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Avis aux RR PP jésuitesAdibert, Pierrep. 3-701687
Avis aux RR PP jésuites
Il est étrange, Mes Révérends Peres, que vous ayez si mal profité des Avis que l’on donna l’année passée à vos Confreres de Luxembourg sur leur scandaleuse Procession ; & que l’on soit obligé de vous en donner de semblables sur ce que vous venez de faire à Aix qui n’est pas moins indigne de Chrêtiens, de Religieux & de Prêtres.
Si vous aviez consulté vos Peres de Paris, on ne doute pas qu’ils ne vous eussent conseillé de mieux ménager vôtre réputation & l’honneur de la Compagnie. Car on sçait qu’ils n’ont pas approuvé qu’on eût employé toutes sortes de Divinitez Payennes pour rendre honneur à la Vierge dans une Procession où on portoit le S. Sacrement ; qu’ils en ont eu honte ; & qu’ils n’ont eu autre chose à dire, sinon que leurs Peres de Luxembourg étoient de bons Flamends qui n’avoient pas encore profité de l’avantage qu’ils ont d’être à la France ; que leur dévotion se raffineroit avec le temps, & que pour eux ils n’auroient garde de rien faire de semblable.
Que diront-ils maintenant qu’ils ne peuvent plus attribuer vos folies à la prétenduë grossiéreté d’un Climat étranger, puis que c’est en France & par des Jesuites François qu’elles se sont commises, dans un Païs dont les habitans ne passent pas pour de bons Flamends, mais pour des esprits fort déliez, dans une Ville de Parlement, & aux fraix de ses principales familles dont les enfans ont été vos Acteurs, & si on vous en croit, avec l’applaudissement de tout le monde ? S’ils sont raisonnables, ils avoüeront que vous vous êtes justement attiré ces nouveaux Avis, & que les circonstances que je viens de marquer ne faisant que rendre vôtre action plus scandaleuse, on n’a pû sans faire tort à la Religion se dispenser de vous en faire une correction publique. Vous le devez trouver bon, Mes Peres, pour peu que vous ayez de Christianisme, & prendre pour une marque que l’on vous aime, de ce que l’on vous fait cette charité, selon cette belle parole de S. Augustin : Magis amat objurgator sanans quam adulator unguens caput.
I.
Le silence, Mes Peres, que vous affectez à l’égard de M. le Cardinal Grimaldi prédécesseur de celui à qui vous faites une réception si magnifique & en même temps si profane & si Payenne, ne vous fait pas d’honneur. Mais avant que d’en découvrir le mystére, il faut vous en faire rougir s’il y a moyen, en vous faisant voir combien ce silence est injuste, & combien il est contraire à la piété & aux sentimens que les veritables Chrêtiens ont toûjours fait paroître en de semblables occasions.
Si vous étiez aussi versez dans l’histoire de l’Eglise & dans ses saintes pratiques, que vous témoignez l’être dans les fables des Poëtes, vous auriez sçû peut-être ce qui se passoit autrefois aux Elections & aux Ordinations des Evêques. On en peut juger par ce qui se faisoit à Rome, selon ce qu’on en apprend d’un Livre du VIII. Siécle intitulé Diurnus Romanorum Pontificum, qui a été donné au public, il y a quelques années, par vôtre P. Garnier. On y voit quelle étoit la douleur des fidéles dans la perte de leurs bons Pasteurs. C’étoit la coûtume qu’on en annonçoit la mort à l’Exarque de Ravenne qui gouvernoit l’Italie sous l’Empereur qui tenoit son Siége à Constantinople : Et voici comme ceux qui representoient alors le S. Siége s’acquittoient de ce devoir : « Ce n’est pas sans beaucoup de gemissemens & de larmes, disoient-ils, que nous faisons connoître à Vôtre Excellence, que Dieu conserve, qu’il a plû à Dieu qui gouverne le monde par les loix de sa providence, de retirer de cette vie nôtre trés-saint Pontife, dont la mort a causé une douleur si universelle, que tous jusqu’aux pierres mêmes, s’il est permis de le dire, en ont pleuré, Cujus cuncti verè, & si dicendum est, etiam lapides ipsi fleverunt exitum. Il est mort, poursuivent-ils, le N. de ce mois, & dans l’accablement de tristesse où nous met une telle perte, la seule chose qui nous reste, est d’élever nos yeux vers Jesus Christ, afin qu’ayant pitié de l’abandonnement où nous sommes, il daigne donner un veritable Pasteur à son Eglise qu’il a fondée lui-même, & contre laquelle, selon sa promesse les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais. »
Et afin que l’on ne dise pas que cette tristesse n’étoit que passagere, & que la joye du successeur en effaçoit entiérement le souvenir,
Ibid. p. 10.
on n’a qu’à lire pour être convaincu du contraire, le Decret qui se faisoit en suite de l’Election pour être mis & conservé dans les Archives de l’Eglise de Rome. On y parle à la verité de consolation & de joye, mais on n’y perd point de vûë la tristesse qui les a précédées. « On remercie la divine providence d’avoir converti les gemissemens & les pleurs de l’Eglise en des cris d’acclamation & de joye, & d’avoir fait succéder une abondance de consolation à un excés de douleur.… la mort de nôtre S. Pontife, ajoûtent-ils, que Dieu a appellé de cette vie à une meilleure, nous avoit mis dans un grand accablement nous voyant ainsi destituez de nôtre Pasteur ; mais la bonté divine n’a pas laissé long-temps en cet état ceux qui espéroient en lui. »
Mais peut-être qu’on avoit soin de cacher cette tristesse au Successeur, & qu’on affectoit de ne faire paroître devant lui que de la joye. Les vrais Chrêtiens ont toûjours été plus simples, & la dissimulation n’a jamais été leur caractére. Ceux que nous proposons ici pour modéle, parloient dans des actes publics qui étoient vûs de tout le monde, & ils ne faisoient point de difficulté d’y témoigner que ce qui causoit leur joye dans
Pag. 13.
l’Election de leur Pasteur étoit qu’il avoit autant de mérite que celui qui venoit de leur être enlevé, & qu’ils espéroient de retrouver dans le Successeur le même avantage qu’ils venoient de perdre avec le défunt, Ut quidquid boni in illo amisimus, in hoc nos invenire indubitabiliter confidamus.
II.
Voilà, Mes Peres, de quels sentimens vôtre joye devoit être tempérée. Si elle en avoit été d’une part moins évaporée & moins mêlée d’objets tristes, elle auroit parû de l’autre plus naturelle & plus raisonnable & auroit moins choqué les gens de bien. D’où vient donc que ce qui saute aux yeux de tout le monde ne vous est point venu dans l’esprit ? Est-ce que M. le Cardinal Grimaldi n’avoit nulle qualité qui dût vous le faire regretter ? Ses vertus Episcopales qui l’ont fait être l’un des plus grands ornemens de l’EgliseRomaine & de l’Eglise Gallicane, n’ont-elles point été capables de faire de sa mort un assez grand sujet de deüil pour n’être pas tout à fait oublié à la réception de son successeur ? Il n’avoit à la verité ni le zéle d’Hercule, ni la douceur d’Orphée, ni la vigilance d’Argus, ni la charité d’Esculape, ni la science d’Apollon, dont vous composez le caractére du Héros de vôtre Ballet ; mais il possédoit en un degré éminent les qualitez que doit avoir un Evêque selon S. Paul. Il étoit irréprehensible ; Il étoit sobre, prudent, grave, modeste ; Il étoit équitable & modéré, éloigné des contestations ; desintéressé ; trés-réglé dans sa famille. Ceux mêmes qui sont hors de l’Eglise n’ont jamais parlé de lui qu’avec estime. Il étoit l’exemple & le modéle des fidéles dans les entretiens, dans la maniére d’agir avec le prochain, dans la charité, dans la foy, dans la chasteté. Il fuyoit les fables impertinentes & pueriles dont vous faites vos triomphes, & la piété faisoit son exercice continuelle. D’où vient donc, Mes Peres, que la mort d’un si saint Pasteur qui devoit faire pleurer jusques aux pierres mêmes, pour me servir de l’expression de l’Eglise de Rome, n’a pû arracher de vous une seule marque de douleur dans une occasion où il vous auroit été si bien-séant, au moins de vous contre faire ? Je n’en cherche point la raison dans la divine providence. On pourroit croire qu’elle n’a point voulu permettre que la mémoire de ce grand Cardinal fut deshonorée, comme elle l’auroit été, si vous aviez confondu son nom avec ceux de vos divinitez Payennes que vous faites danser à la réception du Prélat de vôtre Eglise. Mais de bonne foy, quelle a pû être par rapport à vous-mêmes la cause de vôtre silence si affecté ? Est-ce que c’est la nature de ces sortes de joyes profanes, qu’elles enyvrent, & qu’elles font oublier le bon sens & la raison ? C’est quelque chose. Mais en voici tout le mystére. Feu M. le Cardinal Grimaldi étoit ennemi de vôtre méchante Morale ; il n’avoit que de l’horreur pour vos maximes ; ses régles dans l’administration du Sacrement de Penitence, étoient contraires aux vôtres ; il vouloit qu’on mit en usage bien plus souvent que vous ne voudriez le delay de l’Absolution ; que l’amour de Dieu fût la marque & le caractére des veritables conversions ; que la charité fût l’ame des bonnes œuvres ; qu’elle en fût la fin, le principe & la régle.
Or quelque Saint que soit un Evêque vous ne lui donnerez ni approbation ni loüange lors que sa conduite sera contraire à la vôtre & qu’il n’agira point selon vos maximes. Vous n’aviez donc garde de faire regretter un Archevêque à qui vous ne seriez pas bien-aises que son Successeur ressemblât. Vous avez été sincéres ayant mieux aimé supprimer sa mémoire que de démentir par quelque marque extérieure de regret les sentimens de vôtre cœur qui nageoit dans la joye de se voir délivré d’un Prélat incommode, dont la vie étoit un reproche continuel de vôtre conduite ; semblables à ces femmes coquettes qui ne peuvent dissimuler la joye qu’elles ressentent à la mort de leurs maris, dont le joug ne s’accorde pas avec la malheureuse liberté qu’elles recherchent.
III.
En effet, Mes Peres, vous ne pouviez agir plus conséquemment qu’en recevant le Successeur d’un Prélat pour qui vous avez fait paroître si peu d’attachement, avec des démonstrations de joye qui conviennent mieux à une Courtisane qu’à l’Eglise dont vous faites partie, qui comme une chasteEpouse devoit aller au devant de l’Archevêque son nouvel Epoux avec plus de gravité & de modestie qu’on n’en peut avoir dans un ballet de vôtre façon. Je veux croire que vous êtes les premiers qui en avez introduit l’usage à la réception des Evêques. Je n’en trouve nulle part aucuns vestiges. Dieu veüille que vous soyez les derniers, & que vous n’ayez jamais d’imitateurs dans une action si bizarre & en même temps si pernicieuse. Car enfin, Mes Peres, est-il possible que vous n’ayez pas vû le tort que vous faites à la jeunesse à qui vous devez une éducation Chrêtienne, en leur inspirant de si bonne heure & dans un âge qui est susceptible de tout, la passion pour la danse qu’on ne peut douter, pour peu que l’on sçache ce qui se passe dans le monde, qui ne leur puisse être un jour une grande occasion de commettre beaucoup de péchez.
Je ne m’amuserai point, Mes Peres, à vous representer ce que les saints Docteurs ont dit contre les danses & contre les bals. Vous en appelleriez à vos Casuistes, qui prétendent qu’on doit moins s’arrêter à ces bons Docteurs, pour ce qui est de la Morale, qu’à vos nouveaux Auteurs qui ont mieux connu qu’eux le génie de ces derniers siécles. Mais que direz-vous de S. Charles qui a fait un Traité exprés contre les danses pour en détourner les Chrêtiens, comme étant trés-périlleuses pour le salut, & qui les met entre les œuvres de Satan ausquels nous avons renoncé à nôtre baptême ? Lui opposerez-vous vôtre Pere Menestrier, qui a été sans doute d’un Avis bien contraire, puis qu’il n’a point eu honte de faire imprimer sous son nom un livre des ballets comme une piéce fort digne d’un Religieux & d’un Jésuite.
Croyez-moy, Mes Peres, vous ferez bien de ne vous pas engager dans une si méchante cause. Vous vous attireriez sur les bras tout ce qu’il y a d’Evêques zélez & de bons Pasteurs dans l’Eglise, aussi bien que les Seigneurs qui ont de la piété, qui employent tout ce qu’ils ont d’autorité ou spirituelle ou temporelle, pour bannir les danses des lieux où ils ont du pouvoir. Reconnoissez que c’est une trés-méchante chose que de mettre des enfans que l’on vous confie pour les élever Chrêtiennement, en état de pouvoir aimer un jour ces divertissemens dangereux, & que des Payens mêmes ont jugé indignes de personnes qui ne seroient pas folles, ou que l’excés du vin n’auroit pas mis hors de leur bon sens. C’est ce que vous avez dû avoir appris de vôtre Ciceron : Nemo enim, dit-il, ferè saltat sobrius, nisi insant.
Que si la raison seule peut faire avoir ces sentimens, combien en doit-on plûtôt avoir de semblables dans l’école de Jesus Christ, qui est une école de mortification & de renoncement à tous ces vainsplaisirs ; Et que peut-on concevoir de plus indigne de la Religion d’un Dieu mourant sur la Croix, que de prétendre honorer un de ses Pontifes par une troupe de baladins, que Ciceron auroit pris pour une troupe de fous ou de gens yvres.
Ce n’est donc pas au Théatre & au bal que vous avez dû conduire un Archevêque qui fait son entrée dans la principale Ville de son Diocése, mais à l’Eglise & à l’Autel pour implorer le secours de Dieu dans les commencemens de ses fonctions Episcopales, & pour attirer les graces dont il a besoin pour s’acquitter d’une charge qui a toûjours fait trembler les plus grands Saints.
L’Auteur de la vie de S. Bernard rapporte qu’Innocent II. « au retour de Liége voulut lui-même visiter Clairvaux, & que Sa Sainteté y fut reçûë avec une extrême affection par les pauvres de Jesus Christ qui y habitoient, & qui n’allerent pas au devant de lui parez d’ornemens de pourpre & de soye, ni avec des livres d’Eglise dont la couverture fût d’or ou d’argent ; mais étant vêtus de gros drap portant une croix de bois mal polie, & ne témoignant pas leur contentement par le grand bruit des trompettes, ni par des acclamations & des cris de joye, mais en chantant doucement & modestement des Hymnes & des Cantiques. Les Evêques pleuroient, & le Souverain Pontife répandoit des larmes. Il admiroit la gravité de cette Compagnie, voyant dans une occasion de joye si publique & si solemnelle leurs yeux baissez contre terre, sans qu’ils les détournassent jamais de côté ou d’autre par une vaine curiosité ; mais ayant les paupiéres abaissées, ils ne voyoient personne, & étoient vûs de tout le monde. »
Je ne prétens pas, Mes Peres, que vous ayez dû ni vous ni vos Ecoliers vous réduire sur ce pied-là, dans la réception de vôtre Pasteur. Ce seroit vouloir cueillir des raisins parmi les épines ? Mais au moins quelque chose de Chrêtien. Une seule de ces acclamations qui se firent par le peuple d’Hippone à la nomination du Successeur de SaintAugustin ; Dieu soit remercié, que Jesus Christ soit beni. On ne vous demande pas que vous l’eussiez répétée trente-six fois, comme on fit alors : une seule auroit suffi pour vous mettre au moins à couvert du juste reproche que l’on vous peut faire, de n’avoir pas dit un seul mot ni de Dieu, ni de Jesus Christ dans toute cette fête.
IV.
On n’y voit au contraire par tout que des divinitez Payennes. Jupiter, Hercule, Orphée, Apollon, Esculape, Argus, Mercure, des Génies, des Zephirs, des Songes, la Renommée, la Discorde, les Furies, en sont les principaux Acteurs : L’Innocence, la Vérité, la Religion, n’y paroissent que pour être deshonorées.
On a reproché à vos Confreres de Luxembourg. « Qu’ils avoient imité les peuples transportez d’Assyrie dans les Villes du Royaume d’Israël qui joignoient le culte du vray Dieu qu’ils appelloient le Dieu de cette terre à celui des fausses divinitez de leur païs ; Qu’ils avoient mis l’arche avec Dagon, & qu’ils avoient voulu allier Jesus Christ avec Belial. » Ce reproche leur convenoit bien parce qu’ils avoient joint par tout la SainteVierge aux divinitez Payennes. Mais on auroit moins de raison de vous le faire. Car le Paganisme régne tellement dans vôtre Ballet, qu’on n’y trouve rien qui applique l’esprit à quelque chose de particulier à la Religion Chrêtienne. En quoi néanmoins on vous doit plûtôt excuser que blâmer. Car qu’auriez-vous fait de Jesus Christ ou de sa sainte Mere, ou de quelque autre Saint, si vous les aviez introduits dans un Ballet où tout doit danser ? Les auriez-vous fait danser avec vos divinitez baladines ? Qui auroit pû souffrir cette impiété ? Cependant cela n’auroit pas été plus impie, que de faire danser l’Amour divin, c’est à dire, le S. Esprit avec des divinitez fabuleuses, comme firent il y a quelques années vos Confreres de la Flêche dans un Ballet où pour montrer le peu de pouvoir qu’a le S. Esprit sur nos cœurs, ils lui faisoient employer Vulcain, les Naiades, Morphée pour dompter un cœur rebelle sans en pouvoir venir à bout.
Vous ne manquerez pas de nous dire à l’exemple de l’Avocat qui a entrepris de justifier vôtre scandaleuse Procession de Luxembourg, que ce Ballet aussi bien que cette Procession n’est qu’une Allegorie, que c’est s’arrêter à des vetilles, & être susceptible de petits scrupules que d’en condamner l’usage dans des Ecoliers qui étudient les belles Lettres & la fable. Et vous n’oublierez pas de nous alléguer encore, comme a fait cet Avocat en deux endroits, ces vers de M. Despreaux :
De n’oser de la fable employer la figure,De chasser les Tritons de l’Empire des eaux,D’ôter à Pansa flûte, aux Parques leurs ciseaux,D’empêcher que Caron dans la fatale barque,Ainsi que le Berger, ne passe le Monarque ;C’est d’un scrupule vains’alarmer sottement,Et vouloir aux Lecteurs plaire sans agrément,Bien-tôt ils défendront de peindre la prudence :De donner à Themis ni bandeau ni balance,De figurer aux yeux la Guerre au front d’airain,Où le temps qui s’enfuit une horloge à la main :Et par tout des discours comme une idolâtrie,Dans leur faux zéle iront chasser l’allegorie.Laissons les applaudir à leur pieuse erreur,Mais pour nous bannissons une vaine terreur.
Ne diroit-on pas en effet que M. Despreaux vous donne cause gagnée, & qu’aprés une décision si formelle il n’y a plus d’appel ?
J’en appelle cependant & à M. Despreaux lui-même qui ne sera peut-être pas fâché que je le venge de l’injure qu’on lui fait d’employer son nom & ses vers pour autoriser une chose qu’il a expressément condamnée dans la même page d’où les Vers que je viens de rapporter sont tirez. Car voici comme il commence la période dont vôtre Avocat a affecté de ne rapporter qu’une partie.
Ce n’est pas que j’approuve, en un sujet Chrêtien,Un Auteur follement idolâtre & Payen,Mais dans une profane & riante peinture,De n’oser de la fable employer la figure, &c.
Le sujet pouvoit-il être plus Chrêtien, qu’une Procession où on portoit le S. Sacrement, & que le devoit être aussi la réception d’un Archevêque & d’un Ministre de Jesus Christ ? Et les Auteurs de ces deux piéces, que l’on sçait bien, Mes Peres, n’être point des Ecoliers, mais des Religieux & des Prêtres, pouvoient-ils être plus follement idolâtres, au sens de M. Despreaux, que de mêler tant de fausses divinitez, où on ne devoit rien representer qui ne respirât la piété Chrêtienne ? Gardez-vous donc bien de nous donner M. Despreaux pour garand de vos folies. Il est trop judicieux pour les approuver. Et vous le pouvez encore apprendre de ces six Vers que vous trouverez au même Chant :
De la foy d’un Chrêtien les Mystéres terribles,D’ornemens égayez ne sont point susceptibles.L’Evangile à l’esprit n’offre de tous côtez,Que penitence à faire, & tourmens méritez,Et de vos fictions le mêlange coupable,Même à ses veritez donne l’air de la fable.
C’est donc, selon M. Despreaux, abuser de la fable, ou plûtôt de la Religion, que d’y mêler vos ornemens profanes dont elle n’est point susceptible. C’est donner l’air de la fable à des sujets Chrêtiens, que d’y faire entrer vos fictions.
Mon dessein n’est pas de pousser davantage vôtre Avocat de Luxembourg. Je n’en ay parlé que pour vous ôter l’envie d’employer pour vôtre défense les mêmes vers dont il abuse. Pour le reste de ses bévûës & de ses sottises il en a reçû la confusion qu’il méritoit par le jugement qu’a fait de son libelle l’Auteur des Nouvelles de la République des Lettres que vôtre fameux P. Hazart prit l’autre jour pour son Apologiste contre un Factum fait en faveur des petits Neveux de M. Jansénius Evêque d’Ipre. C’est dans le mois de May de cette année 1686. qu’il dit ce qui suit p. 592.
« On a parlé amplement de cet Avis dans les derniéres Nouvelles d’Octobre, & on ne s’étendroit pas moins sur la Réponse de cet Avocat, si on y trouvoit de la matiére, mais on ne sçait sur quoi donner fond. Cela diminuë l’étonnement où l’on a été de voir que l’Avocat d’une cause si favorisée n’ose ni dire son nom, ni marquer le lieu où il a fait imprimer son livre. Il nous assûre que les Jesuites n’ont pas seulement songé à répondre ; il devoit suivre leur exemple & craindre le bon mot d’un Sicilien,
Cic. de Orat. l. 2.
Quæso, inquit Prætor, Adversario meo da istum patronum, deinde mihi neminem. De grace donnez cet Avocat à mes parties, & puis ne m’en donnez aucun. »
V.
Mais il est temps, Mes Peres, de faire l’Ouverture de vôtre Ballet. Vous y faites paroître Jupiter élevé au milieu de l’air, déclarant que pour satisfaire les vœux des peuples, il veut leur donner un Héros, sous l’Empire duquel ils verront refleurir la Religion & la piété. Vous le faites, remonter au Ciel aprés avoir fait en peu de mots l’éloge de ce Héros.
Ce Jupiter que l’on voit dans les livres des Poëtes comme tonant & adultére tout ensemble, represente ici par les soins des R.R.P.P. Jesuites le veritable Dieu que nous adorons, qui descend exprés du Ciel dans l’air pour promettre un Archevêque à la Ville d’Aix. On ne peut donner d’autre sens à leur prétenduë allégorie. Mais qui ne voit en même temps que rien ne peut être plus impie & plus injurieux à Dieu que de le faire parler & agir sous la forme & le nom de Jupiter qui est un personnage réel qui ne peut ramener à l’esprit que des idées les plus infames & les plus honteuses. On sçait qu’il est permis dans le discours d’animer les vertus & les vices, & de donner un corps, une ame, un esprit, un visage, aux choses qui n’en ont point. Personne, par exemple, ne trouve à redire que M. Despreaux ait fait parler ainsi la piété dans le sixiéme Chant de son Lutrin.
Pour comble de misére, un tas de faux DocteursVint flatter les péchez de discours imposteurs,Infectant les Esprits d’execrables maximes,Voulut faire à Dieu même authoriser les crimes.Une servile peur tint lieu de Charité.Le besoin d’aimer Dieu passa pour nouveauté.Et chacun à mes pieds conservant sa malice,N’apporta de vertu que l’aveu de son vice.
Mais vouloir, comme on fait ici, representer le souverain Etre, par un être réel & animé tel que Jupiter, c’est non seulement manquer de bon sens & d’équité, & violer toutes les régles de la piété & de la bien-séance, mais c’est comme dit encore M. Despreaux.
Parmi vos ridicules songesDu Dieu de verité faire un Dieu de mensonges.
Ce que vous mettez dans la bouche de Jupiter, n’est pas moins injurieux à Dieu que Jupiter même. Le mot d’Empire par lequel vous exprimez la conduite future de vôtre Archevêque, fait voir que vous n’êtes guéres accoûtumez au langage ni de l’Ecriture ni de l’Eglise, n’y ayant rien dans l’une & dans l’autre qui soit davantage condamné dans un Evêque, que cet Esprit de domination & d’Empire avec lequel il voudroit gouverner les ames que Jesus Christ a mises en liberté.
I. Pet. 5.
Paissez le troupeau qui vous est commis, dit S. Pierre à tous les Evêques, … …non en dominant sur l’heritage du Seigneur, mais en vous rendant les modéles du troupeau par une vertu qui naisse du fond du cœur. Et Jesus Christ dans l’Evangile : Les Rois des Nations dominent sur eux, & ceux qui ont puissance sur les peuples sont appellez Rois & Seigneurs, mais il n’en est pas ainsi de vous. « Il est donc clair, dit
De Consider. Prolog.
SaintBernard, que la domination est interdite aux Apôtres, & que si vous voulez avoir la domination & l’Apostolat tout ensemble, vous les perdrez tous deux. Vous devez dompter les loups, mais non pas dominer sur les brebis. Car on vous les a confiées pour les paître, & non pas pour les opprimer. »
Mais de quoi s’avise vôtre Jupiter de dire, que sous l’Empire de vôtre Héros, les peuples verront refleurir la Religion & la piété ? Est-ce que feu M. le Cardinal Grimaldi les avoit laissé périr l’une & l’autre, & qu’elles ont besoin de refleurir sous vôtre Héros ? C’est ce que nous pourrons examiner plus bas. Je me contenterai d’avertir ici que dans vôtre Dictionnairefaire refleurir la Religion & la piété dans un Diocése, c’est y mettre le trouble & la confusion ; c’est en bannir les Ecclesiastiques les plus éclairez & les plus pieux, ou les mettre hors d’état de servir l’Eglise ; en un mot, c’est ruiner en deux ou trois mois, autant que l’on peut, le fruit d’un long & penible travail de tout Evêque, quelque Saint qu’il eût été, qui n’auroit pas approuvé vos mauvaises maximes & vôtre conduite relâchée. Mais venons au Prélude.
VI.
Vous dites, qu’il répond à l’élection, & qu’il sera representé par la fable de la Pomme d’or.
Cette Pomme d’or, mes Peres, est propre à faire souvenir ceux qui ont lû les Poëtes, de l’Histoire ou de la fable de ces trois Déesses qui se disputant l’une à l’autre le prix de la beauté s’en remirent au jugement de Paris qui décida en faveur de Venus. La pudeur m’empêche de dire le reste. Elle peut encore servir à rappeller dans l’esprit la prise de Troyes, & ces longues & cruelles guerres qu’Homere & Virgile ont décrites, & dont vôtre Pomme d’or fut la premiére cause.
Mais on ne comprend pas comment il est possible qu’elle soit l’allegorie d’une élection qui fasse honneur à vôtre Prélat, & quelques habiles que vous soyez, mes Peres, dans la fiction, certainement vous faites naufrage dés le Prélude, & vôtre Héros ne doit point vous sçavoir gré de l’avoir joüé d’une maniére qui donne une idée trés-desavantageuse de son entrée à l’Archevêché de vôtre Eglise ? Car voici l’application que vous faites ou que vous pensez faire de vôtre fable en sa faveur.
Six Genies dansent, dites-vous, lors qu’une Pomme d’or tombe du ciel. L’on entend une voix qui prononce distinctement ce motau plus digne.
Dans la fable, c’est à la plus belle, mais comme cette inscription ne revenoit point au sujet il a bien fallu changer plus belle en plus digne. C’est donc de quoi il s’agit, de voir si vous faites paroître vôtre Héros comme le plus digne de l’Archevêché d’Aix representé par la Pomme d’or. Il faut vous écouter.
Les Genies se jettent incontinent sur la Pomme, chacun tâche de s’en saisir. Voilà justement ces loups béants de vôtre P. de la Chaise. Mais le Genie du Prélat en est-il ? Oüy, il en est comme les autres, avec cette difference qu’il restera seul victorieux de la Pomme d’or, au lieu que les autres s’enfuïront honteusement frustrez de leur espérance.
Si c’est-là, mes Peres, être, selon vous, le plus digne, d’un Archevêché, que de se jetter aprés & de s’en saisir, comme vôtre allegorie porte à croire que vôtre Prélat a fait, c’est selon l’Ecriture & les Peres, s’en rendre trés-indigne quelques belles qualitez qu’on pût avoir d’ailleurs. Jesus Christ, dit l’Apôtre,
Heb. 5.
n’a point pris de lui-même la qualité glorieuse de Pontife.… nul ne s’attribue à soi-même cet honneur, mais il faut y être appellé de Dieu comme Aaron.
C’est ce divin modéle du Fils de Dieu qu’ont toûjours suivi & imité tous les veritables Pasteurs : Et l’Eglise n’en honore aucun comme Saint, dont elle ne puisse dire ce qui est marqué dans le Breviaire de Paris pour le commun des Pontifes :
Ille non vano tenuit tremendamSpiritu sedem, proprio nec ausu,Sed sacrum jussus Domino vocanteSumpsit honorem.
Les Saints n’ont pas seulement été éloignez de cette ambition pour les charges de l’Eglise, qui fait, pour parler conformément à vôtre allegorie, que l’on se jette aprés, qu’on tâche de s’en saisir & qu’on y court en dansant, c’est à dire dans une disposition bien contraire à cette crainte & cette frayeur que leur humilité leur a toûjours inspirée, mais ils ont encore marqué quels étoient sur cela leurs sentimens, & qui selon eux étoient les plus dignes de ces charges.
«
Past. 1. p.c. 9.
Que celui, dit S. Gregoire, qui a toutes les vertus nécessaires au Sacerdoce, le reçoive y étant contraint, & que celui qui ne les a pas ne le reçoive pas quand même on l’y voudroit contraindre. »
Le Concile tenu à Aix en 816 s’est servi de ces paroles de ce SaintPape pour établir la nécessité de la vocation contre les Ecclesiastiques ambitieux, & qui s’ingerent d’eux-mêmes dans les charges.
Il s’est servi aussi de ce passage de S. Augustin pris de son Sermon de la vie commune des Clercs. « Je me suis séparé de ceux qui aiment le siécle ; mais je ne me suis point égalé à ceux qui conduisent les peuples. Je n’ai point recherché la premiére place dans le festin du Seigneur ; mais la plus basse ; Et il lui a plû de me dire, Montez plus haut. »
Ce Saint Docteur dit ailleurs : « Que les honneurs doivent nous chercher ; & que si nous les cherchons, nous renversons l’ordre & la loy de Jesus Christ qui veut que nous choisissions la derniére place : »
Jerem. 32, nov. edit.
Honor te quærere debet non ipsum tu. Qu’auroit-il dit, mes Peres, de vôtre Héros, qui loin d’attendre que l’Archevêché d’Aix le vint chercher, le poursuit lui-même en cadence, selon l’idée que vous donnez de lui, & tâche de s’en saisir ? En verité vous ne lui faites guéres d’honneur : « Car il est toûjours honteux, dit encore S. Augustin, de desirer les dignitez de l’Eglise, quand on s’y gouverneroit comme il faut…. Ce doit être la charité & la nécessité qui nous engagent dans l’action. De sorte que si personne ne nous impose ce fardeau, il faut vacquer à la recherche & à la contemplation de la verité ; & si on nous l’impose, il faut s’y soûmettre par charité & par nécessité. »
Une des principales dispositions que les Saints ont desirée pour être digne de quelque charge Ecclesiastique est qu’on s’en estimeindigne, & qu’on ait de la peine à se résoudre à l’accepter. C’est ainsi que S. Jerôme dit de Nepotien : «
Epitaph. Nepoth.
Il méritoit d’autant plus d’être élevé au Sacerdoce qu’il refusoit de l’être, & il s’en rendoit d’autant plus digne, qu’il s’en publioit indigne. » Et voici le conseil que S. Bernard donne au Pape Eugene pour le choix des Evêques & des Prélats. « Que celui pour lequel on vous prie, lui dit-il, vous soit suspect. Mais quant à celui qui vous prie lui-même de l’élever à une dignité, il est déja condamné. Et il importe peu qu’il vous prie par soi-même ou par un autre. » C’est dans ce même sens que S. Thomas dit,
2. 2. Q. 100, a. 5.
« Que celui qui prie lui-même qu’on l’éleve à une dignité qui a charge d’ame, s’en rend indigne par sa présomption, & qu’ainsi ses priéres sont pour un indigne. »
On ne sçauroit trop representer aujourd’hui ces belles paroles de deux Empereurs Leon & Anthéme :
L. 31. C. de Epis. & Cler. an. 469.
« Un Ecclesiastique, disent-ils, doit être tellement éloigné de briguer & de poursuivre cette dignité (ils parlent de l’Episcopat) qu’il faut le chercher pour l’y contraindre, & qu’étant prié & convié de l’accepter, il doit se retirer, & s’enfuïr en sorte qu’il ne se rende qu’à une nécessité absoluë qui l’excuse devant Dieu. Car dans la verité tout homme est indigne du Sacerdoce, s’il n’est consacré malgré lui & contre sa volonté. »
Le Prélude de vôtre Ballet, mes Peres, ne s’accorde guéres avec ces Régles saintes qui sont celles de l’Eglise. Là vous y faites paroître des Genies qui se jettent in continent sur la Pomme, qui represente une des plus grandes Dignitez Ecclesiastiques ; Vous dites, que chacun tâche de s’en saisir, qu’ils ne peuvent s’accorder entre eux ; mais qu’enfin le seul Genie de vôtre Héros demeure, & que les autres s’enfuyent ; Ici l’on est indigne de l’Episcopat, si on ne s’enfuït, si on ne résiste & si on ne se laisse faire violence pour l’accepter. C’est ainsi qu’en ont usé les SaintsEvêques. Lisez, mes Peres, au lieu de vos Fables des Payens, l’Histoire de l’Eglise. Vous y trouverez des Héros, mais un peu differens du vôtre, qui se cachent, qui s’enfuyent lors qu’on les veut faire Evêques, qui résistent, & qui mettent tout en œuvre pour s’éloigner de cette dignité, qui disent des injures, & qui veulent même frapper ceux qui les ont ordonnez malgré eux & à leur insçû, & qui ne se soûmettent enfin au fardeau qu’on leur impose que dans la crainte de blesser la charité par une plus longue résistance.
Ils n’ont pas tous eu à la verité la même conduite à l’extérieur, mais les sentimens de leur cœur ont toûjours été les mêmes. Ils se sont tous crû indignes de ces dignitez, & ont eu de l’horreur d’en faire la moindre recherche. Et ne croyez pas, mes Peres, que ces veritez ne soient que pour les Héros de l’antiquité, l’ambition n’a jamais été la voye légitime pour monter à l’Episcopat, & ne la sera jamais. Elle est la plus large, je vous l’avoüe, & la plus fréquentée, mais Dieu a néanmoins ses Serviteurs dans tous les temps qui ne fléchissent point le genou devant l’Idole de l’ambition, qui vont aux honneurs par la voye de l’humilité, & qui s’y trouvent élevez sans qu’ils les ayent recherchées. La Divine Providence nous en donne un exemple dans la personne de Messire Etienne le Camus Evêque de Grenoble, qui vient d’être élevé à la Pourpre sans qu’on puisse dire qu’il ait fait la moindre brigue pour cela, ni la moindre recherche, sans qu’il ait été nommé, ni recommandé par aucune Puissance ; En un mot par son seul mérite, & par la bonne odeur de sa piété & de sa science. Exemple qui fait voir, & dans sa Sainteté qui a choisi un si digne Sujet, un parfait discernement, & un amour pour l’Eglise éloigné de tout intérest & de toute considération humaine ; Et dans sa Majesté qui a applaudi à ce choix, auquel il paroît qu’elle n’a point eu de part, une des marques les plus solides, selon S. Paul, de la charité Chrêtienne, qui est de se réjouïr du vrai bien.
Voilà, mes Peres, un Héros de nos jours qui ne ressemble guéres à celui de vôtre fable. Le premier est fait Cardinal sans qu’il y songe, sans qu’il s’y attende. La nouvelle qu’on lui en porte le surprend, il ne l’accepte point d’abord, il demande du temps pour se résoudre. Il consulte la volonté de Dieu, il fait demander quelle est celle de son Souverain, & aprés avoir vû que tout s’accorde à le faire monter plus haut, il se fait un devoir d’obéir à un ordre si exprés & si légitime.
Vôtre Héros au contraire ne suit que des mouvemens honteux d’une ambition grossiére. Vous avez eu si peu de soin de ménager sa réputation, que vous ne lui faites garder aucun dehors de bien-séance. Il se jette aprés la dignité qu’il poursuit, il fait ses efforts pour l’emporter, il entre en querelle avec ceux qui la lui disputent. En un mot pour honorer sa réception, non seulement vous deshonorez sa personne, mais vous donnez lieu par vos fades allegories, à faire des réflexions qui ne lui sont nullement avantageuses.
VII.
Enfin, mes Peres, si on vouloit approfondir les choses, peut-être trouveroit-on que celui que vous avez reçû d’une maniére si Payenne comme Archevêque d’Aix, n’est encore à present qu’Evêque de Lavaur. En effet qui a dissout ce mariage spirituel que M. de la Berchere avoit contracté avec cette Eglise ? Quelle nécessité pressante ou quelle utilité publique de l’Eglise,
Voy le P. Thomassin.
qui sont les seules raisons légitimes, selon tous les Canonistes, de passer d’une Eglise à une autre, lui a fait quitter l’Evêché de Lavaur pour prendre l’Archevêché d’Aix ? Quelle autorité légitime y est intervenuë ? Quelle violence lui a-t-on faite pour l’y contraindre ? Vôtre Ballet allegorique, Mes Peres, ne nous faisant voir que de l’empressement de son côté, si on s’en tient là, n’a-t-on pas sujet de croire qu’il n’a été poussé à faire ce changement d’un petit Evêché à un Archevêché considérable, que par un esprit d’avarice & d’ambition. Apparet eos, dit le Concile de Sardique, avaritiæ ardore inflammari & ambitioni servire, & ut dominationem agant. Et sur quel fondement le Concile appuye-t-il sa conjecture ? C’est, dit-il, que les Evêques ne passent jamais d’un grand Evêché à un moindre : Cum nullus inventus sit Episcopus qui de majore civitate ad minorem transiret. Ainsi à considérer simplement ce passage de l’Evêché de Lavaur à l’Archevêché d’Aix, on a lieu de conjecturer qu’il n’a eu pour motif que l’avarice & l’ambition. Mais à en juger par l’idée que nous en donne le Ballet allegorique, on ne sçauroit douter que ce ne soit une ambition démesurée qui lui ait fait mépriser sa premiére Epouse pauvre, mais chaste pour jouïr des embrassemens d’une autre plus riche, mais illégitime, selon l’expression de S. Jerôme,
Epist. ad Oceanum Tom. 2. p. 744.
ne virginalis pauperculæ societate contempta, ditioris adulteræ quærat amplexus ; Ce qu’Hincmar assûre que les Conciles n’estiment pas être un moindre mal que la réïtération du baptême ou de l’ordination. Sed & colligendum est, dit-il, quam grande scelus sit hujusmodi translatio (qui se fait sans un besoin pressant ou une utilité publique de l’Eglise) quæ rebaptizationi & reordinationi comparanda conjungitur.
Mais ce n’est pas le seul défaut de cause légitime qui se rencontre dans la Translation qui fait le sujet de vôtre fête. Celui de l’autorité Ecclesiastique ne la rend pas moins vicieuse ni moins illégitime. Cette autorité a varié selon les temps & selon les lieux. C’étoit autrefois au Concile Provincial à examiner les causes des Translations de sa Province, & à relâcher les Canons qui les défendent. C’est maintenant au Pape privativement à tout autre que cela appartient ; Et tout le monde convient, que l’on ne doit avoir aucun égard à une Translation faite sans son autorité. Or vôtre Ballet, mes Peres, ne nous dit point que cette autorité soit intervenuë en aucune maniére : Et en effet on sçait bien qu’elle n’y est point intervenuë. Qui vous a donc donné droit de recevoir M. l’Evêque de Lavaur comme Archevêque d’Aix ? Direz-vous que c’est assez que le Roi l’ait nommé à cet Archevêché ? Mais le Roi lui a-t-il donné en le nommant le Titre Ecclesiastique sans quoi il ne peut être Archevêque ? Le Roi l’a-t-il pû affranchir des liens qu’il a contractez avec l’Eglise de Lavaur sa premiére & légitime Epouse ? Mais peut-être que le Chapitre d’Aix a remédié à tout en lui remettant son autorité. Il est vray que c’est par là que les Evêques nommez qui sont aujourd’hui en trés-grand nombre en France prétendent avoir droit de gouverner leur Diocése. Mais c’est ce qui est difficile d’accorder avec les Régles de l’Eglise & avec la Jurisprudence qui est maintenant en usage. On ne comprend pas que des Chanoines assemblez puissent donner l’autorité de gouverner leur Diocése à un Evêque qui n’est pas encore déchargé du soin qu’il est obligé de prendre du sien. Et quand ils le pourroient, mes Peres, ce ne seroit qu’en lui conferant le titre de Grand Vicaire, & non celui de Monseigneur l’Archevêque d’Aix que vous donnez à vôtre Héros au frontispice de vôtre Ballet.
Je n’ay pas besoin, mes Peres, d’examiner la 3. condition d’une légitime translation, qui est qu’elle ne se fasse que par obéïssance, & l’Evêque y étant comme forcé, maxima exhortatione, dit le Canon Apostolique. Vôtre Ballet nous fait assez entendre que s’il y a eu de la violence ce n’a été que pour emporter la Pomme allegorique qui est demeurée à vôtre Héros. Ainsi de quelque côté qu’on envisage, en suivant l’allegorie de vôtre Ballet, cette prétenduë translation de Lavaur à Aix, on n’y trouve que des défauts essentiels pour lesquels, selon l’ancienne discipline de l’Eglise,
Leo. Epist. 84. c. 8.
vôtre Héros n’auroit pas dû seulement être renvoyé avec confusion à son Epouse qu’il a quittée sans raison, mais même en être privé comme s’en étant rendu indigne par l’ambition qu’il a euë, selon vous, pour une plus riche & plus considérable. Je ne sçai pas ce que sa Sainteté chargée du soin de faire observer les Canons fera en cette rencontre. L’exemple du Pape Hilaire qui suivant la résolution d’un Concile tenu à Rome cassa la translation d’Irenée à Barcelone quoi que faite par les Evêques de la Province de Tarracone, fait assez voir ce qu’il peut faire dans cette occasion où le Ballet des R.R. Peres Jesuites montre qu’il a encore plus de sujet d’être offensé d’une translation qui s’est faite sans son intervention qui est maintenant indispensable,
Thomass. p. 1. l. 2. c. 24.
que le Pape Hilaire n’en avoit de l’être de celle d’Irenée qui avoit été faite par les Evêques d’une Province. Ce n’est pas que sur le pied où en sont aujourd’hui les choses, il ne soit difficile que sa Sainteté en fasse éclater son juste ressentiment avec fruit ; mais le Héros n’en sera que plus à plaindre, & les gens de bien, mes Peres, au lieu de prendre part à la joye profane de vôtre ridicule Ballet, gémiront de voir un homme qui selon l’expression de l’Ecriture, abandonne son propre lieu, & devient comme un oiseau qui quittant son nid, court risque d’être foulé aux pieds des passans.
Mais laissons-là ces matiéres odieuses qui ne sont bonnes qu’à troubler les divertissemens de nôtre Prélude.
VIII.
Je l’ai quitté, mes Peres, à l’endroit où vos genies ne pouvant s’accorder entre eux, prient le Dieu qui a fait naître le differend de venir le terminer.
Ce Dieu que vos Genies invoquent, ne peut être que Jupiter qui a parû à l’Ouverture du Ballet, élevé au milieu de l’air plein de bonne volonté pour les peuples. On n’en peut douter puis que c’est Mercure même qui déclare aux Genies que Jupiter a jetté la Pomme, mais qu’il laisse à Apollon le soin de la donner au plus digne.
Comme il n’y a en France que le Roi qui donne les Evêchez, on ne peut douter que ce ne soit lui que vous avez voulu désigner par Apollon, à qui Jupiter laisse comme à son Agent, le soin de donner au plus digne l’Archevêché d’Aix. Il faut par conséquent que Mercure soit le R.P. de la Chaise, le personnage que l’on fait joüer à ce fauxDieu ne pouvant convenir qu’à sa Révérence. Car qu’est-ce que Mercure prenant la Pomme d’or pour la remettre entre les mains d’Apollon ? sinon le P. de la Chaise qui avertit le Roi que le Siége Archiepiscopal d’Aix étant vacquant, il est à propos de le remplir, & qui lui donne en même temps les noms de tous ceux qui lui ont fait sçavoir qu’ils y prétendoient. C’est la coûtume que les Peres Confesseurs ont introduite depuis quelque temps, que d’autres plus scrupuleux qu’eux ne jugeroient peut-être pas fort Canonique.
Ce même Mercure, dites-vous, promet aux Genies de les avertir lors que le Juge que Jupiter a déterminé voudra décider le differend. Afin sans doute que chacun de ces Genies s’applique avec plus de soin à faire valoir ses prétentions, lors qu’on sera sur le point de juger à qui on donnera la Pomme d’or qu’ils recherchent tous avec tant d’empressement. Cette promesse de Mercure nous represente encore fort bien le personnage que fait le P. de la Chaise, lors qu’il donne de bonnes paroles à ces Loups béants, qui lui font la Cour pour obtenir des Bénéfices par son entremise.
Cependant le Génie de la Ville d’Aix ayant appris ce qui s’est passé, suivi de la Religion & de la Piété, vient supplier Apollon de faire un choix qui lui soit avantageux.
Ce seroit, mes Peres, ce qu’il y auroit de plus raisonnable dans vôtre Ballet, si la Religion & la Piété que vous faites précéder par un Génie, pouvoient être prises pour quelque chose de Chrêtien ; mais ce qui fait que l’on ne le peut, c’est qu’un moment aprés vous les faites danser. Or ni la Religion ni la Piété Chrêtienne ne dansent pas, & quand il leur prendroit envie de le faire, ce ne seroit pas dans une Compagnie aussi mal assortie que celle de vôtre Ballet. Je doute aussi que ces deux vertus eussent été contentes, comme vous le dites, du caractére qu’Apollon fait du Héros. Car à l’examiner par les régles de l’une & de l’autre, comme nous allons faire, il ne semble pas qu’il soit fort digne d’un Prélat Chrêtien.
IX.
SaintPaul nous a laissé en divers lieux de ses Epîtres un excellent portrait de toutes les qualitez d’un Evêque, & il semble que l’Eglise de Paris les ait voulu ramasser toutes dans ce seul verset d’un Hymne qu’elle chante à l’honneur des Saints Pontifes :
Fit Gregis Pastor, Pater, atque formaLætus impendit sua, seque, servusOmnium, curis gravis, omnibusqueOmnia factus.
Voilà, mes Peres, ce qu’on a toûjours regardé comme devant être le caractére de tous les Evêques. Voyons si celui que vous faites de vôtre Héros lui ressemble :
Le caractére du Prélat, dites-vous dans le Corps du Ballet, est une representation des vertus qui éclatent le plus dans lui. Hercule represente le zéle ardent dont il est animé. Orphée cette douceur charmante qui lui attire le cœur de tout le monde. Escupale sera le simbole de la charité. Argus de la vigilance. Apollon le Dieu des sçavans paroîtra sur la Scene pour representer sa profonde science.
A ce compte-là, mes Peres, ni la chasteté, ni l’humilité, ni l’amour de Dieu, ne sont point des vertus qui éclatent le plus dans vôtre Héros, puis que vous ne les avez pas fait entrer dans son caractére. Elles ne se trouvent pas même en lui dans aucun degré, s’il est vrai, comme vous le dites, que vous ayez eu dessein en faisant le caractére du Héros de representertoutesses vertus par ces symboles clairs, & expressifs tirez de la fable. Car il n’y en a aucun qui represente ni la chasteté, ni l’humilité, ni l’Amour de Dieu. Cependant S. Paul n’a pas crû que ce fussent des vertus a être oubliées dans le caractére d’un Evêque. Il en fait même le capital comme vous pouvez voir par toutes ses Epîtres. Et Jesus Christ le divin modéle de tous les Evêques a fait voir par cette triple interrogation qu’il a faite à S. Pierre pour s’assûrer de son amour, combien cette vertu étoit nécessaire & indispensable à tous ceux qui comme lui seroient chargez de son troupeau. « Ce n’est pas en vain, dit S. Bernard,
Serm. 76. in Cant. n. 8.
que Jesus Christ confiant le soin de ses brebis à S. Pierre, il lui a dit trois fois, m’aimez-vous ? Et je croy qu’il a voulu dire en substance ; si vôtre conscience ne vous rend ce témoignage que vous m’aimez, & que vous m’aimez beaucoup & parfaitement, c’est à dire plus que vos intérêts, plus que vos parens & plus que vous-même, afin d’accomplir le nombre de cette triple répétition, ne vous chargez point de ce soin, & n’entreprenez point de gouverner mes brebis, pour lesquelles j’ay répandu tout mon sang. Terrible parole, & qui peut émouvoir les cœurs les plus endurcis de ceux qui comme des Tyrans usurpent les charges Ecclesiastiques. » Je souhaite, mes Peres, que cette verité ne regarde pas vôtre Héros, & que le caractére si défectueux & si indigne d’un Evêque que vous en faites ne soit pas moins une fable, que la fable même d’où vous dites que vous avez tiré les symboles clairs & expressifs qui representent toutes ses vertus. Il est bon de les examiner tous l’un aprés l’autre. Nous trouverons peut-être qu’ils representent mieux vôtre Morale & vôtre Genie que les vertus d’un Prélat.
X.
Le zéle representé par Hercule, fait le premier trait du caractére : mais il falloit, mes Peres, que vous en fussiez bien transportez vous-mêmes pour nous faire une si étrange peinture de la Ville ou du Diocése d’Aix, en y faisant régner l’erreur, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie, afin de donner matiére à vôtre Hercule d’exercer son zéle & d’employer sa massuë à chasser ces vices ou à les terrasser.
On ne sçauroit donner d’autre sens raisonnable à vos paroles : L’erreur, dites-vous, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie paroissent sur la Scene. L’innocence qui ne prévoit pas une telle rencontre, y vient accompagnée de la Paix & de la verité. A la vuë de ces ennemis elles prennent la fuite, & vont se cacher dans une retraite, où elles sont assiégées par les vices, qui les tirent de là, & les ménent enchaînées sur le Théatre.
Cette Scene & ce Theatre ne peut être, par exemple, dans le Diocése de Grenoble où vôtre Héros n’a nulle autorité, ni dans celui de Lavaur qu’il a quitté ; & le bon sens veut que ce ne puisse être que le Diocése d’Aix, où paroissent, selon vous, tous les vices sur la Scene. Mais, mes Peres, n’y a-t-il qu’à décrier les plus gens de bien par vos fictions Poëtiques ? Croyez-vous qu’un Balletprofane & follement idolâtre soit bien propre à persuader au monde que M. le Cardinal Grimaldi ait été de ces Pasteurs négligens & lâches qui n’ont nul soin de faire la guerre aux vices, & qui au lieu de faire régner la paix & la verité parmi leurs peuples les laissent assiéger, comme vous dites, & enchaîner par les vices ? On sçait, mes Peres, on sçait que ce pieux Cardinal étoit rempli de zéle, mais d’un zéle Chrêtien contre tous les vices. On sçait combien il a toûjours été appliqué à les extirper, & à les combattre non pas en cadence & à coup de Cestes comme vôtre Hercule, mais par les armes spirituelles d’un veritable Evêque, par la Foy, par la Priére, par la vigilance, la patience, la charité, le bon exemple, en rétablissant autant qu’il pouvoit, la Discipline Ecclesiastique dans l’administration du Sacrement de Penitence, en ordonnant & formant de bons Ministres pour seconder son zéle & son travail, & en bannissant la doctrine relâchée de vos Casuistes pour ne faire enseigner à son Troupeau que la Morale de Jesus Christ & des Saints Peres. C’est à quoi a été occupé toute sa vie ce saint Pasteur. On ne répond pas de ce qui s’est pû faire aprés sa mort lors que vous avez eû plus de crédit dans le Diocése que vous n’en aviez auparavant ? peut-être est-il arrivé quelque desordre que sa presence auroit empêché. En effet à peine fut-il allé à Dieu qu’on apprît que presque tous les Clercs & Ecclesiastiques qu’il avoit refusé d’admettre aux ordres ou de recevoir dans son Seminaire, eurent des attestations de vita & moribus de l’un des Grands Vicaires sede vacante, & que moyennant quatre Pistoles données à un Banquier ils obtinrent une dispense du Vice-Legat d’Avignon pour pouvoir être ordonnez. Voilà, mes Peres, ce qu’on appelle des desordres dignes du zéle d’un veritable Evêque & contre lesquels le Prélat défunt n’auroit pas manqué d’exercer le sien, si l’occasion s’en fut presentée. Aussi sçait-on que Sa Sainteté n’a eu garde d’approuver cette conduite, & que M. Cerci nouveau Vice-Legat reçût d’elle avant de partir de Rome les ordres nécessaires pour y remédier.
L’on ne pourroit être qu’édifié du zéle de vôtre Hercule, mes Peres, s’il n’avoit pour objet que d’empêcher de veritables abus comme celui-là. Mais s’il combat dans vôtre Ballet contre des desordres chimériques, on sçait qu’il en introduit dans son Seminaire de trés-réels & trés-dangereux. Car n’est-ce pas ce qu’il a fait depuis peu en arrachant des mains d’un fort homme de bien qui en est Directeur la Théologie Morale de Grenoble qu’il enseignoit aux jeunes Seminaristes, & lui ordonnant de suivre Abelly.
Cette échange ne peut que causer de l’indignation à tous ceux qui connoissent le prix & le mérite de ces deux livres. Le premier est une Théologie Morale trés-pure & trés-solide, dont toutes les décisions sont prises des meilleures sources, c’est à dire, de l’Ecriture Sainte, des Decrets des Conciles & des Papes, des Saints Peres, de S. Thomas & de quelques autres anciens Docteurs de l’école qui sont le plus estimez pour leur piété & leur lumiére. Elle porte le nom & l’approbation d’un des plus Saints & des plus éclairez Prélats de France que le Pape vient d’élever à la Pourpre par la seule considération de ses mérites. Feu M. le Cardinal Grimaldia fait aussi tant d’état de cette Morale qu’il attira M. Genet qui en est l’Auteur dans son Seminaire, afin qu’il l’y enseignât lui-même : Et c’est apparemment ce qui l’a fait le plus connoître à Rome. Car on peut croire que l’estime que tous les gens de bien font de ce livre, a été une des principales causes qui a porté le Pape à le faire depuis peu Evêque de Vaison afin de lui donner moyen de pratiquer avec plus d’autorité les excellentes maximes, qu’il a enseignées dans ce Ouvrage.
Voilà cependant par où vôtre Hercule a commencé à terrasser les vices, l’erreur, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie, qui avoient vaincu, l’innocence, la paix & la verité, & les menoient enchaînées sur le Théatre du Diocése d’Aix. C’est en ne voulant plus qu’on y enseigne une Morale si pure, & si contraire à vos maximes relâchées, mais qu’on y substituë celle de M. Abelly, parce que ce vous sera un grand avantage de ce qu’on y trouve trois des plus méchans de vos principes généraux.
Le 1. renverse la plus certaine régle de la bonne conscience reconnuë par les Payens mêmes qui n’ont pas crû qu’il fût permis de faire une chose que l’on doute si elle est juste ou injuste :
Quod dubites æquum sit an iniquum : au lieu que vos Casuistes que suit M. Abelly ont introduit dans la morale Chrêtienne cette pernicieuse maxime : Que l’on peut suivre une opinion moins probable & moins sûre en faisant ce qui est péché selon l’opinion contraire qui nous paroît plus probable.
Le 2. Principe réduit à rien le plus grand de tous les commandemens, qui est celui qui nous oblige d’aimer Dieu plus que toutes choses, en prétendant qu’il n’est point certain, qu’il oblige jamais par lui-même, mais seulement par accident.
Ib. cap. 4. sect. 1. § 3.
C’est ce qu’enseigne encore vôtre M. Abelly aprés plusieurs de vos Auteurs. Car n’ayant pû nier qu’il n’y ait un précepte d’aimer Dieu, non seulement négatif par lequel il nous seroit défendu de rien faire qui seroit contraire à cet amour, mais aussi affirmatif qui nous oblige à l’aimer par un acte intérieur, il demande en quel temps ce précepte oblige. Et il ne marque qu’un seul cas dans lequel il soit certain qu’on soit obligé d’aimer Dieu plus que toutes choses, qui est quand on doit faire un acte de Contrition pour se réconcilier avec Dieu, ce qu’il nous apprend qui n’arrive, que lors qu’on n’a pas de Confesseur. Il dit aussi que selon quelques Théologiens on est obligé de faire un acte d’amour de Dieu quand on commence à avoir l’usage de la raison. Mais quoi que cela lui paroisse probable, il prétend que l’on se met à couvert de cette obligation en souscrivant-à l’opinion contraire. D’où il s’ensuit que selon cette moüelleuse Théologie, il n’est pas certain qu’un Chrêtien qui auroit vécu 80. ans & qui auroit commis beaucoup de crimes pendant cette longue vie, ne fût pas sauvé sans avoir jamais aimé Dieu de cet amour qui nous est commandé par ce précepte, Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, dont Jesus Christ, dit, Hoc est maximum & primum mandatum, parce qu’il n’aura point manqué de Confesseur à qui il auroit confessé tous ses péchez par la crainte d’être damné, quand il aura eu besoin de se réconcilier avec Dieu.
Le 3. Principe est directement opposé au soin qu’a pris M. le Cardinal Grimaldi, de faire observer les Régles de S. Charles dans le Sacrement de Penitence, en marquant un grand nombre de cas dans lesquels les Confesseurs doivent ou refuser, ou differer l’absolution. Car ils pourront sans scrupule absoudre toûjours ceux dont la vie est une vicissitude continuelle de Confessions & de crimes, si on s’en tient, comme fait vôtre M. Abelly,
De Sacram Pœnit. sect. 19.
à la doctrine de Navarre dans le chap. 3. de son Manuel, qui passe sur ce sujet dans des excés horribles, quoi qu’il soit ordinairement assez raisonnable sur d’autres matiéres.
On voit par là que cet Auteur peut être à vôtre goût, & que c’est apparemment par vôtre conseil que l’on a voulu le faire enseigner dans le Seminaire d’Aix. Mais on dit que celui qui en est Directeur, ne s’y est pû résoudre, & qu’il a demandé la permission de dicter des écrits. Je ne sçai pas s’il l’a obtenuë.
Voilà, mes Peres, un échantillon du zéle de vôtre Hercule. On n’est pas étonné que les vertusdansantes s’en réjouïssent chez vous. Mais on a tout lieu de croire que ceux qui n’en connoissent que de plus sérieuses & de plus Chrêtiennes, s’en affligeront & en gémiront devant Dieu.
XI.
Orphée par la douceur de son Luth appuise insensiblement trois hommes transportez de colere, & fait le second trait du caractére du Prélat.
Il semble, mes Peres, que vous ayez oublié ici la promesse que vous avez faite de representer les vertus de vôtre Héros par des Symboles clairs & expressifs tirez de la fable. Car rien n’est plus obscur que la liaison qu’on devroit trouver entre les effets que vous attribuez au Luth d’Orphée, & la douceur d’un Evêque que vous vous êtes engagez de representer. Trouvez vous par exemple que ce que vous dites, que trois furies sorties de l’enfer pour suivent une ombre. Qu’Orphée commence à joüer du Luth ; qu’au même instant elles paroissent toutes changées, & dansent avec l’ombre qu’elles pour suivent, soit un Symbole bien clair & bien expressif de la douceur d’un Evêque ? Il faudroit pour cela que vôtre Héros pût par sa douceur changer les furies de l’enfer ; c’est à dire, les Démons, ou convertir les damnez, ce qui est une hérésie que vous n’oseriez soûtenir. De plus, des furies de l’enfer qui dansent au Luth d’Orphée sont plûtôt le Symbole d’un Sabath de Sorciéres que de quelque chose de Chrêtien.
Des vents qui s’arrêtent au milieu de la plaine pour entendre les concerts…. Les forêts, les rochers, les mont agnes qui tressaillent, & qui suivent Orphée en cadence par tout où il va sont des fictions trop outrées & trop éloignées de la vrai-semblance pour servir d’allegorie, ou pour être au moins des Symboles clairs & expressifs de quelque chose de réel.
Mais des Bergers qui abandonnent leurs troupeaux pour suivre Orphée & danser aprés lui. Des Matelots qui viennent du fond de la mer & qui ne rentrent dans leur barque qu’aprés avoir dansé, peuvent-ils être des Symboles d’une vertu qui ne pouvant enseigner aux hommes qu’à s’acquitter de leur devoir, ne pourroit que condamner ces Pasteurs Mercenaires & ces Matelots infidéles, qui abandonnent pour danser, les uns leurs troupeaux ; les autres leurs barques ?
En verité, mes Peres, il paroît que vous n’avez seulement pas l’Idée de la douceur Chrêtienne & que vous ignorez en quoi elle consiste. Sçachez donc que la douceur naît de l’humilité intérieure du cœur qui fait qu’on ne s’offense pas facilement des foiblesses des autres dont on se reconnoît capable.
Serm. 1. de Virg. Deip. n. 12.
« Car, comme dit S. Bernard, ainsi que l’enflure du cœur est la mere de la présomption, de même la veritable douceur ne procéde que de la vraye humilité. » Ce sont deux vertus que Jesus Christ a rendu lui-même comme inséparables : Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux & humble de cœur. « C’est une double petitesse que l’humilité & la douceur, dit encore S. Bernard, mais l’une & l’autre de ces vertus est néanmoins trés-grande, & pour faire que nôtre sanctification soit parfaite & achevée il faut nécessairement que nous apprenions du Saint des Saints la douceur & l’humilité. »
Ainsi, mes Peres, n’y ayant aucune ombre d’humilité parmi les Symboles du Luth d’Orphée, ils n’ont pû exprimer au plus qu’une fausse douceur. Mais que voulez-vous ? L’humilité n’est pas la vertu de la Compagnie. Il n’est donc pas étrange qu’elle ne soit pas aussi celle de vos Héros.
XII.
Argus ne represente pas mieux la vigilance de vôtre Prélat, qu’Orphée sa douceur.
Vous dites que Quatre Fourbes viennent danser auprés d’Argus pour l’amuser, dans la vûë de lui faire enlever ses moutons lors qu’il sera le plus attentif à la danse. Argus les découvre par d’autres yeux que ceux qui regardent danser.
Pour faire paroître vôtre Héros vigilant, vous le representez comme un homme qui aime la danse, & qui la regarde avec attention, ce qui n’est pas moins indigne d’un Evêque que le défaut, que vous voulez éloigner de son caractére.
Ces yeux doubles que vous lui donnez, & dont les uns servent à regarder danser & les autres à veiller sont peut-être le Symbole de cette direction d’intention si célébre dans vôtre Morale qui fait qu’on peut, selon vous, prendre part extérieurement à une chose défenduë, pourvû que par d’autres yeux on se porte intérieurement à un objet permis. Ce Symbole nous represente peut-être encore, que vôtre Héros sçait le secret d’aller au Bal & à la Comédie sans en être moins vigilant sur son Troupeau : secret ignoré jusques à cette heure par tous les SaintsEvêques.
Un mauvais Genie pour le même dessein tâche de l’endormir par une chanson extrêmement languissante, il n’en vient pas à bout. C’est peut-être, qu’elle étoit languissante dans le même sens que l’on dit : Qu’un discours est languissant, lors qu’il est froid & n’a rien de vif. Mais si ç’avoit été une chanson de l’Opera, la vigilance du Prélat auroit couru risque de succomber. Car si elle ne l’eût pas endormi, elle lui eût, peut-être, tellement rempli l’esprit de quelque folle passion, qu’il auroit été facile au mauvais Génie de lui enlever ses Troupeaux.
Le Sommeil par la vertu de ses Pavots ne l’endort pas tout à fait, mait peu s’en faut qu’il ne lui ait assoupi tous les yeux. Un homme presque assoupi n’est guéres different d’un homme endormi pour ce qui est de s’acquitter de son devoir ; Et on n’est pas trop propre en cet état de representer la vigilance d’un Héros qui devoit être héroïque.
Mais enfin Mercure joüe si long-temps de la flûte auprés de lui qu’il l’endort, & lui enleve ses Troupeaux. C’est à dire, mes Peres, que ce que quelques divertissemens n’ont pas fait ; ce que le sommeil n’a fait qu’à demi, l’interest dont Mercure est le Symbole vient l’achever par sa flûte.
Si c’est ainsi, mes Peres, que vous honorez les Héros de vos fables, c’est justement sur le contrepied que les Saints ont honoré les leurs. Ecoutez ce que S. Bernard dit d’un sçavant Evêque de son temps Gilbert Evêque de Londres. « La pureté & le desintéressement de vôtre conduite, lui dit-il, a répandu par tout une grande & douce odeur de piété & d’édification. L’avarice est éteinte qui ne s’en réjouïra ? La charité régne qui n’en sera pas ravi ? Tout le monde connoît maintenant que vous êtes du nombre des vrais sages puis que vous avez terrassé le plus grand ennemi de la sagesse. » C’est à cet ennemi, mes Peres, que vous faites succomber le Symbole clair & expressif de la vigilance de vôtre Héros. Ainsi on court grand risque de ne jamais dire à sa loüange ce que le même Pere dit à l’honneur de S. Malachie, « Qu’il n’avoit pas seulement été amateur de la pauvreté, mais qu’il en avoit été le chef & le Prince, ayant voulu quitter son Siége Archiepiscopal qui étoit riche pour retourner à sa premiére & à sa chere Epouse qui étoit pauvre. »
Au reste Argus s’éveille en sursaut honteux de s’être laisse endormi ; il s’excuse auprés du Héros de ce qu’il a si mal representé son extrême vigilance.
Je trouve, mes Peres, qu’il est encore plus honteux pour vôtre Héros & pour vous-même, d’avoir choisi dans toute la fable un Symbole si peu propre à representer une extrême vigilance. Car n’est-ce pas comme si on choisissoit une fille qui se seroit laissé corrompre pour être le Symbole clair & expressif de la virginité ?
Mais il est aisé d’en deviner le mystére. C’est, mes Peres, que vous n’êtes pas d’humeur à n’estimer que les Vertusqui sont uniformes & persévérantes. Vous vous accommodez mieux de celles qui s’éclipsent quelquefois & même assez souvent, pourvû qu’on ne manque pas de faire quelque compliment d’excuse, comme fait l’Argus dans vôtre Ballet ; c’est à dire, pourvû qu’on aille chez vous toties quoties demander l’Absolution, que vous êtes toûjours prêts de donner suivant la Maxime de vôtre P. Bauny, qu’on ne doit ni refuser, ni differer l’Absolution à ceux qui tombent & retombent dans des crimes contre la Loy de Dieu & de la Nature, quoi qu’il n’y paroisse aucune espérance d’amendement. Il est vrai que c’est une des 65. Propositions condamnées par le Pape. Mais ce que l’on me mande être arrivé depuis peu à Toulon fait bien voir que cela ne vous arrête pas. Car on dit que soûtenant dans une These quelqu’une de ces Propositions condamnées, sur ce qu’un des Disputans objecta le Decret de Sa Sainteté, vôtre Président répondit gravement, Que le Pape n’y avoit pas parlé ex Cathedra.
XIII.
La Charité qui doit faire le quatriéme trait du caractére du Héros, n’a rien qui la fasse reconnoître sous le Symbole d’Esculape, si fameux, dites-vous, pour ses guérisons merveilleuses. Vous n’en retranchez pas seulement la partie la plus noble, la plus parfaite, & la plus essentielle qui est l’Amour de Dieu sans lequel la charité ne peut être une vertu Chrêtienne ; mais vous donnez à l’amour du prochain qui est le seul qui reste sous vôtre Symbole fabuleux, des bornes si étroites & si resserrez, qu’il est plus propre à representer un Chirurgien de Village ou un Saltinbanque, que la charité d’un Prélat de l’Eglise. Car que faites-vous paroître sur le Théatre pour être l’objet de la charité de vôtre. Esculape ? Six infirmes, boiteux, aveugles, ou estropiez qui sont guéris, dites-vous, & qui prennent une nouvelle vigueur pour danser à l’honneur de celui de qui ils ont reçû un si bon office.
On pourroit peut-être penser que ces six infirmes sont autant de Symboles d’infirmes spirituels : Et cela seroit alors plus supportable pour representer la charité d’un Evêque ; mais ce que vous dites en suite empêche qu’on n’y donne ce sens.
Deux Yvrognes & aprés eux Polyphéme viendront demander d’être guéris. Esculape les rejettera parce que dans celui-ci, le mal qu’il souffre est une juste punition de ses crimes, & dans les autres, c’est un effet de leurs déréglemens.
La fonction de vôtre Esculape n’est donc pas de guérir les maladies de l’ame. Car à l’égard de celles-là, rien ne seroit plus mal à propos que de dire : Je ne m’appliquerai pas à vous guérir quelque priére que vous m’en fassiez, parce que vôtre maladie vient de vôtre déréglement. Il est vrai, lui repliqueroit le malade, mais c’est pour cela même que je m’adresse à vous, afin que vous me donniez moïen de sortir de mon déréglement, en m’appliquant les remédes de la Médecine spirituelle que Jesus Christ est venu apporter au monde. Car c’est de mon ame que je vous demande la guérison, & elle n’auroit pas besoin d’être guérie si elle n’étoit déréglée. Si cela n’étoit vrai, il auroit fallu que l’Enfant prodigue eût été rejetté par son Pere, parce que l’état misérable, où il se trouvoit, ne venoit que de son déréglement.
Il est donc clair que la conduite que vous faites tenir à vôtre Héros en qualité d’Esculape ne montre point qu’il s’appliquera à la guérison des ames malades, mais au plus à celle des corps. Et ainsi ce que vous ajoûtez, n’est guéres à propos. Cela peut, dites-vous, nous representer que nôtre incomparable Prélat sçait distinguer les personnes ausquelles il est à propos de faire du bien.
Cela represente au contraire que vôtre incomparable Prélat ne sçait ce que c’est que le devoir d’un Evêque & d’un Pasteur. Car est-ce pour guérir les maladies du corps ou les vices de l’ame qu’il porte le nom & la qualité de Médecin ? Est-ce pour la santé du corps ou pour le salut de son peuple qu’un Evêque est obligé de sacrifier son bien, ses soins, ses affections, ses pensées, & sa propre vie ? Si les Evêques sont les Vicaires de l’amour deJesus Christ, comme dit S. Ambroise, ne doivent-ils point témoigner envers leurs brebis le même amour qu’il a témoigné pour elles ? Car comme dit trés-bien S. Bernard,
In Cant. serm. 37.
« Comment Jesus Christ pourroit-il confier des brebis qu’il a tant aimées à un homme qui n’auroit point d’amour pour elles ? » Or Jesus Christ ne s’est-il appliqué qu’à guérir les maladies du corps ? N’a-t-il pas fait au contraire des maladies de l’ame le principal objet de son application ? Et n’est-ce pas même à cela qu’il a toûjours rapporté toutes les guérisons miraculeuses qu’il faisoit des corps ? D’où vient donc que vôtre Héros ne veut point entreprendre de guérir les vices de l’ame ? N’est-ce pas, mes Peres, que vous voulez qu’il vous ressemble,
Aug. in Joan.
& « que craignant de perdre aussi bien que vous, la douceur & la commodité qu’il trouve à être aimé, & ne voulant pas se faire des ennemis, & s’engager dans des suites fâcheuses qu’attirent aprés eux les mécontentemens qu’on donne aux hommes, encore que ce soit en faisant sa charge & en soûtenant la cause de Dieu ; il demeure dans le silence, & dissimule les péchez des hommes, de peur qu’en les reprenant il ne trouble sa paix en troublant celle des autres. » C’est SaintAugustin qui parle, mes Peres, mais il avoit en vûë tous ces Pasteurs qui négligent les besoins des ames quand ils s’appliqueroient, autant que vôtre Esculape, à guérir les maladies corporelles.
XIV.
Dans le corps de vôtre Ballet, mes Peres, vous promettez qu’Apollon le Dieu des sçavans paroîtra sur la scene pour representer la profonde science de vôtre Héros. Et voici ce que vous lui faites faire pour vous acquitter de vôtre promesse :
Apollon, dites vous, elevé au dessus du Parnasse chantera des vers à la loüange du Héros. Les Muses formeront un cœur de musique qui lui répondra. En suite il descendra sur la terre & dansera an milieu des Muses.
Il faut bien se garder de se souvenir que dans le Prélude Apollon a representé la personne du Roi, & qu’il doit encore bien-tôt la reprendre. Car l’idée de Poëte Panegyriste de vôtre Héros ne convient point du tout à sa Majesté & ne lui feroit point honneur. L’on ne doit donc considérer ici dans Apollon que sa qualité de symbole clair & expressif de la profonde science du Héros. Or on ne voit pas, mes Peres, comment peuvent revenir à cela, ni des vers chantez à sa loüange, ni des Muses qui y répondent en musique, ni Apollon dansant au milieu d’elles. Il faudroit pour y trouver quelque rapport, que la profonde science de vôtre Héros, se réduisit à bien scavoir la musique, à faire des vers, & à bien danser.
Mais ce n’est nullement en cela que consiste la profonde science d’un Evêque.
Tite c. 1.
C’est, dit S. Paul à être fortement attaché à la parole de verité, c’est à dire, à l’Ecriture & à la Tradition qui comprennent toute la doctrine de l’Eglise, telle qu’on la lui a enseignée, non dans l’école de vos Casuistes & de vos Auteurs profanes, mais en méditant l’Ecriture sainte aux pieds de Jesus Christen s’appliquant à la lecture des Conciles & des Peres, afin qu’il soit capable d’exhorter selon la saine Doctrine, & de convaincre ceux qui s’y opposent ; afin qu’il soit veritablement une lumiére du Monde, un Dépositaire & un Juge de la doctrine de l’Eglise & un parfait observateur de ses Canons. Comme Apollon, mes Peres, n’est pas le Dieu de ces sortes de sçavans, il n’en pouvoit être le Symbole.
XV.
Cependant les six premiers Genies reviendront, sçavoir qui est celui d’entre eux qu’Apollon aura choisi. Mercure avoit promis de les avertir, mais n’ayant pas de quoi les contenter tous, il aime mieux s’absenter & ne point paroître. Apollon qui n’a rien à ménager, ne répondra qu’en presentant le portrait du Héros. Nous venons d’en examiner tous les traits. Ils sont tellement à ce que vous prétendez, particuliers au Héros, que les autres Genies n’y reconnoissant point leur visage s’enfuïront. Le Genie du Prélat restera seul. La retraite si brusque de ces Genies marque qu’ils sont fort mécontens, & peut-être ont-ils raison. On devoit au moins avoir montré leur portrait pour juger du plus beau, ou du plus digne. Mais comme il n’y a point d’appel du Tribunal d’Apollon, il faut bien qu’ils ayent patience.
XVI.
Vous ne pouviez mieux finir, que par la conclusion la plus follement idolâtre que l’on puisse concevoir. La passion de flatter vôtre Héros vous transporte de telle sorte, qu’elle vous fait oublier qu’il s’agissoit de rendre des honneurs à un Pontife qui n’est que le Ministre de Dieu, & non pas le Dieu même qu’on adore : Et c’est dans cette espéce d’enyvrement, que vous poussez la flatterie, jusques à changer sa qualité de Pontife en celle de Dieu. Il ne faut que vous écouter.
Le Genie de la Ville, dites-vous, viendra accompagné de divers âges, de differens états, & des beaux arts. Il les exhortera à signaler leur zéle pour honorer le Héros. Les arts lui dresseront un temple. L’Architecte y travaillera des colonnes, le sculpteur taillera une statuë, & le Peintre tracera un tableau.On placera dans le temple le Genie du Prélat,aux pieds de qui Hercule vient quitter sa massuë, Orphée sa Lyre, Argus sa Baguette, & Esculape son Serpent.
Voilà donc vôtre Héros devenu Dieu, & du nombre de ces Dieux que les Romains appelloient Majorum Gentium, c’est à dire, du premier ordre, puis que ceux du second ordre, Hercule, Orphée, Argus, Esculape, lui viennent faire hommage en mettant chacun à ses pieds le Symbole de sa divinité. Vous pouviez encore faire qu’Apollon lui mit sur la tête sa couronne de laurier. Est-ce que vous l’avez oublié ? ou que vous avez apprehendé de n’en être pas avoüez ?
Il ne vous restoit plus pour recueillir le fruit de vos rares inventions, que de les faire publier par la Renommée. Et c’est à quoi vous ne manquez pas. La Renommée, dites-vous, partira pour aller annoncer par toute la terre, la joye de la Ville, le mérite du Héros, & les honneurs qu’on lui a rendus. Il en sera quelque chose. Cette prophane apotheose & tout ce qui l’a précédée sont d’un genre de folie assez singulier, pour être publiez par la Renommée sinon par toute la terre, au moins en beaucoup de lieux. Mais ne doutez point qu’elle ne publie aussi les charitables Avis que l’on vous donne, pour vous porter à rentrer en vous-mêmes, & à réparer le scandale que vos Processions & vos Ballets causent à l’Eglise.