Anonyme

1698

Caractères tirés de l’Ecriture sainte

Édition de Clément Scotto di Clemente
2018
Source : Caractères tirés de l’Ecriture sainte et appliqués au moeurs de ce siècleAnonymeParisLouis Guerinp. 137-1581698
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

[FRONTISPICE] §

CARACTÈRES
TIRÉS
DE
L'ÉCRITURE SAINTE,
ET
APPLIQUÉS
AU MOEURS
DE CE SIÈCLE

A PARIS,
Chez Louïs Guerin, ruë saint Jacques,
vis-à-vis la ruë Mathurins
à saint Thomas d'Aquin.
____________
M. DC. XCVIII.
Avec Approbation et Privilège du Roy

{p. 137} DU SEXE DEVOT.

Sans rechercher curieusement l’origine de cette louange, que l’Église a donnée aux femmes ; l’on peut assurer que leur piété leur a mérité l’avantage d’être si glorieusement distinguées des hommes : Mais l’on peut aussi demander d’où vient que la dévotion, ce sentiment vif et ardent de la Religion, s’est plus établie entre elles que parmi nous ?

Je vous en dirai ma pensée tout simplement, Agathon : C’est que jamais aucune autre Religion ne fut si favorable aux femmes que la Chrétienne ; et qu’elle l’est encore beaucoup plus aux femmes, qu’aux hommes. Oui, cet esprit doux, patient, humble, chaste, charitable, miséricordieux, qui fait le caractère {p. 138}et l’excellence des mœurs du Christianisme, a plus de convenance avec le génie et le cœur des femmes, à qui la douceur et la patience, la soumission et la pudeur, la compassion et la charité, sont des vertus presque naturelles : Au lieu que nous autres, si nous les voulons acquérir, nous sommes obligés de travailler beaucoup sur notre cœur ; qui est naturellement violent et impatient, fier et sensuel, dur et impitoyable.

Mais ne parlons que de ce qui est absolument le propre de leur Sexe : Quelles obligations n’ont-elles pas à Jésus-Christ pour les avantages qu’elles trouvent dans le mariage Chrétien ? voyez un peu, la chose mérite bien votre attention.

Le Sauveur du monde les a déchargées des preuves auxquelles les maris avaient droit dans le Judaïsme, contre celles qui {p. 139}n’avaient pas conservé pour le mariage leur cœur tout entier et leur premier amour : Et ce défaut de sagesse aussi bien que de justice envers un mari qu’on avait trompé en l’épousant, n’était pas seulement un empêchement dirimantI du mariage ; il était même puni de mort, conformément à la loi qui condamnait ces jeunes et secrètes pécheresses à être lapidées. N’est-ce pas là déjà un point important ? Car si la loi subsistait encore, n’y en aurait-il point aujourd’hui plusieurs que la crainte de ce châtiment obligerait de renoncer au mariage ? Outre que bien des maris soupçonneux, emportés, et brutaux diffameraient de jeunes femmes sages et honnêtes, par une fausse accusation ; au hasard des peines portées contre eux par la même loi ; et qui n’allaient qu’à perdre le droit de pouvoir répudier leur {p. 140}femme, et à payer une amende pécuniaire à ses parents.

Jésus-Christ a délivré encore leur Sexe de l’esclavage du Sérail, où pour une femme qui a le cœur de son mari, toutes les autres sont à peu près traitées comme des esclaves dont on se sert sans amitié ; et où elles vivent dans une perpétuelle guerre de jalousie, de haine, de querelles, et de factions. Or n’est-ce pas beaucoup, qu’ayant réduit le mariage à l’unité parfaite selon sa première institution, il ait donné à chaque femme le cœur tout entier de son mari ; sans ce partage odieux que la polygamie avait établi, et fait encore subsister dans plus de la moitié du monde ?

Un troisième bienfait est l’affranchissement du droit que les hommes s’étaient acquis par une condescendance de la loi à la dureté de leur cœur, s’étaient, {p. 141}dis-je, acquis, de se défaire d’une femme avec un morceau de papier : L’Évangile l’appelle le Libelle de répudiation ; et il a entièrement aboli ce droit, en assujettissant les hommes à l’indissolubilité du mariage, comme ils y avaient toujours tenu les femmes assujetties.

Enfin Jésus-Christ les a absolument déchargées de ce sacrifice terriblement onéreux, que la loi appelait le sacrifice de jalousie ; et par lequel les maris jaloux éprouvaient la fidélité suspecte de leurs femmes, en la manière qu’on verra dans le second volume de cet ouvrage.

Agathon, soit donc que nous considérions la convenance des saintes mœurs du Christianisme, avec les dispositions naturelles du génie des femmes ; soit qu’on pense que les autres Religions les ayant tenues, et les tenant encore dans une sorte d’esclavage {p. 142}bien dur, Jésus-Christ leur donne une douce et glorieuse liberté : Qui pourra douter que son Évangile ne soit pour elles encore plus que pour nous, la loi de grâce ? Que tout cela n’ait beaucoup servi à les attacher à Jésus-Christ par une plus sensible reconnaissance ; à les rendre plus dévotes que nous ; et que cette tendre et fidèle piété ne leur ait justement mérité la louange d’être le Sexe dévot ?

Nous parlons encore ainsi tous les jours : mais parlons-nous juste ? Est-ce aujourd’hui une véritable louange, ou seulement un titre vain et spécieux ? Les femmes de notre siècle ne jouissent-elles point de la bonne réputation, que celles des siècles précédents ont acquise à leur Sexe ; comme de certains sots, qui se croient être de grands hommes par la gloire de leurs {p. 143}ancêtres ? En un mot, n’en est-il point d’elles, comme de ces Gentilshommes ruinés qui portent le nom des terres qu’ils n’ont plus ? Je vous avoue, Agathon, que j’ai de la peine à décider : Car outre que j’ai un penchant naturel à ne pas juger mal de mon prochain, les raisons qui se présentent à mon esprit sur cette affaire, me partagent ; et si vous le voulez, nous les examinerons sans aucun préjugé.

J’entends déposer publiquement contre elles tous ces bons faiseurs de Satires, de Caractères, et de Comédies, à qui l’on donne la louange de peindre si fidèlement d’après nature les mœurs de nos temps : Et pour faire ces portraits plus ressemblants, l’on emprunte les noms des femmes Grecques, et Romaines qui ont le plus deshonoré leur Sexe, et leur siècle.

{p. 144}L’on a tant couru au Théâtre Italien qui s’enrichissait de jour en jour, des pertes que notre nation faisait en l’honnêteté des mœurs : Et l’on voulait que la raison de cet empressement, fût le plaisir d’y voir deux Comédies pour une, et deux sortes d’Acteurs et d’Actrices pour une seule action ; les véritables dans les loges, et les imaginaires sur le Théâtre ; la Comédie en son réel, et la Comédie en sa représentation.

L’on sait tant de mariages faits avant le Sacrement ; tant d’enfants trouvés, et maintenant, commence-t-on à dire retrouvés, pour en faire l’amusement du père ou de la mère ; tant de nourrices qui n’ont reçu leurs nourrissons que par la voie secrète d’une manière de fidei-commisII ; tant de femmes, qui pour se décharger d’un censeur incommode, perdent un bon {p. 145}et honnête mari.

L’on se plaint ouvertement de la ruine des Sages-femmes bientôt exterminées par les accoucheurs ; de l’extinction de la charge de Demoiselle suivante, et de l’érection de celle de Valet de chambre ; de la liberté qu’une femme a d’aller seule dans tout Paris, sans autre compagne qu’une écharpe, comme un Moine, qui pour son compagnon prend son chapeau sur son froc : De sorte qu’avec une écharpe comme avec un chapeau, l’on a mis en usage d’aller où l’on veut, et de pouvoir faire tout ce que l’on ne serait pas tenté de faire, en la présence d’une Suivante ou d’un oblatIII.

Il y a longtemps que les mères ne se trouvent pas assez fortes de santé pour nourrir leurs enfants : Et maintenant elles se trouvent trop faibles en vertu, {p. 146}pour leur donner une bonne éducation, surtout à leurs filles.

L’on dit qu’on a grand tort d’avoir condamné et réduit les femmes à l’ignorance ; car on leur trouve aujourd’hui tant d’esprit pour les Sciences, et principalement pour le droit, que bien des gens, et même leurs maris, jugent qu’un procès réussit mieux entre leurs mains.

Dans les ménages on se partage pour la garde et le bon ordre de la maison : Mais le malheur est que Monsieur la garde toute la nuit avec beaucoup d’inquiétude ; et Madame durant le jour fort en repos.

L’on disait en France il n’y a pas encore vingt ans, que du moins la Langue y était chaste : Mais un nouveau Dictionnaire qui n’est que trop à la mode, est venu nous ôter ce reste de pudeur, et les personnes qui y {p. 147}ont le plus travaillé, sont beaucoup de femmes devenues si hardies à parler, qu’elles s’applaudissent de faire rougir des hommes qui ne sont pas même dévots. Si elles voulaient au moins commencer à régler leur conduite par changer de Dictionnaire, et s’en tenir à celui de l’Académie, qui a ménagé la pudeur de la Langue Française ; nous commencerions à bien espérer de leur conversion.

Faire tourner la tête à un homme par le charme de l’amour, ç’a été de tout temps l’art trop naturel des femmes, qui ont même quelquefois ce malheur contre leurs propres intentions ; mais qu’elles entreprennent de lui brouiller la cervelle le verre à la main ; je ne l’avais pas ouï dire depuis le bon homme Loth qui y fut vilainement attrapéIV : moins coupable cependant en un sens, que ne {p. 148}sont ceux qui feignent de l’être pour se divertir des mauvaises suites. Non, je ne l’avais pas ouï dire depuis ces deux détestables filles qui y réussirent ; avec cette différence, qu’elles y conservèrent leur raison en y perdant la pudeur ; et que celles dont nous parlons y perdant ordinairement la raison, ne sont plus en état d’y conserver la pudeur.

Jeu et luxe, bassette et lansquenetV, mouches et fard, coiffures fantasques et nudité de gorge, bal, comédie et opéra, sujets ordinaires de la morale de nos Prédicateurs, je vous abandonne à leur zèle ; trop muet, hélas ! sur tant d’horreurs qui me font dire que notre siècle serait en quelque manière heureux, si l’honnêteté des mœurs en était quite pour les atteintes qu’elle reçoit de ces autres dérèglements. Mais si les Ministres {p. 149}de l’Évangile se taisent, en se plaignant peut-être, qu’ils n’ont pas la liberté prophétique de tout dire : La Providence a permis que la liberté comédienne et satirique y ait suppléé ; et que le siècle ne passât point, sans se voir reprocher publiquement sa corruption toute entière.

Oh ! je vous entends ce me semble dire Agathon, que je vais bien loin, et que je charge trop l’instruction du procès de ce pauvre Sexe. Pas trop, Agathon, pas trop, la partie est plus forte que vous ne pensez ; et il y a bien des choses qui font un grand contrepoids à ces articles fâcheux.

Oui, Agathon, oui elles vont sans fin au salut ; et vous savez la belle dévotion que c’est : Car l’on croit presque aujourd’hui qu’assister au Salut, soit opérer indubitablement son salut.

Elles donnent un grand éclat {p. 150}aux Ministres de la parole de Dieu dans leurs Sermons : Là, et par tout ailleurs, l’on compte toujours dix fontangesVI pour une perruque blonde.

Elles font de grosses quêtes dans les Paroisses, dans les Couvents, dans les Assemblées de charité : Et ces jours-là elles se donnent charitablement la peine de se décorer par merveille ; pour exciter la compassion chrétienne envers les misérables.

Est-il une prison dans Paris où elles n’aillent en cortège ? Est-il un Abbé qui ne les trouve faciles à les engager à son Sermon, ou du moins à envoyer leurs Carrosses au tour de l’Église ? Est-il une bonne œuvre où elles n’entrent les unes ou les autres ? Est-il une Église qui ne soit décorée de leurs plus belles nippes, quand la mode en est fort passée, ou quand la bienséance de l’âge n’en permet plus l’usage ?

{p. 151}Sans elles la piété languirait partout, et nos Églises seraient presque désertes : Car si elles n’y venaient pas ; combien de Cavaliers et de prétendus Abbés, de jeunes Financiers et Officiers de Justice, n’y mettraient pas le pied, ni pour le Salut, ni pour le Sermon, ni peut-être encore pour la Messe ? Voyez le bien que cela fait pour la conscience de ces Messieurs ; pour la consolation des Ecclésiastiques, et des Religieux qui se réjouissent, et toujours à la gloire de Dieu, de voir le beau monde à leurs Fêtes, pour l’édification du bon peuple qui s’en retourne admirablement content du beau Sermon, du beau Salut, de la belle Messe ! Ne voilà-t-il donc pas de la dévotion ? Beaucoup assurément.

Il n’y a en tout cela que deux choses un peu fâcheuses : L’une est le terrible scandale que nos {p. 152}Églises en souffrent souvent, et l’autre est que Messieurs les Confesseurs de Paris, et de Versailles disent quelquefois entre eux, qu’on ne sait où se confessent bien des femmes : Est-ce là, est-ce ici ? Nous ne les voyons point, dit-on, dans les Paroisses ; ni nous aussi, dit-on, dans les Couvents.

Hé bien, Agathon, le procès est suffisamment instruit : Recueillez les voix, jugez, prononcez, sans avoir égard à un petit nombre d’honnêtes, et véritables dévotes que j’excepte. Pour moi, je crois, que quelque préjugé favorable que vous ayez pour le Sexe, vous ne pouvez pas vous dispenser de le condamner du moins, à n’être plus appelé que le prétendu Sexe dévot : Et certainement il doit en être aussi satisfait, que le Huguenotisme fut content d’être nommé, la Religion Prétendue Réformée.

{p. 153}Mais en cette affaire, il y a un point qui me tient bien au cœur : Et c’est que comme l’on a eu un grand zèle pour convertir ceux qui faisaient profession de la Religion Prétendue Réformée, on en eût autant pour la conversion du Sexe prétendu dévot. L’entreprise est grande ; qui sera l’Entrepreneur ? Ce ne sera pas moi assurément ; et je me contenterai de marquer ici les vues que le désir d’une réformation si nécessaire, m’a données.

Premièrement, puisque la grâce de Jésus-Christ, laquelle suppléait abondamment à la rigueur des lois de Moïse pour conserver dans ce Sexe l’honnêteté des mœurs, est maintenant si violemment contredite, et combattue par une conduite libertine ; Je voudrais sans en revenir à toute la sévérité Judaïque contre les filles et les femmes, {p. 154}que l’on fît trois ou quatre règlements bien appuyés de l’autorité Episcopale, et bien déclarés aux personnes intéressées. Et parce que les Ordonnances et Censures Ecclésiastiques n’ont jamais tant de force, que les Lois Civiles portées sous de certaines peines : J’approuverais fort l’expédient du P.S. qui proposa de faire passer en parti, une certaine amende au profit des pauvres. Il n’est pas le premier qui ait fait cette proposition, sur la pratique de la Religion : Car il y a longtemps que j’ai entendu un Prédicateur, bien faire valoir un excellent endroit de saint Jean Chrysostome, où ce saint Père dit avec beaucoup d’éloquence, que si César avait fait un Édit touchant la réconciliation extérieure des ennemis, la crainte d’une taxe, ferait ce que ne fait pas la crainte de l’Enfer ; et que {p. 155}César serait mieux obéi que Jésus Christ.

Le second moyen que je propose, est une pieuse association de toutes les femmes et filles d’une vie chrétienne, mais exempte des affectations qui blessent les bienséances raisonnables du monde : Association toute semblable à celle dont parle un célèbre Espagnol, Louis VivèsVII, homme d’un fort beau génie. Il dit que dans une ville d’Espagne extrêmement déreglée, une partie du Sexe, laquelle s’était préservée de cette corruption, ramena l’autre à la régularité de leurs devoirs : Et puis toutes ensemble conspirèrent si hautement contre ce qu’il y avait d’hommes libertins, qui n’étaient point reçus dans leurs sociétés, qu’en peu de temps on y vit refleurir l’ancienne honnêteté des mœurs, sans perdre {p. 156}la douceur de la joie.

Or je vous avoue, Agathon, qu’en ce temps où l’on aime fort à être Fondateur ou Fondatrice, ne fut-ce que d’une petite Communauté, j’aurais de la consolation pour la gloire de Dieu, de voir le Patriarcat de cette association bien établi. La complaisance respectueuse que les hommes ont pour le Sexe, non seulement par un instinct naturel, mais encore par un usage particulier à notre nation, me répondrait du succès, au moins à l’égard de toute l’honnêteté extérieure : Et quand elle serait une fois rétablie, le cœur se rappellerait insensiblement à l’amour, et aux lois exactes de la pudeur. A la vérité le point le plus difficile de toute l’entreprise, serait à mon sens, que ce qu’il reste de saint parmi le Sexe, fût assez fort pour {p. 157}le bien guérir de la maladie mortelle dont il est frappé.

J’ai pensé oublier le plus nécessaire de tous les moyens qu’on puisse employer à cette réformation ; parce que j’ai dessein de traiter une autre fois cette importante matière : C’est de donner aux filles une autre éducation qu’on n’a pas fait depuis quarante ans. On reconnaît déjà qu’on s’y est trompé ; on sent la nécessité de s’y prendre autrement ; et j’examinerai à loisir les règles que l’on peut s’y prescrire.

Si ces réflexions et les autres qui ont précedé celles-ci, ont le malheur d’être inutiles ; je ne sache plus qu’une ressource, et cela me consolera de tout : C’est la prière que l’Église fera avec autant de ferveur que jamais, pour supplier la sainte Vierge, qu’elle daigne par son {p. 158}intercession procurer toutes les grâces nécessaires à ce Sexe, dont elle est la gloire et l’exemple. Ora pro devoto fœmineo Sexu.