Mademoiselle de Beaulieu

1603

La première atteinte contre ceux qui accusent les comédies

Édition de François Lecercle
2014
Source : Mademoiselle de Beaulieu, La première atteinte contre ceux qui accusent les comédies. Par une demoiselle françoise, Paris, Jean Richer, 1603.
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d'édition), Clotilde Thouret (Responsable d'édition) et Chiara Mainardi (XML-TEI).

[FRONTISPICE] §

LA
PREMIÈRE
ATTEINTE CON-
TRE CEUX QUI
accusent les Co-
médies
Par une Demoiselle Française.
A PARIS.
Par Jean Richer, tenant sa boutique
au Palais, sur le perron vis-à-vis de la gal-
lerie par où on va à la Chancellerie,
1603.

A Madame de Nemours §

MADAME,

Comme il vous a plu être la première cause de l’honneur que j’ai reçu d’un Prince accompli de tant de grâces qu’il ne s’y peut rien ajouter que le désir qu’elles soient perpétuelles : j’ai pensé que vous aurez agréable, Madame, que je vous en remercie très humblement, et offre pour lui donner ce discours, et ces petits vers ; si vous les rejetez, pour être éclos de mon ignorance, recevez-les étant conçus de sa perfection : et que la vôtre me pardonne, Madame, si à l’imitation de ces pauvres qui ne voulaient porter les fleurs aux Dieux, que le Soleil ne les eût rayonnées, je conjure et supplie votre vertu de les éclairer de [np]sa lumière, leur donner l’odeur et la couleur pour les rendre offrande pure et digne de l’Autel ; le respect et la crainte m’en eussent retenueI, sans l’assurance que j’ai prise que vous imiterez ces corps célestes dont l’influence passe sur tous les Eléments, et s’arrête en la terre pour sa nécessité. Faites ainsi en la mienne, Madame, qui m’empêche de mettre ici mon nom, jugeant que vous me remarquerez comme ces Cités désertes qui sont connues des passants par leur pauvreté : si je le suis de toutes choses, que ce ne soit pas de votre faveur. Et comme vos effets ont appuyé votre nom d’une louange éternelle, qu’elle me fasse l’honneur de me permettre, après avoir prié Dieu qu’il ajoute à la couronne de vos gloires et de votre postérité celle de toutes bénédictions, le titre, Madame, de

Votre très humble, très fidèle obéissante et obligée servante, M. D. B.
[n.p.]

A Monseigneur le duc de Nemours §

Monsieur,

Encore que ce petit discours ne soit digne de la grandeur de votre esprit, j’ai cru que vous me feriez l’honneur de l’accepter, non tant pour vous satisfaire, que pour honorer ma nécessité, qui espère que vous estimerez l’effet pour le mérite de la cause, et un pauvre don d’un riche désir : le mien n’a rien de plus cher que le respect qu’il rend en affection à vos perfections, Monsieur, qui enrichissent le monde, remplissent les âmes d’admiration, l’univers de gloire, et cette grande Princesse (vive image de la vertu de nos antiques Rois) de contentement, voyant plus louer la personne que le Prince, parce qu’il est aussi grand de mérite que de nom, en l’un la [n.p.]pensée manque, en l’autre la voix se perd : Et pour ne perdre cette petite œuvre, j’ai pris la hardiesse de l’appuyer du vôtre, Monsieur, jugeant qu’il n’aura faveur ni lumière que celle qu’il tirera de vous, qui portez en terre les grâces du Ciel où il éclairera ses ténèbres : Et parce qu’en l’entreprise glorieuse la faute est digne de pardon, j’ai cru que vous y serez aussi prompt, Monsieur, comme je vous ai vu libéral aux louanges de l’esprit de la Signore Isabelle, dont les Comédies se peuvent maintenir, puisque vous les avez jugées, Monsieur, un plaisir semblable aux repos des Avettes, où il n’y a souillure, pollution, ni amertume : la crainte que mes paroles en apportent aux douceurs de vos Muses, me fera finir, et en toute l’humilité que je puis, vous baiser les mains, et supplier me permettre la gloire de me qualifier, Monsieur,

Votre très humble, très obéissante, et très fidèle servante.
[n.p.]

A Monseigneur de Nemours §

Stances
Esprits animés de l’envie
De revivre après votre vie,
Si par un soin ambitieux,
Craignant que votre nom ne tombe
En silence dessous la tombe
Vous cherchez la cause des Cieux.

Les effets, la course admirable
De ce bel Astre infatigable,
Désireux de revoir un jour
Athènes et la Philosophie,
Je vous laisse Amants de Sophie
L’honneur de cet heureux séjour.

Et en ce labeur invincibles,
De ces petits corps divisibles
Dire que le monde fut fait,
Qu’il est engendré de mélanges,
Guidé de son sort ou des Anges
Que d’un en autre il se refait.

Pour moi qui ai l’âme craintive
Je ne veux sonder cette rive,
La nature du vrai j’ai pris,
A dépeindre et tracer l’histoire,
Dont la vérité sert de gloire,
Et l’art de honte à mes écrits.

[n.p.]Un jour que dans l’humide plein
Phœbus allait reprendre haleine,
Et chasser de son œil riant
La nuit de ceux qui n’ont lumière
Que lors qu’il finit la carrière
Qui leur commence l’Orient ;

Je vis au séjour qui bannit les vices,
Et au Paradis des esprits,
Une lumière de merveille,
Une Musique nonpareille,
Qui environnait ce pourpris.

L’un dit que c’est Junon saisie
Ou d’amour, ou de jalousie,
Qui fait voleter les Zéphyrs,
Joncher un lit de violettes,
De roses, de lys, de fleurettes,
Qu’ils parfument de leurs soupirs.

L’autre que Jupiter en l’âme
Couve quelque nouvelle flamme,
Que nouveau signe on le verrait,
Ainsi comme il vint ravir Lede,
En Vénus trouver le remède
Au doux feu qui le martyrait.

Ou bien quelque angélique essence
Qui ne veut souffrir la puissance
Du lance-foudre Jupiter :
Ou l’Amour d’une cause feinte
Qui de son trait donne une atteinte
Aux immortels pour l’irriter.

Je dis que c’est la belle Astrée
Qui visite notre contrée,
Laissant le ciel veuf de ses yeux :
Mais j’entends la voix d’un Oracle
[n.p.]Qui dit, c’est un autre miracle
Pour trouver en terre les Cieux.

Ha ! ce sont les doctes pucelles,
Saintes, divines, immortelles,
Les chastes vierges, les neuf sœurs,
Qui viennent en notre Province,
Admirer et chérir un Prince
Qui se nourrit de leurs douceurs.

Alors de la céleste trope
Commence à parler Calliope,
Disant, notre los abattu
S’écoulait ainsi comme l’onde ;
Quand ce Prince, l’honneur du monde,
L’a relevé par sa vertu.

Prince des Muses la lumière,
Quelle ira de nous la première
En cet Océan pour ramer ?
La petite barque qui nage
Sur un ruisseau tient le naufrage
Assuré dans une grand’Mer.

Qui dira qu’aux fleurs de jeunesse
Tu produis les fruits de vieillesse
Mûris au Soleil du Printemps,
D’un mérite qui te réserve
Jeune, fils aîné de Minerve,
Un triomphe dessus le temps.

Henri parfait qui nous embrasse
Ta mère cultivant Parnasse
Nourrit un Apollon vainqueur
De l’Hydre rampant d’ignorance,
T’allaitant au lait de science,
Qui source toujours en son cœur.

Princesse que l’honneur honore,
Tu vois au lever de l’aurore
[n.p.]De ton fils, renaître un Soleil,
Luisant d’autant de gentillesses
Qu’on a vu briller de sagesses
Aux feux divins de ton bel œil.

Grand Prince qui sais toute chose,
Si quelques fois tu te propose
La course en un mont ou un val,
Ou qu’un genêt tu veuilles prendre,
Tu nous fais revoir Alexandre
Qui redompte encor son cheval.

Mais s’il faut le plan d’une ville
Tu peins et en ligne subtille
Tu sais comprendre l’univers,
Et comme un second Archimède,
Bien qu’à toi-même tu ne cède
Pour écrire en prose et en vers.

Puis laissant la Mathématique,
Pour repos tu prends la Musique,
Et redonnant la vie aux Airs,
Aussitôt que tu t’y récrée,
Le ton de ta voix ensucrée
Met les Sirènes dans les Airs.

Belle et rare fleur de science,
Qui jeune est chenu de prudence,
Nos cœur seront à l’avenir
Un trône à l’autel de ta gloire,
Pour éterniser ta mémoire
Par un immortel souvenir.

Heureux fils d’une sage mère,
Portrait des prouesses d’un père,
Dont tu secondes la valeur,
Pour louer tant d’Astres ensemble ;
Au peintre sans art je ressemble,
Qui met l’ombre au lieu de couleur.

[n.p.]Je sais ainsi que ceux d’Egypte,
Connaissant la force petite
De mon œil contre les efforts
Des rais de cette grand’ lumière,
Il vont dessus une rivière,
Adorer l’ombre pour le corps.

Non je suis une Aigle assurée
Qui vole en la voûte Ethérée,
Pour m’éclairer en la splendeur
D’un Ciel qui ne voit rien de sombre,
La distance dissipe l’ombre,
Et je m’éclaire en ta grandeur.

A Mlle de Guise §

Stances.

Amour ce petit folâtre
Se venait un jour ébattre
Sur ce teint délicieux,
D’œillets, de lys, et de roses
Où mille grâces écloses
Luy firent trouver les Cieux.

Superbe ses traits il lance,
Vous d’invincible puissance
L’emprisonnez en vos yeux :
Il dit, là je me demande,
D’en haut la force est plus grande,
Je ne pouvais être mieux.

Là il aiguise ses flèches,
Scintille mille flammèches,
Rend mille cœurs abattus :
Là il montre que ses armes
Prennent forces dans les charmes
De vos célestes vertus.

Lors les Muses désireuses,
De vos grâces amoureuses,
Se logèrent dans le cœur :
Python où l’œillet respire
L’honneur, du front tient l’Empire
Comme un glorieux vainqueur.

Or dites-moi ma Princesse,
Non, mais humaine Déesse,
[n.p.]Qui se pourra désormais
Garantir, bien qu’il s’efforce
Contre la puissante force
Qui ne vous laisse jamais.

Minerve tient la pensée
La vertu l’âme enlasséeII,
Les amours rient en l’œil,
La troupe divine ensemble
En ce bel esprit assemble
Les clartés de ce Soleil.

Puisque tout vous favorise
Nous ferons une entreprise,
De vous vaincre sans danger :
C’est que dedans une année
Un bienheureux Hyménée
Vous prendra pour nous venger.

Stances sur la Main De Mlle de Guise.

Divine main, perle d’élite,
Belle dont le rare mérite
Sert aux cœurs de douce prison ;
Si l’œil qui te voit ne s’engage,
C’est l’âme qui faut de courage,
Ou l’Esprit manque de raison.

Main qui triomphe de la gloire,
Geolière qui tiens la victoire
Dessus toutes les libertés :
Si dans cette prison enclose
Il faut désirer quelque chose,
C’est des yeux pour voir tes beautés.

Belle sans art, ton artifice
Est aussi grand que la malice
De ce Dieu, qui par les attraits
De tes yeux met tout en désordre :
Car rangeant tes cheveux en ordre,
Tu fournis de corde et de traits.

Unique bien que tout respire
L’esprit captif sous ton Empire,
Chérit l’honneur de son tourment,
Retenu en tes douces gênesIII,
Mourir enlacé de tes chaines
C’est vivre au vrai contentement.

[n.p.]Je n’aurai donc jamais envie
De cette liberté ravie,
Serait envier son plaisir :
S’il est permis que je regrette,
C’est la perte n’en fût faite,
Si tôt que j’en eus le désir.

Mignarde main, mon ciel, ma flamme
Soleil de glace qui enflamme
Les Héros, les Princes, les Cieux :
Si le chaste feu de Cyprine
N’a jamais atteint ta poitrine,
Pourquoi donc s’embrasent les Dieux ?

Ce feu saint, l’honneur des Vestales,
Echauffe les âmes Royales,
Des vertus qui la font aimer :
Et comme la lampe divine,
Qui brillant, éclaire, illumine
Elle reluit sans consommer.

LA PREMIÈRE ATTEINTE CONTRE CEUX QUI ACCUSENT LES COMÉDIES §

Nous sommes en un temps où il se trouve des esprits semblables aux corps malades, qui s’offensent de toutes choses, et méprisent ce qu’ils ne peuvent imiter.

Ils veulent tout réformer, et sont si difformes, que les objets plus agréables sont {p. 1v} des chimères à leurs yeux blessés.

Tout gouvernement leur déplaît, la police les offense, se persuadant qu’il y a des temps où Dieu tient de sa main le gouvernail de ce grand vaisseau du monde, que parfois il le laisse, comme à présent ; et qu’il s’en va périr s’ils n’en sont les pilotes, ayant la charge de commander aux intelligences motrices des sphères célestes, de suivre le mouvement, la cadence, et le pas de leurs fantaisies, qui renverserait l’univers s’ils pouvaient trouver le point ferme, et les machines {p. 2} d’Archimède : ainsi leurs desseins menacent le ciel, leurs désirs volent sur les nues, et leurs raisons se cachent en la poudre. Ils font comme les araignées, qui sans matière ni sujet font des toiles d’elles-mêmes, plus faciles à rompre qu’à démêler.

Tantôt ils accusent les Magistrats, blâment les Pasteurs, les méconnaissent pour ne les reconnaître pas : et ainsi que les fourmis qui se travaillent de monter et descendre le long des arbres, sans savoir qui les pousse, recourent en tout, et {p. 2v} surtout imitant les vautours qui ne s’attachent qu’à la charogne, ils ne font comme les abeilles qui se paissent des plus belles fleurs : leurs sens impurs ne voient qu’impureté, et leurs âmes ensevelies dans les ténèbres de leur présomption ne jouit que d’une fausse lumière, où ils se perdent, et leurs heures, et leur peines : et comme les compagnons d’Ulysse mangent les bœufs du Soleil.

Voilà ce que j’ai appris d’un livre qui est tombé en mes mainsIV, où l’Auteur ressemble l’archer qui tire sans adversaire, mais il ne décoche {p. 3} sans but, car le sien est d’offenser ceux qui ne combattent jamais que pour trouver la vérité, et non pour l’honneur d’une victoire où l’ennemi n’a entendu la trompette pour se préparer au combat.

En tout ce qu’il a dit pour reprendre les actes indignes et les abus qui se sont commis lors que le monde était en la plus obscure nuit de ses ténèbres, et l’idolâtrie au dernier degré de l’erreur, aucun Catholique n’y veut contredire, ayant la vérité pour guide, et la vertu pour fin, ils y ajouteront encore ; {p. 3v} mais il apprendra s’il lui plaît que leur intention ne fut jamais de représenter aux fêtes des Saints les jeux des Païens pour faire revivre leurs abominations.

Le seul respect qu’ils portent à l’Antiquité, qui les a condamnés, les retiendrait en ce devoir ; s’ils n’avaient la raison, l’exemple, les commandements de la primitive Eglise, les autorités des SS. Pères et Docteurs, aux écrits desquels ils portent une telle révérence, qu’au lieu de les impugner, ils les maintiennent contre l’insolence et la témérité de tous les hérétiques {p. 4} qui les veulent détruire. Si en toutes les controverses ils se rapportaient aussi bien à leur jugement qu’en ce sujet, on ne disputerait pas à présent les choses qui ont été si religieusement observées par le passé.

Mais pourquoi ce livre imprimé en Allemagne accuse-t-il les Catholiques, comme s’ils commandaient les choses qu’ils défendent.

Les histoires ne nous apprennent point qu’aucun Ministre ait condamné ni aboli les danses honteuses et déshonnêtes qui se commettaient, tant aux jours des {p. 4v} Calendes, qu’autres Fêtes, où aux Théâtres, et en divers lieux par plusieurs nations, on commettait des vices que notre pensée rejette pour leur horreur, tant de se baigner dans le vin sans regard à l’âge, au sexe, ni au lieu, que faire festins tables par les rues, chansons dissolues : Bref la raison qui est donnée aux hommes leur ôtait l’usage d’elle-même, pour les rendre pires que bêtes farouches : Et nos Pères Ecclésiastiques ne les ont pas seulement censurés, mais prêché, crié, invectivé contre eux, essayé de les réduire. {p. 5}

Tertullien, livre De l’idolâtrie, réprouve la Fête des Calendes de Janvier, l’appelle superstition Païenne.

Prudence en son livre Contre Symmachus les déteste.

Entre les Sermons de S. Ambroise et de Maximus, il y en a un, où il reprend aigrement les Chrétiens qui se mêlaient en la célébration de leurs Fêtes.

Saint Augustin les blâme encore plus en son livre de la Conversation Catholique, et les interdit.

Au second Concile tenu à Rome au temps du Pape {p. 5v} Pélage, au canon 16e « De l’observation », ils sont défendus.

Au Concile d’Auxerre tenu sous le Pape Dieudonné, canon premier, commande qu’on ne fasse ni jeux, ni charmes, ni actes diaboliques.

Canon 742e au Concile tenu à Rome, où présidait le Pape Zacharie, il fut commandé aux Chrétiens de ne plus courir ni folâtrer en public auec les Païens, sur peine d’encourir l’indignation et punition de Dieu.

Le Pape Martin les abolit, comme il se voit au Décret {p. 6} de Gratian en la 26e question. Et parce que les Gentils étaient comme ensevelis certains jours en toutes sortes de lascivetés et gourmandises, les Chrétiens pour se montrer tout différents de leur forme de vie, faisaient jeûnes et prières solennelles aux mêmes heures et temps. Isidore nous l’apprend livre premier Du service de l’Eglise, chapitre 40. Puis les Pères ordonnèrent un jeûne universel.

En toutes ces observations je ne remarque qu’aucun de nos adversaires y ait rien mis du sien. {p. 6v}

C’est donc mal à propos qu’il recueille les sentences des anciens Docteurs pour nous condamner, comme si nous prenions un parti contraire vu que nous les maintenons, les prenant pour boucliers et défenses contre la batterie que l’hérésie a tirée de l’arsenal de Satan pour attaquer la maison de Dieu, qui augmente sa gloire en ce digne labeur.

Il nous reprend d’assister aux Comédies. Nous serions dignes d’un reproche éternel, si elles étaient telles qu’il les représente, et nos Pasteurs nous banniraient {p. 7} des Sacrements, comme indignes de porter le glorieux titre de Chrétiens, s’il y avait quelque reste de celles qui sont condamnées tant par les Papes que les Empereurs ; s’ils ont retenu le nom de Scène et de Théâtre, et autres mots, ils en ont rejetté le vice.

Socrate et Platon chassent les Poètes lascifs, et appellent les autres Genre divin, et les retiennent.

Les Mimes et Histrions et autres joueurs étaient effacés du rôle de la tribu du commun peuple, et n’étaient point tenus pour {p. 7v} citoyens Romains. Et au même temps Décime Laberie fut fait Chevalier Romain sous César, après avoir montré que sous un même feu l’or reluit et le bois se noircit ; et qu’un galant homme peut être grand en un petit art, si l’art qui n’a sujet que l’esprit peut être petit.

Epaminondas rendit une charge vile, glorieuse ; et changea l’envie de ses citoyens en admiration pour être toujours splendide et égal à soi-même.

Mais s’il faut estimer les effets par la cause, juger {p. 8} l’action selon le dessein, combien celui d’Isabelle est-il recommandable, qui n’a eu autre désir de venir en France, que pour voir ce grand arbitre du monde, ce bien universel admiré de toute l’Italie, ce Roi reconnu de toutes les nations pour le plus grand de la terre, appelé et conduit de Dieu par la voix de ses merveilles, qui lui a donné cette couronne par son sang, de qui la valeur acquise par son bras, qui la conserve par sa bonté, la régit par ses lois, et par sa renommée possède le monde : les Antipodes ne voient {p. 8v} point nos étoiles du Nord, mais ils ont vu la clarté de ce Soleil, qui nous a donné la lumière et la vie, qui d’une main a déployé le sceptre, de l’autre le pardon, étouffant la cause et la vengeance ensemble ; qui emportant une victoire, a toujours triomphé de deux, donnant le salut aux vaincus après avoir dompté les rebelles ; et ainsi que l’âme, qui n’est qu’une au corps, a plusieurs puissances en ce Roi, qui n’est qu’un, elle a vu les perfections de tous les Rois ensemble ; elle a vu l’aimant qui attire toutes les belles {p. 9} âmes, qui de ses sujects est autant revéré, comme Sauveur du pays, qu’honoré en Roi nécessaire ; et plus salüé en père qu’en Seigneur ; qui règne sur nous comme les intelligences au Ciel, et le Soleil sur la terre, d’où il me faudroit élever pour chercher dans les cieux des paroles célestes à une vertu divine. Je réserve à un autre lieu la dignité de ses louanges, et reviens à la plainte que nous devons faire pour les Comiques qu’on accuse de faire revivre les anciennes dissolutions, qui sont bannies des Comédies de ce siècle, qui {p. 9v} n’ont rien que le nom, commun à celles du passé : Celle-ci traitée par gens doctes, et savants, se doit plutôt appeller école de modestie et gentillesse, que lieu de honte : C’est pourquoi nos Juges nous les permettent ; nos Pasteurs ne nous le commandent pas, désirant s’il était possible qu’à l’imitation d’un nombre d’âmes, qui dès la terre vivent au Ciel, nous voulussions dénoncer la guerre aux plaisirs du monde, et nous donnant du tout à la contemplation, tirer de l’amertume de nos fautes, ces larmes de douceur qui {p. 10} attachent nos paupières, et nous font unir les jours et les nuits ensemble, souhaitant après saint Paul, notre séparation pour Jésus Christ, et comme dit Eudoxe, mourir et voir le Soleil. Voilà les trophées qu’ils veulent ériger au pied de la Croix, leurs vies et leurs désirs aussi saints que charitables méritaient une autre interprétation que celle que l’auteur a donnée au passage de saint Augustin, 8e chapitre du 2e livre de la Cité de Dieu : et à Vivès qui parle des MatacinsV. Et il dit que c’est des Fêtes des Catholiques ; d’un mauvais esprit, mauvaise {p. 10v} intelligence : il convertit tout en sa malice.

Cela ne nous empêchera de vaincre par raison ceux qui nous surmontent d’injures ; nous n’en voulons combattre : l’Eglise nous apprend à prier et bénir, non pas à exécrer et maudire. Je laisse ces épines pour vous ramenez aux fleurs des Comédies de ce temps, qui sont autres que vous ne les figurez, nous en usons selon le conseil de saint Basile en l’épître à ses neveux comme il faut lire les Poètes, et se garder de la tête du Polybe.

Après que notre Dieu {p. 11} eut bâti cet auguste Temple de sa divinité, réglé par les lois de sa sagesse, et orné d’Anges la région qui surpasse le Ciel, assisté les Globes Ethériens d’éternelles intelligences, rempli les plus basses et moindres parties de ce monde inférieur de toutes espèces d’animaux, il désira d’y loger une créature capable par raison d’admirer l’ouvrage et la grandeur de 1’ouvrier : il créa l’homme, et ne lui donnant comme aux autres aucune propriété particulière, le mit au milieu du monde, sans lui assigner retraite, et lui donna la {p. 11v} puissance d’être tout ce qu’il voudrait : il n’est ni céleste, ni terrien, ni mortel, ni immortel, mais arbitre de lui-même, il se peut rendre comme les pierres, les métaux, les brutes, ou les Anges ; et enfin compagnon et fils de Dieu, s’il se retire au centre de son unité, il tient en lui le germe de toutes sortes de vies, celles qu’il voudra cultiver croîtront, et il en aura les fruits. Il est donc par l’esprit, la plus excellente créature ; pour le corps, la plus infirme ; en l’un impassible, en l’autre sujet à toutes sortes d’accidents : étant composé {p. 12} d’âme et de corps, il doit avoir la contemplation et l’action, tant pour s’acquitter de ce qu’il doit à Dieu, qu’à son prochain et à soi-même, qui ne se peut dépouiller des passions étant homme, mais il les doit régler pour être sage.

Et parce qu’une grande tristesse abat les sens, comme l’excès de joie les élève trop, il se doit recueillir en soi-même, et donner à son âme une nourriture qui la recrée, repose, et puisse avoir convenance avec sa simplicité.

Mais si elle est selon {p. 12v} Aristote un acte continuel, son être est en son action, et ne peut avoir autre repos que la joie qu’elle reçoit par les deux plus nobles et excellents messagers, qui sont les yeux et les oreilles; par l’œil elle juge les couleurs, par l’oreille les paroles.

La parole la soutient, console, anime aux actions glorieuses, la nourrit comme son ambroisie, et ainsi qu’une lumière en allume plusieurs, elle augmente sa vertu ; et à l’imitation des Chimiques, rend cet or céleste si actif, qu’il fait projection à l’infini en un esprit digne {p. 13} de recevoir cette manne divine.

Mais où trouverons-nous des paroles capables de ces effets qu’aux lieux publics où l’on voit l’honnête et l’agréable ensemble, et l’art et la science qui répondent également, sur les théâtres des Comiques, figurant les actions de celui du monde, où chacun essaie de désarmer Pallas, louer la vertu, reprendre le viceVI.

Ces passe-temps ont toujours été si agréables aux peuples, que Juvenal les recommande, disant « Ils désirent deux choses avec {p. 13v} passion, le pain et les jeux ».

On remarque aux traités des spectacles, l’honneur que fit Roscius étant Tribun aux Sénateurs, leur baillant un rang plus éminent aux théâtres : Depuis Auguste le fit revivre. Philippe de Commines écrit que les Rois de France y ont pris très grand plaisir.

Hotoman en sa FrancogalieVII dit du Roi Louis onzième, qu’il allait souvent aux jeux et disait qu’il y apprenait les mœurs et façon de son peuple qui lui étaient celées par les flatteurs.

Dion, nous apprend que {p. 14} Auguste César voyant du désordre aux Jeux d’un Pilade, s’en courrouça, il lui fit response, « Il t’est nécessaire, ô César, que j’amuse le peuple. La Comédie représente la diversité des mœurs vicieuses ou vertueuses, aussi a-t-elle été toujours recommandée ».

Scipion et Lélius ont aidé Térence à faire ses Comédies : Au prologue de celle de Clinia et AntiphileVIII, Térence s’en défend, et le prend à honneur. Cicéron l’appelle notre familier, souvent il l’allègue, et a transcrit de ses vers, et a tourné des Tragédies {p. 14v} grecques au 2. des Tuscul.IX.

Euripide était grand ami d’Archelaos. Aristote a fait un livre de la Scénique. Et de notre temps le docte Scaliger a parlé de la Dramatique.

Mais combien y avait-il d’aise à voir le Catadrome : machine subtile, descendre ses grands ravisseurs, comme l’Aurore son Memnon, Jupiter son Ganymède, Diane son Endymion, c’est ce qui donna occasion à Crésus esclave et captif de Cyrus de lui donner avis de permettre les jeux publics, et Comédies aux Lydiens, qui par plusieurs fois s’étaient révoltés de son {p. 15} obéissance, et que leur esprit y serait retenu ; ressemblant aux enfants qui font état de toutes sortes de plaisirs, et sont bien aises d’être attirés celui-ci par leur Prince.

Les nations plus farouches se sont accoutumées en la douceur de cette joie, aux biens de la paix, encore que leur inclination fût à ne respirer que le sang et la guerre : ils nommaient les jeux humanité.

Les Romains ont plus assujetti d’hommes par ces inventions, que par leurs armes. {p. 15v}

Aristote livre quatrième des Ethiques, chap. huitième, Qu’il lui semble qu’en notre vie le repos et les jeux soient nécessaires.

Si nous en croyons les anciens Pères, nous verrons qu’ils nous concèdent ceux où le plaisir est limité dans les termes de la modestie.

S. Thomas d’Aquin en fait un grand discours, et les permet. Et S. Augustin dit que ce n’est que péché véniel. Grégoire de NazianzeX moine et Evêque, une des lumières de l’Eglise, appelé Théologien pour son savoir, a composé la Passion de {p. 16} notre Seigneur en vers grecs Iambiques très élégants.

Mais s’il est ainsi, comme il est vraisemblable, que l’homme d’entendement ne se laisse jamais vaincre d’un plaisir ridicule, et borne celui qu’il prend et donne aux autres, comme s’il s’était imposé lui-même la loi pour entretenir ceux qu’il veut réjouir, de propos, aussi décent que délectables ; c’est en quoi le docte est reconnu de l’ignorant ; l’un pour toute fin n’a que le ris, et ne se soucie de quel prix il l’achète : et l’autre n’en veut séparer 1’honnêteté. Pour {p. 16v} opiner de l’un avec le vulgaire et juger de l’autre avec les sages, en dois-je chercher l’exemple en l’antiquité, puisqu’il y en a ici qui se montrent aussi ennemis du vice, que vrais admirateurs de la vertu.

Non, je ne dois point rechercher loin de nous les ombres et les sépulcres, puisque nous en avons aujourd’hui dans notre France, en l’œil des cités, en la plus auguste ville de l’Europe, le corps, la lumière, et la vie de tous les plus rares et dignes Comiques du monde, en ceste troupe de Parnasse, {p. 17} nourrissons des Muses, Aigles de Jupiter, vrais enfants d’Apollon, race divine, interprètes des Dieux, qui ont gratifié Paris de leur présence : quelles louanges vous peut-on donner ? vu que vous tenez la source de ce fleuve coulant, par qui toutes choses louables sont louées : Je vous quitte les armes, et non le cœur : c’est vous qui pouvez faire taire ces Corbeaux croassants contre Minerve : ces oiseaux de ténèbres, qui ne peuvent porter votre Soleil. C’est vous, dis-je, Assemblée glorieuse, qui pouvez polir la rouille que l’ignorance {p. 17v} ou la malice a fait naître en leur cerveau ; tout ainsi qu’en la ville de Tarse en Cilicie, il n’y a que l’eau de la rivière de Cidne qui puisse éclaircir, dérouiller, repolir le couteau sacré à Apollon, toutes les autres le lavent sans effet ; Faites de même de celle que vous puisez en Hélicon, comme vous en arrosez les esprits qui en sont dignes : Vous pouvez adoucir ceux qui nous piquent par la pointe d’une langue aussi tranchante qu’un rafoir affilé : L’office de la raison vous invite à leur montrer sa vérité : mais peut-être en {p. 18} sont-ils dégoutés : Les ânes n’aiment pas les violettes, leur pastures sont de chardons : nous leur laisserons porter la Déesse Isis sans leur donner aucun lieu en votre Théâtre, puisque vous avez enlevé sur tous une gloire qui ne laisse à aucun espérance de vous égaler : leur envie ne saurait apporter de tache à la splendeur de votre mérite. S’il en pouvait advenir autrement, ils seraient dissipés en la terre par les Zéphyrs de l’haleine de cette fleur céleste d’Isabelle, comme les nuées sont épandues par les vents en l’espace {p. 18v} de l’air.

Mais ainsi que le diamant ne se peut polir que par son sablon même, pour combattre l’aimant, diminuer sa puissance, et lui faire démordre le fer : N’est-ce pas à cette perle des esprits qui ne peut perdre son lustre, de raffiner comme le rubis ce discours au fleuve de son éloquence.

Pardonnez à l’insuffisance de mon esprit, belle âme, qui en la comparaison de chose incomparable, n’avez semblable que vous : La similitude des pierres précieuses vous offense, elles ont leur être en la terre, et {p. 19} votre origine est au ciel, si ce n’est de celles d’Egypte qui naissent au plus haut de l’Ether : Vous en avez le feu et l’éclair étincelant, et moi pour vous honorer j’en tiens la constance, qui m’a fait entreprendre cette matière qui est une pierre de prix : Voyez que dans ma main elle sera brute en la terre, sans être en œuvre ; donnez-lui sa vraie feuille, la chaleur et le teint selon l’aspect de votre Soleil : affinez son lustre pour la faire étinceler sans nuage, cendre, noirceur, paille, filandre, poudre qui puisse permettre à la lime de {p. 19v} mordre ou d’altérer qu’elle ne perde sa couleur qu’en votre flamme, pour se changer, comme le mauvais Saphir en un bon diamant : Et au lieu que j’en fais une Charite sans grâce, relevez-le de celles que vous tenez qui vous font esclaver, dominer et triompher des âmes plus parfaites, pour ne parer vos trophées de dépouilles éteintes en ce combat qui est plus glorieux que ceux de Jupiter, d’Apollon, de Palémon, et d’Archémore : aussi en avez-vous un prix plus excellent que l’olivier, le pommier, l’ache, et le pin : {p. 20} car vous en rapportez les couronnes immortelles qui n’étaient dues qu’aux immortels : et décochant par paroles les sagettes des Muses, comme un second Anthée vous reprenez nouvelles forces, non pas en touchant la terre, mais en vous élevant au ciel, où vos propos nous ravissent, non sur les ailes d’or d’Euripide, mais sur les célestes de Platon, qui portent nos désirs jusques au lieu où la vertu fait sa demeure, nous rassasie du délicieux miel de Python, du nectar de Calliope, purifie nos oreilles, éclaire {p. 20v} les yeux de notre esprit humecte nos âmes d’une rosée dont la douceur éteint toute amertume, et ne nous laisse que le regret de voir beaucoup d’hommes mal nésXI, qui pour entendre la mélodie Phrygienne ne sont pas atteints d’une divine fureur : mais comme le Temple des Euménides en Athènes rendait frénétique celui qui n’y apportait le respect qui était dû, le vôtre a eu la même propriété : et ainsi que Lycaon fut changé en loup, vous les avez fait transformer en bêtes hurlantes.

{p. 21}La prudence guide vos discours, et la sagesse qui reluit en vos actions, a satisfait nos désirs, et surmonté les espérances que la gloire du passé nous faisait attendre à l’avenir, de cette rare Isabelle, honneur de son sexe, regret des siècles passés, gloire du présent, envie des futurs, ornement de la terre, Merveille du ciel, miracle de nature, Temple sacré : qui ouvrant ses lèvres de roses nous fait voir les images de l’âme, la douce prison des nôtres, les liens de nos esprits, où elle inspire les passions qu’elle désire : {p. 21v} Mais quels sont ses désirs ? de faire couler en nos âmes par nos oreilles les préceptes de science et de vertu : Et parce que la loi est Reine et non tyranne, elle les veut imprimer avec une persuasion aussi agréable que docte et diserte : Elle sait que le sens de l’ouïe est le plus excellent, et qu’il sert plus à l’âme qu’au corps, parce qu’il est plus près de la partie où elle fait ses fonctions plus parfaites, et fort éloigné de celles des affections qui nous sont communes, avec les bêtes qui n’ont que le sentiment, que {p. 22} le vice nous peut attaquer de toutes les parts du corps, et la sapience n’a que la voie de l’oreille ; aussi les Athlètes les couvraient toujours allant au combat, bien que le reste du corps fût nu.

Et parce que l’enuie d’ouïr, de savoir et d’apprendre est naturelle en nous, et que notre âme est comme un livre blanc où nous pouvons graver ce qui la doit remplir, ou une terre capable de recevoir l’ivraie et le bon blé ; elle nous choisit des propos pour faire germer des fruits et des fleurs qui puissent apporter une {p. 22v} moisson digne de sa culture et de notre devoir ; pour ne faire de notre esprit un tableau d’horreur et de honte, et un champ de broussailles et d’épines, au lieu d’amaranthe, d’œillets, et de lys.

Continuez donc, belle, docte et divine Muse, à imiter les mouches d’Hymette, qui des fleurs dont nous ne tirons que la senteur et la couleur font le miel doucereux : Jugez qu’il n’y a rien qui puisse contenter ceux à qui la vertu et la félicité ne peut suffire : car l’une comprend tout ce qui est à faire ; et l’autre, ce qui se peut souhaiter ; {p. 23} mais nos souhaits ne doivent-ils pas être accomplis au transport de l’aise que nous sentons quand nous voyons cet Oracle du monde, dont le nom est porté par toute la terre : qui avec un port de Vestale, et les façons de Mars, fait voir Mercure sur ses lèvres, Minerve en sa poitrine, Apollon en l’esprit, qui comme un autre Soleil, attire par ses rayons notre vue et nos louanges, et nous fait avouer que la matière surmonte l’œuvre, et qu’elle est digne des honneurs qui élevèrent Hercule dans les cieux : Elle en sait imiter {p. 23v} les astres, qui font un chemin tout contraire à celui du monde, et vont encore mieux que lui.

{p. 24} 

A la signore Isabelle §

MON CŒUR, MA CHERE DAME, Je ne vous dois point écrire vu la diversité de nos écrits : les miens sont comme l’ouvrage de ces petits enfants d’Homère, qui laissent couvrir de poussière ce qu’ils ont formé du limon de la terre ; et les vôtres tous divins reluisent d’une grâce céleste, qui ne termine leur fin qu’en celle de l’éternité. S’il leur faut des louanges dignes de leurs mérites, imitez ce Dieu dont vous avez la langue et l’esprit : faites-les vous-même, ainsi que d’une seule bague il ôte et envoie le sommeil, si des Grâces qui égalent celles qu’ils portent vous les devez figurer ; car c’est vous qui êtes peinte en ces {p. 25} beaux et rares vers, qui ont dépouillé le Parnasse de ses fleurs, et fait une Iris en terre pour recevoir l’image de votre Soleil, qui se tire lui-même ; parce qu’aucun peintre ne le peut représenter. Ainsi en ces vives couleurs vous faites briller l’éclat, le pourpre étincelant, et l’émail des vôtres, et entre mille belles fictions sentez un aise véritable de dire la vérité, qui citoyenne du ciel ne permet qu’aux Déesses la jouissance de sa conversation : Le souvenir du bonheur de la vôtre me tire ces paroles du cœur, Que je suis ravie en l’admiration des perfections, qui vous ont aussi dignement acquis mon esprit, que l’affection dont je vous veux honorer et servir, et ne me laisser non plus égaler en ce désir, que vous aux vertus qui vous élèvent au trône de la gloire, que je loue par mon silence, puisqu’il faut que le pauvre Aristée se taise lorsque le grand Apollon commence à chanter.

Je suis votre Servante. [n.p.]

Stances à Madame Isabelle, sur l’admiration où elle a tiré la France §

Esprits ravis des fleurs d’Hymette,
Qui allez admirant l’avette,
Qui nous distille un si doux miel :
Ne réveillez plus le lycée
Sans travailler votre pensée,
Adorez les trésors du Ciel.

Ne vous enquérez d’Isabelle,
Si son âme divine et belle
Etait de toute éternité :
Si elle fut aussi savante,
Toute sage et toute éloquente,
Portraite en la divinité.

Ou si dans le monde suprême
Elle eut cette vertu extrême,
Qui nous l’a fait tant admirer :
Ou si le démon de science,
Et la plus haute intelligence
Lui viennent encor inspirer.

Serait une mer sans rivage,
Dans le port on ferait naufrage,
N’y abîmez plus vos esprits :
Car le bon Ange qui la guide,
Et qui sur le mien seul préside :
M’en a tous les secrets appris.

[n.p.]Il dit qu’après que la matière
Eut reçu sa forme première,
Et rendu l’image en effet,
Dieu fit descendre ses idées
Dans le sein des Anges guidées
Pour former cet esprit parfait.

Où pour remirer sa puissance,
Il lui donna la connaissance
Des secrets de sa déité,
Et des quatre mondes ensemble,
Et du fort lien qui assemble
Nos vœux en la fatalité.

Puis ayant cet esprit agile
Recouru le premier mobile,
Et vu l’heureux trône des Dieux
Il passe les deux Hémisphères,
Et revolant sur les neuf Sphères,
Apprit le bel ordre des Cieux.

Les Cercles, les Corps qui agissent,
Les Inférieurs qui patissent
Dessous ces mouvements divers :
L’auteur, la fin, la prescience
De tout ce qui est en essence,
Et comprit en soi l’univers.

A l’instant pour orner la terre,
Des vives beautés qu’il enserre,
Il lui voulut donner un Corps,
Vraie Image de sa figure,
[mot illisible] ce que l’œuvre de nature
Se perd en discordants accords.

Dont au lieu de quatre contraires,
Il voulut par divins mystères,
Qu’elle eut le Ciel pour Elément :
Les grâces en fussent nourrices,
[n.p.]Que les Muses soient ses délices,
Les vertus ses contentements.

Alors descendit cet Aurore,
Et ce grand Soleil que j’adore
Fit combler les Dieux en douleurs :
Phœbus se vêtit de ténèbres
Et les Astres en chants funèbres
S’en allaient distiller en pleurs.

Les Jumeaux s’attachent aux Pôles,
Ravis par les doctes paroles,
Qui font un Zephyr si doux :
Orphée y vient quitter sa lyre,
Glorieux encor de lui dire,
J’ai l’heur d’être vaincu de vous.

Les signes épandus au monde,
Ne veulent plus faire leur ronde,
Diviser l’an, ni les saisons :
Le deuil leur ôte le courage :
Apollon couvert d’un nuage,
Pleure de toutes ses maisons.

Soudain Jupiter qui désire
Qu’heureux fleurisse son Empire,
Tira d’un vaisseau des destins
L’arrêt, que pour bannir la guerre,
Ce chef d’œuvre des Cieux en terre
Rendrait les Oracles certains.

Qu’elle aurait toujours la puissance
Par une céleste influence,
D’émailler de fleurs un Printemps,
D’échauffer les signes de glaces,
Par ses deux bessons, dont les grâces
Dominent mon âme en tout temps.

Ainsi de la voûte éthérée,
Jusque dans le sein de Nérée,
[n.p.]Pour ce grand miracle on sentait
Un doux extase, une lumière,
Qui tenait l’âme prisonnière,
Des liens d’or qu’elle portait.

Ainsi cette fleur sans pareille,
Ce Parnasse, et Ciel de merveille,
Vint illuminer nos […]XII
D’une flamme si pure et belle
Que les Dieux font par Isabelle,
Reluire leurs divinités.

A Madamoiselle de Beaulieu §

Isabella Andreini

Quel che Gordio formò di funi attorte
Nodo tenace : Sol dell’Oriente
Il vincitor, il domator possente
Sciolse col ferro, in un prudente, e forte :

E questo come è vario a varia sorte
E dato : egli di gemme, e d’or lucente
M’adorna il dito, e’l core soavemente
Lega, cui non sciorràXIIITempo, né Morte.

Ma dimmi o bella mia del Ciel Sirena,
Ond’èXIV, che’l caro nodo ancor m’accende,
Non pur l’anima puaXVdisciolta affrenaXVI ?

Di lacci avvinta io son, d’incendio piena :
Ma non m’infiamma il dolXVII, nè’n rete prende
Tua beltà, tua virtù m’arde, e’ncatena.

A Madama di Beaulieu §

Lascia o Plato divin que’campi homaìXVIII
Ove godi immortal l’aure seconde ;
E vieni qui, dove d’argento l’onde
Volge la Senna : aure più dolci hauraìXIX.

Splendor, che oscura al gran Pianeta i raìXX
Qualor più chiaro il lume suo diffonde
Qui fiammeggia, qui sol tra verdi sponde
Bella, e spirante virtù vedrai.

Bella sì, che’l pennel della tua lingua
Tal non la pinseXXI, o quattro volte, e sei
Beato suol, che reggi il nobil velo.

Ecco non pur ardor d’amor per lei
L’almeXXIIleggiadre : ma n’avvampa il Cielo,
Né sia, che Lethe un sìXXIIIbel fuoco estingua.

Di V. S. Humilissima e ass ma
Isabella Andreini

[n.p.] 

A Madamoiselle di Beaulieu §

Isabella Andreini

In occasione di farsi ritrarre.

Pittor ferma il pennel’ ch’altriXXIVpresumeXXV
Invan ritrar del mio bel Sole i lampi,
Del mio bel Sol, per cui fia mi consumeXXVI,
Anzi pur sempre lagrimando avvampi.

Degna del Sol celeste oggi il costume
Il mio terren’ quel negli Eterei campi
In nube opposta di se stesso il lume,
(Se d’onda è grave) avvien, che formi, e stampi.

A me, che fata son nube di pianto
Si volga ormai la mia leggiadra vaga,
E’l suo volto vedrà vino, e lucente.

Nube di pianto io son : ma caldo tanto,
Ch’eiXXVIIsembra fuoco liquido corrente,
Che’ncendeXXVIIIil cor mentre, che’l sen m’allaga.

Sonnet à la Seignore Isabelle, sur son voyage à MonceauxXXIX §

Sans l’air de vos Zéphyrs, je languis et me pâme,
De ce qu’un sort cruel me prive de vos yeux :
Isabelle, mon cœur, que ses rais gracieux
Avivent le saint feu qui sans cesse m’enflamme.

Je n’eusse sans mourir quitté leur douce flamme,
Si le Ciel n’eût permis que je vive en deux lieux,
Et que gardant le corps, tout ce que j’ai de mieux
Demeure, en vous laissant le gage de mon âme.

Que s’il me reste encor quelque esprit animé
Du feu de vos propos qui ne soit consommé,
Il sert à soupirer l’objet que je lamente.

Donc pour vous mes soupirs sont des vents irrités,
Et mes larmes des flots pour croître ma tourmente
Qui se calme au Soleil de vos divinités.

FIN.

np