Esprit Fléchier

1709

Mandement de M. L'Evêque de Nîmes contre les Spectacles

Édition de Doranne Lecercle
2018
Source : Esprit Fléchier, Mandement de M. L'Evêque de Nîmes, Paris, Jacques Estienne, 1709.
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d'édition) et Clotilde Thouret (Responsable d'édition).

[FRONTISPICE] §

MANDEMENT
DE MONSEIGNEUR
L'EVEQUE DE NISMES
Contre les Spectacles.
Aux Fideles de son Diocese.

A PARIS
Chez Jacques Estienne ruë saint Jacques
au coin de la ruë de la Parcheminerie, à la Vertu
[1709]

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Mandement
de Monseigneur
l’Evêque de Nîmes

Contre les Spectacles
Aux Fidèles de son DiocèseI. §

ESPRIT FLECHIER, par la grâce de Dieu, et du Saint Siège Apostolique, Evêque de Nîmes, Conseiller du Roi en tous ses Conseils : A tous les Fidèles de notre Diocèse, Salut et Bénédiction.

Mes très-chers Frères.

Nous voyons avec douleur depuis quelque temps, l’affection et l’empressement que vous avez pour les Spectacles, que nous avons souvent déclarés contraires à l’esprit du Christianisme, pernicieux aux bonnes mœurs, et féconds en mauvais exemples, où, sous prétexte de représentations et de musiques innocentes par elles-mêmes, on excite les passions les plus dangereuses ; et par des récits profanes et des manières indécentes, on offense la vertu des uns, et l’on corrompt celle des autres.

Nous crûmes la première fois, que ce n’était qu’une curiosité passagère d’un divertissement inconnu, dont vous vouliez vous désabuser, et nous eûmes quelque légère condescendance : mais puisque c’est une habitude de plaisir, et une espèce de libertinage qui se renouvelle tous les ans, nous connaissons que ce n’est plus le temps de se taire, et qu’un plus long silence pourrait vous donner lieu de penser que nous tolé- {p. 4}rons ce que l’Eglise condamne, et que nous condamnons avec l’Eglise.

Nous étions assez occupés à ramener les Hérétiques, à détruire leurs erreurs et leurs préventions, à corriger les vices et les faiblesses ordinaires des hommes : on n’avait guère vu de théâtre dressé dans cette Ville ; l’art de corrompre les cœurs par des chants et par des spectacles, n’y était pas encore introduit. L’oisiveté n’avait pas encore amolli les esprits, et l’hérésie même avait horreur de ces corruptions publiques.

La Providence divine semblait nous avoir mis à couvert pour toujours de cette espèce de séduction, par la chute des premiers qui vous l’apportèrent. On les vit méprisés et misérables, traînant une triste et honteuse pauvreté dans ce Diocèse, où ils avaient conçu le dessein et l’espérance de s’enrichir.

Nous ne plaignîmes pas leur sort ; nous les assistâmes pourtant, et nous vous louâmes, Mes très-chers Frères, d’avoir contribué à les humilier par vos dégoûts, et à les secourir par vos charités.

Cependant nous avons vu tout d’un coup renaître une nouvelle troupe, et s’élever un second théâtre sur les ruines du premier. Nous en fûmes surpris ; mais ce qui nous toucha le plus, Mes très-chers Frères, ce fut l’ardeur avec laquelle vous couriez à de tels spectacles. L’argent, qui vous coûte tant à donner à nos hôpitaux, vous le donnezII là avec complaisance. Vous alliez avec joie vous divertir des passions d’autrui, et nourrir peut-être les vôtres.

Vous aimiez à voir et à entendre ces filles de Babylone, qui chantaient les cantiques de leur pays.

Vous leur donniez vos approbations, et par vos applaudissements et vos flatteries, vous échauffiez ces {p. 5}serpents à mesure qu’ils vous piquaient : vous faisiez part de ces recréations empoisonnées aux personnes que vous aimiezIII, et ce qui est plus déplorable, vous donniez à vos enfants encore innocents, la vue de ces vanités, pour récompense de leur sagesse.

Ceux qui sont nés dans les lumières de la foi et de la Religion Catholique, ne rougissent-ils pas d’avoir part à ces œuvres de ténèbres : mais vous, Mes très-chers Frères, qui êtes sortis du sein de l’hérésie, quand ce ne serait qu’en apparence, dans le temps queIV vous viviez dans le libre exercice de vos erreurs, osiez-vous, ou par crainte, ou par conscience, approcher de ces spectacles que vous fréquentez aujourd’hui ? Vous réserviez au soulagement de vos Frères l’argent qu’il ne vous était pas permis d’employer à cette sorte d’amusement. Vous assigniez à Jésus-Christ, en la personne de ses pauvres, une portion des fruits de votre commerce, en reconnaissance de la bénédiction qu’il y répandait. Vous ne vous souvenez que trop de vos lois et de vos coutumes passées. N’avez-vous oublié de votre ancienne discipline que la privation des spectacles qu’elle vous avait interditV, et les aumônes qu’elle vous obligeait de faire ?

Mais enfin vous satisfîtes vos désirs. Nous avions espéré que ces plaisirs ayant perdu pour vous la grâce de la nouveauté, et vous, ayant perdu le goût de ces plaisirs, vous n’abuseriez plus de nôtre silence.

Mais hélas ! à peine les traces impures de ce premier passage étaient effacées, que l’esprit immondeVI est revenu ; qu’il s’est comme mis en possession de cette Ville ; qu’il y établit ses opérationsVII, et qu’en quelque façon il s’y perpétue, si nous ne résistons à cette introduction dangereuse, et si nous ne troublons cette paix, avec laquelle il prétend régner sur nos Diocésains.

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Nous y sommes d’autant plus obligés, que le Ciel n’est déjà que trop irrité contre nous. Convient-il, Mes très-chers Frères, d’étaler sur des théâtres un attirail de vanité; d’y jouer des Scènes divertissantes, et d’y remplir l’esprit et le cœur des peuples de frivoles et ridicules passions, dans des conjoncturesVIII où chaque citoyen doit prier pour son Prince X ; où le Roi s’humiliant le premier lui-même sous la main toute-puissante de Dieu, implore ses anciennes miséricordes ; et touchéXI d’une guerre que la justice et la Religion l’obligent de soutenir, met tout son Royaume en prière Prières ordonnées partout., et fait passer de son cœur royal dans celui de tous ses Sujets, son humble confiance en Dieu, et sa charité pour son peuple.

Les spectacles, quand ils seraient innocents, ne doivent-ils  :pas être défendus dans ces temps de tribulation ? Ne sait-on pas que (selon le SageEccles. ch. 9.) la musique dans le deuil est une musique à contretempsXII ; et que Jésus-Christ fit sortir d’une maison affligéeles Joueurs de flûte, et la troupe bruyante qui les suivaitXIIIEv. de S. Math. ch. 9. ?

Les saints Canons ont toujours défendu les réjouissances publiques aux pénitents ; et quand le serons-nous, Mes Très-chers Frères, si nous ne le sommes lorsque nous voyons la colère du Ciel répandue sur toute la terre. L’Eglise retranche même dans les jours de tristesse et de deuil, les solemnités de son culte, les parures de ses Autels et de ses Ministres, la douceur même et la gaieté de ses chants ; et vous irez repaître vos yeux des agréments affectés, et du pompeux ajustement de quelques femmes licencieuses, et prêter l’oreille à la voix et aux récits passionnés de ces Sirènes, dont parle IsaïeIsay. ch. 13., qui habitent dans les Temples de la voluptéXIV.

Vous croyez peut-être, Mes Très-chers {p. 7}Frères, qu’il est bon d’amuser et d’étourdir, pour ainsi dire, les craintes et les inquiétudes des peuples, et de leur mettre à la place de tant de tristes objets qui les environnent, des idées qui les divertissent.

Peuvent-ils ignorer les fureurs et les agitations du monde ? Ne sentent-ils pas les maux présents et ne prévoient-ilsXV pas les maux à venir ? Est-ce au pied du théâtre, ou de l’autel qu’on va chercher les consolations des tristesses publiques ou particulières ? Les malheurs réels que nous ressentons, ou dont nous sommes menacés, se guérissent-ils par des chansons et par des fictions faites à plaisir ? Pendant qu’Israël et Juda, Joab et vos Princes sont sous des tentes, dans les brûlantes ardeurs de la guerre et de la saison, il vous sied bien d’écouter à vôtre aise, un Chanteur ou une Chanteuse, et de voir sur un théâtre, comme en raccourci, la figure du monde qui passe.

Ne croyez pas, Mes Très-chers Frères, que nous voulions vous effrayer : nous espérons aussi bien que vous, que nous aurons sujet de nous réjouir, et que le Seigneur bénira nos armes : mais sera-ce aux Dieux de l’Opéra que nous ironsXVI porter votre reconnaissance et vôtre joie ? c’est au Dieu vivant que nous offrirons nos solennelles actions de grâces ; nous chanterons les Cantiques de Sion dans nos Temples : Nous nous réjouirons, et notre modestie sera connue de tout le mondeXVII. Nous adorerons le Dieu des armées, et nous substituerons des spectacles de Religion aux spectacles impurs et profanes, dont vous n’avez été que trop enchantés.

Nous vous conjurons, Mes Très-chers Frères, par Notre SeigneurXVIII Jésus-Christ, de vous en abstenir. Evitez les pièges funestes que le Démon vous a tendus. Ne fournissez pas à vos convoitises de quoi se soulever contre vous. Ecoutez la voix du Pasteur, qui vous exhorte et vous sollicite, qui aime mieux {p. 8}devoir votre obéissance à ses charitables conseils, qu’aux censures que l’Eglise lui a mises en main. Donné à Nîmes, dans notre Palais Episcopal, le huitième jour de Septembre mil sept cents huit.

APPROBATION
J'ai lu un Manuscrit intitulé Mandemant de Monseigneur l'Evêque de Nîmes contre les Spectacles.
PERMISSION