Borromée, Charles / Bosquet, François

1664

Traité contre les danses et les comédies

2016
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2016, license cc.
Source : Traité contre les danses et les comédies Borromée, Charles / Bosquet, François p. I-XIII; 1-198 1664
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

Traité contre les danses et les comédies §

TRAITTÉ
CONTRE
LES DANSES
ET LES COMEDIES.
Composé par Saint Charles Borromée Archeuesque de Milan, & Cardinal du Titre de Sainte Praxede.

{p. I}

A MADAME
MADAME
LA PRINCESSE
DE CONTY. §

MADAME,

Comme les instructions que les Saints nous ont données, ont besoin d’vn exemple viuant pour estre plus fortes ; i’ay crû que le vostre estoit {p. II}necessaire pour authoriser les maximes de saint Charles qu’il donne au public. Celles de la Cour, dont vostre Altesse est vn des principaux ornemens seroient opposées, si la sage conduite de nostre inuincible Monarque n’auoit joint l’éclat des vertus à celuy de la puissance : Mais quelque ordre qui paroisse dans vne Cour plus reformée & plus Chrestienne qu’elle ne fut iamais, Vostre Altesse jugera sans doute, MADAME, que le grand Archeuesque qui a fait le Liure que ie vous presente auoit à souhaitter {p. III}vne protection sous laquelle il pût apprendre aux hommes auec quelle precaution ils doiuent vser des plaisirs qui d’eux-mesmes sont legitimes. Ie supplie tres-humblement vostre Altesse, de preferer l’interest de la charité à celuy de la modestie, & d’agréer que sous vn nom glorieux comme le vostre, j’Imprime vn Ouurage qui est de luy-mesme si excellent, qu’il ne sçauroit estre honoré d’vne dedicace moindre que celle que ie fais ; il n’en peut pas auoir vne plus glorieuse, si vostre Altesse m’en accorde l’honneur, auec celuy de {p. IV}luy dire que je suis, auec tout le respect que je dois.

MADAME,

Vostre tres-humble, tres-obéissant & tres-fidelle seruiteur, SOLY.

{p. V}

LE LIBRAIRE AV LECTEVR. §

I’ay receu ce present ouurage de S. Charles, des mains de Monseigneur l’Illustrissime Euesque de Montpellier, lequel durant son sejour à Rome l’auoit fidellement fait transcrire d’vn cahier manuscript gardé soigneusement dans la Bibliotheque du Cardinal François Barberin, auec la permission de sa grace de l’imprimer en ta faueur : c’est l’auis que ie t’ay voulu donner, amy Lecteur, afin que tu n’ignores pas à qui tu en es redeuable. A Dieu.

{p. VI}

EXTRAIT du Priuilege du Roy. §

Par grace & Priuilege du Roy, il est permis à Iean Boude Imprimeur du Roy à Tolose, & des Etats generaux de la Prouince de Languedoc, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre & débiter par tels Imprimeurs ou Libraires que bon luy semblera, la traduction du Latin en François du petit Liure de saint Charles Borromée contre les danses, durant l’espace de douze années, à compter du iour que ledit Liure sera acheué d’imprimer. Faisant tres-expresses inhibitions & deffenses à tous Imprimeurs, Libraires & autres, d’imprimer, faire imprimer, extraire ou contre-faire en aucune sorte que ce soit, ladite traduction en François de {p. VII}saint Charles Borromée, contre les danses, ny partie d’icelle, en vendre ou distribuer d’autre que de celle dudit Boude, ou par ceux qui auront droit de luy, sous pretexte d’augmentation, correction, changement de tiltres, fausses marques, ou autrement en quelque sorte & maniere que ce soit, à peine de confiscation des exemplaires contre-faits, & de tous dépens, dommages & interests : comme il est plus amplement porté par ledit Priuilege du Roy, Donné à Paris le 7. iour du mois de Decembre, l’an de grace 1662. & de nostre regne le vingtiéme. Par le Roy en son Conseil. Signé

FORCOAL.

Acheué d’imprimer le 9. Nouembre de l’année 1663.

Les exemplaires ont esté fournis.

Registré sur le Liure de la Communauté le 20. Decembre 1662.

{p. VIII}Et ledit Boude a cedé & transporté son droit de Priuilege à George Soly, Marchand Libraire de cette ville de Paris, pour en jouyr conjointement suiuant l’accord fait entr’eux du 19. Octobre 1662.

{p. IX}

TABLE DES CHAPITRES du contenu en ce Liure §

I. Que les Danses ne sont pas mauuaises de leur nature. page 1.

II. De deux sortes de Danses, dont il est parlé dans l’Ecriture Sainte. p. 6.

III. Que les Danses sont deffenduës aux Ecclesiastiques. p. 13.

IV. Que les Danses sont deffenduës dans les lieux Saints. p. 22.

V. De ceux qui vont danser auec mauuais dessein. page 25.

VI. De ceux qui dansent {p. X}auec quelque danger de tomber en peché. p. 27.

VII. De ceux qui sont aux autres, occasion de ruine & de peché. p. 29.

VIII. Qu’il n’est point permis aux particuliers de faire des assemblées pour la danse, ny pour toute sorte de sujet. page 33.

IX. Des mouuemens dereglez du corps qui se font dans la danse. p. 35.

X. Que c’est vne chose vitieuse & vn déreglement manifeste de danser frequemment. p. 37.

XI. Qu’on ne peut danser sans peché les iours qui sont particulierement destinez à l’exercice de la pieté Chrestienne. p. 41.

XII. Du Dimanche & des {p. XI}iours des Festes. p. 53.

XIII. Que les loix ciuiles defendent de danser, & d’aller à la Comedie les iours des Festes. p. 66.

XIV. Que les danses sont aussi deffenduës les iours des Festes par les loix Canoniques. p. 76.

XV. Application de la doctrine precedente aux danses & aux bals qui se font aujourd’huy. p. 98.

XVI. Des perils ausquels on s’expose en allant au bal. page 97.

XVII. Que les danses sont condamnées dans l’Escriture, & par les Peres. p. 119

XVIII. D’vne excuse, de laquelle se seruent ordinairement les gens du monde, pour iustifier la conduite des {p. XII}ieunes hommes, & des ieunes filles qui vont au bal. p. 142

XIX. Si vn Euesque peut deffendre qu’on ne danse les iours des Festes, ou mesme on quelque temps de l’année que ce soit. p. 146.

Lettre de l’Euesque d’Agnani, pour la deffense d’vne Ordonnance Synodale, par laquelle il auoit defendu de danser les iours des Festes. page 154.

Instruction & aduis charitable sur le sujet des danses. page 177.

Fin de la Table.

{p. 1}

Chapitre I.
Que les Danses ne sont pas mauuaises de leur nature. §

Comme les Danses ne sont que des assemblées, où l’on donne des témoignages de sa joye, & de sa satisfaction sensible par le chant, ou par l’vsage de {p. 2}quelque instrument de Musique, & par le mouuement du corps ; il n’y a rien qui nous empesche d’entrer dans le sentiment commun des Docteurs, & de dire auec eux qu’elles ne sont point mauuaises de leur nature ; mais qu’elles sont d’elles-mesmes indifferentes. En effet cette sorte de témoignages exterieurs de contentement, & de joye, peuuent estre bons, aussi bien que mauuais ; Et nous ne pouuons point douter, que quelques personnes pieuses n’en ayent vsé en quelques occasions, par le mouuement d’vn veritable zele, & par vn sentiment de pieté.

Cela paroist dans l’exemple de Dauid, qui comme il est rapporté au second Liure des {p. 3}Roys, joüoit de toute sorte d’Instrumens lors qu’on porta l’Arche dans la ville de Ierusalem, & dansoit en la presence de Dieu, & à la gloire du Seigneur :

Dauid ludebat coram Domino in omnibus lignis fabre factis, & cytharis & lyris, & Tympanis, &c. Dauid saltabat totis viribus ante Deum 2. Reg. cap. 6. Exod. cap. 15.

Et dans celuy de Marie sœur d’Aaron, qui apres que Dieu eut submergé Pharaon auec toute son armée dans les eaux de la Mer rouge, & déliuré son peuple de la captiuité, chantoit auec les autres femmes, & donnoit au son des Instrumens d’autres marques visibles de sa joye interieure, en action de graces, & pour benir la toute puissance de Dieu, qui les auoit affranchis par des voyes si extraordinaires. On

Iud. c. 11.

peut dire la même chose de la fille de Iephté, lors qu’elle alla au deuant de son Pere, auec des {p. 4}semblables demonstrations de joye, pour monstrer combien elle estoit touchée & satisfaite de sa victoire.

Mais tous ces exemples n’ont aucune conformité, ny aucun rapport, auec ce qui se fait aujourd’huy. Car toutes ces Danses dont il est parlé en ces endroits de l’Escriture, n’étoient employées que pour honorer, & glorifier Dieu ; & celles qui se pratiquent maintenant, ne seruent qu’au plaisir du corps, & à la delectation des sens ; & ont quelquefois des fins manifestement vicieuses.

Il est mesme à remarquer, & c’est vne chose qui merite d’estre bien considérée, que nous ne lisons jamais dans les Liures sacrez, qu’il se soit fait aucune {p. 5}assemblée d’hommes & de femmes pour cét exercice. Donc il faut necessairement conclurre que ce seroit abuser de ces exemples, qui sont Saints, & dignes de veneration, de vouloir s’en seruir pour excuser les vsages de ce Siecle corrompu, & qu’on ne peut point les alleguer pour authoriser ces pratiques seculieres ; de peur, comme dit S. Cyprien,

Ne viria nostra de sacris litteris quod indignissimum est, vindicare videamur. Cyp. lib. de Spect.

qu’il ne semble que nous voulions justifier nos vices par les saintes Escritures ; ce qui seroit les prophaner d’vne maniere tres-indigne.

{p. 6}

Chapitre II.
De deux sortes de Danses, dont il est parlé dans l’Escriture Sainte. §

Mais afin de mieux éclaircir cette matiere, il est à propos de remarquer encore plus attentiuement, que l’Escriture ne fait mention que de deux sortes de Danses. Les vnes viennent d’vn mouuement de grace, & sont rapportées au culte de Dieu, comme celles que nous auons marquées au Chap. precedent ; & les autres de l’inclination de la nature vers son propre plaisir, que le S. Esprit condamne comme des exercices, où Dieu est ordinairement offencé. Ne frequentez {p. 7}point, dit-il, & n’écoutez point la femme Danseuse, de peur que ses attraits ne causent vostre ruine.

Cum saltatrice ne assiduus sis, nec audias illam ; ne forte pereas in efficacia eius. Eccles. 9.

C’est sans doute par la lumiere de cét Esprit Saint, que Sara fille de Raguel auoit esté conduite, qui répandant son cœur en la presence de Dieu dans l’amertume de son ame, disoit qu’elle ne s’estoit point mêlée parmy les personnes qui joüoient & qui dansoient,

Numquam cum ludentibus miscui me, neque cum iis qui cum leuitate ambulant. Iob. 3.

& qu’elle n’auoit pris aucune part à leurs diuertissemens prophanes. C’est de cette recreation folle, & déreglée que parle Iob, lorsqu’il dit, expliquant la conduite, & la maniere de viure des pecheurs, qu’ils se rejoüissent au son du Tambour, & des autres Instrumens, & qu’apres cette vaine & courte joye ils se precipitent dans les enfers en {p. 8}vn moment.

Tenent tympanum, & cytharam, & gaudent ad sonitum organi, ducunt in bonis dies suos, & in puncto ad inferna descendunt. Iob. 21. Plaudebant, & ambulabant, & pedibus suis composito gradu incedebant. Isaïæ 3.

Enfin cette Danse sensuelle est exprimée dans la prophetie d’Isaïe par les démarches mesurées des filles de Sion, qui attiroient la malediction de Dieu sur elles. Car les femmes Iuifues estoient fort addonnées à la Danse, comme rapporte S. Basile sur ces paroles du Prophete : On void encore maintenant, dit-il, que les femmes Iuifues font de la Danse leur principal diuertissement. Saint Augustin encore, lors qu’il dit, que les femmes Iuifues feroient beaucoup mieux de s’occuper au Sacrifice le iour du Sabbath, que de le passer comme elles font dans l’exercice de la Danse. On lit la mesme chose dans la cinquiéme Loy du Code Theodosien : Si quelques Chrestiens, dit cette Loy, veulent {p. 9}imiter la folie & l’impieté des Iuifs, & suiure l’estourdissement ou l’aueuglement des Infideles & des Payens, en prophanant comme ces peuples charnels les iours destinez au culte de Dieu, par des recreations mondaines ; qu’ils apprennent que le temps qui est consacré aux prieres, & à l’oraison, n’est pas vn temps de plaisir & de volupté.

Si qui etiam nunc vel Iudæorum impietatis amentiâ, vel stolidæ Paganitatis errore atque in saniâ detinentur, aliud esse supplicationum tempus nouerint, aliud voluptatum, l. 5. C. Th.

Ces diuerses sortes de Danses ont esté en effet, pratiquées par les Payens. Car comme rapporte Cælius Rodiginus, ils ne s’en sont pas seulement seruis pour satisfaire à leur sensualité ; mais encore pour honorer leurs faux Dieux dans leur vaine, & impertinente Religion. Ce qu’ils ont fait par l’instinct du Diable, qui dans le dessein de tromper les hommes, {p. 10}& les perdre, & par l’ambition qu’il a de se rendre semblable à Dieu, & de se faire adorer, a voulu qu’on employât dans l’exercice de la superstition, & de l’idolatrie, tout ce que les hommes inspirez du S. Esprit, ont fait exterieurement pour le culte du vray Dieu.

L’vsage de cette sorte de danses qui selon l’Escriture seruent à glorifier Dieu, ne se trouue point parmy les Chrestiens, si ce n’est peut estre en ce que le Clergé & le peuple fidele s’assemble pour benir Dieu, pour le remercier, & pour l’inuoquer, enfin pour l’honorer par le Chant, & par le son des instrumens de Musique. Et en ce que selon l’ordre de l’Eglise, nous faisons des Processions, où le Chant est accompagné {p. 11}du mouuement du corps, qui mesme en quelques endroits se fait auec plus de regle, & auec plus de mesure. Mais cét autre sorte d’exercice dans lequel on s’occupe pour delecter, & contenter les sens, n’est que trop frequent dans le Christianisme, & on en vse d’vne maniere tout a fait vicieuse, & desordonnée. Et par là ceux qui ont esté faits enfans de Dieu, & membres de Iesus-Christ par leur Baptême, deuiennent honteusement les imitateurs, non seulement des Iuifs, mais des Gentils & Idolatres, comme il est marqué dans la Loy que nous auons citée, & dans vn passage de saint Augustin que nous rapporterons plus bas.

Si nous parlions donc rigoureusement, {p. 12}& dans l’exactitude des Iurisconsultes, ne considerant que ce qui se rencontre le plus souuent dans la pratique ordinaire de ces danses prophanes, qui ont pris naissance de la corruption des mœurs des Hebreux, & des obseruances superstitieuses des Payens ; nous pourrions dire que tous ces exercices qui ne vont qu’au contentement des sens sont absolument mauuais ; parce que les vices s’y mêlent, & le peché s’y trouue tres frequemment, & que suiuant la regle des Iurisconsultes,

L. 3. & 4. ff. de leg.

il faut juger des choses selon ce qui arriue ordinairement.

Neantmoins comme on ne peut point nier qu’on ne puisse prendre innocemment quelque sorte de recreation, pour {p. 13}de lasser l’esprit par le Chant, ou par le son des Instrumens, & par le mouuement mesme mesuré du corps, nous ne pretendons pas conclurre par ce que nous auons dit, que la Danse soit d’elle mesme criminelle.

Chapitre III.
Que les Danses sont deffendües aux Ecclesiastiques. §

Puisque les danses sont d’elles — mesmes indifferentes ; il est necessaire que nous examinions les conditions & les circonstances qui les peuuent rendre mauuaises : commençons par la qualité des personnes.

Nous disons donc que les personnes Ecclesiastiques ne {p. 14}peuuent point licitement danser, & que les Danses leur sont entierement deffenduës. C’est la doctrine de S. Thomas, de S. Bonauenture, de S. Antonin, d’Angelus, de Syluester, & des autres Casuistes.

S. Th. in c. 3. Is. S. Bon. in 4. dist. 6. S. Anton p. 3. 4. c. 6.

Ces Autheurs appuyent ce sentiment de deux Canons du Decret qui ne sont pas exprés, & dans lesquels la prohibition de la Danse n’est pas formellement contenuë. Car le I. deffend seulement les bouffonneries, les railleries, & les discours immodestes & indiscrets, & veut que les Clercs qui sous pretexte de diuertissement vsent de ces paroles impertinentes, soient déposez & éloignez de l’exercice de leurs fonctions.

Clericum scurrilé & verbis turpibus joculatoré ab officio esse retrahendum censemus. dist. 46. ex Conc. Carth. 4. Nullus presbyterorum &c. se inebriare vilatenus præsumat : nec precatus in amore sanctorum vel alicuius animæ bibere, vel alios ad bibendum cogere, vel se aliena precatione ingurgitare, nec plausus & risus inconditos & fabulas inanes ibi referte aut cantare præsumat, vel turpia joca ante se fieri patiatur, nec laruas dæmonum ante se fieri consentiat : quia hoc diabolicum & à sacris Canonibus prohibitum. De consecratione dist. 5. ex Concilio Nannetensi.

Le second defend l’yurognerie, les ris immoderez, les contes {p. 15}vains & ridicules, les jeux prophanes & seculiers, & tout ce qui peut seruir à la volupté mondaine. Il y est aussi marqué que les Ecclesiastiques, ne doiuent point se diuertir à voir les masques, ny souffrir ces insolences en leur presence ; parce que ce sont des inuentions diaboliques, & contraires à l’esprit de l’Eglise, & aux Canons.

Mais il y a dans le Droit Canon des defences plus expresses, & des prohibitions plus formelles de la Danse, pour ceux qui sont honorez de la Clericature. Car le Concile d’Agde rapporté par Gratien, ordonne à tous ceux qui sont {p. 16}engagez dans cette profession sainte, de n’aller point aux festins des Nopces, & de n’assister à ces assemblées, où l’on chante des chansons d’amour, & où l’on danse ; de peur que les yeux, & les oreilles, que la diuine vocation applique aux saints ministeres, ne soient souïllées par la veuë des mouuemens qui peuuent laisser des impressions d’impureté, ou par des paroles indiscretes, & lasciues.

Presbyteri, diaconi, subdiaconi, vel deinceps quibus ducendi vxores licentia modò non est, etiam alienarum nuptiarum euitent conuiuia, nec his actibus misceantur, vbi amatoria cantantur & turpia, aut obscæni motus corporum choreis & saltationibus efferentur, ne auditus aut obtutus sacris mysteriis deputati turpium spectaculorum, atque verborum contagione polluantur. dist. 34. ex Concilio Agathensi.

Le Concile de Laodicée dit qu’il ne faut point que ceux qui seruent à l’Autel, ny qu’aucun Clerc se trouue jamais aux spectacles des Nopces, & des Comedies. Si les Canons {p. 17}ne permettent pas seulement aux Ecclesiastiques de se trouuer aux lieux, & dans les occasions, où se font les Danses ; Comment pourroit-on pretendre, qu’ils pussent eux-mêmes danser sans peché. Syluester & Angelus déclarent que le peché que ces personnes commettent, si elles viennent à danser, est mortel à cause de la prohibition, & du scandale :

Non oportet ministros altaris vel quos libet clericos spectaculis aliquibus quæ aut in nuptiis aut scenis exhibentur interesse de consecr. dist. 5. Videtur mortiferum peccatum ratione prohibitionis & scandali Angel. in Scim.

si ce n’est peut-estre, dit vn de ces Docteurs, que la circonstance rende le peché moindre, comme si cette Danse se faisoit en secret, & qu’on n’y employât que fort peu de temps.

Cette condition néanmoins, que cét Autheur particulier adjouste, ne sçauroit mettre {p. 18}les Clercs en asseurance, ny excuser leur peché, s’ils desobeissent en ce point à l’Eglise, & s’ils violent les Canons. Car soit qu’ils dansent secretement, soit qu’ils se diuertissent de cette maniere à la veuë du monde, ce qu’ils font est toûjours prohibé, & par consequent illicite. Et la raison du Concile d’Agde n’a pas moins de force touchant les Danses secretes qu’à l’égard des publiques, puis qu’il sera toûjours vray, que l’Ecclesiastique qui assiste à la Danse, expose sa veuë, & ses oreilles, qui sont consacrées à Dieu par l’application au seruice de l’Autel, à la prophanation, & au danger euident de salir sa pureté. Il semble mesme que c’est vne pure imagination de penser, {p. 19}qu’il y puisse auoir des Danses secretes, specialement pour les Clercs, sur qui tout le monde jette les yeux, & dont on remarque fort exactement les actions. Enfin quand bien vn Ecclesiastique pourroit danser secretement, il y auroit toûjours beaucoup de raisons, qui le rendroient inexcusable dans son peché.

Et si quelqu’vn nous oppose pour éluder la force du Canon du Concile d’Agde, que le Concile ne parle que des Danses, & des jeux qui sont immodestes & deshonnestes, & qu’ainsi ces sortes d’exercices ne sont pas illicites à l’égard des Clercs, lors qu’il ne s’y mêle rien de contraire à l’honnesteté, & à la modestie ; cette objection se détruit aisément {p. 20}par la consideration serieuse & attentiue du vray sens du Canon, qui ne comprend pas seulement les deshonnestetés qui sont euidemment mortelles ; mais toute sorte d’actions, de gestes, & de mouuemens trop libres, qui ne s’accordent point auec la retenuë, & auec la sainteté des enfans de Dieu ? Ces actions, ces gestes, & ces mouuemens sont pourtant inseparables de la Danse, principalement, en la maniere qu’elle se fait aujourd’huy. Et ainsi suiuant le veritable sens du Canon les Danses de ce temps, quoy qu’on ne les iuge pas deshonnestes ; sont neantmoins opposées à l’honnesteté Chrestienne, & par consequent à la pieté, specialement des personnes Ecclesiastiques. {p. 21}Car pour refuter encore plus puissamment cette illusion, ce qui ne passeroit pas pour contraire à l’honnesteté, si on le prenoit absolument, d’vne maniere generale ; ne laisse pas de l’estre, par rapport à la condition particuliere des personnes appliquées au culte de Dieu par vne speciale consecration. Et c’est pour cela que le Canon du Concile de Laodicée deffend ces mesmes Exercices de la danse, & la Comedie à tous les Ecclesiastiques sans distinction ny restriction.

{p. 22}

Chapitre IV.
Que les Danses sont deffenduës dans les lieux saints. §

Après auoir considéré la qualité des personnes, nous descendrons à la différence des lieux. Il est donc constant que l’on ne peut danser dans vn lieu saint, c’est à dire dans les Eglises ou Chapelles, ny dans les Cimetieres, sans peché mortel. C’est la doctrine de Saint Antonin & de Syluester, sur l’autorité d’vn Chapitre du sixiéme des Decretales, où le Pape Gregoire dixiéme ordonne qu’on bannisse de tous les lieux consacrez à Dieu, & destinez au culte diuin, tout ce qui peut {p. 23}troubler la paix des Diuins Offices, causer de l’interruption dans les Prieres, ou mettre quelqu’autre empeschement au repos & à la deuotion des Chrestiens ; & que l’on en éloigne toute sorte d’assemblées, & d’actions seculieres, & prophanes, afin que non seulement on ne peche point dans les lieux où l’on vient demander la remission des pechez ; mais qu’on y vacque encore avec quietude d’esprit, & avec vne application tranquille aux Exercices spirituels ausquels ces sacrez lieux ont esté dédiez. Il ajouste mesme, que l’on ne permette point aucune sorte de trafic, ny l’exercice de la Iustice seculiere dans les Cimetieres.

Nullus in locis eisdem in quibus cum pace ac quiete conuenit vota celebrari, seditionem excitet, conclamationem moueat, impetumve committat : cessent in locis illis vniuersitatum, & societatum quarumlibet conciones & publica parlamenta ; cessent vana & multò fortiùs fœda, & prophana colloquia. Cessent confabulationes quælibet : sint postremo quæcumque alia quæ diuinum possunt turbare Officium, aut oculos diuinæ maiestatis offendere, ab ipsis prorsus extranea ; ne vbi peccatorum est venia postulanda, ibi peccandi detur occasio, aut deprehendantur peccata committi. Cessent in Ecclesia, earumque cœmeteriis negotiationes, & præcipuè nundinarum ac fori cuiuscumque tumultus, omnis in eis sæcularium iudiciorum strepitus conquiescat, nulla inibi causa per laïcos criminalis maximè agitetur. Lib. 3. sext. Decr. cap. 2.

On peut ajouster fort convenablement {p. 24}à cette prohibition les paroles d’Innocent III. On1 fait (dit-il) quelquefois dans les Eglises des jeux de Théâtre, où non seulement paroissent des personnes masquées & trauesties (ce qui est monstrueux) mais les Ecclesiastiques mesme prennent part à ces folies. Nous vous enjoignons (ajoute-t-il plus bas) de détruire & d’arracher cette mauuaise coustume, qui est vn veritable abus, afin que la sainteté des Eglises ne soit point visitée par ces jeux profanes & indecents. Mais {p. 25}il n’y a point de preuue plus puissante pour establir cette verité, qu’on peche griefuement lors qu’on danse dans quelque lieu Saint ; que ce qui est marqué dans vn Canon de ceux qu’on nomme Penitentiaux, qui condamne à trois ans de penitence, celuy qui auroit commis cette irreuerence, que de danser seulement deuant l’Eglise.

Chapitre V.
De ceux qui vont danser auec mauuais dessein. §

Il est éuident que ceux qui vont au Bal, à la Comedie, & aux autres lieux où on danse & où on se diuertit auec des desirs dereglez, {p. 26}& auec des dispositions contraires à la Loy de Dieu, se rendent encore coupables de peché mortel : Car si l’intention est criminelle, il faut necessairement que l’action qui en procede le soit aussi, quelque indifferente qu’elle soit d’elle-mesme ; comme S. Augustin nous l’apprend, lors qu’il dit, que ce n’est point à la verité vn peché d’aller à la guerre, mais que l’on ne peut y aller sans peché, si on embrasse cette condition pour voler ; que les charges de la République ne rendent point vn homme criminel, mais que neantmoins l’administration des affaires publiques est vicieuse, lors qu’elle est en la main d’vn homme, qui n’y cherche que ses interests particuliers, & qui ne {p. 27}s’y applique que par esprit d’auarice, & pour s’enrichir.

Militare non est delictum, sed propter predam militare pecatum est ; nec Rempublicam gerere criminosum est, sed ideo gerere Rempublicam, vt diuitias augeas, videtur esse damnabile. 23. q. 1. cap. militare.

On ne peut donc point douter que danser ne soit vn crime en ceux qui le font, cachant quelque mauuais dessein dans leur cœur. C’est la doctrine de saint Thomas & de saint Bonauenture, d’Alexandre de Halez, de saint Antonin, & des autres Docteurs.

Chapitre VI.
De ceux qui dansent auec quelque danger de tomber en peché. §

Celuy qui se rend aux assemblées où l’on danse auec danger de commettre quelque peché mortel, deuient {p. 28}sans doute coupable de peché mortel en hazardant ainsi son salut ; & en s’exposant à perdre la vie de son ame, qui est inestimable. Car l’Escriture dit, Que celuy qui aime le danger, pertra infailliblement dans ce mesme danger qu’il ne craint pas, & qu’il recherche.

Qui amat periculum, peribit in illo Eccles 3.

C’est le sentiment d’Angelus & de Syluester. Et nous adioustons, que non seulement celuy qui s’expose au peril du peché, auec vne connoissance éuidente ou probable de ce mesme peril, peche griefuement : mais qu’encore celuy qui doit raisonnablement apprehender qu’il se mettra dans le mesme danger, en assistant à la danse, commet la mesme faute : car la temerité, & l’aueuglement {p. 29}d’esprit auec lequel il met en hazard son salut eternel, ne peut iamais luy seruir d’excuse, au contraire c’est ce qui le rend coupable.

Chapitre VII.
De ceux qui sont aux autres occasions de ruine, & de peché. §

Il est aussi euident que celuy qui craint, ou qui a sujet de craindre raisonnablement, que les autres ne tombent dans quelque peché mortel, à son occasion, ou à cause de la danse, peche encore luy-mesme mortellement, s’il se trouue à la danse, ou s’il la procure. Syluester repete deux fois cette {p. 30}proposition au lieu qui a esté cité auparauant. En effet, si quelqu’vn a quelque fondement probable, de croire que quelque personne particuliere, & certaine, pechera, ou à son occasion, ou à l’occasion de la danse ; qui peut douter qu’il ne soit obligé en conscience de s’en abstenir, & qu’il ne peche griefuement, s’il ne s’en retire ? Puisque suiuant la doctrine de S. Thomas,

2. 2. q. 43. a. 7.

& la lumiere mesme naturelle de la raison, nous deuons laisser & obmettre toutes les choses qui ne sont pas necessaires au salut, lors que le prochain en peut estre scandalisé, c’est à dire, lors que ce que nous ferions luy pourroit donner quelque occasion de ruine, & de peché, à cause {p. 31}de son infirmité. Nauarre enseigne encore la mesme chose plus distinctement & plus clairement dans son Manuel.

Mais ce n’est pas seulement celuy qui peut probablement iuger qu’vne personne certaine pechera mortellement à l’occasion de la danse, qui se rend coupable de peché mortel : cela s’étend encore à tous ceux, qui sur ce que l’on sçait arriuer ordinairement, ont iuste sujet d’apprehender en general, que dans l’assemblée qui se fait pour cét exercice, il y en aura qui pecheront griefuement. Car cette doctrine qui est rapportée par Angelus & par Syluester, est veritable & constante, que si quelqu’vn fait quelque {p. 32}action, qui ne soit pas mauuaise de sa nature, & mesme que tout le monde puisse faire licitement, prenant la chose en elle mesme ; si toutefois dans la condition presente du temps, & à cause de la corruption, & deprauation des mœurs, cette mesme action, qui de soy seroit innocente, est deuenuë vne cause, ou vne occasion de mal, & de peché, il est tenu de s’en abstenir ; & s’il ne le fait pas, il offense Dieu. Il y a donc obligation de fuir absolument les danses lors qu’il paroist, que selon l’vsage present, il s’y commet ordinairement des pechez mortels, encore qu’on ne sçache point en particulier les personnes qui peuuent en estre coupables.

{p. 33}

Chapitre VIII.
Qu’il n’est point permis aux particuliers de faire des Assemblées pour la danse, ny pour toute sorte de sujet. §

C’est vn desordre dans les Républiques, tres-éloigné du bon sens, & de la raison, que des particuliers assemblent du monde pour la danse, ou au moins qu’ils le fassent pour la moindre occasion, & pour toute sorte de sujet. C’est le sentiment commun des Docteurs, & entre autres de saint Thomas, & saint Antonin, Roselius, Syluester & Zabarius, qui ne permettent point les danses, que pour des raisons importantes, {p. 34}& qui sont dans le bon ordre d’vne iuste police ; comme pour quelque victoire, ou pour des nopces. Ils iugent mesme, que quoy que la danse soit de sa nature indifferente, elle est neantmoins mauuaise en tous les autres cas, où ces causes raisonnables ne se rencontrent point. Et cette doctrine est toute dans la prudence & dans la iustice ; car si on ne donne point de bornes au plaisir, & si l’on ne prescrit des regles aux hommes pour leurs diuertissemens ; l’inclination qu’ils ont à la volupté, corrompra bien-tost les mœurs : & suiuant la pensée de Ciceron mesme, en imitant le bien, elle gastera & introduira le mal ; comme on ne le void que trop dans l’exemple {p. 35}mesme des danses. Il faut donc adiouster encore, que ceux qui sont en authorité pour regir & pour regler les peuples, sont coupables s’ils ne remedient aux desordres, qui se commettent sur ce sujet, & qui se repandent par tout.

Chapitre IX.
Des mouuemens dereglez du corps qui se font dans la danse. §

On ne peut point douter que, suiuant la doctrine de saint Thomas,

22. q. 168. ar. 1.

le défaut de moderation dans le mouuement du corps, & les agitations indiscretes & excessiues, ne soient contraires à la raison, {p. 36}& par consequent à la vertu, qui ne souffre rien de déreglé. Platon mesme, quoy que Payen, veut que ceux qui dansent soient moderez dans cét exercice.

Mais si le mouuement du corps est accompagné de quelque sentiment lascif, & impudique ; ou si on s’en sert pour éueiller la sensualité, & pour exciter, ou entretenir quelque mauuais plaisir, ou quelque satisfaction dangereuse dans la chair, & dans les sens ; le mesme Docteur Angelique nous apprend que c’est vn peché mortel ; & saint Bonauenture, Angelus, Roselius, & Syluester, apres Alexandre de Halez, sont de mesme aduis.

22. q. 168. art. 3. S. Bonau. in 4 D. 16. Angelus in verbo chorea vers. 3. & 4. Rosel. eodem loco. Syluester eodem pariter loco. Alexander par 4. q. 11 : memb. 2. a 2.

{p. 37}

Chapitre X.
Que c’est vne chose vitieuse & vn dereglement manifeste de danser frequemment. §

Quoy qu’il soit permis de prendre quelque recreation apres le trauail, & de donner quelque relasche à son esprit apres les occupations serieuses ; si on excede neantmoins dans le diuertissement, soit pour la maniere d’en vser, soit pour le temps qu’on y employe, ce n’est plus vne recreation honneste ; mais vne pure sensualité, & on n’agit pas en homme raisonnable : mais on se laisse conduire aux passions de la chair, & aux instincts de la nature, {p. 38}comme les bestes. Roselius, & Angelus sont mesme passez plus auant, & ont dit que ceux qui dansent souuent, & qui s’accoûtument à cét exercice, pechent mortellement.

Il est vray, que Syluester n’approuue point ce sentiment, touchant la griéueté de ce peché, croyant que le frequent vsage d’vne chose qui de soy n’est pas mortelle, ne peut pas faire qu’elle le soit : mais ces Autheurs appuyent tres-solidement leur aduis par cette raison qu paroist claire, & conuainquante. Que ceux qui dansent ainsi frequemment, par le plaisir qu’ils prennent à danser, s’attachent auec tant de passion à cét exercice, qu’ils tombent {p. 39}presque tousiours dans quelque faute, qui les rend coupables de peché mortel.

Et il faut remarquer que ces Docteurs n’ont pas esté les premiers à condamner cette coustume de danser. Ils en ont porté ce iugement apres Alexandre de Halés, qui n’excuse pas mesme de peché mortel, celuy qui auroit esté engagé contre son gré, & par pure condescendance dans cét exercice ; si par le plaisir qu’il y prend il s’y attache, & s’y accoustume ; parce que quand bien il seroit vray de dire que pour danser frequemment, & sans moderation, s’il n’y auoit quelqu’autre circonstance qui augmentât la malice de l’action, on peut ne pecher pas mortellement ; {p. 40}neantmoins parce que ce plaisir sensible qu’on prend si souuent, dispose peu à peu les ames à violer les commandemens de Dieu, & de l’Eglise ; & à faire malheureusement auec vne affection dereglée, ce qu’on faisoit au commencement auec vne satisfaction moins mauuaise ; comme l’on dit que le peché veniel,

S. Thomas 1. 2. q. 88.

lors qu’on neglige de s’en corriger, & qu’on s’y lie auec affection, est vne disposition au mortel : on peut dire en ce sens que ceux-là pechent mortellement qui vont frequemment au bal, à cause qu’ils se disposent insensiblement à tomber dans le peché mortel, & qu’ils s’exposent au peril de le commettre.

{p. 41}

Chapitre XI.
Qu’on ne peut danser sans peché les iours qui sont particulierement destinés à l’exercice de la pieté Chrestienne. §

Ceux qui dansent, & qui vont au bal, & à la comedie au temps dans lequel, suiuant l’ordre de l’Eglise, les Chrestiens doiuent specialement vacquer à la pratique de la penitence, ou s’occuper aux exercices spirituels, & à la deuotion, ne sçauroient estre excusez de peché mortel. C’est la doctrine de Roselius, & de Syluester, apres Alexandre de Halés, qui pour exposer plus clairement leur aduis par des exemples, marquent le {p. 42}temps de l’Aduent iusques à l’Epiphanie, & depuis la Septuagesime iusques à Pasques ; ne doutant point que pendant ce temps, les danses ne soient illicites, & criminelles.

Syluester estend cette mesme doctrine au iour du Dimanche, quoy qu’en cette matiere il se soit beaucoup escarté de la verité, & qu’il se soit laissé aller dans des opinions fort accommodantes. Il croit donc que ceux qui dansent les iours des Dimanches péchent grieuement ; si ce n’est peut-estre, dit-il, que ce fût dans l’occasion d’vne ioye publique, & extraordinaire, comme pour quelque victoire, ou que cela se fist secretement : mais ces exceptions ne ne sont point iustes, & ne doiuent {p. 43}point estre par consequent receuës.

Car comme nous auons dit auparauant, suiuant le sentiment de plusieurs Docteurs anciens tres-considerables par leur sainteté, & par leur doctrine, les danses ne sont point permises que pour des sujets raisonnables, & importants, qui regardent le bien de la societé ciuile, aux iours mesmes qui ne sont pas particulierement dediez à la pieté & au culte de Dieu. Et ainsi lors qu’il y a quelque sujet de réjoüissance publique, la consideration que l’on doit auoir pour l’ordre de l’Eglise & l’obligation qu’ont ses enfans de s’appliquer aux choses de Dieu, ne permet point qu’on puisse legitimement faire {p. 44}choix de ces iours saints pour des diuertissements humains & profanes.

Et quand bien en ces iours consacrez à la gloire de Dieu, on ne danseroit qu’en secret, on ne seroit pas exempt de peché ; Car encore que le scandale ne s’y trouue pas, on s’oppose manifestement, non seulement à l’ordre ; mais à l’esprit de l’Eglise, qui est celuy de Dieu mesme ; puisqu’on perd par des actions seculieres, le temps qu’elle auoit marqué pour la mortification, & pour les autres exercices spirituels necessaires à la sanctification des ames.

Ce mesme Autheur suiuant la disposition dans laquelle il estoit d’élargir la voye du salut, contre la parole expresse {p. 45}de l’Euangile, excepte encore le cas de la coustume ; permettant la danse aux iours de quelques festes particulieres, lors que l’vsage en est desia estably : Mais ceux qui seront veritablement entrez dans les sentimens de l’Eglise, & qui seront animez de l’Esprit qui l’a conduite dans l’institution de ces solemnitez, souffriront encor moins cette exception, que les autres ; Car ils seront persuadez que les témoignages de la ioye Chrestienne, qui est vne ioye toute spirituelle, & toute en Dieu, ne sçauroient s’accorder auec ces danses mondaines.

Nous auons le chant de l’Eglise, les Hymnes, & les Processions pour exprimer la veritable ioye, que le saint Esprit {p. 46}inspire à nos cœurs ; & ce sont les seuls témoignages de ioye que l’Eglise a receus, & approuuez ; Au lieu qu’elle a traitté les danses, lors qu’elle en a parlé dans ses Canons, comme des diuertissemens indecens, & entierement honteux.

En effet, si les danses d’aujourd’huy pouuoient conuenir auec la ioye sainte de l’esprit Chrestien, pourquoy les condamneroit-on en certaines personnes, & en certains lieux, & lors que l’vsage en est trop frequent ? Et pourquoy ne seroit-il pas permis aux personnes mesmes consacrées à Dieu, de danser, & à celles qui ne le sont pas de prendre ce diuertissement dans vn lieu saint, & de le faire autant {p. 47}de temps qu’il leur plaira ?

Mais reuenons encore sur ce mesme sujet des Festes, à l’exception que ce mesme Docteur fait, sur les occasions importantes d’vne réjoüissance publique, comme seroit quelque victoire remarquable. Helas ! n’auons-nous pas assez d’autres exercices licites, & vsitez dans l’Eglise, qui ne repugnent point à la sainteté des iours qui sont destinez à la priere & à la pieté, pour témoigner nostre ioye, s’il arriuoit qu’on ne pût pas differer cette réjoüissance en autre temps ; sans auoir recours à des vsages qui fauorisent la nature corrompuë, & qui nourrissent l’esprit du siecle ?

Certes les vrays Chrestiens, {p. 48}& les enfans de Dieu n’ont pas accoustumé de se seruir de ces moyens pour le remercier des bienfaits, qu’ils ont receus de sa misericorde ; & nous auons déja montré, que les danses de l’ancien Testament qui furent rapportées à la gloire de Dieu, & à sa loüange, comme celle de Marie sœur d’Aaron, apres la ruine de Pharaon, & la perte de son armée, sont bien differentes, & bien éloignées de celles d’aujourd’huy.

Ce que nous auons dit touchant le temps de la Penitence, c’est à dire dans lequel les Chrestiens doiuent suiuant l’ordre & la discipline de l’Eglise, s’exercer dans la mortification, est confirmé par vn passage de saint Augustin rapporté {p. 49}par Gratian ; où ce saint Docteur dit, Que celuy qui veut obtenir la remission de ses pechés par l’esprit, & par les œuures d’vne sincere penitence, doit fuir les ieux, les bals, & les Comedies.

C. 1. de pænitentia d. 5. cohibeat se præter ea à ludis & à spectaculis sęculi qui perfectam vult consequi gratiam remissionis.

Ce que le Maistre des Sentences nous apprend encore, disant que les penitens sont obligés de s’abstenir de tous ces diuertissemens mondains.

Magister lib. 4. sentent. D. 16. vbi dicitur pœnitentem à ludis & spectaculis abstinere debere.

En effet, comment peut-on accorder ces actions seculieres, qui flatent les sens, & donnent du plaisir à la chair, auec les larmes d’vne ame vrayement penitente, qui s’afflige pour rendre honneur à la Iustice de Dieu, par la haine qu’elle a conceu contre le peché, & contre elle mesme ?

{p. 50}Or le temps marqué pour la penitence comprend les iours des Litanies, & des Quatre-temps, & tous les autres iours dans lesquels les fidelles sont tenus de ieusner. Et le temps qui est specialement dedié à la deuotion, ne comprend pas seulement tous les Dimanches de l’année, mais toutes les Festes qui sont d’obligation ; parce que suiuant la doctrine commune, nous sommes obligés de les passer aussi saintement, que le iour mesme du Dimanche.

Il est vray que pour ce qui regarde les Festes, quelques Casuistes ont adiousté, par vne condescendance excessiue, des exceptions tres-dangereuses, par lesquelles {p. 51}ils donnent aux Chrestiens vne liberté contraire aux sentimens de l’Eglise, & à l’esprit de leur profession. Car Angelus ne condamne pas la danse aux iours de Festes, pourueu qu’on ne s’y adonne point au temps des Offices diuins, & qu’on n’y employe que la moindre partie du iour. Et Syluester est encore descendu dans vn relâchement plus étrange, reduisant l’obligation de ne point danser en ces iours, au seul temps de la Messe. C’est ce qui a donné fondement aux abus déplorables, & aux desordres qu’on voit par tout sur ce sujet en ces saints iours.

Ils eussent bien mieux fait de suiure constamment & de {p. 52}soutenir genereusement la doctrine des anciens, appuyée sur la discipline de l’Eglise, & animée de son esprit, & de reprimer par la force de la verité la licence effrenée des Chrestiens relâchez & vicieux, que de leur aprendre vne voye large qui fauorise leurs conuoitises, & qui par consequent ne peut que les conduire au precipice, par des opinions nouuelles, qui n’ont aucun fondement dans la doctrine de l’Eglise, ny dans celle des Saints.

Concluons donc pour finir ce Chapitre, que ceux qui dansent au temps destiné par l’Eglise à l’exercice de la mortification, pechent grieuement ; parce qu’ils s’opposent {p. 53}directement au dessein, & aux ordres de cette mesme Eglise, puis qu’ils cherchent leurs plaisirs sensuels, lors qu’elle veut que ses enfans gemissent deuant Dieu, & entrent dans les afflictions salutaires de la penitence.

Chapitre XII.
Du Dimanche & des iours des Festes. §

Il faut maintenant que nous pesions serieusement les raisons qui font voir qu’on ne peut pas danser sans peché les iours des Dimanches, ny les iours des Festes. Commençons par la consideration de l’institution de {p. 54}ces mesmes Festes, & des exercices qui sont propres à la sainteté de ces iours ; afin que nous connoissions par là, si le bal, & la danse sont compatibles auec ces deuotions, & auec ces solemnités. Nous aurons soing, & tâcherons d’appuyer tout ce que nous auancerons sur l’authorité de ceux qui ont droit, & obligation de regler les fidelles ; afin qu’on ne croye pas que nous disions rien de nous mesmes.

La fin principale pour laquelle les Festes ont esté instituées, comme l’Ecriture mesme nous enseigne ; c’est pour honorer le repos ineffable de Dieu apres l’ouurage de six iours. Dieu a fait, est-il dit dans l’Exode, le {p. 55}ciel, la terre, la mer, & toutes les autres choses qui y sont contenuës, & il s’est reposé le septiéme iour ; c’est pour cela qu’il a ordonné vn iour de repos, qu’il l’a beni, & qu’il l’a sanctifié.

Exo. 20. sex enim diebus fecit Dominus cœlum & terram, & mare, & omnia quæ in eis sunt ; & requieuit in die septime : idcirco benedixit Dominus diei sabbati, & sanctificauit cum.

Nous deuons donc en ces iours nous separer des occupations temporelles, & qui regardent le Siecle ; pour nous occuper en Dieu, & aux choses spirituelles ; & c’est ce qu’on appelle sanctifier les Festes.

Constit. Aposto. lib. 7. t. 31. & 37. & lib. 8. t. 32. secundùm editionem doctiss. Turriani.

Ce qui est encore expressément marqué dans les liures des constitutions Apostoliques, qui nous apprennent que les iours des Festes ne sont establis que pour le culte de Dieu, & afin que nous nous souuenions de sa naissance dans la chair, de sa {p. 56}mort, & de sa resurrection, & qu’estans remplis d’vne ioye toute spirituelle dans la veüe de ses inestimables bien-faits, nous l’honorions par des actions de graces, & par des œuures de vertu.

Outre le Dimanche nous celebrons encore des Festes en l’honneur des Saints ; mais ce culte reuient à la gloire du Fils de Dieu, qui en est le chef, parce que c’est luy qui les a sanctifiés, & qui les ayant faits ses membres, leur a donné la plenitude de son esprit, par laquelle ils sont deuenus Saints, & parfaits. Nous faisons encore ces mesmes Festes des Saints, afin que nous remettant dans l’esprit la vie qu’ils ont menée, {p. 57}& les vertus qu’ils ont pratiquées auec tant de fidelité & de perfection, nous conceuions des desirs solides de les imiter, & nous resoluions à suiure leur exemple.

C’est ce que Saint Paul veut dire, lors qu’il écrit aux Hebreux, Souvenés vous de vos Prelats qui vous ont annoncé la parole de Dieu ; & faisant attention à la consommation de leur sainte vie ; tâchez d’imiter la vigueur de leur foy.

Hebr. 13. Mementote prępositorum vestrorum qui vobis locuti sunt verbum Dei ; quorum intuentes exitum conuersationis, imitamini fidem.

Car suiuant l’interpretation de Theodoret, l’Apostre parle en cet endroit de ceux qui estoient desia morts comme saint Iacques qu’il appelle ailleurs, le frere du Seigneur, & qui auoit esté tué par le commandement {p. 58}d’Herode.

Et saint Basile dit encore sur le mesme sujet : C’est pour nôtre aduantage, & pour nôtre vtilité, que nous faisons auec solemnité la memoire des Martyrs ; car ils n’ont pas besoin de nos loüanges, qui ne respondent iamais à leur merite ; & ils ont vne entiere felicité, & vne parfaite gloire en Dieu, dont ils ioüissent ; mais c’est nous, qui auons besoin de nous representer la conduite qu’ils ont tenuë, pour paruenir à l’estat bien-heureux qu’ils possedent ; afin de nous rendre dignes, par l’imitation fidelle de leur vie, de participer vn iour à leur bonheur.

In serm. de Gordio mar. Igitur nostri tantùm causa profectus, sat fuerit illorum celebrare memoriam : non enim nostris indigent laudibus ornari, sed nos ipsorum vitæ historia, & commemoratione, imitationis gratia indigemus.

Voyla quelles doiuent estre les occupations des Chrestiens les iours des Festes.

{p. 59}Mais adioûtons des nouuelles authoritez aux precedentes, pour éclaircir dauantage ce point, qui est si important dans la Religion Chrestienne. Le Pape Nicolas premier respondant aux Bulgares, marque distinctement les exercices, ausquels doiuent s’occuper les fidelles en ces saints jours, dont nous parlons. Il faut sçauoir, dit-il, que l’on s’abstient des œuures seruiles, & des occupations mondaines les iours des Festes, afin que l’on soit dans vne plus grande liberté d’aller aux Eglises, de chanter des Pseaumes, des Hymnes, & des Cantiques spirituels, de s’appliquer à l’Oraison, de porter des Oblations à l’Autel, de prendre part à la grace des Saints, par le souuenir {p. 60}de leurs vertus, de s’encourager, & de s’animer à leur imitation, d’écouter la parole Diuine auec attention, & auec ferueur, & d’exercer la charité enuers le prochain, & faire des aumosnes.

In Resp. ad Bulgaros c. 11. sane sciendum est idcirco in diebus festis ab opere mundano cessandum esse, vt liberiùs ad Ecclesias ire, psalmis & hymnis, & Canticis spiritualibus insistere, orationi vacare, oblationes afferre, memorias sanctorum communicare, ad imitationem eorum assurgere ; eloquiis diuinis intendere, eleemosynas indigentibus mittere valeat Christianus.

Alexandre III.

3. in c. licet extra de fe.

dit que les iours du Dimanche, & des autres Festes, sont consacrés à la gloire de la Majesté souueraine de Dieu ; & que c’est pour cela que les ordonnances de l’Eglise nous obligent de les sanctifier.

Il ne faut pas obmettre ces paroles excellentes du Concile de Frejus : Il faut, dit-il, s’abstenir les iours des Festes de toute sorte de peché, & de toute sorte d’œuure sensuelle, ou terrestre ; & ne s’occuper {p. 61}à autre chose en ce saint temps, qu’aux exercices de l’Oraison, & à se rendre fidellement aux assemblées qui se font dans les Eglises pour les Offices, auec vne parfaite ferueur d’esprit

Conc. Foroiuliens. c. 13. Abstinendum festis diebus ab omni peccato & ab omni opere carnali & terreno, & ad nihil aliud vacare debere, nisi ad orationem concurrere, ad Ecclesiam cum summa mentis deuotione.

.

Adjoutons encore le Concile de Mascon : Vous, Chrestiens, disent les Prelats assemblés dans ce Concile, qui ne portez pas en vain ce saint nom dont vous estes honorés, & qui desirés vous en rendre dignes par vostre conduite ; écoutés auec attention les aduertissemens que nous vous donnons, sçachants que Dieu ne nous a donné l’authorité que nous auons, que pour veiller sur vos ames ; pour vous enseigner ce qui sert à vostre salut, & pour vous retirer {p. 62}de toute sorte de mal. Gardés donc le jour du Dimanche, qui nous a nouuellement enfantés, par la grace de Iesvs-Christ, & qui nous a deliurez de tous nos pechez.

Concil. Matisc. Omnes Christiani qui non in cassum hoc nomine frui mini, nostræ admonitioni autem accommodate, scientes quod nostræ est auctoritatis vtilitati vestræ prospicere, & à malis operibus coercere, custodire diem Dominicam quæ nos denuò peperit, & à peccatis omnibus liberauit.

Et plus bas ; Soyez donc appliquez de corps, aussi bien que d’esprit, aux Hymnes, & à la loüange de Dieu. Que celuy de vous, qui sera proche de quelque Eglise, s’y rende promptement ; & que pendant ces iours, il respande son ame deuant Dieu par les prieres, & par les larmes : que vos yeux & vos mains soient pendant tout ce iour estendües vers Dieu ; parce que c’est le jour qui represente le repos eternel, & de Dieu & des ames saintes en Dieu, c’est ce iour qui dans la Loy & dans les Prophetes, a esté figuré par {p. 63}le septiéme iour, qu’on appelloit le Sabat. Il est donc iuste que nous celebrions tous auec la mesme affection, & auec la mesme ardeur, & dans vne entiere vnité de cœur & d’esprit, ce saint iour par lequel nous sommes deuenus, ce que nous n’estions pas, c’est à dire, les enfans de Dieu, & les heritiers de la gloire eternelle.

Et infra. Estote omnes in hymnis, & laudibus Dei animo corporeque intenti. Si quis vestrûm proximam habet Ecclesiam, properet ad eandem, & ibi Dominico die semetipsum precibus lachrymisque : sint oculi manusque vestrûm toto illo die ad Deum expensæ : ipse est enim dies requietionis perpetuæ : ipse nobis per septimæ diei vmbram insinuatus noscitur in lege, & Prophetis : Iustum igitur est vt hanc diem vnanimiter celebremus, per quam facti sumus quod non suimus.

Et encore plus bas : Si quelqu’vn d’entre vous méprise cette exhortation salutaire, qu’il sçache, premierement qu’il sera puni de Dieu pour le mépris qu’il en aura fait, & en second lieu, qu’il attirera sur soy la colere de l’Eglise.

Et infra, si quis itaque vestrûm hanc salubrem exhortationem paruipenderit, aut contemptui tradiderit, sciat se pro qualitatis merito principaliter à Deo puniri, & deinceps sacerdotali quoque iræ implacabiliter subjacere, &c., lib. 4, de eius vita c. 18.

Eusebe écrit que Constantin a fait beaucoup d’ordonnances {p. 64}touchant la pieté auec laquelle les fidelles doiuent celebrer le iour du Dimanche, & les Festes des Saints Martyrs, & qu’il a commandé qu’on quittast toutes les occupations exterieures & mondaines ; afin qu’on pust dans cette liberté, & dans ce repos frequenter les Eglises, & prier auec plus d’assiduité & de ferueur ; & nous rapporterons encore plus bas plusieurs autres ordonnances des Empereurs sur ce sujet ; par lesquelles il paroît euidemment qu’il n’y a rien de si contraire aux loix diuines & humaines, & à la raison mesme, que d’employer à la volupté, & au plaisir, des iours qui sont consacrez au culte {p. 65}de Dieu, & instituez pour ne vaquer qu’aux choses diuines.

C’est sur ce fondement qu’Alexandre de Halés Docteur celebre,

parte 4. quast. 11. memb. 2. a. 2.

a iugé que ceux qui dansent les iours des Festes violent le precepte qui nous oblige de les sanctifier ; & qu’ils pechent mesme plus griefuement que s’ils estoient occupez à quelque trauail mecanique, & à quelque autre œuure seruile, suiuant cette parole de saint Gregoire, C’est vne chose plus tolerable de fouir la terre, ou de labourer vn iour de Dimanche, que de danser.

Gregorius. Melius esse die Dominico fodere, aut arare, quam choreas ducere.

Ce qui s’accorde parfaitement auec ce passage de saint Augustin, que saint Thomas rapporte ; Vn Iuif {p. 66}feroit mieux d’aller trauailler dans son champ, que d’assister à la Comedie ; & les femmes Iuifues encore feroient mieux de filer de la laine le iour du Sabat, que de danser comme elles font auec insolence les iours de leurs Festes.

S. Thomas 2. 2. q. 122. a. 3. ex Augustino. Melius faceret Iudæus in agro aliquid vtile, quam si in theatro seditiosus existeret, & melius fœminæ corum die sabbathi lanam facerent, quam quod tota die in neomeniis suis impudicè saltarent.

Chapitre XIII.
Que les loix civiles defendent de danser, & d’aller à la Comedie les iours des Festes. §

Nous auons iusqu’à maintenant parlé des danses, & des Comedies, comme des choses qui sont defenduës, parce qu’elles {p. 67}sont mauuaises ; au moins à cause des circonstances qui les accompagnent, & de leurs effects. Il faut maintenant parler de la prohibition, qui en a esté faite, & conclurre qu’elles sont encore illicites, parce qu’elles sont defenduës. Nous allons donc voir, s’il est expressément defendu de danser les iours des Festes ; parce que suivant la maxime des Casuistes mesmes, ce que les loix defendent de faire les iours des Festes, est contraire à la reuerence auec laquelle on les doit celebrer, & par consequent celuy qui fait dans ces saints iours les choses qui sont defenduës par les loix, viole le precepte de la sanctification des Festes.

{p. 68}Ie commenceray par la seconde loy du Code Theodosien touchant les spectacles, qui est attribuée aux Empereurs Gracien, Valentinien, & Theodose : Nous vous aduertissons auant toutes choses, que personne ne transgresse la loy que nous auons donnée il y a long-temps, en détournant le peuple de la pieté par quelque spectacle ;

l. 2. C. Theod. de spectaculu lib. 15. tit. 5. Illud etiam præmonemus, ne quis in legem nostram, quam dudum tulimus, committat : nullum solis. die populo spectaculum præbeat, nec diuinam venerationem confecta solennitate confundat.

C’est à dire par la danse, ou par la Comedie, ou par quelque autre diuertissement profane, & en causant par ce moyen de la confusion, & du desordre dans nos solemnitez.

Mais la cinquiéme Loy est plus forte : C’est vne chose entierement necessaire, & toute dans l’ordre de Dieu, que tous les Chrestiens, & tous les fidelles, {p. 69}s’occupent de tout le cœur, & de tout l’esprit au culte diuin, & aux actions de la pieté, & de la religion qu’ils professent, auec vn renoncement absolu de tous les plaisirs du Cirque, & du Théâtre, dans toutes les villes du monde, le iour du Dimanche, qui commence la semaine, & qui attire les benedictions de Dieu sur toutes les œuures qu’on y fait ; & pendant le temps de l’Aduent, des Festes de Noël, & de l’Epiphanie ; aux Festes de Pasques, & pendant tout le temps Pasqual, c’est à dire iusques à la Pentecoste, dans lequel ceux qui ont esté baptisez portent publiquement les signes de la lumiere Diuine dont ils ont esté éclairez, & remplis au saint Baptême, par la blancheur de leurs habits ;

Item l. 5. eod. tit. Dominica qui septimanæ primus est dies, & Natale atque Epiphaniarum Christi : Paschæ etiam, & Quinquagesimæ diebus, quamdiu cælestis lumen lanam imitantia nouam sancti Baptismatis, lucem vestimenta testantur, & quo tempore (emendo ex l. omnes c. de fer.) commeratio Apostolicę passionis, totius Christianitatis magistræ, à cunctis iure celebratur, omni theatrorum, atque Circensium voluptate, per vniuersas vrbes earundem populi denegata, totæ Christianorum, ac fidelium mentes Dei cultibus occupantur, si qui etiam nunc vel Iudaicæ impietatis amentiâ, vel stolidæ paganitatis errore, atque insania detinentur, aliud esse supplicationum nouerit tempus, aliud voluptatum.

& {p. 70}enfin lors qu’on fait les Festes, & la memoire de la mort des Apostres, qui ont esté les Maistres de la terre, & qui nous ont enseigné toutes les veritez du Christianisme. C’est pourquoy s’il s’en trouue parmi eux quelques-vns qui suiuent encore la folie des Iuifs, ou qui imitent l’erreur & l’extrauagance des Payens, par les danses & par d’autres diuertissements indignes ; qu’ils apprennent que c’est abuser d’vn temps, qui est tout consacré à la priere, que de l’employer à la recherche de son plaisir ; & que c’est irriter Dieu, que de s’occuper à des exercices qui ne seruent qu’à la satisfaction des sens ; lors qu’on deuroit estre prosterné deuant sa majesté, {p. 71}pour l’adorer, & pour inuoquer sa misericorde.

I’adjoûte vne autre loy des Empereurs Valentinien, Theodose, & Arcade dans laquelle apres auoir fait mention de plusieurs Festes particulieres ; ils marquent toute la quinzaine de Pasques, le iour de Noël, & de l’Epiphanie, & les Festes des Apostres : dans lesquels iours (disent-ils) à cause de leur saincteté, nous defendons toutes sortes de spectacles ; & nous mettons encore au mesme rang des Festes dont nous auons parlé, les iours qui estoient nommez les iours du Soleil, & que les Chrestiens appellent communement, plus iustement, les iours du Seigneur, ou les Dimanches ; que l’on doit celebrer, {p. 72}& solemniser auec vne pareille deuotion & reuerence.

l. omnes C. de feriis : sacros quoque Paschæ dies qui septeno numero, vel pręcedunt vel sequuntur, dies etiam natalis, atque Epiphaniorum Christi, & quo tempore commemoratio Apostolicę passionis totius Christianitatis Magistræ à cunctis iure celebratur ; in quibus etiam prædictis sanctissimis diebus, neque spectaculorum copiam reseramus, in eadem obseruatione numeramus & dies Solis quos Dominicos rectè dixere maiores, qui repetito in sese calculo reuoluuntur, in quibus parem necesse est habere reuerentiam.

Finissons par la loy des Empereurs Leon, & Antemius. Nous ne voulons point, disent-ils, que les iours des Festes, qui sont dediez au culte & à l’adoration de la souueraine Majesté de Dieu, soient employez à aucune sorte d’exercice, qui serue à la volupté, & à donner du plaisir ; ny qu’ils soient prophanez par aucune exaction, ou mesme par aucun acte de iustice ; & nous ordonnons que l’on conserue vn respect si profond pour le iour du Dimanche, qu’on s’abstienne de ces mesmes actions, quoy que iustes, & necessaires en autre temps.

L. vlt. C. eodem. Dies festos Maiestati Altissimæ dedicatos nullis volumus voluptatibus occupari, nec vllis exactionum vexationibus prophanari. Dominicum itaque diem ita semper honorabile decernimus & venerandum, vt à cunctis executionibus, &c.

Et plus bas : Mais quoy que nous defendions toutes ces œuures seruiles par la consideration {p. 73}de ces iours, qui sont si saints, & si pleins de religion, & qui doiuent estre celebrez dans le repos de l’esprit ; nous ne souffrirons pas neantmoins qu’aucun s’addonne à la recherche des plaisirs terrestres, & des voluptez sensuelles. Qu’on ne pretende donc point d’employer aucune partie de ces iours, si dignes d’honneur, soit à la Comedie, soit au combat du Cirque, soit à celuy des bestes dans l’amphitheatre. Que si le iour de nostre naissance se rencontre au iour de quelqu’vne de ces festes, nous entendons que la réjoüissance publique qu’on fait à nostre consideration, soit differée à quelqu’autre iour. Et nous desirons auec tant d’ardeur que cette Ordonnance soit obseruée, que nous {p. 74}voulons que celuy qui la transgressera, ou en assistant aux spectacles vn iour de feste, ou en faisant quelque acte de iustice, sous pretexte des affaires publiques ou particulieres, en soit puni par la degradation, & par la confiscation de tous ses biens.

Et infra. Nec huius tamen religio diei otia relaxantes, obcœnis quoque patimur voluptatibus detineri, nihil eodem die sibi vendicet Scena theatralis, aut Circense certamen, aut ferarum lachrymosa spectacula. Et si in nostrum ortum aut natalem celebranda solennitas inciderit, differatur. Amissionem militiæ, proscriptionemque patrimonij sustinebit, si quis vmquam hoc die festo spectaculis interesse, vel cuiuscunque Iudicis apparitor, pretextu negotii publici, vel priuati, quæ hac lege statuta sunt, crediderit temeranda.

On voit bien dans ces Constitutions pieuses & Chrestiennes, quels ont esté les sentimens des Princes touchant l’obseruance des Festes, & des autres iours qui demandent vne particuliere application à Dieu, & à la priere, puis qu’ils ont deffendu en ces saints iours, sous des peines tres-rigoureuses, tout ce qui sert à la volupté. Iugez apres cela si les danses s’accordent auec la sanctification {p. 75}des Festes, & si ce n’est pas les profaner, & violer les preceptes de l’Eglise que de danser.

Mais remarquez encore auant de passer aux loix Ecclesiastiques, que ces Empereurs ont adjousté le temps Paschal à celuy de l’Aduent, & ont commandé aux Chrestiens de le passer saintement, & dans vn retranchement entier de tous les diuertissemens du siecle.

{p. 76}

Chapitre XIV.
Que les danses sont aussi deffenduës les iours des Festes par les loix Canoniques. §

Voyons maintenant quelle est la conformité des Constitutions,

c. Qui die. de consecr. d. 1.

& des Ordonnances de l’Eglise auec les Loix des Empereurs. Elles ne deffendent pas auec moins de rigueur ces vsages sensuels & profanes, comme l’on voit dans vn Canon du Concile de Carthage, qui fut celebré presque à mesme temps que ces loix que nous auons citées de l’Empereur Valentinien & des autres furent faites ; & ce Canon est {p. 77}inseré dans le Droit. Que celuy-là soit excommunié, & retranché de la participation des saints mysteres, dit le Concile, qui au lieu de se trouuer aux assemblées des fidelles dans l’Eglise, employe mal le temps qui est consacré au culte de Dieu, & assiste aux spectacles les iours des Festes.

Concil. Cartbag. 4. n. 88. Qui dissolemnia prætermisso Ecclesiæ conuentu, ad spectacula vadit, excommunicetur.

Le troisiesme Concile de Tolede, au dernier chapitre rapporté aussi dans le Droit, parle encore fortement sur ce sujet. Il faut, dit-il, exterminer cette coustume pernicieuse, & contraire à la Religion, par laquelle le peuple deshonnore les solemnitez des Saints. Car au lieu de se rendre auec fidelité, & auec ferueur aux diuins Offices, ils s’occupent à danser, & à dire des {p. 78}chansons profanes & indecentes ; & ils ne se causent pas seulement du dommage à eux-mesmes, en soüillant la pureté de leur conscience par les pechez qu’ils commettent ; mais ils troublent les autres dans leurs deuotions.

c. Irreligiosa, de consec. d. 3. qui est ex Conc, Toletan. 3 c. vlt. Exterminanda omnino est irreligiosa consuetudo quam vulguns per sanctorum solemnitates agere consueuit. Populi, qui debent officia diuina attendere, saltationibus & turpibus inuigilant cantibus ; non solùm sibi nocentes ; sed & Religiosorum officiis perstrepentes. Hoc enim vt ab omni Hispania (in Decreto legitur ab omnibus prouinciis) depellatur, Sacerdotum ac Iudicum à Concilio sanctę curæ committitur.

Il faut donc que tous ceux qui sont constituez en dignité & en charge, trauaillent de toute leur force, & auec vigueur, à détruire entierement vn abus si insupportable ; & la puissance seculiere doit se ioindre à l’Ecclesiastique, & s’employer aussi bien qu’elle pour aneantir vne pratique, qui est si opposée à l’esprit du Christianisme, & de la vraye pieté.

Mais il est necessaire de combattre en cét endroit la maniere d’interpreter ces Canons, {p. 79}& les opinions relaschées des Casuistes, qui en ont voulu alterer le veritable sens par des gloses dangereuses : car de ce que les Canons en deffendant la danse, & toute sorte de spectacles les iours des Festes, font mention du temps des diuins Offices ; quelques-vns ont pris occasion de dire, que cette prohibition de la danse, & des autres diuertissemens mondains, n’a esté faite qu’en consideration des Offices diuins ; & ainsi, qu’il est permis aux fidelles de danser en tout autre temps que celuy des Offices ; & c’est le sentiment d’Angelus. Mais Syluester ouure encore dauantage la porte au relaschement de la discipline Ecclesiastique, que {p. 80}cét Autheur a commencé d’introduire ; & donnant plus d’estenduë à la fausse liberté que desirent ceux qui ne cherchent que leur plaisir ; il condamne l’opinion d’Angelus d’vne excessiue seuerité, pour auoir mis au rang des diuins Offices les Vespres & les Sermons, & parce qu’il n’excuse pas de grief peché, ceux qui auroient employé quelque temps notable, c’est à dire la plus grande partie du iour dans cette sorte d’exercices.

Pour moy ie suis bien éloigné du iugement qu’il en porte ; car non seulement ie ne croy point qu’Angelus ait été excessiuement seuere ; mais i’ose dire qu’il a fait tort à la verité, & qu’il a esté tres-hardy {p. 81}de vouloir limiter ainsi par son interpretation particuliere l’obligation que les Canons imposent sans restriction aux fideles. Sans doute que ces Autheurs ont eu plus d’égard dans cette occasion à l’vsage commun de leur temps, qu’à la verité & à l’esprit de l’Eglise.

Ie dis donc que ces Canons dans la prohibition de la danse, n’ont parlé que des diuins Offices, parce que les saints Conciles n’ont pas iugé qu’on peust dans vn mesme iour vaquer aux mesmes Offices diuins, & s’adonner aux diuertissemens du monde. Car encore bien que par le refroidissement de la charité, & de la pieté Chrestienne, les fidelles commencent {p. 82}maintenant à donner moins de temps à ces actions saintes, & à demeurer moins assemblez dans les lieux saints ; il est neantmoins constant, que suiuant l’vsage des siecles passez, & suiuant la discipline ancienne de l’Eglise, les iours des Festes estoient presque entierement occupez par les exercices spirituels qui se faisoient dans les Eglises. En effet, ne voit-on pas dans dans la lecture des Peres, que les Messes solemnelles, les lectures saintes, la psalmodie, les exhortations, & les Sermons, ne donnoient point le loisir aux Chrestiens de vaquer à quelqu’autre chose, mais les obligeoient d’estre continuellement dans les lieux saints ?

{p. 83}C’est ce que nous font comprendre ces admirables paroles que nous auons rapportées auparauant du Concile de Mascon ; Que vos yeux & vos mains soient sans cesse pendant tout ce iour, éleuées vers Dieu.

Can. Matisc. Conc. Sint oculi manúsque vestræ toto illo die ad Deum expansæ.

Ie dis bien dauantage, il est impossible que cette occupation continuelle aux choses de Dieu, pendant les iours des Festes, ne se trouue par tous les lieux où l’on trauaille serieusement à restablir le culte diuin ; car les Heures Canoniales, la solemnité des Messes, la Doctrine Chrestienne commandée par le Concile de Trente, & les Sermons, remplissent toute la iournée.

Et quand bien mesme les Offices diuins, & les exercices {p. 84}pour lesquels les fidelles s’assemblent, ne rempliroient pas entierement le temps ; les Constitutions de l’Eglise ne permettroient pas neantmoins qu’on l’employast au ieu & à la danse, parce que la raison principale & fondamentale, pour laquelle on doit retrancher ces diuertissemens, subsiste tousiours, qui est l’obligation de sanctifier les Festes, establie dans la loy de Dieu mesme. Car quoy que les assemblées des Chrestiens dans les Eglises soient des moyens qui seruent excellemment à cette sanctification ; s’il arriue toutefois qu’elles ayent cessé en partie en quelques lieux par le relaschement de la pieté ; les fideles ne laissent pas {p. 85}d’estre tenus de renoncer à ces vaines & profanes recreations en ces saints iours, afin de les passer saintement.

Et il n’y a point de deffense qui ne soit fondée sur cette raison importante, puis que la cessation mesme des œuures exterieures & seruiles, n’est ordonnée que pour cela. Ce que le Pape Nicolas a déclaré dans l’endroit que nous auons auparauant cité. Il faut s’abstenir, dit ce Souuerain Pontife, les iours des Festes de toutes les affaires seculieres, afin que l’ame Chrestienne puisse plus librement & entierement les passer dans l’Eglise, & s’entretenir auec Dieu par des Pseaumes, des Hymnes, & des Cantiques spirituels.

Idcirco in diebus festis ab opere mundano cessandum est, vt liberiùs ad Ecclesias ire, Psalmis, Hymnis, & Canticis spiritualibus insistere, orationi vacare, &c. valeat Christianus.

Il est donc éuident {p. 86}par l’autorité de ce Pape, & par plusieurs autres que nous en auons rapportées, que le fondement general de toutes les prohibitions qui regardent la solemnité des Festes, est l’obligation de les sanctifier, qui nous est imposée dans l’Escriture sainte, & par le commandement de Dieu mesme.

Ce qui est inuinciblement confirmé par les loix des Empereurs que nous auons encore citées, dans lesquelles ces Princes zelez pour la gloire de Dieu, deffendent comme vn crime, de s’adonner les iours des Festes aux exercices qui seruent à la volupté & au plaisir, par la consideration de cette mesme obligation que les Chrestiens {p. 87}ont de s’appliquer vniquement au culte de Dieu, & de trauailler à leur propre sanctification. Il faut bannir, disent-ils, & les comedies, & les combats du Cirque, & toutes les autres choses qui ont esté inuentées pour la satisfaction sensuelle, afin que l’esprit des Chrestiens s’occupe pendant tout ce iour au culte diuin ;

Omni theatrorum, atque Circensium voluptate per vniuersas vrbes earumdem populis denegata, totæ Christianorum mentes Dei cultibus occupentur. L. 5. c. th. lib. 15. tit. 5.

&, qu’ils apprennent que les Festes ne sont pas des iours destinez aux plaisirs du corps, mais à l’adoration, & à la priere ;

Aliud esse tempus supplicationum nouerint, aliud voluptatum. ib.

&, nous ne voulons point que les iours, qui sont dediez à la souueraine majesté de Dieu, soient employez à contenter les sens.

Dies festos maiestati altissimæ de dicatos, nullis volumus voluptatibus occupari. L. vlt.

Puisque donc les Empereurs ont si absolument deffendu toute sorte de jeux, de diuertissemens seculiers, & {p. 88}de plaisirs sensuels, afin que le peuple fidelle santifiast les Festes, & vaquast de tout son cœur aux choses de Dieu ; ce seroit faire iniure à l’authorité Sacerdotale, & à la puissance Ecclesiastique de penser que des saints Euesques eussent esté moins exacts qu’eux dans leurs Ordonnances sur ce sujet, principalement puis que nous voyons qu’ils ne parlent iamais dans leurs écrits des jeux & des spectacles, qu’auec horreur & auec execration.

I’ajouste que les lettres du Roy d’Espagne qui furent enuoyez au Concile de Tolede, où sont marquez les points principaux qui doiuent faire la matiere des Decrets de ce Concile, portent {p. 89}simplement & absolument, c’est à dire, sans exception, ny limitation, Qu’il est necessaire de deffendre les danses, & les chansons profanes, pendant les iours des Festes des Saints.

Bellimachiæ & turpia cantica prohibenda sunt à sanctorum natalitiis.

Et dans l’ordre des Chapitres de ce Concile, il est aussi dit, sans restriction que l’on deffendra qu’on ne danse point les iours des Festes des Saints.

Vt in sanctorum natalitiis bellimachię prohibeantur.

Il paroist donc clairement de toutes ces preuues, que les spectacles, les ieux & les danses sont illicites, au moins en ces saints iours, & que l’opinion de ceux qui restreignent la prohibition de ces choses au temps des diuins Offices doit estre reiettée, comme vne inuention de l’esprit humain & particulier.

{p. 90}On pourroit peut-estre nous objecter qu’il n’est parlé que des spectacles dans quelqu’vn de ces Canons, & dans quelques loix que nous auons rapportées ; mais cette difficulté est si legere, qu’elle ne merite pas que nous nous y arrestions. On sçait assez que le nom de spectacle comprend generalement toute sorte de diuertissemens qui ont esté frequentez, & qui sont recherchez pour le plaisir ; & les loix que nous auons citées dans le Chapitre precedent le declarent encore assez. Ainsi comme la danse est vn exercice de cette nature, on ne peut point raisonnablement douter qu’elle ne soit comprise dans la deffense des spectacles.

{p. 91}D’ailleurs, la raison sur laquelle ces loix sont appuiées, regarde la danse aussi bien que les autres diuertissemens mondains ; car elles prohibent ces diuertissemens, parce que les iours des Festes sont destinez à gemir humblement : l’on ne fait pas moins au bal, & à la danse qu’à la comedie & aux autres spectacles. Mais n’est-ce pas assez qu’il y ayt des autoritez expresses, & des ordonnances formelles qui interpretent celles qui parlent moins clairement, & qui contiennent en propres termes la prohibition de la danse ? Enfin la maniere dont les Docteurs ont expliqué ces Canons ne nous laisse aucun doute sur ce sujet, & nous {p. 92}conuainc, qu’encore qu’il n’y soit parlé que de spectacles en general, il faut neantmoins comprendre la danse dans ces prohibitions, puis qu’aucun d’eux ne l’en a iamais exceptée, & qu’ils n’ont iamais douté qu’elle n’y fut comprise.

Pour reprendre donc tout ce que nous auons dit dans ces deux derniers Chapitres, il est constant que le bal & les danses sont incompatibles auec la sanctification des Festes, & que toute sorte de ieux & de spectacles sont deffendus en ces mesmes iours par les loix Ecclesiastiques & ciuiles. D’où il s’ensuit sur le principe commun, & receu de tout le monde, que celuy-là peche mortellement, {p. 93}qui en ces saints iours employe iniustement le temps en cette sorte d’exercices, si ce n’est que l’ignorance & le sentiment relasché de ceux qui luy donnent conseil, & qui le conduisent, puisse diminuer sa faute : ce que Dieu n’a iamais promis.

Chapitre XV.
Application de la doctrine precedente aux danses & aux bals qui se font auiourd’huy. §

Il faut maintenant passer à la question de fait, & voir si les raisons qui rendent la danse criminelle, se rencontrent en celles qui se font maintenant. Commençons par celles qui paroissent auec {p. 94}plus d’euidence ; on ne peut donc pas douter, 1. Que les danses d’auiourd’huy ne soient déreglées & vicieuses, puis que ce sont des particuliers qui font ces assemblées de leur authorité priuée, sans aucune raison qui regarde le bien commun ; mais par la seule inclination vers son propre plaisir.

2. On y voit vn déreglement manifeste touchant le mouuement & la disposition exterieure du corps ; car outre les nuditez, qui sont des pieges tendus par le demon, & des pierres d’achoppement pour la pureté, il n’y a nulle moderation dans cét exercice ; mais au contraire on y voit tres-souuent des agitations immodestes, & qui {p. 95}choquent l’honnesteté, & des postures qui ne sont propres qu’à produire des especes dangereuses dans l’imagination, & à exciter des sentimens mauuais dans la chair. Il est vray que les mouuemens les plus extrauagans, & les plus visiblement opposez à la vertu Chrestienne, se trouuent dans cette sorte de danses, qu’on appelle ordinairement des balets, & qui se font par les rues & dans les places ; mais cela n’empesche pas que l’immodestie, & le desordre que l’on remarque dans les bals & dans les danses ordinaires touchant la seule composition du corps, ne soit vn fondement raisonnable de iuger que l’on ne peut y assister, & y prendre {p. 96}part sans peché mortel.

3. Y a-t’il rien de plus frequent que ces vains exercices, desquels suiuant la raison mesme naturelle, on ne deuroit au moins vser que tres-rarement ? On s’y occupe presque toutes les Festes, mesme publiquement, & à la campagne, & dans les villes ; & ce qui est plus insupportable, c’est dans ce saint temps, qui est depuis la feste de Noël iusques au Caresme, qu’on s’y abandonne auec plus d’excès. Comment pourroit-on donc iustifier les dans ce temps ?

{p. 97}

Chapitre XVI.
Des perils ausquels on s’expose en allant au bal. §

Il n’y a point de sujet qui merite d’estre plus attentiuement considéré que celuy duquel nous allons parler dans ce Chapitre, où nous ferons voir, & comme toucher au doigt, que ceux qui vont maintenant au bal s’exposent à beaucoup de perils d’offenser griéuement Dieu, & par consequent pechent mortellement. En effet, ceux qui vont en ces lieux sont des personnes qui suiuent le grand chemin, c’est à dire le train ordinaire & l’esprit du {p. 98}monde. Comment pourroient-ils donc estre dans ces assemblées sans danger ?

Afin que nous expliquions ce point auec plus de clarté, il faut aller iusques au fondement, & supposer ce principe qui est incontestable, qu’on ne peut se mettre dans le danger de pecher sans faire tort à sa conscience, & qu’on est indispensablement obligé de fuir toutes les occasions qui peuuent porter au mal. C’est la doctrine de l’Euangile, & la parole du Fils Dieu mesme : Si ton œil te scandalise, dit-il, arrache-le, & iette le bien loin de toy.

Si oculus tuus scandalizat te, erue eum, & proiice abs te. Qui videritmulierem ad concupiscendum eam, iam mœchatus est eam in corde suo.

Adjoustez d’autre part à cela ce que Nostre Seigneur dit encore luy-mesme, que celuy-là est adultere dans {p. 99}son cœur, c’est à dire, est coulpable deuant Dieu du crime de l’adultere, qui iettant les yeux sur vne femme conçoit des mauuais desirs contre sa pureté.

Ces principes estans ainsi establis, considerons le mélange qui se fait dans le bal des hommes auec les femmes. Ils y sont assis, & n’y sont que pour se satisfaire. Ils se regardent reciproquement, & pendant long-temps. Ils voyent le mouuement des corps, & leurs postures differentes ; & les yeux qui ne sont animez que de la curiosité, n’y trouuent que trop d’attraits malins pour éueiller les sentimens de la chair corrompuë. D’ailleurs, la musique, & la douceur des {p. 100}instrumens est toute propre pour émouuoir & pour attendrir. On s’y entretient familierement ; on s’y touche l’vn l’autre, au moins pour danser ; & on y vient encore fort ajusté, & auec pompe. Les femmes & les filles y sont parées comme des temples, & il n’y a point d’ornement & d’inuention qu’elles n’employent pour paroistre belles, & pour se rendre agreables. Enfin, on s’assemble pour ce diuertissement aprés le repas, & le mouuement du corps qui est déja échauffé, ne peut seruir qu’à exciter dauantage sa chaleur, & par consequent à la disposer aux passions les plus dangereuses.

Après toutes ces considerations {p. 101}n’auoüera-t’on pas que nous auons sujet de dire, qu’on ne peut point se trouuer dans ces assemblées auec seureté de conscience, & que le danger d’offenser Dieu y est éuident, non seulement pour ceux qui menent vne vie plus libre, & suiuant le cours du monde ; mais encore pour les plus chastes, & pour les mieux reglez ? Certes vne fois, lors que nous estions encore ieunes, & dans les estudes, nous contraignismes vn Philosophe fort modeste, & d’vn iugement fort solide, d’aller au bal auec nous, lequel aprés auoir bien remarqué toutes les circonstances de cette assemblée, & des actions qui s’y faisoient, fut saisi d’étonnement, {p. 102}& nous dit sur le champ que c’estoit vne inuention du diable pour perdre les ames, & pour corrompre les mœurs des fideles.

Mais descendons vn peu plus dans le détail, & establissons la verité que nous auons proposée par des preuues inuincibles. Escoutons le saint Esprit, qui nous apprend dans l’Escriture le peril qu’il y a, non seulement de s’entretenir auec les personnes de different sexe, ou de les toucher ; mais encore de les regarder ; & nous enseigne à mesme temps le soin exact que nous deuons auoir d’en destourner nos yeux. Ne regardez point aucune fille, dit-il, de peur que {p. 103}sa beauté ne soit vne occasion de ruine pour vostre ame. Ne iettez point vos yeux sur vne femme parée, & ajustée, & ne les arrestez point sur sa beauté ; parce que les attraits des femmes en ont perdu plusieurs, & la concupiscence s’allume comme vn feu par les regards qu’on iette sur elles.

Eclesiast. 9. Virginem ne aspicias, ne fortè scandalizeris in decore eius. &, Auerte faciem tuam à muliere compta, & ne circumspi, cias speciem alienam. Propter speciem mulieris multi perierunt, & ex hoc concupiscentia quasi ignis, exardescit.

Et si apres ces authoritez expresses nous passons aux exemples que la mesme Escriture nous met deuant les yeux ; celuy de Dauid est terrible, & capable de faire trembler les ames les plus pures, les plus mortifiées, & les plus saintes. On y peut bien remarquer la verité de cette ancienne sentence, que le regard produit l’amour. Car ce Prince si plein de {p. 104}Dieu, & qui par le témoignage de Dieu mesme estoit selon son cœur, pour auoir ietté & arresté ses yeux sur Bersabée, se rendit coulpable de deux crimes horribles, d’vn adultere & d’vn homicide. Celuy de Sichem est encore épouuentable, qui ayant veu la beauté de Dina en deuint passionné, & attira par ce crime des maux inconceuables sur sa ville & sur son peuple.

C’est pour cela que Dauid qui auoit appris à se deffier de soy-mesme, & à viure dans vne parfaite circonspection, par vne experience qui luy fit sentir pendant toute sa vie vne continuelle confusion, & vne perpetuelle douleur, disoit à Dieu dans {p. 105}vn de ses Pseaumes, Seigneur, prenez soin de mes yeux, & empeschez-les de voir la vanité,

Ps 118. Auerte oculos meos, ne videant vanitatem.

c’est à dire la beauté, & les vains attraits des créatures. Et Iob éclairé de la lumiere de Dieu, quoy qu’il fut vn homme tres-parfait, nous asseure neantmoins qu’il auoit fait vn pacte auec ses yeux pour ne point regarder aucune fille, de peur que son imagination & son esprit n’en fust occupé.

Et Iob 31. Pepigi fœdus cum oculis meis, vt ne cogitarem quidem de virgine.

Adjoustez à ces sentimens si pleins de verité ces paroles de saint Augustin, Qu’il ne faut point regarder, ce qu’il n’est pas permis de desirer.

Quod non licet aspicere, quod non licet desiderare.

Et si vous voulez encore sçauoir ce que la raison naturelle a découuert aux Payens mesme sur ce sujet ; Sophocles {p. 106}ayant dit vn iour par admiration d’vn ieune homme qui passoit deuant luy : ô le beau ieune homme ! Pericles qui estoit auec luy, le reprit : Il ne suffit pas, luy dit-il, que les mains d’vn Preteur soient chastes ; il faut que ses yeux le soient aussi.

O pulchrum puerum ! Decet Prætorem non solùm manus, sed etiam oculos habere innocentes.

Ce qu’on doit appliquer necessairement à tous les hommes, puis que tous les hommes sont dans l’obligation de pratiquer la vertu de la chasteté. On escrit aussi qu’Alexandre le Grand refusa de voir les filles de Darius, de peur qu’ayant vaincu les Roys, & les Conquerans du monde, il ne fust luy-mesme vaincu par la beauté des femmes.

N’est-ce pas vne chose estonnante & digne de larmes, {p. 107}de voir que des Chrestiens qui sont obligez à vne vie si pure & si sainte, se iettent eux-mesmes dans les lacets du diable & du monde, & s’exposent hardiment & sans aucune crainte dans les perils effroyables du peché, sans faire aucun cas, ny des aduertissemens du saint Esprit, ny de la gloire de Dieu, ny de leur propre salut ? Qu’on ne nous croye donc point trop seueres, si dans vn siecle si corrompu, & dans l’estat où sont les bals, & les danses de ce temps, nous n’osons point excuser de peché ceux qui les frequentent, puis qu’Alexandre de Halés Autheur celebre,

Parte 4. citat.

& recommandable par sa doctrine & par sa pieté, n’ose {p. 108}point exempter de la mesme faute, c’est à dire du peché mortel, ceux qui n’estans venus que comme forcez, ou par rencontre dans ces assemblées, s’y arrestent auec danger d’y conceuoir quelque mauuais desir, & d’estre touchez de quelque affection dangereuse.

Et il n’y a point d’homme raisonnable qui n’entre dans ce sentiment, s’il considere sans preoccupation & deuant Dieu, auec quelle facilité les hommes & les femmes du monde tombent dans des pechez interieurs, c’est à dire, de pensée & d’affection, & combien peu d’attention ils font à eux-mesmes pour n’y tomber pas, ou mesmes pour les remarquer {p. 109}lors qu’ils y sont tombez. Le mal va si auant par vne negligence criminelle, qu’il s’en trouue plusieurs qui ne font aucun scrupule des pensées déreglées que leur esprit reçoit auec agrément, ny des delectations sensuelles & honteuses dans lesquelles ils s’entretiennent.

Et on ne doit pas excepter dans cette occasion les personnes grossieres & de la campagne, à cause de leur simplicité ; parce qu’encore bien qu’il semble d’vne part qu’elles ne peussent pas estre si sujettes à cette forte de pechez que ceux qui viuent dans les villes, & principalement ceux qui y menent vne vie oiseuse & faineante ; Il est pourtant asseuré de {p. 110}l’autre, que leurs passions naturelles sont plus facilement émeuës, aussi bien que dans les animaux priuez de raison, à la presence des objets qui les peuuent exciter. Enfin ie ne me suis pas arresté à ma propre lumiere, i’ay consulté sur ce sujet des personnes tres-prudentes, & tres-experimentées, qui ont esté de mesme auis que moy touchant les perils que ie viens de descrire.

Mais ce n’est pas le seul danger auquel on s’expose en allant au bal, il y en a encore vn autre qui n’est pas moins à craindre, ny moins ordinaire, qui est celuy des querelles ; desquelles naissent, comme l’on ne voit que trop tous les iours, des inimitiez {p. 111}irreconciliables, des duels, des meurtres, & plusieurs autres desordres horribles & scandaleux. Car comme ceux qui se trouuent dans ces assemblées veulent tenir le haut bout, & preceder les autres, par cet amour de propre excellence dont le cœur humain est empoisonné, & qui fait la principale partie de l’esprit du monde, soit en dansant actuellement, soit pour se placer, soit encore pour prier ou inuiter les femmes ou filles à danser ; il se rencontre mille occasions de contestation, dans lesquelles on s’emporte souuent à dire des paroles aigres, offensantes & iniurieuses ; on se pique d’honneur ; on entre dans le ressentiment ; on conçoit {p. 112}de la haine & des desirs de vangeance ; on en forme le dessein, & on en vient mesmes aux mains & aux armes. Ie ne dis rien des emportemens, des bruits & des effets malins & estranges que produisent les inclinations, & affections particulieres pour les femmes ou filles dans ces lieux ; car tout le monde sçait qu’elles sont ordinairement vne semence de diuision, de combats, & de beaucoup d’autres crimes ; & que c’est pour cela que ceux qui frequentent les bals sont toûjours bien armez.

Il est donc éuident que ceux-là pechent griéuement qui vont aujourd’huy au bal, & qui frequentent la danse, à cause des dangers qui en {p. 113}sont inseparables, & ausquels ils s’exposent : car quand il pourroit se rencontrer quelque bal où l’on n’appelleroit que les seuls parens, ou les seuls amis ; neantmoins il est vray de dire absolument qu’il n’y peut auoir aujourd’huy aucune assemblée pour la danse où il n’y ait du danger, à cause de la corruption du siecle & des mauuaises coustumes qui s’y sont introduites, ne se tenant plus aucun bal où la ieunesse ne se rende, & où elle n’entre de gré ou de force ; & cet vsage a si fort preualu, que si on fait quelque assemblée pour la danse où on veuille faire ce choix des personnes honnestes, parentes {p. 114}ou amies, & fermer la porte aux estrangeres, on heurte insolemment, & on fait mille outrages & mille affronts au maistre de la maison. Comment est ce donc que la danse pourroit estre maintenant innocente ?

Mais ceux qui vont au bal & qui frequentent la danse, ne sont pas les seuls coupables ; les hautbois, les violons, les ioûeurs de tambour, & toutes les autres personnes qui seruent à cet exercice, pechent aussi griéuement, parce qu’elles contribuent au mal que les autres font ; & leur mestier est illicite à l’égard des bals & des danses, parce qu’il est employé pour des actions qui sont tousiours accompagnées du peché.

{p. 115}Mais ceux qui sont en authorité pour gouuerner les peuples, ne sont pas moins coulpables, lors qu’ils ne trauaillent point à destruire cet abus, & qu’ils ne donnent aucun secours aux ames qui leur sont commises, pour les retirer de ces pratiques dangereuses, & de ces engagemens, dans lesquels ils voyent qu’elles perissent malheureusement. Et ce que nous disons icy regarde les puissances seculieres, aussi bien que les personnes Ecclesiastiques qui sont en charge.

Mais que dirons-nous de ceux qui ne vont au bal que pour contenter les passions déreglées de leur cœur, afin d’y voir les personnes pour lesquelles ils ont de l’attachement, {p. 116}& afin d’auoir la liberté de s’entretenir auec elles, de les caioler, & de leur communiquer leurs mauuais sentimens ?

Quel iugement porterons-nous encore de ceux qui ne font le bal, & n’assemblent du monde que dans ces intentions, soit qu’ils se regardent eux-mesmes, soit qu’ils veuillent par ce moyen satisfaire aux inclinations de quelque personne qu’ils considerent, ou qu’ils ayment ? Enfin quel sera le crime de ceux qui font, ou qui procurent ces assemblées pour fauoriser les desirs detestables des Grands, & qui par vn dessein honteux & abominable, pretendent leur donner occasion de dresser {p. 117}des embusches à la pudicité des femmes & des filles, & de tendre des pieges à leur simplicité, & à leur fragilité naturelle ? Ce sont des choses horribles à dire & à penser.

Il n’est pas à propos de nous en expliquer dauantage, ny encore de nous estendre sur cet abus déplorable, qui n’est que trop connu, & qui fait gemir toutes les bonnes ames ; ie veux dire sur cette coustume malheureuse de perdre le temps le plus saint, & les iours qui sont consacrez à la pieté dans les diuertissemens mondains, & prophanes. Helas ! n’est-ce pas vne chose lamentable, de voir qu’vn si grand nombre de Chrestiens employent {p. 118}les Festes & les Dimanches, sur tout depuis la Septuagesime iusqu’au Caresme, au ieu, au bal, à la danse, & à la comedie, ou à voir, ou donner d’autres semblables spectacles, d’vne maniere tres-indigne, & pour ne pas dire auec impieté, ou au moins auec vn mépris intolerable des Canons de l’Eglise, des Ordonnances des Princes, & de la loy de Dieu mesme, qui nous oblige de passer les Festes saintement ?

{p. 119}

Chapitre XVII.
Que les danses sont condamnées dans l’Escriture, & par les Peres. §

Nous auons montré dans les Chapitres precedens, quels sont les maux qui accompagnent la danse, suiuant le sentiment des Docteurs, mesme des derniers siecles. Voyons maintenant comment est-ce que l’Escriture sainte, & les Peres en parlent.

Commençons par ce passage de l’Ecclesiastique ; Ne frequentez iamais vne femme, ny vne fille qui ayme la danse, & n’ayez nulle communication auec elle, de peur que {p. 120}ses attraits ne soient vne occasion de ruine pour vostre ame.

Cap. 9. Cum saltatrice ne assiduus sis, nec audias illam, ne fortè pereas in efficacia eius.

Ces paroles peuuent raisonnablement estre appliquées à toutes les personnes de ce sexe, qui sont attachez par affection à ce diuertissement dangereux. Et ainsi c’est vne imprudence tres-grande de contracter aucune amitié, & d’auoir aucune familiarité auec elles. Sara fille de Raguel, fut fidelle à les fuir, parce qu’elle estoit preuenuë & éclairée de la lumiere de Dieu. Voicy ce qu’elle dit de soy-mesme, parlant à Dieu dans la simplicité de son cœur. Vous sçauez, dit-elle, Seigneur, que ie n’ay iamais eu d’inclination pour aucun homme, & que i’ay conserué mon ame pure de toute {p. 121}sorte de conuoitises. Que ie ne me suis iamais meslée parmy les personnes qui sont addonnées au ieu, & que ie me suis tenuë separée de celles qui aimoient la danse.

Tobia 3. Tu scis Domine quia numquam concupiui virum, & mundam seruaui animam meam ab omni concupiscentia : numquam cum ludentibus miscui me, neque cum iis qui in leuitate ambulant.

Et Iob cet homme si droit, & si plein de grace, marque tres-expressément, que la danse n’est pas vne des moindres parties du déreglement des pecheurs, lors qu’il dit, Que leurs enfans s’assemblent, & que dans des assemblées ils ioüent, & ils se réjoüissent au son du tambour, & des autres instrumens, mais qu’enfin ayant passé leur vie dans le plaisir, ils descendent en Enfer dans vn instant.

Iob. 21. Egrediuntur quasi greges paruuli eorum, & infantes eorum exultant lusibus, tenent tympanum, & cytharam, & gaudent ad sonitum organi.

Ducunt in bonis dies suos, & in puncto ad inferna descendunt.

Adjoustons encore ce passage bien remarquable d’Isaye : Parce que les filles de {p. 122}Sion se sont laissées emporter à la vanité, & qu’elles ont marché auec faste & auec cadence ; le Seigneur les rendra chauues, & les couurira de confusion.

Isa. c. 3. Pro eo quod eleuatæ sunt filiæ Sion, & ambulauerunt extento collo, & nutibus oculorum ibant & plaudebant, & ambulabant, & pedibus suis composito gradu incedebant decaluabit Dominus.

Car saint Basile expliquant cet endroit du Prophete, l’interprete de la danse : & apres auoir dit beaucoup de choses importantes contre la superbe, il adjouste, On voit encore auiourd’huy que les femmes Iuifues dansent tres-frequemment sans craindre les menaces d’Isaye : Mais ce Prophete, dit-il, ne condamne pas moins par ces paroles la conduite de beaucoup de filles de l’Eglise,

Basilius. Quin & in hodiernum diem identidem, videre licet Iudæas suis quasque pedibus ludentes : ne tantilli quidem reueritas sententiam Prophetæ. An non filiæ etiam Ecclesiæ abeadem iniuste prouocatæ sunt ? Pleræque enim earum, tamquam in numerosa multitudine diebus festis, cum adueniunt audituræ verbum Dei, per inscitiam lætitiæ spiritualis, se dedunt inhonestis disciplinis.

c’est à dire, de femmes & de filles Chrestiennes, qui par vne indiscrette & fausse ioye, qu’elles appellent spirituelle, dancent aussi d’vne maniere {p. 123}honteuse les iours des Festes, & dans le temps mesme qu’elles viennent dans les Eglises pour entendre la parole de Dieu.

Escoutons saint Augustin dans vn de ses Sermons. Aduertissez incessamment vos voisins & vos proches, dit ce saint Docteur, de s’appliquer tousiours aux bonnes œuures, & de ne s’entretenir que de discours honnestes & Chrestiens dans leurs conuersations, de peur qu’en detractant, & parlant mal de leur prochain, & dansant les iours des Festes des Saints, ou en chantant des chansons impudiques, ou indecentes, ils ne blessent leur conscience par ces déreglemens. Ces personnes malheureuses, adjouste-t’il, qui n’ont pas {p. 124}honte de danser, mesme deuant les Eglises qui sont dediées à la memoire des Saints, quoy qu’elles soient venuës à l’Eglise comme fidelles, & comme faisans profession du Christianisme ; elles s’en retournent neantmoins chez elles, auec l’esprit, & auec les vices des Payens, parce que cette coustume de danser n’est qu’vn reste du Paganisme.

Ser. 215. Vicinos, & proximes vestros iugiter admonete vt semper quod bonum est, & honestum loqui studeant ; ne fine detrahendo, malum loquendo, & in sanctis festiuitatibus choreas ducendo, cantica luxuriosa, & turpia proferendo, de lingua sua, vnde debuerant Deum laudare, inde sibi vulnera videantur infligere. Isti enim infœlices, & miseri homines qui ballationes & saltationes ante Basilicas ipsas sanctorum exercere, nec metuunt nec erubescunt, & si Christiani ad Ecclesiam veniunt, pagani de Ecclesia reuertuntur ; quia ista consuetudo ballandi de paganorum obseruatione remansit.

Tous les Peres de l’Eglise condamnent generalement dans plusieurs endroits de leurs Ouurages tous les spectacles, comme contraires à l’esprit de l’Euangile, & à la discipline Chrestienne. {p. 125}Puis que donc le bal & la danse est vne espece de spectacle, ce seroit combattre la raison, & l’esprit de ces Escriuains Apostoliques, que de ne pas vouloir qu’elle soit comprise dans cette generale condamnation. En effet la danse n’est pas moins vn diuertissement sensuel pratiqué par les Payens, que les autres actions que les Saints blasment auec tant de zele, & auec tant de force. Et si quelques-vns d’entr’eux n’ont pas exprimé cette sorte d’exercice, & ce spectacle particulier, ce n’est pas qu’ils l’estimassent innocent ; mais parce que le peuple du pays dans lequel ils viuoient n’y estoit pas addonné, comme il est dans le nostre.

{p. 126}Tertullien

In Apolog. c. 5. & 30.

a fait vn Liure tout entier contre les spectacles, où il les rejette tous auec horreur, comme des extrauagances, des allumettes d’impureté, & des inuentions diaboliques ; mais il n’inuectiue pas moins fortement contre ces actions prophanes dans son Apologetique. S. Cyprien

Lib. 2. de spectaculis, & in epist. 2 lib. 2.

dans le Liure qu’il a composé sur ce sujet, & dans ses Lettres, déplore la misere, l’aueuglement & la folie des Chrestiens, qui leur fait aymer les inuentions des demons, & qui les porte à imiter les mœurs & les façons de faire des Gentils & des Idolatres : mais ce qu’il iuge encore plus intolerable, c’est qu’ils veulent iustifier leur conduite déreglée par {p. 127}l’action de Dauid qui dansa deuant l’Arche, & se seruant de ce qui est dit dans les Saintes Lettres que Dieu auoit prescrit à son peuple l’vsage de plusieurs sortes d’instrumens ; comme si, dit ce saint Martyr, on pouuoit comparer à des choses qui ont esté faites tres-saintement, & pour le culte de Dieu seul, ces diuertissemens mondains, qui ne seruent qu’à la volupté.

Saint Augustin

In lib. de Catechizandu rudibus.

parle encore des mesmes choses auec la mesme vigueur dans le Liure qu’il a fait touchant le soin de catechiser, & d’instruire les personnes grossieres. Mais saint Chrysostome presque dans toutes ses Homelies, inuectiue puissamment contre tous ces exercices {p. 128}du siecle, les appellant quelquefois la peste des villes, & quelquefois la fontaine de tous les maux. Enfin il dit que ce sont des chaires de pestilence, des écoles d’incontinence, des boutiques de luxure & d’impureté, & des fournaises de Babilone.

Saint Epiphane

Can. 51.

à la fin de son Liure contre les Heretiques, le sixiesme Concile, & plusieurs autres, deffendent aux Chrestiens ces mesmes pratiques. Et Saluian Euesque de Marseille les blasme, auec vn cœur plein de zele, & auec vne éloquence tres-masle & tres forte, disant, que c’est vne imitation du déreglement des Payens ; & traitant les Chrestiens qui ayment & qui recherchent {p. 129}ces diuertissemens, comme des apostats, qui apres auoir renoncé à Sathan & à ses œuures, se ioignent à luy de nouueau, & suiuent derechef son esprit. Le Diable, dit ce grand Prelat, est dans les pompes & dans les spectacles ; & ainsi lors qu’apres le Baptesme nous retournons aux spectacles, nous abandonnons la foy de Iesus-Christ que nous auions embrassée. C’est par cette lascheté que nous destruisons tous les mysteres du symbole, ou au moins que tout ce qui est contenu dans la profession de nostre creance est ébranlé, parce que les consequences necessaires ne sçauroient subsister lors qu’on ne s’arreste pas inuiolablement aux principes qui les doiuent appuyer & soustenir.

De prouident. li. 2. Diabolus est in spectaculis & pompis suis, & per hoc, cùm redimus ad spectaculum, relinquimus fidem Christi. Hoc itaque modo omnia symboli Sacramenta soluantur, & totum quod in symbolo sequitur, labefactatur, & nutat : nihil enim sequens stat, si principale non steterit.

Ce sont {p. 130}les expressions de cet Autheur celebre, qui dit beaucoup d’autres choses importantes & puissantes, & contre les spectacles, & contre toute sorte de ieux & de diuertissemens mondains. Et certes c’est auec beaucoup de iustice que les Saints ont combattu ces diuertissemens auec tant d’ardeur, puis que suiuant le iugement qu’ils en ont porté dans la lumiere de Dieu, ce sont des choses opposées à l’honnesteté & à la vertu, & des inuentions du demon pour perdre les ames.

Les anciens Escriuains ne parlent pas moins puissamment sur ce sujet, comme l’on peut voir dans les Liures d’Arnobe contre les Gentils. {p. 131}Lactance parle ainsi dans ceux qu’il a écrit touchant les institutions diuines. Il faut, dit-il, éuiter toute sorte de spectacles, non seulement de peur que nos cœurs qui doiuent estre purs & paisibles, ne soient corrompus ou troublez par quelque affection vicieuse, mais encore de peur que nous ne nous attachions au plaisir, & qu’ainsi nous ne soyons diuertis de Dieu & des bonnes œuures.

Arnob. aduers. Gentes. Lactant. lib. 6. c. 20. diuinæ Instit. Vitanda spectacula omnia non solum, ne quid vitiorum pectoribus insideat, quæ sedata & pacifica esse debent ; sed ne cuius nos voluptatis consuetudo detineat, & à Deo atque à bonis operibus auertat.

Alexandre de Hales traite les danses comme vn diuertissement qui est mauuais, & qui n’est propre qu’à émouuoir la sensualité & les conuoitises, & à causer des sentimens d’impureté. Iean Gerson dans vn de ses Sermons contre la luxure, dit, Qu’il est tres-malaisé, à cause de la {p. 132}fragilité des hommes, qu’on danse sans commettre beaucoup de pechez, & que tous les pechez se trouuent & paroissent à leur tour dans le bal.

Gerson in part. 4. serm Dominica tertiæ Aduent. Choreas ob fragilitatem hominum difficile sine diuersis peccatis haberi, & omnia peccata choreizare in choreis.

Saint Bernardin de Sienne, tres-illustre par sa sainteté & par sa doctrine, dans l’vn de ses Sermons touchant la santification des Festes. C’est vne chose execrable, dit-il, de danser les iours des Festes, puis que dans cet exercice les ames de ceux qui y assistent, tombent dans les pieges du demon, & contractent beaucoup de taches par la veuë, par l’ouye, par le goust, & par l’attouchement.

Bernardinus ser. 10. de obseruant. Sabbathi. Execrabile festis diebus vacare choreis, vbi visu, auditu, gustu, tactu, mentes adstantium illaqueantur & contaminantur.

Il cite en cet endroit le Canon du Concile de Tolede, que nous auons rapporté auparauant ; & adjouste, Malheur à ceux qui {p. 133}contribuent à ces maux par le son de leurs instrumens ; car ils rendront compte deuant le iuste Iuge de tous les pechez ausquels ils ont donné occasion, parce que celuy qui donne occasion à quelque dommage que le prochain souffre, est luy-mesme, suiuant le Droit, la cause du dommage qu’il souffre.

Væ iis qui sunt in causa efficaci tantorum malorum, per suos lasciuos sonos ; reddent de omnibus malis, quæ occasiones pulsationis contingunt, apud iustum iudicem rationem. Qui enim occasionem damni dat, damnum dedisse videtur. C. si culpa de iniuria & damno.

Saint Antonin asseure qu’il n’y a presque point de danse qui ne serue à donner des mauuais sentimens ;

Antonin. Fere omnes ad prouocandam libidinem choreas habere.

& le Cardinal Turrecremata

Turrecremata in c. 1. de pœn. d. 5. §. cohibeat n. 3.

est de mesme auis. Le mesme Saint inuectiue encore contre ce mesme diuertissement, appliquant à la danse plusieurs paroles terribles de l’Escriture, comme celles du Psalmiste ;

Psal. 11, & 96.

Les impies marqués {p. 134}dans vn cercle, & Dieu embrazera ses ennemis dans le cercle. Et celles-cy de l’Apocalypse,

Apoc. 9.

Les sauterelles ont esté produites de la fumée du puits & de l’abysme, & sont montées sur la terre. Et vn peu apres, Et ces sauterelles sont semblables à des cheuaux preparez pour le combat, & elles ont des couronnes, qui semblent dorées, sur leurs testes. Il conclud enfin que dans le bal se trouue la pompe du siecle, le feu de l’impureté, la superbe & la vaine gloire, & que les hommes par consequent y deuiennent ennemis de Dieu. Il appelle les danses vn diuertissement du Diable, parce qu’il s’en sert pour sur prendre les ames, & pour les perdre ; & il les condamne {p. 135}auec tant de fermeté, qu’il preuue qu’elles sont contraires à tous les commandemens de Dieu, & qu’elles aneantissent tous les fruits de nos Sacremens.

Pierre de la Palu blasme absolument cette mesme action de la danse, comme mauuaise ; Parce que, dit-il, saint Barnabé a donné sa malediction aux hommes qui ioüent,

In 4. sent. d. 16 Cùm viros cum mulieribus ludentes maledixerit Barnabas.

& qui se meslent dans leurs diuertissemens auec les femmes.

Vt est in glossa 1. c. Mulieris. de iudice in Sexto.

En effet ces assemblées d’hommes & de femmes, principalement lors qu’elles ne sont faites que pour se donner du plaisir, ne peuuent estre que tres-dangereuses.

Adjoustons à tant de témoignages si exprés, & si {p. 136}formels, les sentimens de beaucoup de personnages illustres en pieté, qui ont fait des Sermons entiers contre la danse, & qui considerent de prés, & dans la lumiere de la verité, les pechez qui s’y commettent ordinairement, & qui naissent des regards, des attouchemens & des entretiens, les condamnent encore, & les detestent comme vn diuertissement diabolique ; & ne croyent point que personne se puisse innocemment exposer au peril qui s’y trouue, quelque chaste & quelque establi qu’il soit dans la mortification des sens. C’est ainsi que parlent Cherubin d’Espolete, Iacques de Boragine Archeuesque de Genes, & Gabriel Bareleta.

{p. 137}Iacques de Vitry rapporte qu’au païs de Saxe dans quelques villages, Dieu punit d’vne maniere terrible & extraordinaire des personnes qui dansoient vn iour de Feste, & qui ne voulurent pas quitter ce diuertissement, quoy qu’ils en fussent charitablement auertis par leur Curé.

Mais il importe encore d’inserer icy ces paroles du Catechisme Catholique de Conrat Aingius : La danse mondaine, dit-il, se doit ainsi definir ; elle est vn cercle dont le centre est le Diable, & duquel ses Anges qui l’entourent font la circonference ; & c’est pour cela qu’elle ne se fait iamais sans peché. Sathan ordonne & range luy-mesme la danse {p. 138}apres l’adoration du veau d’or, &c.

Lib. 4. c. 12. Chorea mundana habet hanc definitionem, quod est circulus cuius centrum est diabolus, & cuius circumferentia Angeli eius circumstantes, & ideo rarò, vel numquam sine peccato fit. Talem choream ordinauit Sathan post adorationem vituli.

Il poursuit, & continue à montrer que tous les pechez se rencontrent dans la danse, & que personne, quelque pure, & quelque sainte qu’elle puisse estre, ne sçauroit y assister, qu’elle n’en sorte chargée de quelque peché.

Mais pourquoy nous mettons-nous en peine de sçauoir quel a esté le iugement des personnes éclairées par la grace, & animées de l’esprit de Iesus-Christ, puis que plusieurs hommes sages selon le monde, ont blasmé la danse par la lumiere seule de la prudence ciuile & de la raison ? Car Ciceron a dit, Que personne quasi ne danse qui ne puisse estre conuaincu {p. 139}de n’estre pas sobre & temperant.

Neminem saltare sobrium.

Et Alphonse Roy de Naples disoit des François qui aymoient si fort la danse, qu’ils ne pouuoient s’en abstenir dans vn aage mesme bien auancé, qu’ils deuenoient fols dans leur vieillesse. En ce temps mesme on ne voit aucune personne qui soit en reputation de prudence & de sagesse, qui n’ait de l’auersion pour les danses, & qui n’en esloigne autant qu’elle peut tous ceux de sa maison.

Et toutes les ames qui ont quelque crainte de Dieu, & quelque sentiment solide de pieté, souhaittent ardemment que cette mauuaise coustume soit destruite & aneantie ; leur desir est bien {p. 140}raisonnable & bien iuste ; car outre les maux frequents & ordinaires, desquels nous auons auparauant parlé, nous en pourrions rapporter d’autres qui se rencontrent plus particulierement dans les bals ou dans les danses qui se font dans les villes ; mais qui sont si estranges que les oreilles chastes & pieuses ne sçauroient le souffrir.

Helas ! est-il possible que l’on tolere dans l’Eglise de Dieu vn libertinage si horrible, & que l’on voye des écholes publiques de lubricité, & des assemblées où se font des trafics infames, & où se concluent les desseins des impuretez les plus abominables, & des adulteres, mesme les iours des Dimanches {p. 141}& des Festes, & encore plus particulierement dans le temps que l’Eglise a destiné pour remercier Dieu du bien-fait inestimable de la naissance de son Fils, & depuis la Septuagesime iusques au Caresme, c’est à dire lors que suiuant les intentions de cette mesme Eglise, nous deurions estre occupez à pleurer nos pechez, & à nous disposer à obtenir la grace d’vne parfaite penitence.

{p. 142}

Chapitre XVIII.
D’vne excuse de laquelle se seruent ordinairement les gens du monde, pour iustifier la conduite des ieunes hommes, & des ieunes filles qui vont au bal. §

Ceux qui apprennent la danse, au moins pour les ieunes hommes, & pour les ieunes filles, & qui trouuent mauuais qu’on les condamne, disent que le bal donne souuent occasion à beaucoup de mariages, qui ne se contracteroient iamais autrement, d’où ils voudroient conclure que ces assemblées, non seulement ne sont pas mauuaises & illicites ; {p. 143}mais qu’elles sont mesme quelques fois vtiles. O aueuglement des hommes !

O estranges mariages, dont le dessein n’est conceu que dans la recherche de la volupté, & ne peut naistre que des sentimens de la chair ; puis que c’est ce qu’on voit & ce qu’on entend dans la danse qui en inspire les pensées ! Craindra-on bien que ces hommes ou ces filles ne trouuent point des occasions de se marier, s’ils ne se seruent des moyens vicieux ou dangereux afin de rencontrer vn party ? Mais peut-on bien esperer que Dieu donnera benediction à des alliances qui prennent leur naissance des principes si corrompus & si opposez à son esprit ? O {p. 144}aueuglement des hommes !

Helas ! pourquoy ne fait-on mention que des mariages qui se contractent sur le fondement des affections sensuelles qui ont esté conceuës dans le bal ? N’est-il pas iuste qu’on compare auec ce bien imaginaire, qui traisne presque tousiours apres soy vne longue suite de maux de toute espece, les desseins abominables de tant d’impuretez, & de tant d’adulteres qui se forment dans ces mesmes lieux ? Ne conte-t’on pour rien tant de pensées impures, & tant de mauuais desirs, dont les ames qui estoient peut-estre venuës pures au bal, se trouuent toutes salies & noircies lors qu’elles en sortent ? Comment {p. 145}peut-on donc excuser vne pratique si remplie de veritables maux, sous pretexte d’vn bien apparent ? Mais il est temps de finir ce traité, & de ne penser plus qu’à gemir, & à prier la bonté toute-puissante de Dieu, de donner à ceux qui sont constituez en dignité & en charge pour regir les peuples, & la lumiere pour ordonner les remedes conuenables, afin d’oster vn abus si insupportable, & neantmoins si commun ; & le zele de la gloire & du salut des ames, afin d’en bien faire l’application, c’est à dire, auec grace & auec fruit.

{p. 146}

Chapitre XIX.
Si vn Euesque peut deffendre qu’on ne danse les iours des Festes, ou mesme en quelque temps de l’année que ce soit. §

Il est neantmoins encore necessaire d’expliquer deux questions importantes qui regardent l’authorité des Euesques, touchant la prohibition des danses. La premiere est, s’ils ont droit de deffendre sous des peines Ecclesiastiques, qu’on ne danse point pendant les iours des festes. La seconde, s’ils peuuent estendre cette deffense à tous les autres temps de l’année.

{p. 147}Pour le premier point, il est éuident qu’ils peuuent sous des peines Ecclesiastiques deffendre la danse les iours des Dimanches & des Festes, & pendant tout le temps qui est particulierement destiné à l’exercice de la penitence & de la priere, parce que comme nous auons auparauant prouué, la danse qui ne s’est introduite que par l’instinct de la nature, & pour la satisfaction des sens, est prohibée les iours des Dimanches & des Festes, & pendant tout le temps qui est consacré à la mortification & à l’Oraison, par les Canons & par les Loix. Et ainsi comme l’authorité & la puissance spirituelle ne peut iamais estre {p. 148}plus legitimement employée que pour appuyer & faire obseruer le droit commun, les Euesques peuuent la deffendre par leurs Ordonnances, aux iours & aux temps que nous auons marquez, sous peine d’excommunication, ou sous quelqu’autre peine arbitraire.

Exemplum affertur ex C. Animarum, de sepult, in 6. tradit glossa in Clement. Ne Romani. de electio. § 1. in verbo tolli. Abbas in c. Innotuit n. 2 de eo qui sust. ordi. suscep. DD. in d. Clement. ad gloss.

Et mesme puis que le Droit menace de l’excommunication ceux qui font ces actions profanes en ces iours,

Henricus Bohi. de Syn. epi. par. 3. a. 1 conc. 13. Turrecremata in d. c. Irreligiosa eod. tit. D. 5.

vn Euesque peut bien sans doute adjouster sa Sentence particuliere à cette commination, & declarer excommuniez par le seul fait, ceux qui dans leurs Dioceses commettront ces irreuerences.

Passons plus auant, & disons que quand la prohibition {p. 149}de la danse en ces mesmes iours dont nous parlons, ne seroit pas expresse dans le Droit,

Hostiensis in c. finali de offic. Archipresb.

suiuant la doctrine de plusieurs celebres Canonistes, les Euesques pourroient suppléer à ce deffaut, & faire les prohibitions necessaires pour la reformation & la correction de leurs peuples.

Il faut mesme dire, que la consideration de la sainteté du temps qui est consacré au culte de Dieu & à la penitence,

Franc. In ea quæ ad. fi. de reg. iur. in 6. Henric. conc. 17. n. 265.

& qu’ils voyent indignement profané par ces pratiques dangereuses, & par ces actions payennes, les oblige d’vser de leur pouuoir, & d’empescher par les voyes Canoniques cette horrible profanation.

Pour le second, on ne {p. 150}peut non-plus douter qu’vn Euesque ne puisse deffendre la danse absolument & en tout temps, parce que la puissance Episcopale n’est pas tellement bornée par le Droit commun, pour ce qui regarde les mœurs, qu’elle ne puisse s’estendre au delà des loix Canoniques, & adjouster des nouuelles Ordonnances pour oster & destruire le peché,

C. Nouit. de Iud. c. 1. de emp. & vend. cum gloss. 2. & Hostien.

& pour conseruer & augmenter la pieté Chrestienne. Ie dis bien dauantage, si vn Euesque veut remplir son ministere, respondre au rang qu’il tient dans l’Eglise, & s’acquitter dignement de sa charge ; il est dans l’obligation d’vser souuent de la puissance que Dieu luy donne pour faire des nouueaux {p. 151}reglemens. Les Canonistes passent mesme plus auant, & disent,

Host. cit.

que la coustume qui seroit contraire à ce Droit, seroit vn abus & vn déreglement manifeste, parce qu’elle ne seruiroit qu’à fomenter le peché, & à donner aux personnes vicieuses la liberté qu’elles desirent, suiuant la deprauation de leur cœur pour continuer impunément dans leurs desordres.

Et le Pape Innocent mesme declare,

In c. fui interrogatus de emptio. Abbas eodem loco.

qu’vn Euesque peut prononcer Sentence d’excommunication contre vn crime notoire. Les Iurisconsultes descendant au détail, expliquent cette verité par des exemples. Comme ils asseurent sur ce principe, {p. 152}qu’vn Euesque peut excommunier les Marchands qui meslent la farine des feves parmy la cire qu’ils vendent. Et ils rapportent vn Chapitre exprés du Droit,

Cap. de raptorib.

par lequel ils monstrent que les rauisseurs sont excommuniez par les Ordinaires des lieux ; d’où ils concluent, que les Euesques ont pouuoir d’ordonner generalement tout ce qui est necessaire pour le bon reglement de leurs peuples touchant les mœurs, c’est à dire, pour les establir dans la vertu, & pour les esloigner du vice.

Et de là il s’ensuit necessairement qu’ils peuuent deffendre la danse en tout temps, parce que comme nous auons prouué dans tout {p. 153}cét ouurage, ce diuertissement, non seulement est opposé à la pieté Chrestienne, mais encore il ne peut estre qu’vne source de maux & de pechez. Adjoûtons à cela, que la negligence des Magistrats seculiers qui voyent le mal & n’y remedient pas,

Glos. in c fin. de except in 6. & Firman. tract. de Ep. par. 2 l. 5. n. 5.

oblige encore plus estroitement les Prelats de mettre la main à l’œuure, & de suppléer à leur deffaut par leur zele & par leur authorité.

Fin du Traitté de saint Charles.

{p. 154}

LETTRE DE L’EVESQVE D’AGNANI,
Pour la défense d’vne Ordonnance Synodale, par laquelle il auoit défendu de danser les iours des Festes.
Au tres-Saint & tres-Bienheureux Pere Paul V. Souuerain Pontife.
Antoine Euesque d’Agnani, eternelle felicité. §

Tres-saint Pere, C’est sans doute aux Euesques que ces paroles de Moïse {p. 155}sont particulierement adressées : Ayez soin du peuple, instruisez-les dans toutes les choses qui regardent le seruice de Dieu, aprenez-leur les ceremonies du culte Diuin, la voye par laquelle ils doiuent marcher, & les œuures qu’ils doiuent faire.

Esto tu populo in his, quæ ad Deum pertinent, vt referas quæ dicuntur ad eum, offendasque populo ceremonias, & ritum colendi viamque per quam ingredi debeant, & opus quod facere debeant. Moys.

C’est Dieu qui est l’Autheur de cette doctrine celeste, & le Maistre de cette science salutaire, car il est dit dans l’Ecclesiastique, que c’est luy qui a establi les Festes, & qui en a fait l’ornement du temps & de nos années ; que c’est luy encore qui a rendu ces solemnitez venerables & éclatantes par l’ordre magnifique qu’il a donné à son peuple ; afin qu’il les celebrast auec splendeur & auec majesté. Enfin, {p. 156}c’est luy qui a ordonné qu’on loüast son saint Nom en ces iours de benediction, par des Pseaumes & par des Cantiques, & qu’on rendît hommage par les offrandes & par les sacrifices, à son infinie sainteté.

Vere ornans tempora, annique coronam festiuitatibus, dedit etiam decus in earum celebrationibus, vt Hymnis, Psalmis & Canticis laudent nomen sanctum Domini, & amplificent mane Dei sanctitatem. Ecclesiast.

Ce qui est encore déclaré plus expressément dans cet autre passage de l’Escriture : Que les Leuites se rendent fidellement le matin dans le Temple pour benir Dieu, & pour chanter ses loüanges ; & qu’ils s’assemblent encore sur le tard, non seulement au temps de l’oblation des holocaustes, mais encore tous les iours de repos, au commencement de chaque mois, & dans toutes les autres solemnitez de l’année.

Leuitæ stent manè, ad confitendum & canendum Domino, similiterque ad vesperam, tam in oblatione holocaustorum Domino, quàm in Sabbatis, & Calendis, & solemnitatibus reliquis. Paralip.

Il n’appartient donc point {p. 157}au peuple de regler les choses qui regardent le culte de Dieu, & la celebration des Festes. Le Pape Celestin dit, qu’il ne doit pas pretendre d’estre écouté dans l’Eglise, mais qu’il doit estre docile pour y estre instruit, & pour se soûmettre parfaitement aux ordres de ceux qui le conduisent. Il faut, dit saint Clement, que les fideles reçoiuent auec respect la connoissance des volontez de Dieu de la bouche de leur Euesque, qu’ils demandent au Prestre les auis necessaires pour paruenir vn iour à l’eternité bien-heureuse qu’ils esperent, & qu’ils apprennent des Diacres les regles de la discipline Ecclesiastique.

Attentius eum audire oportet Episcopum, & ab eo doctrinam suscipere, monita vitæ à Presbyteris inquirere, & à Diaconis ordinem disciplinæ.

Il est donc necessaire pour {p. 158}suiure l’ordre de Dieu & de l’Eglise, qu’vn Euesque fasse connoistre à ses Diocesains ce qui est permis, & ce qui ne l’est pas. Et il ne doit pas dans la conduite de son peuple s’accommoder à ses inclinations & à ses humeurs, ny se regler par ses sentimens, principalement lors qu’il s’agit de la maniere de santifier les Festes, & de corriger ou oster les abus & les desordres par lesquels elles sont profanées.

Le peuple de mon Diocese, Tres-saint Pere, soit dans la ville, soit à la campagne, par vne coustume pernicieuse, celebre quelques Festes votiues d’vne maniere tres-indigne de la foy qu’il professe, & entierement contraire {p. 159}à l’esprit de la Religion Chrestienne ; car il ne s’occupe pendant ces saints iours qu’à la danse, à la comedie, aux exercices profanes de la lutte & de la course, & à d’autres spectacles qui ne sont pas moins esloignez de la sainteté des Festes. Ils croyent par vn erreur estrange, & digne de larmes, qu’ils ne celebreroient pas dignement ces Festes, s’ils ne les passoient dans les festins & dans la débauche, & s’ils renonçoient à ces diuertissemens si contraires à l’honneur de Dieu, & à la pieté de son Eglise ; comme si la solemnité des Festes que l’Eglise n’a instituées que pour honorer les Saints, suiuant la {p. 160}doctrine du Concile de Trente, ne consistoit que dans le luxe & dans les plaisirs sensuels.

Dieu declare par le Prophete Osée qu’il a ces solemnitez en horreur, & qu’il ne les peut souffrir : Et le Prophete Amos ajouste qu’il les rejette, Et que l’odeur des assemblées dans lesquelles on prophane les iours destinez à son culte, au lieu de les santifier, ne sçauroit luy estre agreable.

Et non capere odorem conuentuum istorum. Amos.

Mais les paroles de Malachie, ou plustost de Dieu par sa bouche, sont plus fortes & plus expresses : Si vous ne voulez pas m’écouter & apprendre mes volontez afin de les suiure, & si vous n’entrez du fond du cœur, & en verité dans le dessein de glorifier {p. 161}mon nom, ie répandray sur vostre visage le fumier de vos solemnitez.

Si nolueritis audire, & si nolueritis ponere super cor vt detis gloriam nomini meo, ait Dominus, dispergam super vultum vestrum stercus solemnitatum vestrarum, & assumet vos secum. Malach.

Quoy que les spectacles ne soient pas tousiours mauuais, & qu’ils ne soient pas de leur nature contraires à la vertu ; les Peres de l’Eglise, & les saints Docteurs, ne les ont iamais neantmoins permis, ny les iours des Festes, ny au temps qui est destiné pour la penitence, parce que les Canons les deffendent en ces iours : & comme dit saint Ambroise, ce seroit vne temerité insupportable & vne desobeissance criminelle, si le peuple faisoit des actions qui sont deffenduës, ou dans l’Ecriture sainte, ou par les Constitutions des Papes, ou par les Loix Ecclesiastiques, {p. 162}& les Canons.

C’est donc vne loy de l’Eglise, qui ordonne que celuy qui se rend dans les places, ou dans les endroits où se font les spectacles, au lieu d’estre dans l’assemblée des fidelles pour prier les iours des Festes, soit separé de la participation des saints mysteres, & excommunié. Nous lisons aussi dans vn Concile de Carthage, qu’on ne doit point tolerer en aucune maniere ces spectacles, ny le iour du Dimanche, ny les autres Festes ; parce que comme nous apprenons encore du sixiéme Concile, les fidelles doiuent passer ces iours dans les lieux saints, & ne vacquer qu’à la priere & au chant des Pseaumes, {p. 163}des Hymnes & des Cantiques spirituels, afin que leur ioye soit toute en Dieu, & en Iesus-Christ, & que n’appliquant leur esprit qu’à la lecture des choses saintes & diuines, ils se nourrissent de la parole de Dieu & du fruit des diuins mysteres. C’est en effet par ce moyen que nous pourrons esperer de resusciter auec Iesus-Christ pour la gloire eternelle.

Il n’est donc pas permis en ces saints iours d’assister à aucune sorte de spectacles, & il n’en faut pas mesme souffrir. Le Concile de Tolede parle encore bien clairement sur ce sujet. C’est, dit-il, vne coustume contraire à l’esprit du Christianisme, que celle qu’on voit parmy le {p. 164}peuple les iours des solemnitez, & des Festes des Saints ; car au lieu de s’appliquer à la pieté, & d’assister auec ferueur aux diuins Offices, ils employent le temps à danser & à chanter des chansons indecentes, & ils ne se causent pas seulement du dommage à eux-mesmes par ce déreglement ; mais ils troublent la deuotion des personnes vrayement Chrestiennes. Il est donc du deuoir des Prelats & des Magistrats de destruire cet abus déplorable dans toutes les Prouinces.

Irreligiosa consuetudo est, quam vulgus per, sanctorum solemnitates agere consueuit : populi qui debent officia diuina attendere, saltationibus, & turpibus inuigilant Canticis, non solum sibi nocentes, sed etiam religiosorum officiis perstrepentes. Quæ vt ab omnibus prouinciis depellantur, à sacro Concilio sacerdotum curę iudicunque committitur Concil. Tolet.

On ne peut donc point douter qu’vn Euesque ne soit dans l’obligation de corriger les vices qu’il remarque dans son troupeau, & principalement de remedier {p. 165}à ceux qui sont publics & scandaleux : & celuy qui estant constitué dans cette dignité & dans cette charge, ne reprendroit pas & ne feroit pas ce qui dépendroit de luy pour oster ces scandales, meriteroit plustost, suiuant la pensée de saint Gregoire, d’estre appellé vn chien mort, que de porter le nom d’Euesque.

Episcopus qui talium crimina non corrigit, magis est dicendus canis impudicus, quam Episcopus. S. Greg.

Mais il faut que les puissances seculieres se ioignent au zele de l’Euesque ; car comme dit saint Isidore, celuy qui est en authorité dans le monde n’a pas receu ce pouuoir en vain. Dieu le luy a donné pour appuyer les regles de la discipline de l’Eglise, & afin que ce que les Prelats & les Prestres ne {p. 166}pourront pas gagner sur les peuples par la force de la parole diuine qu’ils annoncent, s’accomplisse par la terreur que les Loix & les Ordonnances Ciuiles peuuent imprimer dans leur esprit.

Ideo enim potestatis culmina tenet, vt per eandem potestatem disciplinam Ecclesiasticam muniat, & vt quod non præualet Sacerdos efficere per doctrinæ sermonem, potestas impleat per disciplinæ terrorem. Isidor.

Saint Chrysologue veut mesme que tous les Chrestiens contribuent au salut du prochain, & que chacun fasse ce qu’il pourra pour retirer de l’égarement les ames qui se perdent & qui s’écartent de Dieu pour suiure le siecle. Si nous auons, dit-il, quelque mouuement de charité, s’il se trouue en nous quelque sentiment de bonté, & si nous portons dans nos cœurs quelque desir pour le bien eternel de nos freres, faisons tous nos efforts pour retenir ceux qui courent {p. 167}dans la voye de perdition, qui se laissent entraisner dans l’abysme, & qui semblent se haster pour estre bien-tost dans les tourmens de l’Enfer.

Si qua sunt ergo viscera pietatis in nobis, si qua est in nobis contemplatio humanitatis, si qua nos habet fraternæ salutis affectio, abstrahamus eos qui sic ad perditionem currunt, trahuntur ad barathra, festini sunt ad gehennam. Chrysol.

Que le pere arrache donc son fils d’vn danger si effroyable, le maistre son seruiteur, le parent ses proches, les citoyens ses voisins, & enfin que chacun s’employe pour rappeller dans le chemin du salut des Chrestiens malheureux qui deuiennent semblables aux bestes, & qui se conduisent par l’inspiration des Demons. Celuy qui deliure son frere d’vn si grand peril, se rend digne d’vne recompense eternelle ; & celuy qui neglige de l’ayder, ne peut estre que coupable deuant Dieu ; parce {p. 168}que, comme dit saint Ambroise, celuy qui pouuant empescher le mal, ne l’empesche pas par negligence, sert à rendre plus hardy celuy qui le commet, & participe par consequent à son peché ; & celuy-là semble commettre vne mauuaise action, qui pouuant la deffendre la souffre sans rien dire par lascheté de cœur, & par deffaut de zele. On approuue l’erreur lors qu’on n’y resiste point, & c’est adherer à l’iniquité que de n’en point arrester le cours. Enfin celuy-là peut passer pour complice d’vn crime, qui pouuant aller au deuant de celuy qui est en disposition d’y tomber, & preuenir l’effet de sa mauuaise inclination {p. 169}par des remedes efficaces, luy laisse la liberté d’agir selon ses desirs.

Il ne m’est donc point permis, Tres-saint Pere, de garder le silence, principalement apres l’exemple de saint Charles, qui sur le mesme sujet des danses & des spectacles, a trauaillé si constamment, & si fidellement pour arracher les coustumes opposées à l’esprit Chrestien, qui s’estoient introduites dans son Diocese ; & pour assujettir son peuple aux regles des Saints, & à la discipline de l’Eglise : & sa pensée n’estoit pas, lors qu’il agissoit dans cette reformation particuliere, auec tant de fermeté, de vigueur, & de force, de procurer vn moyen de perfection {p. 170}aux fidelles, que Dieu auoit soûmis à sa conduite ; mais il a creu qu’il s’agissoit dans cette occasion de son salut, & de celuy de ses Diocesains ; & qu’il estoit indispensablement obligé d’employer toute son authorité pour oster les abus qu’il combattoit. Il est permis de se taire, dit saint Ambroise, lors qu’il n’y va que d’vn interest temporel ; mais dans la cause de Dieu, & lorsque les ames sont dans le peril de leur salut ; ce n’est pas vn petit peché que de dissimuler, & d’estre lasche.

On dira peut-estre que saint Charles estoit vn Saint. Ie l’aduoüe, mais quelle consequence en pourra-on tirer contre moy ? Mon peuple, quoy qu’en petit nombre, {p. 171}n’est-il pas racheté par le Sang de Iesvs Christ ? Et moy, ne suis-ie pas seruiteur, & Disciple de saint Charles ? Pourquoy ne suiuray-ie l’exemple d’vn Saint ? Il est absolument necessaire que ie le fasse, si ie veux éuiter la colere de Dieu.

Puisqu’il a donc pleu à vostre Sainteté ; que ie ne fusse pas seulement chargé de veiller à mon propre salut ; mais encore de cooperer à celuy des autres, pour remedier aux desordres, & aux excez par lesquels Dieu étoit offensé dans mon Diocese ; I’ay ordonné dans l’assemblée Synodale, qu’on celebreroit à l’auenir les iours de Dimanche, & les festes auec la reuerence & la deuotion {p. 172}conuenable ; & pour cela i’ay deffendu en ces mesmes iours les danses, & toute sorte de debauches, la lutte, & tous les spectacles du théâtre, comme vne profanation manifeste : i’ay menacé les contreuenans des censures Ecclesiastiques.

Et mon dessein auroit heureusement réussi pour la gloire de Dieu, & pour le bien des ames, n’eust esté l’exemple d’vne permission, qu’on dit auoir esté accordée à la ville d’Alatre, voisine de mon Diocese, contre vne ordonnance semblable à la mienne, & comme l’on croit sans que vostre Sainteté en ait eu aucune connoissance ; En vertu de laquelle concession, neantmoins, le peuple {p. 173}de cette ville croit pouuoir en seureté de conscience perseuerer dans sa mauuaise coustume, de celebrer la feste de saint Sixte Pape & Martyr, qui est le Patron de ce lieu, en dansant, & en assistant à d’autres semblables spectacles.

Car encore bien que ce peuple nonobstant cette licence, qui a esté sans doute arrachée de la Cour de Rome, & qui ne leur a esté donnée que comme par contrainte, & à cause de la dureté de leur cœur ; ne laisse pas d’estre coupable deuant Dieu ; les fidelles neantmoins qui sont sous ma charge, & que ie dois regler & conduire, s’appuyent sur cét exemple ; & ils ont pris mesme, {p. 174}dis-je, cette liberté de declarer qu’ils auront recours à vostre Sainteté pour éuiter de faire ce que ie ne desire que pour leur salut.

C’est pour cela, tres-Saint Pere, que i’ay creu vous deuoir écrire auec confiance ce peu de mots, & vous enuoyer à mesme temps vn excellent ouurage, composé par saint Charles Borromée, qui porta Gregoire XIII. predecesseur de vostre Sainteté, à qui saint Charles mesme le fit voir, à terminer les contestations qui troubloient sur ce sujet la ville de Milan, par ses Lettres Apostoliques ; & à deffendre mesme dans Rome, comme nous lisons dans la vie de saint Charles, & les masques, & toutes sortes de {p. 175}spectacles les iours des Festes, & les Vendredis.

Et ce reglement a esté si fidellement obserué, que cela seul deuoit obliger mon peuple, sans attendre des nouuelles ordonnances, à se regler luy-mesme sur ce sujet, puis qu’il n’y a rien de plus iuste, que de se conformer aux reglemens de la ville de Rome ; qui est la capitale de la Religion ; & que l’ordre naturel demande que les membres se conforment à leur Chef, & suiuent son esprit & son mouuement.

Me iettant donc aux pieds de vostre Beatitude, & les baisant auec toute sorte de respect & d’humilité : ie supplie la bonté diuine, de conseruer dans vne santé parfaite, {p. 176}pour l’vtilité, & pour l’auantage de son Eglise, Vostre Sainteté, qui marche si droittement en toutes choses. A Anagni ce 18. May 1600.

{p. 177}

INSTRVCTION
& aduis charitable sur le sujet des Danses. §

D’où vient la coustume de danser parmy les Chrestiens ?

Saint Augustin asseure que c’est vn reste de Paganisme, d’autant que les anciens Idolatres par cette ceremonie profane honoroient leurs faux Dieux.

Est-il permis de dancer à present ? Non.

Pourquoy ? Parce que c’est vne occupation vaine, sensuelle, dangereuse, reprouuée par le S. Esprit és Escritures Saintes, par l’Eglise, par les Saints Peres, & par la raison mesme.

{p. 178} Que dit l’Escriture Sainte contre les Danses ?

Dieu parlant aux filles de Ierusalem par le Prophete Ezechiel, dit :

cap. 25.

Pource que tu as ioüé des mains & des pieds, que tu as dissipé ton cœur pour ce sujet, i’estendray ma main dessus toy, & te feray mourir.

Dans le liure de l’Ecclesiastique,

cap. 9.

il-est deffendu de hanter ny écouter la femme danseresse, de peur d’y perir.

La Sage Sara femme du ieune Tobie,

Tob. 3.

se voulant iustifier deuant Dieu du peché de la danse, asseure qu’elle ne s’est iamais trouuée parmy les recreations & vains passe-temps, ny auec ceux qui dansoient, ou qui faisoient des legeretez.

Moyse ayant receu de la {p. 179}main de Dieu,

Exod. 12.

les Tables de la Loy dessus la Montagne, en descendant il trouua le peuple qui dansoit & idolatroit. Pour vne iuste punition de ce peché, il brisa les Tables, & les mit en pieces, & commanda aux Leuites de se joindre à luy ; pour tuer tous ces danseurs & idolatres, sans pardonner à frere ny amy ; ce qui fut executé sur le champ par les Leuites, qui en tuerent iusques à vingt trois mille : ce que Moyse appelle sanctification & sujet de benediction à ceux qui témoignerent ainsi leur zele. Vous sçauez aussi que la danse fut l’occasion de la mort de saint Iean Baptiste,

Matth. 24.

le plus grand, au dire de Nostre Seigneur mesme, d’entre les enfans des hommes.

{p. 180} Qu’est-ce que l’Eglise en a autrefois ordonné ?

Nous auons plusieurs témoignages dans les Conciles & assemblées des Euesques, comme elle a deffendu ces danses presque en tout temps.

L’an 364. sous le Pape Syluestre dans vn Concile tenu à Laodicée, elle les deffendit mesme aux nopces.

Le Concile d’Aix-la-Chapelle, les appelle des actions infames.

Vn Concile d’Afrique les nomme des actions tres-méchantes.

Il y a huit Conciles de France qui les ont tous rigoureusement deffenduës, specialement és iours de Festes & Dimanches.

Le grand saint Charles Borromée {p. 181}Archeuesque de Milan, qui viuoit au siecle passé, en plusieurs endroits de ses actes & de ses Conciles, les a tres-étroittement deffenduës à son peuple, & mesme en toute sa prouince ; Il rapporte aussi qu’anciennement on imposoit trois ans de penitence à ceux qui auoient dansé, voire mesme qu’on les menaçoit d’excommunication.

Quel est le sentiment des Peres de l’Eglise touchant ce sujet ?

Les Saints Peres de l’Eglise, qui sont les organes du saint Esprit, & comme les seconds Apostres de l’Euangile, ont tous puissamment déclamé contre ce diuertissement.

Saint Ambroise au liure 3. qu’il a composé des Vierges, dit ainsi : Que peut-il y auoir {p. 182}de pudeur où l’on danse ? Certainement vous autres, saintes femmes, vous voyez ce qu’il faut apprendre & desaprendre à vos filles. Que la femme adultere danse, dit ce grand Saint : mais celle qui est pudique & chaste, qu’elle enseigne à ses filles la pieté, & non pas à danser. Il appelle encore la danse vn miserable théâtre, où les danseurs souffrent de notables ruynes, & les spectateurs y font de grandes cheutes, là le Ciel est taché par des regards impurs, & la terre soüillée par des mouuemens de lasciueté.

La mesme chose est asseurée par saint Basile, au liure qu’il a fait de l’yurognerie & du luxe.

Saint Augustin au Sermon {p. 183}231.

Serm 1. in Psal. Id. in Psal. 91.

du Temps, dit, Que danser c’est tourmenter son corps : & appelle les danses, des actions horribles ! Et ailleurs il asseure, qu’il vaudroit mieux labourer & bescher la terre, que de danser vn iour de Feste.

Saint Chrysostome en l’Hom. 49. sur S. Matthieu, ne feint pas de dire, qu’où sont les danses lasciues, là certainement est le Diable. Dieu, dit-il, ne nous a pas donné des pieds pour sauter comme des chameaux : mais pour marcher modestement en la presence des Anges : & si le corps deuient difforme en dansant, combien l’ame en est-elle defigurée dauantage ?

Saint Ephrem, dans vn Sermon qu’il a fait,

Quod Iudic. abstin.

dit ces paroles à ce propos : Où sont les {p. 184}violons, les danses & les battemens des mains, là sont les tenebres des hommes, & la perdition des femmes, la tristesse des Anges & la feste des diables :

Apud Cornel. in Exod. c. 15.

Puis apres il dit : que le diable est autheur des danses, & que celuy qui a appris la fornication & l’idolatrie, c’est le mesme qui a appris à danser ; & celuy là n’a pas mal rencontré, qui a dit, que la danse est vn cercle où le diable fait le centre & le milieu, & ses Anges la circonference.

Ie ne puis obmettre icy en passant le sentiment sur ce sujet d’vn grand personnage, qui viuoit il y a plus de trois cens ans, c’est de François Petrarque, vn des plus grands esprits de son siecle.

Entr. 4. de la danse.

La danse, dit-il, est vne action indigne {p. 185}d’vn honneste homme, de laquelle on ne peut rapporter que de la honte, c’est vn spectacle aussi infame comme inutile, c’est vne assemblée d’intemperance. Ce branslement des mains & des pieds, cette éuagation & impudence des yeux, tous ses gestes, aussi blasmables que visible, montrent qu’il y a quelque chose dans l’interieur, qui répond au déreglement exterieur : ceux qui font estat de la modestie, fuyent toutes ces occasions de dissolution ; apres tout, quel plaisir trouue-t’on dans vn diuertissement qui lasse plus qu’il n’allege, & qui est aussi ridicule qu’il est honteux : Veritablement si l’extrauagance ne s’etoit naturalisée dans nos mœurs, nous nommerions folie ce qu’on nomme gentillesse : & c’est à {p. 186}bon droit qu’on appelle des ioüeurs à ces assemblées, afin que l’ame estant occupée par l’oreille, les yeux ne s’offensent pas de tant de mouuemens irreguliers, cela veut dire qu’vne sottise en couure vne autre, ce qu’on appelle vne école de gaillardise : c’est vn apprentissage d’impudicité. Les filles vont à la danse pour s’y donner de la vogue ; mais c’est en effet pour y receuoir de l’infamie : c’est dans ces rencontres que les yeux s’y trouuent aussi libres que les mains, les paroles à double entente s’y font entendre distinctement ; la confusion de la compagnie y laisse dire beaucoup de choses que la retenuë ne permettroit pas ailleurs : les attouchemens qu’on croit illicites en d’autres occasions, semblent deuenir icy necessaires : {p. 187}la foule fauorise l’effronterie des plus mal intentionnez ; d’ailleurs la nuit qu’on choisit ordinairement pour les danses, comme estant l’ennemie de la pudeur, & la confidente des crimes, donne du courage aux plus timides pour executer hardiment leurs plus pernicieux desseins : c’est ainsi qu’on donne vne nouuelle carriere au libertinage, & qu’on fait passer le crime en recreation. Les filles sont rauies d’aise, de voir que la legereté de leur corps seconde celle de leur esprit, & croyent estre plus parfaites de sçauoir bien danser, que de sçauoir bien viure. Voila le iugement de ce grand homme sur les danses qui se faisoient de son temps, lesquelles n’estoient pas assourément plus criminelles {p. 188}que celles d’apresent.

Les Payens mesmes n’ont-ils pas condamné les danses ?

Cir. orat. pro Murena.

Ouy, & c’est sur cela que Dieu iugera les Chrestiens plus rigoureusement. Vous auez le Prince des Orateurs Ciceron, qui soutient & auec raison, que d’appeller vn homme danseur, c’est luy faire vne iniure fort atroce, parce que, dit-il, ce vice ne va iamais qu’il ne soit accompagné de plusieurs autres ; car personne d’ordinaire ne danse estant sobre, si ce n’est qu’il soit fol, ny en solitude, ny dans vn festin moderé & honneste : la danse suit volontiers les banquets dereglez, les lieux plaisans & les autres delices.

Venons s’il vous plaist à la {p. 189}raison, pourquoy est-ce que vous condamnez les danses ?

Nous les condamnons principalement. 1. Parce que les Chrestiens y ont renoncé en receuant le S. Baptesme, les SS. Peres de l’Eglise enseignans que les danses appartiennent aux pompes de Satan, ausquelles tout Chrestien a solemnellement renoncé par la bouche de ses parreins. 2. Iesus-Christ

Luc. 9

a enseigné vne doctrine & mené vne vie toute contraire à ces diuertissemens, Si quelqu’vn (dit-il) veut venir apres moy, qu’il renonce à soy-mesme, porte sa Croix & me suiue. Bienheureux ceux qui pleurent car ils seront consolez, Malheur à ceux qui viuent dans des ioyes, car ils seront accablez de tristesses. Le mauuais riche {p. 190}estant au milieu des flammes d’enfer,

Math. 5

& demandant vn peu de soulagement, il luy fut respondu qu’il auoit vescu dans les delices pendant sa vie, & que maintenant il estoit iustement tourmenté : mais que le Lazare ayant esté priué de tout contentement durant la sienne, il en estoit à present iustement recompensé. 3. Les Apostres & les Saints ont tous esté dans ce sentiment, que le Christianisme & la discipline de l’Eglise, est vne escole de larmes & de pleurs, & non pas de ioyes & de delices : ce qui a fait dire autrefois à S. Augustin, que quiconque veut viure Chrestiennement, il faut faire estat de viure dans vn continuel martyre. 4. La danse est vne occasion {p. 191}prochaine à la pluspart de ceux qui la pratiquent, de tomber en plusieurs sortes de pechez.

Alex ! part. 4. qu. 48. Raph. Volat. lib. 35.

1. De querelles & de batteries. 2. De liaisons d’amourettes, d’où procedent souuent des mariages fort malheureux. 3. De pensées, desirs, paroles, chansons, regards, attouchemens lascifs, & autres impuretez, à raison de la familiarité & grande liberté qui se pratiquent entre garçons & filles dans la danse. 4. La danse dissipe & fait perdre ordinairement l’esprit de deuotion, & c’est la raison pourquoy elle est encore plus estroitement defenduë és iours de Dimanches & Festes, que nous sommes obligez de passer saintement, en assistant auec vn esprit recueilly {p. 192}& attentif aux diuins Offices & instructions Chrestiennes, comme aussi de vaquer à toute sorte de bonnes œuures, ce qui est destourné par la danse, qui passe de le cœur & les pensées de la pluspart de ceux qui s’y addonnent.

N’est-il donc iamais permis de danser ?

2 Reg. 6.

Il est vray que David a dansé deuant l’Arche,

Exod. 15.

& Marie Sœur de Moyse, apres le passage de la mer rouge, & ces danses non seulement, n’ont pas esté mauuaises, mais mesmes elles ont mérité loüange, ayant esté faites par vn sentiment extraordinaire d’vne ioye sainte, & par vn mouuement particulier du S. Esprit, en action de graces des {p. 193}signalez bien-faits receus de Dieu, mais elles ne doiuent estre tirées en consequence aux Chrestiens, & sont aussi bien esloignées de celles que l’on pratique auiourd’huy, qui ne sont entreprises que par des inclinations mondaines & affections sensuelles, auec tous les dangers, de tomber és pechez, qui ont esté cy-dessus representez.

Neantmoins il est encore veritable, qu’on ne doit pas condamner absolument quelques danses qui se feroient modestement & honnestement en quelques occasions extraordinaires, comme és nopces, & autres assemblées rares de parenté & d’amitié, pourueu qu’on en bannisse les mauuaises circonstances, {p. 194}qui ont esté marquées ; estant à obseruer que toutes personnes qui auroient l’experience que la danse les fait tomber ordinairement en quelqu’vn des pechez susdits, s’en doiuent abstenir comme d’vne chose mauuaise, & que ceux mesme qui sortent de la danse fort innocens de ces pechez, doiuent craindre de se rendre coupables des pechez des autres, qui ont esté engagez par leur exemple à danser : ce qui fait conclure que toutes sortes de personnes doiuent s’abstenir autant qu’il leur sera possible de toutes danses.

Est-il loisible de regarder les autres danser ?

S. Iean Chrysostome cy-dessus allegué répond, qu’encore {p. 195}qu’en ces spectacles on ne soit émeu à aucune mauuaise conuoitise, c’est toutefois se trouuer parmy les pechez d’autruy, & s’en rendre en quelque façon participant.

La Sœur du bienheureux Pierre Damien, ayant vne fois regardé danser & écouté quelques chansons, en a esté punie l’espace de dix-huit iours en Purgatoire.

Dites-nous s’il vous plaist quelques histoires sur ce suiet ?

1. Il est rapporté en la vie de S. Eloy Euêque de Noyon, que cinquante personnes furent possedées des malins esprits vn an antier, pour s’estre opposées à ce S. qui prêchoit vn iour S. Pierre contre les danses. 2. Au pays de Saxe, certaines personnes dansant {p. 196}dans vn Cimetiere la veille de Noël, & troublant le seruice diuin, par vne iuste punition de Dieu, danserent sans cesse nuit & iour vn an entier, & moururent presque tous incontinent apres. 3. Aux nopces d’Alexandre Roy d’Ecosse, auec Iolante, comme on dansoit, on vit vn mort suiure pas à pas les danseurs : ce qui donna vne si grande frayeur à tous, qu’ils prirent incontinent la fuite. 4. Thomas de Cantimpré rapporte que quantité de personnes dansans sur vn pont dans vn village auprés de Laon, le pont se rompant sous leurs pieds, par vn iuste iugement de Dieu ils furent tous noyez. 5. La venerable Anne de S. Barthelemy, Carmelite, s’estant {p. 197}trouuée en bas âge dans vne compagnie du monde où se crouuant, contre son, gré pourtant, sur le point de danser auec les autres, nostre Seigneur s’apparut à elle tout couuert de playes, de sueur & de sang, luy declara les douleurs extremes qu’il auoit souffertes pour elle, & luy témoigna qu’il n’estoit pas content qu’elle se diuertit en tels passe-temps : cela la fit rougir & resoudre quant & quant d’éuiter telles occasions à l’aduenir. 6. Au miroir des exemples, il est rapporté qu’vne ieune fille, à la persuasion d’vn bon Religieux, quittant tout à fait les passe-temps des danses, ausquels elle estoit passionnément attachée, merita que la Sainte Vierge {p. 198}Marie mere de Dieu, auec les chœurs des Vierges, luy apparut à l’article de la mort.