Pierre Coustel

1694

Sentiments de l’Eglise et des Pères

Édition de Thomas Soury
2016

Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2016, license cc.
Source : Pierre Coustel, Sentiments de l’Eglise et des SS. Pères pour servir de décision sur la comédie et les comédiens, Paris, Veuve de Charles Coignard, 1694.
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

[FRONTISPICE] §

SENTIMENS
de
l’Eglise et des SS. Pères
pour servir de
DECISION
sur la
COMEDIE ET LES
COMEDIENS.
Opposez à ceux de la Lettre qui a paru
sur ce sujet depuis quelques mois.

Nolite Communicare operibus instructuosis tenebrarum :
magis autem redarguite. Ephes. 5. 12.

A PARIS.
Chez la veuve de Charles Coignard, au
milieu du Quai des Augustins dans son
Imprimerie, à la première chambre.
Et Edme Couterot, ruë S. Jacques au Bon Pasteur.
Avec Approbation et Privilège du Roi. 1694.

{p. 3}

PRÉFACE. §

Depuis qu’on a quitté la manière toute simple de traiter les matières de Théologie par l’Ecriture Sainte et par les Pères de l’Eglise, pour ne plus suivre que les vaines subtilités d’un raisonnement humain et philosophique ; il s’est fait peu à peu un si étrange changement dans la morale Chrétienne ; que les notions les plus communes de plusieurs vérités capitales, sur lesquelles la Discipline de l’Eglise était fondée, se sont insensiblement anéanties et éteintes.

On peut mettre de ce nombre celle qui regarde la Comédie. Car l’on a toujours cru dans l’Eglise que les spectacles étaient des divertissements interdits aux Chrétiens ; et qu’ils ne s’accordaient nullement avec l’esprit, et les maximes de l’Evangile.

Mais les choses ont tellement changé de face, et se sont si fort perverties, que c’est présentement une espèce de paradoxe de dire, qu’on ne peut aller à la Comédie sans blesser sa conscience et sans offenser Dieu.

{p. 4}Et c’est ce qui nous doit donner lieu de présumer, que nous approchons de ce malheureux temps prédit par l’Apostre, auquel « les Chrétiens devenus plus amateurs des faux plaisirs du siècle, que de Dieu, ne pourront plus souffrir la saine Doctrine ;2. Ad Timot. 3. 4. et ayant recours à une foule de Docteurs accommodants, ils fermeront l’oreille à la vérité pour ne la plus ouvrir qu’à de vaines fables et à des contes. »Ibid. 4. 3.

Il a paru dans Paris depuis quelques mois une Lettre ; où l’on entreprend de justifier la Comédie, qui est un divertissement fort au goût des gens du monde, et de la faire passer pour une chose bonne, honnête et permise.

Comme elle a scandalisé toutes les personnes de piété, beaucoup de Prédicateurs n’ont pu s’empêcher de témoigner publiquement leur indignation contre une entreprise si téméraire et si préjudiciable aux bonnes mœurs.

Leur zèle a été secondé en ce point par Messieurs les Curés de Paris Et l’on sait que douze d’entr’eux en firent leurs plaintes à Monsieur l’Official.

Monseigneur l’Archevêque de Paris ayant ensuite été informé du scandale que causait cette Lettre, obligea à un desaveu public et solemnel le P. Caffaro Religieux Théatin, qui passait dans tout Paris pour en être l’Auteur.

{p. 5}après une réparation si solemnelle du scandale causé par cette Lettre, je ne crus plus nécessaire ce présent Traité, qui avait été fait dès auparavant. Etant d’ailleurs très persuadé, que ceux qui desireraient s’instruire à fonds sur ce qui regarde la Comédie, pouvaient trouver dans l’excellent Livre de Monseigneur le Prince de Conti, et dans plusieurs autres écrits qui ont paru depuis sur ce sujet de quoi être pleinement satisfaits.

Mais comme les raisons contenues dans la Lettre, dont il s’agit ici, quoique frivoles et peu solides, sont néanmoins assez plausibles ; et que le nom fastueux de Théologien Illustre, non moins par sa qualité, que par son mérite, est capable d’imposer aux esprits faibles, et peu éclairés ; des personnes qui tiennent un rang assez considérable dans l’Eglise, ont jugé à propos de le donner au Public.

Car comme le Torrent qui entraîne tant de monde à la Comédie, est devenu en ce temps si impétueux, l’on ne saurait lui opposer trop de digues, pour tâcher d’en arrêter la violence autant qu’on le pourra.

Après que le démon s’est efforcé d’engager quelqu’un dans une voie dangereuse, toute son étude et son application va ensuite à lui aveugler et à lui corrompre encore {p. 6}l’esprit, afin que son égarement devienne alors irrémédiable.

L’on a déja fait à la vérité plusieurs excellents écrits sur le sujet de la Comédie, qui sont comme autant de flambeaux capables de dissiper les ténèbres de ceux qui aiment ce vain amusement ; mais comme les goûts des hommes sont différents, j’espère que celui-ci, ne laissera pas d’être utile, d’autant qu’il peut servir de Décision sur cette matière, puisqu’il est fondé sur l’Ecriture Sainte, les Conciles et les Pères de l’Eglise ; C’est pourquoi il y a tout lieu de croire que Dieu y répandra sa bénédiction.

{p. 7}

CHAPITRE I.
Condamnation de la Comédie par la sainte Ecriture, par les Conciles et par plusieurs raisons. §

Passages tirés de la sainte Ecriture. §

Il n’était nullement nécessaire que la sainte Ecriture apprit aux Serviteurs de Dieu, que les Comédies sont mauvaises, et qu’elles doivent être défendues ; puisque la seule lumière de la raison et le bon sens ont autrefois suffi aux païens pour le leur faire comprendre.

En effet, Rome n’a jamais été si sage, si sérieuse, et si tempérante, que durant les premiers siècles, où elle n’avait pas encore de Comédiens. Car ils n’y ont commencé à paraître, qu’après que les grandes victoires des Romains eurent apporté dans la ville le luxe, et la corruption, avec les richesses.

Mais quoique la Comédie ne soit pas condamnée dans la sainte Ecriture en termes aussi formels et aussi exprès, que nous voyons que l’adultère, l’idolatrie et l’homicide y sont condamnés, il ne faut pas laisser néanmoins de faire voir aux chrétiens, qu’elle fournit des principes d’où l’on tire sa condamnation par des conséquences qui sont justes et fort naturelles.

1. Passage. Tertullien rapporte ce verset du 1 Pseaume de David. Heureux est celui qui n’est pas allé à l’assemblée des méchants, et qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs, d’où il tire cette conséquence, que celui là est donc malheureux qui va à ces assemblées. « Infelix ergo qui in quodcumque concilium imptorum abierit, et in quacunque via peccatorum steterit. »

2. Passage, tiré du 4. ch. de l’Epitre de S. {p. 8}Paul aux Ephésiens : Ne donnez aucune prise sur vous au diable. Or c’est lui en donner, que d’aller dans un lieu où il y a autant de démons que d’hommes, « Tot illic Spiritus immundi, considunt, quot homines capit. »Tract. de Spec.

Ce qu’il prouve par ce qui arriva de son temps à une femme qui était à la Comédie. Car y ayant été possedée par le démon, et l’Exorciste lui ayant demandé, pourquoi il avait été si hardi que d’entrer ainsi dans le corps d’une chrétienne ? Le démon répondit : qu’il avait eu droit d’en user de la sorte ; puisqu’il l’avait trouvée dans un lieu qui lui appartenait.«  Justissime, siquidem in meo illum inveni. »

3. Passage. N’attristez point l’esprit saint de Dieu, dont vous avez été marqué comme d’un sceau, pour le jour de la rédemption. Or c’est l’attrister que de faire son plaisir d’un divertissement où Dieu est tant offensé, et auquel nous avons renoncé dans notre baptême.

4. Passage. Qu’on ne dise parmi vous aucunes impuretés ; qu’on n’y entende aucunes paroles déshonnêtes, folles et bouffonnes, qui ne conviennent point à la sainteté de votre vocation.

Mais que sont autre chose la plupart des Comédies d’aujourd’hui que de continuelles bouffonneries, qu’il n’est point permis à des chrétiens d’aller entendre ; puisqu’il ne leur est pas permis de les dire ; et qu’ils sont obligés d’avoir leurs oreilles aussi chastes que leurs bouches doivent être pures. « Cur liceat audire, quæ loqui non licet ? Cur quæ ore prolata coinquinant hominem ; hæ per aures admissa non videantur hominem communicare ? »Tert. de Spect. c. 5.

5. Passage. N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. Or tout ce qui est dans le monde n’est que concupiscence de la chair, et des yeux, etc.

{p. 9}Toute la concupiscence du siècle étant proscrite par ces paroles, il s’ensuit que les Spectacles qui y sont renfermés sont aussi condamnés,«  de Spectaculis pronuntiatur, cum concupiscentia sæculi damnatur ».Tert. de Spect. c. 5.

L’Auteur de la Lettre n’a-t-il pas bonne grâce de nous venir dire : « Lisez et relisez l’Ecriture, vous n’y trouverez pas de précepte formel et particulier contre la Comédie. »

Aussi cela n’est-il pas nécessaire : car nous voyons dans la sainte Ecriture que Dieu n’a pas laissé de punir très sévèrement ce qui n’était point défendu par la Loi en termes formels et précis : car, par exemple, la Loi ne défendait pas de ramasser de petits brins de bois le jour du Sabbat.Nu. 15. 3. Et néanmoins Dieu fit prévaloir sa sévérité à sa miséricorde, en commandant de faire lapider celui qui avait commis cette faute, afin de faire connaître à son peuple avec quel soin il devait éviter les choses qu’il lui avait interdites par sa Loi ; puisqu’il était même offencé, quand on y contrevenait en faisant des choses qui n’y étaient pas mêmes marquées précisément.

La Religion chrétienne a des principes fertiles, qui produisent une infinité de conséquences, soit pour les dispositions interieures, soit pour les devoirs exterieurs, et ces principes sont renfermés dans la sainte Ecriture, que Dieu nous recommande pour ce sujet de lire avec attention, Scrutamini Scripturas.

Passages tirés des Conciles. §

Les Pères de l’Eglise, qui supposent que les Séculiers, sont suffisamment occupés durant {p. 10}toute la semaine, chacun dans les exercices particuliers de sa vacation, se sont toujours contentés dans les Conciles de leur défendre seulement d’aller à la Comédie aux saints jours des Dimanches et des fêtes.

celui de Tours tenu en 1583. défend sous peine d’excommunication de représenter en ces jours aucunes comédies farces et autres semblables spectacles, opposés à la sainteté de la Religion « Comedias, ludos scenicos, et Theatrales et alia hujus generis irreligiosa Spectacula sub anathematis pæna prohibet sancta Synodus. »

Ce Concile rendant ensuite raison de son Ordonnance, dit : Qu’il est absurde que des chrétiens attirés par les plaisirs vains et trompeurs que le diable leur présente, soient empêchés d’assister au Service Divin ; et soient détournés de la prière, et de la prédication aux jours qui sont particulièrement destinés à se rendre Dieu propice.

Comme les Ecclésiastiques doivent instruire les peuples de leurs devoirs, et leur servir d’exemple en toutes choses ; c’est à eux que les Conciles s’adressent le plus souvent. C’est pourquoi nous voyons qu’ils leur ont tout à fait défendu les comédies, les bals et les danses.

Je ne m’arrêterai qu’à un de ceux qui ont été tenus à Paris, voici comme il parle au c. 38.

Il n’est pas bien séant, et il ne faut pas que les yeux des Prêtres du Seigneur soient souillés par de semblables spectacles, et que leurs esprits s’évaporent et se laissent aller aux bouffonneries quelles qu’elles soient, ou aux paroles déshonnêtes qui s’y disent. « Non decet aut fas est oculos Sacerdotum Domini hujusmodi Spectaculis fœdari aut mentem quibus libet scurilitatibus aut turpiloqiis ad inania rapi. »

Le Concile de Bordeaux tenu en 1582. et celui {p. 11}de Tours tenu en 1583. font les mêmes défenses, et se servent presque des mêmes paroles.

celui de Tours s’adressant aux Bénéficiers dit : Qu’ils doivent particulièrement s’éloigner des divertissements profanes des gens du monde, et éviter les pompes et les spectacles publics. « A mundi voluptatibus secedere, pompas et spectacula publica vitare. »

CHAPITRE II.
Excellentes raisons qui ont porté les Pères de l’Eglise à condamner les Comédies, et à les défendre aux Chrétiens. §

Si les Pères de l’Eglise ont invectivé si fortement contre les Comédies, ce n’a pas été seulement « à cause des excès criminels et immodérés qu’il y avait de leur temps »,p. 20. comme dit l’Auteur de la Lettre ; mais ç’a été pour plusieurs autres raisons tout à fait dignes d’eux.

En effet, ils étaient convaincus, qu’on ne peut se sauver si l’on ne devient disciple et imitateur de Jésus-Christ. Or l’on ne le devient qu’autant qu’on aime ses maximes, qu’on s’y attache, et qu’on en fait la règle de toute sa conduite : car Jésus-Christ étant la vérité essentielle, il doit aussi être la voie des Chrétiens sur la terre, pour devenir dans le Ciel leur vie, leur nourriture et leur tout.

Il ne faut donc pas s’étonner, si les Pères de l’Eglise ont autrefois condamné la Comédie, et si tant de prédicateurs, qui sont animés de leur esprit, emploient encore à présent, et leur zèle et leur éloquence pour la combattre comme eux ; c’est qu’ils la regardent comme un divertissement opposé à l’esprit du Christianisme, qui abat les forces de la vertu, qui attriste le saint Esprit, et qui réjouit le démon.

{p. 12}

PREMIERE RAISON.
La Comédie est entièrement opposée à l’esprit du Christianisme, et détruit les maximes fondamentales de la piété. §

Il y a deux sortes d’esprits dans chaque Chrétien.

Le premier, est son esprit naturel ; et le second est l’esprit de grâce.

L’esprit naturel est la lumière de la raison qui est commune à tous les hommes, et qui les conduit dans les actions ordinaires de la vie Civile.

L’esprit de grâce est celui que le Chrétien reçoit dans son baptême, et qui le fait agir par les principes de la foi.

C’est de lui que S. Paul parle ainsi. « Nous n’avons pas reçu l’Esprit du monde, mais l’esprit de Dieu ; afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits. »1. Cor. 2. 12.

Or cet esprit de grâce met d’ordinaire dans ceux qui ne l’éteignent pas par leur mauvaise vie, des dispositions toutes saintes, et il les fait agir tout autrement que les gens du monde : car comme ils vivent par l’esprit de Dieu, c’est aussi par lui qu’ils agissent ; « Si Spiritu vivimus Spiritu et ambulemus »,Ad Gal. 5. 25. dit S. Paul, leur vie est donc une continuelle pénitence, selon l’expression du Concile de Trente ;Ibidem v. 24. c’est une vie de crucifiement, comme parle saint Paul, ou bien enfin c’est une vie de mort à tous les faux plaisirs, et à tous les vains amusements du monde, « mortui estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo ».Ad Coloss. 3. 13.

Or la Comédie est entierement opposée à toutes ces saintes dispositions : car elle ne travaille {p. 13}qu’à étouffer dans ceux qui la fréquentent le souvenir et le regret de leurs péchés, afin qu’ils ne pensent qu’à se divertir, à rire et à passer agréablement leur temps. C’est pourquoi tandis qu’on les voit prendre tant de plaisir à répéter ces airs de l’Opéra.

« Que l’on chante,Dans Atys c. 51.
Que l’on danse ;
Rions tous lors qu’il le faut,
Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence.
On trouve bientôt la fin
Des jours de réjouissance,
L’on a beau chasser le chagrin
Il revient plutôt qu’on ne pense.
O douce vie
Digne d’envie.
Tendres amours enchantez nous toujours,
O jours heureux ! que l’on vous trouve courts. »

D’un autre côté les véritables Chrétiens s’entredisent les uns aux autres : allons nous prosterner devant la Majesté de celui qui nous a créés, et tachons de fléchir sa miséricorde. Car il est notre Seigneur et notre Dieu. Pour nous nous avons l’honneur d’être son peuple et les brebis de sa bergerie.

S. Augustin distribue tous les hommes en deux grandes Classes, il place dans l’une tous les citoyens de la Jérusalem céleste ; et dans l’autre il met ceux qu’il appelle les citoyens de Babylone.

Les premiers se regardent comme des étrangers {p. 14}sur la terre, et des Voyageurs, qui tendent sans cesse au Ciel, qui est leur patrie. C’est là où sont toutes leurs pensées, leurs désirs, et leurs affections ; parce que c’est là qu’est leur trésor. Ils souffrent avec patience toutes les misères et les incommodités de leur pèlerinage ; parce qu’ils savent qu’elles finiront bientôt ; et ils méprisent tous les faux plaisirs que le monde leur présente, parce qu’ils en attendent d’autres qui seront plus grands et plus durables.

Les Citoyens de Babylone au contraire ne songent qu’à se bien établir sur la terre eux et leurs enfants ; parce qu’ils la considèrent comme leur Patrie, et ne pensent nullement au Ciel. C’est pourquoi ils mettent leur félicité dans les Festins, les Comédies, et les Bals. Mais ils se trompent, puisque l’Evangile les menace de malheurs éternels : « Væ vobis, qui ridetis nunc, quia lugebitis et flebitis. » Lucæ 6. 25.

Si donc nous prétendons régner avec Jésus-Christ, il faut marcher sur ses pas, et se résoudre à embrasser la mortification. « Christo igitur in carne passo, et vos eadem cogitatione armamini. »1. Petri c. 4.

Or, comme dit Salvien, est-ce marcher sur ses pas que d’aller à la Comédie ? Est-ce là l’exemple que Jésus-Christ vous a laissé, lui qui n’a jamais ri, et que nous voyons dans l’Evangile avoir souvent pleuré. « Videlicet vestigia sequimini Christi in theatris ? tale vobis scilicet Christus reliquit exemplum, quem flevisse legimus ; risisse nunquam. »Salv. l. 6. de prov.

{p. 15}

II. RAISON.
Les Chrétiens qui ont renoncé aux plaisirs du siècle dans leur Baptême, deviennent des prévaricateurs, lorsqu’après cela ils vont à la Comédie, qui est comprise parmi ces plaisirs. §

En entrant dans le sacré lavoir du Baptême, dit Tertullien,Tertul. de spect c. 7. nous faisons profession d’embrasser la Religion Chrétienne conformément aux saintes Lois qui nous y sont prescrites ; et nous y témoignons que nous renonçons au diable, à ses Anges, et à ses pompes. Or après un renoncement si solemnel, nous ne devons plus avoir de part ni de commerce avec lui, ni par nos actions, ni par nos paroles, ni par nos regards. Autrement c’est repasser dans le Camp de notre ennemi ; c’est jeter en bas nos armes ; c’est quitter notre drapeau ; c’est renoncer au serment de fidélité que nous avons fait à notre Prince ; et enfin c’est se dévouer à une mort certaine et inévitable.

SalvienSalv. l. 6. de provid. ne parle pas avec moins de force que Tertullien. Car après avoir traité d’Apostats ceux qui vont à la Comédie, il continue de leur parler ainsi.

Dites-moi, je vous prie, quelle est la protestation que vous avez faite en votre Baptême ? N’est-ce pas celle-ci. Que vous renonciez au diable, à ses œuvres, à ses pompes, et à ses spectacles ? Les pompes et les spectacles sont donc les armes du diable, suivant la profession que vous faites en votre Baptême. Aller donc après cela à la Comédie, c’est renouer les chaînes que Jésus-Christ avait brisées, {p. 16}et c’est rentrer, à l’égard du diable, dans une nouvelle servitude, toute libre et toute volontaire. Et si cela est ainsi, où est donc votre Christianisme ? Hé quoi, n’avons-nous reçu le Sacrement de salut, que pour nous rendre plus coupables, et pour nous souiller bien davantage que nous ne l’étions, par une prévarication tout à fait criminelle ? Que dirons-nous devant Dieu pour nous justifier contre les Païens ? Ils sont sans doute bien moins coupables que nous, lorsqu’ils vont aux spectacles. Car ils ne sont pas les violateurs d’un Sacrement, ni les transgresseurs d’une promesse si solemnellement donnée.

Quel outrage est-ce faire à Dieu, dit Tertullien,Tertul. de pœnit. c. 5. lorsqu’après avoir renoncé au diable, qui est notre ennemi mortel, nous redevenons sa joie et son trophée ; et lorsque nous sommes cause que cet esprit malin triomphe en quelque façon de lui, après avoir recouvré sa proie qu’il avait perdue.

Cela suffirait pour faire rentrer dans eux-mêmes les amateurs de ce profane divertissement ; mais je les prie d’écouter encore de quelle manière S. Augustin parle aux Catéchumènes sur le même sujet.Aug. de Symb. ad Cathecum. c. 1.

Mes chers frères, vous avez fait profession publique de renoncer au démon et à toutes ses pompes : vous y avez, dis-je, renoncé non seulement en présence des hommes, mais aussi devant les Anges, qui ont eux-mêmes écrit les paroles que vous avez prononcées. Renoncez-y donc sincèrement, et non seulement de bouche, mais aussi par vos actions et par toute votre conduite. Faites en sorte qu’après un renoncement si solemnel et si public, il ne retrouve plus en vous ses œuvres ; et qu’il ne vous r’engage plus sous sa tyrannie. Car vous serez {p. 17}chargés d’une horrible confusion, si vous menez une vie qui n’ait point de rapport à la sainteté de la profession que vous avez embrassée, si portant le nom de fidèles, vous n’en faites point les actions, et si vous ne gardez point la foi que vous avez donnée à Dieu. Ne vous trompez pas, il a en horreur tous ceux qui prennent encore quelque part aux pompes auxquelles ils ont renoncé dans leur Baptême : Et il ne met pas au nombre de ses enfants ceux qui prennent plaisir de s’écarter des voies qu’il leur a tracées.

III. RAISON.
En quelque état que les Chrétiens se considèrent devant Dieu, ils ne doivent pas aller à la Comédie. §

Les Chrétiens ne peuvent se regarder devant Dieu qu’en deux manières ; ou comme innocents ou comme criminels. Comme innocents, si par sa miséricorde ils ont conservé la grâce qu’ils avaient reçue dans leur Baptême ; ou comme criminels, s’ils l’ont perdue par quelque péché mortel.

Il est rare, dans l’horrible corruption où est à présent le monde, de trouver des personnes qui aient conservé leur grâce baptismale. Mais supposé qu’il s’en trouve, je dis qu’en ce cas, ces personnes ne doivent pas aller à la Comédie, parce qu’ils sont obligés de prendre toutes les précautions possibles pour conserver un trésor aussi précieux qu’est cette grâce, et qu’il y a un danger évident de la perdre en y allant.

En effet, les 24. Evêques qui ont approuvé {p. 18}le Rituel d’Alet, sont par conséquent dans cette maxime, qui y est contenue : qu’il faut ou différer, ou refuser entièrement l’absolution à la plupart de ceux qui vont à la Comédie, à cause du péril évident d’offenser Dieu, et par mauvais désirs, pensées sales, regards lascifs, etc. auxquels ils s’exposent.

Saint Clément d’Alexandrie témoigne que le mélange des hommes et des femmes, qui ne viennent en ce lieu que pour s’entreregarder, et qui se parent à ce dessein, donne occasion à une infinité de péchés. Car il est bien difficile après cela d’effacer de son esprit l’idée que le diable en imprime dans le cœur. « Species forma cordi per oculos semel illigata vix magni luctaminis manu solvitur », dit S. Gregoire, l. 21. mor. c. 2.

Que si une femme négligemment parée, et qui ne fait que passer par une rue, ne laisse pas souvent de blesser celui qui la regarde, dit saint Chrysostome,Chrys. Hom 3. de Davide. que doit-on dire de ceux qui abandonnent l’Eglise par un mépris injurieux, pour aller à la Comédie ? Car ils ne regardent pas une Comédienne par hasard et en passant ; mais ils y vont exprès pour la regarder. Auront-ils l’impudence de dire qu’ils ne la regardent pas avec un mauvais dessein, lorsque leur voix, leurs gestes étudiés, et la douceur de leur chant les porte à la volupté ?

Hé quoi, dit encore S. Chrysostome,Chrys. Enarr. in Psal. 5. vous vous persuadez qu’allant voir une Comédienne jouer sur un Théâtre, votre âme n’en reçoive aucune blessure ? Est-ce donc que vous êtes aussi insensibles que le marbre, et aussi dur que le fer ; Vous vous allez jeter au milieu d’un feu, et vous vous flattez de cette ridicule pensée, que vous en pourrez souffrir les ardeurs, sans qu’ils fassent la moindre impression sur {p. 19}vous ? Y eut-il jamais une présomption plus téméraire et plus mal fondée que celle-là ? Que si la Mère des vivants est tombée dans la mort du péché, pour n’avoir pas su garder ses yeux dans le Paradis terrestre, dit un grand Pape,Greg. l. 21. mor. c. 2. combien nous autres qui habitons dans la région de mort, et qui n’avons pas à beaucoup près la force et la vertu qu’avait Eve, devons-nous être bien davantage sur nos gardes, et plus retenus par la triste expérience que nous faisons tous les jours de notre faiblesse ?

Nous devons donc faire une continuelle et sérieuse réflexion sur cette excellente vérité, que le même Pape nous enseigne encore au même endroit ; à savoir que les Chrétiens sont obligés à une pureté incomparablement plus grande que n’a été celle des Juifs.

La loi de Moïse, dit ce grand Pape,Ibidem. n’ordonnait aux Juifs que la pureté extérieure du corps, au lieu que l’Evangile engage les Chrétiens à la pureté interieure de l’âme. C’est pourquoi Jésus-Christ dit, que quiconque regardera une femme avec un mauvais désir, il a déja commis l’adultère dans son cœur. Dieu nous donne aussi de salutaires avis dans la sainte Ecriture,Eccles. c. 9. 8. de détourner nos yeux d’une femme bien parée, et de ne pas regarder une fille en face, de peur que sa beauté ne nous soit un sujet de scandale et de chûte, comme cela est arrivé à plusieurs ;Ibidem. parce que les femmes sont le piège dont le diable se sert souvent pour perdre les hommes.Eccles. c. 9.

Cependant, ce qui est digne de larmes, dit le Cardinal Bellarmin,Bellar. l. 2. de gemitu columba, c. 12. c’est que ce piège non seulement n’est pas évité, sinon par un très petit nombre de personnes sages et éclairées : mais au contraire, il est recherché avec grand {p. 20}soin. Jésus-Christ crie dans l’Evangile, que quiconque regardera une femme pour la convoiter, il a déja commis le péché dans son cœur. Il crie ; Si votre œil vous scandalise, arrachez-le, et jetez-le bien loin de vous. Et néanmoins un Chrétien, soit qu’il n’ajoute point de foi aux paroles de Jésus-Christ même, soit qu’il les méprise, n’apperçoit aucun beau visage, sur lequel il n’arrête ses yeux. Bien plus, il va même aux lieux où il espère de trouver ces filets tendus.

Il est donc indubitable qu’un Chrétien qui a conservé son innocence baptismale, ne doit aller ni à la Comédie, ni a l’Opéra, parce qu’il ne doit nullement s’exposer au danger d’offenser Dieu.

Mais s’il est déchu de cet état d’innocence, s’il a violé par quelque peché mortel l’alliance sainte qu’il avait contractée avec Dieu ; et s’il ne peut se regarder devant lui que comme un criminel, certes il doit bien moins aller à la Comédie, s’il veut tâcher de recouvrer la grâce qu’il a perdue : « Cohibeat se à spectaculis, qui perfectam vult consequi gratiam remissionis », dit S. Augustin, de vera et falsa pœnit. c. 15.

En effet, un véritable pénitent se doit toujours regarder devant Dieu comme un criminel, qui craint que l’heure de sa mort, qui est toujours incertaine, n’arrive bientôt, et que son Juge irrité ne le livre aux démons, qui sont les Exécuteurs ordinaires de sa Justice : c’est pourquoi il doit employer tout le temps qui lui reste de sa vie à gémir, pour tâcher de fléchir son Juge par ses gémissements, et d’obtenir le pardon de ses péchés. C’est ce que faisait David, comme il nous l’apprend lui-même. Mes yeux, dit-il, jettent des torrents de larmes ; parce que, mon Dieu, je n’ai pas {p. 21}observé votre sainte Loi : « Exitus aquarum deduxerunt oculi mei ; quia non custodierunt legem tuam. »

Au lieu donc de rire, ou de prendre plaisir à voir rire les autres, un véritable Pénitent n’est continuellement occupé que de la pensée de son malheur, et de la vue des peines qui lui sont préparées. C’est ce qui fait ainsi parler un Prophète de la part de Dieu. Ne soyez pas dans la joie, ô Israël, et ne faites pas retentir des cris d’allégresse, parce que vous avez péché contre votre Dieu : « Noli latari Israël, noli exultare, sicut populi, quia fornicatus es à Deo tuo. » Osée c.

Ainsi c’est une étrange illusion, que de s’imaginer que le plaisir de la Comédie puisse être compatible avec les gémissements et les pleurs dans lesquels un pénitent doit passer sa vie. Un Chrétien se distingue de l’Infidèle, en ce qu’il ne met sa joie qu’en Dieu ; et le pécheur converti doit se distinguer de celui qui a conservé son innocence, en ce qu’il se prive des plaisirs même légitimes et permis, pour venger en lui ses joies déréglées, et ses plaisirs criminels.

IV. RAISON.
Les Chrétiens ne doivent point perdre les moindres moments du temps qui leur est donné fort court, et seulement pour faire pénitence. §

Il faut supposer ici une vérité qui est incontestable ; à savoir, que les Chrétiens durant toute leur vie sont des Voyageurs, qui doivent s’avancer incessamment vers leur véritable {p. 22}patrie, qui est le Ciel, et que Dieu leur a donné le temps, comme un moyen nécessaire pour y pouvoir arriver. Cela supposé, je dis

1. Que le temps n’est pas à eux, mais a Jésus-Christ, qui le leur a mérité par l’effusion de son Sang, comme une grâce. Ainsi comme il ne leur en donne que l’usage, ils lui doivent rendre compte du moindre moment de ce temps, comme l’Evangile assure qu’on rendra compte des moindres paroles oiseuses.

2. Ce temps est fort court. Et comme plusieurs en font un mauvais emploi, S. Paul exhorte les Chrétiens à le racheter en multipliant leurs bonnes œuvres : « Redimentes tempus, quoniam dies mali sunt. »Ephes. 5. 16.

3. Il ne nous est pas libre de disposer de ce temps comme il nous plait. Car Dieu ne nous le donne que pour faire son œuvre ; c’est à dire, pour travailler à notre salut, en faisant dans notre condition tout le bien que nous devons faire. « Dum tempus habemus operemur bonum »,Hebr. 6. 10. dit S. Paul.

« Marchez pendant que vous avez la lumière,Joan. 12. 35. dit S. Jean, de peur que les ténèbres ne vous surprennent. »

Ainsi chacun se doit dire ce que Jésus-Christ disait lui-même, tandis qu’il était sur la terre : « Il faut que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé, tandis qu’il est jour (durant ma vie) car la nuit (c’est-à-dire, la mort) viendra, dans laquelle personne ne peut plus agir. »Joan. 9. 4.

4. Le temps ne nous a pas été donné pour le passer dans une honteuse fainéantise ; et bien moins encore pour l’employer aux Jeux et aux divertissements défendus mais Dieu nous marque dans l’Apocalypse qu’il ne nous l’a donné que pour faire pénitence : « Dedi illi tempus ut {p. 23}pœnitentiam ageret. »Apoc. 2. 11. après quoi il menace ceux qui en abuseront de la leur ôter : « Et juravit per viventem in sæcula sæculorum, quia tempus non erit amplius » ;Ibid. 10. 6. car après la mort tout sera éternel.

Gémissez donc du mauvais emploi que vous faites du temps, dit saint Chrysostome,Chrys. Hom. 57. in c. 7. Ioan. Dieu ne vous a donné la vie, qu’afin que vous le serviez. Et employant ce temps en des choses tout-à-fait vaines et inutiles, vous me venez dire après cela, quel mal ai-je fait ? qu’ai-je perdu ?

Si vous aviez dépensé mal à propos quelque petite somme d’argent, vous appelleriez cela une perte : et en employant des demies journées à voir les pompes du diable, vous ne croyez pas avoir fait de mal ? Vous ne savez donc pas qu’il vaut mieux perdre toute autre chose que le temps ? car si vous perdez de l’or, il se peut recouvrer : mais il est bien difficile de recouvrer le temps perdu ; on nous le donne fort court durant la vie, et si nous ne l’employons en des choses absolument nécessaires, que dirons-nous pour nous excuser, quand nous comparaîtrons devant Dieu ?

V. RAISON.
Les Chrétiens ne doivent pas aimer un divertissement dont ils savent que le Diable est l’auteur, ni aller dans un lieu où Dieu est si offencé. §

Le diable prévoyant combien les Comédies devaient lui être avantageuses, dit Tertullien,Tert. de spect. c. 2. en inspira aux Romains l’invention, parce qu’il savait combien elles devaient les pervertir. {p. 24}Tu es donc obligé, ô Chrétien, d’avoir en aversion une chose dont tu ne peux t’empêcher de haïr l’Auteur, dit Tertullien : car, que peut-il y avoir de commun entre la lumière et les ténèbres, et entre la vie et la mort ? « Oderis, Christiane, quorum authores non potes non odisse : quid luci cum tenebris ? quid vitæ et morti ? »

Saint Augustin fait aussi les démons inventeurs des Comédies, lesquelles il appelle pour ce sujet, « Conficta delectamenta damonum noxiorum ». Voici la manière dont elles commencèrent à s’établir dans Rome, selon ce que nous en dit T. Live.T. Liv. l. 7.

Une horrible peste ravageant toute la Ville, dit-il, les habitants après avoir inutilement employé toutes sortes de remèdes, et s’avisèrent enfin d’instituer les Jeux Scéniques, croyant apaiser par là leurs Dieux, c’est-à-dire, les démons, « omnes Dit gentium dæmonia ».

Ce furent eux, sans doute, dit saint Augustin, qui inspirèrent cette pensée aux Romains, afin de faire succéder à une peste qui faisait seulement mourir les corps, une corruption bien plus pernicieuse aux bonnes mœurs, et qui allait à tuer les âmes.

Tous les Chrétiens ensemble ne font qu’un corps, dont Jésus-Christ est le chef, et le saint Esprit l’âme. Peut-on donc s’imaginer que cet esprit conduise jamais à la Comédie un Chrétien qui est l’enfant de Dieu ?

Un enfant qui aime son père, prendrait-il plaisir à le voir déshonorer ? Une femme qui aime son mari, irait-elle volontiers dans un lieu où elle prévoit qu’on lui fera des insultes et des outrages ? il n’y a point d’apparence, ce ne serait pas l’aimer.

Or Dieu est le véritable père des Chrétiens ; Jésus-Christ est l’époux de leurs âmes, et on les {p. 25}voit cependant aller à la Comédie, où ils savent que ce Père des Chrétiens, et que cet Epoux de leurs âmes est offensé en cent manières.

Les Anges regardent du haut du Ciel qui sont ceux, non seulement qui disent des impuretés et de mauvaises paroles, dit Tertullien,Tert. de spect. c. 27. mais aussi qui sont ceux qui les écoutent avec plaisir : ils regardent, dis je, qui sont ceux qui ont prêté ou leurs langues ou leurs oreilles pour offenser un Dieu qui doit être leur Juge, et cependant l’on va sans crainte à la Comédie.

Ce n’est pas assez de ne pas faire soi-même du mal, puisqu’on se rend coupable de celui que font les autres, lorsqu’on leur applaudit, qu’on les loue, qu’on les favorise, et que l’on approuve ce qu’ils font par sa présence, « Nobis satis non est si ipsi nihil tale faciamus, nisi et tale facientibus non conferamus, » dit Tertullien.

VI. RAISON.
Il est honteux à des Chrétiens d’aimer un divertissement, pour lequel les Païens mêmes n’ont eu autrefois que du mépris. §

La conduite des Chrétiens devrait être aussi élevée au-dessus de celle des plus honnêtes Païens, que le Ciel l’est au dessus de la terre. Que sera-ce donc si l’on voit souvent qu’elle n’en approche pas ? Il faut donc qu’ils fassent ici la leçon à ces demi Chrétiens qui se glorifient de ce nom, qui sera le sujet de leur condamnation.

Nous apprenons de Plutarque dans le traité qu’il a fait des Coutumes de Lacédémone, qu’on ne jouait dans cette Ville ni Comédie ni Tragédie, {p. 26}pour ne rien faire contre les lois, non pas même en se jouant.

Les Romains n’ont eu aucuns spectacles durant près de six cents ans, et ils ne furent recherchés par le peuple, qu’après que leurs richesses et leur luxe leur eurent entièrement corrompu l’esprit.

Ils devinrent après cela tout effeminés et tout voluptueux, car ils ne recherchaient plus, dit Sénèque, qu’à satisfaire l’ouïe par la douceur d’une agréable mélodie, leurs yeux par la beauté des spectacles ; et leur goût par les viandes les plus exquises, « Aures vocum sono, spectaculis oculos, et saporibus palatum suum delectabantur. »Sen. de Beat. vita c. 10. La passion que le peuple avait pour les spectacles devint ensuite furieuse. Juvenal s’en raille ainsi.

« Qui dabat olim
Imperium, fasces, regiones, omnia ; nunc se
Continet, atque duas tantum res anxius optat ;
Panem et Circenses », dit Juvenal Satyre 10.

Et c’est ce qui a fait dire à Pétrarque,Petr. Dial. 30 que cette Ville qui a eu tant d’excellents hommes qui ont été des modèles de vertus, n’a rien eu de plus digne de censure, que cet amour excessif pour les spectacles : « Urbs illa alioquin abundantissima bonorum omnium atque illustrium exemplorum, nihil omnino reprehensibilius habuit, quam ludorum studium immodicum. » Voilà quels ont été ceux d’entre le peuple qui se laissaient emporter par le torrent de la coutume.

Mais les esprits les mieux faits n’étaient pas susceptibles de ces bassesses ;L. 7. Ep. 5. ad marcum. ainsi nous voyons que Cicéron félicite un de ses amis dans une de ses lettres, de n’avoir pas eu la curiosité d’aller voir des spectacles que le peuple, dit-il, admire {p. 27}sans sujet ; et il lui témoigne qu’il est dans la même disposition que lui : « Magnam voluptatem capio, quod hac voluptate non capior. »Ad famil. l. 9. epist. 6.

En effet, dit-il ailleurs, ce n’est pas pour nous divertir que l’Auteur de la nature nous a mis au monde ;L. 1. Offic. mais ça été sans doute pour nous appliquer à des occupations plus graves et plus sérieuses.

TaciteTac. l. 4. Ann. c. 8. rapporte dans ses Annales les plaintes que faisaient les plus sages d’entre les Romains, lorsqu’on alla chercher des Comédiens jusqu’en Grèce pour les amener à Rome.

L’on va achever de ruiner, disaient-ils, ce qui nous reste encore des bonnes mœurs de nos ancêtres, qui se sont peu à peu si fort altérées. Et si jusqu’ici nous avons eu tant de peine à conserver un peu de pudeur, de modestie et de retenue, par des exercices honnêtes ; comment sera-t-il possible de le faire dorénavant parmi tant de pièges dont ces vertus seront attaquées ? « Vix artibus honestis pudor retinetur, nedum inter certamina vitiorum pudicitia, modestia, aut quidquam boni moris retinebitur. »

Nous voyons dans Pline le jeune,Plin. Jun. l. 7 Epist. 24. qu’une Dame Romaine appelée Quadratilla qui entretenait des farceurs pour se divertir, ne les faisait jamais jouer en présence de son petit-fils.

« Pantomimos ( Quadratus) non in theatro, nec domi spectabat », et elle avait tant de respect pour la tendresse de son âge, qu’elle le renvoyait étudier, quand elle les faisait venir en sa présence « Abiret, studetetque ; quod mihi non amore magis facere, quam reverentia videbatur. »

Nous apprenons de Valère Maxime,Val. Max. l. 2. de Massil. qu’on ne souffrait pas autrefois qu’il entrât aucuns Comédiens dans la ville de Marseille, de peur que le peuple s’accoutumant peu à peu à leur {p. 28}voir représenter leurs pièces, ne se licentiât insensiblement à en faire aussi les actions.

Il témoigne qu’un certain SemproniusVal. Max. l. 6. c. 3. répudia même sa femme pour cette seule raison, quelle avait été aux spectacles à son insu.

SénèqueSen. ep. 7. témoigne que les spectacles faisaient une si forte impression sur son esprit, que quand il y allait, il en revenait toujours chez lui plus porté à l’avarice, à l’ambition, et à la dureté. Si donc les Païens n’ont eu que du mépris pour les spectacles, que doit-on dire des Chrétiens, qui les aiment et les recherchent ? Ne font-ils donc profession d’une Religion si sainte, que pour la déshonorer par une conduite si basse et si indigne d’eux, et pour désobéir à l’Eglise, qui leur défend si expressément cette sorte d’amusement.

CHAPITRE II [bis]I.
De la Comédie considerée dans elle-même, et dans sa nature. §

Si on peut la mettre au nombre des choses indifférentes. §

Paroles de l’Auteur de la lettre.

« Jep. 20. dis que selon moi, les Comédies de leur nature, et prises en elles-mêmes indépendamment de toute circonstance, bonne ou mauvaise, doivent être mises au nombre des choses indifférentes. »

Réponse.

C’est un excellent principe de Tertullien,Tert. de spect. c. 2. que ce qui est bon et mauvais en soi, ne peut changer de nature ; puisque tout est fixe et certain à l’égard de la vérité de Dieu : « Non potest esse aliud {p. 29}quod verè bonum est, et malum, omnia penes Dei veritatem fixa sunt. »

Supposé ce principe, il faut considérer ce que c’est que la Comédie, car si tout ce qui est renfermé, et qui constitue sa nature est bon ; il faudra dire qu’elle est bonne. Et si au contraire tout y est mauvais, on se verra aussi obligé de dire qu’elle est mauvaise et qu’elle ne peut être indifférente. Je dis donc premièrement que la Comédie n’est pas une chimère ni une idée purement métaphysique ; et cela étant, c’est une vision qu’on puisse, selon la pensée du Théologien, la considérer indépendamment de toutes circonstances, bonnes ou mauvaises.

Je dis en second lieu, que la Comédie est une espèce d’action morale qui renferme en soi.

1. Les Comédiens qui la représentent.

2. Le but où elle tend d’elle-même.

3. La fin que les Comédiens et ceux qui les vont ouïr se proposent.

4. Les effets qu’elle produit d’ordinaire.

5. Les temps auxquels elle se joue.

Voilà comme il faut considérer la Comédie, et ce qui en constitue la nature.

Si donc tout cela est bon et honnête, l’on a droit de dire que la Comédie est telle ; c’est ce qu’il faut voir en détail.

ARTICLE I.
Des Comédiens et de plusieurs choses qui les regardent. §

§. I.
Si on doit leur donner le nom d’honnêtes gens ?

L’Auteur de la lettre, qui est sans doute un des grands amis qu’aient jamais eu les Comédiens, {p. 30}fait de grands efforts pour persuader au monde que ce sont d’honnêtes gens. Voici comme il en parle.

« C’estp. 35. une erreur aussi grossière que ridicule, de croire les Comédiens moins honnêtes gens que d’autres, suppose leur conduite aussi exempte de blâme que leur profession. »

« Lap. 34. Comédie étant devenue toute honnête, ceux qui la représentent et qui vivent honnêtement d’ailleurs, doivent sans difficulté être mis au nombre des honnêtes gens. »

« Ceuxp. 57. qui jouent la Comédie sont d’honnêtes gens, qui se sont destinés à cet emploi, et qui s’en acquittent sans scandale, et avec toute sorte de bienséance. »

Réponse.

C’est une erreur tout à fait grossière et ridicule de croire et de vouloir faire croire aux autres que des gens qui ont toujours été et qui sont encore présentement excommuniés par l’Eglise, qui ont toujours été déclarés infâmes par les lois civiles, et qui le sont encore à présent ; que des gens enfin qui ont toujours été et qui sont encore exclus de toutes sortes de charges, d’emplois et d’honneurs civils, et comme bannis de la société des hommes, doivent passer pour d’honnêtes gens, et que leur profession doive être estimée honnête.

L’excommunication et l’infamie sont des peines qui n’ont jamais été infligées que pour des péchés énormes. Il faut donc que les Evêques et les Magistrats aient de tout temps été convaincus que la profession de Comédien est bien déshonorable et bien criminelle, puisqu’ils ont toujours flêtri ceux qui l’exercent d’un opprobre si honteux. Ils n’ont donc pas cru que le nom d’honnêtes gens leur put convenir.

« Anathema est æternæ mortis damnatio, et {p. 31}non nisi pro mortali debet imponi crimine illi, qui aliter non potuerit corrigi »,Conc. Melod. c. 96. dit le Concile de Melun.

Mais qu’entend ce faiseur de lettre par le nom d’honnêtes gens, dont il honore les Comédiens ?

Veut-il dire que ce sont des gens d’une conversation agréable, qui reçoivent bien leurs amis, et qui passent doucement leur temps, sans souci et sans chagrin ? Veut-il dire que ce sont des gens tels que sont ceux dont Horace nous fait la peinture, qui menaient à la vérité une vie païenne, mais couverte néanmoins d’un extérieur innocent, et qui n’avait rien qui pût blesser le monde.

Sont-ce là les gens qu’il dit vivre si honnêtement ? appelle-t-il vivre honnêtement employer son esprit et mettre tout son temps et sa peine aux jours mêmes qui sont consacrés au service divin, à apprendre son rôlet, à compasser ses pas, et à étudier ses gestes, ses postures et son ton de voix, pour s’imprimer dans le cœur les passions qu’ils veulent faire ressentir à leurs spectateurs ? Hé quoi offencer Dieu en s’entretenant sans cesse de passions criminelles, et en travaillant à les exciter dans les autres, scandaliser l’Eglise, et procurer la damnation de ceux qui leur donnent le moyen de faire quelque figure dans le monde ? Est-ce là ce qu’il appelle vivre honnêtement ? certes c’est un langage tout-à-fait nouveau.

{p. 32}

§. II.
Si l’on peut dire des Comédiens, que ce sont de véritables Chrétiens et des Saints.

Paroles de l’Auteur de la lettre.

« Lesp. 52. Comédiens joignent à leur devoir d’honnêtes gens celui de véritables Chrétiens. »

« J’enp. 57. ai confessé et connu assez particulièrement qui hors du théâtre et dans leur famille menaient la vie du monde la plus exemplaire, faisaient des aumônes, etc. »

Réponse.

Est-ce un Religieux, est-ce un Prêtre et un Professeur en Théologie, qui parle et qui nous donne une telle idée des Chrétiens ?

L’amour que Dieu a eu de toute éternité pour eux, a été jusqu’à vouloir, non pas qu’ils fussent seulement appellés ses enfants ; mais qu’ils le fussent en effet. « Ut filii Dei nominemur et simus. »Joan. 3.

Comme donc le Fils de Dieu engendré du Père Eternel a paru durant toute sa vie l’image vivante de son Père : il faut de même que les Chrétiens qui sont nés de Dieu par J.C. fassent paraître dans toutes leurs actions l’image de la vie de J.C. que Dieu leur a donné pour modèle.

Il faut qu’ils soient toujours animés et conduits par son esprit : « Qui spiritu Dei aguntur, hi sunt Filii Dei. » Il faut donc que comme ses enfants, ses disciples et ses imitateurs, ils étudient la volonté de leur Père céleste et qu’ils en fassent la règle inviolable de toutes leurs actions.

Or de bonne foi, a-t-on lieu de dire cela des Comédiens ? Toute leur vie est-elle conforme à {p. 33}l’Evangile de J.C. Ne recherchent-ils en tout ce qu’ils font que l’honneur et la gloire de Dieu ? Hélas, nullement, on peut au contraire leur appliquer avec justice ce que J.C. dit aux Juifs. Vous êtes les véritables enfants du diable, vous agissez par son esprit, vous suivez ses inclinations et ses désirs, et vous ne travaillez qu’à faire réussir ses desseins : « Vos ex patre diabolo estis et desideria patris vestri vultis perficere. »Joan. 8. 44.

Jésus-Christ a donné jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour laver les âmes de ses Elus de toutes leurs souillures, et pour procurer leur salut ; et vous vous donnez toutes vos sueurs et vos peines pour les souiller de plus en plus, et pour procurer leur damnation.

Jésus-Christ n’a travaillé durant toute sa vie qu’à établir le Royaume du Ciel, et vous vous ne vous occupez qu’à le détruire : que vous dirai-je de plus, vous devenez les profanateurs du Temple de Dieu dans autant d’âmes qu’il y en a, dans lesquelles vous tâchez, ou d’exciter des passions criminelles, ou de les réveiller, et de les fortifier.

C’est un commandement de Dieu qui regarde généralement tous les Chrétiens, de travailler à leur propre sanctification : « Hæc est voluntas Dei sanctificatio vestra. »Thess. 4. Les Comédiens en ont-ils jamais eu le moindre dessein ? et demeureraient-ils dans un emploi qui est condamné par l’Eglise, s’ils avaient une telle pensée ?

Jésus-Christ ayant acquis avec justice sur tous les Chrétiens le droit d’être le principe et la fin de toutes leurs actions, en qualité de leur Créateur et de leur Rédempteur ; est-il jamais venu en l’esprit à un Comédien en montant sur le théâtre, de dire : C’est pour plaire {p. 34}à Dieu que je vais faire cette action.

Un Chrétien est aussi obligé de procurer en toutes choses le salut de son prochain : « Unicuique mandavit Deus de proximo suo. » Mais un Comédien peut-il dire qu’il a cela en vue ?

Enfin la vie d’un Chrétien est, selon l’Evangile, une vie de mortification, d’insensibilité, et de mort à tous les vains plaisirs et les fausses joies du monde.Ad Coloss. 3. 3.

Et au contraire la vie des Comédiens est une vie molle et sensuelle, une vie de gens qui ne cherchent qu’a se procurer des commodités temporelles ; qui n’aiment qu’à se divertir, qu’à rire, et à faire rire les autres. Ils ne remplissent donc aucunement l’idée qu’on doit avoir d’un véritable Chrétien.

« Mais,P. 52. me direz-vous, est-ce que ces gens-là ne vont pas à l’Eglise, et ne fréquentent-ils pas les Sacrements, occupations toutes saintes, et les plus sérieuses ; ou plutôt les seules sérieuses, qu’on puisse avoir dans la vie ? Nous lisons dans la vie des Saints Pères du désert, qu’il fut un jour révélé à S. Paphnuce, qu’il n’aurait pas en l’autre vie un plus haut degré de gloire, qu’un certain Comédien. »

Réponse.

Comme les Comédiens sont excommuniés et retranchés du corps de l’Eglise, ils ne sont plus de l’Eglise.Joan. 15. 6. Ils ne sont plus animés du S. Esprit, qui la vivifie ; ils n’ont plus aucune part a ses prières : mais ils sont comme des sarments desséchés, qui ne tiennent plus au cep, qui n’en reçoivent plus le suc et la sève ; et ainsi ils ne sont plus bons qu’à être jetés au feu, comme nous dit l’Evangile.

Ils peuvent donc bien surprendre les Prêtres (qui ne les connaissent pas pour tels qu’ils sont) {p. 35}et ainsi ils peuvent ouïr la Messe, et même fréquenter les Sacrements : mais n’ayant pas la véritable piété dans le cœur, et ne la pouvant avoir, tandis qu’ils persisteront dans cet emploi, qui est condamné par l’Eglise, toutes les actions qu’ils font par une piété apparente, ne peuvent plaire à Dieu. Il ne se contente pas d’un culte extérieur, et tout Judaïque ; « mais il veut être servi en esprit, et en vérité. Ce sont là les adorateurs qu’il cherche »,Joan. 4. 23. comme parle S. Jean. « Tous ceux qui diront, Seigneur, Seigneur, n’entreront pas pour cela dans le Royaume du Ciel : mais ceux là seuls y entreront qui feront la volonté de mon Père qui est dans le Ciel. »Matth. 7. 2.

Il s’ensuit donc qu’on ne peut appeler les Comédiens de véritables Chrétiens.

§. III.
Les Comédiens ont toujours été excommuniés par l’Eglise, et ils le sont encore à présent.

On voit dans les anciens Canons que ceux qui conduisaient les Chariots dans le Cirque, et les bouffons qui représentaient par leurs gestes ce qui était exprimé par les vers des Comédiens, étaient obligés de renoncer à ces métiers en se faisant Chrétiens.

Cependant conduire un chariot pour le faire courir plus vite que les autres (qui était ce qui se faisait dans les spectacles du Cirque, et où il y avait de l’adresse de l’esprit et du corps) était une chose bien plus innocente, que de réciter des Vers, et de représenter des passions souvent mauvaises, et qui peuvent porter au péché.

Le Concile d’ElvireConcil. Eliberit c. 32. tenu en 303. ordonne {p. 36}que si un de ces conducteurs de chariots, ou de ces gesticulateurs veulent embrasser la Foi, ils renoncent à leur métier avant qu’on les reçoive, et promettent de ne l’exercer jamais. Et si après cela ils viennent à y retourner, ce Concile veut qu’on les chasse de l’Eglise.

Il défend aussi aux Chrétiennes d’épouser des Comédiens, ou autres gens de Théâtre, sous peine d’être retranchés de la Communion de l’Eglise.

Le premier Concile d’ArlesConcil. Arel. tenu en 314. ordonne que les Chrétiens qui sont Cochers du Cirque, ou Comédiens, soient séparés de la Communion tandis qu’ils exerceront ce métier.

La raison que ces Conciles ont eue d’en user ainsi a été, que ç’aurait été traiter avec mépris, et faire injure à la dignité de cet adorable Sacrement, que d’admettre à la participation des saints Mystères ces personnes qui s’en rendaient indignes.

L’Eglise ne s’est point relâchée en ce temps de cette apparente sévérité avec laquelle elle a autrefois traité les Comédiens.

Car le Rituel de ParisRitu. Paris, Franc. de Gondi ad ann. 1646. chez Targa. p. 113. défend expressément de leur administrer le saint Viatique, comme en étant indignes. « Cavendum imprimis ne sacra communio ad indignos cum aliorum scandalo deferatur. Quales sunt publici usurarii, concubinarii, Comœdi. »

Le Rituel d’Alet approuvé par 24. des plus savants et des plus pieux Evêques de France, fait la même défense. La voici.

Demande.

Qui sont ceux qui ne doivent point être admis à la sainte Communion.

Réponse.

Ce sont ceux qu’on sait publiquement en être indignes, tels que sont les Excommuniés, {p. 37}les Interdits, les Infâmes. Par exemple, ceux qui sont reconnus pour Concubinaires, les Usuriers, les Magiciens, les Comédiens, etc.

Le Rituel de Reims donne pour première règle, sous le titre de l’absolution, de ne la point accorder à ceux qui font une profession,p. 89. qu’on ne peut exercer sans péché, jusqu’à ce qu’ils y aient renoncé comme sont les Magiciens, les Sorciers, les Farceurs.

celui de Châlons sur Marne, de l’année 1649. p. 12. défend de les recevoir pour Parains, Il les prive de la Communion. p. 139. Ceux de Sens, de Bayeux, et de Coustances disent la même chose.

Aussi est-ce aujourd’hui une pratique ordinaire de Messieurs les Curés de Paris, de ne pas donner le Viatique à un Comédien malade, s’il n’a auparavant renoncé à sa profession par un écrit public, et devant deux Notaires ; et s’il ne promet de ne plus monter sur le Théâtre.

C’est ainsi qu’en usa autrefois M. Marlin Curé de S. Eustache, envers Floridor, fameux Comédien, qui fut fidèle à garder sa parole, après que Dieu lui eut rendu la santé.

L’on sait que Rosimond (Comédien assez connu dans la Paroisse de S. Sulpice) étant mort subitement il y a environ trois ans, il fut enterré sans Clergé, sans luminaire, et sans aucunes prières, dans un endroit du Cimetière, où l’on met les enfants morts sans Baptême.

Et il est bon de remarquer ici en passant, que Messieurs les Ecclésiastiques de cette grande Paroisse, ont les Comédiens en si grande horreur, qu’ils ont discontinué de faire passer la Procession du S. Sacrement par cette belle et large rue, où ils se sont établis, depuis qu’ils y sont.

{p. 38}§. IV.
Les Comédiens ont toujours passé pour des gens infâmes ; et ils sont encore traités présentement de la même manière.

Les Lois civiles bannissent en quelque façon les Comédiens de la société humaine, en les jugeant indignes de toute créance en Justice, et de toutes sortes d’emplois, qui ont besoin de quelque probité, de quelque honneur, et de quelque conscience.

La raison qu’on peut apporter d’un traitement qui paraît si dur, dont les lois Ecclésiastiques et civiles usent envers les Comédiens, c’est qu’il n’y a rien de plus indigne, je ne dis pas d’un Chrétien, mais d’un homme tant soit peu raisonnable, que de consacrer son esprit, ses soins, ses peines, et sa vie au divertissement de quelques fainéants, ou de quelques femmes mondaines, sans y être attiré que par l’amour, et par l’espérance d’un gain, peut-être un peu plus grand et plus commode, que n’est celui qu’il pourrait faire dans un métier légitime, honnête, et utile au public. Jésus-Christ a-t-il donc répandu son Sang pour des hommes, qui sont honorés de son nom, afin qu’ils employassent ainsi leur vie, qui en est le prix, à faire rire, et à divertir les autres ?

Que si des Idolâtres condamnaient ces sortes de gens à une telle ignominie, quoi qu’ils prissent plaisir à leur art et à leur adresse, combien doivent-ils être odieux à Dieu ? « Quanto magis divina justitia in illos animadvertet. »Tert. de spect. c. 23.

Et si des Païens les excluaient de toutes les Charges ; avec combien plus de raison des Chrétiens doivent-ils les éloigner de la participation {p. 39}de l’Eucharistie, qui est le plus grand honneur qu’on puisse recevoir dans l’Eglise ?

Mais si cette profession est infâme, et infâmante pour des hommes ; combien l’est-elle davantage pour des femmes, et selon l’esprit du Christianisme, et selon la nature même ? Car si c’est une fille ; n’est-ce pas offenser la pudeur du sexe, et blesser l’honneur de la virginité, rachetée du Sang de Jésus-Christ, que de voir sur un Théâtre une Chrétienne se produire, pour faire le personnage d’une femme passionnée, coquette, effrontée, emportée ou furieuse, selon les diverses passions qu’exige son rôlet. Le Christianisme qui doit être une Ecole de pudeur et de modestie pour des filles, doit-il avoir quelque chose de commun avec le Théâtre, qui est une Ecole d’effronterie et d’impudence ? En effet, quelle doit être celle d’une fille qui se dispose à parler devant 2000. personnes, qui ont tous les yeux arrêtés sur elle ? Et combien doit-elle se fortifier contre la retenue, si bienséante et si naturelle à son sexe, pour pouvoir parler avec assurance ? Frons meretricis facta est tibi ; noluisti erubescere.

Mais si c’est une femme mariée, ne blesse-t-elle pas encore davantage l’honneur dû à ce Sacrement, en employant ses soins, ses frisures, et son fard, pour se faire un visage de Comédienne ; afin de paraître belle aux yeux impudiques de tant de spectateurs qui la doivent regarder ? Ne craint-elle pas de se rendre coupable devant Dieu de toutes les pensées criminelles qu’elle peut faire naître dans leurs esprits ? Enfin y a-t-il rien si capable d’attirer son indignation, que de scandaliser ainsi toute l’Eglise, et violer sa discipline toute pure et toute sainte par une effronterie sans pareille, et une licence si publique et si honteuse « Erubescat {p. 40}senatus, erubescant ordines omnes ; ipsæ illæ pudoris sui interemptrices semel erubescant », dit à ce sujet Tertullien.

Que les Comédiens ne nous viennent pas dire ici, que par une Déclaration de Louis XIII. donnée à S. Germain en Laye, en leur faveur le 6. Avril 1644. il est porté que leur exercice ne leur sera pas imputé à blâme, ni ne pourra préjudicier à leur réputation dans le commerce public.

Car cet Arrêt ne leur peut servir (qu’en cas qu’ils règlent tellement les actions du Théâtre, qu’elles soient entièrement exemptes d’impureté) ce qui ne doit pas seulement s’entendre de l’amour impudique, mais aussi de toutes les autres passions qui souillent l’âme, et la rendent désagréable à Dieu.

Or comme les Comédiens n’ont jamais exécuté cette condition, et qu’ils sont même dans l’impuissance de l’exécuter, parce que la Comédie n’est pas réformable sur ce point, il s’ensuit que ce sont eux-mêmes qui se rendent cet Arrêt inutile ; et que par conséquent ils doivent toujours être considérés dans le monde comme des gens infâmes.

ARTICLE II.
La fin de la Comédie et des Comédiens est toujours mauvaise ; et celle des spectateurs l’est aussi pour l’ordinaire. §

La fin à laquelle la Comédie tend d’elle-même, et le but que les Acteurs s’y proposent ; c’est d’émouvoir, d’entretenir, et de fortifier les passions qui ont rapport à leurs sujets, dans l’esprit et le cœur de leurs spectateurs, et particulièrement celles de l’amour, {p. 41}de l’ambition, de la jalousie, de la colère, de la vengeance, et autres semblables.

Car les Comédiens ayant à plaire aux gens du monde, ce leur est une malheureuse nécessité de mêler toujours dans leurs pièces quelques-unes de ces passions, qui en sont tout le sel et l’assaisonnement ; puisque sans cela elles ne pourraient leur plaire : et ainsi ils ne pourraient arriver à la fin qu’ils se proposent, qui est le gain et le profit.

C’est cela qui fait distinguer un bon Acteur d’avec un méchant. L’on aime l’un, et l’on n’écoute pas seulement l’autre. Un bon Acteur sait animer de telle sorte sa voix, et si bien ajuster ses paroles avec ses gestes et ses postures, que la passion qu’il représente fait d’ordinaire impression sur ceux qui l’écoutent, parce qu’il paraît ressentir lui-même cette passion, Et c’est ce qui les touche.

« Si vis me flere, dolendum est
Ante tibi. »

Mais au contraire un Acteur froid et languissant, qui ne paraît pas ressentir les mouvements de la passion qu’il tâche d’exciter dans le cœur des autres, devient ennuyeux et insupportable.

Or il est constant que cette fin ne vaut rien, puisqu’elle est entièrement opposée à l’esprit du Christianisme, qui ne tend qu’à mortifier et à affaiblir de telle sorte les passions, durant le temps qu’on est dans cette misérable vie, qu’elles ne dominent pas dans le cœur : car l’esprit du Christianisme est un esprit de calme et de paix. Et c’est cet esprit que Jésus-Christ inspira à ses Apôtres un peu avant son Ascension, en leur disant que leur cœur ne devait pas être dans l’agitation et dans le trouble : {p. 42}« Pacem meam do vobis : non turbetur cor vestrum, etc. »

L’esprit de la comédie au contraire qui ne tend qu’à fomenter les passions, est un esprit de trouble, d’agitation et de fureur. C’est pourquoi Tertullien appelle les Comédiens, « Furiarum ministros et animarum inquietatores. »

Quelque belle et bien entendue que soit une pièce, s’il n’y a pas de passions qui soient soutenues et poussées par de bons Acteurs, elle n’est point goûtée et elle échoue toujours.

Le gain que les Comédiens se proposent dans la représentation de leurs Pièces, est encore une mauvaise fin ; car quoi que ce soit peut être par une malheureuse nécessité, et pour ne pas mourir de faim, qu’ils persistent dans ce métier infâme, ils n’ont pas dû néanmoins s’y engager, et il leur était libre de choisir quelque autre profession honnête, où ils auraient trouvé de quoi subsister, comme tant d’autres en trouvent.

Ce n’a donc été que la corruption de leur cœur, et le désir de gagner davantage dans ce métier, qu’ils ne feraient dans un autre qui les y ont engagés. Or ce désir vient de la cupidité que saint Paul dit être la racine de toutes sortes de maux : « Radix malorum omnium cupiditas. »

La vanité et le désir d’acquérir de la réputation et le plaisir de paraître sur un Théâtre, et d’avoir accès chez les Grands, peuvent encore être des motifs qui font agir les Comédiens ; mais qui ne voit que rien n’est si peu solide que tout cela.

Voilà quelles sont les fins des Comédies, et des Comédiens.

Celles des Spectateurs ne valent guère mieux.

{p. 43}La curiosité est celle qui conduit la plupart de ceux qui y vont. « Nemo in spectaculo ineundo prius cogitat, nisi videre, et videri », dit Tertullien :Tert. de Spect. c. 24. c’est pour cela que les Dames prennent tant de soin de se parer en y allant.

« Spectatûm veniunt, veniunt spectentur et ipsæ. »

Or S. Thomas dit, que la curiosité est autant un péché que la concupiscence de la chair et la superbe. « Concupiscentia oculorum. ait Beda, non solum est in discendis magicis artibus ; sed etiam in contemplandis spectaculis. Est ergo quoddam vitium, sicut etiam superbia vitæ, et concupiscentia carnis. »D. Th. 2. 2. qu. 167. art. 2.

Et certes, la curiosité ne passera jamais pour une chose innocente dans l’esprit de ceux qui ont lu dans les saintes Ecritures les funestes suites qu’eut celle de Dina,Gen. 35. quoi que le simple désir de voir des femmes étrangères, et de s’y laisser voir, ne parut pas être une chose fort blâmable.

Enfin le plaisir des sens qu’on se propose en allant à la Comédie, ne peut encore servir de légitime motif à un Chrétien pour y aller Car quoi que le divertissement soit quelquefois nécessaire à l’esprit pour renouveller sa vigueur, comme la nourriture l’est au corps pour réparer ses forces ; il ne s’ensuit pas pour cela, qu’on puisse aller à la Comédie pour se divertir et en faisant consister uniquement sa fin dans le divertissement. Cela n’est pas permis à un chrétien, selon cette maxime de S. Augustin : « Multa licet facere cum voluptate ; nihil omnino propter voluptatem. »

{p. 44}

ARTICLE III.
Les effets de la Comédie sont d’ordinaire très pernicieux, et très funestes aux âmes. §

La Comédie produit une infinité de mauvais effets dans ceux qui la fréquentent. Voici comme en parle S. Chrysostome dans son Homélie 25. sur les Actes des Apôtres.

« Ce sont les Théâtres qui rendent les chrétiens si déréglés, si corrompus, et si difficiles à conduire, qu’ils sont à présent ; car tout ce que je tâche d’édifier dans l’Eglise, non seulement s’y détruit ; mais c’est une malheureuse nécessité que ceux qui hantent les personnes qui les fréquentent, contractent avec eux une infinité de souillures… car ils deviennent plus corrompus dans leurs mœurs, plus libres dans leurs paroles, plus dissolus dans leurs gestes et leurs ris, et plus paresseux dans le bien…. Ainsi travailler à les purifier, c’est entreprendre de nettoyer un champ, dans lequel une fontaine qui serait dans un lieu plus élevé, entraînerait sans cesse quantité de limon et de boue, puisqu’il en reviendrait continuellement autant qu’on en pourrait ôter. »

PétrarquePetr. Dial. 30. de spect. témoigne que l’un des effets ordinaires de la Comédie est de détruire, ou du moins d’ébranler et d’affaiblir extrêmement la chasteté.

« Pour ne pas parler ici de ceux qui sont tellement plongés dans le vice, qu’ils font même gloire des choses aussi honteuses que le sont les adultères. Tenez pour constant, dit-il, que plusieurs femmes y ont entièrement {p. 45}perdu leur chasteté ; que plusieurs s’en sont retournées chez elles bien moins résolues de la garder, qu’elles ne l’étaient auparavant et que pas une n’en est jamais revenue plus chaste et plus pure, qu’elle n’y était allée. »

La Comédie produit encore une infinité d’autres méchants effets que je ne fais que toucher.

Le premier est une grande dissipation d’esprit : car elle le remplit des idées de toutes les choses qu’on y a vues et entendues. Ainsi elle est tout à fait opposée à l’esprit de prière, qui est si nécessaire aux chrétiens durant le pèlerinage de cette vie.

Quand on désire obtenir de Dieu quelque grâce, il faut sans doute s’approcher de sa divine Majesté avec beaucoup de recueillement et d’attention. Or les divers fantômes des choses qu’on a vues empêchent ce recueillement. C’est pourquoi les ténèbres de l’âme s’augmentent, et elle se trouve enfin dans l’impuissance de résister aux tentations.

Le second mauvais effet que produit la Comédie, est un grand dégoût pour la lecture des bons Livres, qui doivent faire la plus grande consolation des chrétiens, et toutes leurs délices : car il est impossible qu’étant rempli des fadaises du Théâtre, on ait de l’attrait et du goût pour les vérité éternelles, et pour les biens ineffables dont traitent les Livres de piété.

Ce que je viens de dire de l’éloignement de la prière, de la lecture des bons Livres, et de toutes les choses de Dieu, se doit appliquer particulièrement à la sainte Communion, qui demande une grande attention, et un merveilleux recueillement, pour peser quel bonheur c’est à un homme de s’approcher de la Table de son Dieu. « Quando sederis ut comedas cum principe, {p. 46}diligenter attende quæ apposita sunt ante faciem tuam. »Prov. 23

Cela étant ainsi, il ne faut pas s’étonner si l’on voit la plupart de ceux qui fréquentent la Comédie s’abandonner à la mollesse d’une vie toute sensuelle ; et si au lieu qu’on ne doit se divertir que pour mieux travailler, ces sortes de gens se divertissent incessamment, et ne travaillent jamais.

Leur esprit ne jouit d’aucun calme. Tout les dégoûte, tout les chagrine, tout leur déplaît. Comme ils ne trouvent rien de solide dans les faux plaisirs qu’ils recherchent, on les voit continuellement passer d’un vain amusement à un autre. De la table au jeu, du jeu à la promenade, aux visites, à l’Opéra. Et ils ne laissent pas avec tout cela d’être insupportables et à eux-mêmes, et aux autres.

après avoir vu ci-devant que la Comédie est mauvaise, soit par rapport à ceux qui la représentent, soit par rapport à la fin à laquelle elle tend d’elle-même, et à laquelle les Comédiens, et ceux qui assistent à leurs Pièces se proposent, faisons encore voir qu’elle est mauvaise par rapport à ses circonstances, et principalement à celle du temps auquel elle se joue.

ARTICLE IV.
La profanation des Fêtes et des Dimanches, et celle des sacrés Temps de l’Avent et du Carême, doit rendre les Comédies de ce temps plus odieuses et plus condamnables que celles du temps passé. §

Rien n’était autrefois si édifiant que les assemblées des fidèles aux jours des Fêtes et des Dimanches ; rien n’était plus saint, ni {p. 47}plus terrible aux démons que les prières qui s’y faisaient, lesquelles étant soutenues par leurs bonnes œuvres, montaient jusqu’au Trône de Dieu, et en attiraient mille bénédictions.

O Dieu ! quel changement voyons-nous à présent dans le Christianisme. L’on quitte sa Paroisse ; l’on méprise les instructions de son Pasteur ; les prières publiques sont négligées, le chant des Psaumes ne se fait plus que du bout des lèvres. On se contente d’aller à une petite Messe les jours de Fêtes et les Dimanches ; et après cela l’on croit avoir une liberté entière de se divertir.

Si l’on va aux Sermons au temps de Carême, c’est souvent par coutume, par curiosité, et pour ne pas passer pour impie. Mais encore avec quelle immodestie, quelle distraction, et quel égarement d’esprit fait-on cela ? Tant il est vrai qu’une infinité de chrétiens n’ont plus à présent qu’une vaine et trompeuse apparence de Religion qui les distingue des Païens.

Dieu nous commande de sanctifier avec exactitude le jour du Dimanche, qui était le Sabath des Juifs. « Videte ut Sabbathum meum custodietis. »

Il nous dit de nous bien souvenir de ce commandement qu’il nous fait. « Memento ut diem Sabbathi sanctifices » ;Eccl. 31. 18. pour montrer combien la chose qu’il nous recommande est importante, et combien il est jaloux que nous fassions ce qu’il nous ordonne.

Si c’était une chose difficile, nous devrions pourtant nous efforcer de la faire, puisqu’il y va de notre bonheur.

Mais ce qu’il nous commande est très aisé. Car y a-t-il rien si aisé que de se reposer en Dieu ? c’est à dire, s’appliquer uniquement {p. 48}à penser à lui, prendre plaisir à s’entretenir de ses bienfaits, lui en témoigner sa reconnaissance, le remercier de ses bontés, lui demander pardon de ses ingratitudes, et de ses offenses.

Le travail n’est pas mauvais en soi, puisque Dieu l’a commandé, et l’a imposé à l’homme pour pénitence après son péché.

S’il est donc défendu aux jours des Dimanches et des Fêtes, c’est parce qu’il détourne notre esprit du culte intérieur de Dieu, qui est la fin du précepte : « Quod mentem à divino cultu, qui finis est præcepti, abstrahit », comme parle le Concile de Trente.

Il faut donc en ces saints jours s’abstenir des œuvres ordinaires de notre vacation, dit le Pape NicolasNicol. Papa in resp. ad consulta. Bulgarorum. c. 12. dans la Réponse qu’il fait aux consultations des Bulgares, afin de pouvoir aller à l’Eglise pour y chanter en l’honneur de Dieu des Psaumes, des Hymnes, et des Cantiques spirituels, pour s’appliquer à la prière, célébrer la mémoire des Saints, implorer leur secours, et enfin pour pouvoir obtenir de Dieu la grâce de les imiter. Que si le Chrétien négligeant de faire ces choses, demeure dans une oisiveté honteuse ; ou bien, ce qui est encore pis, si au lieu de s’occuper à quelque chose d’honnête et utile, il passe son temps dans les vanités et les folies du siècle ; certainement il vaudrait mieux qu’il travaillât des mains, suivant le conseil de l’Apôtre, pour avoir le moyen d’assister les pauvres de gain de son travail.

L’on ne peut dire des Comédies ce qu’on dit du travail. Car les Conciles ayant expressément défendu de jouer des Comédies aux saints jours des Dimanches et des Fêtes, comme aussi d’y assister, sous peine d’excommunication, c’est une contravention formelle à {p. 49}ces saintes Ordonnances que de le faire : « Qui prætermisso Ecclesiæ Conventu ad spectacula vadit, excommunicetur. » Conc. Carthag. 4.

Les Ordonnances d’Orléans font la même défense art. 24.

Et nous voyons dans le Code qu’autrefois les Empereurs Chrétiens ne voulaient pas qu’en ces saints jours on fit des spectacles, des courses de chevaux, ou des combats d’autres bêtes : « Dies festos majestati divinæ dedicatos nullis volumus voluptatibus occupari… nihil itaque eadem die sibi vindicet Scena theatralis, aut ferarum lacrymosa spectacula. »Lege ultima de falsis legibus §. 12. p. 9. Et lorsque le jour de leur naissance y échoit, ils faisaient différer les réjouissances, et les transféraient en un autre jour : « Si in nostrum ortum, vel natalem celebranda solemnitas inciderit, differatur. »

Mais au grand mépris du commandement de l’Eglise, des Canons, des Conciles et des Ordonnances Royaux ; les Comédiens font aujourd’hui tout céder à leurs interêts, et les faux chrétiens à leurs plaisirs.

Notrep. 54. faiseur de lettre veut ici plaisanter, mais très mal à propos. « Les Comédiens qui jouent tous les jours, ne pèchent pas, dit-il, en jouant les jours des fêtes et Dimanches, et pendant le Carême (temps consacré à la pénitence, temps de larmes et de douleurs pour les Chrétiens) parce qu’étant dévoués au public ; c’est moins pour leur divertissement qu’ils jouent, que pour celui des autres et ils peuvent jouer tous les jours, parce que tous les jours il se peut trouver des particuliers qui veulent prendre une récréation modérée. »

O aveuglement déplorable ! ô illusion grossière ; un Prêtre, un Religieux, un Professeur en Théologie, croit qu’on ne pèche point, et qu’on ne laisse pas de sanctifier les Dimanches, {p. 50}en allant à la Comédie, et dit froidement,p. 56. « Grace au zèle des Evêques, à la vigilance des Pasteurs, et à la dévotion des fidèles, les théâtres ne s’ouvrent qu’après que les Eglises sont fermées » : d’où il conclut, « que ce n’est pas un péché que d’aller à la Comédie les Dimanches ».

Dieu veut être obéi quand il commande ; il ne s’est réservé que le Dimanche entre les jours de la semaine, et il veut qu’on le sanctifie tout entier : « A vespera usque ad vesperam celebrabitis Sabbatha vestra. »Levit. 23. 32.

Or est-ce sanctifier le Dimanche, que d’aller à la Comédie, ou à l’Opéra ? cela peut-il contribuer à la sanctification des personnes, ou à la plus grande gloire de Dieu ? certainement c’est bien vouloir se tromper et ne guère craindre un Dieu dont les menaces sont si terribles.

Mais il faut encore voir la ridicule interprétation que ce Théologien donne au repos que Dieu ordonne de prendre au jour du Dimanche. « Lesp. 55. Dimanches ont été donnés, dit-il, non seulement pour vaquer plus particulièrement qu’aux autres jours au service de Dieu : mais ils ont aussi été institués pour prendre du repos ; afin qu’à l’exemple de Dieu même, qui se reposa le septième jour après le grand ouvrage de la création du monde, nous puissions nous reposer en quelque manière, en prenant un plaisir aussi honnête qu’est la Comédie. »

O la jolie pensée ! peut-on s’imaginer qu’un Prêtre ait pu croire que Dieu ait institué le Dimanche, pour y être plus offensé qu’aux autres jours de la semaine ? Les métiers les plus innocents et les plus utiles sont interdits par respect à la sainteté du jour. Et la Comédie toute nuisible qu’elle est, sera-t-elle privilegiée ?

Nous voyons dans Esdras,Esdr. L. 1. c. 13. que Nehemie étant animé de l’esprit de Dieu, reprit fortement {p. 51}les chefs des Juifs, de ce qu’ils souffraient qu’on profanât la sainteté du Sabath, en apportant en ce jour à Jérusalem des choses qui étaient nécessaires à la vie. C’est pour avoir commis ce péché, dit-il, que nos pères ont mérité les châtiments qui sont tombés sur nous et sur cette ville. Et vous vous augmentez encore aujourd’hui la colère de notre Dieu, en violant la loi qu’il nous a donnée : « Et vos additis iracundiam super Israël violando Sabbathum ? »

Mais les Comédiens n’en sont pas demeurés aux Dimanches et aux Fêtes. Comme s’ils avaient entrepris de combattre ouvertement la Religion de nos Pères et la piété de toute l’Eglise, et s’ils avaient dessein de porter ses enfants aux passe-temps les plus mondains, lorsqu’elle prend à tâche de les exciter à la pénitence, ils ne font aucun scrupule de profaner les temps sacrés de l’Avent et du Carême, qui ont toujours été particulièrement destinés au jeûne, à la retraite, au recueillement et à la prière.

L’on retranche en ces saints temps les nôces et les réjouissances qu’on permet en d’autres. A plus forte raison donc doit-on empêcher celles qui y ont toujours été défendues.

Cette sainte Mère des fidèles quitte ses Cantiques de joie et ses beaux ornements, pour en prendre de tristes et de lugubres ; afin de donner à ses enfants une preuve sensible de sa douleur, et pour leur faire avoir un vif ressentiment de leurs péchés, qui ont donné la mort à son divin Epoux. Et les Comédiens font cependant fi hors de leur bon sens, qu’ils ne font aucune reflexion à tout cela. Comme s’ils prenaient plaisir d’attirer sur leurs têtes criminelles, et sur tous ceux qui les favorisent, les effets de l’indignation d’un Dieu si juste, et tout ensemble si terrible dans ses châtiments.

{p. 52}

ARTICLE V.
Conclusion qu’on doit tirer de tout ce qui a été dit ci-devant. §

Comme il n’y a rien qui excite si puissamment au bien que les exemples et les histoires des Saints ; aussi n’y a-t-il rien qui porte davantage aux vices que les aventures des personnes mondaines, et la représentation de leurs passions ; surtout quand elles sont exprimées agréablement et d’une manière qui touche les sens.

Tout ce qui se représente dans la Comédie, n’est qu’intrigues d’amour, que jalousies, que vengeances, ambitions et colères. Ce ne sont que des exhortations au mal ; et des leçons qui portent d’elles-mêmes à l’amour du monde, et au dégoût des vertus chrétiennes. D’ailleurs, il n’y a rien de bon dans la Comédie considerée en elle-même, soit par rapport aux Comédiens qui sont excommuniés par l’Eglise, et déclarés infâmes par les Lois civiles, soit par rapport à la fin qu’ils se proposent, ou à la honteuse profanation des Fêtes, des Dimanches et des temps sacrés du Carême et de l’Avent ; soit enfin par rapport aux effets que produit ordinairement la Comédie, et à la perte du temps qu’on y fait. Tout cela étant donc mauvais, que peut-on conclure autre chose sinon qu’elle est aussi mauvaise, et qu’elle n’est pas permise aux Chrétiens.

SalvienSalv. l. 6. Prov. ce savant Prêtre de Marseille, dont j’ai déjà parlé ci-devant, confirme ce que je viens d’avancer.

Car il prétend qu’elle est pire que le blasphème, {p. 53}le larcin, l’homicide et les autres crimes.

La différence qu’il y met ; c’est, dit-il, que ces crimes souillent à la vérité ceux qui les commettent ; mais ils ne souillent pas, et ne rendent pas criminels ceux qui les voient commettre, ni ceux qui en entendent seulement faire le récit.

Ainsi l’on ne participe pas au crime d’un blasphémateur quand on a horreur de l’entendre blasphémer. Il en est de même du larcin, de l’homicide, et de tous les autres grands crimes.

Mais la Comédie souille et rend également coupables, et ceux qui la représentent, et ceux qui la voient représenter. Car, lorsque les spectateurs prennent plaisir à regarder ce qui se passe sur le théâtre lorsqu’ils l’approuvent et y applaudissent ; c’est comme s’ils la représentaient eux-mêmes. Et c’est particulièrement en cette occasion qu’a lieu cette maxime de saint Paul ; que « non seulement ceux qui sont ces choses sont dignes de mort ; mais aussi tous ceux qui les approuvent, et qui y prennent part de quelque manière que ce soit ».

Cet Auteur met encore cette différence entre les autres crimes et la Comédie ; que les premiers n’attaquent chacun qu’un de nos sens à la fois ; les pensées déshonnêtes par exemple ne souillent que l’esprit ; les regards impudiques ne se commettent que par les yeux ; les mauvaises paroles ne sont reçues que par les oreilles ; et lorsque l’un de ces sens est souillé et corrompu par le crime qui lui est propre, les autres en sont cependant exempts.

Mais il n’en est pas de même de la Comédie, car elle attaque et elle corrompt en même-temps et l’âme, et tous les sens.

Elle corrompt, dis-je, l’âme par les mauvaises pensées ; le cœur par les mauvais désirs ; les {p. 54}oreilles par les paroles déshonnêtes et équivoques, et les yeux par les regards lascifs et licencieux.

TandisIdem ibidem. que nous nous amusons à rire des sottises qui se disent à la Comédie, et des offenses de Dieu, dit encore ce Père, nous commettons les deux plus grands crimes qu’on puisse commettre, dont l’un est de nous faire des blessures mortelles ; et l’autre est de les faire à Dieu même : « Cum duo sint maxima mala, si homo aut seipsum perimat, aut Deum lædat, utrumque in ludis publicis agitur. »

CHAPITRE III.
Des Comédies de ce temps, si elles sont moins mauvaises et moins condamnables que celles du temps passé. §

Paroles de l’Auteur.

« C’étaitp. 13. quelque chose de si horrible et de si infâme que la Comédie, comme on la jouait du temps de nos pères, qu’il n’y a personne à l’heure qu’il est, qui ne la condamnât, comme ils ont fait. Et ce n’est pas une chose étonnante que ces saints Personnages aient employé toute la force de leur zèle contre une chose aussi scandaleuse qui fût dans l’Eglise. »

Réponse.

après que les Empereurs eurent embrassé le Christianisme, il est certain que l’infamie des spectacles ou cessa entièrement, ou au moins diminua beaucoup. Les Pères de l’Eglise ne laissèrent pas néanmoins de continuer après cela à parler encore contre la Comédie avec autant de zèle et de force, qu’ils avaient fait auparavant.

{p. 55}Ce n’était donc plus l’infamie des pièces, que les Comédiens représentaient alors, qui engageait les Pères à en user ainsi ; mais c’étaient d’autres raisons pareilles à celles que j’ai ci-devant exposées, qui les portaient à représenter aux chrétiens la sainteté de la Religion qu’ils professaient, et à les exhorter à n’avoir que du mépris pour un divertissement aussi bas et aussi indigne d’eux qu’est la Comédie : « Etsi Comœdiæ non habent crimen, habent tamen maximam et parum congruentem nomini Christiano vanitatem », comme parle saint Cyprien dans son traité des Spectacles.

En effet, supposé que les Pièces qu’on joue présentement ne soient pas à beaucoup près si infâmes, que l’étaient celles du temps passé ; supposé que les expressions en soient honnêtes ; que les Acteurs en soient sages, retenus et circonspects dans tous leurs gestes et leurs postures ; la manière de traiter les passions, et de tâcher de les allumer dans le cœur des Spectateurs, n’est-elle pas toujours la même ? les décorations de théâtre, les habits magnifiques des Comédiens ; les mélodies et les concerts des divers instruments ; le concours du grand monde ; enfin les parures si affectées des Dames ; cette pompe, et cet assemblage du beau monde, et toutes les autres choses qui s’y trouvent ne concourent-elles pas à faire sortir les Spectateurs d’eux-mêmes, à les séduire, et à leur faire croire que le monde a quelque chose d’aimable ; quoi qu’en comparaison des biens ineffables du Ciel, tout cela ne doive effectivement passer que pour des rêveries et des songes. Mais développons davantage cette matière, et suivons pied à pied l’Auteur de la lettre.

{p. 56}§. I.
Paroles de l’Auteur de la lettre.

« Dep. 41. la manière qu’on joue à présent les Comédies dans Paris, elles sont sages, modestes et bonnes. »

M. Corneille s’étant avisé de représenter sur le Théâtre le martyre de quelques Saints, comme l’on avait accoutumé d’y faire paraître auparavant les Héros et les Héroïnes de l’antiquité ; cela a donné occasion à ceux qui ne connaissaient pas assez le danger de la Comédie, d’en faire de grands éloges.

Mais c’est au contraire ce qui les devait porter à la blâmer davantage. Car y a-t-il rien de si déshonorable au Christianisme, et si opposé à la sainteté de notre Religion, que de voir des gens excommuniés par l’Eglise, oser impudemment faire le personnage d’un Saint, et d’en contrefaire les actions ? N’est-ce pas confondre la lumière avec les ténèbres, et J.C. avec Belzébuth ?

Cela a paru si horrible à Mariana,Mariana l. 3. de Rege et Reg. instit. que ce pieux Jésuite dit, qu’il aurait mieux aimé leur voir représenter les Fables des Poètes, que des histoires saintes, tant il convient peu, dit-il, à des gens si méprisables et si corrompus de prendre des personnages de Saints, qu’ils sont dans l’impuissance de soutenir avec assez de gravité et de bienséance.

Pour une Comédie sainte, ou deux qu’on a representées dans Paris en quarante ans, l’on en a joué des centaines, qui ont choqué tous les honnêtes gens, tant elles étaient préjudiciables aux bonnes mœurs. Cela ne sera pas difficile à prouver.

L’on sait le bruit qu’il y eut à Paris dans la {p. 57}Paroisse de saint Germain l’Auxerrois en 1657. au sujet des Comédiens Italiens, que M. le Curé tâchait de faire sortir de dessus sa Paroisse, à cause des Pièces impies et scandaleuses qu’ils représentaient. Il porta sur ce sujet à M. Vincent Supérieur des Pères de la Mission, cette consultation qu’il avait fait faire en Sorbonne.

Les Docteurs de la sacrée Faculté de Théologie de Paris soussignés qui ont été consultés pour savoir si les Comédies que représentent les Comédiens Italiens à Paris, peuvent être permises. Ayant vu une partie des affiches qui leur ont été communiquées, à savoir celles du 29. et 31. Juillet ; celles du 12. 15. 16. et 21. d’Août ; celles du 18. Octobre ; celles du 16. et 18. Novembre sont d’avis que telles comédies ne peuvent être sans péché mortel en ceux qui les représentent, et en ceux qui y contribuent. Déliberé à Paris ce 25. jour de Novembre 1657. et signé.

PEREYRET. N. CORNET. HALLIER.
R. DU VAL. M. GRANDIN. COQUERET.

Il faut remarquer que ces Messieurs étaient la plupart Professeurs en Théologie, et peu suspects de Rigorisme.

Nous allons voir que Molière donne plus d’occasion de dire que les Comédies d’à présent sont encore plus condamnables que celles du temps passé.

§. II.
Plus les Comédies d’à présent paraissent honnêtes, plus elles sont dangereuses.

Paroles de l’Auteur.

« L’emploiP. 9. des Comédiens établis pour donner aux hommes une récréation honnête, n’a rien, {p. 58}selon moi, qui mérite d’être défendu ; et je ne les crois pas en état de péché, pourvu qu’ils n’usent de cette sorte de jeu qu’avec modération : c’est-à-dire, qu’ils ne disent et ne fassent rien d’illicite, qu’ils ne mêlent point, comme on dit, le sacré au profane, et qu’ils ne jouent point en un temps défendu. »

Réponse.

On met d’ordinaire les Romans au nombre des pièges du démon les plus dangereux. Et c’est certainement avec grande raison : car c’est là d’ordinaire où les jeunes gens commencent à se corrompre. Mais il est pourtant vrai de dire que les Comédies le sont encore infiniment davantage, parce que les paroles qui sont accompagnées du ton de la voix et des gestes frappent plus fortement les sens, et font bien de plus vives impressions sur l’esprit.

« Segnius irritant animos demissa per aures,
Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus. »

« Millep. 38. gens d’une éminente vertu, et d’une conscience fort délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, ont été obligés de m’avouer qu’à l’heure qu’il est, la Comédie est si epurée sur le théâtre Français, qu’il n’y a rien que l’oreille la plus chaste ne pût entendre. »

L’on ne convient pas de ce que le Théologien avance ici, que mille gens d’une conscience délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, vont à la Comédie. Mais passons et disons qu’une Comédie ne doit pas être appelée épurée et honnête, pour n’avoir pas de ces ordures grossières que des oreilles un peu chastes ne peuvent souffrir ; quand d’ailleurs elle est remplie d’autres passions spirituelles, qui déplaisent autant à Dieu, qui est un pur esprit, que ce vice grossier qui tire son origine de la boue de notre corruption.

{p. 59}Ces passions spirituelles dont je parle ici, sont l’ambition, la jalousie, la colère, l’envie, la vengeance, et autres semblables qui font le sel et l’assaisonnement des pièces de Théâtre. Car sans elles, il n’y aurait rien de plus fade, de plus sec et de plus ennuyeux. « Si cessat affectus, nulla est voluptas, et est reus jam ille vanitatis eo conveniens, ubi nihil consequitur »,De spect c. 15. dit Tertullien.

On n’aurait vu que des libertins, des impies et des Athées avoir l’impudence d’aller à des comédies tout à fait déshonnêtes. Des femmes de qualité, et toutes celles qui ont un peu de pudeur auraient eu honte d’y paraître. Ainsi les Comédiens n’y auraient point trouvé leur compte. Leur propre intérêt les obligeait donc à être circonspects,p. 44. « ils prennent bien garde, (dit l’Auteur de la Lettre) à n’employer dans leurs pièces, non seulement aucuns mots évidemment déshonnêtes, mais même équivoques ». Mais tous les équivoques dont ils couvrent le poison, n’empêchent pas qu’on ne l’avale ; et il en est encore plus dangereux.

Il est vrai que cette grande circonspection, dont usent les Comédiens, ne paraît qu’en ce qui regarde la passion de l’amour. Car pour ce qui est des autres, ils sont bien plus indulgents, et ils n’y regardent pas de si près. Cependant on avale sans peine le poison qu’ils présentent, surtout lorsqu’il est renfermé dans des Vers pompeux, ou dans des paroles magnifiques, qui sont agréables, et qui font impression sur l’esprit. « Quo magis sunt eloquentes qui flagitia ista finxerunt, eo magis sententiarum elegantia persuadent ; et faciliùs inharent audientium memoriæ versus numerosi et ornati », dit Lactance, de vero Dei cultu, c. 20.

{p. 60}Ce n’est pas dans l’éllebore et dans le fiel qu’on répand le poison, dit Tertullien ;Tertull. de spect mais c’est dans les viandes les plus exquises, et dans les mets les plus agréables.

Et pour ce qui regarde l’amour, un des plus malicieux artifices du démon, est de faire représenter ce qui se passe dans le commerce d’une passion illégitime, sous le prétexte d’un mariage espéré, afin que les compliments étudiés qui se font, les messages, les Lettres pleines de douceurs et de tendresses qui s’écrivent, soient moins suspectes à des âmes simples et sans expérience.

Mais enfin l’honnêteté apparente de ces Comédies, et le déguisement trompeur dont on use, n’en est que plus dangereux. Un ennemi couvert est bien plus à craindre qu’un ennemi déclaré. Ainsi ce tempérament artificieux, dont le démon est l’auteur, rend encore la Comédie d’à présent plus nuisible, que n’aurait été une déshonnêteté manifeste et sensible.

§. III.
Le Cid, dont on fait tant d’estime, a bien des choses très dignes de censure.

Je n’ai pû m’empêcher, en lisant cette Pièce, d’admirer en moi même combien il faut se défier du jugement des hommes.

En effet, quelle extinction de piété, et quel renversement de raison n’est-elle pas capable de produire dans l’esprit d’une fille, quand elle voit épouser par Chimène celui qu’elle appellait auparavant

« L’autheur de ses malheurs, et l’assassin de son père. »

Car ne pourra-t-elle pas s’imaginer que les devoirs les plus essentiels et les plus indispensables d’une fille à l’égard de son père, doivent {p. 61}céder à la passion d’une amante volage et inconsidérée ? Quoi donc, le parricide cessera d’être un crime aussi horrible, qu’on l’a toujours cru, parce que la fantaisie prendra à un Poète de mettre ces paroles insolentes dans la bouche d’un Acteur ?

« Car enfin, n’attendez pas de mon affection,
Un lâche repentir d’une belle action.
Je la ferais encor, si j’avais à la faire. »

Et l’on entendra une fille dire froidement à celui qui a cruellement assassiné son père.

« Tu n’as fait le devoir que d’un homme de bien. »

L’on ne saurait aussi s’imaginer quelle impression sont capables de faire sur l’esprit d’un jeune homme ces Vers de la même Pièce dits par un père à un fils, pour le porter à se venger d’un ennemi.

« Va contre un arrogant éprouver ton courage,
Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage,
Meurs, ou tue. »

Ils sont certainement trop conformes à la corruption du cœur humain, pour y être reçus avec indifference. Mais que dirai-je de ceux-ci ? Un Gentilhomme qui aurait reçu un affront, n’en sera-t-il pas touché en les entendant réciter par un bon Acteur ?

« Mourir, sans tirer ma raison ?
Rechercher un trépas si funeste à ma gloire ;
Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire,
D’avoir mal soutenu l’honneur de ma Maison ?
 N’écoutons plus ce penser suborneur ;
 Courons à la vengeance. »

{p. 62}Non, non ; la chimère de l’honneur lui fera hasarder et sa vie et son salut, pour avoir raison d’une parole peut-être indiscrète, ou d’un affront prétendu. Et voilà ce qui a inondé la France d’un déluge de sang.

Qui n’admirera après cela notre Théologien, quand il dit :p. 41. « Je suis obligé d’avouer, que des Pièces qu’on imprime après qu’on les a jouées, il ne m’en ait jamais tombé aucune sous les mains, où j’aie trouvé rien qui put en quelque manière blesser le Christianisme, ou la pureté des mœurs. »

§. IV.
Les Comédies saintes et pieuses, qu’on vante tant, ne laissent pas d’être souvent très dangereuses.

Les Comédiens ne représentaient autrefois dans Paris que des Histoires Saintes, telles que sont, par exemple, la Passion, les Actes des Apôtres, et autres semblables : C’est pourquoi on les appelait les Frères de la Passion ; et l’on en voit encore à présent les armes gravées sur la porte de l’Hôtel de Bourgogne.

Cependant, parce que le gain et l’intérêt était le seul but où tendaient les Comédiens, et la fin unique qu’ils se proposaient, nos ancêtres les ont toujours détestés ; ce qui paraît par quantité d’Arrêts que le Parlement a donnés contre eux, et qu’on a déja rapportés en d’autres écrits sur ce même sujet.

Ces Comédiens ayant entrepris de représenter les Actes des Apôtres en 1541. M. l’Avocat Général témoigna en pleine Audiance, qu’il était arrivé au sujet de ces jeux une infinité de scandales et de désordres ;Sous François I. et que sous couleur d’iceux, se {p. 63}faisaient plusieurs parties, rendez-vous, assignations, et infinies fornications et adultères. Requit que les Entrepreneurs fussent tenus de leur gain procédant desdits jeux, donner mille livres aux pauvres ; sauf après avoir vu l’état de leurs frais et de leur gain, être ordonné plus grande somme.Extrait des Reg. du Parl.

Ne peut-on pas dire de notre temps ce que ce digne Magistrat témoigna être arrivé au sien ? Les jeunes gens sont-ils à présent plus sages ? et les femmes sont elles plus retenues et plus Chrétiennes que n’étaient celles de ce temps-là ?

Dans la misère publique où nous avons vu les pauvres, pâles et décharnés comme des squelettes, mourir de faim dans les rues : A-t-on pu voir sans gémir des Comédiens gros et gras ne songer qu’à rire et à divertir des fainéants ? Mais revenons aux Comédies de notre temps.

POLYEUCTE.

Les Comédies deviennent ennuyeuses, quand l’amour n’en fait pas le principal assaisonnement. C’est pourquoi Monsieur Corneille n’a pu s’empêcher d’en faire paraître dans Polyeucte, où nous voyons Pauline faire une belle leçon de Coquetterie à de jeunes Damoiselles, en racontant à Stratonice, qu’elle aime Severe, contre les défenses de ses parents, qui ne voulaient pas qu’elle l’épousât, à cause de l’inégalité de son bien. Voici comme elle lui parle.

« Il possédait mon cœur, mes désirs, ma pensée ;
Je ne lui cachais point combien j’étais blessée ;
Nous soupirions ensemble, et pleurions nos malheurs :
Mais au lieu d’espérance, il n’avait que des pleurs. »

{p. 64}Cet amour continue, après même qu’elle eût été mariée à un autre. Car voici ce qu’elle dit en parlant de son mari,

« Je donnai par devoir à son affection,
Tous ce que l’autre avait par inclination. »

Severe n’y parle-t-il pas aussi en vrai Idolâtre, quand il dit au sujet de Pauline.

« Je viens sacrifier ; et c’est à ses beautés
Que je viens immoler toutes mes volontés. »

Ces mots de sacrifier et d’immoler, qui ne sont dûs qu’au Créateur devraient-ils être employés pour des Créatures, qui se regardent après cela comme de petites Divinités, à qui l’on doit offrir l’encens de toutes sortes de louanges.

THEODORE.

Pour ce qui est de Théodore, elle donne une idée d’une prostitution tout à fait honteuse.

D’ailleurs les Vers que le Poète met dans sa bouche, se ressentent bien davantage de la fierté orgueilleuse d’une ancienne Romaine, que de la piété et de l’humble courage d’une Vierge Chrétienne, qui se serait réjouie de se voir humiliée par son Tyran. Car le Christianisme a toujours fait l’unique noblesse ; et la gloire des Martyrs. Voici comme on la fait parler.

« Cette haute puissance a ses vertus rendue,
L’égale presqu’aux Rois, dont je suis descendue.
Et si Rome, et le temps m’en ont ôté le rang ;
Il m’en demeure au moins le courage et le sang.
Dans mon sort ravalé je sais vivre en Princesse ;
Je suis l’ambition, mais je hais la faiblesse, etc. »

{p. 65}§. V.
Examen de ces paroles de l’Auteur de la Lettre.

« Lap. 33. Comédie est aujourd’hui moins l’Ecole du vice, que de la vertu. »

O Ecole ! ô Maîtres ! ô Doctrine !Is. c. 10. malheur à ceux qui entreprennent d’y faire passer le mal, pour le bien, et les ténèbres pour la lumiere.

Le Grand Maître de cette Ecole est le célèbre Molière, lequel après avoir tant aimé le Théâtre durant sa vie, a eu le malheur d’y mourir misérablement. C’est de lui qu’on parle ainsi à la tête de ses ouvrages.

« Chacun profite à ton Ecole,
Tout en est beau ; tout en est bon,
Et ta plus burlesque parole,
Est souvent un docte sermon. »

Mais qu’entend notre Théologien par le nom de vertu, dont il dit que le Théâtre est l’Ecole.

Il n’entend pas sans doute les vertus Chrétiennes, telles que sont la douceur et l’humilité, le mépris des richesses, l’amour de la pauvreté et du silence. Ces vertus n’ont jamais paru su le Théâtre, et elles ne seraient pas certainement au goût de ces Dames mondaines qui s’y plaisent tant, et qu’on peut appeler Christianæ Theatrales.

Il faut donc que les vertus dont il prétend parler, et dont il dit que la Comédie est l’Ecole, soient celles-ci : une fierté pleine d’orgueil ; un mépris dédaigneux de tout le monde, un amour prodigieux de soi même, un désir insatiable du bien, de l’estime et de la gloire ; ces vices que Dieu punira éternellement dans l’enfer, sont les vertus éclatantes qui plaisent aux Amateurs de la Comédie, dans {p. 66}leurs Héros et leurs Héroïnes, et dont ils ne tâchent que trop, à la perte de leurs âmes, de se rendre les copies vivantes.

Nous verrons ci-après qu’elles sont les leçons qu’on donne dans cette pernicieuse Ecole, après que nous aurons dit un mot ou deux des pièces de cet Auteur, qui ont fait le plus d’éclat dans le monde :

LE TARTUFFE.

On veut faire croire que Molière avait seulement dessein d’inspirer du mépris, et de donner de l’horreur pour ceux qui font un trafic honteux de la dévotion ; et qui s’en servent pour procurer leur avancement dans le monde.

Mais il est sans doute qu’il a poussé les choses bien plus loin. Car il engage les spectateurs dans le danger de n’avoir jamais ni estime ni amour pour la véritable piété.

En effet, sous prétexte de ruiner la fausse dévotion, il représente les brutalités de son Tartuffe avec des couleurs si noires, et il lui fait avancer des maximes si détestables, que la corruption du cœur humain ne manquera pas de les faire appliquer, non à un Tartuffe de Théâtre ; mais à un véritable homme de bien.

Ainsi cette pièce expose les personnes les plus pieuses à une raillerie et à une censure inévitable, et sur l’idée qu’on aura de ce faux dévot, on prendra occasion de les traiter impitoyablement pour la moindre faute qu’on leur verra faire, et de les mettre en parallèle avec Tartuffe. Que si on leur voit faire quelque action de piété et de vertu, on dira que ce fourbe et cet hypocrite en faisait encore de plus surprenantes.

Cela paraît assez par ce que dit Orgon, après qu’on l’a détrompé.

{p. 67}
« C’en est fait. Je renonce à tous ces gens de bien,
J’en aurai désormais une horreur effroyable,
Et m’en vais devenir pour eux pis qu’un diable. »

Le discours que Molière met dans la bouche de ce fourbe, n’est nullement selon les règles de la pudeur.

Elmire, pour convaincre son mari de la déloyauté de ce perfide, fait semblant d’écouter ses vœux, et d’acquiescer à ses désirs criminels. Mais quoi qu’elle soit aussi chaste dans le cœur et devant Dieu, qu’elle l’est peu dans ses paroles ; il est toujours vrai de dire que le Poète lui fait faire des démarches tout-à-fait indignes d’une femme, qui est véritablement fidèle et à son Dieu et à son mari.

Dorine y parle aussi d’une manière qui passe les bornes de la bienséance et de la pudeur. Après cela notre Défenseur de la Comédie osera-t-il dire qu’elles sont toutes honnêtes et toutes bonnes.

Le Festin de Pierre.

Mais que dirai-je de son Festin de Pierre ? Ne semble-t-il pas avoir pris plaisir de faire, en la personne de Dom Juan, une peinture affreuse d’un vrai scélérat, qui n’est capable d’inspirer aux jeunes gens qui en voient la représentation, que des sentiments déshonnêtes, impies et de véritables Athées. Car pour l’ordinaire, l’on est bien plus susceptible du mal qui est enseigné, qu’on est touché de la peine qui le suit.

On voit que Dom Juan ne veut se lier nulle part, il se moque du mariage ; il prétend passer sa vie à dresser continuellement des pièges {p. 68}à l’innocence des filles qui lui plaisent, les cajoler, et en abuser. En un mot, il prétend vivre dans un entier libertinage.

Son père a grand tort d’entreprendre de lui faire des remontrances, et de lui dire qu’il doit se souvenir de son nom et de sa naissance, corriger ses mœurs, et vivre en homme de bien.

Oui, ma foi, il faut s’amender, dit ce scélérat. Encore vingt ou trente ans de cette vie ; et après cela nous songerons à nous.

S’il promet de se corriger, c’est par pure politique. Il faut, dit-il, faire un peu de grimaces pour ménager un père, dont l’on a besoin ; et pour se mettre à couvert du côté des hommes, des fâcheuses aventures qui pourraient arriver.

L’hypocrisie est un vice privilégié, qui ferme la bouche à tout le monde, et qui jouit en repos d’une impunité souveraine.

Combien y en a-t-il qui se servent de ce masque, pour abuser le monde ? Combien y en a-t-il, qui par ce stratagème ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, et qui sous un dehors respecté, ont eu la permission d’être de vrais scélérats. L’on a beau les connaître pour tels qu’ils sont ; ils ne laissent pas d’être en crédit. Un baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux rajustent tout le mal qu’ils peuvent faire.

C’est sous cet abri favorable de l’hypocrisie, que cet impie prétend mettre ses affaires en sûreté. Je ne quitterai pas, dit-il, mes méchantes habitudes ; mais j’aurai soin de me bien cacher. Ainsi je me divertirai à petit bruit, je ferai impunément tout le mal que je voudrai. Jep. 41. m’érigerai en Censeur de tout le monde ; je serai le vengeur de la vertu opprimée : et sous ce prétexte commode, je saurai {p. 69}bien pousser mes ennemis. Je les accuserai d’impiété ; je ferai déchaîner contr’eux des zélés indiscrets, qui sans connaissance de cause crieront, les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’un esprit sage sait s’accommoder aux vices de son siècle.

Il est vrai que ce scélérat devient à la fin un exemple de la justice Divine. Mais le tonnerre qui l’écrase, fait assurément bien moins d’impression sur le cœur des méchants qui assistent à la représentation de cette pernicieuse pièce, que les maximes détestables qu’on lui entend débiter, n’en font sur leurs esprits.

L’Auteur de la Lettre dira-t-il après cela, lui qui dit avoir lu toutes les pieces qui ont été imprimées : « Qu’il n’y a rien trouvé d’indécent qui puisse en aucune manière blesser le Christianisme, ou la pureté des mœurs. »

§. VI.
Combien l’Ecole du Théâtre est détestable et nuisible aux jeunes gens.

Saint ChrysostomeChrys., Hom. 1. de ann. exhorte les parents d’éloigner leurs enfants de toutes les occasions où ils sont en danger de perdre le précieux trésor de leur innocence, et surtout de les empêcher d’aller aux spectacles ; comme on empêche une servante, dit-il, de porter une chandelle allumée en des lieux où il y a de la paille, de peur que lorsqu’on y pense le moins, il ne vienne à tomber une étincelle de feu dans cette matière combustible, et ne cause un embrasement entier de toute la maison.

Et il dit encore dans une autre Homélie,Ibid. Hom. 4. que la Comédie est la perce des jeunes gens, dans lesquels la concupiscence est plus vive et plus {p. 70}forte et qu’elle y cause de funestes ravages dès qu’elle en trouve la moindre occasion.

C’est pourtant à cette Ecole, où régentent un George Dandin, un Cocu Imaginaire, un Trissotin, un Diafoirus, un Tartuffe, et autres gens de cette farine, où des Dames, à la vérité peu sages, et encore moins Chrétiennes, ne laissent pas néanmoins de mener leurs filles, pour commencer, disent-elles, à leur faire voir le monde ; c’est-à-dire pour commencer à leur corrompre l’esprit et le cœur. Ce qui ne tarde guère d’arriver.

La détestable maxime qu’on leur donne à apprendre pour leur première leçon, est celle-ci.

« Qu’à l’amour comme au Dieu suprême,Despreaux dans sa Satire contre les Femmes.
On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même ;
Qu’on ne saurait trop tot se laisser emflammer ;
Qu’on n’a reçu du Ciel un cœur que pour aimer. »

Comme elles sont aidées par la corruption de la nature, et qu’elles ont avec cela devant les yeux quantité de mauvais exemples qui les portent à s’avancer dans le chemin de perdition, elles y font de grands progrès en peu de temps. Car on leur voit sans cesse des Romans entre les mains ; elles se remplissent la tête de misérables Vers, qui deviennent ensuite les règles de leur conduite. On leur apprend que

« Selon divers besoins, il est une scienceTartuffe Act. 4. Sce. 5.
D’étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention. »

Elles se donnent la peine de les bien apprendre ; et comme ils sont le sujet le plus ordinaire de leurs méditations, on les entend souvent dire, pour s’encourager à mener une vie toute mondaine.

{p. 71}
« Aimable jeunesse,Dans le Malade Imaginaire.
 Profitez du printemps
 De vos jeunes ans,
 Donnez-vous à la tendresse,
Ne perdez point ces précieux moments.
 La beauté se passe,
 Le temps l’efface,
 L’âge de glace,
 Vient à la place,
Qui vous ôte le goût de ces doux passe-temps. »

On voit après cela dans cette jeune Damoiselle des manières toutes mondaines, et des airs entièrement immodestes : Elle ne se soucie plus de ses parents ; elle a lu dans le Malade Imaginaire,Act. 11. Sce. que des filles sages et bien honnêtes, se moquent d’être obéissantes et soumises à leurs volontés, et que cela était bon autrefois. Elle croit que la Morale du théâtre est une science de pratique. Le jeu lui plaît, la galanterie lui devient agréable, elle aime à être cajolée, et enfin elle n’a plus de goût que pour les parures, le faste, le luxe et l’enjouement.

Que si par hasard on la mène à une bonne Prédication, et si elle entend quelque chose qui lui cause des scrupules, le diable a grand soin de les lui ôter promptement de l’esprit. Il lui fait consulter ses livres ordinaires, où elle apprend que,

« Dans l’empire amoureux,Atys p. 29.
Le devoir n’a point de puissance.
 L’amour dispense.
Il faut souvent pour devenir heureux.
Qu’il en coûte un peu d’innocence.
 Il est doux à cet âge,
 D’aimer tendrement
 Un Amant qui s’engage.
{p. 72}
Oui, suivant ses ardeurs,
 Ses transports et ses caprices,
 Ses douces langueurs,
 S’il a quelques supplices,
 Il a cent délices
 Qui charment les cœurs. »

Enfin cette pauvre innocente tombe ensuite d’aveuglement en aveuglement. Dieu s’éloigne d’elle, et elle s’abandonnant au torrent de sa corruption. Sa conscience à beau lui faire alors quelquefois de cuisants reproches, elle ne les écoute plus.

« Laissez mon cœur en paix, impuissante Vertu, dit-elle,Ibidem p. 3.
 N’ai je pas assez combattu ?
Quand l’Amour malgré toi me contraint de me rendre,
 Que me demandes-tu ? »

Que si une Damoiselle ainsi élevée vient à se marier, elle est tellement occupée d’elle-même, qu’elle néglige le soin de sa famille et l’éducation de ses enfants. Elle demeure au lit jusqu’à onze heures. Elle va du lit à la table, de la table au jeu, aux visites, et à l’Opéra ; et l’on appelle cela vivre à la grandeur. Que si l’on vient à examiner quelle est la source et la première cause de tous ces désordres, on trouvera que c’est sans doute la Comédie.

§. VII.
De la morale pernicieuse qui se trouve dans les Comédies d’à présent.

Paroles de l’Auteur.

« On peut en tirer des moralités fort instructives, et capables d’inspirer aux hommes de l’amour pour la vertu et de l’horreur pour le vice. »

{p. 73}Saint Isidore dit positivement que les Comédiens ne s’étudient qu’à pervertir le peuple, et non pas à le rendre meilleur. C’est, dit-il, la débauche de leurs Spectateurs qui fait leur félicité et leur bonheur : car s’ils s’appliquaient à la vertu, le métier de Comédien serait aussitôt anéanti : c’est pourquoi ils n’ont jamais pensé à corriger les véritables dérèglements des hommes. Et quand même ils le voudraient entreprendre, ils ne le sauraient faire ; parce que la Comédie d’elle-même, et de sa nature ne peut être que pernicieuse et nuisible.

Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est d’arrêter le cours de certains désordres publics, qui sautent aux yeux, tels que sont, par exemple, ceux des jeunes gens qui font les Marquis, et qui parlent incessamment de leur noblesse : des femmes qui font les précieuses et les coquettes : des Procureurs qui ruinent leurs parties par des chicaneries honteuses. Tous ces gens-là ne sont pas bien aises qu’on les tourne en ridicules sur un Théâtre.

Mais des Comédiens ne sont nullement propres a faire aux Chrétiens des leçons de morale, qui aillent à réformer leurs mœurs.

Pour corriger leur vie et régler leur raison, Les Chrétiens ont l’Eglise, et non pas le théâtre, dit M. l’Evêque de Grasse.

Mais bien loin qu’il y ait des moralités utiles dans les Comédies, j’ai trouvé au contraire dans les pièces de Molière, que j’ai parcourues exprès, des instructions si pernicieuses, qu’on ne saurait trop détourner les jeunes gens de les aller voir représenter. En voici seulement quelques-unes. Rien n’est si scandaleux, par exemple, que la cinquième Scène du II. Acte de l’Ecole des Femmes. Mais descendons au détail

{p. 74}

Méchantes instructions pour les jeunes Damoiselles.

C’est là qu’elles apprennent à aimer les fleurettes et les douceurs, en entendant dire :

« Ce qui me charme en vous,Femmes savantes Acte V. Scene I.
Ce sont vos beaux attraits, vos yeux perçants et doux,
Votre grace, et votre air sont les biens, les richesses
Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses.
C’est de ces seuls trésors que je suis amoureux.
De ne vous pas aimer, je ne suis point capable ;
A moins que vous cessiez, Madame, d’être aimable ;
Et d’étaler aux yeux vos célestes appas. »

Qu’une femme sage considère s’il lui est utile d’exposer aux yeux de sa fille un exemple aussi dangereux qu’est celui qu’on voit dans l’Ecole des Femmes, où une vieille sorcière vient faire des compliments à une Damoiselle de la part d’un jeune muguet, qui se disait transporté d’amour pour elle, et lui vient demander la permission de la venir voir dans sa chambre.

 « Puisque sans ce secours,
C’est un homme à porter en terre dans trois jours. »

Si la grâce de Dieu abandonne cette fille, elle sera assez innocente pour répondre, comme fit cette Agnes, qui parle ici,

« Hélas : très volontiers. Et puisqu’il est ainsi ;Acte II. Scene V
Il peut tant qu’il voudra me venir voir ici. »

{p. 75}Ce jeune Plumet ne manque pas de venir. Il la cajole.

« Il lui dit qu’il l’aimait d’un amour sans seconde,
En se servant de mots les plus jolis du monde.
Tantôt il lui prenait et les mains et les bras,
Et de les lui baiser, il n’était jamais las.
Enfin ce vrai Sathan, dont la gueule altérée
De l’honneur féminin voulait faire curée. »

Sut si bien pervertir l’esprit de cette jeune insensée, qu’elle lui écrivit cette lettre.

« Je serais bien aise d’être à vous. Peut-être y a-t-il du mal à dire cela. Mais enfin, je ne puis m’empêcher de le dire, et je voudrais que cela se put faire sans qu’il y en eut. On m’a dit qu’il ne faut pas écouter les jeunes gens, et que ce sont des trompeurs. Mais je vous assure que je n’ai pu encore croire que ce que vous me dites soit pour m’abuser, et que vos paroles soient menteuses. »

celui qui lui tenait lieu de père tâcha par ses sages remontrances de la faire demeurer dans les bornes de son devoir. Mais, comme cette passion aveugle d’ordinaire celles qui en sont possédées, elle lui répondit sottement :

 « Non ; dans l’âge où je suis,
Je ne veux plus passer pour bête, si je puis. »

Enfin, elle s’échappa, et alla trouver son amant.

« Par un prompt désespoir souvent on se marie.Femme Savantes.
Et puis l’on se repent tout le temps de sa vie. »

Voilà donc ce que de jeunes Damoiselles apprennent à la Comédie.

Instruction détestable que donne Molière aux femmes mariées.

Dieu en formant Eve d’une des côtes d’Adam, {p. 76}a appris aux femmes mariées a considérer leurs maris comme leurs chefs et leurs maîtres, vir caput mulieris. 1 Cor. 10.

Il leur a aussi appris qu’elles devaient leur être soumises et obéissantes : « Sub viri potestate eris, et ipse dominabitur tui. » Gen. 3. 16.

« Ainsi c’est une chose infâme,Femmes Savantes. Acte II. Scen. IX.
Qu’un mari soit soumis au pouvoir d’une femme,
Qu’il se laisse mener en bête par le nez. »

Mais il plaît à Molière de renverser cet ordre divin, il veut qu’elles soient maîtresses, et d’abord, et hautement. Car,

« Ce que dans la jeunesse on prend de liberté,
Ne se retranche pas avec facilité. »

Voici donc les maximes que ce Législateur diabolique établit.

« Il faut que des maris soient toujours complaisants,Acte I. Scene II.
Jusques à leur laisser et mouches et rubans :C’est Ariste qui parle.
Et courir tous les bals, et les lieux d’assemblées…
 Leur donner liberté de voir les Damoiseaux,
Et se faire par eux apporter des cadeaux.
Permettre qu’elle soit toujours leste et pimpante,
Qu’elle ait deux grands laquais avec une suivante.
Qu’elle coure par tout, aime l’oisiveté,
Et soit des Damoiseaux flairée en liberté. »

Sganarelle passe dans l’esprit de ces femmes {p. 77}mondaines pour un ridicule et un impertinant, en voulant les réduire sur le pied où étaient les femmes sages du temps passé. Cela n’est plus à la mode. Il le faut pourtant écouter, car il parle d’assez bon sens.

« Moi dit-il, j’entends que la mienne
Vive à ma fantaisie et non pas à la sienne.
Que d’une serge honnête elle ait son vêtement,
Et ne porte le noir qu’aux bons jours seulement.
Qu’enfermée au logis, en personne bien sage,
Elle s’applique toute aux choses du ménage ;
A recoudre mon linge aux heures de loisir ;
Ou bien à tricoter quelque bas par plaisir,
Qu’aux discours des muguets elle ferme l’oreille ;
Et ne sorte jamais sans avoir qui la veille. »

Que si les femmes ont pour mari quelque benet, qui les retienne et qui les veuille empêcher de voir les jeunes gens, sous prétexte que cela est scandaleux, elles n’ont qu’à écouter Angelique qui leur apprendra comme il les faut régenter. Voici de quel ton parle cette coquette.

Que les Dandins s’accoutument à cela, s’ils veulent. Pour moi, je vous déclare que mon dessein n’est pas de renoncer au monde. Comment ? parce qu’un homme s’avise de nous épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ? C’est une chose merveilleuse que cette tyrannie de messieurs les maris ; je les trouve bons de vouloir qu’on soit mortes à tout divertissement, et qu’on ne vive que pour eux. Je me moque bien de cela, et {p. 78}je ne veux pas mourir si jeune.

Son mari lui représente que c’est en user bien mal avec lui, après lui avoir donné publiquement sa foi.

Elle se moque de cela ; elle lui répond, que ce n’est pas elle qui lui a donné sa foi ; mais que c’est lui qui la lui a arrachée, et qu’elle ne prétend pas être obligée de se soumettre à toutes ses volontés. Qu’elle veut jouir de quelque nombre de beaux jours que lui offre sa jeunesse, prendre les douces libertés que l’âge lui permet ; voir un peu le monde ; et enfin goûter le plaisir qu’il y a à s’ouir dire des douceurs.

Comme la méchanceté de ces sortes de femmes croît toujours ; il ne faut pas s’étonner si Dieu s’éloigne d’elles ; et si la lumière de la grâce s’éteignant dans leurs cœurs, les ténèbres augmentent de plus en plus, et si elles tombent enfin dans des précipices affreux.

N’est-ce pas là donc un beau modèle qu’on donne à des femmes ; afin de les rendre plus fières, plus impérieuses, et plus arrogantes qu’elles ne sont naturellement. O qu’il est fâcheux

De se voir le mari de ces femmes de bien,Dans l’Ecole des Femmes. Acte II. Sc. VIII.
« Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien.
Ces dragons de vertu ; ces honnêtes diablesses,
Se retranchent toujours sur leurs belles promesses.
Et pour un petit tort qu’elles ne nous font pas,
Prennent droit de traiter les gens du haut en bas. »
{p. 79}
Pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête,Femmes Savantes. Acte. II. Scen. IX.
« L’on en a pour huit jours d’effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton.
Je ne sais où me mettre ; et c’est un vrai dragon.Arnolpha parle.
Et cependant avec toute sa diablerie,
Il faut que je l’appelle, et mon cœur et ma mie. »
« Non, je ne pense pas que Satan en personneEcole des Maris Acte V. Scen. IX.
Puisse être si méchant qu’une telle friponne.
Je renonce à jamais à ce sexe trompeur ;
Et je le donne tout au diable de bon cœur.Sganarelle parle.
La meilleure est toujours en malices feconde.
C’est un sexe engendré pour damner tout le monde. »
« Tout le monde connaît leur imperfection.Ecole des Femmes. Acte V. Scene IV.
Ce n’est qu’extravagance et qu’indiscrétion.
Leur esprit est méchant et leur âme fragile.
Il n’est rien de plus faible, et de plus indocile ;
Rien de plus infidèle. Et malgré tout cela,
Dans le monde on fait tout pour ces animaux là. »

Méchantes leçons pour de jeunes gens.

Les jeunes gens qui n’ont ni crainte de Dieu, ni honneur, ni conscience, apprendront d’Arnolphe dans l’Ecole des FemmesDans l’Ecole des Femmes. à contrefaire les amants passionnés.

Et d’Horace, à débaucher les serviteurs, et à les suborner à force d’argent. Car pour réussir dans le damnable dessein, que le diable leur {p. 80}inspire de dresser des pièges à la simplicité des filles.

« Vous savez bien, dit-ilII, quels que soient nos efforts,
Que l’argent est la clef de tous les grands ressorts,
Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes,
En amour, comme en guerre, avance les conquêtes. »

Outre cela, l’Ecole des Maris leur fera voir, qu’on traite en cette Ecole de loups garoux, et de bêtes farouches les parents que leur devoir oblige de veiller à la conservation de l’honneur et de la chasteté de leurs filles.

Pour les parents.

Comme il n’y a rien de plus déguisé, de plus caché et de plus impénétrable que l’esprit et le cœur d’une fille ; les parents se garderont bien de mener les leurs en un lieu où elles apprennent tous les tours, toutes les malices que le diable a inventées pour les pouvoir tromper, et ils se souviendront toujours

« Que les soins défiants, les verrous et les grilles,Dans l’Ecole des Femmes. Acte III.
Ne font point les vertus des femmes et des filles.
C’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir,
Non la sévérité que des parents font voir.

On pourrait tirer beaucoup d’autres endroits très pernicieux des pièces de Molière : mais en voilà assez pour opposer aux fausses louanges que l’Auteur de la Lettre donne à la {p. 81}Comédie de ce temps. Quant aux pièces sérieuses, l’on en a assez dit. Aussi ne serait-il pas difficile de faire voir qu’elles sont peut-être encore plus dangereuses que les Comiques.

Si l’on n’a point touché aux Tragédies de M. Racine, c’est qu’il suffit du désaveu que cet illustre Auteur en fait par sa conduite, et du regret qu’il a d’avoir perdu tant de temps à une occupation si indigne d’un Chrétien, ce qui fera toute sa vie le sujet de sa pénitence. Je crois aussi qu’à cette heure il est revenu aussi bien que beaucoup d’honnêtes gens, du préjugé qu’on se faisait, à l’égard de quelques pièces où l’on représentait des histoires du vieux Testament ; ce qu’on a aussi découvert n’être pas sans danger, et être moins capable de produire de bons effets que de mauvais. Car c’est toujours un très dangereux spectacle, que de jeunes et belles filles qui paraissent sur le théâtre avec tous les agréments naturels et recherchés, et avec tout le luxe et toute la pompe des habits à quoi l’on a renoncé par les vœux du Baptême. Il est encore bon d’avertir ceux qui liront cet écrit, que quand en des traités semblables on fait voir que des Comédies anciennes étaient moins condamnables que celles de ce siècle, on ne prétend pas pourtant qu’elles soient excusables en elles-mêmes, et par rapport à leur représentation sur le théâtre, mais seulement qu’on peut les lire avec moins de danger que les notres, étant même souvent une nécessité de le faire à ceux qui veulent bien apprendre les langues Grecque et Latine. Et il est vrai aussi que ceux qui ont traduit quelques Comédies de Terence ont pris un grand soin d’en retrancher les endroits qui pouvaient choquer la bienséance et l’honnêteté.

{p. 82}

CHAPITRE IV.
Deux conséquences que les Pères de l’Eglise ont tirées des principes qui ont été établis ci-devant. §

Le but que se sont proposés les Saints Pères dans les instructions qu’ils donnaient à leurs peuples, a toujours été la réformation des mœurs. C’est pourquoi non seulement ils tâchaient de leur donner une grande horreur du vice ; mais ils les portaient aussi à fuir et à éviter les personnes qui pourraient les y porter. C’est sur ce principe que sont fondées deux conséquences.

La première est, qu’il faut chasser les Comédiens. Ce sont les propres termes de saint Chrysostome.Chrys. Hom. 12 1. prim. Ep. ad Cor. c. 4 p. 123. Ces gens-là étant, déclarés infâmes, comme ils sont, dit-il, il les faut chasser.

C’est sur ce principe que le Concile de Paris, tenu en 829. sous Louis le Débonnaire, exhorte ce Prince à ne les pas entretenir ; et il les met en parallèle avec les impudiques, « impudicos et histriones non nutrire. »

C’est sur ce principe que Philippe Auguste les chassa de sa Cour les regardant comme les ministres du diable, dit Rigord son Historien ;V. Duchesne. Tom. 5. p. 21. et étant persuadé que leur donner les beaux habits qu’il quittait, c’était sacrifier aux démons. « Histrionibus dare, dæmonibus est immolare. » C’est pourquoi, suivant l’exemple du saint Empereur Henry I. il aima mieux les faire vendre, pour entretenir les pauvres, de l’argent qui en viendrait.

Mézeray qui loue fort ce grand Prince d’avoir {p. 83}chassé les Comédiens, nous en fait cette peinture.Dans son abr. in quarto.

Ce sont, dit-il, des gens qui ne servent qu’à flatter et à nourrir les voluptés et la fainéantise ; et à remplir les esprits oiseux de vaines chimères, qui les gâtent, et qui causent dans les cœurs des mouvements déreglés que la sagesse et la religion commandent si fort d’étouffer.

C’est sur ce principe que le grand saint Louis les chassa de sa Cour, histriones aula exegit, dit Paul Emile.

C’est sur ce principe que saint Charles Borromée témoigne dans un de ses Conciles, qu’il fallait prier les Magistrats de les chasser de Milan et de toute la Province,Ex Const. et Decr. Prov. Mediol. p. 121. comme des gens perdus ; et de punir tres sévèrement les Cabaretiers et autres telles gens qui les recevraient chez eux.

C’est ce qui fit aussi que Ghuevara Gouverneur de Milan, les chassa effectivement de cette Ville, à la sollicitation de ce S. Archevêque, comme des gens qui passaient leur vie dans un métier honteux, et qui ne s’occupaient qu’à corrompre les bonnes mœurs de ceux qui les allaient voir, par des fables souvent déshonnêtes qu’il leur débitaient, « qui turpibus plerumque fabulis ad depravandos spectatorum mores accommodatis, sordidum quæstum faciunt ».

C’est sur ce principe que le Jésuite MarianaMar. de Rege et Regis institut. considérant les Comédiens, comme des gens tous corrompus et propres à corrompre les autres, exhorte Philippe III. Roi d’Espagne à les exterminer de son Royaume, et à ne pas souffrir qu’ils pervertissent ses sujets « Exturbet eam pravitatem, neque concedat mores suorum ea turpitudine depravari. »

Nous voyons aussi dans Tacite,Tac. lib. 4. ann. que l’Empereur {p. 84}Tibère les chassa autrefois de toute l’Italie, par un Décret du Sénat.

Et certes, si l’on a toujours eu en horreur, et si l’on a exterminé autant qu’on a pu les empoisonneurs ; parce qu’on n’a rien de plus précieux que la vie du corps, laquelle ils tâchent d’ôter. Avec quelle exécration ne doit-on pas regarder les Comédiens, qui empoisonnent les âmes, et qui faisant doucement avaler le venin des passions dans les comédies, ôtent la vie de la grâce, qui est incompatible avec elles.

Lorsqu’on a une fois avalé le poison, l’on ne peut plus ensuite en empêcher l’effet, il faut qu’il agisse sur le corps ; il en est de même pour l’âme. Ainsi quand un jeune homme a été prendre quelques malheureuses leçons à la comédie, et qu’on lui a, par exemple inspiré, ou l’amour des plaisirs ou du luxe, ou de l’ambition, ou de la vengeance, il est après cela bien difficile de l’en guérir.

Il ne faut pas attendre que les Comédiens se puissent réformer. Ils cesseraient d’être ce qu’ils sont, et ne pourraient plus divertir le monde, s’ils n’émouvaient les passions. L’innocence est tout-à-fait incompatible avec cette profession.

La deuxième conséquence que les Pères de l’Eglise ont tirée des principes qui ont été ci-devant établis, c’est qu’il n’est pas permis de contribuer à la subsistance des Comédiens ; parce que c’est entretenir le vice. Ceci est fondé sur ce qui est dit dans le 12. chapitre de l’Ecclésiastique, verset 7. Ne donnez rien à l’impie, et empêchez qu’on ne lui donne de quoi se nourrir. « Ne dederis impio, prohibe panes illi dari » ; car vous trouverez un double mal dans {p. 85}tout le bien que vous lui ferez, parce que le Très-haut hait les pécheurs, et qu’il exerce sa vengeance sur les méchants. « Duplicia malæ invenies in omnibus bonis, quæcumque feceris ; quoniam Altissimus odio habet peccatores, et impiis reddet vindictam. »

S. Augustin soutient que c’est faire un péché énorme, que de donner quelque chose aux Comédiens, parce que c’est louer et entretenir le pécheur dans les désirs criminels de son âme, et donner des bénédictions à celui qui fait mal. « Donare res suas histrionibus, vitium est immamane : quia laudatur peccator in desideriis animæ suæ, et qui iniquè agit, benedicitur. »Aug. Tract. in cap. 4. Ioan.

Cet incomparable Docteur met encore ailleurs les Comédiens en parallèle avec les femmes de mauvaise vie, qu’on sait bien ne pas devoir être entretenues dans leurs désordres. Ceux qui donnent quelque chose aux Histrions et aux femmes perdues, dit-il, n’ont pas égard à la nature, qui est l’ouvrage de Dieu ; mais ils ne considèrent que la dépravation de ces gens-là, dont ils tirent du plaisir. « Qui donant histrionibus et meretricibus, non ibi attendunt naturam operis Dei ; sed nequitiam operis humant. »Aug. in Psalm. 102.

Le grand saint Grégoire se plaint aussi de cet abus qui régnait de son temps : il y a quelques gens riches, dit-il, qui font de grandes largesses aux Histrions, tandis que les pauvres périssent de faim. « Nonnulli hujus mundi divites, cum fame cruciantur pauperes, effusis largitionibus nutriunt Histriones. »Greg. 1. part post. c. 1.

Jean de Sarisbery fait la même plainte, et dit que plusieurs personnes riches par une magnificence aveugle et très digne de mépris, prostituent leurs faveurs, et font des dépenses qui doivent plutôt faire pitié, que donner de {p. 86}l’admiration, afin de faciliter à des Comédiens et à des Bouffons le moyen de faire paraître davantage leur méchanceté. « Gratiam suam Histrionibus et Mimis multi prostituunt ; et in exhibenda malitia eorum cœcâ quadam et contemptibili magnificentiá, non tam mirabiles, quam miserabiles faciunt sumptus. »Jean. Sarisb. lib. 1. de nugis Curial. c. 8. p. 27.

Les cœurs des hommes sont si pervertis et si mal tournés, dit encore excellemment saint Augustin,S. Aug. Epist. 5. ad Marcel. qu’ils s’imaginent que le monde est heureux, lorsque ceux qui l’habitent, ne travaillent qu’à embellir leurs maisons ; et qu’ils ne font pas d’attention à la ruine de leurs âmes, lorsqu’on s’amuse à bâtir des Théâtres magnifiques, et qu’on détruit les fondements de la vertu ; lorsque les riches dans l’abondance des biens où ils se trouvent, mettent leur gloire à entretenir les débauches des Comédiens, pendant que les pauvres gémissent dans la misère, et que les choses les plus nécessaires à la vie leurs manquent. Quand Dieu permet que ces choses arrivent, c’est alors qu’il est plus en colère. Et quand il laisse ces crimes impunis ; c’est alors qu’il les punit plus sévèrement. Et quand il ôte aux riches le moyen d’entretenir leurs vices, et qu’il réduit à la pauvreté l’abondance qui leur était si funeste, c’est un traitement qu’ils doivent considérer comme un effet d’une grande miséricorde de Dieu à leur égard.

Qu’onp. 11. juge après cela si le Théologien a raison de dire, comme il fait, « non seulement il n’y a point de péché à assister les Comédiens, mais encore, c’est une action de justice de leur donner, comme l’on y est obligé, la récompense de leur ministère ».

O étrange ministère qu’on est obligé de récompenser ! Les Comédiens contribuent à la {p. 87}damnation de leurs spectateurs : et il faut encore que les spectateurs les payent de leurs peines. Mais parlons mieux, comme les spectateurs sont cause que les Comédiens jouent ; ce sont eux aussi qui se chargent de répondre devant Dieu de leur péché. Car ils ne joueraient pas s’ils n’avaient point de spectateurs. Ainsi ce sont eux qui les font demeurer dans leurs professions criminelles. Or la raison souffre-t-elle qu’on fasse son divertissement du péché des autres, qu’on les porte à offenser Dieu, et qu’on se rende complice du mal qu’ils font ? Le péché des Comédiens est énorme, puisqu’il est puni dès cette vie de l’Excommunication et de l’infamie, qui sont les deux plus grandes punitions qu’aient l’Eglise et l’Etat civil : le péché de ceux qui contribuent à leur entretien, ne peut donc pas être léger. Que tous ceux qui vont à la Comédie fassent un peu de réflexion à cela.

La misère déplorable du temps, rend encore leur péché plus grief. Car si tous les Abbés, les jeunes fainéants, les Dames mondaines et autres telles gens qui ne plaignent pas trois ou quatre Louis à une Loge, pour passer deux ou trois heures de temps à voir offenser Dieu, en avaient donné chacun la moitié aux pauvres : combien y en aurait-il eu de soulagés, qui ne seraient pas morts de faim. Ils doivent donc craindre que Dieu ne leur dise en son jugement ; « quia non pavisti occidisti ». Vous êtes coupables de la mort d’autant de personnes que vous en auriez pu sauver en les assistant de ce que vous avez prodigué pour votre plaisir. Enfin on doit conclure que la Comédie est un plaisir contraire aux bonnes mœurs, aux règles de l’Evangile, aux décisions de l’Eglise, aux sentiments des Saints Pères, de tous les Auteurs {p. 88}Ecclésiastiques, de tous les gens de bien qui ont une piété solide, et que même elle est contraire aux sentiments des honnêtes Païens, comme on l’a fait assez voir.

II. PARTIE.
Où l’on répond aux Objections de l’Auteur de la Lettre. §

ARTICLE I.
Du mépris injurieux que fait le Théologien de l’autorité des anciens Pères de l’Eglise, en leur préférant les Scholastiques modernes. §

Avant que d’entreprendre de répondre aux Objections de l’Auteur de la Lettre, il est bon de donner ici de l’horreur d’un principe, sur lequel il se fonde ; qui est qu’il faut préférer les opinions des Scholastiques modernes, à celles des anciens Pères de l’Eglise.

Dieu a donné autrefois à son Eglise, quantité de grands Saints qu’il a animés de son esprit, et remplis de ses lumières, pour être les maîtres et les guides des fidèles dans les voies de leur salut ; et il a en même temps donné aux fidèles une si grande vénération, et tant de docilité et de soumission pour eux, qu’ils ont toujours considérés leurs sentiments comme devant être la règle de leur conduite. Les Pères {p. 89}de l’Eglise ayant donc toujours interdit la Comédie aux véritables Chrétiens ; ceux-ci les ont toujours suivis. C’est ce que reconnaît l’Auteur de la Lettre.

« Jep. 2. me sens, dit-il,  accablé par un torrent de passages des Pères, qui depuis le premier jusqu’au dernier, ont toujours fulminé contre les spectacles, et ont employé la ferveur de leur zèle et la vivacité de leur éloquence, pour en donner une si grande horreur aux fidèles ; que les consciences faibles et timorées traitent de pernicieux et de relâchés les Docteurs qui ont l’indulgence de les tolérer. »

Etp. 4. certes, il était impossible que les Pères de l’Eglise en parlassent autrement, puisque l’Auteur de la Lettre avoue qu’ils ont toujours regardé la Comédie, comme « l’une des plus pernicieuses inventions du démon ».

Mais les sentiments des Pères qui ne sont pas assez accommodants pour les gens du monde, n’ont pas aussi été agréables à notre faiseur de Lettre. Il a mieux aimé se ranger du parti des Scholastiques, qui presque tous, comme il parle, sont d’avis de faire grâce à la Comédie. Etp. 2. ainsi il croit qu’il faut préférer Sanchez, Comitole, Emanuel Sa, Diana et Bonacina qu’il cite à la marge, à Saint Chrysostome, à Tertullien, à saint Cyprien, à S. Augustin, à Salvien, et aux autres Pères qui ne font aucun quartier aux gens du monde.

Voilà les guides du salut et les conducteurs que notre faiseur de Lettre propose aux fidèles ; et il leur donne de magnifiques louanges, afin qu’ils en aient une opinion avantageuse. « Cep. 2. sont, dit-il, d’habiles Théologiens, encore plus recommandables par la sainteté de leurs mœurs, que par l’éclat de leur science. »

« Je ne puis lire ces grands Hommes, ajoute-t-il, {p. 90}si distingués, par leur piété et par leur doctrine, que je ne me laisse adoucir par la droiture de leurs raisonnements ; et plus encore par la force de leur autorité. »

Mais voyons jusqu’où va l’aveuglement de cet indigne Théologien, dans la passion qu’il a de favoriser ses bons amis. Car il ne se contente pas d’avoir des sentiments si nuisibles ; mais il veut même en rendre garants les Pères de l’Eglise. Ecoutons-le parler.

ARTICLE II.
Paroles de l’Auteur de la Lettre. §

« Cep. 61. n’est pas mon sentiment, ni ma doctrine particulière, (à savoir que la Comédie est bonne, honnête, et licite) mais c’est la doctrine et le sentiment des Saints Pères que j’ai lus et relus. »

RÉPONSE.

Se peut-il voir une impudence pareille à celle-là ? Il a, dit-il, lu et relu les saints Pères ; et ayant trouvé dans leurs Livres des sentiments tout opposés aux siens ; il ose dire hardiment que c’est leur doctrine qu’il débite dans sa Lettre. Pour le faire rougir de honte, il faut les faire ici parler eux-mêmes, et rapporter seulement quelques-uns de leurs passages, pour n’être pas trop long.

Saint Jean Chrysostome.

Comme cet incomparable Docteur de l’Eglise Grecque a demeuré quatorze ans dans Antioche, capitale de la Syrie ; et quatre dans Constantinople, où la Cour faisait son séjour ordinaire ; et où par conséquent les spectacles étaient très fréquents ; il ne faut pas s’étonner {p. 91}qu’il ait employé si fortement son zèle et son éloquence, pour déraciner un abus qu’il croyait si préjudiciable au salut des âmes, dont Dieu lui avait confié le soin.

Il appelle les théâtres « la boutique des démons et la source de toutes sortes de maux et de désordres ». Hom 38. in Math.

Et il nomme la Comédie une peste funeste, et une mer de perdition. Voici comme il en parle à son peuple dans son Homélie 6. sur saint Mathieu.

« Il ne nous est point permis à nous autres Chrétiens qui sommes appelés à la possession d’un Royaume éternel ; à nous autres, dis-je, dont les noms sont écrits en la Jérusalem Céleste, d’aller à la Comédie, et de nous amuser à de tels divertissements. Ils ne conviennent pas à des soldats de Jésus-Christ, qui doivent être revêtus d’armes spirituelles ; mais ils ne sont propres qu’à des gens qui sont à la solde du démon. C’est lui qui a fait un art de la Comédie, afin d’attirer à son parti les soldats de J.C. en amollissant leurs cœurs, et en émoussant leurs courages. C’est pour ce sujet qu’il a fait bâtir des théâtres dans les Villes, et qu’il a appris tant de sottises aux Comédiens ; afin de tâcher de répandre partout le poison dont il est tout plein. »

« Vous ne savez ce que c’est que le Christianisme,Hom. 57. in c. 9. Ioan. leur dit-il ailleurs, quoique vous fassiez profession d’être Chrétiens, et que vous en preniez le nom. Car y eut-il jamais une folie comparable à la votre ? Je vois non seulement de jeunes gens aller à la Comédie, mais aussi des vieillards ; et je rougis pour eux de ce qu’ils déshonorent ainsi leurs cheveux gris, qui devraient attirer sur eux la vénération de tout le monde. Hé quoi ! n’est-il pas honteux, plus {p. 92}qu’on ne le peut dire, de les voir entraîner de jeunes gens par leur exemple, à aller ouïr les sottises qui s’y disent ? N’est-il pas, dis-je, honteux, que ce soit de son père qu’un fils apprenne à folâtrer comme lui ? Je vois bien que la liberté que je prends de vous parler ainsi, vous blesse, mais je le fais exprès ; afin que ces blessures vous deviennent salutaires, et qu’elles vous fassent enfin quitter une conduite si indécente à des Chrétiens ; et si déréglée. »

« Je monte aujourd’hui en chaire tout triste et tout abattu, dit-il encore dans une autre Homélie,Hom. 40. in Genes. quand je fais réflexion que nonobstant mes remontrances et mes exhortations, plusieurs de ceux qui m’écoutent et qui participent aux divins mystères, perdent encore des apresdinées entières aux spectacles ; et se vont jeter de propos déliberé dans les pièges que le diable leur tend ; sans que ni mes exhortations, ni la vanité de ce divertissement, ni le danger où ils s’exposent, soient capables de les faire rentrer dans eux-mêmes. En effet, puis-je prendre plaisir à continuer d’instruire des personnes, qui n’ont pas dessein de profiter de mes instructions ? Un laboureur prend-il plaisir d’ensemencer une terre qu’il voit toujours demeurer stérile, après la peine qu’il s’est donnée de la bien cultiver ? et un Médecin n’abandonne-t-il pas un malade, quand il voit qu’il ne veut pas suivre le régime de vie, qu’il lui a prescrit ? »

Enfin, il les menace de les excommunier ; pour leur apprendre,Hom. 6. in Math. dit-il, à ne point venir écouter la parole de Dieu avec tant d’indifférence et de mépris. Car il ne faut pas se servir toujours de lénitifs et de remèdes doux et bénins ; mais quand le mal résiste à la raison, il en faut employer de plus forts ; pour empêcher qu’il ne gagne, et ne corrompe les autres parties {p. 93}du corps qui sont encore saines. Une chose, pour laquelle un Docteur si éclairé menace d’excommunier ceux qui la font, peut-elle passer pour indifférente ?

Saint Epiphane.

Ce Saint met les Comédies en parallèle avec la fornication et l’adultère dans son abrégé de la Doctrine Chrétienne. Il ne doute donc pas qu’elles ne soient mauvaises.

Pères de l’Eglise Latine.

Les Pères de l’Eglise latine n’ont pas cru aussi que les Comédies fussent bonnes, honnêtes, et licites.

Tertullien


Il appelle le théâtre. Une chaire de pestilence, l. de Spect. c. 20.
Le Consistoire de l’impudicité, c. 7.
Le donjon de toutes sortes de turpitudes, c. 10.
Le temple de tous les démons, c. 3.

Il témoigne que de son temps pas un Chrétien n’allait au théâtre, et que c’était une marque assurée qu’un Païen était converti et avait embrassé la foi, quand il cessait d’aller aux spectacles : « De repudio spectaculorum intelligunt factum esse Christianum », dit-il.

Je ne m’arrêterai pas ici à ce que dit cet excellent Auteur contre la Comédie ; non plus qu’à ce qu’en a écrit Saint Cyprien : parce qu’il faudrait copier tous entiers les deux beaux traités qu’ils en ont fait.

Saint Augustin.

Cet incomparable Docteur parle ainsi aux Catéchumènes ;Aug. l. 2. de Symb. ad Cathec. « Le démon qui est notre irréconciliable ennemi, se sert de deux sortes d’armes pour nous attaquer ; et tout chrétien qui est {p. 94}soldat de J.C. et qui veut triompher de lui par une glorieuse victoire, doit se mettre en état de lui résister, en se munissant contre ses efforts. Mais quelles sont les armes, dont se sert le démon, me demanderez-vous ? Ces armes sont les plaisirs, et la crainte. Et vous devez savoir, mes très chers frères, qu’il en attire bien plus à son parti par les plaisirs, que par la crainte. Car pourquoi pensez-vous qu’il propose aux chrétiens les pièges des spectacles, sinon afin qu’il tâche de rengager sous sa tyrannie ceux qui étaient assez heureux pour en être déja échappés ? » Il donne ailleurs cet excellent avis à son peuple.

« LorsqueDe Cathechi. rudibus., dit-il, vous verrez un grand nombre de chrétiens, non seulement aller aux théâtres : mais aussi les défendre, et tâcher d’inspirer aux autres le désir de les imiter ; attachez-vous à la loi de Dieu ; et gardez-vous bien de suivre ceux qui en sont les ennemis et les prévaricateurs. Car ce ne sera pas sur leurs sentiments et leurs imaginations que vous serez jugé ; mais ce sera sur la verité de cette loi immuable. Joignez-vous aux gens de bien ; et faites amitié avec ceux qui ont de l’amour pour le même Roi que vous aimez. »

DansIn Ps. 40. c. 4. l’un de ses traités sur les Psaumes, il fait la division des plaisirs des hommes en ceux qui sont innocents, et ceux qui sont criminels. Et il place les comédies parmi les derniers, et les fait aller de pair avec les adultères, les jeux de hasard, et les ivrogneries : « Multi, dit-il, acquiescunt in theatris, in alea, in luxuria popinarum, multi in libidinibus adulteriorum. »

« Enfin étant pénétré de douleur de voir que quelques-uns ne laissaient pas d’aller encore à la comédie, il exhorte ainsi son peuple d’offrir à Dieu leurs prières pour eux.

« Mes chers frères, qui êtes les citoyens de la {p. 95}Jérusalem Céleste ; je vous prie, ou pour mieux dire, je vous conjure par la paix qui y règne, et par celui qui l’a rachetée et qui la gouverne, d’offrir vos prières au Seigneur pour ces personnes ; afin qu’il leur fasse la grâce de reconnaître la vanité de ces divertissements trompeurs ; et qu’après y avoir pris tant de plaisir, ils rentrent dans eux-mêmes, et qu’ils commencent à se déplaire à eux-mêmes. Car mes chers frères, il leur est très dangereux ; ou pour mieux dire il leur est très pernicieux de pécher, comme ils font, avec une entière connaissance. Celui qui prend part à ces vains plaisirs en méprisant la parole de J.C. est bien plus coupable, que ne le sont ceux qui y vont, sans avoir été instruits de ce qu’ils doivent éviter. »

Saint Jerôme.

CeHier. Conc in c. 20. Ezech. grand Docteur exhorte les Chrétiens à ne pas aller à la Comédie ; parce, dit-il, qu’elles sont capables de souiller la pureté de leurs âmes ; et que cette parole de l’Ecriture s’accomplit d’ordinaire dans ceux qui y vont : « la mort entre par les fenêtres » ; c’est-à-dire, le péché entre dans leurs âmes, par leurs yeux et par leurs oreilles.

Saint Isidore Archevêque de Séville.

IlIsid. Hispal. l. et qui. c. 17 Au 7. siècle. dit que les Chrétiens ne doivent pas avoir de commerce avec les folies du Cirque, et l’impudicité du théâtre. Car c’est renoncer à Dieu que de s’amuser à ces vanités ; c’est se rendre prévaricateur de la foi chrétienne, que de rechercher après le Baptême les choses, auxquelles l’on a renoncé en le recevant (c’est-à-dire les plaisirs, et les pompes du monde).

Salvien.

Cet éloquent Prêtre de Marseille qui vivait dans le V. siècle témoigne que de son temps, {p. 96}en recevant le Baptême, l’on avait accoutumé de renoncer particulièrement aux spectacles.

CeSalv. l. 6 de Prov. qui lui fait avancer cette proposition, « Qu’aller à la Comédie après le Baptême, c’est apostasier de la foi, et commettre une prévarication mortelle contre le Symbole et les Sacrements célestes. » « In spectaculis quædam apostasia fidei est, et à Symbolis ipsius et cælestibus Sacramentis lethalis prævaricatio. » C’est pourquoi il apostrophe ainsi les Chrétiens.

« Comment pouvez-vous aller aux spectacles après vôtre Baptême, vous qui confessez qu’ils sont l’ouvrage du démon ? Car en y allant, après y avoir renoncé, n’avouez vous pas que c’est de votre plein gré, et avec une entière connaissance que vous vous engagez une seconde fois dans ses liens ? » « Quomodo, ô Christiane, spectacula post baptismum sequeris, quæ opus esse diaboli consiteris ? Renuntiasti diabolo, et spectaculis ejus ; et per hoc, necesse est, ut prudens et sciens, dum ad spectacula remeas, ad diabolum te redire cognoscas. »

« LeIbid. sujet de mes plaintes, dit encore ce saint Prêtre, c’est qu’en allant à la Comédie nous devenons plus coupables et plus inexcusables que les païens et les barbares. Car pour eux l’ignorance de la loi les excuse ; au lieu que la connaissance de cette même loi vous rend bien plus criminels. S’ils aiment, s’ils font le mal ; cela vient de ce qu’ils ne connaissent point le bien, et qu’ils ignorent ce que la vérité demande d’eux. Mais pour nous, qui avons la connaissance de la vérité et du bien ; non seulement nous ne le faisons pas, mais même nous faisons tout le contraire. »

Il faut encore mettre ici après les Pères de l’Eglise, les sentiments des gens doctes et pieux qui ont paru presque de notre temps.

{p. 97} Pétrarque. Petrar. dial. 3.

Les théâtres ont toujours été fort contraires aux bonnes mœurs. Et si l’on est déjà méchant, lorsqu’on y va ; l’on en revient ordinairement bien pire qu’on n’y était allé.

Car, pour ce qui est des gens de bien, ajoute-t-il ; ils ne savent pas même le chemin qui y conduit. Et si par hasard quelqu’un d’entr’eux y va, sans savoir encore ce que c’est ; il est sans doute qu’il se ressent toujours du mauvais air qu’il y a été respirer.

Bodin. Bodin au l. 6. de sa Repub. c. 1.

Le théâtre des joueurs est un apprentissage de tout impudicité, ruse, finesse, et méchanceté. Et AristoteArist. l. 7. polit. c. 15. a bien raison de dire, qu’il faut bien garder les enfants d’aller aux jeux comiques. Il aurait encore mieux fait de dire, qu’il faut raser les théâtres, et fermer les portes des Villes aux joueurs….

Parce que la Comédie est une peste des plus pernicieuses qu’on puisse s’imaginer, et qu’il n’y a rien qui gâte plus les bonnes mœurs et la simplicité naturelle du peuple.

Mariana Jesuite. Maria. l. 2. de Regis instit. c. 5.

Ce Père, qui est le plus célèbre de tous les historiens d’Espagne, parle fortement contre la Comédie et les Comédiens dans son livre de la bonne éducation d’un Prince, qu’il dédia à Philippe III. Roi d’Espagne.

Il l’appelle un métier infâme et pernicieux, et il la fait la source d’une infinité de crimes, et la boutique de l’impudicité, et de la méchanceté ; où les personnes de tout sexe, de tout âge, et de toute condition se pervertissent et se corrompent. Les jeunes gens particulièrement, et les filles, dit-il, y sont embrasées, du feu d’une passion brutale, qui est excité par ce qu’on y voit, et ce qu’on y entend. Ce qui {p. 98}est cause de la déplorable corruption qu’on voit aujourd’hui dans le monde. Il ajoute que rien n’étant plus pernicieux aux bonnes mœurs, ni plus injurieux au Christianisme, que la licence qu’on prend dans les Comédies, un Prince doit bien se donner de garde de les autoriser par son exemple et par sa présence. « Censeo ego moribus Christianis certissimam pestem afferre Theatri licentiam, nomini Christiano gravissimam ignominiam. Censeo principi eam rem vel maximæ curæ fore, ne ipse suo exemplo authoritatem conciliet arti vanissimæ, si frequenter intersit spectaculis, audiatque libenter fabulas, etc. »

Il veut surtout qu’on empêche les jeunes gens d’assister à la Comédie, de peur dit-il, qu’étant comme la pépinière de la Republique, ils ne soient dès leurs plus tendres années tout gâtés et corrompus. Ce qui lui serait très préjudiciable.

Le Père Senault, Général des Pères de l’Oratoire. Dans son Liv. du Monarque.

Je détournerai toujours les Chrétiens, dit-il, d’aller à la Comédie, et je leur conseillerai d’éviter un écueil, qui est d’autant plus dangereux, qu’étant, comme il est agréable, il fait faire souvent de tristes naufrages à la chasteté.

Plus la Comédie semble honnête, plus je la tiens criminelle ; parce que le plaisir fait entrer insensiblement toutes les choses du monde dans notre esprit. Il n’y a rien de si mauvais qui n’y soit bien reçu, quand il est accompagné de ce poison agréable, qui est l’appas qui couvre l’hameçon auquel il est attaché.

Onp. 61. peut voir par ces passages, que les anciens Pères de l’Eglise, ne sont nullement favorables à l’Auteur de la Lettre, et qu’il en impose {p. 99}au monde, quand il dit qu’après les avoir lus et relus, c’est leur doctrine, et non la sienne qu’il débite.

ARTICLE III.
Réponse à l’autorité de S. Thomas. §

Comme l’Auteur de la Lettre, tâche d’éblouir le monde par le nom de saint Thomas, et de se mettre à couvert sous son autorité ; il faut examiner s’il a raison de dire que ce Saint permet d’aller à la Comédie ; en sorte qu’étant, comme il dit, épurée, bonne et honnête, l’on y puisse assister en sûreté de conscience et sans scrupule.

Ilp. 5. en fait un grand éloge et bien inutile.

Car tout le monde convient que la doctrine de cet Ange de l’Ecole, de ce Maître et de ce Chef des Théologiens, est célèbre dans le monde, et avantageuse à l’Eglise en beaucoup de points qu’il a traités excellemment ; mais s’ensuit-il qu’on puisse l’opposer tout seul aux Pères de l’Eglise qui lui sont antérieurs, et que son opinion particulière doive contrebalancer les décisions positives des Conciles. Nullement.

2. On ne lui doit point attribuer le don de l’infaillibilité dans tous les points qu’il a traités. Elle ne convient qu’aux Ecritures dictées par le Saint Esprit, et à l’Eglise, dans les décisions qu’elle fait sur les matières de la Foi, des mœurs et de sa discipline générale, et dans ses assemblées universelles, ou dans celles qu’elle autorise par son consentement, lorsqu’elles sont prononcées par son Chef visible.

Mais2. 2. q. 168 art. 2. in C. p. 335. ce qui est considérable ; c’est que la condamnation de la Comédie d’aujourd’hui se tire naturellement de l’endroit de saint Thomas, {p. 100}dont ce Théologien prétend se servir pour l’autoriser.

Quoiqu’un grand Prélat ait déjà remarqué cela. Je ne laisserai pas d’en dire encore ici un mot.

S. Thomas ayant établi cette maxime, que l’esprit a autant besoin de relâchement et de repos après le travail, que le corps a besoin de nourriture, dit que dans le divertissement on doit prendre trois précautions.

La première est, qu’on ne le recherche pas en des actions et en des paroles déshonnêtes et capables de nuire.

La deuxième est, qu’on ne relâche pas entièrement la gravité de l’âme, et que l’harmonie et le concert des bonnes œuvres n’en soit pas interrompu.

Et la troisième est, que le divertissement convienne aux personnes et au temps.

Or ces trois précautions nécessaires selon saint Thomas, pour rendre un divertissement bon et louable, se trouvent-elles dans la Comédie d’aujourd’hui ? Nullement. Saint Thomas ne les approuve donc pas aujourd’hui ?

En effet, pour ne pas parler des mots équivoques, dont l’on enveloppe souvent les actions déshonnêtes, et qui font toujours de très dangereuses impressions ; il est certain que les tendresses de l’amour, les emportements de la colère, et la fureur de la vengeance sont capables de nuire beaucoup. Or cela se trouve toujours dans les Comédies d’aujourd’hui.

La deuxième précaution que saint Thomas exige dans le divertissement, ne se trouve pas aussi dans les personnes qui fréquentent la Comédie : qui dissipe entièrement la gravité de l’âme, comme nous avons déjà dit. L’harmonie et le concert des bonnes œuvres n’est pas {p. 101}aussi interrompu par ces Dames mondaines, ni par ces Abbés qui n’ont pas d’occupation réglée durant le jour. Ainsi ils n’ont pas besoin de la Comédie pour relâcher la gravité de leur âme qui n’est jamais dans cette situation.

Enfin la troisième précaution que saint Thomas veut qu’on apporte, pour que le divertissement soit louable, est qu’il convienne aux personnes et au temps.

Or peut-on dire cela de la Comédie d’à présent ? Convient-elle à des Chrétiens qui sont des enfants d’un Dieu, et à la sainteté des jours de Dimanches et de Fêtes, et au temps de l’Avent et du Carême, pour lesquels nos Pères ont toujours eu tant de vénération ? Cela ne se peut dire. Il faut donc conclure que S. Thomas n’approuve pas la Comédie d’à présent à l’endroit même qu’on cite de lui.

Ce saint Docteur passe bien au delà. Car il dit positivement que les Comédies sont mauvaises, en ce que ceux qui y vont deviennent plus enclins et plus disposés à l’Impureté et à la cruauté,2, 2. q. 167. ad 2. p. 334. par la simple vue des choses qui se représentent sur le Théâtre D’où vient que saint Chrysostome, dit Hom. 6. sur saint Mathieu, ajoute-t-il, que les spectacles rendent ceux qui y vont effrontés et adultères.

Réponse à l’authorité de S. Charles Borromée et de S. François de Sales, dont l’Auteur de la Lettre, tâche de se prévaloir.

L’auteur de la Lettre n’a guère mieux réussi en prétendant que ce grand Archevêque de Milan lui était favorable, et qu’il avait permis qu’on jouât des Comédies dans cette grande Ville, puisque nous voyons qu’il a fait tout le contraire. Car

{p. 102}Premièrement il défendit de représenter dans les Eglises la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, et le Martyre des Saints, comme l’on avait accoutumé de faire auparavant, à cause que cela donnait occasion au mépris et à la raillerie de nos mystères. Lib. 1. Const. et Decr. Synod. Prov. Mediol. de actionibus et repræs. sacris, p. 33.

Secondement il ordonna à ses Suffragants d’avoir grand soin d’empêcher qu’aux saints jours des Dimanches et des Fêtes, on ne jouat aucunes Comédies ; et qu’on ne fît même aucunes sortes de représentations. In Act. Eccles. Mediol. de Festor. cultu. p. 36.

En troisième lieu, il recommanda aussi très expressément aux Prédicateurs d’employer leur zèle et leur éloquence, pour invectiver fortement contre les bals, les spectacles et les Comédies ;In inst. præd. p. 452. qu’il appelle les appas des péchés, et de représenter aux peuples que ces divertissements tirent leur origine des mœurs corrompues des Païens ; combien ils sont opposés à la discipline Chrétienne : et qu’enfin ils sont la malheureuse source de toutes les calamités et misères publiques. Dans l’instruction qu’il donne aux Confesseurs.De inst. in sacr. princ. 4.

Enfin il dit qu’il faut ordonner pour pénitence à ceux qui prennent encore quelque plaisir aux pompes du monde et aux œuvres de satan (telles que sont les Comédies) de faire certains jours de la semaine ce que saint Chrysostome voudrait que nous fissions tous les jours, qui est de renouveler la promesse solemnelle qu’ils ont faite dans leur Baptême, par la bouche de leurs Parrains, en priant Dieu du fond de leurs cœurs, de leur faire la grâce de renoncer sincèrement à toutes les pompes et vanités du siècle, en détestant de plus en plus {p. 103}au diable, comme à leur plus mortel ennemi, et en s’attachant pour toujours à Jésus-Christ leur véritable Seigneur et leur Dieu.

Il ordonna aussi dans son cinquième Concile, qu’on prierait humblement les Princes et les Magistrats de chasser de la Ville et de la Province les Comédiens et les Bouffons, et de punir sévèrement les Hôteliers et autres personnes qui les recevraient chez eux.

Il résulte donc qu’on ne peut dire que saint Charles ait été approbateur de la Comédie.

D’ailleurs, il faut bien faire attention au temps auquel vivait ce grand Archevêque. Car les mœurs de son siècle étant entièrement corrompues, il n’a pû d’abord corriger tous les abus qui régnaient dans son Diocèse ; mais on peut juger par ce que nous voyons qu’il a fait, de ce qu’il aurait pû faire, si Dieu l’eût laissé plus longtemps sur la terre.

Je ne dirai rien ici de saint François de Sales, puisqu’il n’y a qu’à lire ce qu’il a écrit dans sa Philothée, pour être convaincu qu’il est tout à fait opposé à la Comédie.

Plusieurs personnes très habiles ayant déja détruit avec tant de force et de lumière les principaux fondements sur lesquels l’Auteur de la Lettre avait établi ses preuves, je répondrai ici seulement à quelques-unes de ses Objections qui m’ont paru les plus considérables.

Réponses aux Objections de l’Auteur de la Lettre.

OBJECTION I.

Parolesp. 38. de l’Auteur.

« Des personnes de poids et de probité avec l’horreur qu’elles ont du péché, ne laissent {p. 104}pas d’assister aux spectacles. MilleIbid. Gens d’une éminente vertu, et d’une conscience fort délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, ont été obligées de m’avouer, qu’à l’heure qu’il est, la Comédie est si épurée sur le Théâtre Français, qu’il n’y a rien que le plus chaste ne pût entendre. »

Réponse.

Ce n’est pas sur l’exemple de telles gens. Mais sur les maximes de l’Evangile, que les Chrétiens doivent régler leur conduite. Or l’Evangile nous apprend que l’horreur que nous devons avoir du péché, nous doit porter à éviter avec grand soin les moindres occasions d’offenser Dieu, jusqu’à nous arracher l’œil, et nous couper la main droite, s’ils nous sont une occasion de chûte. L’Evangile nous défend donc d’aller à la Comédie, où les dangers d’offenser Dieu sont évidents.

2. Quand le nombre de ces faux dévots qui ne laissent pas d’aller sans scrupule à la Comédie, avec l’horreur qu’on prétend qu’ils ont du péché, serait encore mille fois plus grand qu’il n’est ; il ne serait nullement capable de justifier et de rendre licite un divertissement qui est condamné par les Conciles. Car les coupables ne deviennent pas innocents par la multitude de leurs complices ; et une Loi ne perd rien de sa force, quand les infractions s’en multiplient.

Comme donc la Comédie émeut et entretient les passions criminelles ; elle ne peut être ni approuvée, ni excusée, selon la maxime constante de Tertullien, qui ne souffre point de réponse, « nusquam et numquam excusatur quod Deus damnat ».

3. La multitude de ceux qui vont présentement à la Comédie, est une conviction manifeste {p. 105}de l’horrible dépravation de nos mœurs ; puisque cela fait voir que le nombre de ceux à qui le bien ne plaît pas, l’emporte infiniment au dessus de celui des gens de bien. « Non tam benè de rebus humanis agitur ut optima quæque pluribus placeant. ’Sen. de B. vita cap. 2. Ainsi, au lieu de conclure, comme fait notre faiseur de Lettre qu’on peut aller à la Comédie, il aurait dû dire tout le contraire ; puisque le S. Esprit nous défend de suivre la grande troupe de ceux qui font mal « Non sequetis turbam ad faciendum malum. »Exod. c. 23. 2.

4. Quand il n’y aurait que le scandale, que causent aux faibles ces sortes de gens d’une probité apparente, qu’on prétend même avoir une conscience timorée et scrupuleuse ; en faudrait-il davantage pour attirer sur eux les effets de la colère de Dieu. « Quiconque sera un sujet de scandale et de chute au moindre fidèle, dit Jésus Christ, il vaudrait mieux pour lui, qu’on lui pendît au col une de ces meules qu’un âne tourne, et qu’on le jetât au fond de la mer. »Matth. 16. 16.

En effet, il y a bien de la différence entre ceux qui méprisant Jésus-Christ, qu’ils ne connaissent point, courent après les vanités du siècle ;Salv. l. 6. de Prov. et ceux qui sachant l’obligation qu’ils ont de les fuir, ne laissent pas de les rechercher contre leur propre lumière.

Il s’ensuit donc de ceci qu’on ne doit reconnaître pour gens de bien, que ceux qui se privent des faux plaisirs du siècle, pour se soumettre au joug agréable de Jésus-Christ.

II. OBJECTION

« Tousp. 38. les jours à la Cour les Evêques, les Cardinaux, et les Nonces du Pape ne font point de difficulté d’assister à la Comédie. C’est donc une marque qu’elle est si pure et si régulière, {p. 106}qu’il ne peut y avoir de mal de s’y trouver. »

Réponse.

L’on ne sait quelle peut être la pensée de l’Auteur de la Lettre tant il se contredit. Car tantôt il loue hautement la Comédie, et tantôt il la blâme, et tâche d’en donner de l’horreur. Il dit ici pour la louer qu’elle est si pure et si régulière, « qu’il n’y aurait pas moins d’imprudence, que de folie de la condamner, à cause que les Cardinaux, les Evêques, et les Abbés y vont ».

Et plus bas il change du blanc au noir, et il ne fait point de difficulté de dire que ces mêmes personnes ne peuvent aller à la Comédie sans péché mortel. Voici comme il parle.

« Ilp. 58. y a quelques personnes qu’il serait indécent et scandaleux de voir assister à la Comédie comme sont les Religieux ; et surtout les plus réformés. Et je vous avoue que j’aurais de la peine à les sauver de péché mortel, aussi bien que les Evêques, les Abbés et tous les constitués en dignité Ecclésiastique, non pas qu’ils assistent à des spectacles mauvais ; mais parce qu’étant consacrés à Dieu, ils doivent se priver des divertissements. Outre que leur présence en ces sortes de lieux pourrait causer du scandale ; et que pour me servir des paroles de saint Augustin, ils doivent mépriser tous les vains amusements du monde, pour se nourrir de l’esprit, de la lecture, et de la méditation des saintes Ecritures. »

OBJECTION III.

« Lesp. 39. Magistrats ne défendent point la Comédie ; donc ils l’approuvent. »

Il est indubitable que les Magistrats qui sont revêtus de l’autorité du Prince, ne doivent pas moins travailler à conserver la Religion dans {p. 107}son lustre qu’ils s’occupent à maintenir l’Etat en paix et en tranquillité. C’est à quoi leur conscience, leur honneur et leur devoir les obligent. Car ils ne doivent pas apporter moins de vigilance, d’application, et de soins à faire respecter et craindre la majesté du Dieu qu’ils adorent, laquelle est blessée par la corruption des bonnes mœurs ; qu’ils en apportent à faire révérer le Souverain qu’ils servent, en faisant observer ses ordonnances.

Mais si cela est ainsi, d’où vient donc, me dira t-on qu’ils ne défendent point absolument les Comédies que l’on prétend être mauvaises ?

Je réponds à cela, que la prudence et les maximes de la politique obligent souvent les Magistrats à tolérer malgré eux des choses, qu’ils n’approuvent pas, pour empêcher de plus grands maux et de plus fâcheux désordres qu’ils craignent.

Ainsi Moïse permit aux Juifs de répudier leurs femmes, d’où vient que J.C. marque dans l’Evangile que quand Moïse a usé envers eux de cette condescendance, ce n’a été que pour leur reprocher la dureté de leurs cœurs : Ad duritiam cordis vestri scripsit vobis præceptum istud.Mat. 5. 5.

Les Magistrats savent donc bien ce qu’ils doivent à Dieu et à la Religion. Ainsi quand ils semblent se relâcher, c’est la crainte de voir troubler l’Etat et le repos public par des esprits inquiets et remuants, qui les porte malgré eux à cette fâcheuse tolérance.

TaciteTac. l. 4. hist. nous apprend sur ce sujet, que la représentation des spectacles que les Romains donnaient aux peuples nouvellement subjugués, leur servait souvent bien plus pour les maintenir en paix que ne leur avaient servi leurs armes pour les vaincre, « voluptatibus Romani {p. 108}plus adversus subditos quam armis valuerunt. »Tac. l. 4. hist. C’est pourquoi ce même Auteur se raille de la stupidité des Anglais, qui prenaient les Jeux que les Romains faisaient faire dans leur pays, pour un témoignage d’une affection particulière ; au lieu, dit-il, qu’ils devaient considérer cela comme faisant partie de leur servitude : « Istud apud imperitos humanitas vocabatur, cum pars servitutis esset. »Tac. in vita Agric. c. 4.

Mais quoique les Magistrats tolèrent malgré eux la Comédie, comme j’ai déja dit ; il ne faut pas en tirer cette conclusion qu’ils l’approuvent et qu’elle soit permise ; puisqu’étant, comme elle est, condamnée par l’Ecriture sainte, par les Conciles, et par les Pères de l’Eglise, la dureté des hommes qui ne veulent pas déférer à ces lois de Dieu, qui sont immuables, sera sans doute très sévèrement punie dans son jugement.

OBJECTION IV.

« Monseigneurp. 37. l’Archevêque de Paris tolère la Comédie, donc elle n’est pas mauvaise ni scandaleuse. »

C’est la conclusion que tire l’auteur de la lettre après l’éloge qu’il fait de ce Prélat.

Réponse.

La passion qu’a l’auteur de la Lettre pour la Comédie l’aveugle tellement, qu’il ne considère pas assez le plus souvent ce qu’il dit, et ce qu’il devrait dire.

1. Monseigneur l’Archevêque de Paris, bien loin d’approuver la Comédie, la condamne hautement dans son Rituel, en défendant d’administrer le sacrement de l’Eucharistie aux Comédiens dans leurs maladies, et pour Viatique.

2. Il la fait condamner tous les Dimanches par autant de bouches, qu’il a de Curés dans son Diocèse.

{p. 109}3. Cent Prédicateurs qui ont employé leur zèle et leur éloquence à invectiver contre un abus si pernicieux, avant que la lettre en question parût, ne sont-ce pas autant de témoins illustres qui déposent en sa faveur.

4. Mais que dirai-je de l’indignation que ce grand Prélat a témoignée si publiquement contre le Père Caffaro, qui passait dans Paris pour en être l’auteur ? la rétractation publique qu’il l’a obligé d’en faire, n’est-elle pas une preuve visible, que bien loin de tolérer cet abus, il le condamne autant qu’il est en lui.

Que si cela ne suffit pas encore, ce qui est arrivé, dans Paris à la vue de tout le monde sera une conviction indubitable du peu d’estime que cet illustre Prélat fait des Comédiens.

Après l’heureuse opération faite sur la personne sacrée de sa Majesté, tout le monde s’efforçant d’en faire paraître sa joie, le Te Deum fut chanté dans toutes les Eglises de Paris en action de grâces d’une santé si souhaitée, et si nécessaire à l’Etat.

Les Comédiens Italiens voulurent aussi se signaler dans cette occasion, et ayant demandé et obtenu de Monseigneur l’Archevêque de Paris, sous le nom de gentilhommes Italiens la permission d’en faire chanter un en leur particulier ; ils en firent ensuite afficher les placards aux coins des rues sous leurs vrais noms, et en la manière dont ils ont coutume d’en user pour leurs Comédies, et firent de magnifiques préparatifs aux grands Augustins. Mais Monseigneur l’Archevêque rompit tous leurs desseins.

V. OBJECTION

« Si l’on blâme les Comédies ; il n’en faudrait donc plus jouer dans les Collèges. Et si les Comédiens sont infâmes, pour monter sur le {p. 110}théâtre. Je voudrais bien savoir en vertu de quoi les jeunes gens qui font la même chose dans les Collèges, et qui représentent des personnages dans des Comédies, ne le sont pas ? »

Réponse.

L’on s’est autrefois contenté dans tous les Collèges de France durant l’espace de plus de quatre cents ans, de faire seulement de simples déclamations. Ce qu’on croyait suffire pour donner aux jeunes gens une louable hardiesse de paraître et de parler en public avec grâce et bienséance. Ce qui est l’unique fin qu’on doit se proposer dans ces sortes d’exercices.

Quelques personnes croient que les Tragédies qui ont été introduites depuis, ne sont nullement nécessaires pour cela, leurs raisons sont fortes. Les voici.

Ces actions, disent-ils, nuisent beaucoup aux Régents, et à leurs disciples ;

Aux Régents en ce qu’elles leur ôtent trois ou quatre mois du meilleur temps qu’ils aient, soit pour composer quelque nouvelle pièce, soit pour exercer les Acteurs ; et aux Ecoliers, en ce qu’elles dissipent leurs esprits, interrompent le cours de leurs études ; et non seulement les rendent plus paresseux à s’acquitter ensuite de leurs devoirs, mais aussi beaucoup plus fiers et plus indociles ; parce qu’ils s’imaginent qu’ils sont nécessaires, et qu’on ne peut se passer d’eux. Enfin les Tragédies font faire des dépenses bien inutiles et aux Principaux et aux parents ; dérangent tout un Collège, et sont quelquefois cause de grands désordres.

Mais enfin supposons ici qu’on les juge utiles pour exercer les Ecoliers à la déclamation, ou pour contribuer à rendre un Collège plus célèbre ; elles doivent être réglées par ce qui est {p. 111}dit dans l’Ordonnance de Blois, et dans la réforme de l’Université de Paris.

Extrait de l’Ordonnance de Blois, article 80.

Défendons aux Supérieurs, Sénieurs, Principaux, et Régents, de faire et permettre aux Ecoliers ou autres quelconques de jouer Farces, Tragédies, Comédies, Fables ni autres jeux en Latin ou en Français, contenant lascivetés, injures et invectives sur peine de prison, et punition corporelle.

Extrait de la réforme de l’Université de Paris, faite en 1598, article 35.

« Omnes Collegiorum præfecti caveant, ne in suis Gymnasiis satyræ et declamationes recitentur aut Tragediæ, Comediæ aut alii ludi Latini vel Gallici exhibeantur ; quibus lascivia aut procacitas contineantur. »

Il y a aussi différentes règles sur ce sujet, et les Révérends Pères Jésuites s’en sont prescrites dans leurs constitutions, qui portent que chez eux,

1. Les Tragédies et les Comédies doivent être fort rares.

2. Qu’elles doivent être toujours Latines.

3. Et les sujets pieux et devôts.

4. Qu’il ne s’y doit rien faire ni dire dans les entractes qui ne soit honnête et bienséant ; et même qui ne soit toujours Latin.

5. Enfin elles défendent qu’il y ait aucun personnage de filles, ni aucuns divertissements.

« Tragediarum et Comediarum, quas nonnisi Latinas et rarissimas esse oportet, argumentum {p. 112}sanctum sit, ac prium neque quicquam actibus interponatur quod non Latinum sit ac decorum, nec persona ulla muliebris, vel habitus introducatur. »

Il serait même à souhaiter, que ce que porte Mandement de Monsieur le Recteur de l’Université de Paris, fait en 1647. de concert avec Mrs. les Principaux des Collèges les plus célèbres, et publié en 1648. fût exactement observé, il fût fait contre la mauvaise coutume qui commençait à s’introduire, de faire paraître des danseurs aux intermèdes des Tragédies.

Anno Domini 1647. die Sabbati 9. Octobris.

Convocatis ad nostra comitia celebriorum Collegiorum Moderatoribus, ad tuendam universi studis disciplinam, decreta hæc statutaquè sunt.

MANDATUM RECTORIS.

Cum in Academiæ scholas sensim irrepserit mos novus, et à prisca ejus sanctitate abhorrens, ut quoties dramaticum aliquod opus à nobilibus et ingenuis adolescentibus in theatrum datur, singulos actus pantomimi et histriones distinguant, ad thymelicas saltationes mercede conducti ; visum est deinceps ab hoc ritu quam prava nonnullorum hominum imitatio invenit, prorsus abstinendum esse, et præter honestas ac morales fabulas voce gestuque exhibendas, nihil omnino spectaculi permittendum. Datum in ædibus nostris Sorbonicis, die 17. Janvar. veneris, anno Domini 1648.

GODEFRIDUS HERMANT Rector Universi studii Parisiensis.

{p. 113}Si l’on est exact à observer ces belles règles dans tous les Collèges, les Comédiens n’auront plus sans doute aucun sujet de se plaindre, puisqu’il y aura une différence infinie entre leurs comédies, et celles qui se représentent dans les Collèges : et ce sera alors qu’on y verrait assister sans scandale, non seulement les Religieux des Ordres les plus austères : mais aussi les Evêques qui pourraient juger par ces coups d’essai quel est le fonds et le caractère de l’esprit des jeunes gens de leurs Diocèses, et en quoi ils pourront servir l’Eglise, si Dieu daigne les y appeler.

Mais, me direz-vous, les enfants même de qualité, ne doivent-ils pas être déclarés infâmes, comme le sont les comédiens, puisqu’ils montent aussi bien qu’eux sur le Théâtre.

Réponse.

Il y a bien de la différence entre le motif des uns et celui des autres. Car outre les pièges qui ne se trouvent pas dans les Pièces que représentent des Ecoliers sous des Régents sages et pieux, c’est la nécessité qu’il y a de les accoutumer à paraître en public, qui les fait monter quelquefois sur le Théâtre, au lieu que c’est l’intérêt ou le plaisir, ou la vanité qui portent les comédiens à s’y produire. « Quod in pueris necessitatis est, illi in se crimen faciunt voluptatis », dit saint Jérôme, ainsi ce qu’on loue dans les enfants, est avec raison blâmable dans les comédiens.

{p. 114}VI. OBJECTION

Paroles de l’Auteur.

« Faut-ilp. 46. condamner les Comédiens, à cause que les mauvaises paroles qu’on y entend par hasard, et que les actions et gestes peu honnêtes qu’on y voit, peuvent quelquefois donner de mauvaises pensées, et émouvoir les passions ? Il n’y aurait rien de plus outré et de plus injuste que cela. On ne peut vivre dans le monde sans rencontrer mille choses capables d’exciter les passions. »

Réponse.

Que notre Théologien apprenne de Saint Jean Chrysostome,Chrys. Hom. 17. in Ioan. que lorsqu’on va à la comédie, on devient coupable de toutes les mauvaises pensées, et de toutes les tentations qu’on y peut avoir ; parce qu’elles sont toutes volontaires ; et par conséquent criminelles dans leur cause, qui est l’amour de la comédie, qui y fait aller. Car quoi que ces accidents, dit ce Père, soient un effet naturel de notre faiblesse, ç'a été pourtant notre propre volonté qui nous a fait approcher du feu, dont nous ressentons les ardeurs.

Ainsi qu’un homme dise tant qu’il lui plaira qu’il ne veut pas se noyer en se précipitant dans un abîme, ou qu’il ne prétend pas se brûler, en se jetant dans un grand feu, il ne laisse pas néanmoins de se noyer effectivement et de se brûler ; et par conséquent il se rend coupable de sa mort. Tout de même en allant volontairement à la comédie, l’on devient coupable de toutes les mauvaises pensées qu’on y peut avoir par hasard, et de tous les péchés qu’on n’aurait pas dessein de commettre ; parce que c’est de sa propre volonté et de plein gré qu’on y est allé. « Quiconque aime le peril, il y {p. 115}périra, », dit l’Ecriture ;Eccl. 11. 25. une Dame qui aime un peu la beauté et l’agrément de son visage, n’ira jamais dans un lieu où elle sait qu’il y a la petite vérole. Un homme qui aime sa vie, n’entrera pas aussi dans une maison suspecte de peste. Cependant l’on va gaiement à la comédie, qui est un lieu bien plus contagieux pour l’âme, que ne le sont pour le corps des maisons infectées de petite vérole et de peste. Et pourquoi en use-t-on ainsi ? C’est qu’on aime plus la beauté du visage, ou la vie du corps, qu’on n’aime le salut de son âme. L’on aime, et l’on cherche le danger.

VII. OBJECTION.

« S’Ilp. 46. ne faut pas aller a la Comédie, à cause que la vue des femmes peut donner de mauvaises pensées. Il ne faudrait donc pas aller à l’Eglise. »

Réponse.

Si l’assemblée des Chrétiens dans l’Eglise aux jours des Dimanches et des grandes Fêtes, peut même être exposée aux tentations ;Cypr. de sing. Clec. quoi que le Diable y tremble de frayeur : Qui pourra se promettre de demeurer ferme et inébranlable dans un lieu, tel qu’est le Théâtre où il domine, et où il vient hardiment, pour tenter ceux qui y vont ?

Et si nous sommes en danger d’offenser Dieu dans l’Eglise où nous nous assemblons par son commandement ; que sera-ce de la comédie, où il nous défend d’aller ?

Enfin, si nous sommes tous chancelants dans un lieu où la majesté de Dieu nous protège, combien le serons-nous davantage dans celui où nous avons contre nous, non seulement le diable, mais Dieu même ?

Notre Défenseur des comédiens paraît dans {p. 116}cette Objection, être un fort méchant Théologien ? S’il ne sait pas faire la différence d’un péché, dans lequel peut tomber un homme qui va à l’Eglise avec bonne intention pour s’y édifier, pour prier et entendre la parole de Dieu ; et un homme qui va sans nécessité à la comédie, où il y a tant de dangers. Dans l’un, c’est un péché de faiblesse et involontaire ; mais dans l’autre, c’est un péché de malice et tout volontaire dans son origine. Le lieu où va le premier, n’est point par soi-même une occasion de péché ; au contraire le lieu où va l’autre, porte de soi-même au peché et à l’extinction de la grâce, qui peut seule préserver du péché. On pardonnerait une telle Objection à une femme ignorante.

VIII. OBJECTION.

Paroles de l’Auteur.

« Lesp. 26. Danses et les plaisirs ne sont mauvais que par les circonstances criminelles qu’on y ajoute, et je n’obligerais pas un Pénitent à s’en abstenir. »

REPONSE.

Puisqu’il y a tant d’union entre la Comédie et les bals, et que les vanités et les pompes du diable, auxquels l’on a renoncé dans le baptême, ne paraissent pas avec moins d’éclat dans l’un que dans l’autre, il faut faire ici voir que selon les Pères de l’Eglise, les bals et les danses doivent aussi être interdits aux chrétiens.

Gerson ce grand Chancelier de l’université de Paris,4. Ser. Dom. 3. Adv. et qui a été comme l’âme du Concile de Constance, la croit si dangereuse, à cause de la fragilité de l’homme ; qu’il est bien difficile, dit-il, qu’elle ne soit accompagnée de plusieurs péchés.

Pétrarque,Petr. Dia, v. 4 dit, qu’elle est le prélude de l’impudicité ; {p. 117}et l’appelle un divertissement odieux aux yeux des honnêtes gens, et tout à fait indigne d’un homme.

Mais, ce que dit sur ce sujet saint Ephrem doit suffire. Voici comme parle cet illustre Diacre d’Edesse, dont saint Jérôme témoigne que les écrits étaient en si grande vénération dans l’Eglise Grecque, qu’on les lisait publiquement après la sainte Ecriture. Nous savons tous que des chrétiens ne doivent point passer leur vie dans les plaisirs et les divertissements, après avoir ouï les menaces que Jésus-Christ leur fait en ces termes : « Malheur à vous autres qui riez à présent ; parce que vous pleurerez amèrement » ; et ce qu’il y a dans saint Jacques, « Riches versez des larmes, poussez des soupirs et les cris dans la vue des misères qui doivent fondre sur vous ; que vos ris se convertissent en gémissements et votre joie en tristesse. » Il y a encore plusieurs autres passages qui ont rapport à ceux-ci, auxquels l’on ne fait pas assez d’attention ; de sorte que cette parole du Seigneur s’accomplit : Vous « tombez dans l'égarement faute de bien suivre l’Ecriture ». Ce grand saint fait ensuite l’éloge de la Psalmodie. Après quoi il continue de parler ainsi. Où se trouvent les livres saints, et les lectures sacrées ; là se trouve la joie des Justes ; et le salut de ceux qui les écoutent, joint à la confusion du diable ; mais où sont les Guitares, les danses et les battements des mains, là sont les ténèbres de l’homme, la perdition des femmes, la tristesse des Anges, et la fête du démon. O manière trompeuse avec laquelle il séduit les chrétiens, et les porte au mal. On les voit aujourd’hui chanter des Psaumes dans l’Eglise, conformément à ce que Dieu leur ordonne ; et demain ils iront au bal, et à la danse ensuivant la doctrine du démon. Ils renoncent aujourd’hui au diable, et demain ils le suivront, ils prendront aujourd’hu le part de Jésus-Christ, et demain ils le quitteront, le renonceront {p. 118}et le déshonnoreront. Ils seront aujourd’hui chrétiens et demain ils seront de véritables païens. Enfin ils seront aujourd’hu dévôts et fidèles serviteurs de J.C. et demain ils seront des impies, des Apostats, et de véritables ennemis de Jésus-Christ.

Mes chers frères, ne vous trompez pas, je vous le dis encore une fois, ne vous trompez pas : nul ne peut servir Dieu et aller danser avec le démon. Nous avons été formés à l’image de Dieu ; tâchons de ne pas déshonnorer cette Image. Suivons Jésus-Christ, comme des soldats suivent leur capitaine, et servons-le fidèlement comme notre maître. N’allez donc pas aujourd’hui chanter à l’Eglise en la compagnie des Anges, pour vous en aller demain au bal en la compagnie des démons. Ne vous en allez pas ouïr aujourd’hui la lecture de la sainte Ecriture, comme un serviteur affectionné à Jésus-Christ ; pour aller demain ouïr un concert profane, comme un prévaricateur, et un ennemi de Jésus-Christ. Ne vous repentez pas aujourd’hui de vos péchés, pour vous en aller demain au bal, au grand dommage de votre âme.

Mes chers frères, ne perdons pas malheureusement le temps que Dieu nous donne pour faire pénitence, et pour opérer notre salut : et souvenons nous de cette terrible menace que Jésus-Christ nous fait dans l’Evangile ; « Malheur a vous autres qui riez et qui vous divertissez, parce que vous pleurerez un jour. » Que personne ne vous séduise. Cette maxime qu’on peut aller au bal, n’est pas une maxime de chrétiens, mais une maxime d’infidèles qui n’ont pas de Dieu.

Considérez, je vous prie, que les jours de l’homme passent comme une fleur qui ne tarde guère à se flétrir. Tous ces divertissements trompeurs s’évanouissent en un moment. Un petit accès de fièvre emportera toutes vos danses et vos frivoles récréations. Une heure viendra bientôt vous {p. 119}séparer de tous ceux avec qui vous dansiez. Une seule nuit est capable de faire perdre à votre corps toute sa force et sa vigueur. Vos pieds qui vous portaient au bal défaillerons tout d’un coup. Vos bras et vos mains perdront leur force, vos yeux s’obscurciront, votre langue ne pourra plus se remuer, et votre voix peu articulée viendra tout d’un coup à vous manquer. Vous ne ferez plus alors que soupirer et que gémir ; mais les larmes que vous jetterez vous seront inutiles, aucune créature ne vous pourra plus aider, parce que vous aurez méprisé et déshonnoré votre Créateur. Ainsi personne ne demeurera auprès de vous que les Démons invisibles, auxquels vous avez tâché de plaire, et auxquels vous êtes si soumis et si obéissant durant votre vie.

Comme les gens du monde font encore assez souvent d’autres objections je vais y faire faire réponse.

IX. OBJECTION.

« Il y a longtemps que je vais à la Comédie, et je ne m’aperçois point que ce qui s’y passe, fasse aucune impression sur mon esprit. Ne puis-je donc pas continuer d’y aller, sans scrupule et sans crainte ? »

REPONSE.

1. Il ne faut point juger du péril qu’il y a en général d’aller à la Comédie, par les dispositions toutes singulières qui se peuvent trouver dans un très petit nombre de personnes ; mais par la multitude de ceux à qui l’expérience a fait connaître qu’on ne peut aller à ces assemblées du grand et du beau monde, sans un extrême danger de la pureté, de la piété et du salut ; et par conséquent sans crime, car je veux que la pièce soit si innocente, si modeste et si honnête, qu’on la pourra avoir et entendre sans que la pureté des yeux, des oreilles et de l’esprit en ressente aucune {p. 120}maligne impression (quoique cela soit très difficile dans la pratique) ce sera la pompe du siècle, l’empressement pour la satisfaction des sens et pour les plaisirs ; l’ardeur pour se remplir l’esprit et le cœur de l’estime et de l’amour de ce que le monde a de plus charmant et de plus propre à faire oublier Dieu et l’éternité, qui feront tout le mal, dit le P. Thomassin dans sa méthode d’étudier et d’enseigner chrétiennement les lettres humaines.

2. Peut-être que le diable qui tient déja l’âme captive par d’autres plus fortes passions, néglige de se servir contr’elle de cette tentation qui est trop grossière.

3. Ou peut être, c’est que le cœur est si fort rempli depuis longtemps de ces sortes de plaisirs ; que les nouveaux n’y sauraient plus trouver de place : ou bien c’est une marque que Dieu a abandonné une âme.

4. Quoi qu’il puisse arriver que la vue des Comédiennes n’excite dans les spectateurs aucune mauvaise pensées, tandis qu’ils sont actuellement à la comédie ; elle laisse néanmoins toujours des idées que le diable saura bien réveiller, quand il trouvera l’occasion.

5. L’on ne tombe pas tout d’un coup. Les grandes chûtes ont leurs préparations et leurs progrès, et il arrive souvent qu’on ne succombe a de grandes tentations ; que parce qu’on s’est affaibli peu à peu en des occasions, qui ont paru de peu d’importance.

6. L’on ne fait pas souvent assez d’attention sur les pensées qui se glissent imperceptiblement dans le cœur, et qui ne laissent pas pourtant d’être fort criminelles devant Dieu ; lequel par un effet terrible de sa justice, permet que nous les connaissions et que nous en découvrions la profondeur.

7. Mais, supposé même que vous n’offensiez pas Dieu en votre particulier ; n’êtes vous pas cause que d’autres l’offensent par le mauvais exemple {p. 131}que vous leur donnez ; et ainsi ne devenez vous pas coupable en allant à la Comédie.

« Si quelqu’un se confie tellement en sa vertu, qu’il se croie en état de demeurer ferme et inébranlable parmi une infinité de pièges que le diable lui tend , dit S. Cyprien.Cypr. de syng. cler. Qu’il se mette au moins un peu en peine pour son prochain ; qu’il craigne d’être à ses yeux un sujet de chûte et de scandale ; et qu’il soit épouvanté par ces paroles de Jésus-Christ ? » « Malheur, dit-il,à celui par qui les scandales arrivent. » Que si notre âme est touchée de la crainte de ces menaces, nous devons plus appréhender le péril où nous sommes à cause de notre prochain, qu’à cause de nous mêmes : car comme parle l’Apôtre, nous devons procurer mutuellement le bien les uns des autres : et ne penser pas seulement à ce qui vous regarde en particulier ; mais aussi à ce qui regarde notre prochain.

8. Enfin, qui est-ce qui vous a assuré que vous persévérerez jusqu’à la fin dans la disposition, où vous vous êtes trouvez jusqu’ici en allant à la comédie ? Dieu vous doit-il sa grace ? et en vous exposant témérairement comme vous faites, au danger de l’offenser : n’avez-vous pas sujet de craindre qu’il ne vous abandonne à votre faiblesse ; comme les Histoires nous apprennent qu’il en a abandonné tant d’autres. « Nec esse est ut caducis lapsibus elidantur, qui viam lubricam tenent. » dit S. Cyprien.

X. OBJECTION.

« Je prie bien Dieu en allant à la comédie, afin qu’il ne permette pas que je l’y offense. »

REPONSE.

Il y a bien de l’apparence que l’esprit de Dieu portera bien plutôt ceux qu’il anime à éviter tout à fait la Comédie, comme un divertissement très dangereux, qu’à lui demander la grâce d’être préservé de l’air contagieux qu’on y respire : {p. 132}La Comédie est une occasion prochaine de l’offenser. Ainsi il faut avoir une horrible présomption, pour se croire capable de résister de soi-même à la moindre mauvaise pensée qu’on y peut avoir.

Nous ne recevons du Ciel un secours et une vertu toute spirituelle, par le moyen de laquelle notre faiblesse est soutenue et fortifiée, dit saint Cyprien :Cypr. de Sing. Cler. mais ce secours ne nous est donné que pour nous empêcher de nous engager dans le péril, et non pas pour nous soutenir, lorsque nous nous y sommes engagés nous mêmes. Le saint Esprit, dis-je, est donné comme un gardien fidèle, pour assister ceux qui tâchent d’éviter les choses qui leur sont nuisibles, et non pas pour favoriser ceux qui se jettent eux-mêmes dans le péril.

XI. OBJECTION.

« Il vaut bien mieux aller à la Comédie, que d’aller en des conversations, où l’on médit du prochain. »

REPONSE.

1. Il n’y a point de nécessité d’aller à la Comédie, pour s’exempter d’offenser Dieu en des conversations trop libres. Car il ne faut faire ny l’un ny l’autre.

2. Le monde n’est pas encore si dépravé et si corrompu, qu’il ne s’y trouve plus du tout d’honnêtes gens, avec qui on puisse lier amitié, il s’agit seulement de bien choisir.

3. Lorsque sans l’avoir prévu l’on se trouve engagé avec des personnes trop licencieuses, l’on n’offense pas Dieu en ne prenant pas plaisir au mal qu’ils disent, et en le désaprouvant par un silence et une froideur affectée.

Mais il n’en est pas de même de la Comédie, car l’on n’y va pas malgré soi, et sans y avoir pensé auparavant, et l’on ne témoigne guère, quand l’on y est qu’on est fâché de voir tant offenser Dieu.

4. Du temps de saint Louis qu’il n’y avait {p. 133}point de Comédies, les honnêtes gens ne se divertissaient-ils pas ! Il ne peut donc venir dans l’esprit d’une personne tant soit peu raisonnable, qu’ils ne le fissent honnêtement. Pourquoi donc ne peut-on pas encore faire la même chose en ce temps-ci. Est-ce une nécessité qu’il y ait des comédies ; parce que des fainéants et des Dames mondaines ne savent, selon leur langage, passer le temps.

XII. OBJECTION.

« S’ilP. 46. n’est pas permis de prendre de semblables divertissements dans la vie, il faut donc se retirer dans la solitude. »

REPONSE.

Se divertir c’est retirer son esprit d’une occupation sérieuse pour l’appliquer à une autre moins attachante. D’où il s’ensuit, que toutes les personnes qui ne s’appliquent jamais l’esprit n’ont pas droit ni besoin de se divertir.

2. Quoique le divertissement soit nécessaire à l’esprit, comme la nourriture l’est au corps, il ne s’ensuit pas qu’un chrétien puisse se proposer pour fin le plaisir des sens qu’on cherche particulièrement dans la comédie. C’est une maxime de saint Augustin : qu’on peut faire beaucoup de choses avec plaisir, mais que l’on n’en doit faire aucune pour le plaisir, « multa licet facere cum voluptate nihil omnino propter voluptatem ».

3. C’est une illusion d’espérer d’être un jour bienheureux dans le ciel, en vivant sur la terre d’une autre manière que Jésus-Christ n’y a vécu. Le serviteur ne doit point s’attendre d’y être mieux traité que ne l’a été son maître. « Delicatus es miles, si hic putas gaudere cum sæculo, et postea regnare cum Christo », dit Tertullien.

Or Jésus-Christ n’a jamais aimé ni recherché les plaisirs des sens ; et il n’en a jamais joui durant toute sa vie. Les chrétiens ne les doivent donc pas aimer, ni les rechercher ; et par conséquent ils ne doivent point aller à la Comédie. Ce n’est pas pour des Moines seuls que Dieu {p. 134}a fait ses Commandements, mais c’est généralement pour tous les Chrétiens. Et quand Jésus-Christ, dit : « Si quelqu’un voit une femme, et qu’il la regarde avec un mauvais desir, il a déjà commis le péché dans son cœur. » Ce n’était pas à des Moines qu’il parlait, dit S. Chrysostome ; mais c’était à des gens mariés qui étaient en grand nombre sur la montagne. Il ne faut donc pas s’imaginer qu’il n’y a que des Moines qui soient obligés de mener une vie sainte et réglée, et que les gens du monde peuvent licitement se divertir durant toute leur vie. Ces sentiments sont dignes des Athées, et non pas des Chrétiens qui craignent Dieu.

Quels doivent être les plaisirs et les divertissements des Chrétiens selon les Pères de l’Eglise.

Les Pères de l’Eglise ont toujours considéré les véritables Chrétiens comme des hommes spirituels, dont les plaisirs et la conversation devait être dans le Ciel, « Conversatio nostra in cælis est » dit S. Paul. Bien loin donc de prendre plaisir aux divertissements des gens du monde ; leurs plus grandes délices doivent, ou de pleurer dans le souvenir de leurs péchés, ou de ce qu’ils ne jouissent pas encore dans Sion du bonheur qui est l’unique objet de leurs affections et de leurs désirs. C’est ce qui fait dire à saint Augustin, qu’ils trouvent de plus grandes douceurs dans leurs larmes, que les gens du monde n’en trouvent à la comédie, « Dulciores sunt lacrymæ Pœnitentium, quam gaudia theatrorum. »

C’est donc ce qui est cause que les Pères de l’Eglise ne leur proposent le plus souvent que des plaisirs tout spirituels.

Jetez les yeux sur l’étendart de la Croix que Dieu fera paraître dans le ciel au jour du jugement ; et réveillez-vous au son de la Trompette de l’Ange, leur dit Tertullien.Tert. de spect. cap. 30. O que sera terrible {p. 135}ce spectacle d’un Dieu descendant du ciel ; non plus dans un état de bassesse et d’humiliation, comme il a paru dans son premier avènement ; mais dans une majesté toute Divine, et tout plein de gloire. Considérez quelle sera alors la joie des Anges et la consolation des saints qui auront le bonheur de ressusciter avec Jésus-Christ ; et combien éclatante sera la Jérusalem céleste. Ou si vous voulez tourner les yeux de l’autre côté ? Quel sujet n’aurez-vous pas d’admiration, de ris et de plaisirs, lorsque vous verrez ces Rois, qu’on vous faisait croire avoir été reçus dans le Ciel ; lors dis-je, que vous les verrez pleurants amèrement dans le fond des Enfers, au milieu des ténèbres épaisses, dont ils seront environnés, avec leur Jupiter, et ceux qui ont été leurs panégyristes.

Quelle joie aurez-vous de voir aussi ces cruels persécuteurs des Chrétiens enveloppés de flammes bien plus dévorantes, que n’étaient celles dont ils se servaient pour tourmenter ces Saints. Quels contentements sentirez-vous, lorsque ces Philosophes, qui voulaient vous persuader que Dieu ne prenait pas soin des choses de la terre, paraîtront devant vos yeux avec leurs Disciples, tout couverts de feux et de flammes ?

Enfin, quelle satisfaction sera la votre, de voir ces Poètes, qui s’étaient acquis tant de réputation dans le monde ; honteusement conduits, non pas devant un Minos, ou un Rhadamante ; mais devant le Tribunal de Jésus-Christ. Voilà, ajoûte-t-il, quels doivent être les spectacles des chrétiens, des spectacles saints, qui durent toujours, et qui ne coûtent rien. « Sunt spectacula christianorum sancta, perpetua, gratuita. »

Saint CyprienCypr. tract. de spec. parlant des divertissements des chrétiens. S’ils aiment, dit-il, ceux qui sont véritables, et qui leur seront utiles ; qu’ils s’appliquent à la lecture des saintes Ecritures ; et ils y trouveront des spectacles dignes de la foi, dont ils font profession.

Voici aussi comme parle S. Augustin en expliquant {p. 136} ces paroles ; « Non respexit in vanitates et insanias falsas ? »Aug. in ps. 39. Laisserons-nous un homme passionné pour les spectacles profanes, si nous les lui ôtons, sans lui en substituer d’autres en leur place ? Non certainement ; Nous le ferions mourir de chagrin. Donnons lui en donc d’autres : Mais quels spectacles donnerons-nous à des chrétiens, que nous voulons détourner de ceux que nous blâmons ici ? Je vous rends grâces, ô mon Dieu, ajoute-t-il, de ce qu’il vous plaît nous apprendre dans le verset suivant quels spectacles nous devons proposer à ceux qui ont encore quelque affection pour les Théâtres ; après que votre grâce les en a retirés. Grand Dieu, vous avez fait dans le monde une infinité d’ouvrages dignes d’admiration. Que celui donc qui regardait auparavant les ouvrages des hommes avec étonnement, s’arrête à considérer ceux de Dieu, et se serve pour cela des yeux que la foi lui donne.

Il exhorte dans un autre endroit les Catéchumènes à considérer tantôt le Prophète Elie enlevé au ciel dans un chariot de feu ;L. 2. de fide ad Cathec. tantôt saint Pierre marchant sur les flots de la mer sans y enfoncer ; et tantôt les Israélites traversant la mer rouge, après quoi il ajoute. Ce sont là les spectacles qui vous seront utiles, salutaires, et édifiants, et qui ne sont pas passagers. « Ipsa sunt spectacula utilia, salubria, ædificentia, non defluentia. »

Mais parce que la plupart des Chrétiens sont devenus tout charnels ; les Pères se rabaissants à leur faiblesse, leur proposent encore d’autres divertissements, qui sont à la vérité plus grossiers : mais qui ne laissent pas d’être très innocents.

Si vous avez besoin de vous divertir, dit saint Chrisostome ;Christ. Hom. 38. in Math. Allez vous en promener dans un jardin, où sur les bords d’une rivière. Allez considérer la vaste étendué d’une grande campagne, et ouïr l’agréable concert des oiseaux qui voltigent dans l’air, ou bien allez visiter les temples {p. 137}des Martyrs. Vous retirerez sans doute un très grand avantage de ce divertissement, tant pour la santé du corps, que pour le salut de votre âme, sans avoir après cela aucun sujet de vous repentir.

Vous avez aussi vos femmes, et vos enfants. On raconte que quelques Barbares entendant parler des spectacles des Romains ; ils s’écrièrent, « qu’il fallait que ceux qui avaient inventé ces vains divertissements, n’eussent ni femmes ni enfants ». Voulant dire, qu’une honnête femme et des enfants ne sont que trop suffisants pour donner à un homme raisonnable toute la récréation dont il peut avoir besoin.

On peut ajouter à ces sortes de divertissements des conversations honnêtes et édifiantes à des yeux innocents, qui ne servent qu’à se lasser l’esprit. Car pour ceux de hasard ; et d’attache, qui n’ont pour objet que le gain et l’intérêt ; ils doivent être en horreur à des Chrétiens autant que les Bals, et la Comédie.

CONCLUSION.

Que reste-t-il à faire, après toutes les instructions que nous avons vu que donnent les Pères de l’Eglise sur le sujet de la Comédie, sinon d’offrir à Dieu nos prières pour ceux qui y ont encore de l’attache, afin qu’il les en retire par sa grace. Disons lui donc avec l’Eglise.

Mon Dieu qui découvrez la lumière de la vérité à toutes les personnes qui sont dans l’égarement afin qu’elles puissent retourner dans la voie de la justice ;Or. du 3. Dim. d’après Pâque. faites s’il vous plaît la grâce à tous ceux qui portent la qualité des Chrétiens, de rejeter ce qui est contraire à un nom si saint ; et d’embrasser tout ce que demande d’eux une profession si divine.

Laissons rassasier les Païens des faux plaisirs de la Comédie, dit Tertullien.Tert. de Spect. c. 27. Le lieu, le temps, et le Diable qui les y invite, leur sont favorables. {p. 138}Pour nous autres, notre festin n’est pas encore prêt, et le temps de nos nôces n’est pas encore venu. Nous ne pouvons nous mettre à table avec eux ; comme eux ne pourront aussi s’y asseoir avec nous. Chacun aura son tour. Ils se réjouissent maintenant, tandis que nous sommes dans les gémissements et dans les larmes. Mais pleurons tandis qu’ils se réjouissent afin que nous nous réjouissions tandis qu’ils pleureront, de peur que si nous nous abandonnons comme eux à de fausses joies ; nous ne soyons un jour condamnés à pleurer amèrement avec eux.

{p. 139}

Extrait du Privilège du Roi. §

Par Lettres Patentes du Roi, données à Versailles le 20. jour d’Août 1694. signées Boucher, et scellées du grand Sceau de cire jaune : Il est permis au Sieur Coutel, de faire imprimer un Livre intitulé, Les Sentiments de l’Eglise et des Saints Pères, pour former ceux des véritables Chrétiens, sur la Comédie et les Comédiens. Opposés à ceux de la Lettre scandaleuse qui a paru depuis quelques mois sur ce sujet, pendant le temps de douze années consécutives, à commencer du jour que ledit Livre sera achevé d’imprimer pour la première fois : Avec défenses à tous Libraires Imprimeurs et autres de l’imprimer, ni faire imprimer, vendre ni débiter, sans le consentement dudit Exposant, ou de ses ayants cause, à peine de Trois mille livres d’amende, confiscation des Exemplaires, et de tous dépens, dommages et intérêts, et autres clauses inserées audit Privilège.

Registré sur le Livre des Libraires et Imprimeurs de Paris, le neuvième Septembre 1694. Ledit Sieur Coutel sera averti que l’Edit de Sa Majesté du mois d’Août 1686. et les Arrêts de son Conseil, ordonnent que le débit des Livres se fera par un Libraire, ou par un Imprimeur.

Signé, P. AUBOUIN, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la première fois, le 30. Septembre 1694.

{p. 140}

Approbation de Monsieur Pirot Chancelier de l’Université de Paris. §

J’ai vu ce petit Manuscrit contre la Comédie. En Sorbonne ce 28. Juillet 1694.

PIROT.