Henri-Louis Billet

1865

De la Versification française, préceptes et exercices à l’usage des élèves de rhétorique. Première partie. Préceptes. Conseils aux élèves.

2015
Billet, Henri-Louis, De la versification française, préceptes et exercices à l’usage des élèves de rhétorique, Saint-Quentin, Imprimerie Hourdequin et Thiroux, 1865, 47 p. PDF: Gallica.
Ont participé à cette édition électronique : Gabrielle NGuyen (OCR, édition).
À mes chers élèves.
Jeunes Amis,

C’est à vous que je veux dédier cet opuscule, parce que c’est vous, vous seuls, qui me l’avez inspiré. C’est pour vous que j’ai recueilli ces préceptes ; pour vous que j’ai imaginé ces exercices ; pour vous, et avant vous, que j’ai fait moi-même tous ces devoirs.

Gardez ce souvenir d’un enseignement que vous avez accueilli avec plaisir, et que je vous ai donné avec bonheur.

H. BILLET.
Directeur de Saint-Barthélémy.

I. §

Étudiez Racine et Boileau, nos maîtres, à tous !

Que leurs doctes écrits, par les Muses dictés,    
Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés1.

Étudiez Boileau et Racine ; et vous apprendrez dans leurs vers, bien mieux que dans n’importe quel Traité, toutes les règles et tous les Secrets de la versification française. — C’est un travail que nous allons commencer ensemble, et que, pour votre plus grande utilité, je vous laisserai continuer tout seuls.

II. §

Et vous-mêmes, à votre tour, mettez-vous à l’œuvre : Essayez de faire des vers français. — Deviendrez-vous ainsi des poètes ? Non, très-vraisemblablement ; car, vous le savez :

C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l’art des vers atteindre la hauteur :
S’il ne sent point du ciel l’influence secrète,
Si son astre en naissant ne l’a formé poète,
Dans son génie étroit il est toujours captif ;
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.
(Boileau, Art p., v. 1-6.)

Mais, au moins, vous deviendrez des versificateurs, et alors vous pourrez, avec connaissance de cause, louer ou blâmer les vers des autres ; alors surtout, vous serez plus heureux d’admirer les grands poètes dont la France s’enorgueillit, à si juste titre, depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours.    

III. §

Travaillez, prenez de la peine.
Appliquez-vous, sans vous décourager, sans vous impatienter jamais.
Hâtez-vous lentement ; et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez :
Ajoutez quelquefois ; et souvent effacez.
(Boileau, Art p., I, v. 171.)

IV. §

L’auteur doit mettre à son œuvre tant de travail, tant d’art, que l’art et le travail disparaissent aux yeux du lecteur. — Boileau employait une journée entière pour faire une dizaine de vers. Il lui fallut onze mois pour composer la Satire XII, et trois ans pour la corriger. — Racine remerciait Boileau de lui avoir appris à faire difficilement des vers faciles.

V. De la rime2. §

Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle ;
Et pour la rattraper, le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
(Boileau, Art p., I, v. 27.)

La rime pour le vers, et non le vers pour la rime. — Malheureusement, même dans nos meilleurs poètes, on trouve un certain nombre de vers qui, évidemment, n’ont été faits que pour la rime.

VI. Du petit nombre de rimes classiques.De Racine en particulier. §

Même en notant toutes les formes dont les mots variables sont susceptibles (le singulier et le pluriel des noms, le singulier et le pluriel, le masculin et le féminin des adjectifs ; les modes, les temps, les personnes, le singulier et le pluriel des verbes), on ne compte que 5, 900 rimes différentes dans Racine et Boileau. — Avec un millier seulement de rimes supplémentaires, pour les œuvres principales de Corneille et de Molière (soit, en tout, 7, 000), on posséderait le vocabulaire des rimes classiques de nos quatre grands poètes du XVIIe siècle3.

Parmi eux, celui qui répète le plus souvent les mêmes rimes, est incontestablement Racine : ce qui ne l’a pas empêché de faire, incontestablement aussi, le plus grand nombre de beaux vers, le plus grand nombre de vers vraiment poétiques.

Le nombre des mots (sans compter leurs formes diverses) qui ont fourni des rimes à Racine, ne s’élève pas tout-à-fait à trois mille : ce n’est qu'un mot pour sept vers4.

VII. Des rimes employées le plus fréquemment par Racine. §


Les deux rimes adore et encore ont fourni à Racine 34 vers ;
Les deux rimes humains et mains, id. 34 id. ;
Les deux rimes cœur et vainqueur, id. 36 id. ;
Les cinq rimes adieux, aïeux, cieux, dieux, lieux 106 id. ;
Les trois rimes douleurs, malheurs, et pleurs 68 id. ;
Les quatre rimes fois, lois, rois et voix 96 id. ;
Les cinq rimes foi, loi, moi, roi et toi 186 id. ;
Les trois rimes frère, mère et père 100 id. ;
Les quatre rimes alarmes, armes, charmes, larmes 138 id. ;
Les deux rimes amour et jour 74 id. ;

Les cinq rimes amours, discours, jours, secours et toujours5

166 id. ;
Les quatre rimes appui, aujourd’hui, ennui, lui 174 id. ;
Les deux rimes gloire et victoire 78 id.;
Les trois rimes mémoire, gloire et victoire 142 id. ;
Les cinq rimes coups, courroux, doux, nous, vous 278 id. ;
Les deux rimes aime et même 112 id. ;
Les trois rimes aime, extrême et même 180 id.

On remarque immédiatement ici les rimes qu’affectionnait le tendre Racine.

Enfin, le monosyllabe pas (nom ou adverbe), en se combinant avec les seules rimes en PAS, a fourni à Racine 130 vers ; — et, avec toutes les rimes en AS, ATS, 262 vers. Ainsi, 131 vers (ou la 144e partie de l’œuvre de notre poète) se terminent par le mot pas ; autrement dit : Tous les 144 vers, en moyenne, on retrouve ce même monosyllabe à la rime.

En résumé : sur ses 18, 900 vers, Racine en a composé plus de 1, 900, avec une cinquantaine de rimes différentes !

VIII. Des rimes trop communes et des rimes trop rares. §

« Le peu de rimes de notre langue fait que, pour rimer à hommes, on fait venir comme on peut le siècle où nous sommes, l’état où nous sommes, tous tant que nous sommes6. Cette gêne ne se fait que trop sentir en mille occasions. La seule ressource est d’éviter, si l’on peut, ces malheureuses rimes, et de chercher un autre tour ; la difficulté est prodigieuse, mais il la faut vaincre. »    

(Voltaire, note sur Corneille.)

Exemple de rimes trop communes.

A la suite d’un combat ridicule, et par ironie :

Bravo ! bravo ! victoire !
Quel honneur ! quelle gloire !
O Muse de l’Histoire,    
Consacre la mémoire
D'une telle victoire (bis).

D’un autre côté,

Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire7.
(Boileau, Art p., I, v.64.)

Il ne faut donc pas, non plus, que le versificateur, pour échapper à tout prix à la banalité, se mette à la recherche de rimes extrêmement rares, étranges, impossibles. Il ne produirait guère que des vers aussi bizarres que ses rimes. Il s’exposerait même à perdre entièrement son temps et sa peine, attendu que notre langue n’a pas de rime pour certains mots, comme huître, hymne, perdre ( à l’infinitif ), rhythme, siècle, triomphe, etc.

Boileau voulut une fois terminer un vers par le mot huître :

Un jour............
Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une huître.

Et, pour remplir le premier vers, il ne trouva plus rien de mieux que les chevilles ci-dessous :

Un jour, dit un auteur, n’importe en quel chapitre,
Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une huître.
 (Epître II, v. 41.)

Un poète moderne, un vrai poète pourtant, n’a pas été plus heureux en cherchant une rime à hymne :

Comme deux rossignols au même nid éclos,
Enseignons-nous l’un l’autre à moduler ses hymnes ;
De la voix de la terre expirant sur ces cimes
Soyons-lui les derniers échos.
(De Lamartine.)

Quant à cet infinitif.....  perdre

( Rime qui peut rimer en erdre ),

Je le laisse à plus fin que moi.
(Scarron.)

Racine et Boileau n’ont employé que les formes je perds, se perd, perdu, perdue, perdus, perdues.

IX. Respecter la grammaire et l’orthographe. §

Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux :
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme,
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
(Boileau, Art. p., I, v. 155.)

Nous ne parlerons ici que des fautes de français et d’orthographe relatives à la rime.

Il y a d’abord des licences parfaitement autorisées, même aujourd’hui. C’est ainsi que, pour le besoin de la rime, on écrit encore ou encor, naguère ou naguères, etc.; qu’on fait amour du genre féminin, même au singulier ; etc. Mais nos jeunes versificateurs feront bien d’être sévères pour eux-mêmes, sur ce chapitre, et de ne pas écrire, par exemple, je voi, je croi, pour je vois, je crois ; ni, à plus forte raison, tu voi, tu croi, pour tu vois, tu crois.

(Voir notre ouvrage De la Rime d’après Boileau et Racine.)

« M. de Lamartine, préoccupé sans doute par la grandeur imposante de ses pensées, en a quelquefois négligé l’expression. On croirait que, jaloux d’un repos que l’envie et la haine laissent rarement au talent, il a jeté comme une expiation de son génie, dans ses ouvrages les plus parfaits, des imperfections volontaires, ou qu’il a pensé vivre encore dans cet âge de goût et de raison où le plus judicieux des critiques écrivait :

Ubi plura nitent in carmine, non ego paucis
Offendar maculis8.

M. de Lamartine a trouvé des juges plus sévères, et il devait s’y attendre. Il est si agréable de faire preuve du facile talent de peser des syllabes, de disséquer des mots, de souligner une épithète hasardée ou une rime défectueuse ! Joie puérile de la médiocrité, qui rappelle les insulteurs publics que les Romains plaçaient sur le chemin des triomphateurs, et qui ne les empêchaient pas de s’élever, entourés d’acclamations et couronnés de lauriers, aux pompes du Capitole ! »

(Méditations.Préface de Ch. Nodier.)
La critique est aisée, et l’art est difficile.
(Destouches, Le Glorieux, acte II, sc. 5.)

Nous aussi, nous ressentons la plus profonde admiration pour notre grand poète contemporain9. — Seulement, à propos de la rime, nous croyons devoir recommander à nos élèves de ne pas imiter les négligences ci-dessous, qui sont, d’ailleurs, extraites d’une œuvre moins parfaite que les Méditations.

Et bondissant après comme un jeune chamoi,
Me ramène à la grotte en courant devant moi.
***
Je me souvien
D’avoir eu pour ami, dans mon enfance, un chien
***
Soit que nous retrouvions, dans son manoir chéri,
De ses biens paternels quelque noble débri.
***
Peuvent-ils de leurs mains, sans pitié pour eux-même,
Se déchirer en deux dans le cœur qui les aime !
***
Heureuse je vivrai toujours, toujours, toujours !
Que m’importe quels vœux enchaîneront tes jours ?10
Ton travail en ce monde, et le pain dont tu vive ?
Et ton chemin ? Si Dieu permet que je t’y suive.
***
Jure-moi mon bonheur devant Dieu qui l’ordonne ;
Je jure de mourir, moi, si tu, m’abandonne !
***
Que les cachots vidés s’ouvrent partout d’eux-même,
Que de Dieu dans le temple on rétablit l’emblème.
***
Pendant que l’univers avec horreur admire .
La bataille de sang du juge et du martyre.
***
Que la foule a brisé ses instruments de mort,
Et reporte aux autels sa joie ou son remord.
***
On vous a mal jugés, mais jugez-vous vous-même,
Votre borne flottante est de vos lois l’emblème.
***
Les fait fendre le vide, et tourner sur eux-même
Par l’élan primitif sorti du bras suprême.
***
Il survivrait, coupable, à la honte, au remord,
Plus vivant que la vie, et plus fort que la mort.
***
Et j’aurais moins souffert  (pardonne à mon remord,
Seigneur ! ) d’en voir sortir l’agonie et la mort !
***
Tel par la caravane au désert oublié
L’homme cherche de l’œil la trace d’un seul pié11.
Etc., etc., etc...

X. Observer l’hémistiche. — Éviter l’hiatus. §

N’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère :
Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots,
Suspende l’hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
(Boileau, Art p., I, v. 103.)

A part le premier vers (vers de remplissage, peu poétique, peu harmonieux, peu fait pour plaire à une oreille sévère), Boileau joint admirablement ici l’exemple au précepte.

XI. Différentes coupes du vers alexandrin. §

1° AGRIPPINE et BURRHUS. §

AGRIPPINE.

Prétendez-vous longtemps me cacher l’empereur ?
Ne le verrai-je plus qu’à titre d’importune ?
Ai-je donc élevé si haut votre fortune
Pour mettre une barrière entre mon fils et moi ?
Ne l’osez-vous laisser un moment sur sa foi ?
Entre Sénèque et vous disputez-vous la gloire ?
À qui m’effacera plus tôt de sa mémoire ?    
Vous l’ai-je confié pour en faire un ingrat ?
Pour être, sous son nom, les maîtres de l’État ?
Certes, plus je médite, et moins je me figure
Que vous m’osiez compter pour votre créature,
Vous dont j’ai pu laisser vieillir l’ambition
Dans les honneurs obscurs de quelque légion ;
Et moi qui sur le trône ai suivi mes ancêtres,
Moi, fille, femme, sœur et mère de vos maîtres !
Que prétendez -vous donc ? Pensez-vous que ma voix
Ait fait un empereur pour m’en imposer trois ?
Néron n’est plus enfant : n’est-il pas temps qu’il règne ?
Jusqu’à quand voulez-vous que l’empereur vous craigne ?
Ne saurait-il rien voir qu’il n’emprunte vos yeux ?
Pour se conduire, enfin, n’a t-il pas ses aïeux ?
Qu’il choisisse, s’il veut, d’Auguste ou de Tibère ;
Qu’il imite, s’il peut, Germanicus mon père.
Parmi tant de héros je n’ose me placer ;
Mais il est des vertus que je lui puis tracer :
Je puis l’instruire au moins combien sa confidence
Entre un sujet et lui doit laisser de distance.

BURRHUS.

Je ne m’étais chargé dans cette occasion
Que d’excuser César d’une seule action ;
Mais puisque, sans vouloir que je le justifie,
Vous me rendez garant du reste de sa vie,
Je répondrai, madame, avec la liberté
D’un soldat qui sait mal farder la vérité.
Vous m’avez de César confié la jeunesse,    
Je l’avoue ; et je dois m’en souvenir sans cesse.
Mais vous avais-je fait serment de le trahir,
D’en faire un empereur qui ne sût qu’obéir ?
Non. Ce n’est plus à vous qu’il faut que j’en réponde :
Ce n’est plus votre fils, c’est le maître du monde.
J’en dois compte, madame, à l’empire romain,
Qui croit voir son salut ou sa perte en ma main.
Ah ! si dans l’ignorance il le fallait instruire,
N’avait-on que Sénèque et moi pour le séduire ?
Pourquoi de sa conduite éloigner les flatteurs ?
Fallait-il dans l’exil chercher des corrupteurs ?
La cour de Claudius, en esclaves fertile,
Pour deux que l’on cherchait en eût présenté mille,
Qui tous auraient brigué l’honneur de l’avilir :
Dans une longue enfance ils l’auraient fait vieillir.
De quoi vous plaignez-vous, madame ? On vous révère :
Ainsi que par César, on jure par sa mère.
L’empereur, il est vrai, ne vient plus chaque jour
Mettre à vos pieds l’empire, et grossir votre cour ;
Mais le doit-il, madame ? et sa reconnaissance
Ne peut-elle éclater que dans sa dépendance ?
Toujours humble, toujours le timide Néron
N’ose-t-il être Auguste et César que de nom ?
Vous le dirai-je enfin ? Rome le justifie.
Rome, à trois affranchis si longtemps asservie,
A peine respirant du joug qu’elle a porté,
Du règne de Néron compte sa liberté.
Que dis-je ? la vertu semble même renaître.
Tout l’empire n’est plus la dépouille d’un maître :
Le peuple au champ de Mars nomme ses magistrats ;
César nomme les chefs sur la foi des soldats ;
Thraséas au sénat, Corbulon dans l’armée,
Sont encore innocents, malgré leur renommée ;
Les déserts, autrefois peuplés de sénateurs,
Ne sont plus habités que par leurs délateurs.
Qu’importe que César continue à nous croire,
Pourvu que nos conseils ne tendent qu’à sa gloire ;
Pourvu que dans le cours d’un règne florissant
Rome soit toujours libre, et César tout-puissant ?
Mais, madame, Néron suffit pour se conduire.
J’obéis, sans prétendre à l’honneur de l’instruire.
Sur ses aïeux, sans doute, il n’a qu’à se régler ;
Pour bien faire, Néron n’a qu’à se ressembler.
Heureux si ses vertus, l’une à l’autre enchaînées,
Ramènent tous les ans ses premières années !
(Racine, Britannicus, acte I, sc. 2.)

2° MITHRIDATE, à ses fils. §

Approchez, mes enfants. Enfin l’heure est venue
Qu’il faut que mon secret éclate à votre vue :
A mes nobles projets je vois tout conspirer ;
Il ne me reste plus qu’à vous les déclarer.
Je fuis : ainsi le veut la fortune ennemie.
Mais vous savez trop bien l’histoire de ma vie
Pour croire que longtemps, soigneux de me cacher,
J’attende en ces déserts qu’on me vienne chercher.
La guerre a ses faveurs, ainsi que ses disgrâces :
Déjà plus d’une fois, retournant sur mes traces,
Tandis que l’ennemi, par ma fuite trompé,
Tenait après son char un vain peuple occupé,
Et, gravant en airain ses frêles avantages,
De mes États conquis enchaînait les images,    
Le Bosphore m’a vu, par de nouveaux apprêts,
Ramener la terreur du fond de ses marais,
Et, chassant les Romains de l’Asie étonnée,
Renverser en un jour l’ouvrage d’une année.
D’autres temps, d’autres soins. L’Orient, accablé,
Ne peut plus soutenir leur effort redoublé :
Il voit, plus que jamais, ses campagnes couvertes
De Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravisseurs altérés,
Le bruit de nos trésors les a tous attirés :
Ils y courent en foule ; et, jaloux l’un de l’autre,
Désertent leur pays pour inonder le nôtre.
Moi seul je leur résiste : ou lassés, ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous mes amis ;
Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête.
Le grand nom de Pompée assure sa conquête :
C’est l’effroi de l’Asie ; et, loin de l’y chercher,
C’est à Rome, mes fils, que je prétends marcher.
Ce dessein vous surprend ; et vous croyez peut-être
Que le seul désespoir aujourd’hui le fait naître.
J’excuse votre erreur ; et, pour être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que de cette contrée,
Par d’éternels remparts Rome soit séparée :
Je sais tous les chemins par où je dois passer ;
Et si la mort bientôt ne me vient traverser,
Sans reculer plus loin l’effet de ma parole,
Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez-vous que l’Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y vient finir son cours ?
Que du Scythe avec moi l’alliance jurée
De l’Europe en ces lieux ne me livre l’entrée ?
Recueilli dans leur port, accru de leurs soldats,
Nous verrons notre camp grossir à chaque pas.
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,
Tous n’attendent qu’un chef contre la tyrannie.
Vous avez vu l’Espagne, et surtout les Gaulois,
Contre ces mêmes murs qu’ils ont pris autrefois,
Exciter ma vengeance, et, jusque dans la Grèce,
Par des ambassadeurs accuser ma paresse.
Ils savent que, sur eux prêt à se déborder,
Ce torrent, s’il m’entraîne, ira tout inonder ;
Et vous les verrez tous, prévenant son ravage,
Guider dans l’Italie et suivre mon passage.
C’est là qu’en arrivant, plus qu’en tout le chemin,
Vous trouverez partout l’horreur du nom romain,
Et la triste Italie encor toute fumante
Des feux qu’à rallumés sa liberté mourante.
Non, princes, ce n’est point au bout de l’univers
Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers :
Et de près inspirant les haines les plus fortes,
Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.
Ah ! s’ils ont pu choisir pour leur libérateur
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur ;
S’ils suivent au combat des brigands qui les vengent,
De quelle noble ardeur pensez-vous qu’ils se rangent
Sous les drapeaux d’un roi longtemps victorieux,
Qui voit jusqu’à Cyrus remonter ses aïeux ?
Que dis-je ? En quel état croyez-vous la surprendre ?
Vide de légions qui la puissent défendre,
Tandis que tout s’occupe à me persécuter,
Leurs femmes, leurs enfants, pourront-ils m’arrêter ?
Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre
Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers ;
Qu’ils tremblent, à leur tour, pour leurs propres foyers.
Annibal l’a prédit, croyons-en ce grand homme :
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.
Noyons-la dans son sang justement répandu ;
Brûlons ce Capitole, où j’étais attendu ;
Détruisons ses honneurs, et faisons disparaître
La honte de cent rois, et la mienne peut-être ;
Et, la flamme à la main, effaçons tous ces noms
Que Rome y consacrait à d’éternels affronts.
Voilà l’ambition dont mon âme est saisie.
Ne croyez point pourtant qu’éloigné de l’Asie
J’en laisse les Romains tranquilles possesseurs :
Je sais où je lui dois trouver des défenseurs ;
Je veux que d’ennemis partout enveloppée,
Rome rappelle en vain le secours de Pompée.
Le Parthe, des Romains comme moi la terreur,
Consent de succéder à ma juste fureur ;
Prêt d’unir avec moi sa haine et sa famille,
Il me demande un fils pour époux à sa fille.
Cet honneur vous regarde, et j’ai fait choix de vous,
Pharnace : allez, soyez ce bienheureux époux.
Demain, sans différer, je prétends que l’aurore
Découvre mes vaisseaux déjà loin du Bosphore.
Vous, que rien n’y retient, partez dès ce moment,
Et méritez mon choix par votre empressement :
Achevez cet hymen ; et, repassant l’Euphrate,
Faites voir à l’Asie un autre Mithridate.
Que nos tyrans communs en pâlissent d’effroi,
Et que le bruit à Rome en vienne jusqu’à moi.
(Racine, Mithridate, acte III, sc. 1.)

3° IPHIGÉNIE, à son père. §

AGAMEMNON.

Que vois-je ! Quel discours ! Ma fille, vous pleurez,
Et baissez devant moi vos yeux mal assurés :
Quel trouble ! Mais tout pleure, et la fille et la mère.
Ah ! malheureux Arcas, tu m’as trahi !

IPHIGÉNIE.

Mon père,
Cessez de vous troubler, vous n’êtes pas trahi :
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien ; vous voulez le reprendre :
Vos ordres sans détours pouvaient se faire entendre.
D’un œil aussi content, d’un cœur aussi soumis
Que j’acceptais l’époux que vous m’aviez promis,
Je saurai, s’il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente ;
Et, respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m’avez donné.
Si pourtant ce respect, si cette obéissance
Paraît digne à vos yeux d’une autre récompense ;
Si d’une mère en pleurs vous plaignez les ennuis,
J’ose vous dire ici qu’en l’état où je suis,
Peut-être assez d’honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu’elle me fût ravie,
Ni qu’en me l’arrachant, un sévère destin,
Si près de ma naissance, en eût marqué la fin.
Fille d’Agamemnon, c’est moi qui, la première,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père ;
C’est moi qui, si longtemps le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les dieux,
Et pour qui, tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n’avez point du sang dédaigné les faiblesses.
Hélas ! avec plaisir je me faisais conter
Tous les noms des pays que vous allez dompter ;
Et déjà, d’Ilion présageant la conquête,
D’un triomphe si beau je préparais la fête.
Je ne m’attendais pas que, pour le commencer,
Mon sang fût le premier que vous dussiez verser.
Non que la peur du coup dont je suis menacée
Me fasse rappeler votre bonté passée :    '
Ne craignez rien : mon cœur, de votre honneur jaloux,
Ne fera point rougir un père tel que vous ;
Et, si je n’avais eu que ma vie à défendre,
J’aurais su renfermer un souvenir si tendre ;
Mais à mon triste sort, vous le savez, seigneur,
Une mère, un amant, attachaient leur bonheur.
Un roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devait éclairer notre illustre hyménée ;
Déjà, sûr de mon cœur à sa flamme promis,
Il s’estimait heureux : vous me l’aviez permis.
Il sait votre dessein ; jugez de ses alarmes.
Ma mère est devant vous ; et vous voyez ses larmes.
Pardonnez aux efforts que je viens de tenter
Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter.
(Racine, Iphigénie, acte IV, sc. 4)

4° ACHILLE ET AGAMEMNON. §

ACHILLE.

Un bruit assez étrange est venu jusqu’à moi,
Seigneur ; je l’ai jugé trop peu digne de foi.
On dit, et sans horreur je ne puis le redire,
Qu’aujourd’hui par votre ordre Iphigénie expire ;
Que vous-même, étouffant tout sentiment humain,
Vous l’allez à Calchas livrer de votre main.
On dit que, sous mon nom à l’autel appelée,
Je ne l’y conduisais que pour être immolée ;
Et que, d’un faux hymen nous abusant tous deux,
Vous vouliez me charger d’un emploi si honteux.
Qu’en dites-vous, seigneur ? Que faut-il que j’en pense ?
Ne ferez-vous pas taire un bruit qui vous offense ?

AGAMEMNON.

Seigneur, je ne rends point compte de mes desseins
Ma fille ignore encor mes ordres souverains ;
Et, quand il sera temps qu’elle en soit informée,
Vous apprendrez son sort, j’en instruirai l’armée.

ACHILLE.

Ah ! je sais trop le sort que vous lui réservez !

AGAMEMNON.

Pourquoi le demander, puisque vous le savez ?

ACHILLE.

Pourquoi je le demande ? O ciel ! le puis-je croire,
Qu’on ose des fureurs avouer la plus noire ?
Vous pensez qu’approuvant vos desseins odieux,
Je vous laisse immoler votre fille à mes yeux ?
Que ma foi, mon amour, mon honneur y consente ?

AGAMEMNON.

Mais vous, qui me parlez d’une voix menaçante,
Oubliez-vous ici qui vous interrogez ?

ACHILLE.

Oubliez-vous qui j’aime, et qui vous outragez ?

AGAMEMNON.

Et qui vous a chargé du soin de ma famille ?
Ne pourrai-je, sans vous, disposer de ma fille ?
Ne suis-je plus son père ? Êtes-vous son époux ?
Et ne peut-elle...

ACHILLE.

Non elle n’est plus à vous :
On ne m abuse point par des promesses vaines.
Tant qu’un reste de sang coulera dans mes veines,
Vous deviez à mon sort unir tous ses moments ;
Je défendrai mes droits fondés sur vos serments.
Et n’est-ce pas pour moi que vous l’avez mandée ?

AGAMEMNON.

Plaignez-vous donc aux dieux qui me l’ont demandée :
Accusez et Calchas et le camp tout entier,
Ulysse, Ménélas, et vous tout le premier.

ACHILLE.

Moi !

AGAMEMNON.

Vous, qui, de l’Asie embrassant la conquête,
Querellez tous les jours le ciel, qui vous arrête ;
Vous, qui, vous offensant de mes justes terreurs,
Avez dans tout le camp répandu vos fureurs.
Mon cœur pour la sauver vous ouvrait une voie ;
Mais vous ne demandez, vous ne cherchez que Troie,
Je vous fermais le champ où vous voulez courir :
Vous le voulez, partez ; sa mort va vous l’ouvrir.

ACHILLE.

Juste ciel ! puis-je entendre et souffrir ce langage ?
Est-ce ainsi qu’au parjure on ajoute l’outrage ?
Moi, je voulais partir aux dépens de ses jours ?
Et que m’a fait à moi cette Troie où je cours ?
Au pied de ses remparts quel intérêt m’appelle ?
Pour qui, sourd à la voix d’une mère immortelle,
Et d’un père éperdu négligeant les avis,
Vais-je y chercher la mort tant prédite à leur fils ?
Jamais vaisseaux partis des rives du Scamandre.
Aux champs thessaliens osèrent-ils descendre ?
Et jamais dans Larisse un lâche ravisseur
Me vint-il enlever ou ma femme ou ma sœur ?
Qu’ai-je à me plaindre ? Où sont les pertes que j’ai faites ?
Je n’y vais que pour vous, barbare que vous êtes ;
Pour vous, à qui des Grecs moi seul je ne dois rien ;
Vous, que j’ai fait nommer et leur chef et le mien ;
Vous, que mon bras vengeait dans Lesbos enflammée,
Avant que vous eussiez assemblé votre armée.
Et quel fut le dessein qui nous assembla tous ?
Ne courons-nous pas rendre Hélène à son époux ?
Depuis quand pense-t-on qu’inutile à moi-même,
Je me laisse ravir une épouse que j’aime ?
Seul, d’un honteux affront votre frère blessé
A-t-il droit de venger son amour offensé ?
Votre fille me plut, je prétendis lui plaire ;
Elle est de mes sermens seule dépositaire
Content de son hymen, vaisseaux, armes, soldats,
Ma foi lui promit tout, et rien à Ménélas.
Qu’il poursuive, s’il veut, son épouse enlevée ;
Qu’il cherche une victoire à mon sang réservée.
Je ne connais Priam, Hélène, ni Pâris ;
Je voulais votre fille, et ne pars qu’à ce prix.

AGAMEMNON.

Fuyez donc : retournez dans votre Thessalie.
Moi-même je vous rends le serment qui vous lie.
Assez d’autres viendront, à mes ordres soumis,
Se couvrir des lauriers qui vous furent promis,
Et, par d’heureux exploits forçant la destinée,
Trouveront d’Ilion la fatale journée.
J’entrevois vos mépris, et juge, à vos discours,
Combien j’achèterais vos superbes secours.
De la Grèce déjà vous vous rendez l’arbitre :
Ses rois, à vous ouïr, m’ont paré d’un vain titre.
Fier de votre valeur, tout, si je vous en crois,
Doit marcher, doit fléchir, doit trembler sous vos lois.
Un bienfait reproché tint toujours lieu d’offense :
Je veux moins de valeur, et plus d’obéissance.
Fuyez. Je ne crains point votre impuissant courroux ;
Et je romps tous les nœuds qui m’attachent à vous.

ACHILLE.

Rendez grâce au seul nœud qui retient ma colère :
D’Iphigénie encor je respecte le père.
Peut-être, sans ce nom, le chef de tant de rois
M’aurait osé braver pour la dernière fois.
Je ne dis plus qu’un mot ; c’est à vous de m’entendre.
J’ai votre fille ensemble et ma gloire à défendre :
Pour aller jusqu’au cœur que vous voulez percer,
Voilà par quel chemin vos coups doivent passer.
(Racine, Iphigénie, acte IV, sc. 6.)

5° LA MORT D'HIPPOLYTE. §

A peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char ; etc.

(Voir plus loin, 3e exercice.)

6° LE SONGE D’ATHALIE. §

Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe ?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge :
Je l’évite partout, partout il me poursuit.
C'était pendant l’horreur d’une profonde nuit ;
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée ;
Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage :
« Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi ;
Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi je lui tendais les mains pour l’embrasser ;
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris, et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

ABNER.

Grand Dieu !    

ATHALIE.

Dans ce désordre à mes yeux se présente
Un jeune enfant couvert d’une robe éclatante,
Tels qu’on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
Sa vue a ranimé mes esprits abattus ;
Mais lorsque, revenant de mon trouble funeste,
J’admirais sa douceur, son air noble et modeste,
J’ai senti tout à coup un homicide acier
Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
De tant d’objets divers le bizarre assemblage
Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage :
Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,
Je l’ai pris pour l’effet d’une sombre vapeur.
Mais de ce souvenir mon âme possédée
A deux fois en dormant revu la même idée ;
Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
Lasse enfin des horreurs dont j’étais poursuivie,
J’allais prier Baal de veiller sur ma vie,
Et chercher du repos au pied de ses autels :
Que ne peut la frayeur sur l’esprit des mortels !
Dans le temple des Juifs un instinct m’a poussée,
Et d’apaiser leur Dieu j’ai conçu la pensée ;
J’ai cru que des présents calmeraient son courroux,
Que ce Dieu, quel qu’il soit, en deviendrait plus doux.
Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.
J’entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse,
Le grand prêtre vers moi s’avance avec fureur :
Pendant qu’il me parlait, ô surprise ! ô terreur !
J’ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
Tel qu’un songe effrayant l’a peint à ma pensée.
Je l’ai vu : son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin ;
C’est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre ;
Mais bientôt à ma vue on l’a fait disparaître.
Voilà quel trouble ici m’oblige à m’arrêter,
Et sur quoi j’ai voulu tous deux vous consulter.
Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ?

MATHAN.

Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable.

ATHALIE.

Mais cet enfant fatal, Abner, vous l’avez vu :
Quel est-il ? de quel sang, et de quelle tribu ?
(Racine, Athalie, acte II, sc. 5.)

7°. §

Enfin, dans un genre léger, on peut remarquer différents passages des Plaideurs, entre autres : la tirade de Dandin (acte I, sc. 4), la tirade de Chicaneau (acte I, sc. 7), et toute la plaidoirie de l’Intimé (acte III, sc. 3.)

XII. §

Différence essentielle entre la coupe du vers français et celle du vers latin. — Rejet ou enjambement.

Durant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisait toutes les lois.
La rime, au bout des mots, assemblés sans mesure,
Tenait lieu d’ornements, de nombre et de césure.
……...
...........
Enfin Malherbe vint ; et le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence.
……..
……..
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
(Boileau, Art p. I, v. 113 )

Voici un conseil à l’adresse toute particulière de ceux de nos jeunes versificateurs qui abordent les traces de Boileau et de Racine, après avoir déjà marché, non sans succès, sur celles d’Horace et de Virgile.

Le rejet, ou enjambement, un des plus beaux ornements des vers latins, doit être évité avec le plus grand soin dans notre versification. La fin du vers français est marquée par un repos logique : c’est la fin même de la phrase, ou d’une de ses parties principales. Aussi voit-on presque toujours, à cette place importante, un signe de ponctuation. Nos meilleurs vers sont précisément ces vers-sentences qui suffisent, à eux seuls, isolément, à l’expression entière d’une pensée. Le rejet est donc tout-à-fait opposé à la coupe naturelle du vers français ; et ce sera toujours un défaut capital, à moins que le poète n’y trouve, dans des cas très-rares, l’occasion de produire un effet extraordinairement heureux, et, par un trait de génie, ne transforme cette licence en une beauté de premier ordre.

Par un transport heureux,
Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux.
Trop resserré par l’art, sort des règles prescrites,
Et de l’art même apprend à franchir leurs limites.
(Boileau, Art p., IV, v. 77.)

§

Le morceau suivant, outre un rejet du plus bel effet, offre encore plusieurs autres coupes à remarquer.

Au spectacle étonnant de leur chute imprévue,
Le prélat pousse un cri qui pénètre la nue.
Il maudit dans son cœur le démon des combats,
Et de l’horreur du coup il recule six pas.
Mais bientôt, rappelant son antique prouesse,
Il tire du manteau sa dextre vengeresse ;
Il part, et, de ses doigts saintement allongés,
Bénit tous les passants, en deux files rangés.
Il sait que l’ennemi, que ce coup va surprendre,
Désormais sur ses pieds ne l’oserait attendre,
Et déjà voit pour lui tout le peuple en courroux
Crier aux combattants : Profanes, à genoux !
Le chantre, qui de loin voit approcher l’orage,
Dans son cœur éperdu cherche en vain du courage :
Sa fierté l’abandonne, il tremble, il cède, il fuit.
Le long des sacrés murs sa brigade le suit :
Tout s’écarte à l’instant ; mais aucun n’en réchappe ;
Partout le doigt vainqueur les suit et les rattrape.
Évrard seul, en un coin prudemment retiré,
Se croyait à couvert de l’insulte sacré
Mais le prélat vers lui fait une marche adroite :
Il l’observe de l’œil ; et, tirant vers la droite,
Tout d’un coup tourne à gauche, et, d’un bras fortuné,
Bénit subitement le guerrier consterné.
Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,
Se dresse, et lève en vain une tête rebelle ;
Sur ses genoux tremblants il tombe à cet aspect,
Et donne à la frayeur ce qu’il doit au respect.
Dans le temple aussitôt le prélat plein de gloire
Va goûter les doux fruits de sa sainte victoire ;
Et de leur vain projet les chanoines punis
S’en retournent chez eux, éperdus et bénis.
(Boileau, Le Lutrin, ch. V)

§

Entrons chez Bérénice ; et, puisqu’on nous l’ordonne,
Allons lui déclarer que Titus l’abandonne.....
Mais plutôt demeurons. Que faisais-je ?
Est-ce à moi, Arsace, à me charger de ce cruel emploi ?
Soit vertu, soit amour, mon cœur s’en effarouche.
L’aimable Bérénice entendrait de ma bouche
Qu’on l’abandonne ! Ah, reine ! et qui l’aurait pensé
Que ce mot dût jamais vous être prononcé !
(Racine, Bérénice, acte III, sc. 2.)

§

Mais puisque, sans vouloir que je le justifie,
Vous me rendez garant du reste de sa vie,
Je répondrai, madame, avec la liberté
D’un soldat qui sait mal farder la vérité.
(Racine, Britannicus, acte I, sc. 2.)

Remarquons ici que le rejet se trouve, en quelque sorte, comme soutenu par les autres mots du dernier vers, avec lesquels il est étroitement lié par la construction de la phrase ; Ou plutôt, c’est le dernier vers tout entier qui constitue lui-même le rejet. Il semble que l’isolement aurait paru trop hardi au poète, si le vers avait été brisé comme ci-dessous :

Je répondrai, madame, avec la liberté
D’un soldat : je sais mal farder la vérité.

4°. §

Racine a pris de plus grandes précautions encore dans l’exemple suivant :

Dans ce désordre à mes yeux se présente

Un jeune enfant couvert d’une robe éclatante,
Tels qu’on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
(Racine, Athalie, acte II, sc. 5)

XIII. De la réticence. §

1°. §

J’eus soin de vous nommer, par un contraire choix,
Des gouverneurs que Rome honorait de sa voix ;
Je fus sourde à la brigue, et crus la renommée ;
J'appelai de l’exil je tirai de l’armée,
Et ce même Sénèque et ce même Burrhus
Qui depuis... Rome alors estimait leurs vertus.
(Racine, Britannicus, acte IV, sc. 2.)

2°. §

Prenez garde, Seigneur : vos invincibles mains
Ont de monstres sans nombre affranchi les humains ;
Mais tout n’est pas détruit, et vous en laissez vivre
Un... Votre fils, Seigneur, me défend de poursuivre.
Instruite du respect qu’il veut vous conserver,
Je l’affligerais trop si j’osais achever.
(Racine, Phèdre, acte V, sc. 3.)

3°. §

Te voilà, séducteur,
De ligues, de complots, pernicieux auteur,
Qui dans le trouble seul as mis tes espérances,
Éternel ennemi des suprêmes puissances !
En l’appui de ton Dieu tu t’étais reposé :
De ton espoir frivole es-tu désabusé ?
Il laisse en mon pouvoir et ton temple et ta vie.
Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
Te... Mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter12.
(Racine, Athalie, acte V, sc. 5.)

4°. §

Je sors de chez un fat, qui, pour m’empoisonner,
Je pense, exprès chez lui m’a forcé de dîner.
Je l’avais bien prévu. Depuis près d’une année,
J’éludais tous les jours sa poursuite obstinée.
Mais hier il m’aborde, et, me serrant la main :
Ah ! monsieur, m’a-t-il dit, je vous attends demain.
N’y manquez pas, au moins. J’ai quatorze bouteilles
D’un vin vieux... Boucingo n’en a point de pareilles.
(Boileau, Sat. 3.)

XIV. [De l’inversion] §

DE L'INVERSION, ou licence relative à la construction de la phrase : changement dans la place ordinaire ou logique des mots.

L’inversion est très-fréquente dans les vers français : c’est même généralement une élégance, à moins qu’elle ne soit forcée, et ne nuise à la clarté de la phrase.

Exemple.

ESTHER.

Est-ce toi, chère Elise ? O jour trois fois heureux !
Que béni soit le ciel qui te rend à mes vœux,
Toi qui, de Benjamin comme moi descendue,
Fus de mes jeunes ans la compagne assidue,
Et qui d’un même joug souffrant l’oppression,
M’aidais à soupirer les malheurs de Sion !
Combien ce temps encore est cher à ma mémoire !
Mais toi, de ton Esther ignorais-tu la gloire ?
Depuis plus de six mois que je te fais chercher,
Quel climat, quel désert a donc pu te cacher ?

ELISE.

Au bruit de votre mort justement éplorée,
Du reste des humains je vivais séparée,
Et de mes tristes jours n’attendais que la fin,
Quand tout-à-coup, madame, un prophète divin :
« C’est pleurer trop longtemps une mort qui t’abuse,
Lève-toi, m’a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse ;
Là tu verras d’Esther la pompe et les honneurs,
Et sur le trône assis le sujet de tes pleurs. »
(Racine, Esther, acte I, sc. 1.)

Autre exemple remarquable : Les vingt-quatre premiers vers d’Athalie. (Voir plus loin, 1er exercice.)

XV. Des monosyllabes prosaïques. §

On doit, en général, éviter le concours d’un trop grand nombre de monosyllabes, surtout si ces monosyllabes appartiennent à des espèces de mots naturellement peu poétiques.

J’appelle espèces poétiques : 1°. les substantifs, 2°. les adjectifs, 3°. les verbes.

Des vers chargés de pareils monosyllabes ne sauraient être, presque toujours, que des vers à la fois prosaïques et durs.

Qu'il me soit permis de signaler, ici quelques taches dans les œuvres de Boileau lui-même. Ainsi, les passages défectueux de ce maître en versification tourneront encore à l’avantage des élèves, et serviront à rendre prudents nos jeunes versificateurs,

Conduire le carrosse où l’ont le voit traîné.
(Sat. I.)
Mais, quoi que sur ce point la satire publie,...
(Sat. IV.)
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.
(Sat IV.)
Ne sert plus que de jour à votre ignominie.
(Sat. V.)
Sait rien de ce qu’il sait, s’il a jamais rien su.
(Sat. VIII.)
Oui mais de quoi lui sert que sa voix le rappelle,
Si, sur la foi des vents tout prêt à s’embarquer,
Il ne voit point d’écueil qu’il ne l’aille choquer.
(Sat.VIII.)
Oui, d’un âne : et qu’a-t-il qui nous excite à rire ?
(Sat. VIII.)
Et sur quoi donc faut-il que s’exercent mes vers ?
(Sat. IX.)
L’hyménée est un joug, et c’est ce qui m’en plaît.
(Sat. X.)
Qu’on n’a reçu du ciel un cœur que pour aimer.
(Sat. X.)
Et qui, parce qu’il plaît, a trop su lui déplaire.
(Sat. X.)
Je ne puis cette fois que je ne les excuse.
Mais à quel vain discours est-ce que je m’amuse ?
(Sat. X.)
Autre défaut, si non qu’on ne le saurait lire.
(Sat. X.)
Je t’entends et je voi
D’où vient que tu t’es fait secrétaire du roi.
(Sat. X.)
D’Hozier n’en convient pas ; mais, quoi qu’il en puisse être,...
(Sat. X.)
Et peut-il, dira-t-elle, en effet, l’exiger ?
(Sat. X.)
Car de tous mets sucrés, secs, en pâte, ou liquides,...
(Sat. X.)
La hais-tu plus, dis-moi, que cette bilieuse
Qui...
(Sat. X.)
Mais l’honneur, en effet, qu’il faut que l’on admire,...
(Sat. XI.)
C’est quelque air d’équité qui séduit et qui plaît.
(Sat. XI.)
Mais où tend, dira-t-on, ce projet fantastique ?
(Sat. XII.)
Ne vit, ne sut plus rien, ne put plus rien savoir.
(Sat. XII.)
Non, ne croit pas que Claude, habile à se tromper,…
(Ep. III.)
Guilleragues, qui sais et parler et te taire.
(Ep.V.)
Qui l’eût cru, que pour moi le sort dût se fléchir.
(Ep. V.)
Mais pour moi......
Qui ne lui puis fournir qu’un rêveur inutile...
(Ep. VI.)
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largesse...
(Ep. VIII.)
Tout ne fut plus que fard, qu’erreur, que tromperie.
(Ep. IX.)
Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant.
(Art p., I, v. 61.)
N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
(Art p., I.)
Il faut que le cœur seul parle dans l’élégie,
(Art p., II)
Ce n’est pas quelquefois qu’une muse un peu fine...
(Art p., II.)
Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose.
(Art p., III.)
Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,...
(Art p., III.)
Et pour donner beaucoup, ne nous promet que peu.
(Art p., III.)
Qui sait bien ce que c’est qu’un prodigue, un avare,...
(Art p., III.)
Il est dans tout autre art des degrés différents.
(Art p., IV.)13

C'est ici surtout qu’on peut apercevoir toute la distance qui sépare la versification de Boileau d’avec la poésie de Racine. En effet, prenons maintenant dans Racine des vers uniquement composés de monosyllabes : nos jeunes lecteurs pourront eux-mêmes comparer et juger14.

 

Pyrrhus à Andromaque.
Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l’ont pris,
Dans ses murs relevés couronner votre fils.
(Andr., acte I, sc. 4.)
Pyrrhus (en parlant d’Andromaque).
Non, je n’ai pas bien dit tout ce qu’il faut lui dire.
(Andr.. acte II, sc. 6 )
Agrippine à Néron.
Dans le fond de ton cœur je sais que tu me hais.
(Br., acte V, sc. 7.)
Thésée.
Mon fils n’est plus ? Hé quoi ! quand je lui tends les bras,
Les dieux impatients ont hâté son trépas ?
(Ph., acte V, sc. 6.)

Enfin, ce vers si charmant, si doux, si harmonieux, qu’un Racine seul pouvait composer avec de pareils éléments :

Hippolyte à Thésée.
Le ciel n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.
(Ph., acte IV, sc. 2)

Nous terminons volontiers cette première étude sur Boileau et Racine par la citation des vers ci-dessus, qui rappellent assez bien, selon nous, la manière d’écrire et de penser de nos deux Maîtres : c’est, en quelque sorte, un résumé du style, du talent, et même de la nature propre de chacun d’eux.

Chez Boileau, en effet, la faculté qui domine toutes les autres, au point que parfois la sensibilité semble en être émoussée, l’imagination entravée, l’invention amoindrie, cette faculté, c’est la raison : la raison éprise du vrai, et trouvant que le vrai seul est aimable ; la froide raison, jugement, bon sens, ou sens commun, peu importe le nom formulant ses arrêts dans un langage plus ou moins poétique15.

Chez Racine, c’est la sensibilité surtout qui est mise en jeu, mais sans nuire en aucune manière à la solidité de sa raison et de son jugement, non plus qu’à la délicatesse de son bon goût. Loin de là, ces facultés se marient en lui tout naturellement ; et de leur union féconde, naît l’imagination la plus riche, la plus belle et la plus pure. Chez Racine, le vrai est inséparable du beau, « cette splendeur du vrai, » comme on ne saurait trop le répéter après Platon. Racine aime, cherche et trouve toujours ces deux éléments indispensables de l’art. Au fond le plus solide, il ajoute la forme la plus brillante ; et il arrive, dans son style, à une correction, une grâce, une harmonie, une perfection vraiment inimitable.

Chez l’un comme chez l’autre, nous trouvons, de plus, la volonté, la volonté de se faire un nom illustre, en mettant son intelligence au service du bien, l’amour de l’étude, la passion des beaux vers, l’ambition de la gloire littéraire : autant de forces agissant dans le même sens et qui tendent au même but; — enfin, toute une vie consacrée, sans relâche, sans interruption, sans distractions d’aucune sorte, à faire un livre, et quel livre peu volumineux16 ! — Aucune de ces entraves d’aujourd’hui, la politique, les places, les emplois, les tracas de la pauvreté... ou de la richesse ; mais, au contraire toute la libre allure d’esprit que donne dans son alliance avec le désintéressement, ce juste-milieu de la fortune si poétiquement surnommé l’aurea mediocritas. Ah ! ce ne sont pas de tels hommes qui seront jamais exposés à produire mille ouvrages frivoles, pour avoir

Trafiqué du discours et vendu des paroles ;

mais ce sont eux qui auront le droit de dire à tous les écrivains de leur temps et des temps à venir :

Travaillez pour la gloire, et qu’un sordide gain
Ne soit jamais l’objet d’un illustre écrivain.
Je sais qu’un noble esprit peut, sans honte et sans crime,
Tirer de son travail un tribut légitime
Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés,
Qui, dégoûtés de gloire, et d’argent affamés ;
Mettent leur Apollon aux gages d’un libraire,
Et font d’un art divin un métier mercenaire.
Ne vous flétrissez point par un vice si bas.
Si l’or seul a pour vous d’invincibles appas,
Fuyez ces lieux charmants qu’arrose le Permesse :
Ce n’est point sur ses bords qu’habite la richesse.
Aux plus savants auteurs, comme aux plus grands guer-
Apollon ne promet qu’un nom et des lauriers. [riers,
(Boileau, Art p., v. 125 et v. 173.)

Avec de telles qualités, et dans de pareilles conditions, nos deux auteurs devaient réussir également, chacun dans son genre, et devenir : l’un, le plus correct et le plus habile des versificateurs, le législateur du Parnasse, le maître des poètes17 ; l’autre, le poète même par excellence, le type et le modèle des poètes.

Boileau fera, et avec le plus grand succès, d’abord des satires et des épigrammes, puis des épîtres et un art poétique. Mais il ne réussira pas dans l’ode, malgré toute sa bonne volonté18. Et s’il parvient, selon toutes les règles de l’art, et même avec une perfection digne d’une autre œuvre, à composer un poème, ce ne sera qu’un poème héroï-comique19.

Il pourra bien railler agréablement Chapelain sur son âpre et rude verve et ses douze fois douze cents méchants vers ; mais lui-même (on peut l’affirmer sans crainte) n’aurait jamais été capable de traiter dignement cette sainte légende de Jeanne d’Arc, où le merveilleux est l’histoire même, et qui est peut-être le plus beau sujet de poème épique qui soit au monde. — Mais une pareille matière demanderait l’âme et la lyre d’un Lamartine. — D’un autre côté, il semble que Boileau aurait pu aborder d’autres genres plus voisins du sien, la haute comédie, par exemple, et, marchant sur les traces de l’écrivain qui, selon lui, honorait le plus le règne de Louis XIV, composer peut-être, qui sait ? quelque chose de comparable au Misanthrope ?20

Racine se livrera de préférence à la tragédie, genre le mieux approprié à sa nature et à son génie. Sous des noms différents, il fera le portrait de l’humanité elle-même, et se constituera l’interprète le plus vrai, le plus éloquent de ces sentiments intimes qui sont de tous les temps et de tous les pays. Il excellera à rendre, dans des termes de la plus irréprochable convenance, les mouvements et les transports les plus passionnés, et enfin semblera avoir trouvé le secret d’exprimer tout ce qu’il y a de plus délicat, de plus tendre, de plus aimant dans le cœur humain, et spécialement dans le cœur de la femme, depuis la jeune fille jusqu’à la mère, depuis Iphigénie jusqu’à Andromaque, en passant par Monime, Bérénice, Hermione et Phèdre.

Fin de la première partie.