}tombe sur sa cuisse, le brûle et l’éveille ; il se lève en fureur, il fuit Psyché ; c’est vainement qu’elle le presse, qu’elle le prie, qu’elle tombe à ses genoux ; l’Amour est inéxorable ; il sait dailleurs, que la curiosité de Psyché la livre à toute la vengeance de Vénus ; que dans cet instant, sa puissance est subordonnée à celle de sa mère ; il court et s’éloigne de ce qu’il adore, en exprimant tout à la fois et son courroux et l’intérêt le plus tendre.
Scène III. §
Psyché vole après son amant qui est soudainement remplacé par Tysiphone ; cette furie armée d’un poignard, poursuit sa nouvelle victime et lui annonce tous les tourmens aux quels elle est condamnée. Bientôt paroissent Mégère et Alecton suivies de deux démons : à la vue de Psyché, elles expriment leur joye barbare, elles se saisissent d’elle avec fureur, et ne pouvant l’arracher du palais de l’Amour, elles l’enlèvent pour la précipiter dans le séjour des morts. Cet enlèvement offre un grouppe contrasté d’expressions et de sentimens.
Troisième partie. §
Psyché fuit avec les pas précipités de la frayeur, les monstres qui la poursuivent ; ils l’atteignent bientôt ; ils se livrent à toute leur rage, et ils accumulent {p. 130}tourment sur tourment ; on l’attache à un rocher, et les cruelles Euménides, armées de fouets et de serpens, lui ordonnent de le déplacer et de le traîner vers le milieu de la scène : la malheureuse Psyché, succombe en obéissant à la tâche qu’on lui impose ; elle tombe mourante sur le même rocher ; les habitans des enfers font éclater leur joye ; ils délivrent Psyché de ses chaînes ; afin de prolonger ses tourmens et sa mort.
Psyché revenue à elle-même, cherche vainement à sortir de ce lieu d’épouvante et d’horreur ; ses genoux tremblans se dérobent sous elle ; elle tombe et elle invoque l’Amour : puis apperçevant les Euménides et les Démons étendus sur ses rochers et privés de mouvemens, elle s’imagine que ces monstres implacables sont endormis : elle se dispose à gravir la cime d’un rocher qui se prolonge en col de grue sur le fleuve ; mais la troupe infernale se lève, trépigne de rage, s’élance du haut des rochers, poursuit sa proye et l’atteint : Tisiphone s’en saisit.
Scène II. §
L’Amour, sensible aux larmes et aux maux de Psyché, s est rendu à ses instantes prières ; il paroît, et témoin du danger qui menace les jours de son amante, il ordonne à Tisiphone de lui rendre cet objet cher à son cœur. Cette furie se refuse aux vœux empressés de ce dieu ; il la menace, mais peu éffrayée de son courroux, elle précipite Psyché dans {p. 131}le fleuve, et s’y jette à son tour ainsi que ses deux farouches compagnes. L’Amour exprime son désespoir ; il jure par le Styx qu’il triomphera des Enfers et qu’il arrachera Psyché à la mort qu’on lui prépare : il disparoît.
Scène III. §
La terre s’en trouve et laisse un libre passage aux flammes qui s’en exhalent. Une troupe de Démons en sortent et. allument leurs torches aux feux qui s’élèvent de ce souterrain. Les Euménides tenant le bout des chaînes dont la malheureuse Psyché est chargée, l’arrachent de ce gouffre. Elle est suivie par les parques. Mais, avant de perdre la vie, les Furies se font un plaisir barbare de lui faire éprouver les plus cruels tourmens. Cette scène d’horreur offre une foule de tableaux plus déchirans les uns que les autres.
Psyché sans mouvement et étendue sur la terre va recevoir la mort. Atropos se dispose à trancher le fil que Lachésis lui présente. L’Amour paroît. L’Enfer frémit ; Hercule lui a prêté ses forces ; il lutte contre les Enfers ; il combat, il renverse les Euménides ; il enchaîne et désarme les parques ; et cette troupe infernale vaincue et terrassée, lui sert, pour ainsi dire, de marche-pied ; il monte et s’élève au dessus de ce grouppe épouvantable.
Psyché revoit la lumière et son amant ; elle lui tend les bras : il y vole, il emmène Psyché ; un rocher se change en un char brillant. L’Amour s’y {p. 132}place avec son amante. Les Démons se lèvent et font de vains efforts pour arrêter le char de Cupidon. Une gerbe de feu sort de son flambeau, et les éloigne. Des gouffres s’entr’ouvrent de toutes parts. Les Euménides et leur suite s’y précipitent, et l’Amour vainqueur des Enfers, fend les airs et disparoît avec sa conquête.
Quatrième et dernière partie. §
Scène I. §
Vénus est placée sur son trône ; Adonis amant chéri de cette Déesse, est à ses pieds ; les Graces l’entourent et la couronnent : des Amours et des Zéphirs sont grouppés de différentes manières. Les Jeux, les Plaisirs et les Nymphes de la suite de Vénus composent la cour élégante de cette divinité.
Vénus et Adonis qui ne respirent que le plaisir, l’expriment par des danses légères.
Scène II. §
L’Amour et Psyché paroissent ; et leur présence inattendue suspend les jeux ; à l’aspect de Psyché Vénus se livre à son courroux ; elle ne peut lui pardonner d’être la plus belle des mortelles, de lui avoir enlevé par ses charmes une foule d’adorateurs et d’avoir ravi l’Amour à son empire. Ici, ce Dieu devient suppliant, Psyché s’humilie et sollicite sa grace ; Vénus n’écoute rien, elle repousse Psyché {p. 133}avec colère et dédaigne les prières de l’Amour ; c’est vainement que les Graces, les jeux et les plaisirs sollicitent en faveur de Psyché ; c’est tout aussi vainement qu’Adonis tombe aux pieds de Vénus pour fléchir son courroux ; elle est inéxorable.
Scène III. §
Le Dieu d’Hymen paroît, et loin d’appaiser le dépit de Vénus, sa présence ne fait que l’irriter d’avantage, elle reçoit l’hommage de ce Dieu avec le Dédain offensant du mépris, cependant la belle Psyché tente un dernier effort ; elle embrasse les pieds de Vénus et la supplie humblement de vouloir lui pardonner une faute bien involontaire. Vénus la repousse avec colère, et l’Amour vivement offensé, releve Psyché, et l’arrache, pour ainsi dire, d’une posture trop humiliante. Il se livre à son tour à tous les emportemens de la fureur et de la vengeance ; il menace sa mère, il jette loin de lui ses flèches et son carquois. Il brise son arc et lui promet de renverser ses autels et de renoncer pour jamais à son empire ; il fuit avec Psyché et l’Hymen ; Vénus vivement allarmée l’arrête et l’adoucit, en faisant grace à Psyché ; un baiser quelle lui donne et que l’Amour lui rend, forme le sceau de la réconciliation. Vénus ordonne aux Amours de présenter à Psyché la robe nuptiale. Les Graces s’empressent à l’envie de l’en revêtir, et d’ajouter, s’il est possible, aux charmes de Psyché, qui enchantée de son bonheur, vole dans les bras de Vénus, pour lui témoigner toute sa reconnoissance ; {p. 134}on la conduit à l’autel ; l’Amour allume son flambeau à celui de l’Hymen. L’encens brûle ; tout annonce l’allégresse d’un si bel instant.
Scène IV. §
Un éclair perce la nue et est suivi d’un coup de tonnère ; les nuages brillans qui enveloppaient le palais de Vénus, disparoissent et sont remplacés par l’Olympe : Jupiter y paroît dans toute sa gloire ; non seulement il veut être témoin de l’union d’un Dieu qui lui est cher, mais il veut encore donner l’immortalité à colle qui à su lui plaire et le fixer.
Scène V et dernière. §
Mercure descend de l’Olimpe ; il présente à Psyché, de la paît de Jupiter la couronne de l’immortalité ; Psyché exprime tous les sentimens de sa reconnaissance.
Elle embrasse l’autel de l’Hymen ; elle y fait serment de n’aimer que l’Amour ; et ce Dieu, qui jure imprudemment de lui être fidèle, lui présente la main. L’Hymen couronne les époux, et les enchaîne de fleurs ; Hébé leur présente la coupe nuptiale. Vénus, Adonis, l’Hymen, l’Amour, Psyché et toute la cour de Vénus se livrent à des danses vives et légères, symbole heureux de l’allégresse. Cette fête enfin se termine par un grouppe général, qui peint la félicité des amans et la joye de ceux qui en sont les témoins.
FIN.
Enée et Didon.
Ballet tragique. §
Personnages. §
- Didon, Reine de Carthage.
- Enée, Prince Troyen.
- Jarbe, Prince Maure, et Roi des Gétuliens.
- L’Amour, sous la forme d’Ascagne.
- Junon.
- Vénus.
- Femmes de Didon.
- Carthaginois.
- Troyens.
- Gétuliens.
- L’hymen.
Première partie. §
La décoration représente un bois sacré, terminé par un temple dédié à Junon.
Scène I. §
Didon, vivement éprise d’Enée, cherche la solitude ; en vain veut elle effacer de son âme, l’image de son vainqueur ; l’Amour sous la forme et sous la figure du jeune Ascagne, triomphe de tous ses efforts ; les tendres caresses que cette Reine prodigue à cet enfant, et celles qu’elle reçoit de lui, allument dans son âme la passion la plus vive ; et à l’aide de cette méthamorphose, l’Amour établit son empire dans un cœur qui jusqu’à cet instant ne respiroit que la gloire, et ne chérissoit que la liberté. Didon ne pouvant plus résister au penchant invincible qui l’entraîne vers Enée, se détermine à lui offrir sa main et son trône. Un instant après elle vent entrer dans le temple de Junon, pour y faire un sacrifice, consulter les Augures, et apprendre si l’union qui la flatte, se formera sous d’heureux auspices ; puis reprenant tout à coup sa première fierté, et rougissant de sa foiblesse, elle veut fuir Enée ; elle veut le bannir de son cœur, elle veut lui ordonner de quitter ses états ; mais un sourire d’Ascagne renverse et détruit tous ses projets, et croyant voir dans les traits de cet enfant tous ceux de son vainqueur, elle n’est plus occupée que du désir de lui plaire, et que du bonheur d’en être aimée.
Scène II. §
Enée, non moins sensible que Didon, cherche la solitude. L’Amour le conduit dans ce bois, sacré, pour y jouir de sa défaite. Ce Prince aborde Didon avec cet embarras et cette émotion qui décèlent un amour extrême. La Reine le reçoit avec ce trouble et cette agitation qui caractérisent l’excès de la passion ; le jeune Ascagne vole des bras de Didon dans ceux d’Enée : il le presse contre son sein ; il imprime dans son ame l’image du plaisir, il grave dans son cœur les attraits de la volupté ; et satisfait de son ouvrage, le perfide enfant se retire à l’écart, pour jouir du progrès de ses artifices et s’applaudir de son triomphe.
Enée et Didon ne pouvant plus résister à l’excès de leur passion, rompent enfin le silence ; ils se font l’aveu de leur tendresse, ils se confient, mutuellement le secret de leurs âmes. Enée, qui ne respire que l’amour, se jette aux genoux de la Reine ; il lui jure une fidélité éternelle. Didon, aussi tendre que le Prince Troyen, reçoit ses sermens avec transport ; elle lui promet sa main, son cœur et son trône. Le jeune Ascagne, ou plutôt l’enfant de Cythère, s’amuse pendant cette scène à cueillir des fleurs ; il en compose une guirlande, qu’il présente en souriant à Didon ; il fait en sorte d’en former une chaîne à la quelle il attache Enée. Cette idée dans un enfant enchante les deux amans ; ils regardent ce jeu comme un présage assuré du bonheur qui doit couronner leur union. Didon se sépare avec regret de {p. 139}son vainqueur ; elle emmène avec elle l’enfant dangereux, et le Prince Troyen suit de loin les pas de la Reine, en exprimant sa félicité.
Seconde partie. §
Didon est placée sur un trône. Ascagne est à ses pieds. Ce trône est environné des officiers et des dames de sa cour. Enée tient la première place auprès de Didon ; il est entouré par les Troyens. Jarbe, Prince Maure et Roi des Gétuliens paroît ; il est devancé et suivi par un cortège aussi nombreux que magnifique ; il offre avec les présens les plus rares de ses climats, sa main et son cœur à la Reine de Carthage. Cette Princesse flattée de l’hommage de Jarbe, reçoit les présens qui lui sont offerts ; mais elle lui donne à entendre qu’elle ne peut accepter le don de son cœur, et que sa liberté lui est plus chère que toutes les couronnes de l’univers : Cependant en dédaignant les vœux de ce Roi, elle fait sentir à Enée que lui seul règne sur son ame, et qu’elle lui sacrifie avec plaisir un double trône, sur le quel elle est la maîtresse de monter. Didon descend de son trône.
Jarbe, attentif au refus de Didon, croit lire dans ses regards et dans son action, le motif de son indifférence ; il dissimule son dépit. Le jeune Ascagne, pendant cette scène, s’est approché de ce Prince. {p. 140}Il a ouvert son cœur aux sentimens de la jalousie et de la vengeance ; mais la politique masquant son ressentiment, il feint de se livrer avec complaisance aux raisons de Didon. Elle propose à ce Prince une partie de chasse, et il l’accepte avec d’autant plus d’empressement, qu’il espère pouvoir pénétrer ses sentimens, connoître son rival, et se venger de la préférence offensante qu’on lui oppose.
Cette scène d’action est suivie d’un fête générale de trois quadrilles ; les Carthaginois, les Troyens et les Maures. Le costume et le genre de Danse étant absolument différents. La musique doit l’être à son tour. Vers le milieu de cette fête, Didon, Enée, Jarbe et Ascagne s’y réunissent ; ce pas de quatre bien plus rempli d’intérêt et d’action que de danse, éclaire les soupçons qu’Jarbe a conçus, et, quelques précautions que puissent prendre Didon et Enée pour se contraindre, les éteincelles de leur passion n’échappent point à l’œil pénétrant du Prince Maure. On sent que l’amour joue dans ce pas le principal personnage, un ballet général et une marche pompeuse terminent cette seconde partie.
Troisième partie. §
La décoration représente une vaste forêt disposée pour un rendez-vous de chasse. On apperçoit à la droite du théatre une grotte percée dans les rochers du haut de la quelle tombe une cascade rustique ; des arbres s’élèvent au dessus du rocher.
Scène I. §
Cette chasse devant être l’instant de la défaite de Didon et du triomphe d’Enée, Junon, Vénus, {p. 141}l’Amour et l’Hymen prennent, ensemble des moyens pour conduire la Reine de Carthage dans le piège qu’ils veulent lui tendre. Junon s’engage à séparer la chasse en suscitant une tempête ; Vénus promet de conduire les deux amans dans une grotte, et l’Amour fait serment d’y rendre Enée le plus heureux des amans. L’Hymen qui aime la pompe et l’appareil ne promet rien.
Scène II. §
Une suite nombreuse devance la chasse : les fanfares et le bruit des cors annoncent la Reine. Elle paroît dans un char de la plus grande magnificence. Enée et Jarbe, montés sur de superbes coursiers, suivent le char de Didon ; ces deux princes sont accompagnés par une suite nombreuse qui forme différens quadrilles opposés l’un à l’autre par le costume, mais dont la richesse et l’élégance éclatent également.
Ce cortège ayant parcouru les routes de la forêt, se rassemble dans la partie circulaire destinée au rendez-vous, avec cette différence qu’il y paroît à pied ; ce qui représente la halte de la chasse.
Jarbe s’empresse à donner une fête à Didon. Ses Maures et ses Gétuliens, au son des instrumens en usage chez eux, exécutent des danses caractéristiques suivant leur costume ; les Troyens au bruit des timballes et des trompettes forment des danses guerrières, qui expriment la valeur et l’intrépidité.
{p. 142}Les femmes de la suite de Didon se livrent à des danses plus légères, et peignent tour-à-tour ce que la volupté à de plus tendre ; insensiblement cette fête devient générale. Didon, Enée et Jarbe veulent encore l’embellir ; ils forment un pas de trois en action dans le quel cette Reine ne peut s’empêcher de marquer les préférences les moins équivoques pour Enée. Jarbe, vivement offensé, saisit tous les instans où Enée et Didon enivrés du plaisir de se regarder, ne voyent qu’eux, pour faire éclater sa colère.
A ce pas de trois succède un divertissement général ; mais il est interrompu tout-à-coup par l’orage qui se forme ; le ciel se couvre d’épais nuages ; les vents se déchaînent et ébranlent les arbres de la forêt, les éclairs percent la nue, la foudre gronde ; la grêle et la pluie obscurcissent encore la scène ; la cascade se déborde et tombe avec fracas sur les rochers. Les chasseurs effrayés prennent la fuite ; on les voit courir sur leurs chevaux épouvantés. Enée et Didon s’enfoncent dans la grotte, et regardent cet azile échappé à tons les yeux, comme une retraite assurée contre le déchaînement des élémens. Cependant le ciel s’éclaircit, les vents irrités s’appaisent, la fondre cesse de gronder ; et le soleil annonce par son retour le tems le plus calme et le plus serein.
Scène III. §
Junon, satisfaite de son ouvrage, paroît ; elle est accompagnée par Vénus, l’Hymen et l’Amour.
Ici, tous les sentimens qui enflamment Enée et Didon, sont exprimés dans un pas de quatre, exécuté {p. 143}par ces divinités. Les emportemens de l’amant, la molle resistance de l’amante, les transports d’Enée, ses progrès, la défaite de Didon et toutes les gradations de sentimens qui peuvent colorier une scène amoureuse, sont rendus avec les pinceaux et les couleurs les moins équivoques. L’Amour fournit les sujets des différens tableaux ; il est continuellement auprès de la grotte ; il écoute attentivement ce qui s’y passe, et il en instruit soudain les divinités qui l’accompagnent : Ce pas enfin rend avec des nuances vives l’action amoureuse de la grotte dérobée aux spectateurs. L’instant du triomphe d’Enée et la défaite de Didon est caractérisée par un feu brillant qui embrâse le flambeau de l’Amour. Dans le même moment celui de l’Hymen s’allume ; mais sa lumière moins vive et moins éteincellante ne dure qu’un instant. Junon, Vénus et l’Amour se retirent en s’applaudissant du succès de leur entreprise, et 1’Hymen confus et pénétré de honte, fuit en exprimant son désespoir.
Scène IV. §
Enée et Didon au comble de la félicité, sortent de la grotte ; leurs danses et leurs attitudes caractérisent leur bonheur, et ne respirent que l’Amour et la volupté.
Scène V. §
Jarbe, enivré d’amour et dévoré de jalousie, court à la vengeance, cherche son rival, et le surprend dans les bras de Didon, rien ne peut arrêter {p. 144}sa rage et son désespoir. La perfidie de la Reine et le bonheur d’Enée mettent le comble à sa fureur ; il menace l’une et attaque l’autre avec intrépidité ; il s’élance sur Enée, et le combat s’engage.
Didon, attentive à la conservation des jours de son amant, vole au milieu des coups ; tantôt elle arrête le bras d’Enée ; tantôt elle pare de son bouclier le coup que son adversaire lui portoit.
scène vi. §
La suite d’Jarbe et celle du Prince Troyen accourent, et animées l’une et l’autre par la vue du danger de leurs Princes, elles volent à leur secours. Le combat dévient général ; mais rien ne peut résister à la valeur et à l’adresse des Troyens. Les Maures sont terrassés et vaincus ; les uns prennent la fuite, ceux-ci payent de leur vie, l’excès de leur témérité, tandis que ceux-là, foulés aux pieds des vainqueurs et prêts à recevoir la mort, implorent leur clémence, et leur générosité. Le superbe Jarbe, désarmé et renversé par Enée, respire encore la fureur ; mais le Prince Troyen brise ses armes avec mépris et lui laisse la vie. Cet acte de générosité ajoute encore à la honte d’Jarbe, qui fuit avec les siens, en exprimant sa rage et son désespoir.
Scène VII. §
Didon, qui s’étoit rangée du côté des Troyens, et qui aimoit même leur courage en combattant à côté de son amant, le reçoit tendrement dans ses bras, {p. 145}Enée regarde son triomphe comme l’ouvrage de l’Amour, et il en abandonne toute la gloire à Didon. Il se retire avec elle au bruit des timballes et des trompettes ; et ces heureux amans sont suivis par une foule de vainqueurs qui ont secondé la valeur et l’intrépidité de leur chef.
Quatrième partie. §
L’ombre d’Anchise apparoît à Enée. Elle le rappelle à son devoir ; elle l’invite à suivre ses desseins, à quitter le séjour de la volupté et à obéir promptement aux ordres du maître des dieux. Enée rend dans son sommeil toutes les expressions des sentimens qui agitent son ame. L’ombre disparoît. Enée se réveille, et ne voulant point résister aux impressions de sagesse qu’il vient de recevoir, il se lève et sort avec la ferme résolution d’abandonner Didon et de quitter Carthage.
Cinquième partie. §
Scène I. §
Enée, accompagné des officiers Troyens, donne ses ordres pour l’embarquement. Ce héros est prêt {p. 146}à monter sur son vaisseau, lorsque Didon, avertie de sa résolution paroît. Cette Reine s’exhale en reproches, mais voyant Enée inébranlable, elle emploie les larmes et les prières pour le détourner d’un dessein, dont l’exécution va lui donner la mort. Enée, vivement attendri, se jette dans les bras de Didon ; il lui fait les plus tendres adieux. Cette Reine ne pouvant supporter sans frémir l’idée du départ de son amant, tombe sans connoissance dans les bras de ses femmes. Enée frappé du danger de la Reine, vole à ses genoux ; il arrose de ses pleurs les mains de son amante, et fait de vains efforts pour la rappeller à la vie. Les amis de ce héros, attachés à sa gloire, l’arrachent des bras de Didon et l’entraînent sur son vaisseau. Déjà les voiles sont déployées ; un vent favorable éloigne la flotte du rivage, lorsque Didon revoit avec la lumière la perfidie et l’inconstance de son amant. Elle court vers le rivage ; elle appelle Enée ; elle lui montre un poignard et son sein. Elle le prie, elle le menace ; elle lui reproche tout à la fois son parjure et son infidélité.
Scène II et dernière. §
Didon abandonnée n’écoute plus que la voix du désespoir. Elle va se plonger dans le sein l’épée d’Enée dont elle est armée ; lorsqu’une troupe de Maures, tenant des torches à la main, se dispersent dans le palais, et y portent partout la flamme et la mort. Didon, qui n’a plus rien à ménager, seconde leur fureur ; elle se saisit d’une torche ; elle court {p. 147}dans le perystile ; elle en embrase les parties qui avoient échappé à la rage des Maures, et elle fait tous ses efforts pour augmenter les flammes et accélérer les ravages de l’incendie. Le peristile est prêt à s’écrouler, lorsqu’Jarbe qui s’est ménagé une issue, vient offrir sa main et son trône à cette Reine infortunée. Didon, qui déteste la vie, et qui abhorre ce Roi, refuse avec horreur et sa main et ses secours. Ce Prince, vivement épris, se jette à ses genoux, se repent de sa barbarie et veut sauver ce qu’il aime : mais Didon, au comble du désespoir, vole vers le bûcher, l’allume, et, après s’être livrée aux plus terribles imprécations, elle se perce le sein de l’épée même de son perfide amant, et se précipite dans les flammes. Jarbe désespéré fuit ce spectacle épouvantable ; et sa fuite est soudainement suivie de l’écroulement général du palais de Didon.
FIN.
Hyménée et Cryséïs.
Ballet anacréontique. §
Personnages. §
- Hyménée.
- Cryséïs.
- Jeunes Athéniennes.
- L’Amour, sans attributs, et sous la forme d’un enfant ordinaire.
- Corsaires.
- Peuple d’Athènes.
Première partie. §
Scène I. §
Une troupe de jeunes Athéniennes se rassemblent sur le bord de la mer, pour y célébrer une fête en l’honneur de Cérés. Un jeune homme d’Athènes, nommé Hyménée, d’une naissance obscure, mais éperduement amoureux de la belle Cryséïs, se mêle à cette fête ; sa jeunesse, la beauté de la taille et celle de ses traits aident à son déguisement ; les jeunes filles le reçoivent parmi elles, le traitent comme une de leurs compagnes, et, à la faveur de son travestissement, il jouit du plaisir de voir sa maîtresse. Déjà tout est préparé pour le sacrifice ; on danse autour de l’autel, on l’orne de fleurs. Des Corsaires arrivent et jettent, par leur approche imprévue, l’épouvante dans l’âme des jeunes Athéniennes.
Scène II. §
Les Corsaires débarquent, regardent avec avidité, et s’élancent sur leur proye ; Hyménée au désespoir, fait de vains efforts pour secourir sa maîtresse et la débarrasser des bras de ces ravisseurs.
Scène III. §
D’autres Corsaires paroissent, qui disputent aux premiers une aussi belle capture ; le combat s’engage, {p. 152}et les jeunes Athéniennes deviennent le jouet de ces barbares : tantôt elles passent des bras des vainqueurs dans ceux des vaincus, et tantôt elles en sont arrachées. Hyménée fait dans ce combat, tout ce que l’amour peut lui suggérer pour secourir sa maîtresse et pour l’enlever à la fureur de ces brigands. L’acharnement des combattans ne cesse, que quand la fatigue les détermine à faire un égal partage. Hyménée, séparé de Cryséïs par le sort, se livre au plus cruel désespoir, lorsqu’il s’apperçoit que le Corsaire, au quel il est échu, ne veut consentir à aucun échange. Les Corsaires sont prêt à s’embarquer ; mais le ciel s’obscurcit tout-à-coup, le tonnère gronde, un vent impétueux soulève les flots et s’oppose à leur départ. Les Corsaires se réfugient avec leur capture dans une grotte pratiquée par la nature ; les jeunes Athéniennes s’abritent sous les arbres des bosquets. Les Pirates se livrent sans ménagement aux excès du vin, et ils peignent leur joye par des danses caractéristiques ; pendant cette scène, les Athéniennes expriment la plus vive douleur, et les Corsaires yvres et fatigués s’endorment.
Scène IV. §
Un jeune enfant effrayé et mouillé par l’orage, court avec précipitation ; il cherche un azile au milieu des jeunes Athéniennes ; Cryséïs le reçoit dans ses bras ; il a peur, et peint sa situation ; il tremble de froid, pleure, et intéresse ces jeunes beautés ; il vole des bras des unes dans ceux des autres ; mais il revient {p. 153} sans cesse dans ceux de la belle Cryséïs ; il se couche sur son sein, l’embrasse et partage ses tendres caresses entre elle et le jeune Hyménée. Celui-ci, animé tout-à-coup par un nouveau sentiment, propose aux jeunes Athéniennes de briser leurs chaînes et d’immoler leurs ravisseurs. Il est écouté ; c’est l’Amour qui l’inspire ; c’est lui qui fait naître le courage ; c’est ce Dieu qui a suscité l’orage et soulevé les flots, c’est lui enfin, qui a résolu de faire le bonheur d’Hyménée et de la belle Cryséïs, en les unissant l’un à l’autre.
Les jeunes Athéniennes désarment et enchaînent leurs ravisseurs. Hyménée les frappe, tue les uns blesse dangereusement les autres. C’est encore l’Amour qui dirige les coups qu’il porte, et qui anime son bras.
Les Athéniennes libres cherchent avec empressement le jeune enfant, qui, pendant cette action, s’étoit caché derrière un buisson de roses. Cryséïs s’en approche ; elle apperçoit cet aimable enfant ; il vole à elle, l’embrasse, applaudit à la valeur d’Hyménée et au courage de ses compagnes : il inspire à Hyménée l’idée d’aller à Athènes et d’annoncer aux habitans de cette ville désolée le retour de leurs filles chéries, et leur déclarer qu’il est leur libérateur. Il part.
Pendant son absence, l’Amour joue avec les jeunes Athéniennes. Elles se disputent une rose qu’il tient à la main. Ce badinage offre des danses légères et une foule de grouppes dessinés par le plaisir. Cryséïs obtient la rose, et le parfum qu’elle exhale, fait palpiter son cœur ; elle se blesse le doigt ; l’epine de cette {p. 154}rose est une flèche de l’Amour. Ce Dieu la console ; il ramasse la fleur échappée de la main de Cryséïs et l’attache à son sein. Il conduit en folâtrant les jeunes Athéniennes au bord de la mer. A l’aspect de ce Dieu, les barques des Corsaires s’engloutissent, et, par un nouveau prodige, elles sont remplacées par un superbe vaisseau1.
L’Amour les engage à s’y placer. Dans cet instant, Hyménée de retour, paroît non comme une jeune Athénienne, mais comme un jeune homme aussi beau qu’Adonis. Il tombe aux pieds de Cryséïs qui se jette dans ses bras. La troupe enjouée s’embarque : les Zéphirs dirigent la manœuvre ; l’Amour s’empare du gouvernail ; le vaisseau prend le large, et un vent, favorable le pousse bientôt à Athènes.
Seconde et dernière partie. §
Le peuple attend avec impatience l’arrivée des jeunes Athéniennes. A la vue du magnifique vaisseau qui les amène, les inquiétudes font place à la joye et à l’allégresse. Cryséïs vole dans les bras de son père ; d’autres se précipitent dans ceux de leurs mères ; celle-ci retrouve son frère ; celle-là embrasse sa sœur ; {p. 155}le jeune Hyménée est entouré par ses amis. Cette scène offre un tableau plein d’intérêt ; l’amour paternel et l’amour filial y éclatent de toutes parts. Le peuple pénétré d’admiration offre des couronnes de roses et de laurier aux valeureuses Athéniennes. Il couronne le brave et intrépide Hyménée. Les parens de la belle Cryséïs l’unissent à son libérateur, et, par un mouvement d’enthousiasme et d’admiration, le peuple place Cryséïs et son amant sur un pavois, les élève et les porte en triomphe : on danse autour de ce pavois, et on les conduit au temple de l’Amour. Ce Dieu qui avoit disparu, se montre avec tous les attributs de sa divinité sous le portique de son temple ; il reçoit le couple heureux dont il va cimenter l’union. Ces deux amans tombent à ses pieds ; l’Amour les embrasse et les conduit dans son temple. On les suit en foule ; et le peuple, frappé de ce nouveau prodige, exprime tout à la fois son respect et son admiration.
FIN.
Nota. J’ai composé ce ballet, il y a trente ans au moins, pour M. le Picq, mon élève, actuellement maître des ballets de Sa Majesté l’Empereur de Russie. Ce beau danseur avoit à cette époque les talens, les graces, et la figure propres à rendre le rôle d’Hyménée et à entraîner le public à l’illusion.
La Mort d’Hercule.
Ballet tragique. §
Personnages. §
- Hercule.
- Déjanire.
- Hilias.
- Jolé.
- Philoclète.
- Lycas.
- Junon.
- La Jalousie.
- Compagnons d’Hercule.
- Femmes de la suite de Déjanire.
- Peuples vaincus.
- Prêtres et sacrificateurs.
{p. 159}
Scène I. §
Un bruit de guerre se fait entendre, et une foule de peuple annonce le retour d’Hercule. Ce héros paroît sur un char traîné par les esclaves des différentes nations qu’il a vaincues ; ses compagnons charges des trophées de ses victoires et des riches dépouilles des vaincus, marchent à ses côtés. Des musiciens jouant de divers instruirions consacrés à la guerre, précédent cette marche triomphale. Jolé, Princesse captive est conduite par des Lutteurs ; elle est suivie par des gladiateurs et par des esclaves des parties du monde connu alors. Hilias et Philoclète sont placés sur le char d’Hercule.
A cette marche succèdent des danses guerrières, qui sont interrompues par l’arrivée de Déjanire.
Scène II. §
Déjanire accompagnée d’une suite aussi brillante que nombreuse, se jette avec transport dans les bras de son époux. Hilias et Philoclète s’empressent à lui rendre hommage, et les captifs se prosternent à ses pieds.
Hilias, vivement frappé des charmes d’Jolé, conjure Déjanire de s’intéresser à la liberté de cette Princesse ; Hercule se rend à la prière de son épouse ; {p. 160}on détache les fers d’Jolé qui témoigne sa reconnoissance à Déjanire, et qui aussitôt est conduite par Hilias et Philoclète sur une estrade qui fait face à celle sur la quelle Hercule et Déjanire se sont placés.
Les captifs, tant Européens qu’Asiatiques et Africains, déposent aux pieds de Déjanire les différents tributs de leurs climats ; ils l’implorent pour leur liberté ; et l’ayant obtenue, ils se livrent à des danses qui expriment leur reconnoissance autant que leur joye, et dans les quelles le costume de chaque nation se fait distinctement remarquer.
Une esclave Théssalienne et une esclave Asiatique disputent ensemble le prix de la danse ; il est accordé à la Théssalienne qui reçoit des mains de Déjanire un thyrse d’or, orné d’une guirlande de fleurs.
Quatre Lutteurs se défient et se provoquent. Ils s’approchent, ils s’éloignent ; chacun cherche à prendre son avantage ; ils se joignent, ils se saisissent avec fureur. Leurs mouvemens, leurs efforts, leurs entrelacemens, enfin toutes les attitudes, toutes les situations qui caractérisent l’adresse, la souplesse et la force, offrent à chaque instant des grouppes pittoresques. Les vaincus laissent un champ libre aux vainqueurs ; ceux-ci se disputent la victoire ; et celui qui la remporte reçoit des mains d’Hercule, une peau de tigre, symbole de l’adresse, de l’agilité et du courage.
Deux Gladiateurs se livrent au combat : la présence d’Hercule, et la vue des couronnes, que le peuple destine au vainqueur, les anime ; la fureur {p. 161}s’empare de leur âme. Les coups qu’ils se portent, frappent de terreur les spectateurs ; et Hercule accorde pour prix de la valeur un bouclier superbement travaillé.
A ces jeux succèdent des danses guerrières. Hercule, Déjanire, Jolé, Philoclète et Hilias se mêlent à cette fête pour en augmenter la magnificence.
Scène III. §
Déjanire qui a remarqué l’amour d’Hilias et qui a cru découvrir qu’Jolé n’y étoit point insensible, cherche à s’assurer des sentimens de cette Princesse, qui, peu faite à l’art de feindre, lui dévoile ingénuement les secrets de son cœur.
Déjanire, uniquement occupée du bonheur d’Hilias, court à sa rencontre, et lui jure de travailler de tout son pouvoir à une union qui doit faire sa félicité.
Cette action forme un pas de trois dialogué qui peint tout à la fois la reconnoissance des deux amans, et la satisfaction que Déjanire se promet d’un Hymen qui mettra le comble au bonheur de son fils.
Scène IV. §
Hercule épris pour le moins autant qu’Hilias des charmes d’Jolé, la cherche avec empressement ; son épouse vole au devant de lui, mais Hercule s’appercevant que son fils et Jolé sont ensemble, conçoit les plus violens soupçons ; il quitte Déjanire et court vers la Princesse dont les dédains et les mépris mettent le comble à sa fureur ; il menace Hilias ; il se dérobe {p. 162}aux empressemens de son épouse ; il vole vers Jolé, qui, méprisant continuellement ses feux, cherche un asyle dans les bras de Déjanire. Cette Princesse vivement frappée de l’indifférence de son époux, et outrée de l’éclat humiliant de sa jalousie, l’accable de reproches ; des reproches elle passe à la fureur ; en vain cherche-t-il à détruire ses soupçons et à la calmer : son amour plus fort que son désaveu, le trahit à chaque instant. Déjanire se livre à tous les excès de la jalousie et du désespoir ; elle tombe évanouie dans les bras d’Hilias et d’Jolé.
Philoclète qui accourt au bruit excité par les mouvemens de cette situation terrible, s’empresse à la sécourir cl à l’arracher d’un lien, qui, à son retour à la vie, ne pourroit que renouveller plus fortement ses douleurs.
Hercule honteux de sa foiblesse et sensible en même temps à l’état de son epouse, exprime toute l’agitation de son ame ; il s’appuie contre une colonne, pénétré tout à la fois de jalousie, de remords et d’amour.
Scène V. §
Philoclète reparoît ; il rappelle Hercule à son devoir ; il lui peint avec force le tableau d’une passion qui va ternir sa gloire ; le héros, pénétré de honte et de repentir, ne peut soutenir les reproches dont son ami l’accable ; il lui jure qu’il renonce à son amour, qu’il va rendre son cœur à Déjanire, et qu’il va consentir à l’hymen de son fils et d’Jolé.
Scène VI. §
Ces deux amans paroissent : Hercule frémit à leur vue ; l’amour et la jalousie triomphent de sa {p. 163}résolution. Philoclète, qui remarque le trouble d’Hercule, lui retrace encore sa foiblesse ; le héros, sensible à la gloire, hésite, balance, prend la main tremblante d’Jolé, qui ose à peine lever les yeux ; il prend ensuite celle de son fils, et après une irrésolution qui caractérise le combat des passions, qui agitent son ame et qui déchirent son cœur, il unit enfin ces deux amans. Il se précipite aussitôt dans les bras de son ami qu’il regarde comme un asyle où il est sûr de triompher de ses passions.
Hilias et Jolé, enchantés de leur bonheur et pénétrés de reconnoissance, veulent embrasser les genoux d’Hercule ; mais Philoclète entraîne ce héros pour lui épargner un spectacle touchant, qui pourroit de nouveau le faire succomber sous le pouvoir de l’amour, et amollir dans son ame les sentimens de gloire et de générosité qu’il vient de faire paroître.
Scène VII. §
Déjanire qui ignore le retour d’Hercule sur lui-même, se livre à toutes ses inquiétudes ; accablée par l’idée de l’infidélité de son époux ; occupée des moyens qui peuvent le ramener à ses premiers sermons ; absorbée sous le poids de sa douleur ; anéantie par une multitude de réflexions désespérantes qui se détruisent à mesure qu’elles se succèdent, elle tombe sur un lit de gazon, et la tête appuyée sur une de ses mains, elle s’abandonne aux plus tristes pensées. Ses yeux s’appésantissent ; elle s’endort.
Scène VIII. §
Junon traverse les airs ; elle est suivie par la jalousie ; elle ordonne à cette fille de l’enfer de répandre ses mortels poisons dans l’ame de Déjanire, et de troubler par ce moyen le bonheur dont cette Princesse va jouir avec Hercule. La jalousie obéit ; elle descend des airs ; elle exhale son venin, elle verse autour de Déjanire ses vapeurs infernales. Cette Princesse, troublée par les idées les plus funestes, exprime par des gestes, les tourmens qu’elle endure ; elle voit Hercule infidèle, elle le surprend dans les bras d’Jolé elle apperçoit cette Princesse sensible à ses feux ; un instant après tenant un poignard, elle semble s’élancer sur elle pour lui percer le sein.
Tous ces tableaux affreux sont tracés par la jalousie Déjanire les peint par l’altération de ses traits, l’expression de ses gestes et l’action terrible qui accompagne son sommeil. La jalousie s’applaudit du désordre qu’elle jette dans l’ame de Déjanire, et le sifflement de ses serpens, (qu’elle approche, avant de se retirer, du sein de cette malheureuse Princesse), annonce sa victoire.
Scène IX. §
Déjanire s’éveille ; elle est épouvantée ; son tremblement, la pâleur de son front caractérisent le trouble de ses sens ; effrayée par les songes les plus épouvantables, son action est celle d’une personne, qui doute encore quoiqu’éveillée si elle ne voit pas réellement les objets affreux qui viennent de glacer son cœur.
{p. 165}Dans cette situation elle fuit, court et s’arrête ; mais se ressouvenant tout à coup de la tunique du Centaure Nésus, tunique qui doit avoir la vertu de ramener Hercule à ses premiers sermens, elle conçoit le dessein de la lui envoyer.
L’espérance et le calme renaissent dans son cœur ; elle appelle ses femmes, elle demande Lycas, elle lui ordonne de porter à son époux le coffret qu’elle lui confie, et de l’offrir de sa part à Hercule comme un nouveau gage de ses sentimens.
Déjanire enchantée de l’effet que produira ce présent, se retire avec ses femmes, en s’applaudissant d’une ruse innocente qui doit cimenter à jamais son bonheur et sa tranquillité.
Scène X. §
Une marche majestueuse annonce l’arrivée d’Hercule ; les sacrificateurs de Jupiter précédent ce héros, qui paroît devancé par ses compagnons ; Hilias et Philoclète l’accompagnent, et les captifs des nations qu’il a vaincues les suivent et terminent cette marche.
Les prêtres ornent l’autel et parent les victimes ; d’autres élèvent le bûcher. On voit déjà fumer l’encens, lorsque Lycas paroît ; ce fidèle esclave se prosterne humblement aux pieds d’Hercule, il lui {p. 166}offre les présens de Déjanire ; ce héros les reçoit avec reconnaissance ; il s’empresse à se parer d’une dépouille d’autant plus honorable, qu’elle est un trophée de ses victoires, et un nouveau gage de la tendresse de son épouse.
Il marche à pas lents vers l’autel pour offrir son sacrifice ; mais un feu dévorant circule tout à coup dans ses veines ; il fait d’inutiles efforts, pour détacher cette robe fatale dont le poison subtil a filtré dans son cœur. Ses douleurs s’accroissent ; ses entrailles se déchirent ; il se livre à toute sa rage ; il déracine les arbres ; le malheureux Lycas devient la victime de sa fureur. Hercule s’élance sur lui, l’étouffe entre ses bras, et du haut d’un rocher, le précipite dans la mer ; il revient ensuite, mais ne pouvant plus supporter la violence de ses douleurs, il tombe sans sentiment dans les bras d’Hilias et de Philoclète qui s’empressent à le secourir.
Déjanire, bien loin de prévoir le fatal effet de ses présens, accourt pour jouir de leur succès heureux, son étonnement égale sa douleur lorsqu’elle apperçoit l’état déplorable au quel son époux est réduit ; elle vole à lui, elle tombe à ses genoux et tente de se justifier. Hercule la fuit avec horreur, et la regardant comme un monstre altéré de son sang, il ne peut la voir sans sentir accroître ses maux, sa rage et son désespoir.
{p. 167}La situation de Déjanire est affreuse, l’idée d’un crime, quoiqu’involontaire, lui déchire le cœur, les forces d’Hercule diminuent ; il chancelle, il succombe ; il conjure Déjanire de consommer son forfait, et de lui épargner par une mort prompte des tourmens qu’il ne peut plus supporter ; il s’adresse à ses compagnons et à Philoclète, mais les trouvant sourds à ses cris, il se précipite dans le bûcher, et ordonne à son fils de l’embraser ; Hilias frémit et sa main comme son cœur se refuse à un ordre si barbare.
Déjanire ne peut soutenir la vue de ce spectacle ; la perte de son époux met le comble à sa douleur ; elle tire un poignard, s’en perce le sein et tombe expirante dans les bras de ses femmes.
Hilias, effrayé de tant de malheurs, partage ses sentimens entre Hercule et Déjanire ; il veut se précipiter dans le bûcher et unir ses cendres à celles de son père ; puis volant vers Déjanire, il se saisit du fer qui vient de trancher ses jours, pour terminer les siens.
Jolé, Philoclète et les suivans d’Hercule ne sont occupés que de la conservation de ce jeune et malheureux Prince, qui tente alternativement tous les moyens qui peuvent le délivrer de la vie.
Scène XII et dernière. §
Le ciel s’entr’ouvre ; Jupiter se montre dans tout l’éclat de sa gloire, accompagné de toutes les divinités célestes.
{p. 168}Hercule renaît de sa cendre ; son bûcher presque consumé se change en un char pompeux, qui élève ce héros vers l’Olympe. En y montant-il remet ses armes à Philoclète. Jupiter le reçoit dans le ciel, et le place au rang des Demi-Dieux.
Le calme et la joye succèdent bientôt aux larmes et à la douleur ; et ce ballet se termine par l’Apothéose d’Hercule et par l’union d’Hilias et d’Jolé.
FIN.
Les Amours de Vénus, ou les Filets de Vulcain.
Petit ballet en
action. §
Personnages. §
- Vénus.
- L’Amour.
- Mars.
- Vulcain.
- Adonis.
- Les Graces.
- Nymphes.
- Faunes.
- Guerriers.
- Dieux de l’Olympe.
Première partie. §
Scène I. §
Vénus donne une fête à Mars. L’Amour, les Graces et les Nymphes y répandent leurs charmes ; les Jeux, les Ris, les Plaisirs et les Attraits l’embellissent encore. Vénus et Mars expriment dans un pas de deux plein d’action les sentimens qui les animent. C’est dans le moment le plus intéressant et le plus voluptueux de cette fête qu’un bruit de guerre se fait entendre.
Scène II. §
Un officier annonce à Mars qu’on l’attend pour cueillir de nouveaux lauriers, avant d’abandonner l’Amour pour voler à la victoire, ce Dieu fait à Vénus les plus tendres adieux. Cette Déesse exprime une douleur feinte. Ses larmes sont prêtes à couler ; Mars vivement épris lui promet de revenir bientôt ; nouveaux troubles de la part de Vénus ; nouvelles protestations de celle de Mars. On lui présente ses armes ; Vénus joue l’évanouissement ; elle tombe dans les bras des Graces. Mars profite de cet instant pour voler à la gloire ; mais il n’est pas plutôt parti, que Vénus se livre au plaisir d’aller trouver Adonis qui l’attend.
Scène III. §
L’Amour toujours malin engage les Nymphes à le suivre ; il veut qu’elles soient embrasées de ses feux, il les conduit dans des bosquets délicieux, et il leur donne d’intéressantes leçons.
Deuxième partie. §
Scène I. §
Les Nymphes jouent avec l’Amour. Le Petit Dieu veut se venger de la plus jeune d’entre elles ; il lui donne un baiser ; celle-ci d’accord avec ses compagnes se saisit de l’enfant ailé ; elles l’enchaînent à un arbre avec des fleurs. La jeune Nymphe qui s’est emparée de son arc et de ses fléches, le met en joue pour lui en décocher une. L’Amour veut blesser, mais ne veut point l’être ; il brise ses liens, appelle de jeunes Faunes soumis à ses loix, leur ordonne de le venger, et de se saisir des Nymphes. Celles-ci ne font qu’une foible résistance ; l’Amour les unit aux Faunes, et se retire avec eux dans un endroit écarté de la forêt.
Scène II. §
Vénus cherche Adonis ; elle exprime son impatience ; le berger paroît ; il se précipite à ses {p. 173}genoux ; il lui témoigne les sentimens les plus tendres : mais les deux amans étant interrompus par les différentes courses que les Nymphes et les Faunes font dans la forêt, se dérobent à leurs régards, et se retirent dans un bosquet.
Les Nymphes sont inquiètes ; elles cherchent Vénus ; l’Amour qui sait tout et qui voit tout ce qui se passe dans son empire, leur impose silence ; il approche doucement d’un bosquet touffu ; il en écarte avec précaution les branchages, et il découvre sa mère. Cette Déesse ne peut pardonner cette méchanceté, elle le boude, et il part dans la résolution de se venger des caprices de sa mère.
Scène III. §
Vénus se mêle aux jeux des Faunes et des Nymphes. Un Berger et une Bergère nouvellement unis par l’Amour viennent offrir à cette Déesse les premières roses du printems, et des tourterelles, symbole de la confiance et de la fidélité.
Scène IV. §
Leur hommage est interrompu par un bruit de guerre. C’est Mars, (du moins Vénus le suppose), dont l’impatience de la revoir a hâté le retour. Adonis devient l’objet des tendres inquiétudes de Vénus ; elle l’engage à fuir et à se dérober à la {p. 174}fureur jalouse de ce Dieu. Il disparoît, et il est remplacé par l’Amour qui tombe aux genoux de sa mère dans l’attirail du Dieu des combats. Cet accoutrement fait rire Vénus, mais elle lui reproche le départ d’Adonis. L’Amour lui jure que dans l’instant, il lui ramènera son Berger, mais il exige de sa mère un baiser pour prix de ce service ; la faveur lui est accordée ; il part et revient ; mais au lieu de lui présenter Adonis, il lui amène Vulcain.
Scène V. §
Vulcain est reçu avec indifférence ; il vient montrer à Vénus une partie des armes qu’elle lui a commandées pour Enée ; elle applaudit au travail avec distraction. D’un autre côté elle assure l’Amour qu’elle ne lui pardonnera jamais les méchans tours qu’il vient de lui jouer. Les Nymphes engagent Vulcain à se mêler à leurs jeux : il devient le divertissement de la troupe amoureuse.
On entend un nouveau bruit de guerre ; c’est Mars. Vulcain se trouve fort embarrassé ; la jalousie lui trouble la cervelle. Mars, sans faire attention à ce Dieu, redouble ses empressemens pour Vénus ; Vulcain exprime sa rage et sort dans la résolution de se venger de Vénus, de Mars, et de l’Amour.
Scène VI. §
Le divertissement devient général ; Adonis reparoît avec les Bergers et cache soigneusement sa {p. 175}passion. Venus, Mars et l’Amour s’assoient sur un gazon : dans le moment Vulcain paroît, et ces amans ainsi que l’enfant de Cythère se trouvent enveloppés dans des filets fabriqués par Vulcain même. Il veut que les Dieux soient témoins de sa vengeance. En effet l’Olympe paroît et on voit les divinités témoins de la honte de Vulcain : elles s’amusent à rire et à se moquer de lui. Vivement irrité, il prend la fuite. L’Amour fait disparoître les filets, les Faunes et les Nymphes accourent de toutes parts ; et ce petit ballet est terminé par des danses vives et voluptueuses.
FIN.
Apelles et Campaspe, ou la Générosité d’Alexandre.
Ballet
pantomime. §
Personnages. §
- Apelles.
- Campaspe.
- Alexandre.
- Roxane.
- Ephestion.
- Dames de la cour d’Alexandre.
- Guerriers.
- 1 Elève d’Apelles.
- Jeunes élèves d’Apelles, déguisés en amours, zéphirs, lutteurs et gladiateurs.
- Femmes, esclaves d’Apelles, déguisées en Graces et en Nymphes.
Argument. §
Alexandre ayant ordonné à Apelles de faire le portrait d’une de ses favorites nommée Campaspe ; Apelles frappé de la beauté de son modèle, en devient amoureux. Campaspe partage son amour ; Alexandre s’en apperçoit, fait le sacrifice de sa passion, et unit les deux amans.
Acte premier. §
Scène I. §
Apelles instruit de la visite d’Alexandre, donne les dernières touches au portrait de ce Prince, pour la réception du quel il a tout préparé. Ses élèves sont déguisés en amours et en zéphirs ; d’autres en lutteurs et en gladiateurs, grouppés connue l’antique : les femmes qui lui servent de modèles, paroissent sous la forme des Graces et des Nymphes. Apelles veut qu’Alexandre prenne son atelier pour celui des jeux et des plaisirs. Cette troupe riante est ingénieusement distribuée par l’artiste ; des amours broyent les couleurs ; d’autres essayent leurs crayons, des zéphirs chargés des présens de Flore s’offrent pour modèles ; les Graces forment grouppe avec l’Amour enfant ; elles lèvent mystérieusement le voile qui couvre son berceau ; ce petit Dieu est endormi. Une Nymphe prépare la palette et une autre les pinceaux d’Apelles.
Scène II. §
Un bruit d’instrumens militaires annonce l’arrivée d’Alexandre. Il est dévancé par ses principaux officiers ; Campaspe marche à sa droite ; elle est voilée ; ses femmes la suivent. Ephestion, favori de ce Prince, marche à la gauche.
{p. 182}Apelles s’incline aux pieds d’Alexandre, qui le comble de bontés. Il examine son portrait, les Graces le lui présentent ; des Amours se grouppent de différentes manières, et servent, pour ainsi dire, de support à ce chef-d’œuvre de l’art, que la gloire couronne.
Alexandre frappé du mérite du peintre et de la manière agréable dont il lui présente son ouvrage1 applaudit à son génie. Il lui demande s’il n’a point quelques portraits de femmes à lui montrer. Le peintre lui présente celui de Vénus, occupée à choisir dans le carquois de l’Amour, la flèche, qui doit blesser Adonis. Alexandre enchanté de la beauté du tableau, de l’expression des figures, de la correction du dessin, et des teintes harmonieuses qui en forment le coloris, prend la résolution de faire faire le portrait de Campaspe ; il la fait avancer et lui ôte son voile : Apelles, qui n’a jamais rien vu de si beau, recule de surprise, et d’admiration.
Alexandre par des peintures vivantes, veut augmenter l’enthousiasme de l’Artiste, il ordonne à Campaspe de marcher et de déployer ses Graces, elle se pose dans les attitudes les plus variées et les plus pittoresques : chaque mouvement exprime un sentiment ; elle réunit les graces à la volupté ; les traits de sa figure et le feu de ses regards prêtent l’ame et la vie aux positions de son corps, toutes ces peintures délicieuses enchantent Apelles, et portent à son cœur {p. 183}le trouble et l’émotion. Alexandre voulant lui donner une nouvelle marque de sa bonté, ordonne à ses femmes de se réunir à Campaspe, et d’exécuter avec elle la danse des couronnes ; (cette danse fait allusion aux conquêtes multipliées du héros, et aux lauriers que ses victoires lui ont mérités.)
Scène III. §
Roxane qui a des droits sur le cœur d’Alexandre, paroît avec l’empressement que lui donnent les soupçons dont son âme est agitée, prête à oublier ce qu’elle doit à son maître, elle cherche d’un œil inquiet et curieux, la rivale qu’elle redoute ; elle l’apperçoit et lance sur elle des regards qui expriment tous les sentimens que lui inspire sa jalousie. Un geste d’Alexandre modère son emportement et rassure Campaspe ; il ordonne à sa suite de se retirer et engage Apelles à commencer le portrait de campaspe, et à déployer tous les trésors de son art, pour reproduire, par une imitation fidèle, un objet qui lui est cher. Il sort en faisant à Campaspe les plus tendres adieux, et pendant cette scène, il va examiner les chefs d’œuvres qui composent la galerie d’Apelles.
Scène IV. §
L’amour qu’Apelles a conçu pour Campaspe, lui fait imaginer de se servir du déguisement de ses élèves, pour rendre à cette beauté la séance plus variée, et moins ennuyeuse.
{p. 184}Il examine son modèle, et le place dans plusieurs attitudes ; des Amours cherchent à les saisir et à les dessiner ; d’autres arrangent les couleurs qui doivent servir à reproduire les traits de Campaspe ; Apelles éperdu, troublé, ne sait plus quel choix il doit faire : toutes les situations lui paroissent également belles ; il crayonne, il efface, il esquisse de nouveaux traits, il les efface encore, et après un instant de réflexion, il veut la peindre en Déesse. Il donne ses ordres ; les élèves disparoissent, et un moment après, ils apportent une lance, un casque, un bouclier et des trophées d’armes.
Les femmes qui servent de modèles à Apelles, tiennent tout ce qui est nécessaire au costume de Pallas, elles attachent la cuirasse ; l’une lui présente sa lance, l’autre son égide, et Apelles lui met le casque en tête, il la place sur un piédestal peu élevé surmonté d’une colonne tronquée, et lui donne l’attitude noble et fière de Pallas ; il distribue à l’entour du piédestal les petits génies de la guerre tenant des timbales, des trompettes, des étendards et divers instrumens militaires. Ce grouppe ainsi distribué, Apelles esquisse, il efface, et peu content de son idée il veut peindre Campaspe en Flore.
Ses élèves apportent une grande corbeille remplie de fleurs et à double fond. Les Nymphes ornent l’habit de Flore de bouquets ; elles la couronnent de roses ; le peintre la pose dans la corbeille ; l’attitude qu’il lui donne est svelte, elle a une jambe en l’air et elle est dans l’action d’une femme qui vole dans {p. 185}les bras de son amant. Zéphir qui la reçoit dans les siens, la soutient dans cette attitude passagère. De petits Zéphirs et de jeunes Nymphes portant des corbeilles de fleurs, tenant des couronnes et des guirlandes, lient et enchaînent ce grouppe, qui est bientôt surmonté et couvert par un baldaquin de fleurs, supporté par quatre Nymphes.
Apelles vole vers sa toile, il trace, il crayonne il examine et recommence à dessiner. Peu content de son ouvrage il tombe sur son siège et s’abandonne à une nouvelle pensée. Il se persuade que Campaspe seroit beaucoup mieux, s’il la peignoit en Diane ; elle en a la fierté, la noblesse et la majesté. Cette nouvelle idée lui paroît supérieure à toutes les autres, il donne ses ordres, les Nymphes, compagnes de Diane couvrent l’épaule de campaspe d’une mante de peau de tigre ; elles y attachent un carquois ; on la couronne de feuillage. Apelles inspiré par l’Amour lui présente l’arc de ce Dieu, et une de ses flèches.
Au bruit d’un air de chasse, la nouvelle Diane et ses Nymphes prennent une course légère et rapide, et cette danse vive et brillante offre d’instans en instans des groupes pittoresques. L’Amour paroît ; Diane, en voulant le fuir, se trouve dans les bras d’Adonis. L’Amour la blesse ; le Berger est à ses genoux ; elle se laisse aller et se penche dans les bras des Nymphes, en exprimant la douleur que lui cause sa blessure. C’est dans cet instant que l’artiste se saisit de ses crayons, qu’il trace et retrace encore, qu’il efface, qu’il recommence, et que ses crayons {p. 186}indociles s’échappent de sa tremblante main. Il fait un geste, et le grouppe disparoît.
Il aborde Campaspe avec le trouble et l’émotion qu’inspire l’Amour ; il la supplie de pardonner à sa lenteur et à son indécision. Campaspe l’encourage ; il voudrait lui faire l’aveu de ses sentimens ; il n’ose s’y déterminer ; Campaspe, blessée du même trait que lui, désirerait lui dire combien elle est sensible aux émotions qu’il éprouve et qu’elle partage. Apelles, en la fixant tendrement, trouve que Vénus lui ressemble, mais qu’elle est plus belle que Vénus ; qu’elle la surpasse en graces et en attraits. Cette pensée le détermine à peindre Campaspe sous la forme de la mère des amours. Il donne ses ordres à son élève chéri, et dans l’instant on apporte tout ce qui est nécessaire à la composition de ce vaste tableau.
Apelles pose son modèle sur un lit de fleurs. L’Amour derrière elle mais plus élevé couronne Vénus. A l’entour de ce lit, mais sur des plans inégaux en hauteur, se place une foule d’Amours et de Zéphirs, tenant des corbeilles, des guirlandes, des cassolettes, des vases ; deux d’entr’eux portent les tourterelles de Vénus. Ce groupe paroît informe et ne dit rien, mais par un geste d’Apelles, il se dessine d’un trait et offre dans sa forme pyramidale l’ensemble le plus aimable et le plus voluptueux.
Apelles, voulant répandre une vapeur légère sur ce tableau et rendre hommage à la beauté qui l’enchante, fait brûler l’encens, et se prosterne aux pieds de sa Vénus.
{p. 187}Roxane, dévorée par la jalousie s’est introduite dans l’atelier d’Apelles ; elle est témoin de l’hommage qu’il rend à Campaspe ; elle fait éclater la joie que lui donne l’espoir de perdre sa rivale, et sort on faisant entendre qu’elle va dévoiler à Alexandre la trahison du peintre et la perfidie de Campaspe.
Apelles, s’étant livré à son enthousiasme et ayant rendu à la beauté qui l’enflamme l’hommage que son cœur lui devoit, retourne à l’ouvrage.
Alexandre, prévenu par Roxane, entre sans bruit ; il approche ; à la vue du groupe qui lui semble céleste ; il applaudit à l’imagination brillante de l’artiste ; il voit qu’il a été trompé, et il sort pour ne point distraire Apelles de son travail.
Eperduement épris, cet artiste ne voit que la belle Campaspe ; il trace, il efface, tous ses traits sont imparfaits. L’Amour a amorti ses crayons, émoussé ses pinceaux, affoibli ses couleurs. Son imagination, son goût et son génie l’ont abandonné pour faire place à l’Amour. Honteux de lui-même il brise ses crayons, il jette loin de lui sa palette et ses pinceaux et renverse son chevalet, il marche, il s’agite ; tout annonce en lui le désordre de ses sens.
Pendant cette scène, Campaspe participe à l’action ; elle exprime sa tendre inquiétude et voyant Apelles appuyé sur un bout de colonne, dans l’attitude d’un homme accablé sous le poids du desespoir, elle vole vers lui dans le dessein de suspendre ses maux. Apelles se retourne et la voit ; il tombe à ses génoux, il lui fait l’aveu de sa passion ; il la presse et {p. 188}la conjure de répondre à sa tendresse ; Campaspe emue et vivement troublée, lui avoue que son cœur la partage. Il se saisit de sa main, la baise avec transport. Alexandre paroît.
Scène V. §
Ce Prince est accompagné d’Ephestion. Roxane le suit de loin. La surprise d’Alexandre est extrême ; elle égale la crainte dont les deux amans sont saisis. Ce Prince se livre à tout son ressentiment, Ephestion le modère ; Campaspe tombe aux pieds de son maître et s’y évanouit. Apelles paroît moins trembler pour lui que pour les jours de sa maîtresse. Alexandre, combattu par les différens mouvemens qui agitent son âme, cède enfin à celui de la générosité, oublie tout à la fois sa vengeance, son amour et fait grace aux perfides qui ont abusé de ses bontés et de sa confiance. Roxane se précipite dans les bras d’Alexandre ; elle vole au secours d’une rivale qu’elle ne craint plus. Campaspe revoit la lumière et embrasse les genoux d’Alexandre. Apelles se jette à ses pieds. Le favori de ce Prince lui témoigne l’admiration que lui inspire ce nouveau trait de grandeur, de clémence et de générosité.
Alexandre, non content d’avoir pardonné à Campaspe et à l’artiste, veut encore les unir et leur ordonne de le suivre ; ils sortent avec lui, en exprimant leur félicité et leur reconnoissance.
Dernière partie. §
Alexandre, suivi d’un brillant cortège, conduit les deux époux, leur fait présenter la coupe nuptiale, les unit et les comble de présens, qui leur sont offerts par la suite de ce Prince.
Après cette cérémonie, Alexandre donne la main à Roxane, et l’élève au trône, au pied du quel on lui rend tous les honneurs qui lui sont dûs. Ce couronnement est terminé par une danse générale, à la quelle Alexandre daigne se mêler. Les mouvemens nobles et vifs de cette dernière fête, caractérisent la félicité des epoux, le bonheur de Roxane, la satisfaction d’Alexandre, et la joie de tous ceux qui ont été témoins de la victoire que ce héros a remportée sur lui-même.
FIN.
Je me suis dispensé d’entrer dans les détails du couronnement de Roxane ;
Personne n’ignore que cette cérémonie auguste doit être pompeuse.
La Rosière de Salency.
Ballet pastoral. §
Avant-propos. §
La fête de la Rose, n’est point une fiction. Depuis douze siècles et plus, on la célèbre chaque année en Picardie, au village de Salency, à une demi-lieue de Noyon. On attribue l’institution de cette fête à St. Médard, seigneur de ce village, qui vivoit sous les règnes de Meroué, Childeric et Clovis. Cet homme respectable avoit imaginé de donner tous les ans, à celle des filles de sa terre, qui jouiroit de la plus grande réputation de vertu, 25 livres, qui étoient dans ce temps là une somme assez considérable ; et une couronne ou chapeau de roses. On dit qu’il donna lui-même ce prix glorieux à l’une de ses sœurs, que la voix publique avoit nommée pour être Rosière.
Cette récompense devint pour les filles de Salency un puissant motif de sagesse. Indépendamment de l’honneur qu’en retiroit la Rosière, elle trouvoit infailliblement à se marier dans l’année. Ce digne seigneur, frappé de cet avantage, perpétua cet établissement. Il détacha des domaines de sa terre douze arpens, dont il affecta les revenus au payement des 25 livres, et des frais accessoires de la cérémonie de la Rose.
Par les titres de la fondation, il faut non seulement que la Rosière ait une conduite irréprochable, mais que son père, sa mère, ses frères et ses sœurs soient eux-mêmes irrépréhensibles.
Depuis ce tems, le soigneur du lieu, l’intendant de la province, ou leur préposé a droit de choisir la Rosière, d’après {p. 194}le rapport du Bailli ; mais il faut que le jugement soit continué par tous les notables du village.
Le 8. Juin, vers les deux heures après midi, la Rosière, vêtue de blanc, frisée, poudrée, les cheveux flottans en grosses boucles sur les épaules, accompagnée de sa famille et des filles du village, aux quelles les garçons donnent la main, se rend au lieu destiné pour la cérémonie, au son des violons, des haubois et des musettes. On pose la couronne de roses sur sa tête, et on lui remet en même temps la somme de 25 livres ; ensuite on forme un bal champêtre.
Plusieurs Rois de France ont honoré de leur protection cet établissement utile. Louis XIII. se trouvant au château de Varennes près Salency, Monsieur de Belloi, alors seigneur de ce village, le supplia de faire donner en son nom le prix destiné pour la Rosière. Louis XIII y consentit, et envoya Monsieur le Marquis de Gordes, son premier Capitaine des Gardes, qui fit la cérémonie pour le Roi, par les ordres du quel il ajouta au prix une bague et un cordon bleu. C’est depuis cette époque que la Rosière reçoit une bague, et qu’elle et ses compagnes sont décorées de ces rubans.
Tous ces faits sont constatés par les titres les plus authentiques. On ne sauroit croire combien ce prix excite à Salency l’émulation des mœurs et de la sagesse. Tous les habitans de ce village, composé de 145 feux, sont doux, honnêtes, sobres, laborieux, et vivent satisfaits de leur sort ; il n’y a pas un seul exemple d’un crime commis par un naturel du lieu, pas même d’un vice grossier, encore moins d’une foiblesse de la part du Sexe.
Une société de bourgeois de Paris, moyennant la permission de Monseigneur le Duc d’Orléans, et l’agrément de Monsieur le Marquis de Segur, seigneur de Romainville, y vient d’établir une fête annuelle, à l’imitation de la Rose de Salency, pour la conservation et l’encouragement des mœurs. Le prix destiné à la fille de Romainville qui sera jugée la plus attentive à ses devoirs, la plus modeste, la plus respectueuse envers ses parens, et la plus douce envers ses compagnes, est de 300 livres. Les habitans se chargent des frais du mariage de la Rosière et de ceux de son premier accouchement, et ils tiendront l’enfant aux fonts baptismaux. Madame la Marquise de Segur voulant contribuer au prix de la vertu, se charge de l’habillement de l’épouse. Cette fête a eu son commencement le 21. Juin jour de Dimanche de cette année.
Personnages. §
- Julie, Rosière.
- Colin, son prétendu, fermier du château de Varennes.
- Herpin, oncle de Julie, fermier de Salency.
- Mathurine, tante de Julie.
- Javotte, fille de Herpin.
- Le Bailli.
- Clitandre, seigneur de Salency et de Varennes.
- Climène, son épouse.
- Garçons et filles de Salency.
- Garçons et filles de Varennes.
Scène première. §
Au point du jour les garçons du village de Salency et du Hameau voisin s’assemblent devant la maison de Julie. Elle a été unanimement choisie pour être Rosière, et pour recevoir le prix destiné aux Graces et à la vertu. Les uns ornent sa maison de festons de fleurs, et y posent le drapeau blanc, symbole de l’innocence, d’autres forment un concert champêtre et se livrent à des danses qui expriment la joie. La petite Javotte, attirée par la curiosité de son âge, sort de la maison. L’idée du bonheur, dont sa cousine va jouir, les apprêts de la fête, tout l’engage à se livrer aux jeux des paysans ; elle danse avec eux, et appelle ensuite Julie.
Scène II. §
Javotte montre avec empressement à Julie les guirlandes qui embellissent la maison, et l’embrasse, en la félicitant sur le bonheur, qui lui est réservé. Julie enchantée témoigne sa satisfaction avec ce trouble et cette simplicité qui est le fard de l’innocence. La petite Javotte court chez elle pour instruire son père et sa mère du choix de la communauté.
Scène III. §
Le bailli, qui est épris de Julie, et que Julie ne peut souffrir, aborde la nouvelle Rosière, avec l’importance de la sottise ; il lui fait entendre que c’est à lui seul qu’elle doit l’honneur dont elle va jouir ; {p. 198}que son autorité a su déterminer en sa faveur tous les habitans de Salency ; qu’il est bien juste que la Rosière soit reconnoissante, il lui jure qu’il l’adore, qu’il veut lui donner la main et en faire son épouse. Julie lui répond qu’elle ne l’aime point, qu’elle ne l’aimera jamais. Cet aveu irrite le bailli ; il veut se saisir de la main de Julie ; elle le repousse avec fierté ; il veut la lui baiser ; elle lui donne un souflet. Il se retire en la menaçant de se venger de ses mépris et de son indifférence.
Scène IV. §
Colin aborde Julie avec le trouble du sentiment : il la félicite sur son bonheur ; il y est d’autant plus sensible qu’il le partage, qu’il aime Julie, qu’il en est aimé, que le choix du village justifie son goût, et que la main de la Rosière doit mettre le comble à sa félicité. Il détache une rose de son chapeau ; il l’offre à Julie ; elle l’accepte avec plaisir ; il ose lui baiser la main, et il se sépare d’elle pour rejoindre ses camarades.
Pendant cette scène, le Bailli est aux aguets avec quelques filles du village ; il les a engagées par des promesses à lui servir de témoins, à déposer contre Julie et à signer le Procès-Verbal. Chacune d’elle se persuade qu’elle sera élue Rosière. Elles partent dans cette confiance, et sont remplacées par les garçons de la fête.
Scène V. §
A l’aspect du Bailli, Julie court chez elle. Il ordonne aux garçons du village d’arracher les festons de fleurs et le drapeau qui ornent la maison de la Rosière. Aucun d’eux ne veut obéir. Le Bailli outré de colère, se prépare à enlever les marques d’honneur que le village a accordées à Julie. Attirée par le bruit elle sort de chez elle ; et désespérée de la résolution cruelle du Bailli, elle pleure, elle se jette à ses genoux. Les paysans emploient de leur côté la prière ; mais rien ne peut adoucir la jalouse colère du Bailli, il arrache les guirlandes, il enlève le drapeau.
Scène VI. §
Colin accourt ; son expression est celle du désespoir ; il est témoin des larmes de Julie et de l’injustice du Bailli. Il lui arrache le drapeau, il veut s’élancer sur lui et le punir de son injustice. Le Bailli fuit, et les paysans le suivent pour l’engager à réparer l’injure qu’il vient de faire à l’innocence et à la vertu.
Scène VII. §
Colin, qui est fermier du Seigneur de Salency, dit à Julie qu’il va se jetter à ses pieds : qu’il est bon, qu’il est humain, et qu’il ose tout attendre de son équité.
{p. 200}Cependant le temps s’est obscurci, on entend le tonnerre ; Julie ne veut pas que Colin s’expose à l’orage ; le torrent qui doit le conduire au chateau est quelques fois dangereux ; mais Colin qui craint moins la mort que la honte dont on veut couvrir ce qu’il aime, part en assurant Julie que dans peu il sera de retour. Il se jette dans une petite Nacelle, elle le suit des yeux, et fait des vœux pour le succès de son voyage.
Scène VIII. §
Julie s’abandonne à la plus excessive douleur. Le Bailli vient de flétrir sa réputation ; sa famille sera couverte d’infamie ; plus d’établissement, plus d’égards…… ! elle ne peut résister à l’idée déchirante de sa situation, ses parens accourent ; elle se jette dans leurs bras ; ils la questionnent et elle ne leur répond que par des larmes et des sanglots. Enfin pressée par son oncle et sa tante de leur dévoiler la cause de son affliction, elle leur montre la maison dépouillée des ornemens honorables, que le village avoit accordés à ses mœurs et à sa vertu. Herpin et sa femme ne peuvent voir cet affront sans frémir de colère. Le soupçon s’empare de leurs âmes ; leur délicatesse offensée ne leur permet point d’entendre la justification de leur nièce. Ils agravent ses peines en l’accablant de reproches. Ils regardent l’orage comme une suite naturelle de la punition qu’elle mérite. Ils rentrent chez eux ; et Julie les suit pour {p. 201}les désabuser, et les instruire des intentions criminelles du Bailli.
Scène IX. §
L’orage augmente. On voit les débris du bâteau sur le quel Colin étoit parti. Il n’est point douteux qu’il n’ait été englouti. Aussi des paysans viennent-ils annoncer au Bailli qu’il est noyé. Cette nouvelle fait renaître dans son ame le calme et l’espérance. Il va frapper à la porte d’Herpin ; on ouvre : il veut entrer ; on le repousse avec horreur : sa noirceur est découverte, il annonce avec une feinte douleur la mort de Colin. A cette nouvelle, Julie tombe sans connoissance dans les bras de sa tante : on l’entraîne sur un banc voisin de la maison. Le Bailli saisit cette circonstance, il offre sa main pour Julie : cette proposition est rejettée avec mépris. L’honnêteté offensée ne connoît plus d’égards. Herpin, sa femme et la petite Javotte le chassent avec indignation. Ils rentrent précipitamment chez eux pour apporter du secours à leur nièce.
Scène X. §
Julie revient à elle, et revoit la lumière. Le tableau de sa situation se retrace à son imagination avec les couleurs les plus affreuses ; elle est déshonorée ; elle a perdu son amant : la vie lui devient un fardeau insupportable. Elle regarde la mort comme le remède le plus certain aux tourmens qu’elle endure ; elle prend la résolution de se précipiter dans {p. 202}le torrent ; elle embrasse Javotte ; court, monte sur un rocher ; et au moment où elle va s’élancer, elle apperçoit Colin et se jette dans ses bras. Javotte enchantée, vole avertir son père et sa mère ; ils accourent, ils voyent Colin, l’embrassent et le conduisent chez eux en exprimant l’excès de leur joye.
Scène XI. §
Le Bailli paroît avec les habitans de Salency, et ceux du village voisin. Il tient une couronne à la main ; il fait placer un trône de verdure, couronné d’un baldaquin de fleurs : il va élire une nouvelle Rosière : toutes les filles attendent en silence l’arrêt du Bailli, et de leur bonheur… un bruit de chasse se fait entendre.
Scène XII et dernière. §
C’est le Seigneur, son épouse et sa suite. Il vient venger l’innocence, couronner la vertu et punir l’injustice. Son arrivée interdit le Bailli. Au bruit des cors, Herpin et sa famille sortent de leur maison et se précipitent aux pieds du Seigneur de Salency et de son épouse. Le Bailli présente en tremblant son Procès-Verbal. Le Seigneur le lit et le déchire avec indignation ; il lui arrache la couronne ; il lui ordonne de replacer les guirlandes et le drapeau. Les filles du village abandonnent son parti pour se ranger du coté de la Rosière, qui les embrasse sans rancune. Le Bailli monte à l’échelle ; tout le monde se moque de lui. Le Seigneur commande à ses Gardes-chasses de {p. 203}l’arrêter. A cet ordre, Julie embrasse les genoux du Seigneur, et demande grace pour lui. Cet acte de générosité ajoute encore aux vertus de Julie. Le Seigneur pardonne au Bailli ; il ordonne que la fête commence ; il veut couronner l’innocence et jouir du spectacle ravissant de faire des heureux.
On décore la Rosière du ruban bleu ; on lui donne la bourse et la bague ; on l’unit à ce qu’elle aime ; et cette fête, champêtre est terminée par des danses analogues à la circonstance, que le Seigneur et son épouse se font un plaisir d’embellir.
FIN.
Pyrrhus et Polixène.
Ballet tragique. §
Personnages. §
- Pyrrhus, fils d’Achille, Genéral des Grecs.
- Polixène, fille de Priam.
- Priam, Roi des Troyens.
- L’ombre d’Achille.
- Dames troyennes, Captives.
- Capitaines et soldats troyens, Captifs.
- Officiers Grecs.
- Soldats Grecs.
- Prêtres et sacrificateurs d’Apollon.
Première partie. §
Scène I. §
Pyrrhus, profitant de la brèche que les Troyens viennent de faire à leur ville, pour y donner l’entrée à l’enorme cheval qui renfermoit des hommes armés, et que les Grecs avoient fait construire et feint d’abandonner ensuite, pour surprendre la crédulité des ennemis ; Pyrrhus tombe sur les Troyens ; il fonce dans leur ville ; il y répand le carnage et la mort et la fait incendier par ses troupes. Les Troyens épouvantés ne peuvent échapper au trépas, qu’en acceptant des fers ; le feu se communique de proche en proche ; déjà il embrase le palais de Priam, qui, près de crouler sur ses fondemens ne permet plus à ce Prince infortuné de s’y réfugier. Il se sauve avec un petit nombre des siens vers le temple de Jupiter, et s’efforce en vain de chercher un azile contre la mort. Pyrrhus qui est à sa poursuite et qui veut l’immoler à sa fureur l’atteint au peristille du temple. Ce Roi prosterné aux pieds de la statue de Jupiter, semble lui rendre graces de la conservation de ses jours ; mais Pyrrhus, avide d’un sang qu’il déteste, égorge Priam sur les marches de ce temple ; il l’entraîne mourant et ensanglanté au milieu de ses soldats, et ce sang, que les Grecs prennent plaisir à voir couler, est le signal de la clémence ; Pyrrhus ordonne à ses troupes de n’en plus {p. 208 }répandre ; mais de charger de fers tous ceux qui ont évité la mort, à ce saccagement général succède la destruction et la ruine totale de la ville et du palais de Priam consumé par les flammes. On voit défiler par les derrières de cette ville les Troyens et les Troyennes enchaînés ; les Grecs portent les trophées de la victoire ; les uns sont chargés des dépouilles des vaincus, les autres le sont des trésors de Priam ; ce qui forme une marche triomphale mêlée des cris et des pleurs de tous ceux qui, avec leurs biens, ont perdu leur liberté.
Seconde partie. §
Scène I. §
Une marche de triomphe annonce l’arrivée du vainqueur ; Pyrrhus, précédé par une foule d’esclaves et de soldats, paroît sur un char formé des trophées de la victoire. Il est traîné par les officiers captifs ; les dames Troyennes y sont enchaînées, et elles expriment ce que la douleur et le désespoir ont de plus affreux ; ce char pompeux se démembre par une volte ; chaque morceau qui s’en sépare, compose un trophée, et il n’en reste qu’une espèce de trône élevé, sur le quel Pyrrhus est assis ; les vaincus se prosternent à ses pieds ; ils forment avec leurs boucliers des dégrès par les quels Pyrrhus descend. Les Grecs célèbrent le triomphe de ce héros par des danses guerrières, {p. 209}au bruit des timballes et des instrumens consacrés à la guerre.
Scène II. §
Polixène, fille de Priam, qui avoit tenté d’échapper à un esclavage honteux, est conduite à Pyrrhus. Elle lui est présentée dans les fers. La beauté de cette Princesse, son air majestueux, et cette noble fierté qui la caractérise au milieu des plus grands malheurs, frappent Pyrrhus de surprise et d’admiration ; les dames Troyennes oublient leurs chaînes pour voler vers elle ; Polixène reçoit leurs hommages avec cette bonté imposante, et cette fermeté héroïque, apanage des grandes ames. Un des principaux officiers remet dans cet instant à Pyrrhus le poignard avec le quel cette Princesse avoit voulu trancher ses jours, lorsqu’il l’arrêta ; la vue de ce fer retrace à son imagination tous les malheurs ; elle vole vers Pyrrhus, elle le conjure de mettre fin à une vie qui l’importune et lui paroît odieuse ; elle se jette à ses genoux ; elle lui présente son sein et elle l’invite à y plonger le fer qu’il tient à la main. Pyrrhus, frappé d’un courage si héroïque, et encore plus de sa beauté, n’est plus maître de résister à l’impression que les charmes de Polixène ont faites sur son cœur ; le poignard lui échappe de la main, il se jette dans ses bras ; il détache ses fers, et semble lui-même implorer sa clémence. Polixène lui demande la liberté des Troyens et des dames Troyennes ; elle lui est accordée ; tout ce peuple de vaincus se prosterne aux {p. 210}pieds de Pyrrhus et partage sa reconnoissance entre lui et Polixène, qu’il regarde comme l’instrument précieux de sa liberté, l’unique objet de la clémence de Pyrrhus. Ce changement de fortune fait renaître le calme dans tous les cœurs ; la joye, qui en est le symbole, éclate de toutes parts. Tous se livrent à des danses figurées qui expriment également leur allégresse et leur reconnoissance.
Pyrrhus est inquiet ; vivement agité par les mouvemens de son cœur, il oublie cette fête, l’ouvrage de sa valeur et de sa clémence, pour ne penser qu’à Polixène. Cette Princesse de son côté, aussi occupée de ses sentimens que Pyrrhus l’est des siens, porte moins ses regards sur les jeux qui lui sont offerts, que sur son vainqueur. Placés l’un et l’autre sur deux estrades opposées, leurs yeux se rencontrent, s’évitent, et se retrouvent. Ces deux amans peignent dans cette scène muette tous les mouvemens qui agitent leur ame.
Pyrrhus ne pouvant plus résister à l’impression vive que Polixène a faite sur lui, rompt le silence et lui offre son cœur et sa main : cette Princesse dissimule une partie de son trouble, et dérobant à son vainqueur le secret plaisir qu’elle ressent, elle feint de douter de la sincérité de ses sentimens. Pyrrhus s’empresse de détruire des soupçons qui l’offensent, et lui promet de lui engager sa foi en présence des prêtres d’Apollon, et de tout son camp ; il commande à un de ses principaux officiers l’appareil d’un pompeux sacrifice. Ici, Polixène se livre à sa {p. 211}passion avec moins de contrainte, et Pyrrhus, au comble de ses vœux, exprime que rien n’est comparable à sa félicité. Il présente la main à Polixène ; et il ordonne à toute sa suite de l’accompagner pour être témoin d’une union qui va faire son bonheur.
Troisième partie. §
Scène I. §
Les sacrificateurs et les prêtres se préparent à faire le sacrifice. Pyrrhus et Polixène paroissent. Ils sont suivis d’un nombreux cortège. La vue du tombeau d’Achille, et le souvenir des vertus de ce héros pénétrent tous les cœurs de respect et d’admiration. Les guerriers de la suite de Pyrrhus, se sentant animés de ce feu qu’inspire la valeur, se livrent à des jeux qu’ils ont institués, pour honorer la mémoire de ce grand capitaine. Les prêtres entrent dans le temple pour y consulter l’oracle. Pyrrhus et Polixène, impatiens de s’unir l’un à l’autre, expriment combien cette union importe à leur bonheur ; ils peignent l’inquiétude dont leur âme est agitée.
Le grand prêtre et les sacrificateurs sortent du temple. Leur air consterné jette Polixène et Pyrrhus dans la plus cruelle incertitude. Le grand prêtre leur {p. 212}fait entendre que les augures ne leur sont pas propices ; Pyrrhus, au désespoir, se flatte que le sacrifice, qu’il va offrir, lui rendra les dieux favorables ; il entre dans le temple ; mais ses vœux et ses offrandes sont rejettés ; la terre tremble, les éclairs percent la nue ; la foudre gronde, l’obscurité se répand par-tout. Les prêtres effrayés abandonnent les fonctions de leur ministère. Pyrrhus et Polixène sortent du temple et sont glacés d’horreur. Leur suite épouvantée s’empresse de fuir un lieu si redoutable.
Pyrrhus abattu et Polixène consternée sont immobiles ; l’arrêt de leur malheur semble les avoir anéantis. Cependant l’espérance renaît dans le cœur de ces amans, ils veulent tenter une seconde fois de fléchir le courroux des dieux. Ils marchent vers le temple ; mais des gouffres de feu leur en interdisent l’entrée ; leurs soupirs et leur encens sont repoussés par des coups de tonnerre ; la terre tremble de nouveau ; le tombeau d’Achille s’entr’ouvre ; et l’ombre menaçante de ce héros apparoît ; la pierre qui couvre cette tombe s’enflamme et on lit en caractères de feu :
Arrête et frémis, si le sang de Polixène n’appaise mes manes irrités.
A ce spectacle affreux, les cœurs sont glacés d’effroi. L’ombre disparoît. Polixène exprime sa douleur ; Pyrrhus peint son desespoir ; il se jette aux genoux de son amante éperdue, et fait tous ses efforts, pour la rassurer. Il vole ensuite vers les prêtres ; {p. 213}il les conduit au tombeau de son père ; il s’y prosterne avec eux et tâche en vain de le fléchir. Ses vœux et ses prières irritent davantage les manes d’Achille. La foudre en courroux redouble ses éclats ; la terre y répond par d’horribles secousses ; les vents se déchaînent ; l’impétuosité de leur souffle ajoute encore au terrible de cette situation. Le tombeau s’embrase de nouveau ; l’inscription devient plus ardente ; l’ombre menaçante du héros s’élève toute entière au dessus de la tombe ; elle tient un poignard à la main ; elle le jette à son fils, en lui ordonnant d’égorger Polixène ; ce héros recule d’horreur ; il frémit d’un ordre aussi barbare ; et sa main et son cœur se refusent à l’obéissance ; Polixène ramasse ce poignard ; elle jette un regard fier et terrible sur l’ombre d’Achille. Elle va se le plonger dans le sein, lorsque Pyrrhus vole, lui arrête le bras et la désarme. Ce Prince au comble du désespoir veut lui-même s’arracher la vie ; dans ce moment Polixène se jette à ses genoux ; le coup est suspendu par les regards, et les larmes de cette Princesse ; il se laisse aller dans ses bras, et il se livre aux divers sentimens qui déchirent son âme. Polixène profitant de cet instant se saisit du poignard ; elle se lève, se perce le sein et se traîne mourante vers le tombeau d’Achille ; l’ombre satisfaite disparoît. Les caractères de feu s’éteignent avec les jours de Polixène ; le ciel s’éclaircit ; les nuages se dissipent ; et c’est en vain que l’infortuné Pyrrhus tente d’unir son sang à celui de son amante. Les officiers Grecs, attentifs à la {p. 214}conservation des jours de ce héros, s’opposent à l’exécution d’un dessein si barbare.
Ici se termine ce spectacle par deux tableaux intéressans ; l’un représente Polixène égorgée au pied du tombeau d’Achille et entourée des dames Troyennes qui expriment ce que les regrets et la douleur ont de plus amer ; l’autre offre Pyrrhus accablé de désespoir et évanoui dans les bras des guerriers empressés à le secourir, et à l’arracher d’un séjour qui lui retraceroit son infortune et ses malheurs.
FIN.
La Descente d’Orphée aux Enfers.
Ballet héroï-pantomime. §
Personnages. §
- Orphée.
- Euridice.
- L’Amour.
- Pluton.
- Proserpine.
- Bacchus.
- Juges des enfers.
- Les Euménides.
- Démons et spectres.
- Caron.
- Femmes de la Thrace.
- Bergers et Bergères.
- Bacchantes.
- Faunes, Satyres et Silvains.
Première partie. §
Scène I. §
Orphée, en proye à sa douleur, ne peut se consoler de la perte d’Euridice ; il invoque l’Amour et l’appelle à son secours. Ce dieu sensible à la prière du chantre de la Thrace, a résolu de le conduire aux Enfers et de lui rendre Euridice.
Scène II. §
L’Amour paroît ; Orphée tombe à ses pieds, et les sons touchans de sa Lyre expriment la reconnaissance.
La terre s’entr’ouvre, l’Amour lui ordonne de le suivre. Guidé par ce dieu et éclairé par son flambeau, il disparoît avec lui.
Seconde partie. §
Scène I. §
Ce vieux Nautonier frémit de rage à la vue d’un mortel ; il ordonne à Orphée de quitter le rivage, et celui-ci le supplie de le passer à l’autre bord. Inspiré par l’Amour, il tourbe sa Lyre divine. Ses chants tendres et mélodieux dérident le front sourcilleux de {p. 218}l’inéxorable Nautonier ; il s’adoucit, reçoit Orphée dans sa nacelle et le conduit vers les sombres bords de l’empire de Pluton.
Le silence du chagrin fait place à l’horreur que lui fait éprouver la vue des tristes lieux, où son amour l’a conduit. D’un coté, il ne voit que des antres et des rochers affreux, de l’autre, il apperçoit les portes de l’Enfer ; il n’entend que des plaintes lamentables, que des voix gémissantes, que des cris de rage et de désespoir, poussés par les ombres criminelles. La terreur glace ses sens, et l’arrête ; mais animé par l’Amour qui guide invisiblement ses pas, et par l’espoir de revoir l’objet que son cœur adore, il marche d’un air plus assuré et arrive à la porte des Enfers. Les sons de sa lyre l’ébranlent, et ses accens harmonieux l’ouvrent. Il triomphe de la rage et des aboyemens de Cerbère : c’est vainement qu’une troupe de Démons armés de torches s’oppose à son passage : la terreur d’abord le rend immobile, mais ranimant les accens de sa lyre, il avance ; il voit avec effroi les tourmens horribles aux quels les grands Criminels sont condamnés. Les Danaïdes suspendent leurs pénibles fonctions ; le malheureux Ixion se repose sur sa roue ; le rocher de Sisyphe reste immobile ; Tantale oublie sa soif dévorante, les cizeaux des inflexibles parques s’échappent de leurs mains ; les Euménides cessent leurs persécutions, et les noirs Spectres du Tartare dansent autour d’Orphée.
Troisième partie. §
Scène I. §
La vue d’un mortel étonne les ombres heureuses : de jeunes amans morts d’amour quittent leurs berceaux de myrthe et d’amarantes ; des héros qui ont versé leur sang pour la défense et la gloire de leur patrie abandonnent leurs allées ombragées de lauriers : Les poètes qui ont chanté leurs victoires, quittent les monts fleuris et les eaux argentés qui en découlent. Orphée bientôt se trouve environné par toutes ces ombres heureuses. Les accords de sa lyre retracent aux unes, les douceurs de l’Amour, aux autres les avantages de la gloire ; et chaque ombre se sent, pour ainsi dire, ramenée à son premier penchant, par l’expression vraie qu’Orphée donne à ses accens ; Les jeunes ombres se rassemblent et forment des danses autour de lui.
Cependant Orphée ne voit point sa chere Euridice, il la cherche, l’appelle et la nomme cent fois.
Un enfant, et cet enfant, c’est l’Amour, transformé en ombre le conduit près d’un berceau couvert de roses et de jasmin, sous le quel est une ombre assise, dans une attitude, qui exprime l’abattement et la tristesse ; cet enfant engage Orphée à se servir de sa lyre ; Euridice écoute, se lève, marche vers Orphée ; elle s’arrête, s’avance, recule et trésaille de joye. L’enfant soulève le voile qui déroboit ses traits. {p. 220}Orphée revoit sa chere Euridice, tombe à ses pieds et la reçoit dans ses bras. Toutes les ombres se réunissent près des epoux et forment un grouppe général qui exprime à la fois l’étonnement l’admiration et le bonheur.
Le jeune enfant s’approche d’Orphée, lui dit un mot à l’oreille et disparoît ; il lui a ordonné de se rendre au palais de Pluton ; Orphée quitte à regret sa chère Euridice, et lui promet, en lui faisant les plus tendres adieux, de revenir promptement. Euridice le suit des yeux et fait des vœux pour son retour.
Quatrième partie. §
Scène I. §
L’Amour a répandu sa douce influence. Orphée paroît et se prosterne devant ces divinités. Il les supplie de lui rendre sa chère Euridice, et mêle à ses chants les accords enchanteurs de sa lyre : Pluton est ému et Proserpine attendrie ; le Dieu ordonne aux Juges de son empire de remettre Euridice à son époux ; mais il y joint une condition pénible et affligeante, celle de ne point jetter un regard sur Euridice tant qu’il sera dans son empire. Orphée exprime sa reconnoissance, et la cour du Dieu des Enfers se livre à des danses que les chants d’Orphée animent.
Cinquième partie. §
Scène I. §
Orphée y est conduit ; Euridice lui est rendue. On lui renouvelle l’ordre immuable de Pluton, et on lui montre le chemin le plus court ; pour arriver à la barque de Caron.
Euridice enchantée vole vers son époux ; il lui tend la main sans la regarder ; elle le conjure et le presse de jetter les yeux sur elle. Fidèle au décret de Pluton, il refuse de la regarder ; Euridice passe de tous cotés ; il fuit et détourne la tête, en exprimant le tourment qu’il endure : Euridice le conjure de nouveau de répondre à son impatience et de jetter un regard sur elle ; ses refus l’offensent, elle les attribue à son indifférence, et quitte sa main en exprimant son dépit. Orphée l’appelle ; elle boude et ne revient pas. Orphée désespéré croit qu’Euridice l’a abandonné, ou que l’enfer jaloux de son bonheur la lui a ravie ; il se retourne et la voit.
Scène II. §
Dans cet instant des démons, conduits par les furies, s’élancent sur elle et l’arrachent des bras de son époux ; l’Amour lui prête de l’énergie et du courage : elle lutte contre ces monstres. Orphée animé des mêmes sentimens, se réunit à Euridice : {p. 222}par un nouvel effort les démons séparent ces deux époux pour la seconde fois ; mais animés du désir de se rejoindre, ils se dégagent de leurs bras, et volent l’un à l’autre. Les furies irritées de cette résistance parviennent enfin à arracher Euridice des bras d’Orphée, tandis que celui-ci est enveloppé par les démons. L’Enfer triomphe ; les furies enlèvent Euridice, et les noirs spectres du Tartare entraînent Orphée hors de ce lieu de douleur et d’épouvante1.
Sixième partie. §
Scène I. §
Orphée inconsolable de la double perte d’Euridice cherche la solitude pour s’abandonner entièrement à sa douleur. Quelques femmes attirées par les charmes de l’harmonie l’engagent à quitter ces affreux déserts pour venir habiter des lieux plus agréables ; Orphée, toujours fidèle à son épouse, méprise leurs conseils ; aussi insensible à leurs charmes qu’aux attraits de la volupté dont elles lui retracent l’image, il les fuit avec dédain : Ces femmes irritées le quittent en exprimant leur dépit, et en le menaçant d’une vengeance éclatante.
Scène II. §
{p. 223}Aux accens de la lyre d’Orphée, la décoration change successivement de forme, et s’embellit par gradation : les arbres viennent se ranger à la place des rochers ; les ronces se métamorphosent en fleurs, les autres se transforment en berceaux ; le coteau enfante des vignes qui en croissant s’unissent pour former de leurs pampres des guirlandes ; les oiseaux s’empressent, à répéter les chants d’Orphée ; des bergers et des Bergères quittent leurs hameaux pour se livrer aux transports de leur innocente joie : ils lui présentent des fleurs et des fruits, et ils expriment par des danses simples et naïves le bonheur qu’ils ont de le posséder dans leur voisinage ; la nature enfin, semble rendre hommage au chantre de la Thrace, en s’empressant d’embéllir sa sollitude par ces agréables métamorphoses.
Scène III. §
Les femmes irritées paroissent à la tête des bacchantes : elles sont armées de Thyrses, plusieurs d’entre elles tiennent des instrumens consacrés au culte de Bacchus. Enivrées de leur bacchique fureur, elles cherchent le malheureux Orphée pour l’immoler à leur rage ; elles ne l’ont pas plutôt apperçu, qu’elles s’élancent sur lui ; moins sensibles que les rochers, elles ne répondent à ses accens qu’en lui portant des coups redoublés de leurs thyrses, et en le renversant sur un rocher pour le sacrifier à leur rage.
Scène IV et dernière. §
Bacchus justement irrité, et s’intéressant aux jours d’un mortel qui fait le plus bel ornement de ses fêtes, paroît, et descend du Mont Rhodope : ce Dieu est dans un char traîné par des tigres ; une foule de Satyres et de Silvains le devance, et il est suivi par une troupe de jeunes Faunes : les Bacchantes, effrayées des regards de ce Dieu, reculent et n’osent plus lever les yeux.
La terre s’entr’ouvre ; il en sort une légère vapeur, qui, en se dissipant insensiblement, laisse voir l’Amour et Euridice. La présence de ce Dieu charmant ranime bientôt Orphée ; il ouvre ses yeux mourants, il se relève ; mais qu’elle est sa surprise lorsqu’il s’apperçoit qu’Euridice lui est rendue par les mains de l’Amour ; transporté de joye, il rend hommage à l’enfant de Cythère, et il partage sa reconnoissance entre l’Amour et Bacchus ; puis se retournant vers son épouse, il se livre à tous les transports de la tendresse ; les faunes, les Silvains et les Satyres s’unissent aux Bacchantes par des danses vives et voluptueuses. L’Amour et Bacchus prennent part à cette fête qui est l’ouvrage de leur bonté. Orphée et Euridice au comble du bonheur, expriment leur reconnaissance et leur félicité ; et ce ballet se termine par une bacchanale et un grouppe général qui peint tout à la fois les charmes de l’Amour et les plaisirs de Bacchus.
FIN DU TROISIÈME VOLUME.
Errata du tome III §
- Page, ligne.
- 14. 5. de grandes séringes, lisés : de grandes séringues.
- 16. 5. que je placé lisés : que je place.
- 23. 4. determiner, lisés : déterminer.
- id. 5. qui etoient, lisés : qui étoient.
- 29. 16. des baragues, lisés : des baraques.
- 34. 12. Sans prétension, lisés : sans prétention.
- 41. 2. la victoire panche, lisés : la victoire penche.
- 40. 7. et par degré, lisés : et par degrés.
- 47. 28. le porte, lisés : les porte.
- 53. 9. en ont donné, lisés : en ont donné.
- 54. 14. masquarade, lisés : mascarade.
- 56. 3. le génie a prise, lisés : le génie a pris.
- 67. 8. une jeune fille, lisés : une jeune fille.
- id. 18. les dictionuaires, lisés : les dictionnaires.
- 60. 14. mais aucnn, lisés : mais aucun.
- id. 23. et courrent, lisés : et courent.
- 62. 17. des Zéphyres, lisés : des Zéphyrs.
- 80. 5. des immortels, lisés : des immortelles.
- 83. 26. son langage parsuasif, lisés : son langage persuasif.
- 86 19. du Zephyre. lisés : du Zéphyr.
- 87 9. par les Zephyres, lisés : par les Zephyrs.
- 88. 7. ornée des trésors, lisés : orné des trésors.
- 91. 4. fait n’aître, lisés : fait naître.
- id. 15. le mene en lesse, lisés ; le méne en laisse.
- 103. 13. ayant surmontés, lisés : ayant surmonté.
- 104. 21. la baquette d’or, lisés : la baguette d’or.
- 105. 22. d’en être separe, lisés : d’en etre séparé.
- 122. 9. et de Zéphires, lisés : et de Zéphyrs.
- 123. 18. qui recouvrit, lisés : qui recouvra.
- id. 24. se seroient opposé, lisés : se seraient opposées.
- 124. 15. la biensceance, lisés : la bienséance.
- 126. 23. des Zéphires, lisés : des Zéphirs.
- id. 24. les Zéphires, lisés : les Zéphirs.
- 128. 19. les tableaux qu’en résultent, lisés : les tableaux qui en résultent.
- 132. 15. des Zéphires, lisés : des Zéphirs.
- 159. 7. qu’il a vaincus, lisés : qu’il a vaincues.
- 161. 17. son pouroir. lisés : son pouvoir.
- 165. 3. tunique que doit, lisés : tunique qui doit.
- 167. 26. le ciel s’entrouve, lisés ; le ciel s’entr’ouvre.
- [n.p.]172. 16. s’est emparé, lisés : s’est emparée.
- 182. 21. celle se pose, lises : elle se pose.
- 185. 1. Zéphir les reçoit, lisés : Zéphir qui la reçoit.
- 188.13. par des différens, lisés : par les différens.
- 194. 23. l’émutation, lisés : l’émulation.
- 218. 6. son amour là conduit, lisés : son amour l’a conduit.
- id. 15. l’ébranle, lisés : l’ébranlent.