[n.p.]Tout contrefacteur ou débitant de contrefaçons de cet Ouvrage sera poursuivi conformément aux lois.
Toutes mes Editions sont revêtues de ma griffe.
Avant-propos. §
Le succès toujours croissant de la nouvelle Méthode, à laquelle ce Cours est adapté, nous dispense d’en faire l’éloge, et d’ajouter un tardif et obscur hommage aux suffrages éminents qui l’ont accueillie dès son apparition.
En offrant au public ce recueil, nous n’avons point la prétention chimérique de suivre pas à pas la théorie de l’auteur, de présenter chacun des exercices qui composent notre ouvrage, comme le développement spécial d’une règle de la Méthode. Certes, un cours gradué de cette manière, qui serait construit en même temps, non point de phrases détachées, mais de morceaux suivis, comme ceux que nous allons offrir, et puisés également aux sources les plus pures, complèterait admirablement l’œuvre de l’illustre grammairien. Mais ce serait évidemment chercher une perfection impossible. D’ailleurs, cette gradation, indispensable pour le thème, où l’enfant reproduit dans un idiome inconnu des pensées exprimées dans sa langue maternelle, ne nous a pas semblé rigoureusement nécessaire pour la version, où le traducteur est placé dans des conditions inverses. Les notions élémentaires et la connaissance de la syntaxe générale suffisent alors pour guider les jeunes intelligences, dont la pénétration devance bien souvent, dans ce genre de traduction, les règles progressives de la théorie.
Aussi n’avons-nous consacré aux exercices préliminaires qu’un petit nombre de phrases détachées. Chacune de ces phrases est l’énoncé d’un trait historique, ou d’une pensée morale et religieuse, toujours à la portée des jeunes esprits, toujours conçue de manière à aiguiser leur jugement et à satisfaire leur curiosité. Nous avons même jugé que ce serait une {p. VI}innovation piquante et utile, de donner dans ces exercices préliminaires un rapide aperçu de la Méthode, de montrer à l’élève les principaux points de la carrière qu’il va parcourir. Des chiffres placés à propos le renvoient aux paragraphes où se trouvent expliquées les constructions qui ne lui sont pas encore familières.
Ces renvois, multipliés ensuite dans tout le corps de l’ouvrage, nous les avons adoptés comme l’unique moyen d’atteindre le but que nous nous proposions. Sans exempter l’élève du travail de la réflexion, ils viennent au secours de son inexpérience. La pratique de l’enseignement nous a démontré qu’il est certains faits de grammaire qui ne s’oublient pas, une fois appris ; mais qu’il en est d’autres sur lesquels on ne saurait appeler trop souvent l’attention. C’est particulièrement à ces derniers que nous nous attachons ; nous ne craignons pas de les signaler sans cesse ; surtout quand ils appartiennent à cet ordre de questions (le style indirect, par exemple) que les précédents systèmes n’avaient point abordées, ou qu’une étroite et obscure synthèse laissait indécises jusqu’à ce jour, et que l’auteur de la nouvelle Méthode a discutées par une large et lumineuse analyse, a résolues par une savante conviction. Soit que les maîtres insistent, dans leurs corrections verbales, sur les paragraphes auxquels nos chiffres renvoient les traducteurs ; soit qu’ils obligent ces derniers à formuler par écrit les applications qu’ils en auront faites, ils exerceront le jugement de leurs classes, ils habitueront en même temps les esprits à cette précieuse netteté de raisonnement, qui distingue surtout l’auteur de la nouvelle méthode.
Après les exercices préliminaires, ce Cours se divise en deux parties, dont chacune comprend cent versions. A cette division, spécialement typographique, nous en ajoutons une autre, pour guider ceux qui se serviront de notre recueil. Comme il est destiné aux classes de grammaire, nous l’avons partagé (sans imposer absolument nos limites) en trois séries, graduées avec soin, dont la première se compose de 90 versions, pour les élèves de sixième : la seconde, de 60, pour ceux de cinquième : la troisième, de 50, pour ceux de quatrième. (Nous ne sommes point descendu au-dessous de ces trois classes ; il existe pour les commençants un recueil adapté à la même {p. VII}grammaire1.) Quant à la force de ces devoirs, nous avons naturellement choisi le niveau le plus élevé, celui des colléges de Paris, en insérant, à dessein, quelques versions données au concours général. Les maîtres des colléges de province, auxquels manquent, la plupart du temps, les ressources littéraires que la capitale fournit en abondance, et qui attendaient un recueil de cette nature, y trouveront, outre les matériaux dont ils ont besoin, un terme de comparaison, qui excitera, ce nous semble, la curiosité et l’émulation de leurs élèves. Si quelques morceaux paraissent, au premier abord, placés hors de la série qui leur convient, nous répondrons, d’un côté, qu’il est bon de surprendre quelquefois les jeunes gens par des difficultés qui les retrempent, qui les exaltent, qui les prémunissent contre une indolente sécurité : de l’autre, qu’il est juste de ménager, de loin en loin, par un travail plus facile, des moments de repos à l’intelligence, qui ne doit pas être tendue par de continuels efforts.
Les poëtes ont été mis à contribution, comme les prosateurs ; toutefois, avec réserve. La singularité, l’indépendance de leur style, nous a obligé à ne leur donner, qu’une place fort restreinte. Et pourtant, quelle mine féconde, pour les observations qui ont rapport à la mythologie, à l’histoire, aux usages des peuples ! Nous avons même remarqué, en plus d’une occasion, que des natures paresseuses, endormies, s’éveillent à ce contact ; que des moyens, cachés jusqu’alors, éclatent soudainement.
Pour prévenir les élèves contre le découragement injuste ou la confiance présomptueuse que pourrait leur inspirer le nom de l’auteur, rapproché de chaque sujet, nous nous sommes interdit toute indication de ce genre. Les maîtres s’en passeront bien ; souvent d’ailleurs, elles seraient un peu compliquées, un certain nombre de ces matières étant extraites à la fois de plusieurs écrivains et de plusieurs ouvrages. Du reste, nous n’aurions eu à citer que des noms d’une autorité imposante dans les lettres. Mais on reconnaîtra facilement, au {p. VIII}style ou au choix des morceaux, Cicéron, Sénèque le philosophe, Quintilien, les deux Pline, Valère-Maxime, Aulu-Gelle, Pétrone ; Salluste, Tite-Live, César, Cornélius Népos, Tacite, Velléius Paterculus, Justin, Florus, Quinte-Curce, Suétone, Ammien Marcellin ; Végèce, Fronton, Columelle, Pomponius Méla ; les anciens panégyristes, Térence, Virgile, Ovide, Lucain, Sénèque le tragique, Claudien ; et parmi les modernes : Boèce, Strada, Grenan, Rollin, Porée, Villemain, Vanière, etc.
Comme on le voit, il n’est guère de sources, chez les anciens et les modernes (je parle des plus estimables), où nous n’ayons puisé. Cependant nous n’avons pas craint de présenter, de loin en loin, des modèles peu classiques, suivant le précepte de Quintilien. Grâce encore à cette précaution, les jeunes gens, préparés à toutes les surprises, ne se trouveront pas désorientés, dans ces luttes solennelles où l’on prend à tâche de tirer les sujets de composition des sources les moins connues.
Quant à la traduction, notre constante devise a été l’exactitude. Puisse-t-elle, à ce titre du moins, n’être pas jugée trop indigne de l’œuvre sous les auspices de laquelle notre recueil aura vu le jour !
Errata. §
Page 106, version 58, lig. 8, suum revocanda, lisez : suam revocanda.
Page 158, version 89, lig. 4, pænurià, lisez : penurià.
Page 230, version 28, lig. 6, ipse Peloponnesus, lisez : ipsa Peloponnesus.
Page 246, version 37, lig. 9, posthumum, lisez : postumum.
Page 324, version 80, lig. 13, cœnaturam confirmans, lisez : cœnaturam.
Page 326, version 81, lig. 20, in amico, lisez : in animo.
Cours
de versions latines,
adapté
a la grammaire de m.
burnouf. §
Cours de versions. §
Prooemium. §
Quocunque flectemus oculos1, ibi Deus nobis occurret2 ; ipse enim implet opus suum.
Deus magis pie quam magnifice colendus est. Piorum3 dona, vel modica, sunt acceptiora illi improborum donis, vel amplissimis.
Verecunde disputare debemus4 de naturā illius qui condidit hanc rerum universitatem5 ; eum quippe sentimus animo6, sed mente non comprehendimus.
Prima officia debentur Deo, secunda patriæ, tertia parentibus, deinceps gradatim reliquis.
Nullum animal est, præter hominem, quod aliquam summi numinis notitiam habeat. Hoc præcipe secernit illum a7 ceteris animalibus, et præstat nobilissimum.
Homines brevi fierent optimi1, si, unoquoque anno, pravum aliquid ex animo suo exstirparent.
Noli acerbus censor esse hominum ; noli curiosius sciscitari quid agant. Sæpissime enim, dum studes nosse illos et emendare, in errorem delaberis, et inanem operam insumis. Ad te ipsum oculos reflecte, nedum aliena2 judices. Dum tuos mores scrutaberis, minus errabis, et inde certior ampliorque fructus te manet.
Athenis mos, a3 Cecrope ductus, diu permansit, corpora humandi terrā, quam proximi injiciebant. Sequebantur epulæ, quas inibant coronati, et a pud quas de mortui laude, quum quid veri erat, prædicari solitum. Nam mentiri nefas habebatur.
{p. 4}Si1 divina nostris animis origo est, tendendum ad virtutem, nec voluptatibus corporis serviendum.
Pulchritudo mundi, ordo rerum cœlestium, conversio solis, lunæ siderumque omnium, indicant satis aspectu ipso ea omnia2 non esse fortuita, et cogunt nos confiteri naturam esse aliquam præstantem æternamque, quæ sit admiranda humano generi.
Populi romani honores quondam fuerunt rari et tenues, ob eamque causam gloriosi : postea vero effusi fuere, et ideo viles. Sic olim apud Athenienses fuisse3 reperimus. Thrasybulo enim, pro magnis in patriam meritis, honoris ergo corona a populo data est, facta e duabus virgulis oleaginis : quā ille contentus, nihil amplius roquisivit.
O quam magnis erroribus tenentur, qui jus dominandi trans maria cupiunt extendere, felicissimosque se judicant, si multas armis provincias obtinent, et novas veteribus adjungunt ! Ignari imperare sibi maximum imperium1 esse, sicut servire cupiditatibus gravissima servitus est.
Pluriumum in reliquam vitam proderit pueros statim salubriter2. institui. Facile est enim animos adhuc teneros componere ; difficulter reciduntur vitia quæ nobiscum creverunt.
Talis sit civibus suis princeps, quales sibi deos velit. Quod si dii placabiles et æqui delicta potentium non statim fulminibus persequuntur, quanto æquius est hominem hominibus præpositum miti animo exercere3 imperium !
Qui1 secum pacem habet, illi non facile de quopiam suspicio oboritur ; sed qui vexatur conscientiā, {p. 6}suspicionibus idem exagitatur : ut nec ipse quiescat, nec alios sinat quiescere.
Censores romano equiti nimis pingui equum adimere soliti erant, sive minus idoneum esse rati hominem tanto corporis pondere ad faciendum equitis munus ; sive non omnino desidiæ culpā vacare videretur, cujus corpus tam immodice exuberasset2.
Adeo mutabilis est atque multiplex hominis natura, ut nonnunquam ipse tam diversus3 a se, quam a ceteris, deprehendatur.
Quid est ratione præstantius ? Quæ quum adolevit et perfecta est, nominatur rite sapientia4.
Nihil per proximum quemque serpit efficacius1 exemplo. Nihil optime, nihil pessime agitur, quod non simile aliquid pariat. Bona videlicet imitamur æmulatione, prava autem naturæ nostræ malitia, quæ, quum verecundia frænata coercebatur, tum exemplo solvitur et erumpit.
Apud Græcos mos fuit ut in conviviis post cœnam circumferretur lyra ; cujus quum se imperitum Themistocles confessus esset, habitus est indoctior2.
Injustissimum est justitiæ mercedem quærere. Reliquæ quoque virtutes per se colendæ sunt, et in iis sequi officium debemus, non fructum. Nam ut3 quisque maxime refert ad suum commodum quæcunque agit, ita minime est vir bonus.
Memoriæ proditur Pisistratum Atheniensium tyrannum, quum multa in eum ebrius conviva dixisset, nec deessent qui ei faces ad iram et vindictam subderent, placido animo tulisse, et respondisse : non magis illi ebrio se succensere, quam si quis obligatis oculis in se1 incurrisset.
Vespasianus, qui2 plane nāsset quā in re stet vera nobilitas, {p. 8}quamque parvi ducendus sit natalium splendor, principatum adeptus, pristinam mediocritatem non dissimulavit, et sæpe declaravit ; quin et conantes originem ipsius3 ad comitem quemdam Herculis referre irrisit.
Decessit Alexander ille vehementer Persis desideratus, quos humanissime habuisset, nequaquam autem Macedonibus, qui nimiam ejus in suos4 severitatem exsecrarentur.
Natura hominem non solum mente ornavit, sed etiam tribuit ei figuram corporis habilem et humano ingenio aptissimam. Nempe quum ceteris animalibus caput in terram pronum dedisset, solum hominem erexit, excitavitque ad cœli, quasi cognationis domiciliique sui1, conspectum.
Virtus conciliat amicitias et conservat. Homines malos aliquando videmus eadem cupere, eadem odisse, eadem metuere ; sed quæ inter bonos amicitia dicitur, hæc2 inter malos factio est.
Quidam, recitatum a poeta carmen novum, suum esse dixit, et protinus memoriā recitavit ; quum ille cujus3 carmen erat, hoc facere non posset. Quis non demiretur illam tam celeriter arripiendi, tam fideliter custodiendi semel audita, potestatem ?
Antiquissimus Italiæ rex Saturnus tantæ justitiæ1 fuisse traditur, ut neque servierit sub illo quisquam, neque aliquid privatæ rei habuerit ; sed omnia communia et indivisa fuerint, veluti unum cunctis patrimonium esset. Huic ætati nomen inditum fuit Aureæ.
Turpissimum est non modo pluris2 putare quod utile videatur, quam quod honestum, sed hæc etiam inter se componere, et in his addubitare.
Quem sentimus virum bonum, is nihil cuiquam detrahet, quod in se transferat, intelligetque nihil3 nec esse utile, nec expedire, quod sit injustum.
{p. 10}Præclare Anaxagoras, qui, quum Lampsaci moreretur, quærentibus amicis velletne Clazomenas in patriam, si quid ei accidisset, referri ? Nihil necesse est, inquit : undique enim ad inferos tantumdem1 viœ est.
Regis ad exemplar totus componitur orbis. Eo perniciosius de republicā merentur vitiosi principes, quod non solum vitia concipiunt ipsi, sed etiam ea infundunt in civitatem, plusque exemplo quam peccato2 nocent.
Ut membra hominum moventur3 mente ipsā ac voluntate, sic omnia possunt fieri, moveri, mutari numine deorum.
Commoda quibus utimur, lux qua fruimur, spiritus quem ducimus, a Deo1 dantur nobis et impertiuntur. Cujus providentia mundus administratur ; idemque consulit rebus humanis, nec solum universis, verum etiam singulis.
Vivendum est, tanquam vivamus in conspectu omnium ; cogitandum est, tanquam aliquis possit in pectus intimum inspicere : et potest. Nihil clausum est Deo : Interest2 animis nostris, et intervenit3 cogitationibus mediis ; imo nunquam discedit.
Moribus suis uti, et sibi4 tantum vivere, optimatibus principibusque non conceditur. Tanto in fastigio collocati, non magis spectandi nobis exhibentur, quam imitandi. Quo ampliori sorte eminent, eo plus vulgo se debere meminerint. Ita, ut optimi historiarum scriptoris verba usurpem, in maxumā5 fortunā minuma6 licentia est.
Opes et honores, et cetera id1 genus, quibus tam cupide inhiant mortales, vir sapiens tanquam ex animi sui fastigio despicit, minora ista existimans, quam2 pro laboribus molestiisque plerumque susceptis dum comparantur.
{p. 12}Quum ab Alexandro magno flagitaret mater Olympias mortem cujusdam insontis, et dictitaret, spe facilius impetrandi quæ vellet, eum se per novem menses utero portasse, prudenter respondit : Aliam, parens optima, roga3 me mercedem ; hominis enim innocentis salus beneficio nullo pensatur.
Dionysius tyrannus, qui sævitiæ et superbiæ natus videbatur, navem vittis ornatam misit obviam Platoni, gravissimo dicendi et vivendi magistro, venienti Syracusas4. Ipse quadrigis albis excepit in5 littore egredientem6 e navi.
Accipimus, priscis Romæ temporibus, floruisse studia colendorum agrorum ; Urbi invidiosam fuisse eorum qui ruri1 degerent conditionem ; virisque vel præstantissimis, quibus summa rerum permitteretur, nihil fuisse longius, quam ut ex urbe, tanquam e vinculis, rus2 evolarent.
Urere quam potuit contempto Mucius igne,Hanc spectare manum Porsena non potuit :Non tam sœva pius spectacula pertulit hostis*,Et raptum flammis jussit abire virum.Major deceptæ fama est et gloria dextræ :Si non peccasset, fecerat3 illa minus.
Adulatoribus ne1 aures præbeas. Habent hoc in se naturale blanditiæ : etiam quum rejiciuntur, placent ; sæpe exclusæ, novissime recipiuntur.
Corporis voluptas fragilis est, brevis, et eo vicinior fastidio, quo avidius hausta est. Ejus subinde necesse est aut pœniteat2 hominem, aut pudeat. In ea nihil magnificum, aut quod naturam hominis, diis proximi, deceat.
Postquam philosophiæ te permisisti, meliorem te fore3 spero et confido. Qui in solem venit, colorabitur ; qui in {p. 14}unguentaria taberna resederunt, et paulo diutius commorati sunt, odorem secum loci ferunt ; sic qui apud philosophum aut probum virum fuerunt, traxerint aliquid necesse est, quod prosit.
Qui domum intraverit, nos potius miretur1 quam supellectilem nostram. Magnus ille est, qui fictilibus sic utitur, quemadmodum argento ; nec ille minor, qui sic argento utitur, quemadmodum fictilibus.
Ne2 dixeris illa quæ invenimus esse nostra. Semina artium omnium insita sunt nobis, et Deus magister ex3 occulto acuit et excitat ingenia.
Vir bonus non prius declinat in4 dulcem somnum oculos, quam omnia diei acta reputaverit, ut pravis doleat, vel justis lætetur.
In exercenda beneficentia, multæ sunt cautiones5 adhibendæ. Videndum est6 primum ne obsit benignitas et iis ipsis quibus prodesse volumus, et ceteris ; deinde ne major sit quam facultates ; denique ut cuique pro dignitate tribuatur.
Non certior est sanæ mentis usus quam corporis : et quamvis longe a cupiditatibus abesse videaris, non minus tibi periculum instat1 ne rapiaris illarum impetu, quam proba valetudine fruenti, ne in morbum incidas.
Quid ab aliis pati et ferre cogamur2, cito sentimus et ponderamus ; sed quæ a nobis pati et ferre alii cogantur, nequaquam advertimus.
Diu cogita an tibi in amicitiam aliquis recipiendus3 sit. Quum placuit recipi, toto illum pectore admitte : tam audacter cum illo loquere, quam tecum.
Quum coram Agide, Lacedæmoniorum rege, laudarentur4 Elei, quod olympicis certaminibus justi judices essent5 : « Quid mirum, inquit, si6 quarto quoque anno per unum diem justitia utuntur ? »
{p. 16}Tantum nobis arrogamus1, ut apud universos homines, imo apud illos qui nos jam exstinctos excepturi sunt, innotescere cupiamus ; rursus vero tam inani pascimur gloriā, ut paucorum qui circa nos versantur opinio nos oblectet, animumque nostrum expleat.
Qui errorem depellit hominis se et sua mirantis, adeo2 non illum juvat, ut contra tam ingratum illi præstet officium, quam olim isti apud3 Athenas deliro homini, qui naves, quotquot portum subibant, suas esse existimabat.
Neminem ex omnibus hominibus magis quam regem aut principem decet clementia. Ita4 enim potentia decori est, si salutaris sit. Quæ vero gloria et valere ad nocendum ?
Ita5 in virtute proficies, si tibi ipse vim intuleris.
{p. 18}Pars prior. §
Versio I.
Duo Fontes. §
1. Duo fontes, eodem monte prognati, postquam1 inter arundineta, per vias haud absimiles, exiguam aliquandiu traxerant aquam, forte unus ad lævam exsilit, et pratum aspicit, diffusum in2 immensam magnitudinem, ridentibusque passim amictum floribus, et : « O vale, inquit, mifrater, vale ; quo nova jucundaque rerum species me vocat, eo sponte deferor. » Simul abit diversus3, et pratum petit, ejusque variam pulchritudinem late percurrere gestiens, se plures in rivulos dividit. Sed exhaustus avidum solum exsatiat, florumque tristes inter delicias consumitur. Alter autem quo semel receptus est alveo se prudentius continens, inter asperas cautes quidem, difficiliori cursu labitur, minusque grato, verum nihil amittit sui. Quin etiam decidentem a propinquis collibus aquarum copiam recipiens, inde suas auget ; mox ad ipsum hinc illinc rivi confluunt ; quibus incrementis ex rivo amnis ingens efficitur. Quo pertineat4 illud exemplum vobis, juvenes, facile patebit. Nempe curricula Musarum ingredi parantibus duplex iter occurrit : alterum desidiæ et voluptatis, alterum laboris. Qui priori se committit, illius mens animusque brevi tempore ita extenuantur, ut propemodum nulla5 fiant. Qui contra posterius sequitur, ejus ingenium, ut eximii poetæ verba usurpem, vires acquirit eundo, superatisque obstaculis, valentius exsistit atque copiosius.
{p. 20}Versio II.
Canis delator. §
2. Fur quidam Athenis1 quum in Æsculapii templum noctu irrepsisset, quidquid auri argentique ad manum erat convasavit, subduxitque se insciis omnibus, ut putabat. Frustra allatravit abeuntem frendens fremensque custos canis ; qui, quum ab ædituorum nullo exauditum se intelligeret, institit hominem persequi ; nec, lapidibus primo impetitus, abstitit. Ortā luce, cominus, quanto intervallo conspici posset, sequebatur. Ille, ut alliceret, objicere2 cibum ; canis repudiare, nec inescari se sinere, aut veneno tentari. Prope recubantem agere excubias, assurgere resurgenti, neque a vestigiis unquam abscedere. Quisquis viator occurreret, adblandiri caudā prætereunti, fugientem allatrare, quasi accusaret, et sequi. Quæ quum ab obviis accepissent missi ad insequendum milites, simul de colore canis et magnitudine sciscitati, id quod erat suspicati, addidere gradum, deprehensumque sacrilegum retraxerunt. Præibat interim antea delator, nunc dux agminis canis, ovans, sublimi capite incedens, reflectens identidem in captivum oculos. Nec defuit de republicā bene merito sua merces. Nam sacerdotibus edicto mandatum est, ut ipsi victum quoad viveret publice impertirent.
Versio III.
Equus et Lupus. §
3. Pascentem libere quemdam equum, et in viridi prato vagantem lupus aspexit, ipse fame pressus, et fortuitum cibum quæritans. Primo quidem impetus erat in prædam irruere1 ; sed deterrebat illum a prælio tanti corporis species. {p. 22}Decurrit igitur ad dolos ; fingit se medicum carnifex, lentoque gradu, et habitu ad gravitatem composito : « Ut vales, inquit, amice ? Videtur enim tua ista valetudo habere aliquid mali. Me autem nulla herbarum virtus fallit ; jure vocor Hippocrates animalium. Si quid2 opus est tibi me, utere ut voles gratis. » Dum vero hæc diceret, limis oculis obesum animal rimabatur, et unamquamque ægroti partem sibi ad prandium destinabat. Intellexit alter comitatem insidiosam, et, quamvis indolis satis bonæ, fraudem fraude ulcisci statuit. Nam, quasi ægrum pedem graviter attollens, « En3, inquit, amice, opportune advenis. Angit me jamdudum ulceris dolor, quod in intimā calce penitus infixum hæret. — Eia, respondit lupus, salva res est ; nam princeps sum in arte chirurgicā, et, ita me juvet Hercules4 ! in sanandis equorum ulceribus longe5 peritissimus. » Accedit igitur noster, dumque ad introspiciendum vulnus demittit oculos, alter, reducto crure, calcem totis viribus in os impingit, fractisque et obtritis dentibus ac maxillis, excutit misere ejulantem.
Versio IV.
Amicus ad amicum e gravi morbo convalescentem. §
4. Vivis, o amice ! vivis ; neque verus ille rumor qui te extinctum retulit. O1 rem lætissimam ! o me præter spem omnem felicissimum ! Equidem nunquam ego quanto te2 diligerem melius intellexi, quam ubi renuntiatum mihi fuit te amico ereptum3 esse in perpetuum. Tunc scilicet animo meo recurrit eximia tua fides, et caritas, et amœnissima illa indoles unde existunt inter nos dulcissimæ necessitudinis vincula. Hinc æstimare licet quantus me ex teterrimo nuntio mœror invaserit4. Sed quid ego hæc ? Quid in re tam luctuosā diutius immoror, quum tam ampla lætandi materies occurrat ? Ignosces, ut spero, pro5 tuā humanitate. Videor enim mihi similis esse eorum qui, portum tandem ingressi, ex naufragio recentes, tanto suavius {p. 24}retractant periculi memoriam, quanto gravius in discrimen fuere adducti. Ceterum cura sit tibi deinceps impensissima valetudinis, sicque habe amici tui salutem tua cum salute esse conjunctam.
Versio V.
Rusticæ vitæ bona describuntur. §
5. Quum vernent omnia et rideant in agris, miror esse qui urbis strepitu delectentur. Rura enim sylvæque meliora gaudia gratioresque habent delicias, quam usquam expertus invenias. Hic scilicet adsunt sanitas, quies, et lætitia, et quæcunque ad animum bona pertinent. Hic labor etiam assiduus viribus augendis prodest, et corpora præstat firmiora, nedum1 frangat aut debilitet. Hic otia salubrem ac vegetam exercitationem præbent. Neve putes ruris pacem ac silentium studio litterarum minus esse opportuna2 ; quum montibus ac sylvis nescio quid poeticum insit, nec ullo usquam loco propius ad Deum et divina omnia mentes humanæ revocentur. Liberioris enim aspectus cœli, et naturæ pubescentis opes, prata, messes, et ipsæ arborum umbræ multa cogitantibus subjiciunt, et nos3 ea quæ in libris tantum legimus, vehementius admonent. Nec male dicebat vir quidam inclytus omnes se quas calleret litteras, quibus nescio an alius eadem ætate excultior fuerit, in sylvis et in agris didicisse, non hominum disciplinis, sed meditando, et summum numen orando, maxime in illo naturæ spectaculo mirandum ; nec se ullos meliores magistros habuisse, quam quercus et fagos.
Versio VI.
De prœcipuo matris officio. §
6. Nuntiatum est quondam Favorino philosopho, præsentibus discipulis, uxorem cujusdam ex suis sectatoribus paulo ante peperisse1, eumque auctum esse filio. « Eamus, inquit tum Favorinus, et visum2 puerperam, et gratulatum patri. » {p. 26}Nempe is erat loci senatorii, ex familiā nobiliore3. Ivimus una, qui tum aderamus, et cum eo simul domum ingressi sumus. Ille autem, complexus hominem, eique congratulatus, assedit : atque ubi4, de puella percontatus, hanc labore defessam et vigiliā somnum capere cognovit, fabulari institit prolixius, et : « Nihil5, inquit, dubito quin ipsa filium lacte suo nutritura sit. » Sed quum mater puellæ parcendum ei esse diceret, adhibendasque puero nutrices, ne ad dolores quos tulisset in pariendo munus quoque nutricationis grave et difficile accederet : « Oro te, inquit, mulier, sine eam totam ac integram esse filii sui matrem. » Hoc est enim contra naturam imperfectum et dimidiatum matris genus, parere, et statim abjicere ab oculis suis partum ; alere in utero nescio quid quod non videat ; non alere quod videat, jam hominem, jam viventem, jam matris officia implorantem : dum contra nihil est magis naturæ consentaneum, quam primos infantis risus eam quæ peperit excipere, primas abstergere lacrymas, compescere vagitus, ex infantia ad pueritiam illum perducere, tamque piā sollicitudine fovere, ut iterum vitā donare videatur.
Versio VII.
Doctis maxima prœmia debentur. §
7. Græci magnos honores instituerunt1 athletis qui in Olympiis, Pythiis, Isthmiis Nemeisque certaminibus vicerint. Nam non modo in publico Græciæ conventu laudes ferunt cum palmā et coronā ; sed etiam, quum revertuntur in suas civitates, triumphantes quadrigis invehuntur in patriam, et constitutis e2 republicā vectigalibus per totam vitam fruuntur. Quod quum ego animadverto, admiror3 cur non iidem honores, atque etiam majores, tributi sint scriptoribus qui infinitas utilitates perpetuo ævo omnibus præstant. Id enim eo magis dignum erat institui, quod athletæ sua tantum corpora exercitationibus efficiunt fortiora ; scriptores vero non solum sua ingenia suosque sensus perficiunt, sed etiam omnium aliorum, ea4 in libris {p. 28}præcepta dantes, quæ plurimum juvent ad animos exacuendos et ad discendum. Quid enim Milo Crotoniates, quod fuit corporis viribus invictus, prodest hominibus, aut ceteri qui eo genere fuerunt victores ? Pythagoræ vero, Platonis, Aristotelis ceterorumque sapientum præcepta omnibus gentibus edunt novos quotidie fructus, quibus qui a tenerā ætate satiantur, ipsi optimos habent sensus, et humanos mores civitatibus infundunt, æqua jura ac leges describunt, sine quibus nulla potest esse civitas incolumis. Quum5 igitur tanta munera privatim ac publice fuerint hominibus præparata scriptorum prudentiā, non solum palmas et coronas his tribui arbitror oportere, sed etiam et triumphos, et divinos, si fas sit, honores decerni.
Versio VIII.
Cacus occiditur. §
8. Herculem memorant, interempto Geryone, in1 ea loca quæ condendæ Urbi Romulus elegit, abegisse mirā specie boves, ac prope Tiberim fluvium, quā præ se armentum agens trajecerat, loco herbido, ut quiete et pabulo læto reficeret boves, et ipsum fessum viā procubuisse. Ibi, quum eum cibo vinoque gravatum sopor oppressisset, pastor accola ejus loci, nomine Cacus, ferox viribus, captus pulchritudine boum, quum avertere eam prædam vellet, quia, si agendo armentum in speluncam compulisset, ipsa vestigia quærentem dominum eo deductura erant, aversos boves, eximium quemque pulchritudine, caudis2 in speluncam traxit. Hercules, ad primam auroram somno excitus, quum gregem perlustrasset oculis, et partem abesse numero sensisset, pergit ad proximam speluncam, si forte eo vestigia ferrent ; quæ ubi3 omnia foras versa vidit, nec in partem aliam ferre, confusus atque incertus animi4, ex loco infesto agere porro armentum occœpit. Inde quum actæ boves quædam ad desiderium, ut fit, relictarum mugissent, reddita inclusarum ex speluncā boum {p. 30}vox Herculem convertit. Quem quum vadentem ad speluncam Cacus vi prohibere conatus esset, ictus clavā, fidem pastorum nequicquam invocans, occubuit.
Versio IX.
Plinius Cornelio Tacito suo salutem. §
9. Ridebis, et licet rideas. Ego Plinius ille quem nosti, apros tres, et quidem pulcherrimos, cepi. Ipse, inquis ? Ipse ; non tamen ut omnino ab inertia mea et quiete discederem. Ad retia sedebam. Erant in proximo non venabulum aut lancea, sed stylus et pugillares. Meditabar aliquid, enotabamque ; ut, si manus vacuas, plenas tamen ceras reportarem1. Non est2 quod contemnas hoc studendi genus. Mirum est ut animus hac agitatione motuque corporis excitetur. Jam undique sylvæ et solitudo, ipsumque illud silentium quod venationi datur, magna cogitationis incitamenta sunt. Proinde, quum venabere, licet, auctore me, ut panarium et lagunculam, sic etiam pugillares feras. Experieris non Dianam magis montibus quam Minervam inerrare. Vale.
Versio X.
Fortunatœ Insulœ describuntur. §
10. Proditum est a veteribus poetis esse1 quasdam in Oceano insulas, ad quas post mortem deferantur2 eorum animæ qui sancte ac religiose vixerint3. Ibi eos inter se jucundissimam agere conversationem, in prato florum gratissimā varietate distincto et picturato ; nunquam non illie ridere cœlum, frondere arbores, pubescere herbas, nitere omnia, spirare assidue mollissimos favonios, quorum flabellis ventilatæ arborum comæ suavissimo murmure auribus blandiantur4. Eo accedere innumerabilem vim immortalium avicularum, quæ, usque et usque liquidos cantus funditantes, intimos sensus audientium incredibili voluptate permulceant5 ; pratum ipsum perennibus rivulis {p. 31a}vox Herculem convertit. Quem quum vadentem ad speluncam Cacus vi prohibere conatus esset, ictus clavā, fidem pastorum nequicquam invocans, occubuit.
Versio IX.
Plinius Cornelio Tacito suo salutem. §
9. Ridebis, et licet rideas. Ego Plinius ille quem nosti, apros tres, et quidem pulcherrimos, cepi. Ipse, inquis ? Ipse ; non tamen ut omnino ab inertia mea et quiete discederem. Ad retia sedebam. Erant in proximo non venabulum aut lancea, sed stylus et pugillares. Meditabar aliquid, enotabamque ; ut, si manus vacuas, plenas tamen ceras reportarem1. Non est2 quod contemnas hoc studendi genus. Mirum est ut animus hac agitatione motuque corporis excitetur. Jam undique sylvæ et solitudo, ipsumque illud silentium quod venationi datur, magna cogitationis incitamenta sunt. Proinde, quum venabere, licet, auctore me, ut panarium et lagunculam, sic etiam pugillares feras. Experieris non Dianam magis montibus quam Minervam inerrare. Vale.
Versio X.
Fortunatœ Insulœ describuntur. §
10. Proditum est a veteribus poetis esse1 quasdam in Oceano insulas, ad quas post mortem deferantur2 eorum animæ qui sancte ac religiose vixerint3. Ibi eos inter se jucundissimam agere conversationem, in prato florum gratissimā varietate distincto et picturato ; nunquam non illie ridere cœlum, frondere arbores, pubescere herbas, nitere omnia, spirare assidue mollissimos favonios, quorum flabellis ventilatæ arborum comæ suavissimo murmure auribus blandiantur4. Eo accedere innumerabilem vim immortalium avicularum, quæ, usque et usque liquidos cantus funditantes, intimos sensus audientium incredibili voluptate permulceant5 ; pratum ipsum perennibus rivulis {p. 32}intersecari, quorum nitidissima aquula, ad versicolores lapillos molliter allisa, susurrum6 efficiat dulcissimum. Fortunatæ sedis incolas iis quæ videant7, quæ audiant, quæ sentiant, indesinenter hilarari. Alios ad Orphei Amphionisve lyram choreas agere ; alios psallere ; alios corollas texere ; alios in herbā fusos, quā tellus tremulis laurorum ac myrtorum opacatur umbraculis, jucundissimos sermones conserere ; humum ipsam, sine ullo cultu, ter quotannis, summa ubertate alimentorum copiam illis subministrare.
Versio XI.
Ut Aristoteles obliquo et ingenioso commento magisterii sui successorem designaverit. §
11. Aristoteles annos1 jam fere duos et sexaginta natus, corpore affecto, et tenui vitæ spe fuit. Tunc omnis sectatorum cohors ad eum accessit, obsecrantes2 ut ipse deligeret magisterii sui successorem, quo, post summum ejus diem, perinde ac ipso uterentur3, ad studia doctrinarum complenda excolendaque, quibus ab eo imbuti fuissent. Erant in ejus ludo præcipui Theophrastus et Menedemus : hic Rhodius, alter ex insulā Lesbo. Aristoteles respondit se facturum esse quod vellent, quum id foret sibi4 tempestivum. Postea brevi tempore, iisdem adstantibus, vinum ait quod tunc biberet non esse ex5 valetudine suā, sed insalubre atque asperum ; propterea quæri debere exoticum, vel Rhodium aliquod, vel Lesbium. Utrumque sibi ut curarent petivit, usurus eo quod sese6 magis juvisset. Eunt, curant, inveniunt, afferunt. Tum Aristoteles Rhodium petit, degustat : « Firmum, inquit, hercle ! vinum, et jucundum. » Mox, degustato item Lesbio, « Utrumque, inquit, oppido bonum ; sed ἡδίων ὁ Ʌέσϐιоς (jucundius Lesbium). » Hinc nemini fuit dubium7 quin lepide simul et verecunde successorem illā voce sibi, non vinum, delegisset. Is erat Theophrastus, suavitate vir insigni linguæ pariter ac vitæ. Itaque, non diu post, Aristotele vitā defuncto, ad Theophrastum omnes concesserunt.
{p. 34}Versio XII.
Quam artem Pythœ uxor ad sanandam viri avaritiam adhibuerit. §
12. Auctor est Plutarchus, in illo libro quem virtut mulierum dicavit, Pythen1 quemdam, non amplæ provinciæ præfectum, Xerxis, ut videtur, temporibus, quum forte incidisset in2 auraria metalla, tam immoderato studio amplexum fuisse quas inde consequeretur divitias, un non solum ipse totus esset in hoc opere, sed et cives suos juberet, neglectis omnino ceteris rebus, assidue effodere aurum, egerere, purgare, ultimam pœnam minatus, si quis sibi negasset obsequium. Postquam plurimos improbus iste labor consumpserat3, qui supererant animum despondentibus, ex muliebri sexu lectæ, obvolutum lanā ramum oleaginum, precantium ritu, præ se ferentes, ad Pythæ uxorem convenerunt. Aliæ aliam orbitatem questu et lamentis dolebant, et hanc miseriam universis4 deprecabantur. Illa legationem obeuntes humanissime excepit, et dimisit benigno sermone recreatas. Tum peritissimum quemque artificem ad se mulier accersivit, eosdem a pud se tenuit inclusos, et ignaris, quo consilium ipsius pertineret, negotium dedit ex auro conficiendi, ad optimam imitationem, varia cujuslibet generis obsonia, carnes scilicet, panem, cupedias, et quidquid sciret sapere viro jucundissime. Fabri artem suam infinito antecesserunt. His autem operibus confectis, post non multas dies redux a peregrinatione Pythes, vix datā salute, utpote5 qui valde ab itinere esuriret, cœnam poposcit. Poscenti conjux, illius quam diximus fabricæ, cibos jussit apponi.
Versio XIII.
Sequitur de Pythœ uxore. §
13. Quam cupido intuitu Pythes hauserit1 paratum sibi spectaculum, quam frequenter singulas res manibus et visu {p. 36}pertractaverit, materiam, non artem, demiratus, referre supervacaneum arbitror. Fuerit2 hoc significantius voluptatis quam inde cepit argumentum : Esurire se plane oblitus est. At quum soleant vel splendidissima quæque, nullos ad usus apta, diutius contemplantibus fastidium movere sensit ille mox elanguere lætitiæ suæ impetum, et avocatam paulisper famem instare3 sibi vehementius ; tum conversus ad uxorem, « Mirificas, ait, nobis epulas curavisti, sed minus4 esculentas. » Illa autem : « Ecquid, vir, nuno tandem desiderio tuo, quanti5 sit6 agricultura, intelligis ? non est quod mireris, pro dapibus quas poposceris, aurum tibi me apposuisse ; hujus enim tu nobis materiæ copiam, nullius præterea, paravisti. Omnes jacent aliæ artes ; vacant agri culturã, dum vacant cives secturæ metallorum ; neglectã satione, plantatione, et alimentorum quæ terra generat conquisitione, circa inutiles fodinas versantur, magnis, seu pareant, seu parere negent, suis ærumnis, magnã tuã invidiã. » Movere non mediocriter virum uxoris verba ; et quod nulli civium gemitus, nullæ lacrymæ effecerant, id muliebre commentum effecit, ut, si non omnino omitterentur metalla, levior saltem eruentibus irrogaretur labor, nec plus quintam hominum partem opus illud detineret.
Versio XIV.
Gloriœ majestas vel hostibus reverentiam imperat. §
14. Ad superiorem Africanum, in Literninã villã se continentem, complures prædonum duces videndum eodem tempore forte confluxerant. Quos quum ad vim faciendam venire existimasset, præsidium domesticorum in tecto collocavit ; eratque in his1 repellendis et animo2 et apparatu occupatus. Quod ut prædones animadverterunt, dimissis militibus, abjectisque armis, januæ appropinquant, et clarã voce nuntiant Scipioni, « Non vitæ ejus hostes, sed virtutis admiratores venisse, conspectum et congressum {p. 38}tanti viri quasi cœleste aliquod beneficium expetentes : proinde securum se spectandum præbere ne3 gravaretur. » Hæc postquam domestici Scipioni retulerunt, fores reserari, eosque intromitti jussit. Qui, postes januæ tanquam religiosissimam aram sanctumque templum venerati, cupide Scipionis dextram apprehenderunt ; ac diu deosculati, positis ante vestibulum donis, quæ deorum immortalium numini consecrari solent, læti quod4 Scipionem vidisse contigisset, ad lares reverterunt. Quid hoc fructu majestatis excelsius ? Quid etiam jucundius ? Hostis iram admiratione sui placavit (in eo scilicet bello quod, quadriennio ante, cum rege Antiocho gesserat) ; spectaculo præsentiæ suæ latronum gestientes oculos obstupefecit. Delapsa cœlo sidera hominibus5 si se offerant, venerationis amplius non recipiant.
Versio XV.
Verres in Sicilia prœtor aggreditur expilare signum Herculis apud Agrigentinos. §
15. Herculis templum est apud Agrigentinos, non longe a foro, sane sanctum apud illos et religiosum. Ibi est ex1 ære simulacrum ipsius Herculis, quo non facile quisquam pulchrius elaboratum opus viderit. Ad hoc templum, duce Timarchide, repente, nocte intempestã, servorum armatorum fit concursus atque impetus. Clamor a vigilibus custodibusque fani tollitur. Quos primo resistere ac defendere conantes, clavis ac fustibus servi male multatos repellunt ; postea convulsis repagulis, effractisque valvis, demoliri signum, ac vectibus labefactare conantur. Interea ex clamore fama totã urbe percrebuit expugnari deos patrios : non hostium adventu nec opinato, neque repentino prædonum impetu, sed ex domo atque cohorte prætoriã manum fugitivorum instructam armatamque venisse. Nemo Agrigenti neque ætate2 tam affectã, neque viribus tam infirmis fuit, quin illã nocte, eo nuntio excitatus, surrexerit, telumque quod cuique fors offerebat, arripuerit. {p. 40}Itaque brevi tempore ad fanum ex urbe totã concurritur. Horã3 amplius jam in demoliendo signo permulti homines moliebantur : illud interea nullã lababat ex parte ; cum alii vectibus subjectis conarentur commovere, alii deligatum omnibus membris rapere ad se funibus. Repente Agrigentini concurrunt ; fit magna lapidatio : dant sese in fugam istius præclari imperatoris nocturni milites ; duo tamen sigilla perparvula tollunt, ne omnino inanes ad istum prædonem religionum reverterentur. Nunquam tam male est Siculis, quin4 aliquid facete et commode dicant, velut in hac re : aiebant in labores Herculis non minus hunc immanissimum Verrem, quam illum aprum Erymanthium referri oportere.
Versio XVI.
Neglectœ religionis exempla, §
16. Syracusis1 Dionysius genitus tot sacrilegia sua, quot jam recognoscimus, jocosis dictis prosequi voluptatis loco duxit. Fano enim Proserpinæ spoliato Locris, quum per altum secundo vento classe veheretur, ridens amicis, « Videtisne, ait, quam bona navigatio ab ipsis immortalibus sacrilegis tribuatur2 ? » Detracto etiam Jovi Olympio magni ponderis aureo amiculo, quo eum tyrannus Hiero e manubiis Carthaginiensium ornaverat, injectoque ei laneo pallio, dixit æstate gravem amiculum aureum esse, hieme frigidum : laneum autem ad utrumque tempus anni aptius. Idem Epidauri Æsculapio barbam auream demi jussit, quod affirmaret non convenire patrem Apollinem imberbem, ipsum barbatum conspici. Idem mensas argenteas atque aureas e fanis sustulit : quodque in his more Græciæ scriptum erat, Bonorum Deorum eas esse3, uti se bonitate eorum prædicavit. Idem Victorias aureas et pateras, et coronas, quæ simulacrorum porrectis manibus sustinebantur, tollebat, et eas se accipere, non auferre dicebat, perquam stultum esse argumentando, a4 quibus bona precamur, {p. 42}ab his porrigentibus nolle sumere….. Qui tametsi debita supplicia non exsolvit, dedecore5 tamen filii mortuus pœnas rependit, quas vivus effu erat. Lent, enim gradu ad vindictam sui divina procedit ira, tarditatemque supplicii gravitate compensat.
Versio XVII.
Restituitur Hierosolyma. §
17. Erat apud1 Babyloniam Nehemias, minister regius, gente Judæus, Artaxerxi merito obsequiorum carissimus. Is, Judæos percontatus quis paternæ urbis status esset2, ubi comperit in iisdem ruinis jacere patriam, totis sensibus conturbatus, cum gemitu multisque lacrymis orasse ad Deum traditur, delicta gentis suæ reputans, misericordiamque divinam efflagitans. Igitur quum eum rex inter epulas mœstum extra solitum animadverteret, poposcit ab eo causam dolorum ut exponeret. Tum ille adversa et ruinam suæ civitatis deflere3, quæ, jam per annos fere ducentos et quinquaginta solo strata, malorum testimonium, spectaculum hostibus præberet ; daret4 sibi eundi et ejus restituendæ potestatem. Paruit rex piis precibus, statimque eum cum præsidio equitum, quo tutius iter ageret, dimisit, datis ad prætores epistolis, ut necessaria ministrarent. Is quum Hierosolymam pervenisset, viritim populo urbis opus distribuit ; et certatim jussa omnes curabant. Jamque ad medium machinæ processerant, quum, flagrante invidiã vicinæ urbes conspirant opera interrumpere, Judæosque ab ædificando deterrere. Sed Nehemias, dispositis adversus incursantes præsidiis, nihil5 territus cœpta explicuit ; consummatoque muro, per familias construendis intus domibus urbem dimensus est. Censuitque populum minime urbi parem : neque enim amplius quam ad6 quinquaginta millia promiscui sexus atque ordinis reperta : tantum ex illo quondam immani numero frequentibus bellis absumptum, aut captivitate detentum !
{p. 44}Versio XVIII.
Diruitur Hierosolyma. §
18. Judæi, obsidione clausi, quia nulla1 neque pacis neque deditionis copia dabatur, ad extremum fame interibant ; passimque viæ oppleri cadaveribus cœpere, victo jam humandi officio. Quin omnia nefanda insuper ausi, ne humanis quidem corporibus pepercerunt, nisi quæ ejus modi alimentis tabes præripuerat. Igitur, defessis defensoribus, irrupere Romani. Ac tum forte in diem Paschæ omnis multitudo ex agris aliisque Judæ æ oppidis (divino nimirum consilio) convenerat. Pharisæi aliquantisper pro templo acerrime restiterunt ; donec, obstinatis ad mortem animis, ultro se subjectis ignibus intulerunt. Numerus peremptorum ad2 undecies centena millia refertur : capta vero centum millia, ac venundata. Fertur Titus adhibito consilio prius deliberasse an3 templum tanti operis everteret. Etenim nonnullis videbatur ædem sacratam, ultra omnia mortalia illustrem, non debere deleri ; quæ servata modestiæ romanæ testimonium, diruta perennem crudelitatis notam præberet. At contra alii, et Titus ipse, evertendum templum in primis censebant, quo4 plenius Judæorum et Christianorum religio tolleretur : Quippe has religiones, licet sibi invicem contrarias, iisdem tamen auctoribus profectas ; Christianos ex Judæis exstitisse ; radice sublatã, stirpem facile perituram. Ita, Dei nutu accensis omnium animis, templum dirutum. Atque hæc ultima templi eversio et Judæorum captivitas : quã5 extorres patriã per orbem terrarum dispersi cernuntur.
{p. 46}Versio XIX.
De cupiditate discendi. §
19. Tantus est innatus in nobis cognitionis amor et scientiæ, ut nemo dubitare possit quin1 adeas res hominum natura, vel nullo emolumento invitata, rapiatur. Videmusne ut pueri ne verberibus quidem deterreantur a contemplandis rebus et perquirendis ? Ut pulsi requirant, et aliquid se scire gaudeant ? Ut aliis narrare gestiant ? Ut pompā, ludis atque ejus modi spectaculis teneantur, ob eamque rem vel famem et sitim perferant ? Quid vero ? Qui ingenuis studiis atque artibus delectantur, nonne videmus eos nec rei familiaris, nec valetudinis habere rationem, omniaque perpeti scientiā2 captos, et cum maximis curis atque laboribus eam compensare quam ex discendo capiunt voluptatem ? Homerum equidem crediderim quiddam ejus modi, in iis quæ de Sirenum finxit cantibus, significasse. Neque enim vocum suavitate quadam aut novitate solebant cos revocare qui prætervehebantur, sed quia multa scire se profitebantur ; ut homines ad earum saxa discendi cupiditate adhærescerent3. His Ulyssem invitant illecebris4. Vidit Homerus probari fabulam non posse, si cantiunculis5 tantus vir irretitus teneretur. Scientiam se illi tradituras pollicentur : quam non erat mirum viro sapientiæ cupido patriā ipsā esse6 cariorem.
Versio XX.
De prodigiis Romanorum. §
20. Quum bello acri et diutino Veientes a Romanis intra mœnia compulsi, capi non possent, ea que mora non minus obsidentibus, quam obsessis, intolerabilis videretur, exoptatæ victoriæ iter miro prodigio dii immortales patefecerunt. Subito enim Albanus lacus, neque cœlestibus imbribus auctus, neque inundatione ullius amnis adjutus, solitum extraordi {p. 48}stagni modum1 excessit : cujus rei explorandæ gratiā legati ad Delphicum oraculum missi, retulerunt : « Præcip sortibus ut aquam lacus ejus emissam per agros diffunderent : sic enim Veios in potestate romani populi futuros. » Quod priusquam legati renuntiarent, aruspex Veientum a milite nostro (quia2 domestici interpretes deerant) raptus et in castra perlatus futurum dixerat. Ergo senatus, duplici prædictione monitus, eodem pæne tempore et religioni paruit, et hostium urbe potitus est.
Versio XXI.
Prœstant artium monumentis litterarum monumenta. §
21. Cernite tristes campos, ubi stant ambitiosæ pyramides, quibus ferrum, flamma, hostes, libidinesque successorum pepercerunt ; quas tempus edax vincere non potuit. En illas interrogate ; dicant vobis a quibus ædificatæ fuerint. Nequicquam, obscuri Pharaones, tantam profudistis pecuniarum vim, totque manus ad extollenda sepulchra illa contrivistis : vobis præco defuit, qui1 vestram posteritati memoriam commendaret ; hucque tam longi reciderunt labores, hoc tot tantisque emptum est opibus, ut in æternā morte consepulti jaceatis ! Nunc gloriam vestram, o reges, credite monumentis ! Non item de litterarum operibus : ut ipsa mens quæ illa finxit et condidit, æterna et immortalia habentur. Jam nulla vestigia indicant ubi tumulus ille quem Græci Achilli suo exstruxere, fuerit. Sed Achillem cecinit Homerus, et tribus annorum millibus elapsis, vivit adhuc Achilles, æternumque vivet, nunquam periturā servatus Iliade. Hæc sunt monumenta in2 quæ nihil a3 mortalibus, nihil a vetustate liceat ; quæ, hic eversa, illic renascantur ; quæ nec in templo, nec in foro, nec in urbe, nec unā in regione contineantur, sed totum impleant terrarum orbem. Litterarum hæc est propria laus : non tantum simulacrum umbramque corporis, sed animum illum immortalem exprimunt, cujus formam materies {p. 50}nulla tenere potest. Igitur, quanto4 corpori præstat animus, tanto artium monumentis præstare litterarum monumenta quis negaverit ?
Versio XXII.
Ut Democritus latens Protagorœ ingenium in re satis parvā deprehenderit. §
22. Protagoram aiunt adolescentem, victus quærendi gratiā, vecturas onerum corpore suo factitasse : quod genus hominum bajulos appellamus. Is aliquando caudices ligni plurimos funiculo brevi colligatos portabat rure Abderam1 in oppidum cujus civis fuit. Tum forte Democritus, ejusdem civitatis popularis, homoque ante alios virtutis et philosophiæ gratiā venerandus, urbe egrediens, videt adolescentem cum illo genere oneris tam impedito facile atque expedite incedentem. Prope accedit, juncturam posituramque lignorum scite ac perite factam considerat, petitque ut paulum acquiescat. Quod ubi Protagoras, ut erat petitum, fecit, animadvertit Democritus caudices illos brevi vinculo comprehensos librari continerique ratione quādam geometricā. Itaque interrogavit quis illum acervum lignorum ita composuisset2. Et quum ille a se compositum dixisset, desideravit uti solveret, ac denuo in eumdem modum collocaret. Paruit bajulus, ac dissolutum3 fasciculum composuit similiter. Tum Democritus, solertiam hominis non docti admiratus, « Mi adolescens, inquit, quum4 ingenium solerter aliquid agendi habeas, sunt5 majora melioraque, quæ facere mecum possis. » Abduxitque eum statim, secum habuit, sumptum ministravit, philosophiam docuit, et eum fecit quantus postea fuit.
Versio XXIII.
Qua institutione futurus regni hœres apud Persas imbueretur. §
23. Puerum penes quem futura esset summa rerum, sic institui solitum fuisse, scriptum Plato reliquit. Statim {p. 52}exceptus in lucem regulis hæres honestissimis infantiæ custodibus tradebatur alendus, qui1 a teneris principem quam2 elegantissimum conformarent : proinde corpusculi vitia pravitatemque corrigerent, ducerent vultum, fingerent membra, gestum omnem incessumque componerent. Ubi septimum attigisset annum, continuo equitandi magister aderat, ex quo varias domandi et flectendi equi artes acciperet. Hinc ad tolerantiam inediā, siti, algore, sudore, telorum jactu, palæstrā, venatu membra durabat. Exin quartum annum et decimum ingressus, moderatoribus permittebatur, quos regios vocabant, numero quatuor, ceteris sapientiā, justitiā, temperantiā, fortitudine præstantes ; quorum primus, sapientiæ magister, ad magica Zoroastri instituta erudiebat adolescentem ; secundus, justitiæ, doctor, monebat ut parcimoniā uteretur verborum, et in omni vitā simplex et apertus esse meditaretur ; tertius temperantiæ præcepta tradebat : ut cupiditati nunquam serviret, suique prius rex esse disceret, quam auderet esse populorum ; quartus denique virum fortem nihil reformidare jubebat ; servitutem supremum malum ducere ; vitæ laudem anteponere ; illam pro regiā dignitate, pro salute civium, pro patriis institutis, pro religionibus quas a majoribus accepisset, libentissime, si3 res ita ferret, projicere.
Versio XXIV.
Verris apud Haluntinos expilationes. §
Quum ad1 Haluntium venisset prætor laboriosus ac diligens, ipse in oppidum accedere noluit, quod erat difficili ascensu atque arduo ; sed sisti lecticam suam in littore, et Archagathum Haluntinum, hominem non solum domi suæ, sed in totā Siciliā nobilem, vocari jussit ; cui negotium dedit ut quidquid Haluntii esset argenti cælati, aut si quid etiam Corinthiorum, id omne statim ad mare ex oppido {p. 54}deportaretur. Archagathus autem, qui a suis amari et diligi vellet2, ferebat graviter illam sibi datam ab isto provinciam ; nec quid faceret habebat. Pronuntiat quid sibi esset imperatum. Metus erat summus : ipse enim tyrannus non discedebat longius ; Archagathum et argentum, in lectica cubans, ad mare infra oppidum exspectabat. Quem concursum in oppido factum putatis ? quem clamorem ? Quem porro fletum mulierum ? Qui viderent, equum trojanum introductum, urbem captam esse dicerent. Efferri sine thecis vasa ; extorqueri alia de manibus mulierum ; effringi multorum fores : revelli claustra. Si quando conquiruntur3 a privatis arma sua scutaque in bello ac repentino tumultu, dant illa tamen inviti homines, etsi ad communem salutem conquiri et dari sentiunt. Quanto majori dolore argentum domo, quod alter eriperet, Haluntinos protulisse putatis ? Omnia deportantur. Quæ probarat prætor, iis emblemata ceterumque genus ornamentorum detrahuntur. Sic Haluntini, excussis deliciis, cum argento puro domum reverterunt.
Versio XXV.
De perfidiā filiorum in parentes. §
25. Degebat in Germaniā senex quidam, huic arti deditus quæ præcipue in transmutandis metallis versatur, et idonea quædam ad propagandam vitam investigat arcana ; vir scilicet alchymiæ sectator, alioqui sanctus et innocens. Is quum vitæ finem instare1 sibi sentiret, vocato filio, perditæ indolis adolescente, « En2, inquit, ut scias, fili, quonam tam longinquæ vitæ labor evaserit3, id ego sum multis assecutus vigiliis, ne4 mihi meorum quisquam superstes esse possit. Cernis testulam hoc liquore coccineo plenam ? Hanc mihi paravi præsentissimum adversus fati necessitatem remedium. Si5 intra decem post obitum horas, priusquam ex hoc limo animæ tepor abierit, hoc liquore corpus nostrum unxeris, et pauculas aliquot guttas hisce {p. 56}labris instillaveris, redibit patri tuo spiritus ac juventæ vigor ; redditoque quam præstiti vitæ beneficio, jam æquo jure inter nos, et fratrum loco, erimus. Ars interim nostra alterum tibi sæculum certā ratione elaborabit. Post hæc mandata quum exspirasset, filius dolore amens, simul inter lacrymarum intervalla reputans patri tam pio vitā opus non esse6 ; sibi vero tam perdito omnino utile fore superstitem7 esse sibi, ut contractas priore vitā maculas posteriore elueret, testulam ne attigit quidem, relictoque inter avos genitore, ipse, dilatā in alteram vivendi vicem morum suorum emendatione, quod libidinis erat, præripuit.
Versio XXVI.
Sequitur de perfidiā filiorum in parentes. §
26. Obrepsit homini senectus. Testulæ morbus admonuit. Erat ipsi quoque filius, patri quam avo similior. Cujus quidem avaritiam tentavit ; exhibitāque testulā, prædictāque admovendi remedii ratione, affirmavit se, modo id rite fieret, totum fore1 aureum. Flebat interim filius, et perdite testabatur se pretiosum cadaver omni curā habiturum2, neque id unquam permissurum sibi, ut vel digitulum unum et tam dilecto parente resecaret, nisi quot3 forte fragmentis ad collocandas sorores opus esset4. Hac astutiā fretus pater ad moriendum se componit, et hilariter quidem, nimirum ad vitam postliminio rediturus. Qui postquam extremum tamen spiritum emisit, hæres gestientis intus caritatis impetum non sustinens, imperare sibi non potest quin5 optimi parentis molem, quam longa lataque sit, cupidissime dimetiatur. Quam ubi in aurum conversam haud pœnitendam sui laboris mercedem fore6, subductis calculis, cognovit, accingit se ad opus. Sed, o fallacem hominum spem ! peruncto enim egregie corpore, quum liquor labris admoveretur, jam vitæ redeuntis quasi admonitum subsiluit cadaver, et ex novi artificis manu testulam excussit.
{p. 58}Versio XXVII.
Vincitur Crœsus a Cyro. §
27. Quum adversus Babylonios bellum Cyrus gereret, Babyloniis rex Lydorum Crœsus, cujus opes et divitiæ insignes eā tempestate erant, in auxilium venit ; victusque, jam de se sollicitus, in regnum refugit. Cyrus quoque post victoriam, compositis in Babyloniā rebus, bellum transfert in Lydiam. Ibi fortunā prioris prælii perculsum jam Crœsi exercitum nullo negotio fundit : rex ipse capitur. Sed quanto1 bellum minoris periculi, tanto et mitior victoria fuit. Crœso et vita, et patrimonii partes, et urbs Barene concessa sunt : in quā2 etsi non regiam vitam, priximam tamen regiæ majestati degeret. Hæc clementia non minus victori quam victo profuit. Quippe ex universā Græciā, cognito quod Lydis arma essent illata, velut ad commune extinguendum incendium auxilia confluebant : tantus Crœsi amor apud omnes urbes erat ; passurusque Cyrus grave bellum Græciæ3 fuit, si quid in illum quem armis superaverat crudelius consuluisset. Interjecto deinde tempore, occupato in aliis expeditionibus Cyro, Lydi rebellavere : quibus iterum victis, arma et equi adempti ; jussique4 cauponias et ludicras artes exercere. Et sic gens, industriā quondam potens et manu strenua, effeminata luxuriā, ex pristinā virtute in otium ac desidiam lapsa est, et militaria studia deposuit.
Versio XXVIII.
Jonas et Nautœ colloquentes inducuntur. §
28. Nautæ. Proh Jupiter ! Quanta sævit tempestas ! Quanti undarum fluctus navim undique verberant ! Dii immortales, quid habetis in animo ? Ledæ proles, amica nautis sidera1, vestram fidem obsecramus : reddite nobis cœli serenitatem !… Nihil agimus. Frustra, extremo {p. 60}remedio, fecimus pretiosarum rerum quas vehebat navis jacturam ; magis magisque ingravescit tempestas, irritantum superi, nedum precibus nostris ac votis acquiescant. Que jam nos vertamus2 ?… Sed quo pacto fit ut peregrinus iste ad imam puppem alto sopore jaceat, dum universi trepidamus ? O supinam securitatem ! Heus ! heus ! hospes, quem tandem dormiendi modum facies ? Potesne in his rerum angustiis indulgere somno ? Quin tu surgis, et tuum in hoc temporis articulo deum invocas, si quis forte existat, qui præsens nobis auxilietur ?… Nequicquam desudamus. Jamjam dubitare non licet quin3 inter nos aliquis nefario se scelere obstrinxerit, propter quem sæviant4 in nos potentes5 cœl marisque dii. Age, ducantur sortes… En iste peregrinu sorte designatur… Vides te, hospes, in crimen vocari Nobis autem expedi unde oriundus sis6, quod vitæ genus sequaris, quo consilio hanc navem conscenderis. — Jonas O7 ineluctabilem cœli vim ! Manifesto teneor. Ego sum Hebræus, Jovæ optimi maximi cultor, qui et mare et terran fabricatus est. Is me Niniven ire jusserat, ut otio et luxu diffluentem ac perditam civitatem ad saniorem disciplinan admonendo revocarem. Verum istam fugiens provinciam Tarsum in Ciliciam me conferre, et oculis quos nihil falli me subducere statueram.
Versio XXIX.
Sequitur de Jonā et Nautis colloquentibus. §
29. Nautæ. Periimus funditus. Inscite prorsus et perperan fecisti. Sed quandoquidem fieri illud infectum non potest quid in te nunc statuendum censes, quo1 placatiore marutamur ? — Jonas. Vos in undas præcipitem me mittite, sillas vultis pacatas, quum certo sciam vos meā2 unius causā tam violentā tempestate conflictari. — Nautæ. Hoc avertant superi ne morte tuā saluti nostræ consulamus Eia, incumbamus remis, rumpamus hos fluctuum cumulos… O rem miseram ! Crescit assidue malum, neque ulla datur {p. 62}attingendæ terræ copia. — Jonas. Frustra Deo obluctantum homines. Vobis unam quæ superest tuendæ incolumitati viam ego indicavi. — Nautæ. O desperatissimum perfu gium ! Sed tamen præstat te solum extingui3, sic in commune consulentem, quam nos tecum et propter te. Nam efferatur mare, rumpitur navis, mors teterrima versatum nobis ante oculos. Ergo cedendum, socii. Piacularem hostiam demergamus. Obsecramus te, Jova, ne sanguinis istium ultro animam suam devoventis pœnas a nobis expetas… monstrum ! Videtis ut subito sedatus4 sit, eo dejecto, mar tumor ? Qui ventis ac fluctibus imperat, agendo deum si confessus, solus ille Deus habendus est. Ceteri nequicquam precibus et votis interpellantur.
Versio XXX.
De publicā institutione. §
30. Quum non pauca ex publicā institutione commod enasci soleant, tum præstantius nullum esse arbitror, qua quod illa in animis puerorum æmulationem excitet et ala. Sublatā æmulatione, friget disciplinarum studium, ingenu torpent, et laborem, quasi importunum onus, excutium Ubi vero adest laus virtuti parata, nec licet ignavo notam turpitudinis effugere1, tum certantibus studiis inter concurrunt, et, in ipso conflictu, ignescunt animi. Tum voluptatem labor ipse convertitur, iis2 concitatus stimuli qui etiam pungendo delectent. Tum quisque aut ad superam dos pares, aut ad æquandos superiores incenditur. Idem, fere in Musarum palæstris contingit, quod olim Atheni, ubi Themistocles adolescentulus ita4 tropæis Miltiade excitabatur, ut non injuriā liceret alterum in illo Miltiade jam prænoscere5.
{p. 64}Versio XXXI.
Somni domicilium. §
31. Est prope Cimmerios longo spelunca recessu1,Mons cavus, ignavi domus et penetralia Somni,Quo nunquam radiis oriens, mediusve, cadensve,Phœbus adire potest. Nebulæ caligine mixtæExhalantur humo, dubiæque crepuscula lucis.Non vigil ales ibi cristati cantibus orisEvocat auroram ; nec voce silentia rumpuntSollicitive canes, canibusve sagacior anser.Muta quies habitat. Saxo tamen exit ab imoRivus aquæ Lethes : dulci eum murmure labensInvitat somnos crepitantibus unda lapillis.Ante fores antri fecunda papavera florent,Innumeræque herbæ, quarum de lacte soporemNox legit, et spargit per opacas humida terras.Janua nulla domo, custos in limine nullus.At medio torus est, ebeno sublimis, in antro,Plumeus, atricolor, pullo velamine tectus,Quo cubat ipse deus, membris languore solutis.Hunc circa passim, varias imitantia formas,Somnia vana jacent totidem, quot2 messis aristas,Sylva gerit frondes, ejectas littus arenas.Stat juxta, manibus Lethæa papavera gestans,Mutus Sigaleon, digitoque silentia poscit.
Versio XXXII.
De Senensi quodam latrone. §
32. Fuit Gypus Senensis staturā1 grandi, compactisque membris, impiger, audax, laborum patiens, ingenio liberali, sed quod perversa educatio et domesticæ improbitatis exempla in pravum detorserant ; itaque insita illius animo fortitudo ad scelus et latrocinia prorupit. Elucebant tamen {p. 66}in ipso latrocinandi genere aliquot nondum oppressa innata liberalitatis indicia ; nam quod aliis eripuerat, id in alio effundebat prædator munificus ; neque excutiebat ipse viatores, sed in quem forte inciderat, hunc jubebat id quod supervacuum haberet ultro proferre, pro2 suis quemquo copiis : quo facto, bonam etiam partem reddere solebat Imo Musarum amans, viros litteratos nactus, quorum plerumque tenue peculium est, ipsis de suo largiebatur. Idem, quamvis3 assidue nummis insidiaretur, nullius tamen capu petebat, neque4 sibi obnoxios unquam patiebatur occidi dignus profecto qui latronibus jura legesque conscriberet si quod jus in injuriā esse posset. Non semel insidiis aul apertā vi petitus, incolumis evasit, longo facinorum successu felix ; donec magis ac magis grassantem impunitate5 audaciam suæ tandem pœnæ deprehenderunt.
Versio XXXIII.
Phœdrus fabularum scriptor. §
33. Natus est Phædrus in Thraciā, sexagesimo1 ante Christum anno1. Ejus patria fuit Pierii montis jugum, partu Musarum, ut ferebatur, nobile. Ingeniis favere solet cœli solique benignitas : Phædro profuit et ipsa servitus ; quā in Augusti domum, artium et litterarum sedem, traductus, ibi exquisitissimæ elegantiæ saporem perfecit. Accessit ad hoc libertas a principe data, et unice expetita viro litterarum studioso. At in tristissima Tiberii tempora incidit, quum omnia essent intuta, nec verba tantummodo et scripta observarentur, sed, teste C. Tacito, muta atque inanima, tectum et parietes circumspicerentur. In hoc temporum lubrico, Phædrus non effugit sævas Sejani aliorumque accusationes, quorum improbitatem in suis scriptis oblique designavisset. Iis irretitus et ad calamitatem detrusus, vix tenuitate suā supremam, quæ potentioribus imminebat, necessitatem evasit. Quum tantis premeretur angustiis, nec ulla unquam ei fuisset habendi cura, {p. 68}quodam nactus est amicos, studiorum suorum2 fautore quorum fortunis adjutus, aliquod miseriarum delinimentu recepit, et principi Urbique lætissimam Sejani ruina spectavit. Propria autem mala durius3 eum admonueran quam3 ut cuperet suas fabulas publicari, quandiu potentiorum offensioni vivus pateret. Unde nemini mirum es debet cur4 de illo siluerint æquales, nullusque Senecæ numeretur apud Romanos scriptor fabularum.
Versio XXXIV.
Henricus Quartus. §
34. Quanta sit humanæ vitæ fragilitas inanitasque con siliorum, nullo in historiæ monumentis luculentiore exemplo patuit, quam quum Europæ et totius orbis ætate sum rex maximus, in procinctu expeditionis fortissimæ, urb bus hostium jam trepidantibus, per unum et abjectissimum hominem, in urbe primariā, inter suos proceres occisum est. Quinquagesimum octavum ætatis annum agebat1. Se præclaris facinoribus tam multis brevem vitam produxit ut illa, vere æstimantibus, sæculum complexa videatur Sane Francia, post Carolum Magnum, neminem fasti inscribit, si virtutes bellicæ perpendantur, imperio digniorem. Per adversa2 omnia, quæ cadere in principen possunt, probatus fuit, evectusque ad solium suis ærumni atque laboribus ; ut merito dicatur fortitudine, prudentiā et patientiā redemisse avitam hæreditatem ; et, quun ceteri victores imperii sui fines propagarint, eduxiss certā ex pernicie imperium, ac veluti peperisse. Tot victo hostium, plures etiam de se victorias reportavit. Nemin unquam simulate et ad fraudem pepercit ; quodque mirabile sit, educatus in aulā Henrici Tertii, ingenium suum moresque ita seclusit a contagio, ut, Alphæi instar per salsedinem maris puras aquas trahentis, nihil istius vitii, nihil labis intra se hauserit.
{p. 70}Versio XXXV.
De C. Canio narratiuncula. §
35. C. Canius, eques romanus, non infacetus, et satis litteratus, quum se Syracusas otiandi (ut ipse dicere solebat), non negotiandi causā contulisset, dictitabat se hortulos aliquos velle emere, quo2 invitare amicos, et ubi3 se oblectare sine interpellatoribus posset. Quod quum percrebuisset, Pythius ei quidam, qui4 argentariam faceret Syracusis, dixit venales quidem se hortos non habere, sed licere uti Canio, si vellet, ut suis : et simul ad cœnam hominem in hortos invitavit in posterum diem. Quum ille promisisset, tum Pythius, qui5 esset, ut argentarius, apud omnes ordines gratiosus, piscatores ad se convocavit, et ab his petivit ut ante suos hortos postridie piscarentur ; dixitque quid6 eos facere vellet. Ad cœnam tempore venit Canius ; opipare a Pythio apparatum convivium ; cymbarum ante oculos multitudo ; pro se quisque, quod ceperat, afferebat ; anteoculos Pythii pisces abjiciebantur. Tum Canius : « Quæso, inquit, quid est hoc, Pythi ? Tantumne piscium ? Tantumne cymbarum ? » At ille : « Quid mirum ? inquit ; hoc loco est, Syracusis quidquid est piscium ; hæc7 aquatio ; hac villā isti carere non possunt. » Incensus Canius cupiditate, contenditā Pythio ut venderet.
Versio XXXVI.
Sequitur de C. Canio. §
36. Gravate ille primo. Quid1 multa ? Impetrat ; emit homo cupidus, et locuples, tanti2, quanti Pythius voluit ; et emit instructos ; nomina facit, negotium conficit. Invitat Canius postridie familiares suos. Venit ipse mature : scalmum nullum videt. Quærit ex proximo vicino num3 feriæ quædam piscatorum essent, quod eos nullos videret. « Nullæ, quod sciam, inquit ille : sed hic piscari nulli {p. 72}solent ; itaque heri mirabar quid4 accidisset. » Stomachari5 Canius. Sed quid faceret ? nondum enim Aquilius protulerat de dolo malo formulas.
Omnes aliud6 agentes, aliud simulantes, ut Pythius, perfidi, improbi, malitiosi sunt. Ex omni vitā simulatio dissimulatioque tollenda est. Quædam tamen vides, propter depravationem consuetudinis, neque more turpia haberi, neque jure civili sanciri, quamvis naturæ lege prius sancita sint.
Non autem ad præterita tantum tempora romanamque gentem spectat illud, quod tam facetā, narratione Tullius exsecutus est. Hic nostra tempora, hic nonnullorum apud nos mores, ante hos mille octingentosque annos, scriptor adumbravit. Nisi quod in Tullii ætate dolosæ improborum artes contemptui7, ut opinor, habebantur : apud nos contra, si quid narratur vafre excogitatum factumque, hoc summo risu legentium aut audientium, et nescio8 an quadam voluptate, accipitur : et iidem patiuntur contemptum, qui injuriam.
Versio XXXVII.
Crœsi regis somnium. §
37. Apud veteres opinio valuit non sine dās accidere somnia ; quæ aliquando tam1 congruentes ipsis2 habent effectus, ut non vagā mentis cogitatione concepta species, verum divinitus objecta videatur.
Efficax et illa quietis imago, quæ Crœsi regis animum, maximo prius metu, deinde etiam dolore confecit. Nam e duobus filiis, et ingenti agilitate, et corporis dotibus præstantiorem3, imperiique successioni destinatum Atym, existimavit ferro4 sibi ereptum. Itaque quidquid ad evitandum denuntiatæ cladis acerbitatem pertinebat, nullā ex parte patria cura cessavit avertere. Solitus erat juvenis ad bella gerenda mitti : domi retentus est ; habebat armamentarium omnis generis telorum copiā refertum : id quoque amoveri {p. 74}jussit ; gladio cinctis comitibus utebatur : vetiti5 sunt propius accedere. Necessitas tamen aditum luctui dedit. Quum enim ingentis magnitudinis aper Olympii montis culta, crebrā cum agrestium strage, vastaret, inusitatoque malo6 regium imploratum esset auxilium ; filius a7 patre extorsit ut ad eum opprimendum mitteretur ; eo quidem facilius, quod non dentis, sed ferri sævitia in metu reponebatur. Verum dum acri studio interficiendi suem omnes sunt intenti, pertinax casus imminentis violentiæ lanceam, petendæ feræ gratiā missam, in eum detorsit ; et quidem eam potissimum dexteram nefariæ cædis crimine voluit aspergi, cui tutela filii a patre mandata erat, quamque Crœsus jam semel imprudentis homicidii sanguine violatam, hospitales veritus deos, supplicem sacrificio expiaverat.
Versio XXXVIII.
De utilitate amicitiæ. §
38. Multi divitias despiciunt, quos parvo contentos tenuis victus cultusque delectat. Honores, quorum cupiditate quidam inflammantur, multi ita contemnunt, ut nihil inanius, nihil levius esse existiment. Quin a multis contemnitur ipsa virtus, et venditatio quædam atque ostentatio esse dicitur. Una est amicitia in rebus humanis de cujus utilitate omnes consentiant, et ii qui se ad rempublicam contulerunt ; et ii qui doctrinā delectantur ; et ii qui suum negotium gerunt otiosi ; et ii qui se totos tradiderunt voluptatibus. Serpit enim, nescio quomodo, per omnium vitas amicitia, nec ullam ætatis degendæ rationem patitur esse expertem sui. Quin etiam, si quis eā2 asperitate est et immanitate naturæ, ut congressus hominum oderit atques fugiat, qualem fuisse Athenis Timonem nescio quem accepimus, tamen is sibi temperare non poterit, quin3 aliquem conquirat, apud quem4 virus evomat suæ acerbitatis. Atque hoc maxime judicaretur, si forte contingeret5 ut aliquis nos deus ex hac hominum frequentiā tolleret, ac in {p. 76}solitudine uspiam collocatis, omnium rerum quas natura. desiderat abundantiam suppeditans, omnino aspiciendi hominis potestatem eriperet. Quis tam esset ferreus6, qui istius modi vitam tolerare valeret, cuique non auferret fructum voluptatum omnium solitudo ?
Versio XXXIX.
Fortuna levitatis rea crimen purgat. §
39. Quid tu ream me quotidianis agis querelis ? Quam tibi intulimus injuriam ? Quæ tibi tua detraximus bona ? Quovis judice de opum dignitatumque mecum possessione contende ; et si cujusquam mortalium proprium quid horum esse monstraveris, ego jam tua fuisse, quæ repetis, sponte concedam… Quum te materno ex utero natura produxit, rebus nudum omnibus inopemque suscepi, prono favore indulgentius educavi, et, quod te nunc impatientem nostri1 facit, rerum omnium quæ mei sunt juris copiā et splendore circumdedi. Habe gratias, velut usus alienis. Opes, honores, ceteraque id2 genus, me dominam agnoscunt ; mecum scilicet veniunt, me abeunte discedunt. An ego sola jus meum exercere prohibeor ? Licet cœlo proferre lucidos dies, eosdemque tenebrosis noctibus condere. Licet anno nunc terræ vultum frugibus floribusque redimire, nunc nimbis frigoribusque confundere. Licet mari nunc strato æquore blandiri, nunc procellis3 inhorrescere. Nos ad constantiam nostris moribus alienam inexpleta hominum cupiditas alligabit ? Hæc nostra vis est ; hunc continuum ludum4 ludimus. Rotam volubili orbe versamus ; infima summis, summa infimis mutare gaudemus. Ascende, si placet ; sed eā lege ut ne, cum ludicri mei ratio poscet, descendere5 injuriam putes.
{p. 78}Versio XL.
De Spartanā disciplinā. §
40. Spartana civitas, severissimis Lyeurgi legibus obtemperans, aliquandiu civium suorum oculos a contemplandā1 Asiā retraxit, ne illecebris ejus capti ad delicatius vitæ genus prolaberentur. Audierant enim lautitiam inde, et immodicos sumptus, et omnia non necessariæ voluptatis genera fluxisse ; primosque Ionas unguenti, coronarumque in convivio dandarum2, et secundæ mensæ ponendæ consuetudinem, haud parva luxuriæ irritamenta, reperisse. Ac minime mirum est, quod3 homines labore ac patientia gaudentes, patriæ nervos externarum deliciarum contagione solvi et hebetari noluerunt ; quum4 aliquando faciliorem virtutis ad luxuriam, quam luxuriæ ad virtutem, transitum viderent : quod eos non frustra timuisse dux ipsorum Pausanias patefecit, qui, maximis operibus editis, ut primum se Asiæ moribus permisit, fortitudinem suam effeminato ejus cultu mollire non erubuit.
Versio XLI.
Bibliotheca ad publicum et privatum usum comparetur, non ad ostentationem. §
41. Comparandorum librorum, quæ liberalissima impensa est, tandiu rationem habebo, quandiu modum. Quo mihi innumerabiles libros, quorum dominus vix totā vitā suā indices perlegit ? Onerat discentem turba, non instruit ; multoque1 satius est paucis te auctoribus tradere, quam errare per multos. Quadringenta millia librorum Alexandriæ arserunt, pulcherrimum regiæ opulentiæ monumentum ; alius laudaverit2, sicut Livius, qui elegantiæ regum curæque egregium id opus ait fuisse. Non fuit elegantia illud, aut cura, sed studiosa luxuria ; imo nè studiosa quidem, quoniam non in studium, sed in spectaculum {p. 80}comparaverunt : sicut plerisque, ignaris etiam servilium litterarum, libri non studiorum instrumenta, sed cœnationum ornamenta sunt. Paretur3 itaque librorum quantum satis sit-nihil in apparatum. Honestius, inquis, in hos impensas, quam in Corinthia pictasque tabulas effuderim4. Vitiosum est ubique, quod nimium. An ignoscas homini armarium cedro atque ebore aptanti, et inter tot millia librorum oscitanti, cui voluminum suorum frontes maxime placent titulique ? Apud desidiosissimos ergo videbis quidquid orationum historiarumque est, et tecto tenus5 exstructa loculamenta. Sicque sacrorum opera ingeniorum in speciem tantum et cultum parielum comparantur !
Versio XLII.
Corporis desideria exigua sunt. §
42. Non illud quidem tibi præcipio, ut aliquid naturæ neges ; contumax est, non potest vinci, suum poscit ; sed ut, quidquid naturam excedit, scias esse non necessarium. Esurio : edendum est ; utrum1 hic panis sit plebeius, an siligineus, ad naturam nihil pertinet2. Illa ventrem non delectari vult, sed impleri. Sitio : utrum hæc aqua sit quam ex proximo lacu excepero, an ea quam multā nive inclusero, ut rigore alieno refrigeretur ; item quo poculo aut quam eleganti manu ministretur, ad naturam nihil pertinet. Finem omnium specta, et supervacua dimittes. Corporis exigua desideria sunt : quidquid ultra concupiscitur, libidini3 quæritur, non necessitati. Fames me appellat : ad proxima quæque porrigatur manus ; commendabit illa quidquid comprehendero. Non est necesse omne perscrutari profundum, nec strage animalium ventrem onerare, nec conchylia ultimi maris ex ignoto littore eruere. Dii istos deæque perdant4, quorum luxuria tam invidiosi imperii {p. 82}fines transcendit ! Ultra Phasim capi volunt, quo5 ambitiosæ suæ mensæ instruantur ; nec illos6 piget a Parthis, a quibus pœnas nondum repetiimus, aves petere ! O miserabiles, quorum7 palatum non excitetur, nisi ad cibos quos non eximius sapor, sed raritas pretiosos facit, et qui, quum famem exiguā impensā possint sedare, magnā irritent !
Versio XLIII.
Ut instituendum Alexandrum Philippus Aristoteli mandaverit. §
43. Philippus, auctus filio, de quo spem amplissimam tot oblata omina ipsi fecerant, in1 illum instituendum omnem curam, omnes cogitationes convertit. Quippe vir prudentissimus parum se profecisse vincendo sentiebat, si2, rebus undique motis, hominem imperitum aut segnem Macedoniæ post se relinqueret ; suamque gloriam haud mansuram, si maximarum rerum instrumenta, quæ tantā industriā pararet3, successorum inertiā corrumperentur. Exstant ejus litteræ ad Aristotelem, qui tunc Athenis philosophiæ studio florebat, in4 hunc fere modum scriptæ : « Philippus Aristoteli salutem. Mihi natum esse filium te certiorem facio : nec perinde diis gratias habeo quod natus est, quam quod te vivente illum5 nasci contigit, a quo educatum institutumque, neque nobis indignum olim fore spero, neque suscipiendo tanto imperio imparem. »
Philippum6 sua non fefellit opinio. Intra paucos annos effectum est, ut jam tum polliceri videretur eum7 regem Alexander, quem postea exhibuit. Nam et puerilibus membris indomitus eminebat vigor, et eximiæ indolis argumenta ætatem longe prævenerant. Nihil humile agere7 puer aut loqui ; sed factis dictisque fortunæ parem, imo superiorem9 illā se gerere. Gloriæ avidissimus, non undecunque tamen eam affectare, sed tanto10 honestiorem existimare victoriam, quanto quos vicisset pluris haberentur
{p. 84}Versio XLIV.
Dœdalus filium monitis instruit. Icari casus et mors. §
44. « Inter utrumque vola ; ne, si demissior ibis,Unda gravet pennas, si celsior, ignis adurat :Me duce carpe viam. » Pariter præcepta volandiAddit, et ignotas humeris accommodat alas.Inter1 opus monitusque, genæ maduere seniles,Et patriæ tremuere manus. Dedit oscula nato,Non iterum repetenda, suo, pennisque levatusAnte volat, comitique2 timet : velut ales, ab altoQuæ teneram prolem producit in æra3 nido,Et movet ipse suas, et nati respicit alas.……….Mox puer audaci cœpit gaudere volatu,Deseruitque ducem, cœlique cupidine tractus,Altius egit iter. Rapidi vicinia solisMollit odoratas, pennarum vincula4, ceras.Tabuerant ceræ : nudos quatit ille lacertos,Oraque cæruleā, patrium clamantia nomen,Excipiuntur aquā, quæ nomen traxit abAt pater infelix, nec jam pater : « Icare, dixit, Icare, dixit, ubi es ? Quā te regione requiram ? Icare ! » Clamabat ; pennasque adspexit in undis,Devovitque suas artes, corpusque sepulcroCondidit, et tellus a6 nomine dicta sepulti.
Versio XLV.
Ælius Adrianus. §
45. Ælius Adrianus, in Hispaniā natus, Trajani propinquus, vir fuit litteris bonisque artibus, maxime vero mathematicis eruditus ; idemque doctorum virorum irrisor pariter fautorque, Plutarchumfa miliarem habuit, Suetonium {p. 86} ab1 epistolis. Adeo comis in amicos, ut et inviseret ægrotantes, et convivas supra se juberet accumbere. Ægre patiebatur a se2 quidquam peti, obviā benignitate preces antevertere gestiens. Admoneri se etiam ab infimæ sortis hominibus æquo animo ferebat. Mulier quum eum rogaret ut se3 audiret, neganti Cæsari sibi4 vacare, succlamavit : « Noli igitur regnare ! » Ea vox ita movit Adrianum, ut aniculam istam statim seduloque audierit. Pacis avidus, tres provincias ā Trajano in Asiā romanæ ditioni adjectas dimisit. Nullum unquam bellum movit, motaque ab aliis extemplo compescuit. Totum fere, quatenus patebat, imperium pedibus perlustravit, arces muniens, populorumque inserviens commodis. Patriam tamen nunquam revisit, quanquam multis auctam muneribus. In solos Judæos arma cepit, totā Palæstinā rebellantes : quibus non semel acie profligatis et obtritis, instauratam a se5 Hierosolymam suo nomine Æliam appellavit. Ad ultimum gravi diuturnoque morbo implicitus, expertus est quam miserum esset6 cupientem7 mori non posse. Tandem moriens tritum illud Græcorum proverbium usurpavit : « Multi medici regem perdidere. » Prope Tiberim sepultus est ; et sepulchro, ab Antonino, adoptivo filio, qui ex eo Pii cognomen invenit, moles imposita, quæ Adriani dicitur.
Versio XLVI.
Laudes Lutetiæ. §
46. Fuit illa veterum in celeberrimis urbibus laudandis vel superstitio vel adulatio, ut ad illarum commendationem insignia quædam portenta et splendida sæpe mendacia prædicarent. Sic Trojam a mercenariis numinibus, Neptuno et Apolline, conditam ; Thebas, convolantibus ad suaves lyræ modulos lapidibus, ædificatas ; sic Athenas Minervæ patrocinio, Delphos oraculis Phœbi, Delum ejusdem natalibus inclytas ; sic Romam addicentibus vulturibus intra septem illos colles auspicato positam, ambitiosa priscorum {p. 88}annalium fides promulgavit. Istis enim vero commentis1 gaudeat prodiga miraculorum2 et sui ostentatrix vetustas ; nos, in laudandā civitate Gallici regni principe, fictis miraculis non egemus, qui3 solidis abundemus et veris, unum hunc in locum quasi congestis : ut qui enumerare illa velit, huic tantummodo metuendum4 sit, ne quid veri prætermittat. Illa scilicet est civitas, ut ita dicam, orbis compendium, tot heroum partu felix, omnium artium litterarumque domicilium, victoriarum nostrarum ac tropæorum custos, propugnaculum religionis et justitiæ tutissimum. Quam unam tanti5 faciebat Henricus Quartus, ut, postquam eādem et reliquo regno potitus est, omissis titulis quibus regia majestas appellari se amat et augeri, suo ascribi nomini voluerit : Lutetiæ primus civis.
Versio XLVII.
Sequitur de laudibus Lutetiœ. §
47. Ac primo quidem, ut pauca de ipsius situ dicam, potuitne loco amœniori, potuitne opportuniori esse constituta ? Nonne ad ornandam et parandam urbi dominæ aream elementa videntur omnia conspirasse ? Terra, fertilitate adjacentis soli, et rerum omnium copiā, quæ sunt ad ædificandum necessariæ : ignis, temperie gratissimā, quæ nec æstu1 nimio languet, nec nimiis frigoribus peccat : aer salubri aurā, cœloque purissimo : aqua, gemino flumine, quod, junctis paulo ante quam urbem subeat alveis, ad eam ditandam alendamque concurrit, et vectigales ex provinciis omnibus vicinoque mari fruges in eam devehit, non aliter ac sanguis e toto corpore per majores quasdam venas ad cor deportari solet. Quam jucundā varietate2 patet ager, et funditur prope urbem in3 aperta spatia liberosques campos, ingentium capaces4 exercituum, ad sementemu idoneos, opportunos ad venationem ! Ut in devexa jugam mollesque colliculos attollitur, quibus insident continui, urbicularum instar, pagi, velut ad coronandam urbemo {p. 90}Gallici imperii reginam undique dispositi ! Quam juvat intueri positas in5 orbem procerum ac principum domos, sic, tanquam atria ingentis domās, unde licet, quænam sint6 aliæ partes, suspicari !
Versio XLVIII.
In Cœsarem Augustum joci. §
48. Soleo in Augusto magis mirari quos pertulit jocos, quam quos protulit, quia major est patientiæ laus, quam facundiæ. Temporibus triumviralibus Pollio, quum Fescenninos in eum Augustus scripsisset : « At ego, ait, taceo ; non est enim facile in eum scribere, qui potest proscribere. » Curtius, eques romanus, deliciis diffluens, quum macrum turdum in ejus convivio sumpsisset, interrogavit an sibi liceret1 mittere*. Respondente principe : « Quidni liceat ? » Avem ille per fenestram statim misit. Mira etiam illius censoris patientia. Corripiebatur eques romanus a principe, tanquam facultates suas minuisset. At ille se multiplicasse coram probavit. Mox idem subjecit eum ad contrahendum matrimonium legibus non paruisse. Ille autem, quum uxorem sibi et tres liberos esse dixisset, tunc adjecit : « Posthac, Cœsar, quum de honestis inquires, honestis mandato2. » Solebat illi a palatio descendenti honorificum aliquod epigramma porrigere Græculus. Id quum frustra sæpe fecisset, rursumque eum idem facturum vidisset Augustus, brevi in chartā græcum epigramma exaravit, pergenti deinde ad se3 obviam misit. Lectum ille laudare4, quum voce, tum vultu mirari ; post demissā in pauperem fundum manu, paucos expromere denarios, principi dono daturus. Adjectus hic sermo : « Νὴ τὴν σὴν τύχην, Σεϐαστὲ, εἰ πλέоν εἶχоν, πλέоν ἐẟίẟоυν. » (Nœ tuam fortunam testor, Auguste, si plus haberem, plus darem.) Secuto omnium risu, dispensatorem Cæsar vocavit, jussitque centena5 sestertia homini numerare.
{p. 92}Versio XLIX.
Auctor illos carpit qui vetustatem in sermone affectant. §
49. Usitatum est apud quosdam vitium vetustatem in sermone imitari, non quod illam religione quadam et cultu prosequantur, sed eo consilio ut a communi more recedant. Favorinus philosophus adolescenti veterum verborum cupidissimo, et plerasque voces ignotissimas in quotidianis sermonibus expromenti : « Curius, inquit, et Fabricius, et Coruncanus, antiquissimi nostri viri, et his antiquiores Horatii illi trigemini plane ac dilucide cum suis fabulati sunt, neque Auruncorum, aut Sicanorum, aut Pelasgorum, qui primi incoluisse Italiam dicuntur, sed ætatis suæ verbis locuti sunt. Tu autem, quasi cum matre Evandri nunc loquare, sermone multis abhinc annis desueto et obsoleto uteris, quod scire atque intelligere neminem vis quæ dicas. Nonne, homo inepte, ut hoc abunde consequereris, præstaret tacere ? Sed antiquitatem tibi placere ais, quod honesta et bona et sobria sit. Vive ergo moribus præteritis, loquere verbis præsentibus, atque id quod a C. Cæsare, excellentis ingenii ac prudentiæ viro, scriptum est, habe semper in memoriā atque in pectore, ut, tanquam scopulum, sic inauditam insolentemque vocem semper fugias. »
Versio L.
In ipsā veritate exponendā cultum decet adhiberi. §
50. Si quando vobis contigit in aliquo cœtu versari, ubi res plane eadem a diversis hominibus, ab altero quidem splendide et ornate, ab altero autem exiliter inculteque narraretur, quam varie uterque audientium animos afficit ! Videas, altero dicente, homines oscitantes, otiosos, de aliis rebus colloquentes : at vix alter vocem emisit, continuo {p. 94}eriguntur omnes, velut e gravi somno emersi, et in eum pendente vultu ac totā mentis attentione defiguntur, prorsus ut alia aut res, aut alii homines repente facti videantur. Adeo in omnibus refert quo quidque modo dicatur ! Adeo differt ab illitterato vir litteratus ! Eant igitur isti quibus omnis displicet in exponendā veritate cultus ; tanquam. Hercule, fulgorem armis nocere dicas, aut hastam speciose contortam minus ferire ; aut infirmiora vulgaribus tectis regum palatia esse, quia non rudi cæmento et informibus tegulis exstruuntur, sed auro radiant et marmore nitent. Equidem si esset humana mens pravis opinionibus cupiditatibusque vacua, ipsa per se veritas, nullo alieno adminiculo eam subiret : nunc autem, nisi illi ad animum via aurium delectatione muniatur, in ipso plerumque vestibulo resistet, eritque gladio similis condito atque intra vaginam suam hærenti.
Versio LI.
Incenditur Persepolis regia. §
51. Hoste et æmulo regni reparante tum quum1 maxime bellum, nuper subactis quos vicerat, novumque imperium aspernantibus, Alexander de die inibat convivia, quibus pellices intererant. Ex his una Thaïs, et ipsa temulenta, maximam apud omnes Græcorum initurum gratiam affirmat, si2 regiam Persarum jussisset incendi ; exspectare hoc eos quorum urbes barbari delessent3. Ebrio scorto de tantā re ferenti sententiam, unus et alter, et ipsi mero onerati, assentiunt ; rex quoque fuit avidior quam patientior : « Quin igitur ulciscimur Grœciam, et urbi faces subdimus ? » Omnes incaluerant mero ; itaque surgunt temulenti ad incendendam urbem cui armati pepercerant : primus rex ignem regiæ injecit, tum convivæ et ministri, pellicesque. Multā cedro4 ædificata erat regia ; quæ, celeriter {p. 96}igne concepto, late fudit incendium. Quod ubi exercitus, qui haut procul ab urbe tendebat, conspexit, fortuitium ratus, ad opem ferendam concurrit : sed ut ad vestibulum regiæ ventum est vident5 regem ipsum adhuc aggerentem faces : omissā igitur quam portaverant aquā, aridam materiam in incendium jacere cœperunt.
Hunc exitum habuit regia totius Orientis, unde tot gentes ante jura petebant, patria tot regum, unicus quondam Græciæ terror, molita mille navium classem et exercitus quibus Europa inundata est, contabulato mari molibus, perfossisque montibus, in quorum specus fretum immissum est ! Ac ne longā quidem ætate resurrexit. Hujus vestigium non inveniretur, nisi Araxes amnis ostenderet : haud procul mœnibus fluxerat ; inde urbem fuisse viginti stadiis distantem credunt magis quam sciunt accolæ.
Versio LII.
Quomodo cavillatus sit Antiochum regem Pœnus Annibal. §
52. In veterum memoriarum libris scriptum est Annibalem apud regem Antiochum facetissime cavillatum1 esse. Ostendebat ei Antiochus in campo copias ingentes, quas, bellum populo romano illaturus, comparaverat, convertebatque exercitum insignibus argenteis et aureis florentem. Inducebat etiam currus cum falcibus, et elephantos cum turribus, equitatumque frenis, ephippiis, monilibus, phaleris præfulgentem. Atque ibi rex, contemplatione tanti ac tam ornati exercitus gloriabundus, Annibalem aspicit, et : « Putasne, inquit, conferri posse, et satis esse Romanis hæc omnia ? » Tum Pœnus, eludens2 ignaviam militum ejus pretiosissime armatorum : « Satis plane, inquit, satis esse credo Romanis hæc omnia, etiamsi avarissimi sunt. » Nihil3 prorsus neque tam lepide, neque tam acerbe dici potest. Rex enim de numero exercitus sui ac de æstimatione et collatione virium quæsierat : respondit Annibal de prædā.
Quotusquisque4 est qui hanc respondendi libertatem {p. 98}fuisset imitatus, neque indulsisset regis superbiæ, ex eo copiarum et armorum apparatu victoriam præsumentis [illisible chars][texte coupé] Verum Pœnus dux melius5 hostem noverat, quam ut falleret6 eum futurus belli eventus ; præterea generosiori[illisible chars][texte coupé] erat animi, quam ut7 sibi consuleret ambitiosā assentatione ; et nescio8 an ingenii dicacioris, quam ut cavillandi vel principem, occasionem prætermitteret.
Versio LIII.
Parthi. §
53. Apud Parthos proximus majestati1 regum populorum[illisible chars][texte coupé] ordo est : ex hoc duces in bello, ex hoc rectores in pace[illisible chars][texte coupé] habent. Sermo his inter Medicum Scythicumque medius, et ex utrisque mixtus. Vestis olim sui moris : posteaquam[illisible chars][texte coupé] accessere opes, ut Medis perlucida ac fluida. Armorum patrius ac Scythicus mos. Exercitum non ut aliæ gentes liberorum, sed majorem2 partem servorum habent : quorum vulgus, nulli manumittendi potestate permissā, et per hoc omnibus servis nascentibus, in3 dies crescit. Hos pari[illisible chars][texte coupé] atque liberos suos curā complectuntur, et sagittare et equitare magnā industriā docent. Locupletissimus ut quisque4 est, ita plures in bello equites regis suo præbet. Cominus in acie præliari, aut obsessas expugnare urbes nesciunt. Pugnant aut procurrentibus equis, aut terga dantibus : sæpe etiam fugam simulant, ut incautiores adversus vulnera insequentes habeant. Signum his in prælio non tubā, sed tympano datur. Nec longioris pugnæ5 patientes, omnem cito effundunt impetum ; cui, ut opinor, nemo par esset, si perseverantiam obtineret. Plerumque, in ipso ardore certaminis, prælia deserunt, ac paulo post pugnam ex fugā repetunt : ut, quum maxime vicisse te putes, tunc tibi discrimen subeundum sit. Munimentum ipsis equisque loricæ plumatæ sunt, quæ utrumque toto corpore tegunt. Auri argentique nullus nisi in armis usus.
{p. 100}Versio LIV.
Xerxis fuga. Pugna apud Platœas commissa. §
54. Erat res spectaculo digna, et æstimatione sortis humanæ, rerum varietate, miranda, in exiguo latentem videre navigio, quem paulo ante vix æquor omne capiebat ; carentem etiam omni servorum ministerio, cujus exercitus propter multitudinem terris graves erant. Nec pedestribus copiis, quas ducibus assignaverat, felicius iter fuit : siquidem quotidiano labori (neque enim ulla est metuentibus quies) etiam fames accesserat. Multorum deinde dierum inopia contraxerat pestem ; tantaque fœditas morientium fuit, ut viæ cadaveribus implerentur, alitesque et bestiæ, escæ illecebris sollicitatæ, exercitum sequerentur. Interim Mardonius cum relictā ipsi parte copiarum in Græciā Olynthum expugnat. Athenienses quoque in spem pacis amicitiamque regis sollicitat, spondens incensæ eorum urbis etiam in1 majus restitutionem. Posteaquam nullo pretio2 libertatem videt his venalem, incensis, quæ ædificare cœperant, copias in Bœotiam transfert. Eo et Græcorum exercitus, qui centum3 millium4 fuit, secutus est, ibique prælium commissum. Sed fortuna regis cum duce mutata non est : nam victus Mardonius, veluti ex naufragio, cum paucis profugit. Castra referta regalis opulentiæ5 capta : unde primum Græcos, diviso inter se auro Persico, divitiarum luxuria invasit.
Versio LV.
Demosthenes cum naturā prœliatur. §
55. Demosthenes, cujus commemorato nomine, maximæ eloquentiæ consummatio audientis animo oboritur, quum inter initia juventæ, artis quam affectabat primam litteram dicere non posset, oris sui vitium tanto studio expugnavit, ut ea a nullo expressius efferretur. Deinde propter nimiam {p. 102}exilitatem acerbam auditu1 vocem suam exercitatione continuā ad maturum et gratum auribus sonum perduxit. Lateris etiam firmitate defectus, quas corporis habitus vires[illisible chars][texte coupé] negaverat, a2 labore mutuatus est ; multos enim versus une impetu spiritās complectebatur, eosque adversa loca celeri gradu scandens pronuntiabat : ac vadosis littoribus insistens, declamationes fluctuum fragoribus3 obluctantibus edebat, ut ad fremitus concitatarum concionum patientiā duratis auribus in actionibus uteretur. Fertur quoque or[illisible chars][texte coupé] insertis calculis multum ac diu loqui solitus, quo4 vacuum promptius esset et solutius. Præliatus est cum rerum naturā, et quidem victor abiit, malignitatem ejus pertinacissimo animi robore superando : itaque alterum5 Demosthenem mater, alterum industria enixa est.
Versio LVI.
De servis. §
56. Unde in servos tantum et tam immane fastidium Vis1 tu cogitare eos quos jus tuum vocas, iisdem seminibus ortos, eodem frui cœlo, æque vivere, æque mori ? Imo si reputaveris tantumdem in2 utrosque licere fortunæ, tam tu[illisible chars][texte coupé] illum videre liberum potes, quam ille te servum. Nescis[illisible chars][texte coupé] quā3 ætate Hecuba servire cœperit, quā Crœsus, quā Darii[illisible chars][texte coupé] mater, quā Diogenes, quā Plato ipse ? Postremo, quid4 ita[illisible chars][texte coupé] nomen istud horremus5, quum6 fuerit illi necessitate impositum, et fortasse libero sit animo ? Illum equidem despiciam, si7 ostenderis neminem servire libidini, nemineme ambitioni, neminem avaritiæ, neminem timori. Et certe nulla servitus turpior quam voluntaria. At nos fortunæ injuriā oppressum, tanquam miserum vilemque calcamus ; quod vero nostris cervicibus ipsi imponimus jugum, no[illisible chars][texte coupé] patimur reprehendi. Invenies inter servos aliquem pecuniā8 fortiorem. Invenies dominum, spe lucri, oscula alienorum servorum manibus infigentem. Non ergo hominem {p. 104}gradu æstimabo, sed moribus. Sibi quisque dat mores : conditionem casus assignat. Quemadmodum stultus est, qui, empturus equum, non ipsum inspicit, sed stratum ejus ac frenos : sic stultissimus est, qui hominem aut ex veste, aut ex conditione, quæ modo vestis nobis circumdata9est, æstimandum putat.
Versio LVII.
Fidei servorum erga dominos exempla. §
57. Antius Restio, proscriptus a triumviris, quum1 omnes domesticos circa rapinam et prædam occupatos videret, quam2 maxime poterat dissimulatā fugā, se penatibus suis intempestā nocte subduxit. Cujus furtivum egressum servus, ab eo vinculorum pœnā coercitus, inexpiabilique litterarum notā per3 summam oris contumeliam inustus, curiosis speculatus oculis, ac vestigia huc atque illuc errantia benevolo studio subsecutus, lateri voluntarius comes arrepsit. Quo quidem tam exquisito tamque ancipiti officio, perfectissimum exspectatæ pietatis cumulum expleverat. His enim quorum felicior in domo status fuerat, lucro intentis, ipse, quum nihil aliud quam umbra et imago suppliciorum suorum esset, maximum emolumentum, ejus a quo tam graviter punitus erat salutem, judicavit ; quumque abunde foret iram remittere, adjecit etiam caritatem. Nec hactenus benevolentiā processit, sed in eo conservando mirā quoque arte usus est. Nam, ut sensit cupidos sanguinis milites supervenire, amoto domino, rogum exstruxit, eique egentem a se comprehensum et occisum senem superjecit. Interrogantibus deinde militibus ubinam esset Antius : manum rogo4 intentans, ibi illum datis sibi crudelitalis piaculis uri respondit. Quia5 verisimilia loquebatur, habita est voci fides. Quo evenit, ut Antius statim quærendæ incolumitatis occasionem assequeretur.
{p. 106}Versio LVIII.
Primum bellum Punicum. §
58. Victor Italiæ Romanus, quum a terra fretum usque venisset, more ignis qui, obvias populatus incendio sylvas, interveniente flumine abrumpitur, paulisper substitit. Mox quum videret opulentissimam in proximo prædam, quodam modo Italiæ suæ abscissam, et quasi revulsam, adeo cupiditate ejus exarsit, ut1 quatenus nec mole jungi nec pontibus posset, armis belloque jungenda, et ad continentem suum revocanda bello videretur. Et ecce, ultro ipsis viam pandentibus fatis, nec occasio defuit, quum2 de Pœnorum impotentiā fœderata Siciliæ civitas Messana quereretur. Affectabat autem, ut Romanus, ita Pœnus Siciliam ; et eodem tempore, paribus uterque votis ac viribus imperium orbis agitabat. Igitur specie quidem socios juvandi, re autem sollicitante prædā, quanquam territaret novitas rei (tanta in virtute fiducia est !), ille rudis, ille pastorius populus vereque terrester, ostendit nihil interesse virtutis, equis an3 navibus, terrā an mari dimicaretur. Appio Claudio consule, primum fretum ingressus est fabulosis infame monstris, æstuque violentum : sed adeo non est exterritus, ut illam ipsam ferventis æstus violentiam pro munere amplecteretur : statimque ac sine morā Hieronem, Syracusanum regem, tantā celeritate vicit, ut4 ille ipse se prius victum, quam hostem videret, fateretur.
Versio LIX.
Bonus rex describitur. §
59. Ex omnibus donis quibus divina benignitas acceptæ sibi gentis fidem amat remunerari, nullum neque1 majus, {p. 108}neque præsentius esse dixerim2, quam si præficiat illi bonos rectores, et concordibus animis in publica commoda conspirantes ; regem studiosum, imo cupidum retinendæ pacis, et tamen arma, ubi res postulat, neque timidā neque segni manu tractantem ; qui hostium consilia sagaciter explorare, sua silentio et altis tenebris premere noverit ; nec minus, cum arcet externa bella, possit salubri severitatis et mansuetudinis temperamento exorta inter cives dissidia componere ; qui, justitiæ et æquitatis apprime tenax, dominandi studium, naturā ferox et freni cujuslibet impatiens, pro3 humanā parte, in se certis legibus coerceat, eo4 honestiori exemplo, quo plus illi per tantam fortunam licere videtur ; qui, facilis et clemens, divinæ ut potestatis, ita benignitatis imaginem in se repræsentet ; præcipue vero qui suos paterno affectu complectatur, et suorum amorem longe victoriis, immensisque opibus et superbis titulis anteponat ; dubium denique relinquat utrum5 consummatæ prudentiæ princeps, an optimus parens rem publicam administret. Talem optent6 regem, quibus etiamnum vota facienda sunt ; talem diu incolumem esse flagitent, qui sibi tantum boni, divino quodam munere, contigisse gratulantur.
Versio LX.
De Hispaniā. §
60. Hanc veteres ab Ibero amne primum Iberiam, postea ab Hispano Hispaniam cognominaverunt. Inter Africam et Galliam posita, Oceani freto et Pyrenæis montibus clauditur. Sicut minor utrāque terrā, ita utrāque fertilior. Nam neque, ut Africa, violento sole torretur, neque, ut Gallia, assiduis ventis fatigatur : sed media inter utramque, hinc temperato calore, inde felicibus et tempestivis imbribus, in1 omnia frugum genera fecunda est ; ut non ipsis tantum incolis, verum etiam Italiæ Urbique cunctarum rerum abundantiam sufficiat. Nec summæ tantum terræ {p. 110}laudanda bona, verum et abstrusorum metallorum felices divitiæ. In hāc cursus amnium non torrentes rapidique, ut noceant, sed lenes et vineis2 campisque irrigui, æstuariisque3 Oceani affatim piscosi, plerumque etiam divites auro4 quod in balucibus vehunt. Uno tantum Pyrenæi montis dorso5 adhæret Galliæ ; reliquis partibus undique in6 orbem mari cingitur. Forma terræ prope quadrata, nisi quod, arctantibus freti littoribus, in Pyrenæum coit. Salubritas cœli per omnem Hispaniam æqualis, quia aeris spiritus nullā paludium gravi nebulā inficitur. Huc accedunt et marinæ auræ undiqueversus assidui flatus, quibus omnem provinciam penetrantibus, eventilato terrestri spiritu, præcipua hominibus sanitas præstatur.
Versio LXI.
De vafre dictis aut factis. §
61. Est quoddam factorum dictorumque genus a sapientiā, proximo deflexu, ad vafritiæ nomen progressum. Quod nisi ex fallaciā vires assumpserit, fidem propositi non invenit ; laudemque occulto magis tramite, quam apertā viā petit. Scipio quoque superior hoc præsidium calliditatis amplexus est. Ex Siciliā enim petens Africam, quum ex fortissimis peditibus romanis trecentorum equitum numerum complere vellet, neque tam subito posset eos instruere, quod temporis angustiæ negabant, sagacitate consilii assecutus est. Namque ex iis juvenibus, quos secum ex totā Siciliā nobilissimos et ditissimos, sed inermes, habebat, trecentos speciosa arma et electos equos quam celerrime1 expedire jussit, velut eos continuo secum ad oppugnandam[illisible chars][texte coupé] Carthaginem avecturus. Qui quum imperio ut celeriter, ita longinqui et periculosi belli respectu sollicitis animis paruissent, remittere se Scipio illam expeditionem, s[illisible chars][texte coupé] arma et equos militibus suis2 tradere voluissent, edixit[illisible chars][texte coupé] Rapuit conditionem imbellis ac timida juventus, instrumentoque suo cupide Romanis cessit. Ergo calliditas ducis {p. 112}généprovidit ut, si quod protinus imperaretur, grave prius, deinde remisso militiæ metu maximum beneficium fieret.
Quod vero sequitur, Quintum scilicet Fabium Labeonem quum a rege Antiocho, quem bello superaverat, ex fœdere ict[illisible chars][texte coupé] dimidiam partem navium accipere deberet, medias omne secuisse3, etsi inter vafre excogitata referatur, imo mihi vi[illisible chars][texte coupé] detur perfidiose factum, punicumque magis quam romanum.
Versio LXII.
De Maximino. §
62. Maximinus primā in juventute pastor fuit, quen fortunæ vices et Romanorum libido frequentissime domino mutantium, ad principatum postea extulere. Thracibu insidiabatur latronibus, et suos ab istorum incursionibu vindicabat. Magnitudine corporis conspicuus, fortitudin[illisible chars][texte coupé] pariter et virili formā eminebat, morumque asperitate Stipendia mereri sub Severo cœpit, et hæc fuit illi caus[illisible chars][texte coupé] innotescendi : natali1 Getæ filii minoris, quum ludos militares daret Severus, exsultantem in turbā more barbaric[illisible chars][texte coupé] adolescentem vidit. Cujus procerum habitum formamqu[illisible chars][texte coupé] demiratus, experiri voluit quantus in currendo esset2 atqu[illisible chars][texte coupé] luctando. Equum igitur admisit multis circuitionibus3 ; e[illisible chars][texte coupé] quum senex imperator laborasset, neque ille a4 currend[illisible chars][texte coupé] per multa spatia destitisset, dixit Severus : « Numquid[illisible chars][texte coupé] delectat statim ex5 cursu luctari6, teque huic labor[illisible chars][texte coupé] ferendo non imparem existimas ? » Tum ille semibarbarus[illisible chars][texte coupé] et vix adhuc latinæ7 linguæ, « Quantumlibet, inquit Imperator. » Ex equo descendit Severus, et recentissimun[illisible chars][texte coupé] quemque ac robustissimum militem jussit illi comparari quos vir fortissimus, numero septem, more solito, un[illisible chars][texte coupé] sudore devicit. Dignus inde judicatus est qui8, præte[illisible chars][texte coupé] argentea præmia a Severo proposita, torquem ferret au[illisible chars][texte coupé]reum, jubereturque inter stipatores corporis semper i[illisible chars][texte coupé] aulā versari ; inde clarus in exercitu, suspectus commilitonibus, carus tribunis, principi gratiosus evasit.
{p. 114}Versio LXIII.
C. J. Cœsar et Veteranus. §
63. Causam dicebat apud1 divum Julium ex veteranis quidam paulo violentior2 adversus vicinos suos, et causā premebatur. « Meministi, inquit, imperator, in Hispaniā talum te torsisse circa Sucronem ? » Quum Cæsar meminisse se dixisset : « Meministi quidem, inquit, sub quadam arbore minimum umbræ spargente, quum velles residere ferventissimo sole, et esset asperrimus locus, in quo ex rupibus acutis unica illa arbor eruperat, quemdam ex commilitonibus penulam suam substravisse ? » Quum dixisset Cæsar : « Quidni meminerim ? Et quidem siti confectus, quia impeditus ire ad fontem proximum non poteram, repere manibus volebam, nisi commilito, homo fortis ac strenuus, aquam mihi in galeā suā attulisset. — Potes ergo, imperator, agnoscere illum hominem aut illam galeam ? » Cæsar ait se non posse galeam agnoscere, hominem pulchre posse ; et adjecit, puto ob hoc iratus, quod se a3 cognitione mediā ad veterem fabulam abduceret : « Tu utique ille non es. — Merito, inquit, Cæsar me non agnoscis ; nam quum ho[illisible chars][texte coupé] factum est, integer eram ; postea ad Mundam in acie oculus mihi effossus est, et in capite lecta ossa ; galeam autem s[illisible chars][texte coupé] videres illam, non agnosceres ; machæra enim hispanā divisa est. »
Vetuit4 illi exhiberi negotium Cæsar, et agellos, in qui[illisible chars][texte coupé]bus vicinalis via causa rixæ ac litium fuerat, ita5 milit[illisible chars][texte coupé] suo donavit, ut adversa pars nullam injuriam pateretur.
Versio LXIV.
De genere fabulari. §
64. Quid est apologus aliud1, quam quædam ad more hominum emendandos ex alienā imagine plerumque {p. 116}joculari deducta oratio ? Ubi sic illa quanquam dissimillima naturā, voluptas et utilitas, conspirant, ut mutuo sibi sint2ornamento, mutuo se præsidio tueantur.
64. Quid est apologus aliud1, quam quædam ad more hominum emendandos ex alienā imagine plerumque {p. 117a}joculari deducta oratio ? Ubi sic illa quanquam dissimillima naturā, voluptas et utilitas, conspirant, ut mutuo sibi sint2ornamento, mutuo se præsidio tueantur.
Quid censetis antiquos illos fabularum inventores voluisse tam multiplici tamque ingenioso apparatu figmentorum ? Utrum3 ut legentium aures demulcerent inani modulatione vocum, aut otiosos jejunā garrulitate morarentur ? An potius ut ad alienam speciem arborum belluarumque, velut ad speculum, intuendo, sibi aliquando mali displicerent ; et, si minus odio vitii, metu certe irrisionis et invidiæ, temeritatem in consiliis, avaritiam in quæstu, superbiam in imperio, fraudem in omni consuetudinis ratione vitarent ? Quo illa spectat leonis ac lupi toties objecta rapacitas, nisi ut ab injustitiā caveamus ? Quo illa vulpis ac simiæ calliditas et versutia, nisi ut vel ipsum doli ac simulationis odorem aversari discamus ? Quo demum illa ceterorum animalium aut solertia laudatur aut damnatur vecordia, nisi ut, eorum exemplis moniti, quod turpe es[illisible chars][texte coupé] fugiamus, quod honestum est imitemur ? Mirum igitur non debet esse, si4, maximis in vicissitudinibus rerum, tantam vim habuerit apologus aut ad conciliandos animos aut ad movendos, cum5 delectatione homines capiat, cujus naturā sunt avidissimi.
Versio LXV.
Quædam de Dionysio majore. §
65. Quum esset ille bonis parentibus atque honesto loc[illisible chars][texte coupé]natus (etsi id quidem alius alio modo tradidit), abundaretque et æqualium familiaritatibus et consuetudine propinquorum, credebat eorum nemini. Sed iis quos ex familiis locupletum servos delegerat, et quibusdam convenis, e feris barbaris corporis custodiam committebat. Ita, propte[illisible chars][texte coupé] injustam dominatus cupiditatem, in carcerem quodammodo ipse se incluserat. Quin etiam, ne tonsori collum committeret, tondere filias suas, regias virgines, sordid[illisible chars][texte coupé] ancillarique artificio, docuit. Et tamen ab iis ipsis, quum {p. 118}jam essent adultæ, ferrum removit, instituitque ut candentibus juglandium putaminibus barbam sibi1 et capillum adurerent.
Quumque duas uxores haberet, Aristomachen, civem suam, Doridem autem Locrensem, sic noctu ad eas ventitabat, ut omnia specularetur ante et perscrutaretur. Idem in communibus suggestis non ausus consistere, concionari ex altā turri solebat.
Quum pilā ludere vellet (studiose enim id factitabat), tunicamque poneret, adolescentulo, quem amabat, tradidisse gladium dicitur ; et quum quidam familiaris jocans dixisset : « Huic quidem certe vitam tuam committis. » arrisissetque adolescens, utrumque jussit interfici : alterum, quia2 viam demonstravisset interimendi sui3 ; alterum, quia dictum risu approbavisset. Atque eo facto sic doluit, ut nihil gravius tulerit in vitā. Quem enim vehementer amarat, occiderat. Sic distrahuntur in contrarias partes impotentium cupiditates : quum huic obsecutus sis, illi est repugnandum.
Versio LXVI.
Sequitur de eodem. §
66. Atqui de hoc homine a bonis scriptoribus sic traditum accepimus, summam fuisse ejus in victu temperantiam, in rebusque gerendis virum acrem et industrium ; eumdem tamen maleficum natura et injustum. Duodequadraginta autem annos dominatum Syracusis obtinuit.
Quanquam1 hic quidem tyrannus ipse judicavit quam esset beatus. Nam quum quidam ex ejus assentatoribus Damocles commemoraret in sermone copias ejus, opes, majestatem dominatās, rerum abundantiam, magnificentiam ædium regiarum, negaretque unquam beatiorem quemquam fuisse : « Visne igitur, inquit, Damocles, quoniam2 hæc te vita delectat, ipse eadem degustare, et {p. 120}fortunam experiri meam ? » Quum se ille cupere dixisset, collocari jussit hominem in aureo lecto, strato pulcherrimo, textili stragulo, magnificis operibus picto ; abacosque complures ornavit argento auroque cælato. Tum ad mensam eximiā formā3 pueros jussit consistere, eosque nutum illius diligenter intuentes ministrare. Aderant unguenta, coronæ ; incendebantur odores ; mensæ conquisitissimis epulis instruebantur. Fortunatus sibi Damocles videbatur. In hoc medio apparatu, fulgentem gladium, e lacunari setā equinā aptum, demitti jussit, ut impenderet illius beati cervicibus. Itaque nec pulchros illos ministratores aspiciebat, nec plenum artis argentum, nec manum porrigebat in mensam : jam ipsæ defluebant coronæ. Denique exoravit tyrannum ut abire liceret, quod jam nollet esse beatus.
Versio LXVII.
Mulier quœdam, prœsente Sex. Pompeio, mortem veneno sibi consciscit. §
67. Quum Sex. Pompeius, Asiam petens, Julida oppidum in insulā Ceo intrasset, forte evenit ut summæ dignitatis ibi femina, sed ultimæ jam senectutis, redditā ratione civibus cur excedere vitā deberet1, veneno consumere se destinarit, mortemque suam Pompeii præsentiā clariorem fieri magni2 æstimarit. Nec preces ejus vir ille, ut omnibus virtutibus, ita humanitatis quoque laudibus instructissimus, aspernari sustinuit. Venit itaque ad eam, facundissimoque sermone ab incepto consilio nequicquam revocare conatus, ad ultimum propositum exsequi passus est. Quæ nonagesimum annum transgressa, cum summā et animi et corporis sinceritate, lectulo, quantum dignoscere erat, quotidianā consuetudine cultius strato recubans, et innixa cubito : « Tibi quidem, inquit, Sex. Pompei3, dii magis quos relinquo, quam quos peto, gratias referant, quia4 nec hortator {p. 122}vitæ meæ, nec mortis spectator esse fastidisti. Ceterum ipsa hilarem fortunæ vultum semper experta, ne aviditate lucis tristem intueri cogar, reliquias spiritus mei prospero fine, duas filias et septem nepotum gregem superstitem relictura, permuto. » Cohortata deinde ad concordiam suos, distributo eis patrimonio, et cultu suo sacrisque domesticis majori filiæ traditis, poculum in quo venenum temperatum erat, constanti dextrā arripuit. Tum defusis Mercurio delibamentis, et invocato numine ejus, ut se5 placido itinere in meliorem6 sedis infernæ partem deduceret, cupido haustu mortiferam traxit potionem. Ac sermone significans, quasnam subinde partes corporis rigor occuparet7, quum jam visceribus eum et cordi imminere esset elocuta, filiarum manus ad supremum opprimendorum8 oculorum officium advocavit.
Versio LXVIII.
Philippidis*dictum de regum arcanis. §
68. Philippides, comœdiarum scriptor, interroganti Lysimacho cujusnam rerum suarum particeps esse vellet1 (se enim nihil quod penes se2 esset negaturum), « Cujuslibet, inquit, prœterquam si quid habes arcani. »
Præclare ille quidem et sapienter. Qui enim alicujus regis secreta consilia gerit, is multiplex gerit periculum ; ne scilicet forte effluant imprudenti ; ne quis paulo sagacior3 subodoretur ; ne, si pluribus, ut fit, credita, aliunde emanaverint, in crimen veniat ipsius fides. Onus igitur maxime grave sunt arcana regis, nisi iis qui maxime ipsi leves sunt. Multi enim, arrogantiā ducti, id agunt sedulo, ut in regum penetralia omni arte irrepant. Scilicet pulchros se ac beatos putant, vani ingenii homines, si4 sibi rex tacitus innuat, {p. 124}si in aurem insusurret, si in intimo regis pectore habitare videantur. Nota est omnibus de Semele fabula, quæ, quum a Jove flagitasset multis precibus, ut ipsi5 se quantus esset ostenderet, afflata fulmine conflagravit. Idem iis fere evenire dixerim6, qui intimas regum mentes adeunt cupidius7. Urunt enim, ut ita dicam, arcana regum quoscunque propius8 afflant ; ac sæpe in perniciem vertit familiarior cum potente consuetudo.
Versio LXIX.
Straton a Tyriorum servis rex creatur. §
69. Servi Tyriorum, conspiratione factā, omnem liberum populum cum dominis interficiunt, atque ita potiti urbe, lares dominorum occupant, rempublicam invadunt, conjuges ducunt, et, quod ipsi non erant, liberos procreant. Unus ex tot millibus servorum fuit, qui, miti1 ingenio, senis domini parvulique filii ejus fortunā moveretur, dominosque non truci2 feritate, sed piæ misericordiæ humanitate respiceret. Itaque quum velut occisos alienasset, servisque de statu reipublicæ deliberantibus placuisset regem3 ex suo corpore creari, eumque potissimum, quasi acceptissimum diis, qui solem orientem primus vidisset, rem ad Stratonem (hoc ei nomen erat) dominum occulte latentem detulit. Ab eo formatus, quum medio noctis omnes in unum campum processissent, ceteris in orientem spectantibus, solus occidentis regionem intuebatur. Id primum aliis videri4 furor, in occidente solis ortum quærere. Ubi vero dies adventare cœpit, editissimisque culminibus urbis oriens splendere, exspectantibus aliis ut ipsum solem aspicerent, hic primus omnibus astri fulgorem in summo fastigio civitatis ostendit. Non servilis ingenii5 ratio visa ; requirentibusque auctorem, de domino confitetur. Tum intellectum est quantum ingenua servilibus ingenia præstarent, {p. 126}malitiāque servos, non sapientiā vincere. Igitur venia seni filioque data est, et velut numine quodam reservatos arbitrantes, regem Stratonem creaverunt.
Versio LXX.
Piraticum bellum. §
70. Cn. Pompeius, dispersam toto mari pestem, piratas semel et in perpetuum volens exstinguere, divino quodam apparatu aggressus est. Quippe quum classibus suis, et socialibus Rhodiorum abundaret, pluribus legatis atque præfectis, per intervalla dispositis, utraque Ponti et Oceani ora complexus est. Sic per omnes æquoris portus, sinus, latebras, recessus, promontoria, freta, peninsulas, quidquid fuit piratarum quadam indagine inclusit et oppressit. Ipse in originem fontemque belli Ciliciam versus est : nec hostes detrectavere certamen, non ex fiduciā ; sed quia oppressi erant, ausi videbantur : sed nihil tamen amplius, quam ut ad primum ictum concurrerent. Mox ubi circumfusa undique rostra viderunt, abjectis statim telis remisque, plausu undique pari, quod supplicantium signum fuit, vitam petiverunt. Non alias tam incruentā victoriā usus1 est unquam Romanus ; sed nec fidelior in posterum reperta gens ulla est. Idque prospectum singulari consilio ducis, qui maritimum genus a conspectu longe removit maris, et mediterraneis agris quasi obligavit ; eodemque tempore et usum maris navibus recuperavit, et terræ homines suos reddidit. Quid prius in hac mirere victoriā ? Velocitatem, quod quadragesimo die parta est ? An felicitatem, quod ne una quidem navis amissa est ? An vero perpetuitatem, quod amplius piratæ non fuerunt ?
{p. 128}Versio LXXI.
De philosophis cultu tantum et amictu. §
71. Ad Herodem Atticum, consularem virum, ingénioque amœno et græcā facundiā celebrem, adiit palliatus quispiam et crinitus, promissā barbā, petiitque æs sibi dari εἰς ἄρτоυς (ad panes emendos). Tum Herodes interrogat quis1 homo esset. Atque ille, vultu sonituque vocis objurgatorio, philosophum se esse dicit, et mirari etiam cur2 quærendum putasset, quod videret. « Video, inquit Herodes, barbam et pallium ; philosophum nondum video. Quæso autem te, bonā tuā veniā, dicas quibus nos uti posse argumentis existimes3, ut esse te philosophum noscitemus. » Interim quum aliquot ex adstantibus erraticum hominem esse dicerent, et nulli rei, incolam sordentium ganearum ; ac, nisi accipiat, quod petit, convicio turpi solitum incessere ; ibi Herodes : « Demus huic aliquid æris, cuicuimodi est, tanquam homines, non tanquam homini. » Tum ad eos conversus, qui ipsum sectabantur : « Musonius, inquit, æruscanti cuipiam id4 genus dari jussit mille nummum5. Et quum plerique dicerent nebulonem esse hominem, nullā re bonā dignum, tum ille subridens : Ἅξιоς оὖν ἐστιν ἀργυρίоυ (dignus igitur est argento) : et hæc subjecit : sed hoc potius dolori mihi et ægritudini est, quod istius modi animalia spurca atque probra nomen usurpant sanctissimum, et philosophi appellantur. Majores autem mei Athenienses nomina juvenum fortissimorum, Harmodii et Aristogitonis, ne6 unquam servis indere liceret, decreto publico sanxerunt, quoniam7 nefas ducerent, nomina libertati patriæ devota servili contagio pollui. Simili autem exemplo, ex8 contrariā specie, antiquos Romanorum audio prænomina patriciorum quorumdam male de republicā meritorum, et ob eam causam capite damnatorum, censuisse ne9 cui ejusdem gentis patricio inderentur, ut vocabula quoque eorum defamata atque demortua cum ipsis viderentur. »
{p. 130}Versio LXXII.
Pompeii exitus. §
72. Pompeius fugiens cum duobus Lentulis consularibus Sextoque filio, et Favonio prætorio, quos comites ei fo [illisible chars][texte coupé] tuna adgregaverat, aliis ut Parthos, aliis ut Africam peteret in quā fidelissimum partium suarum haberet1 regem Jubam suadentibus, Ægyptum petere proposuit, memor beneficio rum quæ in patrem Ptolemæi, qui tum puero2 quam juven propior regnabat Alexandriæ, contulerat. Sed quis in ad versis3 beneficiorum servat memoriam ? Aut quis ullan calamitosis deberi putat gratiam ? Aut quando fortuna non mutat fidem ? Missi itaque ab rege, qui4 venientem Cn Pompeium (is jam a Mytilenis Corneliam uxorem, receptam in navem, fugæ comitem habere cœperat), consili Theodoti et Achillæ, exciperent, hortarenturque ut ex one rariā in eam navem, quæ obviam processerat, transcenderet. Quod quum fecisset, princeps romani nominis, im perio arbitrioque Ægyptii mancipii, jugulatus est. Hic postres consulatus et totidem triumphos, domitumque terra rum orbem, sanctissimi ac præstantissimi viri, in id evecti super quod ascendi non potest, duodesexagesimum annum agentis5, pridie natalem ipsius, vitæ fuit exitus : in tantum in illo viro a se discordante fortunā, ut cui modo ad victoriam terra defuerat, deesset ad sepulturam.
Versio LXXIII.
Romulus e medio tollitur. §
75. Immortalibus editis operibus, quum ad exercitum recensendum Romulus concionem in campo ad Capræ paludem haberet, subito coorta tempestas cum magno fragore tonitribusque, tam denso regem operuit nimbo, ut1 {p. 132}conspectum ejus concioni abstulerit : nec deinde in terris Romulus fuit. Romana pubes, sedato tandem2 pavore, postquam ex tam turbido die serena et tranquilla lux rediit, ubi vacuam sedem regiam vidit, etsi3 satis credebat Patribus, qui proximi steterant, sublimem raptum procellā, tamen velut orbitatis metu4 icta, mœstum aliquandiu silentium obtinuit. Deinde a paucis initio facto, deum, deo5 natum, regem parentemque urbis Romanæ salvere universi Romulum jubent ; pacem precibus exposcunt, uti volens propitius suam semper sospitet progeniem. Fuisse credo tum quoque aliquos, qui discerptum regem Patrum manibus6 taciti arguerent : manavit enim hæc quoque, sed perobscura fama ; illam alteram admiratio viri7 et pavor præsens nobilitavit. Consilio8 etiam unius hominis addita rei dicitur fides. Namque Proculus Julius in concionem prodit, et : « Romulus, inquit, Quirites, parens urbis hujus, primā hodiernā luce9 repente cœlo10 delapsus, se mihi obvium dedit. Quum11 perfusus horrore venerabundusque adstitissem : Abi, nuntia, inquit, Romanis, cœlestes ita velle ut12 mea Roma caput orbis terrarum sit ; proinde rem militarem colant ; sciantque et ita posteris tradant, nullas opes humanas armis romanis resistere posse. » Sic desiderium sublati13 apud plebem exercitumque, factā fide immortalitatis, lenitum.
Versio LXXIV.
Ut Lacedœmoniorum civitas a Lycurgo constituta fuerit. §
74. Lycurgus administrationem reipublicæ per ordines divisit : regibus potestatem bellorum, magistratibus judicia per annuas successiones, senatui custodiam legum, populo sublegendi senatum, vel creandi quos vellet magistratus, potestatem permisit. Fundos omnium æqualiter inter omnes divisit, ut æquata patrimonia neminem altero potentiorem redderent. Convivari omnes publice jussit, ne cujus1 divitiæ {p. 134}vel luxuria in occulto essent. Juvenibus non ampiius unā veste uti toto anno concessit, nec quemquam cultius quam alterum progredi, nec epulari opulentius, ne imitatio in luxuriam verteretur. Pueros puberes non in forum, sed in agrum deduci præcepit, ut primos annos in opere et laboribus agerent2. Nihil eos somni causa substernere, neque prius in urbem redire, quam viri facti essent, statuit. Virgines sine dote nubere jussit, ut uxores eligerentur3, non pecuniæ, severiusque matrimonia sua viri coercerent, quum nullis dotum frenis tenerentur. Maximum honorem non divitum4 et potentium, sed, pro5 gradu ætatis, senum esse voluit. Hæc quoniam6 primo, solutis antea moribus, dura videbat esse, auctorem eorum Apollinem Delphicum fingit, et inde se ea numinis ex præcepto detulisse, ut consuescendi tædium metus religionis vincat7.
Versio LXXV.
Quœdam a Socrate et Solone sapienter dicta. §
75. Socrate, humanæ sapientiæ quoddam quasi terrestre oraculum, nihil ultra petendum a1 diis immortalibus arbitrabatur, quam ut bona tribuerent2, quia3 ii demum scirent quid4 unicuique esset utile ; nos autem plerumque id votis expetere, quod non impetrasse melius foret. Etenim densissimis tenebris involuta, mortalium mens, in quam late patentes errores cæcas precationes tuas spargis ! Divitias appetis, quæ multis exitio fuerunt5 ; honores concupiscis, qui complures pessumdederunt ; regna tecum ipsa volvis, quorum exitus sæpenumero miserabiles cernuntur ; splendidis conjugiis injicis manus ; at hæc, ut aliquando illustrant, ita nonnunquam funditus domos evertunt. Desine igitur stulte futuris malorum tuorum causis, quasi felicissimis rebus, inhiare, teque totam cœlestium arbitrio permitte ; quia6, qui tribuere bona ex7 facili solent, etiam eligere aptissime possunt.
{p. 136}Age8, quam prudenter etiam Solon, neminem, dum adhu[illisible chars][texte coupé] viveret9, beatum dici debere arbitrabatur, quod10ad ultimun[illisible chars][texte coupé] usque fati diem ancipiti fortunœ subjecti essemus ! Felicitati[illisible chars][texte coupé] igitur humanæ appellationem rogus consummat, qui s[illisible chars][texte coupé] incursui malorum objicit.
Idem, quum ex amicis quemdam graviter mœrentem[illisible chars][texte coupé] videret, in arcem perduxit, hortatusque est, ut per omne[illisible chars][texte coupé] subjectorum œdificiorum partes oculos circumferret11. Quod u[illisible chars][texte coupé] factum animadvertit : « Cogita nunc tecum, inquit, quam[illisible chars][texte coupé] multi luctus sub his tectis et olim fuerint12, hodieque versentur, insequentibusque sæculis sint13 habitaturi ; ac mitte[illisible chars][texte coupé] mortalium incommoda tanquam propria deflere. »
Versio LXXVI.
De Saracenis. §
76. Apud1 has gentes, quarum exordiens initium ab Assyriis ad Nili cataractas porrigitur et confinia Blemmyarum, omnes pari sorte sunt bellatores, seminudi, coloratis sagulis amicti, equorum adjumento pernicium graciliumque camelorum per diversa reptantes, in tranquillis vel turbidis rebus : nec eorum quisquam aliquando stivam adprehendit, vel arborem colit, aut arva subigendo quæritat victum ; sed errant semper per spatia longe lateque distenta, sine lare, sine sedibus fixis aut legibus : nec idem perferunt diutius cœlum, aut tractus unius soli illis unquam placet. Vita est illis semper in fugā ; uxores conductæ ad tempus ex pacto : atque ut sit2 species matrimonii, dotis nomine futura conjux hastam et tabernaculum offert marito, post statum diem, si id elegerit3, discessura. Ita autem, quoad vixerint, late palantur, ut4 alibi mulier nubat, in loco pariat alio, liberosque procul educat, nullā copiā quiescendi permissā. Victus universis caro ferina est, lactisque abundans copia, qua5 sustentantur, et herbæ multiplices, et si quæ alites capi per aucupium possunt6 ; et plerosque videre est7 qui frumenti usum et vini penitus ignorent.
{p. 138}Versio LXXVII.
Diripitur Persepolis. §
77. Jam barbari, deserto oppido, quā quemque metus agebat diffugerant, quum rex phalangem, nihil1 cunctatus, inducit. Multas urbes refertas opulentiā2 regiā partim expugnaverat, partim in fidem acceperat : sed hujus urbis divitiæ vicere præterita : in hanc Persidis opes congesserant barbari ; aurum argentumque cumulatum erat ; vestis ingens modus ; supellex non ad usum modo, sed ad ostentationem luxus comparata. Itaque inter ipsos victores ferro dimicabatur ; pro3 hoste erat, qui pretiosiorem occupaverat prædam ; et quum omnia quæ reperiebantur capere non possent, jam res non occupabantur, sed æstimabantur. Lacerabant regias vestes, ad se quisque4 partem trahentes ; dolabris pretiosæ artis vasa cædebant ; nihil5 neque intactum erat, nec integrum ferebatur ; abrupta simulacrorum membra, ut quisque avellerat, trahebat. Neque avaritia solum, sed etiam crudelitas in captā urbe grassata est : auro argentoque onusti, vilia captivorum corpora trucidabant, passimque obvii cædebantur, quos antea pretium sui miserabiles fecerat. Multi ergo hostium manus voluntariā morte occupaverunt, e muris semetipsos cum conjugibus ac liberis in præceps jactantes ; quidam ignes, quod paulo post facturus hostis videbatur, subjecerunt ædibus, ut cum suis vivi cremarentur6.
Versio LXXVIII.
Triumphus de Perseo, Macedoniœ rege. §
78. Fuit hic triumphus, sive magnitudinem victi regis, sive speciem simulacrorum, sive pecuniæ vim spectes, longe[illisible chars][texte coupé] {p. 140}magnificentissimus, ut1 omnium anteactorum comparationem amplitudine superaret. Populus, exstructis per forum et cetera urbis loca, quā traduci pompam oportebat, tabulatis theatrorum in modum, spectavit in candidis togis. Aperta templa omnia et sertis coronata thure fumabant. Lictores satellitesque confluentem temere turbam et vage discurrentem summoventes e medio, patentes late vias vacuasque præbebant.
Quum in tres dies distributa esset pompa spectaculi, primus dies vix suffecit transvehendis signis tabulisque captivis, in ducentos quinquaginta currus impositis. Sequent[illisible chars][texte coupé] die multis plaustris translatum quidquid macedonicorum armorum pulcherrimum et magnificentissimum fuit, quæ et ipsa ferri aut æris recens tersi nitore splendebant, et ita[illisible chars][texte coupé] structa erant inter se, ut2 quum3 acervatim potius cumulata, quam artificiose digesta viderentur, miram quamdam ha[illisible chars][texte coupé] ipsā velut temerariā et fortuitā concursione speciem objicerent4 oculis. Atque hæc omnia quum laxius5 vincta inter se forent, si quando6 in transvehendo sibi mutuo alliderentur, martium quemdam ac terribilem edebant sonum, ut7 ne victa quidem conspici possent sine quodam animorum[illisible chars][texte coupé] horrore.
Tertio autem die ducere agmen primo statim mane cœpere tibicines. Ibi ostentata magna vis auri et argenti, et gemmæ, et pateræ, aliæque id genus8 exuviæ non tantæ lætitiæ spectantibus fuere, quantæ miserationi pone filios incedens cum uxore Perseus, pullo amictu, cum crepidis græci moris, stupenti et attonito similis, et cui magnitudo malorum mentem omnino eripuisse videretur.
Versio LXXIX.
De Lectione. §
79. Primum argumentum compositæ mentis existimo, posse consistere et secum morari. Vide1 ne lectio omnis {p. 142}generis voluminum habeat aliquid vagum et instabile. Ce[illisible chars][texte coupé]tis ingeniis immorari et innutriri oportet, si velis aliqui[illisible chars][texte coupé] trahere, quod in animo fideliter sedeat. Nusquam est, qu[illisible chars][texte coupé] ubique est. Vitam in peregrinatione exigentibus hoc eveni[illisible chars][texte coupé] ut2 multa hospitia habeant, nullas amicitias. Idem accida[illisible chars][texte coupé] necesse est his qui nullius se ingenio familiariter applican[illisible chars][texte coupé] sed omnia cursim et properantes transmittunt. Non prodes cibus, nec corpori accedit, qui statim sumptus emittitu[illisible chars][texte coupé] Nihil æque sanitatem impedit, quam remediorum crebr[illisible chars][texte coupé] mutatio. Non venit vulnus ad cicatricem, in quo medica[illisible chars][texte coupé] menta tentantur ; non convalescit planta, quæ sæpe trans[illisible chars][texte coupé] fertur ; nihil tam3 utile est, ut in transitu prosit. Distring librorum multitudo.
Itaque quum4 legere non possis quantum habueris, sat[illisible chars][texte coupé] est habere quantum legas. — Sed modo, inquis, hunc l[illisible chars][texte coupé] brum evolvere volo, modo illum. — Fastidientis stomachi[illisible chars][texte coupé] est multa degustare ; quæ ubi varia sunt et diversa, inqu[illisible chars][texte coupé] nant, non alunt. Probatos itaque semper lege, et si quando ad alios diverti libuerit, ad priores redi. Aliquid quotid adversus paupertatem, aliquid adversus mortem auxil[illisible chars][texte coupé] compara, nec minus adversus ceteras pestes ; et quu[illisible chars][texte coupé] multa percurreris, unum excerpe, quod7 illo die concoqua[illisible chars][texte coupé]
Versio LXXX.
Midas omnia in aurum vertit tangendo. §
80. … Ilice detraxit virgam, virga aurea facta est ;Contigit et glebam, contactu gleba potentiMassa fit ; arentes Cereris decerpsit aristas,Aurea messis erat ; demptum tenet arbore pomum,Hesperidas donasse putes ; si postibus altisAdmovit digitos, postes radiare videntur.Ille etiam liquidis palmas ubi laverat undis,Unda fluens palmis Danaen eludere posset.Vix spes ipse suas animo capit, aurea fingens{p. 144}Omnia. Gaudenti mensas posuere ministri.Tum vero, sive1 ille suā cerealia dextrāMunera contigerat, cerealia dona rigebant ;Sive dapes avido convellere dente parabat,Miscuerat puris auctorem muneris undis,Fusile per rictus aurum fluitare videres.Attonitus novitate mali, divesque miserque,Effugere optat opes, et, quæ modo voverat, odit :Copia nulla famem relevat ; sitis arida gutturUrit, et inviso meritus torquetur ab auro ;Ad cœlumque manus et splendida brachia tollens :« Da veniam, Lenæe pater : peccavimus, inquit ;Sed miserere, precor, speciosoque eripe damno. »
Versio LXXXI.
Philœni fratres. §
81. Quā tempestate Carthaginienses pleræque Africæ imperitabant, Cyrenenses quoque magni atque opulenti fuere. Ager in medio arenosus, unā specie : neque flumen, neque mons erat, qui1 finis* eorum discerneret ; quæ res eos in magno diuturnoque bello inter se habuit. Postquam2 utrinque legiones, item classes sæpe fusæ fugatæque, et alteri3 alteros aliquantum attriverant, veriti ne mox victos victoresque defessos alius aggrederetur4, per inducias sponsionem faciunt, uti certo die legati domo proficiscerentur ; quo in loco inter se5 obvii fuissent, is communis utriusque populi finis haberetur.
Igitur duo fratres Carthagine missi, quibus nomen Philænis erat, maturavere iter pergere ; Cyrenenses tardius iere. Id socordiāne6 an casu acciderit, parum liquet. Ceterum solet in locis illis tempestas haud secus atque in mari retinere. Nam ubi per loca æqualia et nuda gignentium** {p. 146}ventus coortus arenam humo excitavit, ea magnā vi[illisible chars][texte coupé]agitata ora oculosque implere ; ita, prospectu impedito, morari iter.
Postquam Cyrenenses aliquanto2 posteriores se esse vident, et ob rem corruptam domi pœnas metuunt, criminari Carthaginienses ante tempus domo digressos ; conturbare rem, denique omnia malle, quam victi abire.
Versio LXXXII.
Sequitur de Philænis fratribus. §
82. Diu de fallaciā æmulorum questi, postremo acerbitate conditionis injuriam discutere conati sunt : scilicet optionem Carthaginiensium1 fecerunt, uti vel illi, quos fines populo suo peterent, ibi vivi obruerentur2, vel eādem conditione sese quem in locum vellent processuros. Sed consilio eventus non respondit : Philæni quippe, nullā interpositā morā, seque vitamque suam reipublicæ condonantes, corpora sua Græcis terrā operienda3 tradiderunt. Qui quoniam4 patriæ quam vitæ suæ longiores terminos esse maluerunt, bene jacent manibus et ossibus suis punico dilatato imperio. Populares in eo loco Philænis fratribus aras consecraverā, aliique illis domi honores instituti.
Ubi sunt superbæ Carthaginis alta mœnia ? Ubi maritimā gloriā inclyti portus ? Ubi cunctis littoribus formidandæ classes ? Ubi tot exercitus ? Ubi tantus equitatus, fulmineo impetu terribilis, victoriarum non mediocre momentum ? Ubi immenso Africæ imperio non contenti spiritus ? Omnia ista duobus Scipionibus quasi fataliter fortuna partita est ; at Philænorum egregii facti memoriam ne5 patriæ quidem interitus exstinxit. Nihil est igitur, exceptā virtute, quod mortali animo ac manu immortale quæri possit.
{p. 148}Versio LXXXIII.
Laus Eloquentiæ. §
83. Hercle Deus ille parens rerum, fabricatorque mundi, nullo magis hominem separavit a ceteris, quæ quidem mortalia essent, animalibus, quam dicendi facultate. Nam corpora quidem magnitudine, viribus, firmitate, patientiā, velocitate præstantiora in illis mutis videmus ; eadem minus egere acquisitæ extrinsecus opis. Nam et ingredi citius, et pasci, et tranare aquas citra docentem, naturā ipsā, sciunt. Et pleraque contra frigus ex suo corpore vestiuntur, et arma his ingenita quædam, et ex1 obvio fere victus : circa quæ omnia multus hominibus labor est. Rationem igitur nobis præcipuam dedit, ejusque nos socios esse cum diis immortalibus voluit. Sed ipsa ratio neque nos tam juvaret, neque tam esset in nobis manifesta, nisi, quæ concepissemus mente, promere etiam loquendo possemus. Quod magis deesse ceteris animalibus, quam intellectum et cogitationem quamdam videmus. Nam et moliri cubilia, et nidos texere, et educare fœtus, et excludere, quin etiam reponere in hiemem alimenta, opera quædam nobis inimitabilia, qualia sunt cerarum2 et mellis efficere, nonnullius, ut opinor, rationis3 est.
Quare, si4 nihil a diis oratione melius accepimus, quid tam dignum cultu atque labore ducamus5 ? Aut in quo malimus præstare hominibus, quam quo6 ipsi homines ceteris animalibus præstant ? Eo quidem magis, quod nullā in parte plenius labor gratiam refert.
Versio LXXXIV.
Excerpta ex epistolā Ser. Sulpicii ad M. T. Ciceronem, obitum filiæ suœ lugentem. §
84. … Ex Asiā rediens, quum ab Æginā Megaram versus1 navigarem, cœpi regiones circumcirca prospicere.
{p. 150}Post me erat Ægina, ante Megara, dextrā Piræus, sinistrā Corinthus : quæ oppida quodam tempore florentissima fuerunt, nunc prostrata et diruta ante oculos jacent. Cœpi egomet mecum sic cogitare : Hem ! nos homunculi indignamur, si quis nostrum interiit aut occisus est, quorum vita brevior esse debet, quum uno loco tot oppidum2 cadavera projecta jaceant ? Visne tu te, Servi, cohibere, et meminisse hominem te esse natum ? Crede mihi : cogitatione eā non mediocriter sum confirmatus. Hoc idem, si tibi videtur, fac ante oculos tibi proponas3. Modo uno tempore tot viri clarissimi interierunt ; de imperio præterea tanta diminutio facta est ; omnes provinciæ conquassatæ sunt. In unius mulierculæ animulā si jactura facta est, tanto4 opere commoveris ? Quæ si hoc tempore non diem suum obiisset5, paucis post6 annis tamen ei moriendum fuit7, quoniam8 homo nata fuerat.
Etiam tu ab hisce rebus animum ac cogitationem tuam avoca, atque ea potius reminiscere, quæ digna tuā personā sunt : illam, quandiu ei opus fuerit9, vixisse ; una cum republicā fuisse ; te patrem suum, prætorem, consulem, augurem vidisse ; adolescentibus primariis nuptam fuisse ; omnibus bonis prope perfunctam, quum respublica occideret10, vita excessisse. Quid est quod11 tu, aut illa, cum fortunā hoc nomine queri possitis ?
Versio LXXXV.
De Indiā. §
85. India fertilis vario plantarum et animalium genere1. Immanes præsertim serpentes parit, ut qui2 elephantos morsu atque ambitu corporis conficiant ; tam pinguis alicubi soli, ut in eā mella frondibus defluant, lanas sylvæ ferant, arundinum fissa internodia, veluti scaphæ, binos3 et quædam ternos etiam vehant. Cultorum habitus moresque dissimiles : lino alii vestiuntur, aut lanis quas diximus ; alii ferarum aviumque pellibus. Pars4 nudi agunt. Alii {p. 152}humiles parvique, alii corpore ita proceri, ut elephantis etiam, et ibi maximis, sicut nos equis, facile atque habiliter utantur. Quidam nullum animal occidere, nullā carne vesci optimum putant. Quosdam tantum pisces alunt. Quidam proximos parentesque, priusquam annis aut ægritudine in maciem abeant, velut hostias cædunt ; cæsorumque visceribus epulari fas et maxime pium est. At ubi senectus aut morbus incessit, procul a ceteris abeunt, mortemque in solitudine nihil5 anxii exspectant. Prudentiores et quibus ars studiumque sapientiæ contingit, non exspectant eam, sed ingerendo semet ignibus læti et cum gloriā arcessunt. Urbium quas incolunt (sunt autem plurimæ) Nysa est clarissima et maxima ; montium Meros, Jovi sacer ; in illā genitum, in hujus specu Liberum Patrem arbitrantur esse nutritum : unde ficta apud Græcos de Libero fabula.
Versio LXXXVI.
Darius, apud Arbellam prœlium cum Macedonibus jamjam initurus, suos alloquitur. §
86. Darius in lævo cornu erat, magno suorum agmine, delectis equitum peditumque stipatus ; contempseratque paucitatem hostis, vanam aciem esse extentis cornibus ratus. Ceterum, sicut curru eminebat, dextrā lævāque ad circumstantium agmina oculos manusque circumferens :
« Terrarum, inquit, quas Oceanus hinc alluit, illinc claudit Hellespontus, paulo ante domini, jam non de gloriā, sed de salute, et, quod saluti præponitis, de libertate pugnandum est. Hic dies imperium, quo1 nullum amplius vidit ætas, aut constituet aut finiet. Apud Granicum, minimā virium parte cum hoste certavimus ; in Ciliciā victos Syria {p. 154}poterat excipere ; magna munimenta regni Tigris atque Euphrates erant : ventum est eo unde ne2 pulsis quidem fugæ locus superest. Omnia tam diutino bello exhausta post tergum sunt : non incolas suos urbes, non cultores habent terræ ; conjuges quoque et liberi sequuntur hanc aciem, parata hostibus præda, nisi pro carissimis pignoribus corpora opponimus. Quod mearum fuit partium3, exercitum quem pene immensa planities vix caperet comparavi ; equos, arma distribui ; commeatus ne4 tantæ multitudini deessent providi ; locum in quo5 acies explicari posset elegi. Cetera in vestrā potestate sunt : audete modo vincere, famamque, infirmissimum adversus fortes viros telum, contemnite. Temeritas est quam adhuc pro virtute timuistis ; quæ, ubi primum impetum effudit, velut quædam animalia, amisso aculeo, torpet. Hi vero campi deprehendere paucitatem, quam Ciliciæ montes absconderant ; videtis ordines raros, cornua extenta, mediam aciem vanam et exhaustam : obteri mehercule equorum ungulis possunt, etiamsi6 nil præter falcatos currus emisero….. »
Versio LXXXVII.
Sequitur de Darii ad suos oratione. §
87. « … Et bello vicerimus, si vincimus1 prælio ; nam ne illis quidem ad fugam est locus : hinc Euphrates, illinc Tigris prohibet inclusos ; et quæ antea pro illis erant, in contrarium conversa sunt. Nostrum mobile et expeditum agmen est, illud prædā grave : implicatos ergo spoliis nostris trucidabimus, eademque res et causa victoriæ erit et fructus…..
« Ceterum, etiamsi2 spes non subesset, necessitas tamen stimulare deberet ; ad extrema3 perventum est. Matrem meam, duas filias, Ochum in spem hujus imperii genitum, illos principes, illam sobolem regiæ stirpis, duces vestros, {p. 156}regum instar, vinctos habet ; nisi quod in vobis est, ipse ego majore mei parte4 captivus sum. Eripite viscera mea ex vinculis ; parentem, liberos (nam conjugem in illo carcere amisi) credite nunc tendere ad vos manus, implorare deos patrios, opem vestram, misericordiam, fidem exposcere, ut servitute, ut compedibus, ut precario victu ipsos liberetis5…..
« Video admoveri hostium aciem ; sed quo propius6 discrimen accedo, hoc minus iis quæ dixi possum esse contentus. Per ego vos deos patrios deprecor, æternumque ignem qui præfertur altaribus, fulgoremque solis intra fines regni mei orientis ; per æternam memoriam Cyri, qui ademptum Medis Lydisque imperium primus in Persas intulit : vindicate ab ultimo dedecore nomen gentemque Persarum. Ite alacres et spe pleni, ut, quam gloriam accepistis a majoribus vestris, posteris relinquatis. In dextris vestris jam libertatem, opem, spem futuri temporis geritis. Effugit mortem, quisquis contempserit ; timidissimum quemque7 consequitur. Ipse, non patrio more solum, sed etiam ut conspici possim, curru vehor ; nec recuso quominus8 imitemini me, sive9 fortitudinis exemplum, sive ignaviæ fuero. »
Versio LXXXVIII.
Narrat Tullius quā occasione adductus fuerit ad modestius de se sentiendum. §
88. Leviculus sane, ait Tullius, noster Demosthenes, qui illo susurro delectari se dicebat aquam ferentis mulierculæ, insusurrantisque alteri : « Hic est ille Demosthenes ! » Quid hoc levius ? At quantus orator ! Sed apud1 alios loqui videlicet didicerat, non multum ipse secum…..
Sic existimabam nihil homines aliud Romæ, nisi de quæsturā quam in Siciliā gesseram, loqui. Frumenti in summā caritate maximum numerum miseram : negotiatoribus comis, mercatosibus justus, municipibus liberalis, {p. 158}sociis abstinens, omnibus eram visus in omni officio diligentissimus : excogitati quidam erant ā Siculis honore inauditi. Itaque hac spe decedebam, ut2 mihi populum romanum ultro omnia delaturum3 putarem. At ego quum casu itineris faciendi causā, Puteolos4 venissem, quā tempestat plurimi et lautissimi solent in his locis adesse, concid pæne, quum ex me quidam quæsisset quo5 die Romā exis sem, et numquid in eā esset novi : cui quum6 respondissen me e provinciā decedere : « Etiam me hercule, inquit, u opinor, ex Africā. » Huic ego jam stomachans fastidiose « Imo ex Siciliā, » inquam. Tum quidam, quasi qui omnia sciret : « Quid ? tu nescis, inquit, hunc Syracusis*7 quœstorem fuisse ? » Quid multa ? Destiti stomachari, et me unum ex ii feci, qui ad aquas venissent. Sed ea res haud scio an8 plu mihi profuerit, quam si mihi tum essent omnes congratulati.
Versio LXXXIX.
Quœdam de Alexandriā (quarto post Christum seculo). §
89. Alexandria vertex omnium in Ægypto est civitatum quam multa nobilitant, et magnificentiā conditoris altissimi, et architecti solertiā Dinocratis : qui, quum1 ampla mœnia fundaret, pænuriā2 calcis, omnes ambitus lineale farinā respersit ; hocque indicio civitatem postea uberrimā alimentorum copiā abundaturam esse fortuito monstravit.
Inibi auræ salubriter spirantes, aer tranquillus et clemens : atque, ut periculum docuit per varias collectum ætates, nullo pæne die loci incolæ solem serenum non vident.
Hoc littus quum3 fallacibus et insidiosis accessibus ante hac adfligeret navigantes discriminibus plurimis, excogitavit in portu Cleopatra turrim excelsam, quæ Pharos a4 loco ipso cognominatur, prælucendi navibus nocturna suggerens ministeria : quum quondam ex Parætonio pelago venientes aut Libyco, per pandas oras et patulas, montium {p. 160}nullas speculas vel collium signa cernentes, in arenarum moles illisæ frangerentur.
His accedunt altis sublata fastigiis templa : inter quæ eminet Serapeum, quod, licet minuatur exilitate verborum amplissimis tamen atriis columnatis, et spirantibus signorum figmentis, et reliquā operum multitudine ita est exornatum, ut post Capitolium, quo se venerabilis Roma in æternum attollit, nihil orbis terrarum ambitiosius cernat. In quo bibliothecæ fuerunt inæstimabiles, ad5 septingenta voluminum millia, intentis Ptolemæorum regum vigiliis compositæ.
Versio XC.
De Platone. §
90. Plato, patriam Athenas, præceptorem Socratem sortitus, et locum et hominem doctrinæ fertilissimum1, ingenii quoque divinā instructus copiā, quum omnium jam mortalium sapientissimus haberetur, eo quidem usque, u[illisible chars][texte coupé] si ipse Jupiter cœlo descendisset, nec elegantiore, nec beatiore facundiā usurus videretur, Ægyptum peragravit, dum a sacerdotibus ejus gentis geometriæ multiplices numeros atque cœlestium observationum rationem percipit. Quoque tempore a studiosis juvenibus certatim Athenæ Platonem doctorem quærentibus petebantur, ipse Nili fluminis inex plicabiles ripas, vastissimosque campos, effusam barbariem et flexuosos fossarum ambitus, Ægyptiorum senum disci pulus, lustrabat. Quo minus miror eum in Italiam transgressum, ut ab Archytā Tarenti, a Timæo et Arione e Echecrate Locris, Pythagoræ præcepta et instituta acciperet ; tanta enim vis, tanta copia litterarum undique col ligenda erat, ut invicem per totum terrarum orbem dispergi et dilatari posset. Altero etiam et octogesimo anno2 decedens, sub capite Sophronis mimos habuisse fertur ; sio ne3 extrema quidem ejus hora studii agitatione vacua fuit.
{p. 162}Versio XCI.
Marcus Porcius Cato. §
91. Marcus Porcius Cato nobilissimum inter plebeios nomen adeptus est. In hoc viro tanta vis animi ingeniique fuit, ut, quocunque loco natus esset, fortunam sibi ipse facturus fuisse videretur. Nulla ars neque privatæ neque publicæ rei gerendæ ei defuit. Urbanas rusticasque res pariter callebat. Ad summos honores alios scientia juris, alios eloquentia, alios gloria militaris provexit : huic versatile ingenium sic pariter ad omnia fuit, ut1 natum ad id unum diceres, quodcunque ageret. In bello manu fortissimus, multisque insignibus clarus pugnis : idem, posteaquam2 ad magnos honores pervenit, summus imperator : idem in pace, si3 jus consuleres, peritissimus ; si causa oranda esset, eloquentissimus : nec is4 tantum, cujus lingua vivo eo viguerit, monumentum eloquentiæ nullum exstet : vivit imo vigetque eloquentia ejus, sacrata scriptis omnis generis. Orationes et pro se multæ, et pro aliis, e in alios ; nam non solum accusando, sed etiam causam dicendo fatigavit inimicos. Asperi procul dubio ingenii, e linguæ acerbæ et immodice liberæ fuit ; sed invictus a5 cu piditatibus, et rigidæ vir innocentiæ, contemptor gratiæ divitiarum ; in parcimoniā, in patientiā laboris, ferrei prope corporis et animi ; quem6 ne senectus quidem, quæ solvi omnia, fregerit.
Versio XCII.
Aquila. §
92. Nidificant aquilæ in petris et arboribus ; pariunt e ova terna1, excludunt pullos binos2 ; visi sunt et tres ali quando. Alterum3 expellunt tædio nutriendi. Quippe e {p. 164}tempore ipsis cibum negavit natura, prospiciens ne4 omnium ferarum fœtus raperentur. Ungues quoque earum invertuntur diebus his, albescunt inediā pennæ, ut5 merito partus suos oderint. Sed ejectos ab his ossifragæ, cognatum genus, excipiunt, et educant cum suis. Verum adultos quo que persequitur parens, et longe fugat, æmulos scilice rapinæ. Et alioqui unum par aquilarum magno ad populandum tractu, ut satietur, indiget. Determinant ergo spatia, nec in proximo6 prædantur. Rapta non protinu ferunt, sed primo deponunt : expertæque pondus, tun[illisible chars][texte coupé] demum abeunt. Oppetunt non senio, nec ægritudine, se[illisible chars][texte coupé] fame, in7 tantum superiore adcrescente rostro, ut aduncita aperiri non queat.
A meridiano autem tempore operantur, et volant : prio ribus horis diei, donec8 impleantur hominum convent fora, ignavæ sedent. Aquilarum pennæ mixtas reliquarum avium pennas devorant. Negant unquam solam hanc aliter fulmine exanimatam : ideo armigeram Jovis consuetud judicavit.
Versio XCIII.
Pugna apud Mundam. §
93. Omnium Cæsarianos inter et Pompeianos certam num postrema fuit Munda. Hic non pro1 ceterā felicitate sed anceps diu fuit prælium, ut2 plane videretur nescio qu[illisible chars][texte coupé] deliberare fortuna. Sane et ipse ante aciem mœstior3 n[illisible chars][texte coupé] ex more Cæsar, sive respectu fragilitatis humanæ, si nimiam prosperorum suspectam habens continuationer. Sed in ipso prælio, quod nemo unquam meminerat, quu diu pari marte acies nihil aliud quam occiderent, in med ardore pugnantium, subito ingens inter utrosque silentium {p. 166}quasi convenisset. Novissime, illud inusitatum Cæsaris[illisible chars][texte coupé] oculis (nefas !) post quatuordecim annos, probata veteranorum manus gradum retro dedit : etsi4 nondum fugerat, apparebat tamen pudore magis quam virtute resistere. Itaque, ablegato equo, similis furenti, primam in aciem dux procurrit. Ibi prensare5 fugientes, confirmare, per totum denique agmen oculis, manibus, clamore volitare. Dicitu[illisible chars][texte coupé] in illā perturbatione et de extremis agitasse secum, et ita[illisible chars][texte coupé] manifesto vultu fuisse, quasi occupare manu mortem vellet ; nisi cohortes hostium quinque, per transversam aciem actæ, quas Labienus periclitantibus castris subsidio miserat, fugæ speciem præbuissent. Hoc aut ipse credidit, aut dux callidus arripuit in occasionem ; et quasi in fugientes invectus, simu suorum erexit animos, et hostes perculit. Nam hi, dum se[illisible chars][texte coupé] putant vincere, fortius sequi6 : Pompeiani, dum fugere[illisible chars][texte coupé] credunt suos, fugere cœperunt.
Versio XCIV.
Describitur Hiems anni post Chr. 1709. §
94. Festa dies aderat, prisco sanctissima ritu,Quæ Christi cunas et inops præsepe quotannisNobilitat regum donis et supplice cultu.Nos adfusi aris sacro dum ture litamus,Missus Hyperboreis populator ab arcibus, aterEn subito, Boreas glacialibus advolat alis1,Et cœlum terrasque gelu constringit inertes.Intremuere viri, totasque ardentibus ulmosAdvolvere focis, positoque labore, sua seQuisque domo2 sepsit, largo vix igne, rigentesFrigore defendens, multis sub pellibus, artus.Insonuit quercus magno discissa fragore3.Dissiluere etiam, et frigus penetrabile saxaPer medias sensere nives ; sensere sub altisGurgitibus fluvii Boream ; frenique moræqueImpatiens Rhodanus, gelidis consistere ripisJussus, et ignoto sua jungere littora ponte,{p. 168}Sustinuit tergo ferratos pervius orbes.Ipsum etiam in cellis, sub opaco fornice, BacchumAspera vincit hiems ; et stantia vina securiCæduntur : neque jam liquido sitientia potuOra rigant, sed dente, cibos imitata, teruntur.
Versio XCV.
Sequitur de Hieme anni 1709. §
95. Tum tepido de fonte cavis qui flumina palmisHauserat, admovit labris arentibus amnemFrigore1 concretum ; projectaque lympha per aurasInsonuit terris, lapidosæ grandinis ictu2.Torpentes aer, avibus non æquior3, alasIlligat ; et rigidæ, timidissima turba, columbæHospitium querulo gemitu petiere, cibiqueEt famis immemores, positā formidine, nostrisAccessere focis ; hominum subit ipse penates,Oblitā4 feritate, lupus ; nemorumque relictisHospitiis, passim fugiunt per compita cervi.In stabulis periere greges, periere ferarumPer sylvas armenta, vagæ periere volucres.Quos et opum vesana fames decedere tectisImpulit, et rigido sese committere cœlo,Occubuere viri, aut pedibus vixere minores5 :Auxilium neque enim præsentius horrida passisFrigora, quam ferro sævire salubriter, imosTruncando, quos acre gelu nodaverat, artus.Perstitit hæc hiemis solidum vis improba mensem6.Intermissa hominum commercia ; rure7 laboresCessarunt, et jura foro : sacra ipsa quierunt.
Versio XCVI.
De linguœ grœcœ excellentiā. §
96. Si quis linguæ græcæ diuturnitatem intueatur, haudquaquam mirabitur tot illustres humani ingenii fetus ipsā {p. 170}editos fuisse : quæ tam antiqua est, ut iisdem1 incunabulis, quibus illi dii fabulosi, genita sit ; tam longæva, ut iis jam dejectis et exstinctis superstes remanserit. Quam firmam esse2 ac vegetam ejus linguæ constitutionem, quæ3 Orpheo et Lino canentibus jam robusta, vix post viginti demum sæcula consenescere cœperit, non fracta tot barbarorum incursibus, tot ruinis non sepulta cadentium circa se populorum ! Quin et romanam virtutem, quā totus orbis contremuerat, durando evicit. Fuit armis quidem Roma valentior ; Græcia autem horridos adhuc incultosque victores, qui Musas quasi veneficas aversabantur, capta tantis cepit illecebris, sic amore sui incendit, ut nemo postea in litteris aliquis esse putaretur, qui non Athenas4 aut Rhodum, Græcos audiendi causā, commeasset. Nec fuit ejus lingua in ipsā servitute immemor pristinæ dignitatis. Sed ut multo antea in5 Italiam ac Siciliam, sic tunc Romam6 magnā ex parte translata, nihil ex contagione latini sermonis hausit peregrinum ; et sub alieno cœlo, inter colloquia dominorum, casta diutissime et integra permansit, Alpheo suc haud absimilis, qui ex iisdem locis in easdem terrarum plagas viam sibi subter maris undas faciens, nullā salsugine aquarum suarum dulcedinem corrumpere ferebatur.
Versio XCVII.
Quantam vim habeat Apologus. §
97. Secesserat olim romana plebs, indignata patribu opes, imperia, fasces attribui1 ; sibi, tanquam vilibus man cipiis, reservari militiam, stipendia, laborem. Res ac apertam seditionem venerat ; nec ullā ratione appareba plebem2 reduci posse ad concordiam, nisi vis aliqua insolita coegisset. Valeant3 hic oratores, sileant philosophi perierat4 florentissima omnium respublica, miserabil distracta factione5, nisi unus aliquis apologi artifex esset inventus, qui tum plus joculari narratiunculā effecit, quam {p. 172}Pericles alter fulgurando, tonando, omnia miscendo* exprimere valuisset.
Sensit et illud Demosthenes ipse, laudator in alienā facultate minime suspectus. Perorabat ille quondam quā scitis præditum fuisse vehementiā ; et toto quamvis eloquentiæ pondere connixus, videbat nihilo7 secius frigere concionem, aversam plebem ludisque puerilibus intentam, negligi oratorem omnino alienā ignaviā8 languentem. Pœnitebat ipsum9 jamdiu tanti fastidii, tantæque vecordiæ, in negotio publico, in re omnium gravissimā, ubi cum infensissimo hoste, militiæ scientiā et calliditate notissimo, bellum agebatur. Hic tum primum suæ artis vanitatem expertus, sensit id, quod minime hactenus suspicari contigerat, aliquid esse ipsā efficacius eloquentiā ; et orationis quasi retuso mucrone, telum ultimum fabula fuit, quā statim revocati omnium animi, ad Philippum arcendum capessendamque rempublicam incredibili ardore convolarunt.
Versio XCVIII.
Eumenes in vincula conjectus Argyraspidas alloquitur. §
98. « Cernitis, milites, habitum atque ornamenta ducis vestri, quæ mihi non hostium quisquam imposuit : nam hoc etiam solatio foret. Vos me ex victore victum, vos me ex imperatore captivum fecistis ; quater intra hunc annum in mea verba jurejurando obstricti estis. Sed ista omillo ; neque enim miseros convicia decent1. Unum oro2. Si propositorum Antigoni summa in meo capite consistit3, inter vos me velitis4 mori. Nam neque illius5 interest quemadmodum6 aut ubi cadam ; et ego fuero ignominiā mortis liberatus. Hoc si impetro, solvo vos jurejurando, quo toties sacramento vos mihi devovistis. Aut si ipsos pudet roganti vim adhibere, ferrum huc date, et permittite, quod vos7 facturos8 pro imperatore jurastis, imperatorem pro vobis sine {p. 174}religione jurisjurandi facere. » Quum9 non obtineret, pre ces in iram vertit : « At vos, devota capita10, respiciant11 dii perjuriorum vindices, talesque12 vobis exitus dent quales vos ducibus vestris dedistis ! Nempe vos iidem paule ante et Perdiccæ sanguine estis aspersi, et in Antipatrun eadem moliti. Ipsum denique Alexandrum, si fas fuisse eum mortali manu cadere, interempturi, quod maximun erat, seditionibus agitastis. Ultima nunc ego perfidorun victima, has vobis diras atque inferias dico : ut inope extorresque omne ævum in hoc castrensi exsilio agatis devorentque vos arma vestra, quibus plures vestros, quan hostium, duces absumpsistis ! »
Versio XCIX.
Naturā mobilis et inquieta mens homini data est. §
99. Carere patriā intolerabile existimas. Aspice agedum1 hanc frequentiam, cui vix urbis immensa tecta sufficiunt. Maxima pars illius turbæ patriā caret ; ex municipiis et coloniis suis, ex toto denique orbe terrarum confluxerunt2. Alios adducit ambitio, alios necessitas offici publici, alios imposita legatio, alios luxuria, opulentum et opportunum vitiis locum quærens ; alios liberalium studiorum cupiditas, alios spectacula ; quosdam traxit amicitia, quosdam industria, latam ostendendæ virtuti nacta materiam ; quidam venalem attulerunt eloquentiam. Nullum3 non genus hominum concurrit in urbem et virtutibus et vitiis magna præmia ponentem. Jube omnes istos ad nomen citari, et unde domo quisque sit, quære : videbis majorem partem esse quæ4, relictis sedibus suis, venerit in maximam quidem ac pulcherrimam civitatem, non tamen suam5. Nunc transi ab hac civitate, et ab iis quarum amœna positio opportunitasque regionis plures allicit : deserta loca et asperrimas insulas, Sciathum et Seriphum, Gyarum et Corsicam pete : nullum invenies exsilium, in {p. 176}quo non aliquis animi causā6 moretur. Quid tam nudum inveniri potest, quid tam abruptum undique, quam hoc saxum ? Quid ad copias respicienti jejunius ? Quid ad homines immansuetius ? Quid ad cœli naturam intemperatius ? Plures7 tamen hic peregrini quam cives consistunt,
Versio C.
Marius. §
100. C. Marium consulatus ingens cupido exagitabat. Ad quem capiundum1, præter vetustatem familiæ, alia omnia abunde erant : industria, probitas, militiæ magna scientia, animus belli2 ingens, domi modicus, lubidinis et divitiarum victor, tantummodo gloriæ avidus. Sed is natus, et omnem pueritiam Arpini altus, ubi primum ætas militiæ patiens3 fuit, stipendiis faciundis, non græcā facundiā neque urbanis munditiis sese exercuit : ita inter artes bonas integrum ingenium brevi adolevit. Ergo ubi primum tribunatum militarem a populo petit, plerisque faciem ejus ignorantibus, facile notus per omnes tribus declaratur. Deinde ab eo magistratu alium post alium sibi peperit : semperque in potestatibus eo4 modo agitabat, uti ampliore, quam gerebat, dignus haberetur. Tamen is, ad id locorum talis vir (nam postea ambitione præceps datus est), consulatum appetere non audebat. Etiamtum alios magistratus plebes, consulatum nobilitas inter se per manus tradebat. Novus nemo tam clarus, neque tam egregiis factis erat, quin5 his6 indignus illo honore, et quasi pollutus haberetur.
Per idem tempus Uticæ forte C. Mario per hostias dis supplicanti, magna atque mirabilia portendi haruspex dixit : proinde, quœ animo agitabat, fretus dis ageret.
Pars secunda. §
Versio I.
De Eloquentiā et Poesi. §
1. Par utrique in hominum animos imperium ; nec sermone magis hæc, quam illa cantu incendere frigidas mentes, ardentes restinguere ; ad amorem, ad odium, ad iracundiam, ad miserationem impellere ; omni demum affectu implere. Neque sane poeseos quam eloquentiæ plures victoriæ, plura miracula numerantur. Ecquis feros et agrestes hominum recentium mores ad mitiorem cultum traduxit ? Ecquis fundavit urbes, legibus instituit, frenoque imposito exsultantem compescuit audaciam ? Utraque potuit. Non tibi soli contigit, o Thraciæ vates, edomare cantibus feras, silvas saxaque movere sono testudinis : sed qui sæviora feris, duriora saxis hominum ingenia mollierunt, artem tuam æquavere ; aut, ut fabulas ad veritatem deducam, non tu feras, sed rude hominum genus ; non scopulos, sed immanes rigidasque mentes, non carmine magis, quam illā efficaci eloquentiā mitigasti. Memorabitur in1 posteras semper ætates Tyrtæus ille, qui clade2 fractam et prostratam Spartanorum fortitudinem cantu excitavit : sed neque silebitur in Pericle summa dicendi vis, quā populum modera tu3 difficilem, obsessum inclusumque mœnibus, peste4, fame, ingentibus malis, majorum deinceps formidine laborantem, ad patientiam ita obduravit, ut ejus vel exstincta vox Atheniensium auribus insonans, in plures deinde annos post tanti viri mortem, constantiam eorum animis induerit prope ad5 ipsorum perniciem. Quod si famam, si decus, {p. 180}si memoriam spectes, neutra habebit quod alteri invideat : ut gloriã, sic diuturnitate par in mortalium animis erit Homeri ac Demosthenis nomen ; neque laus Ciceronis unquam, nisi cum Virgilii laude exstinguetur.
Versio II.
Q. Metelli felicitas (anno post Urb. cond. 638). §
2. Ut volubilis fortunæ complura exempla referri, sic constanter propitiæ admodum pauca narrari possunt. Quo patet eam1 adversas res cupido animo infligere, secundas parco tribuere. Eadem, ubi malignitatis oblivisci sibi imperavit, non solum plurima et maxima, sed etiam perpetua bona congerit.
Videamus ergo quot2 gradibus beneficiorum Q. Metellum, a primo originis die ad ultimum usque fati tempus nunquam cessante indulgentiā, ad summum beatæ vitæ culmen perduxerit. Nasci eum in urbe terrarum principe voluit ; parentes ei nobilissimos dedit ; adjecit animi rarissimas dotes, et corporis vires, ut sufficere laboribus posset ; uxorem pudicitiā et fecunditate conspicuam conciliavit ; consulatās decus, imperatoriam potestatem, speciosissimi triumphi prætextum largita est ; fecit ut eodem tempore tres filios consulares, unum etiam censorium ac triumphalem, et quartum prætorium videret3, utque tres filias nuptum4 daret, earumque sobolem sinu suo exciperet. Tot partus, tot incunabula, tot viriles togæ, tam multæ nuptiales faces, honorum, imperiorum, omnis denique gratulationis summa abundantia, quum interim nullum funus, nullus gemitus, nulla causa tristitiæ. Cœlum contemplare : vix tamen ibi talem statum reperies, quoniam5 quidem luctus et dolores deorum quoque pectoribus a maximis vatibus assignari videmus. Hunc autem vitæ actum ejus consentaneus finis excepit : namque Metellum, ultimæ senectutis spatio defunctum, lenique genere mortis inter oscula complexusque carissimorum pignorum exstinctum, filii et generi humeris suis per Urbem latum6 rogo imposuerunt.
{p. 182}Versio III.
Quis eligendus sit canis villaticus, quis pecuarius. §
3. Villæ custos canis eligendus est amplissimi corporis, vasti latratus canorique, ut prius auditu maleficum, deinde etiam conspectu terreat, et tamen nonnunquam, ne1 visus quidem, horribili fremitu suo fuget insidiantem. Sit2 autem coloris unius ; isque magis eligatur albus in pastorali, niger in villatico : nam varius in neutro est laudabilis. Pastor album probat, quoniam3 est feræ dissimilis, magnoque opus interdum discrimine est in propulsandis lupis sub4 obscuro mane, vel etiam crepusculo, ne, si non5 sit albo colore conspicuus, pro lupo canem feriat. Villaticus, qui hominum maleficiis opponitur, sive luce clarā fur advenerit, terribilior niger conspicitur ; sive nocte, ne conspicitur6 quidem propter umbræ similitudinem : quamobrem tectus tenebris tutiorem accessum canis habeat7 ad insidiantem. Probatur quadratus potius quam longus aut brevis, capite tam magno, ut corporis videatur pars maxima, dejectis et propendentibus auribus, nigris vel glaucis oculis acri lumine radiantibus, latis armis, cruribus crassis et hirtis, cauda brevi, vestigiorum articulis et unguibus amplissimis. Mores autem neque mitissimi, neque rursus truces atque crudeles ; quod8 illi furem quoque adulantur, hi etiam domesticos invadunt. Satis est severos9 esse, nec blandos, ut nonnunquam etiam conservos iratius10 intueantur, semper excandescant in exteros. Maxime autem debent in custodiā vigilaces conspici, nec erronei, sed assidui, et circumspecti magis quam temerarii : nam illi, nisi quod certum compererunt, non indicant ; hi vano strepitu et falsā suspicione concitantur.
{p. 184}Versio IV.
Quā institutione futurus orator imbuendus sit. §
4. Vultis1 magnos, et quales decet, spiritus ad eloquentiæ studium afferat adolescens ? Assuescat2 statim sentire viriliter : illius animum præparet fortis disciplina, quæ mansurum et fidele solum tanto quasi ædificio substernat.
Hoc viderant felicia eloquentiæ sæcula, et quæ merito appelles3 aurea ; quorum a laude mirum non esse debet, si4 tam alte descensum fuerit, quum5 ab eorum institutis et diligentiā sit tantopere degeneratum. Infantiam statim errori permittimus et nugis. Tota illa ætas, quæ, quo6 tractabilior est et sequacior, eo formanda est diligentius, delicias non jam tantum habet in conspectu, sed quantum potest, in usu. Quam mihi spem generosæ indolis dabit, quem exempla undique circumstrepunt, et ad libidines excitant ? His7 paulatim enervatur animus.
Non hac semita ad victricem illam eloquentiam, de qu[illisible chars][texte coupé] verius quam de Romā vetere dicas8, omnibus humanis opibus superiorem esse, antiquitas ascendit. Crescebat in sinu castæ matris infans, vel ipsā naturā optimus, vel curā talis præstandus. In partem operis pater accedebat, virtutum quas ferebat ætas, et custos vigil, et assiduus exactor. Personabant aures non histrionum, ut apud nos, fabulis sed præconiis clarorum virorum. Pluris9 erat qui sensu honestos præ se ferret, quam qui mores lepidos ostenderet Ipsi ludi sanctitate quadam et verecundiā temperabantur. Quæ disciplinæ ratio eo demum pertinebat, ut infantia diligenter habita erectum, et omnis bonæ artis10 rapax ingenium statim traderet juventuti.
{p. 186}Versio V.
Alexander Ammonis templum invisit. §
5. Ad interiora Ægypti penetrat Alexander ; compositisque rebus ita ut nihil ex patrio Ægyptiorum more mutaret, adire Jovis Ammonis oraculum statuit.
Iter expeditis quoque et paucis vix tolerabile ingrediendum erat : terrā cœloque aquarum penuria est ; steriles arenæ jacent, quas ubi vapor solis accendit, fervido solo exurente vestigia, intolerabilis æstus exsistit ; luctandumque est non tantum cum ardore et siccitate regionis, sed etiam cum tenacissimo sabulo, quod præaltum et vestigio cedens ægre moliuntur pedes. Hæc Ægyptii vero1 majora jactabant. Sed ingens cupido animum stimulabat adeundi Jovem, quem generis sui auctorem, haud contentus mortali fastigio, aut credebat esse, aut credi volebat. Ergo, cum iis quos ducere secum statuerat, secundo2 Nilo descendit ad Mareotin paludem ; ibi, donis Cyrenensium acceptis, amicitiaque conjunctā, destinata exsequi pergit.
Ac primā quidem et sequenti die tolerabilis labor visus, nondum vastis nudisque solitudinibus aditis3, jam tamen sterili et emoriente terrā. Sed ut aperuere se campi alto obruti sabulo, haud secus quam profundum æquor ingressi, terram oculis requirebant : nulla arbor, nullam culti soli occurrebat vestigium ; aqua etiam defecerat, quam utribus cameli devexerant. Ad hæc sol omnia incenderat : quum repente, sive4 illud deorum munus, sive casus fuit, obductæ cœlo nubes astri fulgorem condidere, ingens æstu fatigatis, etiamsi5 aqua deficeret, auxilium. Enimvero, ut largum quoque imbrem excusserunt procellæ, pro se quisque excipere6 eum ; quidam, ob sitim impotentes sui, ore quoque hianti captare cœperunt. Quatriduum per vastas solitudines absumptum est…
{p. 188}Versio VI.
Sequitur de Alexandro Ammonis templum invisente. §
6. Jamque haud procul oraculi sede aberant, quum complures corvi agmini occurrunt, modico volatu prima signa antecedentes ; et modo humi1 residebant, quum lentius agmen incederet ; modo se pennis levabant, præeuntium iterque monstrantium ritu. Tandem ad sedem consecratam deo ventum est. Incredibile dictu ! Inter vastas solitudines sita, undique ambientibus ramis, vix in densam umbram cadente sole, contecta est ; multique fontes dulcibus aquis passim manantibus alunt silvas : cœli quoque mira temperies, verno tempori maxime similis, omnes anni partes pari salubritate percurrit. Incolæ nemoris, quos Ammonios vocant, dispersis tuguriis habitant. Medium nemus pro[illisible chars][texte coupé] arce habent, triplici muro circumdatum : prima munitic[illisible chars][texte coupé] tyrannorum veterem regiam clausit ; in proximā conjuges eorum cum liberis et pellicibus, et dei quoque oraculum ultima munimenta satellitum2 armigerorumque erant. Es etiam aliud Ammonis nemus ; in medio fons cernitu[illisible chars][texte coupé](Aquam Solis vocant) : sub3 lucis ortum tepida manat ; acmeridiem, quum vehementissimus est calor, frigida eaden fluit ; inclinato in vesperam die, calescit ; mediā nocte fervide exæstuat ; quoque propius nox vergit ad lucem multum ex nocturno calore decrescit, donec sub ipsum die ortum assueto tepore languescal. Id quod pro deo colitur non eamdem effigiem habet, quam4 vulgo diis artifice accommodaverunt : umbilico maxime similis est habitus smaragdo et gemmis coagmentatus. Hunc, quum responsum petitur, navigio aurato gestant sacerdotes, multis argentei pateris ab utroque navigii latere pendentibus ; sequuntu matronæ virginesque, patrio more inconditum quoddan carmen canentes, quo5 propitiari Jovem credunt ut certun edat6 oraculum.
{p. 190}Versio VII.
Philippi Macedonum regis et Cœsaris Augusti patientia in ferendis contumeliis. §
7. Si qua alia in Philippo virtus fuit, et contumeliarum patientia, ingens instrumentum ad tutelam regni. Demochares ad illum, Parrhesiastes* ob nimiam et procacem linguam appellatus, inter alios Atheniensium legatos venerat. Auditā benigne legatione, Philippus, « Dicite, inquit, mihi, facere quid possum, quod sit Atheniensibus gratum. » Excepit Demochares : « Te suspendere. » Indignatio circumstantium ad tam inhumanum responsum exorta est : quos Philippus conticescere jussit, et Thersitam illum salvum incolumemque dimittere. « At vos, inquit, ceteri legati, nuntiate Atheniensibus multo1 superbiores esse, qui ista dicunt, quam qui impune dicta audiunt. »
Multa et divus Augustus digna memoriã fecit, dixitque[illisible chars][texte coupé] ex quibus appareat illi iram2 non imperasse. Timagenes, historiarum scriptor, quædam in3 ipsum, quædam in uxorem ejus et in totam domum dixerat, nec perdidera[illisible chars][texte coupé] dicta : magis enim circumfertur et in ore hominum est temeraria urbanitas. Sæpe illum Cæsar monuit ut moderatius linguā uteretur ; perseveranti domo suā interdixit4. Postea Timagenes in contubernio Pollionis Asinii consenuit, ac[illisible chars][texte coupé] totā civitate direptus est ; nullum illi limen præclusa Cæsaris domus abstulit. Historias postea quas scripserat, recitavit, et combussit, et libros acta principis continentes in ignem posuit. Inimicitias gessit cum Cæsare ; nemo amicitiam ejus extimuit, nemo quasi fulgure ictum refugit ; fui[illisible chars][texte coupé] qui5 præberet tam alte cadenti sinum. Tulit hoc, ut dixi, Cæsar patienter, ne eo quidem motus quod6 laudibus suis7 rebusque gestis manus attulerat. Nunquam cum hospite inimici sui questus est ; hoc duntaxat Pollioni Asinio dixit : « Θηριοτρεφεῖς (feram alis). »
{p. 192}Versio VIII.
Xerxis cum Demarato colloquium. §
8. Quum bellum Græciæ indiceret Xerxes, animum tumentem, oblitumque quam1 caducis confideret, nemo non impulit. Alius aiebat non laturos nuntium belli, et a[illisible chars][texte coupé] primam adventus famam terga versuros. Alius, nihil ess[illisible chars][texte coupé] dubii3 quin4 illā mole non vinci solum Græcia, sed obru[illisible chars][texte coupé]posset : magis verendum ne vacuas urbes invenirent, et profugis hostibus, vastæ solitudines relinquerentur, no habituris ubi5 tantas vires exercerent. Alius, illi vix reru[illisible chars][texte coupé] naturam sufficere, angusta esse classibus maria, mili[illisible chars][texte coupé] castra, explicandis equestribus copiis campestria : vi[illisible chars][texte coupé] patere cœlum satis ad emittenda omni manu tela.
Quum in hunc modum multa undique jactarentur, qua hominem nimiā æstimatione sui furentem concitarent, De maratus Lacedæmonius solus dixit, ipsam illam quā sil placeret6 multitudinem, indigestam et gravem, metuen dam esse ducenti ; non enim vires, sed pondus habere immodica nunquam regi posse ; nec diu durare quidqui regi non potest.
« In primo, inquit, statim monte Lacones objecti dabun tibi sui experimentum. Tot ista gentium millia trecen[illisible chars][texte coupé] morabuntur : hærebunt in vestigio fixi, et commissas sil[illisible chars][texte coupé] angustias tuebuntur, et corporibus obstruent. Tota illo[illisible chars][texte coupé] Asia non movebit loco. Tantas ruinas belli, et pæne totiu[illisible chars][texte coupé] humani generis ruinam paucissimi sustinebunt. Quum t[illisible chars][texte coupé] mutatis legibus suis natura transmiserit, in semitā hærebis et æstimabis futura damna, quum putaveris quanti7 Thermopylarum angustiæ constiterint8. Scies te fugari posse quum scieris posse retineri… »
{p. 194}Versio IX.
Sequitur de colloquio Xerxis cum Demarato. §
9. « Cedent quidem tibi pluribus locis, velut torren modo ablati, cujus cum magno terrore prima vis deflui deinde hinc atque illinc coorientur, et tuis te virib prement.
« Verum est illud quod dicitur, majorem1 belli appa[illisible chars][texte coupé] ratum esse, quam qui recipi ab his regionibus possit, qu[illisible chars][texte coupé] oppugnare constituis. Sed hæc res contra nos est. Ob h[illisible chars][texte coupé] ipsum te Græcia vincet, quod non capit. Uti toto te n[illisible chars][texte coupé] potes.
« Præterea, quæ una rebus salus est, occurrere ad prim[illisible chars][texte coupé] rerum impetus, et inclinatis opem ferre non valebis, n[illisible chars][texte coupé] fulcire ac firmare labantia. Multo ante vinceris, qua[illisible chars][texte coupé] victum esse te sentias.
« Ceterum, non est quod2 exercitum ob hoc sustine putes non posse, quia numerus ejus duci quoque ignott[illisible chars][texte coupé] est. Nihil tam magnum est, quod perire non possit, c[illisible chars][texte coupé] nascitur in perniciem, ut3 alia quiescant, ex ipsā magni[illisible chars][texte coupé] tudine suā causa. »
Acciderunt quæ Demaratus prædixerat : divina atqu[illisible chars][texte coupé] humana impellentem, et mutantem quidquid obstitera t[illisible chars][texte coupé] trecenti stare jusserunt ; stratusque per totam passim Græciam Xerxes intellexit quantum ab exercitu turba distaret4 Tum pudore quam damno miserior, Demarato gratias egit[illisible chars][texte coupé] quod solus sibi verum dixisset5, et permisit petere quo[illisible chars][texte coupé] vellet. Petit ille ut Sardes, maximam Asiæ civitatem curru vectus intraret, rectam capite tiaram gerens : id solidatum regibus.
Versio X.
Thraciœ regio, et prœcipue Getarum mores describuntur. §
10. Regio nec cœlo1 læta nec solo, et nisi quā mar[illisible chars][texte coupé] propior est, infecunda, frigida, eorum quæ seruntur {p. 196}maligne admodum patiens2, raro usquam pomiferam arborem, vitem frequentius tolerat : sed nec ejusdem fructu maturat ac mitigat, nisi ubi frigora objectu frondium cultores arcuere. Viros benignius alit, non ad speciem tamen sed ad ferociam et numerum. Paucos amnes qui in pelagu evadunt, verum celeberrimos, Hebrum et Strymona emittit. Montes interior attollit Hæmon3 et Rhodopen4 [illisible chars][texte coupé] Orbelon5, sacris Liberi Patris et cœtu Mænadum, Orphe[illisible chars][texte coupé] primum initiante, celebratos, e quīs6 Hæmos7 in tantu[illisible chars][texte coupé] altitudinis abit, ut Euxinum et Hadriam e summo vertic ostendat.
Una gens, Traces habitant, aliis aliisque præditi e nominibus et moribus. Quidam feri sunt, et ad morten paratissimi : Getæ utique. Id varia opinio perficit : ali[illisible chars][texte coupé] redituras8 putant animas obeuntium ; alii, etsi9 non redeant, non exstingui tamen, sed ad beatiora transire ; ali[illisible chars][texte coupé] emori quidem, sed id melius esse quam vivere. Itaque lugentur apud eos puerperia, natique deflentur : funera contra festa sunt, et veluti sacra cantu lusuque celebrantur[illisible chars][texte coupé] Ne10 feminis quidem, citra morem tot gentium, segnis es animus. Super mortuorum virorum corpora interfici simulque sepeliri, votum eximium habent : et quia11 plure[illisible chars][texte coupé] simul singulis viris nuptæ sunt, ad mortem eligi magn[illisible chars][texte coupé] certamine student. Id decus optimæ moribus datur. Mœren aliæ vocibus12, ita13 concedentes æmulæ, ut invidiā non abstineant, et cum acerbissimis planctibus fauste morituram ad rogum deducunt.
Versio XI.
De Siciliā. §
11. Siciliam ferunt angustis quondam faucibus Italiæ adhæsisse, diremptamque velut a1 corpore, majore impetu {p. 198}superi maris, quod toto undarum onere illuc vehitur. Es[illisible chars][texte coupé] autem ipsa terra tenuis ac fragilis ; et cavernis quibusda[illisible chars][texte coupé] fistulisque ita penetrabilis, ut ventorum tota ferme flatibu[illisible chars][texte coupé] pateat ; nec non et ignibus generandis nutriendisque so ipsius naturalis materia, quippe intrinsecus stratum sulphure et bitumine traditur : quæ res facit ut, spiritu cu[illisible chars][texte coupé]igne per interiora luctante, frequenter et compluribus loci nunc flammas, nunc vaporem, nunc fumum eructet. Ind[illisible chars][texte coupé] denique Ætnæ montis per tot secula durat incendium. [illisible chars][texte coupé]ubi acrior2 per spiramenta cavernarum ventus incubuit[illisible chars][texte coupé] arenarum moles egeruntur.
Proximum Italiæ3 promontorium Rhegium dicitur, ide[illisible chars][texte coupé] quia4 græce abrupta* hoc nomine pronuntiantur. Ne[illisible chars][texte coupé] mirum si5 fabulosa est loci hujus antiquitas, in quem re[illisible chars][texte coupé]tot coiere miræ. Primum quod nusquam alias tam torre[illisible chars][texte coupé] fretum, nec solum citato impetu, verum etiam sævo, nequ[illisible chars][texte coupé] experientibus modo terribile, verum etiam procul videntibus. Undarum porro inter se concurrentium tanta pugn[illisible chars][texte coupé] est, ut6 alias veluti terga dantes in imum desidere, alia quasi victrices in sublime ferri videas7 ; nunc hic fremitu[illisible chars][texte coupé] ferventis æstus, nunc illic gemitum in voraginem desidenti[illisible chars][texte coupé] exaudias. Hinc igitur fabulæ Scyllam et Charybdim pe[illisible chars][texte coupé] perere. Neque hoc ab8 antiquis in dulcedinem fingen[illisible chars][texte coupé] compositum, sed metu9 et admiratione transeuntium.
Versio XII.
Eurydice iterum Orpheo eripitur. §
12. Jamque pedem referens* casus evaserat omnes,Redditaque Eurydice superas veniebat ad auras,Pone sequens (namque hanc dederat Proserpina legem) ;Quum subita incautum dementia cepit amantem,Ignoscenda quidem, scirent si ignoscere Manes.Immemor, heu ! victusque animi2, respexit… ibi omnisEffusus labor, atque immitis rupta tyranniFœdera, terque fragor stagnis auditus Avernis.Illa, « Quis et me, inquit, miseram, et te perdidit, Orpheu3 ?Quis tantus furor ? En iterum crudelia retroFata vocant, conditque natantia lumina somnus.Jamque vale : feror ingenti circumdata nocte,Invalidasque tibi tendens, heu ! non tua, palmas. »Dixit, et ex oculis subito, ceu fumus in aurasCommixtus tenues, fugit diversa : neque illumPrensantem nequicquam umbras, et multa volentemDicere, præterea vidit ; nec portitor OrciAmplius objectam passus transire paludem.Quid faceret4 ? Quo se raptā bis conjuge ferret ?Quo fletu Manes, quā numina voce moveret ?Illa quidem Stygiā nabat jam frigida cymbā.Septem illum totos perhibent ex ordine menses,Rupe sub5 aeriā, deserti ad Strymonis undamFlevisse, et gelidis hæc evolvisse sub antris,Mulcentem tigres, et agentem carmine quercus.
Versio XIII.
De Musice. §
13. Quis ignorat musicen tantum jam antiquis temporibus non studii modo, verum etiam venerationis habuisse, ut iidem musici et vates et sapientes judicarentur ? Mittam alios ; Orpheus et Linus : quorum utrumque diis1 genitum, alterum vero, quod2 rudes atque agrestes animos admiratione mulceret, non feras modo, sed saxa etiam silvasque duxisse, posteritatis memoriæ traditum est. Et Timagenes auctor est omnium in litteris studiorum antiquissimam musicen exstitisse ; et testimonio sunt clarissimi poetæ, apud quos inter regalia convivia laudes heroum ac deorum {p. 202}ad citharam canebantur. Iopas* vero ille Virgilii nonne canit errantem lunam, solisque labores ? Quibus certe palam confirmat auctor eminentissimus illam artem cum divinarum etiam rerum cognitione esse conjunctam. Atque claros nomine sapientiæ viros nemo dubitaverit studiosos musices fuisse3 : quum4 Pythagoras, atque eum secuti, acceptam sine dubio antiquitus, opinionem vulgaverint, mundum ipsum eā ratione esse compositum, quam postea sit5 lyra imitata. Quid de philosophis loquor, quorum fons ipse Socrates jam senex institui lyra non erubescebat ? Et Lycurgus, durissimarum Lacedæmoniis legum auctor, musices disciplinam probavit : quā quidem ejus gentis exercitus ad pugnam accendi solitos fuisse traditum accepimus. Atque illam natura ipsa videtur ad tolerandos facilius labores velut muneri6 nobis dedisse. Siquidem et remiges cantus hortatur ; nec solum in iis operibus, in quibus plurium conatus, præeunte aliquā jucundā voce, conspirat ; sed etiam singulorum fatigatio quamlibet se rudi modulatione solatur.
Versio XIV.
Corruptus in Africā Romanorum exercitus ad veterem disciplinam a Metello revocatur. §
14. Metellus, ubi primum magistratum ingressus est, ad bellum quod cum Jugurthā gesturus erat animum intendit, Igitur, diffidens veteri exercitui, milites scribere1, præsidia undique arcessere ; arma, tela, equos, cetera instrumenta militiæ parare ; ad hoc commeatum affatim, deniqu[illisible chars][texte coupé] omnia quæ bello vario et multarum rerum egenti usui ess[illisible chars][texte coupé] solent. Ceterum ad ea patranda, senati2 auctoritate soci {p. 204}nomenque latinum, reges ultro auxilia mittere* ; postremo omnis civitas summo studio adnitebatur*. Itaque, ex3 sententiā omnibus rebus paratis compositisque, in Numidiam proficiscitur, magnā spe civium, quum4 præter bonas artes, tum maxume** quod advorsum** divitias animum invictum gerebat, et avaritiā magistratuum ante id tempus in Numidiā Romanorum opes contusæ, hostiumque auctæ fuerant.
Sed ubi in Africam venit, exercitus ei traditur a Sp. Albino proconsule iners, imbellis, neque periculi neque laboris patiens, linguā quam manu promptior, prædator ex sociis, et ipse præda hostium, sine imperio et modestiā habitus. Ita imperatori novo plus ex malis moribus sollicitudinis, quam ex copiā militum auxilii aut bonæ spei accedebat. Statuit tamen Metellus, quanquam5 et æstivorum tempus comitiorum mora imminuerat, et exspectatione eventi6 civium animos intentos putabat, non prius bellum attingere, quam majorum disciplinā milites laborare coegisset.
Versio XV.
Sequitur de disciplinā a Metello restitutā. §
15. Nam Albinus, quantum temporis æstivorum in imperio fuit, plerumque milites stativis castris1 habebat, nisi quum odos* aut pabuli egestas locum mutare subegerat. Sed neque muniebantur, neque more militari vigiliæ deducebantur : uti cuique lubebat, ab signis aberat. Lixæ permixti cum militibus die noctuque vagabantur ; et palantes agros vastare**, villas expugnare, pecoris et mancipiorum prædas certantes agere, eaque mutare cum mercatoribus {p. 206}vino advectitio, et aliis talibus ; præterea frumentum publice datum vendere ; panem in2 dies mercari : postremo quæcunque dici aut fingi queunt ignaviæ luxuriæque probra, in illo exercitu cuncta fuere, et alia amplius.
Sed in eā difficultate Metellum non minus quam in rebus hostilibus magnum et sapientem virum fuisse civitas comperta est, tantā temperantiā inter ambitionem sævitiamque moderatum. Namque edicto primum adjumenta ignaviæ sustulisse, ne quisquam in castris panem aut quem alium coctum cibum venderet3, ne lixæ exercitum sequerentur, ne miles gregarius in castris, neve in agmine servum aut jumentum haberet : ceteris arte modum statuisse. Præterea transvorsis itineribus quotidie castra movere ; juxta ac si hostes adessent, vallo atque fossā munire, vigilias crebras ponere, et ipse cum legatis circumire ; item in agmine, in primis modo, modo in postremis, sæpe in medio adesse, ne quispiam ordine egrederetur4, uti cum signis frequentes incederent, miles cibum et arma portaret.
Ita prohibendo a delictis magis quam vindicando exercitum brevi confirmavit.
Versio XVI.
De Homine. §
16 Hominis causā, ut ait quidam e profanis scriptoribus, videtur cuncta alia genuisse natura, magnā sæva mercede contra tanta sua munera : ut1 non satis sit æsti mare, parens melior homini, an2 tristior noverca fuerit Ante omnia, unum animantium cunctorum alienis vela opibus : ceteris varie tegumenta tribuit, testas, cortices coria, spinas, villos, setas, pilos, plumam, pennas, squamas, vellera. Truncos etiam arboresque cortice, interdum gemino, a frigoribus et calore tutata est. Hominem tantum nudum, et in nudā humo, natali die abjicit ad vagitus statim et ploratum. At hercules3 ! risus, præcox ille e celerrimus, ante quadragesimum diem nulli datur.
{p. 208}Ab4 hoe lucis rudimento, quæ5 ne feras quidem inter nos genitas, vincula excipiunt, et omnium membrorum nexus : itaque feliciter natus jacet, manibus pedibusque devinctis, flens, animal ceteris imperaturum ; et a suppliciis vitam auspicatur, unam tantum ob culpam, quia6 natum est. Heu ! dementiam7 ab8 his initiis existimantium ad superbiam se genitos !
Uni animantium luctus est datus, uni luxuria, et quidem innumerabilibus modis, ac per singula membra : uni ambitio, uni avaritia, uni immensa vivendi cupido, uni superstitio, uni sepulturæ cura, atque etiam post se de futuro. Nulli vita fragilior, nulli rerum omnium libido major, nulli pavor confusior, nulli rabies acrior. Denique cetera animalia in suo genere probe degunt : congregari videmus, et stare contra dissimilia. At hercules ! homini plurima ex homine mala sunt.
Versio XVII.
Parasitus, vel Adulator. §
17. Dii immortales, homini homo quid1 præstat ! Stulto intelligensQuid interest ! Hoc adeo ex hac re venit in mentem mihi.Conveni hodie adveniens quemdam mei loci hinc atque ordinis,Hominem haud impurum, itidem patria qui abligurierat bona.Video sentum, squalidum, ægrum, pannis annisque obsitum.Quid istuc, inquam, ornati2 est ? — Quoniam miser, quod habui perdidi.Hem ! quo redactus sum ? Omnes noti me atque amici deserunt.Hic ego illum contempsi præ3 me : Quid ? homo, inquam, ignavissime,Ita ne parasti te ut spes nulla reliqua in te siet* tibi ?Simul consilium cum re amisti4 ? Viden’me ex eodem ortum loco ?Qui color, nitor, vestitus, quæ habitudo est corporis ?Omnia habeo, nec5 quidquam habeo. Nil quum est, nil defit tamen.— At ego infelix neque ridiculus esse, neque plagas pati{p. 210}Possum. — Quid ? tu his rebus credis fieri ? Totā erras viā.Olim isti fuit generi quondam quæstus apud seclum prius.Hoc novum est aucupium ; ego adeo hanc primus inveni viam.Est genus hominum, qui esse primos se omnium rerum volunt,Nec sunt. Hos consector : hisce ego non paro me ut rideant,Sed eis ultro arrideo, et eorum ingenia admiror simul :Quidquid6 dicunt, laudo ; id rursum si negant, laudo id quoque :Negat quis, nego ; ait, aio ; postremo, imperavi egomet mihiOmnia assentari : is quæstus nunc est multo7 uberrimus.
Versio XVIII.
Nero artifex. §
18. Inter ceteras disciplinas pueritiæ tempore imbutus et musicā, statim ut principatum adeptus est, Terpnum citharœdum vigentem tunc præter alios accersiit, diebusque continuis post cœnam canenti in1 multam noctem assidens, paulatim et ipse meditari exercerique cœpit, nec eorum quidquam omittere, quæ generis ejus artifices, vel conservandæ vocis causā vel augendæ, factitarent : donec blandiente profectu, quanquam exiguæ vocis et fuscæ, prodire in scenam concupivit, subinde inter familiares græcum proverbium jactans, occultœ musicœ nullum esse respectum. Et prodiit Neapoli primum. Captus autem modulatis Alexandrinorum laudibus2, qui de novo commeatu Neapolim3 confluxerant, plures Alexandriā4 evocavit. Neque eo5 segnius adolescentulos equestris ordinis, et quinque amplius6 millia e plebe robustissimæ juventutis undique elegit, qui7 divisi in8 factiones plausuum genera condiscerent, operamque ipsi, non mediocri auctoramento, navarent. Quum magni9 æstimaret cantare, etiam Romæ Neroneum agona ante præstitutam diem revocavit ; flagitantibusque cunctis cœlestem vocem, nomen suum in albo profitentium {p. 212}citharœdorum jussit adscribi, sorticulāque in urnam cum ceteris demissā, intravit ordine suo, simul præfecti prætorii citharam sustinentes, post tribuni militum, juxtaque amicorum intimi. Utique constitit, peracto principio, Nioben se cantaturum per Cluvium Rufum consularem pronuntiavit, et in horam fere decimam perseveravit, coronamque eam et reliquam certaminis partem in sequentem annum distulit, ut canendi sæpius esset occasio.
Versio XIX.
Quœdam de Tito Flavio Domitiano. §
19. Ille inter initia principatūs usque adeo ab omni cæde abhorrebat, ut recordatus Virgilii versus ;
Ante1Impia quam cæsis gens est epulata juvencis :
edicere destinaverit ne2 boves immolarentur3. Cupiditatis quoque atque avaritiæ vix suspicionem ullam aut privatus unquam, aut princeps aliquandiu dedit, imo e diverso magnæ sæpe non abstinentiæ modo, sed etiam liberalitatis experimenta. Omnes circa se largissime prosecutus, nihil prius aut acrius monuit, quam ne4 quid5 sordide facerent6. Fiscales calumnias magnā calumniantium pœnā repressit, ferebaturque vox ejus : Princeps qui delatores non castigat, irritat. Sed neque in clementiæ, neque in abstinentiæ tenore permansit : et tamen aliquanto celerius ad sævitiam descivit, quam ad cupiditatem. Discipulum Paridis, ab ipso ante necati, pantomimum, impuberem adhuc, et quum7 maxime ægrum, quod arte formāque non absimilis magistro videbatur, occidit ; item Hermogenem Tarsensem, propter quasdam in historiā figuras ; librariis etiam qui eam descripserant, crucifixis. Ne autem singula persequar, erat non solum magnæ, sed et callidæ inopinatæque sævitiæ. {p. 214}Et quo8 contemptius abuteretur patientiā hominum, nunquam tristiorem sententiam, sine præfatione clementæ pronuntiavit : ut9 non aliud jam certius atrocis exitūs signum esset, quam principii lenitas.
Exhaustus operum ac munerum impensis, nihil pens habuit quin10 prædaretur omni modo. Bona vivorum e mortuorum usquequaque, quolibet et accusatore et crimine corripiebantur : satis erat objici11 qualecunque factum dictumque adversus principis majestatem.
Versio XX.
Mores Romanorum imperante Gallo. §
20. Quidam æternitati se commendari posse per statuas æstimantes, eas ardenter affectant, quasi plus præmii figmentis aureis adepturi, quam e conscientia honeste recteque factorum. Alii summum decus in carrucis solito altioribus et ambitioso vestium cultu ponentes, sudant sul ponderibus lacernarum, quas sibulis aureis adnectunt collo Alii, nullo1 quærente, vultūs severitate2 adsimulatā, patrimonia sua in3 immensum extollunt, cultorum, ut putant feracium multiplicantes annuos fructus, quæ a primo a[illisible chars][texte coupé] ultimum solem se abunde jactitant possidere. Ignoran profecto majores suos, per quos Romana ista magnitud[illisible chars][texte coupé] porrigitur, non divitiis eluxisse, sed per bella sævissima nec opibus, nec victu, nec indumentorum vilitate a gregariis militibus discrepantes, opposita cuncta virtute superasse. Hinc e collatitiā stipe Valerius humatur4 ille Publicola ; e subsidiis amicorum mariti inops alitur cum liberi uxor Reguli ; dotatur ex ærario filia Scipionis, quum5 nobilitas florem adultæ virginis marcere diuturnā absentiā pauperis erubesceret patris. Nunc si ad aliquem bene num matun tumentemque loculis honestus advena salutatun {p. 216}introiveris, primitiis tanquam exoptatus susciperis ; et interrogatus multa6, multa7 miraris, nunquam antea visus, summatem virum8 te sic enixius observantem : ut9 pœniteat hæc bona tanquam omnium maxima non novisse ante10 decennium. Romanā affabilitate confisus, quum eadem postridie feceris, te ut incognitum et repentinum habet, et quis sis11, vel unde venias, diu ambigit.
Versio XXI.
Salonis oppugnatio. §
21. Octavius* concitatis Dalmatis reliquisque barbaris, Issam**a Cæsaris amicitiā avertit, conventum vero Salonis*** neque pollicitationibus, neque denuntiatione periculi permovere potuit. Oppidum et loci naturā et colle munitum oppugnare instituit : sed celeriter cives ligneis effectis turribus, iis sese munierunt ; et quum essent infirmi ad resistendum, propter paucitatem hominum, crebris confecti vulneribus, ad extremum auxilium descenderunt, servosque omnes puberes liberaverunt, et præsectis omnium mulierum crinibus, tormenta effecerunt.
Quorum cognitā sententiā, Octavius quinis1 castris oppidum circumdedit, atque uno tempore obsidione et oppugnatione eos premere cœpit. Illi, omnia perpeti parati, maxime a2 re frumentariā laborabant. Quare missis ad Cæsarem legatis, auxilium ab eo petebant ; reliqua, ut poterant, incommoda sustinebant. At, longo interposito spatio, quum3 diuturnitas oppugnationis negligentiores Octavianos effecisset, nacti occasionem meridiani temporis discessu eorum, pueris mulieribusque in muro dispositis, ne quid4 quotidianæ consuetudinis desideraretur5, ipsi, {p. 218}manu factā cum iis quos nuper liberaverant, in proxima Octavii castra irruperunt : iis expugnatis, altera6 sunt adorti, inde tertia et quarta, et deinceps reliqua, omnibusque eos castris expulerunt, et magno numero interfecto, reliquos atque ipsum Octavium in naves confugere coegerunt.
Hic fuit oppugnationis exitus. Jam hiems appropinquabat ; et tantis detrimentis acceptis, Octavius, desperatā oppugnatione, Dyrrachium7 sese ad8 Pompeium recepit.
Versio XXII.
Alcibiadis vitia et virtutes. §
22. Alcibiades, Cliniæ filius, Atheniensis. In hoc natura quid1 efficere possit videtur experta. Constat enim inte[illisible chars][texte coupé]omnes qui de eo memoriæ prodiderunt, nihil illo fuiss[illisible chars][texte coupé] excellentius vel in vitiis vel in virtutibus. Natus in amplissimā civitate, summo genere, omnium ætatis suæ multo formosissimus, ad omnes res aptus consiliique plenus Namque imperator fuit summus mari et terrā ; disertus ut imprimis dicendo valeret ; et tanta erat commendatio oris atque orationis, ut3 nemo ei dicendo posset resistere Deinde, quum tempus posceret, laboriosus, patiens, liberalis, splendidus non minus in vitā quam in victu ; affabilis, blandus, temporibus callidissime inserviens : idem simul ac se remiserat, nec causa suberat quare4 anim[illisible chars][texte coupé] laborem perferret, luxuriosus, dissolutus, libidinosus, intemperans reperiebatur : ut5omnes admirarentur in un homine tantam inesse dissimilitudinem tamque diversam naturam.
Educatus est in domo6Periclis (privignus enim eju[illisible chars][texte coupé] fuisse dicitur), eruditus a Socrate. Socerum habuit Hipponicum, omnium Græcā linguā loquentium ditissimum[illisible chars][texte coupé] Sic vir ille, natalibus, divitiis, formā, propenso favor[illisible chars][texte coupé] civium, ingenio ad invidiam usque conspicuus, luculenti {p. 220}etiam usus7 est magistris, optimas sortitus est affinitates : ut8, si9 ipse singere se vellet, neque plura bona comminisci, neque majora posset consequi, quam vel fortuna vel natura tribuerat.
Versio XXIII.
De Themistocle. §
23. Themistocles, Neoclis filius, Atheniensis. Hujus vitia ineuntis adolescentiæ magnis sunt emendata virtutibus : adeo ut anteferatur huic nemo, pauci pares putentur. Pater ejus, Neocles, generosus fuit. Is uxorem Halicarnassiam civem duxit, ex1 quā natus est Themistocles. Qui quum2 minus esset probatus parentibus, quod3 et liberius vivebat, et rem familiarem negligebat, a patre exhæredatus est. Quæ contumelia non fregit eum, sed erexit. Nam, quum4 judicasset sine summā industriā non posse eam exstingui, totum se dedit reipublicæ, diligentius5amicis famæque serviens. Multum in judiciis privatis versabatur, sæpe in concionem populi prodibat ; nulla res major6 sine eo gerebatur ; celeriterque, quæ7 opus erant, reperiebat, facile eadem oratione explicabat. Neque minus in rebus gerendis promptus erat quam excogitandis : quod8« et de instantibus (ut ait Thucydides)verissime judicabat, et de futuris callidissime conjiciebat. » Quo factum est ut brevi tempore illustraretur9.
Primus autem gradus fuit capessendæ reipublicæ bello Corcyræo ; ad quod gerendum prætor a populo factus, non solum præsenti bello, sed etiam reliquo tempore ferociorem reddidit civitatem. Nam, quum10pecunia publica, quæ ex metallis redibat, largitione magistratuum quotannis interiret, ille persuasit populo ut eā pecuniā classis centum navium ædificaretur11. Quā celeriter effectā, primum Corcyræos fregit : deinde maritimos prædones consectando, mare tutum reddidit. In quo, quum12 divitiis ornavit, tum peritissimos belli navalis fecit Athenienses.
{p. 222}Versio XXIV.
Quo genere solitus sit philosophus Socrates exercere patientiam. §
24. Inter labores voluntarios et exercitia corporis ad fortuitas patientiæ vices firmandi, id quoque accepimus Socratem facere insuevisse. Stare solitus dicitur, pertinaci statu, perdius atque pernox, a summo lucis ortu ad solem alterum orientem, iisdem in vestigiis, et ore atque oculis in eumdem locum directis cogitabundus, tanquam quodam secessu mentis atque animi facto a corpore. Quam rem quum Favorinus, de fortitudine ejus viri ut1 pleraque disserens, attigisset : « Πоλλάϰις*, inquit, ἐξ ήλίоν εἰς ἥλιоν έστήϰει ἀστραϐέστερоς τῶν πρέμνων . » Temperantiā quoque eum2 fuisse tantā traditum est, ut3 omnia fere vitæ suæ tempora4 valetudine inoffensā vixerit. In illius etiam pestilentiæ vastitate, quæ in bello Peloponnesiaco in primis ipsam Atheniensium civitatem internecino genere morbi depopulata est, is parcendi moderandique rationibus dicitur et a voluptatum labe cavisse, et salubritates corporis retinuisse : ut5 nequaquam fuerit communi omnium cladi obnoxius.
Ejusdem uxor Xanthippe morosa admodum fuisse fertur et jurgiosa. Cujus in maritum intemperies Alcibiades demiratus, interrogavit Socratem, quænam6 ratio esset, cur7 mulierem tam acerbam domo8 non exigeret. Quoniam9, inquit Socrates, quum illam domi10 talem perpetior, insuesco et exerceor ut ceterorum quoque foris petulantiam et injurias facilius feram.
Versio XXV.
Qualem esse deceat patronum. §
25. Nunquam patronus ad dicendum accedet cupiditate laudis et gloriæ adductus, multo minus spe mercedis et {p. 224}lucri. Paciscendi quidem iste piraticus mos, et imponentium periculis pretia procul abominanda negotiatio, longe ab illo aberit. Si1 sufficientia sibi (modica autem hæc sunt), possidebit, turpe ducet vendere operam, et sordido quæstu elevare tanti beneficii auctoritatem. Non defendet ille nisi viros bonos : nunquam injusta2 tuebitur sciens, nec portum illum eloquentiæ salutarem etiam piratis patefaciet.
Ante omnia liberum iis quorum negotia susceperit, tempus concedet, quamlibet verbose res suas exponant : memo[illisible chars][texte coupé] scilicet supervacua3 cum tædio audiri, necessaria cum periculo subtrahi : neque adeo pluribus se causis onerar sinet, quam quas optime tueri possit. Litis omne instrumentum per se ipse diligenter scrutabitur, neque ad [illisible chars][texte coupé] sequestram alterius fidem et operam adhibebit.
Nunquam a viro bono in rabulam latratoremque conversus, caninam, ut aiunt, eloquentiam asperis maledicti[illisible chars][texte coupé] exercebit. Turpis hæc voluptas, et inhumana, et null audientium bono grata, a4 litigatoribus frequenter exigitur, qui ultionem malunt quam defensionem. At si5 qui[illisible chars][texte coupé] modo liberi sanguinis habeat, non sustinebit petulans ess[illisible chars][texte coupé] ad alterius arbitrium ; tantumque6 aberit ut illos imitetu qui conviciis sæpe fictis implent vacua7 causarum, modo sit ingenii materia, ut ne vera quidem sit objecturus, nis prorsus id causæ necessitas postulet.
Versio XXVI.
Alba diruitur. §
26. Jam præmissi Albam erant equites, qui1 multitudinem traducerent2 Romam. Legiones deinde ductæ a diruendam urbem. Quæ ubi intravere portas, non quide[illisible chars][texte coupé] fuit tumultus ille, nec pavor, qualis captarum esse urbiu[illisible chars][texte coupé] solet, quum effractis portis, stratisve ariete muris, au {p. 226}arce vi captā, clamor hostilis, et cursus per urbem armatorum omnia ferro flammāque miscet3 : sed silentium triste ac tacita mœstitia ita defixit4 omnium animos, ut, præ5 metu obliti quid relinquerent6, quid secum ferrent, deficiente consilio, rogitantesque alii7 alios, nunc in liminibus starent, nunc errabundi domos suas, ultimum illud8 visuri, pervagarentur. Ut vero jam equitum clamor exire jubentium instabat, jam fragor tectorum quæ diruebantur ultimis urbis partibus audiebatur, pulvisque ex distantibus locis ortus, velut nube inductā, omnia compleverat, raptim quibus9 quisque poterat elatis, quum larem ac penates tectaque in quibus natus quisque educatusque esset relinquentes exirent10, jam continens agmen migrantium impleverat vias : et conspectus aliorum mutuā miseratione integrabat lacrymas, vocesque etiam miserabiles exaudiebantur, mulierum præcipue, quum obsessa ab armatis templa augusta præterirent, ac velut captos relinquerent11 deos.
Egressis urbe Albanis, Romanus passim publica privataque omnia tecta adæquat solo, unaque hora quadringentorum annorum opus, quibus12 Alba steterat, excidio ac ruinis dedit. Templis tamen deum (ita enim edictum ab rege fuerat) temperatum est.
Versio XXVII.
Quœdam de genere Druidum, apud Gallos. §
27. Disciplina Druidum in Britanniā reperta, atque inde in Galliam translata1 esse existimatur : et nunc, qui diligentius eam rem cognoscere volunt, plerumque illo discendi causā proficiscuntur.
Druides a bello abesse consueverunt2, neque tributa una cum reliquis pendunt ; militiæ vacationem omniumque rerum habent immunitatem. Tantis excitati præmiis, et {p. 228}suā sponte3 multi in disciplinam conveniunt, et a parentibus propinquisque mittuntur. Magnum ibi numerum versuum ediscere dicuntur : itaque annos nonnulli vicenos4 indisciplinā permanent. Neque fas esse existimant ea litteri[illisible chars][texte coupé] mandare, quum5 in reliquis fere rebus publicis, privatisque rationibus, græcis utantur litteris. Id mihi duabus de causi[illisible chars][texte coupé] instituisse videntur : quod6 neque in vulgum disciplinam[illisible chars][texte coupé] efferri velint, neque eos qui7 discant, litteris confisos memoriæ minus studere ; quod8 fere plerisque accidit, ut, præsidio litterarum, diligentiam in perdiscendo ac memoriam remittant. In primis hoc volunt persuadere, non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios ; atque hoc maxime ad virtutem excitari putant, metu mortis neglecto.
Multa præterea de sideribus atque eorum motu, de mundi ac terrarum magnitudine, de rerum naturā, de deorum immortalium vi ac potestate disputant, et juventuti transdunt.
Versio XXVIII.
In maritimis urbibus citius quam in mediterraneis morum disciplinam corrumpi. §
28. Est maritimis urbibus quædam corruptela ac mutatio morum : admiscentur enim novis sermonibus ac disciplinis, et importantur non merces solum adventitiæ, sed etiam mores : ut1 nihil possit in patriis institutis manere integrum. Jam qui incolunt eas urbes, non hærent in suis sedibus, sed volucri semper spe ac cogitatione rapiuntur a domo longius2 ; atque etiam quum manent corpore3, animo tamen excurrunt et vagantur. Nec vero ulla res magis labefactatam diu et Carthaginem et Corinthum pervertit aliquando, quam hic error ac dissipatio civium, quod, mercandi cupiditate4 et navigandi, et agrorum et armorum cultum reliquerant.
{p. 230}Multa etiam ad luxuriam invitamenta perniciosa civitatibus suppeditantur mari5, quæ vel capiuntur, vel importantur ; atque habet jam locorum amœnitas ipsa vel sumptuosas vel desidiosas illecebras multas cupiditatum. Et quod de Corintho dixi, id6 haud scio an7 liceat de cunctā Græciā verissime dicere. Nam et ipse Peloponnesus fere tota in mari est ; et extra Peloponnesum Ænianes et Dores et Dolopes soli absunt a mari. Quid8 dicam insulas Græciæ ? Quæ fluctibus cinctæ, natant pæne ipsæ simul cum civitatum institutis et moribus. Coloniarum vero quæ est deducta a Graiis in Asiam, Thraciam, Italiam, Siciliam, Africam, præter unam Magnesiam, quam unda non alluat ? Ita barbarorum agris quasi quædam attexta videtur ora esse Græciæ.
Versio XXIX.
L. Junii Bruti ingenium. §
29. Sæviente Tarquinio superbo exstitit L. Junius Brutus, ad hæc tempora servatus fatis, ut grave servitutis jugum Romanis demeret1. Excelso animo pollens, ejusdem, quum opus esset, callidus dissimulator. Ita sui potens, ut inclusa diu compressaque illa ingenii lux, non prius quam necesse fuit2, erumperet. Suæ rei negligens3 publicæ studiosissimus ; spiritus ingens, audaciæ plurimum et consilii ; peritus animorum artifex, quos4 ad arbitrium fingeret ; par unus toti regiæ stirpi, quam in exsilium ejecit. Parens, vindex, custosque libertatis, cujus tam ace[illisible chars][texte coupé] in eo sensus, ut5 alios omnes sensus exstingueret. Hujus enim condendæ tempus opperiens, se ipsum exuerat ; u conditam servaret, patrem exuit, libertatis amores, modo stolidum se, modo immisericordem gerens. Hanc collegæ hanc natis, hanc vitæ suæ prætulit, in ipsā tuendā morten oppetens, vir non magis ad initium stabiliendæ6 libertatis datus, quam ad exemplum retinendæ. Ex illo quasi fomito. {p. 232}exarsit apud Romanos patriæ tantus amor, ut7 eam vel[illisible chars][texte coupé] carissimis necessitudinibus et capiti etiam suo anteponere in moribus fuerit. Quin etiam Bruti nomen ita conjunctum fuit cum fato libertatis, ut8, illo quasi nomine inclusa hinc et inde libertas, Brutum primum conditorem nascendo habuerit, Brutum* ultimum suī9 vindicem cadendo secum traxerit.
Versio XXX.
Plinii Cœcilii Secundi ad amicum epistola de Virginii Rufi exsequiis. §
30. Hujus viri exsequiæ magnum ornamentum principi, magnum sæculo, magnum etiam foro et rostris attulerunt. Laudatus est a consule Cornelio Tacito : nam hic supremus felicitati ejus cumulus accessit, laudator eloquentissimus ; et ille quidem plenus annis obiit, plenus honoribus, iis etiam quos recusavit. Nobis1 tamen quærendus ac desiderandus est, ut exemplar ævi prioris ; mihi vero præcipue, qui illum non solum publice, sed etiam privatim, quantum2 admirabar, tantum diligebam : Primum quod utrique eadem regio, municipia finitima, agri etiam possessionesque conjunctæ3 ; præterea quod4 ille, tutor mihi relictus, affectum parentis exhibuit. Sic candidatum me suffragio ornavit, sic ad omnes honores meos ex secessibus accurrit, quum jam pridem ejusmodi officiis renuntiasset.
Quibus ex causis aliisque necesse5 est tanquam immaturam mortem ejus in sinu tuo defleam : si tamen fas est aut flere, aut omnino mortem vocare, quā tanta viri mortalitas magis finita, quam vita, est. Vivit enim vivetque semper, atque etiam latius in memoriā hominum ac sermone versabitur, postquam6 ab oculis recessit.
Volui tibi multa alia scribere, sed totus animus in hac unā contemplatione defixus est. Virginium cogito, {p. 234}Virginium video, Virginium jam vanis imaginibus, recentibus tamen, audio, alloquor, teneo : cui fortasse cives aliquos virtutibus pares et habemus, et habebimus, gloriā neminem.
Versio XXXI.
Prœcepta Musarum. §
31. … Musis, animus dum mollior1, instes,Et quæ2 mox imitere, legas : nec desinat unquamTecum graia loqui, tecum romana vetustas.Antiquos evolve duces, assuesce futuræMilitiæ ; latium retro te confer in ævum.Libertas quæsita placet3 ? Mirabere Brutum.Perfidiam damnas ? Metii satiabere pœnis.Triste4 rigor nimius ? Torquati despue mores.Mors impensa bonum5 ? Decios venerare ruentes.Vel solus quid6 fortis agat, te, ponte soluto,Oppositus Cocles, Mucii te flamma docebit ;Quid mora perficiat, Fabius ; quid rebus in arctisDux gerat, ostendet Gallorum strage Camillus.Discitur hinc nullos meritis obsistere7casus :Prorogat æternam feritas, tibi, punica famam,Regule ; successus superant adversa8 Catonis.Discitur hinc quantum paupertas sobria possit :Pauper erat Curius, reges quum vinceret armis ;Pauper Fabricius, Pyrrhi quum sperneret aurum.Sordida Serranus flexit dictator aratra ;Lustratæ lictore casæ, fascesque salignisPostibus affixi ; collectæ consule messes,Et sulcata diu trabeato rura colono.
Versio XXXII.
Laudatur Theodosii continentia. §
32. Ubi primum principatum, Auguste, adeptus es, non contentus ipse ultra vitia recessisse1, alienis vitiis corrigendis curam adjecisti ; idque moderate : ut2 suadere potius honesta, quam cogere, videreris. Et quia3 vel longo Orientis usu, vel multorum retro principum remissione, tantus quosdam luxus invaserat, ut adulta consuetudo lasciviæ haudquaquam facile videretur obtemperatura medicinæ, ne4 qui se5 pati injuriam putaret6, a te voluisti incipere censuram, et impendia palatina minuendo7, nec solum abundantem rejiciendo sumptum, sed vix necessarium usurpando demensum, quod naturā difficillimum est, emendasti volentes. An quis ferret8 moleste ad principis semet9 modum coerceri ? Aut subtractum sibi doleret de privatā luxuriā, quum10 videret imperatorem, rerum potentem, terrarum hominumque dominum, parce contenteque viventem, modico et castrensi cibo jejunia longa solantem ? Ad hoc aulam omnem spartanis gymnasiis duriorem, laboris, patientiæ, frugalitatis exemplis abundantem ? Neminem unum inveniri, qui auderet ad penum regiam flagitare remotorum littorum piscem, peregrini aeris volucrem, alieni temporis florem ?
Nam delicati illi ac fluentes, et quales tulit sæpe respublica, parum se lautos putabant, nisi luxuria vertisset annum, nisi hybernæ poculis rosæ innatassent, nisi æstivā in gemmis capacibus glacie falerna fregissent. Quin horum gulæ angustus erat noster orbis. Tuæ, imperator, epulæ, mensis communibus parciores, locorum ac temporum fructibus instruuntur. Hinc certatim in omnes luxuriæ pudor, parcimoniæ cultus inolevit, et quiescentibus legum minis, {p. 238}subiit quemque privatim sui pœnitentia. Sic est enim, sic est : exasperat homines imperata correctio, blandissime jubetur exemplo.
Versio XXXIII.
Bene esse gentibus sub unius imperio, et eodem hœreditario, positis. §
33. Quid causæ fuisse putatis cur1 illa romanæ ditionis, tam diu, tam late formidanda, moles intra breve temporis spatium collisa comminutaque dissiluerit ? Nullus monstrabatur populis certā2 lege constitutus hæres, qui3 et avidos novarum rerum multitudinis animos compesceret, et inhiantium dominatui factiosorum hominum ambitionem frænaret. Itaque audacissimus4 quisque ad imperium, velut prædæ relictum, Thrax, Syrius, Illyrius, Hispanus, alii5 aliis artibus, quidam etiam per trucidati decessoris corpus grassabantur.
Interim in novi cujusque imperatoris exortu, nova foris bella, novæ domi seditiones exsurgere6. Quippe deerat7 vis ac majestas imperio, quod a8 militibus tanquam precario acceptum, pravā in eos indulgentiā, ac suā servitute redimere cogebantur. Igitur dissolvi9 paulatim, velut laxis10 compagibus, immane corpus, et crebro emotum succussu dehiscere, labefactari, ruere : adeo11 potentissimis etiam imperiis plus est in unius hæredis pueruli animulā, quam in classibus legionibusque, momenti ! Quem natum in regiā, in solii gradibus educatum, alumnum prius suorum civium quam regem, in eamque spem statim ab ipsā infantiā populorum oculis subjectum, ubi necesse est, patri succedentem, non recens adscita, sed prope nascenti impressa, et oculorum etiam assuetudine confirmata majestas ambit et commendat.
{p. 240}Versio XXXIV.
C. Plinius Sosio Senecioni salutem. §
34. Magnum proventum poetarum annus hic attulit. Toto mense aprili nullus fere dies, quo non recitaret aliquis. Juvat1 me, quod2 vigent studia, proferunt se ingenia hominum, et ostentant ; tametsi3 ad audiendum pigre coitur4. Plerique in stationibus sedent, tempusque audiendi fabulis conterunt, ac subinde sibi5 nuntiari jubent, an jam recitator intraverit6, an dixerit præfationem, an ex magnā parte evolverit librum : tum demum, ac tunc quoque lente cunctanterque veniunt, nec tamen permanent, sed ante finem recedunt, alii dissimulanter et furtim, alii simpliciter et libere. At hercule, memoriā parentum, Claudium Cæsarem ferunt, quum in palatio spatiaretur, audissetque clamorem, causam requisisse : quumque dictum esset recitare7 Nonianum, subitum recitanti inopinatumque venisse. Nunc otiosissimus8 quisque, multo9 ante rogatus, et identidem admonitus, aut non venit, aut si10 venit, queritur11 se diem, quia12 non perdiderit, perdidisse. Sed tanto13 magis laudandi probandique sunt, quos a scribendi recitandique studio auditorum vel desidia vel superbia non retardat. Equidem prope nemini defui : erant sane plerique amici. Quibus ex causis longius quam destinaveram tempus in Urbe consumpsi. Possum jam repetere secessum, et scribere aliquid, quod non recitem, ne videar, quorum14 recitationibus affui, non auditor fuisse, sed creditor. Nam, ut in ceteris rebus, ita, in audiendi officio, perit gratia, si15 reposcatur.
{p. 242}Versio XXXV.
Quod sit prœceptoris officium. §
35. Sumat ante omnia parentis erga discipulos suos animum, ac succedere se in eorum locum, a quibus sibi1 liberi traduntur, existimet. Ipse nec habeat vitia, nec ferat. Non austeritas ejus tristis, non dissoluta sit comitas, ne inde odium, hinc contemptus oriatur. Plurimus ei de honesto ac bono sit sermo. Nam quo2 sæpius monuerit, hoc rarius castigabit. Minime iracundus, nec tamen eorum quæ emendanda erunt, dissimulator ; simplex in docendo, patiens laboris, assiduus magis quam immodicus. Interrogantibus libenter respondeat ; non interrogantes percontetur ultro. In laudandis3 discipulorum dictionibus, nec malignus nec effusus, quia4 res altera tædium laboris, altera securitatem parit. In emendando quæ corrigenda erunt, non acerbus, minimeque contumeliosus : nam id quidem multos a proposito studendi fugat, quod5 quidam sic objurgant quasi oderint. Jucundus tum maxime debetesse præceptor, ut, quæ alioqui naturā sunt aspera, mollimanu leniantur : laudare aliqua, ferre quædam, mutare etiam, redditā cur id fiat ratione ; illuminare interponendo aliquid sui.
Aliter6 autem alia ætas emendanda est, et pro modo virium exigendum et corrigendum opus.
Ipse aliquid, imo multa quotidie dicat, quæ7 secum audita referant. Licet8 enim satis exemplorum ad imitandum ex lectione suppeditet, tamen viva illa, ut dicitur, vox alit plenius, præcipueque præceptoris, quem discipuli, si9 modo recte sunt instituti, et amant et verentur.
{p. 244}Versio XXXVI.
Animi imperio, corporis servitio utendum 1 est. §
36. Omnis* homines qui sese2 student præstare ceteris animantibus, summā ope niti3 decet4, vitam silentio ne transeant, veluti pecora, quæ natura prona atque ventri obedientia finxit. Sed nostra omnis vis in animo et corpore sita est ; animi imperio, corporis servitio magis utimur ; alterum nobis cum diis, alterum cum belluis commune est : Quo mihi rectius esse videtur ingenii quam virium opibus gloriam quærere5, et quoniam vita ipsa quā fruimur brevis est, memoriam nostrā6 quam7 maxime longam efficere. Nam divitiarum et formæ gloria fluxa atque fragilis est : virtus clara æternaque habetur.
Sed multi mortales, dediti ventri atque somno, indocti incultique, ætatem, sicuti peregrinantes, transegere : quibus, profecto contra naturam, corpus voluptati, anima oneri fuit. Eorum ego vitam mortemque juxta æstimo, quoniam de utrāque siletur8. Verumenimvero is demum mihi vivere atque frui animā videtur, qui aliquo negotio intentus, præclari facinoris aut artis bonæ famam quærit.
Sed in magnā copiā rerum aliud9 alii natura iter ostendit. Pulchrum est benefacere reipublicæ ; etiam benedicere haud absurdum ; vel pace, vel bello clarum10 fieri licet ; et qui fecere, et qui facta aliorum scripsere, multilaudantur. Hoc tantum nulli concessum est, deesse sibi, et sequi socordiam.
Versio XXXVII.
Caroli Quinti, Hispanorum regis, principatu se abdicantis, ad Philippum Secundum, ipsius filium, oratio. §
37. Si12 hæc provinciarum possessio ad te morte me[illisible chars][texte coupé] pervenisset, meritus aliquid essem apud filium, relicto tan[illisible chars][texte coupé] opulento auctoque per me patrimonio. Nunc, quando no[illisible chars][texte coupé] necessitatis hæc, sed voluntatis hæreditas est, et præmori patrem libuit, ut mortis beneficium anteverterem3, quid quid mihi pro hac anticipati temporis usurā plus debes, i[illisible chars][texte coupé] in horum amorem curamque populorum ut transferas jur[illisible chars][texte coupé] postulo. Reliqui reges se4 filiis vitam tradere, regna s[illisible chars][texte coupé] tradituros gaudent. Ego posthumum hoc donum fato præ ripere volui, geminatum gaudium arbitratus, si te no[illisible chars][texte coupé] magis viventem ex5 me, quam ex me regnantem, vivu[illisible chars][texte coupé] aspicerem.
Exemplum hoc meum pauci imitabuntur : nam et eg[illisible chars][texte coupé] quem6 sequerer ex omni retro antiquitate vix habui. Lau[illisible chars][texte coupé] dabunt certe consilium, ubi7 te dignum comperient in8 qu[illisible chars][texte coupé] prima hæc documenta monstrarentur. Id efficies si9, quan[illisible chars][texte coupé] adhuc coluisti sapientiam, si dominatoris omnium timorem si catholicæ religionis patrocinium, si juris legumque tu telam, vera utique regnorum fundamenta, perpetuo reti nueris.
Unum superest, quod voveam ad extremum pater : u[illisible chars][texte coupé] tibi proles hujusmodi adolescat, in10 quam regna transferre possis, necesse non habeas.
Versio XXXVIII.
Hominem iniquum esse divinorum munerum œstimatorem. §
38. Vide quam iniqui sint1 divinorum munerum æst matores, etiam quidam professi sapientiam. Queruntu {p. 248}quod2 non magnitudine corporis æquemus elephantes, velocitate cervos, levitate aves, impetu tauros ; quod solidior sit cutis belluis, decentior damis, densior ursis, mollior fibris ; quod sagacitate nos narium canes vincant, quod acie luminum aquilæ, spatio ætatis corvi, multa animalia nandi felicitate. Et quum3 quædam ne coire quidem in idem natura patiatur, ut velocitatem corporum et vires, ex diversis ac dissidentibus bonis hominem non esse compositum, injuriam vocant ; et in negligentes nostri deos querimoniam jaciunt, quod4 non bona valetudo et virtus inexpugnabilis data sit, quod non futuri scientia ; vix sibi temperant, quin5 eo usque impudentiæ provehantur, ut naturam oderint, quod6 infra deos sumus, quod non in æquo illis stetimus.
Quanto7 satius est ad contemplationem tot tantorumque beneficiorum reverti, et agere gratias, quod8 nos in hoc pulcherrimo domicilio voluerunt secundas sortiri, quod terrenis præfecerunt. Aliquis ea animalia comparat nobis, quorum potestas penes nos est ? Quidquid9 nobis negatum est, dari non potuit. Proinde quisquis10 es iniquus æstimator sortis humanæ, cogita quanta nobis tribuerit11 parens noster, quanto12 valentiora animalia sub jugum miserimus, quanto velociora consequamur, quam nihil13 sit mortale non sub ictu nostro positum. Tot virtutes accepimus, tot artes, animum denique, cui nihil14 non eodem15 quo intendit momento pervium est !… magna accepimus, majora non cepimus.
Versio XXXIX.
Quantum actio * momenti habeat in dicendo. Testes proferuntur Q. Hortensius, Demosthenes, Eschines. §
39. Q. Hortensius, plurimum in corporis decoro motu repositum credens, pæne plus studii in eo1 elaborando, {p. 250}quam in ipsā eloquentiā affectandā impendit ; itaque nescires utrum2 cupidius ad audiendum eum, an ad spectandum concurreretur3 : sic verbis oratoriis aspectus, et rursus aspectui verba serviebant. Itaque constat Æsopum4 Rosciumque, ludicræ artis peritissimos viros, illo causas agente, in coronā frequenter astitisse, ut foro petitos gestus in scenam referrent.
Consentaneum huic Demosthenis judicium, qui quum interrogaretur, quidnam5 esset in dicendo efficacissimum, respondit, ἡ ὑπόϰρισις (actio). Iterum deinde et tertio interpellatus, idem dixit, pæne totum se6 illi debere confitendo. Recte itaque Æschines, quum propter judicialem ignominiam, relictis Athenis, Rhodum petisset, atque ibi rogatu civitatis suam prius in Ctesiphontem*, deinde Demosthenis pro eodem orationem clarissimā et suavissimā voce recitasset, admirantibus cunctis utriusque voluminis eloquentiam, sed aliquanto magis Demosthenis : Quid si, inquit, ipsum audissetis ! Tantus orator, et modo tam infestus adversarius, sic7 inimici vim ardoremque dicendi suspexit, ut se scriptorum ejus parum idoneum lectorem esse prædicaret, expertus acerrimum oculorum vigorem, terribile vultus pondus, accommodatum singulis verbis sonum vocis, efficacissimos corporis motus. Ergo etsi8 operi** illius adjici nihil potest, tamen in Demosthene magna pars Demosthenis abest, quod9 legitur potius, quam auditur.
Versio XL.
Poeta invehitur in suorum æqualium avaritiam. §
40. Quum1 vix Saturno quemquam regnante videres, Cujus non animo dulcia lucra forent, {p. 252}Tempore2 crevit amor, qui nunc est summus, habendi :Vix ultra quo3 jam progrediatur habet.Pluris4 opes nunc sunt, quam prisci temporis annis,Dum populus pauper, dum nova Roma fuit,Dum casa Martigenam capiebat parva Quirinum,Et dabat exiguum fluminis ulva torum.Juppiter angustā vix totus stabat in æde,Inque Jovis dextrā fictile fulmen erat.Frondibus ornabant, quæ nunc Capitolia gemmis,Pascebatque suas ipse senator oves.At postquam fortuna loci caput extulit hujus,Et tetigit summos vertice Roma deos,Creverunt et opes, et opum furiosa cupido,Et quum5 possideant plurima, plura volunt.Quærere ut absumant, absumpta requirere certant,Atque ipsæ vitiis sunt alimenta vices.Quo8 plus sunt potæ, plus sitiuntur aquæ.In pretio pretium nunc est : dat census honores,Census amicitias ; pauper ubique jacet.
Versio XLI.
Tiberius Nero in insulam Rhodum secedit, ibique cum mathematicis concersatur. §
41. Adhuc principatum obtinente Augusto, Tiberius Nero, multis jam functus magistratibus, honorum satietatem ac requiem laborum prætendens (quum1 aliæ2 ab aliis consilii causæ proferantur), commeatum petiit. Neque aut matri suppliciter precanti, aut vitrico, deseri se3 etiam in senatu conquerenti, veniam dedit. Factā tandem abeundi potestate, confestim Ostiam descendit, ne4 verbo quidem cuiquam prosequentium reddito, paucosque admodum in digressu osculatus. Inde tantum5 non adversis tempestatibus Rhodum enavigavit, amœnitate et salubritate captus insulæ. {p. 254}Hic, modicis contentus ædibus, nec multo laxiore suburbano, id6 vitæ genus instituit, ut frequentissime cum mathematicis conversaretur, cujus artis disciplinam dicitur a Thrasyllo accepisse.
Quoties autem super aliquo negotio consultaret, editā domūs parte, ac liberti unius conscientiā utebatur : is, litterarum ignarus, corpore valido, per avia ac derupta (nam saxis imminebat domus) præibat eum cujus artem experiri Tiberius statuerat, et regredientem, si7 vanitatis aut fraudum incesserat suspicio, in subjectum mare præcipitabat. Igitur Thrasyllus, per easdem inductus rupes, postquam percontantem commoverat, imperium ipsi futurum solerter patefaciens, interrogatur an suam quoque genitalem horam comperisset8. Ille, positus siderum ac spatia dimensus, hærere9 primo, dein pavescere, et quantum introspiceret, magis ac magis trepidus admirationis10 et metus, postremo exclamat ambiguum sibi11 ac prope ultimum discrimen instare. Tum complexus eum Tiberius, præscium periculorum et incolumem fore gratatur12 ; quæque dixerat oraculi vice accipiens, inter intimos amicorum tenet.
Versio XLII.
* Callisthenis oratio, ne divini honores Alexandro deferantur. §
42. Tum silentio facto, Callisthenes, cujus prompta libertas invisa erat regi, quasi solus Macedonas, paratos ad tale obsequium, moraretur, unum illum intuentibus ceteris : « Si rex, inquit, sermoni tuo adfuisset, nullius profecto vox responsuri1 tibi desideraretur : ipse enim peteret ne2 in peregrinos ritus degenerare se3 cogeres4, neu rebus felicissime gestis invidiam tali adulatione contraheres. Sed {p. 256}quoniam abest, ego tibi pro illo respondeo, nullum esse eumdem et diuturnum et præcocem fructum, cœlestesque honores non dare te regi, sed auferre : intervallo enim opus est, ut credatur deus, semperque hanc gratiam magis viris posteri reddunt. Ego autem seram immortalitatem precor regi5, ut vita diuturna sit et æterna majestas. Hominem consequitur aliquando, nunquam comitatur divinitas. Herculem modo et patrem Liberum consecratæ immortalitatis exempla referebas : credisne illos unius convivii decreto deos factos ? Prius ab oculis mortalium amolita est natura, quam fama in cœlum perveheret. Scilicet et ego et tu, Cleo, deos facimus ? A nobis divinitatis suæ auctoritatem accepturus est rex ? Potentiam tuam experiri libet : fac aliquem regem, si deum potes facere ; facilius est imperium dare quam cœlum. Dii propitii sine invidiā quæ Cleo dixit audierint6, eodemque cursu quo7 fluxere res ire patiantur ! Nostris moribus nos velint esse contentos ! Non pudet patriæ ; nec desidero ad quem modum rex mihi colendus sit8, a victis discere : quos equidem victores esse confiteor, si ab illis leges quūs9 vivamus accipimus. »
Versio XLIII.
Vacuos, quantum fieri poterit, a cupiditatibus amicos eligamus. §
43. Nihil æque oblectaverit1 animum, quam amicitia fidelis et dulcis. Quantum bonum est, ubi sunt præparata pectora, in quæ2 tuto secretum omne descendat, quorum conscientiam minus quam tuam timeas, quorum sermo sollicitudinem leniat, sententia consilium expediat, hilaritas tristitiam dissipet, aspectus ipse delectet !
Quos3 scilicet vacuos, quantum fieri poterit, a cupiditatibus eligemus. Serpunt enim vitia, et in proximum4 quemque transfliunt, et contactu nocent. Itaque, ut in pestilentiā curandum est, ne corruptis jam corporibus et morbo flagrantibus assideamus, quia pericula trahemus, afflatuque5 {p. 258}ipso laborabimus : ita, in amicorum legendis6 ingeniis, dabimus operam ut quam7 maxime sinceros assumamus. Initium morbi est ægris sana miscere.
Nec hoc præceperim8 tibi, ut neminem nisi sapientem sequaris aut attrahas ; ubi enim istum invenies, quem tot seculis quærimus ? Pro optimo est minime malus. Vix tibi esset facultas delectus felicioris, si inter Platonas et Xenophontas, et illum Socratici fetūs proventum bonos quæreres, aut si9 tibi potestas Catonianæ fieret ætatis, quæ plerosque dignos tulit, qui10 Catonis seculo nascerentur, sicut multos pejores quam unquam alias, maximorumque molitores scelerum. Nunc vero, in tantā bonorum egestate, minus fastidiosa fiat electio.
Versio XLIV.
Epigoni unde originem duxerint. §
44. Inter hæc indignatio omnium totis castris erat, a Philippo patre tantum degeneravisse1 Alexandrum, ut etiam patriæ nomen ejuraret2, moresque Persarum assumeret, quos propter tales mores vicerat. Sed ne solus vitiis eorum quos armis subegerat succubuisse videretur3, militibus quoque suis permisit, quas vellent captivarum ducere uxores, existimans minorem in patriam reditus cupiditatem futuram, habentibus in castris imaginem quamdam larium ac domesticæ sedis ; simul et laborem militiæ molliorem fore dulcedine uxorum ; in supplementa quoque militum minus exhauriri posse Macedoniam, si4 veteranis patribus tirones filii succederent, militaturi in vallo, in quo essent nati, constantioresque futuri, si non solum tirocinia, verum et incunabula in ipsis castris posuissent. Quæ consuetudo in successores quoque Alexandri mansit. Igitur et alimenta pueris statuta, et instrumenta armorum equorumque juvenibus data, et patribus, pro numero filiorum, præmia assignata. Si quorum patres occidissent, nihilominus paterna {p. 260}pupilli stipendia trahebant ; quorum pueritia, inter varias expeditiones, militia erat. Itaque a parvulā ætate periculis laboribusque indurati, invictus exercitus fuere, neque castra aliter quam patriam, neque pugnam aliud unquam, quam victoriam, duxere. Hæc soboles nomen habuit Epigoni.
Versio XLV.
Querela de morte * navigatoris Dumont d’Urville. §
45. Equidem nescio an1 in illā calamitate acerbissimā quam tanta vis lacrymarum secutura est, tot ad familias pertinentem, nefas sit, absque ceterorum2 injuriā, unius viri deflere vicem, unius desiderio immorari. Verumtamer quis est nostrum, modo3 naturalibus disciplinis et gentil gloriæ studeat, qui auditā recenti clade, postquam publice et civiliter luctu defunctus est, sibi temperet quominus tibi privatim illacrymetur, Astrolabis dux et Zeleæ, marium omnium terrarum hominumque explorator ? Ergo tanti vi[illisible chars][texte coupé] animi, tanti ingenii, nullius4 non cœli patiens, bis circum vagato orbe, et illos tractus, quos procellæ vexant, au directi solis æstuosa torret impotentia, transmisisti, et illa velut rerum naturæ claustra, quæ æternā glacie horrent adiisti ; et quæ cursibus tuis emensus eras, eadem gravi e luculentā narratione exsecutus es, heu ! post tot labores tot exhausta pericula, in patriā tuā, intra brevissimun iter, festā die (quod indignissimum fuit), et tantum5 non in primariæ urbis limine, cum tuis, atrocissimo mortis genere, interiturus. Non satis multas, neque mediocrium civium animas proximi illi dies abstulerant ? Quem in no[illisible chars][texte coupé] sæviendi modum (absit verbo invidia !), et optimum quem que morte intercipiendi, Deus, facies ? Paulum6 abest quit tam graviter conquassata gens, et tantam diminutionem passa, præsentibus tristiora sibi ominetur.
{p. 262}Versio XLVI.
Annibalis effigies. §
46. Missus Annibal in Hispaniam, primo statim adventu, omnem exercitum in se1 convertit. Amilcarem juvenem redditum sibi2 veteres milites credere : eumdem3 vigorem in vultu vimque in oculis, habitum oris lineamentaque intueri4. Dein brevi effecit ut pater in se5 minimum momentum ad favorem conciliandum esset. Nunquam ingenium idem ad res diversissimas, parendum atque imperandum, habilius fuit. Plurimum audaciæ ad pericula capessenda, plurimum consilii inter ipsa pericula erat ; nullo labore aut corpus fatigari, aut animus vinci poterat. Caloris ac frigoris patientia par ; cibi potionisque, desiderio naturali, non voluptate modus finitus ; vigiliarum somnique nec die6, nec nocte discriminata tempora : id quod gerendis rebus superesset7, quieti datum ; ea neque molli strato, neque silentio arcessita : multi sæpe militari sagulo opertum, humi8 jacentem inter custodias stationesque militum, conspexerunt. Vestitus nihil9 inter æquales excellens : arma atque equi conspiciebantur. Equitum peditumque idem longe10 primus erat ; princeps in prælium ibat, ultimus conserto prælio excedebat.
Has tantas viri virtutes ingentia vitia æquabant : inhumana crudelitas, perfidia plus quam punica, nihil11 veri, nihil sancti, nullus deum metus, nullum jusjurandum, nulla religio.
Cum hac indole virtutum atque vitiorum, triennio sub Asdrubale imperatore meruit, nullā re quæ agenda videndaque magno futuro duci esset, prætermissā.
{p. 264}Versio XLVII.
Quatuor populi romani œtates. §
47. Populus romanus ita late per orbem terrarum arma circumtulit, ut qui res ejus legunt, non unius populi, sed generis humani fata discant. Quare, quum1 præcipua quæque operæ pretium sit cognoscere sigillatim, tamen quia ipsa sibi obstat magnitudo, rerumque diversitas aciem intentionis abrumpit, faciam quod solent qui terrarum situs pingunt : in2 brevi quasi tabellā totam ejus imaginem amplectar, non3 nihil, ut spero, ad admirationem principis4populi collaturus, si pariter atque insimul universam magnitudinem ejus ostendero5.
Si quis ergo populum romanum quasi hominem consideret, totamque ejus ætatem percenseat, ut6cœperit, utque adoleverit, ut quasi ad quemdam juventæ florem pervenerit, ut postea velut consenuerit, quatuor gradus processusque ejus inveniet.
Prima ætas sub regibus fuit, prope ducentos quinquaginta per annos, quibus circum ipsam matrem suam cum finitimis luctatus est. Hæc erit ejus infantia.
Sequens a Bruto Collatinoque consulibus, in Appium Claudium, Quinctum Fulvium consules, ducentos quinquaginta annos patet, quibus Italiam subegit. Hoc fuit tempus viris7 armisque incitatissimum : ideo quis8 adolescentiam dixerit9.
Dehinc ad Cæsarem Augustum ducenti anni, quibus orbem pacavit : hæc jam ipsa juventa imperii, et quasi robusta maturitas.
A Cæsare Augusto in seculum nostrum haud multo minus10 anni ducenti, quibus, inertiā Cæsarum, quasi consenuit atque decoxit : nisi quod sub Trajano principe movet lacertos, et præter spem omnium, senectus imperii, quasi redditā juventute, revirescit.
{p. 266}Versio XLVIII.
Quœdam de apibus. §
48. Inter omnia insecta principatus apibus, et jure præcipua admiratio, solis ex eo genere hominum causā genitis. Mella contrahunt, succumque dulcissimum atque subtilissimum, atque saluberrimum. Favos confingunt et ceras, mille ad usus vitæ ; laborem tolerant, opera conficiunt, rempublicam habent, consilia privatim, ac duces gregatim ; et quod maxime mirum sit, mores habent. Præterea, quum1 sint neque mansueti generis, neque feri, tamen tanta est natura rerum, ut prope ex umbrā minimi animalis incomparabile quiddam effecerit. Quos efficaciæ industriæque tantæ comparemus2 nervos ? Quas rationi medius3 fidius vires ? Hoc certe præstantioribus, quo nihil novere, nisi commune.
Hieme4 autem conduntur : unde enim ad pruinas nivesque et aquilonum flatus perferendos vires ? Sane et insecta omnia, sed minus diu : quæ parietibus nostris occultata, mature tepefiunt. Illæ non ad veris initium, sed ante fabas florentes exeunt ad opera et labores ; nullusque, quum per5 cœlum licuit, otio perit dies. Primum favos construunt, ceram fingunt, hoc est, domos cellasque faciunt, deinde sobolem, postea mella : ceram ex floribus, mastiginem e lacrymis arborum quæ glutinum pariunt. His alveum ipsum intus totum, ut quodam tectorio, illinunt, et amarioribus quibusdam succis, contra aliarum bestiolarum aviditates6, id7 se8 facturas consciæ, quod concupisci possit.
{p. 268}Versio XLIX.
Sequitur de apibus. §
49. Ratio operis : interdiu statio ad portas more castrorum, noctu quies in matutinum, donec1 una excitet gemino aut triplici bombo, ut buccino aliquo. Tunc universæ provolant, si2 dies mitis futurus est. Prædivinant enim ventos imbresque, et se continent tectis. Itaque temperie cœli (et hoc inter præscita habent), quum agmen ad opera processit, aliæ flores aggerunt pedibus, aliæ aquam ore, guttasque lanugine totius corporis. Quibus3 est earum adolescentia, ad opera exeunt, et supradicta convehunt ; seniores intus operantur. Quæ flores comportant, prioribus pedibus femina onerant, propter id naturā scabra, pedes priores rostro : totæque onustæ remeant, sarcinā pandatæ.
Excipiunt eas ternæ4, quaternæque, et exonerant. Sunt enim intus quoque divisa officia. Aliæ struunt, aliæ poliunt, aliæ suggerunt, aliæ cibum comparant ex eo quod adlatum est : neque enim separatim vescuntur. Gerulæ secundos flatus captant. Si cooriatur procella, adprehensi pondusculo lapilli se librant*. Juxta vero terram volant in adverso flatu, vepribus evitatis. Mira observatio operis : cessantium inertiam notant, castigant mox, et puniunt morte. Mira munditia : amoliuntur omnia e medio, nullæque inter opera spurcitiæ jacent ; quas unum congestas in locum, turbidis diebus et operis otio5, egerunt. Quum advesperascit, in alveo strepunt minus ac minus, donec una circumvolet eodem6, quo excitavit, bombo, ceu quietem capere imperans : et hoc castrorum more. Tunc repente omnes conticescunt.
{p. 270}Versio L.
C. J. Cœsaris a M. T. Cicerone clementia laudatur. §
50. Nullius tantum est flumen ingenii, nullius dicendi aut scribendi tanta vis, tanta copia, quæ1, non dicam exornare, sed enarrare, C. Cæsar, res tuas gestas possit. Tamen affirmo, et hoc pace dicam tuā, nullam in his esse laudem ampliorem eā quam hodierno* die consecutus es. Soleo sæpe ante oculos ponere, idque libenter crebris usurpare sermonibus, omnes nostrorum imperatorum, omnes exterarum gentium potentissimorumque populorum, omnes clarissimorum regum res gestas cum tuis nec contentionum magnitudine, nec numero præliorum, nec varietate regionum, nec celeritate conficiendi, nec dissimilitudine bellorum posse conferri : nec vero disjunctissimas terras citius cujusquam2 passibus potuisse peragrari, quam tuis, non dicam cursibus, sed victoriis lustratæ sunt.
Quæ quidem ego nisi3 tam magna esse fatear, ut ea vix cujusquam4 mens aut cogitatio capere possit, amens sim : sed tamen sunt alia majora. Nam bellicas laudes solent quidam extenuare verbis, easque detrahere ducibus, communicare cum multis, ne propriæ sint imperatorum. Et certe in armis militum virtus, locorum opportunitas, auxilia sociorum, classes, commeatus, multum juvant. Maximam vero partem quasi suo jure fortuna sibi vindicat ; et quidquid est prospere gestum, id pæne omne ducit suum. At5 vero hujus gloriæ, C. Cæsar, quam es paulo ante adeptus, socium habes neminem. Nihil sibi ex istā6 laude centurio, nihil præfectus, nihil cohors, nihil turma decerpit7.
{p. 272}Versio LI.
Ex agris ducendos esse tirones et assidue exercendos. §
51. Si quis percunctetur utrum1 de agris an de urbibus utilior militiæ tiro sit2, nunquam credo potuisse dubitari aptiorem3 armis rusticam plebem, quæ sub dio et in labore nutritur, solis patiens4, umbræ negligens, balneorum nescia, deliciarum ignara, simplicis animi, parvo contenta, duratis ad omnem laborum tolerantiam membris ; cui gestare ferrum, fossam ducere, onus ferre, consuetudo de rure est. Interdum tamen necessitas exigit etiam urbanos ad arma compelli : nec inficiandum est, post Urbem conditam, Romanos ex civitate semper profectos ad bellum. Sed tunc nullis deliciis frangebantur. Sudorem, cursu et campestri exercitio collectum, nando juventus abluebat in Tiberi. Idem bellator, idem agricola, genera tantum mutabat armorum ; quod usque adeo verum est, ut aranti Quinctio Cincinnato dictaturam5 constet oblatam. Ex agris ergo supplendum robur præcipue videtur exercitus.
Tirones ad omne genus exerceantur armorum oportet, ut sine trepidatione in acie faciant quod ludentes in campis semper fecere. Silvam cædere, portare onera, transilire fossas, natare in mari sive fluminibus, gradu pleno ambulare vel currere, etiam armatos6 cum sarcinis suis, frequentissime convenit, ut quotidiani laboris usus in pace, non difficilis videatur in bello. Sive igitur legio, sive auxilia fuerint7, jugibus exercitiis instituantur. Nam, quemadmodum bene exercitatus miles prælium cupit, ita formidat indoctus. Postremo sciendum est in pugnā usum amplius prodesse quam vires.
{p. 274}Versio LII.
C. Cœsaris Germanici in Syriā aut morbo aut veneno interceptā uxor Agrippina cineres Romam, Augusti tumulo inferendos, asportat. §
52. Nihil1 intermissā navigatione hiberni maris, Agrippina Corcyram insulam advehitur, littora Calabriæ contra sitam. Illic paucos dies componendo animo insumit, violenta luctu, et nescia tolerandi. Interim, adventu ejus audito, intimus quisque amicorum, et plerique militares, ut quique sub Germanico stipendia fecerant, multique etiam ignoti vicinis e municipiis, pars2 officium in principem rati, plures illos secuti, ruere ad oppidum Brundusium, quod naviganti celerrimum fidissimumque adpulsu erat. Atque, ubi primum ex alto visa classis, complentur non modo portus et proxima maris, sed mœnia ac tecta, quaque longissime prospectari poterat, mœrentium turbā et rogitantium inter se silentione3, an voce aliquā egredientem exciperent. Neque satis constabat quid pro tempore foret, quum classis paulatim successit, nec alacri, ut adsolet, remigio4, sed cunctis ad tristitiam compositis. Postquam duobus cum liberis, feralem urnam tenens, egressa navi, defixit oculos, idem omnium gemitus ; neque discerneres5 proximos, alienos, virorum feminarumve planctus : nisi quod comitatum Agrippinæ, longo mœrore fessum, obvii et recentes in dolore anteibant.
Versio LIII.
Sequitur de C. Cœsaris Germanici exsequiis. §
53. Miserat duas prætorias cohortes Cæsar, addito1 ut magistratus Calabriæ, Apulique et Campani suprema erga {p. 276}memoriam filii sui munera fungerentur2. Igitur tribunorum centurionumque humeris cineres portabantur ; præcedebant incompta signa, versi fasces ; atque, ubi colonias transgrederentur, atrata plebes, trabeati equites, pro opibus loci, vestem, odores, aliaque funerum solennia cremabant.
Drusus Tarracinam3 progressus est, cum Claudio fratre, liberisque Germanici qui in Urbe fuerant. Consules M. Valerius et C. Aurelius (jam enim magistratum occœperant), et senatus, ac magna pars populi viam complevere, disjecti4, et, ut cuique libitum, flentes : aberat quippe adulatio, gnaris omnibus lætam Tiberio Germanici mortem male dissimulari.
Tiberius atque Augusta publico abstinuere, inferius majestate5 suā rati, si palam lamentarentur ; an6 ne, omnium oculis vultum eorum scrutantibus, falsi intelligerentur7. Matrem Antoniam, non apud auctores rerum, non diurnā Actorum scripturā reperio ullo insigni officio functam : seu8 valetudine præpediebatur, seu victus luctu animus magnitudinem mali perferre visu non toleravit. Facilius crediderim9 Tiberio et Augustā, qui domo non excedebant, cohibitam, ut par mœror, et matris exemplo avia quoque et patruus attineri viderentur.
Versio LIV.
Sequitur de Germanici exsequiis. §
54. Dies quo reliquiæ tumulo Augusti inferebantur, modo per silentium vastus, modo ploratibus inquies ; plena Urbis itinera, collucentes per campum Martis faces ; illic miles cum armis, sine insignibus magistratus, populus per tribus, concidisse rempublicam, nihil spei reliquum clamitabant ; promptius1 apertiusque quam ut meminisse imperitantium crederes. Nihil tamen Tiberium magis penetravit, quam studia hominum accensa in Agrippinam, quum2 {p. 278}decus patriæ, solum Augusti sanguinem, unicum antiquitatis specimen appellarent, versique ad cœlum ac deos, integram illi3 sobolem ac superstitem iniquorum precarentur.
Fuere4 qui publici funeris pompam requirerent, compararentque quæ in Drusum patrem Germanici honora et magnifica Augustus fecisset5. Ipsum quippe, asperrimo hiemis, Ticinum usque progressum, neque abscedentem a corpore, simul Urbem intravisse ; circumfusas lecto Claudiorum Juliorumque imagines ; defletum in foro, laudatum pro rostris ; cuncta a majoribus reperta, aut quæ posteri invenerint, cumulata. At Germanico ne solitos quidem, et cuicunque nobili debitos honores contigisse. Sane corpus, ob longinquitatem itineris, externis terris quoquo modo crematum : sed tanto6 plura decora mox tribui par fuisse, quanto prima fors negavisset7. Ubi illa veterum instituta, propositam toro effigiem, meditata ad memoriam virtutis carmina, et laudationes et lacrymas, vel doloris imitamenta ?
Versio LV.
Quo pacto irœ occurrendum sit. §
55. Sumuntur a1 conversantibus mores ; et ut quædam in contactos corporis vitia transiliunt, ita animus mala sua[illisible chars][texte coupé] proximis tradit. Ebriosus convictores in amorem vinii[illisible chars][texte coupé] traxit2 ; impudicorum cœtus fortem quoque, et, si liceat, virum emolliit3 ; avaritia in proximos virus suum transtulit. Eadem ex4 diverso ratio virtutum est, ut5 omne quod secum habent, mitigent ; nec tam valetudini profui[illisible chars][texte coupé] utilis regio et salubrius cœlum, quam animis parum firmisa in turbā meliore versari. Quæ res quantum6 possit, intelliges, si7 videris feras quoque convictu nostro mansuescere {p. 280}8, nullique etiam immani bestiæ vim suam permanere, si hominis contubernium diu passa est. Retunditur omnis asperitas, paulatimque inter placida dediscitur.
Accedit huc, quod non tantum exemplo melior fit, qui cum quietis hominibus vivit, sed quod causas irascendi non invenit, nec vitium suum exercet. Fugere itaque debebit omnes quos irritaturos iracundiam suam9 sciet. « Qui sunt, inquis, isti ? » Multi, ex variis causis idem facturi. Offendet te superbus contempu, dives contumeliā, petulans injuriā, lividus malignitate, pugnax contentione, ventosus et mendax vanitate. Non feres a suspicioso timeri, a pertinace vinci, a delicato fastidiri. Elige simplices, faciles, moderatos, qui10 iram tuam nec evocent, et ferant. Magis adhuc proderunt submissi et humani, et dulces ; non tamen usque in adulationem : nam iracundos nimia assentatio offendit ; nec magis tutum est illis blandiri, quam maledicere.
Versio LVI.
De oculis. §
56. Sensus, interpretes ac nuntii rerum, in capite, tanquam in arce, mirifice ad usus necessarios et facti et collocati sunt. Nam oculi (ne ceteras partes attingam), tanquam speculatores, altissimum locum obtinent, ex1 quo plurima conspicientes fungantur suo munere. Quis vero opifex, præter summum mundi fabricatorem, quo2 nihil potest esse callidius, tantam solertiam in illis persequi valuisset ? Quos primum membranis tenuissimis vestivit et sepsit, iisdem tum perlucidis, ut per eas cerni posset3, tum firmis ut coutinerentur. Sed lubricos oculos fecit et mobiles, ut et declinarent, si4 quid noceret, et aspectum quo vellent facile converterent ; aciesque ipsa, quā cernimus, quæ pupula vocatur, ita parva est, ut quæcunque nocitura facile vitet. Palpebræ autem, quæ sunt tegumenta oculorum, {p. 282}mollissimæ tactu5, ne læderent aciem, aptissime factæ et ad claudendas pupulas, ne quid incideret, et ad aperiendas ; idque providit ut identidem fieri posset cum maximā celeritate. Munitæque sunt palpebræ quodam quasi vallo pilorum : quibus6, et apertis oculis, si7 quid incideret, repelleretur, et iidem somno8 conniventes, tanquam involuti, quiescerent. Latent præterea utiliter, et excelsis undique partibus sepiuntur. Primum enim superiora, superciliis obducta, sudorem a capite et a fronte defluentem repellunt ; genæ deinde ab9 inferiore parte tutantur subjectæ, leviter-que eminentes. Nasus ita locatus est, ut quasi murus oculis interjectus esse videatur.
Versio LVII.
Silva apud Massiliam sita Cœsaris jussu cœditur. §
57. Lucus erat, longo nunquam violatus ab ævo,Obscurum cingens connexis aera ramis,Quem non ruricolæ Panes, nemorumque potentesSilvani Nymphæque tenent, sed barbara rituSacra deum, structæ sacris feralibus aræ,Omnis et humanis lustrata cruoribus arbos.Hanc jubet immisso silvam procumbere ferro :Nam vicina operi, belloque intacta priori,Inter nudatos stabat densissima montes.Sed fortes tremuere manus, motique verendāMajestate loci, si robora sacra ferirent1,In sua2 credebant redituras membra secures.Implicitas magno Cæsar terrore cohortesUt vidit, primus raptam librare bipennemAusus, et aeriam ferro proscindere quercum,Effatur, merso violata in robora ferro :« Jam, ne quis vestrum dubitet3 subvertere silvam, Credite me fecisse nefas. » Tum paruit omnis{p. 284}Imperiis, non sublato secura pavoreTurba, sed expensā superorum et Cæsaris irā.Procumbunt orni, nodosa impellitur ilex ;Silvaque Dodones, et fluctibus aptior alnus,Et non plebeios luctus testata cupressus,Tunc primum posuere comas, et fronde carentesAdmisere diem.
Versio LVIII.
Homeri virtutes. §
58. Si græcos poetas percensere velimus, ut Aratus ille, iu Phænomenis*, ab1 Jove incipiendum putat, ita nos rite cœpturi ab Homero videmur. Hic enim (quemadmodum ex Oceano dicit ipse amnium fontiumque cursus initium capere) omnibus eloquentiæ partibus exemplum et ortum dedit. Hunc nemo in magnis sublimitate, in parvis proprietate superaverit2. Idem lætus ac pressus, jucundus et gravis, tum copiā, tum brevitate mirabilis ; nec poeticā modo, sed oratoriā virtute eminentissimus.
Affectus quidem, vel illos mites, vel hos concitatos, nemo erit tam indoctus, qui3 non in suā potestate hunc auctorem habuisse fateatur. Age vero, nonne in utriusque sui operis ingressu, paucissimis versibus, legem proœmiorum, non dico servavit, sed constituit ? Nam et benevolum auditorem, invocatione dearum quas præsidere4 vatibus creditum est ; et intentum, propositā rerum magnitudine ; et docilem, summā celeriter comprehensā, facit.
Narrare vero quis brevius, quam qui mortem nuntiat Patrocli ? Quis significantius potest, quam qui Curetum Ætolorumque prælium exponit ? Jam similitudines, amplificationes, exempla, digressus, argumenta probandi ac refutandi, sunt ita multa, ut etiam qui de iis artibus scripserunt, plurima earum rerum testimonia ab hoc poetā petant. Quid5 ? in verbis, sententiis, figuris, dispositione {p. 286}totius operis, nonne humani ingenii modum excedit6 ? Ut7magni sit viri, virtutes ejus non æmulatione sequi (quod fieri non potest), sed intellectu.
Versio LIX.
Alcibiades cum victore exercitu redux Athenas ingreditur. §
59. Ad hunc redeuntis exercitus triumphum effusa omnis multitudo obviam procedit, et universos quidem milites, præcipue tamen Alcibiadem mirantur1 ; in hunc oculos civitas universa, in hunc suspensa ora convertit ; hunc quasi de cœlo missum, et ut ipsam Victoriam contuentur ; laudant quæ pro patriā, nec minus admirantur quæ exsul contra gesserit2, excusantes ipsi iratum provocatumque fecisse. Enimvero tantum in uno viro fuisse momenti, ut maximi imperii subversi et rursum recepti auctor esset ; et unde stetisset, eo se victoria transferret, fieretque cum eo mira quædam fortunæ inclinatio. Igitur omnibus non humanis tantum, verum et divinis eum honoribus onerant ; certant secum ipsi utrum3/contumeliosius eum expulerint4/an revocaverint honoratius. Ipsos illi deos gratulantes tulere obviam, quorum exsecrationibus erat devotus ; et cui paulo ante omnem humanam opem interdixerant, eum, si queant, in cœlo posuisse cupiunt. Explent contumelias honoribus, detrimenta muneribus, exsecrationes precibus. Non Siciliæ illis adversa pugna in ore est, sed Græciæ5 victoria ; non classes per6 illum amissæ, sed acquisitæ ; nec Syracusarum, sed Ioniæ Hellespontique meminerunt. Sic Alcibiades nunquam mediocribus, nec in offensā, nec in favore, studiis suorum exceptus est.
{p. 288}Versio LX.
Quo pacto, transactā Augusti œtate, lapsa sit apud Romanos eloquentia. §
60. Transactā Augusti ætate, labi paulatim visa est, et prorsus ab antiquo more et cultu degenerare eloquentia. Quā labe Romanos Seneca præsertim infecit, vir multis quidem virtutibus clarus, facilitate inventionis, ubertate doctrinæ, sententiis, figuris, beatissimā rerum verborumque copiā, sed nimium amator ingenii sui ; cui1 utinam2 temperare quam indulgere maluisset ! Apud eum scatent omnia sententiis : sed densitas earum, ut in satis omnibus fructibusque arborum accidit, sibi obstat invicem ; et in tantā copiā, quæ est sine delectu, multas necesse est excidere3 leves, frigidas, ineptas. Quia lucere totam ubique orationem voluit, lumina illa non flammæ, sed scintillis inter fumum emicantibus similia dixeris4. Ita nocent apud illum ipsæ præsertim virtutes, ultra modum expetitæ, omnium in eloquentiā vitiorum5 pessimum, quoties ingenium judicio caret et specie boni fallitur.
Ut autem sunt prona in deterius hominum ingenia, mala contagione novum hoc dicendi genus totam illico invasit Urbem. Juvenes, spretis veteribus, ad unius Senecæ imitationem compositi, illiusque præsertim vitiorum amatores, tantum ab illo defluxerunt, quantum ipse ab antiquis descenderat. Sordere cœpit purus simplicitatis nitor ; neglecta rerum cura est, ut haberetur6 ratio verborum. Quasi lege sancitum est, ut omnis locus, omnis sensus in fine sermonis acumine feriret7 aurem, et acclamationem peteret.
{p. 290}Versio LXI
Laudat Trajanum C. Plinius, quod delatorum turbam exsilio multaverit. §
61. Quum1 multa nobis spectacula, Cæsar, præbueris tum nihil gratius, nihil seculo dignius, quam quod contividere delatorum agmen inductum, quasi grassatorum quasi latronum ; desuper intueri delatorum supina or retortasque cervices. Agnoschebamus et fruebamur, quum1 velut piaculares publicæ sollicitudinis victimæ, supra san guinem noxiorum ad lenta supplicia gravioresque pœna ducerentur. Congesti sunt in navigia raptim conquisita, a tempestatibus dediti : abirent3/, fugerent vastatas delationibus terras ; ac, si quem fluctus ac procellæ scopulis resevassent, hic nuda saxa et inhospitale littus incoleret ageret duram et anxiam vitam, relictāque post tergum totius generis humani securitate mœreret.
Memoranda facies ! Delatorum classis permissa omnibus ventis, coactaque vela tempestatibus pandere, iratosque fluctucs sequi, quoscunque in scopulos detulissent. Juvaba prospectare statim a portu sparsa navigia, et apud illud ipsum mare agere principi gratias, qui4, clementiā suā salvā, ultionem hominum terrarumque diis maris commendasset. Quantum5 diversitas temporum posset, tum maxime cognitum est, quum6 iisdem7 quibus antea cautibus innocentissimus8 quisque, tunc nocentissimus affigeretur ; quumque insulas omnes, quas modo senatorum, jam delatorum turb compleret ; quos quidem9 non in præsens modo, sed in æternum repressisti, in illā pœnarum indagine inclusos.
{p. 292}Versio LXII.
Introitus Trajani in Urbem. §
62. Qui dies ille quo exspectatus desideratusque urbem tuam ingressus es ! Jam hoc ipsum, quod1 ingressus es, quam mirum lætumque ! Nam priores invehi et importari solebant, non dico quadrijugo, curru et albentibus equis, sed humeris hominum, quod arrogantius erat. Tu solā corporis proceritae elatior aliis et excelsio, non de patientiā nostrā quemdam triumphum, sed de superbiā principum egisti. Ergo nom ætas quemquam2, non valetudo, non sexus retadavit, quominus3 oculos insolito spectaculo implere4 Te parvuli noscere, ostentae juvenes, mirari senes, ægri quoque, neglecto medentium imperio, ad conspectum tui, quasi ad saluten sanitatemque prorepere. Inde alii se5 satis vixisse te viso, te recepto ; alii nunc magis esse vivendum prædicabant. Feminas etiam tum fœcunditatis suæ maxima voluptas subiit, quum6 cernerent cui7 pincipi cives, cui imperatori milites peperissent. Videres referta tecta ac laborantia, ac ne8 eum quidem vacantem locum, qui nonnisi suspensum et instabile vestigium caperet ; oppletas undique vias, angustumque tramitem relictum tibi ; alacrem hinc atque inde populum ; ubique par gaudium paremque clamorem. Tam æqualis omnibus9 ex adventu tuo lætitia percepta est, quam omnibus æqualis venisti : quæ tamen ipsa cum ingressu tuo crevit, ac prope in singulos gradus adaucta est.
Versio LXIII.
De imitatione veterum. §
63. Quum illi multum adipiscantur ad judicandum, qui veteres litteras didicere, plus etiam ad scribendum adipisci, {p. 294}conquis negaverit ? Ingens comparatur silva sententiarum ; multa ingeniose dicta, luculenter explicata nostri siunt juris1 ac mancipii, rebusque nostris haud parva veniunt accessio2 Non jam tu, quicunque3 græca4 et latina percalles, patriæ regions finibus circumscriptus ac definitus manebis : in externa licet excurrere, prædas ex alio agere, et alienis in arvis, velut legitimi quodam belli jure, messem uberriman colligere, quam5 in tua devectam trasferas. Scriptoribus a6 nostris vix aliquid mutuari possumus, quin7 statim repetundarum8 insimulemur ; et in hac tantā circumfluentium divitiarum copiā, tanquam sacris cogimur parcere. At Græcos et Romanos spoliare non modo crimini non datur, gloriæ etiam ducitur. Hoc est nobilissimum spartanæ juventutis furtum ; egregie peccanti conceditur venia, delictique culpa intra laudem solertiæ latet. Scilicet e tantorum virorum libris aliquid ita abradere, ut tuis scriptis aptissime adhærescat, difficile est, ideoque gloriosum. Tum tibi præterea necessitas imposita est multa præclaraque conandi, alienisque bonis quæ surripuisti pares ac prope germanos fœtus afferendi, ne plus memoriā quam ingenio valeas, furtaque tua propriæ egestatis testimonio palam arguantur ac denudentur. Inde major alacritas scribenti ; inde animus optimis insuetus, ipse parit optima.
Versio LXIV.
Vir bonus, morli jam proximus, vitœ suœ facte recensel. §
64. Me consolatur ælas mea prope jam edita et morti proxima1 Quæ quum aderit, si2 lucis, si noctis id tempus erit, cœlum quidem consalutabo discedens, et quæ mihi conscius sum protestabor. Nihil in longo vitæ meæ spatio a me admissum, quod dedecori, aut probro, aut flagitio {p. 296}foret. Nullum in ætate agendā3 avarum, nullum perfidum facinus meum exstitisse ; contraque multa liberaliter, multa amice, multa fideliter, multa constanter, sæpe etiam cum periculo capitis, consulta. Honores quos ipse adeptus sum, nunquam improbis rationibus concupivi. Animo potius quam corpori curando operam dedi ; studia doctrinæ rei familiari meæ prætuli. Pauperem me, quam ope cujusquam adjutum, postremo egere me4 quam poscere malui. Sumptu nunquam prodigo fui, quæstu interdum necessario. Verum dixi sedulo, verum audivi libenter. Potius duxi tacere quam fingere, infrequens amicus5 esse, quam frequens assentator. Pauca petii, non pauca merui : quod cuique potui, pro copiā commodavi : merentibus promptius6, immerentibus audacius opem tuli ; neque me parum gratus quispiam repertus segniorem effecit ad beneficia, quæcunque possem, prompte impertienda. Quocirca vitæ spatium sic mensus, libens obdormiam, ut inde, corporis vinculis liberatus, ad tranquilla, amœna et omnibus bonis referta animarum conciliabula transvehar.
Versio LXV.
De binis geniis cuique mortalium adscriptis. §
65. Auctor est Empedocles* binos1 cuique homini adscriptos esse genios, propitium alterum, alterum (ἀλάστορα) perniciosum : horum consiliis ac numine vitam omnem agi, misceri, temperari, ac mala bonaque venire ; quum2 candidus ille genius, dextro adfixus lateri, probe moneat, suaviter hortetur, in tempore juvet ; ex alterā parte niger prava succinat, falsa doceat, et in malam crucem hominem præcipitem agat. Addebat Empedocles binos non semper operi suo instare comites ; quasdam esse remissiones, quædam intervalla ; mox acrius hominem impelli, aut firmius retineri, donec3 alteruter vicerit. Tum, quasi amisso {p. 298}regno, victum sæpius exsulare, et inde improvisum adesse, oscitante altero, hominemque totum sibi vindicare.
Hæc Empedocles ; nec excelsæ mentis virum sua4 plane opinio fefellit ; sed vera5 poetico more locutus est. Non quidem duobus divinis satellitibus mortalis quisque stipatus incedit ; sed ipse sibi quisque est varius et multiplex genius, nempe liber. Ea6 est hominis caduca et præclara conditio, ut suis auspiciis atque arbitriis cuncta disponat, pessima nunc sequatur, nunc meliora præoptet. Bonum nempe genium conscientiam recte moratam interpreteris7 : malum autem, libidinem, iram, avaritiam, et quæcunque animo nubem offuderint. Memineris igitur penes te tua esse bona, esse mala : nisi quod virtus ipsa sibi ferat auxilium, et benefacta benefactis nascantur ; tuque summam Dei opem implorando merearis, et ad optimam frugem propius et facilius accedas.
Versio LXVI.
De picturā. §
66. Pictura adeo1 non a liberalium disciplinarum usu abhorret, ut contra eruditionem quam2 plurimam requirat, commerciumque cum poeticā et oratoribus habeat. Non mediocris ingenii est, imo prope divini, varias animantium rerumque species sic3 mente concipere, ut penicillo et colorum pigmentis exprimantur, quasi nihil in illis præter spiritum desit. Nec tantum mirificam delectationem habet pictura, verum præteritarum rerum historiam nostris oculis subjicit, et homines tanquam in scenā loquentes agentesque inducit. Quin etiam, dum pictas intuemur tabellas, in quibus præclara exhibentur facinora, excitamur ad laudis studium, et ad nobilem magnarum rerum imitationem, quasi ipsius historiæ monumenta recognosceremus. Plurimos totā retro antiquitate picuræ {p. 300}studiosissimos exstitisse accepimus ; et Cicero eruditos in eo oculos habere se4 asserit. Nec deest pictoribus judicium et prudentia. Norunt illi quid5 deceat, quid non. Testis Apelles, qui, quum Antigoni imaginem finxit, hanc latere tantum altero6 ostendit, ut amissi oculi deformitas celaretur7. Nec minor Timanthis solertia, qui, quum in immolandā8 Iphigeniā, tristem Calchanta, tristiorem Ulyssem, et mœstissimum Menelaum expressisset, consumptis dolorum omnium significationibus, obvolvendum Agamemnonis caput esse duxit, ut spectantibus intelligendum permitteret9 summum illum luctum quem10 penicillo non posset imitari.
Versio LXVII.
Nilus. §
67. Hunc nobilissimum amnem natura ita disposuit, ut eo tempore inundaret Ægyptum, quo maxime usta fervoribus terra undam altius traheret, tantum hausura, quantum siccitati annuæ sufficere possit. Nam in cā parte quæ in Æthiopiam vergit, aut nulli imbres sunt, aut rari, et qui1 insuetam aquis cœlestibus terram non adjuvent. Unam Ægyptus in hoc spem suam habet. Proinde aut sterilis annus, aut fertilis est, prout ille magnus influxit, aut parcior. Nemo aratorum adspicit cœlum.
Is arenoso et sitienti solo et aquam inducit et terram. Nam quum turbulentus fluat, omnem in siccis atque hiantibus locis fæcem relinquit ; juvatque agros duabus ex causis, et quod2 inundat, et quod oblimat. Ita, quidquid non adiit, sterile ac squalidum jacet. Si crevit super debitum, nocuit. Mira æque natura fluminis, quod3, quum ceteri amnes abluant terras et eviscerent, Nilus, tanto4 ceteris major, adeo5 nihil exedit, nec abradit, ut contra adjiciat vires, minimumque in eo sit, quod solum temperel. Illato enim limo, arenas saturat ac jungit ; debetque illi {p. 302}Ægyptus non solum fertilitatem agrorum, sed etiam ipsos.
Illa facies pulcherrima est, quum jam se in arva Nilus ingessit. Latent campi, opertæque sunt valles, oppida insularum modo6 exstant. Nullum in mediterraneis, nisi per navigia, commercium est ; majorque est lætitia gentibus, quo7 minus terrarum suarum vident.
Versio LXVIII.
Cœsaris triumphus. §
68. Cæsar in patriam victor invehitur. Primum de Galliā triumphum transmisit*1 Rhenus, et Rhodanus, et ex2 auro captivus Oceanus. Altera laurus Ægyptia : tunc in ferculis Nilus, Arsinoe**, et ad simulacrum ignium ardens Pharus. Tertius de Pharnace*** currus et Ponto. Quartus Jubam et Mauros et bis subactam ostendebat Hispaniam. Pharsalia et Thapsos et Munda nusquam. Et quanto majora erant de quibus non triumphabatur !
Hic aliquando finis armorum fuit. Reliqua pax incruenta, pensatumque clementiā bellum. Nemo cæsus imperio, præler Afranium : satis ignoverat semel ; et Faustum Syllam : didicerat generos timere ; filiamque Pompeii cum patruelibus ex3 Syllā : hic posteris4 cavebatur.
Itaque non ingratis civibus5 omnes unum in principem congesti honores : circa templa imagines ; in theatro distincta radiis corona ; suggestus in curiā ; fastigium**** in domo ; mensis in cœlo ; ad hoc Pater ipse patriæ, perpetuusque Dictator ; novissime (dubium an6 ipso volente) oblata pro rostris, et Antonio7 consule, regni insignia.
{p. 304}Quæ omnia, velut infulæ, in destinatam morti victimam congerebantur. Quippe clementiam principis vicit invidia ; gravisque erat liberis potentia ipsa beneficiorum. Nec dilatio donata est.
Versio LXIX.
Excerpta e narratione quā Hippolyti mors patri nuntiatu. §
69. …Ut cepit animos, seque prætentans satisProlusit iræ, præpeti cursu evolat,Et vix gradu tangit humum ponti corniger,Torvusque currus ante trepidantes stetit.Contra feroci gnatus insurgens minaxVultu, nec ora mutat, et magnum1 intonat :« Haud frangit animum vanus hic terror meum ;Nam mihi paternus vincere est tauros labor. »Inobsequentes protinus frenis equiRapuere currum : jamque deerrantes viā,Quacunque pavidos rapidus evexit furor,Hac ire pergunt, seque per scopulos agunt.At ille, qualis turbido rector mariRatem retentat, ne det obliquum latus,Et arte fluctus fallit, haud aliter citosCurrus gubernat.Sed mox sonipedes, mente exciti turbidā,Imperia solvunt, seque luctantur jugoEripere, rectique in pedes jactant onus.Præceps in ora gnatus, implicuit cadensLaqueo tenaci corpus ; et quanto2 magisPugnat, sequaces hoc magis nodos ligat.………….Late cruentat arva, et illisum caputScopulis resultat. Auferunt dumi comas,Omnisque truncus lacerati partem tulit.Errant per agros funebris famuli manus3 ;Necdum dolentum sedulus potuit labor.Explere corpus.
Versio LXX.
Julianus imperator apud Antiochiam * §
70. Antiochiæ propinquans, qui1 Orientis est apex, in speciem alicujus numinis Julianus votis excipitur publicis, miratus multitudinis voces, salutare sidus inluxisse Eois partibus adclamantis. Evenerat autem iisdem diebus, annuo cursu completo, Adonia ritu veteri celebrari, juvene, ut fabulæ fingunt, apri dente ferali deleto, quod in adulto flore sectarum indicium est frugum. Et visum est triste, quod amplam urbem principumque domicilium introeunte imperatore nune primum, ululabiles undique plancius et lugubres sonus audiebantur.
Ibi hiemans ex2 sententiā, nullis interim voluptatum rapiebatur illecebris, quibus abundant Syriæ omnes : verum per speciem quietis judicialibus causis intentus, non minus arduis quam bellicis distrahebatur multiformibus curis, exquisitā docilitate librans quibus modis suum cuique ita tribueret3, ut improbi modicis coercerentur suppliciis, et innocentes fortunis defenderentur intactis. Et quanquam4 in disceptando aliquoties erat intempestivus, quid quisque jurgantium coleret5 interrogans, tamen nulla ejus definitio litis a vero dissonans reperitur. Itaque æstimabatur, ut ipse dicebat assidue, vetus illa Justitia, quam offensam vitiis hominum Aratus extollit in cœlum, imperante eo reversa ad terras, ni quædam suo ageret, non legum arbitrio, erransque aliquoties gloriam suam obnubilaret : verbi causā inclemens illud et perenni silentio obruendum, quod6 arcebat ac docere vetabat7 magistros rhetoricos et grammaticos ritus christiani cultores.
Versio LXXI.
Quœdam de moribus Germanorum. §
71. Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt. Nec regibus infinita aut libera potestas ; et duces exemplo potius quam imperio, si prompti, si conspicui, si ante aciem agant, admiratione1 præsunt. Ceterum neque animadvertere, neque vincire, ne verberare quidem, nisi sacerdotibus permissum : non quasi in pœnam, nec ducis jussu, sed velut deo imperante, quem adesse bellantibus credunt. Effigies et signa quædam, detracta lucis, in prælium ferunt. Quodque præcipuum fortitudinis incitamentum est, non casus, nec fortuita conglobatio turmam aut cuneum facit2, sed familiæ et propinquitates, et in proximo pignora, unde feminarum ululatus audiri, unde vagitus infantium ; hi cuique sanctissimi testes, hi maximi laudatores ; ad matres, ad conjuges vulnera ferunt ; nec illæ numerare aut exigere plagas pavent ; cibosque et hortamina pugnantibus gestant.
Memoriæ proditur quasdam3 acies, inclinatas jam et labantes a feminis restitutas, constantiā precum, et objectu pectorum, et monstratā cominus captivitate, quam longe impatientius feminarum suarum nomine timent : adeo ut efficacius obligentur animi civitatum quibus, inter obsides, puellæ quoque nobiles imperantur.
Versio LXXII.
Vir quidam apud suos doctrinā pollens et auctoritatte primarios cives hortatur, ut publicas sholas in patriā instituant. §
72. Vehementer interest vestrā, qui1 patres estis, liberos2 vestros hic potissimum discere. Ubi enim aut jucundius morabuntur quam in patriā ? aut pudicius continebuntur quam sub oculis parentum ? aut minore sumptu quam domi ? Quantulum est ergo collatā pecuniā conducere præceptores ? Quodque nunc in habitationes, in viatica, in ea quæ peregre emuntur impenditis, adjicere mercedibus ? Atque adeo ego, qui nondum liberos habeo, paratus sum pro republicā nostrā, quasi pro filiā vel parente, tertiam partem ejus quod conferre vobis placebil, dare. Totum etiam pollicerer, nisi timerem ne hoc munus meum quandoque ambitu corrumperetur3 : ut accidere multis in locis video, in quibus præceptores publice conducuntur. Huic vitio uno remedio occurri4 potest, si5 parentibus solis jus conducendi relinquatur, iisque religio recte judicandi necessitate collationis addatur. Nam fortasse de alieno negligentes, certe de suo diligentes erunt, dabuntque operam ne cam a me pecuniam nonnisi dignus accipiat, si6 accepturus et ab ipsis erit. Proinde in id consentite, conspirate. Nihil honestius præstare liberis vestris, nihil gratius patriæ potestis. Edoceantur hic, qui hic nascuntur, statimque ab infantiā natale solum amare, frequentare consuescant ; atque utinam tam claros præceptores inducatis, ut a finitimis oppidis studia hinc petantur, uique nune liberi vestri aliena in loca, ita mox alieni in hunc locum confluant !
Versio LXXIII.
De Socratis disciplinā. §
73. Socrates non in scholæ umbris delitescere necessarium publico doctori duxit, qualem umbratilem vitam, qui mox secuti sunt, mortalium disciplinarum magistri egerunt : sed in maximā celebrilate, et in mediā reipublicæ luce ei imprimis vivendum1 existimavit, qui in hominum moribus formandis2 castigandisque studium omne curamque collocare vellet3. Quamobrem non tam domum suam invitare discipulos, vel publicam scholam certo loco definitisque horis aperire Socrates voluit, quam ipse obviam ire hominibus, civium officinas ingredi, publicis adesse conventibus, in mediā hominum vitā versari. Quo ex instituto, quum4 multa alia, tum hæc præsertim enata sunt commoda : primum quidem ut ad ipsius qui meliores vitæ rationes edocere solebat exemplum, omnium in luce positum, sequendum stimularentur ii qui se disciplinæ ejus tradidissent ; tum ut non artis formā indutam hanc disciplinam ediscere homines cogerentur, sed ut in ipso vitæ actu, quacunque de re ageretur, ad rectius ferendum judicium instituerentur ; si quid errassent, docerentur ; si quid5 deliquissent, admonerentur ; si quid facto6 esset opus, ad honestissima et fortissima quæque hortatorem haberent ; si consilii esset inopia, prudentiā regerentur, non superciliosi magistri, sed prudentis amici, ad captum cujusvis, et ad id quod rationes cujusque poscerent, comiter ses accommodantis.
Versio LXXIV.
Constantem œtatem quoi et quantœ miseriœ circumveniant. §
74. Constantis ætatis quot quantæque miseriæ sint1, non difficile est intelligere, at difficillimum enumerare. Hæc enim ex omnibus hominis ætatibus in perturbationes animi, {p. 314}in pericula capitis, famæ, fortunarum una2 maxime incurrit. Sicut enim ceterarum omnium ætatum ad res negotiaque tum privata tum publica peragenda aptissima est maximeque idonea, ita etiam una3, præ ceteris omnibus, difficultatum miseriarumque omnium quæ ex publicā privatāque administratione oriuntur, particeps et socia est. Hæc gloriam et commodum ex rebus feliciter evenientibus, hæc ærumnas et molestias ex adversis experitur. Huic invidia et æmulatio a4 bonis imminent, a malis pericula et insidiæ intenduntur. Ætas nunquam sibi ipsi non infesta, nunquam pacata : semper laboriosa, semper anxia et sollicita. Quæ si non aliquos interdum vel utilitatis vel voluptatis fructus ex assiduo labore perciperet, se ipsam profecto regere ac tueri non posset. Sed miseriarum numerus multo major est : magnitudo autem tanta, ut neminem a publicis procurationibus non avertere ac deterrere possit. Illustre præbuit exemplum universæ civitati calamitas nostra*, quam ex partā civium salute, ex defensis aris ac focis, ex proditoribus a republicā ac populi romani cervicibus depulsis contraximus. Sed nostra fuerit5 ærumna, civibus contigerit6 salus et quies, quam etiam vitā7 profundendā, si opus fuisset, libentissime redemissemus.
Versio LXXV.
Quanta utilitas ex veterum lectione contingat. §
75. Veterum scriptis legentium ingenia corroborantur, et veluti valentiori pabulo nutriuntur ; et ipsa quidem alieni sermonis doctior1 obscuritas mirifice mentis aciem exacuit, cogitque nervos intendere, sagacitatem expromere, sententiisque haud sane apertis diutius immorari, nec, ut ita dicam, calicem primoribus labris attingere, sed pleniori haustu animum sitientem irrigare.
Libros vernaculo sermone conscriptos citius perlegimus, {p. 316}quia facilius. Multa transeunt non satis observata, utpote nimis obvia et exposita : fallit ipsa domestici usus arctior consuetudo ; ac quemadmodum in familiaribus et convictoribus si quid inest in utramque partem notandum, sæpe minus intelligimus, quoniam assiduitate2 quotidianã animus obduruit : hospitum vero et ignotorum bona3 malaque cito perspicimus, rei novitate ad inquirendum excitati : ita dixerim4 in legendis scriptoribus nostris aliquando nimiã facilitate corruptam cogitationis vim remitti ac relaxari ; judicii aculeos non quidem evelli, verum per5 incuriam hebescere, multaque neglecta aut parum æstimata excidere ; in antiquis vero nihil cognitu dignum prætermitti, nihil lectori perire ; et omnia diligenter excussa, curiose investigata, memoriã comprehendi, altius tracturæ quidquid tardius ipsa perceperit.
Versio LXXVI.
Marci Aurelii Cœsaris vota pro Frontone magistro. §
76. Scio, natali die cujusque, pro eo cujus is dies natalis est, amicos vota suscipere ; ego tamen quia te juxta ac memet ipsum amo, volo hac die, tuo natali, mihi1 bene precari.
Deos igitur omnes, qui usquam gentium vim suam præsentem promptamque hominibus præbent, qui vel somniis, vel mysteriis, vel medicinã, vel oraculis usquam juvant atque pollent ; eorum deorum unumquemque mihi2 votis advoco, meque, pro genere cujusque voti, in eo loco constituo, de quo3 deus ei rei præfectus facilius exaudiat. Igitur jam primum Pergami arcem ascendo, et Æsculapio supplico, uti valetudinem magistri mei bene temperet, vehementerque tueatur. Inde Athenas4 degredior, {p. 318}Minervam genibus nixus obsecro atque oro, si5 quid6 ego unquam litterarum sciam, ut id potissimum ex Frontonis ore in pectus meum commigret. Nunc redeo Romam, deosque viales et promarinos* votis imploro, ut mihi omne iter tuã præsentiã comitatum sit, neque ego tam sæpe, tam sævo desiderio fatiger. Postremo omnes omnium populorum præsides deos, atque ipsum lucum qui Capitolium montem strepit7, quæso tribuat hoc nobis, ut istum diem, quo mihi natus es, tecum, firmo te lætoque concelebrem. Vale, mí dulcissime et carissime magister.
Versio LXXVII.
De liberate loquendi. §
77. C. Carbo, tribunus plebis, nuper sepultæ Gracchanæ seditionis turbulentissimus vindex, idemque orientium civilium malorum fax1 ardentissima, P. Africanum a Numantiæ ruinis summo cum gloriæ fulgore venientem, ab ipsã pæne portã in rostra perductum, quid de T. Gracchi morte, cujus sororem in matrimonio habebat, sentiret2, interrogavit : ut auctoritate clarissimi viri inchoato jam incendio multum incrementi adjiceret3 ; quia4 non dubitabat quin5, propter tam arctam affinitatem, aliquid pro interfecti necessarii memoriã miserabiliter esset locuturus. At is jure eum cæsum videri respondit. Cui dicto quum concio tribunitio furore instincta violenter succlamasset : « Taceant, inquit, quibus Italia noverca est. » Orto deinde murmure : « Non efficietis, ait, ut solutos verear6, quos alligatos adduxi. »
Universus populus iterum ab uno contumeliose correptus erat. Quantus est honos virtutis ! tacuit actutum. Recens victoria ipsius numantina, et patris macedonica, devictæque Carthaginis spolia avita, ac duorum regum Syphacis et Persæ ante triumphales currus catenæ, tunc cervices {p. 320}totius fori prementes, ora clauserunt. Nec timori datum est silentium : sed quia beneficio Æmiliæ et Corneliæ gentis multi metus Urbis atque Italiæ finiti erant, plebs romana libertati Scipionis libera non fuit.
Versio LXXVIII.
De M. Tullii Ciceronis vitã et morte. §
78. Vixit tres et sexaginta annos ; ut1, si2 vis abfuisset, ne3 immatura quidem mors videri possit. Ingenium et operibus et præmiis operum felix. Ipse fortunæ4 diu prosperæ, et in longo tenore felicitatis, magnis interim ictus vulneribus, exsilio, ruinã partium pro quibus steterat, filiæ morte, exitu tam tristi atque acerbo, nihil ut viro dignum erat tulit, præter mortem ; quæ5 vere æstimanti minus indigna videri potuit, quod6 a victore inimico nihil crudelius passurus erat, quam quod ejusdem fortunæ compos ipse fecisset. Si quis tamen virtutibus vitia pensarit, vir magnus, acer, memorabilis fuit, et in cujus laudes persequendas Cicerone laudatore opus fuerit.
Nihil vero egisti, Antoni, mercedem cœlestissimi oris et clarissimi capitis abscissi numerando, auctoramentoque funebri ad conservatoris quondam reipublicæ tantique consulis irritando necem. Rapuisti tu M. Ciceroni lucem sollicitam, et ætatem senilem, et vitam miseriorem te7 principe, quam sub te triumviro mortem : famam vero gloriamque factorum atque dictorum adeo non abstulisti, ut auxeris. Vivit, vivetque per omnem sæculorum memoriam ; dumque hoc vel sorte, vel providentiã, vel utcunque* constitutum rerum naturæ corpus, quod ille pæne solus Romanorum** animo vidit, ingenio complexus est, eloquentiã illuminavit, manebit incolume, comitem ævi sui laudem Ciceronis trahet ; omnisque posteritas illius in te scripta mirabitur, tuum in eum factum exsecrabitur : ut8 non tu Ciceronem, sed te Cicero proscripsisse videatur.
Versio LXXIX.
Quo pacto deceat, in defendendis causis, miserationem adhiberi. §
79. Plurimum ad defensionem eorum qui gravissimo crimine et arguuntur et premuntur valet miseratio, quæ judicem flecti non tantum cogit, sed motum quoque animi sui lacrymis confiteri. Hæc petentur aut ex1 iis quæ passus est reus ; aut ex iis quæ tum maxime patitur ; aut ex iis quæ damnatum manent ; quæ et ipsa duplicantur, quum dicimus ex quā2 illi3 fortunā, et in quam recidendum sit. Affert in his momentum et ætas, et sexus, et pignora : liberi, dico, et parentes, et propinqui. Quæ omnia tractari varie solent.
Illud vero præcipue monendum, ne4 quis nisi summis ingenii viribus ad movendas lacrymas aggredi audeat. Nam ut est longe5 vehementissimus hic, quum invaluit, affectus, ita, si6 nihil efficit, tepet ; quem7 melius infirmus actor tacitis judicum cogitationibus reliquisset.
Nunquam debet esse longa miseratio ; nec sine causã dictum est nihil8 facilius quam lacrymas inarescere. Nam, quum9 etiam veros dolores mitiget tempus, citius evanescat necesse est illa quam dicendo effinximus imago : in quã si10 moramur, lacrymis fatigatur auditor, et requiescit, et ab illo quem ceperat impetu ad rationem redit. Non patiamur igitur frigescere hoc opus ; et affectum, quum ad summum perduxerimus, relinquamus ; nec speremus fore ut aliena quisquam11 diu ploret. Ideoque, quum12 in aliis, tum maxime in hac parte debet crescere oratio : quia, quidquid non adjicit prioribus, etiam detrahere videtur, et facile deficit affectus, qui descendit.
Versio LXXX.
Cleopatrœ, Ægyptiorum reginæ, uniones. §
80. Duo fuere maximi uniones per omne ævum : utrumque possedit Cleopatra, Ægypti reginarum novissima, permanus Orientis regum sibi1 traditos. Hæc, quum exquisitis quotidie Antonius saginaretur epulis, superbo simul ac procaci fastu lautitiam ejus omnem apparatumque obtrectans, quærente eo quid adstrui magnificentiæ suæ2 posset, respondit « unā se3 cœnā centies4 sestertium absumpturam. » Cupiebat discere Antonius, sed fieri posse non arbitrabatur. Ergo sponsionibus factis, postero die quo judicium agebatur, magnificam alias cœnam, ne dies periret5, sed quotidianam Antonio apposuit, irridenti, computationemque expostulanti. At illa corollarium id esse confirmans, solamque se centies cœnaturam confirmans, inferri mensam secundam jussit. Ex præcepto ministri unum tantum vas ante eam posuere aceti, cujus asperitas visque in tabem margaritas resolvit6. Gerebat auribus quum7 maxime singulare illud et vere unicum naturæ opus. Itaque exspectante Antonio quidnam8 esset actura, detractum alterum mersit, ac liquefactum absorbuit. Injecit alteri manum L. Plancus, judex sponsionis ejus, eum quoque paranti simili modo absumere, victumque Antonium pronuntiavit, omine rato.
Comitatur fama unionis ejus parem, captā illā tantæ quæstionis victrice reginã dissectum, ut esset in utrisque Veneris auribus Romæ, in Pantheo, dimidia eorum cœna.
Versio LXXXI.
Carpitur poesis*. §
81. Carmina et versus neque dignitatem ullam auctoribus suis conciliant, neque utilitates alunt, voluptatem autem brevem, laudem inanem et infructuosam consequuntur. Licet hæc ipsa, et quæ deinde dicturus sum, aures tuæ, o Materne, respuant, cui bono est si1 apud te Agamemnon aut Jason** diserte loquitur ? Quis ideo domum defensus et tibi obligatus redit ? Quis Bassum nostrum, egregium poetam, vel, si2 hoc honorificentius est, præclarissimum vatem, deducit, aut salutat, aut prosequitur ? Versus Basso nascuntur pulchri quidem et jucundi. Quorum tamen hic exitus est, ut3, quum toto anno, per omnes dies, magnã noctium parte, unum librum extudit et elucubravit, rogare ultro et ambire cogatur, ut sint qui dignentur audire ; et ne4 id quidem gratis. Nam et domum mutuatur, et auditorium exstruit, et subsellia conducit, et libellos dispergit ; et, ut5 beatissimus recitationem ejus eventus prosequatur, omnis illa laus intra unum aut alterum diem, velut in herba aut flore præcepta, ad nullam certam et solidam pervenit frugem ; nee aut amicitiam inde refert, aut clientelam, aut mansurum in amico cujusquam6 beneficium, sed clamorem vagum, et voces inanes, et gaudium volucre. Laudavimus nuper, ut miram et eximiam, Vespasiani liberalitatem, quod7 quingenta sestertia Basso donasset. Pulchrum id quidem indulgentiam principis ingenio mereri ; quanto8 tamen pulchrius, si ita res familiaris exigat, se ipsum colere, suum genium propitiare, suam experiri liberalitatem !
Versio LXXXII.
Sequitur de eodem argumento. §
82. Adjice quod poetis1, si2 modo dignum aliquid elaborare et efficere velint, relinquenda conversatio amicorum, et jucunditas Urbis, deserenda cetera officia, utque ipsi dicunt, in nemora et lucos, id est, in solitudinem recedendum est. Nec opinio quidem et fama, cui soli serviunt, et quod3 unum esse pretium omnis sui laboris fatentur, æque4 poetas ac oratores sequitur5, quoniam mediocres poetas nemo novit, bonos pauci. Quando enim rarissimarum recitationum fama in totam urbem penetrat ? nedum ut per tot provincias innotescat. Quotusquisque6, quum ex Hispaniã vel Asiã, ne quid de Gallis nostris loquamur, in urbem venit, Bassum requirit ? atque adeo si quis requirit, et semel vidit, transit et contentus est, ut si picturam aliquam vel statuam vidisset.
Neque hunc meum sermonem sic accipi volo, tanquam illos quibus natura sua oratorium ingenium denegavit, deterream a carminibus, si modo in hac studiorum parte oblectare otium et nomen inserere possunt famæ. Ego vero omnem eloquentiam omnesque ejus partes sacras et venerabiles puto : nec solum cothurnum vestrum, aut heroici carminis sonum, sed lyricorum quoque jucunditatem, et elegorum lascivias, et iamborum amaritudinem, epigrammatum lusus, et quamcunque aliam speciem eloquentia habeat, anteponendam ceteris aliarum artium studiis credo. Sed tecum mihi, Materne, res est, quod7, quum natura tua in ipsam arcem eloquentiæ ferat, errare mavis, et summa8 adeptus, in levioribus subsistis.
Versio LXXXIII.
Amicus amicum hortatur ad librorum suorum editionem. §
83. Hominem1 te patientem, vel potius durum, ac pene crudelem, qui2 tam insignes libros tandiu teneas ! Quousque et tibi et nobis invidebis ? tibi maximam laudem, nobis voluptatem ? Sine per ora hominum ferantur, iisdemque quibus3 lingua romana spatiis4 pervagentur. Magna etiam longaque exspectatio est ; quam frustrari adhuc et differre non debes. Enotuerunt quidam tui versus, et invito5 te claustra tua refregerunt : hos nisi retrahes6 in corpus, quandoque, ut errones, aliquem cujus7 dicantur invenient.
Habe ante oculos mortalitatem, a quã asserere te hoc uno monimento potes. Dices, ut soles, Amici mei viderint8. Opto equidem amicos tibi tam fideles, tam eruditos, tam laboriosos, ut tantum curæ intentionisque suscipere et possint et velint. Sed dispice ne sit parum providum sperare ex aliis, quod tibi ipse non præstes. Et de editione quidem ut voles ; interim, recita saltem, quo9 magis libeat emittere, utque tandem percipias gaudium quod ego olim pro te non temere præsumo. Imaginor enim qui10 concursus, quæ admiratio te, qui clamor, quod etiam silentium maneat ; quo11 ego, quum dico vel recito, non minus quam elamore delector ; sit modo12 silentium acre, et intentum, et cupidum ulteriora audiendi. Hoc fructu tanto, tam parato, desine tua studia, infinitã istã cunctatione, fraudare : quæ, quum modum excedit13, verendum est ne inertiæ et desidiæ, vel etiam timiditatis nomen accipiat.
Versio LXXXIV.
Qualis reipublicœ status, debellatā Carthagine, Romœ esse cœperit. §
84.Mos partium popularium et senati1 factionum, ac deinde omnium malarum artium, paucis2 ante annis Romæ ortus, otio et abundantiã earum rerum quæ3 prima mortales ducunt. Nam ante Carthaginem deletam populus et senatus romanus placide modesteque inter se rempublicam tractabant ; neque gloriæ neque dominationis certamen inter cives erat : metus hostilis in bonis artibus civitatem retinebat. Sed ubi illa formido mentibus decessit, scilicet ea quæ secundæ res amant, lascivia atque superbia incessere. Ita, quod in advorsis* rebus optaverant, otium, postquam adepti sunt, asperius acerbiusque fuit. Namque cœpere nobilitas dignitatem, populus libertatem in lubidinem** vertere, sibi quisque ducere, trahere, rapere. Ita omnia in duas partes abstracta sunt ; respublica, quæ media fuerat, dilacerata. Ceterum nobilitas factione magis pollebat ; plebis vis, soluta atque dispersa, in multitudine minus poterat. Paucorum arbitrio belli4 domique agitabatur ; penes eosdem ærarium, provinciæ, magistratus, gloriæ triumphique erant : populus militiã atque inopiã urgebatur. Prædas bellicas imperatores cum paucis diripiebant. Interea parentes, aut parvi liberi militum, ut quisque potentiori confinis erat, sedibus pellebantur.
Gracchis sane, plebem in libertatem vindicare aggressis, haud satis moderatus animus fuit : sed bono vinci satius est, quam malo5 more injuriam vincere. Igitur eā victoriã nobilitas ex lubidine suā usa, multos mortales ferro aut fugã exstinxit, plusque in reliquum sibi timoris, quam potentiæ addidit.
Versio LXXXV.
Conferuntur Tullius Cicero et Demosthenes. §
85. Omnia ad dicendi laudem Tullio prona fuisse felicitate1 ingenii et parentum curā : omnia contra Demostheni abrupta malignitate naturæ et rectorum avaritiā, accepimus. A quibus2 diversissimis ingeniis ad illud idem fastigium assurrexere, pari famã, dispari forsan gloriā, siquidem plus honoris est periculosius vincenti.
Itaque in Tullio oratio nitidior, et dulcior, et gratiori facilitate fluens, ut3 in homine cui natura, suã sponte et nullo labore, omnia perfecta et vel præcipiti cogitatione consummata subministret : in Demosthene autem vehementior et acrior, ut4 in eo qui nervos contentionemque a5 pueris adhibere soleat, et priusquam in alios, in se ipsum assueverit obluctari. In hoc, actio modica et majestatis plena, et pro magnitudine rerum varia, ut in quo summum sit imperium sui6 atque liberum semper mentis judicium, tam corporis motus quam animi affectus regentis, et pro hominum atque temporum convenientiã temperantis : in illo animosa, impetus7 immodica, contentione vocis, corporis jactatione, vultus et oculorum ardore flagrans, quum8 ipse statim ab initio huic quasi corporis eloquentiæ habenas ex industriã immiserit, et, dum ceteros raperet, torrenti dicendi flumine ultro volensque raperetur.
Versio LXXXVI.
Cœsarem Augustum minus opinione 1 fuisse beatum. §
86. In divo Augusto, quem universa mortalitas beatum nuncupat, si diligenter æstimentur cuncta, magna sortis {p. 336}humanæ reperiantur2 voluminã. Repulsa in magisterio equitum apud avunculum*, et contra petitionem ejus prælatus Lepidus : proscriptionis3 invidia : collegium in triumviratu pessimorum civium** : Philippensi prælio morbus, fuga, et triduo in palude ægroti latebra : naufragia Sicula, et alia ibi quoque in speluncã occultatio : jam in navali fugã, urgente hostium manu, preces Proculeio*** mortis admotæ : cura Perusinæ contentionis**** : sollicitudo martis Actiaci : tot seditiones militum ; tot ancipites morbi corporis.
Postea principatum adepto suspecta Marcelli***** vota : pudenda Agrippæ****** ablegatio : toties petita insidiis vita : incusatæ liberorum mortes, luctusque non tantum orbitate tristes : adulterium filiæ, et consilia parricidæ palam facta : contumeliosus privigni Tiberii Neronis secessus : juncta deinde tot mala : inopia stipendii, rebellio Illyrici, servitiorum delectus, juventutis penuria, pestilentia. Urbis, fames sitisque Italiæ, destinatio expirandi, et quatridui inopiã major pars mortis in corpus recepta. Juxta hæc Variana clades, et majestatis ejus fœda sugillatio ; et uxoris Tiberiique cogitationes, suprema ejus cura4. In summã, deus ille, cœlumque nescio adeptus5 magis, an meritus, hærede6 hostis sui7 filio excessit.
Versio LXXXVII.
Depravati sœculi mores arguuntur. §
87. Priscis temporibus, quum adhuc nuda virtus placeret, vigebant artes ingenuæ, summumque certamen inter homines erat, ne quid profuturum sæculis diu lateret1. Itaque, hercules alter, omnium herbarum succos Demoecritus {p. 338}expressit, et ne lapidum virgultorumque vis lateret, ætatem inter experimenta consumpsit. Eudoxus quidem in cacumine experimenta consumpsit. Eudoxus quidem in cacumine excelsissimi montis consenuit, ut astrorum cœlique motus deprehenderet2 ; et Chrysippus, ut ad inventionem sufficeret3, ter helleboro animum detersil. Verum ut ad plastas convertar, Lysippum statuæ unius lineamentis inhærentem inopia exstinxit ; et Myron, qui pæne hominum animas ferarumque ære comprehenderat, non invenit hæredem. At nos, fœdis corporis voluptatibus demersi, ne4 paratas quidem artes audemus cognoscere ; sed, accusatores antiquitatis, vitia tantum docemus et discimus. Ubi est dialectica ? ubi astronomia ? ubi sapientiæ consultissima via ? Quis unquam venit in templum, et votum fecit, si ad eloquentiam pervenisset5 ? Quis, si philosophiæ fontem invenisset ? Ac ne bonam6 quidem mentem, aut bonam valetudinem petunt : sed statim, antequam7 limen Capitolii tangunt, alius dona promittit, si8 propinquum divitem extulerit ; alius, si ad trecenties9 sestertium salvus pervenerit. Ipse senatus, recti bonique præceptor, mille pondo10 auri Capitolio promittere solet : et ne quis dubitet11 pecuniam concupiscere, Jovem quoque peculio exorat.
Versio LXXXVIII.
Nonnullam 1 ex ipsis inimicis capi posse utilitatem. §
88. Dum id unum sibi proponit vulgus, ut ab inimicorum caveat injuriis, prudentes etiam ex eorum veneno salutem sibi petere didicerunt. Nec falso dixeris2 ex inimicorum malitiã boni plurimum in vitam derivari.
Ac primum quidem, quanto3 cautius invigilat sibi, si quis inimicos imminere sentiat ! Erigitur animus inter insidias ; excitatur strepitu virtus, quæ, si4 secura esset, {p. 340}inclinaret in somnum et inertiã5 torpesceret. Obsidet inimicus, quidquid gesseris infestus explorat ; vitam tuam undique circuit, si forte præbeas ansam nocendi. Neque tantum aut muros, ut Lynceus* ille, aut lapides oculorum acmine penetrat ; sed et per amicos t per famulos quid6 in pectore inclusum habeas speculatur. Tibi etiam ipse obrepit, te scrutatur totum cuniculis. Maxime autem in peccatis hæret, eaque investigat ; ac veluti vultures, odore7 cadaverum allecti, quæ corpora sana sunt, ea8 hebeti sensu non assequuntur : ita, si quid in te virtulis est, id unum fallit9 ejus10 sensum ; sola vitia movent, ad hæc assilit, hæc arripit, rimatur, dilaniat. Hujus tu primo tactu statim admonitus, id agis ut te omni virtutum genere munitum septumque custodias. Et quemadmodum assiduis vicinorum bellis vexata civitas fit robustior, et ad fortitudinem certaminibus acuitur : sic erebro inimicorum conflictu exercitata mens, excussis paulatim vitiis, invictam vim et robur inexpugnabile consequitur.
Versio LXXXIX.
Cujusdam cogitatio corpus inimici sui fluctibus ejectum conspicientis. §
Littus maris quum perambularem, repente video corpus humanum, circumactum levi vortice, ad plagam deferri. Adhuc tanquam ignoti vicem miserabar, quum inviolatum os fluctus convertit in terram, agnovique gravissimum paulo ante et implacabilem inimicum, pedibus meis pæne subjectum. Non tenui igitur diutius lacrymas, imo percussi semel iterumque manu pectus, et : ubi nunc est, inquam, iracundia tua ? ubi impotentia ? Nempe piscibus belluisque expositus jaces ; et qui paulo ante jactabas vires imperii tui, de navigio ne tabulam quidem naufragus habes ! Ite nunc, mortales, et magnis cogitationibus pectora implete. {p. 342}Ite cauti, et opes fraudibus1 captas per mille annos disponite. Nempe hic proximã luce patrimonii sui rationes inspexit ; nempe diem etiam quo2 venturus esset in patriam, animo suo finxit. Dii deæque, quam longe a destinatione suã jacet ! Sed non sola mortalibus maria hanc fidem præstant. Illum bellantem arma decipiunt ; illum diis vota reddentem penatum suorum ruina sepelit ; ille vehiculo lapsus properantem spiritum excussit ; cibus avidum strangulavit, abstinentem frugalitas. Si bene calculum ponas, ubique naufragium est. At enim fluctibus obruto non contingit sepultura. Tanquam intersit periturum corpus quæ3 ratio consumat, ignis, an4 fluctus, an mora ! Quuidquid feceris, omnia hæc eodem ventura sunt.
Versio XC.
Andromache, instante Ulysse, filium Astyanacta e latebris educit. §
90. Huc e latebris procede tuis,Flebile matris furtum1 miseræ.Hic puer, hic est terror, Ulysse,Mille carinis. Submitte manus,Dominique pedes supplice dextraStratus adora ; nec turpe putaQuidquid2 miseros fortuna jubet.Pone ex animo reges atavos,Magnique senis jura per omnesInclyta terras ; excidat Hector ;Gere captivum ; positoque genu,Si3 tua nondum funera sentis,Matris fletus imitare tuæ.Vidit pueri regis lacrymasEt Troja prior, parvusque minasTrucis Alcidæ flexit Priamus.Ille, ille ferox, cujus vastis{p. 344}Viribus omnes cessere feræ,Qui perfracto limine DitisCæcum retro patefecit iter,Hostis parvi victus lacrymis :Suscipe, dixit, rector habenas,Patrioque sede celsus solio ;Sed sceptra fide meliore tene.Hoc fuit illo victore capi4.Discite mites Herculis iras ;An sola placent Herculis arma ?Jacet ante pedes non minor illoSupplice supplex, vitamque petit.Regnum Trojæ quocunque5 voletFortuna ferat.
Versio XCI.
Rusticum prœdiolum. §
91. Est mihi paternus agellus, non vitibus consitus, non frumentis ferax1, non pascuis lætus. Jejunæ modo glebæ atque humiles thymi, et non late pauperi casæ circumjecta possessio. In hoc ego vitæ meæ secreto remotus a tumultu civitatis, ignobile ævum agere procul ab ambitu et omni majoris fortunæ cupiditate constitui, et, dum molesta, lege naturæ, vita transiret, vitam fallere. Dum fortius opus permiserunt vires, terram manibus subegi, et, invito solo, nonnihil2 tamen fœcunditatis expressi. Sed cito labitur dies, et proclives in pronum feruntur anni. Abiere vires, census meus, defectaque labore senectus, magna3 pars mortis, nihil mihi reliquit, nisi diligentiam. Circumspicienti quod4 conveniret opus invalidæ senectutis curæ, dare apibus alendis occasionem visa est opportunitas hortuli mei. Est namque positus ad ortus solis hiberni, apricus, omnibus ventis medius. Fusus ex proximo fonte rivus, trepidantibus inter radiantes calculos aquis, utrinque ripã virente præterfluit. Ripis consiti flores, et viridis, {p. 346}quamvis paucarum, arborum coma, nascentibus populis prima sedes5 ; unde ego frequenter consertum novæ juventutis agmen ramo gravescente suscepi. Nec me tanta capit voluptas quod fluentia ceris mella condere liceat, et ad sustinendas paupertatis impensas, deferre in urbem quæ6 divites emant, quam quod, adversus omnia lassæ tædia ætatis, habeo senex quod7 agam.
Versio XCII.
Melius est bonos juvare quam divites. §
92. Quum in hominibus juvandis aut1 mores spectari aut fortuna soleat, dictu quidem est proclive, itaque vulgo loquuntur, se in beneficiis collocandis mores hominum, non fortunam sequi. Honesta oratio est. Sed quis est tandem qui2 inopis et optimi viri causæ non anteponat, in operā dandā, gratiam fortunati et potentis ? a quo3 enim expeditior et celerior remuneratio fore videtur, in eum fere est voluntas nostra propensior. Sed animadvertendum est diligentius quæ4 natura rerum sit. Nam qui se locupletes, honoratos, beatos putant, hi ne5 obligari quidem beneficio volunt. Quin etiam beneficium se dedisse arbitrantur, quum ipsi quamvis magnum aliquod acceperint ; atque etiam a se postulari aut exspectari aliquid suspicantur ; patrocinio vero se usos, et clientes appellari, mortis instar putant. At vero ille tenuis, quum, quidquid6 factum sit, se spectatum, non fortunam putet, non modo illi, qui est meritus, sed etiam illis a quibus exspectat (eget enim multis), gratum se videri studet : neque vero verbis auget suum munus, si quo forte fungitur, sed etiam extenuat. Videndumque illud est, quod, si opulentum fortunatumque defenderis, in illo uno, aut forte in liberis ejus manet gratia : sin autem inopem, probum tamen et modestum, omnes non improbi humiles præsidium sibi paratum vident. Danda quidem omnino opera est ut omni {p. 348}generi satisfacere possimus. Sed si7 res in contentionem veniet, nimirum Themistocles est auctor adhibendus : qui quum consuleretur, utrum bono viro pauperi, an minus8 probato diviti filiam collocaret : « Ego vero, inquit, malo virum qui pecuniā egeat, quam pecuniam quœ viro. »
Versio XCIII.
Mors poetœ Philemonis*. §
93. Philemon, in arte comœdicā nobilis, forte recitabat partem fabulæ quam recens fecerat ; quumque jam tertium actum inchoaret, imber repentino coortus differri auditorium coegit : reliquum autem variis postulantibus, sine intermissione deincipi die perrecturum**. Postridie igitur maximo studio ingens hominum frequentia convenere. Festinatur ad sessionem. Extimus quisque1 excuneati queruntur. Farto theatro, qui pridie non adfuerant, percontari ante dicta ; qui adfuerant, recordari audita. Interim dies ire, neque Philemon ad condictum venire. Quidam tarditatem poetæ murmurari, plures defendere. Sed ubi diutius æquo2 sedetur, nec Philemon uspiam comparet, missi ex junioribus qui3 accirent ; atque eum in suo sibi lectulo mortuum offendunt. Commodum ille animā editā obriguerat, jacebatque incumbens toro, similis cogitanti. Adhuc manus volumini implexa, adhuc os recto libro impressum. Sed enim jam animæ vacuus, libri oblitus, et auditorii4 securus. Stetere paulisper qui introierant, perculsi tam inopinatæ rei, tam formosæ mortis miraculo. Dein regressi ad populum, renuntiavere : Philemonem poetam, qui exspectaretur5 in theatro fictum argumentum finiturus, jam domi veram fabulam consummasse : enimvero jam dixisse rebus humanis valere et plaudere*** ; suis {p. 350}vero familiaribus dolere et plangere : hesternum illi imbrem lacrymas auspicatum esse ; comœdiam ejus prius ad funebrem facem quam ad nuptialem* venisse : proin, quoniam6 poeta optimus personam vitæ deposuerit, recta de auditorio ejus exsequias eundum ; legenda ejus esse nune ossa, mox carmina.
Versio XCIV.
Vita ideo brevis videtur, quod uti illā nescimus. §
94. Quid1 de rerum naturā querimur ? illa se benigne gessit : vita, si scias2 uti, longa est. Alium insatiabilis tenet avaritia ; alium in supervacuis laboribus operosa sedulitas ; alius vino3 madet ; alius inertiā torpet ; alium defatigat ex alienis judiciis suspensa semper ambitio ; alium mercandi præceps cupiditas circa omnes terras, omnia maria, spe lucri, ducit. Quosdam torquet cupido militiæ, nunquam non aut alienis periculis intentos, aut suis anxios ; sunt quos4 ingratus superiorum5 cultus voluntariā servitute consumat. Multos aut affectatio alienæ fortunæ, aut suæ odium detinuit ; plerosque nihil certum sequentes vaga et inconstans et sibi displicens levitas per nova consilia jactavit. Quibusdam nihil quo6 cursum dirigant, placet ; sed marcentes oscitantesque fata deprehendunt : adeo ut quod apud maximum poetarum more oraculi dictum est, verum esse non dubitem :
Exigua pars est vitæ quam7 nos vivimus.
Urgentia circumstant vitia undique ; nec resurgere, aut in dispectum veri attollere oculos sinunt ; sed mersos, et in cupiditatibus infixos premunt. Nunquam illis recurrere ad se licet, si quando aliqua quies fortuito contigit : velut in profundo mari, in quo post ventum quoque volutatio est, {p. 352}fluctuantur, nec unquam illis a8 cupiditatibus suis otium instat. De istis me putas disserere, quorum in confesso mala sunt : adspice illos ad quorum felicitatem concurritur : bonis suis effocantur.
Versio XCV.
Ut excellentia multorum ingenia, apud Romanos, una eademque œtas congregari viderit. §
95. Nisi asperas ac rudes ætates repetas, et tantummodo inventi laudandas nomine, in Accio* circaque eum romana tragœdia est, dulcesque latini leporis facetiæ per1 Cæcilium, Terentiumque et Afranium, suppari ætate nituerunt. Historicos, præter Catonem et quosdam veteres et obscuros, minus2 octoginta annis circumdatum ævum tulit, ut nec poetarum in antiquius citeriusve processit ubertas. At oratio ac vis forensis, perfectumque prosæ eloquentiæ decus, ut idem separetur Cato** (pace P. Crassi, Scipionisque, et Lælii, et Gracchorum, et Fannii, et Ser. Galbæ dixerim3), ita universa sub principe operis sui erupit Tullio, ut4 delectari ante eum paucissimis, mirari vero neminem possis, nisi aut ab illo visum, aut qui illum viderit. Hoc idem evenisse grammaticis, plastis, pictoribus, sculptoribus, quisquis temporum institerit notis, reperiet, et eminentia cujusque operis artissimis temporum claustris circumdata. Eamdem apud Græcos, quatuor ante seculis, ingeniorum et similitudinem et congregationem exstitisse scriptorum ex monumentis abunde colligitur.
Inter alias utriusque rei causas, si non vera quidem, at veri similis hæc mihi visa est : alit æmulatio ingenia ; et nunc invidia, nune admiratio imitationem accendit ; matureque, quod summo studio petitur, ascendit in summum, {p. 354}difficilisque in perfecto5 mora est ; naturaliterque, quod procedere non potest, recedit. Ubi, quos ducimus priores, aut præteriri aut æquari posse desperavimus, studium cum spesenescit, et velut occupatam relinquens materiam, quærit novam in quā nitatur et emineat : ut6 frequens ac mobilis transitus maximum sit perfecti operis impedimentum.
Versio XCVI.
Ludorum Scenicorum Romœ institutio. (An de Rome 389. av. J. C. 364.) §
96. C. Sulpicio Betico, C. Licinio Stolone consulibus, intoleranda vis ortæ pestilentiæ Romam, a bellicosis operibus revocatam, domestici atque intestini mali curā afflixerat ; jamque plus in exquisito et novo cultu religionis, quam in ullo consilio humano positum opis videbatur. Itaque placandi cœlestis numinis gratiā compositis carminibus vacuas aures præbuit, ad1 id tempus circensi spectaculo contenta, quod primus Romulus, raptis virginibus Sabinis, Consualium* nomine celebravit. Verum, ut est mos hominum parvula initia pertinaci studio prosequendi, venerabilibus erga deos verbis juventus, rudi atque incomposito motu corporum jocabunda, gestus adjecit ; eaque res ludium ex Etruriā arcessendi causam præbuit, cujus decora pernicitas novitate gratā Romanorum oculos permulsit. Et quia2 ludius apud eos histrio vocabatur, scenicis nomen histrionibus inditum.
Paulatim deinde ludicra ars ad satirarum** modos perrepsit ; a quibus primus omnium poeta Livius*** ad fabularum argumenta spectantium animos transtulit ; isque, ut solebat, sui operis actor, quum sæpius a populo revocatus {p. 356}vocem obtudisset, adhibito pueri* et tibicinis concentu, gesticulationem tacitus peregit.
Attellani autem ab3 Oscis acciti sunt : quod genus delectationis, italicā severitate temperatum, notā vacat ; nam neque tribu movetur hujus actor, neque a4 militaribus stipendiis repellitur.
Versio XCVII.
De memoriā. §
97. Memoria tanquam thesaurus penusque1 disciplinarum, Musarum parens, altrixque sapientiæ.
Quid enim ? an potest quidquam3 esse aut excogitari præstantius, quam eam4 patere in animo capacitatem, quam immensa rerum aliarum aliis quotidie accedentium congeries non modo non expleat, non cumulet, sed dilatet etiam fundatque amplius, novosque semper sinus ac late lacunosos recessus aperiat ? Quid admirabilius quam rerum verborumque multitudinem5, formā variam pariter ac sensu discrepantem, iis loci angustiis ita6 non confuse ac permiste, sed distincte electeque conservari, ut, quasi discreto in capita seu familias populo, in fronte domus domini titulum legere, indeque habitatorem evocare, aut gentem universam censere facile possis ? Quid accommodatius quam hanc velut addictam tibi sacramento militiam eo7 inter8 se nexu ac fide conjunctam habere, ut, sive unumquodque separatim, sive confertim universa, sive singula ordinatim in aciem proferre velis, nihil plane in tantā turbā turbetur : sed alia in recessu sita prodeuntibus locum cedant ; alia, semiaperto aditu, quasi tentabunda, et an9 ipsa quærantur exploratura, subsistant ; alia se tota confestim promant, atque in medium, certo evocata, prosiliant ? Hoc autem tam magno, tam fido domesticorum agmine instructus {p. 358}animus quam speciem sui auditoribus exhibebit ! dum nihil agetur unquam, nihil in quotidiano sermone occurret, nihil in disquisitionem aliquando vocabitur, cujus arbitrium ille continuo petere ab10 autiquis, dicta11 sapienter, fortiter facta, excogitata prudenter inserere, cum recentibus vetera, nostra cum externis conferre, ad pompam usque et ostentationem, non valeat.
Versio XCVIII.
Laudatur Theodosii benignitas in impertiendis honoribus. §
98. Pari benignitate quum plures afficere honoribus velles, quam honorum loca admitterent, et angustior esset materia voluntate, quem nondum aliquo provexisti gradu, tamen dignatione es solatus. Atque haud scio an1 quibusdam consolatio illa suffecerit. Ille cohonestatus affatu, ille mensā beatus, ille osculo consectatus2 est. Ita omnibus qui te principe sibi jure confiderent, aut processit dignitas, aut satisfecit humanitas, humanitas, inquam, quæ tam clara in principe quam rara est. Nam quum3 indiscreta felicium pedisequa sit superbia, vix cuiquam4 contigit et abundare fortunā, et indigere arrogantiā. Cujus quidem ita majores nostros pertæsum5 est, ut graviorem semper putaverint servitute contemptum, ejusque impatientiā sint coacti, post bellatores Tullos, Numasque sacrificos, et conditores Romulos regnum usque ad nomen odisse. Denique ipsum illum Tarquinium hoc damnaverunt maledicto ; et hominem libidine6 præcipitem, avaritiā cæcum, immanem crudelitate, furore vecordem, vocaverunt Superbum, et putaverunt sufficere convicium. Quod si per7 rerum naturam liceret ut ille romanæ libertatis assertor Brutus, precariæ redditus vitæ, seculum tuum cerneret8 studiis virtutis, parcimoniæ, humanitatis imbutum ; jam te ipsum quā publice, quā privatim videret priscorum duritiā {p. 360}ducum, castitate pontificum, consulum moderatione, prætorum comitate viventem, mutaret profecto sententiam tanto post suam, et necessario fateretur Tarquinium submoveri debuisse, non regnum.
Versio XCIX.
Quœdam de vivendi more T. Flavii Vespasiani. §
99. Ordinem vitæ fere hunc tenuit : in principatu maturus1 semper ac de noctu evigilabat ; deinde perlectis epistolis, officiorumque omnium breviariis, amicos admittebat : ac dum2 salutabatur, et calceabat ipse3 sese et amiciebat. Post decisa quæcunque obvenissent negotia, gestationi et inde quieti vacabat, ac in balneum tricliniumque transibat. Nec ullo tempore facilior et indulgentior traditur ; eaque momenta domestici ad aliquid petendum magnopere captabant. Super cœnam autem multa joco transigebat. Erat enim dicacitatis plurimæ, et sic scurrilis ac sordidæ, ut ne4 prætextatis* quidem verbis abstineret. Et tamen nonnulla5 ejus facetissima exstant, in quibus et hoc : Menstrium Florum, consularem, admonitus ab eo plaustra potius quam plostra dicenda, die postero Flaurum** salutavit.
Maxime tamen dicacitatem in deformibus lucris affectabat, ut invidiam aliquā cavillatione dilueret, transferretque ad sales. Quemdam e caris ministris dispensationem cuidam6, quasi fratri, petentem quum distulisset, ipsum candidatum ad se vocavit ; exactāque pecuniā, quantum is cum suffragatore suo pepigerat, sine morā ordinavit. Interpellanti mox ministro : « Alium tibi 7, ait, quœre fratrem : hic, quem tuum putas, meus est. »
Versio C.
Ut major Africanus * Ennium ** poetam amore prosecutus sit. §
100. Major Scipiades, italis qui primus ab orisIn proprium vertit punica bella caput,Non sine pieriis exercuit artibus arma ;Semper erat vatum1 maxima cura duci.Gaudet enim virtus testes sibi jungere Musas :Carmen amat, quisquis carmine digna gerit.Ergo, seu, patriis primævus manibus ultor,Subderet hispanum legibus oceanum ;Seu, tyrias certā fracturus cuspide vires,Inferret libyco signa tremenda mari2,Omnibus in medias Ennius ire tubas.Illi post lituos pedites favere canenti,Laudavitque novā cæde cruentus eques.(Hanc vindex patris vicerat, hanc patriæ) ;Quum longi Libyam tandem post funera belliAnte suas mœstam cogeret ire rotas,Advexit reduces secum Victoria musas,Et sertum vati martia laurus erat.
Cours de versions §
Exercices préliminaires. §
Partout où nous tournerons les regards, nous rencontrerons Dieu ; car il remplit son ouvrage.
Dieu doit être honoré avec plus de piété que de magnificence. Les offrandes des hommes pieux, lors même qu’elles sont modiques, le touchent plus que celles des méchants, quelque riches qu’elles soient.
Nous devons discuter avec réserve sur la nature de celui qui a créé cet univers ; en effet, notre cœur le sent, mais notre esprit ne le comprend pas.
Nos premières obligations sont envers Dieu ; après lui, envers la patrie ; troisièmement, envers les auteurs de nos jours ; puis, par degrés, envers le reste des hommes.
Il n’est point de créature animée, excepté l’homme, qui ait quelque connaissance de l’Etre suprême. Cet avantage surtout le distingue des autres créatures, et lui assure le premier rang.
Nous serions bientôt parfaits, si, tous les ans, ns arrachions un mauvais penchant de notre cœur.
Ne soyez point pour vos semblables un âpre censeur ; ne vous informez pas trop curieusement de ce qu’ils font. Le plus souvent, en effet, quand vous vous étudiez à les connaître et à les corriger, vous tombez dans l’erreur, et vous prenez une peine inutile. Tournez les yeux sur vous-même, au lieu de juger les actions d’autrui. En scrutant votre caractère, vous vous tromperez moins ; et vous retirerez de cette étude un profit plus certain et plus considérable.
Athènes conserva longtemps l’usage établi par Cécrops, d’enterrer les morts. C’étaient les plus proches parents qui jetaient la terre sur le cadavre. L’inhumation était suivie d’un festin, où l’on se couronnait de fleurs, et où l’on faisait l’éloge du mort, quand cet éloge s’accordait avec la vérité ; car le mensonge était regardé comme un crime.
{p. 5}Si nos âmes ont une céleste origine, il faut tendre à la vertu, et ne point nous assujettir aux plaisirs des sens.
La beauté de l’univers, l’ordre des corps célestes, les révolutions du soleil, de la lune et de tous les astres, démontrent suffisamment, par leur seul aspect, que toutes ces choses ne sont point l’œuvre du hasard, et nous forcent de reconnaître l’existence d’un être supérieur et éternel, qui commande l’admiration du genre humain.
Anciennement, chez le peuple romain, les récompenses publiques étaient rares et simples, et, par cette raison, glorieuses : dans la suite, elles furent prodiguées, et perdirent ainsi leur prix. Nous voyons qu’il en était de même autrefois chez les Athéniens : pour les services éminents que Thrasybule avait rendus à sa patrie, le peuple lui décerna, à titre d’honneur, une couronne faite de deux petites branches d’olivier. Satisfait de cette récompense, ce grand homme ne demanda rien de plus.
Qu’ils sont faux les préjugés de ces hommes qui aspirent à étendre leur domination au delà des mers, et qui croient être au comble du bonheur, si leurs armes conquièrent un grand nombre de provinces, et en ajoutent de nouvelles aux anciennes ! Ils ignorent que le plus grand empire est celui qu’on exerce sur soi-même, comme la plus pesante servitude est celle où l’on subit le joug des passions.
Il sera d’un grand avantage pour le reste de la vie, que les enfants reçoivent dès ce premier âge de bons principes. En effet, il est facile de former des âmes encore tendres ; on arrache difficilement les vices qui se sont développés avec nous.
Un prince doit être pour son peuple tel qu’il voudrait que les dieux fussent à son égard. Si les dieux, indulgents et équitables, ne lancent pas aussitôt la foudre pour châtier les fautes des grands, combien n’est-il pas plus juste encore qu’un homme, établi pour commander à des hommes, exerce l’autorité avec douceur !
Celui qui est en paix avec lui-même, ne conçoit pas facilement de soupçons sur autrui ; mais celui que sa conscience tourmente, est aussi agité de soupçons : de sorte qu’il ne {p. 7}connaît point le repos pour lui-même, et n’en laisse point jouir les autres.
Les censeurs privaient ordinairement de son cheval (c’est-à-dire dégradaient) un chevalier romain qui était trop gras ; soit qu’ils fussent persuadés qu’un homme chargé d’un corps si pesant était moins propre à faire un cavalier ; soit qu’ils pensassent qu’on pouvait reprocher une certaine inaction à un individu dont le corps avait pris un embonpoint si démesuré.
Le caractère de l’homme est si changeant, si multiple, qu’on le trouve quelquefois aussi différent de lui-même que des autres.
Quoi de plus précieux que la raison ? que cette faculté qui, lorsqu’elle a pris son développement et atteint sa perfection, est à juste titre appelée sagesse ?
Rien n’est plus contagieux que l’exemple. Il ne se fait point de grands biens, ni de grands maux, qui n’en produisent de semblables. Nous imitons le bien par émulation, et le mal par une certaine malignité de notre nature, que la honte retenait prisonnière, et que l’exemple met en liberté.
C’était l’usage, chez les Grecs, de faire passer une lyre à table dans les festins. Thémistocle, ayant avoué qu’il ne savait pas jouer de cet instrument, fut regardé comme un ignorant.
C’est une extrême injustice d’être juste en vue d’une récompense. Les autres vertus également doivent être pratiquées pour elles-mêmes : c’est le devoir qu’il faut nous proposer en elles, et non le profit ; car plus on rapporte toutes ses actions à l’intérêt, moins on est homme de bien.
On raconte de Pisistrate, tyran d’Athènes, le trait suivant : Un convive, emporté par l’ivresse, avait tenu contre lui beaucoup de propos injurieux, et il ne manquait pas de gens qui le poussaient à la colère et à la vengeance. Pisistrate supporta patiemment ces injures, et dit qu’il n’en voulait pas plus à cet homme, qui était ivre, qu’à un homme qui aurait eu les yeux bandés, et se serait jeté sur lui.
Vespasien, qui savait bien en quoi consiste la vraie noblesse, et combien on doit estimer peu l’éclat de la naissance, {p. 9}Vespasien, devenu empereur, ne dissimula point son ancienne médiocrité, et la déclara plus d’une fois. Il se moqua même de certaines gens qui prétendaient rattacher son origine à un compagnon d’Hercule.
Alexandre mourut vivement regretté des Perses, qu’il avait traités avec beaucoup de douceur, mais nullement des Macédoniens, que révoltait son excessive sévérité envers ceux de sa nation.
La nature n’a point départi seulement l’intelligence à l’homme : elle a joint à cet attribut une forme corporelle adaptée avec une merveilleuse convenance à l’esprit humain. Les autres créatures sont penchées vers la terre : l’homme seul est debout ; elle l’a fait, en quelque sorte, pour regarder le ciel, sa patrie et son séjour.
C’est la vertu qui forme et qui conserve les amitiés. Nous voyons quelquefois entre des méchants une conformité de souhaits, d’aversions, de craintes ; mais ce qu’on appelle amitié entre les gens de bien, est complot entre les méchants.
Un homme, ayant entendu un poëte lire une pièce de vers nouvellement composée, prétendit que cette pièce était de lui, et, sur-le-champ, il la répéta de mémoire, quand l’auteur même ne pouvait en faire autant. Qui n’admirerait cette faculté de saisir si promptement, de retenir si fidèlement ce qu’on n’a entendu qu’une fois ?
Saturne, le plus ancien roi de l’Italie, fut, dit-on, si juste, qu’il n’y eut point d’esclaves sous son règne, ni rien qui appartînt en propre à personne : tous les biens étaient en commun, on ne connaissait point de partage, comme s’il n’y eût eu pour tous qu’un seul patrimoine. Ce siècle fut appelé l’âge d’or.
C’est une honte extrême, non-seulement de priser plus ce qui semble utile que ce qui semble honnête, mais de comparer ensemble les deux objets, et de balancer entre eux.
L’homme de bien, tel que nous le sentons, n’ôtera rien à qui que ce soit, pour se l’approprier ; et il comprendra que rien de ce qui est injuste n’est ni utile ni profitable.
{p. 11}Voici une belle parole d’Anaxagore. Il était mourant à Lampsaque. Ses amis lui demandant s’il voulait, dans le cas où la nature disposerait de lui, qu’on le rapportât dans sa patrie, à Clazomène : « C’est inutile, répondit le philosophe ; de tous les points du monde, il y a le même chemin pour aller aux enfers. »
L’univers se règle sur l’exemple des souverains. Les princes corrompus font d’autant plus de mal aux Etats, que non-seulement il s’engendre en eux des vices, mais qu’ils les font encore passer dans leurs peuples, et nuisent plus par leur exemple que par leurs fautes.
Comme les membres de l’homme sont mus par le simple effet de sa pensée et de sa volonté, ainsi tout peut être créé, mis en mouvement, et changé par l’ordre tout-puissant des dieux.
Les avantages dont nous usons, la lumière dont nous jouissons, l’air que nous respirons, sont des présents que Dieu nous a départis. C’est sa providence qui gouverne le monde ; il s’intéresse encore aux choses humaines ; et non-seulement à toutes en général, mais à chacune en particulier.
Il faut vivre comme si nous vivions en présence de tous les hommes ; il faut penser comme si quelqu’un pouvait voir au fond de notre cœur : et quelqu’un peut le faire. Rien n’est fermé à Dieu : il est dans nos âmes, et survient au milieu de nos pensées ; que dis-je ? il ne s’en éloigne jamais.
Il n’est pas permis aux grands et aux princes de suivre leur fantaisie, et de vivre pour eux seuls. Placés au faîte de la puissance, ils sont présentés aussi bien à notre imitation qu’à nos regards. Qu’ils se souviennent que, plus leur condition est élevée, plus ils doivent au vulgaire. Ainsi, pour emprunter [illisible chars][texte coupé] paroles d’un célèbre historien, c’est dans la plus haute fortune qu’il y a le moins de liberté.
Les richesses, les honneurs, et les autres avantages de ce genre, objets d’une si vive convoitise chez les mortels, le sage [illisible chars][texte coupé] regarde, pour ainsi dire, du haut de son âme. Ils ne valent pas, à ses yeux, les fatigues et les peines qu’il en coûte, la plupart du temps, pour les acquérir.
{p. 13}Olympias, mère d’Alexandre, lui demandait d’une manière pressante la mort d’un innocent, et répétait souvent, pour obtenir plus facilement ce qu’elle voulait, qu’elle l’avait porté neuf mois dans son sein. Alexandre lui fit cette sage réponse : « Ma bonne mère, demandez-moi une autre récompense. Aucun bienfait ne compense le salut d’un innocent. »
Denys le tyran, qui semblait né pour la cruauté et l’orgueil, envoya un navire orné de bandelettes, au-devant de Platon, le sublime maître d’éloquence et de morale, quand il se rendit à Syracuse. Lui-même le reçut en personne, à sa descente du navire, et le fit monter sur un char attelé de quatre chevaux blancs.
Nous lisons que, chez les anciens Romains, le goût de l’agriculture était en honneur ; que la ville enviait le sort de ceux qui vivaient à la campagne ; et que les personnages les plus éminents, ceux auxquels on confiait la conduite des affaires, étaient impatients de s’échapper de la ville, où ils semblaient enchaînés, pour voler aux champs.
Cette main que Mucius, insensible à la douleur, eut la force de livrer aux flammes, Porsena n’eut pas la force de la voir brûler. Ennemi généreux, il ne put soutenir cet affreux spectacle. Il arracha le Romain aux flammes, et le laissa partir. L’erreur commise par cette main ne fit que l’illustrer davantage. En frappant juste, elle eût moins fait.
Ne prêtez point l’oreille aux flatteurs. Les paroles doucereuses, par un attrait naturel, plaisent encore, lors même qu’on les rejette ; souvent repoussées, elles finissent par être accueillies.
Le plaisir des sens est fragile, passager, et d’autant plus voisin du dégoût, qu’on en a joui plus avidement. Il est nécessairement suivi du regret ou de la honte. Il ne possède rien de grand, rien qui convienne à la nature de l’homme, de cet être qui approche le plus de la divinité.
Depuis que vous vous êtes confié à la philosophie, j’espère et je crois avec conviction que vous deviendrez meilleur. Celui qui va au soleil, brunira son teint ; ceux qui se sont assis dans {p. 15}une boutique de parfumeur, et s’y sont arrêtés assez longtemps, en emportent l’odeur avec eux ; de même, ceux qui ont fréquenté un philosophe ou un homme de bien, ont puisé nécessairement dans ce commerce quelque principe salutaire.
Il faut qu’en entrant dans notre maison, ce soit nous qu’on admire, plutôt que notre mobilier. Celui-là est grand, qui se sert de vaisselle de terre comme si c’était de l’argent ; et celui-là n’est pas moins grand, qui se sert de vaisselle d’argent comme si c’était de la terre.
Ne dites pas que nos inventions soient notre ouvrage. La nature a mis en nous le germe de toutes les connaissances ; et Dieu, notre maître, agit en secret sur les talents, et les fait éclore.
L’homme de bien ne ferme point ses paupières pour goûter les douceurs du sommeil, avant d’avoir réfléchi sur ses actions de toute la journée, pour se repentir des mauvaises, ou se réjouir des bonnes.
La pratique de la bienfaisance demande beaucoup de précautions. Il faut d’abord prendre garde que notre libéralité ne nuise à ceux mêmes que nous voulons obliger, et aux autres ; en second lieu, qu’elle ne soit au-dessus de notre fortune ; enfin, qu’il soit accordé à chacun selon son mérite.
La santé de l’âme n’est pas plus assurée que celle du corps : et, quoique l’on paraisse éloigné des passions, on n’est pas moins en danger de s’y laisser entraîner, que de tomber malade quand on se porte bien.
Nous sentons et nous pesons vite ce que les autres nous font souffrir et supporter ; mais nous ne songeons guère à ce que nous faisons souffrir et supporter aux autres.
Réfléchissez longtemps si un homme doit être admis dans votre amitié. Quand vous avez jugé bon de l’admettre, ouvrez-lui tout à fait votre cœur ; parlez avec lui aussi hardiment qu’avec vous-même.
Agis, roi de Lacédémone, entendant louer la justice des Eléens, comme juges dans les combats olympiques : « Qu’y a-t-il d’étonnant, dit-il, que les Eléens soient justes, tous les quatre ans, pendant un jour ? »
{p. 17}Nous sommes si présomptueux, que nous voudrions être connus de toute la terre, et même des gens qui viendront quand nous ne serons plus : et nous sommes si vains, que l’estime de quelques personnes qui nous environnent, nous amuse et nous contente.
Détromper un homme préoccupé de son mérite, c’est lui rendre un aussi mauvais office que celui qu’on rendit à ce fou d’Athènes, qui s’imaginait que tous les vaisseaux qui arrivaient dans le port étaient à lui.
Les rois et les grands sont de tous les hommes ceux auxquels sied le mieux la clémence. En effet, la puissance ne nous honore qu’autant qu’elle est bienfaisante. Mais quelle gloire d’être fort pour faire du mal ?
Vous n’avancerez dans le chemin de la vertu, qu’autant que vous vous ferez violence à vous-même.
Première partie. §
Version I.
Les deux Sources. §
1. Deux sources, qui sortaient de la même montagne, avaient pendant quelque temps traîné leurs eaux chétives à travers des roseaux, par des routes à peu près semblables. Tout à coup l’une d’elles se jette à gauche, et, apercevant une immense prairie, émaillée çà et là de fleurs charmantes, « Adieu ! ma sœur, adieu ! dit-elle ; je me laisse aller où m’attire l’aspect de ces objets nouveaux et enchanteurs. » En même temps, elle s’en va par une autre route, gagne la prairie ; et, dans son empressement à parcourir toutes les beautés de ces lieux, elle se divise en petits ruisseaux. Mais absorbée par le sol aride, elle l’abreuve, et périt épuisée au milieu des funestes délices des fleurs. Cependant sa compagne, plus sage, se renfermant dans le lit qui l’a reçue d’abord, coule à travers d’âpres rochers, il est vrai, en suivant un cours plus difficile et moins agréable, mais sans rien perdre d’elle-même. Puis encore des eaux abondantes, descendues des coteaux voisins, viennent grossir les siennes. Bientôt même des ruisseaux lui apportent leur tribut de toutes parts. Grâce à ces accroissements, de ruisseau qu’elle était, elle devient un fleuve majestueux. Jeunes gens, la morale de cet exemple vous sera facile à saisir. Au moment où vous allez entrer dans la carrière des muses, deux chemins se présentent à vous : l’un est celui de la paresse et de la volupté ; l’autre, celui du travail. Quiconque se confie au premier, use bientôt à un tel point son esprit et son cœur, qu’il les réduit à rien en quelque sorte. Mais, pour celui qui suit l’autre, son intelligence, selon l’expression d’un poëte illustre, vires acquirit eundo (se fortifie à mesure qu’elle avance), et, victorieuse des obstacles, devient plus puissante et plus féconde.
Version II.
Le Chien dénonciateur. §
2. Un voleur, s’étant glissé la nuit dans le temple d’Esculape, à Athènes, enleva tout l’or et l’argent qui se trouva sous sa main, et s’esquiva sans que personne eût rien vu : du moins il le pensait. En vain, lorsqu’il s’éloignait, le chien de garde, grinçant des dents et frémissant de colère, le dénonça par ses aboiements. L’animal, s’apercevant qu’aucun des gardiens du temple ne l’entendait, se mit à poursuivre le voleur. Les pierres que ce dernier lui jeta d’abord, ne l’arrêtèrent point. Le jour s’étant levé, il marchait derrière lui, d’assez près pour ne pas le perdre de vue. L’autre, pour le gagner, jeta devant lui de la nourriture : le chien la dédaigna, et ne se laissa point amorcer par cet appât, ou surprendre par le poison. Quand le voleur se couchait pour se reposer, il se tenait près de lui, faisant sentinelle, se relevait avec lui, et ne quittait pas sa trace un instant. Rencontrait-il un voyageur, il allait le flatter de la queue à son passage, aboyait après le fuyard, comme pour l’accuser, et continuait de le suivre. Des soldats, envoyés à la poursuite du coupable, ayant appris ces détails de quelques personnes qui se trouvèrent sur leur chemin, s’informèrent en même temps de la couleur du chien, et de sa taille : alors, soupçonnant la vérité, ils pressèrent le pas, arrêtèrent le sacrilége, et le ramenèrent avec eux. Cependant le chien les précédait. Après avoir dénoncé le crime, maintenant il marchait à la tête de la troupe, avec un air de triomphe, la tête haute, et se retournant quelquefois pour voir le prisonnier. On ne manqua pas de récompenser l’animal, qui avait si bien mérité de l’Etat. Les prêtres furent chargés par un édit de le nourrir aux dépens du trésor, pendant le reste de ses jours.
Version III.
Le Cheval et le Loup. §
3. Un cheval paissait librement, et allait broutant çà et là dans une verte prairie. Un loup l’aperçut ; lui-même était pressé par la faim, et cherchait pâture au hasard. D’abord il avait bien envie de fondre sur cette proie ; mais, en voyant le corps puissant de son ennemi, la peur l’empêchait de livrer bataille. Il a {p. 23}donc recours à la ruse. L’animal carnassier se fait passer pour médecin. Il s’avance à pas comptés, et, se composant un grave maintien, « Ami, dit-il, comment vous portez-vous ? Il me semble que l’état de votre santé n’est pas parfait. Or toutes les propriétés des simples me sont connues ; on m’appelle à bon droit l’Hippocrate des animaux. Si vous avez quelque besoin de mes services, usez-en, comme il vous plaira, gratuitement. » Pendant qu’il tenait ce discours, ses yeux examinaient à la dérobée ce corps où brillait l’embonpoint, et détaillaient toutes les parties du malade qu’il destinait à son repas. Le cheval sentit que cette prévenance cachait des embûches, et, quoiqu’il soit d’un assez bon naturel, il résolut de punir la fourberie par un tour du même genre. Levant le pied avec effort, comme si cette partie était malade : « Eh bien ! dit-il, mon cher, vous arrivez à propos. Depuis longtemps, je souffre beaucoup d’un ulcère qui s’est logé profondément sous mon pied. — Bien ! répondit le loup ; vous êtes sauvé ! Je suis le premier des chirurgiens ; et, par le ciel ! pour traiter les ulcères des chevaux, mon talent laisse bien loin tous les autres. » Notre loup s’approche en conséquence ; et, tandis qu’il baisse la tête, pour examiner intérieurement la plaie, le cheval lui détache une ruade de toutes ses forces, lui brise, lui met en marmelade les dents et les mâchoires, et le jette à bas hurlant d’une triste manière.
Version IV.
A un ami qui relève d’une grave maladie. §
4. Vous vivez, ô mon ami ! vous vivez ; et il était faux ce bruit qui annonçait votre mort ! O joie extrême ! ô que je suis heureux contre toute espérance ! Certes, je n’ai jamais mieux senti combien je vous chérissais, qu’au moment où j’appris que vous étiez enlevé pour toujours à votre ami. C’est qu’alors se retracèrent à mon cœ ur votre admirable fidélité, votre tendresse, et ce charmant caractère d’où naît l’intimité si douce qui nous unit. Aussi pouvez-vous juger de la douleur où me plongea cette affreuse nouvelle. Mais que dis-je ? pourquoi m’arrêter plus longtemps à ces tristes pensées, quand j’ai si grandement sujet de me réjouir ? Indulgent comme vous l’êtes, vous me pardonnerez, je l’espère : en effet, je suis, il me semble, dans l’état de ceux qui, sortant d’un naufrage, et rendus enfin au port, trouvent d’autant plus de plaisir à rappeler le souvenir de leur danger, que leur situation a été plus critique. Du reste, {p. 25}ayez bien soin désormais de votre santé ; et pénétrez-vous de cette idée, que la conservation de votre ami est attachée à la vôtre.
Version V.
Avantages de la vie champêtre. §
5. Quand la campagne se couvre de verdure et prend un aspect riant, je m’étonne qu’il y ait des gens qui se plaisent au milieu du bruit de la ville. En effet, les champs et les bois offrent des jouissances si pures, des plaisirs si suaves, qu’on n’en a goûté de pareils nulle part. Là vous trouvez la santé, le repos, la joie, et tous les biens de l’âme. Là un travail même assidu, loin d’épuiser ou d’affaiblir le corps, sert à développer ses forces, et à le rendre plus robuste. Là votre loisir vous procure un exercice fortifiant et salutaire. Et n’allez pas croire que la paix et le silence des champs soient moins favorables pour l’étude : les montagnes et les bois ont je ne sais quoi de poétique, et nulle part l’imagination de l’homme n’est rappelée de plus près à Dieu et aux choses divines. L’aspect d’un vaste horizon, une végétation féconde, les prés, les moissons, l’ombre même des arbres, inspirent une foule d’idées à la méditation, et nous montrent plus vivement ce que nous n’avons fait que lire dans les livres. Aussi un homme célèbre disait-il avec raison que tout ce qu’il savait (et je doute s’il y eut quelqu’un de plus instruit parmi ses contemporains), il l’avait appris dans les forêts et dans les champs ; non point à l’école des hommes, mais dans la méditation et dans la prière à l’Être suprême, admirable surtout dans ce spectacle de la nature ; et que ses meilleurs maîtres avaient été les hêtres et les chênes.
Version VI.
Principal devoir d’une mère. §
6. On annonça un jour au philosophe Favorinus, en présence de ses disciples, que la femme d’un de ceux qui suivaient son école venait tout récemment d’accoucher, et lui avait donné un fils. « Allons donc, dit Favorinus, faire visite à l’accouchée, et féliciter le père. » Ce dernier avait le rang de sénateur, et était d’une famille assez illustre. Nous suivîmes tous le maître, {p. 27}et nous entrâmes avec lui dans la maison. Il embrasse l’époux, lui offre ses félicitations, et s’assied à ses côtés ; puis il demande des nouvelles de la jeune femme ; et, apprenant que, fatiguée par les travaux de l’enfantement et par l’insomnie, elle prenait du repos, il se met à causer plus longuement : « Sans doute, dit-il, c’est elle qui nourrira son fils ? » Mais comme la mère de la jeune femme faisait observer qu’il fallait ménager sa fille, et remettre l’enfant entre les mains des nourrices, de peur d’ajouter aux douleurs qu’elle avait souffertes dans l’enfantement, les soins laborieux et pénibles de la nutrition : « Femme, reprit-il, je vous en prie, laissez-la donc être entièrement et sans restriction la mère de son fils. » En effet, c’est se mettre en opposition avec la nature, c’est se montrer mère imparfaite, mère à moitié, que d’enfanter, et de rejeter aussitôt loin de ses yeux le fruit de ses entrailles ; de nourrir dans son sein je ne sais quel objet qu’on ne voit pas, et de ne plus nourrir celui qu’on voit, quand déjà c’est un être humain, quand déjà il respire, quand il implore déjà les soins maternels : tandis que rien n’est plus conforme aux vues de la nature, qu’une mère recevant le premier sourire de l’être qui lui doit le jour, essuyant ses premières larmes, apaisant ses cris, le conduisant depuis le berceau jusqu’à l’enfance, et l’entourant d’une tendresse si dévouée, qu’elle semble lui donner la vie une seconde fois.
Version VII.
On doit aux savants les plus hautes récompenses. §
7. Les Grecs ont institué de grands honneurs pour récompenser les athlètes vainqueurs dans les jeux Olympiques et Pythiens, dans ceux de l’Isthme et de Némée. Ces athlètes, en effet, sont loués en présence de la Grèce réunie pour ce concours, et obtiennent une palme avec une couronne. Ce n’est pas tout : lorsqu’ils retournent chez leurs concitoyens, ils entrent triomphants dans leur patrie, sur un char attelé de quatre chevaux, et jouissent pendant le reste de leur vie d’un revenu qui leur est assuré par l’Etat. Quand je considère cet usage, je m’étonne qu’on n’ait point décerné de semblables honneurs, ou même de plus grands encore, aux écrivains qui, de tout temps, ont rendu au genre humain des services inestimables. Cette institution eût été d’autant plus juste, que les athlètes fortifient seulement leur corps par des exercices ; tandis que les écrivains perfectionnent leur esprit, épurent {p. 29}leurs sentiments, et étendent ce bienfait aux autres hommes, en donnant dans leurs livres des préceptes qui contribuent puissamment à stimuler les âmes, et à éclairer les intelligences. Milon de Crotone, avec sa force invincible, quels services a-t-il rendus à l’humanité, lui ou les autres qui ont obtenu une supériorité du même genre ? Mais les préceptes des Pythagore, des Platon, des Aristote, et des autres sages, produisent tous les jours de nouveaux fruits pour l’univers ; et ceux qui en sont nourris abondamment dès leur plus tendre jeunesse, ont eux-mêmes les sentiments les plus généreux ; ils adoucissent les mœurs des nations, ils donnent des lois, des constitutions équitables, sans lesquelles aucun Etat ne saurait subsister. Or, si les lumières des écrivains ont préparé tant de bienfaits aux individus et aux peuples, on doit, à mon avis, non seulement leur accorder des palmes et des couronnes, mais aussi leur décerner des triomphes, et, s’il était possible, les honneurs divins.
Version VIII.
Mort de Cacus. §
8. On rapporte qu’ Hercule, après avoir tué Géryon, emmena des bœufs d’une beauté singulière dans ces lieux que Romulus a choisis pour l’emplacement de Rome ; qu’après avoir passé le Tibre à la nage, en chassant son troupeau devant lui, il s’arrêta sur ses bords, dans un endroit où l’herbe était touffue, pour refaire ses bœufs par le repos, par l’abondance du pâturage ; et que lui-même, fatigué de la route, s’étendit sur l’herbe. Là, tandis qu’appesanti par le vin et la nourriture, il était plongé dans le sommeil, un pâtre du cauton, nommé Cacus, que sa force rendait insolent, séduit par la beauté du troupeau, voulut détourner cette proie. Mais comme, en chassant les bœufs droit devant lui, les traces de ces animaux devaient conduire leur maître à sa caverne, il prit le parti de les y traîner par la queue à reculons, en s’attachant aux plus beaux. Hercule, réveillé aux premiers rayons du jour, fit la revue de son troupeau ; et, s’apercevant qu’il lui en manquait une partie, il alla droit à la caverne, dans l’idée que les traces y conduiraient. Mais, comme il les vit tournées en sens contraire, sans qu’aucune portât d’un autre côté, dans son trouble et son incertitude, il se détermina enfin à quitter un séjour si dangereux. A son départ, quelques génisses se mirent à mugir, comme il est d’ordinaire, du regret de quitter leurs compagnes. Les autres y répondirent du fond de l’autre qui les recélait. Ce fut {p. 31b}un avertissement pour Hercule : il revient sur ses pas, et marche à la caverne. Cacus fit de vains efforts pour l’arrêter ; implorant inutilement l’assistance des autres pasteurs, il tomba sous la massue du héros.
Version IX.
Pline à son ami Tacite, salut. §
9. Vous allez rire, et je vous le permets. Ce Pline que vous connaissez a pris trois sangliers, et de fort beaux sangliers, ma foi ! Quoi ! lui-même, dites-vous ? Lui-même. N’allez pas croire pourtant que je sortisse tout à fait de ma tranquillité et de ma paresse. J’étais assis près des toiles ; j’avais à côté de moi non point un épieu ou un dard, mais un stylet et des tablettes ; je rêvais, et je prenais des notes, afin de rapporter au moins mes feuilles pleines, si je revenais les mains vides. Ne méprisez pas cette manière d’étudier. Vous ne sauriez croire combien cette agitation et ce mouvement du corps donnent de vivacité à l’esprit. Sans compter que ces forêts, cette solitude qui vous environnent, et ce silence même qu’on observe à la chasse, excitent singulièrement l’imagination. Ainsi, quand vous chasserez, suivez mon exemple : avec la panetière et le flacon, emportez aussi des tablettes. Vous verrez que Minerve ne se plaît pas moins à parcourir les montagnes, que Diane. Adieu.
Version X.
Les Iles Fortunées. §
10. Les anciens poëtes ont dit qu’il existe dans l’Océan certaines îles où sont transportées, après la mort, les âmes de ceux dont la vie a été sainte et pure. Là, dans une prairie dont une charmante variété de fleurs émaille et relève la verdure, le commerce le plus doux rapproche ces âmes fortunées. Le ciel y est toujours serein, les arbres toujours verts, les gazons toujours frais ; toute la nature est riante ; les tendres zéphyrs y règnent continuellement, et leurs molles haleines se jouent dans le feuillage des arbres avec un murmure dont l’oreille est délicieusement flattée. Cependant un nombre infini d’oiseaux immortels viennent encore égayer ces lieux : la pureté de leurs accords verse dans les sens une indicible volupté. La prairie est entrecoupée de ruisseaux, dont les eaux, toujours vives et aussi claires que le cristal, se brisent doucement sur de petits {p. 33}cailloux de diverses couleurs, et vous enchantent par leur gazouillement. Quant aux habitants de ce fortuné séjour, ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils sentent, leur inspire une joie sans fin. Les uns dansent aux sons du luth d’Orphée ou d’Amphion ; d’autres jouent de la lyre ; d’autres tressent des couronnes ; d’autres, étendus sur l’herbe, à l’ombre des myrtes et des lauriers qui se balancent sur leurs têtes, se livrent entre eux aux plus charmants entretiens. La terre elle-même se passe de culture, et leur fournit en abondance des aliments qu’elle renouvelle trois fois chaque année.
Version XI.
Détour ingénieux imaginé par Aristote pour désigner son successeur. §
11. Aristote était déjà parvenu à l’âge d’environ soixante-deux ans. Affaibli par les infirmités, il ne conservait plus qu’une frêle existence, lorsque tous ses disciples réunis vinrent le trouver, pour le prier de choisir celui qui devait lui succéder dans son enseignement, afin que, quand leur maître ne serait plus, il pût le remplacer auprès d’eux, et achever son ouvrage, en complétant les connaissances auxquelles ses leçons les avaient initiés. Ceux qui se distinguaient le plus dans son école, étaient Théophraste et Ménédème ; le premier, de Lesbos ; le second, de Rhodes. Le philosophe répondit qu’il se conformerait à leur désir en temps opportun. Bientôt après, en présence des mêmes disciples. Il dit que le vin qu’il buvait alors ne convenait pas à son état ; qu’il était rude et nuisible à sa santé ; qu’en conséquence, il lui fallait quelque vin étranger, celui de Rhodes, par exemple, ou de Lesbos. Il les priait de lui procurer l’un et l’autre, se réservant d’user de celui dont il se trouverait le mieux. On part, on cherche, on trouve, on lui apporte ce qu’il désirait. Aristote demande alors le vin de Rhodes, et le goûte : « Vraiment ! dit-il, ce vin est ferme et agréable. » Puis, ayant goûté pareillement celui de Lesbos, « Ils me plaisent l’un et l’autre, ajoute-t-il ; mais ἡδίων ὁ Ʌέσϐιоς (celui de Lesbos est le plus agréable). » Personne ne douta que ces paroles ne fussent une manière ingénieuse et délicate de désigner, non pas le vin qu’il préférait, mais son successeur. C’était Théophraste, homme également remarquable par la douceur de son caractère et par celle de son éloquence. Aussi, le maître étant mort peu de temps après, tous les disciples passèrent du côté de Théophraste.
Version XII.
Moyen employé par la femme de Pythès pour guérir la cupidité de son mari. §
12. Dans son livre intitulé : Du Mérite des femmes, Plutarque raconte qu’un certain Pythès, gouverneur d’une petite province au temps de Xerxès, comme il paraît, ayant trouvé une mine d’or, prit un goût si vif pour les richesses qu’il en retirait, que non-seulement il s’appliqua tout entier lui-même à cette exploitation, mais il contraignit ses sujets de quitter tout, pour s’occuper sans relâche d’extraire le métal, de le transporter, de le nettoyer : la peine de mort était réservée à quiconque refuserait de lui obéir. Ce travail rigoureux avait déjà fait périr un grand nombre d’hommes, et le reste était découragé, quand des femmes, députées par leur sexe, portant dans leurs mains, selon l’usage des suppliants, le rameau d’olivier entouré de bandelettes, se rendirent chez l’épouse de Pythès. Elles venaient avec des plaintes et des lamentations, chacune déplorant une perte, et priant pour épargner à tout leur sexe un semblable malheur. La femme de Pythès fit à la députation l’accueil le plus affable, et les renvoya ranimées par ses paroles bienveillantes. Puis elle fit appeler les ouvriers les plus habiles, les tint renfermés chez elle, et, leur laissant ignorer le but qu’elle se proposait, leur commanda de confectionner en or, avec la plus exacte ressemblance, des aliments de toute espèce, tels que du pain, des pâtisseries, des viandes, et tout ce qu’elle savait être particulièrement du goût de son mari. Les artistes se surpassèrent eux-mêmes à un degré remarquable. Ces ouvrages achevés, Pythès revint de voyage au bout de quelques jours ; et, prenant à peine le temps de saluer sa femme, car la route lui avait donné grand appétit, il demanda à manger. Sa femme lui fit servir les mets dont nous avons parlé tout à l’heure.
Version XIII.
La femme de Pythès (suite). §
13. Je crois qu’il n’est pas besoin de dire si Pythès jouit avidement du spectacle qu’on lui avait ménagé, si plus d’une fois il porta sur chaque objet successivement ses mains et ses {p. 37}yeux, en admirant, non point le travail, mais la matière. Voici qui fera mieux comprendre le plaisir qu’il ressentit à cet aspect : il oublia complétement qu’il avait faim. Mais, comme les choses mêmes les plus belles, quand elles ne sont propres à aucun usage, finissent ordinairement par causer de l’ennui, si on les contemple trop longtemps, Pythès sentit bientôt sa joie se refroidir, et la faim, un moment distraite, devenir plus vive et plus pressante. Alors, s’adressant à son épouse, « Le repas que tu m’as apprêté, dit-il, est merveilleux ; mais cela ne se mange guère. — Eh bien ! mon époux, répondit-elle, comprenez-vous enfin par vos propres besoins l’importance de l’agriculture ? Ne vous étonnez point si, à la place des mêts que vous m’avez demandés, je vous ai servi de l’or ; vous nous avez pourvus abondamment de ce métal ; mais en ne nous laissant rien autre chose. Toutes les autres industries sont abandonnées ; les champs restent incultes ; pendant que les habitants sont employés à fouiller la terre pour en tirer l’or, ils ne songent plus à semer, à planter, à chercher les aliments que produit la terre ; ils passent leur temps dans les inutiles travaux des mines, bien misérables également s’ils obéissent ou s’ils n’obéissent pas : et tout l’odieux de leur misère retombe sur vous. » Ces paroles firent une vive impression sur Pythès ; et ce que n’avaient pu obtenir les larmes et les gémissements des citoyens, une femme l’obtint par un ingénieux expédient : si les mines ne furent point abandonnées, on en rendit le travail moins rigoureux, et cette entreprise n’occupa plus que le cinquième de la population.
Version XIV.
La majesté de la gloire imposante même pour des ennemis. §
14. Quand le premier Scipion l’Africain vivait retiré dans sa maison de Literne, le hasard y amena en même temps plusieurs chefs de pirates qui s’étaient réunis pour le voir. Persuadé qu’ils venaient lui faire quelque violence, il posta ses esclaves sur la terrasse de sa maison, et se préparait à repousser l’ennemi avec résolution, et par tous les moyens qui étaient en son pouvoir. Les pirates s’en aperçurent, et aussitôt, renvoyant leur escorte, et jetant à terre leurs armes, ils approchèrent de la porte, en annonçant à haute voix qu’ils ne venaient point pour attenter à ses jours, mais pour rendre hommage à sa vertu ; qu’ils ambitionnaient comme un bienfait céleste le bonheur de voir un si grand homme et de lui parler ; qu’ils le {p. 39}priaient de vouloir bien se montrer en toute assurance à leurs yeux. Ces paroles furent portées à Scipion, qui fit ouvrir les portes, et introduire ces étrangers. Ceux-ci, après s’être inclinés religieusement devant les portes, comme devant l’autel le plus vénéré, devant un auguste sanctuaire, saisirent avidement la main de Scipion, y tinrent longtemps leurs lèvres attachées ; et, après avoir déposé à l’entrée du vestibule des présents pareils à ceux que l’on offre ordinairement aux dieux immortels, ils retournèrent dans leurs foyers, satisfaits d’avoir vu Scipion. Cette jouissance que procure la majesté, n’est-elle pas ce qu’il y a de plus noble, et même de plus délicieux ? L’admiration de sa personne arrête le courroux d’un ennemi (lorsqu’il faisait la guerre, quatre ans avant, à Antiochus) ; des pirates le voient, et leurs yeux, à son aspect, sont comme saisis d’enchantement ! Non, quand les astres descendraient du ciel pour s’offrir aux hommes, ils ne seraient pas l’objet d’une plus profonde vénération.
Version XV.
Tentative de Verrès, préteur en Sicile, pour enlever l’Hercule d’Agrigente. §
15. Il y a dans Agrigente, non loin de la place, un temple d’Hercule, très-saint et très-révéré dans ce pays ; et dans ce temple, la statue de ce dieu en airain : on ne peut guère voir de plus bel ouvrage. Au milieu de la nuit, une troupe d’esclaves armés, Timarchide à leur tête, vient tout à coup attaquer ce temple. Les sentinelles et les gardiens poussent un cri. En vain ils veulent résister et chasser les malfaiteurs ; ceux-ci les maltraitent et les repoussent à coups de massues et de bâtons. Ils arrachent les barrières ; ils brisent les portes ; ils essaient de soulever la statue et de l’ébrauler avec des leviers. Cependant, au cri des gardiens, un bruit s’est répandu dans toute la ville : les dieux de la patrie sont attaqués, non par des ennemis qui tentent une surprise, par des pirates descendus à l’improviste, mais par une horde de brigands, qui sont venus tout armés de la maison et de la suite du préteur. Cette nuit, il n’y eut personne dans Agrigente, quel que fût son âge ou sa faiblesse, qui, s’éveillant à cette nouvelle, ne se levât et ne se fît précipitamment une arme de ce qu’il rencontrait. Aussi, de tous les quartiers de la ville, on accourt {p. 41}au temple en un instant. Déjà, depuis plus d’une heure, un grand nombre d’hommes travaillaient à détacher la statue, les uns s’efforçant de l’ébranler avec des leviers, les autres, de l’entraîner avec des câbles attachés à chacun de ses membres : elle demeurait immobile. Tout à coup les Agrigentins surviennent ; ils font pleuvoir une grêle de pierres. Les soldats de ce brillant général, ces soldats de nuit, se mettent à fuir. Cependant, pour ne pas retourner les mains absolument vides vers ce déprédateur des choses sacrées, ils emportent deux petites figures. Jamais les Siciliens ne sont si malheureux, qu’ils ne trouvent quelque bon mot à dire. Ainsi, dans cette circonstance, ils disaient que ce terrible pourceau* devait être compté parmi les travaux d’Hercule, autant que le fameux sanglier d’Erymanthe.
Version XVI.
Exemples d’impiété. §
16. Denys de Syracuse, coupable de tous les sacriléges que je vais énumérer, trouvait fort divertissant d’en faire le sujet de ses plaisanteries. Après avoir pillé le temple de Proserpine à Locres, comme il s’en retournait sur sa flotte par un vent favorable, « Voyez-vous, dit-il en riant à ses amis, l’heureuse navigation que les immortels accordent eux-mêmes aux sacriléges ? » Il avait aussi enlevé à Jupiter Olympien un manteau d’or d’un poids considérable, ornement offert au dieu par le roi Hiéron, et pris sur les dépouilles des Carthaginois. Il dit, en le remplaçant par un manteau de laine : « L’or est trop chaud pour l’été, et trop froid pour l’hiver ; la laine convient mieux pour les deux saisons. » A Epidaure, il fit dépouiller Esculape de sa barbe d’or, prétendant que la bienséance ne lui permettait pas de paraître avec une barbe, tandis qu’Apollon, son père, n’en avait pas. Il fit également enlever dans divers temples des tables d’argent et d’or ; et comme, selon l’usage des Grecs, on y avait inscrit le nom des dieux auxquels elles appartenaient, avec la qualité de Bons, « Je veux, dit-il, profiter de leur bonté. » Les Victoires, les coupes, les couronnes d’or que les statues des dieux soutenaient de leurs mains étendues, devenaient également sa proie ; et il disait : « Je les accepte, je ne les ravis pas. — Rien de plus absurde, ajoutait-il sententieusement, que de demander des faveurs {p. 43}aux dieux, et de refuser les dons qu’ils nous présentent. » Il ne subit point, il est vrai, la peine due à ses crimes ; mais, après sa mort, il trouva dans l’opprobre de son fils la punition à laquelle il avait échappé pendant sa vie. Si la colère divine est lente à se faire justice, elle compense la lenteur par la sévérité du châtiment.
Version XVII.
Rétablissement de Jérusalem. §
17. Il y avait, en Babylonie, un juif, officier du roi, nommé Néhémie, qui, grâce à son dévouement, était devenu le favori d’Artaxerxe. Il avait demandé à des Juifs en quel état se trouvait la ville de leurs pères. En apprenant que sa patrie était toujours ensevelie sous ses ruines, son cœur fut troublé profondément, et l’on dit qu’il s’adressa au Seigneur avec des gémissements et d’abondantes larmes : il songeait aux infidélités de sa nation, et implorait la divine miséricorde. Le roi, s’étant aperçu un jour, pendant le repas, qu’il était triste contre sa coutume, lui demanda le sujet de son affliction. Néhémie répondit qu’il déplorait les calamités et la ruine de sa patrie, dont les débris, épars sur le sol depuis environ deux cent cinquante ans, attestaient sa misère et servaient de spectacle à ses ennemis ; il le suppliait de lui accorder la permission d’y aller et de la rebâtir. Le roi se rendit à ces pieuses prières, et le laissa partir au moment même ; il lui donna une escorte de cavalerie pour la sûreté de son voyage, et des lettres où il chargeait ses gouverneurs de lui fournir les choses nécessaires. Dès son arrivée à Jérusalem, Néhémie assigna à chaque habitant sa part de travail dans la reconstruction de la ville : tous rivalisèrent d’ardeur pour remplir leur tâche. Déjà l’on était parvenu à la moitié de l’ouvrage, quand l’envie, s’éveilla : les cités voisines se liguèrent pour arrêter les travaux, et contraindre les Juifs à les abandonner. Mais, sans s’effrayer, Néhémie prévint leurs incursions en établissant des postes de distance en distance, et acheva son entreprise. Les murs terminés, il partagea également le terrain entre les familles, pour y bâtir des maisons. Dans le dénombrement, il ne trouva nullement la population proportionnée à l’enceinte de la ville. Elle ne se composait que d’environ cinquante mille personnes, en les comptant sans distinction de sexes et de conditions : tant ce peuple, autrefois immense, avait été réduit par la multiplicité des guerres, ou par la captivité !
Version XVIII.
Ruine de Jérusalem. §
18. Cependant les Juifs, bloqués dans leurs murs, et ne pouvant ni obtenir la paix ni se rendre à discrétion, finissaient par succomber à la famine ; déjà les rues se remplissaient çà et là de cadavres qu’il n’était plus possible d’enterrer. Pour ajouter à cette désolation, ils en vinrent à oser tout ce qu’il y a de plus horrible, à se nourrir de corps humains ; ceux qu’avait atteints la dissolution, échappèrent seuls à ces odieux repas. Les défenseurs de la ville étaient épuisés ; les Romains montèrent à l’assaut. Le temps de la Pâque avait alors réuni à Jérusalem (sans doute pour accomplir les desseins du Ciel) toute la population des campagnes et des autres villes de la Judée. Les Pharisiens défendirent quelque temps le temple avec acharnement ; enfin, déterminés à mourir, ils se précipitèrent d’eux-mêmes dans les feux allumés au pied des murs. On fait monter à onze cent mille le nombre de ceux qui périrent ; quant à ceux qui furent pris et vendus à l’encan, on en compte cent mille. Titus assembla, dit-on, son conseil, et mit d’abord en délibération s’il détruirait un temple dont la construction avait tant coûté. Quelques-uns, en effet, [illisible chars][texte coupé] d’avis qu’on ne devait point ruiner un édifice consacre à la religion et le plus renommé de l’univers : sa conservation serait un témoignage de la modération des Romains, et sa destruction un monument éternel de leur cruauté. D’autres pensaient au contraire, et Titus était de ce sentiment, qu’il fallait avant tout renverser ce temple, pour anéantir plus sûrement deux religions, celle des Juifs et celle des Chrétiens : ces deux religions, quoiqu’opposées l’une à l’autre, avaient la même origine ; les Chrétiens étaient sortis des Juifs : on ferait facilement périr le tronc de l’arbre, en coupant les racines. Cette opinion ayant été embrassée avec ardeur (ainsi le voulait le Ciel), on abattit le saint édifice. C’est la dernière ruine du temple, la dernière captivité des Juifs. Depuis ce jour, errants loin de leur patrie, on les voit dispersés sur toute la terre.
Version XIX.
Sur le désir d’apprendre. §
19. Nous naissons tous avec une si forte passion d’apprendre et de savoir, qu’on ne peut douter que la nature humaine ne s’y trouve entraînée, sans même être stimulée par aucun profit. Ne voit-on pas ce qui arrive chez les enfants ? Comme les châtiments mêmes ne rebutent pas leur curiosité ? Comme ils reviennent à la charge, quand on les renvoie, et sont joyeux de savoir quelque chose ? Comme ils pétillent de l’envie de le raconter aux autres ? Comme la vue d’un cortége, des jeux publics et des autres spectacles de ce genre, les attache, et leur fait endurer jusqu’à la faim et la soif ? Que dis-je ? ne voit-on pas les amis de l’étude et des lettres négliger leurs intérêts et leur santé, souffrir tout pour la science, tant elle les captive, et se croire payés des soins et des travaux les plus pénibles par le charme de l’instruction ? Il me semble même qu’Homère fait entendre quelque chose de semblable, dans cette fiction où il parle du chant des Sirènes ; car ce n’était point par la douceur particulière de leurs voix, ou par la nouveauté de leurs chants, qu’elles rappelaient les navigateurs qui laissaient leur île derrière eux ; mais elles savaient beaucoup, disaient-elles : ainsi la curiosité attachait les mortels à leur écueil. Telle est la séduction qu’elles emploient auprès d’Ulysse. Le poete sentit que sa fable ne serait point goutée, s’il montrait ce héros surpris et captivé par des chants frivoles : les Sirènes lui promettent la science, qui, chez un homme amoureux de la sagesse, pouvait naturellement prévaloir sur l’amour de la patrie.
Version XX.
Des prodiges chez les Romains. §
20. Les Romains, après une guerre longue et opiniâtre, avaient réduit les Véiens à se réfugier dans l’enceinte de leurs murailles, mais sans pouvoir prendre la ville. Cette lenteur semblait fatiguer également les assiégeants et les assiégés. On faisait des vœux ardents pour la victoire, lorsque les dieux immortels en frayèrent le chemin par un prodige {p. 49}extraordinaire. Tout à coup le lac d’Albe, sans le secours des eaux du ciel, sans aucun débordement de rivière, sort de ses limites accoutumées. L’on envoie, à ce sujet, consulter l’oracle de Delphes ; et les députés apportent pour réponse de lâcher les eaux du lac et d’en inonder la campagne : ainsi Véïes tombera au pouvoir du peuple romain. Avant l’arrivée de cette nouvelle, un aruspice de Véïes, pris par nos soldats et amené dans le camp (car aucun des Romains ne pouvait expliquer ce prodige), avait donné la même réponse. Averti par cette double prédiction, le sénat satisfit à la volonté du dieu, et presque en même temps se rendit maître de la ville assiégée.
Version XXI.
Les monuments des lettres l’emportent sur ceux des arts. §
21. Voyez ces tristes plaines où sont encore debout ces orgueilleuses pyramides qu’ont épargnées le fer, la flamme, les ennemis, et les caprices des potentats qui régnèrent dans la suite ; ces masses dont n’a pu triompher le temps, qui dévore tout. Interrogez-les : qu’elles vous disent les noms de leurs fondateurs. C’est en vain, obscurs Pharaons, que vous avez prodigué tant de trésors, usé tant de bras, pour édifier ces tombeaux. Il vous a manqué un panégyriste qui rappelât honorablement votre mémoire aux âges suivants ; et voilà où ces longs travaux ont abouti ; voilà ce que vous avez acheté au prix de tant de trésors : l’oubli d’une mort éternelle ! Maintenant, ô rois ! confiez votre gloire à des monuments ! Il n’en est point de même des œuvres de la littérature : comme l’esprit qui les a créées, qui les a fondées, elles sont à jamais immortelles. Aucun vestige ne marque plus la place où fut le tombeau que les Grecs élevèrent à leur Achille ; mais cet Achille fut chanté par Homère ; et ce héros vit encore après trois mille ans ; et il vivra toujours, conservé par l’Iliade, cette œuvre impérissable. Voilà les monuments sur lesquels ni les mortels ni le temps ne peuvent rien ; qui, renversés en un endroit, se relèvent dans un autre ; qui ne sont point renfermés dans un temple, dans une place publique, dans une ville, dans un pays, mais qui remplissent l’univers. Les lettres ont cet avantage particulier, qu’elles ne représentent point seulement les traits inanimés du corps, mais cette âme immortelle, dont aucune matière ne peut reproduire l’image. Ainsi donc, {p. 51}autant l’âme l’emporte sur le corps, autant les monuments des lettres l’emportent sur ceux des arts : qui oserait méconnaître cette vérité ?
Version XXII.
Comment Démocrite découvrit dans une chose peu importante le génie caché de Protagore. §
22. On dit que Protagore, étant jeune, portait des fardeaux pour gagner sa vie, et faisait partie de cette classe d’hommes que nous appelons porte-faix. Un jour, il rapportait des champs une charge considérable de bois, qu’il avait lié en fagot avec une petite corde ; il allait à Abdère ; or il était de cette ville. Le hasard fit que. Démocrite, citoyen d’Abdère comme lui, Démocrite, un des personnages les plus respectables par ses vertus et par sa sagesse, sortit de la ville, et vit ce jeune homme, qui, sous un fardeau si incommode, marchait d’un pas leste et dégagé. Il s’approche, examine la manière savante et industrieuse dont ce bois a été assemblé, dont il est posé, et l’invite à s’arrêter un moment. Protagore se rend à son désir ; et Démocrite remarque que ces bûches, retenues ensemble par un faible lien, restaient en équilibre et demeuraient jointes par une sorte de procédé géométrique. Il lui demande quel est celui qui a composé ce fagot. Protagore ayant répondu que c’était lui-même, le philosophe le prie de délier ce bois, et de le remettre ensuite dans le même état. Celui-ci défait le fagot, et le refait semblable. Démocrite, charmé de tant d’adresse chez un homme sans instruction, lui dit : « Jeune homme, puisque tu as le talent de faire quelque chose d’ingénieux, viens : il y a de plus grandes et de meilleures choses que tu peux faire avec moi. » Puis il l’emmena immédiatement, le garda chez lui, fournit à son entretien, lui enseigna la philosophie ; et Protagore lui dut entièrement ce qu’il devint dans la suite.
Version XXIII.
Éducation de l’héritier de la couronne, chez les Perses. §
23. L’enfant destiné à posséder un jour le pouvoir suprême, était élevé de la manière suivante, au rapport de Platon. Dès {p. 53}sa naissance, cet héritier de la couronne était remis aux hommes les plus vertueux, chargés de nourrir et de protéger son enfance : ils devaient le former dès l’âge le plus tendre, en donnant toute la grâce possible à son extérieur, et, à cet effet, corriger les défauts et les vices de conformation dans ce jeune corps, composer ses traits, façonner ses membres, régler ses gestes et sa démarche. Lorsqu’il avait atteint sa septième année, il trouvait aussitôt un maître d’équitation, chargé de lui enseigner, dans toutes ses parties, l’art de dresser et de conduire un cheval. Puis la diète, la soif, le froid, la chaleur, l’exercice du javelot, la lutte, la chasse, endurcissaient son corps, et l’habituaient à tout supporter. Après cet âge, quand il entrait dans sa quatorzième année, il passait entre les mains de ceux qu’on appelait les gouverneurs royaux. Ceux-ci étaient au nombre de quatre, et n’avaient point d’égaux en sagesse, en justice, en tempérance, en courage. Le premier était le maître de sagesse : il instruisait le jeune prince dans la doctrine des mages, fondée par Zoroastre. Le second, qui lui enseignait la justice, l’avertissait d’être réservé dans ses discours, et de s’étudier à être simple et ouvert dans toute sa vie. Le troisième lui donnait des leçons de tempérance, afin qu’il ne fût jamais esclave des passions, et qu’il apprît à être roi de lui-même, avant d’oser être roi des peuples. Le quatrième, enfin, lui traçait le devoir d’un homme de cœur : ne rien redouter ; regarder la servitude comme le dernier des maux ; mettre l’honneur avant la vie ; sacrifier avec empressement ses jours, s’il était nécessaire, pour la dignité royale, pour le salut de ses sujets, pour les institutions de la patrie, pour la religion qu’il avait reçue de ses ancêtres.
Version XXIV.
Déprédations de Verrès à Haluntium. §
24. Notre actif et infatigable préteur s’était approché d’Haluntium. La ville est sur une hauteur, et d’un accès difficile. Il ne voulut pas se donner la peine de monter jusque-là. Il manda un citoyen d’Haluntium, Archagathe, qui jouit de la plus haute considération, non-seulement dans sa patrie, mais dans toute la Sicile, et le chargea de faire apporter aussitôt, sur le bord de la mer, tout ce qu’il y avait dans Haluntium d’argenterie ciselée, et même de vases corinthiens. Archagathe, jaloux de l’amitié et de l’estime de ses concitoyens, était {p. 55}désespéré d’une telle commission, et ne savait quel parti prendre. Il signifie l’ordre qu’il a reçu. La crainte était extrême : le tyran en personne était à peu de distance ; couché dans sa litière, il attendait sur le rivage, au pied de la montagne, Archagathe et l’argenterie des Haluntiens. Qu’on se figure l’agitation qui régnait dans la ville ! les clameurs, les lamentations des femmes ! On eût dit, à cette vue, que le cheval de Troie était entré dans les murs, que la ville était prise d’assaut. Ici, des vases sont emportés sans leurs étuis ; là, d’autres vases sont arrachés aux mains des femmes ; on enfonce les portes, on brise les verroux. Si quelquefois, dans une guerre ou dans une alarme soudaine, on demande aux particuliers leurs armes et leurs boucliers, ils les donnent pourtant à regret, tout en comprenant que ce sacrifice leur est imposé, et qu’ils le subissent pour la défense commune. Combien devait être plus vive la douleur des Haluntiens, qui se voyaient enlever leur argenterie, pour qu’elle devînt la proie d’un étranger ! Tout est apporté. A mesure que le préteur approuvait une pièce, on en détachait les figures et les autres ornements de ce genre. Ainsi les Haluntiens retournèrent chez eux avec leur argenterie débarrassée des superfluités du luxe.
Version XXV.
Perfidie des enfants envers les auteurs de leurs jours. §
25. Il y avait, en Allemagne, un vieillard qui s’adonnait à cette science dont le principal objet est d’opérer la transmutation des métaux, et de découvrir certains secrets pour prolonger la vie ; c’était un partisan de l’alchymie ; du reste, un homme droit et d’une conduite irréprochable. Comme il sentait sa fin approcher, il appela son fils, jeune homme profondément corrompu, et lui dit : « Vous allez savoir, mon fils, à quel succès ont abouti les travaux d’une si longue carrière : mes veilles assidues ont obtenu ce résultat, qu’aucun des miens ne peut me survivre. Vous voyez cette fiole pleine d’une liqueur vermeille ; c’est un remède souverain que je me suis ménagé contre la mort. Si, dans les dix heures qui suivront mon trépas, avant que la chaleur vitale se soit retirée de cette argile, vous frottez mon corps de cette liqueur, et que vous en laissiez tomber seulement quelques gouttes sur mes lèvres, votre père recouvrera la vie et la vigueur de la jeunesse. Il {p. 57}vous avait donné l’existence, vous lui rendrez ce bienfait ; dès lors, devenus égaux, nous serons frères, pour ainsi dire. Cependant ma science vous composera, par des combinaisons infaillibles, une nouvelle suite de jours. Ces instructions données, le vieillard expire. Le fils témoigne la plus violente douleur. Mais, venant à réfléchir, dans les moments où ses larmes s’arrêtaient, qu’un père si vertueux n’avait plus besoin de vivre, tandis qu’un misérable pécheur comme lui-même aurait un avantage incontestable à ressusciter, pour réparer pendant sa seconde vie les désordres de la première, il ne toucha seulement pas à la fiole. Il laissa l’auteur de ses jours avec ses ancêtres. Pour lui, remettant sa conVERSION au temps de sa nouvelle existence, il se livra, en attendant, à toutes ses passions.
Version XXVI.
Perfidie des enfants envers les auteurs de leurs jours. (Suite.) §
26. Cependant il vieillit à son tour. Une maladie de fit songer à la fiole. Il avait lui-même un fils, plus semblable à son père qu’à son aïeul. Il imagina d’intéresser son avarice ; et, lui montrant la fiole, avec la manière d’appliquer le spécifique, il assura que, si ses instructions étaient suivies de point en point, son corps serait tout entier changé en or. Le fils pleurait, et protestait par les plus forts serments qu’il aurait toujours un soin extrême de cette précieuse dépouille, et qu’il ne se permettrait jamais d’ôter même un seul petit doigt à ce père si tendrement chéri, à moins qu’il n’eût besoin d’en détacher quelques faibles parcelles pour marier ses sœurs. Le père, satisfait de sa ruse, se dispose à mourir, et assez gaiement, comme un homme qui devait ressusciter, et rentrez dans ce qu’il avait perdu. Néanmoins, il rend le dernier soupir. Son héritier, tout ému par le sentiment filial, ne peut s’empêcher pourtant de mesurer en long et en large le volume de cet excellent père. Après avoir calculé que cette métamorphose produirait une masse d’or très-satisfaisante pour la peine qu’il allait prendre, il se met à l’œuvre. Mais, ô trompeuses espérances des hommes ! il avait bien et dûment frotté le défunt, et il approchait la liqueur de ses lévres éteintes, quand le cadavre, comme s’il eût été averti qu’il allait renaître, tressaillit, et fit tomber la fiole des mains de ce nouvel empirique.
Version XXVII.
Crésus est vaincu par Cyrus. §
27. Comme Cyrus marchait contre Babylone, Crésus, roi de [illisible chars][texte coupé]ydie, fameux à cette époque par sa puissance et ses richesses, [illisible chars][texte coupé]nt au secours de cette ville ; il fut défait, et, tremblant déjà pour lui-même, il se réfugia dans ses Etats. Après sa victoire, cyrus, ayant fait rentrer dans l’ordre Babylone, porte la guerre en Lydie, et dissipe facilement l’armée de Crésus, découragée par l’issue du premier combat ; le roi lui-même [illisible chars][texte coupé]mbe en son pouvoir. Mais la victoire fut d’autant plus généreuse, que la lutte avait coûté moins de peine : Crésus con[illisible chars][texte coupé]rva, avec la vie, une partie de son patrimoine, et la ville [illisible chars][texte coupé]e Barène, pour y vivre, sinon en roi, du moins dans une position voisine de la splendeur royale. Cette clémence ne fut pas moins profitable au vainqueur qu’au vaincu ; car toute la [illisible chars][texte coupé]rèce, à la nouvelle que les Lydiens étaient attaqués, avait envoyé des secours avec empressement, comme pour éteindre [illisible chars][texte coupé]a commun incendie ; tant Crésus était cher à toutes les villes ! [illisible chars][texte coupé]t Cyrus aurait eu à soutenir contre la Grèce une lutte terrible, s’il eût commis quelque cruauté envers celui dont ses armes avaient triomphé. Quelque temps après, pendant qu’il ait occupé à d’autres expéditions, les Lydiens se révoltèrent. [illisible chars][texte coupé]éfaits une seconde fois, ils furent forcés de livrer leurs [illisible chars][texte coupé]evaux et leurs armes, et réduits au métier de baladins et hôteliers. Ce fut ainsi qu’une nation, puissante autrefois [illisible chars][texte coupé]ar son activité, une nation pleine de vigueur, amollie par la [illisible chars][texte coupé]ébauche, oublia son antique bravoure, pour tomber dans une [illisible chars][texte coupé]che oisiveté, et perdit ses habitudes belliqueuses.
Version XXVIII.
Dialogue entre Jonas et les Matelots. §
28. Les Matelots. O Jupiter ! quelle affreuse tempête ! [illisible chars][texte coupé]uelles vagues énormes viennent de tous côtés battre le na[illisible chars][texte coupé]re ! Dieux immortels, quel est votre dessein ? Fils de Léda, [illisible chars][texte coupé]oiles amies des matelots, nous implorons votre secours : [illisible chars][texte coupé]endez-nous la sérénité du ciel… Inutiles prières. En vain, pour dernière ressource, nous avons jeté dans les flots les {p. 61}chesses qui chargeaient notre navire ; la tempête ne fait que redoubler de violence ; les dieux ne font que s’acharner davantage contre nous : nos vœux et nos prières les trouvent [illisible chars][texte coupé]exorables. A quel moyen recourir ?…. Mais comment se [illisible chars][texte coupé]it-il que cet étranger reste ainsi au bas de la poupe, plongé dans un profond sommeil, pendant que nous sommes tous perdus ? Quelle insolente sécurité ! Holà ! passager, quand cesseras-tu donc de dormir ? Lève-toi, et, dans ce moment critique, invoque ton dieu, s’il en est un qui puisse nous [illisible chars][texte coupé]courir… Nous nous consumons en vains efforts. Il n’en faut pas douter : un d’entre nous s’est rendu coupable de quelque crilége, et c’est lui qui nous livre au courroux des divinités du ciel et de la mer. Eh bien ! que le sort prononce… Mais moi ! le sort désigne cet individu. Tu vois, étranger, qu’une accusation pèse sur toi. Dis-nous quel est ton pays, ta pro[illisible chars][texte coupé]ssion, pourquoi tu t’es embarqué sur ce navire. — Jonas. [illisible chars][texte coupé] puissance inévitable du ciel ! Me voilà pris et découvert. [illisible chars][texte coupé] suis Hébreu, adorateur de Jehovah, le dieu bon, le dieu [illisible chars][texte coupé]and par excellence, le créateur de la mer et de la terre. Il l’avait commandé d’aller à Ninive, pour prêcher le repentir [illisible chars][texte coupé] cette ville plongée dans l’oisiveté et la corruption ; mais, ayant cette mission, j’avais résolu de me rendre à Tarse en [illisible chars][texte coupé]ilicie, et de me soustraire à ces yeux auxquels rien ne peut échapper.
Version XXIX.
Dialogue entre Jonas et les Matelots. (Suite.) §
29. Les Matelots. Nous sommes perdus sans retour. Ta conduite a été bien imprudente et bien coupable. Mais, [illisible chars][texte coupé]uisqu’on ne saurait revenir sur ce qui est fait, parle, que [illisible chars][texte coupé]evons-nous décider à ton égard, pour rendre le calme aux mots émus ? — Jonas. Jetez-moi dans les ondes, si vous voulez qu’elles s’apaisent ; car, j’en suis certain, c’est pour moi seul que vous êtes en butte à cette horrible tempête. — Les Matelots. Nous préservent les dieux de te sacrifier à notre salut ! allons, faisons force de rames, brisons ces montagnes humides… Malheureux sort ! Le danger croît à chaque instant ; {p. 63}[illisible chars][texte coupé]ul moyen pour nous de gagner la terre ! — Jonas. C’est en train que les hommes luttent contre Dieu. Je vous ai indiqué [illisible chars][texte coupé] seule voie qui vous reste pour sauver vos jours. — Les Matelots. Affreuse ressource ! Mais il vaut mieux pourtant que tu périsses seul, dans l’intérêt de tous, que de nous faire [illisible chars][texte coupé]érir tous avec toi, et par ta faute. La mer redouble de furie, notre bâtiment se brise, la mort, une mort horrible est devant nos yeux. Il faut céder, compagnons. Jetons dans les flots cette victime expiatoire. Nous t’en conjurons, Jehovah, ne nous demande point compte du sang de cet homme, qui sacrifie volontairement ses jours !… O prodige ! comme les vagues sont tombées subitement, après qu’elles l’ont reçu ! Celui qui commande aux vents et à la mer, en déclarant sa divinité par ses œuvres, celui-là seul doit être regardé comme Dieu. Aux autres on adresse inutilement des vœux et des prières.
Version XXX.
De l’Éducation publique. §
30. L’éducation publique ne produit pas peu d’avantages ; mais le plus précieux, selon moi, c’est qu’elle excite et nourrit [illisible chars][texte coupé]émulation dans le cœur des enfants. Otez l’émulation, le goût de l’étude se refroidit, les esprits s’engourdissent, et rejettent le travail, comme un fardeau importun. Mais quand l’honneur doit être le prix des généreux efforts, et qu’il n’est pas permis au lâche d’échapper à la flétrissure de la honte, alors, rivalisant de zèle, les champions entrent dans la carrière, et la lutte ne fait qu’enflammer leur ardeur ; alors, [illisible chars][texte coupé]outenu par des aiguillons qui ne laissent pas d’être agréables, [illisible chars][texte coupé]out cuisants qu’ils sont, le travail même devient un plaisir ; alors chacun brûle de surpasser ses égaux, ou d’égaler ses vainqueurs. Il arrive ordinairement, dans les lieux consacrés aux exercices des Muses, ce qui arrivait à Athènes, où l’idée des trophées de Miltiade excitait si vivement Thémistocle, tout jeune encore, qu’on pouvait déjà, sans se tromper, pressentir en lui un autre Miltiade.
Version XXXI.
Le Séjour du Sommeil. §
31. Non loin des Cimmériens, il est une grotte pofondément enfoncée dans les flancs d’une montagne, séjour mystérieux de l’indolente divinité qui préside au sommeil. Là, jamais le soleil, à son lever, au milieu de sa carrière, à son déclin, ne peut faire pénétrer ses rayons. La terre y exhale de ténépreuses vapeurs, qui ne laissent subsister que la lumière douteuse du crépuscule. Là, jamais l’oiseau matinal qui porte une crête, n’appelle l’aurore par ses chants ; jamais le silence n’est troublé par le cri du chien vigilant, ou de l’oie plus subtile encore. Un calme profond règne en ces lieux. Cependant, du fond du rocher sort un ruisseau, le Léthé, qui coule sur des cailloux retentissants, avec un murmure dont la douceur invite au sommeil. A l’entrée de la grotte fleurit une moisson de pavots et d’innombrables plantes ; de leurs sucs exprimés la Nuit compose le sommeil, et le répand sur la terre avec ses voiles humides. Point de portes à cette demeure, point de gardien sur le seuil. Au milieu s’élève un sombre lit l’ébène, rempli d’un épais duvet et couvert de noirs tissus, où repose le dieu, enseveli dans une molle langueur. Autour de lui sont étendus çà et là les Songes, légers fantômes, aux normes variées ; leur nombre égale les épis des moissons, les feuilles des bois, les sables que la mer rejette sur ses rivages. Debout auprès de lui, le muet Sigaléon tient dans une main [illisible chars][texte coupé]es pavots assoupissants, et du doigt il commande le silence.
Version XXXII.
Le Brigand de Sienne. §
Gypus de Sienne était d’une haute taille, robuste, actif, [illisible chars][texte coupé]udacieux, infatigable, doué d’un caractère généreux, mais [illisible chars][texte coupé]u’une mauvaise éducation et l’exemple de parents coupables [illisible chars][texte coupé]vaient tourné au mal. Et c’est ainsi que son énergie naturelle [illisible chars][texte coupé]e précipita dans le crime et le brigandage. Cependant on [illisible chars][texte coupé]oyait dans ses vols mêmes quelques traces d’une générosité {p. 67}inhérente à son caractère, et dont le sentiment n’était pas encore étouffé. Ce qu’il avait ravi aux uns, ce brigand magnifique en faisait don aux autres ; et ses mains ne dépouillaient pas les voyageurs. Ceux qu’il rencontrait, il les invitait à donner d’eux-mêmes ce qu’ils avaient de trop, chacun selon ses moyens, et en rendait ordinairement une bonne partie. Voici quelque chose de plus étonnant : ami des Muses, rencontrait-il des hommes de lettres, qui ont assez souvent la bourse légère, il leur faisait part de la sienne. Enfin, quoiqu’il tendît de continuelles embûches à l’argent, il n’attentait à la vie de personne, et ne souffrait point qu’on tuât ceux qui tombaient entre ses mains. Assurément, il était digne de donner des lois aux brigands, si un code de justice pouvait exister chez des scélérats. Attaqué plus d’une fois par surprise ou à force ouverte, il se tira toujours d’affaire, et fut heureux dans une longue suite de forfaits ; jusqu’à ce que son audace, que l’impunité redoublait de jour en jour, finît par trouver son juste châtiment.
Version XXXIII.
Phèdre le fabuliste. §
33. Phèdre naquit en Thrace, trente ans avant l’ère chrétienne. Sa patrie fut le mont Piérus, célèbre, disait-on, par la naissance des Muses. La douceur du climat et la fertilité du sol favorisent ordinairement l’essor des talents. Mais l’esclavage même fut un bienfait pour Phèdre : c’est l’esclavage, en effet, qui le fit entrer dans la maison d’Auguste, dans ce séjour des arts et des lettres, où il puisa le goût le plus pur, le plus délicat. A cet avantage se joignit celui de la liberté, qui lui fut accordée par l’empereur, et qui était l’unique souhait d’un homme passionné pour l’étude. Mais vint ensuite, pour son malheur, le règne de Tibère, cette lugubre époque où nul n’était en sûreté. On n’avait point seulement à se défier des paroles et des écrits ; mais, au témoignage de Tacite, les choses muettes et inanimées, les murs, le toit sous lequel on vivait, inspiraient des soupçons. Dans ces temps dangereux, Phèdre ne put échapper aux redoutables accusations de Séjan et de quelques autres, qui voyaient dans ses écrits des allusions indirectes à leur méchanceté. Enveloppé dans leurs trames, et réduit à la dernière infortune, à peine son humble position le préserva-t-elle de la mort qui menaçait la tête des {p. 69}plus puissants. Dans sa détresse, cet homme, qui ne s’était jamais occupé du soin de sa fortune, trouva des amis qui protégèrent ses études, et dont les secours apportèrent quelque soulagement à ses maux ; enfin il vit la chute de Séjan, qui fut un sujet d’allégresse pour le prince et pour Rome. Mais ses malheurs lui avaient donné une leçon trop sévère, pour qu’il eût envie de publier ses fables, tant qu’il vivrait, tant qu’il serait exposé à de puissantes inimitiés. Aussi ne doit-on pas s’étonner que ses contemporains aient gardé le silence à son égard, et que Sénèque ne compte aucun fabuliste chez les Romains.
Version XXXIV.
Henri IV. §
34. L’histoire n’a jamais fait voir d’une manière plus éclatante toute la fragilité des choses humaines et la vanité de nos desseins, qu’en nous montrant un prince, le plus grand monarque de l’Europe dans son siècle, prêt à commencer l’expédition la plus hardie, qui frappait déjà les ennemis d’épouvante, assassiné par la main d’un seul homme, et de l’homme le plus abject, dans sa capitale et au milieu de sa noblesse. Il était dans sa cinquante-huitième année. Mais tant d’actions brillantes ont étendu cette courte existence, qu’à bien considérer, elle semble avoir embrassé un siècle. Certes, à examiner les qualités guerrières, la France ne compte aucun roi, depuis Charlemagne, plus digne de ce titre. Il passa par l’épreuve de toutes les adversités auxquelles un prince peut être en butte ; ce fut à force de peines et de fatigues qu’il parvint au trône : aussi, peut-on le dire, c’est sa valeur, sa sagesse, sa constance, qui reconquirent l’héritage de ses aïeux ; et, tandis que d’autres ont reculé par leurs victoires les limites de leurs Etats, Henri sauva le sien d’une perte assurée ; il en fut comme le créateur. Victorieux de tant d’ennemis, il remporta plus de triomphes encore sur lui-même ; et, ce qui frappe d’admiration, élevé à la cour d’Henri III, il sut tellement préserver de la contagion son caractère et ses mœurs, que, semblable à l’Alphée, dont les flots restent purs en traversant l’onde amère, il ne laissa rien pénétrer en lui de ces vices, de cette corruption.
Version XXXV.
Aventure de Canius. §
35. Canius, chevalier romain qui ne manquait ni d’agrément ni d’instruction, étant allé à Syracuse, non pour affaire, mais pour ne rien faire (c’étaient ses expressions), répétait partout qu’il voulait acheter une maison de plaisance, où il pût inviter ses amis, et se divertir loin des importuns. Sur ce bruit, un certain Pythius, qui faisait la banque à Syracuse, lui dit qu’il avait une maison de plaisance, qui n’était point à vendre à la vérité, mais dont il lui permettait d’user comme si elle lui appartenait ; en même temps, il l’invita à souper pour le lendemain. Canius ayant accepté, Pythius, à qui sa qualité de banquier donnait du crédit auprès des gens de toutes les professions, assembla des pêcheurs, les pria d’aller faire la pêche le lendemain devant son parc, et leur donna ses instructions. Canius fut exact au rendez-vous. Il trouva un festin splendide, préparé par l’ordre de son hôte, et une multitude de barques frappèrent ses yeux. Chacun des pêcheurs apportait le poisson qu’il avait pris, et le jetait aux pieds de Pythius. Canius alors de se récrier : « Qu’est-ce donc, je vous prie, Pythius ? Tant de poissons ! tant de barques ! — Faut-il, dit Pythius, que cela vous étonne ? Tout le poisson de Syracuse est ici ; c’est ici que les pêcheurs viennent faire de l’eau ; ils ne sauraient se passer de cette propriété. » Canius alors s’enflamme ; il veut la propriété ; il sollicite Pythius de la lui vendre.
Version XXXVI.
Suite de l’aventure de Canius. §
36. Celui-ci fait d’abord des difficultés….. Enfin Canius l’emporte ; il avait envie de cette maison, et il était riche : il en donne tout ce que Pythius demandait, et l’achète toute meublée. Il fait des obligations ; il termine l’affaire. Le lendemain, il invite ses amis ; lui-même vient de bonne heure ; il ne voit point un esquif. Il demande au plus proche voisin si c’était jour de fête pour les pêcheurs, pour qu’il n’en vît aucun. « Non point, que je sache, répond ce dernier ; mais il n’en vient jamais pêcher dans cet endroit : aussi étais-je étonné {p. 73}hier : je ne savais ce qui était arrivé. » Canius est furieux ; mais que faire ? Aquilius n’avait point encore établi ses formules touchant le dol.
Tous ceux qui ont l’air de faire une chose, et qui en font une autre, comme Pythius, sont des hommes sans foi, sans probité, des méchants. Toute notre vie doit être exempte de feinte et de déguisement. Cependant je remarque que, grâce à un abus, l’usage n’attache point de honte à certaines actions, et que les lois civiles ne les réprouvent point, quoique la nature les ait réprouvées.
Ce n’est point seulement au passé, seulement à la nation romaine, que s’applique ce récit, où Cicéron a mis tant d’agrément. C’est aussi notre époque, ce sont aussi les habitudes de certains individus de notre nation, que l’auteur a décrites, il y a dix-huit cents ans. Toutefois, dans le siècle de Cicéron, les artifices coupables des gens sans honneur étaient flétris, je pense, par le mépris ; mais, chez nous, au contraire, un habile trait de friponnerie est accueilli par ceux qui le lisent ou qui l’entendent raconter, avec des éclats de rire, peut-être même avec une certaine satisfaction ; et le mépris est encore pour les victimes.
Version XXXVII.
Songe du roi Crésus. §
37. C’était une opinion chez les anciens, que les songes n’arrivaient pas sans la volonté des dieux ; et quelquefois ils se réalisent d’une manière si frappante, qu’ils semblent moins une vision enfantée par le caprice de l’imagination, qu’un avertissement émané du ciel.
Un songe encore bien fidèlement vérifié, fut celui qui remplit l’âme du roi Crésus, d’abord des plus vives alarmes, ensuite de la plus grande affliction. Il avait deux fils, dont l’un, nommé Atys, supérieur à l’autre par une rare activité et par les qualités du corps, était destiné à l’empire : il crut le voir en songe tomber sous un fer homicide. En conséquence, sa tendresse paternelle se hâta de prendre toutes les précautions qui pouvaient détourner le coup affreux dont il était menacé. Jusque-là, il ne se faisait point de guerre, que le jeune prince n’y fût envoyé : on le retint dans le palais. Il avait un magasin rempli d’armes de toute espèce : Crésus {p. 75}les fit éloigner. Des gardes l’accompagnaient, l’épée au côté : on leur défendit de se tenir trop près de sa personne. Mais la fatalité sut bien donner accès au malheur. Un sanglier monstrueux ravageait les terres cultivées du mont Olympe, et souvent même faisait un terrible carnage des habitants. On implora le secours du roi contre ce fléau extraordinaire. Atys voulut aller en délivrer le pays ; et il en obtint la permission de son père, avec d’autant plus de facilité, que ce n’était point un coup de dent, mais le fer, qu’on redoutait. Mais, tandis que tous les chasseurs, animés du désir de tuer le monstre, faisaient à l’envi les plus grands efforts, le sort, qui s’opiniâtrait à réaliser le malheur annoncé par le songe, détourna sur le prince un javelot dirigé contre l’animal, et voulut souiller de cet affreux homicide la main même à laquelle le père avait confié la garde de son fils, la main d’un suppliant, que le roi Crésus, dans une religieuse crainte des dieux hospitaliers, avait déjà purifiée d’un meurtre involontaire par un sacrifice expiatoire.
Version XXXVIII.
Utilité de l’amitié. §
38. Beaucoup de gens dédaignent les richesses : contents de peu, ils aiment une table frugale et de modestes vêtements. Beaucoup de gens font si peu de cas des honneurs, pour lesquels d’autres s’enflamment d’une vive passion, qu’ils les regardent comme ce qu’il y a de plus vide et de plus frivole. La vertu même, combien de gens la méprisent, en voulant la faire passer pour une vaine parade, et une sorte de charlatanerie ! L’amitié est la seule chose ici-bas dont tous les hommes s’accordent à reconnaître l’utilité : ceux qui se sont consacrés aux affaires, comme ceux que leur goût entraîne vers l’étude et la science ; et ceux qui bornent leurs soins à leurs intérêts particuliers ; et ceux dont le plaisir est la seule occupation. L’amitié, en effet, s’insinue, je ne sais comment, dans toutes ses existences, et ne veut rester étrangère à aucune condition. Bien plus, s’il existe un homme d’un caractère assez âpre, assez farouche, pour fuir, pour détester la compagnie de ses semblables, comme faisait, à ce qu’on dit, un certain Timon d’Athènes, il ne pourra s’empêcher encore de chercher un autre auprès duquel il puisse exhaler le fiel de sa misanthropie. Et l’on reconnaîtrait bien cette vérité, s’il arrivait qu’un dieu nous enlevât du milieu des hommes, et, nous plaçant dans {p. 77}quelque désert, où il nous fournirait en abondance ce que la nature peut désirer, nous privât entièrement de la vue d’un être humain. Quelle est l’âme de fer qui pourrait supporter une telle existence, et pour laquelle tous les plaisirs ne perdraient pas leur charme, dans cet isolement ?
Version XXXIX.
La Fortune accusée d’inconstance se justifie. §
39. Pourquoi me poursuis-tu de tes plaintes continuelles ? Quelle injustice t’ai-je faite ? Quels biens t’ai-je enlevés, qui fussent à toi ? Devant tel juge que tu voudras, dispute-moi la possession des richesses et des dignités ; et si tu prouves qu’une seule de ces choses soit la propriété d’un mortel, dès lors je serai la première à reconnaître que ce que tu réclames t’appartenait… Quand la nature t’a tiré du sein maternel, je te pris nu et manquant de tout ; je t’élevai avec une faveur, une bonté toute complaisante, et, ce qui fait que tu ne sais pas me supporter aujourd’hui, je t’entourai de l’abondance et de l’éclat de tous les biens dont je dispose. Rends-moi grâce, comme ayant joui de ce qui n’était pas à toi. Les richesses, les honneurs, et tous les avantages de ce genre, me reconnaissent pour souveraine ; ils viennent, ils se retirent avec moi. Seule, m’empêchera-t-on d’user d’un droit qui m’appartient ? Le ciel peut faire luire les beaux jours, et les plonger aussi dans les ténèbres de la nuit. Les saisons peuvent tantôt parer de moissons et de fleurs la face de la terre, tantôt l’attrister par les noirs orages ou par les frimats. La mer peut tantôt aplanir ses ondes caressantes, tantôt soulever ses vagues émues par la tempête. Et moi, l’insatiable cupidité des mortels m’imposera-t-elle une constance étrangère à mes habitudes ? C’est là ma force : ce sont là mes jeux continuels. Je fais tourner une roue sur elle-même ; je me plais à abaisser ce qui est en haut du cercle mobile, pour élever ce qui est en bas. Monte, si tu le veux, mais à cette condition : lorsque, dans mon jeu, ton tour viendra de descendre, tu ne te croiras pas victime d’une injustice.
Version XL.
De la discipline des Spartiates. §
40. Docile aux lois austères de Lycurgue, la république de Sparte tint pendant quelque temps les regards de ses citoyens détournés du spectacle de l’Asie, de peur que cette vue séduisante ne les fit tomber dans la mollesse. Ils savaient que de là étaient sortis le luxe de la table, les somptuosités excessives, et tous les genres de plaisirs superflus ; que les Ioniens avaient imaginé les premiers l’usage des parfums, des couronnes offertes aux convives dans les repas, et des seconds services, puissant aiguillon de débauche. Il n’est donc pas étonnant que des hommes qui trouvaient leur bonheur dans une vie dure et laborieuse, ne voulussent pas laisser détendre et affaiblir leur constitution par la contagion des délices étrangères ; car ils voyaient que le passage est souvent plus facile de la vertu au vice, que du vice à la vertu. Et leur crainte n’était pas chimérique : c’est ce que prouva l’exemple de Pausanias, l’un de leurs généraux, qui, après de brillants exploits, du moment qu’il se fut livré aux délices de l’Asie, ne rougit plus d’amollir sa bravoure, en imitant les manières efféminées de ces peuples.
Version XLI.
Une bibliothèque doit être formée pour l’usage du public et des particuliers, et non pour la montre. §
41. C’est une bien noble dépense, que celle dont les livres sont l’objet ; mais elle ne me semble raisonnable qu’autant qu’elle est mesurée. Que me fait un nombre prodigieux de livres, dont le maître peut à peine lire les titres, en y consacrant toute sa vie ? La trop grande quantité est une charge pour celui qui apprend, et non un moyen d’instruction ; et il vaut beaucoup mieux vous confier à quelques auteurs, que d’en parcourir vaguement une foule. Alexandrie vit brûler quatre cent mille volumes, superbe monument de l’opulence des Ptolémées. Que d’autres l’admirent avec Tite-Live, qui dit que cette fondation était un magnifique témoignage du goût et de la sollicitude des rois. Je ne vois là ni goût ni sollicitude, mais un luxe scientifique. Que dis-je ? scientifique ; {p. 81}non : puisque cette collection n’avait pas été rassemblée pour l’étude, mais pour la représentation. C’est ainsi que, chez bien des gens, qui n’ont pas même autant de littérature que des esclaves, les livres, au lieu d’être des instruments d’étude, ne sont qu’une décoration pour leur salle à manger. Achetez donc autant de livres qu’il en faut, rien pour les yeux. Mais, dites-vous, ce que je prodigue en acquisitions de ce genre, est plus noblement dépensé qu’en vases de Corinthe ou en tableaux. L’excès est un vice en toutes choses. Pardonneriez-vous à un homme qui ferait incruster de cèdre et d’ivoire les rayons de sa bibliothèque, pour bâiller au milieu de tant de volumes, et qui n’apprécierait que les dos et les titres de ses livres ? Ainsi, c’est chez les gens les plus oisifs que vous trouverez tout ce qu’il y a d’orateurs et d’historiens, et des tablettes jusqu’aux toits. De sorte que les œuvres des divins maîtres sont rassemblées seulement pour la montre, et pour la décoration des murailles !
Version XLII.
Les besoins du corps sont bornés. §
42. Je ne prétends point vous obliger à refuser quelque chose à la nature ; elle est opiniâtre, elle exige absolument ce qui lui est dû : mais je veux vous persuader que tout ce qui dépasse ses exigences n’est pas nécessaire. J’ai faim : — Il faut manger. Que ce soit un pain grossier, ou un pain de fleur de farine, cela ne fait rien à la nature. Ce qu’elle veut, c’est qu’on emplisse le ventre, et non pas qu’on le flatte. J’ai soif : — Que cette eau soit puisée à l’étang voisin, ou, qu’à force de la tenir dans la neige, je lui aie procuré une fraîcheur artificielle, cela ne fait rien à la nature, non plus que le vase où on me la présente, et le plus ou moins de grâce de l’échanson. Considérez la fin de chaque chose, et vous ne songerez point au superflu. Les besoins du corps sont bornés : tout ce qu’on désire au delà de ces besoins, c’est par caprice qu’on le cherche, et non par nécessité. J’entends la faim qui me presse : mes mains n’ont qu’à s’étendre vers ce qui est le plus à leur portée ; tout ce que j’aurai pris, la faim me le fera trouver bon. Il n’est pas nécessaire de fouiller toutes les profondeurs de l’Océan ; de faire un immense carnage d’animaux pour en charger son estomac ; ni d’arracher des coquillages aux bords inconnus des mers les plus lointaines. Maudits soient-ils des dieux et des déesses, ces gens dont le luxe franchit les bornes {p. 83}de cet empire déjà si grand aux yeux de l’univers ! Ils veulent qu’on aille chasser au delà du Phase, pour fournir à leurs tables fastueuses ; ils n’ont pas honte d’aller chercher des oiseaux chez les Parthes, dont nous n’avons pas encore tiré vengeance ! Malheureux, dont le palais n’est sensible qu’à des mets qui doivent leur prix, non pas à une saveur exquise, mais à leur rareté seule ! Malheureux, qui, pouvant satisfaire leur faim à peu de frais, font de grandes dépenses pour l’exciter !
Version XLIII.
Comment Philippe confia au philosophe Aristote l’éducation d’Alexandre. §
43. Philippe, devenu père d’un fils dont tant de présages lui avaient fait concevoir les plus brillantes espérances, tourna vers l’éducation du jeune prince toute sa sollicitude, toutes ses pensées. Avec sa haute sagesse, il sentait que le fruit de ses victoires serait bien borné, si, dans un moment où tous les Etats remuaient, il laissait après lui un homme sans capacité et sans énergie ; il sentait que sa gloire ne durerait pas, si les préparatifs qu’il avait faits avec tant d’activité, pour l’exécution des plus vastes projets, étaient perdus par la lâcheté de ses successeurs. Il existe une lettre de ce prince au philosophe Aristote, qui brillait alors à Athènes ; elle est conçue à peu près en ces termes : « Philippe à Aristote, salut. Je vous apprends qu’il m’est né un fils ; et je rends grâces aux dieux, non pas tant de me l’avoir donné, que de l’avoir fait naître de votre vivant : j’espère qu’élevé par vous et formé par vos leçons, il ne sera point indigne de son père, et pourra prendre la conduite d’un si grand empire. »
Philippe ne fut point trompé dans son attente. Tel fut le résultat de cette éducation, qu’en peu d’années Alexandre semblait déjà promettre le roi qu’on vit en lui dans la suite. Ses jeunes membres déployaient une vigueur infatigable ; et bien avant l’âge, éclataient en lui les plus heureuses dispositions. Enfant, il ne commettait, il ne disait rien de bas ; dans ses actions, dans ses paroles, il se montrait égal, ou plutôt supérieur à sa fortune. Passionné pour la gloire, il n’était pas indifférent en fait de moyens pour l’obtenir : une victoire lui semblait d’autant plus glorieuse, que ses adversaires étaient plus estimés.
Version XLIV.
Instructions de Dédale à son fils. Chute et mort d’Icare. §
44. « Vole à une égale distance du ciel et de la terre ; car, si tu descendais trop bas, l’onde appesantirait tes ailes ; si tu t’élevais trop haut, la chaleur les brûlerait. Dirige ton vol sur le mien. » En même temps, il lui apprend à mouvoir ses ailes, et attache à ses épaules cet appareil nouveau pour lui. Pendant ces soins et ces instructions, les joues du vieillard se mouillèrent de larmes, et ses mains paternelles tremblèrent. Il donne des baisers à son fils, les derniers baisers, et porté sur ses ailes, il s’élance devant lui, tremblant pour son compagnon. Comme un oiseau qui, de son nid aérien, conduit pour la première fois dans les airs sa jeune couvée, Dédale agite ses ailes, et se retourne pour regarder celles de son fils.
Bientôt l’enfant prit plaisir à son vol audacieux ; il abandonna son guide ; et, entraîné par le désir de toucher au ciel, il poussa plus haut son essor. Les dévorantes approches du soleil amollissent la cire parfumée qui retenait les plumes. La cire se fond. Icare frappe les airs de ses bras que rien ne soutenait plus ; et, appelant son père par ses cris, il tombe dans cette partie de la mer à laquelle il donna son nom. Cependant le père infortuné (que dis-je ? il n’était plus père) : « Icare, s’écrie-t-il, Icare, où es-tu ? De quel côté mes yeux te chercheront-ils ? Icare ! » criait-il encore, quand il aperçut des plumes à la surface des ondes. Alors il maudit ses inventions, enferma dans un tombeau le corps de son fils, et la terre reçut le nom de l’enfant, avec sa dépouille.
Version XLV.
Ælius Adrien. §
45. Ælius Adrien, né en Espagne, parent de Trajan, était très-versé dans les lettres et les sciences, surtout dans les mathématiques. Protecteur des savants, dont il faisait aussi la satire, il honora Plutarque de son intimité, et eut Suétone {p. 87}pour secrétaire. Telles étaient ses attentions pour ses amis, qu’il les visitait dans leurs maladies, et les faisait placer au-dessus de lui à sa table. Il était mortifié qu’on lui demandât quelque chose, sa bonté prévenante aimant à devancer les prières. Il souffrait sans s’offenser que les gens de la dernière classe lui fissent des remontrances. Une femme lui demandait une audience. L’empereur lui ayant répondu qu’il n’avait pas le temps de l’écouter : « Ne régnez donc pas ! » s’écria-t-elle. Ces mots firent une telle impression sur Adrien, qu’il donna sur-le-champ audience à cette femme, à une pauvre vieille, et l’écouta attentivement. Ami de la paix, il abandonna trois provinces de l’Asie, ajoutées par Trajan à la domination romaine. Jamais il ne suscita aucune guerre ; et celles qui furent suscitées par d’autres, il les apaisa aussitôt. Il parcourut à pied presque toute l’étendue de l’empire, fortifiant les places, et s’appliquant aux intérêts des peuples. Cependant il ne revit jamais sa patrie, tout en la comblant de ses bienfaits. Il ne prit les armes que contre les Juifs, qui s’étaient révoltés dans toute la Palestine. Après leur avoir fait essuyer de nombreuses et sanglantes défaites, il releva Jérusalem, et l’appela, de son nom, Ælia. Pour terminer, il essuya une maladie longue et douloureuse, où il éprouva combien il est affreux de ne pouvoir mourir, quand on souhaite la mort. Enfin, près d’expirer, il prononça ce proverbe grec bien connu : « Le grand nombre de médecins a perdu le roi. » Il fut enseveli au bord du Tibre ; et son fils adoptif, Antonin (surnommé le Pieux à cette occasion), éleva sur son tombeau le monument qu’on appelle le môle d’Adrien.
Version XLVI.
Éloge de la ville de Paris. §
46. En célébrant les villes les plus fameuses, les anciens, par superstition ou par complaisance, ont rapporté, pour leur donner plus d’éclat, quelques prodiges extraordinaires, et souvent de pompeux mensonges. Ainsi, Troie bâtie par Apollon et Neptune, par des dieux devenus mercenaires ; les pierres s’enlevant aux sons mélodieux de la lyre, pour construire les murs de Thèbes ; Athènes illustrée par la protection de Minerve ; Delphes, par les oracles d’Apollon ; Délos, par sa naissance ; Rome heureusement placée, sur la foi des vau[illisible chars][texte coupé]ours, entre les sept collines qui forment son enceinte : voilà les récits publiés par les ambitieuses traditions des antiques {p. 89}annales. Laissons donc se complaire dans ces fictions l’antiquité si prodigue en fait de merveilleux, et si vaine d’elle-même : nous, pour célébrer la capitale de la France, nous n’avons pas besoin de merveilles fabuleuses ; nous en trouvons tant de réelles, d’authentiques, que cette ville possède à elle seule, et qui semblent s’être accumulées dans son sein, que celui qui veut les énumérer, doit craindre seulement d’omettre quelque chose de vrai. Paris, c’est, pour ainsi dire, un abrégé de l’univers ; c’est la mère féconde d’où sortirent tant de héros ; le foyer des arts et des lettres ; le centre où se gardent en dépôt nos victoires et nos trophées ; le plus ferme boulevard de la religion et de la justice. Paris était pour Henri IV l’objet d’une prédilection si particulière, que, devenu maître de cette capitale et du reste de la France, sans songer à ces titres dont les rois aiment à s’entendre qualifier et à rehausser leur grandeur, il fit ajouter à son nom le titre de premier bourgeois de Paris.
Version XLVII.
Eloge de Paris. (Suite.) §
47. Disons d’abord quelques mots de sa situation : pouvait-on trouver pour elle une localité plus agréable, plus avantageuse ? Ne dirait-on pas que tous les éléments ont conspiré pour embellir, pour disposer la place où est assise la souveraine du royaume ? La terre, par la fertilité du sol qui l’entoure, et par l’abondance des matériaux nécessaires pour les constructions : Le feu, par une heureuse température, où ne se font sentir ni les chaleurs accablantes, ni les froids rigoureux : L’air, par une atmosphère saine et par un ciel d’une admirable pureté : L’eau, par deux fleuves, qui, confondant leurs cours dans le même lit, aux portes de la capitale, concourent à sa richesse et à sa subsistance, et amènent dans son sein, de toutes les provinces et des mers voisines, les produits de la terre, comme ces grandes veines qui apportent le sang au cœur, de toutes les parties du corps. Quelle aimable variété se déploie dans la campagne, au pied de ses murs ! Voyez ces vastes plaines où peuvent tenir de grandes armées, ces plaines favorables aux semences, et heureusement disposées pour la chasse. Voyez ces coteaux, ces collines aux pentes douces et insensibles, sur lesquelles s’élèvent, comme autant de petites villes, une suite de villages, qui semblent rangés autour d’elle {p. 91}pour former une couronne à cette reine de la France. Avec quel plaisir les yeux se portent sur les demeures des princes et des grands, sur ces châteaux superbes dont elle est environnée ! Pareils au vestibule d’une grande maison, ils peuvent déjà donner une idée du reste de l’édifice.
Version XLVIII.
Plaisanteries dirigées contre Auguste. §
48. J’admire souvent Auguste, plutôt pour les plaisanteries qu’il a souffertes, que pour celles dont il est l’auteur : car il y a plus de mérite à se montrer patient, qu’à parler avec esprit. Pendant le triumvirat, il avait composé des vers satiriques contre Pollion : « Quant à moi, dit celui-ci, je me tais ; car il n’est pas facile d’écrire contre celui qui peut proscrire. » Curtius, chevalier romain qui vivait fort sensuellement, ayant pris à sa table une grive étique, lui demanda s’il pouvait l’envoyer. « Pourquoi non ? » répondit l’empereur. Alors il l’envoya par la fenêtre. Auguste montra encore une merveilleuse patience dans ses fonctions de censeur. Il adressait une réprimande à un chevalier romain, en lui reprochant d’avoir diminué sa fortune. Celui-ci prouva publiquement qu’il l’avait augmentée. Le prince reprit bientôt en lui reprochant de ne s’être point marié, comme les lois l’y obligeaient. Le chevalier dit qu’il avait une femme et trois enfants. Puis il ajouta : « Dorénavant, quand vous prendrez des informations sur d’honnêtes gens, César, confiez cette mission à d’honnêtes gens. » Quand il descendait de son palais, un Grec avait l’habitude de lui offrir quelques vers à sa louange. Ce dernier lui avait souvent adressé cet hommage sans succès, quand Auguste, le voyant prêt à recommencer, écrivit sur une petite feuille de papier un compliment grec, et l’envoya au personnage, qui venait à sa rencontre. Notre homme lit ce compliment, l’approuve, témoigne son admiration tant par ses gestes que par ses paroles ; puis il plonge la main dans une misérable bourse, et en tire quelques deniers, pour les offrir au prince, en ajoutant : « Par votre fortune ! Auguste, si j’étais plus riche, je donnerais plus. » Tout le monde s’étant mis à rire, César appela son trésorier, et lui ordonna de compter au Grec 100,000 sesterces*.
Version XLIX.
Contre ceux qui affectent de se servir de vieilles locutions. §
49. Certaines gens ont la manie de reproduire dans leur langage les locutions du vieil âge ; non qu’ils professent pour le passé une sorte de respect et de culte religieux, mais parce qu’ils veulent se singulariser. Le philosophe Favorinus, voyant un jeune homme grand amateur d’archaïsmes, et qui cherchait les termes les plus inconnus pour les semer en foule dans sa conversation ordinaire : « Nos Curius, lui dit-il, nos Fabricius et nos Coruncanus, ces personnages bien anciens, et, dans une époque plus reculée, les trois Horaces, parlaient d’une manière nette et lucide à leurs contemporains ; ils n’employaient pas, pour causer, la langue des Auronques, des Sicanes, ou des Pélasges, de ces peuples qu’on cite comme les premiers habitants de l’Italie, mais bien celle de leur temps. Et vous, comme si vous vous entreteniez maintenant avec la mère d’Evandre, vous vous servez de mots passés de mode et tombés en désuétude depuis longues années, pour que personne ne sache et ne comprenne ce que vous voulez dire. Insensé ! pour n’avoir plus rien à désirer sous ce rapport, ne vaudrait-il pas mieux vous taire ? Mais le vieil âge vous plaît, dites-vous, parce qu’il est honnête, vertueux et sage. Eh bien ! soyez du temps passé, dans vos mœurs ; dans votre langage, soyez de votre temps ; et, dans votre mémoire, dans votre cœur, ayez toujours gravée cette pensée qu’un homme d’un beau génie et d’une haute sagesse, que César a mise dans ses écrits : « Il faut toujours éviter, comme un écueil, les mots extraordinaires et inusités. »
Version L.
On doit prêter à la vérité même les grâces de l’élocution. §
50. Si vous vous êtes quelquefois trouvés dans un cercle où différentes personnes racontaient absolument le même fait, l’une en faisant briller une riche élocution, l’autre, d’une manière sèche et nue, quel contraste vous avez dû remarquer entre les impressions qu’elles produisent sur l’auditoire ! Vous voyez, pendant que la dernière parle, les auditeurs distraits bâiller et causer entre eux de choses étrangères au récit. Mais {p. 95}à peine l’autre a-t-elle pris la parole, toutes les têtes se redressent, comme si l’on sortait d’un profond assoupissement, les visages sont attachés sur l’orateur, les esprits lui prêtent toute leur attention : vous diriez que c’est une autre histoire qu’on raconte, ou que les auditeurs sont tout à coup devenus d’autres hommes ; tant importe en toutes choses la manière de les dire ! tant il y a de différence entre l’homme instruit et l’ignorant ! Laissons donc ces gens qui veulent qu’on présente la vérité sans aucune espèce de parure : comme si, vraiment, le lustre faisait tort aux armes ; comme si un javelot lancé avec grâce frappait moins sûrement ; comme si les palais des rois étaient moins solides que les maisons du peuple, parce qu’ils ne sont pas bâtis d’épais moellons et de briques grossières, mais parce que le marbre y reluit, parce que l’or y étincelle. Certes, si l’esprit humain était exempt d’erreurs et de passions, la vérité y pénétrerait par elle seule, sans aucun secours étranger ; mais aujourd’hui, si vous ne lui ménagez un moyen d’entrer dans l’esprit, en flattant l’oreille, la plupart du temps, elle restera sur le seuil ; ce sera comme une épée enfoncée dans le fourreau, et qui ne peut s’en détacher.
Version LI.
Incendie du palais de Persépolis. §
51. Tandis que son ennemi, son concurrent à l’empire, travaillait plus que jamais à recommencer la guerre, quand les vaincus, tout récemment soumis, voyaient d’un mauvais œil cette domination nouvelle, Alexandre donnait en plein jour des festins où assistaient des courtisanes. L’une d’elles, Thaïs, déjà étourdie elle-même par le vin, s’avisa de dire qu’Alexandre mériterait au plus haut degré la reconnaissance de tous les Grecs, s’il faisait mettre le feu au palais des rois de Perse : ceux dont les barbares avaient détruit les villes, s’attendaient à cette satisfaction. L’avis d’une femme impudique, donné dans la chaleur de l’ivresse, sur un sujet si grave, est accueilli de deux convives, comme elle gorgés de vin. Le roi lui-même, plus impatient d’agir que disposé à laisser faire, s’écrie : « Que tardons-nous à venger la Grèce, et à livrer cette ville aux flammes ? » Tous avaient la tête échauffée ; ils se lèvent, en trébuchant, pour aller brûler cette ville qu’avaient épargnée leurs armes. Le roi fut le premier qui mit le feu au palais : après lui, les convives, les officiers, les courtisanes. L’édifice, construit en {p. 97}cèdre, pour la plus grande partie, prit feu rapidement, et devint un vaste foyer de flammes. L’armée, qui campait non loin de là, aperçut l’incendie, et, l’attribuant à un accident, accourut pour porter du secours. Mais, arrivés aux portes du palais, ils voient le roi en personne qui attisait encore l’incendie. Alors ils laissent l’eau qu’ils avaient apportée, pour jeter dans le feu des combustibles.
Ainsi finit cette capitale de l’Orient, qui, jusqu’à ce jour, donnait des lois à tant de nations, qui vit naître tant de rois, qui seule était jadis la terreur de la Grèce, qui créa une flotte de mille vaisseaux et inonda l’Europe de ses armées, qui jeta un pont sur la mer, et fit passer l’Océan à travers les montagnes, percées dans leurs profondeurs. Et le temps ne l’a pas relevée. On n’en trouverait aucun vestige, si l’Araxe n’indiquait sa position. L’Araxe coulait non loin de ses murs ; et elle était à vingt stades du fleuve : telle est du moins l’opinion, plutôt que la certitude, des gens du pays.
Version LII.
Repartie plaisante d’Annibal au roi Antiochus. §
52. On lit dans des mémoires anciens qu’Annibal, étant chez le roi Antiochus, fit une repartie fort ingénieuse. Ce prince lui montrait dans une plaine l’armée immense qu’il avait mise sur pied, pour aller attaquer les Romains. Il faisait manœuvrer ses troupes toutes resplendissantes d’emblèmes en or et en argent. Il faisait encore passer devant lui ses chars armés de faulx, ses éléphants chargés de tours, et sa cavalerie, dont les mors, les harnais, les colliers, les caparaçons brillaient d’un luxe éblouissant. Alors, tout glorieux à l’aspect d’une armée si puissante et si bien équipée, le roi regarde Annibal et lui dit : « Croyez-vous qu’on puisse se mesurer avec l’ennemi, et qu’il y en ait assez là pour les Romains ? » Le Carthaginois, se moquant de la lâcheté de ces soldats si richement armés : « Oui, certes, répondit-il, oui, je crois qu’il y en aura assez pour les Romains, quelle que soit leur avarice. » On ne peut faire de repartie plus ingénieuse et plus piquante. Le roi, en l’interrogeant, avait en vue le nombre de ses troupes et l’appréciation de leurs forces comparées à celles des Romains : Annibal, dans sa réponse, ne vit que le butin.
Combien y en a-t-il qui eussent répondu avec cette liberté, {p. 99}au lieu de ménager la vanité du roi, qui se croyait déjà certain de la victoire avec cet imposant appareil d’armes et le soldats ? Mais le général carthaginois connaissait trop bien l’ennemi, pour ignorer l’issue que devait avoir cette guerre ; il avait d’ailleurs l’âme trop haute, pour servir ses intérêts par une adroite flatterie ; et peut-être l’humeur trop caustique, pour manquer l’occasion de dire un bon mot, même aux dépens d’un roi.
Version LIII.
Les Parthes. §
53. Chez les Parthes, après la dignité royale, le peuple tient le premier rang. Ils tirent de son sein les généraux pour la guerre, et les magistrats pour la paix. Leur langue tient le milieu entre celle du Mède et du Scythe ; elle est un mélange de l’une et de l’autre. Leur ancien costume était propre à leur nation ; depuis l’accroissement de leur puissance, ils ont adopté [illisible chars][texte coupé] e costume transparent, la robe traînante des Mèdes. Leurs armes sont celles des Scythes, leurs ancêtres. Leur armée ne [illisible chars][texte coupé]e compose pas d’hommes libres, comme chez les autres peuples : les esclaves en forment la plus grande partie. Le nombre de ces derniers grossit chaque jour, parce que, nul ne pouvant [illisible chars][texte coupé]es affranchir, tous leurs enfants naissent esclaves. Les Parthes des élèvent avec autant de sollicitude que leurs propres fils, et s’épargnent aucun soin pour leur apprendre à monter à cheval [illisible chars][texte coupé]t à tirer de l’arc. En temps de guerre, les plus riches fournissent au roi le plus de cavaliers. Ils ne savent pas combattre [illisible chars][texte coupé]n ligne et de près, ni assiéger et prendre les villes. C’est en [illisible chars][texte coupé]nçant leurs chevaux sur l’ennemi, ou en tournant le dos, qu’ils combattent : souvent même ils font semblant de fuir, [illisible chars][texte coupé]fin que l’ennemi, dans sa poursuite, se méfie moins de leurs [illisible chars][texte coupé]oups. Leur signal de bataille n’est pas la trompette, mais le [illisible chars][texte coupé]ambour. Si l’action dure quelque temps, ils ne peuvent la soutenir ; car ils jettent tout leur premier feu en un moment. Leur choc serait, je crois, irrésistible, s’il pouvait se soutenir. Presque toujours, au plus fort de l’action, ils font retraite, pour revenir bientôt de la fuite au combat ; de sorte qu’à l’instant même où l’on se croit vainqueur, il faut recommencer [illisible chars][texte coupé]a lutte. Cavaliers et chevaux sont entièrement bardés de lames le fer, en forme de plumes. Ils n’emploient l’or et l’argent que dans leurs armures.
{p. 101}Version LIV.
Fuite de Xerxès. Bataille de Platée. §
54. C’était un spectacle digne d’attention, en même temps qu’un étrange sujet de réflexions sur la destinée humaine et l’instabilité des choses, de voir caché dans un misérable esquif, celui que naguère encore la mer pouvait à peine contenir ; et privé même des services d’un esclave, celui qui surchargeait [illisible chars][texte coupé]a terre de ses innombrables soldats. L’armée confiée à ses lieutenants ne fut pas plus heureuse dans sa retraite : à la fatigue journalière des marches (car la crainte ne permet aucun repos) s’était venue joindre la famine ; puis la famine, prolongée pendant plusieurs jours, avait amené la peste. Horrible aspect ! Les mourants jonchaient les routes de cadavres ; et, attirés par l’appât de ce festin, les oiseaux de proie, les [illisible chars][texte coupé]êtes féroces suivaient l’armée. Cependant Mardonius, qui était resté en Grèce avec une partie des troupes, se rend maître d’Olynthe. Il offre aux Athéniens la paix et l’amitié de son roi, promettant de relever, d’agrandir leur ville consumée par les flammes. Voyant qu’ils ne voulaient à aucune condition vendre leur liberté, il brûle les constructions déjà commencées, et passe dans la Béotie. Il y est suivi par les forces des Grecs, qui se composaient de cent mille hommes, et le combat s’engage dans ces plaines. Mais la fortune du roi n’avait pas changé avec le chef de ses armées. Mardonius, vaincu, se sauve avec quelques soldats, faibles débris de son naufrage : son camp, rempli des trésors de l’Asie, tombe au pouvoir des vainqueurs ; et ce fut à partir de ce jour, que l’or des Perses, partagé entre les Grecs, introduisit chez eux la corruption des richesses.
Version LV.
Démosthène lutte contre la nature. §
55. Démosthène, dont le nom seul rappelle à l’esprit la plus [illisible chars][texte coupé]ublime éloquence, l’idée du parfait orateur, Démosthène ne pouvait, étant jeune, prononcer la première lettre de l’art qu’il aspirait à connaître ; mais il attaqua si vivement le vice de son organe, que personne, dans la suite, ne prononça plus [illisible chars][texte coupé]aettement cette lettre. Sa voix encore était si grêle, qu’elle {p. 103}choquait les oreilles : il sut, par un exercice continuel, la rendre pleine, sonore, et agréable aux auditeurs. Il n’avait pas une forte poitrine : le travail lui donna ce que lui refusait sa complexion ; il embrassait d’une seule haleine une suite de vers, et les prononçait en gravissant, d’un pas rapide, des lieux escarpés. Il allait sur les plus bruyants rivages, et y déclamait, malgré le fracas des ondes, afin d’accoutumer et d’endurcir ses oreilles au murmure orageux des assemblées qui s’agitaient autour de la tribune. On raconte aussi qu’il mettait de petits cailloux dans sa bouche, et qu’il s’exerçait ainsi à parler longtemps et avec vivacité, afin d’avoir la langue plus prompte et plus dégagée, quand il parlerait la bouche vide. Il lutta contre la nature, et certes il en triompha ; une force d’âme, une opiniâtreté sans exemple brisèrent les injustes obstacles qu’elle opposait à ses efforts. Ainsi nous trouvons en lui deux Démosthène : l’un, enfant de la nature, l’autre, enfant du travail.
Version LVI.
Sur les esclaves. §
56. D’où vient un dédain si superbe et si dur à l’égard des esclaves ? Songez-y : ces hommes que vous appelez votre propriété, sortis des mêmes éléments que vous, ils jouissent de la même lumière, ils naissent, ils meurent comme vous. Je dis plus : si vous considérez que la fortune a un égal pouvoir sur vous et sur eux, vous pouvez aussi bien les voir libres, qu’ils peuvent vous voir esclaves. Ignorez-vous à quel âge la servitude a commencé pour Hécube, pour Crésus, pour la mère de Darius, pour Diogène, pour Platon lui-même ? Enfin, pourquoi ce nom nous inspire-t-il tant d’horreur, puisque c’est la fortune qui l’a imposé à celui qui le porte, et qu’il a peut-être le cœur d’un homme libre ? Soit, je le mépriserai, si vous me montrez que personne n’est asservi à la volupté, à l’ambition, à l’avarice, à la crainte. Et certes, la servitude volontaire est la plus honteuse de toutes. Mais nous foulons aux pieds, comme un être misérable et abject, cette victime de la fortune, et nous ne souffrons pas qu’on nous reproche le joug que nous faisons peser nous-mêmes sur nos têtes. Vous trouverez tel esclave qui ne cèdera point à l’argent ; tel maître qui, dans un espoir cupide, baisera les mains des esclaves d’autrui. Ce n’est donc point par le rang que j’apprécierai les {p. 105}hommes, mais par les sentiments. Nos sentiments dépendent de nous : c’est le hasard qui assigne les conditions. Comme c’est folie à celui qui veut acheter un cheval, d’examiner, non point l’animal, mais sa selle et son mors : c’est aussi le comble de la folie de croire qu’il faut apprécier un homme par son habit ou par sa condition, qui n’est qu’une sorte de vêtement [illisible chars][texte coupé]ur notre personne.
Version LVII.
Traits de fidélité des esclaves envers leurs maîtres. §
57. Proscrit par les triumvirs, Antius Restion, voyant ses domestiques occupés à piller sa maison et à profiter de ses dépouilles, se déroba de chez lui le plus secrètement qu’il lui fut possible, au milieu de la nuit. Cependant sa fuite furtive n’échappa point aux yeux vigilants d’un esclave qu’il avait mis aux fers pour le châtier, et qui portait sur le front l’empreinte ineffaçable des lettres infamantes dont il l’avait flétri. Ce dernier, s’attachant avec un zèle officieux à suivre ses pas [illisible chars][texte coupé]errants au hasard, se glissa près de son maître, et se fit volontairement son compagnon. Par un service si délicat et si péril[illisible chars][texte coupé]eux tout à la fois, il avait comblé la mesure du dévouement qu’on pouvait attendre d’un fidèle serviteur. Tandis que ceux dont le sort avait été plus heureux dans la maison, ne songeaient qu’au pillage, cet infortuné, dont le corps n’offrait que l’aspect et l’image de ses supplices, jugea que le plus grand profit qu’il pût faire était de sauver un homme qui l’avait puni avec tant de rigueur. C’était déjà beaucoup de sacrifier son ressentiment ; à cette générosité, il ajouta encore l’affection. Sa bienveillance ne s’en tint pas au sentiment : il sut, pour conserver Antius, trouver un expédient extraordinaire. Lorsqu’il s’aperçut que des soldats altérés de sang étaient près de les atteindre, il fit tenir son maître à l’écart, dressa un bûcher, saisit et tua un vieux mendiant, et y jeta son cadavre. Puis, quand les soldats lui demandèrent où était Antius : « Le voilà, répondit-il en montrant le bûcher, qui expie dans les flammes sa cruauté envers moi. » Ce qu’il disait était vraisemblable, on le crut sur sa parole ; et, grâce à cet artifice, Antius trouva aussitôt une occasion d’assurer ses jours.
{p. 107}Version LVIII.
Première guerre Punique. §
58. Le peuple romain, vainqueur de l’Italie, étant arrivé par terre au détroit de Sicile, s’arrêta quelque temps comme un feu qui, après avoir ravagé des forêts sur son passage, rencontre un fleuve, et se trouve interrompu dans son cours. Bientôt, l’aspect d’une magnifique proie, qu’il voyait près de lui, séparée, en quelque sorte, et comme arrachée de l’Italie, son domaine, alluma tellement sa cupidité, que, ne pouvant la joindre au continent par une chaussée ni par des ponts, il voulut l’y réunir par la force des armes. Les destins lui ouvraient déjà la route, et voici que l’occasion vint encore s’offrir d’elle-même : une ville de Sicile, alliée des Romains, Messine, se plaignait de la tyrannie des Carthaginois. Or Rome et Carthage convoitaient la Sicile ; et, dans le même temps, les deux nations aspiraient, avec une ardeur et des forces égales, à la domination du monde. Rome prit donc les armes, en apparence pour secourir des alliés, mais en réalité pour s’emparer d’une proie qui l’attirait : et, malgré la terreur qu’inspirait la nouveauté de l’entreprise, ce peuple grossier, ce peuple de pâtres, et dont la terre était le véritable élément, montra (tant le courage inspire de confiance !) qu’il importe peu aux gens de cœur de combattre à cheval ou sur des vaisseaux, sur terre ou sur mer. Sous le consulat d’Appius Claudius, il affronta pour la première fois ce détroit tristement célèbre par ses monstres fabuleux et par l’agitation de ses ondes : mais, loin de s’en épouvanter, il profita de cette violence même du courant, comme d’un avantage ; et, marchant aussitôt contre Hiéron, roi de Syracuse, il le battit avec tant de célérité, que, de son aveu même, ce prince se trouva vaincu avant d’avoir vu l’ennemi.
Version LIX.
Portrait d’un bon roi. §
59. De tous les biens dont le Ciel, dans sa bonté, se plaît à récompenser la foi d’une nation qui lui est chère, il ne saurait lui en accorder de plus grand, de plus salutaire, que des {p. 109}maîtres qui sachent la conduire et conspirer de concert à la félicité publique ; qu’un roi partisan de la paix, que dis-je ? Jaloux de la maintenir, et qui cependant, quand il faut prendre les armes, ne montre ni lenteur ni pusillanimité ; qui ait l’art de pénétrer adroitement les desseins de ses ennemis, de combiner les siens en silence et de les envelopper de mystère ; qui, tout occupé qu’il est à repousser les guerres du dehors, [illisible chars][texte coupé]uisse, par un heureux mélange de sévérité et de douceur, apaiser les dissensions intestines ; qui, rigoureux observateur de la justice et de l’équité, sache, autant que l’homme peut le faire, réprimer en lui-même, par des lois dont il ne s’écarte point, cet esprit de domination, naturellement superbe et [illisible chars][texte coupé]ebelle à toute espèce de frein : donnant ainsi un exemple d’autant plus honorable, que sa haute fortune semble lui permettre davantage ; un roi qui, doux et clément, représente en sa personne la bonté de Dieu, comme il en représente la puissance ; mais un roi surtout qui porte à ses sujets une tendresse paternelle, et qui mette leur affection bien avant les victoires, les richesses les plus considérables, les titres les plus pompeux ; enfin qui laisse à douter si c’est un prince d’une sagesse accomplie, ou le meilleur des pères, dont la main gouverne [illisible chars][texte coupé]Etat. Qu’ils souhaitent un tel roi, ceux qui ont encore des vœux à faire ; qu’ils prient avec ardeur pour qu’un tel roi leur soit conservé longtemps, ceux qui se félicitent d’avoir reçu, comme par une céleste faveur, un bien si précieux.
Version LX.
De l’Espagne. §
60. Les anciens appelèrent d’abord cette contrée Ibérie, du nom de l’Ebre, puis Espagne, de celui d’Hispanus. Située entre l’Afrique et la Gaule, elle est bornée par un bras de l’Océan et par les Pyrénées. Moins étendue que ces deux pays, elle est aussi plus fertile ; car elle n’est pas, comme l’Afrique, dévorée par un soleil ardent, ni, comme la Gaule, battue de vents continuels ; mais, tenant le milieu entre l’une et l’autre, elle doit, d’un côté, à ses chaleurs tempérées, de l’autre, à ses pluies bienfaisantes et dispensées à propos, cette fécondité qui multiplie ses productions, et qui fournit tout en abondance, non-seulement à ses habitants, mais à l’Italie même et à Rome. Aux biens précieux qu’on trouve à sa surface, il faut {p. 111}ajouter les richesses métalliques que renferme son sein. Ses [illisible chars][texte coupé]leuves n’ont pas ce cours rapide et impétueux qui cause des [illisible chars][texte coupé]avages : ils coulent paisiblement, en traversant des vignobles et des plaines, et le reflux rend leurs eaux fort poissonneuses ; la plupart même, riches d’un précieux minerai, charrient de [illisible chars][texte coupé]or dans leurs flots. L’Espagne ne tient à la Gaule que par la chaîne des Pyrénées ; partout ailleurs, la mer l’enviroune. Sa [illisible chars][texte coupé]orme est à peu près carrée : seulement elle se rétrécit vers les Pyrénées, où l’Océan resserre ses rivages. Le climat de l’Espagne est généralement sain, parce qu’aucune vapeur marécageuse n’y altère la pureté de l’air. D’ailleurs, il y règne continuellement des vents de mer, qui, soufflant de tous les points du littoral et pénétrant dans tout le pays, dissipent les exhalaisons terrestres, et produisent le plus favorable effet [illisible chars][texte coupé]ur la santé des habitants.
Version LXI.
De la finesse dans les paroles ou dans les actions. §
61. Il est une espèce d’actions et de paroles qui découle immédiatement de la sagesse, et qui reçoit le nom de finesse. Elle ne parvient à son but qu’en s’appuyant de la ruse, et elle marche à la gloire par des sentiers cachés, plutôt qu’à découvert. Le premier Scipion eut lui-même recours à l’artifice. A son départ de Sicile pour l’Afrique, il voulut former, en choi[illisible chars][texte coupé]issant dans l’élite de son infanterie, un corps de trois cents cavaliers ; et ne pouvant les équiper avec assez de promptitude, [illisible chars][texte coupé] obtint par adresse ce que lui refusait le court espace de temps où il se trouvait resservé. Il avait auprès de sa personne un certain nombre de jeunes gens des premières et des plus riches maisons de la Sicile, mais qui n’avaient point d’armes. Il en désigna trois cents auxquels il commanda de se munir sur-le-champ de belles armes et de bons chevaux, comme pour les emmener immédiatement avec lui au siége de Carthage. Ils obéirent promptement, mais néanmoins avec inquiétude sur les dangers d’une guerre lointaine et hasardeuse. Quand ils furent prêts, Scipion leur annonça qu’il les dispenserait de cette expédition, s’ils voulaient céder leurs armes et leurs chevaux à ses soldats. Cette jeunesse timide et peu guerrière saisit cette offre avidement, et s’empressa d’abandonner aux Romains tout son équipage : ainsi, grâce à l’habileté du géné- {p. 113}[illisible chars][texte coupé]ral, un ordre si pressant, qui d’abord avait paru rigoureux, devint un bienfait signalé, par l’exemption du service militaire.
Quant au fait suivant, à la ruse de Q. Fabius Labéon, qui, d’après un traité, devait recevoir d’Antiochus, vaincu par lui, la moitié de sa flotte, et qui fit scier en deux tous ses vaisseaux, on a beau le citer comme un trait de finesse, j’y vois plutôt une insigne fourberie : c’est le fait d’un Carthaginois plutôt que d’un Romain.
Version LXII.
Maximin. §
62. Maximin, dans sa première jeunesse, conduisait des troupeaux. Cet homme, que les vicissitudes de la fortune et le caprice des Romains, qui changeaient si souvent de maîtres, élevèrent ensuite à l’empire, dressait des embuscades aux brigands de la Thrace, et protégeait ses compagnons contre leurs surprises. Doué d’une taille avantageuse, il se faisait remarquer encore par sa bravoure, par sa mâle beauté, et par la rudesse de son caractère. Ce fut sous Sévère qu’il commença à porter les armes ; et voici à quelle occasion il se fit connaître : Sévère donnait une fête militaire, pour célébrer l’anniversaire de Géta, son second fils. Il vit, au milieu de la foule, le jeune guerrier qui dansait à la manière des barbares. Charmé de sa bonne mine et de sa haute taille, il voulut l’essayer à la course et à la lutte. Il mit son cheval au galop, lui fit faire un grand nombre de tours ; et le vieil empereur se fatigua, sans que Maximin cessât de courir pendant plusieurs tours encore. Alors Sévère lui dit : « Voudrais-tu lutter au sortir d’une course, et crois-tu que tu serais en état de soutenir cette épreuve ? — Tant qu’il te plaira, empereur, » répondit le guerrier, encore à moitié barbare, et qui savait à peine parler latin. Sévère descendit de cheval, et ordonna qu’on le mît aux prises avec les plus nouveaux et les plus vigoureux de ses soldats. On en choisit sept ; et, avec sa force merveilleuse, il les vainquit tous, selon son habitude, sans reprendre haleine. Ces deux épreuves lui valurent, outre les prix décernés par Sévère, un collier d’or, et l’honneur de faire toujours partie de la maison du prince, dans les gardes attachés à sa personne ; elles lui donnèrent du renom dans l’armée, lui concilièrent l’affection de ses compagnons d’armes, l’estime des tribuns, et les bonnes grâces du souverain.
Version LXIII.
J. César et le Vétéran. §
63. Certain vétéran, un peu violent envers ses voisins, plaidait sa cause devant le divin Jules, et l’affaire tournait mal pour lui. « Vous souvenez-vous, général, dit-il, d’une entorse au talon que vous vous donnâtes en Espagne, près du Sucron ? » César dit qu’il s’en souvenait. « Vous souvenez-vous encore, continua-t-il, que, voulant vous reposer, par un soleil très ardent, sous un arbre qui ne donnait que fort peu d’ombre, et sur un terrain fort dur, où l’on ne voyait que cet arbre sortant des rochers qui hérissaient le sol, un de vos compagnons de guerre étendit sous vous son manteau ? — Comment l’aurais-je oublié, répondit César. Je me souviens même que, dévoré de soif, et ne pouvant, dans cet état, me transporter jusqu’à une source qui était à quelques pas, je voulais m’y traîner sur les mains, quand ce même compagnon, un homme de cœur, un brave soldat, m’apporta de l’eau dans son casque. — Pourriez-vous donc, général, reconnaître l’homme ou le casque ? » César dit qu’il ne pourrait reconnaître le casque, mais que pour l’homme il le reconnaîtrait fort bien : et il ajouta, un peu piqué, je pense, de voir interrompre l’information par une vieille histoire : « En tout cas, ce n’est pas toi. — Il est tout simple, César, répondit celui-ci, que vous ne me reconnaissiez pas ; car, à cette époque, j’avais tous mes membres. Depuis, j’ai perdu un œil à la bataille de Munda, et l’on m’a retiré quelques os de la tête. Vous ne reconnaîtriez pas davantage le casque, si vous le voyiez : il a été fendu en deux par un glaive espagnol. »
César défendit qu’on inquiétât cet homme, et fit don à son soldat des champs que traversait le chemin vicinal, cause de la querelle et du procès : ce fut toutefois sans que les intérêts de la partie adverse souffrissent aucun tort.
Version LXIV.
De l’Apologue. §
64. Qu’est-ce que l’apologue ? Un récit sous la forme d’une allégorie ordinairement plaisante, dont le but est de corriger les hommes. L’agréable et l’utile, quoique d’une nature bien {p. 117b}opposée, s’y trouvent tellement réunis, qu’ils se prêtent l’un [illisible chars][texte coupé] l’autre un éclat et un appui mutuel.
Quelle était l’idée de ces anciens fabulistes, lorsqu’ils ont imaginé tant de fictions ingénieuses ? Croyez-vous qu’ils vou[illisible chars][texte coupé]ussent charmer les oreilles par une vaine harmonie ? occuper des lecteurs désœuvrés par un étalage de mots vides de sens ? Non sans doute : en produisant sur la scène des arbres et des animaux, ils voulaient que les méchants vissent leur difformité dans cette allégorie comme dans un miroir, et que, la crainte lu ridicule et de la haine suppléant du moins à l’horreur du vice, ils ne fussent plus téméraires dans leurs projets, avides de gain, orgueilleux dans le commandement, trompeurs dans le commerce de la vie. Pourquoi nous ont-ils remis si souvent nous les yeux la voracité du lion et du loup, si ce n’est pour nous tenir en garde contre l’injustice ? la finesse et la malice du renard et du singe, si ce n’est pour nous apprendre à fuir avec horreur jusqu’à l’ombre de l’artifice et du déguisement ? Pourquoi enfin, dans les autres animaux, loue-t-on l’adresse des uns, en condamnant la stupidité des autres ? N’est-ce pas afin que leur exemple nous soit une leçon, et nous fasse éviter ce qui est honteux, imiter ce qui est honnête ? On ne doit donc pas s’étonner que, dans les occasions les plus importantes, [illisible chars][texte coupé]apologue ait eu tant de force pour calmer ou remuer les esprits, puisqu’il séduit les hommes par l’attrait du plaisir, dont ils sont naturellement très-avides.
Version LXV.
Denys l’Ancien. §
65. En vain descendait-il de parents honnêtes et d’une famille illustre (quoique les rapports varient à cet égard) ; en vain pouvait-il jouir à souhait et de l’intimité avec ses égaux en âge, et des rapports avec ses proches, il ne se fiait [illisible chars][texte coupé] aucun d’eux. Il commettait la garde de sa personne à des esclaves qu’il avait enlevés à de riches maisons, à certaines [illisible chars][texte coupé]ens ramassés de divers endroits, et à de farouches étrangers. Ainsi, la crainte de perdre une injuste domination l’avait réduit s’emprisonner lui-même, en quelque sorte, dans son palais. Enfin, pour ne pas confier sa tête à un barbier, il voulut que les filles apprissent à raser, que de jeunes princesses fussent {p. 119}forravalées à ces basses et serviles fonctions. Encore, lorsqu’elles furent un peu grandes, il ôta le fer de leurs mains, et imagina de se faire brûler par elles la barbe et les cheveux, avec des coquilles de noix tout embrasées.
Il avait deux femmes, Aristomaque, comme lui de Syracuse, et Doris de Locres. Jamais il n’entrait la nuit dans leur appartement, sans faire d’abord les perquisitions les plus exactes et les plus minutieuses. Il n’osait non plus paraître dans la tribune ordinaire, et ne parlait au peuple que du haut d’une tour.
Un jour qu’il voulait jouer à la paume (il était passionné pour cet exercice), en quittant sa tunique, il donna, dit-on, son épée à un jeune homme, son favori. Un de ses amis s’avisa de dire en plaisantant : « Voilà cependant quelqu’un à qui vous confiez vos jours. » Le jeune homme ayant souri à ces mots, le tyran les fit mettre à mort l’un et l’autre : le premier, parce qu’il avait indiqué un moyen de lui ôter la vie ; l’autre, parce qu’il avait approuvé la chose par un sourire. Et cette action lui coûta tant de regrets, que jamais rien ne l’affecta plus profondément dans la suite : il avait tué celui qu’il chérissait tendrement. Ainsi, chez ceux que les passions gouvernent, les passions sont divisées et se combattent entre elles. Vous avez cédé à l’une : il faut lutter contre l’autre.
Version LXVI.
Denys l’Ancien. (Suite.) §
66. Cet homme pourtant, des auteurs dignes de foi nous rapportent qu’il avait les habitudes les plus sobres, de l’énergie, de l’activité dans la conduite des affaires ; mais, en même temps, un caractère malfaisant et injuste : et il régna trente-huit ans à Syracuse !
Du reste, ce tyran fit voir, par son propre témoignage, comme il était heureux. Un de ses flatteurs, nommé Damoclès, s’entretenant avec lui, s’étendait sur le nombre de ses troupes, sur sa puissance, sur la grandeur attachée au pouvoir absolu, sur l’abondance dont il était environné, sur la magnificence de son palais, ajoutant qu’il n’y avait jamais eu de mortel plus heureux : « Eh bien ! Damoclès, lui dit-il, puisque cette existence te séduit, veux-tu en goûter toi-même, et jouir par essai {p. 121}de ma fortune ? » Damoclès ayant répondu que c’était son désir, Denys le fit asseoir sur un lit d’or, couvert de magnifiques carreaux, et d’un tapis dont les plus riches broderies relevaient le tissu ; plusieurs buffets se chargèrent d’une vaisselle d’or et d’argent ciselé. Puis de jeunes esclaves d’une rare beauté eurent ordre de se tenir auprès de sa table, et d’épier avec attention ses moindres signes pour le servir. On n’avait point oublié les essences et les couronnes ; les cassolettes exhalaient leurs parfums ; les tables se couvraient des mets les plus exquis. Damoclès croyait goûter le bonheur. Au milieu de cet appareil, Denys fit paraître au plafond une épée nue, qui ne tenait qu’à un crin de cheval, et qui se trouvait suspendue sur la tête de ce mortel fortuné. Dès lors il ne voit plus ces beaux esclaves qui le servent, ni cette riche vaisselle, et sa main ne va plus chercher les mets ; les couronnes mêmes tombent de sa tête. Enfin il conjure le tyran de le laisser partir ; car il ne voulait plus de la félicité.
Version LXVII.
Une femme de l’île de Céos s’empoisonne en présence de Sextus Pompée. §
67. Sextus Pompée, allant en Asie, était entré à Julis, dans l’île de Céos. Il arriva par hasard qu’une femme de la plus haute distinction, mais fort avancée en âge, après avoir rendu* compte à ses concitoyens des raisons qu’elle avait de quitter la vie, résolut d’en sortir par le poison, et se trouva singulièrement flattée de pouvoir illustrer sa mort par la présence de Pompée. Ses prières ne furent pas dédaignées d’un personnage qui joignait à toutes les autres vertus la plus rare humanité. Il alla donc lui rendre visite, déploya l’éloquence la plus touchante, et, après avoir fait de vains efforts pour la détourner de ce dessein, il prit enfin le parti de la laisser accomplir sa résolution. Cette femme, plus que nonagénaire, et jouissant d’une parfaite santé d’esprit et de corps, parut couchée sur son lit, qui était plus orné qu’à l’ordinaire, autant qu’on en pouvait juger. Appuyée sur le coude, elle prit la parole : « Sextus Pompée, dit-elle, puissent les dieux que je quitte, {p. 123}et non pas ceux que je vais trouver, acquitter envers vous ma reconnaissance, pour n’avoir dédaigné ni de m’exhorter à vivre, ni de me voir mourir. J’ai constamment éprouvé la fortune favorable, et, dans la crainte d’essuyer ses rigueurs en tenant trop à la vie, je vais échanger ces jours qui me restent, contre une fin bienheureuse, en laissant après moi deux filles et sept petits-fils. » Ensuite elle exhorta ses enfants à demeurer toujours unis, leur distribua ses biens, remit à sa fille aînée sa garde-robe et les objets du culte domestique, et prenant d’une main ferme la coupe où était préparé le poison, elle en fit une libation à Mercure, pria ce dieu de la conduire paisiblement dans le lieu le plus fortuné des enfers, et but avidement le mortel breuvage. A mesure que le froid s’emparait des diverses parties de son corps, elle l’annonçait tranquillement. Quand elle le sentit approcher des entrailles et du cœur, elle invita ses filles à lui rendre le dernier devoir en lui fermant les yeux.
Version LXVIII.
Mot de Philippide sur les secrets des rois. §
68. Lysimaque demandait à Philippide, poëte comique, à quelle chose il désirait avoir part, dans ce qui lui appartenait : « A tout ce qu’il vous plaira, répondit le poëte, excepté à vos secrets. »
Belle et sage réponse ! En effet, celui qui est chargé des secrets d’un roi, court plus d’un péril : d’abord, ils peuvent lui échapper à son insu ; quelqu’un peut être assez fin pour les deviner ; si plusieurs personnes, comme il arrive, sont admises dans la confidence, et qu’ils transpirent par l’indiscrétion d’autrui, sa fidélité peut être accusée. Les secrets d’un roi sont donc un fardeau bien pesant, si ce n’est pour les esprits bien légers eux-mêmes ; car il ne manque pas de gens présomptueux qui s’appliquent sérieusement à pénétrer, par toute espèce de moyens, dans ce que les rois ont de plus caché. Ils se croient, dans leur vanité, de grands personnages, d’heureux mortels, si le roi leur adresse un signe de tête muet, s’il leur dit quelques mots à l’oreille, s’ils ont l’air d’être établis dans {p. 125}la plus intime confiance du roi. On connaît la fable de Sémélé, qui sollicita longtemps Jupiter de se montrer à elle dans toute sa magnificence, et qui périt ensuite consumée par les atteintes de la foudre. On peut dire que la même chose arrive d’ordinaire à ceux qui portent des regards trop curieux au fond de l’âme des rois. Les secrets des rois consument, en quelque sorte, ceux qui s’exposent trop à leur contact ; et souvent un commerce trop intime avec un personnage puissant, tourne à votre perte.
Version LXIX.
Straton est élu par les esclaves roi de Tyr. §
69. Les esclaves des Tyriens forment une conspiration, égorgent leurs maîtres et tous les hommes libres, s’emparent ainsi de la ville, s’établissent dans les maisons de leurs maîtres, envahissent le gouvernement, prennent des femmes, et, sans être libres eux-mêmes, donnent le jour à une postérité libre. Parmi tant de milliers d’esclaves, un seul, naturellement humain, se laissa toucher aux malheurs de son vieux maître et du jeune fils de celui-ci ; et, loin de s’armer d’une cruauté impitoyable, il ne sentit pour eux qu’une tendre et généreuse compassion. Il répandit donc le bruit de leur mort, et les cacha à tous les regards. Bientôt les esclaves délibèrent sur le sort de l’empire, et décident de faire un roi tiré de leur sein, et de choisir, comme le plus agréable aux dieux, celui qui le premier aurait aperçu le soleil levant. Il vient annoncer cette nouvelle à Straton (c’était le nom de son maître), dans la retraite où il le tenait caché. Instruit par ses conseils, tandis que tous les autres, réunis dès le milieu de la nuit dans une même plaine, fixaient leurs regards sur l’orient, lui seul les dirigeait vers l’occident. Chercher à l’occident le lever du soleil, sembla d’abord à tous un acte de folie ; mais, lorsqu’à l’approche du jour, les hauteurs de la ville commencèrent à se dorer de la lumière naissante, il montra le premier à ses compagnons, qui attendaient que le soleil lui-même parût à leurs yeux, l’éclat de cet astre qui se reflétait sur le point le plus élevé de Tyr. Cette idée sembla trop ingénieuse pour un esclave : on voulut en connaître l’auteur ; il avoua que c’était son maître. On sentit alors la supériorité intellectuelle de l’homme libre sur l’esclave ; on comprit que ce dernier, inférieur en lumières, {p. 127}était seulement plus habile en fait de méchanceté. Le vieillard et son fils furent épargnés ; et, croyant qu’ils avaient été réservés par les dieux, les esclaves nommèrent Straton roi de Tyr.
Version LXX.
Guerre des Pirates. §
70. Pompée, voulant détruire d’un seul coup et pour jamais les pirates dont toute la mer était infestée, déploya, pour les attaquer, un appareil extraordinaire. Ses vaisseaux et ceux des Rhodiens, ses alliés, formaient une flotte immense : il plaça de distance en distance un grand nombre de lieutenants et de préfets, et étendit sa ligne depuis le passage de l’Océan jusqu’à celui du Pont-Euxin. Ainsi tout fut cerné, ports, golfes, retraites, repaires, promontoires, détroits, péninsules ; tout ce qu’il y avait de pirates fut enveloppé, fut pris comme dans un filet. Pompée se porta en personne vers la Cilicie, point de départ et foyer de la guerre. Les ennemis ne refusèrent point le combat ; et ce n’était point par confiance : ils faisaient preuve d’audace, parce qu’ils ne pouvaient résister. Leur résolution ne se soutint cependant pas au delà du premier choc. Bientôt, se voyant assaillis de tous côtés par les éperons des navires, sans plus attendre, ils jetèrent loin d’eux leurs traits et leurs rames, et, battant des mains tous ensemble, en signe de supplication, ils demandèrent la vie. Jamais victoire ne coûta moins de sang aux Romains ; jamais aussi nation ne leur fut plus fidèle dans la suite. Ce résultat fut le fruit de la rare sagesse du général, qui transporta loin de la mer cette race d’hommes dont la mer était l’élément, et l’attacha à la glèbe en mettant, pour ainsi dire, le continent autour d’elle, rendant ainsi tout à la fois aux vaisseaux l’usage de la mer reconquise, et à la terre ses habitants. Que doit-on le plus admirer dans cette victoire ? La rapidité ? elle fut remportée en quarante jours : le bonheur ? elle ne coûta pas un vaisseau : ou plutôt la durée de ses résultats ? les pirates disparurent sans retour.
Version LXXI.
Des philosophes qui ne le sont que par l’habit et l’extérieur. §
71. Hérode Atticus, personnage consulaire, célèbre par l’aménité de son esprit et par la grâce avec laquelle il parlait la langue grecque, fut un jour abordé par un individu couvert l’un manteau, à l’épaisse chevelure et à la longue barbe, qui lui demanda quelqu’argent pour avoir du pain. « Qui êtes-vous ? » dit Hérode. Celui-ci ayant répondu qu’il était philosophe, et qu’il trouvait même étonnant qu’on eût cru devoir lui demander ce qui se voyait bien : « Je vois une barbe et un manteau, repartit Hérode ; mais de philosophe, je n’en vois pas jusqu’à présent : car enfin, soit dit sans vous déplaire, apprenez-nous à quelles marques vous voulez que nous reconnaissions en vous un philosophe. » Cependant, quelques-uns de ceux qui étaient présents lui ayant dit que ce personnage était un vagabond, un homme de rien, un pilier des plus viles [illisible chars][texte coupé]avernes, et qu’il avait coutume de charger de grossières invectives ceux dont il essuyait un refus : « Donnons-lui donc quelque argent, répliqua-t-il, non comme à un homme, mais en notre qualité d’hommes. » Puis, se tournant vers ceux qui se suivaient : « Musonius, leur dit-il, fit donner mille pièces à en mendiant de ce genre. Et comme la plupart des assistants qui représentaient que c’était un misérable, qui ne méritait rien de bon, il répondit en souriant : l’argent est donc bon pour lui. Mais ce qui m’afflige, ce qui me désole, ajouta Musonius, c’est que de semblables animaux, des êtres repoussants et ignobles, usurpent le titre le plus vénérable, et se fassent appeler philosophes ; tandis que les Athéniens, mes ancêtres, défendirent, par un décret public, qu’on osât donner aux esclaves le nom d’Harmodius et d’Aristogiton, ces deux jeunes héros : c’était un sacrilége, à leurs yeux, de profaner et de déshonorer, par le contact de la servitude, des noms consacrés par le dévouement à la liberté de la patrie. J’ai appris que les anciens Romains donnèrent le même exemple, dans un autre sens : ils défendirent que les prénoms de quelques patriciens traîtres envers l’Etat, et condamnés comme tels au dernier supplice, fussent portés par des membres de la même famille, afin que les noms mêmes qui les noms mêmes qui les rappelaient parussent flétris et éteints avec leurs personnes. »
Version LXXII.
Mort de Pompée. §
72. Pompée fuyait avec les deux Lentulus, personnages consulaires, son fils Sextus, et Favonius, ancien préteur, que la fortune avait associés à sa fuite. Les uns lui conseillaient de se retirer chez les Parthes ; les autres, de passer en Afrique, où il trouverait dans le roi Juba le plus fidèle de ses partisans. Il résolut de gagner l’Egypte ; car il se rappelait les services qu’il avait rendus au père de Ptolémée, jeune prince à peine sorti de l’enfance, qui régnait alors à Alexandrie. Mais se souvient-on jamais des services, quand le bienfaiteur est malheureux ? Croit-on même devoir aucun retour à ceux que poursuit l’adversité ? Enfin, la fidélité ne change-t-elle pas toujours avec la fortune ? Pompée arrivait, avec Cornélie, son épouse, qu’il avait retrouvée à Mytilène et prise sur son navire, et qui commençait à partager sa fuite. Le roi, par le conseil de Théodote et d’Achillas, envoya des gens pour le recevoir, et l’inviter à passer du bâtiment de transport où il se trouvait, à bord du vaisseau expédié à sa rencontre. Il y consentit : et bientôt le plus grand des Romains fut égorgé, par le commandement et la volonté d’un esclave égyptien. Telle fut, après trois consulats, autant de triomphes, après la conquête de l’univers, lorsqu’il était parvenu si haut, qu’il ne pouvait plus monter davantage, la fin du plus vertueux, du plus noble des citoyens : il périt à l’âge de cinquante-huit ans, la veille du jour de sa naissance ; et il y eut dans sa destinée ce singulier exemple des contradictions de la fortune : la terre, qui avait manqué naguère à ses conquêtes, manqua pour sa sépulture.
Version LXXIII.
Mort de Romulus. §
73. Après d’immortels travaux, Romulus faisait publiquement la revue de son armée, dans une plaine près du marais de Capra*. Tout à coup un orage, accompagné de violents coups de tonnerre, enveloppe le roi d’un nuage si épais, qu’il {p. 133}le dérobe à tous les regards. Dès ce moment, Romulus disparut à jamais de la terre. Quand l’effroi fut enfin calmé, quand un jour pur et serein eut succédé à cette obscurité si profonde, la jeunesse romaine, en voyant vide la place qu’occupait le roi, quoique disposée à croire les sénateurs qui s’étaient tenus le plus près de sa personne, et qui assuraient que l’orage l’avait emporté vers les cieux, frappée cependant de la crainte d’avoir perdu son soutien, garda quelque temps un morne silence. Enfin, quelques-uns donnant l’exemple, tous à la fois saluent Romulus du titre de dieu, fils d’un dieu, roi et père de Rome ; ils le supplient de leur être propice, de jeter sur eux des regards favorables, et de protéger toujours ses enfants. Peut-être, dans ce temps-là même, quelques-uns accusèrent tout bas les sénateurs de l’avoir mis en pièces : en effet, c’est encore un bruit qui courut, quoique sourdement. L’admiration pour ce grand homme, et la terreur où l’on était plongé, firent prévaloir l’autre tradition. Une démarche d’un citoyen servit encore, dit-on, à l’accréditer. Proculus Julius s’étant présenté au milieu de l’assemblée : « Romains, dit-il, ce matin, au point du jour, le père de cette ville, Romulus, descendu des cieux, s’est montré subitement à mes regards. Pénétré d’une sainte horreur, je demeurais immobile, quand il me dit : Va, Proculus, annonce aux Romains que ma Rome doit être la capitale du monde : ainsi l’ordonne le ciel. Qu’ils cultivent donc l’art de la guerre ; qu’ils sachent et qu’ils lèguent à leurs descendants cette tradition, que nulle force sur la terre ne peut résister aux armes des Romains. » Ainsi le regret qu’inspirait au peuple et à l’armée la perte de Romulus, fut adouci par la persuasion de son apothéose.
Version LXXIV.
Comment l’état de Lacédémone fut constitué par Lycurgue. §
74. Il partagea l’administration de la république entre les différents ordres de l’Etat : il attribua aux rois le pouvoir de faire la guerre ; aux magistrats celui de juger, en rendant leurs fonctions annuelles ; au sénat, la garde des lois ; au peuple, le droit d’élire les nouveaux sénateurs, et de créer à son gré les magistrats. Il fit une égale répartition de tous les biens entre tous les citoyens, pour établir l’égalité civile par celle des fortunes. Il voulut que tous les repas fussent publics, afin qu’il n’y eût personne dont les richesses et le luxe restassent {p. 135}ignorés. Il ne permit pas aux jeunes gens d’avoir plus d’un habit par an, ni à personne de se montrer plus richement vêtu que les autres, ou d’être plus somptueux dans ses repas, de peur que l’imitation ne dégénérât en luxe. Il ordonna que les pubères fussent conduits, non pas aux écoles de la place publique, mais aux champs, pour que leurs premières années se passassent dans le travail et les fatigues ; qu’ils couchassent sur la dure, et qu’ils ne revinssent à la ville que quand ils seraient hommes. Il voulut que les jeunes filles se mariassent sans dot, afin qu’en choisissant une femme, on épousât sa personne et non ses biens, et que les maris, n’ayant plus les mains liées par la dot, exerçassent plus sévèrement l’autorité à l’égard de leurs femmes. La plus haute considération fut attachée, non pas à la richesse et à la puissance, mais, par rang d’âge, à la vieillesse. Comme il voyait que ces lois étaient dures pour un peuple dont les mœurs avaient été jusqu’alors relâchées, il imagina de les attribuer à Apollon, et feignit de les avoir apportées de Delphes, par l’ordre du dieu. Il voulait y habituer les esprits, en faisant céder leur répugnance à une crainte religieuse.
Version LXXV.
Quelques sages propos de Socrate et de Solon. §
75. Socrate, qui fut comme l’oracle de la sagesse humaine sur la terre, pensait que nous ne devons rien demander aux dieux, si ce n’est de nous accorder le bien, parce qu’eux seuls savent ce qui est utile à chacun de nous ; tandis que nos vœux ont ordinairement pour objet des choses qu’il vaudrait mieux ne pas obtenir. Enveloppée des plus épaisses ténèbres, âme des mortels, sur quel vaste champ d’illusions n’étends-tu pas [illisible chars][texte coupé]es aveugles prières ! Tu désires les richesses, qui ont fait [illisible chars][texte coupé]ant de victimes ; tu aspires aux honneurs, qui ont perdu une foule d’ambitieux ; tu roules en toi-même jusqu’à des projets de royauté, quand la royauté nous présente tant de tragiques dénouements ; tu saisis avec ardeur de brillants mariages, qui [illisible chars][texte coupé]ont parfois, il est vrai, l’illustration des familles, mais qui souvent les renversent et les anéantissent. Cesse donc de convoiter follement, comme le comble du bonheur, ce qui doit être pour toi une source d’infortune, et abandonne-toi tout entière à la volonté du ciel. Qui peut facilement dispenser les biens, peut aussi les choisir le plus convenablement.
{p. 137}Que de sagesse encore dans cette pensée de Solon ! « Personne, disait-il, ne doit être appelé heureux pendant sa vie, parce que nous sommes exposés, jusqu’à notre dernier soupir, aux vicissitudes de la fortune. » C’est donc le tombeau qui assure à l’homme le titre d’heureux, en le mettant à l’abri des coups de l’adversité.
Le même Solon, voyant un de ses amis s’abandonner à la tristesse, le mena sur la citadelle, et l’invita à promener ses yeux sur tous les édifices d’alentour. Celui-ci ayant suivi ce conseil : « Considérez, lui dit alors le philosophe, combien de chagrins ont habité, habitent encore, et habiteront dans les âges suivants, les demeures que vous apercevez ; et cessez de déplorer les maux de l’humanité, comme si vous en étiez seul la victime. »
Version LXXVI.
Les Sarasins. §
76. Chez ces peuplades qui touchent, d’un côté, à l’Assyrie, de l’autre, aux cataractes du Nil et aux frontières des Blemmyens, tous les hommes sont également guerriers. Ils vont à moitié [illisible chars][texte coupé]us, vêtus de saies de couleur. Montés sur leurs chevaux rapides ou sur leurs chameaux élancés, ils errent çà et là, en temps de paix ou en temps de guerre. Aucun d’eux ne manie [illisible chars][texte coupé]amais la charrue, ne cultive d’arbre ou ne cherche sa subsistance dans le travail des champs ; mais ils mènent continuel[illisible chars][texte coupé]ement une vie nomade, au milieu de vastes déserts, sans foyers, sans établissements fixes, sans lois : ils ne peuvent respirer longtemps le même air, se plaire toujours dans le même lieu. Leur existence est un déplacement perpétuel. Leurs femmes sont des mercenaires qu’ils prennent pour un temps, en concluant un marché. Pour qu’il y ait dans cette [illisible chars][texte coupé]nion une ombre de mariage, la future épouse apporte, à [illisible chars][texte coupé]itre de dot, une lance et une tente qu’elle offre à son mari, pour le quitter au terme convenu, si elle préfère ce parti. Cependant, jusqu’à la fin, leur existence est si vagabonde, que la femme se marie dans un endroit, devient mère dans [illisible chars][texte coupé]n autre, et élève ses enfants loin de là, sans pouvoir s’arrêter [illisible chars][texte coupé]amais. Leur nourriture est généralement la chair des animaux [illisible chars][texte coupé]auvages, le lait qu’ils prennent en abondance et qui leur donne une santé vigoureuse, des herbes de toute espèce, et [illisible chars][texte coupé]es oiseaux qu’ils peuvent prendre à la chasse. Ils ignorent, pour la plupart, l’usage du froment et du vin.
Version LXXVII.
Pillage de Persépolis. §
77. Déjà les barbares avaient abandonné la ville, et s’étaient [illisible chars][texte coupé]ispersés partout où la crainte les poussait : Alexandre, sans [illisible chars][texte coupé]ifférer, fait avancer la phalange. Plusieurs villes, où régnait [illisible chars][texte coupé]ne opulence royale, avaient succombé sous ses armes, ou étaient rangées à son alliance ; mais les trésors que renfer[illisible chars][texte coupé]ait cette cité dépassèrent ce qu’il avait trouvé dans les autres : [illisible chars][texte coupé]es barbares y avaient entassé les richesses de la Perse ; l’or et argent y étaient amoncelés, avec une immense quantité d’é[illisible chars][texte coupé]offes et un mobilier destiné, non-seulement pour l’usage, [illisible chars][texte coupé]ais encore pour le luxe et la représentation. Aussi le fer [illisible chars][texte coupé]tait-il tiré même entre les vainqueurs ; on traitait en ennemi [illisible chars][texte coupé]elui qui s’était saisi d’un plus riche butin ; et ne pouvant [illisible chars][texte coupé]nlever tout ce qu’ils trouvaient, ils ne se jetaient plus sur [illisible chars][texte coupé]es objets, ils choisissaient les plus précieux. Les tapis [illisible chars][texte coupé]oyaux étaient mis en pièces, chacun en tirant à soi un lam[illisible chars][texte coupé]eau ; ils fendaient à coups de hache les vases d’un travail [illisible chars][texte coupé]xquis ; rien n’échappait à leurs atteintes, rien n’était entier [illisible chars][texte coupé]uand ils l’emportaient. Ils brisaient les statues, et traînaient [illisible chars][texte coupé]hacun avec eux les morceaux qu’ils en avaient arrachés. La [illisible chars][texte coupé]ille conquise ne fut pas seulement en proie à l’avarice, mais [illisible chars][texte coupé]ncore à la cruauté des vainqueurs. Chargés d’or et d’argent, [illisible chars][texte coupé]s massacraient les prisonniers que dédaignait leur cupidité, [illisible chars][texte coupé]t frappaient, partout où ils les recontraient, ceux qu’ils [illisible chars][texte coupé]vaient épargnés d’abord pour les vendre. Aussi beaucoup de [illisible chars][texte coupé]es malheureux prévinrent leurs coups par une mort volon[illisible chars][texte coupé]aire, en se précipitant du haut des murs avec leurs femmes et [illisible chars][texte coupé]eurs enfants ; d’autres mirent le feu à leurs maisons (ce que [illisible chars][texte coupé]ennemi allait bientôt faire vraisemblablement), pour se brûler [illisible chars][texte coupé]ivants avec ceux qui leur appartenaient.
Version LXXVIII.
Persée, roi de Macédoine, conduit en triomphe. §
78. Ce triomphe, si l’on considère la grandeur du monarque [illisible chars][texte coupé]aincu, ou la beauté des statues, ou les sommes immenses {p. 141}[illisible chars][texte coupé]u’on y étala, fut, sans contredit, la pompe la plus brillante, [illisible chars][texte coupé]t sa magnificence effaça tous ceux qui l’avaient précédé. Des [illisible chars][texte coupé]chafauds avaient été dressés dans le forum et dans tous les [illisible chars][texte coupé]ndroits de la ville où devait nécessairement passer le cor[illisible chars][texte coupé]ége : le peuple, en habits blancs, prit place sur ces espèces [illisible chars][texte coupé]e gradins, pour jouir du spectacle. Tous les temples étaient [illisible chars][texte coupé]uverts et décorés de guirlandes, l’encens fumait sur tous les [illisible chars][texte coupé]utels. Les licteurs et les gardes, écartant les flots de la foule [illisible chars][texte coupé]ui s’entassait au hasard et se portait en tout sens, rendaient [illisible chars][texte coupé]s rues libres et frayaient un large chemin.
Le spectacle avait été ordonné de manière à durer trois [illisible chars][texte coupé]urs. Le premier suffit à peine à faire défiler les deux cent [illisible chars][texte coupé]nquante chars qui portaient les statues et les tableaux enlevés l’ennemi. Le jour suivant parurent exposées, sur un grand [illisible chars][texte coupé]ombre de chariots, les armes macédoniennes, les plus belles [illisible chars][texte coupé] les plus riches, dont l’acier ou le bronze, nouvellement [illisible chars][texte coupé]oli, jetait un éclat éblouissant, et disposées de telle sorte, [illisible chars][texte coupé]e, tout en ayant l’air d’être entassées en monceau, plutôt [illisible chars][texte coupé]’arrangées avec symétrie, dans cette confusion apparente, [illisible chars][texte coupé]ui semblait les rapprocher par hasard, elles offraient un cer[illisible chars][texte coupé]in coup d’œil d’un merveilleux effet. Toutes ces armes, liées [illisible chars][texte coupé]tre elles par des courroies assez lâches, lorsqu’elles venaient s’entrechoquer dans la marche, rendaient un son martial et [illisible chars][texte coupé]rrible : de sorte que les spectateurs ne pouvaient contempler [illisible chars][texte coupé]s gages mêmes de leur victoire, sans un certain frémissement.
Le troisième jour, la marche s’ouvrit dès le matin par les [illisible chars][texte coupé]ompettes. Là, on fit passer en revue une immense quantité [illisible chars][texte coupé]or et d’argent, des pierreries, des coupes, et d’autres dé[illisible chars][texte coupé]uilles de ce genre. Mais l’aspect de ce butin causa moins de [illisible chars][texte coupé]ie que celui de Persée n’inspira de pitié, quand il parut [illisible chars][texte coupé]archant après ses enfants, avec la reine son épouse, en habits [illisible chars][texte coupé]e deuil, chaussé à la manière des Grecs. Il avait l’air d’un [illisible chars][texte coupé]omme étourdi, frappé de stupeur, et à qui l’excès de son [illisible chars][texte coupé]alheur aurait ravi tout sentiment.
Version LXXIX.
De la Lecture. §
79. La première preuve qui montre un esprit posé, c’est de [illisible chars][texte coupé]ouvoir s’arrêter et demeurer avec soi-même. Prenez garde [illisible chars][texte coupé]’il n’y ait quelque inconstance et quelque légèreté à lire {p. 143}toutes sortes d’ouvrages. Il faut se fixer sur certains auteurs [illisible chars][texte coupé]et se nourrir de leur génie, si l’on veut en tirer quelque chose [illisible chars][texte coupé]qui reste fidèlement au fond de l’âme. Quiconque est partout, [illisible chars][texte coupé]’est nulle part. Ceux qui passent leur existence à voyager, [illisible chars][texte coupé]e font ainsi beaucoup d’hôtes, et point d’amis. Le même sort [illisible chars][texte coupé]rrive nécessairement à ceux qui ne s’attachent étroitement au génie d’aucun écrivain, mais qui traversent tout en courant, et [illisible chars][texte coupé]omme gens pressés. Les aliments ne font aucun bien, et ne contribuent point à la substance du corps, quand on les rend [illisible chars][texte coupé]ussitôt qu’on les a pris. Rien n’est plus contraire à la santé, [illisible chars][texte coupé]ue le fréquent changement de remèdes. Une plaie ne se [illisible chars][texte coupé]icatrise point, lorsqu’on essaie sur elle divers médicaments ; une plante souvent déplacée ne devient pas vigoureuse ; il [illisible chars][texte coupé]’est chose si utile, qui profite, quand on ne fait qu’y passer. [illisible chars][texte coupé]a multitude de livres dissipe l’esprit.
Ainsi, ne pouvant en lire autant que vous en pouvez avoir, [illisible chars][texte coupé] suffit d’en avoir autant que vous en pouvez lire. — Mais, [illisible chars][texte coupé]ites-vous, je veux feuilleter tantôt celui-ci, tantôt celui-là. — C’est le propre d’un estomac blasé de tâter d’un grand [illisible chars][texte coupé]ombre de mets : dès qu’ils sont variés, et présentent des qualités contraires, ils ne nourrissent pas, ils corrompent. Ne [illisible chars][texte coupé]isez donc que des auteurs d’un mérite reconnu ; et s’il vous [illisible chars][texte coupé]rend quelquefois fantaisie de les quitter pour d’autres, re[illisible chars][texte coupé]enez ensuite aux premiers. Amassez chaque jour quelques [illisible chars][texte coupé]essources contre la pauvreté, contre la mort, contre les autres [illisible chars][texte coupé]isères de la vie ; et quand vous aurez parcouru beaucoup de [illisible chars][texte coupé]hoses, choisissez dans votre lecture quelque pensée pour vous [illisible chars][texte coupé]n nourrir ce jour-là.
Version LXXX.
Midas change en or tous les objets qu’il touche. §
80. ….. Il arrache une branche d’un chêne : c’est un rameau [illisible chars][texte coupé]’or ; il touche une glèbe : à ce puissant contact, la glèbe [illisible chars][texte coupé]evient lingot ; il cueille les épis jaunissants de Cérès : c’était [illisible chars][texte coupé]ne moisson d’or ; il détache un fruit : on croirait qu’il vient [illisible chars][texte coupé]u jardin des Hespérides ; s’il applique ses doigts aux portes [illisible chars][texte coupé]uperbes de son palais, on voit l’or rayonner sur les portes ; il plonge ses mains dans une eau limpide, l’eau qui découle [illisible chars][texte coupé]e ses mains aurait pu séduire Danaé.
A peine son âme peut-elle contenir ses espérances, à l’idée [illisible chars][texte coupé]u’il change tout en or. Pendant qu’il se livre à la joie, ses {p. 145}serviteurs dressent une table devant lui. Mais alors, si sa main touchait les dons de Cérès, les dons de Cérès se durcissaient sous sa main ; s’il se préparait à broyer avidement les mets, [illisible chars][texte coupé]’était une lame d’or étincelante quand il les approchait de ses dents ; il avait mêlé à une eau pure la liqueur du dieu qui l’avait doué de ce pouvoir : ce sont des flots d’or qui ruissellent sur ses lèvres. Effrayé de ce malheur étrange, riche et misérable tout à la fois, il voudrait se soustraire à ses richesses ; et [illisible chars][texte coupé]e don qu’il avait désiré tout à l’heure, il le maudit. Au milieu de cette abondance, rien n’apaise sa faim ; une soif ardente dessèche son gosier ; et l’odieux métal fait son juste supplice. Alors, levant au ciel ses mains et ses bras tout resplendissants :
Grâce ! s’écrie-t-il, divin Bacchus : j’ai commis une faute : prends pitié de moi, cependant, et délivre-moi de ces misérables richesses. »
Version LXXXI.
Les frères Philènes. §
81. Au temps où les Carthaginois régnaient sur la plus grande partie de l’Afrique, les Cyrénéens étaient aussi un peuple puissant et considérable. Entre les deux Etats s’étendait une plaine sablonneuse, d’un aspect uniforme, sans fleuve, sans montagne pour marquer leurs limites respectives. Ce fut le motif d’une guerre longue et sanglante. Déjà, des deux côtés, des armées et des flottes avaient été plus d’une fois battues et dispersées ; déjà ils avaient usé mutuellement une partie de leurs forces : craignant alors qu’une autre puissance ne vînt attaquer les vainqueurs et les vaincus épuisés, ils font une trève, et conviennent qu’à un jour marqué ils feront partir des envoyés de part et d’autre, et que le lieu de leur rencontre sera considéré comme la limite commune des deux peuples.
Les Carthaginois avaient envoyé deux frères, nommés Philènes : ceux-ci pressèrent le pas. Les Cyrénéens allèrent plus lentement. On ne sait s’il faut attribuer ce retard à leur négligence, ou bien au hasard. Du reste, il arrive ordinairement, dans ces parages, que l’ouragan vous arrête comme sur mer. Dans ces plaines unies et dépouillées de végétation, quand la tempête a soulevé le sable qui couvre leur surface, ce sable, lancé avec une violence terrible, remplit la bouche et les yeux {p. 147}des voyageurs, et, les empêchant ainsi de voir devant eux, les retarde dans leur marche.
Les Cyrénéens, s’apercevant qu’ils étaient bien devancés, et craignant d’être punis chez eux pour avoir mal rempli leur mission, accusent les Carthaginois d’être partis avant le temps, ils élèvent des contestations, enfin ils aiment mieux se résoudre [illisible chars][texte coupé] tout que de s’en aller vaincus.
Version LXXXII.
Les frères Philènes. (Suite.) §
82. Après s’être plaints longtemps de la supercherie de leurs adversaires, ils tentèrent de déjouer l’injustice par une proposition effrayante : ils donnèrent aux Carthaginois à choisir, ou d’être enterrés vifs dans l’endroit dont ils voulaient faire la limite de leur Etat, ou de les laisser eux-mêmes s’avancer jusqu’où ils voudraient, aux mêmes conditions. Mais l’événement ne répondit pas à leur calcul. Les Philènes, sans hésiter, sacrifiant à la république leur personne et leur vie, se remirent entre les mains des Grecs, pour être enfouis sous terre. Plus jaloux d’étendre le domaine de leur patrie que la durée de leurs jours, ils ont trouvé une sépulture glorieuse : leurs mânes et leurs ossements signalent l’agrandissement de l’empire carthaginois. Leurs concitoyens élevèrent en ce lieu des autels aux frères Philènes, et instituèrent chez eux d’autres honneurs pour consacrer leur mémoire.
Où sont les superbes remparts de l’altière Carthage ? ce port si fameux par sa gloire maritime ? ces flottes qui portaient épouvante sur tous les rivages ? tant d’armées ? cette innombrable cavalerie, qui s’élançait terrible comme la foudre, et lui décidait si souvent de la victoire ? cette ambition qui se pouvait trop resserrée dans l’immense empire de l’Afrique ? La fortune a tout partagé aux deux Scipions, comme si le destin les eût choisis. Mais le souvenir attaché au noble dévouement des Philènes, n’a pas été étouffé sous les ruines mêmes de leur patrie. Ainsi, l’âme et le bras des mortels ne peuvent prétendre à rien d’immortel, si ce n’est à la vertu.
{p. 149}Version LXXXIII.
Éloge de l’Éloquence. §
83. Certes, le père de la nature, l’artisan de l’univers, Dieu, n’a point établi entre l’homme et les autres créatures animées de plus grande distinction que le don de la parole. En effet, considérés physiquement, ces êtres muets ont sur nous l’avantage de la taille, de la force, de la solidité, de la patience, de la vitesse ; ils ont aussi moins besoin de secours étrangers : car ils savent plus promptement marcher, se repaître, passer les eaux à la nage, et ils le savent sans maître, par leur seul instinct. Pour la plupart aussi, leur corps leur fournit des vêtements contre le froid, la nature leur donne certaines défenses, et leur nourriture se trouve généralement sous leurs pas : tandis que ces choses coûtent aux hommes tant de peine ! Dieu nous a donc départi la raison comme notre principal apanage, et a voulu par ce bienfait nous associer aux immortels. Mais la raison même ne nous serait point d’un si grand secours, et n’éclaterait point en nous si manifestement, si nous ne pouvions encore exprimer nos pensées par la parole : avantage qui manque évidemment aux animaux, plutôt qu’une sorte d’intelligence et de réflexion. En effet, pour se creuser des demeures, bâtir des nids, élever des petits, les faire éclore, aller jusqu’à mettre en réserve des aliments pour l’hiver, composer certains ouvrages que l’homme ne saurait imiter, par exemple, la cire et le miel, il faut leur supposer, je pense, un certain degré de raison.
Si donc la parole est le plus précieux bienfait que nous ayons reçu des dieux, quelle chose devons-nous estimer plus digne de notre culture et de nos soins ? Ou dans quel genre devons-nous le plus ambitionner la supériorité sur les autres hommes, sinon dans cette faculté qui place déjà l’homme au-dessus des animaux ? surtout lorsqu’il n’est point de partie où l’on soit plus amplement payé de ses peines.
Version LXXXIV.
Extraits de la lettre de Servius Sulpicius à Cicéron, qui pleurait la mort de sa fille. §
84. A mon retour d’Asie, je faisais voile d’Egine vers Mégare : je me suis mis à jeter les yeux sur les contrées que {p. 151}j’apercevais autour de moi. Egine était derrière ; Mégare, devant ; le Pirée, à ma droite, Corinthe, à ma gauche : toutes villes autrefois si florissantes, aujourd’hui renversées, et qui étalent leurs ruines sous nos yeux. Cette vue m’a fait réfléchir en moi-même. Eh quoi ! me disais-je : pauvres humains ! notre cœur se révolte quand il meurt ou périt un d’entre nous, un être destiné à une existence assez courte ; tandis qu’un seul [illisible chars][texte coupé]ieu nous montre les cadavres de tant de villes gisant sur le sol. Ne devrais-tu pas te rendre à la raison, Servius, et te souvenir que tu n’es qu’un homme ? Croyez-moi, cette réflexion n’a pas peu contribué à me fortifier. Faites-en l’essai sur vous-même ; proposez-vous le même sujet de méditation. Tout à l’heure, combien d’illustres personnages avons-nous vus disparaître en un moment ! Quelle destruction dans l’empire ! Toutes les provinces ont été ébranlées. Et vous, serez-vous si violemment ému de la perte d’une femme, être faible et chétif, dont le sort, si elle n’avait pas accompli son dernier jour, était de mourir dans quelques années, puisqu’elle était née mortelle ?
Eh bien ! éloignez ces considérations de votre esprit et de votre pensée ; rappelez-vous plutôt (et ces motifs seront dignes de votre caractère), qu’elle a vécu aussi longtemps qu’il fallait vivre ; qu’elle s’est éteinte avec la république ; qu’elle a vu son père préteur, consul, augure ; qu’elle a été unie aux plus nobles des jeunes Romains ; qu’après avoir joui presque de tous les biens, elle a quitté la vie quand la république est tombée. Quelle plainte, vous ou votre fille, pouvez-vous faire de la fortune, à cet égard ?
Version LXXXV.
L’Inde. §
85. L’Inde produit une grande variété de plantes et d’animaux. Ses serpents surtout sont monstrueux : leur morsure et leurs étreintes tuent des éléphants. Telle est la richesse de la végétation, en quelques endroits, que le miel y coule des arbres, qu’on y voit des forêts de cotoniers, et qu’un bout de roseau, pris entre deux nœuds, sert de chaloupe à deux personnes, à trois quelquefois. Les costumes des habitants y sont divers, comme leurs usages : les uns s’habillent de lin, ou se font des tissus du coton dont nous avons parlé ; d’autres se servent de la dépouille des bêtes fauves et des oiseaux. Quel- {p. 153}ques-uns vont nus. Les uns sont de petite taille ; d’autres sont d’une taille si élevée, qu’ils montent même des éléphants (et ils sont fort grands dans ce pays) aussi facilement, aussi commodément que nous montons des chevaux. Quelques-uns croient bien faire en ne tuant aucun animal, en ne mangeant d’aucune espèce de chair ; d’autres ne se nourrissent que de poissons. Quelques-uns immolent en sacrifice leurs parents et les auteurs de leurs jours, avant que l’âge ou les infirmités viennent dessécher leurs corps, et font un festin des entrailles de ces victimes : leur religion le permet, et c’est le plus grand acte de piété. Mais quand la vieillesse ou la maladie s’est emparée d’eux, ils s’éloignent de leurs semblables, et vont dans quelque endroit désert attendre la mort sans inquiétude. Les plus éclairés, ceux qui sont initiés à l’étude et aux doctrines de la sagesse, n’attendent point la mort ; ils vont au-devant d’elle, en se mettant sur le bûcher, où ils expirent avec joie et avec honneur. Ils ont un grand nombre de villes. La plus fameuse, la plus importante est Nysa ; leur plus célèbre montagne est Méros, consacrée à Jupiter. Ils croient que Bacchus est né dans cette ville, et qu’il a été nourri dans une caverne de cette montagne : ce qui donna lieu à la fable des Grecs sur Bacchus.
Version LXXXVI.
Darius, près de livrer bataille aux Macédoniens, dans les plaines d’Arbèles, harangue son armée. §
86. Darius était à l’aile gauche, au milieu d’un gros des siens, élite de sa cavalerie et de son infanterie ; il avait pris en dédain le petit nombre des ennemis, persuadé que l’extension donnée à leurs ailes avait réduit à rien leur corps de bataille. Cependant, du haut du char sur lequel il était élevé, portant les yeux et les mains à droite et à gauche, vers les troupes qui l’environnaient :
« Maîtres il n’y a pas longtemps, leur dit-il, des contrées baignées d’un côté par l’Océan, terminées de l’autre par l’Hellespont, ce n’est plus pour la gloire qu’il nous faut combattre maintenant, mais pour la vie, et, ce qui vous est plus cher que la vie, pour la liberté. Ce jour va consolider ou renverser le plus vaste empire qui fût jamais. Sur le Granique, nous avons livré bataille à l’ennemi avec la plus faible partie de nos forces ; vaincus en Cilicie, la Syrie pouvait nous offrir {p. 155}une retraite ; le Tigre et l’Euphrate étaient de puissants boulevards de mon royaume : nous voici au point de ne plus trouver même où fuir, si nous sommes repoussés. Tout est épuisé derrière nous par une guerre si longue : les villes n’ont plus d’habitants ; les terres, de cultivateurs ; nos femmes mêmes et nos enfants sont à la suite de cette armée, destinés devenir la proie de l’ennemi, si nous ne faisons un rempart de nos corps à ces chers objets de notre amour. Ce qui était de mon devoir, je l’ai fait, en mettant sur pied une armée qu’une plaine immense peut à peine contenir ; en la fournissant de chevaux et d’armes ; en assurant les subsistances d’une si grande multitude ; en choisissant un lieu qui permît à mes forces de se déployer. Le reste dépend de vous. Ayez seulement la hardiesse de vaincre, et ne vous inquiétez pas de la réputation de vos ennemis, arme bien faible contre des gens de cœur. Ce que vous avez redouté, jusqu’à ce jour, comme du courage, n’est que de la témérité ; quand elle a jeté son premier [illisible chars][texte coupé]u, elle languit sans mouvement, comme certains animaux quand ils ont perdu leur dard. D’ailleurs, ces plaines ont mis en évidence leur petit nombre, que les montagnes de la Cilicie nous avaient dérobé. Vous voyez leurs rangs peu serrés, leurs [illisible chars][texte coupé]les étendues, leur centre sans profondeur et sans consistance : en vérité, il suffit des pieds de nos chevaux pour les écraser, quand même je ne lancerais contre eux que mes chars armés de faulx….. »
Version LXXXVII.
Suite du discours de Darius à ses soldats. §
87. « … Et le succès de la guerre dépend pour nous du succès de cette bataille : car eux-mêmes ils n’ont pas où fuir ; d’un côté l’Euphrate, de l’autre le Tigre les tiennent enfermés ; et ce qui était pour eux d’abord, leur est devenu contraire. Votre armée peut se mouvoir aisément, et rien ne la gêne ; celle des Macédoniens est chargée de butin ; nos dépouilles, en les embarrassant, nous aideront donc à les tailler en pièces ; elles seront à la fois et la cause et le fruit de notre victoire….
« Du reste, quand nous n’aurions plus d’espérance, la nécessité devrait encore nous animer. Nous sommes réduits aux dernières extrémités. Ma mère, mes deux filles, Ochus, appelé par sa naissance à régner un jour, ces princes, ces rejetons du sang royal, vos chefs, semblables à des rois, sont dans ses fers ; {p. 157}à ma personne près, qui est avec vous, je suis captif dans la meilleure partie de moi-même. Arrachez à l’esclavage ces objets de ma tendresse. Pensez que ma mère, mes enfants (car j’ai perdu mon épouse dans cette prison) tendent leurs mains vers vous en ce moment ; qu’ils conjurent les dieux de la patrie, qu’ils implorent votre appui, votre pitié, votre foi, pour que vous les délivriez de la servitude, des chaînes, et de l’état précaire où ils traînent leur existence…..
« Je vois s’avancer les bataillons ennemis ; mais, plus le moment décisif approche, moins je puis me contenter de ce que je vous ai dit. Je vous en conjure, par les dieux de la patrie, par ce feu éternel qu’on porte devant nous sur des autels, par la splendeur du soleil qui se lève dans mes Etats, par l’immortelle mémoire de Cyrus, qui ravit l’empire aux Mèdes et aux Lydiens, et le transféra pour la première fois chez les Perses, sauvez du dernier opprobre notre nom, notre nation. Allez pleins d’ardeur et de confiance, pour transmettre à vos descendants la gloire que vous ont léguée vos ancêtres. Vous portez aujourd’hui dans vos mains la liberté, le salut, l’espérance de l’avenir. On échappe à la mort, quand on la méprise ; ce sont les plus timides qu’elle atteint. Quant à moi, ce n’est pas seulement pour me conformer à nos usages, c’est encore pour être vu, que je me fais porter sur ce char ; et je consens que vous m’imitiez, quelque exemple que je vous donne, celui du courage, ou celui de la lâcheté. »
Version LXXXVIII.
Cicéron raconte comment il fut amené à penser plus modestement de lui-même. §
88. Je trouve, dit Cicéron, une certaine petitesse dans notre Démosthène, lorsqu’il avoue qu’il se sentait chatouillé en entendant une femme qui portait de l’eau dire tout bas à une autre : Voilà le fameux Démosthène ! Quelle faiblesse ! mais quel orateur ! C’est qu’il avait plus appris à parler aux autres, qu’à se parler à lui-même.
Et moi, je pensais aussi qu’il n’était bruit à Rome que de ma questure en Sicile. Dans une extrême disette, j’avais envoyé une quantité considérable de blé ; les négociants m’avaient trouvé affable ; les marchands, équitable ; les municipes, généreux ; les alliés, désintéressé ; tout le monde, plein {p. 159}titude à remplir mes devoirs. Les Siciliens avaient imaginé pour moi des honneurs inouis. Aussi quittais-je la Sicile en me perçant de l’espoir que le peuple romain allait tout m’offrir de lui-même. Cependant, le hasard m’ayant fait passer à mon retour par Pouzzol, à l’époque où cet endroit réunit habituellement la plus nombreuse et la plus brillante société, je fus presque anéanti, quand je m’entendis demander quel jour j’avais quitté Rome, et s’il n’y avait rien de nouveau dans cette ville. Je répondis que je sortais de mon gouvernement. Ah ! oui, dit le questionneur ; vous revenez, je crois, d’Afrique. J’étais déjà plein de dépit : Eh ! non, répliquai-je d’un air dédaigneux, c’est de Sicile. Alors un autre, comme s’il eût été au courant de tout : Comment, dit-il, vous ne savez pas qu’il a été questeur à Syracuse ? Qu’ajouter à cela ? Je cessai de me fâcher, et je me mêlai à ceux qui étaient venus aux eaux. Mais cette aventure m’a plus servi, peut-être, que les félicitations que j’aurais reçues de tout le monde.
Version LXXXIX.
Quelques détails sur Alexandrie (quatrième siècle de l’ère chrétienne). §
89. Alexandrie est la cité dominante parmi toutes celles de Egypte. On y voit beaucoup de choses remarquables, dues la magnificence de son illustre fondateur et au génie de l’architecte Dinocrate. Au moment de sa fondation, Dinocrate se servit de farine, faute de craie, pour tracer le contour de ses vastes murailles ; et ce fut un présage, qui révéla par hasard la prodigieuse abondance de produits alimentaires dont cette cité devait jouir dans la suite.
Le climat y est sain, l’air, calme et doux ; et les expériences recueillies à différentes époques ont prouvé qu’il ne se passe presque point de jour où le soleil ne se montre sans nuages aux habitants.
Les approches de la côte, remplies de perfides écueils, exposaient les navigateurs à beaucoup de périls, lorsque Cléopâtre imagina de bâtir à l’entrée du port une tour élevée (qui lut à cet endroit même le nom de Pharos), destinée à servir le fanal aux vaisseaux pendant la nuit : depuis longtemps, ceux qui venaient de la mer d’Egypte ou d’Afrique, ne trouvant sur ces côtes larges et enfoncées aucun pic de montagne, {p. 161}aucune colline pour s’orienter, allaient échouer et se perdre sur des bancs de sable.
A ces ouvrages, ajoutez des temples majestueux, parmi lesquels se distingue particulièrement celui de Sérapis. La faiblesse de mon langage ne peut qu’en diminuer l’effet. Entouré de vastes colonnades, il est orné de statues qui semblent vivantes, et de tant d’autres chefs-d’œuvre, qu’après le Capitole, dont Rome, l’auguste cité, s’enorgueillit à jamais, l’univers ne voit rien de plus imposant. Dans ce temple existait une bibliothèque d’un prix inestimable, où l’active sollicitude des Ptolémées avait rassemblé jusqu’à sept cent mille volumes.
Version XC.
Sur Platon. §
90. Platon, à qui le ciel donna pour patrie Athènes, et pour maître Socrate, les deux plus abondantes sources de lumières, Platon possédait aussi un génie d’une divine fécondité. Déjà il passait pour le plus sage des mortels ; et même il semblait que Jupiter, s’il fût en personne descendu du ciel, n’eût pu s’exprimer avec plus de grâce, avec une plus grande richesse d’élocution : ce fut alors qu’il voyagea en Egypte, apprenant les prêtres de ce pays les calculs infinis de la géométrie, et l’art d’observer les astres. Et tandis qu’une jeunesse studieuse le portait en foule à Athènes, pour y entendre les leçons de Platon, ce philosophe, devenu lui-même disciple des vieillards égyptiens, visitait les rives mystérieuses du Nil, de vastes campagnes, une immense contrée barbare, et les détours sinueux de ses canaux. Aussi suis-je moins étonné qu’il ait passé en Italie, qu’il soit allé entendre Archytas à Tarente, Timée, Arion et Echéchrate à Locres, pour apprendre les principes et le système de Pythagore. Certes, il lui fallut assembler de toutes parts un tel amas, une telle richesse de connaissances, afin de pouvoir, à son tour, les répandre et les disséminer sur toute la terre. L’on dit même que, lorsqu’il mourut, âgé de quatre-vingt-deux ans, il avait sous son chevet les Mimes de Sophron. Ainsi l’ardeur de l’étude l’animait encore à sa dernière heure.
Version XCI.
Marcus Porcius Caton. §
91. Marcus Porcius Caton s’acquit un nom fameux parmi les plébéiens. Il réunissait au plus haut degré la vigueur du génie et celle du caractère ; et, dans quelque condition que le sort l’eût fait naître, il semblait qu’il aurait toujours été l’artisan de sa fortune. Il ne lui manquait aucune des connaissances nécessaires au particulier ou à l’homme public. Les affaires civiles et l’économie rurale lui étaient également familières. Les uns ont dû la plus haute élévation à la science du droit ; les autres, au talent de la parole ; d’autres, à leur gloire militaire : pour lui, telle était la souplesse de son génie et son égale aptitude à toutes choses, qu’on l’eût dit exclusivement né pour celle dont il s’occupait. Au dehors, guerrier intrépide, il s’était illustré dans beaucoup d’actions brillantes ; parvenu aux premiers honneurs, ce fut un grand capitaine. Dans la paix, le consultait-on sur un point de droit, c’était le plus habile jurisconsulte ; fallait-il plaider une cause, c’était le plus éloquent avocat. Et son éloquence n’a pas brillé de son vivant, pour qu’il n’en existât plus aucun monument après sa mort : non, elle vit toujours avec éclat dans des écrits de tout genre qui l’ont éternisée. Il reste de lui un grand nombre de plaidoyers, soit pour lui-même et pour ses clients, soit contre ses rivaux ; car ses ennemis trouvèrent en lui, dans l’attaque comme dans la défense, un terrible adversaire. Sans doute il y eut de la rudesse dans son caractère, il y eut dans son langage une âpreté mordante et une liberté poussée à l’excès ; mais c’était un homme invulnérable aux passions, un homme d’une vertu rigide, qui dédaignait le crédit et les richesses. Dans les privations, dans les fatigues, c’était, pour ainsi dire, un corps et une âme de fer ; la vieillesse, qui détruit tout, ne put éteindre sa vigueur.
Version XCII.
L’Aigle. §
92. Les aigles placent leur aire sur les rochers et les arbres. Ils pondent trois œufs, il en sort deux aiglons ; on en a vu trois quelquefois. Ils en chassent un pour s’épargner la charge de le {p. 165}nourrir : car la nature leur refuse à eux-mêmes, dans cette saison, des moyens de subsistance ; sa prévoyance a voulu empêcher que tous les animaux ne se vissent enlever leurs petits. Leurs ongles mêmes se renversent à cette époque. La disette qu’ils éprouvent fait blanchir leur plumage ; de sorte que leur aversion pour leur progéniture n’est pas sans fondement. Cependant les bannis sont recueillis par une espèce voisine, les orfraies, qui les élèvent avec leurs propres petits ; mais, lors même qu’ils ont pris leur croissance, le père les poursuit encore, et [illisible chars][texte coupé]es fait fuir loin de lui, comme des rivaux qui lui disputeraient la proie. D’ailleurs, chaque paire d’aigles a besoin, pour se rassasier, de chasser sur une vaste étendue. Ils se réservent donc un certain espace, et ne vont pas giboyer chez leurs voisins. Ont-ils saisi une proie, ils ne l’emportent pas à l’instant ; d’abord, ils la déposent, et ce n’est qu’après en avoir essayé le poids, qu’ils l’enlèvent. Ils ne meurent pas de vieillesse ou de maladie, mais de faim : la partie supérieure de leur bec s’allonge et se recourbe tellement, qu’ils ne peuvent plus [illisible chars][texte coupé]’ouvrir.
C’est vers le milieu du jour qu’ils se mettent au travail, et prennent leur vol. Dans la matinée, jusqu’au moment où les [illisible chars][texte coupé]ommes remplissent les marchés, ils demeurent oisifs. Les plumes de l’aigle, mêlées à celles des autres oiseaux, les rongent par le frottement. Cet oiseau est, dit-on, le seul que la [illisible chars][texte coupé]oudre n’ait jamais frappé : aussi en a-t-on fait le porte-ton-[illisible chars][texte coupé]erre de Jupiter.
Version XCIII.
Bataille de Munda. §
93. La bataille de Munda mit aux prises, pour la dernière fois, [illisible chars][texte coupé]es partisans de César et ceux de Pompée. Là, contre le bonheur [illisible chars][texte coupé]ccoutumé de César, l’affaire fut longtemps douteuse : la fortune [illisible chars][texte coupé]ndécise semblait se consulter elle-même. Du moins César fut un peu triste avant l’action (ce qui n’était pas son habitude) ; soit qu’il songeât à la fragilité humaine, soit qu’une trop longue [illisible chars][texte coupé]uite de succès lui inspirât de la défiance. Au milieu même du combat, il arriva ce que personne ne se souvenait d’avoir vu [illisible chars][texte coupé]usqu’alors : tandis que les deux partis, luttant à égal avantage, ne faisaient que s’exterminer, au plus fort de l’action, il [illisible chars][texte coupé]e fit tout à coup, comme de concert, entre l’une et l’autre [illisible chars][texte coupé]rmée, un profond silence. Enfin, ce dont les yeux de César {p. 167}n’avaient jamais été témoins, le corps des vétérans (grands dieux !), ce corps qui avait fait ses preuves pendant quatorze ans, recula ; et, s’ils ne fuyaient point encore, il était évident que la honte les retenait, plutôt que le courage. César renvoie son cheval, et, tout hors de lui, court à la première ligne ; il saisit les fuyards, il les rassure, il vole dans toute l’armée, animant les siens des yeux, du geste, de la voix. On dit même que, dans son trouble, il songea à prendre une résolution extrême, et qu’on put lire sur son visage la pensée de prévenir sa défaite par sa mort. Ce fut alors que cinq cohortes, envoyées par Labiénus au secours du camp qui était en danger, se détachèrent de l’armée ennemie : ce mouvement avait l’apparence d’une fuite. César le crut, ou bien, en habile général, il saisit la circonstance comme une occasion ; et, les chargeant comme des troupes en déroute, il releva le courage des siens, et abattit celui de l’ennemi. Ses soldats, se croyant vainqueurs, le suivirent plus résolument : ceux de Pompée, croyant que leurs compagnons fuyaient, se mirent à fuir.
Version XCIV.
L’Hiver de 1709. §
94. C’était le jour de cette fête consacrée par un antique usage, ce jour qui voit le berceau du Christ, l’humble crèche honorée tous les ans des dons et des hommages des rois. Prosternés en foule au pied des autels, nous offrions l’encens religieux, quand tout à coup, des monts Hyperboréens, le tyran de la nature, le sombre Aquilon, accourt sur ses ailes chargées de frimats, et vient glacer l’air et la terre frappés d’engourdissement. Les hommes ont frissonné. Ils roulent à leurs foyers ardents des ormes entiers ; les travaux cessent ; chacun se renferme dans sa maison ; à peine un grand feu peut-il préserver du froid les corps transis sous d’épaisses fourrures. Le chêne se déchire et éclate avec fracas. Les rochers mêmes se fendent, et sentent, à travers les neiges, les atteintes pénétrantes du froid. Les fleuves sentent l’Aquilon dans leurs profonds abimes ; et le Rhône, au cours si rapide, si impétueux, forcé de s’arrêter sur ses rives glacées et d’unir {p. 169}ses bords par un pont nouveau, le Rhône devient un chemin, et porte à sa surface les roues pesantes des chariots. Bacchus même, sous les voûtes épaisses des celliers, est vaincu par l’âpre saison. Le vin gèle, et se brise à coups de hache ; ce n’est plus une boisson limpide qui humecte les lèvres altérées ; les dents le broient comme un aliment.
Version XCV.
L’Hiver de 1709. (Suite.) §
95. Alors celui qui puisait de l’eau dans le creux de sa main à un bassin tiède, n’approcha de ses lèvres desséchées qu’un breuvage de glace ; et l’eau jetée en l’air retentissait, en tombant sur le sol, comme une grèle de pierres.
L’air n’épargne pas plus les oiseaux : il enchaîne leurs ailes engourdies ; et ce qu’il y a de plus timide, les colombes, glacées de froid, viennent par troupes chercher un asile avec de plaintifs gémissements ; elles oublient la faim et la pâture, et s’approchent sans crainte de nos foyers. Le loup même, dépouillant son naturel farouche, entre dans les habitations des humains ; les cerfs abandonnent les retraites des bois, et fuient çà et là dans les carrefours. Les bestiaux périrent dans les étables ; les animaux sauvages, dans les forêts, comme les oiseaux errants, dans les airs. Les hommes mêmes, qui, cédant à la passion insensée du gain, sortirent de leurs demeures et affrontèrent ce ciel de glace, succombèrent, ou, s’ils survécurent, ils perdirent les pieds : car il n’y avait point de remède plus efficace pour les victimes de ce froid meurtrier, que la rigueur secourable du fer, qui retranchait les extrémités paralysées par ses terribles atteintes.
L’hiver sévit pendant un mois entier avec cette violence inouïe. Les relations du commerce furent interrompues ; les travaux cessèrent dans les campagnes, et les affaires, au barreau ; les divins offices mêmes furent suspendus.
Version XCVI.
Excellence de la langue grecque. §
96. Si l’on considère l’étonnante durée de la langue grecque, on ne s’étonnera point que le génie humain ait produit dans {p. 171}cette langue tant de chefs-d’œuvre : elle est si ancienne, que le même berceau l’a vue naître en même temps que ses divinités fabuleuses ; son existence a été si longue, qu’elle a survécu à ces divinités renversées et éteintes. Quelle puissance, quelle vigueur de constitution elle devait avoir, cette langue qui, déjà forte à l’époque où chantaient Orphée et Linus, a commencé à peine son déclin au bout de vingt siècles ! qui résista au choc de tant d’invasions barbares, et ne disparut point sous les ruines de tant de peuples croulant autour d’elle ! Que dis-je ? sa durée triompha de la valeur romaine, qui avait fait trembler l’univers. Rome, sans doute, eut la supériorité des armes ; mais la Grèce conquise sut aussi conquérir ses vainqueurs, jusqu’alors ignorants et grossiers, qui avaient les Muses en horreur, comme de perfides magiciennes : elle les captiva par des charmes si puissants, leur inspira une passion si vive, que, dans la suite, personne n’eut quelque renom dans les lettres, sans avoir fait le voyage d’Athènes ou de Rhodes, pour entendre les Grecs. Et leur langue, au sein même de la servitude, ne déchut point de son antique noblesse. Transportée en grande partie à Rome, ainsi qu’elle l’avait été plusieurs siècles auparavant en Italie et en Sicile, elle ne prit, au contact de l’idiome latin, aucune forme étrangère ; et, sous un autre ciel, au milieu des entretiens de ses maîtres, elle se conserva bien longtemps sans mélange et sans altération, semblable à son Alphée, qui, sorti des mêmes lieux et se dirigeant vers les mêmes contrées, se frayait un chemin sous la mer, sans mêler, dit-on, aucune amertume à la douceur de ses ondes.
Version XCVII.
Puissance de l’Apologue. §
97. Le peuple s’était autrefois retiré de Rome, indigné de ce que les richesses, le commandement, les honneurs étaient le partage des patriciens, tandis qu’on lui réservait, comme à de vils esclaves, le service militaire, les impôts, les fatigues. Déjà les murmures en étaient venus à une sédition ouverte, et l’on ne voyait aucun moyen de ramener le peuple, s’il n’était contraint par quelque force inconnue jusqu’alors. Plus d’orateurs ici, plus de philosophes ! La plus florissante des républiques allait périr, tristement déchirée par les factions, s’il ne s’était rencontré un citoyen, qui sut, en employant l’apologue, obtenir plus par un conte amusant, que n’aurait pu {p. 173}faire un autre Périclès, en lançant les éclairs et la foudre, en bouleversant tout par son éloquence.
Démosthène sentit lui-même cette vérité. Son suffrage, relativement à un genre qui n’était pas le sien, n’a rien de suspect. Il prononçait un jour une harangue avec cette véhémence dont on sait qu’il était doué ; mais en vain il déployait toute la puissance de son talent : il voyait, malgré ses efforts, l’assemblée demeurer froide ; la multitude, distraite, donner son attention à des jeux d’enfants ; on l’oubliait, et cette indifférence si étrange ralentissait le feu de l’orateur. Depuis longtemps, il souffrait de ce dégoût, de cette insensibilité dans une affaire publique, dans la circonstance la plus importante, où il s’agissait de la guerre avec un ennemi acharné, si célèbre par ses talents militaires et par ses stratagèmes. Alors, pour la première fois, il éprouva l’insuffisance de son art ; il comprit, ce que rien ne lui avait fait soupçonner jusqu’à ce jour, qu’il y avait quelque chose de plus puissant encore que l’éloquence ; et l’arme de l’orateur se trouvant, pour ainsi dire, émoussée, pour dernier trait, il eut recours à l’apologue. Aussitôt rappelée à elle-même, toute l’assemblée s’occupa, avec un incroyable élan, de repousser Philippe et de défendre la république.
Version XCVIII.
Eumène dans les fers, aux Argyraspides. §
98. « Vous voyez, soldats, sous quels insignes se présente à vous votre général ; et ce n’est pas à un ennemi que je les dois : car ce serait encore pour moi une consolation. C’est vous qui, de vainqueur, m’avez fait vaincu ; de général, prisonnier ; quatre fois, dans le cours de cette année, vous avez duré de m’être fidèles : mais je ne parle pas de vos serments ; des reproches ne siéent pas aux malheureux. Je ne vous demande qu’une grâce : si le point essentiel pour Antigone est d’avoir ma vie, laissez-moi mourir au milieu de vous. Peu lui importe, en effet, dans quel lieu et de quelle main je périrai ; et vous m’aurez épargné une mort ignominieuse. Si j’obtiens cette grâce, je vous affranchis du serment qui, tant de fois, vous a liés solennellement à votre général : ou, si vous avez honte de céder à ma prière, de porter vos mains sur ma personne, donnez-moi une arme, et permettez à votre général de faire pour vous, sans être contraint par un serment, ce que {p. 175}vous avez juré de faire pour lui. » Comme on résistait à sa demande, il passe des supplications aux menaces : « Eh bien ! s’écrie-t-il, puisse tomber sur vos têtes maudites le courroux des dieux vengeurs du parjure ! Qu’ils vous réservent le sort que vous avez fait subir à vos généraux ! C’est vous qui vous êtes souillés naguère du sang de Pérdiccàs, et qui avez tramé le même forfait contre Antipater. Enfin, vous auriez assassiné Alexandre lui-même, si le ciel eût permis qu’il tombât sous les coups d’un mortel : vous avez fait ce que vous pouviez contre lui, en le fatiguant de vos révoltes. Et moi, moi, la dernière victime de votre perfidie, je vous dévoue par ces imprécations aux divinités infernales ! Puissiez-vous vivre sans biens, sans patrie, exilés dans votre camp, et vous dévorer par vos armes, qui furent plus souvent fatales à vos chefs qu’à ceux des ennemis ! »
Version XCIX.
La Nature a donné à l’homme une âme inquiète et remuante. §
99. Être loin de sa patrie vous semble une chose insupportable. Eh bien ! regardez tout ce monde que les vastes maisons de cette ville ont peine à contenir. Plus de la moitié de cette foule est loin de sa patrie. De leurs municipes, de leurs colonies, enfin, de toutes les parties de l’univers, ils viennent affluer ici. Les uns y sont amenés par l’ambition ; les autres, par les devoirs d’une fonction publique ; les autres, par une charge d’ambassadeur ; les autres, par la débauche, qui cherche un séjour opulent et commode pour leurs vices ; ceux-ci, par l’amour de l’étude ; ceux-là, par les spectacles ; quelques-uns y sont attirés par l’amitié ; d’autres, par le désir de déployer leurs talents, qui trouvent un vaste théâtre ; quelques-uns y ont apporté leur éloquence pour la vendre. Il n’est aucune espèce d’hommes qui n’occure dans cette ville, où l’on fait de si grands avantages aux vertus et aux vices. Que tous ces gens, appelés par leur nom, comparaissent devant vous ; demandez à chacun d’eux quelle est sa patrie : vous verrez que la plupart ont délaissé leurs demeures, pour venir dans cette cité, grande et belle entre toutes, il est vrai, mais qui cependant n’est pas leur cité. Maintenant, laissez Rome et ces autres villes où l’agrément du site et la commodité des lieux invitent la foule ; venez sur ces rives désertes, dans ces îles si sauvages, Sciathos et Sériphe, Gyare et la Corse : vous ne {p. 177}verrez aucune terre d’exil où quelqu’un ne demeure pour son plaisir. Où trouver un lieu plus désolé, plus inaccessible de toutes parts, que ce rocher ; plus dépourvu de ressources ; peuplé de plus farouches habitants ; plus funeste sous le rapport du climat ? Et pourtant on y rencontre plus d’étrangers que de citoyens.
Version C.
Marius. §
100. L’ambition d’arriver au consulat tourmentait Marius. A la naissance près, rien ne lui manquait pour l’obtenir : énergie, probuté, haute capacité militaire, une âme grande à la guerre, simple dans la paix, supérieure aux voluptés et aux richesses, et dont la gloire était l’unique passion. Mais il était né et avait passé toute son enfance à Arpinum. Dès qu’il fut en âge de porter les armes, il ne s’exerça point à l’éloquence grecque, ni aux manières élégantes des villes : ses exercices furent des campagnes. Ainsi son caractère, resté pur, se fortifia bientôt au sein des occupations honnêtes. C’est pourquoi, lorsqu’il demanda le tribunat militaire au peuple, quoique ses traits fussent étrangers à la plupart des assistants, il se fit facilement connaître, et fut proclamé par toutes les tribus. Depuis, il s’éleva successivement de magistrature en magistrature, et telle fut sa conduite dans chacune de ces charges, qu’on le jugea toujours digne de remplir une place supérieure à celle qu’il occupait. Cet homme cependant, qui s’était montré tel jusqu’alors (car l’ambition le précipita à des excès dans la suite), n’osait pas aspirer au consulat. A cette époque encore, le peuple disposait des autres magistratures, les nobles se transmettaient le consulat de main en main. Tout homme nouveau, quelle que fût son illustration, quelques grandes actions qu’il eût faites, était à leurs yeux indigne de cet honneur, et comme atteint de souillure.
Vers ce même temps, Marius, se trouvant à Utique, offrait des victimes aux dieux pour les rendre propices. Le devin lui dit que les présages lui annonçaient de grandes et merveilleuses destinées : il pouvait donc compter sur le ciel, et poursuivre l’exécution de ses projets.
Versions latines. Corrigés.
Deuxième partie. §
Version I.
De l’Éloquence et de la Poésie. §
1. L’une et l’autre ont un égal empire sur l’âme des humains ; comme la première, par ses discours, la seconde, par ses chants, enflamme la froideur, calme l’effervescence des esprits, excite en eux l’amour, la haine, la colère, la pitié, en un mot, leur fait ressentir toutes les passions. Et l’éloquence elle-même ne compte pas moins de triomphes, n’a pas réalisé moins de prodiges que la poésie. Si la rudesse et la grossièreté des premiers mortels ont fait place à de plus douces habitudes ; si des villes ont été bâties, des Etats constitués par des rois ; si l’audace insolente s’est vu assujettir au frein, à qui faut-il l’attribuer ? L’une et l’autre ont eu ce pouvoir. Tu n’es pas le seul, ô chantre de la Thrace, qui aies su apprivoiser les bêtes féroces, émouvoir les arbres et les rochers, sensibles aux accords de ta lyre : ceux qui adoucirent les mœurs des humains plus farouches que les monstres des forêts, plus durs que les pierres, ont égalé ton talent ; ou plutôt, pour dégager la vérité de la fable, ce ne sont pas les bêtes féroces, mais les mortels grossiers ; ce ne sont pas les rochers, mais des ames rudes et barbares, que tu as adoucies, et par les chants du poëte, et par cet art non moins puissant, par l’éloquence. La postérité conservera éternellement la mémoire du fameux Tyrtée, dont les accents ranimèrent la valeur des Spartiates, abattue, anéantie par leur défaite : mais aussi elle ne se taira point sur Périclès, sur le sublime orateur, qui, parlant à un peuple indocile, à un peuple assiégé et captif dans ses murs, en proie à la peste, à la famine, à la crainte d’un avenir plus terrible que le présent, lui fit supporter ces maux avec patience, et dont la voix, lors même qu’elle fut glacée, vibrant encore aux oreilles des Athéniens, longtemps après la mort de ce grand homme, mit dans leurs cœurs une constance qui faillit les entraîner à leur perte. Que si l’on considère la renommée, l’honneur, le souvenir dont elles sont suivies, l’éloquence et la poésie n’auront rien à s’envier mutuellement : le nom {p. 181}d’Homère et celui de Démosthène jouiront d’une égale durée comme d’une gloire égale dans la mémoire des hommes, et les louanges de Cicéron ne cesseront de retentir qu’avec celles de Virgile.
Version II.
Bonheur de Quintus Métellus. §
2. Si l’on peut rapporter beaucoup d’exemples de l’instabilité de la fortune, on n’en peut raconter qu’un très-petit nombre de sa constante faveur : preuve évidente qu’elle frappe les coups sinistres avec empressement, et qu’elle n’accorde la prospérité qu’avec réserve. Cependant, quand une fois elle a pris sur elle d’oublier sa malignité, elle ne se contente pas de multiplier ses dons et d’accumuler les plus grandes faveurs, elle en assure encore la possession pour toujours.
Voyons donc par quelle suite de bienfaits elle conduisit Q. Métellus au comble du bonheur, sans que sa bienveillance se soit jamais lassée depuis le premier jour de sa vie jusqu’à son dernier soupir. Elle voulut qu’il naquît dans la première ville du monde ; elle le fit sortir du sang le plus illustre ; à ces avantages, elle joignit les plus rares qualités de l’esprit, et des forces corporelles capables de supporter les fatigues ; elle lui donna une épouse aussi remarquable par sa vertu que par sa fécondité ; elle se plut à lui accorder l’honneur du consulat, le commandement des armées, la gloire d’un magnifique triomphe ; elle lui procura la jouissance de voir en même temps trois de ses fils personnages consulaires, dont l’un avait même été honoré de la censure et du triomphe, et le quatrième, revêtu de la préture ; de marier trois filles, et de presser sur son sein les fruits de leur hymen. Parmi tant de naissances, de berceaux, de robes viriles, de cérémonies nuptiales ; parmi tant de dignités, de commandements militaires, en un mot, tous les motifs de félicitations, pas un deuil, pas un gémissement, pas un sujet de tristesse. Contemplez le ciel : à peine y trouverez-vous un tel bonheur, puisque nous voyons dans les plus grands poëtes que l’affliction et la douleur sont le partage même des dieux. Cependant le dénouement de sa vie ne démentit pas la prospérité qui en avait marqué le cours : Métellus, parvenu à la vieillesse la plus avancée, s’éteignit doucement dans les bras des êtres qui lui étaient les plus chers ; et ce furent ses fils et ses gendres qui, après l’avoir porté dans Rome sur leurs épaules, le mirent sur le bûcher.
Version III. §
Quelles qualités doivent avoir le chien de ferme et le chien de berger.
3. Il faut choisir pour la ferme un chien de très-grande taille, à la voix forte et retentissante, afin que le malfaiteur soit effrayé déjà par le son de sa voix, avant de l’être par son aspect, et que souvent même, sans être vu, il le mette en fuite par ses terribles aboiements. Sa couleur doit être uniforme. On préfèrera le blanc dans le chien de berger, le noir dans le chien de ferme : la couleur mixte ne doit être estimée ni dans l’un ni dans l’autre. Le blanc convient au berger, parce qu’il ne ressemble pas à la bête féroce, et qu’on a besoin quelquefois, le matin au petit jour, et au crépuscule, pour se défendre contre les loups, de distinguer nettement les objets ; or, si son chien n’était blanc, et ne se reconnaissait à sa couleur, le berger courrait risque de le frapper, en le prenant pour un loup. Le chien de ferme est destiné à repousser les attaques de l’homme : quand le voleur se présente de jour, il l’effraie plus par son apparition, s’il est noir ; la nuit, il se confond avec l’ombre, et ne s’aperçoit point. Il faut donc qu’à la faveur des ténèbres, il puisse approcher de l’ennemi avec moins de péril. On préfère ceux d’une taille ramassée à ceux de longue ou de petite taille ; ceux qui ont la tête si grosse, qu’elle semble la partie la plus considérable de leur corps ; les oreilles basses et pendantes, les yeux noirs ou couleur d’eau, et pleins de feu, les flancs larges, les jarrets puissants et velus, la queue courte, les pattes et les ongles très-développés. Quant à leur naturel, que, sans être trop doux, il ne soit pourtant pas méchant et féroce : dans le premier cas, ils flattent jusqu’au voleur même ; dans le second cas, ils se jettent sur les gens de la maison comme sur les autres. Il suffit qu’ils soient farouches, et non caressants, au point de regarder quelquefois d’un air menaçant ceux qui appartiennent comme eux à la ferme, et de s’emporter toujours contre les étrangers. On doit surtout trouver en eux de vigilantes sentinelles, qui ne rôdent point à l’aventure, mais qui soient fidèles à leur poste, et qui montrent plutôt de la circonspection qu’un empressement irréfléchi : en effet, d’un côté, ils n’avertissent jamais sans être sûrs ; de l’autre, un bruit insignifiant, un faux soupçon leur font prendre l’alarme.
Version IV.
Quelle doit être l’éducation du futur orateur. §
4. Voulez-vous qu’un jeune homme apporte à l’étude de l’éloquence l’élévation de sentiments qu’elle exige ? Qu’il s’accoutume aussitôt à n’avoir que des pensées mâles ; qu’une éducation vigoureuse prépare son âme, et pose, pour ainsi dire, une base solide et durable au grand édifice qui va s’élever.
Cette vérité avait été comprise de ce beau siècle qu’on peut appeler à juste titre le siècle d’or de l’éloquence ; et il ne faut pas s’étonner que nous ayons tant dégénéré de cet âge heureux, quand nous sommes si loin des principes et de l’application qui régnaient alors. Chez nous, l’enfance est livrée, dès le premier jour, à l’erreur et à la frivolité. Cet âge, qu’on devrait former avec d’autant plus de soin, qu’il obéit plus facilement à toutes les impressions, cet âge tout entier a non seulement sous les yeux le spectacle des délices, il en jouit encore, autant qu’il peut le faire. Quel espoir que le caractère d’un enfant prenne un noble essor, quand il est de tous côtés assiégé d’exemples qui l’invitent au plaisir ? Son âme y perd insensiblement sa vigueur.
Ce n’est pas par cette voie que l’antiquité s’éleva à cette éloquence victorieuse, dont on peut dire avec plus de vérité que de l’ancienne Rome, qu’elle est supérieure à toutes les forces humaines. Sous les yeux d’une chaste mère croissait un enfant que la nature avait doué des plus précieuses qualités, ou qui devait les acquérir par les soins qu’il recevait. Le père partageait cette œuvre : protecteur vigilant ou zélé cultivateur des vertus que comportait l’âge de son fils, il faisait retentir à ses oreilles, non pas comme chez nous, de frivoles comédies, mais les éloges des hommes illustres. On tenait en plus grande estime celui qui faisait preuve de sentiments honnêtes, qu’un homme aux manières aimables. Les jeux mêmes étaient tempérés par une sorte de retenue et de décence. Quel était le fruit de ce système ? L’enfance, entourée de tant de soins, transmettait immédiatement à la jeunesse une âme généreuse et passionnée pour tout ce qui était beau.
{p. 187}Version V.
Alexandre va visiter le temple d’Ammon. §
5. Alexandre pénètre jusqu’au cœur de l’Egypte ; et, après avoir réglé toutes choses sans rien changer aux anciens usages du pays, il forme le projet d’aller à l’oracle de Jupiter Ammon.
Il fallait prendre une route à peine praticable même pour une petite troupe sans équipages ; la terre et le ciel n’y fournissent point d’eau. On n’y voit que des plages sablonneuses, sans végétation ; quand les feux du soleil les ont échauffées, les pieds foulent un sol brûlant ; la chaleur devient insupportable ; et il faut lutter, non-seulement contre l’ardeur du climat et la sécheresse du pays, mais contre un sable profond, qui cède sous les pas, et d’où les pieds du voyageur ne se [illisible chars][texte coupé]irent qu’avec une peine extrême. Les Egyptiens exagéraient encore ces difficultés. Mais Alexandre avait un désir ardent d’aller voir Jupiter : non content d’être au faîte de la grandeur humaine, il se croyait issu de ce dieu, ou voulait faire croire à cette origine. Prenant donc avec lui ceux qu’il avait choisis pour l’accompagner, il descend le Nil jusqu’au lac Maréotis ; à, il reçoit les présents des Cyrénéens, et fait alliance avec ce peuple ; puis il poursuit son entreprise.
Le premier et le second jour, la fatigue parut insupportable : on n’était point encore entré dans de vastes et arides solitudes, quoique le sol offrît déjà l’aspect de la stérilité et de la langueur. Mais quand se déroulèrent devant eux des plaines ensevelies sous un sable épais, et qu’ils y furent entrés comme dans la haute mer, ils cherchaient la terre des yeux : nul arbre, nulles traces de culture ; l’eau même dont on avait chargé les chameaux manquait dans les outres ; et le soleil avait tout embrasé : lorsque tout à coup, soit par une faveur des dieux, soit par un effet du hasard, des nuages couvrirent le ciel, et cachèrent l’astre étincelant : précieux soulagement, supposé même qu’il ne vînt pas d’eau, pour les voyageurs accablés par l’excès de la chaleur. Mais l’ouragan fut encore suivi d’une pluie abondante, et chacun s’empressa de la recueillir. Quelques-uns, n’en pouvant plus de soif, tendirent d’abord leur bouche altérée pour la recevoir. On passa quatre jours dans ces vastes déserts…..
{p. 189}Version VI.
Alexandre va visiter le temple d’Ammon. (Suite.) §
6. Déjà l’on approchait du lieu où réside l’oracle, lorsqu’on [illisible chars][texte coupé]it paraître une quantité de corbeaux qui précédaient, d’un [illisible chars][texte coupé]ol tranquille, les premières enseignes : tantôt ils se posaient [illisible chars][texte coupé] terre, si la troupe ralentissait sa marche ; tantôt ils s’élevaient en l’air, comme pour prendre les devants et montrer le chemin. Enfin, on arriva dans l’endroit consacré au dieu. Chose incroyable ! situé entre d’immenses déserts, il est environné d’une enceinte de verdure, dont l’épais ombrage laisse [illisible chars][texte coupé] peine pénétrer le soleil. Un grand nombre de fontaines répandent de tous côtés leurs eaux douces, qui entretiennent les forêts. La température n’y est pas moins merveilleuse : c’est un véritable printemps ; et, pendant toute l’année, elle conserve sa bénigne influence. Les habitants du bois, qu’on appelle Ammoniens, logent dans des cabanes éparses. Le milieu du bois, entouré d’une triple muraille, leur sert de forteresse. La première enceinte renfermait l’ancien palais des [illisible chars][texte coupé]ois ; la seconde, leurs femmes, avec leurs enfants et leurs [illisible chars][texte coupé]oncubines, et, en outre, l’oracle du dieu ; la troisième était le poste des gardes et de la maison militaire du prince. Il y a encore un autre bois d’Ammon, au milieu duquel se voit une source appelée l’Eau du Soleil : vers le point du jour, elle est [illisible chars][texte coupé]ède ; à midi, au moment de la plus forte chaleur, elle est froide ; sur le soir, elle s’échauffe ; au milieu de la nuit, elle revient bouillante ; à mesure que les ombres s’écoulent et que la lumière approche, sa chaleur de la nuit diminue sensiblement, jusqu’au lever du jour, où elle reprend son degré ordinaire de tiédeur. L’objet du culte des habitants n’a point cette figure que les artistes ont attribuée généralement aux êtres [illisible chars][texte coupé]ivins : sa forme est tout à fait celle d’un chaton, où sont assemblées une émeraude et des pierres précieuses. Quand on vient le consulter, les prêtres le portent dans un navire doré [illisible chars][texte coupé]ue décorent, suspendues à chaque côté, une multitude de [illisible chars][texte coupé]oupes d’argent ; à leur suite, marchent des femmes respectables et des jeunes filles, qui chantent un cantique grossier, la mode du pays ; ils espèrent se rendre ainsi le dieu favorable, et en obtenir une réponse qui ne les trompe point.
Version VII.
Patience de Philippe, roi de Macédoine, et de César Auguste, à supporter les injures. §
7. S’il y eut en Philippe quelque autre vertu, il y eut aussi a patience à supporter les injures, moyen puissant pour conserver un trône. Démocharès, surnommé Parrhésiaste, à cause de l’intempérance et de la hardiesse de son langage, était venu, avec d’autres députés athéniens, à la cour de ce prince. Philippe, après les avoir écoutés avec bienveillance, [illisible chars][texte coupé]eur adressa ces mots : « Dites-moi, que puis-je faire, qui soit agréable aux Athéniens ? — Te pendre, » reprit Démocharès. Comme les assistants manifestaient leur indignation à une réponse si brutale, Philippe leur imposa silence, et ordonna le laisser aller ce Thersite sans lui faire de mal. « Pour vous, dit-il aux autres députés, allez dire aux Athéniens que ceux qui les entendent de pareils propos sont bien plus arrogants que ceux qui les entendent sans en tirer vengeance. »
Le divin Auguste a montré aussi, par plus d’une action et d’une parole mémorable, que la colère n’avait pas d’empire sur lui. L’historien Timagène avait tenu sur l’empereur, sur sa femme et sur toute sa famille, certains discours qui ne [illisible chars][texte coupé]urent pas perdus : car la hardiesse d’un bon mot le fait circuler davantage, et le met dans toutes les bouches. César [illisible chars][texte coupé]avertit souvent d’être plus réservé dans son langage. Le [illisible chars][texte coupé]oyant persister, il lui interdit sa maison. Depuis lors, Tima[illisible chars][texte coupé]ène demeura jusqu’à ses vieux jours sous le toit d’Asinius [illisible chars][texte coupé]ollion, et toute la ville se l’arrachait. La mesure qui lui [illisible chars][texte coupé]aterdisait le palais de César, ne lui ferma aucune porte. Dans la suite, il lut publiquement ses ouvrages historiques, les [illisible chars][texte coupé]rûla, et mit au feu les livres qui contenaient les actions de Lempereur. Il était l’ennemi de César, et personne ne redouta [illisible chars][texte coupé]on amitié ; personne ne s’éloigna de lui comme d’un homme [illisible chars][texte coupé]appé de la foudre ; et il se trouva un citoyen qui lui ouvrit [illisible chars][texte coupé]es bras, quand il tombait de si haut. César, ai-je dit, le souffrit [illisible chars][texte coupé]atiemment, sans même s’émouvoir de ce qu’il avait détruit [illisible chars][texte coupé]es pages consacrées à sa gloire et à ses actions. Jamais il ne [illisible chars][texte coupé]t de reproches à l’hôte de son ennemi ; seulement il dit à [illisible chars][texte coupé]ollion : « Θηριοτρεφεῖς (tu nourris une bête féroce). »
{p. 193}Version VIII.
Entretien de Xerxès et de Démarate. §
8. Lorsque Xerxès déclara la guerre à la Grèce, il n’y eut personne qui n’excitât cette âme gonflée d’orgueil, et qui [illisible chars][texte coupé]ubliait la fragilité des choses dans lesquelles elle se confiait. L’un disait qu’on ne tiendrait pas contre l’annonce de la guerre, et qu’on tournerait le dos au premier bruit de son approche. Un autre, que cette masse formidable était certainement en état, non-seulement de vaincre la Grèce, mais de l’écraser ; qu’ils avaient plutôt à craindre de trouver les villes abandonées, et de ne plus rencontrer, après la fuite de l’ennemi, que de vastes déserts, où ils ne pourraient essayer de si grandes forces. D’autres, que la nature lui suffisait à peine ; que les [illisible chars][texte coupé]ners étaient trop étroites pour ses flottes ; les camps, pour les soldats ; les plaines, pour le déploiement de sa cavalerie ; que l’air offrait à peine assez d’espace pour que tant de mains [illisible chars][texte coupé]ussent lancer leurs traits.
Au milieu de toutes ces bravades qui retentissaient autour du prince, et qui exaltaient le délire de sa présomption, un seul homme, Démarate, de Lacédémone, dit que cette multitude même qui faisait son orgueil, masse désordonnée et embarrassante, était redoutable pour son chef ; car elle avait moins de forces que de poids ; ce qui n’avait point de mesure, ne pouvait jamais être régi ; ce qui ne peut être régi, ne saurait [illisible chars][texte coupé]voir de durée.
« A la première montagne, dit-il, tu trouveras aussitôt les [illisible chars][texte coupé]acédémoniens, qui te feront connaître ce qu’ils sont. Tous les milliers de nations seront arrêtées par trois cents hommes. Tu les verras fermes, immobiles à leur poste, défendre le [illisible chars][texte coupé]éfilé qui leur sera confié, et murer le passage avec leurs corps. L’Asie tout entière ne les fera point reculer. Une poignée [illisible chars][texte coupé]’hommes soutiendra le formidable poids de cette guerre, et celui de presque tout le genre humain tombant sur elle. Quand la nature, changeant ses lois, t’aura livré passage, un sentier [illisible chars][texte coupé]arrêtera ; et tu calculeras tes pertes futures, en songeant à ce que t’aura coûté le défilé des Thermopyles. Tu sauras qu’on [illisible chars][texte coupé]eut te mettre en fuite, quand tu auras appris qu’on peut te [illisible chars][texte coupé]etenir. »
Version IX.
Suite de l’entretien de Xerxès et de Démarate. §
9. « Sans doute, ils reculeront devant toi sur plusieurs points, comme entraînés par un torrent dont la première irruption répand une grande épouvante ; puis ils se lèveront de tous côtés, et t’accableront sous tes propres forces.
« Il est vrai, comme on le dit, que cet immense attirail de guerre ne tiendra pas dans les pays que tu te proposes d’envahir ; mais cela est à notre désavantage. La Grèce te vaincra, par cette raison même qu’elle ne te contient pas. Tu ne peux te déployer tout entier.
« En outre, le seul moyen de sauver les affaires, c’est de parer aux premiers événements, de porter secours à ceux qui plient, d’appuyer, de raffermir ceux qui chancellent : tu ne pourras le faire. Tu seras vaincu bien avant de t’apercevoir de ta défaite.
« Ne crois pas, d’ailleurs, que tout doive céder à ton armée, parce que son chef même n’en connaît pas le nombre. Il n’est chose si grande, qui ne puisse périr, quand, à défaut d’autres ennemis, elle trouve dans sa propre grandeur la cause de sa ruine. »
Les prédictions de Démarate se réalisèrent : celui qui forçait toutes les choses divines et humaines, et bouleversait la nature partout où il rencontrait des obstacles, se vit arrêté par trois cents hommes ; et, après avoir couvert toute la Grèce de ses débris, Xerxès comprit quelle différence il y avait d’une multitude à une armée. Alors ce prince, plus malheureux de son humiliation que de ses pertes, remercia Démarate de ce que seul il lui avait dit la vérité ; en même temps, il permit au Lacédémonien de demander ce qu’il voulait. Démarate demanda la faveur d’entrer dans Sardes, la plus grande ville de l’Asie, monté sur un char, et portant sur la tête la tiare droite. Ce privilége appartenait exclusivement aux souverains.
Version X.
Description de la Thrace. Mœurs des Gèles en particulier. §
10. Cette contrée n’est favorisée ni pour le climat, ni pour le sol, et partout, excepté dans le voisinage de la mer, elle est stérile et froide ; les plantations y réussissent fort peu ; {p. 197}rarement on y voit un arbre fruitier ; elle est moins contraire à la vigne : et encore le raisin n’y mûrit pas, n’acquiert point de douceur, si ce n’est dans les parties où les cultivateurs le préservent du froid en l’entourant de feuillage. Les hommes y sont moins disgraciés, non cependant sous le rapport de l’extérieur ; mais c’est une fière et nombreuse population. Peu de fleuves traversent ce pays pour se rendre à la mer : mais ces fleuves, l’Hèbre, le Strymon, jouissent d’une haute célébrité. Dans la partie centrale, on trouve des montagnes, l’Hémus, le Rhodope, l’Orbélus, fréquentés par les Ménades, et témoins des fêtes de Bacchus, instituées par Orphée. L’Hémus s’élève à une hauteur si prodigieuse, que de son sommet on découvre le Pont-Euxin et l’Adriatique.
Cette contrée n’est habitée que par une nation, les Thraces, divisée en plusieurs peuples, qui diffèrent de noms et de mœurs. Quelques-uns, les Gètes, par exemple, sont féroces et toujours prêts à mourir. Ce sentiment tient chez eux à diverses croyances : les uns pensent que les âmes de ceux qui meurent doivent revenir ; d’autres, que, si elles ne reviennent point, elles ne sont pas cependant anéanties, mais qu’elles passent à un état plus fortuné ; d’autres enfin, qu’elles cessent entièrement d’être, mais que le néant est préférable à la vie. Aussi, chez eux, la naissance d’un enfant est un sujet de deuil, et l’on pleure sur l’être qui vient au jour : les funérailles, au contraire, sont des sujets de réjouissance ; on les célèbre, comme des fêtes religieuses, par des chants et des jeux. Les femmes mêmes n’y ont pas cette mollesse de cœur qui caractérise leur sexe chez tant de nations. Recevoir la mort sur le corps de leurs époux qui ne sont plus, et partager leur sépulture, voilà le plus beau vœu qu’elles croient pouvoir faire ; et comme un seul homme a plusieurs femmes, elles se disputent vivement l’honneur d’être choisies pour mourir. C’est la plus vertueuse qui l’obtient. Les autres témoignent leur regret par [illisible chars][texte coupé]es plaintes ; tout en cédant à leur rivale, elles lui portent néanmoins envie, et c’est avec les plus violentes démonstrations de douleur, qu’elles conduisent au bûcher la victime qui va subir cet heureux trépas.
Version XI.
La Sicile. §
11. On dit qu’un isthme étroit unissait jadis la Sicile à Italie, et qu’elle en fut arrachée, comme un membre est {p. 199}séparé de son corps, par le choc impétueux de la mer Adriatique, qui se porte sur cette côte avec tout le poids de ses eaux. La terre y est légère et friable ; percée de cavités et de longues crevasses, elle est presque entièrement ouverte au souffle des vents : d’un autre côté, par la nature même du sol, le feu se produit et s’alimente dans son sein ; car des couches de soufre et de bitume en forment le fond. De là une lutte souterraine entre le vent et les flammes, lutte qui multiplie, en plus d’un endroit, les éruptions de feu, de vapeur et de fumée ; de là, enfin, ce volcan de l’Etna, allumé depuis tant de siècles. Et quand le vent s’engouffre avec violence dans ces profondes cavités, il en fait jaillir des monceaux de sable.
Le point le plus voisin de l’Italie est le promontoire de Rhégium, d’un mot grec qui signifie rompu. Il n’est pas étonnant, d’ailleurs, que l’histoire de ce lieu, qui réunit tant de merveilles, ait été anciennement mêlée de fables. D’abord, nulle mer n’est plus impétueuse ; telle est la rapidité, ou plutôt la fureur de ses vagues, qu’on ne peut, non-seulement s’y hasarder, mais les regarder même de loin sans effroi. Dans la violence de leur choc et l’espèce de combat qu’elles se livrent, on les voit, tantôt vaincues, s’abîmer dans le gouffre, tantôt victorieuses, s’élancer vers les nues ; ici, l’on entend le mugissement des flots qui s’enflent et bouillonnent ; là, le gémissement de l’onde qui s’engloutit. De là ces inventions de la fable, Scylla et Charybde, créées dans l’antiquité, non point par une imagination amie du merveilleux, mais par l’épouvante et l’étonnement des navigateurs.
Version XII.
Eurydice est ravie une seconde fois à Orphée. §
12. Déjà, retournant sur ses pas, il avait échappé à tous les périls ; Eurydice lui était rendue, et s’avançait vers le séjour de la lumière, en marchant derrière lui (telle était la loi de Proserpine), quand un délire soudain surprit le faible amant, délire pardonnable sans doute, si les Mânes savaient {p. 201}pardonner. Il s’arrêta, et, touchant aux portes du jour, hélas ! dans un moment d’oubli, vaincu par son amour, il se retourna pour voir Eurydice….. Ce regard lui ravit tout le fruit de sa peine ; le pacte de l’impitoyable monarque fut rompu ; et trois fois un mugissement se fit entendre du fond de l’Averne. « Quel transport, s’écrie Eurydice, quelle fatale erreur m’a perdue, malheureuse que je suis ! et te perd avec moi, cher Orphée ? Voici que les cruels destins me rappellent une seconde fois, et le sommeil ferme mes yeux appesantis. Adieu ! Je me sens emporter dans une nuit profonde, et je tends vers toi mes mains défaillantes ; hélas ! et je ne suis plus à toi. »
Elle dit ; et soudain, comme une vapeur qui se mêle à l’air subtil, elle disparut et s’évanouit à ses yeux. En vain il voulut saisir son ombre, lui parler longtemps encore ; elle ne vit plus son époux, et le nocher des enfers ne le laissa plus traverser le lac qui les séparait. Que faire ? où porter ses pas, après avoir perdu deux fois son épouse ? Par quels pleurs toucher les Mânes ? Par quels accents fléchir les divinités de ces lieux ? Eurydice, déjà froide, traversait l’onde dans la barque fatale.
On dit qu’Orphée demeura sept mois entiers au pied d’une haute montagne, sur les rives désertes du Strymon, versant des larmes, et faisant retentir les antres glacés du récit de ses malheurs. Les tigres étaient émus, et les chênes le suivaient, attirés par ses chants.
Version XIII.
De la Musique. §
13. Qui ne sait que, dès les premiers temps, la musique était cultivée avec tant de goût, et jouissait même de tant d’honneur, que ceux qui en faisaient profession étaient encore regardés comme des hommes inspirés et des sages ? Sans parler des autres, je ne citerai qu’Orphée et Linus. On a dit qu’ils étaient l’un et l’autre enfants des dieux ; et, comme le premier apprivoisait une multitude ignorante et grossière, par le charme qu’il exerçait sur les esprits, cette tradition a passé à la postérité, qu’il attirait vers lui, non-seulement les bêtes féroces, mais les rochers mêmes et les arbres. Timagène rapporte encore que la musique est la plus ancienne de toutes les sciences ; et les poëtes les plus illustres rendent témoignage de cette vérité, quand ils nous apprennent que les louanges {p. 203}des héros et des dieux étaient célébrées sur la lyre, à la table des rois. Dans Virgile, Iopas ne chante-t-il pas errantem lunam solisque labores (l’astre errant des nuits, et les éclipses du soleil) ? Par là, ce grand poëte atteste évidemment que cet art se lie même à la connaissance des choses divines. Et les hommes qui se sont fait un renom de sagesse, ont eu le goût de la musique : personne n’en doutera, lorsque Pythagore et ceux de sa secte ont répandu cette opinion, léguée sans doute par les anciens âges, que l’univers même avait été arrangé sur le modèle de cette harmonie reproduite depuis par la lyre. Mais pourquoi citer les philosophes ? Le père de la philosophie, Socrate lui-même, ne rougit point d’apprendre à jouer de la lyre, dans sa vieillesse. Et le rigide législateur de Lacédémone, Lycurgue, approuva l’étude de la musique. C’était elle, nous le voyons dans l’histoire, qui animait ordinairement au combat les armées lacédémoniennes. Et il semble que ce soit un présent de la nature, destiné à nous faire supporter plus aisément les fatigues. Le chant encourage les rameurs ; je ne parle pas seulement de ces travaux où un certain nombre de bras, guidés par le signal d’une voix agréable, unissent de concert leurs efforts : individuellement même, l’homme soulage sa lassitude par le chant, fût-ce par une grossière modulation.
Version XIV.
Métellus rétablit l’ancienne discipline dans l’armée romaine, corrompue pendant son séjour en Afrique. §
14. A peine entré en fonctions, Métellus dirigea toutes ses pensées vers la guerre dont il allait être chargé contre Jugurtha. Comptant peu sur l’ancienne armée, il enrôle des soldats, fait venir des secours de tous côtés, rassemble des armes, des traits, des chevaux, tout le matériel militaire ; il y joint des vivres en abondance ; en un mot, tout ce qui sert ordinairement dans une guerre compliquée, où les besoins se multiplient. D’ailleurs, pour seconder ses desseins, les alliés et les peuples latins, par un décret du sénat, les rois, de leur propre {p. 205}mouvement, envoyèrent des secours ; enfin, tous les ordres de l’Etat s’employèrent avec le plus vif empressement. Ainsi, toutes ses dispositions, tous ses préparatifs étant faits au gré de ses désirs, Métellus part pour la Numidie, laissant pleins l’espoir ses concitoyens, qui connaissaient sa capacité, surtout son incorruptible désintéressement : car, jusqu’à ce jour, c’était la cupidité des magistrats qui avait ruiné en Numidie la puissance des Romains, et accru celle de l’ennemi.
Métellus, à son arrivée en Afrique, reçut des mains du [illisible chars][texte coupé]roconsul Sp. Albinus une armée sans énergie, sans courage, qui ne tenait point contre les périls ni contre les fatigues, plus prompte à parler qu’à agir, habituée à piller les alliés, à de voir elle-même piller par l’ennemi, ne connaissant ni subordination ni retenue. Aussi le nouveau général trouva-t-il plus de sujets d’inquiétude dans le mauvais esprit de ses groupes, que de secours ou de motifs de sécurité dans leur nombre. Quoique le retard des comices eût réduit le temps de la campagne, et qu’il pensât que l’attente de l’événement occupait vivement les esprits à Rome, Métellus résolut de ne pas commencer la guerre, avant d’avoir plié les soldats aux laborieuses pratiques de l’ancienne discipline.
Version XV.
Réforme opérée par Métellus (Suite.) §
15. Albinus, pendant tout le temps de la campagne où il commanda, avait tenu généralement les soldats stationnaires dans le même camp, jusqu’à ce que la corruption de l’air ou de manque de fourrages l’obligeassent d’en changer. Et l’on ne se retranchait plus, on n’allait plus, conformément aux [illisible chars][texte coupé]sages militaires, relever des sentinelles : s’absentait qui vou[illisible chars][texte coupé]it du drapeau. Les valets de l’armée rôdaient çà et là jour et nuit, confondus avec les soldats ; et l’on voyait leurs bandes [illisible chars][texte coupé]parses dévaster les champs, forcer les maisons de campagne, enlever à l’envi des bestiaux et des esclaves, qu’on échangeait avec les marchands contre des vins étrangers et d’autres {p. 207}denrées de ce genre. Ils vendaient le blé que leur accordait l’Etat, et achetaient du pain au jour le jour. Enfin, tout ce qu’on peut dire ou imaginer en fait de mollesse ou de débauche, existait dans cette armée, sans parler de désordres plus graves encore.
Mais Rome trouva Métellus aussi grand, aussi sage, au milieu de ces difficultés, que dans ses opérations contre l’ennemi, tant-il sut garder une juste mesure entre les ménagements intéressés et une rigueur excessive. D’abord, il fit disparaître par un édit tout ce qui entretenait la mollesse, en défendant à qui que ce fût de vendre dans le camp du pain ou tout autre aliment cuit ; aux valets, de suivre l’armée ; aux simples soldats, d’avoir, dans les campements ou dans les marches, des esclaves ou des bêtes de somme. Quant aux autres désordres, il sut les réprimer par l’adresse. En outre, il transportait son camp tous les jours par des chemins détournés, le fortifiait d’un fossé et d’une palissade, comme en présence de l’ennemi, multipliait les postes, et les visitait en personne avec ses lieutenants. Dans les marches, il se trouvait tantôt à la tête de l’armée, tantôt sur les derrières, souvent au milieu, afin que personne ne quittât son rang, qu’on marchât serrés autour des drapeaux, que le soldat portât lui-même ses vivres et ses armes.
C’est ainsi qu’en prévenant les fautes, plutôt qu’en punissant, il eut bientôt rendu à l’armée son énergie.
Version XVI.
De l’Homme. §
16. La nature, dit un auteur profane, semble avoir fait toute a création pour l’homme ; mais elle le traite avec rigueur, en lui vendant cher ces grands dons : aussi ne saurait-on dire si elle s’est montrée pour l’homme tendre mère ou dure marâtre. D’abord, il est le seul être animé qu’elle couvre de vêtements étrangers. Elle donne aux autres divers téguments, les tests, les coquilles, le cuir, les piquants, le poil, les soies, le crin, le duvet, les plumes, l’écaille, la laine. Elle a enveloppé les arbres mêmes d’une écorce quelquefois double, qui les munit contre le froid et le chaud. L’homme est le seul qu’au jour de sa naissance elle jette nu, sur la terre nue, livré dès cet instant aux cris et aux pleurs. Mais le rire, grands dieux ! le dire, même précoce, même le plus hâtif, nul ne le connaît avant le quarantième jour.
{p. 209}A cet essai de la lumière succèdent des liens, dont les bêtes mêmes qui naissent dans nos habitations sont affranchies, des chiens qui entravent tous ses membres. Produit sous ces brillants auspices, le voilà donc étendu pieds et mains, liés, et versant des larmes, ce futur dominateur de tous les autres animaux. Des supplices commencent sa vie ; et tout son crime est d’être né. Après un tel début, hélas ! quelle démence que de se croire des droits à l’orgueil !
A lui seul, parmi les êtres animés, ont été réservés le chagrin, le luxe varié sous des formes sans nombre, et qui s’étale sur toutes les parties de son corps ; à lui seul l’ambition, l’avarice ; à lui seul un amour immodéré de la vie ; à lui seul la superstition ; lui seul se préoccupe de sa sépulture, et même de ce qui arrivera quand il ne sera plus. Nul animal dont l’existence soit plus frêle, qui désire tout avec plus de passion, qui soit plus égaré dans sa peur, plus furieux dans ses emportements. Enfin, les autres vivent en paix avec leurs semblables ; tous les voyons se réunir, et résister aux ennemis d’une espèce différente : mais c’est de l’homme, oui, c’est de lui-même, que l’homme éprouve le plus de maux.
Version XVII.
Le Parasite, ou le Flatteur. §
17. Dieux immortels ! quelle supériorité un homme a sur un autre ! Quelle différence entre le sot et l’homme d’esprit ! Voici ce qui m’a inspiré cette pensée : aujourd’hui, à mon arrivée, je rencontre un particulier d’ici, un individu de ma classe et de ma condition, honnête homme, qui avait aussi changé son patrimoine. Je le vois crasseux, malpropre, défait, chargé de haillons et d’années. « Qu’est cela ? lui dis-je ; pourquoi cet accoutrement ? — C’est que j’ai eu le malheur de perdre tout ce que je possédais. Hélas ! où en suis-je réduit ! Connaissances, amis, tout m’abandonne. »
Alors je le trouvai bien petit en le comparant à moi : « Comment, lui dis-je, homme sans caractère ! t’es-tu mis en cet état de ne plus trouver en toi nulle espérance ? As-tu perdu l’esprit avec la fortune ? Regarde, moi qui suis de la même condition : quel teint ! quel embonpoint ! quelle mise ! quel air de santé dans toute ma personne ! J’ai tout, sans rien avoir. Je ne possède rien, et je ne manque de rien. — Mais moi, malheureusement, je ne puis ni faire rire, ni endurer les coups. — Eh {p. 211}quoi ! penses-tu donc que les choses se passent ainsi ? Tu te trompes complétement. Cette méthode était bonne au temps [illisible chars][texte coupé]adis, chez la génération précédente. Mais voici une nouvelle manière de piper les gens ; et c’est moi qui le premier ai trouvé cette voie.
« Il existe une certaine classe d’individus qui veulent être les premières gens du monde, et qui ne le sont pas. C’est à leur personne que je m’attache. Je ne m’arrange pas pour les faire rire, mais je m’empresse de rire avec eux, et j’admire en même temps leur esprit. Tout ce qu’ils disent, je l’approuve ; le contredisent-ils, je les approuve encore. On dit non, je dis [illisible chars][texte coupé]on ; on dit oui, je dis oui. Enfin, je me suis imposé la loi d’applaudir à tout. Cette méthode est aujourd’hui de beaucoup [illisible chars][texte coupé] plus lucrative. »
Version XVIII.
Néron artiste. §
18. Entre autres connaissances, il avait appris la musique dès ses premières années. Aussitôt qu’il fut parvenu à l’empire, appela à sa cour Terpnus, le plus fameux joueur de luth à cette époque ; et, pendant plusieurs jours de suite, assis auprès du maître qui chantait, depuis le souper jusqu’à une heure avancée de la nuit, il se mit insensiblement à étudier et à [illisible chars][texte coupé]essayer lui-même, sans oublier aucune des précautions qu’employaient les artistes de ce genre pour conserver ou pour développer leur voix : enfin, content de ses progrès, quoiqu’il fût la voix faible et voilée, il voulut paraître sur la scène, répétant souvent à ses amis ce proverbe grec, que la musique c’est rien, quand on la cultive sans témoins. Et Naples fut le théâtre de ses débuts. Charmé des louanges harmonieusement cadencées des habitants d’Alexandrie, qui, nouvellement arrivés, s’étaient rendus en foule à Naples, il en fit venir un plus grand nombre. Cela ne l’empêcha pas de choisir les plus jeunes hevaliers, et plus de cinq mille individus pris parmi le peuple, dans toute la vigueur de l’âge, qui, partagés en plusieurs [illisible chars][texte coupé]abales, devaient apprendre les différentes manières d’applaudir, et, moyennant un salaire considérable, lui prêter leur secours. Comme il tenait singulièrement à chanter en public, à Rome encore il avança l’époque des jeux Néroniens ; et tout le monde le suppliant de faire entendre sa voix divine, il se fit inscrire au nombre de ceux qui devaient concourir, mit {p. 213}son nom dans l’urne avec les autres, et parut à son tour, accompagné des préfets du prétoire, qui portaient son luth, puis des tribuns militaires, enfin de ses plus intimes amis. Dès qu’il eut pris place, après avoir préludé, il chargea le consulaire Cluvius Rufus d’annoncer qu’il chanterait Niobé, et [illisible chars][texte coupé]e fit entendre presque jusqu’à la dixième heure. Cependant [illisible chars][texte coupé] remit à l’année suivante le prix de musique, et les autres parties du concours, pour avoir plus souvent l’occasion de chanter.
Version XIX.
Quelques détails sur T. Flavius Domitien. §
19. Dans les commencements de son règne, il avait tellement horreur de toute espèce de meurtre, que, s’étant rappelé le passage de Virgile :
AnteImpia quam cæsis gens est epulata juvencis :
[illisible chars][texte coupé] avant qu’une race impie eût égorgé des bœufs pour s’en renaître dans ses festins), il se proposa de défendre par un édit qu’on immolât des bœufs. De même, pendant tout le temps de [illisible chars][texte coupé] vie privée, et pendant un certain temps de son règne, à [illisible chars][texte coupé]eine fit-il soupçonner en lui un sentiment de cupidité et [illisible chars][texte coupé]avarice ; au contraire, il donna souvent des preuves, non-seulement d’un désintéressement remarquable, mais encore d’une extrême générosité. Ses largesses s’étaient répandues avec profusion sur ceux qui l’entouraient, et la première, la plus pressante de ses recommandations, était de ne rien faire qui sentît l’avarice. Il réprima les fausses accusations intentées pour le fisc, par des peines sévères infligées aux accusateurs, et son citait de lui cette parole : Le prince qui ne châtie point les rélateurs, ne fait que les exciter. Mais il ne persévéra ni dans la voie de la clémence, ni dans celle du désintéressement : toutefois, il se laissa entraîner plus vite à la cruauté qu’à la cupidité. Il avait fait mourir Pâris ; il fit aussi mettre à mort un pantomime, son disciple, à peine adolescent, malade dans ce moment même, parce qu’il semblait avoir quelque rapport avec son maître par l’extérieur et par le talent. Il condamna également [illisible chars][texte coupé]ermogène de Tarse, à cause de certains traits piquants insérés dans son histoire ; les copistes mêmes furent mis en croix. Sa cruauté, pour ne point entrer dans tous les détails, était non {p. 215}seulement poussée loin, mais elle procédait encore avec raffinement et par surprise. Et pour abuser d’une manière plus insultante de la patience des hommes, jamais il ne prononça une condamnation sans parler d’abord de clémence : de sorte qu’il n’y avait pas de plus sûr indice d’un sinistre dénouement, que de le voir débuter par la douceur.
Epuisé par les dépenses des travaux et des spectacles, il ne se fit aucun scrupule d’exercer toute sorte de rapines. Partout les biens des vivants et des morts, quel que fût le dénonciateur et l’accusation, devenaient sa proie. Il suffisait d’alléguer une action quelconque, un propos, contraires à la majesté du prince.
Version XX.
Caractère des Romains sous le règne de Gallus. §
20. Il y en a qui, se flattant d’arriver à l’immortalité par des statues, désirent cet honneur avec passion, comme si des figures d’airain pouvaient être pour eux une récompense supérieure au témoignage de la conscience après de belles et nobles actions. D’autres, faisant consister toute leur gloire dans des carrosses plus élevés que de coutume et dans une mise ambitieuse, sont accablés sous le poids de ces manteaux qu’ils attachent à leur cou avec des agrafes d’or. D’autres, sans qu’on leur fasse aucune question, prennent un air important, et exagèrent démesurément l’étendue de leurs patrimoines, persuadés qu’ils augmentent ainsi les revenus de ces fertiles domaines, dont ils se vantent assez, du matin jusqu’au soir, d’être les possesseurs. Ils ignorent sans doute que leurs ancêtres, dont les mains ont créé l’immense empire de Rome, ne brillèrent point par leur opulence, mais par les guerres terribles qu’ils ont soutenues ; qu’ils n’étaient pas plus riches, ne vivaient pas plus délicatement, ne portaient pas des habits moins grossiers que les simples soldats, quand leur bravoure triompha de tous leurs ennemis. Voilà pourquoi l’on fit une collecte pour rendre les derniers devoirs à Valérius Publicola ; pourquoi la veuve de Régulus, réduite à l’indigence, vécut avec ses enfants des secours que lui fournirent les amis de son mari ; pourquoi la fille de Scipion reçut une dot tirée du trésor public : la noblesse romaine rougissait de voir se flétrir cette jeune fille par la longue absence et la pauvreté de son père. Aujourd’hui, si vous vous présentez, vous honorable {p. 217}étranger, chez un de nos hommes opulents, tout bouffi de ses trésors, il vous accueille d’abord comme une personne attendue avec empressement ; il vous fait mille questions ; vous êtes émerveillé de recevoir tant de marques d’attention d’un homme important qui vous voit pour la première fois ; vous êtes fâché de ne pas avoir connu dix ans plus tôt cet avantage, que vous mettez au-dessus de tous les biens. Mais si, ravi de affabilité romaine, vous réitérez le lendemain votre visite, il vous reçoit comme un inconnu, comme un aventurier ; il reste longtemps sans savoir qui vous êtes, d’où vous venez.
Version XXI.
Siége de Salone. §
21. Octavius, ayant soulevé les Dalmates et autres peuples [illisible chars][texte coupé]arbares, détacha du parti de César les habitants d’Issa ; mais ne put, ni par promesses ni par menaces, ébranler le conseil de Salone. La place était défendue par la nature du terrain et par un coteau : il résolut d’en faire le siége. Mais les citoyens [illisible chars][texte coupé]rent bientôt élevé des tours de bois pour se défendre ; puis, [illisible chars][texte coupé]omme ils étaient trop faibles pour résister, vu leur petit [illisible chars][texte coupé]ombre, exténués à force de blessures, ils eurent recours aux moyens extrêmes : ils affranchirent tous les esclaves en âge de puberté ; toutes les femmes se coupèrent les cheveux, et on en fit des câbles pour les machines.
Instruit de leurs dispositions, Octavius forma cinq camps autour de la place ; il commença en même temps à l’investir et la presser par des assauts. Les assiégés étaient résolus à tout [illisible chars][texte coupé]durer ; mais ils souffraient surtout du manque de vivres. Ils [illisible chars][texte coupé]voyèrent donc demander du secours à César ; quant aux [illisible chars][texte coupé]tres maux, ils les supportaient de leur mieux. Cependant, longueur du siége ayant rendu les soldats d’Octavius moins [illisible chars][texte coupé]gilants, les assiégés choisirent l’heure de midi (le moment [illisible chars][texte coupé] leurs ennemis étaient éloignés), mirent leurs femmes et [illisible chars][texte coupé]urs enfants sur le rempart, afin que rien ne parût changé [illisible chars][texte coupé]ns leurs habitudes ; puis, ayant formé une troupe avec les {p. 219}esclaves nouvellement affranchis, ils se jetèrent sur le premier camp d’Octavius, et le forcèrent ; du même choc ils emportèrent le suivant, puis le troisième, le quatrième, tous les camps enfin, et en chassèrent les ennemis. Il en périt un grand nombre ; le reste, et Octavius lui-même, fut obligé de se sauver sur les vaisseaux.
Telle fut la fin de ce siége. Déjà l’hiver approchait ; et, après des pertes si considérables, Octavius, désespérant de s’emparer de la ville, se retira à Dyrrachium auprès de Pompée.
Version XXII.
Vices et vertus d’Alcibiade. §
22. Alcibiade, fils de Clinias, était d’Athènes. La nature semble avoir fait dans ce personnage l’essai de sa puissance. Tous les historiens qui ont parlé de lui s’accordent à dire que personne ne l’a surpassé ni en vices, ni en vertus. Né dans une ville si fameuse, issu d’une grande famille, le plus beau sans comparaison de tous ceux de son âge, il était propre à tout, et plein d’habileté : car il fut grand capitaine sur terre et sur mer. Il maniait la parole avec un talent qui faisait sa principale force ; et tel était le charme de sa figure et de son langage, que personne ne pouvait résister à ses discours. Puis il savait être, quand il le fallait, laborieux, patient, libéral, magnifique, au dehors, comme dans son intérieur ; affable, insinuant, il se prêtait aux circonstances avec une singulière habileté : ce même Alcibiade, dès qu’il se donnait du repos, et qu’il n’avait plus de raison d’appliquer son esprit à un travail soutenu, se montrait déréglé, lâche, voluptueux, intempérant : de sorte que tout le monde s’étonnait de voir dans un seul et même individu des contrastes si frappants et une telle diversité de caractère.
Elevé dans la maison de Périclès (qui était, dit-on, son beau-père), il fut disciple de Socrate et gendre d’Hipponicus, le plus riche de tous les Grecs. Ainsi, cet homme, à qui sa naissance, ses richesses, sa beauté, la faveur populaire et ses {p. 221}talents donnaient assez de lustre pour en faire un objet d’envie, trouva encore les maîtres les plus estimés, les alliances les plus considérables : de sorte que, s’il eût voulu se former lui-même, il n’aurait pu imaginer ou acquérir plus d’avantages que ne lui en avaient départi la fortune ou la nature.
Version XXIII.
Thémistocle. §
23. Thémistocle, fils de Néoclès, était d’Athènes. Les vices qui signalèrent sa première jeunesse furent rachetés par de si grandes vertus, qu’il n’est personne qu’on lui préfère, et qu’on lui donne peu de rivaux. Son père, Néoclès, était noble. Il épousa une citoyenne d’Halicarnasse, dont il eut Thémistocle. La licence de sa conduite et l’abandon où il laissait son patrimoine, ayant mérité au jeune Athénien le blâme de ses parents, il fut déshérité par son père. Cette flétrissure, loin de l’abattre, ne fit que le relever. Jugeant, en effet, qu’il ne pouvait l’effacer que par de généreux efforts, il se livra tout entier aux affaires publiques, et s’appliqua avec un soin particulier à se faire des amis et à se créer une réputation. Il fréquentait surtout les tribunaux civils, et se montrait souvent aux assemblées du peuple. Aucune affaire de quelque importance ne se traitait sans qu’il y assistât ; il trouvait vite les expédients nécessaires, et savait les expliquer facilement. Et il n’était pas moins prompt à exécuter qu’à concevoir, parce que (selon l’expression de Thucydide), il appréciait le présent avec un discernement parfait, et n’était pas moins habile à tirer des conjectures pour l’avenir. Aussi ne tarda-t-il pas à s’illustrer.
Ce fut à l’occasion de la guerre de Corcyre, qu’il débuta dans le gouvernement. Le peuple lui ayant confié la conduite de l’expédition, il rendit Athènes plus belliqueuse, non-seulement pour cette guerre, mais pour l’avenir. En effet, comme il voyait les revenus que l’Etat tirait des mines se consumer inutilement, chaque année, par les largesses des magistrats, il persuada au peuple d’appliquer ces fonds à la construction d’une flotte de cent galères. Avec cette flotte, qui fut rapidement construite, il abattit d’abord les Corcyréens ; puis il poursuivit les pirates, et en purgea la mer. Par ces victoires, il enrichit les Athéniens, et leur fit acquérir en même temps une grande habitude de la guerre navale.
Version XXIV.
Comment le philosophe Socrate s’exerçait à la patience. §
24. Parmi les travaux volontaires et les exercices destinés à fortifier son corps contre toutes les épreuves qu’il peut avoir à souffrir, on cite encore cette pratique de Socrate. Il se tenait, dit-on, debout, en gardant constamment cette attitude, un jour et une nuit, depuis le lever de la lumière jusqu’à l’aurore suivante, les pieds fixés à la même place, le visage et les yeux tournés vers le même point, plongé dans la méditation, comme si sa pensée et son âme s’étaient isolées de son corps. Favorinus, qui parlait souvent de la force d’âme de ce philosophe, en étant venu à ce fait, « Souvent, dit-il, Socrate restait debout d’une aurore à l’autre, plus ferme qu’un tronc d’arbre. » Telle fut aussi, ajoute-t-on, sa tempérance, que sa vie se passa presque tout entière sans aucune altération dans sa santé. Pendant les ravages mêmes de cette peste, qui, dans la guerre du Péloponnèse, désola particulièrement la capitale de l’Attique par une épidémie meurtrière, on dit que ce philosophe, grâce à ses habitudes sobres et modérées, se garantit de l’atteinte corruptrice des passions, et conserva si bien sa santé, qu’il échappa complétement au fléau qui frappait tout le monde.
On rapporte encore que sa femme Xanthippe avait l’humeur fantasque et querelleuse à l’excès. Singulièrement surpris de ses emportements contre son époux, Alcibiade demanda à Socrate comment il ne chassait point de sa maison une femme si acariâtre : « C’est, répondit le philosophe, qu’en la supportant chez moi telle qu’elle est, je m’accoutume et je m’exerce à endurer aussi plus facilement la violence et les injures au dehors. »
Version XXV.
Quel doit être le caractère de l’avocat. §
25. Un avocat, en se chargeant de ce rôle, ne devra jamais avoir pour mobile le désir de la louange et de la renommée, bien moins encore l’espoir de la récompense et du gain. Loin {p. 225}de lui cette habitude de composer, comme les pirates, et cette odieuse spéculation de rançonner ceux qui sont en péril. S’il possède de quoi suffire à ses besoins (et ils sont bornés), il rougira de vendre ses services, et de ravaler par de sordides calculs l’importance d’un si grand bienfait. Il ne défendra que les gens de bien : jamais il ne prêtera sciemment son ministère à l’injustice, et ne souffrira pas que ce port tutélaire de l’éloquence soit ouvert par lui-même à des pirates.
Avant tout, il accordera tout le temps convenable aux personnes dont les intérêts lui seront confiés, quelque prolixes qu’elles soient dans l’exposé de leurs affaires : car il se rappellera que, si les détails superflus sont fastidieux à entendre, les détails nécessaires ne sauraient être supprimés sans péril ; aussi ne se laissera-t-il pas surcharger de plus de causes qu’il n’en peut soutenir parfaitement. Il étudiera par lui-même, avec une attention scrupuleuse, toutes les pièces du procès, et ne fera jamais intervenir dans cet examen la discrétion et les soins d’un tiers.
Jamais il n’abdiquera le rôle d’honnête homme pour celui d’un criailleur forcené et d’un aboyeur, pour cette éloquence hargneuse, pleine de propos amers et mordants, ignoble et brutale satisfaction, que nul auditeur (je parle des gens estimables) n’accueille avec plaisir, et que réclament souvent à toute force des plaideurs qui aiment mieux se venger que se défendre. Mais plutôt, s’il y a dans son sein quelque sentiment d’indépendance, l’idée de s’emporter en invectives, sous le bon plaisir d’un autre, révoltera son âme ; et, loin d’imiter ceux qui remplissent d’injures, souvent de calomnies, le vide de leurs causes, pour peu que leur esprit y trouve matière à briller, il ne reprochera point à ses adversaires même des vérités, à moins que l’intérêt de la cause ne rende ce moyen indispensable.
Version XXVI.
Ruine d’Albe. §
26. Déjà l’on avait détaché en avant la cavalerie, pour transporter à Rome la population d’Albe. On fit marcher ensuite les légions pour raser la ville. A leur entrée, on ne vit point cette agitation tumultueuse et cette épouvante qui règnent dans les villes prises, quand les portes ont été brisées, les murailles renversées avec le bélier, la citadelle emportée {p. 227}d’assaut, et que tout est confusion, cris des ennemis, gens armés courant dans les rues, le fer et la flamme à la main : tous les esprits étaient absorbés dans une muette douleur, dans un silence de consternation ; la crainte faisant oublier ce qu’il fallait laisser, ce qu’il fallait prendre, tous, les sens troublés, et s’interrogeant les uns les autres, tantôt ils restaient sur le seuil de leurs portes, tantôt ils erraient avec une sorte d’égarement dans toutes les parties de leurs maisons, pour les revoir cette fois encore, la dernière fois. Mais déjà les cris des cavaliers qui bâtaient le départ, devenaient plus pressants ; déjà ils entendaient le fracas des maisons qu’on démolissait aux extrémités de la ville ; et de cet éloignement un nuage de poussière était venu envelopper tous les objets : chacun se charge précipitamment de ce qu’il peut, et abandonne ces foyers, ces pénates, ce toit où il avait reçu le jour, où s’était élevée son enfance. Bientôt, les troupes d’expatriés, se rejoignant, avaient rempli les rues. En se revoyant les uns les autres, le sentiment réciproque de leur malheur renouvelait leurs larmes. On entendait aussi des cris lamentables, surtout ceux des femmes, lorsque, passant à côté des temples, objets de leur vénération, elles les voyaient investis de soldats, et laissaient leurs dieux, pour ainsi dire, prisonniers.
Tous les habitants avaient quitté la ville. Les Romains se répandent dans son enceinte, et rasent jusqu’au sol tous les édifices publics et privés. Albe subsistait depuis quatre cents ans : l’ouvrage de quatre siècles fut détruit en une heure. Cependant (comme le roi en avait donné l’ordre), on épargna les temples des dieux.
Version XXVII.
Quelques particularités sur la classe des Druides, chez les Gaulois. §
27. On croit que la doctrine des Druides a pris naissance dans la Bretagne, et qu’elle fut de là transportée dans la Gaule ; et aujourd’hui ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie, se rendent ordinairement dans cette [illisible chars][texte coupé]le pour y acquérir cette instruction.
Les Druides ne vont point à la guerre, et ne payent aucun des tributs imposés aux autres Gaulois ; ils sont exempts du service militaire et de toute espèce de charges. Séduits par de {p. 229}[illisible chars][texte coupé]si grands priviléges, beaucoup de Gaulois viennent à cette école de leur propre mouvement, ou y sont envoyés par leurs parents et leurs proches. Là, dit-on, ils apprennent un grand nombre de vers, et il en est qui passent vingt années dans cet apprentissage. Les Druides ont pour principe de ne pas confier ces vers à l’écriture, tandis que dans le reste généralement, dans les affaires publiques ou privées, ils se servent des caractères grecs. Deux raisons, ce me semble, leur ont fait établir cet usage : l’une est d’empêcher que leur science ne se répande dans le vulgaire ; et l’autre, que leurs disciples, se reposant sur l’écriture, ne négligent leur mémoire : car le secours qu’on tire des livres produit presque toujours ce résultat, qu’on s’applique moins à ce qu’on apprend, et que la mémoire y apporte moins de travail. Une croyance qu’ils cherchent surtout à établir, c’est que les âmes ne périssent point, et qu’après la mort, elles passent d’un corps dans un autre : cette idée leur paraît singulièrement propre à inspirer le courage, en rendant les esprits insensibles à la crainte de la mort.
Les astres et leurs mouvements, l’immensité de la terre et du monde, la nature des choses, la force et la puissance des dieux, tels sont encore les fréquents sujets de leurs discours, et les connaissances qu’ils transmettent à la jeunesse.
Version XXVIII.
Les villes maritimes se corrompent plus tôt que les villes situées dans l’intérieur des terres. §
28. Il y a dans les villes maritimes un esprit de corruption et une certaine mobilité d’habitudes. Elles sont en contact avec de nouvelles langues, de nouvelles idées. Le commerce y importe non-seulement des marchandises, mais aussi des mœurs étrangères : de sorte que les institutions du pays n’y subsistent jamais sans altération. D’abord, ceux qui habitent ces villes ne s’attachent pas à leurs foyers ; leurs pensées et leurs espérances volages les entraînent toujours bien loin de leur demeure ; et, lors même que leur corps est présent, leur imagination s’échappe néanmoins et voyage à l’aventure. Si Carthage et Corinthe, après une longue décadence, ont fini par tomber, rien n’a plus contribué à leur chute, que cette humeur vagabonde et cette dispersion de leurs citoyens, à qui l’amour du commerce et de la navigation avait fait abandonner la culture des champs et l’exercice des armes.
{p. 231}La mer fournit encore aux cités, par les prises ou les importations, beaucoup de pernicieux excitants pour le luxe ; et il y a déjà, dans le charme même des lieux, mille séductions de dépenses ou d’oisiveté, qui favorisent les passions. Et peut-être, ce que j’ai dit de Corinthe pourrait s’appliquer parfaitement à toute la Grèce. En effet, le Péloponnèse, est presque tout entier dans la mer ; et, hors du Péloponnèse, les Enianes, les Doriens, les Dolopes sont les seuls peuples éloignés de cet élément. Que dirai-je des îles de la Grèce ? Environnées d’une ceinture de flots, elles sont, pour ainsi dire, flottantes elles-mêmes avec les institutions et les mœurs de leurs cités. Et parmi les colonies que les Grecs sont allés fonder en Asie, en Thrace, en Italie, en Sicile, en Afrique, en est-il une seule, excepté Magnésie, que la mer ne baigne de ses eaux ? Ainsi la Grèce semble couronner comme d’une bordure les terres occupées par les barbares.
Version XXIX.
Caractère de L. Junius Brutus. §
29. Ce fut sous la tyrannie de Tarquin le Superbe que parut L. Junius Brutus, réservé pour cette époque par les destins, afin d’affranchir les Romains du joug pesant de la servitude. Doué d’un esprit supérieur, il sut aussi le dissimuler habilement au besoin. Tel était son empire sur lui-même, qu’il concentra, qu’il comprima longtemps son génie, et ne laissa point [illisible chars][texte coupé]aillir cette flamme avant le moment où elle dut éclater. Indifférent à ses propres intérêts, passionné pour l’intérêt public, à un grand cœur il joignait beaucoup de hardiesse et de prudence. Il connaissait à fond les ressorts des esprits, qu’il maniait à son gré. Il sut lui seul tenir tête à toute la famille royale, dont il provoqua le bannissement. Père, vengeur, gardien de la liberté, dont le sentiment était si vif dans son âme, qu’il étouffait tout autre sentiment, en attendant que le moment fût venu de la fonder, il avait renoncé à lui-même ; pour conserver son ouvrage, il cessa d’être père : ainsi l’amour de la liberté lui fit dépouiller tour à tour la raison et la pitié ; il lui sacrifia son collègue, ses enfants, sa vie, en affrontant la mort pour la défendre : le ciel l’avait fait naître, non-seulement pour jeter les fondements de la liberté, mais pour la conserver par son exemple. Ce fut comme le foyer qui alluma dans le {p. 233}cœur des Romains un si vif amour de la patrie, que, dans la suite, ils se firent un principe de la préférer à leurs plus chères affections, à leur existence même. Enfin, les destins de la liberté se trouvèrent singulièrement liés au nom de Brutus : c’est ce nom qui la commence et qui la finit : en naissant, elle eut un Brutus pour fondateur ; en périssant, ce fut encore un Brutus, son dernier vengeur, qu’elle entraîna dans sa tombe.
Version XXX.
Lettre de Pline le Jeune à un ami, touchant les funérailles de Virginius Rufus. §
30. Les funérailles de Virginius ont jeté un grand éclat sur le prince, sur son siècle, sur le barreau même et sur la tribune. Son éloge a été prononcé par le consul Corn. Tacite : car, pour mettre le comble à sa félicité, la bouche la plus éloquente a fait entendre son panégyrique ; et il est mort plein d’années et d’honneurs, je parle de ceux mêmes qu’il a refusés. Cependant nous devons le regretter comme un type des mœurs antiques, et sentir vivement sa perte, moi surtout qui le chérissais autant que je l’admirais, non-seulement aux mêmes titres que tout le monde, mais encore pour des motifs particuliers : d’abord, nous étions de la même province, de cités voisines, nos terres mêmes et nos propriétés se touchaient ; puis on me l’avait donné pour tuteur, et il me témoigna les sentiments d’un père. Ainsi, quand je fus candidat, il m’appuya de son suffrage ; ainsi, pour toutes les charges que je briguai, je le vis accourir des lieux où il faisait sa retraite, quoiqu’il eût depuis longtemps renoncé à rendre des devoirs de ce genre.
Pour ces raisons et pour d’autres, il faut que je déplore dans votre sein la mort de Virginius, comme une fin prématurée : si toutefois il est permis de pleurer, ou d’appeler une mort véritable, le changement où ce grand homme a plutôt cessé d’être mortel que de vivre : car il est vivant, et il vivra toujours, et il occupera plus de place dans le souvenir et dans les discours des hommes, maintenant qu’il a disparu à leurs yeux.
J’aurais voulu vous dire beaucoup d’autres choses, si mon âme n’était absorbée tout entière dans cette idée. C’est à Vir {p. 235}ginius que je pense, c’est Virginius que je vois, Virginius, qui n’est plus qu’une vaine image, mais une image encore vivante devant moi : je l’entends, je lui parle, je le tiens… Nous avons et nous aurons peut-être quelques citoyens qui égalent ses vertus, mais personne qui égale sa gloire.
Version XXXI.
Lecons des Muses. §
31. Tandis que ton esprit est encore tendre, applique-le avec ardeur aux Muses, et propose-toi dans tes lectures des exemples que tu imiteras bientôt ; ne cesse jamais de t’entretenir avec l’antiquité grecque et romaine. Passe en revue les capitaines des anciens temps ; accoutume-toi aux travaux guerriers que tu partageras un jour. Interroge le passé de Rome. Aimes-tu voir la liberté conquise ? Tu admireras Brutus. Condamnes-tu la perfidie ? Tu jouiras du chatiment de Métius. Une excessive rigueur te paraît-elle odieuse ? Déteste le caractère de Torquatus. Te semble-t-il beau de sacrifier ses jours ? Rends hommage au dévouement des Décius. Coclès arrêtant l’ennemi pendant qu’on coupe le pont, Mucius plongeant sa main dans les flammes, t’enseigneront ce qu’exécute un homme de cœur, lors même qu’il est seul ; Fabius te montrera ce qu’on obtient par des temporisations ; Camille, par l’extermination des Gaulois, ce que peut faire le général dans les circonstances critiques. Là, des exemples t’apprennent qu’aucun malheur ne fait tort à la gloire : la cruauté des Carthaginois assure à Régulus une éternelle renommée ; les revers de Caton sont supérieurs à des succès. Des exemples t’apprennent encore ce que peut l’honnête pauvreté : Curius était pauvre, quand il triomphait des rois sur le champ de bataille ; Fabricius était pauvre, quand il rejetait l’or de Pyrrhus. Le dictateur Serranus dirigea une grossière charrue ; les cabanes reçurent des licteurs, et les faisceaux furent suspendus à des portes de bois ; un consul récolta des moissons, et les champs furent longtemps sillonnés par un laboureur qui avait revêtu la trabée.
{p. 237}Version XXXII.
Éloge de la simplicité de Théodose. §
32. Dès votre avénement à l’empire, prince, non content de vous être mis vous-même hors de l’atteinte des vices, vous vous êtes encore appliqué à corriger ceux des autres, avec ménagement toutefois : vous sembliez plutôt engager au bien, que l’imposer de force. Et comme un long commerce avec l’Orient, ou la molle condescendance d’un grand nombre de princes vos prédécesseurs, avait tellement corrompu par le luxe une partie de la nation, que l’habitude de la licence, déjà fortement établie, devait, selon toute apparence, céder malaisément aux remèdes, pour que personne ne se crût victime d’une injustice, vous avez voulu vous soumettre le premier à la censure ; et, en réduisant les frais de la maison impériale, en bannissant la profusion dans les dépenses, que dis-je ? en vous accordant à peine le nécessaire pour votre entretien, vous avez fait ce qu’il y a naturellement de plus difficile : vous avez opéré une réforme sans contrainte. Quelqu’un pouvait-il trouver mauvais d’être ramené aux bornes où le prince se renfermait ? un sujet se plaindre qu’on retranchât quelque chose à son luxe, en voyant l’empereur, le chef de l’Etat, le maître de la terre et des hommes, vivre avec une sévère économie, souffrir longtemps la faim, puis se contenter d’une nourriture modique et semblable à celle du soldat ? en voyant votre maison tout entière, plus dure que les gymnases de Sparte, donner tant d’exemples de travail, de patience, de frugalité ; et personne qui osât commander pour la table du souverain un poisson de quelques parages lointains, un oiseau d’un climat étranger, une fleur d’une autre saison.
Car ces gens délicats, ces gens voluptueux (comme il s’en trouva souvent dans la république), croyaient vivre mesquinement, si leur luxe n’intervertissait les époques de l’année ; si, pendant les frimats, les roses ne flottaient dans leurs verres ; si, pendant les chaleurs, dans de larges coupes formées de pierres précieuses, la glace n’amortissait les feux du falerne. Que dis-je ? leur sensualité se trouvait encore à l’étroit dans cet empire. Votre table, prince, plus modeste que celle de vos sujets, ne vous offre que les produits des lieux et des saisons. Grâce à vous, la honte du luxe et le goût de l’économie se sont fortifiés dans tous les cœurs avec une sorte d’émulation, et, sans que les lois fissent entendre leurs menaces, {p. 239}[illisible chars][texte coupé]chacun a commencé en particulier à être mécontent de soi-même. Car, il en est ainsi : une réforme imposée ne fait que révolter les esprits : la plus douce invitation, c’est l’exemple.
Version XXXIII.
Bonheur des nations qui jouissent d’une monarchie héréditaire. §
33. Quelle fut, selon vous, la cause pour laquelle la puissance romaine, ce colosse qui porta si longtemps et si loin la terreur, tomba, dans un court espace de temps, brisée et réduite en poussière. C’est qu’on ne montrait aux peuples aucun héritier légitime, qui pût retenir dans le devoir les esprits de la multitude avides de changements, et mettre un frein aux cabales de ceux dont l’ambition aspirait au pouvoir suprême. Aussi les gens les plus audacieux, Thraces, Syriens, Illyriens, Espagnols, se frayaient un chemin à l’empire, comme à une proie abandonnée au pillage, chacun par des voies différentes, quelques-uns même en passant sur le cadavre de leur prédécesseur égorgé.
Cependant l’avénement d’un nouvel empereur était toujours le signal de nouvelles guerres au dehors, de nouveaux troubles au dedans : car l’empire manquait de force et de majesté. Ce pouvoir, c’était l’armée qui le conférait, comme par grâce ; et il fallait le payer d’une coupable indulgence et de son propre esclavage. On voyait donc, comme un corps dont les liens sont relâches, cette machine immense se dissoudre insensiblement ; on la voyait, ébranlée par de fréquentes secousses, s’entr’ouvrir, chanceler, s’écrouler enfin : tant la frêle existence d’un faible enfant, héritier du rang suprême, pèse plus pour le salut des plus puissants empires, que des flottes et des légions ! Né dans le palais, élevé sur les degrés du trône, nourrisson de ses sujets avant d’être leur roi, dès son enfance même, présenté aux peuples comme leur futur souverain, et, quand le temps est venu, succédant à son père, une majesté qui n’est point empruntée d’un titre récent, mais qui s’imprime sur sa personne presque à sa naissance, et que fortifie encore l’habitude de le voir, l’environne et lui prête un nouvel éclat.
{p. 241}Version XXXIV.
Pline à Sosius Sénécion, salut. §
34. Cette année a été féconde en poëtes. Pendant tout le mois d’avril, il ne s’est passé presque aucun jour où quelque auteur ne fit une lecture publique. J’aime à voir les études fleurir, les hommes de talent prendre l’essor et se montrer, malgré le peu d’empressement qu’on met à les entendre. La plupart restent assis dans les promenades, et passent en frivoles causeries le temps où ils devraient écouter ; ils se font annoncer de temps en temps si l’auteur est entré, s’il a dit le prologue, s’il est avancé dans sa lecture : puis enfin ils se décident à venir, mais alors même lentement et comme à regret ; et ils ne restent pas jusqu’au bout, ils s’en vont avant la fin, les uns en s’esquivant furtivement, les autres sans cérémonie, et tête levée. Mais voyez ce qui se passait du temps de nos pères : on rapporte que Claudius César, se promenant dans son palais, et ayant entendu un bruit d’acclamations, en demanda la cause : comme on lui dit que c’était Nonianus qui faisait une lecture, il vint subitement, et sans être attendu, se mêler à son auditoire. Aujourd’hui, les gens les moins occupés, qu’on a invités longtemps d’avance, et auxquels on a rappelé plusieurs fois l’invitation, ne s’y rendent pas, ou, s’ils viennent, c’est en se plaignant d’avoir perdu leur journée, parce qu’ils ne l’ont pas perdue. Mais ils n’en méritent que plus d’estime et d’éloges, ceux que cette indifférence ou ce dédain des auditeurs ne dégoûte pas d’écrire et de lire publiquement leurs productions. Quant à moi, je n’ai manqué presque à aucune lecture. Du reste, la plupart des auteurs étaient mes amis. Voilà ce qui a prolongé mon séjour à Rome au delà du terme que j’y avais fixé. Je puis maintenant regagner ma retraite, et composer quelque chose, sans en donner lecture : je ne voudrais pas paraître avoir prêté mon attention, plutôt que l’avoir donnée, à ceux qui m’ont vu parmi leurs auditeurs. En effet, dans les obligations de ce genre, comme dans tout le reste, on perd ses droits à la reconnaissance, du moment qu’on les fait valoir.
{p. 243}Version XXXV.
Devoir du maître. §
35. Le maître doit, avant tout, prendre les sentiments d’un père envers ses disciples, et se figurer qu’il remplace ceux qui [illisible chars][texte coupé]ui confient leurs enfants. Qu’il soit lui-même exempt de vices, et qu’il n’en supporte pas. Que sa gravité ne soit pas chagrine, que son affabilité n’ait point trop d’abandon : d’un côté, il exciterait la haine ; de l’autre, le mépris. Que l’honneur et la vertu soient souvent l’objet de ses discours : car plus il multipliera les conseils, moins il usera des punitions. Qu’il ne s’emporte jamais, sans déguiser pourtant les fautes qui devront être relevées. Simple dans son enseignement, patient au travail, qu’il y mette plutôt de l’assiduité que de l’excès. Qu’il aime à répondre aux questions ; qu’il soit le premier à interroger ceux qui ne lui en font pas. Pour les compositions de ses disciples, qu’il ne soit ni avare, ni prodigue d’éloges : dans le premier cas, on leur inspire le dégoût du travail ; dans le second, une sécurité qui ralentit leurs efforts. Que, dans les corrections, son langage n’ait rien d’amer, ne se permette aucune injure : car ce qui fait justement que beaucoup d’esprits prennent l’étude en aversion, c’est que les réprimandes de quelques maîtres semblent dictées par la haine. C’est alors surtout qu’il faut se montrer aimable, pour rendre plus doux, en l’appliquant d’une main délicate, ce qui est rude naturellement : il faut louer certaines choses, en supporter d’autres, [illisible chars][texte coupé]es changer encore, en expliquant la raison de ce changement, les faire ressortir en y mêlant du sien.
On doit varier les corrections selon les âges, et mesurer le travail, régler la critique en proportion de leurs forces.
Que le maître fasse entendre tous les jours, de sa propre bouche, beaucoup de choses que ses auditeurs emporteront avec eux. En effet, quoique la lecture leur offre assez d’exemples à imiter, cependant la parole, cette parole vivante, comme on dit, est une nourriture plus substantielle, et surtout celle d’un maître que ses disciples, pour peu qu’ils soient bien élevés, entourent d’affection et de respect.
{p. 245}Version XXXVI.
L’âme doit commander, et le corps, obéir. §
36. Tout homme qui prétend l’emporter sur les animaux, doit faire les plus grands efforts pour ne point passer ses jours dans l’oubli, comme les brutes que la nature a faites courbées vers la terre, et assujetties à leurs instincts matériels. Or toute notre force, à nous, réside dans l’âme et dans le corps ; c’est plutôt l’âme qui commande, le corps qui obéit ; la première nous est commune avec les dieux, l’autre, avec les bêtes. Aussi me semble-t-il convenable de chercher la gloire plutôt à l’aide de notre intelligence que de nos forces, et, puisque cette existence dont nous jouissons est déjà courte, de laisser de nous le souvenir le plus long possible : car la gloire des richesses et de la beauté est frêle et passagère, la vertu brille d’un éclat immortel.
Cependant une foule d’hommes, esclaves de leur ventre et du sommeil, ont coulé leurs jours dans une grossière ignorance, en traversant la vie comme des voyageurs ; et, contre le vœu de la nature assurément, leur corps a été, pour eux, un objet de volupté, leur âme, un fardeau. Pour ma part, je ne mets aucune distinction entre leur vie et leur mort, puisqu’on se tait sur l’une et sur l’autre. Mais celui-là seul me paraît vivre et jouir de son âme, qui, appliqué à quelque travail, cherche la renommée dans des actions éclatantes, ou dans un beau talent.
Toutefois, dans cette grande multitude de choses, la nature montre à chacun une voie différente. Il est beau de bien servir la république ; le talent de bien dire à son prix également. On peut se distinguer dans la paix, comme dans la guerre. Beaucoup de gens sont cités avec honneur, les uns, pour leurs exploits, les autres, pour les récits qu’ils en ont faits. La seule chose qui ne soit permise à personne, c’est de se manquer à soi-même, et de s’abandonner à une lâche indolence.
{p. 247}Version XXXVII.
Discours de Charles-Quint, roi d’Espagne, à Philippe II son fils, en abdiquant la couronne. §
37. Si c’était ma mort qui vous eût mis en possession de ces provinces, j’aurais quelque titre à la reconnaissance de mon fils, en lui laissant un patrimoine si florissant, et si considérablement accru par mes soins. Aujourd’hui que cet héritage vous est échu, non par les lois de la nature, mais par ma propre volonté ; aujourd’hui qu’il a plu à votre père d’avancer sa mort, afin d’en avancer pour vous les fruits, tout ce que vous me devez de plus pour ce temps dont je vous fais jouir par anticipation, je vous demande, et j’en ai le droit, de le reporter en amour et en sollicitude sur les peuples que je vous confie. Les autres monarques se félicitent d’avoir donné la vie à des fils, et de prévoir qu’ils leur légueront un jour la couronne. Moi, j’ai voulu ravir au destin ce don posthume, jugeant que ce serait pour moi une double satisfaction, si je vous voyais, de mon vivant, régner par moi, comme c’est de moi que vous tenez l’existence.
Cet exemple aura peu d’imitateurs : à peine ai-je trouvé moi-même, dans tous les siècles précédents, un modèle que je pusse suivre ; mais on louera ma résolution, sitôt qu’on vous reconnaîtra digne d’être le premier en qui fût donné cet exemple. Or vous obtiendrez ce témoignage, si vous demeurez toujours fidèle à la sagesse, que vous avez pratiquée jusqu’à ce jour, à la crainte du souverain maître de l’univers ; si vous vous montrez le défenseur de la religion catholique, le soutien de la justice et des lois, véritables fondements des Etats.
Il me reste à faire un dernier vœu, le vœu d’un père : c’est que vous voyiez grandir sous vos yeux un fils en faveur duquel vous puissiez abdiquer la couronne, mais qui ne vous y oblige pas.
Version XXXVIII.
L’homme est injuste appréciateur des présents du ciel. §
38. Voyez comme les présents du ciel sont injustement appréciés, même par certains individus qui font profession de sagesse. Ils se plaignent de ce que nous n’égalons pas les élé {p. 249}phants en grandeur, les cerfs en vitesse, les oiseaux en légèreté, les taureaux en vigueur ; de ce que les animaux de grande taille ont la peau plus ferme, les daims, plus belle ; les ours, plus fourrée ; les castors, plus souple ; de ce que les chiens l’emportent sur nous par la finesse de l’odorat, les aigles, par l’éclat perçant de leur regard, les corbeaux, par la durée de leur vie, beaucoup d’animaux, par leur aptitude à nager. Et lorsque déjà la nature ne permet pas que certains avantages se trouvent réunis, comme la force et la vitesse, ils crient à l’injustice, parce que l’homme ne rassemble pas en lui des qualités opposées et incompatibles entre elles ; ils taxent les dieux d’insouciance à notre égard, ils les querellent de ce qu’ils ne nous ont pas donné une santé robuste et un courage indomptable, de ce qu’ils ne nous ont pas donné la science de l’avenir ; peu s’en faut que leur impudence n’aille jusqu’à maudire la nature, de ce que nous nous trouvons au-dessous des dieux, de ce que nous ne sommes pas leurs égaux.
Qu’il vaut mieux revenir à la contemplation de tant de bienfaits, et leur rendre grâces pour nous avoir donné la seconde place dans ce magnifique séjour, pour nous avoir faits rois de la terre ! On nous compare ces animaux dont nous sommes maîtres ? Tout ce que nous n’avons pas obtenu, ne pouvait nous être accordé. Ainsi donc, qui que tu sois, injuste appréciateur de la condition humaine, songe quels bienfaits nous avons reçus de notre père, comme nous avons mis sous le joug des animaux plus forts, comme nous en atteignons de plus agiles, comme il n’est rien de mortel qui ne se trouve à portée de nos coups. Songe à toutes ces vertus, à ces capacités qui nous sont départies, à cette âme enfin, cette âme à laquelle toutes choses sont ouvertes, au moment même où elle y porte sa pensée… Nous avons obtenu beaucoup : nous ne pouvions tenir davantage.
Version XXXIX.
Importance de l’action dans les plaidoyers. Q. Hortensius, Démosthène, Eschine, cités à l’appui de cette assertion. §
39. Q. Hortensius, qui regardait la grâce des mouvements corporels comme le moyen le plus puissant, s’étudiait presque plus à les composer qu’à rechercher l’éloquence même du {p. 251}langage. Et l’on ne saurait dire ce qui attirait le plus la foule à ses plaidoyers, le désir de l’entendre, ou celui de le voir : tant les paroles de l’orateur étaient secondées par l’aspect de sa personne, et l’aspect, par les paroles ! Aussi est-ce un fait constant, qu’Esopus et Roscius, ces deux acteurs consommés dans leur art, assistaient souvent à ses plaidoyers, afin d’enrichir la scène de gestes empruntés au barreau.
Démosthène en jugeait de même. On lui demandait quelle était l’arme la plus puissante de l’orateur : « L’action, » répondit-il. On répéta cette question plusieurs fois, il fit toujours la même réponse, reconnaissant qu’il devait à l’action presque tous ses succès. Aussi rien de plus juste que ce mot d’Eschine. Forcé de quitter Athènes, après le procès qui avait tourné à sa honte, il s’était retiré à Rhodes. Un jour, à la demande des habitants de cette ville, il débita, d’une voix sonore et harmonieuse, d’abord son discours contre Ctésiphon, ensuite la défense du même Ctésiphon par Démosthène. Tout l’auditoire admirait l’éloquence des deux plaidoyers, mais les louanges étaient un peu plus vives pour celui de Démosthène : « Que serait-ce donc, leur dit Eschine, si vous l’aviez entendu lui-même ! » Un si grand orateur, un ennemi naguère si ardent, appréciait le génie de son adversaire, la vigueur et le feu de son éloquence, jusqu’à se déclarer lui-même inhabile à lire ses ouvrages : il connaissait par expérience l’énergique vivacité de ses regards, la terrible majesté de son visage, le ton de sa voix assorti à chacune de ses paroles, et les mouvements expressifs de son corps. Aussi, quoiqu’on ne puisse rien ajouter à ce chef-d’œuvre, il manque néanmoins aujourd’hui à Démosthène une grande partie de lui-même : on le lit, mais on n’entend point l’orateur.
Version XL.
Le poëte déclame contre la cupidité de son siècle. §
40. A peine déjà, sous le règne de Saturne, trouvait-on un mortel pour qui le gain n’eût point de charmes. Le temps n’a fait qu’accroître cette passion des richesses, aujourd’hui portée {p. 253}à son comble, et qui n’a plus de point au delà duquel elle puisse aller désormais. L’or est plus estimé que dans ces âges antiques où le peuple était pauvre, où Rome commençait ; alors qu’une humble cabane suffisait au fils de Mars, à Quirinus, et que les joncs du fleuve formaient sa couche grossière. Jupiter tenait à peine tout entier dans un temple étroit ; et dans la main de Jupiter la foudre était d’argile. On parait de feuillage ce Capitole où étincellent aujourd’hui les pierres précieuses ; le sénateur faisait paître lui-même ses brebis. Mais quand la fortune de Rome eut pris l’essor, quand cette ville eut porté jusqu’aux cieux son front superbe, on vit croître les richesses et la passion des richesses poussée jusqu’à la fureur ; ce qu’on possède est immense, et les désirs vont encore plus loin ; c’est à qui amassera pour prodiguer, c’est à qui amassera de nouveau pour combler le vide de ses prodigalités, et les vices ne font que s’alimenter en se succédant. Ainsi, dans cette maladie où le ventre se gonfle d’eaux intérieurement épanchées, plus on boit, plus on veut boire encore. Aujourd’hui l’or seul a du prix ; la fortune donne les honneurs, la fortune donne les amis ; partout le pauvre reste dans la poussière.
Version XLI.
Tibère Néron se retire dans l’île de Rhodes, et y fait sa société des astrologues. §
41. Auguste régnait encore, quand Tibère Néron, qui avait déjà rempli un grand nombre de magistratures, prétextant la satiété des honneurs et le désir de se reposer de ses fatigues (quoique les motifs de cette résolution soient rapportés diversement), demanda la permission de s’éloigner. Les prières suppliantes de sa mère, celles de son beau-père, qui se plaignit même en plein sénat d’être abandonné, le trouvèrent inébranlable. Ayant obtenu enfin cette permission, il se rendit sur-le-champ à Ostie, sans répondre par un seul mot à ceux qui l’accompagnaient, et n’ayant donné qu’à un très-petit nombre de personnes le baiser d’adieu. Il s’embarqua dans ce port, quoique la mer fût mauvaise, ou peu s’en fallait, et passa à Rhodes. Cette île l’avait séduit par la beauté des sites et la {p. 255}salubrité du climat. Dans cette retraite, il se contenta d’une maison modeste à la ville, et d’une habitation dans les faubourgs, qui n’était guère plus spacieuse que la première ; puis il se fit un plan de vie où la société des astrologues avait la plus grande part. On dit que Thrasylle lui avait enseigné les principes de l’astrologie.
Chaque fois qu’il prenait conseil pour quelque affaire, il montait sur le faîte de sa maison, et ne se confiait qu’à un affranchi. C’était un homme vigoureux, et tout à fait ignorant. Il conduisait, par des détours escarpés (car la maison était bâtie sur des rochers), celui dont Tibère avait dessein d’éprouver la science ; et au retour, si l’astrologue était soupçonné par le maître d’ignorance ou d’imposture, il le précipitait du haut des rochers dans la mer. Thrasylle, amené par ce même chemin, et interrogé par Tibère, l’avait vivement frappé, en lui révélant avec habileté sa future élévation à l’empire. Tibère lui demanda s’il avait tiré aussi son propre horoscope. Thrasylle, après avoir calculé la position et les distances des astres, hésite d’abord, puis il donne des signes de frayeur ; et plus il lisait dans les astres, plus il manifestait de surprise et de crainte. Enfin il s’écrie qu’un danger le menace, un danger incertain, mais peut-être capital. Alors Tibère l’embrasse, le félicite d’avoir pressenti ses dangers, le rassure pour l’avenir ; et, prenant ses paroles pour un oracle, il l’admet dans son intimité.
Version XLII.
Discours de Callisthène contre la proposition de rendre à Alexandre les honneurs divins. §
42. On fit silence, et Callisthène, dont la vive franchise déplaisait au roi, comme si les Macédoniens, disposés sur ce point à l’obéissance, n’étaient arrêtés que par lui, Callisthène, voyant tous les yeux fixés sur lui seul : « Si le roi, dit-il, eût été présent à ton discours, on n’aurait besoin d’aucun organe pour te répondre : car il te prierait lui-même de ne pas le forcer à dégénérer en adoptant des coutumes étrangères, et de ne pas donner, par une telle adulation, un odieux caractère aux plus heureux succès. Mais, puisqu’il est absent, c’est moi {p. 257}qui te réponds pour lui, que jamais fruits précoces ne peuvent être de longue durée, et qu’au lieu d’assurer au roi les honneurs divins, tu les lui ravis : car il faut du temps pour qu’on le croie dieu ; et cette marque de reconnaissance est toujours donnée aux grands hommes par la postérité. Quant à moi, je souhaite que l’immortalité vienne tard pour le roi, afin que sa vie soit longue, et sa majesté éternelle. L’apothéose suit l’homme quelquefois, jamais elle n’est avec lui. Tu nous citais tout à l’heure l’exemple d’Hercule et de Bacchus transportés au rang des immortels : crois-tu qu’il n’ait fallu, pour assurer leur divinité, qu’un décret rendu dans un festin ? La nature les a emportés loin des regards humains, avant que la renommée les plaçât dans le ciel. Quoi donc ? toi, Cléon, et moi, nous faisons des dieux ? C’est de nous que le roi tiendra le titre de sa divinité ? Je veux mettre ta puissance à l’épreuve : fais un roi, si tu peux faire un dieu ; il est plus facile de donner l’empire que le ciel. Puissent les dieux propices avoir entendu sans indignation les paroles de Cléon, et permettre que nos affaires continuent de suivre leur cours ! Puissent-ils consentir que nous nous en tenions à nos usages ! Je ne rougis point de ma patrie ; et pour savoir comment je dois honorer le roi, je n’ai pas besoin de l’apprendre des vaincus, que je reconnais pour vainqueurs, si c’est d’eux que nous recevons des lois pour régler notre façon de vivre. »
Version XLIII.
Il faut choisir des amis, autant que possible, exempts de passions. §
43. Rien ne charme autant l’âme qu’une amitié tendre et fidèle. Quel bonheur de trouver des cœurs bien préparés, où tout secret puisse descendre en sûreté, auxquels on craigne moins de se confier qu’à soi-même, dont les entretiens calment vos inquiétudes, dont l’avis fixe votre irrésolution, dont l’enjouement dissipe votre tristesse, dont la vue seule vous réjouisse !
Mais ces amis, nous les choisirons, autant que possible, exempts de passions. En effet, les vices s’insinuent, passent de proche en proche, et corrompent par le contact. Aussi, de même que, dans une peste, il faut prendre garde de s’asseoir auprès des corps que le mal a déjà frappés, et qu’il consume de ses atteintes, car ce serait appeler le danger, et leur souffle seul nous communiquerait la contagion : de même, dans le {p. 259}choix de nos amis, nous ferons en sorte de nous attacher, autant que possible, les cœurs les plus purs. La maladie commence par le mélange des gens sains et des malades.
Ce n’est pas que je vous recommande de ne suivre, de n’attirer vers vous personne que le sage : où trouver en effet celui que nous cherchons depuis tant de siècles ? Le meilleur, c’est le moins mauvais. A peine vous serait-il permis de faire un choix plus heureux, si vous cherchiez des hommes de bien parmi les Platon, les Xénophon, et cette génération enfantée par Socrate ; ou si vous pouviez prendre dans ce siècle de Caton, qui produisit des hommes dignes, pour la plupart, de naître au temps de Caton, mais beaucoup d’autres aussi les plus méchants qu’on eût vus jusqu’alors, et les artisans des plus noirs forfaits. Aujourd’hui que les gens de bien sont si rares, nous devons être moins difficiles dans notre choix.
Version XLIV.
Origine des Épigones. §
44. Cependant l’indignation était universelle dans le camp : Alexandre dégénérer de son père Philippe, au point d’abjurer jusqu’au nom de sa patrie, et d’adopter les mœurs des Perses, ces mœurs auxquelles il devait de les avoir vaincus ! Mais, pour ne point paraître s’asservir seul aux vices du peuple que ses armes avaient dompté, il permit à ses soldats de prendre pour femmes celles qu’ils voulaient parmi leurs captives : il espérait affaiblir en eux le désir de revoir leur patrie, en leur faisant trouver au sein de son camp une image des pénates et du foyer domestique, et alléger pour eux les fatigues de la guerre par les charmes de cette union. Il songeait d’ailleurs que les recrues cesseraient d’épuiser la Macédoine, quand les vétérans seraient remplacés par des fils élèves de leurs pères, qui serviraient dans les retranchements où ils auraient vu le jour, et qui se lasseraient moins de combattre, si le camp avait été, non-seulement leur école, mais encore leur berceau. Cet usage subsista sous les successeurs d’Alexandre. Il pourvut donc à l’entretien des enfants ; il fournit aux jeunes gens des armes et des chevaux ; il assigna aux pères des récompenses proportionnées au nombre de leurs fils. Les orphelins continuaient à recevoir la solde de leurs pères morts au champ de {p. 261}bataille. Leur enfance, se passant au milieu de toute sorte d’expéditions, était toute militaire. Aussi, dès l’âge le plus tendre, endurcis aux dangers et aux fatigues, ils formèrent une armée invincible, et le camp fut toujours pour eux une patrie ; le combat, une victoire. Cette génération reçut le nom d’Epigones.
Version XLV.
Regrets sur la mort du navigateur Dumont d’Urville. §
45. Dans cette affreuse catastrophe, qui touche tant de familles, et qui fera couler tant de larmes, peut-être n’est-il pas permis, sans être injuste pour les autres victimes, de déplorer le sort d’un seul homme, d’arrêter sur lui seul nos regrets. Toutefois en est-il un parmi nous, s’il s’intéresse aux sciences naturelles et à la gloire de son pays, en est-il un, qui, à la nouvelle de cette récente calamité, après avoir partagé comme citoyen la publique affliction, puisse s’empêcher de te donner particulièrement des larmes, à toi, commandant de l’Astrolabe et de la Zélée, qui as reconnu toutes les mers, tous les continents, tous les peuples ? Ainsi donc, homme de tant de cœur et de tant de génie, tu résistais à tous les climats, tu as fait deux fois le tour du monde, tu as traversé ces régions où règnent les tempêtes ou les ardeurs dévorantes du soleil de l’équateur, et pénétré jusqu’à ces pics éternels de glace, qui sont comme les bornes de la nature ; et ces contrées que tu avais parcourues, tu les as retracées dans une savante et majestueuse description, pour venir, hélas ! après tant de travaux, tant de dangers, mourir dans ta patrie, pendant un trajet si court, et, ce qu’il y a de plus affreux, un jour de fête ! Mourir presque aux portes de la capitale, avec ta famille, victime du plus horrible trépas ! Ces derniers jours n’avaient-ils pas moissonné assez d’existences, et d’illustres personnages ? O Dieu ! quand cesseras-tu d’exercer sur nous ta colère (pardonne-moi ce langage !), et de surprendre dans leur carrière les meilleurs citoyens ? Peu s’en faut que cette nation, frappée de si terribles secousses, et si cruellement décimée, ne s’attende à un avenir plus triste encore que le présent.
{p. 263}Version XLVI.
Portrait d’Annibal. §
46. Annibal, envoyé en Espagne, n’y fut pas plutôt arrivé, qu’il fixa sur lui les regards de toute l’armée. Les vieux soldats s’imaginaient revoir leur Amilcar dans sa jeunesse : c’était la même vigueur empreinte sur sa figure, la même vivacité dans les yeux ; c’était l’air, les traits d’Amilcar qu’ils contemplaient. Mais bientôt il se comporta de telle sorte, que son père fut son moindre titre pour se concilier leur faveur. Jamais homme ne montra plus d’aptitude pour deux rôles bien opposés, celui de l’obéissance, et celui du commandement. A une audace extrême pour affronter le péril, il joignait autant de sang-froid et de ressources dans le péril même. Nulle fatigue ne pouvait lasser son corps, ou triompher de son courage. Il supportait également le froid et le chaud. Il avait pour règle, dans ses repas, de satisfaire le besoin de la nature, et non de flatter les sens. Pour veiller, pour dormir, il ne mettait point de distinction entre le temps du jour et celui de la nuit. Si les affaires lui laissaient quelques heures, il les donnait au repos ; et pour se procurer le sommeil, il ne lui fallait ni duvet, ni silence : on le vit souvent, sans autre couverture qu’une casaque de soldat, couché sur la dure au milieu des sentinelles et des corps de garde. Ses vêtements n’avaient rien qui le distinguât des jeunes gens de son âge : c’étaient ses armes et ses chevaux qu’on remarquait. Il était, sans contredit, le meilleur cavalier et le meilleur piéton de l’armée ; il allait le premier au combat, et en revenait le dernier.
Ces qualités éminentes étaient balancées par de grands vices : une cruauté brutale, une mauvaise fois plus que punique, nulle franchise, nuls principes, nulle crainte des dieux, nul respect du serment, nulle religion.
Ce fut avec ce mélange de vices et de vertus, qu’il servit trois ans sous les ordres d’Asdrubal, ne négligeant rien de ce qu’il devait pratiquer et voir faire, pour devenir lui-même un grand capitaine.
{p. 265}Version XLVII.
Les quatre âges du peuple romain. §
47. Le peuple romain a promené ses armes si loin dans l’univers, qu’en lisant ses annales, ce n’est pas l’histoire d’une seule nation qu’on apprend, mais celle du genre humain. Aussi, quoiqu’il importe de connaître, chacun en particulier, tous les faits principaux, comme ils se font mutuellement obstacle par leur grandeur, et que la diversité des objets émousse l’attention, j’imiterai ceux qui peignent les contrées de la terre : j’embrasserai dans un cadre étroit le tableau entier de l’empire ; et je ne laisserai pas, je l’espère, d’ajouter à l’admiration qu’inspire le peuple roi, si je réunis également sous un coup d’œil l’ensemble de sa grandeur.
Si donc l’on considère le peuple romain comme un seul homme, si, envisageant toute sa durée, on le voit commencer, grandir, arriver, pour ainsi dire, à la fleur de la jeunesse, puis à une sorte de déclin, on trouvera dans son existence quatre phases, quatre périodes qui la partagent.
Son premier âge se passa sous les rois, et remplit à peu près l’espace de deux cent cinquante années, pendant lesquelles il lutta, seulement autour de son berceau, contre les nations voisines. Ce sera là son enfance.
L’âge suivant, depuis le consulat de Brutus et de Collatin, jusqu’à celui d’Appius Claudius et de Quinctus Fulvius, comprend deux cent cinquante années, pendant lesquelles il subjugua l’Italie.
De là, jusqu’à César Auguste, s’écoulèrent deux siècles, qu’il employa à ranger sous ses lois l’univers. C’est alors véritablement la jeunesse de l’empire, et, en quelque sorte, sa robuste maturité.
Depuis César Auguste jusqu’à nos jours, on ne compte guère moins de deux cents ans, pendant lesquels l’inertie des Césars l’a réduit, pour ainsi dire, au dépérissement, à la consomption de la vieillesse. Cependant Trajan règne, et ce vieil empire agite ses bras, et il semble, contre l’attente universelle, avoir repris sa jeunesse et sa verdeur.
{p. 267}Version XLVIII.
Des Abeilles. §
48. Parmi tous les insectes, les abeilles tiennent le premier rang ; plus que tous les autres, elles ont droit à notre admiration, puisqu’elles sont les seuls animaux de ce genre qui aient été créés pour l’homme. Elles composent le miel, le plus doux, le plus subtil, le plus salubre de tous les sucs ; elles fabriquent les rayons et la cire, qui nous servent à une infinité d’usages ; elles supportent le travail, exécutent des ouvrages, ont un Etat constitué, des conseils à l’intérieur, des chefs au dehors, et, ce qui est le plus merveilleux, une morale et des principes. Enfin, quoiqu’elles ne soient ni domestiques ni sauvages, telle est pourtant la puissance de la nature, que d’un avorton, de l’ombre d’un animal, elle a su former un chef-d’œuvre incomparable. Quels nerfs mettrez-vous de pair avec cette activité si féconde, si industrieuse ? Oui, quelles forces égalent leur intelligence ? Elles ont du moins sur nous cet avantage, que tout ce qu’elles savent est mis en commun.
Elles se retirent pendant l’hiver : en effet, où prendraient-elles la force de résister aux frimats, aux neiges, au souffle des aquilons ? Je sais que tous les insectes se renferment, mais moins longtemps : réfugiés dans les parois de nos habitations, ils se réchauffent de bonne heure. Les abeilles ne reparaissent pas au retour du printemps : elles sortent pour reprendre leurs travaux, avant la floraison des féves ; et, tant que le ciel le permet, elles ne perdent aucun jour dans l’inaction. Elles commencent par construire les rayons et fabriquer la cire, c’est-à-dire, elles s’occupent de leurs maisons et de leurs cellules, ensuite de la reproduction, et, après cela, du miel. La cire s’extrait des fleurs, la matière mielleuse se tire de la gomme des arbres onctueux. Ces substances leur servent comme de vernis, pour revêtir l’intérieur de la ruche, avec d’autres sucs plus amers qui la défendent contre l’avidité des autres insectes : car elles savent qu’elles vont faire un ouvrage qui peut exciter des convoitises.
{p. 269}Version XLIX.
Des Abeilles. (Suite.) §
49. Voici l’ordre du travail : pendant le jour, les portes sont gardées, comme celles des camps ; la nuit, tout repose jusqu’au matin : alors une d’elles fait entendre deux ou trois bourdonnements : c’est la trompette qui sonne le réveil. Aussitôt elles s’envolent toutes à la fois, si la journée doit être douce : car elles pressentent les vents et les orages, et alors elles se tiennent dans la ruche. Mais, lorsque, par une belle journée, qu’elles savent aussi prévoir, la troupe est sortie pour le travail, les unes ramassent des fleurs avec leurs pieds, les autres emplissent leur trompe d’eau, et en imbibent les poils dont tout leur corps est couvert. Ce sont les jeunes qui vont au dehors, et qui voiturent ces approvisionnements ; les vieilles travaillent dans l’intérieur. Celles qui apportent les fleurs se servent de leurs pieds de devant pour charger leurs cuisses, que, dans cette vue, la nature a faites raboteuses, et de leur trompe pour charger leurs pieds antérieurs. Le fardeau ainsi distribué sur toutes les parties du corps, elles reviennent ployant sous le faix.
A mesure qu’elles arrivent, trois ou quatre les reçoivent et les déchargent ; car, dans l’intérieur aussi, chacune a sa fonction déterminée. Les unes bâtissent, les autres polissent, d’autres servent les ouvrières, d’autres enfin apprêtent pour le repas quelques-unes des provisions qui ont été apportées : en effet, elles ne mangent pas séparément. Celles qui voiturent les fardeaux s’étudient à prendre le vent. S’il survient un orage, elles saisissent de petits graviers qui leur servent de contre-poids. Dans les vents contraires, elles volent terre à terre, en évitant les buissons. Admirables dans leur surveillance, elles signalent les paresseuses, les châtient sans retard, et les punissent de mort. Admirables dans leur propreté, elles enlèvent tout de la ruche, et il ne reste point d’immondices au milieu des travaux. On les dépose dans un lieu commun, pour les transporter au dehors, quand le mauvais temps condamne à l’inaction. A la fin du jour, le bruit diminue de plus en plus, jusqu’à ce que l’une d’elles voltige autour de la ruche, avec un bourdonnement pareil à celui du matin ; elle semble donner l’ordre du repos : c’est encore ce qui se fait dans les camps. A ce signal, il s’établit tout à coup un silence universel.
{p. 271}Version L.
Eloge de la clémence de Jules César, prononcé par Cicéron. §
50. Il n’est point d’imagination si riche, point d’éloquence d’orateur ou d’écrivain si puissante et si féconde, qui soit capable, César, je ne dirai pas d’embellir, mais de raconter vos exploits. Cependant j’ose affirmer (et permettez-moi ce langage) que, parmi ces titres de gloire, il n’en est aucun de supérieur à celui que vous avez obtenu aujourd’hui. Souvent je me représente à l’esprit, et je me plais à répéter dans les entretiens de chaque jour, cette vérité, que tous les hauts faits de nos généraux, des nations étrangères, des peuples les plus puissants, des monarques les plus fameux, à considérer la grandeur des intérêts, le nombre des combats, la variété des pays, la célérité de l’exécution, et la diversité des guerres, ne sauraient entrer en comparaison avec les vôtres ; enfin, que les pas d’aucun voyageur n’ont pu traverser avec plus de vitesse les régions séparées par les plus longs intervalles, que vous ne les avez parcourues par vos rapides évolutions, ou plutôt, par vos victoires.
Ces exploits sont tels, que la pensée, que l’imagination ont peine à les concevoir ; ce serait folie à moi de le méconnaître : toutefois il est des choses plus grandes encore. En effet, les succès militaires ont habituellement leurs détracteurs, qui en retranchent une portion aux généraux, qui multiplient les parts, afin qu’ils ne demeurent pas la propriété de ceux qui commandent. Et soyons vrais, les armes doivent beaucoup à la bravoure des soldats, à l’avantage des positions, aux secours des alliés, aux flottes, aux convois. La fortune surtout réclame comme son droit la plus grande part à l’action ; et, quel que soit le succès, elle le revendique presque tout entier comme son ouvrage.
Mais du moins cette gloire que vous venez d’acquérir, personne, César, ne la partage avec vous. Centurion, préfet, cohorte, escadron, nul ne s’attribue un fleuron de cette couronne.
{p. 273}Version LI.
Les recrues militaires doivent être tirées de la campagne, et exercées assiduement. §
51. Si l’on demande quelles sont les meilleures recrues pour le service militaire, de celles des champs ou de celles des villes, je pense qu’il n’a jamais pu être mis en doute que les populations rustiques ne soient les plus propres au métier des armes. Elevées en plein air et nourries dans le travail, supportant patiemment le soleil, ne recherchant pas l’ombre, ne connaissant pas les bains, étrangères aux voluptés, simples de cœur, contentes de peu, endurcies à toutes les fatigues, pour elles, manier le fer, creuser un fossé, porter un fardeau, sont des travaux dont la vie des champs leur a déjà donné l’habitude. Quelquefois cependant la nécessité force d’appeler sous les drapeaux même les habitants des villes ; et l’on ne peut nier qu’après la fondation de Rome, les Romains ne soient toujours sortis de son sein pour faire la guerre. Mais alors ils n’étaient point énervés par les délices. Pour laver la sueur qui ruisselait sur leur corps, après la course et les exercices du champ de Mars, les jeunes gens se jetaient dans le Tibre. Le même homme était guerrier et laboureur ; il ne faisait que changer d’armes. Cela est si vrai, que Quinctius Cincinnatus labourait positivement son champ lorsqu’on vint lui offrir la dictature. Ainsi, c’est dans les campagnes, à ce qu’il semble, qu’on doit recruter la principale force d’une armée.
Quant aux nouveaux soldats, il faut les exercer dans tout ce qui a rapport au métier des armes, afin qu’ils fassent sans se troubler, dans une bataille, ce qu’ils avaient coutume de faire sur le champ de leurs exercices. Ils doivent, le plus souvent possible, abattre des arbres, porter des fardeaux, franchir des fossés, nager dans la mer ou dans les fleuves, marcher à grands pas ou courir, même avec leurs armes et leur bagage, afin que ces travaux, pratiqués tous les jours pendant la paix, ne leur paraissent pas pénibles pendant la guerre. Ainsi, qu’ils fassent partie des légions ou des auxiliaires, il faut les former par des exercices continuels. En effet, si le soldat bien exercé désire le combat, le soldat mal instruit, au contraire, le redoute. Enfin, sachez-le bien, dans une bataille, l’expérience des armes sert plus que la force.
{p. 275}Version LII.
Germanicus étant mort en Syrie, enlevé par une maladie ou par le poison, sa veuve Agrippine transporte ses cendres à Rome, pour les déposer dans le tombeau d’Auguste. §
52. Agrippine, dont l’hiver n’avait point interrompu la navigation, arrive à l’île de Corcyre, située vis-à-vis des côtes de la Calabre. Là, elle passe quelques jours à calmer les emportements d’une âme qui ne savait pas endurer son malheur. Cependant, au bruit de son arrivée, les amis les plus dévoués de sa famille, et la plupart des hommes de guerre qui avaient servi sous Germanicus, une foule même de gens qui ne le connaissaient pas, accourus des villes voisines, les uns croyant plaire à César, le plus grand nombre par esprit d’imitation, se précipitèrent dans Brindes, le point le plus rapproché et le plus sûr où elle pût aborder. Dès que la flotte fut aperçue dans le lointain, non-seulement le port et la plage, mais les murailles, les toits des maisons, enfin tous les points d’où l’on avait la vue la plus étendue, se couvrent d’une foule désolée, où l’on se demandait les uns aux autres si l’on recevrait Agrippine silencieusement ou avec des acclamations. Et l’on doutait encore de l’accueil qui convenait à la circonstance, quand la flotte entra insensiblement dans le port, non point avec cette allégresse qu’un équipage fait éclater ordinairement, mais avec l’expression de la tristesse peinte sur tous les visages. Au moment où, sortie du vaisseau avec deux de ses enfants, Agrippine parut, l’urne sépulcrale entre les mains, les yeux baissés vers la terre, on n’entendit dans cette foule qu’un même gémissement ; on n’aurait pu distinguer les proches des étrangers, les plaintes des hommes de celles des femmes : seulement, le cortége d’Agrippine étant épuisé par une longue affliction, ceux qui venaient au-devant, et dont la douleur était récente, la témoignaient avec plus de vivacité.
Version LIII.
Funérailles de Germanicus. (Suite.) §
53. César avait envoyé deux cohortes prétoriennes, avec ordre aux magistrats de la Calabre, de l’Apulie et de la Campanie, de rendre à la mémoire de son fils les honneurs su {p. 277}prêmes. Les cendres étaient portées sur les épaules des tribuns et des centurions ; devant elles marchaient les enseignes sans ornements, et les faisceaux renversés. Quand on passait dans des colonies, le peuple vêtu de noir, les chevaliers en trabée, brûlaient, selon la richesse du lieu, des étoffes, des parfums, et tout ce qu’on offre aux morts pour hommage.
Drusus s’avança jusqu’à Terracine, avec Claudius, frère de Germanicus, et les enfants que celui-ci avait laissés à Rome. Les consuls M. Valérius et C. Aurélius, qui avaient déjà pris possession de leur charge, le sénat et une grande partie du peuple, remplissaient la route : ils marchaient sans ordre, et chacun pleurant à son gré. La flatterie était loin de leur pensée ; car personne n’ignorait la joie mal déguisée que causait à Tibère la mort de Germanicus.
Tibère et Augusta s’abstinrent de paraître en public, soit qu’ils crussent au-dessous de leur dignité de donner le spectacle de leurs larmes, soit qu’ils craignissent que tous les regards, observant leurs visages, n’y lussent la fausseté de leur cœur. Pour Antonio, mère de Germanicus, je ne trouve ni dans les historiens, ni dans les actes journaliers de cette époque, qu’elle ait pris part à aucune cérémonie remarquable. Peut-être fut-elle empêchée par la maladie ; peut-être, vaincue par la douleur, n’eut-elle pas la force d’envisager la grandeur de son infortune. Toutefois, je croirais plutôt que Tibère et Augusta, qui ne sortaient pas du palais, l’y retinrent malgré elle, afin que l’affliction parût également partagée, et que l’absence de la mère justifiât celle de l’oncle et de l’aïeule.
Version LIV.
Funérailles de Germanicus. (Suite.) §
54. Le jour où les cendres furent portées au tombeau d’Auguste, fut marqué tour à tour par un vaste silence et par de bruyautes lamentations. La multitude remplissait les rues ; le champ de Mars étincelait de flambeaux. Là, les soldats en armes, les magistrats dépouillés de leurs insignes, le peuple rangé par tribus, s’écriaient « que c’en était fait de la république, qu’il ne restait plus d’espérance. » A la vivacité, à la franchise de ces plaintes, on voyait qu’ils avaient oublié leurs maîtres. Cependant rien ne blessa plus profondément Tibère que leur enthousiasme pour Agrippine : ils l’appelaient {p. 279}« l’honneur de la patrie, le vrai sang d’Auguste, l’unique modèle des vertus antiques » ; puis, les yeux levés au ciel, ils priaient les dieux « de protéger ses enfants, et de les faire échapper à leurs persécuteurs ».
Pour des funérailles publiques, quelques-uns eussent désiré plus de pompe. On rappelait par comparaison tout ce qu’Auguste avait déployé de magnificence et d’honneurs pour les obsèques de Drusus, père de Germanicus : « Il s’était avancé en personne jusqu’à Ticinum, au plus fort de l’hiver ; il n’avait cessé d’accompagner le corps jusque dans Rome ; on avait rangé autour du lit funèbre les images des Claudes et des Jules ; on avait pleuré le mort dans le Forum, prononcé son éloge du haut de la tribune ; tous les honneurs institués par leurs ancêtres, ou imaginés par les âges suivants, avaient été prodigués pour Drusus : tandis que Germanicus n’avait pas reçu les plus ordinaires, ceux auxquels tout noble avait droit de prétendre. Sans doute, il avait fallu, à cause de l’éloignement des lieux, brûler le corps sans pompe sur une terre étrangère ; mais on devait lui rendre ensuite d’autant plus d’honneurs, que le sort les lui avait d’abord déniés. Qu’étaient devenues les coutumes antiques, ce lit de parade où l’on plaçait l’effigie du mort, ces vers consacrés à la mémoire de ses vertus, ces panégyriques, ces larmes, symboles d’une douleur au moins apparente ?
Version LV.
Comment il faut prévenir la colère. §
55. On prend les mœurs de ceux que l’on fréquente ; et comme certaines maladies du corps se transmettent par le contact, ainsi l’âme communique ses vices de proche en proche. L’homme adonné au vin inspire ce goût à ceux qui vivent avec lui ; la compagnie des libertins amollit l’homme fort, et, s’il est possible, le héros ; l’avarice infecte de son venin ceux qui l’approchent. Dans un sens contraire, l’action des vertus est la même : elles adoucissent tout ce qui les touche ; et un climat favorable, un air salubre, ne font pas autant pour la santé, que le commerce d’un monde meilleur pour une âme chancelante. Vous comprendrez tout ce que peut cette influence, si vous observez que les bêtes féroces elles-mêmes l’apprivoisent en vivant près de nous, et que l’animal le plus sarouche ne conserve jamais son cruel instinct, s’il a long {p. 281}temps demeuré sous le toit de l’homme. Toute rudesse s’émousse et s’efface peu à peu au frottement des âmes tranquilles.
D’ailleurs, celui qui vit avec des hommes pacifiques ne devient pas seulement meilleur par l’exemple, mais il ne trouve aucun sujet de se mettre en colère, et n’exerce pas son penchant vicieux. Il devra donc fuir tous ceux qu’il saura capables d’irriter son humeur irascible. « Mais, dites-vous, quelles sont ces gens ? » Ils sont partout, et, par des causes diverses, doivent produire le même effet. L’orgueilleux vous offensera par ses mépris, le riche, par ses affronts ; l’impertinent, par ses injures ; l’envieux, par sa malignité ; l’obstiné, par ses contradictions ; le menteur vaniteux, par sa fausseté. Vous ne pourrez souffrir qu’un soupçonneux vous craigne, qu’un entêté l’emporte sur vous, qu’un fat vous traite dédaigneusement. Choisissez des gens simples, faciles, modérés, qui n’éveillent pas votre colère, et qui la supportent. Mieux vaudront encore ceux dont le caractère est l’humilité, la condescendance, la douceur, sans aller pourtant jusqu’à l’adulation : car une complaisance outrée offense les esprits irascibles ; et la flatterie court autant de risques auprès d’eux que l’injure.
Version LVI.
Des yeux. §
56. Les sens, qui nous servent d’interprètes et de messagers, ont leur siége dans la tête, comme dans une citadelle, où leur structure et leur place répondent merveilleusement à nos besoins. Les yeux (pour ne point parler des autres parties), les yeux, semblables à des sentinelles, occupent le point le plus élevé, pour découvrir le plus d’objets possible, et remplir ainsi leur fonction. Mais quel autre ouvrier que le suprême artisan de l’univers, l’être ingénieux par-dessus tous, aurait su déployer tant d’adresse dans la composition de cet organe ? D’abord, il les a revêtus et entourés de pellicules d’une extrême ténuité, assez transparentes pour leur permettre de voir à travers, assez fermes pour les maintenir. Mais il a fait les yeux glissants et mobiles, afin qu’ils évitassent ce qui pourrait les blesser, et portassent aisément leurs regards où ils voudraient. Et ce point même où réside la vue, ce point qu’on nomme la prunelle, est si petit qu’il se dérobe sans peine à tout ce qui pourrait lui faire du mal. Cependant les paupières, destinées {p. 283}à couvrir les yeux, sont d’une substance très-douce au toucher, pour ne point blesser l’organe ; parfaitement disposées et pour cacher les prunelles, si quelque corps devait y tomber, et pour les découvrir ; et le Créateur a pourvu à ce que ces deux mouvements pussent s’exécuter de temps en temps avec la plus grande célérité. Puis les paupières sont bordées de poils, qui forment comme une palissade, pour repousser ce qui viendrait attaquer les yeux quand ils sont ouverts, ou pour les envelopper quand ils cèdent au sommeil, et les faire reposer sous leur abri. Les yeux ont, de plus, l’avantage d’être cachés et défendus en tout sens par des parties plus avancées. D’abord, la partie supérieure, avec les sourcils qui l’ombragent, arrête la sueur qui coule de la tête et du front ; à la partie inférieure sont les joues, qui les protégent par une légère saillie. Le nez a été placé de telle sorte qu’il semble un mur de séparation entre les yeux.
Version LVII.
La forêt voisine de Marseille est abattue par ordre de César. §
57. Il y avait une forêt, respectée depuis une longue suite de siècles, dont les rameaux entrelacés formaient une voûte ténébreuse. Les Pans qui habitent aux campagnes, les Silvains et les Nymphes, divinités des bois, n’y font point leur séjour : elle est le théâtre de barbares mystères ; des autels s’y dressent pour de lugubres sacrifices, et tous les arbres y sont arrosés de sang humain. César ordonne qu’on porte le fer dans son sein pour l’abattre : car, voisine des travaux, et épargnée au commencement de la guerre, elle élevait entre des monts dépouillés son épais ombrage. Mais ces vaillantes mains tremblèrent, et, frappés par l’imposante majesté du lieu, les soldats croyaient voir, s’ils touchaient à ces arbres sacrés, la hache se retourner contre eux-mêmes. A l’aspect de ses cohortes paralysées par une profonde terreur, César donne l’exemple ; sa main audacieuse saisit une hache, l’élève en l’air, et la plonge dans un chêne majestueux ; puis, montrant le fer sacrilége enfoncé dans le bois : « Maintenant, dit-il, qu’aucun de vous ne craigne plus d’abattre cette forêt : je prends sur moi le crime. » Chacun obéit alors à ses ordres, non pas que les esprits fussent ras {p. 285}rassurés, mais on avait mis en balance la colère des dieux et celle de César. Les frênes sont abattus, l’yeuse chancelle sur son tronc noueux ; l’arbre de Dodone, l’aune qui vogue sur les flots, le cyprès, l’arbre des nobles funérailles, virent tomber pour la première fois leur cime chevelue, et, dépouillés de leur feuillage, laissèrent pénétrer le jour.
Version LVIII.
Qualités d’Homère. §
58. Si nous voulons passer en revue les poëtes grecs, comme Aratus, dans ses Phénomènes, croit devoir à Jupiter sa première pensée, ainsi nous semble-t-il convenable de commencer par Homère. Ce poëte a dit que le cours des fleuves et des fontaines tire son origine de l’Océan : de même toutes les parties de l’éloquence ont en lui leur principe et leur modèle. Personne ne saurait le surpasser en élévation dans les grands sujets, en justesse dans les sujets moins relevés. Abondant et serré, agréable et sévère tout à la fois, admirable et par sa fécondité et par sa concision, il possède au suprême degré, non-seulement les qualités du poëte, mais aussi celles de l’orateur.
Quant aux mouvements de l’âme, aux passions douces ou véhémentes, cet auteur les a traitées en maître : personne d’assez ignorant pour se refuser à cet aveu. Maintenant, dans le début de ses deux poëmes, n’a-t-il pas, en très-peu de vers, observé, que dis-je ? établi les lois de l’exorde ? En effet, il s’assure la bienveillance des auditeurs, en invoquant les déesses qu’on a regardées comme les génies tutélaires des poëtes ; il s’assure leur attention en leur montrant d’abord la grandeur des événements qu’il raconte ; il les dispose à s’instruire, en comprenant dans un rapide exposé l’ensemble de son sujet.
Et peut-on être plus concis dans la narration, que l’auteur qui annonce la mort de Patrocle ? peindre plus vivement que celui qui raconte le combat des Curètes et des Etoliens ? A l’égard des similitudes, des amplifications, des exemples, des digressions, des arguments qui appartiennent à la confirmation ou à la réfutation, il en est si plein, que ceux mêmes qui ont écrit sur l’éloquence empruntent à cet auteur la plupart des preuves dont s’appuient leurs théories. Enfin, dans l’expression, dans les pensées, dans les figures, dans la disposition de {p. 287}tout son ouvrage, ne dépasse-t-il point le terme où le génie humain peut arriver ? De sorte qu’il faut être un homme supérieur, je ne dis pas pour rivaliser avec une telle perfection, ce qui est impossible, mais seulement pour la comprendre.
Version LIX.
Retour d’Alcibiade à Athènes avec son armée triomphante. §
59. Au retour de cette armée triomphante, la foule tout entière se porte au-devant d’elle. On admire tous ces guerriers, mais surtout Alcibiade. Tous les regards, tous les visages sont tendus avidement vers lui ; on le contemple comme un être envoyé du ciel, comme le dieu même de la Victoire. On vante ce qu’il a fait pour sa patrie ; on n’admire pas moins ce qu’il a fait contre elle pendant son exil ; on excuse sa conduite par l’injure qui a provoqué son ressentiment. Un seul homme avoir été assez puissant pour renverser un si grand empire et le relever ensuite ! pour traîner dans chaque parti la victoire sur ses pas, et, par une sorte de miracle, faire pencher à son gré la fortune ! Aussi lui prodigue-t-on, non-seulement les honneurs réservés aux mortels, mais encore ceux qui n’appartiennent qu’aux dieux. Ils luttent avec eux-mêmes pour effacer, par l’éclat de son rappel, l’ignominie de son exil. Ils portent au-devant de lui, pour le féliciter, ces mêmes dieux dont ils avaient appelé la malédiction sur sa tête ; et cet homme auquel ils avaient appelé la malédiction sur sa tête ; et cet homme auquel ils avaient naguère interdit tout secours humain, ils voudraient pouvoir le placer dans le ciel. Ils couvrent les affronts par des honneurs, les confiscations par des présents, les exécrations par des prières. On ne parle pas du revers essuyé en Sicile, mais de la victoire obtenue sur la Grèce ; des flottes dont la perte lui est due, mais de celles qu’il a conquises ; on oublie Syracuse, pour ne se souvenir que de l’Ionie et de l’Hellespont. C’est ainsi qu’Alcibiade, dans la faveur comme dans la disgrâce, vit toujours ses concitoyens lui témoigner des sentiments extrêmes.
Version LX.
Comment, après le siècle d’Auguste, l’éloquence déclina chez les Romains. §
60. Après le siècle d’Auguste, on vit l’éloquence décliner insensiblement, et s’éloigner tout à fait de son ancien genre, de son caractère primitif. La source de cette décadence chez les Romains vint surtout de Sénèque, d’un écrivain illustre sans doute à beaucoup d’égards, par la richesse de l’invention, l’étendue des connaissances, la beauté des pensées et des figures, une abondance singulièrement heureuse de choses et d’expressions, mais trop amoureux de son génie ; et plût au ciel qu’il eût mieux aimé en modérer l’essor, que de s’y abandonner ! Chez lui tout abonde de pensées ; mais leur multitude même fait, comme dans les biens de la terre et les fruits des arbres, qu’elles se nuisent réciproquement ; et, dans cette profusion extraordinaire, il doit nécessairement en échapper beaucoup de frivole, de froides, d’insipides. Il a voulu que son style brillât partout ; et, au lieu d’une flamme lumineuse, on peut dire qu’il n’allume que des étincelles qui jaillissent au milieu de la fumée. Ainsi ce qui fait le plus de tort à cet écrivain, ce sont les qualités mêmes recherchées à l’excès, le pire de tous les défauts dans l’éloquence ; et il existe toutes les fois que le génie, dépourvu de jugement, se laisse égarer par l’apparence du beau.
Or, comme les esprits humains ont une certaine pente vers le mal, ce nouveau goût envahit Rome entière par une funeste contagion. Les jeunes gens méprisèrent les anciens, pour s’appliquer exclusivement à l’imitation de Sénèque ; et, séduits surtout par ses défauts, ils s’écartèrent autant de cet écrivain, que lui-même s’était éloigné des anciens maîtres. On commença à dédaigne l’éclat naturel de la simplicité ; on négligea les choses, pour s’occuper des mots. Il fut comme ordonné par une loi expresse que, dans tout passage, toute chute de période frapperait l’oreille par un trait ingénieux, et commanderait les acclamations.
{p. 291}Version LXI.
Pline loue Traja d’avoir condamné la troupe des délateurs à l’exil. §
61. César, vous avez souvent offert des spectacles à nos yeux ; mais aucun n’a été plus agréable, plus digne du siècle, que celui qui nous a montré une troupe de délateurs, comme des assassins et des brigands, amenée dans l’amphithéâtre ; qui nous a fait voir, du haut de nos sièges, les délateurs, le cou renversé est la tête en arrière, exposés à nos regards. nous reconnaissions leurs traits, nous jouissions, lorsque ces pervers, victimes expiatoires des publiques alarmes, marchaient, sur le sang des criminels, à des supplices plus lents, à des peines plus affreuses. Jetés sur des navires réunis à la hâte, ils ont été livrés à la merci des tempêtes. Qu’ils partent ! disait-on ; qu’ils fuient ces terres désolées par leurs calomnies ! et, si les flots et les orages en laissent arriver un jusqu’aux rochers, qu’il y habite d’âpres solitudes et des côtes inhospitalières ; qu’il y traîne une vie dure et tourmentée de soucis ; qu’il pleure en voyant derrière lui le genre humain tranquille et rassuré.
Spectacle mémorable ! une flotte chargée de délateurs abandonnée aux vents, forcée de déployer ses voiles aux tempêtes, et de suivre les flots irrités sur tout les écueils où ils la porteraient ! On aimait à contempler ces navires dispersés dès la sortie du port, et à remercier le prince, au bord même de la mer, d’avoir concilié la justice avec sa clémence en confiant aux dieux de la mer la vengeance de la terre et des hommes. On connut alors tout ce que peut la différence des temps, quand on vit le crime enchaîné sur ces rochers où languissait autrefois l’innocence, et les délateurs allant remplir ces îles naguère peuplées de sénateurs. Et ce n’est pas pour un jour seulement, c’est pour toujours que vous avez réprimé leur audace, en les enveloppant comme d’un réseau de châtiments.
Version LXII.
Entrée de Trajan dans Rome. §
62. Quel jour que celui où vous entrâtes, objet de notre attente et de nos vœux, dans la capitale de votre empire ! et la simplicité même de votre entrée, quels sujets elle offrit d’admiration et de joie ! Vos pédécesseurs s’avançaient, je ne dis pas montés sur un char et traînés par quatre chevaux blancs, mais (ce qui était plus insultant) portés sur les épaules des hommes. Vous, César, la majesté seule de votre taille vous élevait au-dessus de la foule : c’était aussi un triomphe ; mais c’est de l’orgueil des princes, et non de la patience des peuples, que vous triomphiez. Aussi ni l’âge, ni la mauvaise santé, ni le sexe, n’arrêtèrent personne, et chacun voulut repâitre ses yeux d’un spectacle si nouveau. Les enfants s’empressaient de vous connaître, les jeunes gens vous montraient, les vieillards vous admiraient ; les malades même, oubliant les ordres de leurs médecins, se traînaient sur votre passage, comme s’ils eussent dû y trouver la guérison et la vie. Les un, contents de vous avoir vu, de vous posséder, s’écriaient qu’ils avaient assez vécu ; les autres, que c’était maintenant surtout qu’il fallait vivre. Les femmes mêmes se réjouirent plus que jamais de leur fécondité, en voyant à quel prince elles avaient donné des citoyens, à quel général elles avaient donné des soldats. Les toits, couverts de spectateurs, pliaient sous le faix, et nulle place n’était vide, pas même celles où le pied, suspendu et mal affermi, trouvait à peine à se poser. Les rues envahies ne vous offraient plus qu’un étroit sentier, bordé des deux côtés par un peuple dans l’ivresse. C’était partout mêmes transports, mêmes acclamations. Tous ressentaient également le joie de votre arrivée, comme vous étiez également venu pour tous ; et cependant l’allégresse redoublait à mesure que vous avanciez, et croissait presque à chacun de vos pas.
Version LXIII.
De l’imitation des anciens. §
63. Si le jugement gagne beaucoup dans l’étude des lettres anciennes, le style y gagne plus encore : qui pourrait mécon {p. 295}naître cette vérité ? On acquiert un fonds d’idées considérable. Une foule de mots heureux, de magnifiques développements, deviennent notre bien, notre propriété, et contribuent singulièrement à augmenter nos richesses. Qui que vous soyez, qui connaissez à fond les ouvrages des Grecs et des Latins, vous ne demeurerez plus enfermé dans votre pays, borné par ses limites : il vous est permis de faire des excursions au dehors, de conquérir du butin sur l’étranger, et d’user en quelque sorte des droits d’une guerre légitime, en enlevant dans ses champs une ample moisson pour la transporter dans les vôtres. A peine pouvons-nous emprunter à nos écrivains, sans être aussitôt accusés de spoliation ; et toutes ces richesses qui nous environnent semblent des biens sacrés dont nous sommes contraints de nous abstenir. Mais pour les Grecs et les Romains, non-seulement on ne nous fait point un crime de les dépouiller, on nous en fait encore un titre de gloire. C’est le fameux larcin des jeunes Spartiates ; la fraude habilement exécutée obtient pardon, et le mérite de l’adresse couvre l’uniquité du délit. En effet, détacher quelque chose de ces œuvres sublimes et l’appliquer parfaitement à vos propres écrits, c’est une œuvre difficile, et par cela même, glorieuse. Alors vous vous imposez, de plus, l’obligation de déployer de généreux efforts, de produire des choses dignes de celles que vous avez dérobées, et qui aient avec elles un air de famille : autrement vous montreriez plus de mémoire que de talent, et le témoignage de votre propre indigence viendrait hautement trahir et décéler vos larcins. C’est ce qui donne à l’écrivain une nouvelle ardeur ; c’est par là que l’esprit, familiarisé avec les productions les plus parfaites, parvient aussi dans les siennes à la perfection.
Version LXIV.
L’homme de bien, sur le point de mourir, passe en revue les actions de sa vie. §
64. Je trouve des consolations dans ma vie déjà presque passée, et qui touche à la mort. Quand la mort se présentera, que ce soit le temps du jour ou de la nuit, je saluerai le ciel en partant, et je déclarerai ce que j’ai la conscience d’avoir fait. Dans le cours de ma longue carrière, je n’ai commis aucune action qui pût me déshonorer, m’attirer la honte ou l’infamie. Aucun trait de cupidité, de perfidie, n’a marqué {p. 297}mon existence ; loin de là, je me suis souvent montré libéral, dévoué, fidèle, constant, souvent même au péril de mes jours. Les honneurs auxquels je suis parvenu moi-même, je ne les ai jamais recherchés par des moyens déshonnêtes. Je me suis plus appliqué à cultiver mon esprit, qu’à soigner mon corps ; j’ai mis l’étude des sciences avant mes affaires domestiques. J’ai mieux aimé être pauvre, que de recevoir aucun secours ; enfin, être dans le besoin, que de demander. Jamais je n’ai été prodigue dans mes dépenses ; quelquefois j’ai cherché le gain par nécessité. J’ai dit la vérité scrupuleusement, et j’ai pris plaisir à l’entendre. J’ai pensé qu’il valait mieux me taire que de feindre, être un ami rare qu’un flatteur assidu. J’ai demandé peu, je n’ai pas peu mérité : j’ai obligé chacun en ce que j’ai pu, selon mes ressources. J’ai secouru avec un certain empressement ceux qui en étaient dignes, avec un peu de confiance ceux qui ne l’étaient pas ; et le peu de gratitude de quelques personnes ne m’a pas rendu plus tiède pour faire à tout le monde le bien qui était en mon pouvoir. Aussi m’endormirai-je avec joie, après avoir ainsi parcouru ma carrière, pour quitter ces lieux, et passer, affranchi des liens du corps, dans la demeure des âmes, dans ce séjour calme et charmant où règnent toutes les félicités.
Version LXV.
Des deux génies attachés à chacun des mortels. §
65. Empédocle dit qu’à chacun des mortels sont attachés deux génies : l’un propice, l’autre (qu’il appelle ἀλάστωρ) pernicieux. Ce sont leurs inspirations, c’est leur volonté toute puissante qui mènent notre existence, inquiète ou paisible ; c’est d’eux que viennent le bien et le mal. Le génie blanc, attaché à notre droite, nous fait entendre l’honnêtes conseils, de tendres exhortations, nous aide même, au besoin, de ses secours ; de l’autre, le génie noir, par de perfides suggestions, par de fausses doctrines, précipite l’homme dans un état de perdition. Ces deux compagnons des humains, ajoutait Empédocle, ne demeurent pas toujours appliqués à leur tâche ; il est des moments de repos, des interruptions, après lesquelles l’homme se sent plus violemment poussé, ou plus fermement retenu, jusqu’à ce qu’un des deux génies ait remporté la victoire. Alors, comme un roi détrôné, le vaincu se retire le plus {p. 299}souvent, pour revenir du fond de son exil surprendre son vainqueur plongé dans une indolente sécurité, et reprendre sur l’homme un pouvoir sans partage.
Ainsi parle Empédocle ; et tout n’est pas faux dans l’opinion de cet homme supérieur ; seulement il a revêtu la vérité du langage de la poésie. Non, sans doute, chaque mortel ne marche pas escorté de deux satellites divins ; mais chaque mortel est pour lui-même un génie multiple et varié : c’est qu’il est libre. Telle est la condition de l’homme, condition misérable et noble tout ensemble, d’être le souverain arbitre de ses actions, maître tantôt de suivre la mauvaise voie, tantôt de préférer la bonne. Ainsi, par le bon génie, il faut entendre une conscience droite ; et par le mauvais, le déréglement, la colère, la cupidité, enfin tout ce qui concourt à obscurcir la raison. Souvenez-vous donc que vos actions, honnêtes ou criminelles, dépendent de vous : avec cette différence pourtant, que la vertu s’aide elle-même, et que les bonnes œuvres produisent les bonnes œuvres ; qu’en implorant la protection de Dieu, vous vous en rendez digne, vous approchez davantage et plus facilement de la perfection.
Version LXVI.
De la Peinture. §
66. Loin d’être étrangère à la culture des belles-lettres, la peinture exige, au contraire, l’érudition la plus variée, et se trouve en commerce avec la poésie et l’éloquence. Il faut un génie plus qu’ordinaire, que dis-je ? un génie presque divin, pour concevoir si vivement dans son imagination les formes diverses des animaux et des êtres insensibles, que le pinceau et les couleurs les expriment par des images auxquelles il semble ne manquer que le souffle de la vie. Et la peinture n’a pas seulement le mérite de nous procurer de merveilleuses jouissances : elle nous remet encore devant les yeux l’histoire des événements passés, et fait, en quelque sorte, parler et agir sur la scène les personnages qu’elle nous présente. Il y a plus : lorsque nous contemplons des tableaux où sont reproduites des actions héroïques, nous nous sentons enflammés de l’amour de la gloire et du noble désir d’imiter les grandes choses, comme si nous parcourions les monuments mêmes de l’histoire. En remontant dans l’antiquité, nous voyons qu’il y eut dans tous les temps des hommes passionnés pour la {p. 301}peinture ; et Cicéron se vante d’avoir l’œil exercé dans cet art. Et les peintres ne manquent pas de tact et de jugement ; ils savent ce qui convient, ce qui ne convient pas : témoin Apelle, qui, ayant à peindre Antigone, le représenta de profil, pour dissimuler la difformité produite par la perte d’un œil. Timanthe ne montra pas moins d’adresse : après avoir peint, dans le sacrifice d’Iphigénie, Calchas avec un air triste, Ulysse plus triste encore, et Ménélas plongé dans une profonde affliction, sentant qu’il avait épuisé toutes les expressions de la douleur, il imagina de couvrir d’un voile la tête d’Agamemnon, afin de donner à deviner au spectateur cet excès de douleur que son pinceau ne pouvait rendre.
Version LXVII.
Le Nil. §
67. Ce fleuve fameux a été disposé par la nature pour inonder l’Egypte à l’époque où la terre, brûlée par les plus vives ardeurs du soleil, absorbe plus profondément ses ondes, et doit en retenir assez pour suffire à la sécheresse de l’année. Car, dans la partie qui regarde l’Ethiopie, les pluies sont nulles ou rares, et ne profitent point à un sol qui n’est pas habitué aux eaux du ciel. L’unique espoir de l’Egypte est dans le Nil : aussi l’année est-elle féconde ou stérile, selon qu’il a été libéral ou avare de ses ondes. Jamais le laboureur ne regarde le ciel.
Sur un sol sablonneux et altéré, le Nil apporte à la fois de l’eau et de la terre. Comme il roule des flots chargés de limon, il dépose toute cette vase sur les parties qui se fendent de sécheresse, et, doublement utile aux campagnes, il les abreuve et les engraisse également. Ainsi, tout ce qu’il ne visite pas, demeure stérile et désolé. Une crue excessive est nuisible. Le Nil a, de plus, cette vertu merveilleuse, que, contrairement aux autres fleuves qui délaient et creusent les entrailles du sol, lui, bien supérieur à tous par son volume, loin de ronger ni d’enlever quoi que ce soit, ajoute encore aux ressources du terrain, et son moindre bienfait est de le rafraîchir. En effet, le limon qu’il y apporte sature les sables et leur donne de la {p. 303}cohérence ; et l’Egypte ne lui doit pas seulement la fertilité de ses champs, mais ses champs mêmes.
C’est un spectacle magnifique que celui du Nil répandu sur les campagnes. La plaine est couverte, les vallées ont disparu, les cités sortent de l’eau comme des îles. Dans l’intérieur, les habitants ne communiquent plus qu’en bateau ; et moins elles voient de leur territoire, plus la joie est grande parmi ces populations.
Version XLVIII.
Triomphe de César. §
68. César entre dans Rome sur son char de victoire. L’objet de son premier triomphe, la Gaule, fut représentée par le Rhin, le Rhône, et l’image en or de l’Océan enchaîné. Il avait cueilli son second laurier en Egypte ; dans ce triomphe, on voyait parmi les dépouilles le Nil, Arsinoë, et le Phare, qui semblait étinceler de ses feux. Le troisième char rappelait Pharnace et le Pont. Le quatrième montrait Juba et les Maures, et l’Espagne deux fois subjuguée. Pharsale, Thapsos, Munda, ne figuraient nulle part : et combien n’étaient pas plus grandes ces victoires pour lesquelles il ne triomphait pas !
Alors enfin on posa les armes. La paix qui suivit ne fut point ensanglantée, et la clémence compensa les maux de la guerre. Le pouvoir ne fit point de victimes, excepté Afranius : c’était assez d’un premier pardon ; Faustus Sylla ; César avait appris à redouter les gendres ; et la fille de Pompée, avec ses cousins du côté de Sylla : c’était une précaution pour sa postérité.
Aussi les citoyens ne se montrèrent point ingrats, et sur cette seule tête ils accumulèrent tous les honneurs : César eut ses images autour des temples ; au théâtre, une couronne décorée de rayons ; une tribune au sénat ; un fronton à sa maison ; un mois dans le ciel ; puis le titre de Père de la patrie, de Dictateur perpétuel ; enfin (et peut-être fut-ce de son aveu), sous le consulat d’Antoine, on lui offrit, devant la tribune aux harangues, les insignes de la royauté.
{p. 305}Toutes ces distinctions qu’on lui prodiguait servaient, pour ainsi dire, à parer la victime dévouée à la mort. La clémence du chef de l’Etat ne put triompher de la haine. Le pouvoir même de leur accorder des bienfaits pesait à des républicains.
Version LXIX.
Extrait du récit de la mort d’Hippolyte, racontée à son père. §
69. …Quand le monstre vomi par les flots se fut animé, quand il eut essayé ses forces et préparé assez longtemps sa fureur, il s’élance d’une course impétueuse, effleurant à peine la terre de ses pas, et s’arrête devant les chevaux, qui frémissent à son affreux aspect. Mais votre fils se lève fier et menaçant ; il n’a point changé de visage, et s’écrie d’une voix terrible : « Ce vain épouvantail ne glace point mon cœur ; dompter des taureaux, c’est pour moi un métier héréditaire. » Il dit ; mais tout à coup ses coursiers, indociles au frein, entraînent le char ; déjà loin de la route, ils se précipitent partout où les emporte l’égarement de la peur, et se jettent au milieu des rochers. Mais tel qu’un pilote, sur une mer orageuse, retient son navire, pour l’empêcher de présenter le flanc aux vagues, et trompe par son adresse la fureur des flots, tel Hippolyte gouverne ses rapides coursiers. Cependant, égarés bientôt par le trouble de leurs sens, ils n’obéissent plus à leur maître ; ils cherchent à se dérober au joug, se cabrent, et renversent leur fardeau. Votre fils est précipité de son char ; en tombant, il s’embarrasse dans les rênes, qui s’attachent à son corps ; et plus il fait d’efforts pour s’en délivrer, plus il serre les nœuds qui le retiennent. Il ensanglante la vaste plaine, et sa tête rebondit sur les rochers. Les buissons emportent sa chevelure, et chaque tronc d’arbre ravit à ses membres déchirés quelque lambeau. Ses serviteurs errent dans la plaine avec des cris funèbres ; leurs soins empressés à ce douloureux office n’ont pu rassembler encore tous ses restes.
Version LXX.
L’empereur Julien à Antioche. §
70. En approchant d’Antioche, de cette capitale de l’Orient, l’empereur Julien est accueilli, comme une divinité, par des vœux publics, et il est charmé des acclamations de la multitude, qui s’écriait que l’astre du salut venait de luire aux yeux des peuples orientaux. Cependant, l’année se trouvant accomplie dans le même temps, il arriva qu’on célébrait, avec l’antique cérémonial, la fête d’Adonis, moissonné dans son jeune âge, dit la Fable, par la dent meurtrière d’un sanglier : symbole des fruits de la terre coupés dans leur fleur. Et il parut de fâcheux augure, que le jour où l’empereur faisait pour la première fois son entrée dans cette magnifique cité, séjour des souverains, tout retentit de plaintes lamentables et des lugubres accents de la douleur.
Julien y passa l’hiver à son gré, sans céder aux attraits engageants des plaisirs, qui abondent dans toute la Syrie : loin de là, tandis qu’il semblait goûter le repos, occupé de débats judiciaires, et partagé entre une foule de soins aussi pénibles que ceux de la guerre, il examinait avec une conscience scrupuleuse comment il pourrait rendre la justice à chacun, de telle sorte que les méchants fussent contenus par de légères peines, et les bons défendus sans que leur fortune dût en souffrir. Et, quoiqu’il sortît quelquefois de ses fonctions de juge, en demandant à chacune des parties plaidantes quel culte elles professaient, cependant on ne trouve aucune de ses décisions qui soit contraire à l’équité. Aussi semblait-il, comme il le répétait souvent lui-même, que cette divinité des anciens âges, la Justice, contrainte, dit Aratus, par la dépravation des humains de s’exiler dans le ciel, fût, pendant son règne, retournée sur la terre, s’il n’eût, dans certaines circonstances, écouté plutôt sa volonté que les lois, et si l’erreur n’avait parfois jeté quelque ombre sur sa gloire : comme le fit, par exemple, cet ordre tyrannique et que devait couvrir un éternel silence, cet ordre qui éloignait de l’enseignement les maîtres d’éloquence et de grammaire qui suivaient la religion de Jésus-Christ.
Version LXXI.
Quelques détails sur les mœurs des Germains. §
71. Pour leurs rois, ils consultent la naissance ; pour leurs généraux, la valeur : les rois n’ont pas une puissance illimitée ni arbitraire ; et les généraux commandent par l’exemple plus que par l’autorité. S’ils sont actifs, toujours en vue, toujours au premier rang, l’admiration fait leur titre. Du reste, punir, emprisonner, frapper même, n’est permis qu’aux prêtres. Dans ce traitement, ils ne voient plus une peine, un ordre émané du chef, mais le commandement du dieu qu’ils croient présider aux batailles. Ils ont des images et des espèces d’enseignes qu’ils tirent des bois sacrés et portent dans les combats. Et le principal aiguillon de leur courage, c’est qu’au lieu d’être un assemblage formé par le hasard, chaque bande d’hommes à cheval, chaque triangle d’infanterie, est composé de guerriers unis par les liens du sang et de la famille ; c’est que les objets de leur tendresse sont près d’eux ; ils peuvent entendre les hurlements plaintifs de leurs femmes, les cris de leurs enfants : ce sont là pour chacun les témoins les plus respectables, les plus dignes panégyristes. On rapporte ses blessures à une mère, à une épouse ; et celles-ci comptent les plaies, ou en mesurent la grandeur, sans pâlir. De leur côté, elles portent aux combattants de la nourriture et des exhortations.
On a vu, dit-on, des armées chancelantes et à demi rompues, que des femmes ont ramenées à la charge à force de prières, en présentant leur sein aux fuyards, et en leur montrant devant elles la captivité, que les Germains redoutent bien plus vivement pour leurs femmes que pour eux-mêmes. Ce sentiment est tel, que les cités dont la foi est le mieux assurée sont celles dont on a exigé, parmi les ôtages, quelques filles de distinction.
Version LXXII.
Un homme, recommandable chez ses compatriotes par ses lumières et son crédit, engage les principaux citoyens de sa ville à fonder chez eux des écoles publiques. §
72. Il vous importe hautement, à vous qui êtes pères, que vos enfants reçoivent ici plutôt qu’ailleurs l’instruction. En effet, où trouveront-ils un séjour plus agréable que celui de leur patrie ? Où leurs mœurs seront-elles mieux surveillées, que sons les yeux de leurs parents ; leur entretien moins dispendieux, que sous le toit domestique ? Quel sacrifice serait-ce donc de vous cotiser ensemble pour payer des maîtres, et d’appliquer à leur rétribution ce que vous coûtent les logements, les voyages, tout ce qui s’achète hors de chez vous ? Et moi-même, qui n’ai point encore d’enfants, je suis déjà prêt à faire pour notre cité ce que je ferais pour une fille ou pour une mère, à donner le tiers de la somme qu’il vous plaira de réunir. Je m’engagerais même à fournir le tout, si je ne craignais que ce don ne fût détourné quelque jour au profit de l’intrigue, comme je vois qu’il arrive dans beaucoup de localités, où les maîtres sont rétribués sur les deniers publics. Il n’y a qu’un moyen de prévenir cet abus : c’est que le droit de décerner cette rétribution soit exclusivement réservé aux parents, et que l’obligation de contribuer les rende aussi scrupuleux dans leur choix. En effet, s’ils sont indifférents sur l’emploi des fonds d’autrui, sans doute ils seront attentifs sur l’emploi des leurs, et veilleront à ce qu’il n’y ait que des gens de mérite qui touchent l’argent versé par moi, s’ils doivent en toucher également de leurs mains. Unissez donc pour ce but vos volontés et vos efforts. Vous ne sauriez assurer à vos enfants un bienfait plus précieux, ni rien faire qui soit plus agréable à la patrie. Que ceux qui reçoivent ici le jour, y reçoivent aussi l’instruction ; qu’ils s’accoutument dès le berceau à chérir le sol natal et à l’habiter. Et plaise au ciel que vous appeliez des maîtres assez illustres pour qu’on vienne des villes voisines se former à nos écoles ; et que les enfants des autres se rendent bientôt en foule dans ce lieu, comme vos enfants se rendent aujourd’hui chez les étrangers !
Version LXXIII.
Enseignement de Socrate. §
73. Socrate ne crut pas nécessaire pour un précepteur public de se renfermer dans l’enceinte obscure d’une école, genre de vie retirée que suivirent les maîtres de morale qui vinrent bientôt après. C’était surtout au milieu de la foule, suivant lui, au grand jour de la vie publique, que devait vivre quiconque voulait consacrer tous ses soins et son application à former, à corriger les mœurs des hommes. C’est pourquoi, au lieu de réunir des disciples dans sa maison, d’ouvrir une école dans un lieu déterminé, à des heures fixes, Socrate aima mieux aller lui-même au-devant des hommes, entrer dans les ateliers des citoyens, assister aux réunions publiques, se mêler à la vie commune. Entre autres avantages qui résultaient de cette méthode, il faut surtout remarquer ceux-ci : c’est que, tout en donnant des leçons d’une morale plus pure, il présentait à tous les yeux un exemple que ses disciples se sentaient encouragés à imiter ; le second, ce fut de ne pas offrir aux hommes cette instruction sous la forme d’un art qu’on est obligé d’apprendre, et de leur enseigner, dans les occupations mêmes de la vie, à porter un jugement plus sain sur toute espèce de sujet; de redresser leurs erreurs ; de les avertir de leurs fautes ; de leur présenter en lui, quand il fallait agir, un instigateur pour les pousser aux actions les plus honnêtes et le plus courageuses ; enfin, quand ils ne savaient quel parti prendre, de leur offrir, pour les guider, la prudence, non d’un maître sévère, mais d’un ami intelligent, dont la bonté savait descendre à la portée de chacun de ses auditeurs, et s’accommoder à leur position.
Version LXXIV.
Des misères de l’âge mûr. §
74. Il est facile de comprendre, mais difficile d’énumérer les misères qui accompagnent l’âge mûr. C’est celui de tous où l’on est le plus exposé aux inquiétudes d’esprit, et au danger de perdre la vie, l’honneur, la fortune : car, s’il est {p. 315}plus convenable et plus propre que tous les autres âges aux affaires publiques et particulières, il a aussi plus de part que tous les autres aux peines et aux misères de l’administration publique et privée. C’est le temps où l’on recueille l’honneur et le profit des événements heureux, mais aussi le chagrin et l’amertume des revers. C’est le temps où l’on est en butte à la jalousie et à la rivalité des honnêtes gens, et aux trames que les méchants ourdissent pour nous perdre. Age qui se tourmente sans cesse, qui ne jouit jamais de la paix ; âge toujours livré aux travaux, aux soucis et aux inquiétudes ; qui, s’il ne recueillait de temps en temps de son labeur continuel quelque fruit d’utilité où de satisfaction, ne pourrait pas certainement se diriger et se soutenir lui-même. Mais le nombre des peines surpasse de beaucoup celui des dédommagements ; et elles sont d’ailleurs si grandes, qu’il n’est personne qu’elles ne puissent détourner et éloigner des affaires publiques. Mon malheur que je me suis attié en a offert aux yeux de Rome un éclatant exemple, malheur que je me suis attiré pour avoir sauvé mes concitoyens, défendu nos autels et nos foyers, détourné les coups des traîtres qui avaient déjà le bras levé sur la république et le peuple romain ; mais soit, que l’infortune ait été mon partage ; que le salut et le repos de ma patrie aient été assurés ; j’eusse encore fait bien volontiers pour l’un et pour l’autre, s’il l’eut fallu, le sacrifice de mes jours.
Version LXXV.
Utilité de la lecture des anciens. §
Dans la lecture des anciens, l’esprit puise de la vigueur, et trouve, en quelque sorte, une nourriture plus substantielle. D’ailleurs, cette docte obscurité d’une langue étrangère aiguise merveilleusement l’intelligence, l’oblige d’appliquer toute son énergie, de déployer toute sa pénétration, de s’arrêter plus longtemps sur des pensées qu’elle ne saisit pas aussitôt, et, au lieu d’effleurer, pour ainsi dire, le vase de ses lèvres, de s’abreuver largement à la source où elle brûle de se désaltérer.
Nous parcourons plus rapidement les ouvrages écrits dans notre langue, parce que la lecture en est plus facile. Beaucoup {p. 317}de choses passent sans que nous y donnions une attention suffisante, comme étant placées trop en évidence et trop claires pour nos yeux. L’habitude même, fruit d’un usage domestique, cette habitude intime nous trompe ; et comme, la plupart du temps, s’il se trouve dans nos amis et dans les personnes avec qui nous vivons quelque chose à remarquer en bien ou en mal, nous nous en apercevons moins, parce que des relations journalières y ont rendu notre esprit insensible ; tandis que, dans les étrangers et les gens que nous ne connaissons pas, les qualités et les défauts nous frappent vite, comme une chose nouvelle qui pique notre curiosité : de même on peut dire que, dans la lecture de nos écrivains, dans un travail qui demande trop peu de réflexion, quelquefois cette faculté se détend et se relâche ; le jugement ne s’y perd pas sans doute, mais notre défaut d’application en émousse la finesse ; et il échappe beaucoup de choses qu’on ne regarde pas, ou qu’on pèse trop légèrement ; tandis que, dans les auteurs anciens, on ne laisse rien passer qui mérite d’être connu, rien ne se perd pour le lecteur ; et tout, se trouvant soumis à une analyse exacte, à une curieuse investigation, se grave dans la mémoire, qui doit se pénétrer plus profondément de ce qu’elle met plus de temps à apprendre.
Version LXXVI.
Vœux de Marc Aurèle pour son maître Fronton. §
76. Je sais que le jour anniversaire de la naissance d’un ami, chacun fait pour lui des vœux. Mais moi cependant, comme je vous aime à l’égal de moi-même, je veux, en ce jour qui rappelle votre naissance, que mes prières soient conçues pour mon bonheur.
J’invoque donc tous les dieux, en quelque lieu de la terre qu’ils manifestent aux mortels les prompts et salutaires effets de leur puissance, les dieux qui font sentir leur assistance et leur pouvoir par les songes, les mystères, la médecine ou les oracles ; j’invoque chacun d’eux en particulier ; et, selon les différents vœux que j’adresse, je me transporte dans le lieu d’où je dois être plus facilement entendu de la divinité qui préside à la chose que je sollicite. Je monte d’abord à la citadelle de Pergame, et je supplie Esculape de donner la santé à mon maître, et de la lui conserver de tout son pouvoir. Je descends du temple, et je me rends à Athènes : prosterné {p. 319}devant Minerve, je prie la déesse, je la conjure que, si je dois posséder quelques connaissances dans les lettres, ce soit surtout de la bouche de Fronton qu’elles émanent pour passer dans mon sein. Maintenant, je retourne à Rome, et j’adresse des vœux ardents aux divinités des chemins et de la mer, pour que votre présence m’accompagne dans tous mes voyages, et que je n’aie point à souffrir si souvent le cuisant regret que me cause votre absence. Enfin, je supplie tous les dieux protecteurs de tous les peuples, et même ce bois sacré qui murmure sur la cime du Capitole, je les supplie de m’accorder la faveur de célébrer avec vous le jour où vous m’êtes né, et de vous trouver plein de santé et de joie. Adieu, maître cher, maître bien aimé.
Version LXXVII.
Liberté dans le langage. §
77. C. Carbon, tribun du peuple, ce défenseur effréné de la faction des Gracques, qui venait d’être anéantie, ce séditieux si ardent à souffler le feu naissant des discordes civiles, alla au-devant de Scipion l’Africain, qui revenait des ruines de Numance, tout éclatant de gloire. Le prenant presque dès l’entrée de la ville, il le conduisit jusqu’à la tribune, et lui demanda ce qu’il pensait de la mort de Tibérius Gracchus, dont il avait épousé la sœur. Il voulait, par le crédit d’un personnage si illustre, donner un vaste accroissement à l’incendie qu’il venait d’allumer, ne doutant point qu’une si étroite alliance n’inspirât à l’Africain quelques paroles pathétiques sur la mort d’un proche parent. Mais Scipion répondit que cette mort lui paraissait juste. A ces mots, l’assemblée, animée de la fureur du tribun, poussa de violentes clameurs : « Qu’ils se taisent, leur dit-il, ceux qui ne voient dans l’Italie qu’une marâtre. » Alors, comme il s’élevait des murmures : « Non, s’écria-t-il, vous ne me ferez pas craindre, à présent qu’ils sont libres, ceux que j’amenai ici enchaînés. »
Deux fois un peuple entier avait été réprimandé d’une manière humiliante par un seul homme ; et aussitôt (combien la vertu inspire de respect !) il se fit un profond silence. Sa récente victoire sur Numance, la conquête de la Macédoine par son père, les dépouilles enlevées par son aïeul sur Carthage abattue, les fers de deux rois, Syphax et Persée, précédant le char triomphal, firent alors courber la tête à l’assemblée tout {p. 321}entière, et lui fermèrent la bouche. Ce silence ne fut pas l’effet de la crainte ; les services des Emiliens et des Cornéliens, qui avaient délivré Rome et l’Italie de tant d’alarmes, ne permirent pas la liberté du peuple devant la liberté de Scipion.
Version LXXVIII.
Sur la vie et la mort de M. Tullius Cicéron. §
Il vécut soixante-trois ans : de sorte que, si sa mort n’eût pas été violente, on pourrait trouver qu’elle ne fut même pas prématurée. Son heureux génie s’illustra par ses chefs-d’œuvre, et par les honneurs qui en furent le prix. Lui-même jouit longtemps d’une fortune prospère ; cependant des coups terribles vinrent le frapper dans le cours d’une longue félicité : l’exil, la chute de son parti, le trépas de sa fille, et cette fin si tragique, si déplorable ; mais de tous ses malheurs, la mort est le seul qu’il ait supporté en homme. Et cette mort, à la bien apprécier, put lui paraître moins révoltante ; car il n’était point destiné à souffrir, de son ennemi vainqueur, un traitement plus impitoyable que ne l’eût été sa propre vengeance, si le sort l’eût aussi bien favorisé. Après tout, compensation faite de ses vertus et de ses défauts, ce fut un grand homme, un génie ardent, qui mérite un éternel souvenir, et qui ne saurait être loué dignement qu’en trouvant un autre Cicéron pour panégyriste.
Mais c’est en vain, Antoine, que tu as mis à prix ce divin organe, cette tête glorieuse tranchée par des assassins ; et, par l’appât d’un salaire homicide, excité leur rage contre l’homme qui fut le sauveur de la république et l’honneur du consulat. Tu as enlevé à Cicéron des jours pleins d’alarmes, un reste de vieillesse, et une existence qui devait être plus misérable sous ta domination, que la mort sous ton triumvirat ; mais la renommée et la gloire de ses actions et de ses discours, loin de les lui ravir, tu n’as fait que les accroître. Il vit et vivra toujours dans la mémoire des âges ; et tant que subsistera cet univers, œuvre du hasard ou de la Providence, enfin, quel qu’en soit l’auteur, tant que subsistera cet ensemble, que seul peut-être d’entre les Romains il a pénétré par son esprit, embrassé par son génie, illuminé par son éloquence, l’univers associera à sa durée la gloire de Cicéron ; ses écrits contre toi seront éternellement l’admiration de la postérité, et ta vengeance contre lui, l’objet de son exécration : de sorte que ce n’est pas toi qui as proscrit Cicéron, mais Cicéron qui semble t’avoir proscrit.
Version LXXIX.
Comment il convient d’employer le pathétique dans les plaidoyers. §
79. Le moyen le plus puissant pour la défense des prévenus sur qui pèse une accusation terrible et accablante, c’est l’emploi du pathétique, qui oblige les juges, non-seulement à se laisser fléchir, mais encore à témoigner leur émotion par des larmes. Il faudra tirer cet effet, ou de ce qu’a souffert la personne pour qui l’on parle, ou de ce qu’elle souffre actuellement, ou des maux qui l’attendent si elle est condamnée : peinture doublement vive, si nous faisons envisager de quel degré d’élévation et dans quel abîme elle tomberait. Ces motifs acquièrent de l’importance par la considération de l’âge, du sexe, et des objets chéris, je veux dire, les enfants, les parents et les proches. Tous ces moyens se traitent habituellement de diverses manières.
Mais un conseil que je dois donner particulièrement, c’est que personne ne se hasarde, sans être soutenu par un talent extraordinaire, dans cette tentative de tirer des larmes. En effet, si la pitié est un sentiment d’une force incomparable quand il s’est emparé de l’âme, de même, quand son effet est nul, elle languit ; et l’orateur médiocre eût été plus sage de l’abandonner aux réflexions que les juges font tout bas dans leur cœur.
L’emploi du pathétique ne doit jamais se prolonger ; et ce n’est pas sans raison qu’on a dit : Rien ne se tarit plus tôt que les larmes. En effet, quand le temps adoucit même les douleurs réelles, nécessairement cette douleur imaginaire qu’ont produite nos paroles est plus prompte à s’évanouir. Dès qu’on s’y arrête trop, les larmes fatiguent l’auditeur, il reprend sa tranquillité, et, libre de la passion qui le transportait, il revient à la raison. Ne laissons donc point refroidir ce sentiment ; quand nous aurons porté l’émotion à son comble, quittons-la, et n’espérons pas que personne déplore longtemps des maux qui ne le regardent point. Ainsi donc, si le discours doit généralement aller en croissant, c’est surtout dans cette partie : car tout ce qui n’ajoute pas à ce qui précède, semble le diminuer ; et l’émotion qui décroît est bientôt éteinte.
Version LXXX.
Les deux perles de Cléopâtre, reine d’Égypte. §
80.Il y eut deux perles, les plus grosses qui aient jamais existé. Cléopâtre, dernière reine d’Egypte, les posséda l’une et l’autre : elles lui étaient venues par héritage des rois de l’Orient. Dans le temps qu’Antoine se gorgeait tous les jours de mets exquis, cette princesse, avec une vanité superbe et impudente, le plaisantait sur l’appareil et la somptuosité de ses festins. Le Romain lui demanda ce qu’on pouvait ajouter à la magnificence de sa table : elle répondit qu’elle dépenserait à un seul repas dix millions de sesterces. Il était curieux d’apprendre par quel moyen, mais il ne croyait pas que la chose fût possible. Ils firent donc une gageure. Le lendemain, jour de la décision, la reine servit à Antoine un souper magnifique d’ailleurs, pour que ce jour ne fût pas perdu, mais pourtant un souper ordinaire. Antoine demandait d’un ton railleur qu’on produisît le compte: « Ceci est par-dessus le marché, dit-elle ; et seule je mangerai les dix millions. » Alors elle fit apporter le second service. Les officiers, qui étaient prévenus, ne placèrent devant elle qu’un vase plein de vinaigre (cette liqueur a un mordant, une force qui dissout les perles). Elle avait alors à ses oreilles ce chef-d’œuvre merveilleux, ce chef-d’œuvre vraiment unique de la nature. Tandis qu’Antoine attendait ce qu’elle allait faire, elle détache une perle, la plonge dans le vase, et sitôt qu’elle est dissoute, elle l’avale. Elle allait faire disparaître l’autre de la même manière : le juge du pari, L. Plancus, s’en saisit, et prononce qu’Antoine est vaincu : présage qui se réalisa.
Cette seconde perle n’a rien perdu de sa célébrité. Quand la reine, victorieuse dans un si noble défi, tomba en notre pouvoir, la perle fut sciée en deux : on prit, pour former des pendants d’oreilles à Vénus, pour placer à Rome, dans le Panthéon, la moitié d’un souper d’Antoine et de Cléopâtre.
Version LXXXI.
Critique de la poésie. §
81. Les vers ne conduisent point leurs auteurs aux distinctions ni à la fortune : tout leur fruit se borne à un plaisir court, à des louanges vaines et stériles. Ce que je dis, Maternus, et ce que je vais dire encore, effarouchera peut-être vos oreilles : à quoi sert-il que vous fassiez parler Agamemnon ou Jason avec talent ? Quel client défendu par là retourne chez lui votre obligé ? Notre ami Bassus est un grand poëte, ou, si ce titre est plus honorable, un bien illustre interprète des Muses : qui voit-on le reconduire, le visiter, lui faire cortége ? Les vers naissent sous sa plume, et des vers assurément pleins de charme et d’intérêt : toutefois, quel en est le résultat ? Lorsque, durant une année entière, il a travaillé tous les jours et une grande partie des nuits à enfanter et à polir un seul livre, il faut qu’il se mette à quêter et à solliciter des auditeurs qui veuillent bien l’entendre ; encore ne l’entendront-ils pas sans qu’il lui en coûte : il emprunte une maison, fait arranger une salle, loue des banquettes, distribue des annonces. Et, sa lecture fût-elle couronnée du plus brillant succès, cette gloire ne dure qu’un jour ou deux ; comme une moisson coupée en herbe ou séchée dans sa fleur, elle ne porte aucun fruit solide ni durable ; le poëte ne gagne à ce triomphe ni un ami, ni un client, ni un cœur où reste gravé longtemps le souvenir d’un bienfait, mais des acclamations vagues, de stériles applaudissements, une joie qui s’envole. Nous avons exalté naguère, comme un rare et admirable exemple, la générosité de Vespasien gratifiant Bassus de cinq cent mille sesterces. Il est beau sans doute de mériter par son talent les grâces de l’empereur ; mais combien il est plus beau de pouvoir, si l’état de notre fortune nous y oblige, recourir à soi-même, se rendre propice son propre génie, éprouver sa propre munificence !
Version LXXXII.
Suite du même sujet. §
82. Ajoutez que les poëtes, s’ils veulent créer et produire une œuvre estimable, doivent renoncer à la société de leurs amis et aux agréments de Rome, se soustraire à tous les devoirs de la vie, et, comme ils le disent eux-mêmes, s’enforcer dans le silence religieux des bois, c’est-à-dire, dans la solitude. La réputation même, la renommée, seul objet de leur culte, et, comme ils l’avouent, l’unique prix de tous leurs travaux, n’est pas autant le partage des poëtes que des orateurs ; car personne ne connaît les poëtes médiocres, et peu connaissent les bons. Quand une lecture obtient le plus rare succès, le bruit s’en répand-il jamais dans toute la ville ? à plus forte raison, va-t-il pénétrer au fond de tant de provinces ? Combien de voyageurs, venus d’Espagne ou d’Asie (pour ne point parler de nos Gaulois), s’enquièrent en arrivant ici de Bassus ? Ou bien, si quelqu’un le demande, une fois qu’il l’a vu, il passe outre, et sa curiosité est satisfaite, comme s’il avait vu un tableau ou une statue.
Du reste, mon discours ne tend point à détourner ceux auxquels la nature a refusé le génie oratoire, de se livrer à la poésie, si cette étude peut charmer leurs loisirs et attirer sur leur nom quelque célébrité. Non, l’éloquence en général et toutes les parties qu’elle embrasse sont pour moi sacrées et vénérables ; et ce n’est pas seulement le cothurne, objet de vos préférences, ni les accents de la muse héroïque qui obtiennent mes respects : la douceur de la lyre, les voluptueux caprices de l’élégie, l’amertume du vers satirique, les jeux de l’épigramme, toutes les formes, en un mot, que revêt l’art de bien dire, me semblent, parmi tous les nobles exercices, mériter la palme. Mais c’est vous, Maternus, que j’accuse, vous qui, porté par votre talent vers les hauteurs mêmes de l’éloquence, aimez mieux égarer vos pas, et, avec les moyens les plus élevés, vous arrêter à une gloire subalterne.
Version LXXXIII.
A un ami, pour l’engager à publier ses œuvres. §
83. Homme patient, ou plutôt homme dur, et je dirai presque cruel, de garder si longtemps entre vos mains des œuvres si distinguées ! Jusques à quand, envieux de votre bonheur et du nôtre, vous dénierez-vous à vous-même tant de gloire, à nous un plaisir ? N’empêchez pas vos œuvres de passer de bouche en bouche, et de se répandre aussi loin que s’est répandue la langue romaine. D’ailleurs, l’attente est grande, et dure depuis longtemps ; vous ne devez pas la frustrer encore et la prolonger. Quelques-uns de vos vers sont connus, et, malgré vous, ont rompu vos barrières : si vous ne les ressaisissez pour les réunir aux autres, comme des vagabonds sans aveu, ils trouveront maître quelque jour.
Ayez devant les yeux la mort à laquelle nous assujettit notre condition, et dont ce monument seul peut vous affranchir. Vous direz, selon votre usage, « C’est l’affaire de mes amis. » Certes, je souhaite que vous trouviez des amis assez dévoués, assez instruits, assez peu avares de leur peine, pour qu’ils puissent et veuillent bien se charger d’un service si important, d’une entreprise si laborieuse. Mais prenez garde qu’il n’y ait quelque imprévoyance à espérer d’autrui ce que vous-même ne faites pas pour vous. Encore, relativement à la publication de vos œuvres, agissez comme il vous plaira : en attendant, lisez-les du moins, afin d’être plus disposé à les livrer au public, et de goûter enfin cette joie dont je jouis depuis longtemps pour vous en espérance, et dont je ne jouis pas sans raison. Je me figure, en effet, le concours, l’admiration des auditeurs, les acclamations, le silence même que vous obtiendrez ; et quand je plaide ou quand je lis un ouvrage, ce dernier témoignage ne me charme pas moins que des acclamations, pourvu que ce soit un silence plein d’action, attentif, et curieux d’entendre le reste. Quand une récompense si flatteuse et si sûre doit être le fruit de vos veilles, ne les en frustrez pas davantage par des temporisations sans fin. Ce retard, lorsqu’il excède les bornes, risque d’être appelé du nom d’inertie et de nonchalance, ou même de timidité.
Version LXXXIV.
État de la république romaine après la défaite de Carthage. §
84. Les divisions des citoyens en parti populaire et en faction du sénat, et tous les désordres qui en furent la suite, avaient pris naissance à Rome, quelques années auparavant, dans le repos et l’abondance des biens que les hommes apprécient par-dessus tout. Car, avant la destruction de Carthage, le peuple et le sénat romain administraient la république avec un esprit de paix et de modération. Les citoyens ne se disputaient point les honneurs et le pouvoir : la crainte de l’ennemi les maintenait dans des principes salutaires. Mais, quand les esprits furent affranchis de cette continuelle appréhension, la licence et l’orgueil, ces vices ordinaires de la prospérité, entrèrent à sa suite. Ainsi le repos, objet de leurs vœux dans l’adversité, fut pour eux, quand ils l’eurent acquis, plus rude et plus amer que le malheur. Dès ce moment, la noblesse abusa de sa puissance, et le peuple, de sa liberté ; on vit chacun tirer à soi, disputer, arracher le pouvoir ; de sorte qu’il se fit de toute la nation deux partis contraires, et que la république, placée entre eux, fut affreusement déchirée. Cependant la noblesse, réunie en une faction, était plus puissante ; le peuple, désuni et dispersé, trouvait moins de force dans sa multitude. Dans la paix et dans la guerre, tout se traitait au gré de quelques hommes ; c’étaient eux qui disposaient du trésor public, des gouvernements, des magistratures, des distinctions, des triomphes : le service militaire pesait sur le peuple, avec l’indigence. Les généraux, avec un petit nombre d’individus, pillaient le butin, fruit de leurs campagnes ; tandis que les parents des soldats et leurs jeunes enfants, s’ils avaient pour voisin un homme puissant, étaient chassés de leurs foyers.
Sans doute, les Gracques, lorsqu’ils entreprirent d’affranchir le peuple, ne montrèrent pas assez de modération ; mais l’homme de bien aime mieux succomber, que de triompher de la violence par des moyens condamnables. La noblesse usa donc sans ménagement de la victoire, se défit d’une foule de citoyens par le fer ou par l’exil, et se prépara pour l’avenir plus de sujets de crainte que de puissance.
Version LXXXV.
Parallèle entre Démosthène et Cicéron. §
85. L’histoire rapporte que, pour devenir un grand orateur, Cicéron, secondé par un heureux génie et par la prévoyance de ses parents, n’eut qu’à suivre une carrière facile ; tandis que Démosthène ne trouva que des obstacles, créés par une nature ingrate et par la cupidité de ses tuteurs. C’est avec des dispositions si différentes qu’ils s’élevèrent à ce haut rang où ils parvinrent tous deux dans l’éloquence, avec une égale renommée, une gloire inégale peut-être : car à celui qui subit plus d’épreuves pour l’obtenir, la victoire fait plus d’honneur.
Aussi l’orateur romain a-t-il une élocution plus polie, plus douce, plus séduisante par sa facilité, comme un homme à qui la nature, par sa propre inspiration, sans aucun travail, fournit toujours des traits achevés, et qui, jusque dans le jet le plus rapide de la pensée, réalisent la perfection. L’orateur grec, au contraire, a plus de véhémence, plus d’énergie. On voit qu’il est habitué dès l’enfance à déployer de la vigueur, à multiplier les efforts, et qu’il s’est exercé à lutter avec lui-même avant de lutter avec les autres. Chez Cicéron, l’action est réservée, majestueuse, et variée suivant l’importance du sujet : c’est que l’auteur a sur lui-même un souverain empire, et possède toujours son jugement, qui règle, non-seulement ses gestes, mais ses émotions, et qui les modifie comme il convient, selon les personnes et les circonstances. Chez Démosthène, l’action est animée, et s’exalte jusqu’à l’emportement : un ton passionné, des mouvements rapides, l’ardente expression du visage et des regards, lui donnent une brûlante énergie. C’est que, dès le commencement, il se livra sans réserve à cette éloquence du corps, si je puis parler ainsi, et qu’en entraînant les autres, emporté par le torrent de l’inspiration, il partageait spontanément lui-même leur entraînement.
Version LXXXVI.
César Auguste fut moins heureux qu’on ne le pense. §
86. L’univers entier s’accorde à donner à Auguste le titre d’heureux. Mais si nous portions un regard attentif sur toute sa vie, nous y verrions de grands exemples des vicissitudes {p. 337}humaines : la place de maître de la cavalerie, refusée par son oncle à ses sollicitations, et accordée de préférence à Lépidus ; la haine que lui attira la proscription ; la honte d’avoir pour collègues dans le triumvirat les plus pervers des citoyens ; son indisposition pendant la bataille de Philippes ; sa fuite, et ces trois jours qu’il passa, malade, dans un marais où il se tenait caché ; ses naufrages en Sicile, où il se cacha aussi dans une caverne ; ses prières à Proculéius, pour en obtenir la mort, lorsque, dans sa fuite, il était pressé par des vaisseaux ennemis ; les embarras que lui donna la résistance de Pérouse ; ses inquiétudes à la bataille d’Actium ; tant de révoltes dans ses armées ; tant de maladies qui mirent en danger ses jours.
Puis, lorsqu’il fut parvenu à l’empire, les vœux suspects de Marcellus ; le honteux éloignement d’Agrippa ; tant de conspirations tramées contre sa vie ; la mort de ses enfants qui lui fut imputée, et ce reproche joint au deuil amer de leur perte ; l’adultère de sa fille, et ses projets parricides dévoilés ; la retraite outrageante de Tibère Néron, dont il avait épousé la mère ; ensuite tant de maux réunis : le défaut d’argent pour la solde, le soulèvement de l’Illyrie, l’enrôlement des esclaves, la disette de jeunes gens, la peste dans Rome, la famine et la sécheresse dans l’Italie, la résolution qu’il forma de mourir, et qu’il exécuta plus d’à moitié, en s’abstenant de nourriture pendant quatre jours. Ajoutez la défaite de Varus, les infâmes libelles qui attaquaient sa majesté, et les projets de son épouse et de Tibère, triste souci de ses derniers moments. Pour tout dire enfin, ce dieu, qui obtint l’apothéose peut-être plutôt qu’il ne la mérita, mourut en laissant pour héritier le fils d’un homme qui avait été son ennemi.
Version LXXXVII.
Satire contre la dépravation du siècle. §
87. Autrefois, quand la simple vertu avait encore des attraits, on voyait fleurir les arts libéraux, et les hommes rivaliser à l’envi pour qu’aucune connaissance qui pût être un jour utile au monde ne restât longtemps cachée. Aussi, plein de cette pensée, Démocrite, l’Hercule* de la science, distilla les sucs de toutes les {p. 339}herbes, et, pour mettre au jour les propriétés des minéraux et des plantes, consacra sa vie à des expériences. Eudoxus vieillit sur le sommet d’une haute montagne, pour surprendre le secret du mouvement des astres et du ciel ; et Chrysippe prit trois fois de l’ellébore, pour que son esprit épuré pût suffire à ses découvertes. Mais passons aux sculpteurs. Lysippe, appliqué aux contours d’une seule statue, expira de besoin sur son ouvrage ; et Myron, qui avait presque fait respirer sous des formes de bronze les hommes et les animaux, Myron ne trouva pas d’héritier. Nous, cependant, plongés dans les grossières voluptés des sens, nous n’avons pas même le courage de nous initier aux connaissances dont l’étude nous est frayée : loin de là, détracteurs de l’antiquité, nous n’enseignons, nous n’apprenons que des vices. Qu’est devenue la logique ? qu’est devenue l’astronomie, et la voie si sûre de la sagesse ? Vit-on jamais, de nos jours, personne entrer dans un temple, et s’engager par un vœu, pour acquérir l’éloquence, ou découvrir la source de la philosophie ? Et ce n’est pas même le jugement ou la santé qu’on demande. Mais, tout aussitôt, avant de toucher le seuil du Capitole, l’un promet des dons s’il enterre un parent riche ; l’autre, s’il trouve un trésor enfoui ; un autre, s’il peut parvenir avant sa mort à une fortune de 30,000,000 de sesterces. Le sénat même, ce conseil d’où émanent des préceptes d’honneur et de vertu, le sénat promet ordinairement au Capitole mille marcs d’or ; et, pour qu’on se livre partout sans scrupule à la cupidité, c’est par l’appât d’un profit pécuniaire qu’il cherche à se rendre propice le souverain même des dieux.
Version LXXXVIII.
On peut retirer quelque utilité même des ennemis. §
88. Pendant que les autres hommes ne songent qu’à se préserver des injures de leurs ennemis, le sage sait appliquer leur poison même à son propre salut ; et l’on peut dire avec raison que de la malignité de nos ennemis découlent pour la vie une foule de biens.
Et d’abord, combien ne redouble-t-on pas de vigilance pour se défendre, quand on se sent menacé par un ennemi ! L’âme se relève au milieu des embûches ; le bruit du danger réveille la vertu, qui se laisserait aller au sommeil, si elle n’avait rien à {p. 341}craindre, et tomberait dans un lâche engourdissement. Un ennemi vous assiége ; ses regards malveillants explorent toutes vos actions ; il tourne autour de votre vie, cherchant partout l’occasion de vous nuire. Et ses yeux pénétrants ne percent pas seulement les murs ou les pierres, comme ceux du fameux Lyncées : à travers vos amis et vos serviteurs, il épie tous les secrets que votre cœur renferme. Il cherche aussi par lui-même à vous surprendre, et, par ses menées couvertes, il vous sonde tout entier. C’est surtout aux fautes qu’il s’attache, qu’il applique ses investigations. Les vautours, attirés par l’odeur des cadavres, ne sentent point par leurs organes grossiers les corps que n’a point attaqués la corruption : de même, s’il est en vous quelque vertu, c’est la seule chose que ses sens ne perçoivent point. Il n’y as que les défauts qui le frappent ; c’est sur eux qu’il s’abat ; c’est la proie qu’il saisit, qu’il fouille, qu’il déchire. Rappelé à vous-même par ses premières atteintes, vous songez à élever autour de vous comme un rempart de vertus. Et comme un Etat que tiennent continuellement en haleine des guerres avec ses voisins, se fortifie et retrempe son courage dans ces épreuves : ainsi l’âme, exercée par les fréquentes attaques de ses ennemis, se dépouille insensiblement de ses vices, et puise dans ce conflit une force invincible, une énergie indomptable.
Version LXXXIX.
Réflexion d’un homme devant le cadavre de son ennemi rejeté par les flots. §
89. Pendant que je parcourais le rivage, j’aperçois tout à coup un cadavre humain, que la vague, en le faisant tourner sur lui-même, portait insensiblement vers le bord. Je plaignais son sort, et je croyais encore m’attendrir sur un inconnu, quand les flots, en le déposant sur le rivage, me montrèrent ses traits que la mort n’avait point défigurés ; et je reconnus un homme, mon ennemi naguère, ennemi terrible, implacable, maintenant presque étendu à mes pieds. Je ne pus retenir mes larmes, et même, me frappant la poitrine à coups redoublés : « Qu’est devenu, disais-je, ton courroux, ton emportement ? Te voilà abandonné aux poissons et aux bêtes féroces ; et quand tu te montrais, il n’y a qu’un instant, si fier de ton pouvoir, il ne t’est pas même resté, dans ton naufrage, une planche de ton navire. Allez maintenant, mortels ; gonflez votre cœur de {p. 343}projets ambitieux ! Fiez-vous à votre prévoyance, et préparez-vous à jouir pendant des milliers d’années de vos richesses acquises par la fraude ! Lui aussi, il supputait encore hier le produit de ses domaines ; que dis-je ? il fixait même en idée le jour où il reverrait sa patrie ! O ciel ! comme la mort l’a arrêté loin du but qu’il se proposait ! Mais ce n’est pas seulement la mer qui déjoue ainsi les projets des hommes. L’un, en faisant la guerre, est trahi par les armes ; l’autre, acquittant des vœux qu’il a faits au ciel, périt écrasé sous les ruines de ses pénates ; un autre tombe haletant de son char, et rend l’âme ; celui-ci s’étouffe en mangeant avec trop d’avidité ; celui-là, trop frugal, meurt victime de son abstinence. A bien calculer, on trouve partout un naufrage. Mais, dira-t-on, celui qui est englouti par les flots ne jouit pas de la sépulture. Et qu’importe, après tout, qu’un corps né pour périr soit détruit par le feu, par les flots, ou par le temps ? Quoi que vous fassiez, le résultat est toujours le même. »
Version XC.
Andromaque, pressée par Ulysse, tire Astyanax de l’endroit où elle le tenait caché. §
90. Viens, sors de ta retraite, triste objet que dérobait aux yeux une mère infortunée. Voilà cet enfant, Ulysse, cet enfant, la terreur de mille vaisseaux. Joins tes mains, mon fils ; prosterné devant un maître, presse en suppliant ses genoux, et ne rougis pas, à quelque nécessité que la fortune réduise des malheureux. Bannis de ta mémoire les rois tes ancêtres et l’illustre vieillard dont la puissance était célèbre sur toute la terre ; oublie Hector ; ne sois plus qu’un captif ; et, courbant les genoux, si tu ne comprends pas encore le coup affreux qui te menace, mêle tes larmes à celles de ta mère. L’ancienne Troie a vu aussi les pleurs d’un royal enfant, et le jeune Priam fléchit le courroux du redoutable Alcide. Oui, ce héros terrible, dont la force prodigieuse triomphe de tous les monstres, {p. 345}ce héros qui, brisant les portes de Pluton, se fraya pour son retour un chemin dans le ténébreux empire, fut désarmé par les larmes d’un faible enfant. « Reçois le sceptre, lui dit-il, et monte sur le trône où fut assis ton père ; mais règne avec plus de loyauté. » C’est ainsi qu’Alcide, victorieux, traita son captif. Imitez sa clémence dans son courroux ; ne voulez-vous de ce héros que ses armes ? Un suppliant est à vos genoux, un suppliant non moins auguste que le premier : il vous demande la vie. Quant au sceptre de Troie, que la fortune en dispose à son gré.
Version XCI.
Le petit bien de campagne. §
91. J’ai un petit champ que m’a laissé mon père : il n’est ni planté de vignes, ni fertile en blé, ni riche en pâturages. Un terrain stérile où croît l’humble thym, un bien peu étendu, autour d’une pauvre cabane, voilà mon domaine. C’est dans cette solitude où se cache ma vie, que j’ai résolu de couler des jours obscurs, loin du bruit de la ville, étranger à l’ambition et à tout désir d’une plus haute fortune, et de tromper la vie, dont la nature rend le passage si pénible. Tant que mes forces m’ont permis de plus rudes travaux, mes mains ont défriché la terre et arraché au sol ingrat quelques produits. Mais les jours passent vite, et les ans se précipitent emportés sur une pente rapide. J’ai perdu ma vigueur, qui faisait ma richesse, et, dans un corps usé par les travaux, la vieillesse, qui est déjà la mort en grande partie, ne m’a rien laissé que l’activité. J’examinais l’occupation qui pouvait convenir aux soins d’un âge débile, quand l’heureuse situation de mon jardin sembla me fournir l’occasion d’élever des abeilles. Il reçoit les premiers rayons du soleil en hiver, il jouit d’une exposition chaude, et ressent modérément l’influence de tous les vents. Un ruisseau, qui s’échappe d’une source voisine, et dont les eaux fuient rapidement sur des cailloux brillants, poursuit son cours entre deux rives de verdure. Les fleurs semées sur ses {p. 347}bords, et le vert feuillage des arbres, bien qu’en petit nombre, servent de berceau aux naissantes peuplades des abeilles : là, j’ai souvent recueilli un essaim de cette nouvelle jeunesse suspendu en grappe à la branche affaissée. Et mon plus grand plaisir n’est pas de rassembler le miel qui découle des rayons, et de le porter à la ville, pour le vendre aux riches, afin de subvenir aux besoins de ma pauvreté ; mais de trouver sur mes vieux jours une occupation contre les ennuis d’un âge où les facultés sont affaiblies.
Version XCII.
Il vaut mieux obliger les gens de bien que les riches. §
92. En obligeant les hommes, on a coutume de considérer ou leur caractère ou leur fortune. Il est certes facile de dire, et l’on dit aussi communément, qu’en rendant des services, c’est au caractère des personnes, et non à leur fortune, qu’on a égard. Voilà un beau langage. Mais enfin, quel est celui qui, en obligeant, ne sacrifiera point la cause de l’homme pauvre et irréprochable à la reconnaissance de l’homme riche et puissant ? En effet, nous sommes presque toujours plus disposés à servir ceux dont il semble que nous serons plus facilement et plus vite payés de retour. Cependant, examinons les choses avec quelque attention. Ceux qui se croient riches, respectés, heureux, ne veulent pas même se tenir obligés par un bienfait ; que dis-je ? ils s’imaginent avoir accordé un bienfait en recevant un service, quelque grand qu’il soit ; et ils vous soupçonnent même de réclamer ou d’attendre d’eux quelque chose. Mais la pensée qu’ils ont été l’objet de votre protection, que vous les appelez vos clients, une telle pensée est pour eux la mort. L’homme pauvre, au contraire, quelque chose qu’on ait fait pour lui, persuadé que vous avez eu égard à sa personne et non à sa fortune, prend à cœur de montrer sa reconnaissance, non-seulement à celui qui l’a obligé, mais encore à tous ceux dont il attend quelque service (car il a besoin de beaucoup de monde) ; et du moins, lorsqu’il s’acquitte de quelque manière, il n’exagère point par ses paroles le mérite de son action, il va même jusqu’à le rabaisser. Ajoutez cette considération, que, si vous défendez l’homme puissant et riche, l’obligation se borne à lui seul, ou peut-être à ses enfants ; mais, si c’est un homme sans bien, tous les honnêtes gens d’une humble condition voient un appui sur lequel ils {p. 349}peuvent compter. Il faut s’appliquer de tout son pouvoir à se rendre utile à toute sorte de personnes. Mais, s’il se présente un choix à faire, nous devons assurément nous en rapporter à l’exemple de Thémistocle. Quelqu’un lui demandait à qui il donnerait plutôt sa fille, d’un honnête homme sans fortune, ou d’un homme riche et peu estimé : « J’aime mieux, dit-il, un homme sans argent, que de l’argent sans homme. »
Version XCIII.
Mort du poëte Philémon. §
93. Philémon, célèbre auteur de comédies, lisait en public une partie d’une pièce qu’il avait nouvellement composée : déjà il commençait le troisième acte, quand une pluie soudaine obligea de remettre l’audition à un autre jour. Plusieurs personnes lui demandant avec instance la lecture du reste, il répondit qu’il l’achèverait le lendemain sans plus de retard. Le jour suivant, l’assemblée fut nombreuse. On se hâte pour être assis. Les plus éloignés se plaignent de ne pas trouver place sur les bancs. La salle est comble. Ceux qui, la veille, n’avaient pas fait partie de l’auditoire, demandent ce qu’on a lu ; ceux qui en faisaient partie repassent dans leur mémoire ce qu’ils ont entendu. Cependant le jour s’écoule, et l’auteur ne se présente pas au rendez-vous. Quelques-uns l’accusent de lenteur ; d’autres, en plus grand nombre, prennent sa défense. Mais, comme l’attente se prolongeait outre mesure, et que Philémon ne paraissait pas, on envoie quelques jeunes gens le chercher ; et ils trouvent le poëte mort, sur son lit de repos. Le souffle vital s’était exhalé de son sein ; sa froide dépouille, penchée sur sa couche, gardait l’attitude de la méditation. Sa main serrait encore un volume qu’elle tenait droit ; ses lèvres le pressaient encore ; mais la vie ne l’animait plus, il avait oublié son livre, et ne songeait plus à ses auditeurs. Ceux qui venaient d’entrer s’arrêtèrent un moment, frappés d’un spectacle si peu prévu, émerveillés d’une si belle mort. Puis, étant retournés à l’assemblée, ils annoncèrent au public « que le poëte Philémon, qu’on attendait au théâtre pour achever la lecture d’une pièce d’invention, avait déjà terminé chez lui le drame réel. Il avait dit au monde : Adieu, applaudissez ; à ses amis : Gémissez et frappez-vous le {p. 351}sein ; la pluie de la veille lui présageait ces pleurs ; dans sa comédie, la torche funèbre avait prévenu le flambeau nuptial. Ainsi, puisque l’illustre poëte avait quitté le rôle de la vie, il fallait passer de la salle même d’audition au convoi de ses funérailles ; c’était le moment de recueillir ses os ; bientôt on recueillerait ses vers. »
Version XCIV.
La vie ne paraît courte, que parce qu’on ne sait pas en faire usage. §
94. Pourquoi nous plaindre de la nature ? elle s’est libéralement conduite : la vie est longue si l’on sait en user. Mais l’un est possédé d’une insatiable avarice ; l’autre s’applique laborieusement à d’inutiles travaux ; un autre se noie dans le vin ; un autre croupit dans l’inertie ; un autre est livré aux pénibles soucis d’une ambition toujours dépendante du jugement d’autrui ; un autre est emporté par une passion mercantile, et l’espoir du gain l’entraîne sur toutes les terres, sur toutes les mers. Quelques-uns sont tourmentés de l’ardeur des combats, toujours rêvant à mettre les autres en péril, ou craignant d’y tomber eux-mêmes ; il en est qui, faisant à des supérieurs une cour sans profit, s’usent dans une servitude volontaire. Plusieurs ne s’occupent qu’à convoiter la fortune d’autrui, ou à maudire la leur. La plupart, sans aucun objet certain, cèdent à une légèreté irrésolue, inconstante, importune à elle-même, qui les pousse de projets en projets ; quelques-uns ne trouvent rien qui leur plaise pour en faire le but de leur carrière : c’est engourdis et bâillants, pour ainsi dire, que la mort vient les surprendre : de sorte que je tiens pour vraie cette sentence, cet oracle du plus grand des poëtes :
Nous ne vivons qu’une faible partie de notre vie.
De tous côtés le vice les assiége et les presse ; il ne leur permet point de se relever, ni de porter leurs yeux en haut pour contempler la vérité ; mais il les tient plongés dans l’abîme des passions. Jamais il ne leur est donné de revenir à eux-mêmes, si le hasard amène quelque relâche : ils se trouvent ballottés, comme sur une mer profonde, où, même après {p. 353}que le vent est tombé, règne encore une certaine agitation ; et jamais les passions ne leur laissent un instant de calme. On croit peut-être que je parle de ceux dont les misères sont reconnues. Regardez ceux dont le bonheur attire la foule empressée : leurs biens les étouffent.
Version XCV.
Comment le même siècle vit la réunion d’une foule de talents supérieurs chez les Romains. §
95. A moins qu’on ne se reporte à ces siècles incultes et grossiers, et qui n’ont que le mérite de l’invention, la tragédie romaine est renfermée dans Accius et ses contemporains ; et ce fut dans une même période que les grâces enjouées et sémillantes de la muse latine brillèrent sous la plume de Cécilius, de Térence et d’Afranius. Quant aux historiens, si l’on en excepte Caton et quelques autres annalistes anciens et obscurs, ils parurent dans un espace qui comprend moins de quatre-vingts ans, comme le temps qui vit fleurir la poésie se trouve borné par les mêmes limites. Pour ce qui regarde l’éloquence du barreau et la perfection du genre oratoire, en mettant à part ce même Caton (sans vouloir faire tort à P. Crassus, à Scipion, à Lélius, aux Gracques, à Fannius, à Ser. Galba), ce genre a pris si complétement l’essor avec Cicéron, le maître de son art, qu’on ne peut goûter qu’un très-petit nombre de ses devanciers, qu’on ne peut surtout admirer que ceux qu’il a connus, ou qui ont vu cet orateur. Il en fut de même pour les grammairiens, les sculpteurs, les peintres, les ciseleurs : quiconque étudiera les dates avec soin reconnaîtra la vérité de cette observation, et verra que tous les chefs-d’œuvre sont compris dans un espace de temps fort limité. Cette similitude et cette réunion de talents supérieurs s’étaient également produites, chez les Grecs, quatre siècles auparavant : l’histoire fournit d’abondantes preuves de cette assertion. Entre autres causes de ce double phénomène, celle-ci me paraît avoir le mérite, sinon de la vérité, du moins de la vraisemblance : l’émulation nourrit les talents ; l’admiration et l’envie, tour à tour, poussent vivement à l’imitation ; et quand les plus grands efforts aspirent vers un art, bientôt il s’élève au plus haut point de grandeur ; en même temps il est difficile de se maintenir dans la perfection ; et naturellement ce qui ne peut plus avancer, recule. Du moment qu’on dés {p. 355}espère de dépasser ou d’atteindre ceux qu’on regarde comme les premiers, l’ardeur s’éteint avec l’espérance ; et, quittant une matière envahie, pour ainsi dire, on en cherche une nouvelle où l’on puisse déployer ses efforts et s’illustrer : de sorte que cette fréquente mobilité est le principal obstacle qui empêche de produire des ouvrages parfaits.
Version XCVI.
Institution des jeux Scéniques à Rome. §
96. Sous le consulat de C. Sulpicius Béticus et de C. Licinius Stolon, une affreuse épidémie, détournant la république d’entreprises guerrières, l’accabla au dedans de maux domestiques. Déjà l’on voyait plus de ressources dans la religion, dans un culte nouveau et particulier, que dans toute la science des humains. On composa donc des hymnes pour apaiser la divinité. Ils furent avidement écoutés du peuple, qui jusqu’alors s’était contenté des spectacles du cirque, célébrés pour la première fois par Romulus, en l’honneur du dieu Consus, lors de l’enlèvement des Sabines. Mais, comme les hommes s’attachent naturellement à poursuivre le développement des choses les plus simples dans leur origine, la jeunesse, portée à l’enjouement, joignit aux expressions de respect envers les dieux des danses rustiques et grossières ; ce qui fournit l’occasion de faire venir d’Etrurie une sorte de pantomime, dont la gracieuse agilité fut pour les yeux des Romains une nouveauté pleine d’attraits. Et comme ces sortes de comédiens se nomment histrions dans la langue étrusque, ce nom fut donné aux acteurs qui montent sur la scène.
Ces jeux devinrent insensiblement des pièces de satires, dont le poëte Livius Andronicus sut le premier détourner le spectateur, pour attirer son attention sur des sujets dramatiques. Cet auteur jouait lui-même ses pièces ; mais, à force d’être redemandé par le public, il altéra gravement sa voix : {p. 357}alors, aidé des accords d’un chanteur et d’un joueur de flûte, il remplissait en silence la partie des gestes.
Quant aux Attellans, ils vinrent de chez les Osques. Ce genre de divertissement, tempéré par la sévérité latine, ne déshonore point les acteurs ; car il ne les fait point descendre de leur tribu (dans une tribu inférieure), et ne les exclut point du service militaire.
Version XCVII.
De la mémoire. §
97. La mémoire est le trésor et le dépôt des connaissances, la mère des Muses, et la nourrice de la sagesse.
Certes, la réalité peut-elle offrir, l’imagination concevoir rien de plus merveilleux que cette capacité ménagée dans l’esprit, où chaque jour apporte et accumule une masse considérable d’objets sans la remplir, sans la combler, mais en la dilatant au contraire, en la développant davantage, en y ouvrant sans cesse de nouveaux réservoirs et d’étonnantes profondeurs ? Merveilleux phénomène ! une foule prodigieuse de choses et de mots, dont la signification est aussi différente que leurs formes sont variées, se conservent dans un espace si borné, sans mélange et sans confusion, d’une manière si nette et si distincte, qu’on dirait un peuple classé par individus ou par familles, où l’on peut facilement lire à la façade de chaque maison le nom et la profession de son maître, et appeler au dehors celui qui l’habite, ou passer en revue la nation tout entière. Quoi de plus commode que d’avoir à sa disposition cette espèce de milice liée par son serment à votre obéissance, où règne une si parfaite union, un ensemble si fidèle, que l’on peut à son gré faire avancer séparément chacun de ceux qui la composent, ou tous les corps à la fois, ou chaque individu, en suivant l’ordre des rangs, sans que le moindre désordre se mette dans cette multitude ! Les uns, se tenant au poste le plus reculé, font place à ceux qui avancent ; d’autres, se montrant à moitié, s’arrêtent comme incertains encore et épiant votre appel ; d’autres, sans hésiter, paraissent entièrement, et, sûrs d’être appelés, s’élancent à vos ordres. Accompagné d’une suite de serviteurs si nombreux et si obéissants, quelle brillante idée un homme ne donnera-t-il point {p. 359}dude son esprit à ceux qui l’entendront ! Pas un fait ne s’accomplira, pas un objet ne se présentera dans la conversation, pas un point douteux ne sera soumis à la discussion, qu’il ne soit tout prêt à invoquer l’autorité des anciens, à transporter dans ses discours quelques sages propos, quelque trait de courage, quelque habile expédient ; à comparer les anciens aux modernes, sa nation aux nations étrangères ; et ces moyens, il pourra les déployer avec une sorte de luxe et d’ostentation.
Version XCVIII.
Eloge de la bienveillance de Théodose dans la distribution des dignités. §
98. Votre bienveillance, égale pour tous, voulant porter aux honneurs plus de citoyens que les honneurs n’en pouvaient admettre, et ce fonds étant trop borné au gré de vos désirs, ceux que vous n’avez pas élevés encore en dignités, vous les avez consolés par votre estime. L’un s’est vu honoré par vous d’un entretien ; l’autre a goûté la joie de s’asseoir à votre table ; un autre a reçu vos embrassements. Ainsi, tous ceux qui, sous un prince tel que vous, mettaient en eux-mêmes une confiance légitime, ont été promus à des dignités nouvelles, ou satisfaits par des égards affectueux, par ces égards, aussi remarquables qu’ils sont peu communs chez un prince. En effet, une fierté superbe étant l’inséparable compagne de l’opulence, on a vu rarement quelqu’un jouir d’une haute fortune et rester étranger à l’orgueil. Or ce vice était tellement odieux à nos ancêtres, que le mépris les a toujours plus révoltés que la servitude ; et, qu’en lassant leur patience, après le belliqueux Tullus, et le religieux Numa, et Romulus le fondateur de Rome, il leur a fait haïr jusqu’au nom de la royauté. Enfin ils ont attaché à la personne de Tarquin lui-même cette désapprobation flétrissante ; cet homme, sans frein dans la passion, aveuglé par l’avarice, impitoyable dans la cruauté, insensé dans ses fureurs, ils l’ont appelé le Superbe ; et ce titre leur a semblé une injure suffisante. Si le noble défenseur de la liberté romaine, si Brutus, rendu pour quelque temps à la vie par la nature, voyait cette génération de vos jours où brille le goût de la vertu, de la frugalité, et la douceur des mœurs ; s’il vous voyait vous-même, dans votre vie publique ou privée, imitant la rigoureuse austérité des anciens généraux, la chasteté des pontifes, {p. 361}la modération des consuls, l’affable simplicité des préteurs, il changerait, je n’en doute pas, d’opinion, après un si long espace de temps, et se verrait forcé de reconnaître que c’était Tarquin qu’il fallait bannir, et non la royauté.
Version XCIX.
Quelques détails sur les habitudes de T. Flavius Vespasien. §
99. Voici comme son existence était généralement disposée pendant son règne, il s’éveillait toujours de bonne heure, et avant le jour ; alors il lisait ses dépêches, examinait les rapports de ses officiers, et recevait ses amis. Pendant que ceux-ci lui rendaient leurs devoirs, il se chaussait et s’habillait lui-même. Après avoir expédié toutes les affaires qui s’étaient présentées, il se faisait porter pour la promenade, ensuite il se livrait au repos, passait au bain, puis à table. On dit que c’était le moment où on le trouvait le plus facile, le plus bienveillant ; et les gens de sa maison, qui sollicitaient quelque faveur, avaient soin de choisir l’heure de ses repas. A table, il décidait beaucoup d’affaires en plaisantant ; car il avait un singulier penchant pour la raillerie, mais pour une raillerie basse et grossière, qui ne s’abstenait pas même des expressions les plus indécentes. On cite pourtant de ce prince quelques plaisanteries de bon goût, entre autres celle-ci : Menstrius Florus, personnage consulaire, l’ayant averti qu’il fallait prononcer plaustra (chariots), et non plostra, le lendemain, en le saluant, il l’appela Flaurus.
Cependant c’était dans les gains peu honorables qu’il affectait de badiner, pour faire disparaître par quelque saillie ce qu’ils avaient d’odieux, et leur donner le caractère d’un bon mot. Un de ses officiers favoris lui demandait une place d’intendant pour quelqu’un qu’il disait être son frère. L’empereur le remit à un autre jour ; puis, ayant fait venir le candidat lui-même, il l’obligea de lui compter la somme que ce dernier avait promise à son protecteur, et le revêtit immédiatement de l’emploi. Bientôt après, l’officier le sollicitant de nouveau : « Pourvoyez-vous, dit-il, d’un autre frère : celui-ci, que vous croyez le vôtre, est le mien.»
Version C.
Comment le premier Africain honorait Ennius de son amitié. §
100. L’ancien Scipion, qui le premier rejeta la guerre punique des rivages latins aux lieux d’où elle était sortie, alliait aux exercices de Mars le culte des Muses ; et les poëtes étaient toujours pour le général romain l’objet d’une vive sollicitude. La valeur, en effet, aime à s’entourer des regards des neuf sœurs ; les chants plaisent à qui fait des exploits dignes d’être chantés. Aussi, soit que le jeune héros, vengeur des mânes paternels*, soumît à ses lois les flots de l’Ibérie ; soit que, près d’abattre sous ses coups irrésistibles la puissance carthaginoise, il portât sur la mer de Libye ses redoutables étendarts, le docte Ennius était toujours à ses côtés, le suivait dans toutes ses campagnes, et marchait au milieu des clairons. Après la trompette des combats, le fantassin prétait à ses chants une oreille favorable, et le cavalier, tout sanglant encore de la bataille, les accueillait par des applaudissements. Puis, lorsque Scipion eut vaincu les deux Carthages (l’une, pour venger son père, l’autre, pour venger sa patrie) ; lorsqu’enfin, après une guerre longue et meurtrière, il poussait devant son char de triomphe la Libye éplorée, la Victoire ramena les Muses avec elle, et la palme de Mars couronna le front du poëte.
FIN.
Table des matières. §
- PREMIÈRE PARTIE.
- Versions. Pages.
- 1. Les deux Sources. 18
- 2. Le Chien dénonciateur. 20
- 3. Le Cheval et le Loup. 20
- 4. A un ami qui relève d’une grave maladie. 22
- 5. Avantages de la vie champêtre. 24
- 6. Principal devoir d’une mère. 24
- 7. On doit aux savants les plus hautes récompenses. 26
- 8. Mort de Cacus. 28
- 9. Pline à son ami Tacite. 30
- 10. Les îles Fortunées. 30
- 11. Détour ingénieux imaginé par Aristote pour désigner son successeur. 32
- 12. Moyen employé par la femme de Pythès pour guérir la cupidité de son mari. 34
- 13. Suite du même sujet. 34
- 14. La majesté de la gloire, imposante même pour des ennemis. 36
- 15. Tentative de Verrès, préteur en Sicile, pour enlever l’Hercule d’Agrigente. 38
- 16. Exemples d’impiété. 40
- 17. Rétablissement de Jérusalem. 42
- 18. Ruine de Jérusalem. 44
- 19. Sur le désir d’apprendre. 46
- 20. Des prodiges chez les Romains. 48
- 21. Les monuments des lettres l’emportent sur ceux des arts. 48
- 22. Comment Démocrite découvrit dans un fait peu important le génie caché de Protagore. 50
- 23. Education de l’héritier de la couronne, chez les Perses. 50
- 24. Déprédations de Verrès à Haluntium 52
- 25. Perfidie des enfants envers les auteurs de leurs jours. 54
- 26. Suite du même sujet. 56
- 27. Crésus est vaincu par Cyrus. 58
- 28. Dialogue entre Jonas et les matelots. 58
- 29. Suite du même sujet. 60
- 30. De l’éducation publique. 62
- 31. Séjour du Sommeil. 64
- 32. Le brigand de Sienne. 64
- 33. Phèdre le fabuliste. 66
- 34. Henri IV. 68
- 35. Aventure de Canius. 70
- 36. Suite de l’aventure de Canius. 70
- 37. Songe du roi Crésus. 72
- 38. Utilité de l’amitié. 74
- 39. La Fortune, accusée d’inconstance, se justifie. 76
- 40. De la discipline des Spartiates. 78 {p. 365}
- 41. Une bibliothèque doit être formée pour l’usage du public et des particuliers, et non pour la montre. 78
- 42. Les besoins du corps sont bornés. 80
- 43. Comment Philippe confia au philosophe Aristote l’éducation d’Alexandre. 82
- 44. Instructions de Dédale à son fils. Chute et mort d’Icare. 84
- 45. Ælius Adrien. 84
- 46. Eloge de la ville de Paris. 86
- 47. Suite du même sujet. 88
- 48. Plaisanteries dirigées contre Auguste. 90
- 49. Contre ceux qui affectent de se servir de vieilles locutions. 92
- 50. On doit prêter à la vérité même les grâces de l’élocution. 92
- 51. Incendie du palais de Persépolis. 94
- 52. Repartie plaisante d’Annibal au roi Antiochus. 96
- 53. Les Parthes. 98
- 54. Fuite de Xerxès. Bataille de Platées. 100
- 55. Démosthène lutte contre la nature. 100
- 56. Sur les esclaves. 102
- 57. Traits de fidélité des esclaves envers leurs maîtres. 104
- 58. Première guerre punique. 106
- 59. Portrait d’un bon roi. 106
- 60. De l’Espagne. 108
- 61. De la finesse dans les paroles ou dans les actions. 110
- 62. Maximin. 112
- 63. Jules César et le Vétéran. 114
- 64. De l’Apologue. 114
- 65. Denys l’Ancien. 116
- 66. Suite du même sujet. 118
- 67. Une femme de l’île de Céos s’empoisonne en présence de Sextus Pompée. 120
- 68. Mot de Philippide sur les secrets des rois. 122
- 69. Straton est élu par les esclaves roi de Tyr. 124
- 70. Guerre des Pirates. 126
- 71. Des philosophes qui ne le sont que par l’habit et l’extérieur. 128
- 72. Mort de Pompée. 130
- 73. Mort de Romulus. 130
- 74. Comment l’Etat de Lacédémone fut constitué par Lycurgue. 132
- 75. Quelques sages propos de Socrate et de Solon. 134
- 76. Les Sarrasins. 136
- 77. Pillage de Persépolis. 138
- 78. Persée, roi de Macédoine, conduit en triomphe. 138
- 79. De la Lecture. 140
- 80. Midas change en or tous les objets qu’il touche. 142
- 81. Les frères Philènes. 144
- 82. Suite du même sujet. 146
- 83. Eloge de l’Eloquence. 148
- 84. Extraits de la lettre de Servius Sulpicius à Cicéron, qui pleurait la mort de sa fille. 148 {p. 366}
- 85. L’Inde. 150
- 86. Darius, près de livrer bataille aux Macédoniens, dans les plaines d’Arbèles, harangue son armée. 152
- 87. Suite du discours de Darius. 154
- 88. Cicéron raconte comment il fut amené à penser plus modestement de lui-même. 156
- 89. Quelques détails sur Alexandrie. 158
- 90. Sur Platon. 160
- 91. Marcus Porcius Caton. 162
- 92. L’Aigle. 162
- 93. Bataille de Munda. 164
- 94. L’Hiver de 1709. 166
- 95. Suite du même sujet. 168
- 96. Excellence de la Langue grecque. 168
- 97. Puissance de l’Apologue. 170
- 98. Eumène dans les fers, aux Argyraspides. 172
- 99. La nature a donné à l’homme une âme inquiète et remuante. 174
- 100. Marius. 176
- SECONDE PARTIE
- 1. De l’Eloquence et de la Poésie. 178
- 2. Bonheur de Quintus Métellus. 180
- 3. Quelles qualités doivent avoir le chien de ferme et le chien de berger. 182
- 4. Quelle doit être l’éducation du futur orateur. 184
- 5. Alexandre va visiter le temple d’Ammon. 186
- 6. Suite du même sujet. 188
- 7. Patience de Philippe, roi de Macédoine, et de César Auguste, à supporter les injures. 190
- 8. Entretien de Xerxès et de Démarate. 192
- 9. Suite du même sujet. 194
- 10. Description de la Thrace. Mœurs des Gètes en particulier. 194
- 11. La Sicile. 196
- 12. Eurydice est ravie une seconde fois à Orphée. 198
- 13. De la Musique. 200
- 14. Métellus rétablit la discipline dans l’armée romaine, corrompue par son séjour en Afrique. 202
- 15. Suite du même sujet. 204
- 16. De l’Homme. 206
- 17. Le Parasite, ou le Flatteur. 208
- 18. Néron artiste. 210
- 19. Quelques détails sur T. Flavius Domitien. 212
- 20. Caractère des Romains sous le règne de Gallus. 214
- 21. Siége de Salone. 216
- 22. Vices et vertus d’Alcibiade. 218
- 23. Thémistocle. 220
- 24. Comment le philosophe Socrate s’exerçait à la patience. 222
- 25. Quel doit être le caractère de l’avocat. 222 {p. 367}
- 26. Ruine d’Albe. 224
- 27. Quelques particularités sur la classe des Druides, chez les Gaulois. 226
- 28. Les villes maritimes se corrompent plus tôt que les villes situées dans l’intérieur des terres. 228
- 29. Caractère de L. Junius Brutus. 230
- 30. Lettre de Pline le Jeune à un ami, touchant les funérailles de Virginius Rufus. 232
- 31. Leçons des Muses. 234
- 32. Eloge de la simplicité de Théodose. 236
- 33. Bonheur des nations qui jouissent d’une monarchie héréditaire. 238
- 34. Pline à Sosius Sénécion, touchant les lectures publiques. 240
- 35. Devoir du maître qui enseigne. 242
- 36. L’âme doit commander, et le corps, obéir. 244
- 37. Discours de Charles-Quint, roi d’Espagne, à Philippe II son fils, en abdiquant la couronne. 246
- 38. L’homme est injuste appréciateur des présents du ciel. 248
- 39. Importance de l’action dans les plaidoyers. 248
- 40. Contre la cupidité du siècle. 250
- 41. Tibère Néron se retire dans l’île de Rhodes, et y fait sa société des astrologues. 252
- 42. Discours de Callisthène contre la proposition de rendre à Alexandre les honneurs divins. 254
- 43. Il faut choisir des amis, autant que possible, exempts de passions. 256
- 44. Origine des Epigones. 258
- 45. Regrets sur la mort du navigateur Dumont d’Urville. 260
- 46. Portrait d’Annibal. 262
- 47. Les quatre âges du peuple romain. 264
- 48. Des Abeilles. 266
- 49. Suite du même sujet. 268
- 50. Eloge de la clémence de Jules César, prononcé par Cicéron. 270
- 51. Les recrues militaires doivent être tirées de la campagne et exercées assidument. 272
- 52. Les cendres de Germanicus transportées à Rome ; funérailles de ce prince. 272
- 53. Suite du même sujet. 274
- 54. Suite du même sujet. 276
- 55. Comment il faut prévenir la colère. 278
- 56. Des Yeux. 280
- 57. La forêt voisine de Marseille est abattue par ordre de César. 282
- 58. Qualités d’Homère. 284
- 59. Retour d’Alcibiade à Athènes avec son armée triomphante. 286
- 60. Comment, après le siècle d’Auguste, l’éloquence déclina chez les Romains. 288
- 61. Pline loue Trajan d’avoir condamné la troupe des délateurs à l’exil. 290
- 62. Entrée de Trajan dans Rome. 292 {p. 368}
- 63. De l’imitation des anciens. 292
- 64. L’homme de bien, sur le point de mourir, passe en revue les actions de sa vie. 294
- 65. Des deux Génies attachés à chacun des mortels. 296
- 66. De la Peinture. 298
- 67. Le Nil. 300
- 68. Triomphe de César. 302
- 69. Extrait du récit de la mort d’Hippolyte. 304
- 70. L’empereur Julien à Antioche. 306
- 71. Quelques détails sur les mœurs des Germains. 308
- 72. Pline engage les principaux citoyens de sa ville à fonder chez eux des écoles publiques. 310
- 73. Enseignement de Socrate. 312
- 74. Des misères de l’âge mûr. 312
- 75. Utilité de la Lecture des anciens. 314
- 76. Vœux de Marc-Aurèle pour son maître Fronton. 316
- 77. Liberté dans le langage. 318
- 78. Sur la vie et la mort de M. Tullius Cicéron. 320
- 79. Comment il convient d’employer le pathétique dans les plaidoyers. 322
- 80. Les deux perles de Cléopâtre. 324
- 81. Critique de la Poésie. 326
- 82. Suite du même sujet. 328
- 83. A un ami, pour l’engager à publier ses œuvres. 330
- 84. Etat de la république romaine après la défaite de Carthage. 332
- 85. Parallèle entre Démosthène et Cicéron. 334
- 86. César Auguste fut moins heureux qu’on ne le pense. 334
- 87. Satire contre la dépravation du siècle. 336
- 88. On peut retirer quelque utilité même des ennemis. 338
- 89. Réflexions d’un homme devant le cadavre de son ennemi rejeté par les flots. 340
- 90. Andromaque, pressé par Ulysse, tire Astyanax de l’endroit où elle le tenait caché. 342
- 91. Le petit bien de campagne. 344
- 92. Il vaut mieux obliger les gens de bien que les riches. 346
- 93. Mort du poëte Philémon. 348
- 94. La vie ne paraît courte, que parce qu’on ne sait pas en faire usage. 350
- 95. Comment le même siècle vit la réunion d’une foule de talents supérieurs chez les Romains. 352
- 96. Institution des jeux Scéniques à Rome. 354
- 97. De la mémoire. 356
- 98. Eloge de la bienveillance de Théodose dans la distribution des dignités. 358
- 99. Quelques détails sur les habitudes de T. Flavius Vespasien. 360
- 100. Comment le premier Africain honorait le poëte Ennius de son amitié. 362
FIN DE LA TABLE.