Drouas de Boussey, Claude

1768

Instructions sur les principales vérités de la religion

2017
Source : Instructions sur les principales vérités de la religion Drouas de Boussey, Claude p. 142-146 1768, rééd. 1787
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

Instructions sur les principales vérités de la religion §

{p. 142}CHAPITRE LII.
De la Comédie & des Spectacles ?

I. Si la comédie se bornoit à représenter, avec décence, des exemples édifiants, ou les actions mémorables des grands hommes, elle ne seroit point condamnable ; mais ce n’est point là ce qu’on y voit. Tout ce qui est capable de réveiller les passions, d’exciter la concupiscence de la chair & des yeux, & l’orgueil de la vie, s’y réunit. Car, {p. 143}sans parler du concours & des rendez-vous de la jeunesse de tout sexe, à qui la comédie est une occasion de désordre, jugeons de la comédie par ses circonstances & par les sujets qui y sont représentés.

1. Les circonstances & l’appareil de la comédie, les décorations agréables & enchantées, la vue des Actrices, leurs parures, leur enjouement, leurs voix insinuantes, les airs tendres & passionnés des Acteurs, les tours délicats sur la pudeur & l’amour profane, les traits satyriques, lâchés en passant sur la vertu ; tout cela ne fait-il aucune impression sur les cœurs ? Si on a peine à resister à ces impressions étant seul, y résistera-t-on dans la dissipation du spectacle ?

2. Quant aux sujets qui sont le fond & la base de la comédie, sans compter les bouffonneries, les extravagances, les sauts & les gestes dissolus ; ces femmes & ces Acteurs qui exposent leur vie en se balançant, en voltigeant indécemment sur des cordes, que voit-on dans le reste, qu’une peinture des passions, plus propre à les exciter qu’à les éteindre.

Tantôt une intrigue de galanterie, une maîtresse affligée, un rival supplanté, une femme jalouse, un mari dupé. Tantôt des satyres piquantes & malignes sur les différents états. D’autres fois des aventures tragiques, des trahisons, des fourberies, des combats, des vengeances méditées, des projets ambitieux, exécutés avec succès, une conspiration, des cruautés exécutées avec fureur, quelquefois même la Religion, les Personnes sacrées & les Puissances tournées en ridicule, &c.

En vérité, un Chrétien se peut-il croire innocent dans le plaisir qu’il prend à voir, à entendre ce qui excite en lui tant de passions différentes ? Et, quand il seroit sans passion, lui est-il permis {p. 144}de voir avec danger, & d’aimer avec complaisance les représentations des choses qu’il doit détester ? Dieu qui, par la sainteté de sa Loi, nous ordonne de veiller en tout temps sur nos sens, sur notre esprit, & sur notre cœur, pour en écarter les représentations & les pensées dangereuses, qui fera rendre compte d’une parole inutile & des moindres dépenses superflues, peut-il approuver des spectacles qui remplissent l’esprit & l’imagination de tant d’objets vains, ridicules & séduisants ? Peut-il approuver qu’on y emploie un argent dont on devroit soulager tant de pauvres familles qui gémissent dans l’indigence ?

II. Le monde cependant prétend avoir de grandes raisons pour les autoriser. La comédie, dit-on, est utile : elle déclame contre le vice autant que les Prédicateurs. Quelle indignité, de mettre le théatre en parallele avec l’Evangile, & de comparer la parole d’un Comédien avec celle de Dieu ! La comédie, il est vrai, rend le vice ridicule ; mais elle ne le rend pas odieux : elle en fait rire, mais elle ne le fait pas pleurer. Elle inspire la ruse, la défiance, le mépris d’autrui, la satyre, non la charité ; elle a fait commettre des millions de péchés, & jamais elle n’en a fait détester un seul.

Vous prêchez contre la Comédie, me dit un jour un homme qui avoit été parmi les Acteurs sur le théatre, vous avez bien raison : elle fait commettre cent fois plus de crimes que vous ne pouvez imaginer. Les fruits qui croissent sur les bords du lac de Sodome paroissent d’une beauté charmante ; mais aussi-tôt qu’on les touche, ils tombent en poussiere & répandent une infection insupportable. Tels sont les fruits de la Comédie ; en s’évanouissant, ils répandent dans l’ame un air contagieux.

Mais, dira-t-on, je n’y vas que par divertissement, je n’y ai jamais eu ni mauvaises pensées ni {p. 145}tentations. Vous vous trompez. Etourdi par l’enchantement du spectacle, vous n’avez pas connu ce qui se passoit en vous. Dans le saint lieu même souvent vous avez eu des tentations : comment n’en auriez-vous pas à la comédie ? Vous avez pensé dans ces spectacles aux objets que vous y voyiez, & à ce qu’on y disoit ; vous en sortiez avec un esprit rempli d’idées profanes qui vous ôtoient le goût des choses de Dieu & de vos devoirs, qui vous dissipoient jusques dans vos prieres. D’ailleurs le plaisir de voir, d’entendre, de goûter ce qui agitoit en vous tour-à-tour différentes passions, ne sont-ce pas autant de tentations ? S’il vous faut quelque divertissement, faites comme d’autres, qui, sans aller aux bals & à la comédie, savent se divertir innocemment.

Mais, ajoute-t-on, S. François de Sales ne condamne pas les danses & les spectacles. Cela est faux. Loin d’approuver ces sortes de divertissements, il a écrit tout ce qui est capable d’en faire connoître le ridicule, le danger & le venin. Ce grand Saint, à la vérité, en faveur de ceux qui dans certaines conjonctures, qui sont rares, se voient comme forcés de s’y trouver, prescrit des précautions pour y conserver l’innocence ; mais il ne plaît pas aux gens du monde de les prendre, ces précautions ; ils ont donc mauvaise grace d’autoriser les danses & les spectacles, par le témoignage de ce saint Evêque.

N’alléguez point, qu’étant lié avec le monde, vous ne pouvez vous dispenser de faire comme les autres, ni vous passer de ces sortes de divertissements. S. Augustin vous répondra que bien d’autres, plus distingués & meilleurs que vous, s’en dispensent & s’en passent. Pourquoi ne pourriez-vous pas faire de même ? Nunquid delicatior es illo Senatore ? Tu non potes ? Ille potuit.

{p. 146}Il faut donc, ajoutez-vous, vivre comme des solitaires & des misanthropes. D’ailleurs, ne vaut-il pas mieux aller à la comédie & au bal, que de faire plus de mal ? un pareil discours dans la bouche d’un Chrétien, est un raisonnement insensé, qui ne mérite pas qu’on y réponde : Ne respondeas stulto, dit le Sage, juxta stultitiam suam, Prov. 26.