Anselme, Antoine

1771

Sermons sur l’Avent

2017
Source : Sermons sur l’Avent Anselme, Antoine p. 103-172 1771
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

Sermons sur l’Avent §

{p. 103}SERMON

2. Dim. de l’Avent, à S. Paul en 1694.


DES
SPECTACLES PROFANES,
Pour le II. Dimanche de l’Avent.

Joannes, cum audisset in vinculis opera Christi, mittens duos de Discipulis suis, ait illi : Tu es qui venturus es, an alium expectamus ? Matth. 11. 2.

Jean ayant appris dans la prison les œuvres merveilleuses deJesus-Christ, il luy fit dire par deux de ses Disciples, qu’il luy envoya ; Estes-vous celuy qui doit venir, ou si nous devons en attendre un autre ?

O les grands spectacles, que nostre Evangile nous présente ! On y voit saint Jean, condamner par l’austérité de sa vie la mollesse de ceux, qui vivent à la Cour {p. 104}des Rois : égaler par sa constance la fermeté des rochers où il habite ; s’élever par un mérite sublime au dessus de tous les hommes ; se rendre digne par ses vertus d’estre loué de celuy dont les Anges & les Saints chanteront éternellement les louanges ; sanctifier par sa présence la prison que son zele luy a attirée de la part d’un Prince contredit ; continuer malgré les persecutions & les chaînes de faire son office de Précurseur ; moins occupé du péril où il est, que des interêts de son maître, & du salut de ceux qu’il luy a confiez, luy envoyer des Disciples prévenus afin qu’il se fasse connoître à eux par luy même. Enfin passer les derniers jours de sa vie dans la disgrace avec un courage intrepide & une humilité profonde, & sans que personne ose parler pour luy, devenir dans une assemblée mondaine la victime d’une impudique irritée, & la récompense d’une danseuse, {p. 105}qui a perdu toute pudeur. Quel spectacle !

On y voit le Fils de Dieu renverser les loix de la nature, en éclairant les aveugles, en redressant les boiteux, en rendant l’ouye aux sourds, en guérissant les lépreux, en ressuscitant les morts, en prêchant l’Evangile aux pauvres ; & par tous ces miracles de sa bonté rendre un témoignage authentique au grand miracle de son Incarnation. Quel spectacle !

On y voit encore des hommes incredules & mondains, prendre un sujet de scandale & de chûte de la vie austere de Jean-Baptiste, & de la vie simple & commune de Jesus-Christ ; de la pénitence & de la solitude de l’un, de la Doctrine & de la croix de l’autre. Quel spectacle !

Il n’y en a point, dit saint Cyprien, qui soient plus dignes de l’attention & de la curiosité des Chrétiens, Hæc sunt fidelibus Christianis {p. 106}parata spectacula.

Cyp. de spect.

Les uns les doivent remplir d’admiration, les autres de reconnoissance, les autres de crainte & de terreur. C’est en les considérant, qu’ils trouveront leur sanctification & leur joye, & non pas en voyant ces spectacles profanes, que les Payens recherchoient avec tant d’avidité, que plusieurs Chrétiens ne rougissent pas d’aimer encore, contre lesquels les saints Docteurs se sont élevez dans la suite de tous les siecles, & dont je suis engagé de vous parler aujourd’huy.

J’avoüe, Messieurs, que mon Evangile ne m’y conduit pas directement. Mais il y a plus de rapport que tout autre ; & en tout cas vous me permettrez d’user de la liberté que se sont donnée les Peres, maîtres, & modeles des Prédicateurs. En prêchant ils avoient uniquement en vûë le salut des ames, & dans l’explication des divines Ecritures, sujet ordinaire de leurs prédications, ils tendoient {p. 107}toujours à ce but. Mais quand ils voyoient leurs Auditeurs dans quelque besoin pressant, ils quittoient les matiéres qu’ils avoient commencées, & couroient à ce besoin : préferant ainsi la loy de la charité, que Dieu a prescrite, aux regles du discours, que les hommes ont établies.

C’est l’exemple que je me propose de suivre en vous parlant des spectacles de nostre siecle : persuadé, que plusieurs Chrétiens ont besoin, les uns d’estre instruits, les autres d’estre fortifiez, les autres d’estre détrompez, les autres d’estre confondus sur cette matiére. Tout ancienne qu’elle est, elle a esté renouvellée de nos jours, & elle a vérifié cette parole de Jesus-Christ, Qu’il est nécessaire qu’il arrive des scandales,

Matth. 18. 7.

puisqu’ils donnent lieu au vray zele de se ranimer en les combattant, & de faire triompher la vérité de l’erreur. Je n’ajoûteray pas, malheur à celuy, par {p. 108}qui le scandale est arrivé : car s’il a pû estre l’instrument du démon & le ministre du monde pour séduire les ames foibles, il ne l’a pas esté long-temps, puisqu’une retractation solemnelle a dû les détromper, & rendre à la raison toute la pureté de ses lumieres.

Je dois même convenir, que cette erreur a esté suffisamment détruite par les sçavants Ecrits qui ont parû ; & je n’aurois pas entrepris d’y rien ajoûter, si je n’avois crû que toutes les fois que l’Eglise se trouve attaquée, elle engage dans sa défense ses Prédicateurs comme ses Ecrivains : y ayant une difference notable entre la parole écrite & la parole animée ; entre une Dissertation, & un Sermon ; & si d’ailleurs mon zele n’estoit honoré de l’approbation du Prélat illustre

M. de Harlay, Arch. de Paris.

, qui a montré dans cette occasion célebre comme en une infinité d’autres qui l’ont précedée & qui l’ont suivie, qu’une science {p. 109}profonde le rend capable d’exhorter selon la saine Doctrine, & de convaincre ceux qui s’y opposent ;

Tit. 1. 90.

qu’il ne souffre rien d’outré ny de relâché dans la Morale de Jesus-Christ : & que sans rien perdre de sa prudence & de sa douceur, il lance à propos ses Censures, pour conserver la Discipline de l’Eglise Gallicane dans la vigueur des anciens Canons.

C’est donc en vertu de sa mission & par le pur amour de la vérité, que je vais approfondir un sujet, qui jusques icy n’a esté traité qu’incidemment dans la Chaire. Mais comme je parlerois sans fruit, si le saint Esprit ne me soûtenoit par sa grace, aidez-moy à l’obtenir par l’intercession de Marie. Ave Maria.

Pour avoir une juste idée des spectacles, il les faut considérer, Messieurs, sous deux faces differentes. L’une par rapport à la Religion, l’autre par rapport au monde.

{p. 110}En les considérant par rapport à la Religion, on pourroit dire, qu’ils sont un renoncement au Baptême, un retour scandaleux vers l’idolâtrie ; & qu’au grand mépris de Dieu, la véritable pieté est comme foulée aux pieds dans ces vains divertissements. En parlant ainsi, on auroit pour garants les saints Peres, & l’on ne feroit qu’employer la force de leurs expressions. Mais comme je me suis imposé la loy de ne rien dire qui convienne uniquement aux spectacles des Payens, & qui ne soit à la portée de nostre siecle ; je me contenteray de dire, que si les spectacles de nos jours sont exempts de crime, comme quelques-uns le prétendent, on ne peut au moins disconvenir, que ce ne soit une occupation peu convenable à des Chrétiens, & une grande indecence pour la Religion. Etiamsi non haberent crimen, habent tamen maximam & parùm congruentem fidelibus vanitatem.

Cypr. de spect.

{p. 111}En les considérant par rapport au monde, on pourroit dire, qu’ils sont comme le cloaque affreux, où va s’écouler tout ce que le siecle a de plus impur, & l’on ne parleroit encore que le langage des Peres. Mais par la même raison de condescendance & d’exactitude, je dis seulement, que c’est une des pompes du monde, ausquelles nous avons renoncé par le Baptême. Spectacula pompæ sunt.

Salv. de Gub. Dri. Libr. 6.

J’ajoûte, que la Religion & le monde se trouvant sur ce sujet dans des sentiments contraires, se sont livré l’un à l’autre des combats continuels. La Religion se croyant deshonorée par les spectacles, les a rigoureusement condamnez ; & il n’y a point eu de siecle, où elle n’ait renouvellé cette condamnation. Mais comme le monde y trouve de grands avantages pour s’attirer des sectateurs, il en a toujours pris la défense ; & sans doute ces sortes de {p. 112}divertissements n’ont pas manqué d’apologistes redoutables, puisque les saints Docteurs n’ont pas dédaigné de prendre la plume pour les combattre fortement.

Voilà, Messieurs, l’estat où les spectacles ont esté, & sont encore aujourd’huy, à l’égard de la Religion & du monde.

Une grande indecence pour la Religion, que la Religion a toujours condamnée.

Une des plus dangereuses pompes du monde, que le monde justifie toujours.

Ces deux propositions incontestables, ou pour mieux dire ces deux faits constants & simplement exposez, vous prouvent d’abord que je n’ay nul dessein de vous surprendre par les tours artificieux d’une éloquence indigne de la gravité de la Chaire. Je veux seulement, sans en dire, ny trop, ny trop peu, justifier la Religion qui les condamne, condamner le monde {p. 113}qui les justifie, & vous faire sentir la force de ces deux véritez importantes dans les deux Parties de mon Discours.

Ecoutez-les sans prévention, & vous qui blâmez les spectacles, & vous qui en estes les partisans. Vous, pour qui le Soleil de l’intelligence s’est toujours levé,

Sap. 5. 6.

vous augmenterez vos lumiéres, & vous éviterez avec plus de zele le mal que vous connoîtrez mieux. Vous, en qui l’ensorcellement de la bagatelle obscurcit le bien, & vous empêche de le faire en vous empêchant de le connoître, laissez-moy vous ouvrir ces yeux du cœur dont parle S. Paul ; & quand ils seront éclairez par la parole de Jesus-Christ, peut-estre serez-vous assez sages pour changer de sentiments.

Il

I. Partie

faut convenir d’abord, que la Religion n’est pas si ouvertement attaquée dans les spectacles de nos jours, qu’elle l’estoit dans ceux des siecles passez. Ils ne sont, ny instituez, {p. 114}ny célebrez à l’honneur de quelque Divinité fabuleuse. On n’y remarque point d’idole, à qui l’on offre de l’encens, ny d’autel, où l’on voye couler le sang des victimes. Mais s’ils sont exempts d’un crime si énorme, on ne peut nier en considérant toutes les circonstances qui les accompagnent, qu’ils ne soient d’une indecence injurieuse à la majesté de Dieu, & contraire à la sagesse de l’Evangile ; comme parle un ancien Docteur, nec majestati divinæ, nec Evangelicæ disciplinæ congruere.

Cypr. contr. Histr. ad Eucrat.

Car, si l’on n’y fait pas profession ouverte de l’idolâtrie, ennemie capitale de la Religion, du moins on y en conserve des restes malheureux. J. Ch. auteur & consommateur de cette même Religion, y est contredit. Le saint Esprit, qui en est le cœur, y est contristé. Les Sacrements, qui sont les canaux de ses graces, y sont profanez. Ses maximes, qui font {p. 115}sa regle & sa discipline, y sont renversée. Les vertus, qui font toute son occupation, y sont affoiblies. La pureté, qui fait toute sa gloire, y est dangereusement attaquée. Je ne sçay, Messieurs, si après avoir entendu les preuves de ce que je viens d’avancer, vous ne trouverez pas que le mot d’indecence est trop foible, pour exprimer le mal que je combats.

L’idolâtrie,

Art. 1. Indecence pour la Religion.

1.

dit saint Cyprien, est la mere des spectacles. C’est de son sein maudit que l’on a vû sortir ces monstres de légereté & de vanité : & le démon connoissant qu’elle n’estoit propre toute seule qu’à inspirer de l’horreur, y a mêlé ces sortes de divertissements par une adresse maligne, afin que le plaisir qui accompagneroit les enfants, rendît la mere moins affreuse.

Cette seule considération devroit en éloigner les Chrétiens. L’Eglise ne veut pas célebrer la Pâque le {p. 116}quatorziéme de la Lune, pour ne pas convenir avec les Juifs, quoyque ce fût en ce jour-là même que J. Ch. célébra la sienne ; & l’on sçait quelles agitations a causé dans le monde Chrétien ce seul point de Discipline. Que si l’Eglise a tant d’aversion pour une pratique Juive, quoyque d’ailleurs consacrée par l’exemple du Sauveur, quel éloignement ne devons-nous pas avoir pour une invention Payenne, qui ne se trouve appuyée de l’autorité ny de l’exemple d’aucun Saint ? Si ce n’est donc pas, absolument parlant, estre idolâtre, que de fréquenter les spectacles ; c’est du moins flatter, c’est pallier l’idolâtrie, que de conserver tant de passion pour un reste profane de la plus mortelle ennemie de la Religion.

Saint

2.

Paul appelle J. Ch. l’auteur & le consommateur de la foy,

Hebr. 12. 2.

& le saint vieillard Simeon avoit prédit, qu’en cette qualité il seroit en {p. 117}butte à la contradiction des hommes.

Luc. 2. 34.

C’est dans les spectacles plus que par tout ailleurs que s’accomplit cette prophetie, puisque ce Sauveur y est contredit dans ses paroles & dans ses actions. Il déclare bienheureux ceux qui pleurent,

Matth. 5. 5.

& l’on n’y va que pour s’abandonner à des ris immoderez. Selon luy, la véritable joye ne peut estre que le fruit des larmes ; & c’est là qu’on fuit les larmes pour chercher la joye. Mais on y en trouve une si courte & si fragile, qu’elle est très-souvent mêlée de dégoût & d’ennuy ; tant sont vains & frivoles les plaisirs que le monde donne à ses esclaves. Et si à force de se dissiper & de s’étourdir elle y dure quelque temps, du moins après la réflexion chacun y peut dire avec le Sage ; J’ay condamné le ris de folie, & j’ay dit à la joye, pourquoy vous trompez-vous si vainement ?

Eccle. 2. 2.

J. Ch. a souffert, pour nous {p. 118}laisser un exemple illustre de patience,

1. Petr. 2. 21.

& afin que marchant sur ses traces nous montassions après luy sur le Calvaire, rien n’estant plus monstrueux qu’un Chrétien délicat, dont tout le soin est de ne rien souffrir, après avoir vû la sainteté même dans la souffrance en la personne d’un Dieu en croix. Mais peut-on dire, s’écrie un grand Saint, que l’on suive J. Ch. crucifié en allant au théatre ? Bien loin d’y estre disciples d’un tel Maître, qu’y fait-on que le deshonorer en retranchant les œuvres de mortification & de pénitence, qu’il a si expressément commandées ? Videlicet Salvatoris vestigia sequimur in theatris ?

Le

3.

saint-Esprit est le cœur, c’est-à-dire le principe de la vie, de la Religion, & son divin consolateur. Il est donc juste de ne pas faire mourir celuy qui nous vivifie, & de ne pas contrister celuy qui nous console.

Joan. 14. 26.

Mais si dans les spectacles {p. 119}on ne contrevient pas formellement au commandement que nous fait l’Apôtre, de ne pas éteindre le saint Esprit,

1. Th. 5. 19.

du moins on n’y observe guere celuy de ne le pas contrister, & de conserver le sceau dont il a plû à Dieu de nous marquer pour le jour de la rédemption.

Eph. 4. 30.

Cet Esprit, dit Tertullien, qui de sa nature est la paix & la bonté même, ne veut habiter que dans un cœur doux & paisible. Mais quel cœur n’est point agité dans les spectacles par le tumulte des passions ? Et où sont ceux, qui gardant par tout ailleurs la gravité & la modestie, ne la perdent pas dans ces lieux d’intempérance & de délices ?

Les

4.

Sacrements sont comme les canaux, par où les graces du Ciel coulent sur nous, & nous sommes tous obligez de les conserver comme un thrésor précieux. Mais combien de Chrétiens aveugles les profanent par les divertissements dont {p. 120}nous parlons ? Saint Cyprien se plaignoit, de ce qu’ils y portoient avec eux la divine Eucharistie, festinat ad spectaculum, secum gerens Eucharistiam. Plusieurs y vont encore le jour même de leur communion. Mais quand ils n’auroient qu’entendu la Messe, ce seroit avoir assisté aux funerailles de Jesus-Christ, puisque l’Autel représente le Calvaire, pour l’efficace & la perpétuité de son sacrifice : & ceux-là mêmes voudroient-ils aller le soir à la comédie, s’ils avoient assisté le matin aux funerailles de leur pere ?

Mais si tous n’y portent pas l’Eucharistie, tous y portent le Baptême, qui subsiste en eux par le caractere sacré, qui fut imprimé dans la substance de leur ame. Ce qui les rend encore plus coupables que ne l’estoient les Payens, car si ceux-ci estoient prévaricateurs de la loy de Dieu, ils n’estoient pas comme les Chrétiens, profanateurs {p. 121}de ce Sacrement auguste.

La maniére dont on y traite encore le mariage Chrétien, est-elle bien convenable à la sainteté d’un Sacrement, que J. Ch. a élevé dans la loy nouvelle, jusqu’à représenter son union ineffable avec l’Eglise : & n’est-il pas de la derniére indignité, que ce qui sert à poser pour ainsi dire les fondements de la sanctification des Elûs, serve de prétexte & de couverture à des intrigues & à des passions ? Hé mon Sauveur, comment on reçoit vos bienfaits ! A quel usage on met vos graces ! On veut que vostre chair sacrée & que vostre sang précieux justifient des œuvres de chair & de sang !

D’ailleurs,

5.

tous les devoirs de la Religion roulent sur deux maximes capitales, qui sont d’éviter le mal & de faire le bien. Il ne doit point y avoir d’action indifférente pour un Chrétien. Il n’en doit pas faire une seule, dit saint Paul,

1. Cor. 5. 9.

qui {p. 122}n’ait pour motif la gloire de Dieu, & qui n’entre dans l’ordre de sa prédestination & de son salut. Declina à malo, & fac bonum.

Ps. 36. 27.

Quel bien allez-vous faire dans ces lieux de licence & de faste ? Y allez-vous adorer Dieu, secourir le prochain, pratiquer les mortifications Chrétiennes ? C’est à quoy sans doute vous ne pensez pas, quoyque ce soient là les grands biens que vous devez faire. Mais à quels maux ne vous y exposez-vous pas ? Et en quels dangers n’y estes-vous pas de vous perdre ? Vostre raison vous le dit mieux que je ne vous le dirois, & peut-estre en avez-vous fait une expérience funeste : Quoy donc ? La Religion, que vous professez, vous engage indispensablement à fuir le mal & à faire le bien : vous fuyez le bien, & vous courez au mal, vous renversez donc toutes ses maximes.

Ajoûtons

6.

encore, que toutes les vertus ont esté comme plantées {p. 123}dans l’ame du Chrétien le jour de son Baptême, & que ces divines plantes, plantatio Dei,

Isai. 61. 3.

luy sont confiées, afin qu’il les cultive dans tout le cours de sa vie, & qu’il leur fasse produire des fruits de justice & de sainteté.

1. Cor. 3. 9.

Mais bien loin que ces vertus croissent & se fortifient dans les spectacles, elles y perdent au contraire toute leur force ; & ce n’est que dans ce dessein, dit S. Chrysostome, que le démon les a inventez, ut virtutis nervos faceret molliores. La foy s’y affoiblit par l’oubly de Dieu, l’espérance par l’attachement aux plaisirs présents, la charité par l’irritation de la concupiscence ; l’humilité par l’orgueil deguisé & par le faste triomphant ; la patience par les exemples embellis & autorisez de vengeance & de colere.

La Religion nous enseigne deux grands moyens de conserver & d’augmenter les vertus. Le premier est nostre application à Dieu. {p. 124}Le second est le regard de Dieu sur nous. L’un s’appelle priére, & l’autre grace.

J’ai bien appris de l’Evangile, que l’Eglise est nommée une maison de priére ;

Matth. 21. 13.

mais bien loin que l’Ecriture ou les Peres donnent ce nom au Theatre, ils l’appellent, tantôt un lieu de plaisir, tantôt l’azile de l’impudicité,

Cypr. Libr. de Aleat.

tantôt ils le marquent par d’autres titres aussi odieux ; & il est bien certain que l’on n’y commence & que l’on n’y finit aucune représentation par la priére, à moins que par un reste d’idolâtrie on ne la fasse à quelque fausse divinité.

D’ailleurs, dit un Pere,

Salv.

les hommes ne méritent pas que Dieu jette les yeux sur eux, & c’est pour cela que quand il les regarde, c’est une grace. Supposant donc qu’il veut bien les regarder, quoyqu’ils en soient indignes ; le peut-il, quand ils assistent aux spectacles ? Pour les regarder, il faut qu’il voye ce {p. 125}qu’ils voyent eux-mêmes ; l’effronterie d’un jeune homme, l’immodestie d’une femme, la dissolution d’une comédienne, une conversation suspecte, un rendez-vous criminel, un projet de débauche. Des yeux aussi saints que ceux de Dieu peuvent-ils s’ouvrir sur des objets si profanes ? Non, Seigneur, disoit un Prophete, vos yeux sont trop purs pour souffrir le mal, & vous ne pouvez regarder l’iniquité, mundi sunt oculi tui, ne videas malum, & respicere ad iniquitatem non poteris :

Hab. 1. 13.

Et comme vous ne sçauriez voir ces sortes d’abominations, vous ne sçauriez non plus regarder, ny ceux qui les commettent, ny ceux qui ont le front d’y assister.

Mais

7.

de toutes les vertus la plus attaquée sur le Theatre, c’est la pureté, la gloire de la Religion, le plus riche fleuron de la Couronne de l’Eglise. Tout ce qu’elle a d’ennemis s’y assemble, pour deliberer {p. 126}des moyens de la perdre. Tout ce qui peut surprendre les yeux, charmer les oreilles, salir l’imagination, gâter l’esprit, amollir le cœur, conspire dans les spectacles à la ruine de cette vertu. Hélas ! dit saint Chrysostome, un regard inconsideré perd le saint Roy David, renverse une Colomne, fait d’un Ange un Démon ; & vous foible roseau, vous allez au Theatre contempler fixement & à loisir, non pas une Bethsabée, mais plusieurs, & vous y croyez alors vostre pureté en assurance ! Une persuasion si présomptueuse est une marque infaillible, que vous estes déja dans le mal, que vous ne voulez pas craindre ; & si vous n’y tombez pas, c’est un aussi grand miracle, que celuy que Dieu fit en faveur des Enfants célebres, qui furent au milieu des flammes sans se brûler.

Si vous estes sages, suivez donc le conseil du saint Esprit, quand {p. 127}il vous avertit dans ses Ecritures de ne point arrêter vos yeux sur les personnes du sexe, de peur que leur beauté ne vous devienne un sujet de chûte :

Eccli. 9. 5.

& craignez ce feu d’enfer dont parle saint Jacques, qui brûle toujours en vous. Ne croyez pas, que ce soit porter la vertu à l’excès que de la réduire à cette gêne. L’experience ne prouve que trop, que cet avis est aussi véritable que celuy qui le donne, & que le remede n’est pas plus grand que le mal. La modestie est le rempart de la chasteté, & ces deux vertus se soûtiennent si necessairement, que quiconque neglige l’une, ne peut jamais garder l’autre.

Le grand Pompée, dit Tertullien, fit bâtir à Rome un Theatre d’une étenduë prodigieuse, & de peur que les Censeurs ne le fissent abattre, il y joignit un Temple de Venus, afin que le respect que l’on auroit pour la Déesse, fît épargner ce monument superbe de sa vanité. {p. 128}Depuis ce temps-là le Théatre est dans la possession du Démon de l’impureté, & y sera même toujours, quelque exorcisme que l’on fasse pour l’en chasser. Souvent les Temples des Idoles ont esté changez en Eglises Chrétiennes, le Démon cédant la place à Jesus-Christ. Mais le Théatre a toujours esté & sera toujours profane. En vain introduit-on des saints & des saintes sur la scene, Asmodée n’en sortira jamais.

Aussi

Art. 2. La Religion les condamne.

la Religion se sentant deshonorée par ces sortes de divertissements, s’est armée de toutes ses forces pour les combattre, & tout ce qu’elle a eu de Peres & de Docteurs, dans l’Eglise Grecque, dans l’Eglise Latine, dans l’Eglise de France, sont venus à son secours.

Ecoutons

1.

saint Chrysostome, qui va parler pour l’Eglise Grecque. Ce n’est pas à nous, dit-il, qui sommes entrez dans une milice {p. 129}sacrée pour y combattre sous les enseignes de Jesus-Christ, & pour ravir le Ciel par une sainte violence, ce n’est pas à nous qu’il appartient de passer la vie dans les plaisirs. Cette conduite ne convient qu’aux amateurs du siecle, pour qui le démon a fait un art tout nouveau & une espece de Philosophie des divertissements & des jeux, in artem jocos, ludosque digessit.

Chrys. in Matth. Hom. 6.

J’aimerois mieux, disoit-il au Peuple d’Antioche, vous voir dans des cachots que de vous sçavoir au Cirque & au Théatre. Dans les cachots vous pratiqueriez l’humilité, la priére, la confiance en Dieu. Vous vous confirmeriez dans le mépris des choses visibles. Vous y deviendriez des Philosophes Chrétiens, illic Philosophiæ multum. Mais que trouvez-vous au Théatre, qu’une école d’intemperance, qu’une académie de dissolution, que des moyens surs de vous perdre, que {p. 130}les préparatifs à toute sorte de déreglements.

Les Barbares, ajoûtoit-il, sont bien plus sages que nous. Ils ne sçavent ce que c’est que spectacles, & s’ils en voyent parmy nous, ils les tournent en dérision. Quelqu’un d’entre eux estant allé à Rome, & voyant avec quelle passion les Romains y accouroient, demanda gravement, si ces gens-la estoient mariez, & s’ils avoient des enfants ? voulant marquer par-là, qu’un homme sage devoit estre uniquement occupé à regler ses affaires, & à gouverner sa famille ; & qu’il ne pouvoit goûter de plaisir plus innocent, que celuy que donnent une Epouse fidele & des enfants bien élevez.

Ce que ce saint Docteur a dit contre les spectacles est infini, & son zele a esté si agréable à Dieu, qu’il a esté récompensé de la Couronne du martyre. On sçait, qu’un Discours prononcé contre les jeux {p. 131}qu’on célebroit à la dédicace de la statuë de l’Imperatrice Eudoxie, renouvella la persecution contre ce grand homme ; & comme elle ne finit qu’avec sa vie, il doit estre reconnu pour le martyr de la doctrine de l’Eglise contre les spectacles. Ce discours, selon les apparences, fut le dernier qu’il fit en public. Après quoy cette bouche d’or se ferma, n’ayant rien de meilleur ny de plus nécessaire à dire ; laissant aux Prédicateurs Evangéliques l’exemple de s’élever contre des excès si pernicieux, & de ne cesser jamais de se plaindre, si l’on ne cesse jamais de leur en donner occasion.

Tertullien, & saint Cyprien nous vont expliquer les sentiments de l’Eglise Latine. Ils ont écrit tous deux sur cette matiére, & dans leurs ouvrages paroît avec éclat tout ce que l’éloquence Chrétienne a de plus fort, de plus ingénieux, & de plus persuasis.

{p. 132}Je sçay, qu’un Critique célebre prétend, que Tertullien fit son Traité des spectacles, lors qu’il penchoit du côté du Montanisme. Ce qui sans doute diminuëroit l’autorité de cet excellent ouvrage, & ôteroit tout le poids aux grandes véritez qu’il y enseigne, en faisant croire qu’il y auroit débité une morale outrée, aussi éloignée de la douceur de l’Evangile de Jesus-Christ, qu’approchante de la rigueur des superstitions de Montan. Mais il faut considérer, que l’estime que saint Cyprien a faite du Traité de Tertullien, le met à couvert de tout blâme, & particuliérement de tout soupçon de Montanisme : estime si grande, que ce saint Prélat ne l’a pas seulement lû avec attention, mais comme adopté, sa Lettre n’en estant qu’un abregé, ou du moins une imitation parfaite.

Je ne vous feray point icy l’analyse de ces deux ouvrages. On l’a {p. 133}faite dans les écrits que vous avez lûs, & je la fais moy-même en quelque sorte dans toute la suite de mon Discours, qui est semé des pensées excellentes que j’ay puisées dans ces merveilleuses sources. Je vous diray seulement, mes Freres, une réflexion que je fis, lorsque me préparant à cette action je jettay les yeux sur l’inscription de la Lettre de saint Cyprien. Cyprianus pleli in Evangelio stanti. Cyprien au peuple inébranlable dans l’Evangile.

Cette belle inscription me frappa, & je me dis alors à moy-même : je n’ay pas l’honneur d’estre un Cyprien. Je suis mille fois plus éloigné de son mérite, que le Ciel ne l’est de la terre. Je ne prononceray pas mon Discours, comme il a écrit sa Lettre, dans le feu de la persecution, & presque sous l’épée du bourreau qui l’a fait martyr. Mais si je n’ay pas ces illustres avantages, j’auray du moins la consolation {p. 134}de parler à un peuple à peu près semblable à celuy de Carthage, qui estoit tellement affermi dans l’Evangile, qu’une persecution aussi cruelle que celle de Valerien n’eut jamais la force de l’ébranler. Je parleray au peuple d’une des plus grandes & des plus nobles Paroisses de l’Eglise de Paris. Peuple fidele, qu’aucune erreur ne séduit, qu’aucune hérésie n’infecte, qu’aucune nouveauté ne surprend, parce qu’un Pasteur vigilant, & des Ministres sages & éclairez, le nourrissent de la saine Doctrine. Il est vray, qu’il n’a pas confessé sa foy dans les supplices, comme le peuple de Carthage ; mais il la confesse tous les jours par l’exercice des bonnes œuvres, fréquentes, diverses, reglées, confession qui a aussi son mérite.

Cette disposition où je vous ay crûs, mes Freres, m’a beaucoup encouragé, & m’a fait espérer, que je ne traiterois pas sans fruit {p. 135}une matiére, sur laquelle les esprits sont quelquefois partagez. Mais j’ay fait une autre réflexion. C’est que si saint Cyprien n’eût plaidé la cause de l’Eglise contre les partisans des spectacles, devant un peuple affermi dans l’Evangile, il couroit risque de la perdre. Si vous chanceliez aussi tant soit peu dans cet Evangile divin, bien soin de me donner vostre suffrage, vous vous rangeriez plustôt du côté de mes adversaires. Soyez donc pour l’Evangile, & vous serez pour moy. Affermissez-vous dans ses maximes saintes, & vous confirmerez la vérité que je vous prêche. Faites de cet Evangile du salut vos plus cheres délices, & vous combattrez avec moy ceux qui nourrissent dans leur cœur l’amour du monde, & qui ne goûtent que ses fragiles plaisirs.

Ecoutons enfin l’Eglise de France, la plus saine & la plus illustre portion de l’Eglise Latine. Elle va s’expliquer par la bouche d’un de {p. 136}ses Prêtres, mais si distingué de tous les autres par sa pieté, par son zele, & par sa doctrine, qu’il a mérité d’estre appellé le maître des Evêques.

Genn. in Cat. vir. ill. cap. 67.

Je parle de Salvien de Marseille, le Jéremie de son siecle, qui a composé un Livre entier contre les spectacles, où il fait une peinture terrible des abominations & des impietez qui s’y commettoient de son temps.

Il y montre l’opposition qu’ont ces divertissements profanes avec la sainteté de nostre Religion, & avec les engagements de nostre Baptême.

Sal. Mass. de Gub. Dei. Libr. 6.

Il s’éleve avec un zele d’Elie contre la conduite de ceux qui laissoient l’Eglise déserte, pour aller remplir le Cirque, & qui préféroient les extravagances d’un bouffon aux oracles de Jesus-Christ. Il y détruit avec une force invincible les fausses raisons dont on se servoit, pour justifier une pratique si criminelle. Mais sur tout il insiste à faire remarquer {p. 137}les égarements de ceux qui pensoient à se réjouir au milieu des maux innombrables dont ils estoient environnez, & qui au lieu d’apaiser la colere de Dieu en prenant le sac & la cendre, l’irritoient de plus en plus par les dissolutions qui se commettoient dans les lieux publics. Comme ce qu’il dit a quelque rapport au temps où nous sommes, il ne sera pas hors de propos, mes Freres, de vous le répéter. Plaise à mon Dieu, que vous en sentiez la force, & que vous ayez assez d’humilité & de sagesse pour vous en faire l’application.

Tout est en feu dans l’Europe, s’écrie-t-il. La Dacie, l’Illyrie, la Pannonie, sont occupées par les Barbares. Le Danube, & le Rhin rougissent du sang Chrétien. Les Pyrenées & les Alpes ne sont pas d’assez fortes barriéres, pour empêcher que les peuples qu’elles séparent, ne fassent des incursions {p. 138}les uns sur les autres. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, sont sous les armes. Les Gaules ont presque changé tous leurs habitants en soldats, & semblent ne plus connoître d’autre profession que celle de la guerre. Treves, ma chere patrie, a esté prise & reprise plusieurs fois. Marseille, où je sers le Seigneur, est dans de continuelles alarmes. Le Ciel irrité par nos crimes, a livré toutes les nations à la fureur des combats, & elles exécutent les unes sur les autres l’arrêt de mort que la justice divine a prononcé contre elles.

Mais, poursuivoit-il, comme si le sein de la terre n’estoit pas assez vaste pour contenir le sang versé en tant de batailles, on se bat encore sur mer ; & la guerre, lassée de marcher, vogue à rames & à voiles. Elle n’est pas même le seul fléau, dont nous sommes affligez. Tantôt la famine, tantôt la mortalité, luy tiennent une triste & {p. 139}fidele compagnie ; & la jeunesse la plus riante est la plus exposée aux traits de la mort. Nous voyons périr de jour en jour l’univers à nos yeux, & comme si c’estoit trop peu qu’une partie des hommes perît, nous contraignons le Ciel par nos offenses de nous faire périr tous tant que nous sommes, cum maxima pars nostri jam perierit, hoc agimus, ut pereamus omnes.

Et parmy toutes ces disgraces nous avons encore la folie du théatre. Qui le croiroit ! Dieu nous frappe, & nous ne sentons pas ses coups ! De si justes sujets de douleur ne sçauroient modérer les transports insensez d’une joye vaine & frivole ! Nous sommes misérables, & nous ne cessons pas d’estre ridicules & badins ! Miseri jam sumus, necdum nugaces esse cessamus.

C’est ainsi, mes Freres, que parloit cet homme zelé aux Chrétiens de son siecle, & vous voyez {p. 140}que son langage ne convient que trop à ceux de nos jours, qui pour peu qu’ils ayent de bon sens, doivent avouer avec le Sage, que la musique est importune dans le deuil, & que la joye est extravagante dans le temps de l’affliction.

Eccli. 22. 6.

Tous les Peres parlent à peu près sur ce sujet, comme les Salviens, les Cypriens, & les Chrysostomes, & si je n’estois resserré dans les bornes étroites d’un discours, j’y ajoûterois les Decrets des Conciles, les Constitutions des Papes, les Ordonnances des Evêques, les Loix des Princes Chrétiens, les Ecrits des hommes doctes, la pratique des personnes de pieté. Tout cela vient au secours de la Religion, pour condamner les spectacles qui la deshonorent, puisqu’ils ne conviennent nullement à la majesté du Dieu qu’elle adore, & à la sainteté dont elle fait profession. Ista non competunt {p. 141}veræ Religioni, & vero obsequio erga Deum.

Tert.

N’est-il donc pas bien déplorable, qu’une indecence si grande soit si commune, & qu’estant si universellement condamnée par la Religion, le monde témeraire ose entreprendre de la justifier ? Il l’ose pourtant, & il l’osera toujours, car sa haine pour Jesus-Christ & pour l’Eglise ne se terminera, que quand les siecles se termineront. S’il n’est pas mieux de dire, qu’elle subsistera éternellement pour faire son plus cruel supplice, après que le Sauveur triomphant aura détruit tout empire, toute domination, & toute puissance,

1. Cor. 15. 16.

& que son Pere luy aura mis tous ses ennemis sous les pieds, & le monde luy-même comme le plus irréconciliable & le plus obstiné.

Mais écoutons ce qu’il dit, & tâchons de luy répondre. Vous avez vû, que les spectacles sont une grande indecence pour la Religion, {p. 142}que la Religion a toujours légitimement condamnée. Vous allez voir, qu’ils sont une des plus dangereuses pompes du monde, que le monde justifiera toujours vainement : & c’est icy la derniére Partie de mon Discours.

L’Eglise

II. Partie

a toujours regardé les spectacles comme une des plus dangereuses pompes du monde, ausquelles nous avons tous renoncé par le Baptême, & Tertullien va jusqu’à dire, que nous n’avons esté faits Chrétiens que par ce renoncement, factus Christianus de repudio spectaculorum.

Tert. libr de spect. cap. 10.

D’où ils concluent, que d’y assister, c’est renoncer à Jesus-Christ, comme nous avions auparavant renoncé au démon.

Pompes

Art. 1. Les spectacles pompe du monde.

du monde en effet, puisque c’est là que les trois concupiscences paroissent comme sur leur thrône. Le faste y regne. La sensualité y domine. La curiosité y voit ce qui ne devroit estre jamais {p. 143}vû, & dont très-souvent la seule vûë est un crime, quæ vel vidisse crimen est :

1. Joan. 2. 16.

& ce qui est déplorable, c’est qu’en s’accoûtumant à le voir, on apprend bientôt à le faire, discit facere, cùm consuescit videre.

Cypr. de spect.

C’est là, que les vices, qui appartiennent tous au monde, sont comme sur l’Autel. Autrefois, pour les rendre honorables & les consacrer en quelque sorte, on introduisoit sur le théatre des Dieux adulteres & des Déesses vindicatives. Aujourd’huy, nos Poëtes y représentent des Saints ambitieux & des Martyres galantes : & quand ils ne vont point jusqu’à cet excès de mauvais sens, ils achetent par une piéce sainte le privilege d’en faire plusieurs profanes. Fiunt religiosa delicta.

Cypr.

C’est là, que, selon la parole de saint Jean, le monde est tout plein de malignité.

1. Jean. 5. 19.

Ailleurs elle ne se répand que par parties. Sur le théatre elle est dans sa plénitude. Tous {p. 144}les sens y sont enyvrez des plaisirs du siecle. La raison entraînée par les sens, y devient incapable d’éclairer & de conduire la volonté, d’elle-même foible & languissante ; & la concupiscence n’estant retenuë par aucun frein, n’y trouve rien qui ne l’irrite. In theatris nihil reatu vacat.

C’est là, que la haine du monde contre Jesus-Christ est entiérement satisfaite, par la maligne joye qu’il a de voir toutes les marques du Christianisme effacées dans les Chrétiens. Où est cet amour de la croix, ce mépris des biens terrestres, cette attente continuelle du jour du Seigneur, qui fait le caractere des véritables Chrétiens ? On n’y en voit aucune trace, & l’on pourroit demander à chacun de ceux qui assistent aux spectacles, ubi est Christianitas tua ?

Salv.

Où est vostre Christianisme ?

C’est là, que le vin empoisonné de la prostitution de Babylone est {p. 145}servi dans une coupe d’or. Beaux vers, acteurs bien choisis, voix mélodieuses, musique rare, chansons équivoques, d’un tour fin, couvertes d’une enveloppe délicate, mais qui sortent toujours d’un cœur corrompu, ou qui servent à le corrompre. Dans les anciennes comedies, l’ordure estoit pour ainsi dire présentée dans des vases de bois & d’argile ; & comme elle estoit sans deguisement, elle faisoit horreur. Icy le venin est préparé : une douceur enchanteresse fait qu’il trompe plus aisément, mais il n’en donne pas moins le coup mortel. Nemo venenum temperat felle.

Tert. libr. de spect. cap. 10.

C’est là, que le démon, Prince du monde & Dieu du siecle, est comme dans son palais & dans son temple ; & Tertullien appelle effectivement le théatre, l’Eglise du démon, où se rendent ses adorateurs, par opposition à l’Eglise sainte, où s’assemblent les membres de Jesus-Christ, {p. 146}Ecclesia diaboli. Il raconte même ce que vous avez sans doute ouy dire, que cet esprit seducteur s’estant saisi d’une femme qui assistoit aux spectacles, répondit aux Exorcistes, qu’injustement on vouloit luy ravir une conquête, qui luy appartenoit dès là qu’il l’avoit trouvée dans le lieu de sa domination, in meo inveni.

Tert. de spect. cap. 10.

Et il ajoûte, que si le démon n’y possede pas toujours les corps, il ne manque jamais d’y faire une entrée triomphante dans les ames, parce que le théatre luy en ouvre toutes les portes, en luy livrant tous les sens, dæmoniis penetrabiles fiunt.

S’il est donc vray, que toutes les concupiscences y soient comme sur le thrône, & tous les vices comme sur l’autel ; que la malignité y soit répanduë dans toute sa plénitude ; que la haine du monde pour Jesus-Christ y soit assouvie ; que le vin empoisonné de Babylone y soit rendu délicieux ; & que le démon {p. 147}son Prince & son Dieu y trouve une infinité de sujets & d’adorateurs ; qui doute, que ce ne soit là une des plus dangereuses pompes du monde ? Spectacula pompæ sunt.

C’est

Art. 2. Le monde les justifie.

pour cela même, Chrétiens, que ce monde reprouvé en a toujours pris la défense, & jamais il n’a manqué de protecteurs officieux des spectacles, qui ont fait tous leurs efforts pour les justifier, assertores blandi, & indulgentes patroni, qui præstant vitiis autoritatem. Ils veulent, qu’il n’y ait rien là que d’innocent, & leurs raisons, c’est qu’ils prétendent ; Que l’Ecriture ne les a pas condamnez. Que les Peres ont même condamné tout autre chose. Que les Théologiens & les Saints des derniers temps les justifient. Qu’il est permis & même ordonne de relâcher l’esprit : & que le théatre est aujourd’huy si purifié, que le vice y devient haïssable, parce qu’on {p. 148}l’y rend ridicule, & que la vertu n’y paroît avec guere moins d’honneur que dans les Chaires. Enfin, ils nous pressent de leur dire ce que l’on y trouve de si mauvais, & en quoy consiste précisément le péché qu’on y commet. Suivons-les, mes Freres, dans toutes ces erreurs, & servons-nous des lumiéres de la vérité, pour les détromper, s’il nous est possible ; laissant aux attraits tout-puissans de la grace la force de les toucher.

Tertullien,

1.

& saint Cyprien n’ont pas fait difficulté d’avouer, que l’Ecriture ne condamne les spectacles par aucun passage formel. Mais ils disent, que la pudeur suffit pour nous apprendre nostre devoir, si l’Ecriture ne s’en explique pas assez clairement : qu’elle se tait quelquefois à dessein sur des matiéres dont on ne parle point sans rougir, que l’on cache même avec soin, afin qu’elles soient toujours ignorées, & que {p. 149}dans ces rencontres son silence nous en dit bien plus que ne nous en diroient ses loix, verecundiam passa, plus interdixit, quia tacuit.

Il faut encore remarquer, que l’Ecriture, dont le stile est concis & énergique, ne fait pas toujours un long détail de nos devoirs, mais qu’elle ramasse souvent plusieurs défenses en une. Ainsi la loy particuliére contre les spectacles est renfermée dans ces paroles générales, « où il nous est défendu de suivre les desirs déreglez de nostre cœur & de satisfaire nos passions ; où il nous est ordonné de conserver avec un soin extrême la pureté du corps & de l’ame,

Prov. 4. 83.

de détourner nos yeux de la vanité,

Eccli. 3. 17.

d’éviter les occasions prochaines du péché, parce que celuy qui aime le péril, y périra,

Eccli. 9. 8.

de n’estre, ny à nos freres, ny à nous-mêmes, un sujet de scandale & de chûte ;

Matth. 18. 7.

& de ne faire mention dans nos entretiens, ny {p. 150}de péchez grossiers, ny de railleries deshonnêtes, qui ne conviennent nullement à la sainteté de nostre vocation.

Eph. 5. 3.

 »

Or qui peut nier, après tout ce que nous avons établi dans ce Discours, que dans les spectacles on ne contrevienne à toutes ces loix ? Et qu’est-il besoin que les noms bizarres d’Opera & de Comedie soient exprimez dans l’Ecriture, si en effet on y trouve la condamnation de tout ce qui s’y pratique ? C’est se moquer de Dieu, dont l’Apôtre dit, qu’on ne se moque point en vain, que de prendre le silence du saint Esprit pour une approbation tacite de ce desordre ; & c’est encore une erreur de croire, que la suppression du nom supprime la chose & en autorise l’usage.

Il

2.

n’est pas vray non plus, que les Peres ayent condamné tout autre chose que ce qui se passe sur nos théatres. C’est au contraire sur ce qui s’y passe que tombe leur condamnation. {p. 151}Ils défendent la comedie, parce, disent-ils, que le Chrétien doit bien moins rire que pleurer.

Cypr.

Ils n’approuvent point la tragedie, parce, disent-ils, que le crime y est trop bien représenté.

Tert.

Ils blâment les danses préparées & publiques, parce, disent-ils, que le démon y préside toujours.

Salv.

Ils ne peuvent souffrir les machines, parce, disent-ils, qu’elles sont d’une trop grande dépense.

Chrysost.

Ils proscrivent les habits somptueux, les visages fardez, les regards languissants, les démarches mesurées, parce, disent-ils, que tout cela est accompagné d’immodestie. Ils prétendent, que les voix & les instruments qui animent & qui embellissent des paroles tendres & équivoques, excitent les passions, & font perdre à l’ame toute sa force.

Ils s’élevent contre ces représentations libres de nos défauts & de nos miseres, & du feu infernal dont nous sommes embrasez : malheur {p. 152}qu’Augustin converti déploroit autrefois en luy-même :

Aug. Conf. libr. 3.

contre ces assemblées plus nombreuses que celles de nos Eglises, & quoyqu’évaporées par la joye du siecle, plus tristes aux yeux de la foy que la plus affreuse solitude : contre la gêne qu’on donne à l’esprit, pour composer des pieces de théatre, pour les apprendre, pour les exercer ; ce qu’ils appellent un travail oisif, ou une oisiveté laborieuse. Trouvez-vous, mes chers Auditeurs, que cette condamnation tombe sur des circonstances contraires à ce qui se passe dans nos jours ?

Ils ont combattu avec une force incroyable les spectacles du Cirque & de l’Amphithéatre, qui certainement estoient moins repréhensibles que les nôtres. Dans le Cirque, on voyoit plusieurs especes de courses. Dans l’Amphithéatre, on voyoit differentes sortes de combats. Mais on ne voyoit dans l’un ny dans l’autre, ny ces intrigues amoureuses, {p. 153}ny ces artifices diaboliques, que l’Enfer a inventez de nos jours pour tendre des pieges plus assûrez à la pudeur, puisque même par pudeur & par une loy d’Auguste, les femmes Payennes n’assistoient point aux combats des Athletes. Il n’y avoit là rien d’efféminé. Tout y estoit mâle, & très propre à entretenir les sentiments guerriers du peuple le plus belliqueux de la terre : jusques là qu’on prétendoit par cette même raison, que les Chrétiens y pouvoient assister, sous prétexte qu’estant d’une profession à estre toujours prêts à mourir, expeditum morti genus,

Tert.

la vûë de ces combats sanglants & de ces morts généreuses les pouvoit entretenir dans cette courageuse disposition. On n’y voyoit pas non plus aucune injustice grossiére, puisque les hommes qu’on y faisoit devorer par les bêtes farouches, estoient tous, si vous en exceptez les Chrétiens, des malheureux {p. 154}déja condamnez pour leurs crimes.

Cependant, les Peres n’ont pas laissé d’interdire ces sortes de spectacles ; ou parce qu’on y faisoit des cris extravagants & immoderez ; ou parce qu’on s’y échauffoit trop facilement pour les partis ; ou parce qu’on y apprenoit à devenir cruel, & qu’on l’estoit en effet en devorant des yeux les hommes que les bêtes devoroient par leur bouche : ou par la raison générale, que ces objets excitoient les passions, au lieu que toute l’étude de la Religion est de les combattre, de les affoiblir, & du moins de les regler, puisqu’elle ne sçauroit les détruire.

Les spectacles, contre lesquels les Peres ont fait de si fortes invectives, sont de deux sortes. Ceux que l’on représentoit à Rome & dans l’Empire avant la conversion de Constantin ; & ceux que l’on a vûs dans la suite.

{p. 155}Les premiers estoient plus grossierement criminels, puisque l’idolâtrie & les desordres y paroissoient à découvert ; aussi ont-ils esté condamnez par les Tertulliens & les Cypriens. Les suivants, pour ce qui est du Théatre, estoient à peu près comme les nôtres : & ils n’ont pas laissé d’estre censurez par les Chrysostomes, les Augustins, & les Peres qui leur ont succedé.

Mais en tout cela les Payens estoient alors moins coupables que ne le sont aujourd’huy les Chrétiens. Les uns faisoient ces sortes de représentations, parce qu’ils les croyoient agréables à leurs Dieux ; & les autres les font, quoyqu’ils sçachent que leur Dieu en est offensé. La faute des Payens venoit bien plus de l’erreur de l’esprit, que de la corruption du cœur. Au lieu que celle des Chrétiens vient toute de la corruption du cœur, leur esprit estant trop éclairé pour {p. 156}y avoir la moindre part.

Partisans

3.

des spectacles, voilà donc les Peres de l’Eglise certainement contre vous ; & n’allez pas vous figurer, que les Théologiens & les Saints des derniers temps vous soient plus favorables.

Quoy ? saint Thomas, dont la principale gloire consiste à s’estre rendu le fidele disciple des Peres, l’héritier de leur esprit, l’interprete de leurs sentiments, approuveroit-il ce qu’ils ont si solemnellement condamné ? Ce grand saint, encore plus angelique par sa pureté que par sa doctrine, qui reçut un excellent don de continence après une victoire signalée qu’il avoit remportée dans sa jeunesse ; luy, dont les sentiments sont si rigides touchant les pensées, voudroit-il justifier des divertissements, qui pour le moins sont une occasion prochaine d’une infinité de pensées dangereuses ? c’est ce qui ne s’accordera jamais avec le bon sens.

{p. 157}Mais enfin, dit-on, il soûtient que la profession de Comedien de soy n’est pas illicite.

S. Th. 2. 2. q. 168. a. 3.

Quand il le soûtiendroit dans un sens abusif, on ruineroit son opinion par la maxime qu’il a luy-même établie, qu’un Docteur particulier ne fait pas la loy ; & que l’autorité de l’Eglise doit estre préferée à celle d’un saint Jerôme, d’un saint Augustin, & de tout autre Docteur, & par consequent à celle de saint Thomas luy-même, magis standum est autoritati Ecclesiæ, quàm autoritati, vel Augustini, vel Hieronymi, vel cujuscumque Doctoris.

2. 2. q. 10. art. 12. in corp.

Mais il ne le soûtient que suivant l’idée métaphysique qu’il s’en est formée. Comme il est presque toujours dans les abstractions, & que par la subtilité de son grand génie il penetre jusques dans les derniers replis de l’essence des choses, il considere la comedie comme une simple représentation d’actions {p. 158}& de paroles : en quoy consiste le caractere du Poëme dramatique, & ce qui en effet n’a rien de mauvais en soy. Mais où trouver ces comedies métaphysiques, dénuées de toutes circonstances vicieuses ? Ce ne sera pas du moins à Paris, & c’est pourtant de celles qui s’y représentent qu’il est aujourd’huy question. Que si l’on en trouve ailleurs, qui soient renfermées dans les bornes que saint Thomas a prescrites, je consens que l’on y assiste, & l’on le pourra sans danger.

Je consens aussi, ma chere Philothée, avec saint François de Sales, que vous alliez à la Comedie, pourvû que vous soyez telle, que ce grand saint vous y souhaite. Il veut dire, parfaitement affermie dans la crainte de Dieu & dans l’horreur du péché, entierement vuide de l’esprit du monde, préparée par la priére & par le jeûne, revêtuë de la haire & du cilice, {p. 159}toujours appliquée à la présence de Dieu. Je vous le permets, dis-je, à ces conditions, persuadé, que vous trouverez ma permission impraticable, & que vous n’en userez point du tout.

Mais

4.

aussi, ne peut-on pas se relâcher l’esprit, & cela supposé, où trouver de plaisir plus innocent que celuy-cy ? J’ai déja montré, qu’il ne l’est pas ; & j’ajoûte, que ceux qui le prennent n’ont aucun droit de se divertir ; car dans les principes de la Religion, le divertissement n’est permis, qu’à ceux qui ont le corps ou l’esprit lassé par un long & penible travail, & la pluspart des personnes dont nous parlons, sont dans une oisiveté perpetuelle, qui seule suffit pour les damner, selon la Doctrine des Peres après l’Evangile, sola otiositas sufficit ad damnationem. Et comment auroient-ils le droit de se divertir, puisqu’en se tenant aux termes précis de l’Apôtre, ils n’ont {p. 160}pas même celuy de manger, si quis non vult operari, non manducet.

2. Thess. 3. 10.

Le travail du corps ou de l’esprit estant la pénitence générale imposée à tout le genre humain, ny riches ny pauvres n’en sont dispensez : & les pécheurs sur tout n’ont droit de recevoir la nourriture, qu’aux conditions que la Justice divine veut bien la leur accorder, & la principale de ces conditions c’est le travail. Si quis non vult operari, non manducet. Et si la nourriture même ne leur est pas dûë, osent-ils prétendre au plaisir ?

Mais,

5.

poursuit-on, du moins ce plaisir est-il innocent, pour ceux qui en peuvent prendre quelqu’un, car le Théatre est aujourd’huy si purifié, qu’il n’est plus ce qu’il estoit autrefois.

Un plaisir qui n’est pas innocent, comme sans doute celuy-cy ne l’est pas, ne peut estre jamais permis : & je soûtiens que dans les siecles passez le Théatre n’estoit pas si gâté {p. 161}qu’il l’est dans le nôtre. Je mets en preuve tout ce que j’en ay déja dit ; & si l’on veut s’en éclaircir davantage, on n’a qu’à lire les anciennes Tragedies Grecques & Latines. On trouvera, que Seneque, Euripide, ny Sophocle, ne parlent point d’amour, poison le plus subtil & le plus dangereux de nostre Théatre. Et il ne sert de rien de nous dire, que tout tend au mariage, & que cette fin estant louable elle justifie tout le reste. Un mariage contracté justifie bien certaines actions, qui sans cela seroient criminelles. Mais un mariage à faire n’éteint pas le feu qu’allument les conversations libres, & n’arrête pas les desordres, où tombent ceux qui ne font pas avec leurs yeux le même pacte que Job avoit fait avec les siens.

Si le Théatre est donc purifié, c’est seulement de ce qui rebute le cœur, mais non pas de ce qui le trompe. On n’y voit plus des prostitutions, {p. 162}mais on y voit des intrigues d’amour qui y conduisent. On n’y voit pas des meurtres sanglants, mais on y voit des projets de haine & de vengeance. Et quand il s’agit de tentation, craignez toujours la plus délicate. Craignez l’artifice du Dragon, plus que la violence du Lion.

Le monde ne se rend pourtant pas, & il soûtient au contraire, que le Théatre que l’on blâme si fort, est une école de vertu. Mais quel étourdissement & quel blasphéme !

L’Eglise, Messieurs, reprouve les vertus de Théatre : vertus ambitieuses, flatteuses ; amoureuses, vindicatives, & qui ne sont tout au plus que des vertus de Philosophe & de Romain. Ce que l’on y peut faire de mieux, c’est de guérir une passion par une autre. Mais à le bien prendre, on n’y en guérit aucune, seulement on y apprend à cacher toutes les deux par la seule crainte {p. 163}du ridicule. Quand même on feroit monter les vertus Chrétiennes sur le Théatre, bien loin que la Religion en fût servie, elle en seroit outragée. Dieu ne veut pas, que le pécheur raconte ses justices, ny qu’il parle de son Testament sacré avec une bouche profane :

Psal. 49. 16.

Jesus-Christ défend de donner le saint aux chiens, & de répandre devant les mondains impurs les perles de sa parole.

Matth. 7. 6.

Et nous voyons dans l’Evangile, qu’il imposoit silence au démon, qui le reconnoissoit pour Fils de Dieu, parce qu’il n’appartient pas au pere du mensonge de dire la vérité, & qu’il ne se sert même de la vérité, que pour se donner le credit d’établir l’erreur.

Marc. 1. 34.

Hélas, mes Freres, si les Prédicateurs Evangéliques, dont la mission est toute céleste, dont la bouche est sanctifiée par la consecration du corps du Fils de Dieu, dont la langue est l’organe du saint Esprit, dont les pensées sont le {p. 164}fruit de la priére, dont la parole est la parole même de Dieu : encore une fois si les Prédicateurs, qui parlent dans la maison du Seigneur, dans la Chaire de vérité, en présence des saints Mysteres, &, comme dit l’Apôtre, en Dieu, devant Dieu, & en Jesus-Christ :

2. Cor. 2. 17.

si ces Prédicateurs enfin, qui sont écoutez avec tant d’attention & de respect par un Auditoire, préparé à cette action sainte par le chant des Pseaumes, & par l’assistance aux divins Offices, ont avec tout cela tant de peine à inspirer l’amour des vertus Chrétiennes, si avec tout cela on voit si peu de fruit de leur travail, que peut-on esperer de ces fantômes de vertu, débitez sur un Théatre par des Comediens à une troupe de faineants ! En vérité ceux qui attribuent un si noble effet à une si chétive cause, se servent bien mal de leur raison, & ont une idée bien basse de la sagesse du Fils {p. 165}pour l’établissement de la vérité, qu’il nous a’apportée du sein du Pere.

Joan. 1. 14.

Me

6.

presserez-vous encore de vous dire précisément le mal qu’il y a dans les spectacles ? Vous deviez vous en épargner la confusion ; mais je serois trop heureux de vous confondre, si en vous confondant je pouvois vous désabuser.

Les spectacles sont une occasion prochaine de péché, & un péché pour une infinité de personnes.

Les Comediens péchent, parce qu’ils exercent une profession reprouvée par l’Eglise, qui les prive par ses Décrets de la participation des Sacrements, même à la mort, s’ils ne font une promesse solemnelle de quitter cette profession.

Aug. de Civ. Dei. libr. 2. cap. 14.

Syn. Trull. can. 51.

Conc. Arel. 1. cap. 15.

Conc. Illib. can. 62.

Et s’il y en a qui ayent la témerité sacrilege de s’approcher de la sainte Table, ou ils trompent les Confesseurs, ou les Confesseurs sont prévaricateurs de leur ministere.

Les spectateurs péchent, en participant {p. 166}au crime des Comediens, & en leur fournissant dequoy le commettre ; & c’est icy qu’a lieu cette maxime de saint Paul, que ceux qui consentent au mal, sont aussi coupables que ceux qui le font.

Rom. 1. 32.

Les Poëtes péchent par cette même raison, & parce qu’ils font un mauvais usage de l’esprit que Dieu leur a donné ; talent, dont le souverain Pere de famille demandera un compte terrible à ceux qui l’auront mal employé.

Matth. 25.

Les Dames péchent, en faisant croire par leurs maniéres libres & par leur immodestie, qu’elles disputent avec les Comediennes, à qui aura moins de pudeur.

Ce Magistrat, cet homme âgé, ce pere, cette mere, toutes les personnes graves, péchent, en donnant mauvais exemple aux jeunes gens, ausquels ils n’en doivent que de bons. Ce riche péche, en donnant aux Comediens l’argent {p. 167}dû à ses créanciers & aux pauvres ; & c’est ce que saint Augustin appelle un crime énorme, donare res suas histrionibus vitium immane.

Aug. in Joan. Tract. 100.

Tous, ou la pluspart péchent, en exposant la pureté à un funeste naufrage, les seules pensées estant des écueils où cette vertu peut périr.

Mais ceux qui péchent en cela plus griévement, ce sont les Ecclesiastiques, dont la profession sainte les engage à la vie la plus reglée & la plus exemplaire, parce qu’ils entraînent ordinairement dans leurs desordres les peuples, dont le salut leur est commis.

Le Concile de Trente a renouvellé les anciens Canons touchant la vie des Clercs.

Les Laïques ont toujours disputé sur la liberté qu’ils prétendent avoir d’assister à ces sortes de divertissements ; mais ce n’a jamais esté une question, s’ils doivent estre interdits aux gens d’Eglise. Aussi les leur a-t-elle défendus dans ses Conciles sous de griéves peines ;

Conc. Cab. ann. 813. can. 9.

Conc. Tur. can. 8.

Cap. Bal. t. 2. add. 3 cap. 71.

& cependant nous apprenons avec douleur que {p. 168}l’on en voit tous les jours un grand nombre devant les Théatres, où ils se trouvent mêlez confusément avec les personnes du siecle de l’un & de l’autre sexe. Cieux, étonnez-vous sur ce prodige,

Jer. 2. 12.

puisque la terre ne s’étonne pas. Ceux qui ont juré dès le premier jour de leur ordination de prendre le Seigneur pour leur héritage, & de faire une guerre continuelle au monde & à Satan, se trouvent dans les lieux, où le monde étale toutes ses pompes, & où Satan fait pratiquer toutes ses œuvres ! Ceux qui devroient estre la lumiére du monde,

Matth. 5. 13.

l’aveuglent au lieu de l’éclairer. Ceux qui devroient estre le sel de la terre, l’affadissent au lieu d’y répandre leur sagesse. Ceux que Jesus-Christ a établis Pasteurs de son peuple, le scandalisent au lieu de l’instruire & de l’édifier.

Qui peut penser sans horreur à ce mêlange monstrueux d’actions saintes & profanes ! Passer de l’Autel {p. 169}au Théatre ! Le matin sacrifier à Dieu, & le soir au démon ! Nul rapport, dit saint Paul, entre Jesus-Christ, & Bélial : & les ministres mêmes de Jesus-Christ osent les confondre !

Pasteurs fideles, dignes Chefs des Eglises, faites des recherches exactes d’une telle prévarication, & corrigez la par les peines canoniques. Et vous peres & meres, qui souffrez dans vos familles des enfants qui profanent l’habit de l’Eglise, & qui en dissipent les biens à des usages honteux, craignez, si vous ne vous y opposez de toutes vos forces, que la malediction de Dieu ne tombe sur vous comme sur eux.

Mais

Conclusion.

enfin, mes chers Auditeurs, il est temps de donner des bornes à un Discours, qui a épuisé mes forces, aussi bien que vostre patience. Que le monde fasse tant d’efforts qu’il voudra pour rendre {p. 170}sa cause bonne : jamais il ne convaincra les personnes sensées & raisonnables, que les spectacles tels qu’ils sont aujourd’huy, puissent s’accorder avec les principes de nostre foy ; & pour entreprendre de les justifier, il faut nécessairement ou ignorer la Religion, ou se déclarer sectateur de ce monde corrompu, dont J. Ch. n’a point esté.

Ne soyez donc plus avides de ces funestes plaisirs. Et ne nous faites pas toujours cette mauvaise réponse, que vous en sortez sans y avoir reçû la moindre impression de mal. Les plus grands Saints n’y seroient pas sans péril : que ne devez-vous donc pas craindre, vous qui n’y allez qu’avec un cœur rempli des folles joyes de ce monde, & qui n’avez d’ailleurs que ténebres dans l’entendement, que foiblesse dans la volonté, que revolte dans les sens ?

{p. 171}Regardez les spectacles comme une indecence injurieuse à la majesté de Dieu & contraire à la sagesse de l’Evangile, & comme l’Eglise de tous les siecles les a condamnez, vous ne balancerez plus de les condamner avec elle. Regardez les comme une des plus dangereuses pompes du monde, ausquelles vous avez renoncé par le baptême ; & quand le monde entreprendra de les justifier, vous luy opposerez ce que l’esprit de Dieu vient de vous inspirer par ma bouche.

Contemplez desormais des spectacles plus dignes de vous. Considérez le monde luy-même dans sa corruption comme un spectacle qui vous épouvante. Considérez la Religion dans sa sainteté comme un spectacle qui vous console. Regardez-vous vous-mêmes, comme devant estre dans le temps un spectacle de vertu au monde, aux Anges, {p. 172}& aux hommes,

1. Cor. 4. 9.

pour mériter d’estre un spectacle de gloire à Dieu & à ses Saints dans toute l’éternité bienheureuse.

***

Une Lettre, en faveur de la Comedie, imprimée à la tête des Oeuvres de Boursault, obligea feu M. de Harlay Archevêque de Paris d’en interdire l’Auteur, qui en fit une retractation solemnelle. Il parut plusieurs refutations de cette Lettre, sur tout un excellent Traité de l’illustre M. Bossuet Evêque de Meaux ; à quoy se joignit le zele des Prédicateurs.