Bretteville, Etienne Dubois de

1697

Essais de sermon

2016
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2016, license cc.
Source : Essais de sermon Bretteville, Etienne Dubois de p. 461-469 1697
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

Essais de sermon §

{p. 461}POUR LE VINGT-TROISIÉME DIMANCHE D’APRÉS LA PENTECOSTE.

Loquente Jesu ad eos, ecce Princeps unus accessit, & adorabat eum dicens : Domine, filia mea modò defuncta est ; sed veni, impone manum tuam, & vivet, &c. Matth. 9.

CommeJesusparloit aux troupes, un Prince de la Synagogue vint à luy, & l’adorant luy dit : Seigneur, ma fille vient presentement de rendre l’esprit ; mais venez, touchez-la de vostre main, & elle vivra.Jesusse leva, & le suivit accompagné de ses Disciples. Alors une femme travaillée depuis douze ans d’une perte de sang, s’approcha de luy par derriere, & toucha le bord de son vestement, (car elle disoit en elle-mesme, si je puis seulement toucher son vestement, je seray guerie.) Jesus alors se retournant, & la regardant, luy dit : Ma fille, {p. 462}ayez confiance, vostre foy vous a sauvée ; & à l’heure mesme cette femme fut guerie. Jesus estant arrivé à la maison de ce Prince de la Synagogue, vit les joüeurs de flutes, & une troupe de gens qui faisoient grand bruit ; & il leur dit : Retirez-vous, cette fille n’est pas morte, mais elle dort : & ils se moquoient de luy. Aprés qu’on eut fait sortir tout ce monde, il entra où estoit la fille, & l’ayant prise par la main, elle se leva ; & le bruit s’en répandit par tout le païs.

Le Fils de Dieu s’est toûjours ouvertement declaré contre les jeux, les danses, & les spectacles publics : témoin ce grand miracle dont il est parlé dans nostre Evangile, qu’il ne voulut pas operer tandis que ces danseurs & ces joueurs d’instrumens seroient dans la maison du Prince de la Synagogue ; c’est pourquoy il les fit chasser avant que d’y entrer. Dicebat, recedite. C’est contre ces jeux & ces spectacles profanes que je veux parler aujourd’huy à l’exemple de tous les saints Peres, qui les ont toûjours regardez avec horreur : & afin que les mondains ne me puissent rien objecter, nous verrons

Division.

1. ce que dit le monde pour justifier ces divertissemens profanes. 2. Ce que dit l’Evangile pour les condamner. La justification des divertissemens du monde, selon les pecheurs. La condamnation de ces divertissemens, selon Jesus-Christ. C’est le sujet de cet Entretien.

I. Quand je parle de divertissemens mondains, je n’y comprens point ce qui est visiblement peché, ainsi que sont les commerces charnels, l’yvrognerie, & mille autres débauches dont la seule image fait horreur. Je ne parle que de ce qui se passe parmi les gens mesmes qui font profession d’une vie reglée : & pour ne m’attacher qu’à ce qui est de plus ordinaire, je ne parle que de la comedie, du bal, & du jeu. Voicy à peu prés la maniere dont les {p. 463}gens du monde justifient ces sortes de plaisirs : ce sont des choses, disent-ils, qui sont purement indifferentes d’elles-mesmes, & qui ne sont pechez que par le mauvais usage qu’on en fait. Car enfin quelque austerité que l’on ait dans les mœurs, on ne peut pas dire, qu’écouter precisément des Acteurs qui recitent un poëme où l’on fait voir le crime puni & la vertu recompensée, où il ne s’agit que d’un amour vertueux & legitime, qui n’aboutit qu’à un lien sacré ; quelque severe, disent-ils, que l’on soit, on ne peut pas dire que ce soit un peché en soy-mesme. Il en est ainsi du bal & du jeu, où l’on suppose qu’il ne se trouve que des gens d’honneur & de probité. Si donc l’on peche dans ces sortes d’occasions, ce n’est que la mauvaise intention des particuliers qui en est la cause, & nullement le spectacle qui est de soy indifferent, & que l’on peut rendre bon ou mauvais selon la disposition dans laquelle on est. C’est ainsi que parle le monde ; mais ce n’est pas ainsi que parlent les Saints. Le saint homme Tobie ne vouloit point entendre parler de jeux ni de danses : Nunquam cum ludentibus miscui me. Le Prophete Jeremie assure qu’il ne s’est jamais trouvé dans ces sortes de compagnies : Non sedi in concilio ludentium. Si ces sortes de divertissemens avoient esté indifferens, Prophete, vous n’auriez pas parlé de la sorte.

Mais parce que le plus grand argument dont les gens du monde se servent pour autoriser ces divertissemens, est le témoignage de saint François de Sales : Examinons icy les paroles & les intentions de ce Saint dans le 32. & 33. chapitre de son Introduction à la Vie devote. Il dit que le jeu, le bal & la comedie sont des choses indifferentes : mais il est visible qu’il ne parle ainsi que par une pure tolerance ; il tolere, il souffre ces sortes de plaisirs, mais il ne les permet pas : il y a bien de la difference entre souffrir & permettre ; Dieu souffre mesme le peché, mais il ne le permet pas.

Que si on m’objecte que ce grand Saint ne devoit point avoir cette tolerance, mais une sainte severité, semblable à celle que les Peres ont témoignée contre les damnables divertissemens : je vous réponds qu’il devoit avoir cette {p. 464}tolerance dans le temps déplorable où le Christianisme étoit presque éteint. Il n’y avoit presque plus de sainteté, & on pouvoit dire alors ce que dit autrefois le Prophete Jeremie : Viæ Sion lugent eo quòd non sint qui veniant ad solemnitatem : Les ruës de Sion pleurent, parce qu’il n’y a personne qui vienne à la grande solennité. On ne parloit plus de pieté, la devotion n’estoit presque plus connuë, je ne dis pas des gens du monde, mais mesme des Prestres. Les guerres civiles & les heretiques avoient causé une terrible desolation ; & comme il y avoit à craindre que l’heresie n’entraînast le reste de la pieté, il fut envoyé de Dieu pour la rétablir. Comme il luy falloit remettre la devotion en toutes sortes de conditions, & la faire entrer dans l’ame de ceux qui vivoient à la Cour, aussi-bien que de ceux qui vivoient dans les Cloistres ; pour insinuer cette pieté dans l’ame de ceux qui vivoient dans le monde, il luy falloit prendre des mesures de douceur, il falloit user de tolerance, de crainte que la severité n’écartast ceux qu’il vouloit attirer, & que la pensée d’une malheureuse impossibilité ne les empêchast de venir à luy. Ce sont les termes dont il se sert. Il ne voulut donc pas épouventer le monde, il vouloit les attirer ; se persuadant que si une étincelle de l’amour divin entroit dans leurs cœurs, ils seroient bien-tost embrasez, & alors ils trouveroient facile ce qui leur sembloit difficile. Comme il ne tâchoit qu’à faire naistre l’amour divin dans les cœurs, il estoit obligé d’avoir cette tolerance & cette douceur. S’il n’a pas beaucoup parlé contre le luxe des femmes, c’est parce qu’il sçavoit tres-bien que quand l’amour de Dieu seroit dans leurs cœurs, il en banniroit l’amour des vanitez du monde. Ainsi quoy qu’il eust cette tolerance, il n’a pas laissé de condamner le bal, la comedie, & les autres divertissemens qui sont si dangereux : & pour vous le faire voir, c’est qu’il demande à ceux qui vont au bal & à la comedie des dispositions & des reflexions qui sont incompatibles avec l’amour de ces divertissemens.

Remarquez les trois reflexions qu’il leur demande. 1. Il leur demande qu’aprés qu’ils sont retournez du bal & de la {p. 465}comedie, ils fassent cette reflexion. Vous estes allé au bal & à la comedie, il est vray. Mais sçavez-vous ce qu’il faut faire il faut maintenant considerer l’état où vous estes, & le peril que vous avez évité, & ce que vous deviendrez. Dans le temps que j’estois au bal & à la comedie, il y avoit dans l’enfer un nombre infini de personnes, qui n’y sont que pour avoir pris les divertissemens que j’ay pris, & que je viens de quitter. Ah ! quelle étrange consideration ! En second lieu, dans le temps que je courois à ces divertissemens, quantité de Religieux ont quitté leur cellule pour aller chanter les louanges de Dieu. En troisiéme lieu, dans le temps que j’estois à ce divertissement, plusieurs ames souffroient les agonies de la mort. Un jour viendra que vous souffrirez comme elles, & lorsque vous serez dans ces agonies, il y aura des libertins qui seront dans la joye & dans le divertissement. Lorsque j’estois dans ces divertissemens Dieu m’a vû, la sainte Vierge & les Anges ont esté les spectateurs de ma joye criminelle, & ont vû mon caractere de Chrestien profané, ils l’ont veu avec horreur, ils l’ont vû avec compassion. Enfin lorsque j’estois dans le divertissement, la nuit s’est écoulée, un temps qui m’a esté donné pour penser à mon salut s’est passé, il ne reviendra jamais. Ah ! si vous faisiez serieusement ces reflexions aprés estre venus du bal & de la comedie, si vous les faisiez, mes Dames, pourriez-vous vous resoudre à y retourner une autre fois ? Mais qui sont ceux qui sont capables de faire ces reflexions ? Ce ne sont pas les pecheurs, ce ne sont pas les mondains, il n’y a que les gens de bien ; & si les gens du monde n’en sont pas capables, ce n’est pas pour eux que Saint François de Sales a cette tolerance. S’il souffre que ceux qui sont capables de faire ces reflexions aillent au bal & à la comedie, il ne souffre pas la mesme chose aux autres. Ainsi quelle a esté l’intention de saint François de Sales. C’a esté de retirer du bal & de la comedie. Il a semblé autoriser ces divertissemens, & son dessein a esté de les détruire, d’autant qu’on ne peut faire ces reflexions qu’il demande, sans en avoir de l’horreur. S’il arrive qu’une Dame Chrestienne se trouve engagée {p. 466}dans cette occasion, & ne puisse par bien-séance s’en dispenser, il faut qu’elle prenne cela comme une épreuve de sa vertu. On doit regarder ces sortes d’occasions dans lesquelles une necessité de bien-séance engage quelques personnes ; on doit, dis-je, les regarder comme une espece de persecution, où il faut s’armer de courage & de vertu.

Saint Jerôme parlant des danseurs, dit que c’est le demon qui danse dans leurs personnes, & qu’il se sert de ces lâches ministres pour seduire & tromper les hommes. His tripudiis diabolus saltat, his dæmonum ministris homines decipiuntur. En effet tout ce que la volupté impudique est capable d’employer d’artifice, est attaché au bal, à la danse & à la comedie. Si je demande à une Dame du monde, quel dessein avez-vous, quand vous vous preparez au bal ? Vous faites tout ce que vous pouvez pour vous orner, vous employez tous les artifices imaginables, vous ajoûtez autant que vous pouvez à la beauté que la nature vous a donnée ? Mais quel est vostre dessein ? C’est pour vous faire voir, c’est pour vous rendre agreable. Et qu’est-ce qu’il en arrive ? une fille Chrestienne qui aura vécu dans la modestie, croyant qu’il luy est permis de prendre quelque chose d’extraordinaire, se met au hazard de se perdre. Voilà le premier pas du demon ; c’est par l’ornement que vous apportez au bal qu’il commence à vous gagner ; il débauche vostre cœur. Mais quand vous y estes, qu’y faites-vous ? Tout ce qu’il vous est possible pour paroistre belle, agreable, charmante, & pour estre du nombre de celles à qui on vient rendre des hommages comme à des divinitez visibles. Et n’est-ce pas pour donner une étrange atteinte à vostre pudeur ? Il n’est pas permis de dire toutes choses ; mais il est certain que comme on y est libre, on y fait des déclarations qu’on n’oseroit faire autre part, & dans ce malheureux commerce on forme des alliances qu’on entretient secretement, & dans le cabinet. Et qu’en arrive-t-il, des suites déplorables pour des familles : c’est par ce moyen que le diable établit son empire, & cause de terribles desolations dans l’Eglise.

{p. 467}Il en est ainsi du jeu, qui est visiblement une occasion de damnation. 1. Parce qu’on y perd le temps que Dieu ne nous a donné que pour faire nostre salut. 2. Parce qu’on y perd son argent, ce qui est une source necessaire d’une infinité de crimes & de desordres. 3. Parce qu’on y perd la grace de Dieu par les emportemens ausquels on s’abandonne.

II. Quand le monde auroit toutes les raisons imaginables pour justifier les divertissemens profanes ; ce seroit assez pour les condamner que Jesus-Christ leur a donné tant de fois une éternelle malediction. Malheur à vous, dit-il, qui cherchez la joye & les ris : Va vobis qui ridetis. Je ne voudrois que cette seule pensée pour arrester un Chrestien, lors qu’on luy propose une partie de comedie ou de bal. Je vais chercher la joye, & peut-estre que dés lors ma place est marquée dans les Enfers. Je vais danser, & peut-estre que cela mesme me fera brûler éternellement avec les demons.

Le grand principe qui nous fait voir que Jesus-Christ condamne les divertissemens mondains, est qu’il a ouvertement declaré qu’il estoit impossible de se sauver sans porter sa croix, & sans imiter sa vie souffrante. Or est-ce porter sa croix, est-ce ressembler à Jesus-Christ crucifié, que d’estre ornée comme une idole pour attirer les vaines adorations d’une infinité d’impudiques ? Est-ce estre crucifié avec Jesus-Christ, que d’éclater en des ris & en des immodesties indignes mesme d’un Payen ?

Ah ! mon Dieu, puisque vous n’avez pas marché par la voye des plaisirs, il n’est pas juste que nous y marchions. Nous voulons nous priver à vostre exemple de toute sorte de plaisirs, pour goûter vos plaisirs éternels.


SENTENCES DE L’ECRITURE.
Cum

Eccli. c. 9. v. 4.

saltatrice ne assiduus sis, nec audias illam, ne fortè pereas in efficacia illius.
Ne vous trouvez pas souvent avec une femme qui danse, & ne l’écoutez pas, de peur que vous {p. 468}ne perissiez par la force de ses charmes.
Fatuus

Eccli. c. 21. v. 23.

in risu exaltat vocem suam : vir autem sapions, vix tacitè ridebit.
L’insensé en riant éleve sa voix, mais l’homme sage rira à peine tout bas.
Die

Mat. 14. v. 6. & seq.

natalis Herodis saltavit filia Herodiadis in medio, & placuit Herodi. Unde cum juramento pollicitus est ei dare quodcunque postulasset ab eo. At illa præmonita à matre sua : da mihi, inquit, hic in disco caput Joannis Baptista. Et contristatus est Rex : propter juramentum autem, & eos qui pariter recumbebant, jussit dari, misitque & docollavit Joannem in carcere. Et allatum est caput ejus in disco, & datum est puellæ, & attulit matri suæ.
Or comme Herode celebroit le jour de sa naissance, la fille d’Herodias dansa publiquement devant luy, & elle luy plut de telle sorte, qu’il luy promit avec serment de luy donner tout ce qu’elle luy demanderoit. Cette fille ayant esté instruite auparavant par sa mere, luy dit : donnez-moy presentement dans un plat la teste de Jean Baptiste. Le Roy fut fâché de cette demande ; neanmoins à cause du serment qu’il avoit fait, & de ceux qui estoient à table avec luy, il commanda qu’on la luy donnast : il envoya en mesme temps couper la teste à Jean dans la prison. Et sa teste fut apportée dans un plat, & donnée à cette fille, qui la porta à sa mere.
Miseri

Jacob. c. 4. v. 9.

estato, lugete, & plorate : risus vester in luctum convertatur & gaudium in mœrorem.
Affligez-vous volontairement vous-mesmes, soyez dans le deuil & dans les larmes : que vostre ris se change en pleurs, & vostre joye en tristesse.

SENTENCES DES PERES.
Non

S. Aug. de vera Relig. cap. 55.

diligamus visibilia spectacula, ne ab ipsa veritate aberrando, & amando umbras, in tenebras projiciamur.
Ne nous trouvons point aux spectacles du monde, de crainte qu’en fuyant la verité & en cherchant les ombres, nous ne tombions dans les tenebres.
Qui

S. Bon. serm. 2. Dom. 11.

non vult illaqueari à dæmonibus laqueo carnalis lasciviæ, debet quantum potest declinare spectacula vanitatum.
Evitez les spectacles de vanité, si vous ne voulez pas tomber dans les pieges du demon.
Quæ

S. Cypr. ep. 2. ad Donat. cap. 6.

pudica fortasse ad spectaculum processerat, de spectaculo revertitur impudica.
Souvent celle qui est entrée innocente au bal, en sort impudique.
{p. 469} Quidquid

S. Joan. Chrysos. in fine prologi sup. Joan.

in spectaculis mortiferis videtur, Satanæ pompa est & lascivia.
Tout ce que l’on voit dans les spectacles profanes, n’est autre chose que les pompes de Satan, ausquelles le Chrestien a renoncé dans son Baptesme.
Nihil

Salvian. lib. 6. de Gubern. Dei.

ferme, vel criminum vel flagitiorum est, quod in spectaculis non sit.
Il n’y a point de crimes ni de pechés qui ne soient renfermez dans les spectacles mondains.
Qui

Ibid.

fortè ad spectaculum puri venerant, de theatro adulteri revertuntur.
Une infinité de personnes qui viennent à la comedie sans peché, s’en retournent avec l’adultere dans le cœur.