Armand de Bourbon, Prince de Conti

1667

Traité de la comédie et des spectacles

Édition de Doranne Lecercle et Chiara Mainardi
2014
Source : Armand de Bourbon, Prince de Conti, Traité de la comédie et des spectacles, Paris, Louis Billaine,1667.
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d'édition), Clotilde Thouret (Responsable d'édition), Frédéric Glorieux (XML-TEI) et Vincent Jolivet (XML-TEI).

[FRONTISPICE] §

TRAITÉ
DE LA
COMEDIE
ET DES
SPECTACLES,
selon la tradition de l'eglise,
Tirée des Conciles et des Saints
Pères.

a Paris
Chez Louys Billaine, au second Pi-
lier de la Grand' Salle du Palais.
M. DC. LXVII.
Avec Privilège et Approbation

{p. 1}

Traité de la comédie et des spectacles §

La critique ordinaire de la Comédie fonde ses jugements sur l'application qu'elle fait des règles de la poétique aux ouvrages des particuliers dont elle prétend découvrir les défauts, ou les beautés. Elle considère le choix {p. 2} du sujet, soit qu'il soit Historique, fabuleux, ou mêlé. Elle en regarde le commencement, la suite et le dénouement, si les passions y sont traitées avec délicatesse, ou avec force et véhémence selon leur nature, ou selon leur degré, si les caractères et les mœurs des nations, des âges, des conditions, des sexes et des personnes y sont gardées: si l'action, le temps, et le lieu sont conformes aux règles que les Poètes se sont prescrites pour faire que l'esprit de l'Auditeur n'étant point partagé soit plus susceptible du plaisir, ou de l'instruction qu'on prétend lui donner: si la versification en est belle et pure, et si les vers aident, par leur tour, par leur justesse, par {p. 3}leur son, par leur gravité, par leur douceur, par leur richesse et leur magnificence, par leur agrément, par leur langueur ou par leur vitesse, à la fidélité de la peinture que les pensées qu'ils expriment, doivent faire dans les esprits, ou à l'émotion du cœur qui doit être excité par les sentiments qu'ils représentent. Selon que ces choses se trouvent ou manquent dans la composition d'un Poème Dramatique, il est reçu avec applaudissement, ou avec mépris.

La critique que j'entreprends aujourd'hui n'est pas de cette nature, elle laisse à la Poétique toute sa juridiction, mais aussi elle lui est beaucoup supérieure, elle a droit de corriger ce qui est même {p. 4} selon les lois les plus étroites, et les plus sévères de cet art. Comme c'est la religion de Jésus-Christ qui la guide, elle suit des règles infaillibles, et pourvu qu'elle les applique avec justesse et avec fidélité, elle ne se trompe point dans ses jugements.

Je n'écris pas ici pour ceux qui, ne croyant point à la religion Chrétienne, encore qu'ils la professent extérieurement, ne doivent être regardés que comme des Païens baptisés, qui désavouent par leur irréligion, et par leur impiété, l'offre que leurs parents ont fait d'eux à l'Eglise, et rétractent les promesses les plus solennelles de leur baptême. L'abîme de leur aveuglement, {p. 5} et de leur misère leur fait rejeter avec mépris les vérités les plus certaines du Christianisme, et comme elles sont les principes et les fondements de ce discours, ils sont assez malheureux pour n'en tirer aucun fruit. Elle n'est donc que pour ces Chrétiens qui partagent en quelque façon l'Evangile, en reconnaissant ses mystères, parce qu'ils n'en sont pas incommodés ; et ne reconnaissant pas ses maximes (au moins dans la pratique) parce qu'elles condamnent leur vie et leur libertinage; comme ils veulent s'abandonner aux désirs de leur cœur, ils corrompent les plus solides vérités, ils cherchent à trouver innocent ce qu'ils ne veulent pas cesser de {p. 6}faire, ils obscurcissent leurs esprits par des ténèbres volontaires, pour suivre sans remords la coutume qu'ils ne veulent pas surmonter : et la peur qu'ils ont de découvrir des vérités qui les empêcheraient de pécher en repos, fait qu'ils demeurent dans des erreurs communes, sans vouloir examiner si ce sont en effet des erreurs. Ils y sont même fortifiés, parce qu'ils les voient autorisées par l'exemple, ou par l'approbation, de beaucoup de personnes qui ont une piété feinte, ou peu éclairée; et qui accommodent les maximes de l'Evangile au relâchement de leurs mœurs, au lieu qu'ils devraient former leurs mœurs sur les vérités de l'Evangile.

{p. 7}

Comme ces personnes ne sauraient nier les principes de notre Religion, c'est à elles que j'adresse particulièrement cet ouvrage; j'espère leur prouver que la Comédie, en l'état qu'elle est aujourd'hui, n'est pas un divertissement innocent comme ils se l'imaginent, et qu'un chrétien est obligé de la regarder comme un mal. Pourvu qu'on veuille être de bonne foi, on en sera facilement persuadé, si on veut examiner la nature de la Comédie, son origine, ses circonstances, et ses effets, et si on veut s'instruire de la tradition universelle de l'Eglise sur ce sujet par les sentiments des Pères qui en ont parlé, et par ceux de l'Eglise assemblée dans un très grand nombre {p. 8}de Conciles. Il me semble que voilà la meilleure manière et la plus sûre de trouver la vérité, et que cet ordre est le plus naturel, et le plus régulier que je puisse garder.

Je ne prétends pas en parlant de la Comédie traiter seulement de cette sorte de poème qui a premièrement, et plus proprement porté ce nom par l'institution des hommes; mais comme ce nom d'une espèce particulière est devenu en France un nom général qui convient à toutes les pièces de théâtre, soit qu'elles soient effectivement des Comédies, soit aussi que ce soient des Tragédies, ou des Tragi-comédies; c'est sous ce nom que j'ai prétendu examiner toutes sortes {p. 9}de Poèmes Dramatiques, et en général, par ce qu'ils ont de commun, et en particulier, par ce qui fait leurs espèces différentes.

L'idée générale qu'on peut former de la Comédie, c'est-à-dire du Poème Dramatique, n'est autre chose que la représentation naïve d'une action, ou pour mieux dire d'un événement, dans sa substance et dans ses circonstances. C'est une véritable peinture, les paroles y peignent les pensées ; et l'action, les actions et les choses; et si cette définition peut convenir en quelque sorte à l'Histoire et à la fable, le Poème Dramatique a cela de différent d'elles, qu'outre qu'elles ne lui servent que de matière; il {p. 10}nous fait voir les choses comme présentes, que l'Histoire et la fable nous racontent comme passées, et qu'il les représente d'une manière vive, animée, et pour ainsi dire, personnelle; au lieu que l'histoire et la fable ne nous les font voir que d'une manière morte et sans action. Par l'Histoire, nous rappelons les choses passées jusques à nous, et par le Poème Dramatique, ce sont pour ainsi dire les choses qui nous font remonter jusques à elles. Dans cette idée générale, il n'est ni bon ni mauvais ; il est susceptible de toutes sortes de sujets et de toutes sortes de circonstances; et tant qu'il demeure dans cette indétermination, qui n'a d'être que dans l'esprit des {p. 11}hommes et dans les livres de Poétique, il n'est digne ni d'approbation, ni de blâme. Ce n'est pas aussi par cet endroit que je prétends examiner la Comédie : le discours que j'ai entrepris appartient à la Morale et non pas à la Métaphysique : je veux parler de la Comédie comme on la joue, et point du tout comme on ne la joue pas. C'est pour cela qu'il est nécessaire d'en venir à un plus grand détail ; et après avoir dit ce qui est de commun à toutes les Comédies, et qui compose comme leur genre, il faut faire voir ce qui est de particulier dans chaque espèce, et discourir de sa nature et de son origine, en y joignant ses circonstances, et ses effets comme je me le suis proposé.

{p. 12}

Les espèces du Poème Dramatique sont, la Tragédie, la Tragi-comédie, et la Comédie: cette dernière a encore ses subdivisions ; car, si elle est entre des personnes communes, elle retient simplement le nom de Comédie ; et si elle a pour sujet une aventure de Bergers et de Bergères, elle s'appelle Pastorale: je laisse la dérivation de leurs noms à ceux qui ont traité de la Poétique, on la peut voir dans Jules-César Scaliger, si on a besoin d'en être instruit. L'idée qui y est attachée par l'institution des hommes, est ce qui nous en peut faire connaître la nature; car, ce qu'on entend par le mot de Comédie n'est autre chose que la représentation d'une aventure agréable {p. 13}et gaie, entre des personnes communes. Ce qu'on entend par le terme de Tragédie, est la représentation sérieuse d'une action funeste, et considérable, par l'imitation réelle des malheurs de quelques personnes de grande qualité, ou de grand mérite ; et celui de Tragi-comédie signifie la représentation d'une aventure dans laquelle les principales personnes sont menacées de quelques grands malheurs, qui sont effacés à la fin par un événement heureux.

On ignore l'origine de la tragédie, et on sait seulement que ça a été le poète Thespis qui a commencé à la mettre dans un ordre plus régulier, encore que la manière dont les acteurs se gâtaient le visage, pour leur {p. 14}tenir lieu de masques, dont on n'avait pas encore l'invention, nous montre, que le siècle, les Poètes et les spectateurs étaient fort grossiers.

Pour la Tragi-comédie, elle a été inconnue aux Grecs; et c'est aux Romains et à ceux qui les ont suivis, qu'il en faut attribuer et l'invention et le progrès.

À l'égard de la Comédie, Scaliger en rapporte amplement l'origine dans le premier livre de sa Poétique; et l'on y voit qu'elle a commencé par les débauches des jeunes gens.

« Juventus ergo vacui temporis otio atque licentia noctis abusa, secura imperiorum, vel heri, vel patroni, vel parentum, perpagos (nondum enim in urbes convenerant) {p. 15}discurrere : legimus enim apud Livium comessationes, qui mos cum ipso nomine simul ad nos deductus est, unde hi lusus quos vicatim exercerent, para tôn ôdôn kai tas kômas, apte comœdiam dixere. »

Les pastorales ont commencé par les amours des Bergers et des Bergères, ce qui est rapporté dans le même Scaliger d'une manière peu honnête. Il est vrai que les satyres, qui y jouent un rôle presque nécessaire, ne contribuent pas à les rendre plus modestes. Le Tasse, qui est l'auteur de la pastorale la plus belle et la plus délicate qui fût jamais, n'a pas cru se pouvoir dispenser d'introduire un satyre dans son Aminte, se faisant en cette occasion une espèce de religion de {p. 16}son immodestie.

Si l'on veut regarder la simple Comédie dans son progrès et dans sa perfection, soit pour sa matière et pour ses circonstances, soit pour ses effets;, n'est-il pas vrai qu'elle traite presque toujours des sujets peu honnêtes, ou accompagnés d'intrigues scandaleuses ? Les expressions même n'en sont-elles pas sales, ou du moins immodestes ? Peut-on nier ces vérités des plus belles comédies d'Aristophane, et de celles de Plaute et de Térence ?

Les Italiens, qui sont les premiers Comédiens du monde, n'en remplissent-ils pas moins leurs pièces ? Les farces Françaises sont-elles pleines d'autre chose ? Et même {p. 17}de nos jours, ne voyons-nous pas ces mêmes défauts dans quelques-unes des comédies les plus nouvelles ? Les Espagnols n'y ajoutent-ils pas l'application des choses saintes à des usages ridicules ? Et si les Comédies qu'on a jouées depuis trente ans en France sont exemptes de ces vices, ne sont-elles pas dignes du même blâme que nos Tragédies et Tragi-comédies, par la manière d'y traiter nos passions ?

Quels effets peuvent produire ces expressions accompagnées d'une représentation réelle; que de corrompre l'imagination, de remplir la mémoire, et se répandre après dans l'entendement, dans la volonté, et ensuite dans les mœurs ? Il y aura en cet endroit {p. 18}beaucoup de personnes qui assureront qu'ils n'ont jamais reçu aucune impression mauvaise par la Comédie; mais je soutiens, ou qu'ils sont en petit nombre, ou qu'ils ne sont pas de bonne foi, ou que la seule raison par laquelle la comédie n'a pas été cause de la corruption de leurs mœurs, c'est parce qu'elle les a trouvés corrompus, et qu'ils ne lui ont rien laissé à faire sur cette matière.

Il n'y a rien dans la nature de la Tragédie, ni de la Tragi-comédie, qui puisse nous les faire désapprouver ; il paraît même que le but des premiers Tragiques a été bon, et qu'ils ont voulu instruire les peuples d'une manière qui fût capable de les frapper davantage, que la simple exposition {p. 19} des choses qu'ils leur voulaient insinuer n'aurait pu faire. La Tragédie considérée par cet endroit ne paraît pas plus mauvaise que les paraboles des Hébreux, les hiéroglyphes des Égyptiens, et les Emblèmes; les tragédies même des premiers poètes sont toutes morales, et pleines de sentences ; et s'il y en a quelquefois qui soient contraires à la vérité, il s'en faut prendre à la morale des Païens, et non pas à la Tragédie, qui rapporte comme vertueux ce qui passait pour vertueux en son temps, quoiqu'il eût le vice général de toutes les vertus païennes. Les anciens, voulant donc instruire les peuples, et la forme de leur culte n'admettant que des sacrifices, et {p. 20} des cérémonies sans aucune exposition, ni interprétation de leur religion, qui n'avait point de dogmes certains: ils les assemblaient dans les places publiques (car ils n'avaient pas encore l'usage des théâtres, qui ne furent même inventés qu'après qu'on se fut servi quelque temps de chariots pour faire que les Acteurs fussent vus de plus loin) et ils leur inspiraient par le moyen des spectacles les sentiments qu'ils prétendaient leur donner, croyant avec raison qu'ils étaient plus susceptibles de recevoir une impression forte, par l'expression réelle d'une personne considérable, que par toutes les instructions qu'ils eussent pu recevoir d'une autre manière plus simple {p. 21}et moins vive. La plupart des tragédies de Sophocle et d'Euripide sont de cette nature, et si les siècles suivants n'avaient pas ajouté plus de corruption dans le choix des sujets et dans la manière de les traiter, il serait bien difficile de blâmer la Comédie dans les Païens, quoiqu'elle fût toujours très blâmable dans les Chrétiens dont la vocation est si sainte et si relevée, que les Pères nous témoignent que les spectacles profanes leur ont toujours été interdits: mais outre cela, il est très certain que c'est à tort qu'on prétend justifier celles de ce temps par l'exemple des anciennes, rien n'étant si dissemblable qu'elles le sont. L'amour est présentement la passion qu'il {p. 22}y faut traiter le plus à fond ; et quelque belle que soit une pièce de Théâtre, si l'amour n'y est conduit d'une manière délicate, tendre et passionnée, elle n'aura d'autre succès que celui de dégoûter les spectateurs, et de ruiner les Comédiens. Les différentes beautés des pièces consistent aujourd'hui aux diverses manières de traiter l'amour, soit qu'on le fasse servir à quelque autre passion, ou bien qu'on le représente comme la passion qui domine dans le cœur. Il est vrai que l'Hérode de Monsieur Heinsius est un Poème achevé, et qu'il n'y a point d'amour. Mais il est certain aussi que la représentation en serait fort ennuyeuse. Car il faut avouer que la {p. 23}corruption de l'homme est telle depuis le péché, que les choses qui l'instruisent ne trouvent rien en lui qui favorise leur entrée dans son cœur. Il les trouve sèches et insipides, au lieu qu'il court pour ainsi dire, au-devant de celles qui flattent ses passions et qui favorisent ses désirs. Ce n'est donc plus que dans les livres de poétique que l'instruction est la fin du Poème Dramatique. Cela n'est plus véritable, ni dans l'intention du poète, ni dans celle du spectateur. Le désir de plaire est ce qui conduit le premier, et le second est conduit par le plaisir d'y voir peintes des passions semblables aux siennes: car notre amour-propre est si délicat, que nous aimons à voir les portraits de nos passions {p. 24}aussi bien que ceux de nos personnes. Il est même si incompréhensible, qu'il fait par un étrange renversement, que ces portraits deviennent souvent nos modèles, et que la Comédie en peignant les passions d'autrui, émeut notre âme d'une telle manière qu'elle fait naître les nôtres, qu'elle les nourrit quand elles sont nées, qu'elle les polit, qu'elle les échauffe, qu'elle leur inspire de la délicatesse, qu'elle les réveille quand elles sont assoupies, et qu'elle les rallume même quand elles sont éteintes. Il est vrai qu'elle ne fait pas ces effets dans toutes sortes de personnes: mais il est vrai aussi qu'elle les fait dans un grand nombre, qu'elle les peut faire dans toutes, et qu'elle les doit faire même plus {p. 25}ordinairement, si on considère de bonne foi quel est l'empire naturel d'une représentation vive, jointe à une expression passionnée, sur le tempérament des hommes. Il est tous les jours ému par l'éloquence des Orateurs, il le doit être à plus forte raison par la représentation des Comédiens : ils y ajoutent même tout ce qui les peut aider à ce dessein, leur déclamation, leur port, leurs gestes et leur ajustement. Les femmes ne négligent rien pour paraître belles : elles y réussissent quelquefois, et s'il y en a quelqu'une qui ne la soit pas, il ne faut pas s'en prendre à la Comédie, rien n'est plus contre son intention, puisqu'elle lui fait tenir la place d'une personne qui a été l'objet d'une passion {p. 26} violente, qu'une Comédienne sans beauté ne représente pas fidèlement: mais ce qui est de plus déplorable, c'est que les poètes sont maîtres des passions qu'ils traitent, mais ils ne le sont pas de celles qu'ils ont ainsi émues ; ils sont assurés de faire finir celles de leur Héros et de leur Héroïne avec le cinquième acte, et que les Comédiens ne diront que ce qui est dans leur rôle, parce qu'il n'y a que leur mémoire qui s'en mêle. Mais le cœur ému par cette représentation n'a pas les mêmes bornes, il n'agit pas par mesures : dès qu'il se trouve attiré par son objet, il s'y abandonne selon toute l'étendue de son inclination ; et souvent après avoir résolu de ne pousser pas les passions {p. 27}plus avant que les Héros de la Comédie, il s'est trouvé bien loin de son compte, l'esprit accoutumé à se nourrir de toutes les manières de traiter la galanterie n'étant plein que d'aventures agréables et surprenantes, de vers tendres, délicats et passionnés, fait que le cœur dévoué à tous ces sentiments n'est plus capable de retenue, et quand même ces effets, que je n'ose faire entrevoir ne s'ensuivraient pas, n'est-ce pas un terrible mal que cette idolâtrie que commet le cœur humain dans une violente passion, n'est-ce pas en quelque sens le plus grand péché qu'on puisse commettre ? La créature y chasse Dieu du cœur de l'homme, pour y dominer à sa place, y recevoir des sacrifices et des adorations, {p. 28} y régler ses mouvements, ses conduites et ses intérêts, et y faire toutes les fonctions de souverain qui n'appartiennent qu'à Dieu, qui veut y régner par la charité, qui est la fin et l'accomplissement de toute la Loi Chrétienne. Ne voyez-vous pas l'amour traité de cette manière si impie dans les plus belles Tragédies et Tragi-comédies de notre temps ? N'est-ce pas ce sentiment qu'Alcionée mourant par sa propre main, dit à Lidie :

« Vous m'avez commandé de vaincre, et j'ai vaincu,
Vous m'avez commandé de vivre et j'ai vécu :
Aujourd'hui vos rigueurs vous demandent ma vie,
{p. 29}
Mon bras aveuglément l'accorde à votre envie,
Heureux et satisfait dans mes adversités,
D'avoir jusqu'au tombeau suivi vos volontés. »

Rodrigue ne parle-t-il pas de même à Chimène, lorsqu'il va combattre Dom Sanche.

« Maintenant qu'il s'agit de mon seul intérêt,
Vous demandez ma mort, j'en accepte l'arrêt,
Votre ressentiment choisit la main d'un autre;
Je ne méritais pas de mourir de la vôtre,
On ne me verra point en repousser les coups:
{p. 30}
Je dois trop de respect à qui combat pour vous,
Et ravi de penser que c'est de vous qu'ils viennent,
Puisque c'est votre honneur que ses armes soutiennent,
Je vais lui présenter mon estomac ouvert,
Adorant en sa main la vôtre qui me perd. »

En vérité, peut-on pousser la profanation plus avant, et le faire en même temps d'une manière qui plaise davantage et qui soit plus dangereuse. Quoiqu'on veuille dire que le théâtre ne souffre plus rien que de chaste, et que les passions y sont traitées de la manière du monde la plus honnête, je soutiens qu'il n'en {p. 31}est pas moins contraire à la religion Chrétienne. Et j'ose même dire que cette apparence d'honnêteté, et le retranchement des choses immodestes le rend beaucoup plus à craindre. Il n'y aurait que les libertins qui pussent voir les pièces déshonnêtes. Les femmes de qualité et de vertu en auraient de l'horreur, au lieu que l'état présent de la Comédie ne faisant aucune peine à la pudeur attachée à leur sexe, elles ne se défendent pas d'un poison aussi dangereux et plus caché que l'autre qu'elles avalent sans le connaître, et qu'elles aiment lors même qu'il les tue. Mais pour pousser encore davantage cette matière sans sortir pour cela des bornes de la vérité, peut-on appeler {p. 32}tout à fait honnêtes des ouvrages dans lesquels on voit les filles les plus sévères écouter les déclarations de leurs amants, être bien aise d'en être aimées, recevoir leurs lettres et leurs visites, et leur donner même des rendez-vous ? J'avoue que nonobstant tout cela elles sont tout à fait honnêtes, puisqu'il l'a plu ainsi au Poète. Mais en vérité y a-t-il personne de tous ceux qui sont les plus zélés défenseurs d'une si mauvaise cause qui voulût que sa femme, ou sa fille, fût honnête comme Chimène, et comme toutes les plus vertueuses Princesses du théâtre. Je pense qu'il souffrirait assez impatiemment dans les unes, ce qu'il respecte tant dans les autres, et que dès qu'il verrait cette {p. 33}sévérité tant vantée dans un sujet auquel il prendrait quelque intérêt, il reconnaîtrait bientôt ces fausses vertus pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire, pour des vices véritables.

Mais avant que de faire voir plus à fond quelle est l'opposition qui est entre la Comédie et les plus solides fondements de la Morale Chrétienne, je dois répondre à deux objections que les défenseurs de la Comédie font pour l'ordinaire. J'y satisfais avec exactitude et avec ordre tout ensemble. Ils disent qu'il est vrai que la Comédie est une représentation des vertus et des vices, parce qu'il est de la fidélité des portraits de représenter leurs modèles tels {p. 34}qu'ils sont, et que les actions des hommes étant mêlées de bien et de mal; il est par conséquent du devoir du Poème Dramatique de les représenter en cette manière. Mais que bien loin qu'il fasse de mauvais effets, il en a de tous contraires, puisque le vice y est repris, et que la vertu y est louée, et souvent même récompensée. Je ne puis mieux faire voir la faiblesse de cette objection qu'en répondant avec un savant prélat de notre siècle.

« Le remède y plaît moins que ne fait le poison. »

Telle est la corruption du cœur de l'homme, mais telle est aussi celle du Poète, qui après avoir répandu son venin dans {p. 35}tout un ouvrage d'une manière agréable, délicate et conforme à la nature, et au tempérament, croit en être quitte pour faire faire quelque discours moral par un vieux Roi représenté, pour l'ordinaire, par un fort méchant Comédien, dont le rôle est désagréable, dont les vers sont secs et languissants, quelquefois même mauvais,: mais tout du moins négligés, parce que c'est dans ces endroits qu'il se délasse des efforts d'esprit qu'il vient de faire en traitant les passions: y a-t-il personne qui ne songe plutôt à se récréer en voyant jouer Cinna, sur toutes les choses tendres et passionnées qu'il dit à Emilie, et sur toutes celles qu'elle lui répond, que {p. 36} sur la Clémence d'Auguste, à laquelle on pense peu, et dont aucun des spectateurs n'a jamais songé à faire l'éloge en sortant de la Comédie.

La seconde chose qu'ils objectent, est qu'il y a des Comédies saintes, qui ne laissent pas d'être très belles, et sur cela on ne manque jamais de citer Polyeucte, car il serait difficile d'en citer beaucoup d'autres. Mais en vérité, y a-t-il rien de plus sec et de moins agréable que ce qui est de saint dans cet ouvrage ? Y a-t-il rien de plus délicat et de plus passionné que ce qu'il y a de profane ? Y a-t-il personne qui ne soit mille fois plus touché de l'affliction de Sévère lorsqu'il trouve Pauline mariée, que {p. 37}du martyre de Polyeucte ? Il ne faut qu'un peu de bonne foi pour tomber d'accord de ce que je dis; aussi Dieu n'a pas choisi le théâtre pour y faire éclater la gloire de ses Martyrs. Il ne l'a pas choisi pour y faire instruire ceux qu'il appelle à la participation de son héritage. Mais comme dit le grand Evêque que je viens de citer :

« Pour changer leurs mœurs et régler leur raison,
Les Chrétiens ont l'Eglise, et non pas le théâtre. »

L'amour n'est pas le seul défaut de la Comédie, la vengeance et l'ambition n'y sont pas traitées d'une manière moins dangereuse. Comme ces deux passions ne passent dans l'esprit de ceux qui ne se conduisent pas {p. 38}par les règles de l'Evangile que pour de nobles maladies de l'âme, surtout quand on ne se sert pour les contenter que des moyens que le monde trouve honnêtes. Les poètes se rendant d'abord esclaves de ces maximes pernicieuses, en composent tout le mérite de leurs Héros. Rodrigue n'obtiendrait pas le rang qu'il a dans la Comédie s'il ne l'eût mérité par deux duels, en tuant le Comte, et en désarmant Don Sanche: et si l'histoire le considère davantage par le nom de Cid, et par ses exploits contre les Mores; la Comédie l'estime beaucoup plus par sa passion pour Chimène et par ses deux combats particuliers. Le récit même de la défaite des {p. 39}Mores y est fort ennuyeux, et peu nécessaire à l'ouvrage, étant certain qu'il n'y avait nulle rigueur en ce temps-là contre les duels, et n'y ayant pas d'apparence que la sévérité du Roi de Castille fût si grande en cette matière contre la coutume de son siècle, qu'il n'en pût bien pardonner deux par jour, même sans le prétexte d'une victoire aussi importante que celle-là. La vengeance n'est-elle pas encore représentée dans Comélie comme un effet de la piété et de la fidélité conjugale jointes à la force et à la fermeté Romaines, au troisième Acte de La Mort de Pompée, Scène quatrième, lorsqu'elle dit à César.

{p. 40}
« C'est là que tu verras sur la terre et sur l'onde
Le débris de Pharsale armer un autre monde,
Et c'est là que j'irai pour hâter tes malheurs,
Porter de rang en rang ces cendres et mes pleurs,
Je veux que de ma haine ils reçoivent des règles,
Qu'ils suivent au combat des urnes au lieu d'Aigles;
Et que ce triste objet porte à leur souvenir
Les soins de me venger, et ceux de te punir. »

On ne peut pas dire qu'en cet endroit le Poète ait voulu donner de l'horreur de la vengeance, {p. 41} comme il a voulu en donner de celle de Cléopâtre dans Rodogune; au contraire, c'est par cette vengeance qu'il prétend rendre Comélie recommandable, et la relever au-dessus des autres femmes, en lui faisant un devoir, et une espèce même de piété, de sa haine pour César, qui attire le respect, et qui la fasse passer pour une personne héroïque. Mais il ne croit pas que sa vertu soit dans un degré assez haut, s'il ne fait monter sa piété vers Pompée jusques à l'impiété et au blasphème vers les dieux de l'antiquité, car il la fait parler, dans la première scène du cinquième Acte, aux cendres de son mari, en cette manière :

{p. 42}
« Moi, je jure des Deux la puissance suprême,
Et pour dire encor plus, je jure par vous-même;
Car vous pouvez bien plus sur ce cœur affligé
Que le respect des dieux qui l'ont mal protégé. »

Et sur la fin de la scène quatrième du même Acte :

« J'irai, n'en doute point, au partir de ces lieux,
Soulever contre toi les hommes et les Dieux.
Ces dieux qui t'ont flatté, ces dieux qui m'ont trompée;
Ces dieux qui dans Pharsale ont mal servi Pompée,
{p. 43}
Qui la foudre à la main l'ont pu voir égorger.
Ils connaîtront leur crime, et le voudront venger;
Mon zèle à leur refus, aidé de sa mémoire,
Te saura bien sans eux arracher la victoire. »

Ce serait une fort méchante excuse à cette horrible impiété, de dire que Comélie était païenne, car cela prouve seulement qu'elle se trompait, en attribuant la divinité à des choses qui ne la possédaient pas, mais cela n'empêche pas que, supposé qu'elle leur attribuât la divinité, elle n'eût pas des sentiments effroyablement impies. Cette estime pour Comélie que {p. 44}le Poète a voulu donner en cet endroit aux spectateurs, après l'avoir conçue lui-même, vient du fonds de cette même corruption qui fait regarder dans le monde comme des enfants mal nés et sans mérite, ceux qui ne vengent pas la mort de leur Père, ou de leurs parents, en sorte que le public attache souvent leur honneur à l'engagement de se battre contre les meurtriers de leurs proches ; qu'on les élève dans de si horribles dispositions, et qu'on mesure leur mérite à la correspondance qu'on trouve en eux aux sentiments qu'on prétend leur donner, que ces sortes de représentations favorisent encore d'une manière pathétique, et {p. 45} qui s'insinue plus facilement que tout ce qu'on pourrait leur dire d'ailleurs.

Pour l'ambition, qui est proprement la fille de l'orgueil, elle est trop honorée dans le monde pour ne l'être pas dans la Comédie. Il faudrait un volume pour tous les exemples qu'on en pourrait donner presque dans toutes les pièces, comme il en faudrait un autre pour combattre cette passion autant qu'elle mérite de l'être.

Il est donc vrai que le but de la Comédie, est d'émouvoir les passions, comme ceux qui ont écrit de la poétique en demeurent d'accord: et au contraire, tout le but de la Religion Chrétienne est de les calmer, de les {p. 46}abattre et de les détruire autant qu'on le peut en cette vie. C'est pour cela que l'Ecriture nous apprend que la vie de l'homme sur la terre est un combat continuel, parce qu'il n'a pas plus tôt terrassé un ennemi, que cette défaite en fait naître un autre dans lui-même, et qu'ainsi la victoire n'est pas moins à craindre pour lui que ses pertes ; c'est avec ces armes que la chair fait cette cruelle guerre à l'esprit qui ne peut vivre qu'en mortifiant les passions de la chair : elles appartiennent à cette loi de mort qui s'oppose continuellement à la loi de l'esprit, et c'est pour cela qu'on ne peut être parfait Chrétien, que ce corps de péché ne soit détruit, que {p. 47}l'Homme céleste ne règne, et que le vieil homme ne soit crucifié. Voilà la Religion Chrétienne, voilà quelle doit être l'application de ceux qui la professent, voilà la doctrine de l'Apôtre saint Paul, ou plutôt celle du Saint-Esprit: et comme les exemples ont un grand pouvoir sur les hommes, dans le même temps que la Comédie nous propose ses héros livrés à leurs passions, la Religion nous propose Jésus-Christ souffrant, pour nous délivrer de nos passions. Ceux qui courent après les premiers, regardent Jésus-Christ crucifié comme une folie, et comme une occasion de scandale ; mais ceux qu'il appelle à la participation de sa gloire par le {p. 48}renoncement à leurs désirs et à leur cupidité, le regardent comme la force et la sagesse de Dieu. Si donc la Comédie en l'état qu'elle est présentement, est si opposée aux maximes du Christianisme, n'est-ce pas encore ajouter crime sur crime, que de choisir le saint jour du dimanche pour la jouer ? C'est le jour du Seigneur, il lui appartient tout entier, et si la faiblesse de l'homme ne lui permet pas de le lui donner absolument par une application actuelle, au moins ne doit-on prendre que les divertissements nécessaires ; encore faut-il qu'ils ne soient contraires ni à la sainteté du jour, ni à celle à laquelle les Chrétiens sont obligés. Mais les Comédiens {p. 49} font céder toutes ces considérations à leur avarice, et les mauvais Chrétiens à leur plaisir. Saint Augustin assure que celui qui danse le Dimanche fait un plus grand péché que celui qui laboure la terre. Je ne pense pas que selon cette règle on puisse justifier celui qui va à la Comédie, ni celui qui la joue. Il déplore comme un grand égarement de ce qu'il pleurait la mort de Didon, et qu'il ne pleurait pas celle de son âme ; et les Chrétiens dont la vie est si courte, au lieu d'employer les jours saints à racheter leurs péchés par des fruits dignes de pénitence, les donnent à des divertissements défendus. Y a-t-il rien de pareil à cet aveuglement : Si ce discours peut ouvrir les yeux à {p. 50}quelqu'un, je serai parvenu à la fin que je me suis proposée, pour ceux qui sont remplis des maximes de la chair et du monde, et que Dieu par un juste Rom. I mais terrible jugement, a abandonnés aux désirs de leur cœur. Je ne m'étonne pas qu'ils trouvent de la faiblesse dans mes raisonnements; ils en trouvent dans l'Evangile. Ils n'ont pas accoutumé d'examiner les choses par les règles que j'ai suivies. Car, comme dit l'Apôtre, I. Cor. 2. « l'homme qui est tout charnel n'est point capable des choses qu'enseigne l'Esprit de Dieu. Elles lui passent pour folies, et il ne les peut comprendre, parce que c'est par une lumière spirituelle qu'on en doit juger. »

{p. 53}

La tradition de l'Eglise sur la comédie et les spectaclesI

Les conciles §

Avertissement §

On doit remarquer trois choses dans la lecture des Canons des Conciles sur le sujet de la Comédie.

La première est la sévérité de l'Eglise contre les comédiens et contre ceux {p. 54}qui assistaient à ces Spectacles, et le grand soin qu'elle prend pour empêcher qu'on ne contraigne les Chrétiens à y assister, ou à en être les acteurs; ce qui nous doit faire voir qu'elle n'a pas regardé cela comme un crime médiocre.

La seconde est, que les Canons qui sont en général contre les spectacles sont aussi contre la Comédie, parce qu'ils comprennent tous les Spectacles, et que la Comédie en était un chez les anciens, et même le plus divertissant pour les honnêtes gens ; et qu'ainsi on ne peut pas dire que ces canons ne sont faits que contre les autres Spectacles. Car, si cela était vrai, l'Eglise y aurait fait quelque différence, en marquant à ses enfants quels sont les Spectacles qui leur sont permis, et quels sont ceux qui leur sont défendus. Et ce qui marque encore plus clairement que les canons qui sont contre les Spectacles en général comprennent aussi la Comédie, c'est qu'il y a des canons qui la condamnent en particulier, l'Eglise ayant soin d'expliquer en de certains temps plus expressément les choses qu'elle se contente {p. 55} d'ordonner aux Chrétiens seulement en général en d'autres rencontres.

La troisième chose qu'il faut remarquer, c'est que quoiqu'un Concile d'Afrique, tenu l'an 424 se soit contenté de demander aux empereurs qu'ils défendissent tous les Spectacles à de certains jours plus particulièrement destinés au culte de Dieu, et aux exercices de piété, cela ne signifie pas qu'il prétendît les approuver et les permettre les autres jours. La raison qui le porte à demander cette défense aux Empereurs en est une preuve manifeste; car il marque que c'est parce que ces spectacles étaient contraires aux commandements de Dieu. Mais comme en ce temps-là il y avait encore un très grand nombre de Païens sur lesquels l'Eglise n'avait point de juridiction, et que d'ailleurs l'attachement du peuple à ces spectacles était si grand, qu'il avait été presque impossible, même aux Empereurs de les abolir. L'Eglise, par une extrême prudence, se contente de faire trois choses. La première, de demander que par le respect qui était {p. 56}dû à la véritable Religion, qui était aussi dès ce temps-là la religion des Empereurs, les spectacles cessassent absolument lorsque l'Eglise était occupée à honorer Dieu, pendant les grandes solennités. La seconde, de demander que les Chrétiens ne fussent point contraints à être, ni les acteurs, ni les spectateurs de ces Jeux défendus. Et la dernière, de lancer ses foudres sur ceux d'entre ses enfants qui désobéiraient à ses ordres et à sa discipline; de sorte que bien loin de tirer aucune conclusion de ce Concile en faveur de la Comédie, c'est des résolutions de cette célèbre Assemblée que nous tirons de plus fortes armes pour la détruire.

CANON LXII.
Du Concile d'ELVIRE, tenu l'an 305. §

Si des Comédiens veulent embrasser la Foi Chrétienne, Nous ordonnons qu'ils renoncent auparavant à leur {p. 57} exercice; et qu'ensuite ils y soient admis, de sorte qu'ils n'exercent plus leur premier métier. Que s'ils contreviennent à ce Décret, qu'ils soient chassés et retranchés de l'Eglise.

CANON LXVII.
Du même Concile. §

Il faut défendre aux femmes, et aux filles fidèles, ou catéchumènes, d'épouser des Comédiens. Que s'il y en a qui en épousent, qu'elles soient excommuniées.

CANON V.
Du premier Concile d'ARLES, tenu l'an 314. §

Quant aux Comédiens, Nous ordonnons qu'ils soient excommuniés tant qu'ils feront ce métier. {p. 58}

CANON II.
Du 3. Concile de CARTHAGE, tenu l'an 397. §

Qu'il soit défendu à tous Laïques d'assister aux Spectacles: Car il a toujours été défendu aux Chrétiens d'aller aux lieux qui sont souillés par les blasphèmes; c'est à dire, selon l'interprétation de Zonare, il a toujours été défendu aux Chrétiens d'aller aux lieux où l'on ne fait que des actions désordonnées et honteuses; et où par conséquent les Chrétiens qui y sont présents, sont cause que le nom de Dieu est blasphémé par les Infidèles, voyant le mépris que les Chrétiens font de la tempérance et de l'honnêteté.

CANON LXXXVIII.
Du 4. Concile de CARTHAGE, tenu l'an 398. §

Celui qui les jours de Fête, quitte l'Assemblée solennelle de l'Eglise pour aller aux Spectacles, qu'il soit excommunié. {p. 59}

CONCILE D'AFRIQUE, tenu l'an 424.

Canon 28. ou 61. selon le Code des Canons de l'Eglise d'Afrique. §

Il faut demander aux très-pieux Empereurs Théodose et Valentinien, qu'ils défendent les Spectacles des Théâtres, et des autres Jeux les Dimanches et les autres Fêtes que la Religion Chrétienne solennise; principalement, parce que comme pendant l'Octave de Pâques, le Peuple se trouve au Cirque, au lieu d'aller à l'Eglise, si la représentation des Spectacles qu'on a accoutumé de donner au Peuple, se rencontre en ces saints Jours, on doit remettre ces Jeux à un autre temps.

Il faut encore représenter aux très-pieux Empereurs qu'on ne doit point contraindre les Chrétiens d'assister aux Spectacles, ou d'en être les acteurs; car il ne faut persécuter personne, pour l'obliger de faire des choses qui {p. 60 }sont contraires aux Commandements de Dieu; mais on doit laisser chacun dans la liberté qu'il a reçue de Dieu pour en user comme il faut; surtout on doit considérer le danger où sont ceux qui sont du corps de ces personnes qui sont chargées du soin des Jeux publics, qu'on contraint par la terreur des peines, de se trouver aux Spectacles contre les Commandements de Dieu.

Les Empereurs Théodose, et Valentinien, ayant égard aux remontrances des Pères de ce Concile, publièrent cette Loi, qui est rapportée dans le Code de Théodose l'année suivante 425.

Nous défendons aux Peuples dans toutes les Villes de notre Empire les divertissements des Théâtres, et du Cirque le Dimanche, qui est le premier jour de la semaine, le jour de la Naissance de notre Sauveur Jésus-Christ, le jour de l'Epiphanie, les jours de Pasques, et de la Pentecôte, tant qu'on porte les habits blancs, qui par leur blancheur, comme par des rayons célestes figurent la nouvelle lumière qu'on reçoit au Baptême; Comme aussi les {p. 61} jours qu'on célèbre, avec grande raison la mémoire du martyre des Apôtres, qui sont les Maîtres de tous les Chrétiens; afin que les fidèles occupent tout leur cœur et tout leur esprit au service de Dieu, et que s'il y a encore des personnes qui suivent l'impiété des Juifs, ou l'erreur et la folie des Païens, ils reconnaissent que le temps des prières est bien différent du temps du divertissement, et des plaisirs, et afin que nul ne s'imagine qu'il est obligé d'assister aux Spectacles, ou de les représenter à notre honneur, par la vénération et le respect qu'il doit à la Majesté Impériale, sans avoir même égard au culte qu'on doit à Dieu, de peur de nous offenser en faisant paraître moins d'affection envers nous, qu'il n'avait accoutumé de faire; Nous voulons que tout le monde soit persuadé que le plus grand honneur que nous puissions recevoir des hommes, est que toute la terre rende à Dieu tout-puissant la soumission, et le service qui est dû à sa grandeur. {p. 62}

CONCILE D'AFRIQUE, tenu l'an 424.

Canon 30. ou 63. selon le Code des Canons de l'Eglise d'Afrique. §

Il faut aussi supplier les Empereurs, que si quelqu'un des Acteurs des Jeux publics veut recevoir la grâce du Christianisme, et sortir de cet état d'infamieII où il était, que personne ne le puisse obliger, ni contraindre de reprendre son premier métier.

Les Pères de ce Concile demandent l'exécution d'une Loi que les Empereurs Valens, Gratien et Valentinien avoient envoyée à Herasius Proconsul d'Afrique, l'an 381 pour la publier. Si les filles qui sont de la race infâme des Comédiens refusent de monter sur le Théâtre, qu'on les y contraigne; si toutefois elles n'ont point encore fait profession de la Foi, et de la Loi de la très sainte et vénérable Religion des Chrétiens, pour la garder toujours inviolablement {p. 63}; Nous ordonnons aussi, que les femmes à qui nous avons accordé par une grâce spéciale, de ne point exercer cet honteux métier, jouissent toute leur vie de cette exemption, sans qu'on les puisse contraindre de rentrer dans la Compagnie de Comédiens.

CANON CXXI
Du Code des Canons de l'Eglise d'Afrique. §

Que les personnes infâmes, tels que sont les Comédiens, ne soient point reçues à former des accusations.

CANON XX.
Du 2. Concile D'ARLES, tenu l'an 452. §

Quant aux Comédiens qui sont du nombre des Fidèles, Nous ordonnons qu'ils soient excommuniés tant qu'ils feront ce métier. {p. 64}

CANON LI.
Du sixième Concile général, tenu l'an 680. §

Ce saint Concile général condamne ceux qu'on appelle Comédiens, et défend entièrement leurs Spectacles, comme aussi les Danses qui se font sur le Théâtre. Si quelqu'un par mépris de ce Décret, vient à commettre quelque crime de ceux qui y sont défendus; si c'est un Ecclésiastique, qu'il soit déposé; et si c'est un Laïque, qu'il soit excommunié.

Sur quoi Zonare fait cette réflexion, les règles de la discipline Evangélique, bien loin de permettre aux Fidèles de s'abandonner au relâchement et à la dissolution, elles les obligent à se conduire vertueusement, et sans reproche, pour répondre à la sainteté de la Religion dont ils font profession; c'est pourquoi le Décret de ce Canon défend, et interdit tout ce qui relâche l'esprit, et dissipe son attention par un divertissement {p. 65} inutile qui cause le ris dissolu, et des réjouissances immodestes.

CANON IX.
Du 3. Concile de CHALONS, tenu l'an 813. §

Les Prêtres doivent s'éloigner de tous les objets qui ne font que charmer les oreilles, et surprendre les yeux par des apparences vaines, et pernicieuses, et ils ne doivent pas seulement rejeter et fuir les Comédiens, les Farces et les Jeux déshonnêtes; mais ils doivent encore représenter aux Fidèles, l'obligation qu'ils ont de les rejeter et de les fuir. {p. 66}

REGLEMENT DE SAINT CHARLES BORROMEE
Tiré du second Synode Diocésain de Milan, tenu l'an 1568. §

Dans le Chapitre de la seconde Partie, où il traite de l'obligation des Prédicateurs à reprendre continuellement les pernicieuses coutumes, qui sont la source des péchés, et à persuader de les abolir.

Que les Prédicateurs reprennent continuellement les plaisirs qui portent au péché, auxquels les personnes qui suivent le dérèglement d'une coutume dépravée se laissent emporter si facilement; que les Prédicateurs s'efforcent de rendre ces choses odieuses; qu'ils représentent au peuple combien est grande l'offense et l'injure que Dieu en reçoit; que c'est de là que viennent tant de maux; que c'est ce qui cause les calamités {p. 67} et les misères publiques, et une infinité de malheurs.

Qu'ils représentent sans cesse combien les Spectacles, les Jeux, et les autres divertissements semblables, qui sont des restes du Paganisme sont contraires à la discipline Chrétienne; combien ils sont exécrables, et détestables; combien de maux et d'afflictions publiques ils attirent sur le Peuple chrétien; et pour en persuader leurs auditeurs, ils emploieront les raisons dont se servent ces grands Personnages, Tertullien, Saint Cyprien martyr, Salvien, et Saint Chrysostome, ils n'omettront rien sur ce sujet de ce qui peut contribuer à détruire entièrement ces dérèglements et ces débauches.

Ils prêcheront souvent avec force contre les Danses, et le Bal, par lequel sont excitées les passions les plus dangereuses: Enfin ils emploieront tous leurs soins à représenter avec un zèle pieux, et avec autant de véhémence, qu'il leur sera possible, combien les Comédies, qui sont la source et la base presque de tous les maux, et de tous les crimes, sont {p. 68} opposées aux devoirs de la discipline Chrétienne, et combien elles sont conformes aux dérèglements des Païens; et que comme elles sont une pure invention de la malice du Démon, le Peuple chrétien les doit entièrement abolir.

CONCILE DE BOURGES, tenu l'an 1584.
Tit. des Laïques.
CAN. 4. §

Ce Concile exhorte tous les Chrétiens de se conduire de telle sorte, que leur vie réponde à la dignité, et à l'honneur du nom de Jésus-Christ, et de fuir autant qu'il leur sera possible, les Danses, les Jeux publics, les Comédies, les Masques et les Jeux de hasard.

Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles §

{p. 71}

Avertissement §

Les passages des Pères qu'on emploie dans cet ouvrage pour montrer que la Comédie est un divertissement défendu à ceux qui font profession de la Religion Chrétienne, sont de trois sortes. Ou ils sont contre les Spectacles en général, dans lesquels la Comédie est {p. 72}comprise, où ils entrent dans le détail des différentes sortes de Spectacles, et ils n'y oublient jamais la Comédie, ou bien ils sont particulièrement contre la Comédie, sans parler des autres Spectacles.

Ceux qui défendent les Spectacles en général condamnent le Théâtre aussi bien que l'Amphithéâtre, et le Cirque, parce qu'ils comprennent tous les Spectacles. Ceux qui entrent dans le détail mettent très peu de différence entre la vanité du Cirque, les fureurs de l'Amphithéâtre, et les désordres du Théâtre, et ceux qui attaquent le Théâtre en particulier sont en si grand nombre, si exprès et si étendus, qu'ils ne laissent rien à dire ou à penser sur ce sujet, parce qu'ils épuisent la matière. Il est certain qu'il n'y a rien dans toute la doctrine des mœurs que les Pères aient traité plus à fond, ni où ils se soient mieux précautionnés contre tous les faux raisonnements dont on se devait servir dans la suite des siècles pour justifier la Comédie, de sorte qu'ils n'ont laissé aucun moyen à ses défenseurs de donner à ce {p. 73}qu'ils en ont écrit, des interprétations à leur mode, ni aucun lieu de douter de leurs sentiments, à ceux qui cherchent la vérité dans la tradition de l'Eglise, dont ils sont les dépositaires.

Personne ne nie que les désordres de la Comédie, contre lesquels les Pères ont employé leur zèle et leur éloquence, ne fussent des désordres véritables. Mais beaucoup de gens prétendent qu'il n'y a rien de si différent que la Comédie des siècles passés, qui a été l'objet de leur colère et de leur indignation, et la Comédie moderne. Que la première était pleine d'idolâtrie, de superstition et d'impureté ; et que la dernière est exempte de tous ces vices, contre lesquels les Pères se sont principalement étendus. Or il faut avouer de bonne foi que la Comédie moderne est exempte d'idolâtrie et de superstition: mais il faut qu'on convienne aussi qu'elle n'est pas exempte d'impureté ; qu'au contraire cette honnêteté apparente, qui avait été depuis quelques années le prétexte des approbations mal fondées qu'on donnait à la Comédie, commence {p. 74}présentement à céder à une immodestie ouverte et sans ménagement, et qu'il n'y a rien par exemple de plus scandaleux que la cinquième Scène du second Acte de l'Ecole des Femmes, qui est une des plus nouvelles Comédies.

Il faut qu'on convienne encore que, si l'idolâtrie et la superstition en sont bannies, l'impiété leur a succédé. Y a-t-il une Ecole d'athéisme plus ouverte que le Festin de Pierre, où après avoir fait dire toutes les impiétés les plus horribles à un athée, qui a beaucoup d'esprit, l'Auteur confie la cause de Dieu à un valet, à qui il fait dire, pour la soutenir, toutes les impertinences du monde ; Et il prétend justifier à la fin sa Comédie si pleine de blasphèmes, à la faveur d'une fusée, qu'il fait le ministre ridicule de la vengeance divine; même pour mieux accompagner la forte impression d'horreur qu'un foudroiement si fidèlement représenté doit faire dans les esprits des spectateurs, il fait dire en même temps au valet toutes les sottises imaginables sur cette aventure.

Mais comme ces choses sont si claires {p. 75}et si évidentes qu'elles n'ont pas besoin de preuves; et que le dessein de cet ouvrage a été principalement de montrer que la Comédie moderne, revêtue même de toute son honnêteté prétendue, est un mal, et que les Pères l'ont condamnée par les endroits qui paraissent les plus innocents à ceux qui ne savent pas assez quelle est la sainteté de la morale chrétienne, il faut faire voir dans cet avertissement les sentiments de ces grands hommes sur ce sujet, recueillis en peu de paroles, afin que ceux qui liront les traductions suivantes aient moins de peine à les remarquer lorsqu'ils les trouveront répandus dans leurs Ouvrages.

TatienTatien défend la Comédie aux Chrétiens, parce qu'elle est pleine de choses frivoles et inutiles.

TertullienTertullien, Apologeticum, chap. 38. la défend, parce que les Chrétiens ignorent toutes sortes de réjouissances.

Que l'Ecriture sainteTertullien, De Spectaculis, Chap. 14. condamne toute sorte de concupiscence et de volupté ; que l'esprit de l'homme n'est pas assez insensible pour n'être pas agitéChap. 15. de quelque {p. 76} passion secrète, même dans l'usage le meilleur, et le plus modéré des Spectacles ;Contre ceux qui disent qu'ils n'en reçoivent aucune impression, et qu'ils n'y font point de mal. que quand même on assisterait à la Comédie sans affection et sans plaisir, on ne laisserait pas d'être coupable du péché de vanité : que la vanité et l'occupation à des choses inutiles est un péché : que le monde est l'ouvrage de Dieu; mais que les œuvres du monde sont l'ouvrage du Diable, et que la Comédie doit être mise au nombre des œuvres du monde ; que la Comédie, en elle-mêmeChap. 25. nous éloigne de Dieu et de l'esprit chrétien ; qu'en l'état même le plus honnête où on la puisse mettre,Chap. 27. c'est une volupté interdite aux Chrétiens ; mais surtout dans les chapitres 28, 29 et 30 de son traité contre les spectacles, il établit merveilleusement quels doivent être les plaisirs des Chrétiens, par opposition à ceux dont il prétend leur défendre l'usage.

Clément d'Alexandrie ne lui est pas plus favorable par les mêmes raisons, et surtout par le danger dans lequel se mettent les hommes et les femmes qui vont dans ces assemblées pour se regarder. Et {p. 77}par l'inutilité et la vanité de ce divertissement.

Minutius Félix compare les fureurs de l'Amphithéâtre aux passions qu'un Comédien émeut, lorsqu'il feint d'en être ému lui-même.

St CyprienSaint Cyprien dans l'Epistola Ad Donatum. dit qu'en y représentant des parricides, on y enseigne ce qu'on peut faire par l'exemple de ce qu'on a fait ; que les comédiens émeuvent les sens, qu'ils flattent les passions, et qu'ils abattent la plus forte vertu ; que quelque innocente que fût la ComédieChap. 12 des Spectaculis. en elle-même, elle ne serait toujours qu'un dérèglement de vanité, qui ne convient pas à ceux qui font profession du Christianisme.

Lactance Firmien y condamne le changement d'habits d'un sexe à l'autre : il nous avertit aussi que le sens de l'ouïe nous est donné pour entendre les enseignements de Dieu, et pour ouïr chanter ses louanges.

Saint Ambroise Saint Ambroise au Traité de la suite du siècle, et sur le 37 verset du Psaume 218.condamne la Comédie en plusieurs endroits par sa seule vanité.

Saint Jean Crysosthome veut qu'on {p. 78}se consulte soi-même, et qu'on remarque la différence de l'état auquel on se trouve lorsqu'on revient de l'Eglise, et de celui auquel on est lorsqu'on revient de la Comédie.

Saint Augustin,Saint Augustin, livre 3, Confessiones, chapitre 2. qui a mieux connu la corruption du cœur de l'homme qu'aucun Père de l'Eglise, déplore dans ses Confessions l'amour qu'il avait avant sa conversion pour les Comédies, et le plaisir qu'il sentait à y être ému de douleur. Il dit que ce plaisir vient d'une étrange maladie d'esprit, et qu'on est d'autant plus touché de ces aventures Poétiques, qu'on est moins guéri de ses passions. Il reconnaît devant Dieu, comme un grand mal, le sentiment qui le portait, lorsqu'il voyait représenter des Amants qui étaient contraints de se séparer, à s'affliger avec eux. Je ferais un volume, et non pas un avertissement, si je voulais rapporter les sentiments de tous les Pères des autres siècles ; on les verra dans les traductions suivantes, et on les trouvera conformes à ceux des premiers siècles; ils désapprouvent tous la Comédie, par tous ces {p. 79}endroits qui se trouvent dans celles de ce temps d'une manière encore plus délicate, et par conséquent plus dangereuse que dans les Comédies anciennes.

Si quelqu'un persiste après cela à préférer son jugement particulier à celui de l'Eglise, qui a toujours suivi comme une de ses plus importantes règles le consentement unanime des Pères, et qu'il continue à approuver un divertissement qu'ils condamnent, il ne faut pas essayer de lui prouver davantage une vérité si certaine; mais il suffit de lui dire ce que dit saint Athanase à un évêque de Corinthe, vos sentiments ne sont point ceux de l'Eglise orthodoxe, et nos ancêtres ne les ont point eus. {p. 80}

1. SIECLE. §

Dans le Chap. 32. du Livre 8. des Constitutions Apostoliques. §

Que celui qui est attaché aux Spectacles du Théâtre, quitte cet attachement, ou qu'il ne soit point admis à recevoir le Baptême.

2. SIECLE. §

THEOPHILE Patriarche d'Antioche,
Dans le 3. Livre à Autolique, contre les Calomniateurs de la Religion Chrétienne. §

Il nous est défendu d'être spectateurs des duels, de peur que nous ne devenions complices des meurtres qui s'y font: Nous n'osons pas assister aux autres Spectacles, de peur que nos yeux n'en soient souillés, et que nos oreilles ne soient remplies de vers profanes qu'on y {p. 81} récite; comme lors qu'on décrit les crimes, et les actions tragiques de Thyeste, et qu'on représente Terrée mangeant ses propres enfants; et il ne nous est pas permis d'entendre raconter les adultères des Dieux, et des hommes, que les Comédiens attirés par l'espoir du gain, célèbrent avec le plus d'agrément qu'il leur est possible: Mais Dieu nous garde, nous qui sommes Chrétiens, dans qui la modestie, la tempérance, et la continence doivent reluire, qui regardons comme seul légitime le Mariage avec une seule femme, nous chez qui la chasteté est honorée, qui fuyons l'injustice, qui bannissons le péché, qui exerçons la justice, dans qui la Loi de Dieu règne, qui pratiquons la véritable Religion, que la vérité gouverne, que la grâce garde, que la paix protégé, que la parole divine conduit, que la sagesse enseigne, que Jésus-Christ qui est la véritable vie régit, et que Dieu seul règle par l'empire qu'il a sur nous: Dieu nous garde, dis-je, de penser à de tels crimes, bien loin de les commettre. {p. 82}

TATIEN
Dans le Traité qu'il a composé contre les Grecs. §

A quoi me sert un Oreste furieux, ainsi qu'Euripide le représente, ou un autre qui vient nous entretenir du meurtre qu'Alcméon fît de sa mère, ou bien celui qui porte un masque, ou qui fait des grimaces ayant l'épée au côté, et jetant des cris, ou celui qui s'habille d'une manière indigne d'un homme; laissons les fables d'Agesilaus, et du Poète Ménandre; pourquoi perdrais-je le temps à admirer dans les fables un Joueur de flute, et pourquoi m'arrêterais-je à considérer un Antigenide Thébain, disciple de Philoxene, qui faisait ce métier ? Nous vous laissons ces choses frivoles et inutiles, mais croyez plutôt les vérités de notre Religion, et quittez à notre exemple ces badineries. {p. 83}

TERTULLIEN
Dans l'Apologétique. §

Chap. 15. §

Tous ces esprits libertins qui travaillent pour vous donner du plaisir, tirent leurs sujets des actions déshonnêtes qu'ils attribuent à vos Dieux; Quand vous voyez jouer les pièces divertissantes d'un Lentulus, et d'un Hostilius, dites-moi si ce sont vos Farceurs, ou vos Dieux qui vous font rire; vous y entendez parler d'un Anubis impudique, d'une Lune de sexe masculin, et d'une Diane qui a été fouettée; On y récite le testament d'un Jupiter qui est mort; On y fait des railleries des trois Hercules affamés. Outre cela les Comédies, et les Tragédies expriment tout ce qu'il y a de honteux dans l'histoire de vos Dieux: vous regardez avec plaisir le Soleil plaindre le malheur de son fils qui est tombé du Ciel; vous voyez sans rougir que Cybèle soupire pour un berger qui la méprise; vous souffrez que l'on représente {p. 84} tous les crimes de Jupiter, et que Paris juge le différent de Junon, de Minerve, et de Venus. Mais n'est-ce pas quelque infâme qui se masque du visage de votre Dieu ? N'est-ce pas quelque vicieux qui paraît sur la Scène, avec un port contraint, et une voix efféminée, pour faire une Minerve, ou un Hercule ? Dites-moi, si quand vous approuvez ces sacrilèges par les louanges, et les applaudissements que vous leur donnez, vous ne violez pas la majesté des Dieux, et vous ne profanez pas la divinité ?

Chap. 38. §

Nous renonçons à vos Spectacles, comme nous en condamnons les diverses origines, par la connaissance que nous avons que ce sont des effets de la superstition, et de l'idolâtrie. Enfin nous nous moquons de tout ce qui s'y passe, nous n'avons aucun commerce avec les fureurs du Cirque, avec l'impudicité du Théâtre, avec les vains exercices des Athlètes, et avec les cruautés de l'Amphithéâtre. Il a été permis aux Epicuriens {p. 85} de se feindre une volupté, en laquelle ils ont établi la vérité du souverain bien; en quoi donc vous offensons-nous ? si nous prenons d'autres voluptés que vous; Mais si nous voulons ignorer toutes sortes de réjouissances, il me semble que ce n'est pas votre intérêt, et que si en cela il y a quelque perte; Elle tombe toute sur nous. Nous rejetons, dites-vous, les choses qui vous plaisent: Nous avons droit de le faire, puisque nos plaisirs ne sont pas les vôtres.

TERTULLIEN
Dans le Traité des Spectacles. §

Chap. 1. §

Serviteurs de Dieu qui êtes prêts d'entrer au service de sa divine Majesté; et vous qui y êtes entrés par la confession, et par la déclaration que vous en avez fait au Baptême, sachez et reconnaissez que l'état de la Foi, l'ordre de la vérité, et la Loi de la discipline Chrétienne, condamnent absolument le divertissement des Spectacles, comme {p. 86} les autres dérèglements du monde, afin qu'aucun de vous ne pèche par ignorance, ou par dissimulation. Car la volupté a un si grand pouvoir sur les hommes, qu'elle les porte à embrasser les occasions du péché par l'ignorance, et à trahir leur conscience par la dissimulation.

Chap. 3. §

Il y a des fidèles, qui par simplicité ou par défaut de docilité, ont peine à croire qu'ils soient obligés de se priver du divertissement des Spectacles, parce, disent-ils, qu'il ne paraît point dans l'Ecriture sainte que cela soit défendu aux serviteurs de Dieu. Il est vrai que nous ne trouvons pas dans la sainte Ecriture cette défense en termes exprès: vous n'irez point au Cirque, vous n'assisterez point aux Comédies, vous ne serez point spectateurs des combats des Athlètes, ou des Gladiateurs: comme il est dit en termes formels. Vous ne tuerez point, vous n'adorerez point les Idoles; vous ne commettrez point d'adultère; {p. 87} vous ne déroberez point; vous ne ferez point injure à votre prochain. Mais néanmoins la condamnation des Spectacles est assez clairement exprimée, par ces premières paroles des Psaumes de David. Bien heureux est l'homme qui n'est point allé dans le conseil des impies, qui ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs, et qui ne s'est point assis dans la chaire de pestilence.

Chap. 14. §

Peut-on dire que les Spectacles ne sont pas défendus par la sainte Ecriture; puis qu'elle condamne toute sorte de concupiscence ? Car comme la concupiscence comprend l'avarice, l'ambition, la gourmandise, et la luxure, elle comprend aussi la volupté. Or les Spectacles sont une espèce de volupté.

Chap. 4. §

Je passe à l'autorité principale qui est tirée du sceau de notre Foi. Lors que dans l'eau du Baptême nous faisons {p. 88} profession de la Foi de Jésus-Christ, selon la forme et la manière de sa Loi; Nous déclarons de notre propre bouche que nous avons renoncé au Diable, à ses pompes et à ses Anges. Or qu'est-ce qui est principalement, et sur toutes choses attribué au Diable, à ses pompes, et à ses Anges, sinon l'idolâtrie, qui comprend tous les esprits d'impureté et de malice ? Si nous faisons donc voir qu'il est constant, que tout l'appareil des Spectacles appartient à l'idolâtrie, il s'ensuit par une conséquence indubitable, que par le témoignage, et par la promesse solennelle, que nous avons fait au Baptême de renoncer au Diable, à ses pompes, et à ses Anges, nous avons aussi renoncé aux Spectacles.

Chap. 10. §

Quant aux Comédies, si nous considérons l'origine du Théâtre, qui est le lieu où elles sont représentées, nous trouverons que c'est le Temple de Venus. C'est sous ce titre qu'il a été établi dans le monde; car auparavant dés {p. 89}qu'on dressait des Théâtres, souvent les Censeurs les faisaient abattre pour conserver la pureté des mœurs dont ils prévoyaient la corruption, et la ruine inévitable, si l'on souffrait la licence des Spectacles. Ainsi les sentiments des Païens qui sont aussi les nôtres en ce point, leur sont un témoignage de l'impiété des Comédies. Comme les règlements même de la discipline humaine nous servent de préjugé contre ce dérèglement. Le Grand Pompée qui s'est surmonté lui-même par la magnificence de son Théâtre, ayant bâti cet asile de toutes sortes d'impuretés, craignant d'en être un jour repris par les Censeurs, et de s'attirer par là quelque flétrissure injurieuse à sa mémoire, fit bâtir en ce lieu un Temple à l'honneur de Venus, et dans l'Edit qu'il publia pour appeler le Peuple à la consécration de cet Edifice, il ne lui donna point le nom de Théâtre, mais de Temple de Venus, au-dessus duquel, dit-il, nous avons mis des sièges pour ceux qui assisteront aux Spectacles: ainsi sous le titre d'un Temple, il éleva ce bâtiment détestable, {p. 90} employant la superstition pour se jouer de la discipline. Et ce lieu n'est pas seulement consacré à Venus, il est aussi dédié à Bacchus. Ces deux Démons de l'ivrognerie, et de l'impureté, sont unis ensemble; de sorte que le Théâtre est la maison de Venus, et de Bacchus. Les Arts aussi qui appartiennent à la Comédie sont sous la protection de Venus, et de Bacchus. L'Art qui règle les gestes, et les différentes postures du corps, qui appartient proprement à la Comédie, est consacré à la mollesse de Venus et de Bacchus, qui sont deux Démons également dissolus, l'un en ce qui regarde le sexe, et l'autre en ce qui regarde le luxe et la débauche. Les concerts de Musique, de Violes et de Luths sont dédiés à Apollon, aux Muses, à Minerve et à Mercure, qui les ont inventés. Vous qui êtes Chrétiens haïssez et détestez ces choses dont les Auteurs ne peuvent être que l'objet de votre haine, et de votre aversion. {p. 91}

Chap. 15. §

Quelque bon et modéré que soit l'usage que les hommes peuvent faire des Spectacles, selon leur dignité, selon leur âge, ou même selon la condition de leur nature, néanmoins leur esprit n'est point si insensible qu'il ne soit agité de quelque passion secrète: nul ne reçoit de plaisir sans affection; et il n'y a point d'affection qui ne soit accompagnée de ces circonstances, qui l'excitent: Que si quelqu'un assiste à la Comédie sans affection et sans plaisir, il ne laisse pas d'être coupable du péché de vanité, allant en un lieu où il ne profite de rien; Or j'estime que la vanité ou l'occupation en des choses inutiles est un péché dont nous devons nous éloigner: Mais d'ailleurs celui qui assiste à la Comédie, ne se condamne-t-il pas lui-même, puis qu'en ce qu'il ne voudrait pas être semblable à ces Acteurs, il confesse qu'il les déteste: Quant à nous, il ne nous suffit pas de ne commettre rien de semblable; mais nous sommes encore obligés de ne point {p. 92}favoriser de notre consentement, et de notre approbation ceux qui commettent ces crimes: si vous voyez un larron, dit le Roi Prophète, Ps. 49. v. 18. vous courez avec lui. Plût à Dieu qu'il nous fût possible de ne point vivre en ce monde parmi ces gens-là: mais au moins nous devons nous séparer des œuvres du monde, parce que le monde est un ouvrage de Dieu, mais les œuvres du monde sont l'ouvrage du Diable.

Chap. 18. §

Si les Tragédies et les Comédies sont des représentations de crimes et de passions déréglées, elles sont sanglantes, lascives, impies, et d'une dépense désordonnée, car la représentation d'un crime énorme, ou d'une chose honteuse n'est point meilleure que ce qu'elle représente: Comme il n'est point permis d'approuver un crime dans l'action qui le commet, il n'est pas aussi permis de l'approuver dans les paroles qui nous le font connaître. {p. 93}

Chap. 22. §

Les Auteurs des Spectacles, et ceux qui sont chargés de les faire représenter abaissent autant les Comédiens, qu'ils relèvent la Comédie; ils les déclarent infâmes par leurs Edits, ils leur font changer d'état pour les exclure de la Cour, du Barreau, du Senat et de l'Ordre des Chevaliers; ils les privent de tous honneurs, et de toutes dignités. Qui vit jamais un pareil désordre ? ils aiment ceux qu'ils condamnent, ils méprisent ceux qu'ils approuvent, ils estiment l'Art, et ils notent d'infamie ceux qui l'exercent: N'est-ce pas un étrange jugement que de flétrir un homme pour cela même qui le rend recommandable ? ou plutôt n'est-ce pas avouer clairement qu'une chose est pernicieuse lors que ceux qui la font, quelque agréables qu'ils soient, sont notés d'infamie ?

Chap. 23. §

Puisque les hommes quelques favorables {p. 94} qu'ils soient aux divertissements de la volupté, jugent ceux qui en sont les acteurs, indignes d'être admis aux dignités, et qu'ils les notent d'infamie, combien plus sévère sera le jugement que la Justice de Dieu exercera contre eux ?

Chap. 25. §

Un homme pensera-t-il à Dieu dans les lieux où il n'y a rien de Dieu ? apprendra-t-il à être chaste lors qu'il se trouve tout transporté et comme enivré du plaisir qu'il prend à la Comédie ? Mais il n'y a rien de plus scandaleux dans tous les Spectacles, que de voir avec quel soin, et avec quel agreement les hommes et les femmes y sont parés; l'expression de leurs sentiments conformes ou différents pour approuver ou pour désapprouver les choses dont ils s'entretiennent, ne sert qu'à exciter dans leurs cœurs des passions déréglées: Enfin nul ne va à la Comédie qu'à dessein de voir, et d'y être vu: Comment un homme se représentera-t-il les exclamations d'un Prophète, en même temps qu'il {p. 95} sent frapper ses oreilles par les cris d'un Acteur de Tragédie ? Comment repassera-t-il en sa mémoire quelque chose des Psaumes, lors qu'il rend son esprit attentif aux vers que récite un Comédien ? à Dieu ne plaise que ses serviteurs se laissent emporter à une telle passion, pour un plaisir pernicieux; car n'est-ce pas un aveuglement étrange de quitter l'Eglise de Dieu pour courir à celle du Diable ? c'est tomber du Ciel, comme on dit, dans un égouts d'ordures: N'est-ce pas une chose honteuse d'honorer les Comédiens de votre approbation, et de vos applaudissements en frappant des mains, que vous venez d'élever pour invoquer le nom de Dieu ?

Chap. 26. §

Pourquoi donc ces gens qui vont aux Spectacles ne sont-ils pas possédés du Démon ? Nous en avons l'exemple d'une femme dont Dieu est témoin, laquelle étant allée à la Comédie en sortit avec un Démon dans son corps; et comme on pressait ce malin esprit dans {p. 96} l'exorcisme, sur ce qu'il avait eu la hardiesse d'attaquer une fidèle. Il répondit hardiment, j'ai eu droit de le faire, puisque je l'ai trouvée dans un lieu qui m'appartient: Une autre femme étant aussi allée à une Tragédie, la nuit suivante elle vit en songe un suaire, et il lui sembla qu'on lui reprochait la faute qu'elle avait commise d'avoir assisté à cette Tragédie, en lui représentant même le nom de l'Acteur; ce qui l'effraya tellement qu'elle mourut cinq jours après: Combien d'autres exemples y a-t-il de ceux qui suivant le party du Démon dans les Spectacles, ont secoué le joug du Seigneur, car personne ne peut servir deux Maîtres: Quel commerce peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres; entre la vie, et la mort.

Chap. 27. §

Chrétiens, ne fuirez-vous point ces sièges des ennemis de Jésus-Christ, cette chaire de pestilence, cet air tout infecté par ces voix exécrables ? Encore qu'il n'y eut rien dans les Spectacles qui {p. 97} ne fut doux, agréable, simple, et qu'il y eût même quelque chose d'honnête, ils n'en seraient pas moins dangereux; car comme personne ne mêle le poison avec du fiel, ou avec de l'Ellébore, mais on le met dans les viandes bien apprêtées, douces, et agréables au goûts; de même le Diable répand son venin sur les choses de Dieu les plus agréables; Que tout ce quiIII se passe à la Comédie soit généreux, honnête, harmonieux, charmant et subtil ? Regardez tout cela comme un breuvage de miel dans une coupe empoisonnée; et considérez qu'il y a plus de péril à se laisser emporter à la volupté, qu'il n'y a de plaisir à s'en rassasier.

Chap. 28. §

Pendant que le monde se réjouira, dit notre Seigneur, vous serez dans la tristesse. Pleurons donc pendant que les gens du monde, et les Païens se réjouissent, afin que lors qu'ils commenceront à tomber dans l'état épouvantable de douleur, que la Justice de Dieu leur {p. 98}reserve, nous puissions entrer dans la joie que notre Seigneur prépare aux prédestinés: Car si nous voulons être dans la joie avec eux en ce monde, nous serons affligés avec eux éternellement. C'est une grande sensualité à des Chrétiens de chercher leurs plaisirs en ce monde; ou plutôt, c'est une étrange manie de considérer, comme un véritable plaisir, les voluptés de ce siècle. Quelques Philosophes ont donné ce nom au repos, et à la tranquillité, ils en ont fait l'objet de leur joie, de leur application, et de leur gloire; et vous Chrétiens, vous ne soupirez qu'après les Comédies ? Nous sommes si éloignés de pouvoir vivre sans volupté, que même nous devons trouver de la volupté dans la mort; car notre plus grand désir doit être à l'imitation de l'Apôtre, de sortir de cette vie, et souhaiter d'être unis à Dieu. Or nous devons trouver nos délices dans l'accomplissement de nos désirs.

{p. 99}
CHAP. 29. §

Vous voulez passer toute votre vie dans les délices ? C'est une étrange ingratitude de n'estimer pas autant qu'il le faut, de ne vouloir pas même, connaître les abondantes et précieuses délices que Dieu vous a préparées : Qu'y a-t-il de plus aimable, et de plus propre à nous donner une extrême joie; que d'être réconciliés avec Dieu ; que d'être éclairés de sa vérité ; que de connaître les erreurs qui lui sont opposées ; que d'être assurés du pardon de tant de crimes que l'on a commis ? Quelle plus grande volupté peut-on sentir, que celle qui nous dégoute de toutes les autres voluptés, qui nous fait mépriser le siècle; qui nous établit dans une véritable liberté ; qui conserve la pureté de notre conscience ; qui nous rend satisfaits de notre condition présente; qui fait que nous n'avons aucune crainte de la mort; qui nous fait fouler aux pieds les Idoles des Païens; qui nous tend victorieux des Démons; {p. 100}qui fait que nous ne vivons que pour Dieu ? Ce sont là les voluptés des Chrétiens; ce sont là leurs Spectacles, Spectacles saints, éternels, et qui leur sont donnés gratuitement. Ils nous représentent les Jeux du Cirque d'une manière mystérieuse : au lieu d'y voir la course des Chariots, représentez-vous le cours du siècle, et du temps qui passe ; considérez l'espace de votre vie ; et au lieu du terme et du bout de la carrière, regardez la fin du monde ; au lieu des partis du Cirque, défendez le parti de l'Eglise ; attendez avec vigilance le signal que Dieu vous donnera pour vous présenter devant son Tribunal: Tenez-vous prêts au son de la Trompette, et à la voix de l'Ange qui vous avertira: Considérez la victoire, et la couronne des Martyrs, comme l'objet de votre gloire. Aimez-vous les doctes Comédies ? Il y a plus de doctrine dans nos Exercices ; Les vers y sont plus beaux, les sentences plus solides, les airs plus agréables, les voix plus charmantes : au lieu des fables, vous y trouverez des vérités, au lieu des {p. 101}fourberies, une sainte simplicité ; Vous y verrez l'impureté bannie par la Chasteté ; la perfidie détruite par la Foi ; la cruauté abattue, par la Miséricorde; l'insolence chassée par la Modestie. Ce sont là nos Spectacles où nous sommes couronnés.

Chap. 30. §

Mais quel sera ce Spectacle, qui s'approche de l'avènement du Seigneur, lors qu'il viendra faire éclater sa Majesté; lors qu'il paraîtra tout brillant de gloire dans la pompe d'un magnifique triomphe ? Elle sera la joie des Anges ? Quelle sera la gloire des Saints qui ressusciteront ? Quelle sera la magnificence du Royaume qui est préparé aux Justes ? Quel sera l'éclat de la nouvelle Cité de Jérusalem ? Mais ce sera bien un autre Spectacle, lors que le dernier jour du Jugement arrivera, d'où dépend l'éternité des peines, ou des récompenses ; ce jour que les Nations n'accèdent point ; ce jour donc elles se moquent, ors que le monde si vieux; et {p. 102}tout ce qui a été produit, sera consumé par un commun embrasement. Quelle sera l'étendue de ce Spectacle ? Avec quelle admiration, avec quel plaisir, avec quels transports de joie et d'allégresse verrai-je tant de Rois, qu'on disait avoir été élevés dans le Ciel, gémir dans le fond des ténèbres de l'Enfer avec Jupiter, et les témoins de leur fausse Divinité ? Alors les Acteurs des Tragédies se feront mieux entendre, poussant leurs plaintes d'une voix plus éclatante dans leur propre misère. Alors les Comédiens feront mieux paraître leur souplesse, étant devenus plus légers et plus agiles par le feu qui les pénètrera, etc. Il n'y a point de Préteur, de Consul, de Questeur, de Pontife, quelque libéralité qu'il déploie, qui vous puisse faire voir ces choses qui vous puisse donner ce plaisir : Néanmoins la Foi vous les représente dès à présent par les Images qu'elle en forme dans vos esprits ; et après cette vie vous verrez ce que l'œil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, et que l'esprit de l'homme n'a jamais conçu. Je crois que {p. 103}les représentations du Cirque, du Théâtre, de l'Amphithéâtre, et tous les efforts de l'industrie des hommes, n'égalent point ces Spectacles.

CLEMENT D'ALEXANDRIE
Dans le 3. Livre du Pédagogue, l'an 204. §

Chap. II. §

Jésus-Christ, qui est: notre Pédagogue, ne nous conduira point aux Spectacles. On peut justement appeler les Théâtres, et la carrière des courses publiques, une Chaire de pestilence ; Car tout ce qui se fait en ces Lieux est plein de confusion et d'iniquité : Ces assemblées ne fournissent que trop de sujets d'impureté, où les hommes et les femmes étant ensemble, s'occupent à se regarder : C'est là où se tiennent de pernicieux conseils, lors que les regards lascifs excitent de mauvais désirs ; et les yeux étant accoutumés à regarder impudemment les objets qui sont auprès d'eux, se servent de l'occasion qui se {p. 104}présente pour satisfaire leur cupidité. C'est pourquoi ces Spectacles doivent être défendus, où l'on ne voit que des choses mauvaises, et on n'entend que des paroles dissolues : Car y a-t-il rien de honteux qu'on ne représente sur les Théâtres ? Et y-a-t-il de parole insolente, que les Comédiens et les Farceurs ne profèrent, pour faire rire ; de sorte que ceux qui par leur inclination y prennent plaisir, en emportent chez eux de vives images empreintes dans leur esprit. Et ceux qui ne sont pas touchés de ces choses, ne se laissent-ils pas au moins emporter à des plaisirs inutiles ? S'ils disent que les Spectacles leur servent seulement de jeu et de divertissement pour relâcher leur esprit; Nous leur répondrons, qu'il ne faut jamais acheter un divertissement par une vaine et inutile occupation : car un homme sage ne préférera jamais ce qui est agréable, à ce qui est plus honnête et plus avantageux. {p. 105}

MINUTIUS FELIX §

l'an 206.

C'est donc avec raison que nous qui faisons profession des bonnes mœurs, et de la pudeur, nous nous abstenons de vos voluptés, de vos pompes, et de vos Spectacles, comme de choses mauvaises, et consacrées à de fausses divinités, dont nous savons la naissance et l'origine, et nous les condamnons comme des corrupteurs agréables : Car qui n'a horreur dans la course des Chariots, de voir la folie de tout un Peuple qui se querelle: Qui ne s'étonne de voir dans les Jeux des Gladiateurs, l'art de tuer les hommes : La fureur n'est pas moindre au Théâtre ; mais l'infamie y est plus grande : car un Acteur y représente les adultères, où il les récite : Et un Comédien lascif émeut les passions des autres, en feignant d'en avoir lui-même. {p. 106}

3. SIECLE. §

SAINT CYPRIEN §

L'an 250. dans l'Epître à Donat. §

Vous verrez dans les Théâtres des choses qui vous donneront de la douleur, et qui vous feront rougir; c'est le propre de la Tragédie d'exprimer en vers les crimes de l'antiquité: On y représente si naïvement les parricides et les incestes exécrables des siècles passés, qu'il semble aux spectateurs qu'ils voient encore commettre électivement ces actions criminelles, de peur que le temps n'efface la mémoire de ce qui s'est fait autrefois ; les hommes de quelque âge, et de quelque sexe qu'ils soient entendant réciter ce qui s'est déjà fait, apprennent que cela même se peut encore faire ; les péchés ne meurent point par la vieillesse du temps. Les années ne couvrent point les crimes, et on ne perd jamais le souvenir des mauvaises actions ; elles ont cessé d'être des crimes, et elles deviennent des exemples ; on {p. 107} rend plaisir à voir représenter dans la Comédie ce qu'on y peut faire en sa maison, ou à entendre ce qu'on y peut faire: On apprend l'adultère en le voyant représenter, et le mal qui est autorisé publiquement a tant de charmes, qu'il arrive que des femmes qui étaient peut-être chastes lors qu'elles sont allées aux Spectacles en sortent impudiques. Les Farceurs avec leurs gestes honteux ne corrompent-ils pas les mœurs, ne portent-ils pas à la débauche, n'entretiennent-ils as les vices ? Ils tirent leurs louanges de leur crime, plus ils sont impudiques, plus ils sont estimés habiles, et ce qui est honteux, on les regarde avec plaisir. Dans ces dispositions y a-t-il rien que ces gens-là ne puissent persuader ? Ils émeuvent les sens, ils flattent les passions, ils abattent la plus forte vertu: Ces corrupteurs agréables ne manquent pas d'approbateurs, qui leur servent à insinuer plus doucement leur poison dans les cœurs de ceux qui les écoutent. {p. 108}

Dans le Traité des Spectacles §

Quand même la sainte Ecriture ne défendrait pas aux Chrétiens d'aller aux Spectacles, la pudeur le leur devrait défendre: Lors que l'Ecriture commande quelque chose, elle exprime ce qu'elle commande ; mais lors qu'elle fait quelque défense, il y a des choses si honteuses, qu'elle trouve plus à propos de les défendre seulement en général, sans les exprimer en particulier. Si Dieu, qui est la souveraine vérité, fut entré dans ce détail, il aurait mal jugé du naturel de son Peuple, car l'expérience nous fait voir que souvent il vaut mieux ne point exprimer en particulier ce qu'on défend, pour ne pas donner occasion de le faire, puis qu'on se porte d'ordinaire aux choses défendues. Mais encore qu'il n'exprime pas ces crimes dans l'Ecriture, il ne laisse pas de les défendre, puisque la sévérité dont il use dans la punition de toutes sortes de crimes, le marque suffisamment, et la raison le fait connaître {p. 109} évidemment. Que chacun seulement se consulte soi-même, et qu'il considère l'état de sa profession, il ne fera jamais rien d'indécent; car il gardera plus exactement la loi qu'il se sera prescrit soi-même. Mais qu'est-ce donc que l'Ecriture a défendu ? Elle a défendu de regarder ce qu'il n'est pas permis de faire, elle a, dis-je, condamné toutes sortes de Spectacles, en condamnant l'Idolâtrie qui est la mère de tous les Jeux, d'où tous ces monstres de vanité et de légèreté sont sortis. Que fera donc un Chrétien dans ces Spectacles, s'il fuit l'Idolâtrie ? Que dira-t-il ? Peut-il prendre plaisir à des choses criminelles, lui qui est déjà sanctifié ? Approuvera-t-il contre le commandement de Dieu, les superstitions qu'il aime, lors qu'il en est spectateur ? Il doit savoir que c'est le Diable et non pas Dieu qui a inventé toutes ces choses: aura-t-il l'impudence d'exorciser dans l'Eglise les Démons, dont il loue les voluptés dans les Spectacles ? Ayant renoncé au Diable dans le Baptême, il a renoncé à tout ce qui lui appartient. Mais si après s'être {p. 110}uni à Jésus-Christ, il va aux Spectacles du Diable, il renonce à Jésus-Christ, comme il avait auparavant renoncé au Diable. L'Idolâtrie, comme j'ai déjà dit, est la mère de tous les Jeux; et pour attirer à soi les fidèles Chrétiens, elle les flatte, et les charme, par les voluptés des yeux, et des oreilles. Le Démon sachant que l'Idolâtrie toute nue donnait de l'horreur, il la revêtue de la volupté des Spectacles, pour la rendre aimable. Néanmoins tout le monde va aux Spectacles ; On se plaît à cette infamie publique, ou pour y reconnaître ses vices, ou pour les apprendre; on court à ce lieu infâmes, à cette école d'impureté, afin de ne faire pas moins de mal en secret, qu'on en a appris en public, et à la vue pour ainsi dire des Lois, on commet tous les crimes qui sont défendus par les Lois. Que fait la un fidèle Chrétien ? Il ne lui a pas même permis d'avoir une pensée d'impureté : Comment donc peut-il prendre plaisir aux représentations de l'impureté, et comment s'exposera-t-il à perdre toute pudeur dans ces {p. 111 }Spectacles, pour pécher après avec plus d'audace ? En s'accoutumant à voir la représentation des crimes, il apprend à les commettre, ainsi l'on aime tellement tout ce qui est défendu, qu'on se remet devant les yeux, même ce que le temps avait couvert. Le dérèglement est si grand, qu'on ne se contente pas d'être chargé de ses propres vices ; on se veut encore charger dans les Spectacles des excès de tous les siècles passez. En vérité il n'est nullement permis aux Chrétiens de se trouver en ces assemblées. Que dirai-je des vaines et inutiles occupations de la Comédie, et des grandes folies de la Tragédie ? Quand même ces choses ne seraient point consacrées aux Idoles, il ne serait pas néanmoins permis aux fidèles Chrétiens d'en être les acteurs, ni les spectateurs; et quelques innocentes qu'elles fussent, ce ne serait toujours qu'un dérèglement de vanité, qui ne convient point à ceux qui font profession du Christianisme. Les fidèles Chrétiens doivent fuir ces Spectacles, qui sont, comme nous {p. 112}l'avons déjà dit, si vains, si pernicieux, si sacrilèges : Nous devons garder soigneusement nos yeux et nos oreilles. On s'accoutume facilement aux crimes dont on entend souvent parler: L'esprit de l'homme ayant une pente au mal, que fera-t-il s'il y est encore porté par les exemples des vices de la chair, auxquels la nature se laisse aller si aisément. Puis qu'elle tombe d'elle-même ; que fera-t-elle si on la pousse ? Il faut donc retirer son esprit de ces folies. Un véritable Chrétien a bien d'autres divertissements plus relevés que ceux-là, s'il a de la passion pour les véritables et utiles plaisirs. Qu'il s'applique à la lecture de la sainte Ecriture, il y trouvera des Spectacles dignes de la Foi, dont il fait profession ? Y a-t-il, mes frères, de Spectacles plus beau, plus agréable, et plus nécessaire, que de contempler sans cesse l'objet de notre espérance, et de notre salut ? {p. 113}

Dans l'Epître 61 à Euchratius. §

Mon cher Frère,

Comme nous avons de l'affection et de la déférence l'un pour l'autre, il vous a plu de me demander mon sentiment sur le sujet d'un Comédien de votre Pays, qui exerce encore ce métier, et instruit la jeunesse, non pas à se bien conduire, mais à se perdre; enseignant aux autres le mal qu'il a appris, s'il doit être reçu dans notre communion: Je vous dirai, qu'il me semble, que le respect que nous devons à la majesté de Dieu, et l'ordre de la discipline Evangélique , ne peuvent souffrir que la pudeur et l'honneur de l'Eglise soient souillés par une si dangereuse contagion. {p. 114}

LACTANCE FIRMIEN
Dans le 6. Livre des Institutions Divines. §

CHAP. 20. §

Vous devez rejeter les Spectacles publics, parce qu'étant des occasions des vices, et ne servant qu'à corrompre les mœurs, ils sont non seulement inutiles pour nous conduire à la vie bienheureuse, mais ils sont même extrêmement nuisibles. Je ne sais s'il y a moins de dérèglement dans les Théâtres que dans les autres Spectacles; car on représente dans les Comédies l'incontinence des Filles, et les amours des femmes de mauvaise vie. Plus les Auteurs de ces infâmes représentations ont d'éloquence, mieux ils persuadent ceux qui les écoutent, par la politesse de leurs sentiments, et la justesse et la beauté de leurs vers fait qu'on les retient plus aisément. Dans la Tragédie l'on expose avec éclat aux yeux du {p. 115}Peuple, les parricides, les incestes, et toutes sortes de crimes. Que font les Farceurs par leurs mouvements impudiques, qu'enseigner et inspirer l'impureté ? Ces efféminés démentent ce qu'ils sont, et s'étudient à paraître des femmes dans leurs habits, dans leur marcher, et dans leurs gestes lascifs. Que dirai-je de ces bouffons qui tiennent école de la débauche ; qui par de feints adultères, enseignent à en commettre de véritable ? Que feront les jeunes hommes, et les filles, voyant comme on commet ces infamies sans honte ? et comme tout le monde les regarde avec plaisir, ils apprennent par là ce qu'ils peuvent faire: Ces objets allument dans leurs cœurs le feu de l'impureté, qui s'enflamme par la vue. Chacun selon son sexe se représente à son imagination dans ces Spectacles ; on les approuve lors qu'on en rit, et non seulement les enfants-là qui on ne doit point faire gouter le mal, avant même qu'ils le puissent connaître ; mais aussi les vieillards, à qui il est honteux de commettre des péchés qui ne sont plus de {p. 116} leur âge, emportant les vices du Théâtre, s'en retournent plus corrompus en leurs maisons. Il faut donc fuir les Spectacles, non seulement afin que les vices ne fassent aucune impression sur nos esprits, qui trouble la paix et la tranquillité de nos cœurs ; mais aussi afin que nous ne nous laissons point emporter par la coutume du siècle aux attraits des voluptés, qui nous détournent de Dieu, et des bonnes œuvres que nous devons faire.

Dans le CHAP. 21. §

N'estimerait-on pas un homme impudique et de mauvaise vie, qui tiendrait des Comédiens en sa maison ? Or si vous ne pouvez être spectateur de la Comédie lors que vous êtes seul, sans blesser l'honnêteté, ne la blesserez-vous point lors que vous la regarderez représenter sur le Théâtre avec le peuple ? Les vers polis, et les discours agréables, gagnent les esprits, et les portent où ils veulent : c'est pourquoi celui qui recherche la vérité, et qui ne veut pas se {p. 117} tromper soi-même, doit rejeter les voluptés pernicieuses, auxquelles l'âme s'abandonne, comme le corps aux viandes délicieuses, il faut préférer les choses véritables à celles qui sont fausses, les éternelles, aux passagères, et les utiles aux agréables. Ne prenez point de plaisir à regarder d'autres actions que celles qui sont justes et pieuses. Ne prenez point de plaisir à entendre autre chose que ce qui nourrit l'âme, et qui vous peut rendre meilleur : Prenez garde de ne point faire un mauvais usage de ce sens qui vous a été donné, pour écouter les enseignements de Dieu. Si vous vous plaisez donc aux chants et aux vers ; prenez plaisir à chanter, et à entendre chanter les louanges de Dieu : Le véritable plaisir est celui qui est accompagné de la vertu, c'est un plaisir qui n'est point périssable, et passager comme les autres que recherchent ceux qui suivent les passions de leur corps, ainsi que les animaux ; mais il est continuel, et toujours agréable. Celui qui en passe les bornes et ne recherche dans le plaisir que le seul plaisir, se procure la {p. 118}mort. Car comme la vertu, conduit à la vie éternelle, aussi la volupté conduit à la mort : Car quiconque s'attache aux choses temporelles, perdra les éternelles : Quiconque met sn affection aux choses de la terre, n'aura point de part aux biens du Ciel. Comme c'est par la vertu, et par les travaux que Dieu nous appelle à la vie ; c'est par la volupté que le Diable nous conduit à la mort : comme on acquiert le véritable bien par de faux maux, on se procure les véritables maux par de faux biens. Il faut donc éviter les plaisirs comme des pièges et des filets, de peur que nous engageant dans la mollesse des douceurs du siècle, et devenant esclaves de notre corps, nous ne tombions sous la puissance de la mort avec notre corps. {p. 119}

4. SIÈCLE. §

S. MACAIRE L'ANCIEN

Dans l'Homélie 27. §

Si par l'ouïe toute seule on pouvait    entrer dans le Royaume du Ciel, et dans la vie éternelle sans peine, et sans travail, ceux qui se divertissent aux Spectacles du Théâtre, et ceux qui mènent une vie impudique y auraient bonne part : Mais on ne va au Ciel que par des travaux, et par des combats, parce que le chemin qui y conduit est étroit, pénible et fâcheux; c'est dans ce chemin rude qu'il faut marcher, et souffrir beaucoup de peines et d'afflictions pour entrer dans la vie éternelle. {p. 120}

SAINT CYRILLE ARCHEVEQUE DE JERUSALEM,

Dans la première Catéchèse mystagogique aux nouveaux Baptisés. §

Vous avez dit au Baptême, je vous renonce Satan, je renonce à toutes vos œuvres, et à toutes vos pompes. Les pompes du Diable sont les Spectacles du Théâtre, et toutes les autres vanités semblables, dont le saint Roi David demande à Dieu d'être délivré : Détournez, dit-il mes yeux, afin qu'ils ne regardent point la vanité ; Ne vous laissez donc pas emporter à la passion pour les Spectacles du Théâtre, pour y voir les excès des Comédiens tout pleins d'impureté, et d'infamie. {p. 121}

SAINT AMBROISE ARCHEVEQUE DE MILAN, §

Dans le traité de la suiteIV du siècle §

Adam n'eût point été chassé du Paradis, s'il n'eût été séduit par la volupté ; c'est pourquoi David, qui avait éprouvé combien les regards sont dangereux, dit avec raison, que l'homme est heureux lors que le nom du Seigneur est toute son espérance, et qu'il n'a nul égard aux vanités et aux folies trompeuses du siècle. Celui qui s'applique à considérer que le Seigneur lui est toujours présent, et qui a toujours les yeux intérieurs de son âme arrêtés sur Jésus-Christ, n'a point égard aux vanités et aux tromperies du siècle. Ainsi ce saint Prophète se tournant vers lui, lui fait cette prière: Détournez mes yeux, afin qu'ils ne regardent point la vanité. Le Cirque n'est que vanité, parce qu'il ne sert à rien. La Course des chevaux n'est que vanité, parce que la vitesse d'un {p. 122}cheval est un secours trompeur, quand il s'agit de se sauver : Le Théâtre et tous les autres Jeux ne sont que vanité.

Sur le 37. Verset du Psaume 118. §

Celui qui est dans la voie de Dieu ne regarde point les vanités : Jésus-Christ est la voie parfaite. Celui donc qui appartient à Jésus-Christ, comment peut-il regarder les vanités, puisque Jésus-Christ a crucifié dans sa chair tous les vains plaisirs du monde ? C'est pourquoi détournons nos yeux des vanités, de peur que la vue de ces folies n'imprime de mauvais désirs dans notre âme ; Et sans parler du sens mystique de ce passage, Dieu veuille que cette interprétation ait la force de retirer des Spectacles du Cirque et du Théâtre, ceux qui y courent: Ces Jeux que vous regardez ne sont que vanité, élevez vos yeux vers Jésus-Christ, et détournez-les des Spectacles, et de toutes les pompes du siècle. {p. 123}

S. JEAN CHRYSOSTOME §

Dans l'Homélie 15. au peuple d'Antioche. §

Plusieurs s'imaginent qu'il n'est pas certain que ce soit un péché, de monter sur le Théâtre, et d'aller à la Comédie: Mais quoi qu'ils en pensent, il est certain que tout cela cause une infinité de maux ; car le plaisir qu'on prend aux Spectacles des Comédies, produit la fornication, l'impudence, et toute sorte d'incontinence. D'ailleurs nous ne sommes pas seulement obligés d'éviter les péchés. Mais nous devons encore fuir les choses même qui nous paraissent indifférentes, et qui portent néanmoins insensiblement au péché; Car comme celui qui marche sur le bord d'un précipice, quoi qu'il n'y tombe pas, ne laisse pas d'être toujours dans la crainte. Et il arrive souvent que la crainte le trouble, et le fait tomber dans le précipice. De même celui qui ne s'éloigne pas du péché, mais qui en est {p. 124}proche, doit vivre dans l'appréhension, car il arrive souvent qu'il y tombe.

Das la 3. Homélie de David, et de Saul. §

Je crois que plusieurs de ceux qui nous abandonnèrent hier pour aller aux Spectacles d'iniquité, sont aujourd'hui ici présents, je voudrais les pouvoir reconnaître publiquement, afin de leur interdire l'entrée de ces Jeux sacrés, non pas pour les laisser toujours dehors, mais pour les rappeler après leur amendement. Comme les Pères chassent souvent de leurs maisons, et de leur table leurs enfants qui se laissent emporter à la débauche, non pas afin qu'ils en soient toujours bannis ; mais afin qu'étant devenus meilleurs par cette correction, ils rentrent avec louange et honneur dans la maison, et dans la compagnie de leurs Pères. Les Pasteurs en usent de même lors qu'ils séparent les brebis galeuses d'avec les autres, afin qu'étant guéries de leur maladie, elles retournent avec celles qui sont saines, sans aucun {p. 125}peril ; car autrement s'ils les laissaient parmi les autres, elles infecteraient tout le Troupeau ; C'est pour ce sujet que je voudrais pouvoir reconnaître ces personnes ; mais encore qu'elles nous soient inconnues, elles ne peuvent pas néanmoins se dérober aux yeux du Verbe Eternel qui est le Fils de Dieu. J'espère qu'il touchera leur conscience, et qu'il leur persuadera aisément de sortir volontairement, leur faisant connaître qu'il n'y a que ceux qui se portent à faire cette pénitence, qui soient véritablement dans l'Eglise : au contraire ceux qui vivant dans le dérèglement demeurent dans notre communion, quoi qu'ils soient ici présents de corps, ils en sont néanmoins séparés, plus véritablement que ceux qu'on a mis dehors, de telle sorte qu'il ne leur est pas encore permis de participer à la sainte Table, car ceux qui selon les Lois divines ont été chassés de l'Eglise, et demeurent dehors, donnent quelque bonne espérance par leur conduite qu'après s'être corrigés des péchés pour lesquels ils ont été {p. 126 }chassés de l'Eglise, ils y rentreront avec une conscience pure ; mais ceux qui se souillent eux-mêmes, et qui étant avertis de se purifier des tâches qu'ils ont contractées par leurs crimes, avant que d'entrer en l'Eglise, se conduisent avec impudence, ils aigrissent l'ulcère de leur âme, et rendent leur mal plus grand; car il y a bien moins de mal à pécher, qu'à ajouter l'impudence au crime qu'on a commis, et à ne vouloir pas obéir aux ordres des Prêtres.

On me dira, le péché que ces personnes ont commis, est-il si grand qu'il mérite qu'on leur interdise l'entrée de ces lieux sacrés ? Mais y a-t-il de crime plus énorme que le leur ? Ils se sont souillés du crime d'adultère, et après cela ils se jettent impudemment comme des chiens enragés sur la sainte Table. Que si vous voulez savoir comment ils sont coupables d'adultère, je ne le vous déclarerai point par mes discours, mais par les propres paroles de celui qui doit juger de toutes les actions des hommes : Celui, dit-il, qui verra une femme pour la désirer, a déjà commis l'adultère dans son cœur. Si une femme {p. 127}négligemment parée qui passe par hasard dans la place publique, blesse souvent par la seule vue de son visage celui qui la regarde avec trop de curiosité ; Ceux qui vont aux Spectacles, non par hasard, mais de propos délibéré, et avec tant d'ardeur, qu'ils abandonnent l'Eglise par un mépris insupportable pour y aller, où ils passent tout le jour à regarder ces femmes infâmes, auront-ils l'impudence de dire qu'ils ne les voient pas pour les désirer, lorsque leurs paroles dissolues et lascives, les voix, et les chants impudiques les portent à la volupté ? etc.

Car si en ce lieu où l'on chante les Psaumes, où l'on explique la parole de Dieu, et où l'on craint et respecte sa divine Majesté ; la concupiscence ne laisse pas de se glisser secrètement dans les cœurs, comme un subtil larron; Ceux qui sont toujours à la Comédie, où ils ne voient et n'entendent rien de bon, où tout est plein d'infamie et d'iniquités dont leurs oreilles et leurs yeux sont investis de toutes parts; comment pourront-ils surmonter la concupiscence ? {p. 128 }Et s'ils ne la peuvent pas surmonter, comment pourront-ils être exempts du crime d'adultère ? Et étant souillés de ce crime, comment pourront-ils entrer dans l'Eglise, et être reçus dans la Communion de cette sainte assemblée sans en avoir fait pénitence ? C'est pourquoi je conjure et je prie ces personnes de se purifier par la confession, par la pénitence, et par tous les autres remèdes salutaires, des péchés qu'ils ont contractés à la Comédie, afin qu'ils puissent être admis à entendre la parole de Dieu, car ces péchés ne sont point médiocres. Ne craignez-vous point, ô homme ? N'avez-vous point horreur de regarder cette sainte Table, où l'on célèbre les redoutables mystères, des mêmes yeux dont vous regardez ce lit qui est dressé sur le Théâtre, où l'on représente les détestables fictions de l'adultère ? N'avez-vous point horreur d'entendre les paroles impudiques d'une Comédienne, des mêmes oreilles que vous entendez les paroles d'un Prophète qui vous introduit dans les mystères de l'Ecriture ? {p. 129}

N'appréhendez-vous point de recevoir dans un même cœur un poison mortel, et cette Hostie sainte et terrible ? N'est-ce pas de là que naissent les dérèglements de la vie, les désordres des mariages, les guerres, les troubles, et les querelles domestiques ?

C'est pourquoi je vous prie tous de ne point assister à ces infâmes représentations des Spectacles, et d'en retirer les autres ; car tout ce qui s'y fait, bien loin d'être un divertissement, n'est qu'un dérèglement pernicieux qui n'attire que des peines et des supplices.

Que sert à l'homme de jouir d'un plaisir passager, s'il est suivi d'une douceur éternelle, et s'il est tourmenté nuit et jour par la concupiscence ? Consultez-vous vous-mêmes, et considérez la différence qu'il y a entre l'état où vous estes lors que vous revenez de l'Eglise, et celui où vous vous trouvez lors que vous sortez des Spectacles. Si vous comparez ces deux états, selon leurs divers temps, l'un avec l'autre, vous n'aurez pas besoin de mes avertissements: Cette comparaison suffira pour vous faire {p. 130}connaître combien l'un vous est utile et avantageux, et combien l'autre vous est dommageable.

Dans la 1. Homélie sur ces paroles du 1. Verset du Chap. 6. du Prophète Isaïe §

J'ai vu le Seigneur.

Il n'y a rien qui expose plus au mépris la parole de Dieu, que l'applaudissement et l'approbation qu'on donne aux représentations des Spectacles ; c'est pourquoi je vous ai souvent conjurés par mes exhortations de ne point aller aux Spectacles, vous qui venez à l'Eglise pour entendre la parole Dieu, et pour participer à son sacrifice mystique et redoutable, afin que vous ne profaniez point les Mystères divins, en participant aux mystères du Diable. {p. 131}

Dans L'Homélie 6. Sur le Chap. 2. de S. Mathieu. §

Ce n'est point à nous à passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices ; cela n'est bon que pour des Comédiens, et pour des Comédiennes, et particulièrement pour ces flatteurs qui cherchent les bonnes tables: Ce n'est point-là l'esprit de ceux qui sont appelés à une vie céleste, dont les noms sont déjà écrits dans cette éternelle Cité, et qui font profession d'une milice toute spirituelle ; mais c'est l'esprit de ceux qui combattent sous les enseignes du Démon.

Oui, mes frères, c'est le Démon qui a fait un art de ces divertissements et de ces Jeux pour attirer à lui les soldats de Jésus-Christ et pour relâcher toute la vigueur, et comme les nerfs de leur vertu, c'est pour ce sujet qu'il a fait dresser des Théâtres dans les places publiques, et qu'exerçant et formant lui-même ces bouffons, il s'en sert comme d'une peste dont il infecte toute la vie. {p. 132}

 

Saint Paul nous a défendu les paroles de raillerie, et celles qui ne tendent qu'à un vain divertissement ; mais le Démon nous persuade d'aimer les unes et les autres.

Ce qui est encore plus dangereux est le sujet pour lequel on s'emporte dans ces ris immodérés, car aussitôt que ces bouffons ridicules ont proféré quelque blasphème, ou quelque parole déshonnête, on voit que les plus fous sont ravis de joie, et s'emportent dans les éclats de rire. Ils leur applaudissent pour des choses pour lesquelles on les devrait lapider, et ils s'attirent ainsi sur eux-mêmes par ce plaisir malheureux le supplice d'un feu éternel ; car en les louant de ces folies, on leur persuade de les faire, et on se rend encore plus digne qu'eux de la condamnation qu'ils ont méritée. Si tout le monde s'accordait à ne vouloir point regarder leurs sottises, ils cesseraient bientôt de les faire : mais lors qu'ils vous voient tous les jours quitter vos occupations, vos travaux et l'argent qui vous en revient; en un mot renoncer à tout pour assister à ces Spectacles, [ 133]ils redoublent leur ardeur, et ils s'appliquent bien davantage à ces niaiseries.

Je ne dis pas ceci pour les excuser, mais pour vous faire voir que c'est vous principalement qui êtes la source de tous ces dérèglements en assistant à leur Jeux, et y passant les journées entières. C'est vous qui dans ces représentations malheureuses profanez la sainteté du mariage, qui déshonorez devant tout le monde ce grand Sacrement : Car celui qui représente ces personnages infâmes, est moins coupable que vous qui les faites représenter, que vous qui l'animez de plus en plus par votre passion, par vos ravissements, par vos éclats, et par vos louanges, et qui travaillez en toutes manières à embellir et à relever cet ouvrage du Démon.

Ne me dites point que tout ce qui se fait alors n'est qu'une fiction; cette fiction a fait beaucoup d'adultères véritables, et a renversé beaucoup de familles ; c'est ce qui m'afflige davantage, que ce mal étant si grand, on ne le regarde pas même comme un mal, et que lors qu'on représente un crime aussi {p. 134 }grand qu'est celui de l'adultère, on n'entend que des applaudissements et des cris de joie.

Ce n'est qu'une feinte, dites-vous, c'est pour cela même que ces personnes sont dignes de mille morts d'oser exposer aux yeux de tout le monde, des désordres qui sont défendus par toutes les lois : Si l'adultère est un mal, c'est un mal aussi que de le représenter.

Qui pourrait dire combien ces fictions rendent de personnes adultères, et combien elles inspirent l'impudence et l'impureté dans tous ceux qui les regardent; car il n'y a rien de plus impudique que l'œil, qui peut souffrir de voir ces ordures.

Dans L'Homélie 38. Sur le Chap. de S. Mathieu. §

Les Chansons et les vers infâmes causent à l'âme une odeur plus insupportable que tout ce que nos sens abhorrent le plus, et cependant lors que les Comédiens les récitent devant vous, non seulement vous n'en avez pas de la peine, mais {p. 135}vous en riez, vous vous en divertissez, bien loin d'en avoir de l'aversion et de l'horreur.

Que ne montez-vous donc aussi sur le Théâtre, aussi bien que ces bouffons qui vous font rire ? Si ce qu'ils font n'est pas infâme, que n'imitez-vous ce que vous louez ? Allez seulement en public avec ces sortes de personnes. Cela me ferait rougir, dites-vous ? Pourquoi donc estimez-vous tant ce que vous auriez honte de faire ? Les lois des Païens rendent les Comédiens infâmes, et vous allez en foule avec toute la Ville pour les regarder sur leur Théâtre, comme si c'était des Ambassadeurs, ou des Généraux d'armée, et vous y voulez mener tout le monde avec vous pour emplir vos oreilles des ordures et des infamies qui sortent de la bouche de ces bouffons; vous punissez très sévèrement vos serviteurs lors qu'ils disent chez vous des paroles peu honnêtes ? Vous ne pouvez souffrir rien de sale dans vos enfants ni dans vos femmes le moindre mot qui choque l'honnêteté ; et lors que les derniers des hommes vous invitent à entendre {p. 136}publiquement ces infamies que vous détestez si fort dans vos maisons ; non seulement vous n'en avez point de peine, mais vous vous en divertissez et vous louez ceux qui les débitent, n'est-ce pas le comble de l'extravagance ?

Vous me répondrez peut-être que ce n'est pas vous qui dites ces choses infâmes. Si vous ne les dites pas, vous aimez au moins ceux qui les disent : Mais d'où prouverez-vous que vous ne les dites pas ? Si vous n'aimiez point à les dire, vous n'auriez point tant de plaisir à les écouter, ni tant d'ardeur à courir à ces folies.

Quand vous entendez des personnes qui blasphèment ; vous ne prenez point plaisir à ce qu'ils disent ; vous frémissez au contraire ; et vous vous bouchez les oreilles pour ne les point entendre. D'où vient cela sinon parce que vous n'êtes point blasphémateur ? Conduisez-vous de même à l'égard de ces paroles infâmes, et s vous voulez que nous croyions que vous n'aimez pas à en dire, n'aimez pas aussi à les écouter. [ 137]

Comment vous pouvez-vous appliquer aux bonnes choses, étant accoutumé à ces sortes de discours ; comment pourrez-vous supporter le travail qui est nécessaire pour s'affermir dans la continence, lors que vous vous relâchez jusqu'à prendre plaisir à entendre des mots et des vers infâmes ; car si lors même qu'on est le plus éloigné de ces infamies, on a tant de peine à se conserver dans toute la pureté que Dieu nous demande ; Comment notre âme pourra-t-elle demeurer chaste, lors qu'elle se plaira à entendre des choses si dangereuses.

Ne savez-vous pas quelle pente nous avons au mal ? Lors donc qu'à cette inclination naturelle nous ajoutons encore l'art et l'étude, comment ne tomberons nous pas dans l'Enfer, puis que nous nous hâtons de nous y jeter ? N'écoutez-vous point ce que dit Saint Paul : Réjouissez-vous au Seigneur ? Il ne dit pas réjouissez-vous au Démon: Comment écouterez-vous ce saint Apôtre ? Comment serez-vous touché du ressentiment de vos péchés, {p. 138}étant toujours comme ivre et hors de vous, par la vue malheureuse de ces Spectacles ? Vous y courez avec une ardeur et une avidité insatiable. On n'en voit que trop les malheureux effets, lors que vous retournez chez vous. C'est là que chacun de vous remporte toutes ces ordures dont les paroles licencieuses, les vers impudiques, et les ris dissolus ont rempli vos âmes. Tous ces fantômes honteux demeurent dans votre esprit et dans votre cœur ; et c'est de à qu'il arrive que vous avez aversion de ce que vous devriez aimer, et que vous aimez ce que vous devriez avoir en horreur. Mais que dirai-je du brui et du tumulte de ces Spectacles ? de ces cris et de ces applaudissements diaboliques ? De ces habits qu'il n'y a que le Démon qui ait inventés ? On y voit un jeune homme qui ayant rejeté tous ses cheveux derrière la tête prend une coiffure étrangère, dément ce qu'il est, et s'étudie à paraître une fille dans ses habits, dans son marcher, dans ses regards, et dans sa parole. On y voit un vieillard qui ayant {p. 139}quitté toute la honte avec ses cheveux qu'il a fait couper, se ceint d'une ceinture, s'expose à toute sorte d'insultes, et est prêt à tout dire, à tout faire, et à tout souffrir. On y voit des femmes qui ont essuyé toute honte, qui paraissent hardiment sur un Théâtre devant un Peuple ; qui ont fait une étude de l'impudence, qui par leurs regards, et par leurs paroles répandent le poison de l'impudicité dans les yeux et dans les oreilles de tous ceux qui les voient, et qui les écoutent, et qui semblent conspirer par tout cet appareil qui les environne à détruire la chasteté, à déshonorer la nature, et à se rendre les organes visibles du Démon, dans le dessein qu'il de perdre les âmes ; enfin tout ce qui se fait dans ces représentations malheureuses ne porte qu'au mal : les paroles, les habits, le marcher, la voix, les chants, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets mêmes et les intrigues des Comédies, tout y est plein de poison tout y respire l'impureté.

Comment donc espérez-vous de {p. 140}demeurer chaste après que le Diable vous a fait boire de ce calice de l'impudicité qu'il en a enivré votre âme, et que par ses noires fumées il vous a obscurci toute la raison ; car c'est là qu'il vous fait voir tout ce que le vice a de plus honteux, la fornication, l'adultère, le déshonneur du mariage, la corruption des femmes, des hommes et des jeunes gens; enfin le règne de l'abomination et de l'infamie. Toutes ces choses devraient donc porter ceux qui les voient, non pas à rire, mais à pleurer.

Quoi donc, me direz-vous, renverserons-nous les Lois en détruisant le Théâtre, qu'elles autorisent ? Quand vous aurez détruit le Théâtre, vous n'aurez pas renversé les Lois, mais le règne de l'iniquité et du vice. Car le Théâtre est la peste des Villes.

Imitez au moins les Barbares qui se passent bien de tous ces Jeux. Quelle excuse nous restera-t-il, s'étant Chrétiens, c'est-à-dire citoyens des Cieux et associés aux Anges, et aux Chérubins, nous ne sommes pas néanmoins si réglés en ce point que le sont les Païens et les Infidèles. [ 141]

Que si vous avez tant de passion pour vous divertir, il y a bien d'autres divertissements moins dangereux, et plus agréables que ceux-là.

Les Barbares ont dit autrefois une parole digne des plus sages d'entre les Philosophes: Car entendant parler de ces folies du Théâtre ; et de ces honteux divertissements qu'on y va chercher. Il semble, dirent-ils, que les Romains n'aient ni femme, ni enfants, et qu'ainsi ils aient été contraints de s'aller divertir hors de chez eux; voulant montrer par là qu'il n'y a point de plaisir plus doux à un homme sage et réglé, que celui qu'il reçoit de la société d'une honnête femme, et de celle de ses enfants.

Mais je vous montrerai, me direz-vous, des personnes à qui ces Jeux n'ont fait aucun mal ? Mais n'est-ce pas un assez grand mal que d'employer si inutilement un si long temps ; et d'être aux autres un sujet de scandale ? Quand vous ne seriez point blessé de ces représentations infâmes, n'est ce rien que vous y avez attiré les autres par votre exemple ? {p. 142 }Comment donc êtes-vous innocent, puis que vous êtes coupable du crime des autres ? Tous les désordres que causent parmi le Peuple ces hommes corrompus, et ces femmes prostituées; et toute cette troupe diabolique qui monte sur le Théâtre, tous ces désordres, dis-je, retombent sur vous. Car s'il n'y avait point de spectateurs, il n'y aurait point de Comédiens ni de Spectacles, et ainsi ceux qui les représentent et ceux qui les voient, s'exposent au feu éternel. C'est pourquoi quand même vous seriez assez chaste pour n'être point blessé par la contagion de ces lieux, ce que je crois impossible, vous ne laisseriez pas d'être sévèrement puni de Dieu, comme étant coupable de la perte de ceux qui vont voir ces folies, et de ceux qui les représentent sur le Théâtre. Que s'il est vrai que vous soyez tellement pur, que ces assemblées dangereuses ne vous nuisent point, vous le seriez encore bien davantage, si vous aviez soin de les éviter.

Quittons donc ces vaines excuses, et ne cherchons point des prétextes si {p. 143}déplorables. Le meilleur moyen de nous justifier est de fuir cette fournaise de Babylone, de nous éloigner des attraits de l'Egyptienne, et s'il est nécessaire, de quitter plutôt notre manteau comme Joseph, pour nous sauver des mains de cette prostituée. C'est ainsi que nous jouirons dans l'esprit, d'une joie céleste e ineffable, qui ne sera point troublée par les remords de notre conscience, qu'ayant mené ici-bas une vie chaste, nous serons couronnés dans le Ciel par la grâce et par la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l'Empire maintenant et toujours, et dans tous les siècles.

Dans la Préface de son Commentaire, sur l'Evangile de S. Jean. §

Il n'est point nécessaire que je vous représente en particulier tous les vices des Spectacles, ce ne sont que des ris dissolus, des représentations honteuses, des paroles infâmes, des médisances, des {p. 144} bouffonneries; tout y est corrompu, tout y est pernicieux. Je vous déclare à vous tous, qu'aucun de ceux qui participent à cette sainte Table, ne trouble, et ne perde son âme par ces Spectacles qui causent la mort : tout ce qui s'y fait, est plein des pompes de Satan, et ne respire que l'impureté. Vous savez, vous qui êtes baptisés, quel est le pacte par lequel vous vous êtes engagés à nous, ou pour mieux dire, à Jésus-Christ. Lorsqu'il vous instruisait au baptême, que lui avez-vous dit touchant les pompes du Diable, comment avez-vous renoncé à ce malin esprit, et à ses Anges ? N'avez-vous pas promis de n'acquiescer jamais à ses maximes, et à ses œuvres ? C'est pourquoi nous devons prendre garde très soigneusement de n'être pas infidèles dans l'accomplissement de nos promesses, et de ne point nous rendre indignes de ces sacrés mystères. [ 145]

SAINT JEROME,

Sur le premier Verset du Psaume 32. §

Les uns mettent toute leur joie dans les choses de ce monde, les autres dans les Jeux du Cirque, les autres dans les divertissements de la Comédie ; Mais vous, dit le Roi Prophète à chaque juste, Mettez toute votre joie dans le Seigneur, et non pas dans les plaisirs de ce monde. C'est aux Justes qui ont le cœur droit, qu'il appartient de louer Dieu ; c'est à dire, à ceux qui dressent leurs cœurs par la règle de la vérité ; Car pour les impies il ne leur appartient que d'être malheureux : Malheur à ceux, dit le Prophète Isaïe, qui disent que ce qui est doux, est amer, et que ce qui est amer, est doux. [ 146]

5. SIECLE. §

SAINT AUGUSTIN §

Dans le 2. Chapitre du 3. livre de ses Confessions. §

J'avais en même temps une passion violente pour les Spectacles du Théâtre, qui étaient pleins des images de mes misères, et des flammes amoureuses qui entretenaient le feu qui me dévorait: mais quel est ce motif qui fait que les hommes y courent avec tant d'ardeur, et qu'ils veulent ressentir de la tristesse en regardant des choses funestes et tragiques qu'ils ne voudraient pas néanmoins souffrir ? Car les spectateurs veulent ressentir de la douleur, et cette douleur est leur joie ? D'où vient cela, sinon d'une étrange maladie d'esprit ? puis qu'on est d'autant plus touché de ces aventures poétiques, que l'on est moins guéri de ses passions, quoi que d'ailleurs on appelle misère le mal que l'on souffre en sa personne ; et miséricorde, la compassion qu'on {p. 147} on a des malheurs des autres: Mais quelle compassion peut-on-avoir en des choses feintes, et représentées sur un Théâtre, puisque l'on n'y excite pas l'auditeur à secourir les faibles et les opprimés, mais que l'on le convie seulement à s'affliger de leur infortune ; de sorte qu'il est d'autant plus satisfait des Acteurs, qu'ils l'ont plus touché de regret et d'affliction ; et que si ces sujets tragiques, et ces malheurs véritables ou supposés, sont représentés avec si peu de grâce et d'industrie, qu'il ne s'en afflige pas, il sort tout dégoûté et tout irrité contre les Comédiens. Que si au contraire il est touché de douleur, il demeure attentif et pleure, étant en même temps dans la joie, et dans les larmes. Mais puisque tous les hommes naturellement désirent de se réjouir, comment peuvent-ils aimer ces larmes, et ces douleurs ? N'est ce point qu'encore que l'homme ne prenne pas plaisir à être dans la misère, il prend plaisir néanmoins à être touché de miséricorde ; et qu'à cause qu'il ne peut être touché de ce mouvement sans en ressentir {p. 148} de la douleur, il arrive par une suite nécessaire qu'il chérit et qu'il aime ces douleurs ?

Ces larmes précèdent donc de la source de l'amour naturel que nous nous portons les uns aux autres. Mais où vont les eaux de cette source, et où coulent-elles ? Elles vont fondre dans un torrent de poix bouillante, d'où sortent les violentes ardeurs de ces noires, et de ces sales voluptés : Et c'est en ces actions vicieuses que cet amour se convertit et se change par son propre mouvement, lorsqu'il s'écarte et s'éloigne de la pureté céleste du vrai amour. Devons-nous donc rejeter les mouvements de miséricorde et de compassion ? Nullement : Et il faut demeurer d'accord qu'il a des rencontres où l'on peut aimer ses douleurs. Mais, ô mon âme, garde toi de l'impureté; Mets-toi sous la protection de mon Dieu, du Dieu de nos Pères, qui doit être loué et glorifié dans l'éternité des siècles. Garde toi mon âme de l'impureté d'une compassion folle: Car il y en a une sage et raisonnable dont je ne laisse pas d'être {p. 149} touché maintenant. Mais alors je prenais part à la joie de ces amants du Théâtre ; lors que par leurs artifices ils faisaient réussir leurs impudiques désirs, quoi qu'il n'y eût rien que de feint dans ces représentations, et ces Spectacles; et lors que ces amants étaient contraints de se séparer, je m'affligeais avec eux comme si j'eusse été touché de compassion, et toutefois je ne trouvais pas moins de plaisir dans l'un que dans l'autre.

Mais aujourd'hui j'ai plus de compassion de celui qui se réjouit dans ses excès et dans ses vices, que de celui qui s'afflige dans la perte qu'il a faite d'une volupté pernicieuse, et d'une félicité misérable: Voilà ce qu'on doit appeler une vraie miséricorde ; Mais en celle-là ce n'est pas la douleur que nous ressentons des maux d'autrui qui nous donne du plaisir : Car encore que celui qui ressent de la douleur, en voyant la misère de son prochain, lui rende un devoir de charité qui est louable, néanmoins celui qui est véritablement miséricordieux aimerait mieux n'avoir point de sujet de ressentir cette douleur : Et il {p. 150} est aussi peu possible qu'il puisse désirer qu'il y ait des misérables, afin d'avoir sujet d'exercer sa miséricorde, comme il est peu possible que la bonté même puisse être malicieuse, et que la bienveillance nous porte à vouloir du mal à notre prochain. Ainsi il y a bien quelque douleur que l'on peut permettre ; mais il n'y en point que l'on doive aimer: Ce que vous nous faites bien voir, ô mon Seigneur et mon Dieu, puisque vous qui aimez les âmes incomparablement, et plus purement que nous ne les aimons, exercez sur elles des miséricordes d'autant plus grande, et plus parfaites, que vous ne pouvez être touché d'aucune douleur. Mais qui est celui qui est capable d'une si haute perfection ? Et moi au contraire j'étais alors si misérable, que j'aimais à être touché de quelque douleur, et en cherchais des sujets, n'y ayant aucunes actions des Comédiens qui me plussent tant, et qui me charmassent davantage, que lors qu'ils me tiraient des larmes des yeux par la représentation de quelques malheurs {p. 151} étrangers et fabuleux qu'ils représentaient sur le Théâtre : Et faut-il s'en étonner, puisqu'étant alors une brebis malheureuse qui m'étais égarée en quittant votre troupeau, parce que je ne pouvais souffrir votre conduite, je me trouvais comme tout couvert de gale ?

Voilà d'où procédait cet amour que j'avais pour les douleurs, lequel toutefois n'était pas tel que j'eusse désiré qu'elles eussent passé plus avant dans mon cœur et dans mon âme : car je n'eusse pas aimé à souffrir les choses que j'aimais à regarder ; mais j'étais bien aise que le récit et la représentation qui s'en faisait devant moi, m'égratignât un peu la peau, pour le dire ainsi ; quoi qu'en suite ; comme il arrive à ceux qui se grattent avec les ongles ; cette satisfaction passagère me causât une enfleure pleine d'inflammation d'où sortait du sang corrompu et de la boue. Telle était alors ma vie ; Mais peut-on l'appeler une vie, mon Dieu ? {p. 152}

Dans l'Epître 5. à Marcellin. §

Rien n'est plus malheureux que le bonheur des pécheurs, qui nourrit pour ainsi dire une impunité, qui est en effet une peine, et qui fortifie la mauvaise volonté comme un ennemi intérieur. Mais les cœurs des hommes sont si pervertis et si rebelles, qu'ils s'imaginent que le monde est dans une pleine félicité, lors que ceux qui l'habitent ne pensent qu'à orner et à embellir leurs maisons, et qu'ils ne prennent pas garde à la ruine de leurs âmes : qu'on bâtit des Théâtres magnifiques, et qu'on détruit les fondements des vertus : qu'on donne des louanges et des applaudissements à la fureur des Gladiateurs, et qu'on se moque des œuvres de miséricorde; lors que l'abondance des riches entretient la débauche des Comédiens, et que les pauvres manquent de ce qui leur est nécessaire pour l'entretien de leur vie ; lors que les impies décrient par leurs blasphèmes la doctrine de Dieu, qui par la {p. 153} voix de ses Prédicateurs crie contre cette infamie publique, pendant qu'on recherche de faux Dieux à l'honneur desquels on célèbre ces Spectacles du Théâtre, qui déshonorent et corrompent le corps et l'âme. Si Dieu permet que ces désordres arrivent, c'est alors qu'il en est plus irrité : s'il laisse ces crimes impunis, c'est alors qu'il les punie plus sévèrement ; et quand il ôte aux hommes les moyens d'entretenir leurs vices, et que par la pauvreté il détruit l'abondance et la multiplication des voluptés ; ce traitement qui paraît contraire à leurs désirs, est un effet de sa miséricorde.

Dans le Chapitre 33. du premier Livre de la Concordance des Evangélistes. §

Quant à ce que les Païens se plaignent que le Christianisme a diminué la félicité du monde ; s'ils lisent les livres de leurs Philosophes, qui reprennent ces choses dont ils sont privés maintenant {p. 154} malgré eux, ils trouveront que cela tourne à la louange de la Religion Chrétienne ; car quelle diminution souffrent-ils de leur félicité, sinon à l'égard des choses dont ils faisaient un très mauvais usage, s'en servant pour offenser leur Créateur ? Il leur semble peut-être que le temps est mauvais, parce que presque dans toutes les Villes les Théâtres, ces lieux infâmes, où l'on fait une profession publique de l'impureté, tombent en ruine, d'où vient cela, sinon de la pauvreté, qui ne leur permet pas de réparer ces lieux qu'ils avaient bâtis autrefois avec une profusion honteuse et sacrilège ? Leur Cicéron louant un certain Comédien nommé Roscius, n'a-t-il pas dit qu'il était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fut digne de monter sur le Théâtre; et que d'ailleurs il était si homme de bien, qu'il n'y avait que lui seul qui n'y dût point monter, marquant par-là, en termes bien exprès, que le Théâtre est si infâme, que plus un homme est vertueux, plus il doit s'en éloigner. {p. 155}

Dans le Chapitre 29. du 2. Livre de la Cité de Dieu. §

C'est avec raison, Peuple Romain, que vous avez exclus les Comédiens du droit de bourgeoisie. Eveillez-vous encore peu davantage, et reconnaissez qu'on ne se rend point agréable à la Majesté de Dieu par les exercices qui déshonorent la dignité des hommes. Comment donc pouvez-vous mettre au rang des saintes puissances du Ciel ces Dieux qui se plaisent à recevoir un culte, qui rend indignes parmi vous ceux qui le rendent, d'être mis au nombre des Citoyens Romains ? Cette Cité céleste est incomparablement plus illustre, où la vérité est toujours victorieuse, où la dignité, est inséparable de la sainteté, où il y a une paix, et une félicité perpétuelle, où la vie est éternelle. Si vous avez eu honte de recevoir ces sortes de personnes dans votre ville pour être vos concitoyens, à plus forte raison cette sainte Cité ne reçoit point ces sortes de Dieux: C'est pourquoi si vous désirez d'avoir part à la félicité de {p. 156}    cette bienheureuse Cité, fuyez la compagnie des Démons. C'est une chose honteuse à des personnes vertueuses d'adorer des Dieux qui regardent d'un œil favorable le culte déshonnête que leur rendent des infâmes. Embrassez la pureté du Christianisme, et éloignez de vous ces profanes divinités ; comme les Censeurs ont exclus les Comédiens de vos honneurs et de vos dignités les notant d'infamie.

Dans le 1. Sermon sur le Verset du Psaume 32. §

C'est aux hommes injustes et méchants à se ré jouir dans ce monde: le monde finira, et leur joie finira avec le monde ; Mais il faut que les justes mettent leur joie dans le Seigneur, afin qu'elle soit permanente, et immuable comme lui. Il faut que nous mettions notre complaisance et notre joie, et que nous nous appliquions à le louer ; Il est le seul dans lequel il n'y ait rien qui nous déplaise ; comme au contraire, il n'y a personne en qui les infidèles trouvent tant de {p. 157}choses qui leur déplaisent : Tenez ce peu de mots pour une maxime indubitable, que l'homme à qui Dieu plaît, plaît aussi à Dieu. Ne pensez pas mes très chers frères que ce que je disais d'une petite importance, vous voyez aussi bien que moi, combien il y a d'hommes qui disputent contre Dieu ? Combien il s'en trouve à qui ses œuvres, et sa conduite déplaisent, car lorsqu'il veut quelque chose de contraire à la volonté des hommes, à cause qu'il est le Souverain maître, et qu'il sait bien ce qu'il fait, et qu'il ne considère pas tant nos inclinations que notre utilité, ceux qui voudraient que leur volonté s'accomplît plutôt que celle de Dieu, voudraient aussi réduire sa volonté à la leur, au lieu de corriger et de régler la leur par la sienne.

C'est à ces hommes infidèles impies, méchants (j'ai honte de le dire, je le dirai pourtant, parce que vous savez combien ce que je vais dire est véritable) c'est à ces sortes de personnes qu'un Comédien plaît davantage que Dieu, c'est pourquoi le Prophète après avoir dit {p. 158} justes réjouissez-vous en Dieu, (parce que nous ne saurions nous réjouir en lui, qu'en le louant, et que nous ne pouvons le louer, si nous ne lui plaisons, d'autant plus qu'il nous plaît davantage.) Il ajoute, c'est aux justes qu'il appartient de louer Dieu ; Qui sont les justes ? Ce sont ceux qui conforment leur cœur à la volonté de Dieu, qui règlent te conduisent leur volonté par la sienne. Si la faiblesse humaine leur cause quelque trouble dans les fâcheuses rencontres de cette vie ; l'équité divine les console, et les remet dans le calme.

Dans le Sermon sur le Psaume 39. §

Combien y a-t-il de personnes qui se reconnaissent ici dans la peinture que je vous fais des gens du monde ? Ces personnes converties se regardent avec étonnement les unes les autres, et parlent avec joie dans l'Eglise de Dieu, des miséricordes qu'il leur a faites. Se voyant dans le sein de l'Eglise, elles considèrent avec une extrême reconnaissance l'affection {p. 159} que Dieu leur a déjà donnée pour la parole, pour les offices et les œuvres de charité, pour être souvent dans l'assemblée des Fidèles, et ne sortir quasi point de l'Eglise.

Elles font attentivement réflexion sur toutes ces grâces que Dieu leur a faites, et qu'il a faites en même temps à d'autres pécheurs, et se plaisent à s'en entretenir avec ceux qui participent au même bonheur. Quel changement, disent ces personnes, voyons-nous en cet homme, qui était si passionné pour le Cirque ? Combien est changé cet autre qui aimait et qui louait si fort ce chasseur, ou ce Comédien ? Cet homme converti parle ainsi des autres, et les autres parlent de lui de la même sorte. Certainement nous voyons par la grâce de Dieu de ces conversions merveilleuses, et elles nous sont un sujet d'actions de grâce, et de joie: Mais si nous nous réjouissons à cause de ceux qui sont convertis, ne désespérons pas de ceux dont nous voyons des égarements et des désordres. Prions pour eux, mes très chers frères ; c'est du nombre de ceux {p. 160} qui étaient méchants et impies, que Dieu se plaît à faire croître le nombre des Saints.

Que notre Dieu devienne donc notre unique espérance : celui qui a fait toutes choses est meilleur que toutes choses: Celui qui a fait les belles choses, est plus beau que tous ses ouvrages. Celui qui a fait les choses fortes, est plus fort que tout ce qu'il y a de plus fort. Celui qui a fait tout ce qui est grand surpasse tout ce qu'on se peut figurer de plus grand; il vous tiendra lieu de tout ce que vous aimez.

Apprenez à aimer le Créateur en la créature, et l'ouvrier en son ouvrage; Il ne faut pas vous laisser occuper par les choses qui sont les effets de la puissance de Dieu, et perdre ce Dieu même qui les a faites, et par qui vous avez été tiré du néant. Bienheureux donc est l'homme qui met son espérance dans le nom du Seigneur, et qui n'a nul égard aux vanités, et aux folies trompeuses du siècle.

Celui qui se sentira touché de ce que j'ai dit, qui voudra se corriger de ses {p. 161} vices, qui sera occupé de la crainte des jugements de Dieu, que la Foi lui représente, et qui commencera de vouloir marcher dans la voie étroite, craindra peut-être de n'avoir pas la force de persévérer, et nous dira ; ma volonté ne durera pas, et je ne continuerai pas dans la voie que vous m'avez proposée, si vous ne donnez des Spectacles à mes yeux, et des objets à mon esprit, qui me tiennent lieu de ceux auxquels je renonce. Comment faut-il donc, mes frères, que nous traitions ces personnes qui sortent ainsi du dérèglement, et qui renoncent aux plaisirs du siècle ? Que leurs donnerons-nous en la place de ce que nous leur faisons quitter ? Les laisserons-nous sans leur donner des Spectacles qui leur plaisent, et qui les occupent ? Ils mourraient de tristesse, ils ne subsisteraient pas, ils ne pourraient pas nous suivre. Que pourrons-nous donc faire pour les contenter, et les retenir ? Il faut sans doute que nous leur donnions des Spectacles pour d'autres Spectacles.

Mais quels Spectacles pouvons-nous {p. 162} offrir à un homme Chrétien que nous voulons retirer des Spectacles vains, et profanes du monde ? Je rends grâces à notre Seigneur de ce qu'il nous a marqué dans le Verset suivant, quels Spectacles nous devons fournir aux amateurs des Spectacles. Oui nous consentons, et nous approuvons que le Chrétien qui se prive des divertissements du Cirque, du Théâtre, de l'Amphithéâtre, cherche d'autres Spectacles. Nous ne voulons point qu'il en manque. Que lui donnerons-nous donc à leur place ? Ecoutez ce que dit notre Prophète : Seigneur, mon Dieu, vous avez fait une multitude de choses qui sont autant de merveilles que vous nous mettez devant les yeux. Ce Chrétien se plaisait auparavant à considérer les frivoles merveilles des hommes ; Qu'il s'arrête maintenant aux merveilles de Dieu; Qu'il les contemple, et qu'il les admire, puisque ce sont des miracles d'une magnificence e d'une sagesse toute divine qui mérite d'être toujours également un sujet d'admiration. Pourquoi l'accoutumance à voir toutes les merveilles du monde {p. 163} et de la nature dont Dieu est l'auteur, les lui a-t-elle rendues moins estimables et moins précieuses ?

Dans le Sermon sur le Psaume 102. §

Quand je dis, un homme pécheur se présente à vous, je marque deux noms, e ce n'est pas inutilement et sans raison; car être homme, et être pécheur sont deux choses bien différentes ? Etre homme c'est l'ouvrage de Dieu ; être pécheur, c'est l'ouvrage de l'homme. Pourquoi, me direz-vous, ne m'est-il point, permis de donner à l'ouvrage de l'homme. Qu'est-ce que donner à l'ouvrage de l'homme ? C'est donner à un pécheur à cause de son péché, parce qu'il vous divertit par son impiété. Mais qui fait cela, dites-vous ? Plût à Dieu que personne ne le fit, ou qu'il y eut peu de gens qui le fissent, ou qu'on ne le fit point publiquement. Ceux qui donnent aux Comédiens, pourquoi leur donnent-ils ? Ne sont-ce pas des hommes à qui ils donnent ; mais ils ne considèrent {p. 161} pas en eux la nature de l'ouvrage de Dieu ; ils ne regardent que l'iniquité de l'ouvrage de l'homme.

Dans le Traité 100.
Sur le 16. Chapitre de S. Jean. §

Donner son bien aux Comédiens; c'est un vice énorme, bien loin d'être une vertu. Vous savez aussi bien que moi ce que l'Ecriture dit de ces sortes de personnes auxquelles le monde donne d'ordinaire des applaudissements et des louanges: On loue le pécheur de ses passions, et on bénit le méchant à cause de ses méchancetés.

Dans le 1. et 2. Chap. du 2. Livre du Traité du Symbole aux Catéchumènes. §

Sachez, mes bien aimés, que le Démon notre ennemi séduit et prend plus de gens par la volupté, que par la crainte ; Car pourquoi tend-il tous les jours les pièges des Spectacles ? pourquoi {p. 165} présente-t-il tant de vanités et d'infâmes plaisirs, qui ne sont que folie, et qu'illusion ; sinon afin de prendre ceux qui l'avaient abandonné, et pour se réjouir d'avoir trouvé ceux qu'il avait perdus ? Il n'est point nécessaire de nous étendre plus au long sur ce sujet, il suffit de vous représenter en peu de mots, ce que vous devez rejeter, et ce que vous devez aimer. Fuyez les Spectacles, mes bien aimés, fuyez ces Théâtres infâmes du Diable, afin de ne vous point engager dans les liens de cet esprit malin: Mais s'il faut relâcher votre esprit, si vous vous plaisez aux Spectacles, l'Eglise notre sainte et vénérable Mère vous en fournit de plus excellents et de plus agréables ; ce sont des Spectacles salutaires qui remplissent l'esprit de joie.

Dans le Sermon 18. des paroles du Seigneur. §

Un bon Chrétien ne veut point aller aux Spectacles, et en cela même qu'il réprime sa passion, et qu'il ne va pas au Théâtre, Il crie après Jésus-Christ, et le {p. 166} prie de le guérir: Cependant il y en a d'autres qui y courent ; mais ce sont peut-être des Païens, ou des Juifs. Certes si les Chrétiens n'y allaient point, le nombre des spectateurs serait si petit, que la honte et la confusion qu'ils en auraient les feraient retirer. Il y a donc des Chrétiens qui sont si malheureux que d'aller aux Spectacles, et d'y porter un si saint nom pour leur condamnation ; Mais vous qui n'y allez pas, criez sans cesse après Jésus-Christ pour implorer son assistance.

SAINT ISIDORE
Prêtre de Damiette §

Dans l'Epître 336. du 3. Livre. §

Les Comédiens ne s'étudient principalement qu'a pervertir le peuple, et non pas à le rendre meilleur ; car c'est la débauche de leurs spectateurs qui fait leur félicité ; de sorte que s'ils s'appliquaient à la vertu, le métier de Comédien serait aussitôt anéanti. C'est pourquoi ils n'ont jamais pensé a corriger {p. 167} les dérèglements des hommes ; et quand ils le voudraient entreprendre, ils ne le sauraient faire, parce que la Comédie d'elle-même, et par sa nature, ne peut être que pernicieuse et nuisible.

Dans l'Epître 186. du 5. Livre. §

S'il est certain, comme on n'en peut pas douter, que le jour du Jugement viendra ; il faut pratiquer la vertu. Que si cela paraît difficile et fâcheux à quel quelques-uns, il vous sera facile de le faire si vous fuyez les Théâtres, et le Cirque; ces Lieux infâmes qui perdent tout le monde, ou plutôt les Villes ou ces Spectacles sont représentés, et particulièrement les personnes qui se laissent emporter à la passion de ces honteux divertissements. {p. 168}

Dans l'Epître 463; du même Livre. §

Celui qui a une passion violente pont les Spectacles du Théâtre, ne sera pas moins transporté pour l'amour infâme. Fuyez donc ce premier dérèglement, pour ne pas tomber dans l'autre ; car il est plus facile de détruire le vice avant qu'il soit enraciné, que de l'arracher après qu'il a pris de profondes racines; ce qui est très difficile, et quelques-uns même l'estiment impossible.

S. SALVIEN
Evêque de Marseille

Dans le 6. Livre de la Providence de Dieu. §

Quelle monstrueuse folie ? Quoi, s'il nous arrive quelque bon succès ; si nous remportons des victoires sur nos ennemis ; enfin si Jésus-Christ nous comble de ses faveurs, nous lui offrons des Jeux publics, et ce sont nos actions de grâces. Nous imitons en cela celui {p. 169 }qui payerait d'une injure le plaisir qu'il viendrait de recevoir, et qui percerait le visage et le cœur de celui qui lui se ferait des caresses. Je demanderais volontiers à ceux que les grandeurs et les richesses font reconnaître par-dessus les autres, de quel supplice serait digne un esclave qui outragerait son maître de qui il viendrait de recevoir la liberté ? Il est hors de doute que celui-là est tout à fait méchant qui rend le mal pour le bien, n'étant pas même permis de rendre le mal pour le mal. Nous faisons toutefois ce que je viens de dire, nous nous disons Chrétiens, et par nos impuretés nous excitons contre nous un Dieu miséricordieux ; nous l'irritons alors qu'il s'apaise, et nous l'outrageons alors qu'il nous caresse : Nous offrons donc à Dieu des Jeux infâmes pour les bienfaits qui viennent de lui, nous lui faisons des sacrifices exécrables, comme s'il avait pris notre chair pour nous donner de si mauvaises instructions, où qu'il nous les eût fait entendre par la bouche de ses Apôtres. Ce fut peut-être pour cela que Dieu voulut naître {p. 170} ici-bas comme un homme, et qu'il daigna prendre notre honte et notre bassesse en naissant comme nous ? Ce fut peut-être pour cela qu'il naquît dans une étable où les Anges le servaient ? Ce fut peut-être pour cela que Dieu qui enveloppe le Ciel et la Terre se laissa envelopper de petits linges dans lesquels il gouvernait toutes choses ? Ce fut peut-être pour cela que Dieu qui se fit pauvre pour nous enrichir, qui s'est humilié même jusqu'à mourir en la Croix, et dont la mort fit trembler tout le monde, voulut être pour nous attacher sur une Croix ainsi qu'un criminel ? Nous nous imaginons peut-être qu'il nous a fait des leçons d'impiété, alors qu'il vivait, et qu'il souffrait tant de peines et tant d'injures pour nous ? Nous reconnaissons d'une étrange façon les effets de ses souffrances ; nous avons reçu notre rédemption et notre vie par le moyen de sa mort, et ce bienfait n'est payé que par les vices d'une vie débordée. Saint Paul dit, que la grâce s'est montrée, qu'elle nous a enseigné à vaincre l'impiété, et à perdre {p. 171} les appétits déréglés ; qu'elle nous commande de vivre sobrement ; d'être pieux et justes dans ce monde, en attendant l'effet d'une bienheureuse espérance, et la venue de la gloire de Jésus, qui s'est donné lui-même pour nous à dessein de nous racheter, et de laver par son Sang un peuple agréable à sa divinité, et sectateur des bonnes œuvres. Où sont maintenant ceux qui mettent en usage les choses pour lesquelles l'Apôtre dit que Dieu est venu ? Où sont les Chrétiens qui retranchent de leurs cœurs ces appétits déréglés ; qui fassent profession de la piété, et tout ensemble de la sobriété, et qui témoignent par leurs actions qu'ils ont l'espérance d'une gloire qui doit toujours durer. Quiconque vit bien et ne se laisse pas emporter aux tempêtes du temps, montre qu'il attend cette gloire, et qu'il mérite de la recevoir. Dieu (dit l'Apôtre) est venu pour laver de son Sang un peuple agréable à sa Majesté, et amateur des bonnes actions. Où est ce peuple pur et net ? Où est ce peuple agréable à Dieu ? Où est ce peuple {p. 172} qui fait gloire des bonnes actions ? L'Ecriture nous apprend que Dieu souffrant pour nous, a fait les chemins que nous devons suivre; peut-être que ces chemins nous conduisent aux Jeux publics et aux Spectacles qu'il défend ? Dieu nous a peut-être laissé ce témoignage pour ce sujet ? Dieu, dis-je, de qui nous ne lisons point qu'on l'ait vu rire, il a pleuré pour nous, parce que les pleurs sont des témoignages d'un esprit touché, et n'a point voulu rire, d'autant que c'est ainsi que les meilleures disciplines se corrompent ; Aussi a-t-il dit par la bouche de l'Evangéliste, Malheur sur vous qui riez, pource que vous pleurerez: Et au contraire vous êtes bienheureux vous qui pleurez maintenant, car vous rirez quelque jour.

Nous ne nous contenterions pas de rire et de nous réjouir si nous ne rendions nos réjouissances criminelles, par le moyen des vices que nous y mêlons. Nous ne pouvons-nous divertir sans faire des péchés de nos divertissements ; nous penserions que nos plaisirs seraient en quelque façon défectueux s'ils ne nous {p. 173} rendaient coupables, et qu'il n'y aurait point de contentement à rire si l'on n'offensait Dieu. Rions même sans mesure ; réjouissons-nous sans cesse pourvu que ce soit innocemment. N'est-ce pas une étrange folie que s'imaginer que nos divertissements ne seraient pas agréables s'ils n'étaient injurieux à Dieu.

Dans ces Spectacles dont nous avons parlé, nous nous déclarons en quelque façon apostats, transgresseurs de la Loi, et ennemis des Sacrements ; car la première protestation que les Chrétiens font au Baptême, n'est-ce-pas de renoncer au Diable, à ses Pompes, à ses Spectacles, à ses ouvrages. Nous les suivons toutefois après le Baptême ; nous savons bien que ces Spectacles sont des inventions du Diable: nous y avons renoncé ; d'où s'ensuit nécessairement qu'en y allant volontairement et avec dessein, nous devons reconnaître que nous retournons au Diable ; car après tout nous avons en même temps renoncé à l'un et à l'autre, et avons confessé que l'un et l'autre sont la même chose. {p. 174}

Si bien que si nous retournons à l'un, il est véritable que nous retournons à l'autre.

Je renonce, dit-on en se faisant baptiser, au Diable, à ses Pompes, à ses Spectacles, et à ses œuvres: et l'on ajoute aussitôt après, je crois en Dieu le Père Tout-puissant, et en Jésus-Christ son fils. L'on renonce donc premièrement au Diable, afin que l'on croie en Dieu, d'autant que quiconque ne renonce pas au Diable ne croît pas en Dieu ; et partant quiconque retourne au Diable, méprise et quitte son Dieu: Or les Démons se trouvent dans les Spectacles et dans les Pompes solennelles, de sorte que quand nous y retournons nous quittons la Foi de Jésus-Christ: Le mérite des Sacrements de notre Religion se perd en nous; tout ce qui suit dans notre Symbole est choqué, et tout ensemble affaibli ; Car le moyen de s'imaginer qu'une chose puisse demeurer debout quand son appui est à bas : Dis-moi donc, ô Chrétien, qui que tu sois, ayant perdu par tes mépris et par ta {p. 175} rébellion les principes de ta croyance, comment pourras-tu faire état de sa suite ? et comment t'imagineras-tu que le reste te pourra profiter ? Les membres sans la tête ne peuvent rien ; toutes choses dépendent de leur principe, et ne profitent pas sans lui. Quand les fondements d'un édifice sont sapés, tout le reste tombe en ruine ; les arbres qui n'ont plus de racine ne durent pas longtemps, et les ruisseaux de qui l'on tarit les sources se diminuent e se perdent bientôt : Enfin rien ne subsiste sans la tête.

Mais si l'on ne trouve pas que ces Spectacles dont nous avons parlé soient de si grande conséquence, que l'on considère attentivement ce que nous avons dit, et sans doute on reconnaîtra qu'au lieu de contentement ils nous apportent la mort, qu'ils nous perdent au lieu de nous divertir ; car en se retirant de ce qui peut entretenir la vie, ne se met-on pas au hasard de la perdre entièrement ; et lors qu'on a ruiné le fondement de sa Religion, n'a-t-on pas sujet d'appréhender la perte de son salut ? {p. 176}

Retournons maintenant à ce que nous avons si souvent dit, retournons aux Barbares, puisque les Chrétiens sont si détestables. Où trouvera-t-on chez eux tant de malheureux Spectacles ? Où sont leurs gladiateurs, et tous ces prodiges d'impureté qui paraissent chez nous ? Mais quand on verrait entre eux tout ce que je viens de dire, ils ne seraient pas toutefois si coupables que nous, parce que l'offense qu'ils feraient en voyant de si grandes impuretés ne serait pas suivie de la transgression de la Loi. Que pouvons-nous répondre au contraire qui nous excuse, et qui ne nous condamne ? Nous sommes en possession de la véritable croyance, et nous la ruinons ; nous confessons que nous avons le gage de notre salut, et tout ensemble nous le nions; Où est en nous le caractère de Chrétien ? Il semble que nous ne prenions les Sacrements du Christianisme, que pour nous rendre plus coupables par le mépris que mépris en faisons. Nous préférons les choses vaines au service de Dieu, nous méprisons les Autels, et nous respectons le {p. 177} Théâtre, nous aimons toute chose, nous avons toute chose en vénération e en comparaison de tout, il n'y a que Dieu qui nous semble méprisable. Bien que cette vérité ne manque point de preuves, je dirai néanmoins une chose qui la rendra visible à tout le monde. S'il arrive qu'en un jour de Fête on fasse des Jeux publics, les Eglises seront elles plus remplies, que les Lieux destinés aux Spectacles ? Les paroles de l'Evangile sont-elles une plus vive impression sur les cœurs que celles des Théâtres ? Je laisse pour juge de cette demande, la conscience de tous les Chrétiens, et je n'ai que faire de dire ce qu'une pernicieuse coutume fait voir trop clairement, l'on retient plus facilement un mauvais mot, qu'une sentence de l'Evangile, et l'on est plus content d'écouter les paroles de la mort, que celles de la vie: ainsi le Criminel aime mieux entendre ce qui le condamne, que ce qui lui donne la grâce.

Si un jour de Fête on apprend dans les Eglises, où l'on ne va bien souvent que pour adorer les créatures, qu'il y {p. 178 }a de ces divertissements en quelques lieux, l'on méprise le Temple, et l'on court au Théâtre; l'on quitte le Ciel pour aller aux Enfers. L'Eglise est vide en peu de temps, et en moins de temps encore le lieu qui reçoit les Spectateurs au Théâtre est rempli. L'on laisse sur les Autels un Dieu qui se donne à nous pour nourriture, et l'on va se repaître de la viande du Diable : L'on va commettre des adultères par la vue, l'on va applaudir à sa perte ; et lors que l'on se réjouit ainsi dans ses prospérités, l'on ne songe pas à ces paroles que Dieu prononce par la bouche du Prophète, vous serez perdus pour vos péchés, et les autels du ris et de la réjouissance seront abattus. {p. 179}

6. SIECLE. §

S. ANASTASE SINAITE PATRIARCHE D'ANTIOCHE,
dans le Traité de la sacrée Communion. §

Notre aveuglement est grand, notre négligence est extrême ; nous n'avons point de componction ; nous n'avons point de crainte de Dieu; nous ne corrigeons point nos mœurs ; nous ne faisons point et pénitence ; mais notre esprit s'applique entièrement à la malice et aux voluptés ; et il arrive souvent que nous passons sans peine les journées entières au Théâtre dans les conversations déshonnêtes, et dans les autres œuvres du Diable. Nous quittons le manger, nous abandonnons notre maison, nous négligeons nos affaires importantes, pour nous occuper à ces vanités, et à ces infâmes divertissements; et nous ne voulons pas demeurer une heure dans l'Eglise pour vaquer à la {p. 180 }prière, et à la lecture, et pour nous tenir en la présence de Dieu: Nous nous hâtons d'en sortir aussi vite que si nous nous retirions d'un embrasement: Si la Prédication de l'Evangile dure un peu trop, nous faisons éclater notre indignation, et notre impatience : Si le Prêtre fait des prières un peu longues, nous sommes sans goût, et sans attention : Si celui qui offre le sacrifice non sanglant tarde tant soit peu, nous nous ennuyons, et nous regardons la prière comme un procès dont nous voudrions avoir une prompte expédition ; et cependant suivant les mouvements du Diable, nous nous emportons dans les vanités, et dans les voluptés. Certes, mes frères, notre misère est grande ! {p. 181}

7. SIECLE. §

SAINT ISIDORE
Archêveque de Seville

Dans le 18. Livre des Etymologies Chap. 17. §

Un Chrétien ne doit avoir aucun commerce avec les folies du Cirque, avec l'impudicité du Théâtre, avec les cruautés de l'Amphithéâtre, avec la barbarie des Gladiateurs, avec l'infamie des Jeux de Flore ; C'est renoncer à Dieu que de s'amuser à ces vanités ; c'est se rendre prévaricateur de la Foi chrétienne que de rechercher après le Baptême les choses auxquelles on a renoncé en le recevant ; c'est à dire le Diable; ses Pompes, et ses œuvres. {p. 182}

8. SIECLE §

S. JEAN DAMASCENE

Dans le 3. Livre des Parallèles, Chap. 47. §

Il y a des Villes qui depuis le matin jusqu'au soir repaissent leurs yeux de divers Spectacles des Comédiens, et qui ne se lassent point d'employer un si longtemps à écouter des vers lascifs et licencieux, qui remplissent les esprits d'ordures, et il y a même des personnes qui appellent ces peuples heureux, en ce que quittant leurs affaires, et les occupations nécessaires pour l'entretien de la vie, ils passent les journées entières dans l'oisiveté et dans la volupté, ne considérant pas que le Théâtre où l'on représente ces Spectacles honteux, est l'Ecole commune et publique de l'impureté pour ceux qui s'assemblent ce lieu infâme. Ceux qui ont la crainte du Seigneur, attendent le Dimanche pour offrir leurs {p. 183 }prières à Dieu, et pour recevoir le Corps et le Sang de Notre Seigneur: Mais les lâches et les fainéants attendent le Dimanche pour ne point travailler, et pour s'abandonner aux vices. Ils courent, où plutôt ils volent aux Théâtres pendant que nous voyons les Spectacles de l'Eglise : Nous y voyons Jésus-Christ reposant sur la Table sacrée; nous y entendons l'Hymne que les Séraphins chantent dans le Ciel en l'honneur de Dieu ; nous entendons les paroles de l'Evangile ; nous y jouissons de la présence du Saint Esprit ; nous y entendons la voix des Prophètes ; l'Hymne dont les Anges glorifient Dieu, et ce chant de joie qui nous excite à louer sa divine Majesté. Tout y est spirituel, salutaire, et propre à nous rendre dignes du Royaume du Ciel. Ce sont là les Spectacles que l'Eglise donne à ceux qui y vont : Mais quels sont au contraire les Spectacles de ceux qui vont à la Comédie ? Ils n'y voient que les Pompes du Diable ; ils n'y entendent que la voix du Démon. {p. 184}

9. SIECLE. §

PHOTIUS
Patriarc. de Constantinople

Dans le Nomocanon. Tit. 9. Chap. 27. §

Si un Evêque, ou un Ecclésiastique assistent aux Spectacles du Théâtre, qu'on leur interdise la fonction de leur ministère pendant trois ans, et qu'on les enferme dans un Monastère. Que s'ils donnent des marques d'une pénitence sincère, les Prélats pourront abréger ce temps. {p. 185}

11. SIECLE. §

OLYMPIODORE

Sur le Verset 17. du Chapitre 4. de l'Ecclésiaste. §

Quand vous entrez dans la maison de Dieu, prenez garde à vos pieds, e approchez-vous pour écouter sa parole, Eccles. Chap. 4. v. 17. Réglez, dit le Sage, tout votre corps de telle sorte, que nous n'employons point pour faire le mal, les mêmes membres ont nous nous servons pour faire le bien : Comme s'il disait, je vous prie que ces pieds dont vous vous servez pour aller au Temple de Dieu, ne soient point employés pour aller aux Jeux du Théâtre, et aux Spectacles infâmes. Apprenez par-là que vous en devez user du même à l'égard des autres parties de votre corps. Certes ceux qui ont les pieds nets en entrant dans l'Eglise de Dieu doivent prendre garde de ne les point souiller, en allant dans des Lieux impurs et propanes qui déplaisent à Dieu. {p. 186}

12. SIECLE. §

SAINT BERNARD

Dans le Traité de la conversion des Mœurs, Chap. II. §

Quant à la vue des Spectacles vains, que sert-elle au corps, ou quel bien apporte-t-elle à l'âme et Certes vous ne trouverez point que l'homme tire quelque profit de la curiosité. Les divertissements sont de pures niaiseries: et je ne sais quel plus grand mal je lui pourrais souhaiter que la durée de ces vains, amusements qu'il recherche, et de cette inquiétude curieuse dont il est charmé, et qui lui fait haïr la paix et la douceur d'un heureux repos. Il est bien clair qu'il n'y a rien de solide en tous ces plaisirs, puis qu'on n'en aime que le mouvement passager par lequel ils succèdent les uns aux autres, et non pas leur continuation et leur durée. Que si les vanités ne sont que des choses vaines, comme nom seul le marque assez clairement ; {p. 187}Il faut nécessairement que le travail qu'on emploie à des choses vaines soit aussi vain qu'elles: O gloire ! Ô gloire, dit un Sage, qu'êtes-vous parmi la plupart des hommes, qu'une vaine enflure que le cœur conçoit par l'oreille ? Et cependant combien cette vanité heureuse, ou plutôt cette vaine félicité produit-elle de malheurs ?

C'est de là que vient l'aveuglement du cœur, selon ce qui est écrit : O mon peuple, ceux qui vous appellent heureux, vous trompent. C'est de là que viennent les peines fâcheuses    des soupçons, et les cruels tourments de la jalousie, etc.

Certes ce n'est pas tant une folie, qu'une infidélité d'aimer des choses si basses, ou plutôt des choses de néant, et d'estimer si peu cette gloire que nul œil n'a vue, que nulle oreille n'a ouïe, que nul esprit humain n'a imaginée, ces biens et ces trésors que Dieu a préparés pour ceux qui l'aiment. {p. 188}

JEAN DE SALISBERY
Evêque de Chartres

Dans le 1. Livre des Vanités de la Cour, Chap. 8. §

Notre siècle s'attachant à des fables e à de vains amusements, ne prostitue pas seulement les oreilles et le cœur à la vanité ; mais il flatte aussi son oisiveté par les plaisirs des yeux et des oreilles ; et il allume le feu de l'impureté cherchant de toutes parts ce qui est propre à entretenir les vices.

L'oisiveté est l'ennemie de l'âme, qui la dépouille de toutes ses inclinations vertueuses ; C'est pourquoi un très savant homme donne ce conseil : Que l'ennemi du genre humain, dit-il, vous trouve toujours occupé, afin qu'avec autant de bonheur, que de prudence, vous vous couvriez de vos occupations, comme d'un bouclier contre toutes ses tentations : Il faut fuir l'oisiveté comme une dangereuse Sirène ; et cependant les Comédiens nous y attirent. L'ennuy {p. 189} se glisse aisément dans un esprit vide qui ne se peut supporter lui-même, s'il n'a quelque volupté pour se divertir: C'est pour cela que l'on a introduit les Spectacles, et tous ces appareils de la vanité, ou s'occupent ceux qui ne peuvent vivre sans quelque amusement ; Mais c'est un dérèglement pernicieux ; car l'oisiveté leur serait encore plus avantageuse qu'une si honteuse occupation.

Estimez-vous un homme sage qui se plaît à écouter et à voir ces niaiseries ? J'avoue qu'un homme de bien peut honnêtement se donner quelque plaisir modéré : Mais c'est une chose honteuse à un homme grave de s'avilir, et de se souiller par ces sortes de divertissements infâmes. Un homme d'honneur ne doit point regarder les Spectacles, et particulièrement ceux qui sont déshonnêtes, de peur que l'incontinence de sa vue ne soit un témoignage de l'impureté de son âme ; C'est avec raison que Périclès étant Préteur reprit Sophocle son collègue, en ces termes: Il faut qu'un Magistrat n'ait pas seulement les mains pures, mais les yeux même ; C'est pourquoi {p. 190} un homme à qui la puissance Royale donnait une grande licence, faisait cette prière à Dieu: Détournez mes yeux afin qu'ils ne regardent point la vanité; car il savait bien qu'il est certain que la vue cause une infinité de maux ; ce que le Prophète Jérémie déplore dans ses Lamentations ; Mes yeux, dit-il, ont ravi mon âme comme une proie.

Vous ne doutez point que l'autorité des Pères de l'Eglise n'ait interdit la sacrée Communion aux Comédiens e aux Farceurs; d'où vous pouvez juger quelle peine méritent ceux qui les favorisent, Si vous vous représentez que les coupables des crimes, et leurs complices doivent être également punis. Ceux qui donnent aux Comédiens, dit Saint Augustin, pourquoi leur donnent-ils, si ce n'est parce qu'ils se plaisent au mal que font ces personnes infâmes ? Or celui qui se plaît au mal, et qui l'entretient est-il homme de bien.

FIN.