Procès-verbal de l’action intentée devant le Parlement de Paris par le procureur
général du
Roi aux “maîtres entrepreneurs” du
Mystère des Actes des Apôtres et du
Mystère du Vieil Testament (8-12 décembre 1541)
[NDE] Le document n’a pas de titre. Le titre adopté ne désigne pas la situation officielle (seuls les entrepreneurs du Mystère des Actes des Apôtres comparaissent) mais la situation réelle (l’avocat est celui des entrepreneurs du Mystère de l’Ancien Testament, car ce sont eux qui sont véritablement en cause). Le document a été d’abord transcrit par le P. Voisin, Défense du traité de Mgr le Prince de Conti touchant la comédie et les spectacles ou la réfutation d'un livre intitulé Dissertation sur la condamnation des théâtres, Paris, Coignard, 1671, p. 308-316. Il a été ensuite transcrit, avec l’arrêt de janvier 1542, par G. Runnalls (« La Confrérie de la Passion et les Mystères. Recueil de documents relatifs à l’histoire jusqu’au milieu du XVIe siècle », Romania, 122, 2004, n° 17 et 18, p. 167-183) et par U. Floris (Teorici, teologi e istrioni. Per e contro il teatro nella Francia del Cinque-Seicento, a cura di Luisa Mulas, Roma, Bulzoni, 2008, p. 157-165). La transcription de Runnalls est la meilleure, en dépit de quelques erreurs, et elle est accompagnée de précieuses annotations qui élucident les références et identifient les protagonistes ; nous les avons largement utilisées dans nos notes. Les documents ne sont presque pas divisés en paragraphes. Nous avons introduit des paragraphes et largement remanié la ponctuation, de façon à faciliter la compréhension du texte.
Manuscrit ARCH. NAT. X/1a/4914 (ff. 80r-82r)
ès Jours de décembre mille cinq cent quarante et un
- Jeudi VIII
e
- Vendredi IX
e
- Samedi X
e
- Dimanche XI
e
- Lundi XII
e
St. André président[NDE] François de Saint-André a été conseiller au Parlement et, en 1541, il est l’un des quatre présidents, il sera en 1554 premier président.
hostiis clausis[NDE] Graphie « archaïsante » pour « ostiis clausis », à huis clos.
Entre le procureur général du Roi, prenant le fait en main pour les pauvres de Paris, demandeur et requérant l’entérinement d’une requête par lui présentée à la cour, d’une part. Et maître François Hamlin notaire au Châtelet de Paris, François Pouldrain, Léonard Choblet, Jean Louvet[NDE] Ces quatre entrepreneurs ont été identifiés par G. Runnalls. François Hamelin est également « praticien en cour laie » (avocat pour les tribunaux séculiers) ; François Pourtrain est tapissier ; Léonard Choblet ou Chollet est boucher ; Jehan Louvet, grainetier et sergent à verge au Châtelet, est l’auteur de douze mystères, voir G. Runnalls, « Jean Louvet, compositeur de mystères et homme de théâtre parisien (1536 (1550) », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 62-3, 2000, 561-589., maîtres entrepreneurs du Jeu et mystère des Actes des Apôtres naguère exécuté en cette ville de Paris, défendeurs à l’entérinement de ladite requête, d’autre[NDE] = d’autre part..
Le Maistre[NDE] Gilles Le Maistre, substitut du procureur général du Roi, Noël Brulart., pour le procureur général du Roi, dit que anciennement les Romains instituèrent plusieurs jeux publics, de la plupart desquels parle Tite Live[NDE] Tite-Live, Ab urbe condita, I, 35., et les récite tous Flavius, qui a écrit de Roma triumphante[NDE] Blondus Flavius (ca 1388-1463), De Roma triumphante libri decem, Paris, Simon de Colines, 1533 (1e éd. ca 1472), tome 1, livre II, ff. 53 sq., 67, 69 sq. . Mais, quelques jeux que ce fussent, il n’y en avait aucuns qui fussent ordinaires, ains ne se faisaient sinon les occasions occurantes[NDE] Quand les occasions se présentaient. et pour quelque cause notable et insigne, comme pour quelque victoire ou triomphe, ou pour quelque pompe funèbre, ou autre notable cause. Vrai est que Festus Pompeius[NDE] Sextus Pompeius Festus (ou Festus Grammaticus, fin du IIe s. ap. J.C.), De verborum significatione libri XX. Il ne nous est parvenu qu’à l’état de fragments. Il en existe plusieurs éditions incunables, et plusieurs éditions du début du XVIe s., dont celle de Paris, N. Savetier, 1529, Sexti Pompei Festi Librorum XIX fragmenta, publiée avec le De lingua latina de Varron. Voir s.v. « saeculares ludi », dans l’éd. d’André Dacier, Sext. Pompei Festi et Mar. Verrii Flacci De verborum significatione libri XX, Amsterdam, Sumptibus Huguetanorum, 1699, p. 471-472. récite une manière de jeux qui se faisaient sans occasion et dicebantur ludi saeculares[NDE] Et on les appelait ‘jeux séculaires’., mais ils ne se faisaient nisi centesimo quoque anno[NDE] Ne se faisaient que tous les cent ans.. Et encore après que les Romains furent attediés[NDE] Las de (Cotgrave : « wearied », « troubled with too much of »). G. Runnalls déchiffre par erreur « attenduz ». de tels jeux publics, et qu’ils connurent qu’il tournait en lascivité et in perniciem[NDE] Et à la perte de. de la république, qu’ils les laissèrent, et y eut[NDE] Et il y eut. loi expresse que les frais et impenses[NDE] Dépenses. qui se faisaient des jeux publics seraient employés ès réparations et fortifications de la ville de Rome. Et encore est aujourd’hui cette loi écrite in lectione unica codicis de expensis ludorum. Libro undecimo[NDE] Référence au Codex Justiniani, livre XI, « De expensis publicorum ludorum » (des dépenses des jeux publics)..
Et, pour le fait,[NDE] Après le préambule historique, il en vient aux faits. dit que, depuis trois ou quatre ans en ça[NDE] « En ça » renforce « depuis »., les maîtres de la Passion ont entrepris de faire jouer et représenter le Mystère de la Passion, qui[NDE] = ce qui. a été fait. Et parce qu’il s’est trouvé qu’ils y ont fait gros gain, sont venus aucuns particuliers, gens non lettrés ni entendus en tels affaires[NDE] Affaire est masculin. et gens de condition infime, comme un menuisier, un sergent à verge, un tapissier[NDE] « Sergent à verge » est une allusion à Jean Louvet, « tapissier » à François Pourtrain. et autres semblables, qui ont fait jouer les Actes des Apôtres, en iceux commis plusieurs fautes tant ès feintes qu’au jeu[NDE] Tant dans l’histoire représentée que dans la manière de la jouer.. Et, pour allonger le temps, ont fait composer et dicter et ajouter plusieurs choses apocryphes, quoi que soient non contenues ès Actes des Apôtres, et fait durer trois ou quatre journées ce qu’ils devaient jouer en une journée, afin d’exiger plus d’argent du peuple, en entremettant en la fin ou au commencement du jeu farces lascives et de moqueries, et ont fait durer leur jeu l’espace de six ou sept mois, dont sont advenues et adviennent cessations de service divin, refroidissement des charités et aumônes, adultères et fornications infinies, scandales, dérisions et moqueries.
Et, pour les déclarer par le menu, en premier lieu dit que, pendant lesdits jeux et tant qu’ils ont duré, le commun peuple, dès huit à neuf heures du matin ès jours de fêtes, délaissait sa messe paroissiale, sermon et vêpres, pour aller auxdits jeux garder sa place, et y être jusques à cinq heures du soir : ont cessé les prédications, car n’eussent eu les prédicateurs qui les eût écoutées[NDE] Les prédicateurs n’eussent eu personne pour écouter leurs prédications.. Et, retournant desdits jeux, se moquaient hautement et publiquement, par les rues, desdits jeux et des joueurs, contrefaisant quelque langage impropre qu’ils avaient ouï desdits jeux ou autre chose mal faite, criant par dérision que le Saint Esprit n’avait point voulu descendre et par autres moqueries. Et le plus souvent, les prêtres des paroisses, pour avoir leur passetemps d’aller auxdits jeux, ont délaissé dire vêpres ès fêtes, ou les ont dites tout seuls dès l’heure du midi, heure non accoutumée. Et même les chantres ou chapelains de la sainte chapelle de ce palais, tant que lesdits jeux ont duré, ont dit vêpres les jours de fêtes à l’heure de midi, et encore les disaient en poste et à la légère pour aller auxdits jeux, chose indécente non accoutumée et de mauvais exemple et contre les saints conciles de l’église, même contre le concile de Carthage in capitulo qui die de consecratione, distinctio 1ª, où est dit § qui die solemni praetermisso ecclesiae convenctu ad spectacula vadit excommunicetur[NDE] Que soit excommunié celui qui va aux spectacles, les jours de fêtes, en omettant l’assemblée de l’église [= des fidèles]. C’est la distinction 1 du chap. 88, du 4e concile de Carthage (398), voir G. D. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, Paris, Arnehm, 1901, tome 3, c. 958..
Secundo, les prédications sont plus décentes pour l’instruction du peuple, attendu qu’elles se font par théologiens gens doctes et de savoir, que ne sont les actes ou représentations qu’on appelle jeux, que font gens ignorants et indoctes, et qu’ils n’entendent ce qu’ils font ni ce qu’ils disent, représentant des actes des apôtres du vieil testament et autres semblables histoires qu’ils s’efforcent représenter.
Tertio, il est certain et indubitable par jugement naturel que fiction d’une chose n’est possible sans préalable intelligence de la vérité. Car fiction n’est autre chose qu’une approche que l’on s’efforce faire au plus près que l’on peut de la vérité. Et tant les entrepreneurs que les joueurs sont gens ignares non lettrés qui ne savent ni a ni b qui n’ont intelligence non seulement de la sainte écriture immo[NDE] N’a pas le sens adversatif du latin immo : ni même d’écriture profane. ni d’écritures profanes. Sont les joueurs artisans mécaniques[NDE] Les joueurs sont des artisans., comme cordonniers, savetiers, crocheteurs de grève, de tous états et arts mécaniques, qui ne savent lire ni écrire et qui onques ne furent instruits ni exercés en théâtres et lieux publics à faire tels actes, et davantage n’ont langue diserte, ni langage propre, ni les accents de prononciation décente, ni aucune intelligence de ce qu’ils disent, tellement que le plus souvent advient que d’un mot ils en font trois, font point ou pause au meilleur d’une proposition, sens ou oraison imparfaite[NDE] Ils font une pause au milieu d’une proposition, d’un énoncé (une unité de sens) ou d’un discours inachevé., font d’un interrogant un admirant[NDE] Ils transforment une interrogation en exclamation. ou autre geste, prolation ou accents contraires à ce qu’ils disent[NDE] Ils font des gestes, adoptent une prononciation ou un accent contraires au sens de ce qu’ils disent., dont souvent advient dérision et clameur publique dedans le théâtre même, tellement que, au lieu de tourner à édification, leur jeu tourne à scandale et dérision.
Quarto, ils mêlent le plus souvent des farces et autres jeux impudiques, lascifs ou dérisoires, qu’ils jouent en la fin ou au commencement, pour attirer le commun peuple à y retourner, qui ne demande que telles voluptés et folies, qui sont choses défendues par tous les saints conciles de l’église de mêler farces et comédies dérisoires avec les mystères ecclésiastiques, ainsi qu’il est traité par tous les docteurs in capitulo ‘Cum decorem’, ‘De vita et honestate Clericorum’, et per hoc in summo eodem titulo distinctio ex quibus usis ; Item ‘ludi theatrales’[NDE] Référence aux Décrétales, Liber III, titulus I, cap. XII, « De vita et honestate clericorum », qui affirme que les jeux de théâtre (ludi theatrales) même sous le prétexte de l’habitude, ne doivent pas être pratiqués par les clercs dans les églises et qui condamne ces spectacles qui ne visent qu’à la dérision et sont parfois pratiqués, à l’occasion de certaines fêtes, par les diacres, sous-diacres et prêtres, voir l’éd. commentée par le Panormitain (voir infra n. 36), Abbatis Panormitani Commentaria in Tertium Decretalium Librum, Venise, apud Juntas, tome 6, 1588, f. 10.. Et par le concile de Bâle au décret De spectaculis in ecclesiis non faciendis[NDE] Référence au Concile de Bâle (1435) qui dans sa session 20, chap. 11, dénonce ces spectacles de théâtre et de danse mêlant hommes et femmes, et ces banquets qui se font dans les églises à l’occasion de certaines fêtes, voir G.D. Mansi, op. cit., t. 29, c. 108..
Quinto, l’on reconnaît oculairement que ce qu’ils en font est seulement pour le quête[NDE] La bourse (queste, subst. m. ou f. en ancien français). et pour le gain, comme ils feraient d’une taverne ou négociation[NDE] La « négociation » est la gestion des affaires. Ils font du théâtre par esprit de lucre, comme ils tiendraient une taverne ou un négoce. et qu’ils veulent devenir histrions, joculateurs[NDE] Farceurs, diseurs de bons mots, plutôt que jongleurs. et bateleurs car, comme dit Panormitanus[NDE] Nicolo Tedeschi (1386-1445), dit « il Panormitano » (le Panormitain), est un commentateur des Décrétales. La référence est au commentaire sur l’article des Décrétales cité supra, n. 30. in titulo « Cum decorem », un personnage est réputé histrion, bateleur et joculateur quand par deux fois il retourne causa questus[NDE] Pour de l’argent. à faire jeux ou spectacles publics, et ainsi en propres termes le déclare Panormitanus In dicto titulo « Cum decorem » divine domus. Ici l’on voit que jà par deux fois ils y sont venus pour le quête et profit seulement et, d’an en an, ils haussent le prix. Car la première année, ils faisaient payer vingt-cinq écus pour chacune loge. La seconde ils en ont fait payer trente et trente-six écus et maintenant ils les mettent à quarante et cinquante écus sol[NDE] Ecus soleil, ainsi nommés parce qu’ils sont frappés d’un soleil ou d’une étoile. ; ainsi l’on connaît oculairement qu’il n’y a que le quête et profit particulier qui les mène et ne font qu’inventions pour tirer subtilement[NDE] Pour soutirer. argent du peuple.
Sexto, il advient mille inconvénients et maux car, sous couleurs de ces jeux, se font plusieurs parties et assignations[NDE] Plusieurs actions criminelles et assignations en justice. Les spectacles sont sources de disputes qui dégénèrent en procès., infinies fornications, adultères, maquerellages et pour cette cause est eadem rubrica seu titulo in libro XI, capitulo « De spectaculis et scenicis et lenonibus »[NDE] Codex Justiniani, livre XI, 41, « Des spectacles de théâtre et de ceux donnés par les marchands d’hétaïres ». .
[Septimo], se font auxdits jeux commessations[NDE] Ripailles. et dépenses extraordinaires par le commun peuple, tellement que ce qu’un pauvre artisan aura gagné toute la semaine, il ira dépenser en un jour auxdits jeux, tant pour payer à l’entrée que en commessation et ivrognesse[NDE] Ivrognerie., et faudra que sa femme et enfants en endurent[NDE] En souffrent, en supportent les conséquences. toute la semaine.
Octavo, l’on a connu par expérience que lesdits jeux ont grandement diminué les charités et aumônes, tellement que, en six mois que ont duré lesdits jeux, les aumônes ont diminué de la somme de trois mille livres, et en appert promptement par certification signée des commissaires pour le fait des pauvres.
Ce néanmoins, un nommé Le Royer[NDE] Charles Le Royer est donné, en 1548, comme ancien maître de la confrérie. et vendeur de poisson, un tapissier[NDE] Le tapissier doit être François Pourtrain (voir supra, n. 22), qui doit être cet entrepreneur des Actes des Apôtres que l’équipe du Viel Testament a recruté pour bénéficier de son expertise (voir infra, n. 62). , un menuisier et quelques autres leurs compagnons ont de nouveau entrepris faire encore jouer l’année prochaine le Vieil Testament et veulent faire désormais un ordinaire desdits jeux[NDE] Veulent transformer les jeux en une activité habituelle et récurrente. pour exiger argent du peuple.
Dont averti, le procureur général du Roi a présenté requête pour leur faire inhibitions et défenses de non passer outre à leur entreprise[NDE] Pour leur interdire de mettre en œuvre leur entreprise.. Ils lui ont apporté une lettre de privilège qu’ils disent avoir obtenue du Roi, qu’ils ont présentée avec une requête au lieutenant criminel qui ne leur a voulu répondre. Au moyen de quoi, ils se sont retirés au lieutenant civil, qui leur a répondu leur requête. Et pour ce que, par lesdites lettres, ils ont donné à entendre au Roi qu’ils le font par zèle de dévotion et pour l’édification du peuple, qui[NDE] Ce qui. est chose non véritable, et y répugne leur qualité et encore plus leurs facultés, mais le font seulement pour une négociation[NDE] Pour faire des affaires. ou marchandise, et pour le quête, gain et profit qu’ils en espèrent, et autrement ils ne le feraient. Davantage a plusieurs choses au Vieil Testament qui n’est expédient déclarer au peuple, comme gens ignares et imbéciles qui pourraient prendre occasion de Judaïsme[NDE] Judaïser, c’est verser dans le protestantisme. Mettre le peuple en contact direct avec l’Ancien Testament, c’est courir le risque d’encourager l’hérésie. , à faute d’intelligence. Pour ces causes, et autres considérations qui seraient de long récit, conclut[NDE] Le sujet est évidemment le procureur du roi (et son substitut qui parle pour lui). à l’entérinement de sa requête et en ce faisant que défenses leur soient faites de non passer outre à leur entreprise desdits jeux du Vieil Testament, jusques au bon plaisir, vouloir et intention du Roi, les choses susdites par lui entendues[NDE] Jusqu’à ce que le roi donne son sentiment après avoir entendu les arguments ci-dessus énumérés..
A aussi ledit procureur général présenté autre requête à ce que, pour les causes susdites, les anciens entrepreneurs soient tenus mettre et délivrer, de leur gain et deniers procédant desdits jeux des Actes des Apôtres, la somme de huit cents livres parisis[NDE] Monnaie frappée à Paris. en la boîte aux pauvres par provision, et sauf après avoir vu par la cour l’état de leurs frais et de leur gain en ordonner plus grande somme, si faire se doit, ainsi qu’il fut en pareil cas ordonné contre les maîtres de la Passion[NDE] Les maîtres du Mystère de la Passion, qui avait été joué en 1539. Comme il est dit après, François Ier y avait assisté. Il avait approuvé le spectacle et marqué son intérêt pour le mystère joué en 1541, les Actes des Apôtres.. Et requiert qu’à ce faire ils soient contraints chacun d’eux seul et pour le tout, par vente et exploitation de leurs biens, et même par emprisonnement de leurs personnes[NDE] Chacun des maîtres est responsable de la totalité de la somme, sur ses biens, et sous peine d’emprisonnement.. Et conclut.
Ryant[NDE] Un Riant est attesté comme avocat à Paris (voir Runnalls, éd. cit., n. 62). Curieusement, il ne représente pas les entrepreneurs des Actes des Apôtres, convoqués par le Parlement, mais ceux du Viel Testament qui, sans être au départ incriminés, ont le plus à perdre puisque, en dépit des frais engagés, leur projet est suspendu. dit qu’il n’a charge de défendre à la requête du procureur général du Roi pour le regard des maîtres entrepreneurs du Mystère des Actes des Apôtres, mais seulement à charge pour les nouveaux maîtres entrepreneurs du Mystère de l’Ancien Testament. Remontre à la cour les causes qui les ont mus entreprendre faire exécuter[NDE] Il expose à la cour les raisons qui les ont poussés à entreprendre de faire exécuter le mystère. ledit Mystère de l’Ancien Testament. Est que, le Roi ayant vu jouer quelque fois le Mystère de la Passion y a deux ans, et pour le rapport qui lui a été fait de l’exécution du Mystère des Actes des Apôtres, et averti qu’il ferait bon voir la représentation de l’Ancien Testament[NDE] Le Mystère du Viel Testament., un nommé Le Royer s’était retiré vers lui et lui aurait donné à entendre que, sous son bon plaisir, il entreprendrait volontiers faire représenter cet Ancien Testament par mystère, à quoi volontiers le Roi avait incliné tellement qu’il avait permis audit Le Royer faire représenter ledit Ancien Testament par mystère et, à cette fin, lui avait fait expédier ses lettres patentes adressantes[NDE] Les lettres patentes adressées au Prévôt de Paris. au Prévôt de Paris, juge ordinaire. Le Royer ayant lesdites lettres, en demande en Châtelet la vérification, appelés les gens du Roi[NDE] Il fait vérifier les lettres au Châtelet en faisant appel aux gens du roi.. De leur consentement, ledit Prévôt de Paris ou son lieutenant, en faisant lesdites lettres, permit audit Le Royer qu’il commence à faire faire quelques préparatifs pour l’exécution et, connaissant que lui seul il ne pourrait subvenir aux frais nécessaires pour la grandeur de l’acte et magnificence qu’il y fallait garder, associe avec lui quatre ou cinq honnêtes marchands de cette ville, et pour autant que tous étaient ignorants des frais que l’on pourrait faire, prennent avec eux un des maîtres entrepreneurs des Actes des Apôtres pour les instruire de ce qu’il leur conviendrait faire[NDE] Ce doit être François Pourtrain, voir supra, n. 46., et eux se pensant assurés au moyen de la permission du Roi et de la vérification du consentement des gens du Roy faite[NDE] Forts de la permission du roi et de ce que les gens du roi avaient vérifié cette permission., marchandent aux marchands de draps de soie et autres pour les fournir des étoffes qu’il leur fallait et ont avancé grande somme de deniers, aux uns deux mille livres, aux autres sept cents, tellement qu’il y a obligation sur eux[NDE] Ils ont contracté plus de sept mille livres de dette avec engagement de payer (obligation). de plus de sept mille livres. Ont fait dresser le livre de l’Ancien Testament en rythme[NDE] Ils ont fait établir un texte du mystère en vers. , icelui communiqué au théologien Piccard[NDE] G. Runalls l’identifie comme Pierre Picart, régent de la faculté de théologie en 1541. pour ôter ce qu’il verrait n’être à dire. Ont choisi gens experts et entendus pour exécuter le mystère et sont quasi tous les rôles[NDE] Les petits textes distribués aux acteurs contenant les répliques qui leur reviennent. faits, et jà partout publié[NDE] Il a été partout proclamé publiquement. que l’on doit jouer. Néanmoins le procureur général du Roi, par une requête baillée à la cour, les avait fait inhiber de passer outre. Dit qu’ils ne veulent être désobéissants mais attendu les lettres patentes du Roi, la vérification du consentement des gens du Roi, la cour sous correction doit lever les défenses. Joint qu’il n’est question de ludis pertinentibus tantum ad ornatum urbis vel laetitiam populi[NDE] Il n’est pas question de jeux qui ne visent qu’à l’ornement de la ville ou à la joie du peuple., qui encore ne seraient prohibés[NDE] Et même ceux-là ne seraient pas interdits., mais de l’édification du peuple en notre foi. Il est vrai que les entrepreneurs ne sont gens pour faire l’édification mais par l’histoire jouée sera représenté l’Ancien Testament, et le pourront les rudes[NDE] Les ignorants. et non savants mieux comprendre, à le voir par l’œil, que par la seule parole qui en pourrait être faite[NDE] Les illettrés comprendront mieux l’écriture sainte par la version théâtrale que par une version orale (la lecture).. Et de dire qu’il y a des scandales et des assemblées mauvaises et que les aumônes des pauvres en pourront être refroidies cela n’est considérable[NDE] Il ne faut pas le considérer. . Car ne s’est point trouvé qu’il y ait eu de scandales ni mauvaises assemblées aux Mystères de la Passion et Actes des Apôtres. Et quant aux aumônes, elles se refroidissent tous les jours pour autres causes, que chacun ne sait pas. A cette cause supplie la cour, vu la permission du Roi, la vérification d’icelle, et considéré les préparatifs que les entrepreneurs ont faits, et que res non est amplius integra[NDE] Expression juridique figée : il n’y a pas d’élément nouveau (qui justifie une décision nouvelle). En d’autres termes, le substitut n’apporte aucun argument qui justifie de revenir sur l’autorisation donnée par le roi., il plaise à la cour lever lesdites défenses, autrement perdraient les pauvres gens beaucoup. Et néanmoins offrent du gain[NDE] Ils offrent une partie de leurs bénéfices. qu’ils pourront faire. La cour en ordonne telle somme qu’elle verra pour les pauvres.
Le Maistre dit qu’il n’y a point de permission du Prévôt de Paris, ains au contraire ledit Prévôt a ordonné qu’aucuns seraient appelés pour ouïr après ordinaire ordonné[NDE] Floris omet le mot « ordinaire », transcrit par Runnalls, dont la lecture semble juste. « Ordinaire » peut qualifier un procès civil : le sens pourrait donc être que la décision est prise dans le cadre d’un procès civil. De toute façon, le sens général est clair : le Prévôt va convoquer les maîtres entrepreneurs qui prétendent avoir obtenu son aval, pour répondre de leur mensonge. ce que de raison. A dit Ryant que si est[NDE] Ryant a dit que si (il conteste le prétendu refus du Prévôt). : a lu la requête présentée audit Prévôt, répondue et signée De Mesmes[NDE] Il n’y a pas de majuscule, ce qui normal pour les noms propres dans le document. Floris et Runnalls comprennent « de même ». On peut sans doute comprendre : Ryant rétorque à l’accusation de mensonge en lisant la requête présentée au Prévôt à laquelle celui-ci a répondu en la contresignant. Voisin transcrit « De Mesmes » et, de fait, en 1541, Jean-Jacques Ier de Mesmes (1490-1559) est, de 1532 à 1544, lieutenant civil du Prévôt de Paris (voir la Table chronologique des Préfets, Comtes, Vicomtes et Prévôts de Paris, in Almanach royal, Année 1759, Paris, Lebreton, 1759, il est mentionné p. 275). Il faut donc comprendre que J.-J. de Mesmes, en tant que lieutenant civil au Châtelet, a répondu à la requête des maîtres entrepreneurs et authentifié les lettres patentes. C’est un lettré qui a les faveurs du roi, qui le fera en 1544 Maître des Requêtes puis premier président du Parlement de Normandie (voir l’article que lui consacre le dictionnaire de Moréri, éd. 1759, tome 7, p. 494-495)..
A dit Le Maistre qu’il y avait obreption[NDE] Terme de droit et de chancellerie : ruse qui consiste à taire l’un des éléments. En l’occurrence, les maîtres entrepreneurs se sont abstenus de signaler le refus du lieutenant criminel. Floris, à la suite de Voisin, déchiffre par erreur « objection ». car premièrement s’étaient adressés au lieutenant criminel qui les avait refusés. Et pour ce requiert les défenses tenir[NDE] Maintenir l’interdiction., jusques à ce que le procureur général aura averti le Roi et que, sur ce, il aura entendu son intention et vouloir.
Interpellé Ryant s’il voulait rien dire pour les maîtres des Actes des Apôtres, a dit qu’il y en a un ou deux présents qui lui font dire qu’ils sont prêts de rendre compte.
La cour dit qu’en ayant égard à la requête faite par ledit procureur général du Roi, elle a ordonné et ordonne que les anciens maîtres bailleront la somme de huit cent livres parisis par provision, pour employer à l’aliment et nourriture des pauvres de cette ville de Paris. Et semblablement mettront par devers ladite cour leur état et compte, pour icelui vu leur être pourvu[NDE] Les entrepreneurs soumettront à la cour leurs livres de compte pour que, après examen de ceux-ci, on les traite comme il convient (qu'on prenne à leur propos la décision raisonnable). ainsi qu’il appartiendra par raison. Et, à ce faire, ils seront contraints par prise de corps, un seul pour le tout. Et quant à la seconde requête dudit procureur général, tendant à ce que défenses fussent faites aux nouveaux maîtres entrepreneurs du Mystère du Nouveau Testament, ladite cour a fait et fait inhibitions et défenses auxdits nouveaux maîtres de procéder à l’exécution de leur entreprise, jusques à ce qu’elle ait su le bon plaisir et vouloir du Roi pour, icelui ouï[NDE] Après avoir entendu celui-ci (l’avis du roi)., leur faire telle permission qu’il plaira audit Seigneur ordonner.
Après lequel prononcé, a requis Ryant délai être donné auxdits Maîtres anciens pour bailler ladite somme de VIII cents livres car ils n’avaient presentem pecuniam[NDE] D’argent disponible..
A dit Brulart, procureur général, qu’il leur accordait quinzaine[NDE] Un délai de quinze jours..
Ladite cour a ordonné que lesdits anciens maîtres payeront la moitié de ladite somme dedans quinzaine et l’autre moitié dedans la quinzaine ensuivant.
Hostiis apertis[NDE] A portes ouvertes..