Anonyme

1710

Instructions sur divers sujets de morale

2016
Source : Instructions sur divers sujets de morale Anonyme p. 42-87 1710
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

Instructions sur divers sujets de morale §

{p. 42}INSTRUCTION II.
Sur les Spectacles.

CHAPITRE I.
Que les Spectacles sont des plaisirs défendus. Preuves de cette défense tirées de l’Ecriture sainte, des Peres de l’Eglise, des Conciles, des Rituels, & des Loix civiles. §

D. A Juger d’un Chrestien par les principes que vous avez establis, quelle doit estre sa vie ?

R. La vie d’un Chrestien qui a esté enseveli avec Jesus-Christ par le Baptesme, & qui a fait vœu d’embrasser sa Croix,

Per Baptismatis gratiam consepulti Christo in crucis Sacramenta juravimus. Paulin. Epist. 23. ad Sever. c. 16.

doit estre non seulement une imitation, mais encore une continuation de la vie de Jesus-Christ, puisque c’est son esprit {p. 43}qui doit agir en luy, & imprimer dans son cœur les mêmes sentimens qu’il a imprimez dans celuy de Jesus-Christ.

D. La vie d’un Chrestien peut-elle estre une vie de plaisir ?

R. Le veritable plaisir d’un Chrestien consiste à se priver de tous les plaisirs passagers ; à attacher son cœur au lieu où se trouvent les veritables délices ; & à se faire de Jesus-Christ l’unique objet de ses consolations, & de sa joye.

D. Tous les plaisirs sont-ils défendus à un Chrestien ?

R. Il y a des plaisirs qui lui sont permis, & qui peuvent même luy devenir necessaires pour soutenir le poids des affaires ausquelles sa vocation l’engage, & pour le distraire des occupations laborieuses qui causent à l’ame une espece de lassitude qu’on a besoin de reparer.

{p. 44}D. Quels sont les plaisirs qui sont permis à un Chrestien.

R. Tous ceux qu’il peut prendre en les rapportant à Dieu, qui doit estre la fin de toutes ses actions selon ces paroles de l’Apostre : Soit que vous mangiez, ou que vous beuviez, & quelque autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu.

Sive manducatis, sive bibitis, sive aliud quid facitis : omnia in gloriam Dei facite. 1. Cor. c. 10. v. 31.

D. Quels sont les plaisirs défendus à un Chrestien ?

R. Ceux qui entretiennent l’oisiveté, & la mollesse, qui excitent les passions, & corrompent les bonnes mœurs. Dieu n’en peut estre la fin.

D. Les spectacles peuvent-ils estre comptez parmi les plaisirs permis ?

R. Les spectacles sont absolument défendus, parce qu’ils sont absolument mauvais, & qu’on ne sçauroit les mettre au rang des choses qui peuvent estre bonnes ou mauvaises, selon {p. 45}le bon ou le mauvais usage qu’on en fait ; & que rien n’est plus opposé à la vie, aux sentimens, & aux devoirs d’un veritable Chrestien.

D. Qu’appelle-t-on spectacles ?

R. On appelle spectacles des divertissemens publics, tels que sont les Comedies, les Opera, & les autres représentations qui se font sur les Théatres. La fin de ces représentations estant d’éxciter les passions, elles sont directement contraires au Christianisme. Quand même elles ne les exciteroient que par hazard, on ne doit pas souffrir qu’un Chrestien s’expose pour un vain divertissement à ces dangereuses émotions.

D. Met-on au rang des spectacles défendus toutes les représentations qui se font sur les Theatres ?

R. On en excepte celles qui se font dans les Colleges pour l’exercice {p. 46}de la jeunesse ; « Leurs Reglemens portent que les Tragedies, & les Comedies qui ne doivent estre faites qu’en latin, & dont l’usage doit estre rare, ayent un sujet saint, & pieux ; que les intermedes des actes soient tous latins, & n’ayent rien qui s’éloigne de la bienséance ; & qu’on n’y introduise aucun personnage de femme, ni jamais l’habit de ce sexe. »

Rat. Stud. Societ. Jes. Tit. reg. Rect. art. 13.

D. En allant à la comedie ne pourroit-on pas offrir à Dieu le plaisir qu’on y va prendre ?

R. Ce seroit se moquer de Dieu, & des hommes que de dire que « l’on va à la comedie pour l’amour de Jesus-Christ, oseroit-on luy offrir cette action, & luy dire : Seigneur c’est pour vous que je veux aller à la comedie ; ce sera vostre esprit qui m’y conduira ; ce sera vous qui serez {p. 47}le principe de cette action ; c’est par vostre Croix que vous me l’avez meritée. Y a-t-il quelqu’un assés aveugle, ou assés endurci pour pouvoir souffrir sans horreur l’impiété de ce langage ? & ceux qui travaillent le plus à justifier la comédie, ont-ils jamais osé offrir à Dieu cette action, & luy rendre graces de l’avoir faite ? C’est une preuve sensible que leur conscience dement leurs fausses lumieres, & qu’ils sont eux-mêmes convaincus du mal qu’il y a dans la comédie. »

Essais de mor. Traité de la comed. chap. 10.

D. Pourquoy les spectacles sont-ils absolument mauvais ?

R. Parce qu’on n’y represente que les objets de la concupiscence, & que tout ce qu’on y entend, tout ce qu’on y voit, tend à détruire l’amour de Dieu, & à faire naistre l’amour du monde dans le cœur des Spectateurs.

{p. 48}D. Si les spectacles sont absolument mauvais, d’où vient que l’Ecriture ne le condamne pas ?

R. C’est une erreur que de croire que l’Ecriture ne condamne pas les spectacles. L’Ecriture les condamne quand elle condamne les concupiscences du siécle. Ecoutez ce que dit saint Jean : Je vous écris, peres… Je vous écris, enfans… Je vous écris, jeunes gens… N’aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde… Car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie, ce qui ne vient point du Pere, mais du monde.

Omne quod est in mundo, concupiscentia carnis est, & concupiscentia oculorum, & superbia vitæ, quæ non est ex Patre, sed ex mundo est. 1. Joan. c. 2. v. 16.

Dans ces paroles le monde, & le Théatre qui en est l’image sont également reprouvez. « C’est le monde avec tous ses charmes, & toutes ses pompes qu’on y représente dans toutes les comédies. Comme dans {p. 49}le monde, tout y est sensualité, curiosité, ostentation, orgueil, & on y fait aimer toutes ces choses, puisqu’on n’y songe qu’à y faire trouver du plaisir. »

Bossuer Reflex. sur la comedie. p. 42.

D. Les Peres de l’Eglise ont-ils cru que les spectacles estoient condamnez par ces paroles de l’Apostre ?

R. Tertulien dit précisément que l’Ecriture en condamnant les concupiscences du siécle, condamne les spectacles.

Quasi parum de spectaculis pronuncietur cum concupiscentiæ sæculi damnantur Tert. De spect. c. 4.

Nous pourrions ajouster à son autorité celles de saint Basile, de saint Chrysostome, de saint Augustin, & de plusieurs autres Peres.

D. Ne dit-on pas que les Peres ne condamnoient les spectacles, qu’à cause de l’idolatrie qui y regnoit ?

R. L’idolatrie n’estoit pas le seul mal que les Peres condamnoient dans les spectacles. Une {p. 50}de leurs principales raisons estoit, qu’ils portent à la corruption des mœurs, & qu’on n’y voit que des objets de passion.

D. Ce caractere convient-il aux comédies d’aujourd’huy ? n’en a-t-on pas banni tout ce qui pourroit blesser la pudeur ?

R. Il est vray que le Théatre oste aux passions, & sur tout à l’amour ce qu’elles ont de plus grossier, & de plus opposé à la bienséance ; mais il est vray aussi qu’une passion couverte d’un voile d’honnesteté est plus dangereuse. Comme elle paroist sans honte, & sans infamie, on fait gloire d’en estre touché, on se familiarise peu-à-peu avec elle. On s’accoustume à en parler. L’esprit la regarde sans précaution, & le cœur s’y livre sans resistance.

Le Pere René Rapin Jesuite.

Ceux qui ont pris soin de comparer le Théatre tel qu’il est aujourd’huy avec celuy {p. 51}des anciens, trouvent que le nostre est beaucoup plus dangereux, & que les comédies de nos Poëtes sont plus propres à allumer les feux de l’amour impudique.

D. L’Eglise a-t-elle condamné les spectacles dans ses Conciles ?

R. L’Esprit de l’Eglise dans ses Conciles n’est pas different de celuy des Peres, ou plustost les Peres ont parlé comme l’Eglise ; qui a condamné les spectacles pour les mêmes raisons tant particulieres que generales.

Concil. Eliber. can. 62. anno. 305. 1. Concil. Arelat. can. 5. anno 314.

D. Les Canons qu’elle a faits pour les condamner sont-ils abrogez, ou obligent ils encore ?

Concil. Cabillon. can. 9. anno. 813.

R. L’esprit de l’Eglise n’est point changé. La condamnation des Comédiens est précise dans tous les Rituels.

Rituel de Paris p. 108. 114.

La pratique en est constante, & on prive des Sacremens pendant la vie, & à la mort ceux qui joüent la comédie, {p. 52}s’ils ne renoncent à leur Art. On les passe à la sainte Table comme des pécheurs publics. On les exclut des Ordres Sacrez comme des personnes infames, & on leur refuse la sepulture Ecclesiastique.

D. La condamnation des Comédiens emporte-t-elle celle de la comédie ?

R. Ouy. Si la profession des Comédiens est indigne des Crestiens, & que ceux qui l’exercent, soient obligez de la quitter, comme les Conciles l’ordonnent, il n’est pas permis par consequent aux autres de contribuer à les entretenir dans une profession si contraire au Christianisme. Si tout le monde s’accordoit à ne vouloir point assister aux spectacles, les Comédiens cesseroient bien tost de les donner. Ainsi ceux qui montent sur le Théatre, sont moins coupables, au sentiment de saint {p. 53}Chrysostome, que ceux qui leur applaudissent, & les approuvent : « Ostez les Spectateurs, & vous osterez les Acteurs. »

In Epist. ad Eph. hom. 17.

D. Les Loix civiles ne tolerent-elles pas les Comédiens ?

R. L’esprit des Loix a tousjours esté contraire au Théatre. Elles ont tousiours flestri les Comédiens. Si elles les tolerent, c’est qu’elles ne sont pas establies pour remedier à tous les maux, mais seulement à ceux qui attaquent directement la Société. Cette tolerance n’empesche pas qu’on ne doive dire que les maux que le monde permet, ne laissent pas d’estre condamnez par l’Evangile.

{p. 54}

CHAPITRE II.
Réponse aux objections qu’on tire de saint Thomas pour justifier les Spectacles, & aux mauvaises raisons qu’alleguent ceux qui croyent pouvoir les fréquenter sans péché. §

D. Si les spectacles estoient si précisément condamnez, S. Thomas en parleroit-il comme d’un plaisir permis ?

R. Ceux qui alleguent l’autorité de saint Thomas comme favorable à la comédie, luy font dire tout autre chose que ce qu’il dit, & tirent de ses principes des consequences tres fausses. « Ce saint Docteur a restraint l’approbation, ou la tolerance des comédies à celles qui ne sont point opposées aux bonnes mœurs ; mais quand on les considere dans la pratique, {p. 55}on n’en voit point de telles. On n’en a point trouvé qui fussent dignes des Chrestiens ; & on a cru qu’il seroit plus court de les rejetter tout-à-fait que de travailler vainement à les reduire contre leur nature aux régles severes de la vertu. »

Boss. p. 4… 141.

D. Est-il impossible de donner un tour Chrestien, ou même honneste aux comédies ?

R. De quelque maniere qu’on les tourne, elles sont tousiours la matiere des concupiscences du siécle que saint Jean défend de rendre aimables, puisqu’il défend de les aimer. Le grossier qu’on en oste, feroit horreur si on le monstroit.

Boss. p. 21.

L’adresse de le cacher ne fait qu’y attirer les volontez d’une maniere qui pour estre plus délicate, n’en est que plus périlleuse.

D. Si ces autoritez, & ces raisons estoient sans replique, continueroit-on de {p. 56}fréquenter les spectacles ?

R. Les spectacles n’en sont pas pour cela plus permis. La liberté que tant de Chrestiens se donnent est une preuve de leur relaschement ; mais elle ne justifie ni l’Opera, ni la Comédie. L’amour du plaisir ne prescrit point contre les regles de l’Evangile. Le Théatre pour estre fréquenté n’en est pas moins défendu : Et nous serons toujours en droit de dire avec saint Augustin à ceux qui le fréquentent : « Vous portez le nom de Fidele, & vos œuvres démentent ce nom, parce que vous ne gardez pas les promesses que vous avez faites. On vous voit offrir vos priéres à Dieu dans l’Eglise, & quelque temps aprés on vous voit assister aux spectacles, & mesler vostre voix avec les cris dissolus des comédiens. Qu’y a-t-il de commun entre vous, & les pompes {p. 57}du Démon ausquelles vous avez renoncé. »

Quid tibi cum pompis Diaboli quibus renunciasti ? Aug. de simb. ad cathecum.

D. Ceux qui fréquentent les spectacles, violent-ils les promesses qu’ils ont faites en recevant le Baptesme ?

R. Salvien dit qu’aller aux spectacles c’est en quelque sorte abandonner sa Foy, & abjurer le Christianisme. « Escoutez en quels termes en a parlé ce grand homme ? quelle est la prémiere protestation que fait le Chrestien en recevant le Baptesme ? n’est-ce pas de renoncer au Démon, à ses pompes, & aux spectacles qui sont ses œuvres ? Quand aprés avoir reçû le Baptesme vous retournez aux spectacles que vous avez mis au rang des œuvres du Démon, ne vous engagez vous pas de nouveau sous son empire auquel vous avez renoncé ?…. Où est donc nostre Christianisme ? ne recevons-nous {p. 58}le Sacrement du Salut que pour pécher ensuite avec plus de malice, & plus d’impiété ? »

In spectaculis quædam apostasia fidei est ? … Quæ est in Baptismo salutari Christianorum prima confessio ? quæ scilicet nisi ut renuntiare se Diabolo, ac pompis ejus, atque spectaculis et operibus protestentur ? Ergo spectacula juxta professionem nostram opera sunt Diaboli. Quomodò ô Christiane post Baptisimum sequeris, quæ opus esse Diaboli confiteris ? renuntiasti semel Diabolo, & spectaculis ejus ; ac per hoc ut prudens, & sciens dum ad spectacula remeas, ad Diabolum te redire cognoscas…. Ubi est Christianitas nostra qui ad hoc tantùm modò Sacramentum salutis accipimus, ut majore postea prævaricationis scelere peccemus. De guber. Lib. 6. n. 6… 7.

D. L’experience de ceux qui y assistent sans se sentir coupables d’aucun péché, ne peut-elle pas balancer ces autorités, & ces raisons ?

R. Non. C’est plustost insensibilité qu’experience. A la verité le mal que les spectacles produisent, ne se fait pas tousiours sentir tout d’un coup. Ils sont un poison tantost lent, tantost prompt, mais qui ne manque jamais de mettre dans l’ame de malignes dispositions favorables aux passions. Ils préparent les charmes, & les douceurs qui emportent la concupiscence ; & {p. 59}ensuite quand la concupiscence a conçû, elle engendre le péché, & le péché estant accompli il engendre la mort.

Concupiscentia cum conceperit, parit peccatum, peccatum verò cum consummatum fuerit generat mortem. Jacob. c. 1. v. 5.

D. Doit-on ajouster foy à ce que disent certaines personnes, que quelque soin qu’elles prennent de s’examiner, elles n’y trouvent pas matiere de confession.

R. Si ces personnes s’examinoient de bonne foy, elles y en trouveroient sans doute ; mais parce qu’elles cherchent des excuses à leurs péchés, elles sont assés malheureuses pour en trouver, « Dieu par un effet de sa justice répandant des tenebres sur leurs passions desreglées. »

Spargens pœnales cæcitates super illicitas cupiditates. Aug. lib. 1. c. 19.

Quelque innocentes que ces personnes se croyent, il n’y en a point qui voulust passer des divertissemens du Théatre au tribunal de celui qui a dit : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez.

Væ vobis qui ridetis nunc, quia lugebitis, & stebitis. Luc c. 6. v. 25.

{p. 60}Rien ne marque mieux que les Chrestiens fréquentent les spectacles contre leur conscience que ce que dit saint Augustin. « Combien en voyons-nous qui courent aux spectacles, & avec quelle douleur les voyons-nous negliger les engagemens de leur Baptesme ? néanmoins si ces Chrestiens sont saisis au Théatre même de quelque soudaine frayeur, ils font d’abord le signe de la Croix : & ils demeurent là avec ce signe sur le front ; mais ils en sortiroient bien-tost, s’ils le portoient dans le cœur. »

Qui si fortè in ipso circo aliquâ ex causâ expavescant, continuò se signant, & stant illic portantes in fronte, unde abscederent, si hoc in corde portarent in Psal. 50. n. 1.

D. D’autres qui passent pour dévots, sont-ils plus dignes de Foy quand ils asseurent qu’ils n’y font point de mal ?

R. Le Démon qui a des piéges pour les impies, en a aussi pour les dévots. Il est à craindre que ceux dont vous parlez, ne soient du nombre de ceux qui {p. 61}croyent pouvoir servir deux maistres,

Nemo potest duobus Dominis servire.

Dieu, & le monde ; & ne ressemblent aux Pharisiens que Jesus-Christ compare à des sepulchres blanchis. C’est une erreur tres dangereuse. Mais quand même ces prétendus dévots seroient impenetrables aux attraits du plaisir, ils devroient craindre pour eux cette parole de saint Paul : que celuy qui croit estre debout, prenne garde à ne pas tomber ;

Qui se existimat stare, videat ne cadat. 1. Cor. c. 10. v. 12.

Et pour leur prochain, cette autre du même Apostre : Pourquoy scandalisez-vous vostre frere infirme. Ne perdez pas par vostre exemple celuy pour qui Jesus-Christ est mort.

Noli.… illum perdere pro quo Christus mortuus est. Rom. c. 14. v. 15.

D. Ces personnes sont-elles plus croyables quand elles asseurent qu’elles s’y occupent de bonnes pensées, & que le chant, & le son des instrumens élevent leur ame à Dieu ?

R. Elles ont beau le dire. On ne les croit pas. Le saint Esprit {p. 62}qui forme les bonnes pensées, les porteroit bien plustost à fuir ces divertissemens. C’est se tromper grossierement que de s’imaginer qu’on puisse conserver son cœur pour Dieu au milieu des pompes du monde. Rien n’est moins propre à produire cet effet que les recits passionnez, & les airs tendres, qui ne font tant de plaisir, que parce qu’en les entendant, l’ame s’abandonne à l’attrait des sens. Est-il probable qu’une musique toute profane produise à l’Opera les effets que les cantiques du Seigneur ne produisent pas tousiours dans les lieux Saints.

D. L’exemple de ces personnes est-il plus contagieux que celuy des mondains desclarez.

R. Il l’est sans doute. L’exemple des mondains fait moins d’impression. Leur libertinage ne tire point à consequence. On en a horreur pour peu qu’on ait de {p. 63}Religion. Mais l’exemple de ceux qui ont quelque reputation de vertu, & qui font le personnage de dévot, est sans comparaison plus contagieux. Ils entraisnent les foibles qui n’ont pas la force de resister, & les ignorans qui n’ont pas assez de lumiere pour faire un juste discernement. Ils sont un piége pour les uns & pour les autres, qui croyent pouvoir ne pas se refuser ce que des dévots de profession se permettent.

D. Ceux qui disent qu’ils se sont ennuyez à la Comédie, & à l’Opera sont-ils excusables d’y estre allez ?

R. Non. Cet ennuy est une preuve qu’ils n’y ont pas gousté le plaisir qu’ils s’estoient promis, & qu’ils font injustes de ne pas soûpirer aprés des plaisirs qui soient sans desgoust, & sans ennuy.

{p. 64}

CHAPITRE III.
Qu’une Mere est trés coupable de mener sa fille aux Spectacles. Que c’est une erreur de croire que la Comédie soit destinée à corriger les mauvaises mœurs. Que rien au contraire n’est plus propre à les corrompre. §

D. Que doit on dire d’une mere qui mene sa fille aux spectacles ?

R. On doit dire qu’elle est bien coupable d’exposer sa fille à perdre l’innocence de son Baptesme par lequel elle a renoncé aux pompes du monde, qu’elle luy fait voir de si prés, & dans un point de veue si flateur, & si séduisant.

D. Mais si cette fille est si jeune qu’elle ne puisse suivre ni le sujet, ni les intrigues de la comédie, y a-t-il du mal de l’y méner ?

{p. 65}R. Ouy. Il y a du mal de l’accoustumer à ouvrir son cœur à des plaisirs dont les impressions font d’ordinaire des playes profondes & durables ; & de luy former l’esprit à des intrigues où tout est passion. Car on s’accoustume à aimer ce qu’on se fait une habitude de voir.

D. Que doit faire une fille que sa mere veut mener aux spectacles ?

R. Elle doit faire tous ses efforts pour obtenir de sa mere de ne point aller dans des lieux où son innocence seroit exposée. Si sa mere la presse, elle luy représentera avec respect que l’Apostre ordonne d’obéir en tout à ses parens, mais dans le Seigneur,

Filii obedite parentibus vestris in Domino. Eph. c. 6. v. 1.

& que leur obéir par préférence à Jesus-Christ, ce seroit n’estre pas digne de luy.

Les Peres de l’Eglise ont parlé conformément à ces regles Evangeliques. « Un fils, dit saint {p. 66}Augustin, doit obéir en tout à son pere, excepté contre la Loy de Dieu, & quand dans cette circonstance un fils préfére Dieu à son pere, le pere n’a pas droit de se mettre en colere contre son fils. Il n’est permis de desobéir à ses parens que quand il s’agit d’obéir à Dieu »,

In eâ re solâ filius non debet obe ire patri suo, si aliquid pater ipsius jusserit contra Dominum Deum ipsius. Neque enim debet irasci pater quando sic ei præponitur Deus. In psal 70. serm. 1. n. 2. Sola causa in quâ non liceat obedire parentibus Deus est. Epist. 111.

dit saint Bernard. De tous les Peres saint Jerosme est celuy qui a parlé avec plus de force sur cette matiere. Il escrit à son ami Heliodore. Il l’exhorte à retourner dans la solitude, & luy représente les avantages de sa vie qu’il a quittée : « Souvenez-vous, luy dit-il, que par le Baptesme vous estes devenu soldat de Jesus-Christ ; dés-lors vous avez fait serment de luy estre fidele, & de n’avoir égard ni à vostre pere, ni à vostre mere quand il s’agiroit de son service…… Quelques caresses que vostre {p. 67}petit neveu vous fasse pour vous retenir ; quoyque vostre mere les cheveux épars, & les habits déchirez vous monstre le sein qui vous a allaité, pour vous obliger de demeurer, quoyque vostre pere se couche sur le seuil de la porte pour vous empescher de sortir : foulez-le courageusement aux piés, & sans verser une seule larme, allez promptement vous ranger sous l’étendard de la Croix. C’est une espece de piété d’estre cruel dans cette occasion, & ce n’est que dans de pareilles conjonctures qu’il est permis de l’estre. »

Per calcatum perge patrem. Siccis oculis ad vexillum crucis evola. Solum pietatis genus est in hâc re esse crudelem. Epist. 5. ad Heliod.

D. Si malgré les remonstrances de sa fille une mere ne laissoit pas de luy persuader, ou de la contraindre d’y aller, que penseriez-vous d’une telle mere ?

R. Ce que les Peres de l’Eglise en ont pensé.

Chrysost. contra vitup. vitam monast.

Malheur à une telle mere, elle devient la meurtriere {p. 68}de sa fille. Dieu luy redemandera son innocence, & luy fera porter la peine des péchez auxquels elle l’aura exposée.

D. Vous estes donc bien ésloigné de croire que la comédie soit destinée à corriger les passions, & les mauvaises mœurs ?

R. Ceux qui se déclarent les défenseurs de la comédie, luy attribuent une fin si utile, & si honnorable ; mais ils se trompent. Car la comédie n’attaque que le ridicule des mœurs sans toucher à leur corruption. Tout au plus elle corrige une passion par une autre. La morale du Théatre est une morale licentieuse qui ne tient par aucun endroit à celle de l’Evangile.

Ce seroit une conversion bien surprennante que celle d’un homme qui se seroit converti à la comédie. « O la belle reformatrice des mœurs que la poësie qui nous fait une Divinité {p. 69}de l’amour, source de tant de déreglemens honteux, s’écrie un Payen ! mais il n’est pas étonnant de lire de telles choses dans une comédie, puisque nous n’en aurions aucune si nous n’approuvions ces desordres. »

De comœdiâ loquor, quæ si hæc flagitia non approbaremus, nulla esset omnino. Cic.

D. N’a-t-on pas dit qu’un fameux Comédien

Moliere.

du dernier siécle avoit corrigé plus de défauts à la Cour, & à la Ville que tous les Prédicateurs ?

R. On l’a dit. Mais on n’a pas parlé selon la verité. Quand on examine de prés quels sont les défauts que ce Comédien a corrigez, on trouve que tout se reduit à quelque faux goust, à quelque sot entestement, à des affectations ridicules, telles que sont celles qu’il a reprises dans les précieuses, dans ceux qui outrent les modes, qui s’érigent en gens de qualité, qui parlent incessament de leur noblesse, qui {p. 70}ont toujours quelques vers de leur façon à monstrer.

Voilà des défauts dont ce Comédien a peut-estre arresté le cours. Car pour la galanterie criminelle, certainement il ne l’a pas corrigée. Rien au contraire n’est plus propre à l’inspirer que ses comédies, parce qu’on y tourne éternellement en ridicule les soins que les peres, & les meres prennent de s’opposer aux intrigues amoureuses de leurs enfans.

D. Ne doit-on estre en garde à la comédie que contre la galanterie ?

R. Outre qu’on y trouve des leçons de galanterie, on y en trouve d’envie, de fourberie, d’avarice, d’orgueil. On apprend aussi dans cette escole des maximes de libertinage contre les veritables sentimens de la Religion. On en trouve les semences non seulement dans les comédies {p. 71}où cet Auteur joue la dévotion, & les dévots, mais encore dans la pluspart des autres, d’une maniere si subtile qu’il est trés difficile de s’en défendre.

Ce qui a fait dire à un celebre Auteur

Baillet jugement des Sçavans.

que ce Comédien est un des plus dangereux ennemis que le siécle ait suscitez à Jesus-Christ, & qu’on le doit d’autant plus craindre qu’il fait encore aprés sa mort dans le cœur de ses Lecteurs le même ravage qu’il faisoit dans celuy de ses Spectateurs.

D. Les Piéces de Théatre d’où cette licence est bannie, & où l’on réprésente les actions heroïques des anciens Grécs, & Romains vous paroissent-elles dangereuses ?

R. Ces Piéces sont aussi trés nuisibles, parce qu’elles inspirent d’autres vices dont nous ne sommes pas moins susceptibles. Plus l’artifice avec lequel {p. 72}on dépeint la vengeance, l’ambition, l’orgueil, est subtil, plus il est dangereux. Mieux le Poëte réussit à imprimer une image de grandeur, & de generosité aux passions de ses Heros, plus il s’insinuë vivement dans le cœur de ses Spectateurs. « Quand les vices paroissent sous leur forme naturelle, on ne s’y laisse pas surprendre, au lieu qu’ils nous trompent quand ils prennent le masque, & l’apparence des vertus. »

Vitia non decipiunt nisi sub specie umbraque virtutum. Hicron. Ep. 3.

D. Confirmez ces veritez par l’experience de quelque personne qui merite toute croyance ?

R. Il est aisé de vous satisfaire par celle de saint Augustin. Il dit que dans sa jeunesse, il avoit une passion emportée pour les spectacles du Théatre, dont les représentations estoient des expressions contagieuses de l’estat de son ame. Il n’aimoit pas encore, mais il demandoit à aimer, {p. 73}& une secrete misere faisoit qu’il avoit regret à n’estre pas assés miserable. Une vie tranquille sans agitation, & sans péril luy estoit insupportable, & il n’aimoit que les routes pleines de piéges, & de filets.

Quærebam quod amarem, amans, amare, & oderam suavitatem, & viam sine muscipulis.

Il en trouva enfin dans la comédie qui luy représentoit l’image de sa misere, & luy fournissoit la nourriture de sa passion. Rien n’est plus propre à faire sentir quels effets la comédie est capable de produire qu’une experience exprimée si vivement, mais si humblement.

D. Si cela est ainsi, y a-t-il d’autre seureté, que de quiter le monde, & de se retirer dans le desert ?

R. Dieu n’appelle pas tous les Chrestiens à une retraite entiere. La vie de retraite a ses dangers comme la vie d’un commerce réglé. Où me fuirois-je, & où ne me suivrois-je pas,

Quò me fugerem. Quò me non sequerer. Conf. Lib.

disoit S. Augustin, {p. 74}la seureté de ceux qui vivent dans les usages du monde par estat, & par vocation, consiste à vivre dans la vigilance Chrestienne, & à prendre toutes les précautions necessaires pour se guarantir des piéges dont il est plein.

D. Les périls où l’on est exposé aux spectacles, sont-ils plus grands que ceux qu’on trouve à tout moment, & à chaque pas dans le monde ?

R. Il y a une trés-grande difference entre les uns, & les autres. Les périls où l’on est exposé sans les avoir pû prévoir, esloignent moins la grace de Dieu, & nous laissent une legitime confiance de l’obtenir par nos priéres ; au lieu que ceux qu’on cherche de gayeté de cœur, portent Dieu à nous abandonner à nous-mêmes. N’est-ce pas une présomption criminelle que de croire,

Præsumptio nequissima unde creata es ? Ecli. c. 37. v. 3.

qu’il {p. 75}nous délivrera des dangers où nous nous exposons volontairement.

CHAPITRE IV.
Détail des péchez qu’on commet en allant aux Spectacles. Réponse à ceux qui demandent s’il y a péché mortel, & si tous ceux qui y vont, sont également coupables. §

D. Concluez-vous de tous ces principes qu’il y a péché d’aller aux spectacles.

R. Ouy. Il y a péché. 1. D’applaudir aux Comédiens, de les approuver, & de contribuer à les entretenir dans leur profession.

2. « De s’exposer sans raison, & pour son seul plaisir au péril de perdre la grace.

3. « D’autoriser par sa présence des assemblées profanes, où {p. 76}toute la morale de l’Evangile est renversee, où toutes les maximes de l’amour se débitent au scandale de la Religion, où l’on n’entend que des chansons qui amollissent, & qui corrompent peu-à-peu le cœur.

4. « Par la complaisance qu’on a pour tous ces airs languissans & amoureux quand on seroit même exempt de passion.

5. « Dans la perte du temps ; on se plaint qu’on en manque pour ses exercices du Christianisme,

Le Pere Cheminais Jesuite dans un Sermon sur la Conception de la sainte Vierge.

& on le dérobe à ses occupations, à ses devoirs les plus pressans pour de vains spectacles, qui seroient de ce costé-là criminels quand ils ne le seroient pas d’ailleurs.

6. « Dans le mauvais usage de l’argent, qu’on y dépense. Dieu fera voir au Jugement qu’on pouvoit ce jour-là donner {p. 77}du pain à vingt personnes qui en ont manque.

7. « Dans les effets que les Spectacles produisent infailliblement au regard même des personnes les plus innocentes, une grande dissipation d’esprit, un esloignement des choses de Dieu, une froideur pour la Priére, un desgoust des Livres de piété, un amour du monde. Car c’est là le regne du monde. Ces assemblées ne sont composées que de personnes mondaines, qui avec leurs parures immodestes ne songent qu’à voir, & à estre vuës. Le péché est encore plus grand pour les personnes qui font profession de vertu, parce que les mondains s’autorisent de leur regularité apparente, & croyent se pouvoir permettre des plaisirs que les gens de bien ne se refusent pas. »

{p. 78}D. Y a t-il péché mortel ?

R. Saint Augustin enseigne qu’il est trés difficile de connoistre, & trés dangereux de décider quels sont les péchez qui ferment l’entrée du Ciel. « Pour moy, dit ce Pere, quelque recherche que j’en aye faite jusqu’à cette heure, je ne l’ay pû découvrir. Peut-estre que ce secret est caché de peur que nous n’en devenions plus lasches à éviter toutes sortes de péchez. Car si nous les connoissions, nous ne nous mettrions pas peut-estre en peine de les éviter…. »

Ego certè usque ad hoc tempus cum satage rem ad eorum indaginem pervenire non potui Et fortassis propterea latent ne studium proficiendi ad omnia peccata cavenda pigrescat… De civit. Lib. 21. c. 27. n. 5.

Au lieu que maintenant que nous ne les connoissons pas, nous sommes plus obligez de nous tenir sur nos gardes, & de tascher de nous avancer dans la vertu… La régle de ce Pere qui ne regarde pas précisément la matiere dont nous parlons, peut bien y estre appliquée.

{p. 79}D. Dans le doute s’il y a péché mortel d’aller aux spectacles, ne s’expose-t-on pas à s’en rendre coupable si l’on y va ?

R. C’est une maxime generale qu’il n’est pas permis d’agir dans le doute. Ainsi ceux qui ne laissent pas de faire une chose quoy qu’ils doutent s’il y a péché mortel, ne sont pas d’ordinaire fort loin de le commettre. Les gens de bien qui considerent qu’on ne connoit point avec certitude le degré de sa cupidité, & de sa malice, tremblent à cette parole du Sage, que celuy qui mesprise les petites choses tombe peu à peu.

Qui spernit modica paulatim decidet. Ecli. c. 19. v. 1.

D. Tous ceux qui y vont sont-ils exposez aux mêmes dangers ?

R. Quand Dieu dit dans l’Ecriture que celuy qui aime le danger y périra,

Qui amat periculum peribit in illo. Ecli. c. 3. v. 27.

il n’excepte personne. Un Chrestien ne sçauroit conserver une veritable piété sans le secours d’une crainte salutaire, {p. 80}qu’il conçoit à la veuë des dangers qui l’environnent. Si au contraire il se familiarise avec ses dangers, & qu’il marche avec confiance sur le bord du précipice, il y tombera.

D. Que doit-on respondre à ceux qui disent qu’ils y vont sans aucune mauvaise intention, & qu’ils sçavent separer ce qu’il y a de mauvais, & de vicieux d’avec ce qu’il y a d’honneste, & de conforme aux bonnes mœurs ?

R. Il faut leur respondre qu’il n’est pas possible de separer dans les spectacles l’agréable d’avec le licencieux, & que c’est se tromper que de croire qu’on n’aime pas le péché quand on aime ce qui le cause. Vouloir aller aux spectacles sans offenser Dieu, c’est vouloir se jetter dans le feu sans se brusler, ou se précipiter dans un abysme sans se perdre.

{p. 81}D. Tous ceux qui y vont, sont-ils également coupables ?

R. Dieu seul peut faire ce discernement, parce que seul il connoit les plus secrettes pensées des cœurs. S’ils ne le sont pas tous également, c’est la loüange de la grace de Jesus-Christ. Sa misericorde est plus grande que la présomption des hommes. Il en abandonne quelques uns à leurs passions, & c’est par un juste jugement. Il arreste celles des autres lors même qu’ils s’y livrent, & c’est une bonté toute gratuite. La consequence est qu’il faut veiller, prier, s’esloigner du péché, & de toutes les occasions qui y engagent. Si les mondains ne les apperçoivent pas, les Prestres les doivent instruire. malheur à ceux qui les flateroient.

{p. 81}

CHAPITRE V.
Que la circonstance d’aller aux Spectacles un jour de Feste, & de jeusne est une circonstance aggravante. Que ceux qui les fréquentent ne sont pas disposez à approcher des Sacremens. §

D. Aller aux spectacles un jour de Feste, seroit-ce une circonstance qui ajoustast un nouveau degré de malice au péché qu’on commet en y allant un autre jour ?

R. N’en doutez pas. Quand les spectacles seroient permis d’ailleurs, il faudroit les exclurre des jours de Feste, comme incompatibles avec le commandement de les sanctifier.

D. Seroit-on dans le même cas si on y alloit aprés avoir assisté au service Divin, & quand les Eglises sont fermées ?

{p. 83}R. Ceux qui fréquentent les spectacles, ne sont pas d’ordinaire fort assidus aux Offices de l’Eglise. En combien d’occasions pourrions-nous dire avec Salvien. « On préfere des spectacles à l’assemblée des Fideles. On mesprise les Autels, & on honnore les Théatres. On aime, on estime toutes les folies du monde. Dieu seul est indifferent, & compté pour rien. Cela est si veritable que s’il arrive (& il n’arrive que trop souvent) qu’on celebre des jeux publics, j’atteste la conscience d’un chacun, où se trouve la foule des Fideles ? où courent-ils ? à l’Eglise, ou au Théatre ? qui vont-ils entendre ? ou un Ministre de l’Evangile, ou un Comédien qui raconte quelque intrigue amoureuse ? qu’aiment-ils mieux ? ou la parole de vie, ou la parole de mort ? ou les {p. 84}instructions de Jesus-Christ, ou les bons mots d’un Bouffon ? on a sans doute plus d’amour pour ce à quoy on donne sa préference. Les Eglises sont desertes un jour de spectacle : Et si un Chrestien y vient sans sçavoir qu’on en donne quelqu’un, dés qu’il en est averti par les acclamations des Spectateurs, ou par le son des instrumens, il abandonne l’Eglise, & l’Autel, pour aller au Théatre prostituer ses yeux à des objets impudiques. »

Nos Ecclesiis ludicra anteponimus, nos altaria spernimus, & Theatra honoramus. Omnia denique amamus, omnia denique colimus. Solus nobis in comparatione omnium Deus vilis est…. Ecclesia vacuatur, circus impletur. Christum in altari dimittimus, ut adulterantes visu impurissimo oculos ludicrorum turpium fornicatione pascamus. De gub. Dei lib. 6. n. 7.

Mais s’il se trouvait des Chrestiens qui voulussent allier deux exercices aussi inalliables, ils esprouveroient sans doute que des divertissiemens d’une si grande dissipation, auroient bien-tost esteint tout ce que la célébration des saints Misteres, & la parole de Dieu auroient produit de recueillement {p. 85}& de componction.

D. L’Eglise a-t-elle condamné les spectacles plus severement les Dimanches, & les Festes, que les autres jours ?

R. Il faudroit inserer icy une partie des decrets des Conciles tenus en France aprés le Concile de Trente, Si je voulois rapporter tout ce qui regarde la condamnation du Théatre, & des spectacles, dans les jours que l’Eglise ordonne de sanctifier, sans parler des anciens Canons, ni des décisions des Peres.

D. La circonstance du caresme, ou d’un jour de jeusne commandé, aggrave-t-elle aussi la défense d’aller aux spectacles ?

R. L’Eglise a tousiours regardé les jours de jeusne comme des jours de deüil, & d’affliction. Comment permettroit-elle les spectacles dans ce temps qu’elle appelle un temps favorable, & {p. 86}des jours de Salut, puisqu’elle en a banni les plaisirs permis en d’autres temps, & qu’elle a même retranché de ses offices toutes les démonstrations d’une sainte réjouïssance, principalement pendant le caresme qui est un temps consacré à la memoire de la Passion de Jesus-Christ.

Ceux-là ont une idée bien fausse de la Pénitence Chrestienne, qui croyent qu’elle ne perd rien de son merite parmi les divertissemens du Théatre. Le caresme, & tout le temps du jeusne estant consacré à la Priére, aux larmes, à la componction, à la tristesse, & à la crainte salutaire qui nous mene au salut, & aux joyes éternelles par la privation des fausses joyes de ce siécle, les Conciles, & les Peres ont tousiours insisté sur cette maxime, qu’il en falloit exclurre les spectacles quand même ils seroient innocens.

{p. 87}D. Sur ces principes ceux qui frequentent les spectacles meritent-ils de recevoir l’absolution quand ils se présentent au Tribunal de la Pénitence ?

R. Il a esté deliberé en Sorbonne qu’on doit leur refuser l’absolution,

Le 20. May 1694.

s’ils ne veulent pas se corriger, & changer de conduite aprés avoir esté suffisamment instruits.