Desprez de Boissy, Charles

1756

Lettres sur les spectacles vol. 2

2016
Source : Lettres sur les spectacles vol 2 Desprez de Boissy, Charles p. I-X; p. 1-616 1756, rééd. 1780
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).
[v]

AVERTISSEMENT
DU LIBRAIRE. §

Lorsque la sixieme Édition de cet Ouvrage parut, quelques personnes nous observerent qu’elles étoient surprises de ce que le frontispice de ce second Volume portoit le titre de Lettres sur les Spectacles.

Mais nous avons à leur répondre que notre Auteur, par égard pour le titre primitif de son Ouvrage, a cru devoir le conserver à ce qui en étoit une suite nécessaire ; & nous ajoutons que les relations fréquentes qu’il y a entre les Lettres sur les Spectacles, & l’Histoire des Ouvrages pour & contre les Théatres, ne permettent pas de les séparer.

[vj]Notre Avertissement du premier Tome a fait connoître que l’Ouvrage dont nous donnons une nouvelle Édition, a été honoré de suffrages très-flatteurs de la part de personnes en place, qui, par état, sont dans le cas de s’intéresser avec plus de zele aux mœurs. Nous avons aussi exposé que M. Desprez de Boissy avoit reçu des témoignages également intéressans de la part de plusieurs Littérateurs distingués, qui, en adhérant à ses principes, l’ont loué de les avoir soutenus de la maniere la plus persuasive. Nous n’avons rien avancé, à cet égard, que nous n’ayons déjà justifié. Mais notre Auteur a desiré que nous continuions de réserver pour ce second Volume la Lettre, [vij]dont M. Gresset, de l’Académie Françoise, l’honora le 30 Mai 1772. Et nous y joindrons celle qu’il en reçut le 26 Avril 1777, à l’occasion de la sixieme Édition. Elles sont toutes les deux analogues à la Lettre que ce célebre Académicien donna au Public en 1759, & qui est rapportée toute entiere, page 477 de ce Volume, comme un monument précieux, & capable de fixer les idées sur l’effet moral de nos Spectacles.

LETTRES
De M.Gresset, de l’Académie Françoise, à M.Desprez de Boissy.

Amiens, le 30 Mai 1772.

Une indisposition, Monsieur, m’a empêché de répondre plutôt à la [viij]Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Recevez mes excuses de ce délai très-involontaire, & tous mes remercîmens du présent que vous avez bien voulu me faire d’un Exemplaire de la quatrieme Édition de vos Lettres sur les Spectacles. Vous avez doublé le bienfait par la maniere obligeante dont vous me l’annoncez. J’ai relu votre Ouvrage avec un très-grand plaisir. La raison & la Religion, à qui il sera toujours cher, l’ont dicté ; & tout esprit fait pour entendre & suivre l’une & l’autre, ne peut se refuser à l’évidence de vos principes, & à la justesse des conséquences. On ne peut, Monsieur, être plus sensible que je le suis, à la bonté que vous avez eue de penser à moi. Je suis avec tous les sentimens d’un respectueux attachement,

Monsieur,

Votre très-humble, &c. Gresset.

***

Amiens, le 26 Avril 1777.

Recevez toutes mes excuses, Monsieur, du délai de ma réponse à la Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Il ne m’a point [ix]été possible de vous témoigner plutôt ma sensible reconnoissance du présent que vous avez bien voulu me faire de la sixieme Édition de votre Ouvrage sur les Spectacles. Elle ne sera point assurément la derniere ; j’en crois votre zele, vos lumieres, vos recherches, ainsi que les desirs, & le goût soutenu de vos Lecteurs. Rien n’est moins fondé que l’opinion de ceux qui prétendent que l’art dramatique, Ficta voluptatis causâ, a pour objet primitif & essentiel l’utilité morale. Il ne faut leur opposer que le sang-froid des Philosophes payens, comme M. l’Abbé le Batteux l’a fait avec le plus grand avantage dans les trois sçavantes Dissertations qu’il lut les 14 Juin 1771, & 21 Janvier 1772, à l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres dont il est Membre. Elles ont été insérées dans le 39me Volume des Mémoires de cette Académie. Cette question y est traitée & discutée d’une maniere d’autant plus intéressante, que cet habile Académicien avoit eu pour Contradicteur un Confrere estimable, M. de Rochefort. M. le Batteux soutint que les plaisirs [x]& les passions du Théatre ne sont, & ne peuvent être que nuisibles aux mœurs. Il eut lieu de persévérer dans son sentiment, & il en adressa de nouvelles preuves à M. de Rochefort, qui, par sa façon de penser, honnête & vertueuse, lui parut être fait pour les entendre. Vous devez de même, Monsieur, être entendu par les gens sensés & par toutes les personnes de bonne foi, qui, averties par l’expérience, voudront se rappeller les scrupules qu’elles ont éprouvés les premieres fois qu’elles ont été à nos Théatres, avec les justes préventions qu’une bonne éducation leur avoit inspirées contre ces amusemens si funestes à la vertu.

J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentimens d’une parfaite estime & d’un respectueux attachement,

Monsieur,

Votre très-humble, &c. Gresset.

{p. 1}

HISTOIRE
DES OUVRAGES
POUR ET CONTRE
LES THÉATRES PUBLICS. §

NOTICES
PRÉLIMINAIRES. §

L’histoire des Ouvrages pour & contre les Théatres nous a paru devoir être précédée par un Précis historique sur les Jeux scéniques. C’est l’objet de ces Notices préliminaires, où, par occasion, il sera parlé des Romans. Plusieurs Sçavans se sont occupés de l’origine de ces productions littéraires. On a sur cette matiere quelques Dissertations dans les Mém. de l’Ac. des Insc. & Belles-Lett.

{p. 2}L’Art dramatique n’a pas une honnête origine. Cet art est né de la folie & de l’ivresse que le Dieu des raisins inspiroit.

Voici comment la Tragédie prit naissance chez les Grecs, où il faut toujours recourir pour trouver le berceau de tous les Arts.

On y sacrifioit à Bacchus un bouc. Et pendant le sacrifice, le Peuple & les Prêtres chantoient en chœur des hymnes qui, relativement à la qualité de la victime, furent nommées Tragédies ou Chants de bouc, suivant l’étymologie Τράγος, & ἀδὴ. On y promenoit un homme travesti en Silene, monté sur un âne. Il s’y en joignit d’autres barbouillés de lie, qui chantoient les louanges du Dieu des Buveurs. Et par la suite, pour réveiller la monotonie de ces chansons, Thespis introduisit un Acteur qui faisoit quelques récits.

Thespis étoit contemporain de Solon ; & il vivoit encore vers la soixante-unieme olympiade. Il alloit de Bourg en Bourg, jouant ses Pieces sur le char qui voituroit sa troupe.

{p. 3}Solon eut la curiosité d’aller voir ses représentations & ses fictions tragiques. Il en fut si indigné, qu’il dit à Thespis : N’as-tu pas honte de mentir ainsi devant tant d’honnêtes gens ? Et Thespis lui répondit : Il est permis de mentir pour le divertissement des autres. Solon lui repliqua : Nous verrons si nos Loix jugeront de pareils jeux dignes de récompense & d’honneur. En effet Diogene de Laërce ajoute que Solon fit défendre à Thespis de jouer ses Pieces à Athenes.

Eschyle, qui vivoit vers l’an du Monde 3508, augmenta le nombre des Acteurs, pour former des dialogues. Il leur donna un masque & des habits décens ; il leur fit porter une chaussure haute, appellée cothurne. Il leur construisit un Théatre, au lieu du Tombereau.

Sophocle lui enleva le prix de la Tragédie. Eschyle en fut si outré, que ne pouvant supporter cet affront, il se retira d’Athenes.

Euripide, né vers l’an 480 avant l’Ere Chrétienne, fut le rival de Sophocle. Ils parvinrent à porter à la plus grande perfection cet art dont Despréaux {p. 4}nous a donné l’histoire dans les Vers qui suivent :

La Tragédie, informe & grossiere, en naissant,
N’étoit qu’un simple chœur où chacun, en dansant,
Et du Dieu des raisins entonnant les louanges,
S’efforçoit d’attirer de fertiles vendanges.
Là, le vin & la joie éveillant les esprits,
Du plus habile Chantre un bouc étoit le prix.
Thespis fut le premier qui, barbouillé de lie,
Promena par les Bourgs cette heureuse folie,
Et d’Acteurs mal ornés chargeant un tombereau,
Amusa les passans d’un spectacle nouveau.
Eschyle, dans le chœur jetta les personnages ;
D’un masque plus honnête habilla les visages ;
Sur les ais d’un Théatre en public exhaussé,
Fit paroître l’Acteur d’un brodequin chaussé.
Sophocle enfin donnant l’essor à son génie,
Accrut encor la pompe, augmenta l’harmonie,
Intéressa le chœur dans toute l’action ;
Des Vers trop raboteux polit l’expression,
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine,
Où jamais n’atteignit la foiblesse Latine.

Art poëtique.

Cet exposé historique manifeste que la Tragédie n’a jamais eu pour objet essentiel une utilité morale. M. Batteux l’a démontré dans trois sçavantes Dissertations qui occuperent les séances des 14 Juin 1771, & 21 Janvier 1772 de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres dont il est Membre.

{p. 5}Il y pose pour base ce raisonnement qui lui a paru être sans replique : « Pour que la Tragédie fût une leçon d’exemple, il faudroit que la vertu y fût récompensée, & le vice puni. Or, si cela est, le dénouement est par la joie : la terreur & la pitié sont nulles ; & la Tragédie se confond avec la Comédie.

« On prétend que le Théatre Athénien avoit pour objet d’inspirer la haine des Rois, & la crainte des Dieux. Cette prétention est sans fondement. L’objet du Théatre d’Athenes, comme du nôtre, étoit de donner aux Spectateurs le plaisir de la terreur & de la pitié dramatiques : rien de plus. Les larmes de pitié, répandues sur Œdipe, sur Agamemnon, sur Xercès même rentrant chez lui après son désastre, pouvoient-elles rendre ces Rois odieux ? La haine ne pleure point. D’un autre côté, que sert à la saine morale un Prométhée enchaîné sur le Caucase, pour avoir été le bienfaiteur du genre humain ? Que sert Iphigénie immolée à l’ardeur de venger une femme déshonorée ? ou Médée égorgeant {p. 6}ses enfans, pour désespérer son époux ? ou la sœur d’Hélene assommant le sien, pour jouir en paix d’un commerce adultere ? Elle en sera punie : oui, dans un autre Poëme, & par un autre crime qui fera encore frémir la nature. S’il y a des leçons, il faut avouer qu’elles sont bien cachées, & qu’il ne faut pas un art médiocre pour les en tirer.

« L’affabulation de l’Œdipe ne prouve rien, parce qu’elle est postiche, & qu’elle ne sort point de l’action. S’il y avoit un résultat moral à tirer de cette Tragédie, il seroit destructif de toute morale. Il enseigneroit que quand on est né sous une étoile funeste ; il faut que de nécessité on soit criminel & malheureux ; qu’on tue son pere, qu’on épouse sa mere, quoi qu’on fasse pour l’éviter ; & qu’après on se pende, ou qu’on s’arrache les yeux de désespoir. Les résultats moraux des autres Tragédies sont à peu près les mêmes. Ce ne sont que des vengeances atroces, des parricides, des horreurs. Que devenoit la pureté de la morale au milieu de cette confusion de passions ?

{p. 7}« Qu’un Poëte philosophe ou flatteur ait quelquefois fait sortir d’un Drame ou de quelques Scenes des éloges indiscrets ; qu’il ait présenté des caracteres, des mœurs, des sentimens qui pouvoient servir de leçons ; en un mot, qu’il ait incliné le miroir, de maniere que le Spectateur ait pu y voir & prendre des avis : c’est l’art de l’homme, & non l’art du genre. Le genre, il est vrai, s’y prête ; mais ce n’est pas son objet direct & formel.

« Quel est le résultat moral de toutes les Tragédies où l’on nous fait éprouver successivement l’amour, la haine, la cruauté, la compassion ; où l’on nous rend le jouet de tous les vents, tandis que tous les Philosophes conviennent que la sagesse consiste dans la constance ou l’égalité de l’ame ? Or, l’objet de la Tragédie est de troubler cette égalité, perturbatio animi. Elle excite en nous les passions ; c’est-à-dire, qu’elle arrose des plantes qu’il faudroit laisser sécher ; elle donne le commandement à ce qui ne devroit qu’obéir : elle met ce qui nous rend malheureux {p. 8}& vicieux à la place de ce qui seul peut nous rendre heureux & meilleurs.

« Aristote n’a dit nulle part que la Tragédie fût pour l’instruction. Il a répété souvent dans sa Poétique, qu’elle n’étoit que pour le plaisir. Il dit, dans ses livres de Politique, que la Peinture peut être funeste aux mœurs, & la Musique beaucoup plus encore. La Peinture est sur une toile ; la Musique sur un instrument inanimé ; la Tragédie au contraire est rendue par des voix humaines & par des personnages vivans, qui emploient ouvertement tous les moyens de séduction, qui font entendre le cri des entrailles, qui ont tous les mouvemens & tous les gestes des passions, flabellum perturbationum. Or, est-il utile en bonne morale d’allumer ainsi les passions par amusement, & seulement pour le plaisir de les allumer ? »

Enfin ajoutons à ces solides réflexions ce coup de pinceau du Citoyen de Geneve1 qui a peint l’objet d’après nature : « La Tragédie ne {p. 9}nous présente presque toujours que des scélérats d’un haut rang ; vengeance, assassinats, empoisonnement, ambition, révolte, fureur, désespoir. Il n’y a presque point de Scene où il ne soit question de quelque forfait. Or, la sensation d’horreur & de désespoir qu’on dit en résulter, est-elle nécessaire pour éloigner du crime un cœur vertueux qui n’a pas besoin de ces horribles leçons ? Et quant aux scélérats, ce ne sera pas certainement le Théatre qui les réformera ».

La Comédie chez les Grecs n’eut pas une plus belle origine que la Tragédie.

Eh ! quels chants pouvoit-on attendre de Thalie ;
Lorsque d’Aristophane épousant la folie,
Et, par son impudence, assurant ses succès,
Elle s’abandonnoit aux plus honteux excès ?

Louis Racine, ep. à M. de Valinc.

La Comédie dut sa naissance aux bouffonneries & aux obscénités des satyres bachiques. Car, comme l’a dit M. l’Abbé Vatry2, de tous les {p. 10}Dieux, celui sans contredit qui étoit le plus propre à faire inventer la Tragédie & la Comédie, étoit Bacchus. Aussi, de tous les temps, les Théatres ont été sous la protection de ce Dieu ; & il falloit que tous les Poëtes lui rendissent quelque hommage. Epigene ayant le premier fait jouer un Drame dont le sujet étoit étranger à Bacchus, les Spectateurs étonnés de cette nouveauté, s’écrierent οὐδὲν πρὸς Διόνυσον : Il n’y a rien là qui regarde Bacchus ; ce qui devint dans la suite un proverbe que l’on appliquoit à ceux qui ne traitoient pas la matiere qu’ils devoient traiter.

On prétend, dit M. Batteux3, que la Comédie commença à l’occasion du Margitès d’Homere, Poëme où étoit représenté un homme fainéant qui n’étoit bon à rien. L’impression que fit ce portrait, donna lieu de mettre ce genre en action.

La Scene comique, dans le commencement, étoit une représentation faite d’après nature. Les personnes {p. 11}qu’on y jouoit, y étoient désignées par leurs noms. Telle fut ce qu’on appelle la vieille Comédie où s’exercerent Eupolis, Cratinus, Aristophane. On y jouoit les Philosophes vivans, & même les Dieux.

Le Peuple & les Magistrats s’en amusoient beaucoup ; mais lorsqu’on eût osé en venir aux Magistrats, ceux-ci trouverent que la plaisanterie passoit les bornes : autrement ils auroient continué de s’amuser de voir la vertu attaquée, & la Religion ridiculisée.

Ce second genre de Comédie fut donc défendu. Mais la malignité a trop de charmes : on chercha à éluder la loi. On continua de jouer des aventures réelles, en déguisant les noms des personnes. Et, comme la ressemblance y étoit ménagée, de maniere qu’on pût aisément y reconnoître ceux que l’on jouoit, il fallut une nouvelle loi pour défendre de faire la satyre personnelle des Citoyens. Il ne fut plus permis que de faire la satyre générale de la vie & des mœurs ; & ce fut ce qu’on appella la Comédie nouvelle, où Aphile & Menandre {p. 12}furent célebres. Le Théatre comique ne devint pas moins nuisible aux mœurs que le tragique. On en fit un recueil de stratagêmes, pour faire réussir tous les crimes, favoriser toutes les passions, ménager toutes les intrigues, traverser tous les peres, maris, maîtres, exciter l’amour du libertinage, & le faciliter par le jeu infame des valets, des soubrettes & des confidens, qui furent toujours dans la Comédie les rôles les plus intéressans.

La Poésie, la Musique & la Danse furent employées à embellir l’Art dramatique. Mais étoient-elles faites pour orner des Scenes folles & dangereuses dans leurs représentations ?

Les Poëtes dramatiques ont dégradé la Poésie, en ne lui conservant pas la pureté de son origine ; & ils lui ont attiré des ennemis qui, dans l’excès de leur zele pour les mœurs, vouloient la proscrire.

Telle étoit chez les Anciens l’opinion de Platon ; & dans notre siecle on a vu quelques Sçavans, comme un Dacier, un Lami, &c. qui condamnoient généralement la Poésie, {p. 13}en ce qu’elle n’étoit propre qu’à corrompre le cœur, & qu’à gâter l’esprit, qu’elle accoutume au faux, qu’elle énerve & qu’elle effémine, en le dégoûtant des études sérieuses & utiles, & en le rendant incapable des grandes connoissances.

On a dans le premier volume des Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres une Dissertation de l’Abbé Massieu, qui a supérieurement vengé la Poésie. On y voit démontré qu’il ne faut point juger de cet art, par l’usage qu’en ont fait les corrupteurs publics qui, d’un art divin, en ont fait un art infernal.

Il ne faut pas en effet oublier que la Poésie a pour titre primordial de sa naissance le cantique qui fut composé par Moyse après le passage de la Mer rouge. « Delà, dit M. Bossuet, est né la Poésie. C’étoit Dieu & ses œuvres merveilleuses qui en étoient les sujets ; & il n’y a proprement que le peuple de Dieu où la Poésie soit venue par enthousiasme ».

Moyse consacra donc la Poésie à la vérité éternelle. Mais, à mesure que {p. 14}l’oubli de Dieu devint plus général, & que les ténebres épaisses qui en résulterent eurent donné lieu à toutes les fables monstrueuses de l’idolâtrie, la Poésie ne s’occupa plus qu’à remuer les passions qui sont ennemies de la sagesse ; & elle fut abaissée jusqu’à servir à amuser des esprits frivoles, & à réveiller l’assoupissement des Midas désœuvrés.

Elle osa nous prêcher le vice effrontément ;
Elle mit en tous lieux sa gloire à nous séduire,
Et corrompit des cœurs qu’elle devoit instruire.
Homere, le premier fertile en fictions,
Transporta dans le Ciel toutes nos passions ;
C’est lui qui nous fit voir ces maîtres du tonnerre,
Ces Dieux dont un clin d’œil peut ébranler la terre,
Injustes, vains, craintifs, l’un de l’autre jaloux ;
Au sommet de l’Olympe, aussi foibles que nous.
Et c’est lui-même encor dont la main dangereuse
A tissu de Vénus la ceinture amoureuse :
Les feux qui de Sapho consumerent le cœur
Dans ses écrits encore exhalent leur chaleur.
Pour chanter les exploits des Héros qu’il admire,
Le foible Anacréon en vain monte sa lyre ;
Les cordes sous ses doigts ne raisonnent qu’amour.
… … … … …
Dans ces temps malheureux Vénus avoit des temples :
Le crime autorisé par d’augustes exemples,
Ne paroissoit plus crime aux yeux de ces mortels
Qui, d’un Mars adultere, encensoient les autels.
{p. 15}Sur une terre impie & sous un ciel coupable,
Le Chantre des plaisirs pouvoit être excusable.
Cependant aujourd’hui les enfans de la foi
D’un plus sage transport ont-ils suivi la loi ?
Hélas ! dressant par-tout un piege à l’innocence,
Des Romains & des Grecs ils passent la licence.

Louis Racine.

Cette description fait disparoître toutes ces vues hautes & solides qu’on suppose à presque tous les genres de Poésie. Le but, dit-on, du Poëme épique est de convaincre l’esprit d’une vérité importante. La fin de la Tragédie est de nous intéresser par des émotions de terreur & de pitié, purgées de ce qu’elles ont de trop dur ou de fâcheux, quand les malheurs sont réels ; & la fin de la Comédie est de corriger les mœurs.

Ce n’étoit point là le sentiment de Houdart de la Motte, qui faisoit consister le mérite, non à parler noblement des choses, mais à les voir comme elles sont, sans se les affoiblir, ni se les exagérer. Il paroît en effet soutenir ce caractere dans son Discours sur la Poésie4. Il y soutient {p. 16}qu’en général dans la Poésie, la morale étoit tellement subordonnée à l’agrément, qu’on n’en pouvoit attendre aucune utilité pour les mœurs ; que tous ces Poëmes, qui sont des chefs-d’œuvre de l’antiquité, n’avoient été faits que pour plaire, & non pour être utiles. On y voit en effet que leurs Auteurs, au lieu d’avoir songé à réformer les fausses idées des hommes, y ont la plupart accommodé leurs fictions ; & conséquemment ils ont souvent donné de grands vices pour des vertus.

Au reste, la Poésie n’a de mauvais que l’abus qu’on en peut faire, & qui provient de ce que son unique fin est de plaire. Le nombre & la cadence chatouillent l’oreille ; la fiction flatte l’imagination ; & les passions sont excitées par les figures.

Il n’est pas douteux que ceux qui se servent de ces moyens pour enseigner la vertu, lui gagnent plus sûrement les cœurs, à la faveur du plaisir ;

Mais, quant à ceux qui ne s’en servent que pour le vice, ils en augmentent encore la contagion par l’agrément des Vers.

{p. 17}On doit rendre une justice aux Poëtes de l’âge brillant des Grecs & des Romains : ils ont presque tous, excepté Lucrece, respecté la Religion de leur temps ; car quelque ridicules & quelque scandaleuses que soient leurs fictions religieuses, les gens éclairés ne les considéroient que comme des allégories qui étoient venues de l’Egypte où tout étoit mystere.

C’est pourquoi le Chancelier Bacon les appelle5le reste précieux d’un meilleur temps, & le souffle d’un air très-éloigné qui entra dans les flûtes Grecques. Leurs fictions ne doivent point être entendues grossiérement ; elles tendent presque toutes à établir les trois importantes vérités de la Religion naturelle, qui sont l’immortalité de l’ame, l’existence d’une Divinité, & une Providence.

Il étoit réservé à ces derniers temps de voir plusieurs Poëtes oser attaquer dans leurs Vers la Religion, & la prendre pour l’objet de leurs railleries. {p. 18}Quelle en est la cause ? C’est qu’ils n’ont pas seulement sur l’immortalité de l’ame la notion qu’avoit le Poëte Euripide qui, dans l’Hyppolite, dit que l’amour que nous avons pour une vie aussi remplie de miseres que la nôtre, ne vient que de l’ignorance où nous sommes d’une autre vie que nous cache un voile ténébreux, & qui est cause que nous nous laissons emporter par des fables.

Les Poëmes licencieux n’ont eu dans tous les temps pour Auteurs que ceux qui avoient méconnu les devoirs de la Poésie, dont le premier est de respecter la Religion qui lui a donné la naissance ; & le second, qui est une suite du premier, est de porter toujours les hommes à la vertu. On a sur cet objet, dans le quinzieme volume des Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, une Dissertation de Louis Racine.

La Musique & la Danse, deux sœurs que la cadence a toujours unies, furent d’abord employées, comme la Poésie, à exprimer d’une maniere plus vive les transports du respect dont les hommes étoient pénétrés pour Dieu, & la joie qu’ils ressentoient de ses bienfaits.

{p. 19}On voit dans le Chapitre de l’Exode, que ce fut par des chants & par des danses que les Israélites rendirent graces à Dieu après le passage de la Mer rouge.

Platon admettoit l’usage de ces deux arts pour les cérémonies religieuses & pour les exercices militaires ; enfin pour donner au corps une certaine bienséance, appellée par les Grecs Ἐμμελεία, & par les Romains, concinnitas. On trouve dans ses livres des loix quelques réglemens à ce sujet. Il vouloit qu’on se conformât à la sagesse des Egyptiens, qui exigeoient que le Poëte & le Musicien ne pussent jamais inspirer la volupté ; mais qu’ils s’accommodassent au but & à l’esprit des sages Législateurs.

M. Burette, dans une Dissertation qui se trouve au premier volume des Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, observe que les Grecs s’étoient écartés de ces regles. Ils prostituerent dans leurs Scenes la Musique & la Danse aux Baladins, aux gens les plus méprisables, qui ne s’en servoient que pour {p. 20}réveiller & nourrir les passions les plus vicieuses.

La volupté étoit presque le seul arbitre qu’on consulta sur l’usage qu’on devoit faire de l’une & de l’autre ; & le Théatre devint une école de toutes sortes de vices, d’autant plus dangereuse qu’en perfectionnant l’imitation, l’on s’étoit mis en état d’y peindre ces mêmes vices des couleurs les plus vives & les plus capables de porter la contagion dans les cœurs.

Ces danses de Théatres s’emparerent tellement du goût public, qu’elles firent dans la suite l’occupation de presque tout le monde. Les uns accouroient en soule à ces sortes de Spectacles ; les autres travailloient à l’acquisition d’un talent si bien accueilli.

Cette corruption du Théatre à Athenes répondoit à celle du Peuple qui y étoit vain, léger, inconstant dans ses mœurs ; sans respect pour les Dieux ; insolent, & plus prêt à rire d’une impertinence, qu’à s’instruire d’une vérité utile. Tels furent les fruits de l’oisiveté à laquelle la Grece se livra, lorsqu’elle n’eut plus de guerres {p. 21}à soutenir, comme le dit Horace. Le repos & l’abondance la jeterent dans la mollesse. On la vit éprise de combats d’athletes, de courses de chevaux, enchantée d’ouvrages de marbre, d’ivoire, de bronze, de tableaux ; courant tantôt à un concert de Musique, tantôt à un Spectacle touchant6.

Voilà, dit M. Batteux7, le Public à qui Aristophane se proposoit de plaire ; & il y réussit sans peine, parce qu’il étoit satyrique par méchanceté, ordurier par corruption de mœurs, impie par principe & par goût.

Ce mauvais naturel ne fit que le rendre plus propre à suivre la loi générale du genre comique, qui exige que le Poëte se conforme à l’inclination {p. 22}dominante du Peuple. Aussi, dans tous les temps, les Pieces comiques ont elles été l’image des mœurs de la Nation pour qui elles ont été faites.

Les Jeux scéniques eurent à Rome la même origine que chez les Grecs. L’impromptu & l’art concoururent à leur formation. La Tragédie y naquit aussi à l’occasion de la moisson & des vendanges. Elle succéda aux Vers fescennins.

Les anciens Romains, bons Laboureurs, s’assembloient pour offrir aux Dieux des sacrifices, & pour les remercier des fruits qu’ils venoient de recueillir. Alors les esprits échauffés produisirent tout d’un coup par une espece d’enthousiasme les Vers appellés fescennins.

Ces Vers n’étoient d’abord que de la prose cadencée, comme étant nés sur le champ, & faits par un Peuple encore sauvage, qui ne connoissoit d’autres maîtres que la joie & que les vapeurs du vin.

Ces impromptus rustiques furent sans malice dans le commencement : lusit amabiliter, comme le dit Horace ; mais ensuite la malignité, si naturelle {p. 23}à l’homme, fit qu’on s’y reprocha tour à tour ce qu’on sçavoit les uns des autres. C’est l’idée qu’Horace continue d’en donner dans la premiere épître du livre 2, qu’il adresse à Auguste. « Nos aïeux, dit-il, ces hommes simples qui vivoient à la campagne dans la plus sobre frugalité, se faisoient un devoir, quand ils avoient renfermé leurs moissons, & qu’ils vouloient jouir d’un repos longtemps attendu, d’offrir avec leurs épouses fidelles, & leurs enfans, compagnons de leurs travaux, un porc à la Déesse de la Terre, une coupe de lait au Dieu Silvain, & au génie qui nous rappelle la briéveté de la vie, du vin & des fleurs. » Ce fut dans ces fêtes, qu’on inventa les Vers fescennins, qui étoient une sorte de dialogues8, dont on ne {p. 24}faisoit d’abord qu’un amusement innocent, mais qui ensuite dégénérerent en satyres.

On a sur cet objet, dans le vingt-septieme volume des Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres une Dissertation de M. Duclos.

Ces Vers fescennins ou satyres qui portoient le nom de Fescennia, Ville d’Etrurie, passerent de la campagne à la ville ; &, comme le dit M. Duclos, en s’y perfectionnant du côté de l’art, ils y devinrent plus licencieux.

Ce fut vers l’an 391 de la fondation de Rome, sous le Consulat de Sulpicius Pedicus & de C. Lisinius Stolo, qu’on vit venir à Rome d’Etrurie, des Farceurs, dont les jeux parurent, propres à appaiser les Dieux, & à détourner une peste qui ravageoit la Ville. Tite-Live, ce fameux Historien qui, dans son style, a toujours égalé sa matiere, & qui n’est {p. 25}jamais au dessous des choses qu’il peint, par verbis materiæ, par sententiis rebus, comme l’a défini un de ses premiers Editeurs, Jean André, Evêque d’Aleria en Corse, dans sa Lettre au Pape Paul II ; Tite-Live, dis-je, rapporte que ces Joueurs, venus d’Etrurie, dansoient au son de la flûte, sans faire aucuns récits, ni en Vers, ni en Prose. Ils y suppléoient par des gestes & des mouvemens qui n’avoient rien d’indécent9. La jeunesse Romaine imita ces danses, & y joignit quelques plaisanteries en Vers qu’ils se disoient les uns aux autres. Ces Vers n’avoient ni cadence ni mesures réglées. Les esclaves qu’on employa à ces sortes de jeux, furent appellés Histrions, parce qu’un Joueur de flûte s’appelloit Histrio en langue Etrusque.

Ensuite à ces Vers sans mesure on substitua les Satyres qui étoient des {p. 26}Pieces licencieuses. Il n’y avoit dans ces Poëmes aucune idée de Poëme dramatique. Les Romains n’en connoissoient pas même encore le nom.

Livius Andronicus, Grec de naissance, esclave de Marcus Livius Salinator, & depuis affranchi par son maître, dont il avoit élevé les enfans, porta à Rome la connoissance du Poëme dramatique10. Ce fut l’an 514 de la fondation de Rome, cent soixante ans après la mort de Sophocle, & cinquante-deux ans après celle de Ménandre.

Livius Andronicus communiqua ses idées à plusieurs Poëtes, qui les mirent en exécution, & qui jouerent eux-mêmes dans leurs Pieces, jusqu’à ce qu’il se fût formé parmi les Histrions des Comédiens capables de les représenter. On vit peu à peu l’art polir & perfectionner l’impromptu & l’ébauche de la nature.

Néanmoins la jeunesse de Rome ne {p. 27}voulut pas abandonner les satyres ; elle se réserva le plaisir de les jouer, & elle abandonna aux Comédiens de profession le vrai genre dramatique. On inséroit des satyres dans les Atellanes, qui étoient des Pieces à peu près du même goût, quant au comique bas & licencieux ; mais qui conservoient en total le ton du genre dramatique par la composition du sujet.

Les Atellanes tiroient leur nom de la Ville d’Atella dans la Campanie, d’où elles avoient passé à Rome.

Les Atellanes & les Satyres étoient aussi appellées exodia, à cause de l’usage où l’on étoit de les jouer à la suite d’autres Pieces.

Les Jeux scéniques qui comprenoient la Tragédie & la Comédie, furent connus fort tard chez les Romains. Ce ne fut, dit Horace, que lorsque les guerres puniques furent terminées, qu’on s’avisa de feuilleter les Grecs.

On sçait que la Grece subjuguée par l’Italie, en triompha à son tour par les arts ; enfin les Romains commencerent à chercher ce qu’il y {p. 28}avoit de beau dans Sophocle, Thespis & Æschyle11.

Il y avoit à Rome deux especes de Tragédies ; l’une dont les mœurs, les personnages & les habits étoient Grecs ; elle se nommoit palliata : l’autre, dont les personnages étoient Romains ; elle s’appelloit prætextata, du nom de l’habit que portoient à Rome les personnes de condition.

La Tragédie ne fit pas de grands progrès à Rome. Cependant Horace dit que les Romains avoient dans ce genre imité avec succès les Grecs. Mais en même temps il reprochoit aux Poëtes tragiques d’être trop négligens, & de craindre de faire trop de ratures dans leurs ouvrages12. Il {p. 29}s’en faut assurément de beaucoup que les Tragédies qui portent le nom de Séneque, puissent être comparées à celles des Grecs.

La bonne Comédie n’y fut pas plus heureuse. On s’imaginoit, dit Horace, qu’elle demandoit moins de peine, parce qu’elle prend ses sujets dans la vie commune ; mais c’est la raison qui la rend plus difficile, parce qu’on ne lui fait point de grace13. Plaute & Térence n’eurent point d’imitateurs, & leurs Pieces furent par la suite négligées.

La Comédie Romaine se divisoit aussi en deux especes ; la Comédie Grecque ou palliata, & la Comédie Romaine ou togata ; parce qu’on s’y servoit de l’habit de simple Citoyen.

Elle se sous-divisoit en quatre autres especes ; sçavoir, la togata, proprement dite, la tabernaria, les Atellanes & les Mimes.

{p. 30}Les Pieces du premier caractere sont quelquefois appellées prætextatæ, parce qu’elles étoient sérieuses, & admettoient des personnages nobles.

Les Pieces du second caractere étoient moins sérieuses, & tiroient leur nom de taberna, qui signifie un lieu où se rassembloient des personnes de toutes conditions & de tous états.

Les Atellanes étoient des Pieces dont le dialogue n’étoit pas écrit. Les Acteurs jouoient d’imagination sur un scenario, dont ils convenoient. Ces Pieces, quoique d’un ordre inférieur aux deux premieres especes de Comédies, n’étoient jouées que par la jeunesse Romaine qui, en se réservant cette espece de plaisir, ne permettoit pas qu’elles fussent représentées par des Comédiens de profession.

Les Acteurs des Atellanes étant des Citoyens, en conservoient tous les droits14 : ils servoient dans les {p. 31}légions, n’étoient pas exclus de leurs tribus, & jouissoient enfin de tous les privileges de Citoyens ; au lieu que les Comédiens mercenaires étoient réputés infames, parce qu’ils étoient nés dans l’esclavage, & qu’ils étoient payés pour divertir le Peuple.

Les Mimes, qui formoient la quatrieme espece de Comédie Romaine, n’étoient que des farces où les Acteurs jouoient sans chaussure ; ce qui faisoit quelquefois nommer cette Comédie déchaussée15.

Les Romains donnoient encore le nom de satyre à une Piece pastorale qui tenoit le milieu entre la Tragédie & la Comédie.

Les Poëtes Mimographes Latins, les plus célebres sous Ennius, Mallius Laberius, Publius Syrus jusqu’au temps de César, Philistrion sous Auguste, Silon sous Tibere, Virgilius Marcellanus sous Trajan, M. Marcellus sous Antonin.

{p. 32}Ils avoient conservé la coutume de jouer eux-mêmes dans leurs Pieces.

Le goût de la multitude pour les Atellanes & pour les farces des Mimes empêcha la perfection de l’Art dramatique.

L’art des Pantomimes s’y opposa aussi. Ces Acteurs jouoient toutes sortes de sujets tragiques & comiques, sans rien prononcer. Ils se faisoient entendre par le seul moyen du geste & des mouvemens du corps.

Les deux plus fameux de ces Acteurs furent Pylade & Bathyle, qui parurent sous Auguste.

Les écoles de Pylade & de Bathyle, dit Séneque, subsistent toujours, conduites par leurs éleves, dont la succession n’a pas été interrompue. Rome est pleine de Professeurs qui enseignent cet art à une foule de disciples. Ils trouvent par-tout des Théatres. Les maris & les femmes se disputent à qui leur fera le plus d’honneur16.

{p. 33}Cette passion des Romains pour les Pantomimes devint même si indécente, que dès le commencement du regne de Tibere, le Sénat fut obligé de rendre un décret pour défendre aux Sénateurs de fréquenter les écoles des Pantomimes, & aux Chevaliers de leur faire cortege en public17. Tant il est vrai, dit M. Duclos18, que les professions les plus infames peuvent parvenir à être honorées, quand elles servent à l’amusement des Grands.

L’établissement des Jeux scéniques & autres Spectacles avoit toujours été redouté à Rome par les personnes sensées qui faisoient dépendre de la conservation des mœurs le bonheur des Empires. Nous n’en citerons {p. 34}qu’une preuve tirée du XIVe Livre des Annales de Tacite. « Lorsque Néron, y est-il dit, institua des Jeux19 tous les cinq ans sur le modele des Grecs ; on rappella l’exemple de Pompée qui avoit été blâmé par les Anciens, d’avoir établi le Théatre à demeure. Jusqu’à lui les bancs se posoient à l’instant, & chaque Théatre ne duroit pas plus que les Jeux. A remonter plus haut, le Peuple se tenoit debout, de peur qu’il ne passât les jours entiers dans la fainéantise, si on l’y faisoit asseoir. Les mœurs de la Patrie se dégraderent. On évoqua la mollesse comme à dessein de les renverser de fond en comble, & de réunir à Rome ce qui dans tout l’univers est capable de se corrompre, & de communiquer la corruption. C’est inviter la jeunesse à dégénérer de ses ancêtres, en se livrant à des {p. 35}goûts qui ne peuvent provenir que de l’oisiveté & des mœurs infames. Eh ! que n’auroit-on pas à craindre, si les Spectacles voluptueux se trouvoient non seulement tolérés, mais encore protégés par le Sénat & par le Prince, qui en feroient une nécessité ? Si l’on ose prostituer les Grands de Rome au Théatre, sous prétexte d’exercer l’Eloquence & la Poésie ; que leur reste-t-il, sinon de se montrer nuds, armés d’une ceste, & de substituer ces combats aux armes & à la guerre. Les augures seront-ils dignes de la sainteté de leur ministere ; les décuries des Chevaliers de l’auguste fonction de Juges, lorsqu’ils sçauront discerner des cadences & de la mélodie des voix ? Cet avilissement, de peur qu’il ne reste du temps pour en rougir, se prolongera {p. 36}jusques dans les nuits, afin qu’au milieu du tumulte, on ose, à la faveur des ténebres, ce qu’on desiroit en plein jour. C’est la licence elle-même qui suggere l’établissement de pareils divertissemens, dont les suites sont démontrées devoir être funestes aux mœurs. Mais la licence plaisoit ; & on se contentoit de la déguiser sous des noms honnêtes ».

L’événement justifia l’opposition que les Romains vertueux avoient eu pour les Spectacles. Les fâcheuses suites qu’ils avoient prévu devoir résulter, eurent lieu. L’amour du plaisir corrompit totalement cette Nation, & parvint à la rendre insensible à tout ce qui préparoit sa ruine.

On lit dans Ammien Marcellin, que Rome ayant été menacée d’une famine, on en fit sortir tous les Etrangers, ceux même qui professoient les Arts {p. 37}libéraux ; mais qu’on y conserva les Gens de Théatre, dont trois mille Danseuses, autant d’hommes qui jouoient dans les chœurs, sans compter les Comédiens20.

On sçait quelles furent les suites de cette corruption de mœurs que le luxe Asiatique avoit introduit dans l’Empire Romain.

« Le nombre des pauvres, dit M. Bossuet, s’y augmenta sans fin par le faste, par les débauches & par la fainéantise qui en résulte toujours. Ceux qui se voyoient ruinés, n’avoient de ressource que dans les séditions ; & en tout cas se soucioient peu que tout pérît avec eux. Les Grands, ambitieux comme un Catilina, & les misérables qui n’ont rien à perdre, aiment toujours le changement. Voilà les deux genres de Citoyens qui préparerent & avancerent la ruine de ce vaste Empire {p. 38}qui embrassoit tant de Nations & tant de Royaumes ».

S’il est vrai que dans les beaux jours de cet Empire, les Romains rendoient meilleurs tous les Peuples qu’ils conquéroient, en y faisant fleurir la Justice, l’Agriculture, le Commerce, les Arts & les Sciences ; il n’est pas moins certain que s’étant ensuite corrompus, ils leur communiquerent également leurs vices.

Le goût des Spectacles en fut un qui pénétra dans toutes les Provinces Romaines. Les troupes qui y étoient dispersées y faisoient représenter les jeux qui étoient le plus en usage à Rome, c’est-à-dire, ceux du Cirque, ceux des Pantomimes & les Mimes.

Nous ne citerons que deux exemples de l’intérêt que ces Provinces y prenoient.

Les Carthaginois étoient occupés aux représentations de leurs Jeux, lorsqu’en 439 Genseric, Roi des Vandales s’empara de leur Ville. Il est dit que les cris de ceux qu’on massacroit, se confondoient avec les applaudissemens de ceux qui étoient au Spectacle.

{p. 39}La Ville de Treves ayant été pillée plusieurs fois, les habitans qui avoient échappé à la fureur des Francs, demandoient aux Empereurs le rétablissement des Spectacles, comme le seul remede à leurs maux.

Les Marseillois, comme nous l’avons dit d’après Valere Maxime, page 86 de nos Lettres, sçutent se préserver de la contagion de ces Spectacles dont Salvien qui vivoit vers l’an 439, reprocha la licence aux Romains de son temps21.

Nous aurons lieu de donner vers la fin de ce volume une note qui prouve que la Ville de Marseille a encore des Citoyens qui se font honneur de cette pureté de mœurs de leurs ancêtres. M. Gresson, de l’Académie des Sciences & Belles-Lettres de cette Ville en est du nombre. Nous en avons la preuve dans une Lettre dont il nous a honoré, & où, après avoir donné à notre Ouvrage le suffrage le plus flatteur, il a joint de judicieuses observations sur un passage de Salvien dont nous avions fait une application qui contredisoit sur ce point Valere Maxime. Nous nous expliquons à cet égard, en répétant que les anciens Marseillois n’admirent ni Mimes, ni Histrions. Ainsi, ils s’épargnerent une privation, que, par la suite, les autres Provinces de l’Empire Romain éprouverent à cet égard. Car les attaques successives que cet Empire eut à essuyer, & qui enfin dans le cinquieme siecle le détruisirent dans l’Occident, firent cesser des jeux qui ne pouvoient se concilier avec les fréquentes inondations des Barbares22, c’est-à-dire, des Vandales dans l’Afrique, des Visigoths {p. 40}dans l’Espagne, des Saxons dans la Grande-Bretagne, des Hérules, & ensuite des Ostrogoths dans l’Italie, enfin des Francs ou Teuthons dans les Gaules.

Les conquérans de l’Empire Romain ayant ensuite embrassé le Christianisme, ce fut un motif de plus pour faire oublier des Spectacles si incompatibles avec la morale chrétienne.

Néanmoins il resta quelques traces des Jeux mimiques & bouffons.

On vit toujours des Mimes errant de Province en Province & de Nation en Nation, « porter, comme le dit Riccoboni23, la semence de cette mauvaise plante que le Christianisme avoit arrachée ».

Elle se conserva presque sans interruption en Italie : néanmoins jusqu’au douzieme & même le treizieme siecle, il n’y avoit point de représentations publiques ; elles se faisoient dans des maisons particulieres ; ce qui étoit en usage du temps de S. Thomas.

Les représentations théatrales ne {p. 41}recommencerent qu’en faveur des mysteres de la Religion, qu’on s’avisa de mettre en action. Ces pieuses Scenes préparerent le rappel des anciens Jeux scéniques, qui reparurent successivement chez les Peuples modernes.

Mais ce ne fut d’abord qu’un mélange de farces profanes jouées concurremment avec les mysteres.

Elles commencerent d’avoir lieu en Espagne dans le quinzieme siecle ; en Italie vers le commencement du seizieme siecle. Ces Pieces profanes parurent plus tard en Angleterre : la premiere qui y fut donnée, eut lieu le 7 Mai 1520 ; & c’étoit une Comédie de Plaute qui fut représentée.

Les Hollandois donnent l’année 1561 pour l’époque de l’établissement de leur Théatre, qui fut aussi très-grossier dans son commencement.

Quant aux Allemands, on sçait que l’ancienne Germanie avoit ses Bardes qui, en qualité de Poëtes, composoient & chantoient les éloges de leurs Héros. A ces Bardes succéda un autre genre de Poëtes, nommé Maître Langer, c’est-à-dire, Maîtres {p. 42}Chantres ou Phonasques. Ils composoient des Vers sur des sujets d’Histoire sacrée & profane qu’ils chantoient sur une tribune ; ce qui en Allemagne dura jusque vers l’an 1630, qu’on commença à y former le Théatre, en prenant pour modeles ceux des Grecs & des Romains.

Les Allemands adopterent les impromptus des Italiens, c’est-à-dire les Pieces qui sont faites sur des cannevas anciens ou modernes, & dont le remplissage se fait par les Acteurs sur le Théatre.

Cet usage, au jugement même de Riccoboni, donne lieu à des représentations encore plus scandaleuses, puisque la liberté que les Comédiens ont de dire tout ce qui leur vient en pensée, les soustrait à la censure à laquelle les Pieces écrites pourroient être sujettes.

Il nous reste à donner une notice sur l’Histoire de notre Théatre ; nous l’avons réservée pour la derniere, afin de lui donner un peu plus d’étendue.

Les Francs, c’est-à-dire, cette ligue de Peuples Germains, habitant le long du Rhin, qui s’emparerent des Gaules, {p. 43}n’avoient pas la moindre idée des Jeux de Théatre que la domination Romaine y avoit établis.

Ils pouvoient d’autant moins y prendre goût, qu’ils n’entendoient ni la langue Latine, ni la Romance rustique, qui étoient les seules langues en usage dans les Pays qu’ils avoient conquis.

Il n’y avoit que les Mimes & Pantomimes qui s’y étoient continués plus facilement, parce que leurs Jeux ne consistoient qu’en concerts, qu’en danses & qu’en gesticulations, qui sont de toutes les langues.

On peut le conjecturer d’une Lettre de Théodoric, Roi des Ostrogots : cette Lettre est adressée à Clovis. Théodoric le félicite sur la victoire qu’il venoit de remporter près de Tolbiac, en 496 ; & il ajoute : Nous vous avons envoyé un Joueur d’instrumens, habile dans son art, qui joignant l’expression du visage à l’harmonie de la voix & aux sons de l’instrument, peut vous amuser ; & nous croyons qu’il vous sera d’autant plus agréable que vous avez souhaité qu’il vous fût envoyé.

{p. 44}Dans les premiers siecles de notre Monarchie, nos Rois occupés à conserver ou à étendre leurs conquêtes, négligerent long-temps les jeux & les plaisirs. Il n’y avoit point alors d’autres divertissemens publics que ces fêtes que des Auteurs ont appellées des Fêtes nationales, parce qu’elles étoient données à l’occasion d’événemens intéressans, & qu’on y invitoit Majores, c’est-à-dire, les Grands de la Nation : telles étoient celles qui avoient lieu lorsque nos premiers Rois tenoient leurs cours plénieres, où, relativement à la forme primitive de notre Gouvernement, les Prélats étoient obligés d’assister.

Ces fêtes n’avoient rien de ce goût de galanterie que l’esprit de l’ancienne Chevalerie introduisit, ni de celui qu’on a connu dans les siecles suivans ; mais elles avoient un ton de grandeur & de majesté. Elles s’ouvroient ordinairement par une Messe solemnelle, qui étoit suivie d’un repas splendide. Les Evêques & les Ducs avoient l’honneur d’être à la table du Roi ; & il y avoit des tables pour les Abbés, les Comtes & les autres Seigneurs. On {p. 45}faisoit des distributions d’argent au Peuple. Les amusemens de l’après-dînée étoient la pêche, la chasse, le jeu & le spectacle d’animaux, comme d’ours, de chiens, de singes qu’on avoit habitués à différens exercices.

On vit paroître ensuite successivement les Mimes, les Histrions ou Farceurs, les Poëtes Provençaux, qui furent appellés Troubadours ou Trouveres, à cause de leurs inventions.

Les Poésies des Poëtes Provençaux se nommoient Romans, parce qu’elles étoient écrites dans un idiôme qui tiroit son origine de la langue Latine ou Romaine.

Cet idiôme eut pour origine l’altération que la langue Latine souffrit par le mélange de la Nation Germanique avec la Nation Gauloise, où l’usage de la langue Latine s’étoit introduit depuis que les Romains eurent conquis les Gaulois.

On commença dès le sixieme siecle, à ne point s’astreindre aux regles grammaticales qui regardent les cas & les genres. On cessa de donner une terminaison Latine aux noms celtiques, teutoniques ou tudesques.

{p. 46}Ce qui s’étoit établi dans le Peuple par corruption devint une regle pour les Sçavans. Ils furent forcés de s’y assujettir, pour se faire entendre. En voici une preuve : Baudemond, Moine d’Elnone, qui vivoit dans le septieme siecle, dit dans son Prologue de la Vie de S. Amand, qu’il l’écrit en langue rustique & usitée dans le Peuple, pour se conformer à l’usage ; rustico ac plebeïo sermone, propter exemplum & imitationem.

Les hommes & les femmes entendoient encore en France, dans le sixieme siecle, la langue Latine ; mais vers la fin du huitieme siecle, la décadence du Latin augmenta encore plus, de maniere que Marculphe ne se cachoit pas, que les Sçavans traiteroient de folie le mauvais Latin de sa collection de formules, velut deliramenta reputabunt.

On sçait qu’en France l’on continua de se servir du Latin dans les Loix, dans les traités, & même dans beaucoup d’actes & contrats particuliers, jusqu’au regne de François premier, qui, par son Ordonnance de 1529, renouvellée en 1535, voulut que la {p. 47}langue Françoise fût uniquement, & exclusivement à toute autre employée dans tous les actes publics & privés. Louis XII, dès l’an 1512, avoit donné une pareille Ordonnance, qui n’avoit pas eu son exécution ; de même que Charlemagne n’avoit pu réussir à établir dans ses Etats la langue Tudesque.

Un Auteur Allemand a dit que le plus fort obstacle à l’exécution du projet de cet Empereur fut l’intérêt des Gens d’Eglise d’alors, qui faisant seuls l’étude du Latin dont on se servoit dans les actes publics, craignirent que leur ministere ne devînt inutile, si l’on parvenoit à les rédiger en langue vulgaire24. Cette conjecture pourroit avoir été hazardée légerement par une suite de la haine que l’irreligion inspire contre les Gens d’Eglise, & sur-tout contre les Moines. Ces derniers se trouvent très-bien {p. 48}justifiés dans une des Lettres du Pape Clément XIV, dont le Recueil nous a été donné en 1776 par M. le Marquis de Caraccioli, qui, en 1775, publia la Vie de ce Pontife. Comme nous sommes dans un siecle où l’on ne cesse de tenir des propos indécens sur cet objet, il nous a paru convenable d’en détourner la jeunesse, en plaçant ici une partie des réflexions de Clément XIV.

« Les Fondateurs d’Ordres Religieux, dit-il, n’eurent que de bonnes intentions, en formant les divers Instituts qu’on trouve dans le sein de l’Eglise ; & il n’y eut pas jusqu’aux habits qu’ils donnerent à leurs disciples, & que le monde juge bizarres, qui ne prouvent leur sagesse & leur piété. Ils penserent que c’étoit le moyen d’empêcher ces Religieux de se mêler avec les Séculiers, & de les exclure des assemblées profanes. Il étoit naturel que des hommes qui embrassoient un genre de vie tout-à-fait différent des usages du siecle, eussent des vêtemens particuliers. Les voilà donc justifiés sur cet article. Eh ! combien {p. 49}ne me seroit-il pas facile de faire leur apologie sur le reste ! Qu’on lise leurs Regles ; qu’on examine leurs usages, & l’on ne pourra s’empêcher de reconnoître que tout ce qui leur est recommandé, que tout ce qu’ils doivent observer dans leurs cloîtres, les rappelle à Dieu. S’ils dégénerent de leur premier état, c’est que tout homme est foible, & qu’au bout d’un certain temps la plus grande ferveur se rallentit ; mais ce scandale ne fit jamais loi dans les Ordres Religieux. Il y a toujours dans toutes les Maisons quelqu’un qui réclame contre les écarts & contre les abus.

« Ceux qui se déchaînent continuellement contre les Moines, qui voudroient qu’on prît leurs possessions, & qu’on les bannît de tous les Etats, ignorent certainement qu’ils furent appellés dans les différens Royaumes par les Rois mêmes qui les doterent, & les comblerent de leurs bienfaits. Ils ignorent que si les fondations des Princes ne sont pas sacrées, il n’y aura plus rien dans le monde qu’on doive épargner ; {p. 50}qu’enfin ces Moines qu’on déchire si cruellement, gagnerent par leurs sueurs, par leurs veilles & par leurs travaux le pain qui les nourrit. Leur prétendue rapacité n’est qu’une calomnie. Les Bénédictins acquirent leurs biens, en défrichant les campagnes & la vigne du Seigneur, dans les temps où la corruption & l’ignorance faisoient les plus grands ravages. Nous serions sans eux, disoit Innocent XI, les plus ineptes. Outre qu’ils firent la gloire de différentes Eglises pendant des siecles entiers, ils ont encore été les peres & les conservateurs de l’Histoire. C’est chez eux que les Monarques trouverent les titres les plus augustes & les plus intéressans, & que la science & la foi se conserverent sans interruption, comme le dépôt le plus précieux, pendant que le nuage le plus épais paroissoit ombrer l’univers. On ne les vit jamais, quoique riches & puissans, cabaler dans les Royaumes, ni se livrer à aucune intrigue préjudiciable aux Etats. Ils leur furent au contraire d’un grand {p. 51}secours. Les premiers disciples de S. Dominique, de S. François d’Assise, de S. François de Paule ne demanderent rien aux Monarques, lorsqu’ils avoient leur plus intime confiance, & qu’ils pouvoient tout obtenir. Leur indigence actuelle en est la preuve.

« Je sçais que les Monasteres, par leur inconduite, ont souvent mérité des réformes. Mais ce n’est ni les regles monastiques, ni les Fondateurs qu’on doit accuser. Un homme qui vit dans un cloître, comme il est obligé d’y vivre, ne peut qu’exciter l’estime, & mériter l’attachement des gens de bien. »

Ce n’est donc pas à une mauvaise intention des Ecclésiastiques qu’il faut absolument attribuer la difficulté que Charlemagne eut à faire adopter généralement la langue Tudesque qui fut si long-temps celle de la Cour.

Pourquoi donc, dira-t-on, la Romane parvint-elle par la suite à avoir la préférence ? C’est que les meilleurs ouvrages de ce temps-là furent faits en cette langue, qui étoit celle des Poëtes Provençaux. Et comme, dans {p. 52}tous les temps, les Ouvrages d’agrément sont ceux qui ont le plus de lecteurs, ce sont les Troubadours qui furent cause du triomphe de la langue Romane, dont ensuite s’est formée la langue Françoise que nous parlons, & qui n’est devenue d’un usage universel dans l’Europe, qu’à cause des chefs-d’œuvre qu’elle a fournis dans tous les genres. On a sur cet objet à consulter de bonnes Dissertations de MM. Duclos, l’Abbé Le Bœuf, l’Evêque de la Ravaliere, & Bonami, insérées dans les tomes XV, XVII & XXIII des Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres.

Ce fut donc l’idiôme Roman qui donna lieu d’appeller Romans toutes ces frivoles fictions, qui ont un si grand nombre de partisans. On les aime à cause des passions qu’elles peignent, & de l’émotion qu’elles excitent. Et, comme par leur effet sur les mœurs, elles peuvent être rangées dans la classe des Pieces de Théatre, il nous a paru à propos de donner ici épisodiquement sur ce genre de productions la notice historique que nous {p. 53}avons annoncée page premiere de ce volume.

On a de M. Huet25, Evêque d’Avranches, un petit Ouvrage intitulé : Origine des Romans. Ce Sçavant définit le Roman, une fiction amoureuse écrite en prose avec art pour le plaisir & l’instruction des Lecteurs. Cette définition n’est pas exacte. Les fictions amoureuses ne peuvent jamais servir à l’instruction des Lecteurs, elles ne peuvent que les corrompre.

On a de M. l’Abbé Jacquin sur la même matiere un écrit très-solide26, où en trois entretiens l’Auteur fait connoître l’origine des Romans, leur inutilité, & leur danger pour l’esprit & pour le cœur.

Le goût des folles fictions, que nous appellons la Romancie, date de loin. {p. 54}Ce fut un des premiers fruits de la raison corrompue & égarée par les ténebres de l’idolâtrie. Les fables d’Isis & de Sérapis peuvent faire regarder l’Egypte comme le berceau de la Romancie.

On peut dire que c’est de l’Egypte que presque tous les Peuples anciens ont reçu la coutume de charger de fables leurs Histoires & leur Religion.

Les Perses, qui conquirent l’Egypte, en rapporterent l’esprit de fiction, & ils en firent usage dans leur histoire de Zoroastre.

Cecrops transporta de l’Egypte le même goût d’invention ; & la Grece, qui fut appellée la Patrie des Dieux ; pouvoit aussi être nommée la Patrie des fables & du mensonge.

On n’a une idée des Romans de la Grece, que par la bibliotheque de Photius, où l’on en trouve les noms & quelques extraits.

Les Fables Milésiennes, les Amours de Daphnis & de Cloé, qui pénétrerent à Rome avec les dépouilles de la Grece, y inspirerent aussi le goût des fictions qu’on n’y avoit connues jusqu’alors {p. 55}que pour ce qui concernoit la Religion.

Ovide donna ses Poëmes amoureux ; Marcus-Térence-Varron, Pétrone, Apulée, imitateur de Lucien, furent féconds dans ce genre de productions.

Les fictions romanesques avoient été chez les Grecs les fruits du goût, de la politesse & de l’érudition ; mais chez les Peuples modernes ce fut la grossiéreté qui enfanta leurs premiers Romans. On les vit d’abord sortir de la Provence, qui fut appellée la boutiqua dels Troubadours ; & la mode s’en établit ailleurs.

Les Picards eurent leurs Servantois ; les Normands eurent leur histoire de Roland le Furieux. Le Poitou eut les Relations de Guillaume IX, Comte de Poitiers. Le Languedoc, le Dauphiné & l’Aquitaine eurent aussi leurs Romanciers & leurs Conteurs.

Ils chargeoient de merveilleux les histoires des familles militaires ; telles sont les aventures de Raimond, Comte de Toulouse ; les faits & gestes du Preux Godefroi de Bouillon ; le Chevalier sans reproche, ou l’Histoire de Louis {p. 56}& de Charles de la Trémoille, &c.

On a dans le tome XXIII des Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, une Dissertation de M. le Comte de Caylus, sur l’origine de nos anciens Romans, & de l’ancienne Chevalerie. Cet Académicien ayant remonté depuis les Romans des treizieme & quatorzieme siecles jusqu’aux Historiens du sixieme siecle, a reconnu que le temps brillant de Charlemagne a été la source de tous les Romans de Chevalerie, & de la Chevalerie elle-même.

Le Roman de Philomene, qui contient les exploits prétendus de Charlemagne devant Narbonne & Notre-Dame de la Grasse, est le plus ancien dont nous ayons connoissance. Il est environ du dixieme siecle. Bernard, Abbé du Monastere de Notre-Dame de Grasse, le fit traduire en Latin, vers l’an 1014 ; & dès-lors on le regardoit comme très-ancien, & on le croyoit composé du temps de Charlemagne. C’est ce Roman qui parle le premier de l’institution fabuleuse des douze Pairs de France.

Le Roman de Guillaume au court {p. 57}nez, est du neuvieme siecle ; c’est l’histoire de S. Guillaume, chargée d’aventures fabuleuses. Cette fiction étoit chantée par les Jongleurs du temps d’Orderic Vital.

Ensuite, vers le regne de Philippe-le-Bel, c’est-à-dire vers le treizieme siecle, vinrent les Romans de Chevalerie, tels que l’histoire de S. Greant, le Roman des Chevaliers de la table ronde, le Roman de Lancelot du Lac, le Roman de la Rose ; ce dernier est écrit en vers de huit syllabes, & il en contient plus de vingt-deux mille.

Il fut commencé vers le milieu du treizieme siecle par Guillaume de Lorris, qui composa les quatre mille cent cinquante premiers vers ; & quarante ans après sa mort il fut continué par Jean Clopinel dit de Meung. Le nom de la Rose est le nom symbolique donné à l’héroïne de la Piece qui renferme une allégorie continuelle. On y voit toutes les passions du cœur, tous les sentimens de l’ame personnifiés, & y jouer un rôle comme Dame Oiseuse, Dame Liesse, Dame Courtoisie, Dame Beauté, Dame Jeunesse, &c. Cette production n’est qu’une grossiere fiction {p. 58}d’amour, comme l’annoncent les deux premiers Vers :

Cy est le Rommant de la Rose,
Où tout l’art d’amours est en chose.

Il y a des épisodes où le mélange de la Fable & de la Religion présente des impiétés révoltantes.

Le Roman d’Amadis de Gaule est une traduction de l’Espagnol, par le Seigneur Desessars Nicolas de Herberai, en 1540, en 4 vol. in-folio. Il porte pour devise, Nul ne s’y frotte.

Le Roman de Dom Quichotte est une preuve de la fureur que les Espagnols avoient pour les aventures romanesques, puisque son Auteur Michel de Cervantes ne le composa que pour jetter un ridicule sur les productions de ce genre, dont sa Nation ne pouvoit se rassasier.

L’Angleterre s’y livra aussi. Son Roman de Sangraal, composé par Robert de Borron, donna lieu aux aventures du Roi Artus.

L’Italie a eu son Arioste, son Biondi.

L’Allemagne vante ses Romans d’Hercule & d’Herculesque, de Proserpine, {p. 59}de la Princesse Arsinoë de Smyrne, Reine des Amazones, &c.

L’abolissement des tournois, & les guerres civiles firent cesser le goût de ces Romans héroïques & de Chevalerie : enfin, la Littérature se perfectionna sous le Cardinal de Richelieu. On quitta la galanterie romanesque ; on ne goûta plus les faits inimitables d’Amadis.

Tant de châteaux forcés, de Géants pourfendus,
De Chevaliers occis, d’Enchanteurs confondus.
… … … … …
Bientôt l’Amour fertile en tendres sentimens,
S’empara du Théatre, ainsi que des Romans.

On préféra tous ces tendres sentimens qui sont décrits dans l’Astrée de Durfé,

… Où dans un doux repos
L’amour occupe seul de plus charmans Héros.

Durfé27, dans son Astrée, avoit fait de bergers très-frivoles des héros de Roman considérables ; mais Gomberville28, la Calprenede29, la Demoiselle {p. 60}Scudery30, qui lui succéderent dans ce genre de productions, eurent la mal-adresse de choisir les héros de leurs Romans parmi les Rois, les Princes & les plus grands Capitaines de l’antiquité, pour les faire parler & agir en Celadons & en Sylvandres, qui ne font du matin au soir que lamenter, gémir & filer le parfait amour : tels sont dans le Roman de Clelie, les Lucreces, les Horacius-Cocles, les Mutius-Scevola, les Brutus, & presque tous les personnages des Romans de cette espece.

La Comtesse de la Fayette évita ce ridicule dans sa Zaïde & dans sa Princesse de Cleves.

Les Romanciers les plus modernes se sont attachés à mettre de la vraisemblance dans leurs historiettes ; mais elles en sont encore plus dangereuses pour les mœurs. Elles se sont approchées des Romans Grecs du moyen âge, où l’on trouve les descriptions les plus propres à inspirer la volupté de l’amour vicieux.

Chez les Anglois il y a eu Richardson, {p. 61}Fielding, &c. qui ont essayé de rendre ces fictions utiles aux mœurs, en n’y employant que des tableaux simples, naturels & ingénieux des événemens de la vie.

« Mais, comme l’a observé M. le Chevalier de Jaucourt, il faut qu’une Nation soit bien corrompue, quand on est réduit à ne pouvoir l’instruire que par des Romans.

« On a voulu depuis peu en Angleterre, dit M. Jean-Jacques Rousseau31, rendre la lecture des Romans utile à la jeunesse. Je ne connois point de projet plus insensé. C’est commencer par mettre le feu à la maison, pour faire jouer les pompes ».

Le même Auteur trouve encore plus dangereux les Romans François. « Quels en sont, dit-il, les Acteurs ? Les gens du bel air, les femmes à la mode, les Grands, les Militaires ? Quelles en sont les leçons & les préceptes ? Le rafinement du goût corrompu des Villes, les maximes scandaleuses de la Cour, l’appareil {p. 62}du luxe & la morale épicurienne. Le coloris de leurs fausses vertus ternit l’éclat des véritables : le manege des procédés est substitué aux devoirs réels ; les beaux discours font dédaigner les belles actions, & la simplicité des bonnes mœurs passe pour grossiereté…. Les Contes, les Romans, les Pieces de Théatre, tout dans ce siecle tourne en dérision la simplicité des mœurs, tout prêche les manieres & les plaisirs de la galanterie. Qui sçait de combien de filoux & de filles publiques, l’attrait de ces Romans & de ces Spectacles peuple Paris de jour en jour.

« Ce frivole éclat de ces inventions voluptueuses fait courir l’Europe à grands pas vers sa ruine. Il importe au bonheur des hommes qu’on tâche d’arrêter ce torrent de ces maximes empoisonnées & de tous ces ouvrages d’imagination : un Roman qui ne contiendroit rien que d’instructif, seroit sifflé, haï, décrié par les gens à la mode, comme un livre plat, extravagant, ridicule. Et voilà comment la folie du monde est sagesse…. La morale de nos {p. 63}productions amusantes sera toujours vaine, parce qu’elle n’est que l’art de faire sa cour au plus fort, c’est-à-dire, aux gens dont le cœur est gâté ».

Il y a dans le Journal de Verdun, du mois d’Août 1749, une Lettre intéressante de M. de Passe32, sur ces frivoles Ouvrages que M. Huet, Evêque d’Avranches appelloit l’amusement des Paresseux. « Il semble, dit M. de Passe, que dans toutes ces futiles productions, on ait affecté de ne jamais nous y montrer l’homme tel qu’il est. On n’y voit que des caracteres qui sont hors de la nature, des sentimens forcés, des réflexions alambiquées. Les bienséances les plus communes y sont sacrifiées, des images licencieuses y tiennent lieu d’ornement, & l’on y montre l’obscénité toute nue, ou enveloppée tout au plus du voile {p. 64}transparent de l’équivoque. On diroit que les Auteurs, en bravant le sens commun, auroient formé une conspiration contre la vertu, & se seroient proposés d’assurer le triomphe du vice. Chez eux, comme dans presque tous nos Poëtes comiques, le libertin est plaisant, enjoué & d’agréable humeur. L’honnête homme au contraire paroît insipide, misanthrope & bourru. Les Auteurs Romanciers, accoutumés apparemment à ne voir que mauvaise compagnie en femmes, n’en parlent que pour en faire les portraits les plus odieux. Un goût de débauche domine toujours dans le rôle qu’ils leur font jouer…. Les Romans du siecle passé, qu’on appelloit Romans héroïques, avoient assurément beaucoup de défauts. On leur reprochoit avec raison de ne nous présenter sous des noms anciens que des Héros formés sur l’urbanité galante de nos mœurs. Les Rois & les plus fameux Capitaines de l’antiquité n’y paroissoient occupés que du soin de gagner le cœur de leurs maîtresses. L’amour étoit pour eux {p. 65}une espece de Divinité qui leur donnoit la loi, & qui décidoit souverainement de la paix & de la guerre. Ils étoient remplis de conversations trop longues, & qui par cette raison devenoient trop ennuyeuses à la lecture. Mais ces mêmes Romans étoient faits avec un certain art. Les événemens y étoient amenés naturellement. On y trouvoit des situations intéressantes & variées. On y voyoit de grands sentimens & une vertu peut-être trop sublime pour qu’on pût se flatter d’y atteindre : on n’y rencontroit point de ces images licencieuses qui montrent le vice sous une forme aimable. Des devoirs inviolables chez les Payens mêmes, n’y étoient point représentés comme autant d’assujettissemens tyranniques. On n’y exposoit pas un mari aux traits de la raillerie & du mépris le plus outrageant, parce qu’il étoit sensible au déshonneur de sa maison ; & une femme assez adroite pour le tromper, n’étoit pas l’héroïne qu’on entreprenoit d’y célébrer. Je suis indigné, & mon zele a peine à se retenir, quand je pense à tant de {p. 66}livres infames, connus sous le nom de Contes & de Romans, dont nous sommes inondés. C’est peu de ne pas y envelopper les actions les plus honteuses, & d’y violer la décence qui sert de rempart à la pudeur : on y décrit avec une impudence outrée tout ce qui peut s’imaginer de plus obscene. On va même au-delà des bornes de la nature, dans les peintures cyniques que l’on met sous les yeux des Lecteurs. Comment peut-on envisager les Ecrivains qui prostituent ainsi leurs plumes & leurs talens à des ouvrages si détestables ? Ce sont des empoisonneurs publics, d’autant plus dangereux, que le poison qu’ils préparent, leur survivra & produira ses cruels effets jusque dans les derniers temps. S’il est honteux de ne travailler que pour l’amusement des hommes, il est criminel & barbare d’allumer dans leurs cœurs les passions les plus capables de les déshonorer & de les avilir. Dans les Etats les moins policés, on punit du dernier supplice un seul homicide, un seul larcin ; & on laisseroit impunis des Auteurs qui, se faisant gloire {p. 67}d’être sans religion, & se croyant honorés de la réputation d’hommes licencieux & sans pudeur, se permettent insolemment & de ravager & d’empoisonner ; qui, cherchant moins à se satisfaire par le plaisir qui accompagne le crime, qu’à détruire la vertu, & à en étouffer toutes les semences, font publiquement des leçons de débauche, & s’applaudissent de leurs succès ? Quels horribles succès que ceux qui se terminent à rendre les hommes vicieux & débauchés » !

On a de l’Abbé Lenglet Dufresnoi33, un mauvais écrit intitulé, De l’usage des Romans. Cet Auteur qu’on appelloit le Zoïle des Erudits, y soutient que les Romans sont utiles : mais il eut lieu de se repentir d’avoir soutenu cette these, & il donna, pour en être l’antidote, un autre écrit intitulé, l’Histoire justifiée contre les Romans. Prévôt d’Exiles34 a composé un très-grand nombre de Romans qui sont {p. 68}vantés par les amateurs de ces sortes de compositions, dont les meilleures sont toujours très-dangereuses, parce qu’elles ne présentent la vertu qu’en maximes, & offrent toujours le vice en action.

Cet Auteur, tout consacré qu’il fut à ce genre d’ouvrages, duquel il avoit eu le malheur de faire dépendre sa fortune, a du moins laissé échapper ce qu’il en pensoit.

« Quand il seroit vrai, dit-il, qu’on pût tirer quelque fruit des meilleurs Romans, pour se former le style, il n’égaleroit pas le péril auquel on s’exposeroit de s’amollir le cœur par une lecture trop tendre. La sagesse & la vertu en reçoivent toujours quelque atteinte ; on s’émeut, on se passionne, on éprouve tous les mouvemens de haine & d’amour, de pitié & de vengeance, dont on voit qu’un feint personnage est animé. Et l’on tomberoit infailliblement dans les mêmes foiblesses, si l’on en trouvoit les mêmes occasions. Rien n’est plus pernicieux que cette multitude d’histoires amoureuses & de Nouvelles galantes {p. 69}qu’on est dans le goût d’écrire depuis trente ou quarante ans. En voulant peindre les hommes au naturel, on y fait des portraits trop charmans de leurs défauts ; & loin que de pareilles images puissent inspirer la haine du vice, elles en cachent la difformité pour le faire aimer ».

Concluons cette digression, en disant que la lecture de tous nos Romans doit être redoutée comme l’étoit celle de ces histoires dont Horace disoit que le vice s’y trouve peint de maniere à l’enseigner :

Et peccare docentes,
Fallax historias monet.

Od. 7, lib. 3.

C’est de ces écrits dont les Auteurs eux-mêmes devroient détourner les ames vertueuses, comme Ovide le faisoit à l’égard de plusieurs de ses Poëmes qu’il déclaroit devoir être évités par les esprits les plus forts, & qu’il conseilloit de brûler35.

{p. 70}On exceptera toujours le Télémaque. C’est dans ce genre d’ouvrages celui qui est le plus intéressant tant pour le style que pour son objet. Mais encore sçait-on qu’il n’est pas sans reproche sur l’épisode du naufrage qui jette le héros sur l’île enchantée. L’image séduisante de la passion de Calypso, & des tendres sentimens de la jeune Eucharis pour Télémaque, est bien capable d’enflammer le cœur d’une jeune personne d’un feu qui ne brûle jamais impunément. L’Auteur, qui n’étoit pas alors Evêque, s’étoit sans doute permis la composition de ce Roman, par des raisons que vraisemblablement par la suite il auroit abandonnées. C’est une conjecture fondée sur les écrits de piété qu’on a de ce Prélat.

Cette scene épisodique du Télémaque est du genre de ces Romans où l’on prétend qu’en représentant l’amour avec tous les charmes dont il se sert pour séduire, on offre un moyen efficace de se précautionner contre ses écueils. Mais, comme le dit M. de Passe dans sa Lettre, dont nous avons ci-dessus fait usage : « Je demande s’il est raisonnable d’allumer le feu pour {p. 71}l’éteindre, d’avaler le poison pour éprouver la vertu d’un antidote, de se blesser pour connoître la force d’un remede ? Le mal peut servir de remede, quand il est de nature à exciter l’horreur, & qu’il faut le vaincre par le combat. Mais, lorsque le cœur aime ses maladies, & qu’il ne peut s’en garantir que par la suite, ce seroit un remede pernicieux que de se rendre malade pour se guérir. La Princesse de Cleves, par exemple, est un Roman estimable à bien des égards. Il y a du naturel, de la justesse. Les faits n’y sont point noyés dans les réflexions, le style en est pur, délicat, sans affectation. On sent, en le lisant, que l’Auteur connoissoit le monde, qu’il avoit étudié le cœur humain, & qu’il sçavoit faire jouer les ressorts qui mettent les passions en mouvement. Mais la morale de ce Roman est-elle hors d’atteinte, & peut-on dire que la Princesse de Cleves soit un modele à proposer ? L’intrigue de ce Roman est l’amour que la Princesse conserve pour un autre que pour son mari. Le devoir en triomphe par un {p. 72}effort de vertu. L’Auteur, qui étoit maître des événemens, a garanti son héroïne d’un adultere : mais une femme qui sera dans le cas de la Princesse de Cleves, & qui à son exemple croira pouvoir concilier l’amour d’un amant avec ce qu’elle doit à son mari, sera-t-elle de même la maîtresse de résister à tout ce que la passion a de plus séduisant, & à sa propre foiblesse ? N’y auroit-il pas même trop de présomption à s’en flatter ? On fait triompher sans peine une héroïne dans un livre ; mais ces triomphes sont trop rares dans la pratique, pour qu’on puisse y compter ». Concluons des réflexions de M. de Passe, qu’en général les meilleurs Romans sont ceux qui participent le moins à la corruption ordinaire de ce genre d’ouvrages, comme le disent Séneque & Martial. Il n’y a pas de bonté à attribuer à ce qui n’est que moins mauvais : Nec bonitas est, pessimo esse meliorem36. Optimus malorum, est infimo gradu malus37.

Mais revenons à notre Théatre que {p. 73}nous avons laissé à son premier âge, & dont les Poëmes se bornoient à ces Romans, inventions des Poëtes Provençaux. Tels furent, par exemple, le Roman de Troyes par Benoît de Mory ; le Roman d’Atys & de Prophylies, par Alexandre, qu’on croit être celui qui inventa les grands Vers appellés Alexandrins, soit à cause de son nom, soit parce qu’il les employa dans son Roman d’Alexandre le Grand.

Ces étincelles de Poésie parurent dans les douzieme, treizieme & quatorzieme siecles, & dans les extrémités de la France les plus opposées pour le climat.

Les Provençaux, dit M. de Fontenelle38, auroient dû, aidés de leur soleil, avoir l’avantage ; mais il faut avouer que les Picards ne leur cédoient en rien.

La plus grande gloire de la Poésie Provençale est d’avoir eu pour fille la Poésie Italienne. L’art de rimer passa de Provence en Italie ; mais il s’y perfectionna plutôt qu’ailleurs. Nos Versificateurs étoient encore sans correction, {p. 74}sans goût, & bégayoient à peine des Poëmes informes, tandis que l’Italie se glorifioit d’avoir déjà produit des Poëtes qui jouissent encore de la plus grande réputation. On y honoroit excessivement leur talent. Il paroît que les Poëtes y étoient distingués par un habillement particulier. Villani rapporte que le Dante qui mourut au commencement du quatorzieme siecle, fut enterré magnifiquement en habit de Poëte39. Les Souverains leur faisoient la cour, pour être loués dans leurs Poëmes : honneur que quelques Poëtes n’accordoient pas légerement. L’Empereur Charles IV ayant sollicité Pétrarque de lui dédier un Ouvrage : Je ne puis, lui répondit le Poëte, vous rien promettre, qu’autant que vous aurez de véritable grandeur.

Il fut réservé à l’Italie de répandre de nouveau le goût des mœurs & des arts dans toutes les autres parties de l’Occident, après avoir été elle-même éclairée une seconde fois par les Grecs.

Il est à observer que peu de temps {p. 75}après la prise de Constantinople, vers l’an 1453, quelques Grecs fugitifs vinrent chercher un asyle en Italie. Ils y porterent avec eux leur trésor littéraire qui consistoit en manuscrits précieux. Ils furent accueillis par le Pape Nicolas V, qui profita de cet événement pour rappeller l’étude de la Langue Grecque & des Auteurs de l’Antiquité. Et tout alors concourut au progrès des Lettres. L’art de l’Imprimerie découvert peu d’années auparavant, devint bientôt florissant par les soins des Aldes, plus dignes encore du nom de Sçavans que de celui d’Imprimeurs célebres. Les anciens manuscrits à demi-effacés, pleins d’abbréviations, & difficiles à déchiffrer, produisirent des copies imprimées qui, étant multipliées, & se répandant par toute l’Europe, firent succéder le sçavoir & la politesse à l’ignorance & à la grossiereté.

Néanmoins il ne faut point désavouer que, toutes informes que fussent les productions des Troubadours Provençaux, il y en avoit plusieurs dont l’invention étoit ingénieuse. Dante & Pétrarque en firent leur profit. {p. 76}Et M. de Fontenelle a remarqué que Bocace lui-même avoit pris les originaux de ses Contes dans le Ménestrel, Rutbeuf, Habert, & d’autres Fabliaux.

Ces Fabliaux étoient moraux, ou allégoriques, ou amoureux. Car, dit M. de Fontenelle, il étoit dans l’ordre de la nature corrompue, qu’avec l’esprit poétique il se répandit en France un esprit de galanterie.

Il y avoit en Provence la fameuse Cour d’amour. Et la Picardie, rivale de la Provence, avoit ses plaids & gieux sous l’ormel.

Comme tous les Vers se faisoient alors sans étude & sans science, la Noblesse ne dédaignoit pas d’en faire. Tel qui par le partage de sa famille, n’avoit que la moitié ou le quart d’un vieux château, bien seigneurial, alloit quelque temps courir le monde en rimant, & revenoit acquérir le château.

On les payoit en armes, draps & chevaux, &, pour ne rien déguiser, on leur donnoit aussi de l’argent. Mais ils ne jouoient point sur des Théatres publics ; il n’y en avoit pas alors. Ils avoient à leur suite quelques Ménestrels ou Jongleurs qui chantoient sur {p. 77}leurs harpes ou sur leurs vielles les Vers des Troubadours ou Trouveres.

Il y avoit de ces représentations privées, mêlées de musique & de jeux, qu’on donnoit dans les banquets royaux, & qui pour cette raison étoient appellés entremets.

La nature seule faisoit ces Poëtes ; l’art ni l’étude ne lui en pouvoient disputer l’honneur. Les Trouveres ne pensoient pas qu’il y avoit jamais eu des Grecs ni des Latins : personne alors n’entendoit le Grec. Il n’y avoit que quelques Ecclésiastiques qui entendissent le Latin ; & les gens habiles sçavoient seulement par tradition qu’il y avoit eu des Anciens. Aussi leurs ouvrages étoient-ils sans regle, sans élévation & sans justesse. Mais, en récompense, on y trouve une simplicité ingénue, une naïveté qui fait rire sans paroître trop ridicule, & quelquefois des traits de goût imprévus & assez agréables. On a sur cet âge de notre ancienne littérature, un Ouvrage intéressant, intitulé : Histoire Littéraire des Troubadours, en 3 vol. in-12, dont nous avons parlé pag. 166 de nos Lettres sur les Spectacles.

{p. 78}Il y eut toujours en même temps les Mimes, dont les jeux consistoient en récits bouffons & en gesticulations. Ceux qui faisoient des tours d’adresse & de force avec des épées ou bâtons, furent appellés Balatores, & en françois Bateleurs. Ils alloient de Ville en Ville ; & lorsque dans leurs routes ils avoient à payer des péages, ils étoient autorisés par les Ordonnances à satisfaire le Péager par leurs jeux ou par les tours de leurs singes ; ce qui a donné lieu à ce proverbe populaire, payer en monnoie de singe ou en gambades.

Cette profession de Trouveres, Jongleurs ou Ménestriers essuyoit de temps en temps le mépris qu’elle méritoit. On voit dans le Fabliau de la Robe vermeille, la femme de Vavasseur reprocher ainsi à son mari de faire un métier si bas :

Bien doit être Wavassor vis40,
Qui veut devenir ménestrier.
… … … … …
S’appartient à ces Jongleurs
Et à ces autres Chanteurs ;
Qu’ils aient de ces Chevaliers
Les robes, c’est leurs métiers.

{p. 79}Il y a dans les Capitulaires des Rois de France une Ordonnance de Charlemagne de l’an 789, qui comprend parmi les personnes notées d’infamie, tous ces Farceurs & Histrions : omnes infamiæ maculis aspersi, id est Histriones, ut viles persona, non habeant potestatem accusandi41. On voit dans ces mêmes Capitulaires, que les gens vertueux évitoient de voir & d’entendre ces Farceurs, Bateleurs, &c. La défense en étoit expressément faite aux Ecclésiastiques, & on leur faisoit un devoir d’en détourner par leur exemple & par leurs conseils les Fideles42.

Il y a des Ecrivains qui ont donné comme des images des anciennes fêtes nationales les Tournois & les Carrousels, dont on sçait quel étoit l’appareil. Ils passerent de mode après celui où le Roi Henri II fut blessé à mort en {p. 80}1559. Un Envoyé du Grand Seigneur sous Charles VII, disoit très-sensément de ces fêtes militaires, que si c’étoit tout de bon, ce n’étoit pas assez, & que si ce n’étoit qu’un jeu, c’en étoit trop43.

La Cour abandonna ces divertissemens, où il arrivoit toujours malheur ; & on les vit remplacés par les jeux de Théatre & les Ballets, où le Roi, les Princes & les Seigneurs étoient Acteurs : mais ce n’étoit que des fêtes extraordinaires, qui n’avoient lieu que dans des événemens qui rassembloient à la Cour les personnes d’état à y paroître.

On sçait que, lorsque les grands Seigneurs ne furent plus, comme le dit M. le Président Hénault44, que des Courtisans que le plaisir & l’ambition fixerent à Paris, on vit cette Capitale parvenir successivement à une grandeur colossale. Elle n’a pu y arriver, sans être de plus en plus surchargée d’une multitude de Citoyens désœuvrés dont on crut devoir occuper {p. 81}le loisir, selon le goût des temps, par des représentations pieuses qui furent l’enfance & le bégayement de nos Tragédies, de nos Opéra & de nos Comédies.

On s’accorde assez pour rapporter l’origine de l’établissement des Spectacles de Paris à l’année 1398, que des Bourgeois de cette Ville se réunirent pour donner les représentations des Mysteres de la Passion de Jesus-Christ, & pour vivre aux dépens de leurs spectateurs. Le caractere de ces représentations, dont les Pélerins de la Terre sainte avoient donné l’idée, procura à la compagnie de leurs Inventeurs le privilege d’être érigée en Confrairie pieuse :

De nos dévots Aïeux le Théatre abhorré,
Fut long-temps dans la France un plaisir ignoré ;
De Pélerins, dit-on, une Troupe grossiere
En public à Paris y monta la premiere ;
Et sottement zélée en sa simplicité,
Joua les Saints, la Vierge & Dieu par piété.

Desp.

On pourroit bien faire remonter vers l’année 1313 l’époque de ces sortes de représentations publiques ; mais alors elles n’étoient pas ordinaires. Il {p. 82}y en eut, par exemple, à l’occasion de la Chevalerie des fils de Philippe-le-Bel, Louis-Hutin, Philippe-le-Long & Charles-le-Bel. Enfin si l’on vouloit avoir une trace plus ancienne de ces jeux de Théatre, on la trouveroit en 1179. Un Moine nommé Geoffroi, qui depuis fut Abbé de Saint-Alban en Angleterre, chargé de l’éducation des jeunes gens, leur faisoit alors représenter avec appareil des especes de Tragédies de piété, dont la premiere eut pour sujet les Miracles de sainte Catherine. On doit présumer que ce drame répondoit au mauvais goût du douzieme siecle.

Sous le regne de S. Louis, dit M. Duclos45, les Jongleurs ou Ménestriers étoient en assez grand nombre pour mériter un article particulier dans un tarif que ce Prince fit faire pour régler les droits de péage à l’entrée de Paris.

Par la suite ces Jongleurs ou Ménestriers parvinrent dans ce temps d’ignorance à donner leurs jeux ou représentations {p. 83}pour des objets d’édification. On en vit sous le regne de Charles VI former une compagnie sous le titre de Confreres de la Passion. Ils établirent leur Théatre dans une salle de l’Hôtel de la Trinité, & ils obtinrent à cet effet des Lettres-Patentes datées du 4 Décembre 1402. Les sujets de leurs especes de Poëmes étoient tirés de l’Ecriture sainte & des Légendes des Saints. Voici les titres de quelques-uns : Le Mystere de la Vengeance de la Mort de J.C. Le Mystere de la Conception & de la Nativité de la Vierge. La Passion, &c. Leurs Auteurs les plus connus étoient Jean Petit, Dabondance, Louis Choquet, &c.

Mais dès le crépuscule du rétablissement des Lettres, c’est-à-dire, sous le regne de François I,

Le sçavoir à la fin dissipant l’ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence,

Despr.

L’ignorance avoit répandu les ténebres les plus épaisses sur tous les Ordres de l’Etat. Néanmoins dans le cours de cette nuit il parut assez de lumieres pour conduire les vrais {p. 84}Philosophes46. Ces temps ténébreux nous offrent une multitude de Canons, de Conciles, de Statuts Synodaux & de Mandemens d’Evêques pour le rappel des bonnes regles. Ces réclamations ne furent pas sans effet pour ceux qui dans le temps y furent attentifs, & par la suite elles produisirent de plus grands fruits.

Le Parlement de Paris reconnut l’indécence qu’il y avoit à faire servir au plaisir du peuple les Mysteres de la Religion, d’autant plus que pour plaire au plus grand nombre, on les déshonoroit par une mixtion de farces scandaleuses. Cet auguste Tribunal les défendit par ses Arrêts des 9 Décembre 1541 & 19 Novembre 1548, & on ne vit plus représenter que des sujets profanes.

Le Concile de Trente défend aussi de faire jamais servir l’Ecriture sainte à des sujets de divertissement ; & il ordonne aux Evêques de punir des peines de droit ou arbitraires les téméraires {p. 85}violateurs de son décret, aussi-bien que de la parole de Dieu47.

Les Protestans même reconnurent la nécessité de réformer un pareil abus. Ils firent à ce sujet une Loi qui se trouve dans le Recueil intitulé de la Discipline des Protestans de France, chap. 14, art. 28. En voici les termes : « Ne sera loisible aux Fideles d’assister aux Comédies & autres Jeux joués en public ou en particulier, vu que de tout temps cela a été défendu entre les Chrétiens, comme apportant corruption de bonnes mœurs, mais sur-tout quand l’Ecriture sainte y est profanée. Et si en un College il étoit trouvé utile à la jeunesse de représenter quelque histoire, on ne pourra le tolérer qu’à condition qu’elle ne sera pas tirée de l’Ecriture sainte, qui n’est pas baillée {p. 86}pour être jouée, mais pour être purement prêchée ».

Lorsque les Confreres de la Passion ne purent plus représenter les Mysteres, ils céderent leur privilege à une troupe de Comédiens qu’on appelloit les Enfans sans souci. Le Chef de cette troupe s’appelloit le Prince des Sots, & leurs drames étoient intitulés, la Sottise. Ces Comédiens, pour se mettre en honneur, commencerent à donner sous le regne de Charles VI quelques moralités burlesques, comme le Fief ou Châtel de joyeuse destinée, le Débat du cœur & de l’œil, l’Amoureux au Purgatoire, de l’Amour, &c.

Les Clercs des Procureurs au Parlement transigerent avec les Enfans sans souci, pour donner au Public de pareilles représentations. Ils s’appelloient Basochiens. Les Clercs de la Chambre des Comptes qui prirent le titre de Jurisdiction du Saint-Empire, & ceux du Châtelet éleverent aussi des Théatres ; mais ils furent moins fréquentés. Les Basochiens & les Enfans sans souci eurent la préférence. Ils avoient pour Auteurs les meilleurs {p. 87}Poëtes du temps, comme Clément Marot, & avant lui Corbueil dit Villon, dont Boileau a dit :

Villon sçut le premier dans ces siecles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux Romanciers.

Art Poét.

La plus célebre des anciennes farces est celle de Patelin. Le principal personnage dont cette Piece porte le nom, étoit un nommé Patelin. Ses fourberies, ses impostures & ses intrigues étoient si connues, qu’on en fit le sujet d’une piece de Théatre. C’est ce qui a donné lieu de se servir de ces mots : patelin, patelinage, pour exprimer le caractere d’un homme de mauvaise foi. Cette farce si vantée par Pasquier dans le huitieme Livre de ses Recherches de la France, a servi de fond & de cannevas à la Comédie intitulée l’Avocat Patelin, qui se joue encore sur le Théatre François.

Les Auteurs & les Acteurs les plus fameux des anciennes farces sont Tabarin, Turlupin, Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume, &c. Leurs noms ont été admis dans la nomenclature françoise {p. 88}pour signifier un bouffon, un baladin & un farceur.

… Les Turlupins resterent
Insipides plaisans, bouffons infortunés,
D’un jeu de mots grossiers partisans surannés.
… … … … …
Apollon travesti devint un Tabarin.
Cette contagion infecta les Provinces,
Du Clerc & du Bourgeois passa jusques aux Princes.

Despr. Art Poét.

Ces anciennes farces dont le mérite consistoit en pointes, en équivoques & en bouffonneries, devinrent des satyres ; & dans tous les Ordres, il y avoit des gens attaqués de la manie d’en faire les représentations. Le Parlement de Paris réforma cette licence, & il n’y eut que les Enfans sans souci qui pendant quelque temps demeurerent seuls en possession de divertir le Public.

Enfin arriva le seizieme siecle, où l’on s’occupa de l’étude de l’Antiquité. On ne trouva plus alors rien de beau que ce qui avoit été pensé & dit par les Auteurs du Paganisme. On ne cessoit d’accumuler dans les sermons, dans les plaidoyers les citations des anciens Ecrivains Grecs & Latins. L’usage indiscret {p. 89}& l’estime outrée qu’on en faisoit, donnerent lieu de reprocher aux Sçavans du seizieme siecle d’être Payens dans le cœur, & de vouloir ramener le culte des Dieux d’Homere & de Virgile. Mais, comme l’a dit M. l’Abbé de la Bletterie48, « ils l’étoient plus par pédanterie que par libertinage, & ce n’étoit que l’effet de l’admiration où ils étoient d’avoir découvert les Peres de la bonne Littérature ».

Jodelle [mort en 1573] fut le premier qui rappella les idées de l’art dramatique par ses Tragédies de Cléopatre & de Didon.

Les représentations qui se faisoient par les Enfans sans souci, rue des Mathurins, à l’Hôtel de Cluny, parvinrent à mériter d’être défendues par Arrêt du Parlement de Paris, du 6 Octobre 1584.

On vit paroître vers l’année 1588 deux nouvelles troupes de Comédiens. Les uns étoient François, & les autres venoient d’Italie. Ces derniers se nommoient li Gelosi. Le Parlement {p. 90}de Paris refusa de consentir à leur établissement. Nous en avons rapporté les motifs, page 114 de nos Lettres sur les Spectacles.

Ce ne fut qu’au commencement du dix-septieme siecle, sous Henri IV & Louis XIII, que Hardi & Rotrou tirerent, dit-on, du milieu des rues & des carrefours la Tragédie & la Comédie. Mais les Poëtes étoient encore ce qu’ils ont presque tous été & ce qu’ils seront toujours. « Non seulement, dit M. le Président Hénault49, ils se ressentoient de la corruption du siecle, mais encore ils l’augmentoient, & ils gâtoient l’esprit & le cœur des jeunes femmes par des Vers libertins & des Chansons licencieuses ».

La troupe qui étoit alors chargée des représentations dramatiques, se qualifioit de Comédiens de l’Elite Royale. Corneille [né en 1606] la mit ensuite tellement en faveur, que dans l’enthousiasme de l’admiration des chefs-d’œuvres de ce Poëte, on obtint de Louis XIII la Déclaration du 16 Avril 1641, dont les Comédiens {p. 91}s’autorisent tant. Il en a été parlé page 294 de nos Lett. sur les Spect.

Les drames de Racine [né en 1659], de Moliere [né en 1620], & de Regnard [né en 1647] ; les représentations des Tragédies lyriques de Lulli [né en 1633], & de Quinault [né en 1635] ; enfin la gaieté de la Comédie Italienne augmenterent la séduction des partisans des Théatres. On soutint qu’eu égard aux progrès de l’art dramatique, il n’y avoit rien à craindre pour les mœurs.

Quelques Littérateurs épris des chefs-d’œuvres de notre Théatre, ont prétendu que nous avions surpassé les Anciens. Mais, comme l’a observé M. Gedouin, dans une Dissertation insérée dans le second Tome des Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, il est difficile de juger la question.

Nous n’avons pas la vingtieme partie des Ouvrages des Anciens, dont nous aurions besoin pour entendre mieux ceux que le temps nous a conservés. De quatre-vingt-douze Tragédies d’Euripide, il ne nous en reste que dix-neuf. De cent vingt Pieces {p. 92}composées par Sophocle, nous n’en avons plus que sept. De plus de cinquante Comédies d’Aristophane, il ne nous en est parvenu que onze.

Nous n’en avons aucune de Cratinus, d’Eupolis, de Philemon, & de plusieurs autres Poëtes célebres, comme de Ménandre, qui avoit fait environ cent huit ou cent dix Pieces.

D’ailleurs il n’est pas aisé, ou plutôt il n’est pas possible d’entendre parfaitement toutes les finesses, toutes les allusions & tout le jeu des Pieces dramatiques des Anciens.

Pour peu qu’on lise avec attention les Pieces du Théatre Grec qui sont parvenues jusqu’à nous, on reconnoîtra que les Poëtes ne se proposoient pas seulement, comme les nôtres, d’amuser ; ils travailloient tout-à-la-fois & pour le peuple & pour les gens d’esprit. Ils choisissoient, comme l’exige Aristote, une action importante, entiere, qui eût une juste étendue, & dont la péripétie fût frappante. Ces conditions étoient pour le commun des spectateurs ; mais pour les gens d’esprit, ils recherchoient soit une ressemblance parfaite de la Piece avec {p. 93}l’état actuel de la Grece entiere, soit d’heureuses allusions tantôt aux circonstances particulieres du temps où ils écrivoient, tantôt à eux-mêmes. Il paroît que c’est pour cette raison qu’un même sujet a été souvent traité différemment par différens Poëtes, & quelquefois par le même.

Cette maniere de considérer & de juger le Théatre des Grecs, fait l’objet d’une Dissertation50 de M. le Beau le cadet, de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres. Il y expose les recherches qu’il a faites pour découvrir les allusions historiques que les trois principaux Poëtes Tragiques, Eschyle, Euripide & Sophocle ont pu se proposer dans leurs Poëmes. La vraisemblance de ces allusions est prouvée par l’histoire, ou fondée sur des conjectures. Il en résulte qu’il y avoit dans les drames des Grecs une infinité de rapports ingénieux qui devoient attacher agréablement les Spectateurs, & produisoient chez eux cette grande {p. 94}admiration dont on ne voit pas toujours aujourd’hui la raison, parce qu’on trouve froids & obscurs des endroits dont on n’a plus la véritable intelligence.

Les recherches de M. le Beau se sont bornées à l’âge brillant du Théatre Grec, c’est-à-dire depuis la quatrieme année de la soixante-troisieme Olympiade jusqu’à la troisieme année de la quatre-vingt-treizieme Olympiade ; ce qui renferme un espace de 119 ans. Il étoit alors d’usage qu’un même Poëte fît jouer tout-à-la-fois quatre Pieces dont les trois premieres rouloient sur des sujets tragiques, & la quatrieme étoit une Piece badine, souvent même lascive, à laquelle on donnoit le nom de Satyre, parce qu’on y introduisoit cette espece de divinité, comme plus libre que toute autre dans les discours. Ces quatre Pieces réunies s’appelloient Têtralogie. On pense bien que c’étoit dans les Pieces Tragiques que se trouvoit ce grand intérêt produit par les allusions aux événemens.

Au reste, il faut toujours s’en tenir {p. 95}au sentiment de M. le Batteux, que nous avons ci-dessus exposé51. L’instruction morale n’étoit pas plus alors qu’aujourd’hui le principal objet de l’art dramatique. Les Poëtes ne se proposoient premierement que de plaire aux Spectateurs en émouvant leurs passions favorites ; & comme il y avoit alors un esprit national qui s’occupoit passionnément des affaires publiques, ils employoient les ressorts qu’il falloit y adapter, & qui ne conviendroient pas à notre temps.

Aussi ne faut-il comparer les drames modernes avec les anciens, que pour le style & la construction artificielle. C’est dans cette espece de comparaison qu’on trouvera que Corneille, par exemple, s’est approché de cette élévation de style & de pensées qu’on admire dans Sophocle, & que Racine respire ce ton de tendresse qui caractérise Euripide.

Mais, quant à l’intérêt du Drame & aux ressorts employés, il n’y a plus de comparaison à faire ; ou si on la fait, on reconnoît que nous avons {p. 96}rendu l’Art dramatique encore plus nuisible, en ne le réduisant qu’à des Scenes amoureuses. C’est en effet toujours la passion de l’amour qui est l’ame de toutes nos Pieces de Théatre. Et par la maniere dont la plupart de nos Poëtes la mettent en œuvre, nous nous attirerons peut-être de la postérité les mêmes reproches que nous faisons aux productions des siecles d’ignorance qui nous ont précédés.

Pourquoi les Ouvrages ingénieux des XIIe, XIIIe & XIVe siecles nous paroissent-ils ridicules ? C’est que leurs Auteurs appliquoient les mœurs de leur temps à des siecles entiérement différens. Delà résulte ce burlesque continuel dont nos Ancêtres n’avoient pas le moindre soupçon. Et à ce sujet M. de Fontenelle a fait une réflexion judicieuse qui se termine par une Critique de notre Théatre : « C’est, dit-il52, l’effet ordinaire de notre ignorance, de nous peindre tout semblables à nous, & de répandre nos portraits dans toute la nature ; {p. 97}mais ne tombons-nous pas nous-mêmes dans ce ridicule, lorsque nous voyons les Poëtes dramatiques de notre temps donner notre galanterie & notre maniere de traiter l’amour à des Grecs & à des Romains ; & qui pis est à des Turcs ? Pourquoi cela ne nous paroît-il pas burlesque ? c’est que nous n’en sçavons pas assez ; & comme nous ne connoissons gueres les véritables mœurs des Peuples, nous ne trouvons point étrange qu’on les fasse galans à notre maniere ; & pour en rire, il faudroit des gens plus éclairés ».

Nous pouvons ajouter à cette réflexion de M. de Fontenelle, que par la suite on se moquera aussi de nos Opéra dont on vante tous les enchantemens. C’est en effet un Spectacle, qui choque la vraisemblance, qui de toutes les regles est celle qu’il faut le plus respecter. On y met en chant les choses les moins faites pour être chantées, le dépit, la colere, la fureur, le désespoir, même les sentimens d’une mort prochaine. C’est un ridicule dont un Poëte nous a donné une description {p. 98}badine que nous aurons par la suite lieu de rapporter.

Nos Drames ne pourroient tout au plus être comparés qu’avec ceux du plus mauvais âge de l’antiquité, c’est-à-dire avec ceux où, comme de notre temps on ne cherchoit qu’à flatter les sens des Spectateurs, qu’à amollir l’ame, & qu’à corrompre les mœurs. C’est pourquoi les succès des Corneille, des Racine, des Moliere & des Quinault n’en ont pas imposé aux Sages du dernier siecle. On les vit s’élever contre des Poëmes dont la perfection littéraire ne tendoit qu’à augmenter encore plus l’empire des vices ; c’est ce qui occasionna les écrits polémiques dont on va donner l’histoire.

Les apologies de nos Théatres y étant mises en opposition aux écrits qui les ont combattues ; elles n’y paroîtront que comme des Ouvrages dangereux dont il faut éviter l’illusion. On verra qu’elles tendent toutes plus ou moins à favoriser l’empire de la volupté, & que les défenseurs des Théatres doivent succomber sous les armes de la raison & de la Religion. {p. 99}Ce sera toujours en vain qu’on emploiera éloquence, astuce & sophismes contre la vérité. Il suffit qu’elle se montre pour triompher, & ramener à son drapeau les cœurs droits qui auroient eu la foiblesse de s’en écarter53 ; & souvent elle en obtient des hommages. En voici un que lui rendit Houdart de la Motte, dans les Stances suivantes, où ce Poëte dramatique a sincérement caractérisé nos Théatres & leurs amateurs.

… Du récit de ces feux idolâtres
 Tous les esprits sont enchantés :
C’est le seul art de plaire, & de tous nos Théatres
 Il fait les uniques beautés.
***
Eh ! combien à l’Amour éleva de trophées
 La Scene54 au magique pouvoir,
Où l’on voit des Héros, transformés en Orphées,
 Chanter jusqu’à leur désespoir !
***
Là, sous les noms flattés d’erreurs & de foiblesse,
 Notre devoir est combattu :
Les Dieux, par leur exemple, y sont à la jeunesse
 Un scrupule de la vertu.
***
{p. 100}Mais, dit-on, Melpomene55 en son art plus exacte,
 Aspire à notre instruction ;
Projet qu’elle dément elle-même à chaque acte
 En faveur de la passion.
***
Elle mêle l’amour aux fureurs de la guerre ;
 Elle attendrit l’ambitieux ;
S’il veut se faire un nom & conquérir la terre,
 C’est pour l’offrir à deux beaux yeux.
***
Ainsi de nos Auteurs, gravement libertine,
 La Muse s’épuise en beaux mots ;
Et chez eux la Beauté fait seule l’Héroïne,
 Comme l’Amour fait le Héros.
***
Souvent un jeune cœur, qu’épouvantoit l’obstacle,
 Ou le danger même d’aimer,
Perd cette heureuse crainte, & de tout le Spectacle
 N’apprend qu’à ne plus s’alarmer.
***
Jusques à quand veut-on, sous d’imprudentes fables,
 Nous cacher un nouvel écueil,
Et donnant de beaux noms à des penchans coupables,
 Changer le remords en orgueil ?
***
C’est trop prêter au vice un secours mercenaire ;
 Auteurs, cessez de l’appuyer :
Et par la vertu seule essayez de nous plaire ;
 Ou bien osez nous ennuyer.
{p. 101}

HISTOIRE
DES OUVRAGES
Pour & contre les Théatres Publics. §

Il parut sur la fin du dernier siecle un Livre intitulé :

Histoire & Abrégé des Ouvrages Latins, Italiens & François, pour & contre la Comédie & l’Opéra, Orléans, 1697.

Cet Ouvrage, qui a pour Auteur M. Lalouette, est dogmatique & historique.

On y trouve dans la partie dogmatique un exposé de la Doctrine de l’Ecriture sainte, des Conciles & des Peres de l’Eglise sur la Comédie.

L’Auteur cite de l’Ecriture sainte le Livre des Proverbes, c. 4, ℣. 23 ; le Livre de l’Ecclésiastique, c. 3, ℣. 27, c. 9, ℣. 8 & 9 ; l’Evangile selon S. Matthieu, c. 5, ℣. 28, c. 18, ℣. 6 ; l’Epître de S. Paul aux Ephés. c. 5, ℣. 3 & 4, &c.

On sçait que le mot de Comédie {p. 102}n’est pas nommé dans l’Ecriture sainte, parce que les Jeux scéniques n’étoient pas en usage chez le Peuple Juif. Mais comme ils n’ont d’autre fin que d’inspirer des passions déréglées qui, selon même la Philosophie Payenne, sont les maladies des ames ; ils se trouvent implicitement condamnés56 par ce premier précepte de la Morale sacrée : « Régnez sur vos sens & sur vos passions ; Sub te erit appetitus, tu dominaberis illius57 ; » précepte dont un Séneque, par les seules lumieres de la raison, reconnoissoit la nécessité pour conserver à l’ame la supériorité qu’elle a sur le corps. « L’ame, dit-il, tient dans le corps le même rang que Dieu dans l’Univers ; que le corps obéisse donc à l’ame, comme l’Univers à Dieu : elle est trop élevée par sa nature, pour que je veuille la dégrader jusqu’à {p. 103}la rendre esclave du corps, en me livrant au langage des sens » : Quem in hoc mundo locum Deus obtinet, hunc animus in homine ; serviant ergo deteriora melioribus. Major sum quàm ut mancipium sim corporis mei58.

Cette maxime de ce Philosophe Payen suffit pour ôter l’apparence de sévérité à ces préceptes de l’Ecriture sainte. La volonté de Dieu est que vous soyez Saints & purs ; que vous vous absteniez de la fornication ; que chacun de vous sçache posséder le vase de son corps saintement & honnêtement, & non pas en suivant les mouvemens de la concupiscence, comme les Payens qui ne connoissent point Dieu ; car Dieu ne nous a pas appellés pour être impurs, mais pour être Saints. Celui donc qui méprise ces choses, méprise non un homme, mais Dieu. Abstenez-vous de tout ce qui a apparence de mal. Retirez-vous de tous ceux qui se conduisent d’une maniere déréglée59.

{p. 104}« Mais, pour lire l’Ecriture Sainte utilement, il faut, dit un Auteur respectable, le faire avec soi ; & pour lors le fruit qu’on en tire, est de croître en vertu, & d’y trouver le salut. C’est par elle que la Théologie positive & la Scholastique instruit, en établissant les vérités de la Religion, que la Théologie polémique & de controverse combat & reprend les erreurs ; que la Théologie de la Chaire corrige & convertit les pécheurs ; & que la Théologie Morale conduit à la piété. C’est enfin le trésor & l’arsenal de l’Eglise60. »

M. de Fouchi, Auditeur des Comptes, & Secretaire perpétuel de l’Académie des Sciences, fit à la rentrée publique de cette Académie, à la {p. 105}Saint-Martin de 1746, l’éloge du Marquis de Torci, Secretaire d’Etat, qui étoit mort le 2 Septembre de la même année. Il termina son Discours apologétique, en faisant connoître la piété de ce grand Ministre. « Il avoit, dit-il, un respect infini pour la Religion, de laquelle il a pratiqué toute sa vie les devoirs avec l’exactitude la plus grande. L’Ecriture Sainte étoit une de ses principales lectures. Et il a dit plus d’une fois qu’il y avoit souvent puisé non seulement des leçons de morale, mais encore des motifs de décision dans les affaires les plus difficiles & les plus importantes ».

Le sçavant Baluze a rendu au grand Colbert, oncle du Marquis de Torci, dont il vient d’être parlé, un pareil témoignage que nous avons rapporté ci-devant Tome I, page 323.

Ces deux grands Ministres & plusieurs de leurs contemporains que nous avons nommés au même endroit, soutenoient la Religion par leur assiduité à en remplir les devoirs extérieurs. On n’a pas négligé de rapporter dans la Vie ou dans l’Eloge de {p. 106}quelques-uns d’eux, qu’on les voyoit solemniser avec le Peuple les fêtes de l’Eglise, assister les Dimanches à la Messe Paroissiale, & souvent aux Vêpres. Ils ne trouvoient pas dans la multitude de leurs affaires une excuse pour s’en dispenser. Ils pensoient que les dignités, comme le dit un Ancien61, obligent par bienséance ceux qui en sont revêtus, à un plus grand assujettissement à l’observation des loix sacrées. Ils croyoient que rien n’honore tant la Religion que de voir les Princes & les Grands confondus aux pieds des Autels avec le reste des Fideles dans les devoirs communs & extérieurs de la foi. Mais ces Ministres d’Etat, dont la mémoire est si précieuse, ne comptoient point parmi les devoirs des Grands celui d’autoriser par leur présence les Spectacles, & de donner du crédit, par leur exemple, aux amusemens du Théatre. Ils sçavoient que les plaisirs publics n’avoient pas besoin de protection ; que la corruption naturelle du cœur humain ne répondoit que trop de la perpétuité {p. 107}de leur crédit & de leur durée. Quand en effet les Spectacles seroient nécessaires dans de grandes Villes où abondent tant de personnes plongées dans l’oisiveté, l’autorité du Ministere n’auroit pas à s’en mêler pour les encourager, puisque de tous les besoins publics ce seroit toujours celui qui courroit le moins de risques.

L’histoire de l’Empire Romain nous apprend que, lorsque les Spectacles y étoient protégés par le Gouvernement, on s’y livroit avec une telle fureur, que souvent on fut obligé de les supprimer. On sçait qu’Auguste les aimoit passionnément : il institua même des danses pantomimes qui furent appellées les Jeux Augustaux, Ludi Augustales, comme le dit M. de Pontac dans ses Notes sur la Chronique d’Eusebe. Cet Empereur ne tarda pas à se voir dans le cas de faire des loix pour prévenir & réprimer la licence des Théatres, & sur-tout des Pantomimes. Il défendit aux jeunes gens de l’un & de l’autre sexe d’aller à ceux qui se faisoient la nuit ; & il empêcha que les femmes assistassent jamais aux jeux {p. 108}des Athletes, parce qu’ils combattoient ordinairement nuds. Il prescrivit des regles aux Comédiens ; & ayant sçu qu’un Acteur nommé Stéphanion avoit pour serviteur une femme déguisée en garçon, il le fit fouetter par les trois théatres de la Ville, & il le bannit. Toutes les précautions d’Auguste n’empêcherent pas que Tibere ne se vît obligé de chasser de Rome, & même de toute l’Italie, les Comédiens & Pantomimes, à cause de leur débauche scandaleuse. Caligula les rappella, & Néron eut aussi lieu de les chasser. Mais cet Empereur qui étoit fait pour protéger de pareils gens, les fit ensuite revenir. Domitien les proscrivit. Nerva les rétablit. Trajan les supprima ; Adrien consentit à leur retour. Héliogabale alla jusqu’à les honorer, en leur donnant des habits de soie : il en choisit même un pour être Préfet du Prétoire. Cette conduite étoit digne d’un Prince dont la corruption est si connue. Alexandre Sévere leur ôta les robes précieuses ; il ne leur donna ni or ni argent, mais seulement quelques pieces de monnoie de {p. 109}cuivre. Il ne souffrit jam ais à sa table les divertissemens scéniques. Cependant il aimoit les Spectacles ; mais il se seroit reproché l’argent qu’il y auroit employé, & il vouloit qu’on traitât toujours comme des esclaves & des personnes infames les Comédiens & tous ceux qui servoient à divertir le peuple aux dépens des mœurs.

Or, si dans le Paganisme on a des exemples de sévérité contre ces divertissemens, doit-on être surpris qu’ils aient toujours été proscrits par le Christianisme ? M. Lalouette l’a justifié par les citations de l’Ecriture sainte. Il y a joint l’autorité des Canons des Conciles. Il cite les Canons 62 & 67 du Concile d’Elvire tenu l’an 305 ; le Canon 5 du premier Concile d’Arles, tenu l’an 314 : & ce Canon fut confirmé par le deuxieme Concile d’Arles, tenu l’an 452 : le sixieme Concile général tenu à Constantinople en 680, est aussi très-sévere contre les Théatres publics : le quatrieme Canon du Concile de Bourges, tenu l’an 1584, ne l’est pas moins.

Et depuis qu’on n’a plus tenu de {p. 110}Conciles aussi fréquemment, la Doctrine de l’Eglise à l’égard des Spectacles se trouve constatée par les Rituels ou les Actes des Synodes des Dioceses. M. Lalouette cite entr’autres, le Rituel de Châlons-sur-Marne de 1649, celui de Paris de 1654 & 1674, ceux de Sens, d’Aleth, de Langres, de Coutances, de Bayeux, Rheims, &c.

Quant à la Tradition des Peres de l’Eglise, M. Lalouette rapporte des passages du Livre de Tertullien sur les Spectacles, du Traité de Saint Cyprien sur le même sujet, de la quatrieme Homélie de Saint Basile in Hexameron, de la quinzieme Homélie de Saint Jean Chrysostôme au Peuple d’Antioche, de la troisieme Homélie du même Pere sur Saül & David. On cite encore de Saint Ambroise le premier chapitre de son Traité de la fuite du siecle, le troisieme Livre des Confessions de Saint Augustin ; &c.

Enfin M. Lalouette indique un Bref du Pape Innocent XII, auquel on peut ajouter ceux des Papes Clément XI, Benoît XIV & Clément XIII, qui sont autant de décisions contre les {p. 111}Spectacles publics, que nous avons citées dans nos Lettres, pages 121 & 122.

Voilà ce qui concerne la partie dogmatique du Livre de M. Lalouette.

Quant à la partie historique, elle se borne aux Ecrits qui parurent de son temps. Nous donnerons plus d’étendue à cet objet. Cependant nous n’indiquerons pas toutes les productions qui ont été faites pour & contre les Théatres. Il y a beaucoup d’Ouvrages où cette matiere n’a été traitée qu’incidemment, comme dans les Œuvres de Saint-Evremond, de Saint-Réal, de Fontenelle, de la Motte, &c. de même que dans différentes Poétiques, dans le Dictionnaire moral & dans quelques Mémoires ou Dissertations Littéraires, Françoises, Italiennes, Angloises & Allemandes, insérées ou annoncées dans les Ecrits périodiques. Le Catalogue de la Bibliotheque de Bunau, donné sous ce titre, Catalogus Bibliothecæ Bunavianæ, Lipsiæ 1750, 3 vol. in-4°, contient sur cet objet un grand nombre d’indications, tant pour la partie littéraire que pour la partie morale.

{p. 112}Enfin dans le nombre des Ouvrages qui ont été faits ex professo pour ou contre les Théatres, il y en a plusieurs qui par leur peu de volume ont eu le sort des Pieces fugitives qui n’existent que dans des Recueils que des Bibliophiles ont formés.

Au reste, tous les Ouvrages pour & contre les Théatres, sont établis sur les mêmes sources d’argumens. C’est pour cette raison que nous ne donnerons pas des Extraits de tous ceux que nous indiquerons ; nous distinguerons les Ecrits de ce genre qui parurent dans le dix-septieme siecle d’avec ceux du dix-huitieme siecle.

M. Lalouette croyoit que Hedelin d’Aubignac étoit le premier Auteur François qui dans le dernier siecle eût osé entreprendre de justifier les Théatres publics par deux Ouvrages qui parurent en 1657 ;

Le premier intitulé :

Pratique du Théatre.

Le second a pour titre :

Projet pour le rétablissement du Théatre François.

Ce dernier est demeuré imparfait. {p. 113}Hedelin y avoue les difficultés de justifier les Théatres : « On a contre soi, dit-il, 1° la créance commune des Peuples, que c’est pécher contre les regles du Christianisme que d’y assister ; 2°. L’infamie dont les Loix ont noté les Comédiens ».

Cet aveu accuse & condamne la témérité de cet Auteur : Habemus confitentem reum. D’ailleurs c’étoit un Poëte de Théatre ; il défendoit sa propre cause.

Hedelin n’est pas le premier de nos Dramaturges qui ait écrit en faveur des Théatres. Il parut en 1639 un Ouvrage intitulé :

Apologie du Théatre par George de Scudery. Paris 1639, in-4°.

George de Scudery, qui mourut à Paris vers 1666, est le Versificateur infatigable dont Boileau Despréaux a dit :

BienheureuxScudery, dont la fertile plume
Peut tous les mois sans peint enfanter un volume ;
Tes Ecrits, il est vrai, sans art & languissans,
Semblent être formés en dépit du bon sens.

Scudery avoit composé sept Pieces dramatiques. Ainsi il étoit, comme d’Aubignac, intéressé à soutenir la cause {p. 114}du Théatre, dont il s’étoit fait aussi une ressource contre la faim, magis fami quàm famæ inserviebat.

En 1666, on vit paroître une apologie de la Comédie, sous ce titre :

Dissertation sur la condamnation des Théatres. Elle fut réimprimée en 1694. Elle est d’Hedelin d’Aubignac. Cet Auteur croit y justifier nos Spectacles, en prétendant qu’on ne peut point les condamner par les raisons qui porterent les Peres de l’Eglise à proscrire ceux de leur temps, où, dit-il, l’on ne pouvoit assister, sans participer à l’idolâtrie ; les Théatres d’alors, continue-t-il, n’étant pas différens des Temples, puisqu’on y trouvoit dans les uns & les autres les mêmes Divinités, les mêmes mysteres, & de plus un plaisir public qui tiroit du fond du cœur une approbation volontaire en l’honneur des Idoles.

Comme l’Auteur sçavoit qu’on pouvoit lui repliquer que les Peres n’avoient pas seulement condamné les Théatres par la considération de l’idolâtrie, mais aussi à cause de la licence des Drames qui y étoient représentés ; {p. 115}Hedelin d’Aubignac fait valoir la réformation de nos Théatres qu’il nous dit être portés à la plus grande pureté, & que par conséquent il n’y a aucun scrupule à se faire en les fréquentant.

Cette apologie des Spectacles doit être mise avec le Roman de Macarise que le même Auteur donna, & que Richelet se reprocha d’avoir loué, comme il le lui dit dans ces quatre Vers :

Hedelin, c’est à tort que tu te plains de moi ;
N’ai-je pas loué ton Ouvrage ?
Pouvois-je plus faire pour toi,
Que de rendre un faux témoignage ?

On sçait que ce d’Aubignac, qui paroissoit si bien posséder les regles de l’art dramatique, voulut avoir la gloire de faire une Tragédie qu’il donna sous le titre de Zénobie. Elle étoit si ennuyante, que le Prince de Condé disoit : Je sçais bon gré à l’Abbé d’Aubignac d’avoir si bien suivi les regles d’Aristote ; mais je ne pardonne point aux regles d’Aristote d’avoir fait faire à l’Abbé d’Aubignac une si méchante Tragédie. Cet Ecrivain mourut à Nemours en 1676.

{p. 116}Lettre d’un Théologien illustre par sa qualité & par son mérite, consulté par M. Boursault, pour sçavoir si la Comédie est permise ou doit être absolument défendue, in-12, Paris, 1694.

Cette Lettre, avec un si beau titre, n’eut pour approbateurs que des Poëtes dramatiques, & elle ne put être imprimée qu’à la tête & qu’à la faveur d’un Recueil de Pieces comiques. On l’attribua au P. Caffaro ; mais on doit s’en tenir au désaveu qui en fut fait par ce Religieux Théatin. Aussi ne la vit-on plus paroître sous son premier titre, mais seulement sous celui d’un homme d’érudition & de mérite. Ce dernier titre ne lui convient pas mieux. Tous les efforts de l’Auteur pour donner quelque couleur à une mauvaise cause, ne tendent qu’à essayer d’embrouiller la matiere qui en est l’objet.

L’Auteur feint de paroître embarrassé par la contradiction qu’il dit appercevoir sur cette question entre le sentiment des Peres de l’Eglise & celui des Théologiens Scholastiques. Il fait d’abord parler S. Thomas, qui {p. 117}enseigne que les jeux & les divertissemens sont non seulement permis, mais en quelque sorte nécessaires. Puis s’étant objecté qu’il semble que les Comédiens passent les bornes du divertissement, eux qui consument toute leur vie à jouer, il répond que, puisque le divertissement est nécessaire dans la vie des hommes, les emplois destinés à cette fin sont permis.

De cette réponse, l’Auteur dit que Saint Thomas tire trois conséquences ; que la Comédie est comprise sous le nom général de jeu & de divertissement ; que les Comédiens qui jouent toute leur vie, ne sont pas pour cela en état de péché ; que non seulement il n’y a point de mal à les payer, mais que c’est une justice.

Delà l’Auteur avance que les Peres n’ont condamné dans les jeux que l’excès ; qu’il y en avoit en effet beaucoup de leur temps où les Payens ne représentoient que des impudicités ; que conséquemment les Comédies prises en elles-mêmes, & indépendamment de toutes circonstances, doivent être mises au nombre {p. 118}des choses indifférentes ; que la Comédie a changé & s’est perfectionnée tous les jours, & que par cette raison on a vu les Saints s’adoucir à son égard ; que S. François de Sales ne l’a point défendue, & que S. Charles Borromée l’a permise ; que d’ailleurs la Comédie n’est point nommée dans l’Ecriture sainte au nombre des choses défendues.

Il soutient qu’il ne faut pas être plus étonné de la note d’infamie attachée aux Comédiens par les loix civiles, que de celle que les mêmes loix avoient prononcée contre un soldat qui avoit fui dans un combat, ou contre une veuve qui se remarioit dans l’année de son veuvage ; actions qui ne sont que des foiblesses.

Et quant aux dispositions des loix ecclésiastiques contre les Comédiens, l’Auteur prétend aussi s’en dégager, en disant qu’elles ne regardent que ceux qui représentent des Pieces déshonnêtes & scandaleuses, & non ceux qui en représentent d’agréables & d’instructives, où des Evêques, des Cardinaux & des Nonces du S. Siege assistent quelquefois, avec ces trois {p. 119}conditions, de n’y chercher aucun plaisir qui puisse blesser la pudeur, de n’y rien perdre de leur gravité, de n’y prendre aucun divertissement qui ne convienne à la personne, au temps & au lieu.

Delà il conclut que la Comédie est permise, & que les Comédiens font une profession honnête, dès qu’ils ne sont ni Religieux ni Prêtres, qu’ils ne jouent que lorsque le Service divin est achevé, & qu’ils ne jouent point dans les lieux saints.

Quant à ceux qui assistent à la Comédie, l’Auteur avoue qu’il auroit peine à exempter de péché les Religieux Réformés, les Evêques, les Abbés. Il en excepte pourtant ceux d’Italie, où la coutume semble avoir prescrit contre la bienséance de leur état.

Enfin quant aux gens qui disent que la Comédie, telle qu’elle est aujourd’hui, a toujours quelque corruption cachée, & qu’elle excite l’amour, l’ambition, la vengeance & les autres passions ; il répond qu’elle ne les excite pas d’elle-même, mais seulement par hazard ; comme les excitent {p. 120}mille choses innocentes & inévitables de la société civile. Telle est la décision de ce prétendu Casuiste, qui proteste qu’il ne s’est arrêté ni à la rigueur ni à la douceur de l’opinion, mais seulement à la vérité, & qu’il a suivi S. Benoît, qui veut que dans notre conduite nous prenions le parti le plus severe, & dans notre doctrine le plus favorable.

Il faut convenir que voilà tous les argumens les plus séduisans qu’on puisse employer pour la cause des Théatres. Aussi ne fait-on que les répéter dans toutes les apologies de nos Spectacles. Mais ces argumens ne peuvent éblouir que les personnes faciles à tromper sur ce qui flatte leurs passions.

Nous avons répondu à la fausse application des citations de S. Thomas, de S. François de Sales, & de S. Charles Borromée, de même qu’à la différence qu’on prétend trouver entre le sentiment des Peres de l’Eglise & celui des Théologiens Scholastiques62. Nous avons aussi réfuté l’opinion de ceux qui croient que {p. 121}les Théatres de notre temps sont moins dangereux que ceux contre lesquels les Peres de l’Eglise ont écrit63. Enfin, nous avons eu occasion de faire observer, que les Spectacles n’ont jamais eu pour défenseurs les Littérateurs les mieux famés en vertu, & que, dès qu’il a paru en faveur du Théatre quelques Ecrits, il y a toujours eu des réclamations pour préserver de la séduction ceux qui ont l’oreille ouverte à la vérité : ce qui n’a pas seulement eu lieu en France, mais également dans les autres Etats de l’Europe où la fievre épidémique de l’amour du Théatre avoit pénétré.

En voici quelques exemples. On imprima en 1618, à Barcelone un Traité en langue espagnole, où l’on démontre que la fréquentation des Théatres doit être comprise au nombre des actions illicites & inconciliables avec la regle évangélique. Voici le titre de cet Ecrit qui parut muni d’un grand nombre d’approbations :

Tratado de las Comedias en el {p. 122}qual se declara si son licitas. Y si hablando en todo rigor sera pecado mortal el representar las, el verlas, y el consentir las. Por Fructuoso Bisbe y Vidal, anno 1618, en Barcelona.

Il y eut en Italie vers l’année 1630 trois fameux Comédiens appellés Andreino detto Lelio, Barbieri detto Beltrame, & Cecchino. Ils firent l’apologie des Théatres dans des Ecrits qu’ils donnerent ; le premier sous le titre de Ragionamenti, &c. ; le second sous celui de la Supplica di Nicolò Barbieri detto Beltrame ; & le troisieme sous celui de Discorsi a favore della virtuosa e modesta Comedia.

Ces trois Acteurs convenoient que pour sauver leur art, il falloit, réformer & les Drames & ceux qui les représentent. Ils ne flattoient pas en effet les Comédiens. Il est dit dans le troisieme Ecrit page 17, que leur état est de vivre de la fange des vices : specie infame la quale in altro non studia, ne d’altro si compiace, ò vive, che di corrutele di costumi, di obbrobrii palesi e di aperte immonditie.

Ces trois Défenseurs du Théatre {p. 123}Italien ne tarderent pas à être combattus ; on leur opposa aussi-tôt un Ecrit intitulé :

D. Francisci Mariæ del Monacho, Siculi Drepanitani in Actores & Spectatores Comœdiarum nostri temporis Parænesis, Patavii, 1630.

François del Monacho, Auteur de cet Ouvrage, étoit Sicilien, d’une illustre famille dont il est parlé dans le Dictionnaire de Moreri, tom. 7, page 514, édition de 1759, à l’occasion de Thomas del Monacho & de Jacques del Monacho. François del Monacho, Théatin d’Italie, vint en France en 1644, pour y établir à Paris une Maison de sa Congrégation qui est la seule qui soit en France. Les Lettres-Patentes de cet établissement sont de 1647. Il mourut le 11 Janvier 1651, non à Paris, comme le dit Silos au tome 3 de ses Annales des Théatins, mais à la Fere en Tartenois. Le P. de Tracy, Théatin de la Maison de Paris, en fait un éloge bien mérité64.

{p. 124}Le P. Jean-Dominique Ottonelli ; Jésuite de la Ville de Tagnane en Italie, se joignit à François del Monacho pour combattre les trois Comédiens incurseurs. Il donna un Ouvrage en 4 Tomes in-4° qui parurent successivement à Florence en 1645, 1649 & 1652, qu’on a à la Bibliotheque du Roi en 3 Vol. En voici les titres abrégés :

Della Christiana moderatione del Teatro : Libro, detto la qualità delle Comedie lecite, &c. Libro, detto la solutione de’ nodi, &c. Libro, detto l’ammonitioni a’ Comedianti, &c. Libro, detto l’instanza, per supplicare a’ Signori Superiori, che si moderi Christianamente il Teatro dall’ oscenita’, e da ogni altro eccesso nel recitare.

Le résultat de cet ample Traité est de prouver qu’il seroit plus sûr & plus utile de défendre absolument les Spectacles, que d’entreprendre de les réformer. Et cette these est établie sur cette maxime de Tertullien : In omni Spectaculo nullum magis scandalum occurrit, quàm ille ipse mulierum & virorum accuratior cultus, {p. 125}ipsa consensio, ipsa in favoribus aut conspiratio aut dissensio, inter se de commercio scintillas libidinum conflabellant. Nemo denique in Spectaculo ineundo priùs cogitat nisi videri & videre. Ce passage expose tous les risques que l’on court pour les mœurs dans des Spectacles où, comme le disoit Ovide, les hommes & les femmes ne sont excités à aller, que par le desir de voir & d’y être vus, & de s’animer réciproquement aux passions qui résultent nécessairement d’un pareil motif.

Le P. Ottonelli a épuisé son sujet ; il l’a traité dans le plus grand détail & avec la plus vaste érudition. Il n’est point de cas ni d’objections qu’il n’ait prévus ; & le tout y est décidé par les Auteurs les plus respectables.

Quant au Traité de François Marie del Monacho, qui est aussi à la Bibliotheque du Roi, il ne contient qu’un très-petit Volume ; mais il est fait avec une telle méthode & avec une précision si énergique, qu’il pourroit tenir lieu d’un Corps de Doctrine sur cette matiere. On y soutient {p. 126}cette assertion du Jésuite Espagnol Mariana : Censeo licentiam Theatri afferre certissimam pestem moribus christianis. C’est-à-dire : J’estime que la liberté qu’on se donne d’assister aux Spectacles du Théatre, est assurément une peste pour les mœurs chrétiennes.

Nous aurons aussi par la suite, sujet de faire observer que le Théatre a eu également pour ennemis en Angleterre tous ceux qui s’intéressent au bien des mœurs.

Mais reprenons l’attaque qui eut lieu parmi nous dans le siecle dernier. Nous avons nommé les principaux agresseurs. Nous avons à y ajouter Samuel Chapuzeau qui donna l’Ecrit suivant :

Le Théatre François, divisé en trois Livres, où il est traité 1°. de l’usage de la Comédie ; 2°. des Auteurs qui soutiennent le Théatre ; 3°. de la Comédie & des Comédiens, par Samuel Chapuzeau. A Lyon, 1674. in-12.

« Samuel Chapuzeau, dit M. l’Abbé Goujet65, s’est montré très-zélé pour les Théatres. Il s’en est déclaré l’Apologiste ; & il a voulu les venger {p. 127}contre ceux qui ont eu de bonnes raisons pour les condamner. Des trois Livres dont son Ouvrage est composé, il auroit pu en retrancher le premier, où il ne dit rien en faveur des Spectacles qui n’ait été cent fois réfuté ».

Néanmoins Chapuzeau convient, pages 40 & 131, que depuis la mort du Cardinal de Richelieu, notre Théatre s’étoit beaucoup licencié ; que le goût l’emportoit souvent sur la raison ; qu’on veut de l’amour, & en quantité, & de toutes les manieres… que la profession des Comédiens les oblige de représenter incessamment des intrigues d’amour, & de folâtrer sur le Théatre, &c. Cet aveu doit prévenir en faveur des Ouvrages que nous allons opposer aux apologies des Théatres.

Traité de la Comédie.

M. Nicole [né à Chartres le 13 Octobre 1625, & mort à Paris le 16 Novembre 1695], en est l’Auteur. Ce Traité se trouve dans le troisieme Tome de ses Essais de Morale. Il fut fait vers 1658, pour réfuter les Ecrits d’Hedelin d’Aubignac.

Pensées sur les Spectacles.

{p. 128}Nous les avons attribuées à M. Nicole, & elles se trouvent dans le cinquieme Tome de ses Essais de Morale. On sçait que tous ses Traités de Morale ont produit des biens innombrables. On y trouve un enchaînement continuel de preuves & de raisonnemens si suivis de principes en principes, & de conséquences en conséquences, qu’un fameux incrédule disoit de cet Auteur : Quand on le lit, il faut prendre garde à soi ; si on lui passe quelque chose, il arrache le consentement, & on est bientôt confondu.

Le début du Traité de la Comédie fait connoître que ce n’est guere que dans le siecle dernier que l’on a entrepris de justifier la fréquentation des Théatres. « Les autres siecles, dit M. Nicole, étoient plus simples dans le bien & dans le mal. Les personnes qui avoient la passion du Théatre, reconnoissoient au moins qu’elles ne suivoient pas en cela les regles de la Religion Chrétienne ; mais dans ce siecle on ne se contente pas de suivre le vice ; on veut encore qu’il soit honoré, & qu’il ne soit pas flétri par le nom honteux du vice qui trouble {p. 129}toujours un peu le plaisir que l’on y prend par l’horreur qui l’accompagne ».

Toutes les pensées de ce grand Philosophe sur les Spectacles sont intéressantes : on n’en citera que celles-ci du cinquieme Tome de ses Essais de Morale.

« C’est un effet du premier péché, & la source de tous les autres, de n’avoir point de goût pour les biens spirituels, & de n’en avoir que de foibles idées. La Religion & la Foi tâchent de remédier à ce désordre ; mais les Spectacles rendent le dégoût des vrais biens encore plus grand, & en affoiblissent encore plus les idées. On y apprend à juger de toutes choses par les sens, à ne regarder comme bien que ce qui les satisfait, & à ne considérer comme subsistant & réel que ce qui les frappe. Au lieu de travailler à guérir les plaies qu’ils ont faites à l’ame, & à la délivrer de la dépendance où elle est à leur égard, on fortifie les liens qui l’asservissent, on les multiplie, & on la contraint en quelque sorte à être {p. 130}toute dans les yeux & dans les oreilles. On l’attire du de dans au dehors, où elle avoit déjà tant d’inclination à se produire & à se répandre ; & on la fait sortir de son cœur, où elle avoit déjà tant de peine à rentrer. On lui cache son véritable bonheur ; on l’amuse par des choses frivoles ; &, au lieu de satisfaire sa faim par une nourriture solide, on la trompe en ne lui donnant que des viandes peintes, ou en l’empoisonnant par l’erreur & le mensonge. On apprend aussi aux Spectacles deux choses également funestes ; l’une à s’ennuyer de tout ce qui est sérieux, & par conséquent de tous ses devoirs ; l’autre à trouver cet ennui insupportable, & à en chercher le remede dans la dissipation. Le premier de tous ces désordres est un obstacle à toutes les vertus ; & le second est une entrée à tous les vices : mais l’un & l’autre sont certainement la suite des Spectacles, & toujours dans la même proportion qu’on les aime & qu’on y est assidu ».

Vente, Libraire à Paris, donne tous {p. 131}les ans un petit Livre intitulé : Etat actuel de la Musique du Roi, & des trois Spectacles de Paris. Il y avoit dans celui des premieres années une liste des Ecrits faits pour & contre les Spectacles. On ne négligea pas d’y indiquer les Ouvrages, dont l’objet est de démontrer combien l’usage de la Danse est nuisible aux mœurs. Nous allons en réunir ici les indications.

Traité des Danses, auquel est démontré qu’elles ne doivent pas être en usage parmi les Chrétiens ; par M. Thomas Chesnot, 1574 ; in-12.

Traité des Danses, auquel est amplement résolue la question, s’il est permis aux Chrétiens de danser ? par François Estienne, 1579 ; in-12.

David VetheryDiscursus, exhibens tres Sermones de Comædiis ; quorum primus Comædias laudat, alter vituperat & damnat, tertius districtè respondet. Basileæ 1619 ; in-4°.

Lettre sur les désordres qui se commettent à Paris touchant la Comédie, & sur les Représentations qui s’en font dans les maisons particulieres ; par M. Bourdelot, Avocat, 1660 ; in-12.

{p. 132}Traité contre les Danses & les Comédies, composé par S. Charles Borromée. Paris, 1664.

Cette traduction fut imprimée à Toulouse en 1662, & elle fut dédiée à Madame la Princesse de Conti.

Les Ouvrages que nous venons d’indiquer, sont d’un style un peu suranné ; mais nous allons en annoncer un qui est intéressant à tous égards. On y trouve des armes de toute espece pour combattre avec succès les Apologistes de la Danse & de la Musique voluptueuse. Voici le titre de cet Ouvrage :

Traité contre les Danses & les mauvaises Chansons, dans lequel le danger & le mal qui y sont renfermés, sont démontrés par les témoignages multipliés des saintes Ecritures, des saints Peres, des Conciles, de plusieurs Evêques du siecle passé & du nôtre, d’un nombre de Théologiens moraux, de Casuistes, de Jurisconsultes, de plusieurs Ministres Protestans, & enfin des Payens mêmes. Ce Livre a pour Auteur M. l’Abbé Gauthier, qui est Curé de la Paroisse de Savigni-sur-Orges, Diocese de Paris, {p. 133}& dont le zele, la piété & les lumieres ont la plus grande réputation. Paris, Boudet 1769, & réimprimé en 1771.

Traité de la Comédie & des Spectacles, par M. le Prince de Conti. Paris, 1666.

M. Fagan n’a pu, dans ses Nouvelles Observations en faveur des Comédiens, s’empêcher de témoigner de la vénération pour ce Traité de M. le Prince de Conti66. Cependant il a essayé d’en diminuer l’autorité, & de lui ôter des Lecteurs, en disant qu’on y apperçoit, comme dans quelques Maximes de M. de la Rochefoucault, un peu trop de dégoût du monde.

Mais, comme l’a observé l’Auteur de l’Essai sur la Comédie moderne, où l’on réfute les nouvelles Observations de M. Fagan : « Ce n’est point là attaquer, c’est fuir : ce n’est point détruire un ouvrage ; c’est convenir que l’on n’a rien à y opposer : c’est dire : Cet ouvrage n’est pas bon, parce qu’il est contraire à mes {p. 134}sentimens. Comment un discours qui blâme des plaisirs que le monde chérit, pourroit-il respirer le goût du monde » ?

Quoi qu’il en soit, ce Traité est très-décisif pour la condamnation des Spectacles ; & afin d’émousser le reproche que M. Fagan lui a fait, il est à propos de se rappeller que ce n’est point une production d’un mystique qui n’auroit eu aucun usage du monde, & qui n’auroit parlé que d’après la tradition ; c’est après avoir long-temps observé, tant à la Cour qu’à la Ville, le caractere & les effets des Théatres, que cet illustre Prince s’est déclaré contre cette sorte de divertissemens ; & c’est avec la conviction la mieux fondée & la plus réfléchie, qu’il a dit autant en homme de Lettres qu’en Philosophe Chrétien : « Ce n’est plus que dans les Livres de Poétique que l’instruction est la fin d’une Piece de Théatre : cette fin n’est véritable ni dans l’intention du Poëte, ni dans celle du Spectateur. Le desir de plaire est ce qui conduit le premier ; & le second est conduit par le plaisir {p. 135}d’y voir peintes des passions semblables aux siennes ; car notre amour-propre est si délicat, que nous aimons à voir les portraits de nos passions, aussi-bien que de nos personnes : il est même si incompréhensible, qu’il fait par un étrange renversement, que ces portraits deviennent souvent des modeles, & que la Comédie, en peignant les passions d’autrui, émeut notre ame de telle maniere, qu’elle fait naître les nôtres, qu’elle les nourrit, qu’elle les échauffe, qu’elle leur inspire de la délicatesse, & qu’elle les rallume même lorsqu’elles sont éteintes…. Ce qui est de plus déplorable en cette matiere, c’est que les Poëtes sont maîtres des passions qu’ils traitent ; mais ils ne le sont pas de celles qu’ils ont ainsi émues. Ils sont assurés de faire finir celle de leur Héros & de leur Héroïne avec le cinquieme Acte, & que les Comédiens ne diront que ce qui est dans leur rôle ; mais le cœur ému par cette représentation, n’a pas les mêmes bornes. Il n’agit point par mesures, dès {p. 136}qu’il se trouve attiré par son objet : il s’y abandonne selon toute l’étendue de son inclination ; & souvent après avoir résolu de ne pas pousser les passions plus avant que le Héros de la Comédie, il s’est trouvé bien loin de son compte. L’esprit accoutumé à se nourrir de toutes les manieres de traiter la galanterie, n’étant plein que d’aventures agréables & surprenantes, & de vers tendres, délicats & passionnés, fait que le cœur dévoué à tous les sentimens, n’est plus capable de retenue…. Quoiqu’on veuille dire que le Théatre ne souffre plus rien que de chaste, & que les passions y sont traitées de la maniere du monde la plus honnête ; je soutiens qu’il n’en est pas moins contraire à la vertu ; & j’ose même dire que cette apparence d’honnêteté & le retranchement des choses immodestes, le rendent beaucoup plus à craindre. Il n’y auroit que les libertins qui pussent voir les Pieces grossiérement déshonnêtes : les femmes de qualité & de vertu en auroient {p. 137}horreur : au lieu que l’état présent de la Comédie ne faisant aucune peine à la pudeur attachée à leur sexe, elles ne se défendent point d’un poison aussi dangereux ».

« La vengeance & l’ambition n’y sont pas traitées d’une maniere moins pernicieuse, comme ces deux passions ne passent dans l’esprit de ceux qui ne se conduisent pas par les regles de la Morale chrétienne que pour de nobles maladies de l’ame, sur-tout quand on ne se sert pour les contenter que des moyens que le monde trouve honnêtes. Les Poëtes se rendant d’abord les esclaves de ces funestes maximes, en composent tout le mérite de leurs Héros. Rodrigue n’obtiendroit pas le rang qu’il a dans le Drame, s’il ne l’eût mérité par deux duels, en tuant le Comte, & en désarmant Dom Sanche. Et si l’Histoire le considere davantage par le nom de Cid, & par ses exploits contre les Maures, le Théatre l’estime beaucoup plus par sa passion pour Chimene, & par ses deux combats particuliers ».

{p. 138}Nous avons ci-devant fait connoître67 combien un de Mornai, un de la Noue, blâmoient la fureur des Duels. Nous ajouterons ici que ce fut dans les brillantes années du Regne de Louis XIV, que cette coutume barbare fut proscrite par les Loix les plus solemnelles68. Et cet événement devint pour ce Monarque un sujet d’éloges publics. Nous allons en consigner ici quelques traits ; ils sont tirés de différentes Pieces de Poésies insérées dans le Recueil de l’Académie Françoise, de l’année 1671. Nous nous permettons cette digression, pour donner une preuve du contentement de la Nation ; lorsqu’elle crut voir l’abolition de cette fureur, dont les Vers qui suivent ont peint diversement les funestes effets.

 François, d’un vain transport misérables victimes,
La Seine trop long-temps a rougi de vos crimes :
Portez sur d’autres bords un plus noble courroux ;
Ce bras que vous perdez, François, n’est pas à vous ;
Par un sinistre emploi la valeur est flétrie.
Mourez ; mais en mourant servez votre Patrie ;
{p. 139}Et d’un triste Duel fuyant le sort obscur,
Tombez en arborant nos drapeaux sur un mur ;
Ou, si la paix mêlant son olive à nos palmes,
Nous fait couler des jours plus heureux & plus calmes.
Sans ternir votre fer d’un indigne attentat,
Laissez vivre, & vivez pour le bien de l’Etat.
Jusques dans le sujet respectez la Couronne,
C’est le Ciel qui le veut ; c’est Louis qui l’ordonne.

De la Monnoie, Duel aboli.

***
 Ce prodige sanglant, suivi de tant d’horreur,
Dont le venin funeste inspiroit la fureur,
Et dont l’impitoyable & barbare insolence
Sous le nom de l’Honneur déshonoroit la France ?
Ce monstre ou ce démon, pour ses meurtres cruels,
En des lieux écartés élevoit ses autels,
Là, d’un acier aigu, par d’affreux caracteres,
Il avoit exprimé ses farouches mysteres.
Là, les cœurs agités de son brûlant poison
Méprisoient l’équité, les loix & la raison,
Et par l’injuste fer décidant les querelles,
En faisoient chaque jour renaître de nouvelles.
 Son fier acharnement jamais ne s’arrétoit,
Par le sang répandu sa rage s’augmentoit ;
Il falloit égorger le fils après le pere,
Et massacrer encore le frere après le frere.
On voyoit les amis, on voyoit les parens
L’un par l’autre percés, l’un sur l’autre expirans :
La fureur s’emparoit des plus nobles courages,
Et l’exemple entraînoit les esprits les plus sages.
 Hé ! combien a-t-on vu de François estimés,
En vils gladiateurs honteusement armés,
Au lieu de triompher dans une illustre plaine
Pour d’indignes sujets s’immoler sur l’areine.
{p. 140}Faire écrier de joie au bruit de leur malheur
L’étranger qui devoit éprouver leur valeur ?
Comme on dit qu’autrefois par la force des charmes,
Jason vit à Colchos tant de freres en armes,
Au lieu de le choisir pour l’objet de leurs coups,
N’exercer que sur eux leur aveugle couroux.
 Pourra-t-on croire un jour cette énorme licence,
Qui des fameux François profanoit la vaillance ?
Les superbes Romains, ces vainqueurs glorieux
N’ont-ils pas méprisé ces combats odieux ?
Ils sçavoient s’attacher au travail le plus rude,
Des Peuples ennemis braver la multitude,
Des plus affreux climats affronter les horreurs,
Des plus fiers élémens combattre les fureurs.
Mais ces vaillans Guerriers laissoient à leurs esclaves
L’art de nos escrimeurs, l’ardeur de nos faux braves,
Et donnoient pour supplice aux plus grands criminels
L’exercice inhumain de ces sanglans Duels.

IIe Piece sur la déf. des Duels.

***
 Comme on vit autrefois, aux plaines de Pharsale,
Romains contre Romains, d’une fureur égale
Arroser de leur sang les fertiles guerets,
Oublier follement leurs propres intérêts,
Mépriser les devoirs qu’inspire la naissance,
Et compter tout pour rien, excepté la vengeance :
L’on a vu les François dans l’ardeur des Duels,
Pour de moindres raisons être encor plus cruels.
Un sourire moqueur, une parole vaine,
Remplissoit leur esprit de fureur & de haine :
Et, sans considérer que leur sang est aux Rois,
Ils mettoient leur honneur à mépriser les Loix.
{p. 141}Au milieu de la Cour, & dans chaque Province,
Ils couroient à la mort, mais non pas pour leur Prince.
L’adresse bien souvent couronnoit le vainqueur,
Et le foible cédoit, quoiqu’avec plus de cœur.
C’étoit trop peu pour eux d’aller à des batailles :
Il falloit seul à seul causer des funérailles
Cher leurs plus chers amis, chez leurs propres parens,
Sans même être mêles parmi leurs différens,
L’honneur d’être second dans les grandes querelles
Leur causoit tous les jours cent affaires cruelles ;
Servant également dans ces sanglans combats,
Ceux qu’ils devoient aimer, & ceux qu’ils n’aimoient pas :
Et pour dernier malheur, en mourant sur la place,
A-t-on lieu d’espérer que Dieu leur ait fait grace ?
Lui dont le bras vengeur punit sévérement
Quiconque ose verser du sang injustement.

IIIe Piece sur la déf. des Duels.

***
 Animés de l’ardeur d’une fausse vaillance,
Sur un léger soupçon, pour une foible offense,
Toujours prêts à se perdre, & prêts à se venger,
Ils prodiguoient un sang qu’ils devoient ménager.
Leur orgueil violoit les droits les plus augustes :
En se faisant justice ils devenoient injustes :
Dans leur propre ruine ils mettoient leur bonheur,
Et se déshonoroient pour sauver leur honneur.
 Dans le séjour affreux des ombres éternelles
Tomboient en un moment leurs ames criminelles.
Leurs corps ensanglantés, tristes objets d’horreur,
Sembloient garder encore un reste de fureur ;
Et tout morts qu’ils étoient exposés au supplice,
Respirer la vengeance, & craindre la justice.
{p. 142}La France recouroit au trône de ses Rois,
Imploroit vainement l’autorité des Loix,
Et disoit dans l’excès de ses douleurs mortelles :
« Quand verrai-je finit ces fatales querelles,
Où, contre le François, le François irrité
Se fait une vertu d’une brutalité ?
… … … … …
 Ciel, faites bientôt naître un Prince sur la terre,
Révéré dans la paix, redouté dans la guerre,
Juste à récompenser, juste à punir aussi,
Qui se venge de ceux qui se vengent ainsi ;
Qui réduise au repos ces ames inquietes,
Et qui fasse observer les Loix qu’il aura faites ! »
 La France fit ces vœux….
… … … … …
Mais elle ne craint plus ces funestes Duels ;
Les François sont vaillans, & ne sont plus cruels,
Leur invincible Roi les anime & les guide,
Et leur traçant le plan d’une gloire solide,
Il rompt ce cours fatal de meurtres infinis,
Tant de fois condamnés, tant de fois impunis ;
Et son autorité constante, inviolable,
Ou détourne le crime, ou punit le coupable.
 Il n’est pas de ces Rois, dont la foible bonté
Autorise le vice, & blesse l’équité ;
Qui bornent leur justice à de foibles menaces,
Qui d’une aveugle main signent graces sur graces,
Qui, contens d’avoir fait des Edits solemnels,
Laissent vivre le crime avec les criminels ;
Et qui faisant gronder leur inutile foudre,
Semblent ne condamner que pour pouvoir absoudre,
Tout peut les ébranler, tout peut les éblouir.
 Mais Louis se fait craindre & se fait obéir.
{p. 143}Il juge sans erreur, & punit sans, réserve.
Quand il a fait des Loix, il fait qu’on les observe,
Contre un feint repentir son cœur est affermi.
Son sujet criminel devient son ennemi,
Et quand le Ciel vengeur ordonne qu’il punisse,
Nulle fausse pitié ne corrompt sa justice.
 Mais sa rigueur s’accorde avec sa bonté,
Et c’est notre bonheur que sa sévérité.
Réprimant les transports d’une injuste vengeance,
Il conserve le sang le plus pur de la France.
Sévere à ses Sujets, pour les rendre plus doux,
S’il en punit quelqu’un, c’est pour les sauver tous.
Sa douceur fait agir sa puissance suprême,
Et sa justice naît de sa clémence même.

IVe Piece sur la déf. des Duels.

Défense du Traité de M. le Prince de Conti sur la Comédie & les Spectacles, par M. Voisin, Prêtre, Docteur en Théologie, Conseiller du Roi. Paris, 1672.

Cet Ouvrage est dédié à M. le Prince de Conti, fils de M. le Prince de Conti, l’Auteur du Traité contre la Comédie.

Cet Ouvrage de M. Voisin est un Volume in-4° de 500 pages. Il y a beaucoup d’érudition sur les Jeux & les Spectacles des Payens. On y trouve une longue tradition des Conciles & des saints Peres contre la Comédie. {p. 144}Cette tradition est poussée jusqu’au dix-septieme siecle par la citation de plusieurs saints & sçavans hommes de chaque siecle, qui ont condamné la Comédie & les Spectacles. L’Auteur répond aux passages de S. Thomas & de S. François de Sales, dont on a prétendu se servir en faveur de la Comédie.

Traité de la Comédie, inséré dans l’Education Chrétienne des Enfans. Paris, 1672.

Nic. Harres Libellus de Comædiis & Tragædiis occasione, Libri xi, tit. xl, cod. de Spectac. In quo duæ quæstiones de Ludorum scenicorum apud Christianos & in scholis utilitate & noxa. Francofurti ad Mænum, 1691 ; in-8°.

Les Apologistes des Théatres publics ne seroient pas fondés à réclamer pour eux cet Ouvrage.

Réponse a la Lettre d’un Théologien, défenseur de la Comédie. Paris, 1694. Dans le Catalogue de la Bibliotheque du Roi, n°. D. 4543. On attribue cette Réponse au sieur de le Leval. Cet Auteur y démontre que nos Pieces de Théatre étant imitées {p. 145}de celles des Anciens, elles sont comme elles accommodées à la corruption de la nature. Il prouve également, que quand la Comédie n’exciteroit que par hazard les passions, il n’est pas prudent de s’exposer à ces émotions toujours si dangereuses. Et quant à l’avantage que le prétendu Théologien a tiré de la foiblesse que certains Ecclésiastiques ont d’aller aux Spectacles, il le réfute par l’aveu que ce prétendu Théologien a lui-même fait qu’il se feroit un scrupule de les y suivre.

Réfutation d’un Écrit favorisant la Comédie. Paris, 1694.

On y a mis cette épigraphe :

Donare res suas Histrionibus, vitium est immane :

Donner son bien aux Comédiens, c’est un vice énorme.

Le Pere de la Grange, Chanoine Régulier de Saint-Victor, est l’Auteur de cette Réfutation, ou toutes les raisons employées dans l’Ecrit réfuté sont pesées l’une après l’autre ; & il n’en est aucune qui n’ait sa réponse à laquelle on ne scauroit refuser {p. 146}de se rendre. Outre les autorités ecclésiastiques, tirées de l’Ecriture Sainte, des Peres de l’Eglise, des Canons des Conciles, & des Auteurs respectables, anciens & modernes, tant ecclésiastiques que laïques, on y a rappellé les Ordonnances de Philippe-Auguste & de S. Louis, qui chasserent les Farceurs ; & les Arrêts du Parlement, qui défendirent à des Comédiens de jouer dans Paris. Le premier Arrêt est du 6 Octobre 1584, contre une troupe de Comédiens qui avoient établi un Théatre dans l’hôtel de Cluni ; & le second, du 10 Décembre 1588, fit de pareilles défenses à une autre Troupe.

Décision faite en Sorbone touchant la Comédie. Paris, 1694.

Cette décision est du 20 Mai 1694 ; elle est signée de six Docteurs dont voici les noms : Fromageau, Durieux, de Blanger, l’Huillier, de la Coste & Bonnet. Cette décision, qui contient 132 pages in-12, est un Traité intéressant sur la matiere qui en est l’objet.

Réfutation des sentimens relâchés du nouveau Théologien touchant la Comédie. Paris, 1694.

{p. 147}L’Auteur de ce solide Ouvrage déclare [page 133] avoir été amateur des Spectacles. « Je ne connois point, dit-il, d’esprit plus opposé à l’esprit du Christianisme que l’esprit de la Comédie. J’en ai été peut-être aussi entêté qu’un autre ; mais j’avoue, à ma confusion, que je n’ai jamais été moins Chrétien que pendant cet entêtement. On se trouve dans un certain relâchement, dans un je ne sçais quel vuide de Dieu, dans une indisposition & une inapplication si grande dans les exercices de la Religion, que quand même on ne seroit pas engagé dans de grands désordres, on peut dire que l’on vit parmi les Chrétiens d’une maniere toute payenne ; & c’est un mal qui ne vient pas tout d’un coup, mais peu à peu, d’une maniere imperceptible, & par degrés ; car le crime a les siens, de même que la vertu…. L’harmonie de l’ame est entiérement dissipée à la Comédie, puisqu’on y perd ordinairement les sentimens de la pudeur, de la piété & de la Religion, si l’on y va souvent ; & elle y est fort ébranlée pour peu {p. 148}qu’on y aille, en ce qu’elle excite & réveille les passions ; qu’elle fait ou doit faire cet effet dans tout le monde ; parce que c’est son but, sa fin & son dessein, & que ce n’est que par accident qu’elle ne le fait pas toujours ».

Discours sur la Comédie. Paris, 1694.

Le prétendu Théologien, Défenseur de la Comédie, est réfuté dans cet Ouvrage par les sentimens des Docteurs de l’Eglise depuis le premier siecle jusqu’à présent. Le P. le Brun, de l’Oratoire, est l’Auteur de ces Discours.

Le premier est une réfutation de la Lettre du prétendu Théologien qui avoit entrepris la défense de la Comédie.

Le second fait l’histoire des divertissemens du Théatre, & expose les sentimens des Docteurs sur cette matiere.

Il est divisé en trois parties, dont la premiere comprend le regne de l’idolâtrie jusqu’à son extinction sous Justinien ; la seconde décrit l’état du Théatre depuis l’extinction de l’idolâtrie {p. 149}jusqu’à la naissance des Scholastiques ; & la troisieme depuis les Scholastiques jusqu’à nous.

L’idée que l’Auteur donne de la Comédie des premiers siecles de l’Empire, est qu’elle fut plus ou moins fréquente, plus ou moins honnête, selon l’inclination des Empereurs. A quoi il ajoute deux observations ; l’une est, que tous les Spectacles des Romains ne furent pas institués à l’honneur des faux Dieux, & qu’il y en eut qui ne le furent que pour le divertissement du Peuple, comme il se voit clairement dans le quatorzieme livre des Annales de Tacite.

L’autre observation est que toutes les Comédies ne furent pas alors aussi infames que quelques-uns se le persuadent, & qu’il y en eut de plus honnêtes que celles d’à présent. Après cela, cet Auteur rapporte ce que les plus sages des Payens, comme Séneque, Pline, Tacite & Plutarque ont jugé de leurs Comédies, de quelque nature qu’elles fussent ; & ensuite il cite les premiers Peres qui les ont condamnées, & explique leurs raisons.

{p. 150}Il rapporte à la seconde époque les défenses faites, tant par l’Eglise d’Orient, que par celle d’Occident, d’assister à la Comédie, & il n’omet pas les Commentaires de Balsamon & de Zonare sur les décisions faites par les Conciles à cet égard.

Quand il est venu aux temps des Scholastiques, il remarque qu’ils permettent, selon des suppositions métaphysiques, des actions qu’ils condamnent dans la pratique ; & que c’est ainsi qu’ils se sont expliqués au sujet des Spectacles du Théatre & des autres divertissemens. Il rapporte ensuite les Canons des Conciles, les Statuts des Evêques, les Arrêts des Magistrats qui les ont condamnés en France. Enfin, dans une Lettre qui est à la fin, l’Auteur résout quelques difficultés qui lui avoient été proposées sur ses deux Discours.

Il y a eu de cet Ouvrage plusieurs éditions. Il en fut donné une en 1731. M. de la Roque, alors Auteur du Mercure de France, l’annonça avec beaucoup d’éloges dans le volume de Mai 1731, & en donna un extrait assez étendu. Il le termina, en disant {p. 151}qu’on ne peut témoigner à l’Auteur, de même qu’à l’Editeur, trop de reconnoissance du soin qu’ils ont bien voulu prendre de réunir & d’amasser des morceaux aussi précieux sur cette matiere. Cet éloge déplut aux Partisans du Théatre, & il donna lieu à un Ecrit qui parut dans le Mercure du mois d’Août de la même année, & que nous allons faire connoître. Nous en parlons ici pour ne le point séparer de la Critique qui en fut faite. Voici le titre de l’Ecrit en question :

Lettre écrite de Marseille, le premier Juillet 1731, à M. de la Roque [Auteur du Mercure], au sujet des Discours du P. le Brun sur la Comédie.

M. de la Roque, en rendant compte dans le Mercure du mois de Mai 1731 de la nouvelle édition des Discours du P. le Brun, avoit dit « qu’il avoit raison de dépeindre notre Théatre comme l’école de l’impureté, la nourriture des passions, un assemblage où les yeux sont environnés d’objets séducteurs, & où les oreilles sont ouvertes à des discours souvent obscenes & toujours {p. 152}profanes qui infectent le cœur & l’esprit ».

Ce témoignage étoit d’autant plus imposant, que c’étoit le suffrage d’un Littérateur qui, par une suite de ses fonctions de Journaliste, étoit l’Historien des Spectacles publics.

Un Partisan fanatique des Théatres en fut si irrité, qu’il adressa à l’Auteur du Mercure la Lettre qu’on vient d’indiquer. En voici un échantillon :

« Je n’ai pu lire sans étonnement, Monsieur, les éloges avec lesquels vous annoncez dans votre Mercure du mois de Mai dernier, les Discours du P. le Brun sur la Comédie. Si vous dites qu’il a réfuté si solidement la Lettre du P. Caffaro qui a justifié la Comédie ; pourquoi homme pieux & rigoriste, comme vous le paroissez dans votre Extrait, nous donnez-vous dans vos Mercures des analyses de toutes les Pieces de Théatre, si vives & si expressives, que vous engagez la plupart de vos Lecteurs à aller participer à ces Spectacles, que vous dites avec le P. le Brun être si pernicieux ?… {p. 153}Sçachez que l’on seroit mieux fondé à demander au P. le Brun une rétractation, s’il vivoit encore, qu’on ne l’a été à en exiger une du P. Caffaro ».

L’Auteur du Mercure n’hésita pas à insérer cette Lettre dans son Journal. Il n’y ajouta aucune réflexion, persuadé qu’il se trouveroit vengé par le peu de cas que le Public feroit de cette Lettre.

Mais quelque mépris qu’elle méritoit, il y eut un homme de Lettres (M. Simonet) qui observa que « la plupart des partisans des Spectacles sont portés plutôt par inclination que par lumieres, à juger favorablement d’un Ecrit fait exprès pour justifier les Théatres ».

Et en conséquence, il se chargea de faire à cette Lettre une réponse, qui fut imprimée sous le titre qui suit :

Dissertation sur la Comédie, pour servir de réponse à la Lettre insérée dans le Mercure d’Août 1731, au sujet des Discours du P. le Brun, sur la même matiere ; par M. Simonet. Paris, 1732.

{p. 154}Cette Dissertation fut insérée dans le Mercure du mois de Février 1732. M. Simonet y démontre qu’il ne faut pas prendre pour une apologie des Théatres les iugemens favorables que les Journalistes portent des Pieces dramatiques. « Une même chose, dit-il, considérée sous différens rapports & sous différens points de vue peut être bonne & mauvaise, louable & repréhensible en même temps ; & tels sont les Spectacles. Ils ont leur beauté, & même leur bonté en un sens. On dit tous les jours, & avec raison : voilà une bonne Piece, en parlant d’une Comédie qui plaît ; c’est un Ouvrage d’esprit qui est bon en ce genre ; mais souvent très-pernicieux par rapport au cœur ; & rien n’empêche qu’on ne le loue d’un côté, & qu’on ne le blâme de l’autre ».

Un Journaliste estimable montre simplement dans ses analyses ce qu’on a trouvé de beau ou de bon dans les Pieces de Théatre ; « mais cela ne regarde que l’esprit, sans toucher aux mœurs & à la conscience, dont alors il n’est point question. D’ailleurs, {p. 155}le dessein de ces analyses n’est pas, comme on le suppose, d’attirer les Lecteurs aux Spectacles ; mais seulement de leur en donner une légere teinture, qui peut avoir son utilité pour plusieurs, & qui ne fera pas une grande impression, ni sur les personnes portées d’elles-mêmes à y participer, ni sur celles qui en ont de l’éloignement.

« Au reste, quelque bien qu’un Journaliste dise des Pieces dramatiques, il n’en est pas moins vrai que notre Théatre, tout épuré qu’on prétende qu’il soit, est très-dangereux a fréquenter ; parce que si les Pieces présentent quelquefois des leçons de vertu, on n’en rapporte cependant que les impressions du vice ».

Sentimens de l’Eglise & des Saints Peres, pour servir de décisions sur la Comédie & sur les Comédiens, avec cette Epigraphe :

Nolite communicare operibus infructuosis tenebrarum, magis autem redarguite. Ep. S. Paul aux Ephes. ch. 5, ℣ 11, Paris, 1694.

{p. 156}Dans le Catalogue de la Bibliotheque du Roi, n° D. 4540 : on attribue cet Ouvrage à M. Coutel.

L’Auteur y établit l’uniformité des sentimens qui se trouvent au sujet de la Comédie entre les anciens Peres, ceux des siecles suivans, & les Conciles : & il en tire cette conséquence, que la doctrine qui condamne les Théatres, est fondée sur des principes & sur des autorités auxquels il faut se soumettre, & qu’une doctrine contraire ne peut venir que de ceux qui, comme le dit S. Paul, aiment plus leurs plaisirs que Dieu : Voluptatum amatores magis quàm Dei ; que l’Ecriture Sainte nous défendant d’éviter les entretiens vains & profanes, comme servant beaucoup à inspirer l’impiété, les Théatres s’y trouvent implicitement compris, relativement à leur objet & à leurs effets ; qu’enfin les Casuistes qui oseroient en lever la condamnation, n’observent pas le précepte qui leur a été fait de garder le dépôt de la sainte Doctrine qui leur a été confiée, de fuir les profanes nouveautés de paroles, & tout ce qu’oppose une Doctrine qui porte faussement {p. 157}le nom de science69. Ces faux Casuistes sont du nombre de ceux dont il a été dit, qu’il y aura toujours des hommes qui étant dans l’erreur, se fortifient de plus en plus dans le mal, & y font tomber ceux qui ne pouvant souffrir la saine Doctrine, & ayant une extrême démangeaison d’entendre ce qui les flatte, ont recours à une foule de Docteurs propres à les séduire ; & fermant l’oreille à la vérité, ils l’ouvrent à des fables70.

Lettre d’un Docteur de Sorbone à une personne de qualité, sur le sujet de la Comédie [par Jean Gerbois]. Paris, 1694.

Lettre Françoise et Latine du P. François Caffaro à M. de Harlai, Archevêque de Paris, 1694.

Ce Religieux y désavoue la Lettre du prétendu Théologien qu’on lui {p. 158}avoit attribuée. Cette rétractation édifiante est imprimée à la suite de nos Lettres sur les Spectacles, avec un Extrait de l’Ouvrage suivant :

Maximes et Réflexions sur la Comédie, par M. Jacques Benigne Bossuet, Evêque de Meaux [né à Dijon de 27 Septembre 1627, & mort à Paris le 12 Avril 1704]. Paris, 1694.

M. l’Abbé Talbert, Chanoine de Besançon, a fait un Eloge historique de M. Bossuet. Cet Eloge remporta, en 1772, le Prix de l’Académie de Dijon ; mais cette Académie, en le couronnant, n’a pas sans doute prétendu approuver l’indécence avec laquelle l’Orateur y a parlé du livre de M. Bossuet sur la Comédie. M. Talbert paroît reprocher à ce Prélat de s’être chargé d’une cause équivoque ; & il dit qu’on ne doit y admirer que l’art avec lequel il en a tiré parti par son adresse à saisir le côté foible de notre Scene, si elle en a un. M. Talbert ajoute que la sévérité de M. Bossuet trouvera des contradicteurs éclairés ; qu’il y parle du Théatre en homme qui l’a fréquenté ; qu’on assure qu’il n’a cessé d’y aller que {p. 159}lorsqu’il fut dans les Ordres sacrés ; qu’il y avoit reçu des leçons pour se former à l’action oratoire ; qu’on peut opposer à cet Ouvrage l’Eloge que ce même Prélat a fait de Térence, dans sa Lettre à Innocent XI : qu’au reste, en lisant les maximes sur la Comédie, il ne faut pas oublier que c’est un Evêque qui parle.

M. l’Abbé Talbert devoit donc lui-même ne pas l’oublier ; &, au lieu de s’abaisser jusqu’à paroître partager l’intérêt que les gens du siecle prennent au Théatre, il devoit conserver à l’enseignement de M. Bossuet, sur ce point de morale, toute son autorité, il devoit enfin ne pas contribuer à en augmenter les futiles Contradicteurs, en leur suggérant des sophismes inconciliables avec une lumiere pure & dégagée des nuages de l’illusion. Il n’auroit pas moins mérité d’être couronné par les Académiciens qui ont rendu justice à l’éloquence de son Discours ; ou plutôt ils l’auroient loué d’avoir soutenu le caractere de son état. Et à cet égard l’Histoire de l’Académie Françoise fournit plusieurs exemples édifians.

{p. 160}M. l’Abbé d’Estrées, Commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit, ayant été reçu à cette Académie le 25 Juin 1711, à la place de Boileau Despréaux. M. de Valincourt n’hésita point d’exposer avec éloge dans sa réponse au Discours du Récipiendaire les sentimens de ce célebre Poëte sur les dangers de la morale des Théatres ; &, pour le faire avec plus d’énergie, il en rapporta les paroles : « Quoi, disoit Despréaux à ses amis, des maximes qui feroient horreur dans le langage ordinaire, se produisent impunément dès qu’elles sont mises en vers. Elles montent sur le Théatre, à la faveur de la Musique, & y parlent plus haut que nos Loix. C’est peu d’y étaler ces exemples qui instruisirent à pécher, & qui ont été détestés par les Payens même ; on en fait aujourd’hui des conseils, & même des préceptes ; & loin de songer à rendre utiles les divertissemens publics, on affecte de les rendre criminels ».

« Voilà, dit M. de Valincourt, de quoi Boileau étoit continuellement occupé, & dont il eut voulu pouvoir {p. 161}faire l’unique objet de toutes ses satyres ; & il se seroit estimé heureux d’avoir imprimé un opprobre éternel à des Ouvrages si contraires aux bonnes mœurs ».

Mais, sans remonter à des années si éloignées, nous citerons à M. l’Abbé Talbert un exemple plus récent.

M. l’Abbé de Radonvilliers, Sous-Précepteur des Enfans de France, ayant été nommé à une place de l’Académie Françoise, y vint prendre séance le 26 Mars 1763. Son Discours de réception y reçut les applaudissemens qu’il méritoit. Celui à qui il succédoit étoit M. de Marivaux qui avoit acquis de la réputation par des Ecrits amusans qu’il n’est pas facile d’exempter de tous reproches pour les mœurs. M. l’Abbé de Radonvilliers se conduisit dans cette circonstance critique en Littérateur, persuadé que si les mœurs n’affermissent pas les Loix, elles les renversent tôt ou tard : c’est relativement à cette maxime, que dans l’Eloge de M. de Marivaux, il eut le courage de dire : « Vous n’attendez pas de moi, Messieurs, que j’approuve {p. 162}le genre des Romans & des Comédies dans lequel M. de Marivaux s’est exercé. Il y a des loix d’un ordre supérieur qui me défendent de louer un genre d’ouvrages si dangereux ». On fut également satisfait d’entendre dire à M. le Cardinal de Luynes71, dans sa Réponse au Discours de M. l’Abbé de Radonvilliers.

« Si les Pieces de Théatre & les Romans ne servoient, Messieurs, qu’à corriger les hommes, & qu’à les rendre vertueux, ils deviendroient aussi utiles qu’ils sont dangereux ; mais qu’il est difficile de réussir dans ce projet. Il faut y peindre les passions pour en faire sentir tout le désordre : la corruption de la nature saisit avidement la ressemblance du portrait ; & elle voit toujours la passion en beau, même sous les traits dont on la surcharge ».

{p. 163}M. l’Abbé Talbert aura sans doute reconnu la foiblesse qui lui est échappée, peut-être pour flatter les Académiciens qu’il devoit avoir pour Juges. Mais il ne doit pas ignorer que si, pour l’intérêt des passions, on paroît accueillir dans les Ministres de l’Eglise ces sortes de foiblesses favorables à la corruption du cœur ; on ne les en blâme pas moins intérieurement. On sçait que la régularité des mœurs est aussi essentielle à leur état, que le courage l’est à la profession des armes ; & certainement tout Ecclésiastique qui s’écarte de la sagesse de la milice chrétienne, est aussi méprisable que le seroit un Militaire, dont les actions & les propos annonceroient une ame lâche, comme il arriva au Poëte Archiloque, qui fut chassé de Lacédémone, pour avoir dit dans une Piece de Vers, qu’il valoit mieux mettre les armes bas, que de mourir72.

{p. 164}M. l’Abbé Talbert auroit dû adopter & ratifier le jugement qui fut porté des maximes & des réflexions de M. Bossuet, sur la Comédie, dans le Journal des Sçavans de l’année 1694.

En voici les paroles :

« Ces maximes & réflexions pleines de principes de religion, découvrent avec une entiere évidence le mal que font ceux qui assistent à la Comédie, & le scandale qu’ils y donnent. On y voit les dispositions dangereuses & imperceptibles qui s’y apportent & qui s’y prennent, la concupiscence qui s’y répand par tous les sens dans l’esprit & dans le cœur ».

L’Auteur de ce Journal eut alors à rendre compte d’Ouvrages fort opposés les uns aux autres sur la matiere des Spectacles. Il soutint le caractere d’un bon & judicieux Journaliste. On ne le vit pas dans ses extraits prêter du secours aux partisans de l’erreur. Et il manifesta son respect pour la vérité dans le compte qu’il rendit des Ecrits où l’on soutenoit la bonne cause.

Que ceux qui citent comme favorable {p. 165}aux Théatres la réponse que M. Bossuet, Evêque de Meaux, fit à Louis XIV, & qui a été ci-devant rapportée [page 61], lisent les maximes & les réflexions de ce Prélat sur la Comédie. Ils ne reconnoîtront dans cette réponse qu’une instruction donnée ingénieusement & avec prudence à un grand Monarque. Et alors ils ne s’autoriseront plus du préjugé vulgaire sur le banc qu’on dit que les Evêques avoient autrefois aux Spectacles de la Cour, & dont il a été ci-devant parlé pages 159 & 182.

Il est vrai qu’il est rapporté dans les Mémoires de M. de Montchal, que le Cardinal de Richelieu fit exécuter à la Cour & dans son Palais plusieurs représentations de Drames & de Ballets. Et comme dans ces Ballets les Princes & les Seigneurs étoient Acteurs, on y invitoit toutes les personnes de la Cour, sans en excepter les Prélats. Mais ce que nous devons penser de la foiblesse de ce Cardinal, nous est suggéré par les mêmes Mémoires.

« Le Cardinal de Richelieu, y est-il dit, autorisoit la Comédie par sa {p. 166}présence aux Spectacles de la Cour, en l’introduisant dans son Palais Cardinal ; en quoi il se conduisoit par un esprit bien contraire à celui de tous les Peres de l’Eglise, qui l’ont rejettée & condamnée comme la corruption des mœurs, & une école publique de libertinage ».

Convient-il de s’autoriser de faits rapportés comme des scandales ? Aussi M. de Montchal nous apprend que les Prélats vertueux éleverent leur voix contre cette licence ; tel fut entr’autres M. Godeau, Evêque de Grasse73.

Un Amateur zélé des Spectacles en a donné une Histoire sous ce titre :

Lettres historiques sur tous les Spectacles de Paris, 1719.

Cet Auteur cite comme des anecdotes avantageuses aux Théatres, que le Cardinal Mazarin, en 1647 & 1660, fit venir d’Italie des Acteurs pour représenter les Opéra Italiens, Orfeo è Euridice, & Hercole amante, & qu’il doit être regardé comme l’Instituteur de l’Opéra en France.

{p. 167}Cependant cet Historien convient que si ce Cardinal avoit prévu les abus qui se sont introduits dans ce Spectacle, il ne l’auroit pas établi.

Mais ces anecdotes de 1647 & de 1660, n’ont pour objets que des fêtes de Cour extraordinaires. L’Opéra, par exemple, Hercole amante, orné de Ballets magnifiques, fut représenté à l’occasion du mariage de Louis XIV avec Marie-Thérese d’Autriche74. Les alliances des augustes Maisons de France & d’Autriche ont été pour notre Nation des sujets de fêtes brillantes & pompeuses, parce que le bonheur des Peuples a toujours été attaché à l’union de ces deux puissantes Maisons, que Dieu, dit M. Bossuet75, a fait naître pour balancer les choses humaines76.

{p. 168}C’est par ce motif que tous les François manifesterent avec tant d’empressement & de zele leur joie au sujet du Mariage de Louis XVI alors Dauphin, avec Marie-Antoinette, Archiduchesse d’Autriche77. On prévit que l’avenir le plus heureux devoit être le fruit d’une union aussi-bien assortie, tant pour la grandeur mutuelle de la naissance des deux augustes Epoux, que pour leurs qualités personnelles. Que n’avoit-on pas en effet à espérer de ce jeune Prince, dont les vertus dominantes ont toujours été de réfléchir beaucoup, de mépriser le faste, de ne vouloir annoncer sa grandeur que par des actions d’humanité, de haïr la flatterie, {p. 169}& d’aimer la vérité78. Il méritoit donc bien d’avoir pour Epouse une Princesse qui a reçu du Ciel la plus belle ame, & qui a eu le précieux avantage d’être élevée par une Mere qui est un modele pour tous les Souverains. Nous croyons, disoit alors79, au nom de toute la France, M. de Coetlosquet, ancien Evêque de Limoges, & Précepteur des Enfans de France, « nous croyons appercevoir dans Madame la Dauphine, {p. 170}son auguste Mere, l’honneur de son sexe, & l’héroïne de son siecle par sa sagesse & par son courage80, de même que nous reconnoissons dans Monseigneur le Dauphin l’héritier des vertus d’un Pere81 dont la mémoire sera toujours en bénédiction ».

Tels furent les justes & heureux préjugés avec lesquels les François accueillirent {p. 171}l’avénement de Louis XVI au Trône. Ce Monarque ne tarda pas à confirmer les bonnes préventions de ses Sujet par des actes qui lui attirerent l’acclamation universelle de Louis le Bienfaisant. Eh ! que ne doit-on pas attendre après le témoignage énergique de M. l’Abbé de Radonvilliers ? Il est trop intéressant pour ne pas le joindre à celui que nous venons de rapporter de M. de Coetlosquet.

« Messieurs », dit M. l’Abbé de Radonvilliers, en répondant au Discours de M. Delille, reçu le 11 Juillet 1774 à l’Académie Françoise ; « Messieurs, dit-il, n’attendez pas de moi dans l’hommage que je rendrai au nouveau Protecteur de cette Académie, le langage étudié d’un Orateur qui emploie les couleurs de l’éloquence. Je parlerai le langage simple d’un témoin qui dépose fidélement ce qu’il a vu. Ayant eu l’honneur d’approcher de ce Prince pendant long-temps, la vérité que je devois par état lui dire à lui-même, je vous la dirai de lui avec la même sincérité. La justesse d’esprit, la {p. 172}droiture du cœur, l’amour du devoir ; telles sont les qualités principales dont le germe s’est montré dans le Roi dès son enfance, & que vous voyez se développer tous les jours depuis son avénement au Trône. Il en est d’autres, non moins importantes pour sa gloire & pour notre bonheur, que vous verrez dans les occasions se développer également. Ami de l’ordre, il maintiendra le respect pour la Religion, la décence des mœurs, la regle dans toutes les parties de l’administration : ennemi des frivolités, il dédaignera un vain luxe de vaines parures, un vain étalage de discours superflus. Ne craignez pas que la louange l’enivre de son encens : la louange, dès qu’elle approchera de l’adulation, n’arrivera pas aisément jusqu’à lui ; lorsque les hommages dûs au Trône ne lui ouvriront pas l’entrée, il sçaura la repousser en l’écoutant avec un air de froideur & peut-être d’indignation. D’ordinaire on dit aux Rois de se garder des flatteurs ; aujourd’hui il faut dire aux flatteurs de se garder du Roi. {p. 173}Cependant être Roi à dix-neuf ans ! Mais rappellez-vous, Messieurs, que c’est à dix-neuf ans précisément que Charles le Sage, le restaurateur du Royaume, prit en main les rênes du Gouvernement. Puissent nos Neveux, après l’expérience d’un long regne, donner à Louis XVI, le même surnom que nos Anciens ont donné à Charles V ! »

Heureux le Peuple dont le Roi aura été prévenu sur la supériorité de sagesse qu’il doit avoir au dessus de tous ses Sujets, & de laquelle un Platon faisoit dépendre le bonheur d’un Empire. La doctrine de ce Philosophe sur cet objet se trouve exposée dans une des Lettres de l’Empereur Julien, dont l’Abbé de la Bletterie a donné la traduction à la suite de la Vie de l’Empereur Jovien : « Comment, y est-il dit, en usons-nous à l’égard de nos troupeaux ? Au lieu d’en donner la conduite à quelque animal de leur espece, nous nous la réservons à nous-mêmes qui sommes une espece supérieure : il faut de même qu’un Roi, non content d’être plus vertueux que ses Sujets, {p. 174}devienne pour ainsi dire d’une nature plus excellente que la leur ; il faut que le Prince n’ait point de passions ; autrement il placeroit avec lui sur le Trône une bête féroce. Il doit faire assaut de sagesse & de vertus avec les Solon, les Lycurgue, les Pittacus ; il faut qu’il s’attache immuablement aux Loix ; non à ces Loix faites subitement & pour des cas particuliers, à ces Loix modernes, ouvrages de Législateurs qui n’ont pas toujours vécu selon les principes de la raison, mais aux Loix dictées par des hommes sages qui s’étoient purifiés l’esprit & le cœur. Ces sages Législateurs abhorroient cette maxime tracée par quelques Souverains en caracteres de sang : Les hommes doivent servir à l’ambition des Rois : maxime odieuse opposée à celle qui suit, & qui devroit être écrite en Lettres d’or : Les Rois sont faits pour rendre heureux les hommes82 ».

C’est à cette derniere maxime que {p. 175}notre Roi paroît être fixé ; nous en avons un gage dans la Lettre que Sa Majesté a écrite aux Evêques à l’occasion de son Sacre83, & que M. de Buisson de Beauteville, Evêque d’Alais, a si énergiquement paraphrasée dans son Mandement du 35 Juin 1775. Cette Lettre nous a rappellé ces paroles du jeune Salomon montant sur le Trône : C’est, disoit ce Prince, par la seule crainte de Dieu que je deviendrai illustre parmi les Nations ; que les vieillards respecteront ma jeunesse ; que les Princes qui sont autour de mon Trône baisseront par respect les yeux devant moi ; que les Rois voisins, quelques redoutables qu’ils soient, me craindront ; que je serai aimé dans la paix & redouté dans la guerre ; c’est par elle que mon regne sera agréable à votre Peuple, ô mon Dieu ; que je le gouvernerai justement, & que je serai digne du Trône de mes Peres84.

{p. 176}Tels sont les vœux que notre Monarque a sincérement formés le jour de son Sacre, en présence de son auguste Epouse, qui se montra si sensible aux hommages des François.

Ce fut donc à l’occasion d’une pareille Alliance que l’Opéra Hercole amante fut représenté à la Cour en 1660. Mais de l’appareil & des étiquettes des fêtes de la Cour, il ne faut rien conclure en faveur des Théatres publics.

Ainsi c’est sans fondement que l’Auteur des Lettres historiques sur les Spectacles, donne le Cardinal Mazarin pour l’Instituteur de l’Opéra, c’est-à-dire, de ce Spectacle public de Paris, que M. de Saint-Evremond appelle « une sottise chargée de musique, de danses, de machines, de décorations ; une sottise magnifique, mais toujours une sottise ; un travail bizarre de Poésie & de Musique, où le Poëte & le Musicien également gênés l’un par l’autre, se donnent bien de la peine à faire un méchant Ouvrage85 ». Cette idée {p. 177}de M. de Saint-Evremond se trouve développée dans la Description suivante qui en a été faite par Pannart :

J’ai vu le Soleil & la Lune
Qui faisoient des discours en l’air ;
J’ai vu le terrible Neptune
Sortir tout frisé de la mer.
J’ai vu l’aimable Cythérée,
An doux regard, au tein fleuri,
Dans une machine entourée,
D’Amours natifs de Chambéri.
J’ai vu le Maître du tonnerre
Attentif aux coups de sifflet,
Pour lancer les feux sur la terre,
Attendre l’ordre d’un valet.
J’ai vu du ténébreux Empire
Accourir avec un pétard
Cinquante Lutins pour détruire
Un palais de papier brouillard.
J’ai vu des Dragons fort traitables
Montrer les dents sans offenser.
J’ai vu des poignards admirables
Tuer les gens sans les blesser.
J’ai vu l’Amant une Bergere,
Lorsqu’elle dormoit dans un bois,
Prescrire aux oiseaux de se taire,
Et lui chanter à pleine voix.
{p. 178}J’ai vu des Guerriers en alarmes
Les bras croisés & le corps droit,
Crier cent fois : courons aux armes ;
Et ne point sortir de l’endroit.
J’ai vu ce qu’on ne pourra croire,
Des Tritons, animaux marins,
Pour danser, troquer leurs nageoires
Contre une paire d’escarpins.
Dans des Chaconnes & Gavottes
J’ai vu des Fleuves sautillans ;
J’ai vu danser deux Matelottes,
Trois Jeux, six Plaisirs & deux Vents.
Dans le char de Monsieur son pere,
J’ai vu Phaéton tout tremblant,
Mettre en cendres la terre entiere
Avec des rayons de fer blanc.
J’ai vu Rolland dans sa colere
Employer l’effort de son bras
Pour pouvoir arracher de terre
Des arbres qui n’y tenoient pas.
J’ai vu souvent une furie
Qui s’humanisoit volontiers ;
J’ai vu des faiseurs de magie
Qui n’étoient pas de grands Sorciers.
J’ai vu des Ombres très-palpables
Se trémousser au bord du Styx ;
J’ai vu l’Enfer & tous les Diables
A quinze pieds du Paradis.
{p. 179}J’ai vu Diane en exercice
Courir le Cerf avec ardeur ;
J’ai vu derriere la coulisse
Le Gibier courir le Chasseur.
J’ai vu Mars descendre en cadence ;
J’ai vu des vols prompts & subtils ;
J’ai vu la Justice en balance,
Et qui ne tenoit qu’à deux fils.
J’ai vu la Vertu dans un temple
Avec deux couches de carmin,
Dans son vertugadin très-ample
Moraliser le genre humain.
J’ai vu trotter d’un air ingambe
De grands Démons à cheveux bruns ;
J’ai vu des Morts friser la jambe
Comme s’ils n’étoient pas défunts.
J’ai vu par un destin bizarre.
Les Héros de ce Pays-là
Se desespérer en béquarre,
Et rendre l’ame en là, mi, là.
J’ai vu plus d’un fier Militaire
Se croire digne de laurier,
Pour avoir étendu par terre
Des monstres de toile & d’osier.
J’ai vu Mercure en ses quatre aîles
Ne trouvant pas de sûreté,
Prendre encor de bonnes ficelles
Pour voiturer la Déité.

{p. 180}Quand il seroit vrai que le Cardinal Mazarin eût été l’instituteur de ce Spectacle, on auroit à observer que si l’on a à citer quelques Ecclésiastiques élevés en dignité, qui se sont déclarés en faveur du Théatre, ils n’avoient pas alors une bonne odeur dans le Clergé. On sçait que Léon X, Trissino, Bibiena, & les autres que M. de Chamfort rappelle avec la plus grande présomption dans son éloge de Moliere, n’ont pas brillé par leur sainteté. Le caractere des dignités éminentes dont ils étoient revêtus, ne donne aucun poids à leurs foiblesses. Le ministere ecclésiastique est angélique ; mais les Ministres sont des hommes : Mysteriorum Dei habent thesaurum in vasis fictilibus. Ils sont sujets à des défauts. Qu’en doit-on conclure ? Que les simples Fideles doivent encore plus craindre pour eux-mêmes : Lapsus majorum, tremor minorum.

On peut aussi remarquer en général, que le zele des Apologistes du Théatre a toujours été assez en proportion avec le plus ou le moins de respect qu’ils ont eu pour la Religion Chrétienne. Quand, par exemple, {p. 181}M. de Chamfort, dans le même Eloge de Moliere, ne réduit les cérémonies funebres de la sepulture Ecclésiastique qu’à un peu de terre qu’on jette sur le cercueil, & qu’on doit accorder indifféremment ; il n’est pas étonnant qu’il soit surpris de ce qu’on l’a refusé à Moliere86. Mais il ignore {p. 182}donc que les prieres & les Cérémonies sacrées des obseques des Chrétiens, n’ont toujours été censées être accordées qu’à ceux dont les fautes publiques ou secretes sont présumées avoir été réparées par un repentir sincere. Si M. de Chamfort en avoit eu cette idée, il ne se seroit pas sans doute permis une expression qui insulte à cet égard la Religion du Monarque & de la Patrie, comme le fit M. de Voltaire à l’occasion de la le Couvreur. Nous avons rapporté [pag. 53 & 266 de nos Lettres] que cette Actrice, qui mourut le 30 Mars 1730, n’ayant voulu donner aucun signe de repentir sur sa profession, feu M. Languet, Curé de S. Sulpice, qui l’avoit exhorté avec le plus grand zele, lui refusa constamment la sépulture chrétienne87. Elle fut enterrée sur le bord de la Seine ; & c’est du lieu qui renferme {p. 183}ses cendres, que M. de Voltaire a dit : voila mon saint Denis. Tels sont les écarts de ceux qui sont plus amateurs de la volupté que de la sagesse, & qui étant dans l’erreur, s’y fortifient de plus en plus en y faisant tomber les autres. Leur commerce est à fuir, parce qu’il ne peut conduire qu’à l’impiété. Leur conversation & leurs écrits sont comme une gangrene qui se communique insensiblement à ceux qui s’y exposent témérairement. Voluptatum magis amatores quàm Dei, mali homines & seductores proficient in pejus errantes & in errorem mittentes… Profana & vaniloquia eorum devita ; multùm enim proficiunt ad impietatem, & sermo eorum ut cancer serpit. S. Paul Ep. I. ad Timot. c. 2. v. 16. & 17. c. 3. v. 13.

Mandement de M. Guy de Seve de Rochechouart, Evêque d’Arras, du 4 Décembre 1695, contre la Comédie.

Mandement du même Evêque, du 25 Septembre 1698, au sujet des Tragédies qui se représentent dans les Colleges.

{p. 184}Nous avons placé à la suite de nos Lettres sur les Spectacles, les raisons au nombre de vingt-trois que ce respectable Prélat a employées contre les Théatres, dans son Mandement du 4 Décembre 1695.

Réponse à la Préface de la Tragédie de Judith. Paris, 1695.

Boyer, Auteur de cette Tragédie, prétendoit faire illusion par le sujet de ce Drame, & rendre légitime la fréquentation des Théatres ; mais l’Auteur de la Réponse qui lui fut adressée, démontre qu’en exposant des sujets saints sur le Théatre, la piété s’y trouve profanée ; que d’ailleurs la plupart des Pieces saintes ne le sont que par le nom ; & que la liberté que les Poëtes prennent toujours d’ajouter à la vérité Historique les incidens propres à amuser les Spectateurs, en fait des Drames doublement scandaleux, comme dans la Tragédie de Judith, on a inventé l’intrigue de Mizaël. Les Auteurs de ces prétendues Pieces saintes

Pensent faire agir Dieu, ses Saints & ses Prophetes ;
Comme les Dieux éclos du cerveau des Poëtes

Desp. Art poét.

{p. 185}Puisque M. Boyer, dit M. l’Abbé d’Olivet88, avoit du génie, de l’inclination au travail, & qu’il portoit l’habit Ecclésiastique ; n’auroit-il pas dû choisir une autre route plus convenable à ses talens & à son honneur que celle du Théatre ?

Boyer éprouva la difficulté de faire goûter long-temps aux spectateurs les prétendues Pieces saintes : Periculosæ plenum opus aleæ. Sa Tragédie de Judith fut à la vérité applaudie pendant un Carême. Mais quelque égayée qu’elle fût par les intrigues de l’amour profane, elle fut sifflée à la rentrée d’après Pâque. Il y eut même à ce sujet un de ces impromptus malins qui échappent quelquefois au Parterre. L’Actrice la Champmeslé, qui représentoit le rôle de Judith, témoigna sa surprise de ce qu’on avoit tant différé l’affront qu’on faisoit à cette Piece : « C’est, lui répondit-on, parce que les sifflets étoient à Versailles aux Sermons de l’Abbé Boileau »

La plupart de ceux qui ont des talens {p. 186}pour la Poésie, voudroient que cet art conservât son honneur sur le Théatre. Il y a quelques Poëtes qui en ont formé le vœu avec les meilleures intentions.

Pierre de Villiers, de l’Ordre de Clugny, mort en 1728, Prieur de Saint Taurin, étoit du nombre de ces honnêtes Littérateurs. On a dans le Recueil de ses Dissertations sur les Tragédies de Corneille & de Racine, un Dialogue, dont l’objet est de prouver la possibilité de faire avec succès une Tragédie sans amour.

Mais ses prétentions à cet égard tiennent un peu du ton impérieux qui dominoit dans son caractere, & qui avoit donné lieu à Boileau Despréaux de l’appeller le Matamore de Clugny.

M. le Prince de Conti, dans son Traité sur la Comédie, convient que Heinsius avoit réussi à faire une pareille. Tragédie dans son Hérodes ; mais il assure que la représentation en auroit été trés ennuyeuse sur le Théatre public.

L’Abbé Juillard du Jarry étoit aussi dans le cas de s’intéresser à l’honneur {p. 187}des Muses poétiques. Il remporta à l’Académie Françoise plusieurs prix de Poésie, & entre autres celui de 1714, qu’il eut de préférence à M. de Voltaire qui avoit aussi concouru pour le même prix.

Il donna en 1715 un Recueil de Poésies chrétiennes, morales & héroïques. On voit dans sa Préface, que dans un moment d’enthousiasme pour la Tragédie de Polyeucte, il desira que l’on pût établir un Théatre Chrétien.

Le détail dans lequel il entre pour désigner les Citoyens à qui il croyoit que cet établissement seroit utile, est assez singulier. Il le proposoit « 1°. pour les personnes d’une santé délicate, qui après avoir donné une heure ou deux à une forte application, sont forcées de passer le reste du jour à ne rien faire ; 2°. pour des pécheurs nouvellement convertis qui, pour persévérer dans un changement de vie, veulent remplacer les plaisirs criminels par des plaisirs permis ; 3°. pour certains tempéramens qui même dans l’exercice de la piété, ont besoin d’une recréation innocente ».

{p. 188}Et pour lors il vouloit que dans les Pieces, il ne fût question que de nos Mysteres & des vérités morales, sans aucun mélange qui pût les altérer.

On peut présumer que s’il avoit été question de réaliser ce beau rêve, M. l’Abbé du Jarry auroit aussi exigé qu’on eût choisi les Acteurs dans l’ordre même des personnes qu’il se proposoit d’amuser.

On ne discutera pas si dans un siecle aussi corrompu que le nôtre, il seroit possible d’exécuter ce projet dans toute la régularité proposée par l’Auteur.

Mais en admettant cette possibilité, seroit-il décent de faire de nos Mysteres & de nos Dogmes sacrés un sujet de divertissement ? N’est-il pas vraisemblable que par l’habitude de s’en amuser, on n’auroit plus à leur égard toute la vénération qu’ils doivent inspirer ?

Gerard-Jean Vossius, célebre Ecrivain Protestant mort en 1669, a fait un Traité sur l’Art Poétique. Il y demande si l’Histoire Sainte peut fournir un sujet au Poëme dramatique. Il n’étoit {p. 189}point du sentiment de M. Boyer. Il conclut que le plus sûr est de ne l’y pas employer.

Jacques-Bernard, autre sçavant Calviniste, eut occasion de parler de cet Ouvrage de Vossius, dans le mois d’Août 1702 des Nouvelles de la République des Lettres. Il y adopte, page 189, le sentiment de ce Sçavant. « En effet, dit-il, il est bien difficile que les Poëtes ne corrompent point par des opinions incertaines & par des fables, une histoire pour laquelle on doit avoir le plus grand respect ».

Lettre de M. Bordelon. Paris, 1699.

L’Auteur prouve que si l’on exige de ceux qui vont aux Spectacles une aumône pour l’Hôpital Général, elle ne justifie en rien l’Opéra ni la Comédie.

On voit par tous ces Ouvrages, que dans le dernier siecle, les défenseurs des Théatres furent frappés de toutes parts, Gravibus confixi vulneribus. On les réduisit enfin au silence, en leur disant : malheur à vous qui appellez bon ce qui est mauvais, væ qui dicitis malum, bonum, & bonum, {p. 190}malum89. Et les Chaires sacrées, dit le P. Porée, continuerent de tonner contre les Théatres : Pergunt quidem sacri Oratores eloquio tonare de suggestu, & sua fulmina in Theatrales conventus extento brachio jaculari.

Cependant une guerre où les passions sont intéressées, ne se termine pas, comme celle de Troyes, par la chûte d’Hector, ou par l’incendie du Palais de Priam. In suâ sententiâ perseverant Theatri asseclæ, & illud densâ coronâ protegunt. Il y a eu encore dans notre siecle de nouvelles attaques de la part des Partisans du Théatre. On sçait que ce qui n’est pas permis a toujours des appas, & on se séduit pour s’en permettre l’usage :

Nitimur in vetitum semper, cupimusque negata.

François Gacon mit à la tête de sa Traduction des Odes d’Anacreon & de Sapho, qui parut en 1712, une longue dissertation sur la Poésie, où il fait une apologie outrée des Théatres. Mais quelle autorité pourroit avoir l’Auteur d’une multitude de libelles {p. 191}décriés par les satyres & les obscénités qui les animent ?

Les jeunes Poëtes négligent trop cette leçon que la Motte Houdart leur a donnée dans les Strophes suivantes d’une de ses Odes ; les licences qu’ils se permettent à cet égard, & qu’ils croient mal à propos pouvoir être pardonnées à la jeunesse, les habituent tellement avec la corruption, qu’ils s’exposent à ne pas en perdre le goût dans leurs années les plus avancées.

Auteurs qui voulez prendre place
Près du Chantre, ami de Pison,
Songez qu’il n’admet au Parnasse
Que la plus sublime raison :
Tout ce que l’esprit fait éclore.
Doit d’une élégance sonore
Emprunter un éclat nouveau ;
Mais il veut qu’une ame héroïque
A l’enthousiasme lyrique
Serve de guide & de flambeau.
***
C’est peu d’une vaine harmonie
Pour gagner l’amour des neuf Sœurs :
Malgré le plus heureux génie,
L’art languit toujours sans les mœurs
Il est des Graces effrontées
Qui du Dieu des Vers rebutées,
{p. 192}N’entrent point au sacré Vallon ;
Et les Muses toujours pudiques,
Chassent ces Poëtes cyniques
De qui le vice est l’Apollon.
***
… … … … …
Et loin que l’âge nous mûrisse,
Et qu’en nous la Raison fleurisse ;
Tardive richesse des ans,
Sur l’aîle du Temps amenée,
La Vieillesse arrive, étonnée
De nous trouver encor enfans.

On hazarda de donner en 1720, dans le septieme Tome de la continuation des Mémoires de Littérature, une Lettre sous le nom de Despréaux pour la justification des Théatres ; & on joignit une Réponse à cette Lettre. Mais on reconnut qu’on avoit abusé du nom de ce grand Poëte. C’étoit une fiction que l’Auteur même de la Réponse avoit imaginée, avec intention de se défendre si foiblement, qu’il se mettoit dans le cas de rendre les armes à son prétendu adversaire. C’est en effet la conclusion de sa Réponse. Ce qu’on a ci-devant rapporté de Despréaux, page 160, prouve que {p. 193}s’il avoit vécu, il auroit désavoué la Lettre qu’on lui attribuoit.

Observations sur la Comédie, par M. L. Yart, 1743.

Ces observations sont insérées en totalité dans le Mercure du mois de Mars 1743 ; elles ont pour objet l’apologie des Théatres. Mais l’Auteur hésite à accorder à la Comédie l’honneur de la devise Ridendo, castigat mores ; c’est-à-dire, Elle corrige les mœurs, en riant.

« Le vice, dit-il, ne se corrige pas si aisément. L’Avare dont le caractere est si ridicule dans Moliere, n’a point corrigé d’avares. Notre Théatre ne se réformera pas non plus sur la passion de l’amour. Comme elle est la premiere de toutes les passions, il est raisonnable qu’on la fasse entrer dans toutes les Pieces. C’est pourquoi, on n’y verra toujours que des Amans qui se déclarent leurs inclinations en secret, qui trouvent mille obstacles à leur amour, & qui ne parviennent enfin au mariage qu’après mille difficultés. Voilà le fonds de presque toutes nos Comédies ».

{p. 194}Cette apologie ingénue prouve que tout se traite sur nos Théatres non sublato jure nocendi ; c’est-à-dire, toujours au préjudice des bonnes mœurs.

M. Fagan s’est présenté plus ouvertement. Il donna en 1751 un Ecrit, intitulé :

Nouvelles Observations au sujet des condamnations prononcées contre les Comédiens.

Elles se trouvent insérées dans la collection de ses Œuvres.

Nous donnerons par la suite le résumé de ces Observations, en indiquant un Ecrit où elles ont été réfutées.

Observations sur le Théatre, dans lesquelles on examine avec impartialité l’état actuel des Spectacles de Paris, par M. de Chevrier. Paris, 1755, in-12.

Ce n’est pas l’utilité morale de nos Théatres qui est examinée avec impartialité dans ces Observations : l’Auteur y traite de préjugés odieux, les jugemens de nos Monalistes contre les Spectacles. « La bigoterie, dit-il, voudroit proscrire des Spectacles, où pour 20 sols on apprend l’art de penser, d’écrire & d’agir ».

{p. 195}Au reste, cette opinion répond à cette maxime voluptueuse que l’Auteur a choisse pour servir d’épigraphe à ses Observations :

… Vous êtes des plaisirs :
Il n’en est point qu’on doive exclure.

Volt. Temple du Goût.

Lettre à M. J.J. Rousseau au sujet de sa Lettre à M. Dalembert, par M. de Bastide, 1758.

Lettre à M. J.J. Rousseau, sur l’effet moral du Théatre, par M. de Ximenès, 1758.

Laval, Comédien, à M. J.J. Rousseau, 1758, in-8°, de 189 pages.

Dancourt, Arlequin de Berlin, à M. J.J. Rousseau, 1749, in-8°. de 225 pages.

Considérations sur l’art du Théatre, D***. à M. J.J. Rousseau, Citoyen de Geneve. 1759.

L’Auteur de ces Considérations est Dorval, qui étoit alors Comédien à Lyon, & dont le nom de famille est Villaret.

L’Auteur y soutient que les Théatres sont favorables aux mœurs, & avantageux à la Société ; que l’exercice de l’art dramatique, comme Auteur & comme Acteur, est honorable ; & doit être estimé par le bien qui en résulte.

{p. 196}M. de Marmontel rassembla dans les volumes du Mercure de Novembre & Décembre 1758, & Janvier 1759, tous les sophismes de l’Art Dramatique pour éluder les coups redoutables que M. J.J. Rousseau venoit de porter contre les Auteurs, les Acteurs & les Spectateurs Scéniques.

M. J.J. Rousseau ne s’est pas ému à l’occasion de toutes les Critiques de sa Lettre contre les Spectacles. Il les a considérées comme des débats d’ennemis terrassés, & irrités de ce qu’il avoit arraché à la Poésie dramatique le masque des vertus.

M. Huerne de la Mothe, Avocat au Parlement, fit imprimer en 1761, sur les Censures Ecclésiastiques prononcées contre les Comédiens, une Consultation dont il eut lieu de se repentir. Son Ouvrage a pour titre :

Libertés de la France contre le pouvoir arbitraire de l’excommunication. Paris, 1761.

Les Encyclopédistes se sont aussi ralliés pour défendre la cause des Théatres publics dans leur Dictionnaire aux mots Geneve, Comédien, &c. Et ils l’ont soutenue avec un zele digne {p. 197}de la Doctrine hétérodoxe qu’on leur a si souvent reprochée.

Enfin M. de Campigneulles s’est rangé sous leur drapeau ; & pour preuve de son adhésion à leurs principes en faveur des Théatres, il donna en 1758 au Public un Imprimé sous le titre de Réponse pour M. le Chevalier de ***, à la Lettre de M. Desprez de Boissy sur les Spectacles. Cette Réponse se trouve dans une Brochure intitulée, Essais sur divers sujets.

Mais on a vu Théologiens, Magistrats, Jurisconsultes, Académiciens, Philosophés, Rhéteurs, Poëtes dramatiques, & même un ancien & fameux Comédien, prendre avec zele les armes Littéraires ; & ils ont combattu tous ces Apologistes des Jeux scéniques, par des Ouvrages qu’on va indiquer dans leur ordre chronologique. Plus apud nos valeat vera ratio quàm vulgi opinio : Que la saine raison ait plus d’autorité sur notre esprit que les faux préjugés de la multitude.

Mandement de M. Bonnin de Chalucet, Evêque de Toulon, du 5 Mars 1702, contre les Spectacles.

{p. 198}Il y est ordonné aux Confesseurs, sous peine de suspense, de différer l’absolution aux Fideles qui, au mépris de son Mandement, auront assisté aux Spectacles.

Réflexions sur divers sujets de Morale, par Jean la Placette. Amsterdam, 1707.

On sçait que cet Auteur est célebre par ses Traités de Morale ; & qu’à cet égard on le regarde comme le Nicole des Protestans. Il démontre, dans les Chapitres XII & XIII de ses Réflexions sur l’usage du temps, combien les Spectacles sont pernicieux aux mœurs.

« L’un des plus justes, dit-il, & des plus raisonnables soins que nous puissions prendre, est celui de nous rendre maîtres de nos passions quelles qu’elles soient ; de les mortifier, les réprimer, de les étouffer même si nous le pouvons, & de nous mettre dans un tel état, que nous nous conduisions, non par ces mouvemens brutes & aveugles, mais par la vive lumiere de la raison ; c’est à quoi les Philosophes même du Paganisme exhortent le plus fortement {p. 199}leurs Lecteurs. Or il n’y a presque point de passion qui ne paroisse sur le Théatre, & qui n’y soit excitée. On y voit l’orgueil, l’ambition, la colere, le desir de la vengeance, la haine, la jalousie, & sur-tout l’amour. La Poésie dramatique ne s’occupe qu’à les farder, & qu’à accoutumer l’esprit à les regarder sans horreur … …. On y voit un certain esprit de coquetterie, très-éloigné non seulement des regles séveres du Christianisme, mais encore de celles de la vertu philosophique & payenne … …. Si le Théatre est purgé des anciennes grossieretés, il n’en est que plus dangereux. On y reçoit tout sans distinction, en sorte que les semences du mal qui y sont répandues, pénetrent jusques dans le fond de l’ame, & trouvent le moyen d’y germer, & d’y fructifier ».

Mandement de M. Esprit Fléchier, Evêque de Nîmes, du 8 Septembre 1708, contre les Spectacles.

« Nous voyons avec douleur, dit cet éloquent Prélat à ses Diocésains, l’affection & l’empressement {p. 200}que vous avez pour les Spectacles, que nous avons si souvent déclarés contraires à l’esprit du Christianisme, pernicieux aux bonnes mœurs, & féconds en mauvais exemples ; où, sous prétexte de représentations & de musiques innocentes par elles-mêmes, on excite les passions les plus dangereuses, & par des récits profanes & des manieres indécentes, on offense la vertu des uns, & l’on corrompt celle des autres … …. Cessez d’aller repaître vos yeux des agrémens affectés, & du pompeux ajustement de quelques femmes licencieuses, & de prêter l’oreille à la voix & aux récits passionnés de ces Sirenes dont parle Isaïe, qui habitent les temples de la volupté…. Evitez les pieges funestes que le Démon vous a tendus : ne fournissez pas à vos convoitises de quoi se soulever contre vous. Ecoutez la voix du Pasteur qui vous exhorte & vous sollicite, & qui aime mieux devoir votre obéissance à ses charitables conseils, qu’aux censures que l’Eglise lui a mises en main ».

{p. 201}De Theatro Oratio : Discours sur les Spectacles, prononcé le 13 Mars 1733 par le P. Porée.

Ce célebre Rhéteur y discute cette question : Si le Théatre peut être une Ecole capable de former les mœurs. L’Orateur étoit par état client de Melpomene & de Thalie qu’il avoit cultivées avec succès ; & il étoit chargé de les faire connoître aux jeunes gens qu’il avoit pour disciples : il ne traita pas la cause avec la gravité du Théologien, ni même du Philosophe ; mais il n’oublia pas qu’il étoit Citoyen, puisqu’on doit toujours l’être, cujus munia ubique servare decet, ni qu’il étoit Chrétien, parce qu’on ne doit jamais en oublier les devoirs, cujus officia nunquam licet deserere. Il prit donc le parti de démontrer que le Théatre par sa nature pourroit être une école capable de former les mœurs ; mais qu’il ne l’est point par notre faute : Theatrum Schola informandis moribus idonea naturâ suâ esse potest ; sed culpâ nostrâ non est. Cette cause est traitée avec tant d’art, par cet Orateur, qu’en sauvant l’honneur de Melpomene & de Thalie, il fait sentir {p. 202}que le mauvais goût des Spectateurs, la foiblesse que les Auteurs ont de s’y prêter, & la corruption des Acteurs feront toujours du Théatre l’école la plus pernicieuse. Et il est évident que s’il avoit eu à parler en Théologien, en Censeur ou en Philosophe, il auroit conclu, non pour la réforme, mais pour la destruction de nos Spectacles dramatiques. On peut en juger par cette derniere phrase de sa harangue : S’il est vrai, dit-il, qu’il faille tolérer des Théatres dans des Empires Chrétiens, rendez donc ces Spectacles dignes du Citoyen, de l’honnête homme & du Chrétien : Si quod in Republica Christiana habendum est Theatri Spectaculum, illud & bono cive & homine Christiano dignum habeamus. Ce que nous avons cité de ce Discours [p. 251 de nos Lett.] prouve que le P. Porée n’étoit pas le défenseur de nos Théatres.

Nous avons ci-dessus, page 127, indiqué un Ecrit, intitulé : Pensées sur les Spectacles. Nous les avons attribuées à M. Nicole ; c’est de notre part l’effet d’une distraction. Ces pensées qu’on a insérées dans les Œuvres de {p. 203}Nicole, sont du célebre Abbé Duguet, dont nous avons déjà eu occasion de parler90. Elles se trouvent dans le quatrieme Tome des Lettres de ce Sçavant, dont le Rocueil fut donné en 1733. Elles y ont pour titre :

Réponse aux questions proposées sur les Spectacles.

M. l’Abbé Duguet se trouvant chez une Personne de la Cour d’un grand rang, où il y avoit une Compagnie très-nombreuse ; on lui demanda ce qu’il pensoit des Spectacles. M. Duguet répondit à la question d’une maniere si satisfaisante, que la Compagnie ne voulut pas le laisser sortir, qu’il n’eût promis de mettre sur le papier tout ce qu’il venoit de dire sur cette matiere. Il promit ce qu’on exigeoit de lui ; & dès le lendemain, il envoya son écrit à la personne chez qui la conversation s’étoit tenue. M. Duguet dont le génie n’étoit étranger dans aucun genre de science & de littérature, avoit eu occasion, dès ses plus tendres années, d’éprouver combien il est dangereux de se livrer aux futiles fictions. Il n’avoit encore que douze {p. 204}ans, lorsqu’à la fin de sa Troisieme, se trouvant à la campagne chez son Pere, il tomba sur l’Astrée de M. Durfé : il en fut si affecté, qu’il résolut de composer une Histoire dans le même goût de ce qu’il avoit pu entendre dire des Familles de la Ville de Montbrison en Forez, sa Patrie91. Le projet fut exécuté avec un tel succès, qu’on excita le jeune homme à s’en faire un mérite auprès de sa Mere, à qui il en fit la lecture. Mais plus le talent s’y faisoit admirer, plus {p. 205}cette Mere respectable en fut assigée ; & elle lui dit : Vous seriez bien malheureux, mon Fils, si vous faisiez un si mauvais usage des talens que Dieu vous a donnés. Le jeune Auteur écouta cet avis, en profita sans murmurer ; & par une docilité admirable dans un âge aussi tendre, & dans une circonstance où l’amour propre est ordinairement plus écouté que le langage de la vertu, il jetta son Ecrit au feu, & renonça à toute lecture de Romans. Cette anecdote qui est rapportée dans l’Histoire de sa vie, doit contribuer à donner encore plus de poids à sa réponse aux questions qui lui furent faites sur les Spectacles.

Ce qui rendit sa décision si imposante aux personnes qui l’avoient écouté, c’est qu’il la fit naître des grands principes de morale qui doivent fixer notre conduite dans les conjonctures où l’on se trouve en opposition avec le plus grand nombre. Cette considération nous détermine à exposer ici le raisonnement de ce grand homme dont l’érudition étoit si agréable.

« Le grand écueil de tous les hommes, & sur-tout des jeunes personnes, {p. 206}est de vouloir éprouver si ce qu’on leur représente comme dangereux, l’est autant qu’on le dit : ils croient qu’ils jugeront mieux de tout par leur propre essai, que par la lumiere d’autrui, ou par la simple défense de la Loi : ils esperent qu’il y aura une exception pour eux, & qu’ils auront assez de discernement & de force pour découvrir le piege où tombent les autres, & pour l’éviter.

« Ils ignorent que c’est ainsi que le péché est entré dans le monde, & que les hommes ne meurent que parce que la premiere Femme aima mieux éprouver si elle mourroit en désobéissant, que d’obéir & de vivre. Ils ne sçavent pas que cette sorte de curiosité est déjà un grand mal ; & que c’est être tombé aux yeux de Dieu, que de se laisser affoiblir par la tentation, de juger de ses Commandemens par sa propre expérience ; enfin ils ont oublié que l’épreuve du bien & du mal n’apprend à connoître l’un, que parce qu’on l’a perdu, & l’autre, parce qu’on y est condamné.

« Comme la Loi de Dieu est juste & sainte, on ne doute de sa justice, que parce qu’on est dans les ténebres ; {p. 207}& on ne s’expose jamais à la violer pour en faire l’épreuve, qu’en méritant de tomber dans des ténebres infiniment plus grandes.

« Aussi de tels essais ne sont jamais impunis ; car ou ils affoiblissent, ce qui leur est ordinaire, ou ils rendent présomptueux, ce qui est un mal sans comparaison plus grand. Souvent même ils font l’un & l’autre, à l’égard d’une même personne qui revient des Spectacles avec moins de force & plus d’orgueil, & qui n’est présomptueuse que parce qu’elle a mérité de ne pas connoître ce qu’elle vient de perdre ; car c’est une maxime certaine, que l’orgueil est toujours dans la même proportion que la misere, & que rien ne marque plus une entiere foiblesse qu’une grande présomption.

« Il y a plus d’espérance pour les personnes qui sont touchées des Spectacles, mais dont l’esprit n’est pas séduit ; qui sont foibles, mais qui l’avouent : les autres sont plus à plaindre, parce qu’elles ont autant de foiblesse sans avoir autant de lumiere, & qu’elles justifient ce {p. 208}que les autres voient bien qu’il faut condamner.

« Car il ne s’agit pas de dire qu’on est revenu du Spectacle comme on y étoit allé. Les pertes qu’on y fait sont d’un ordre bien différent de celles qui touchent les sens ; il faut n’avoir pas tout perdu, & jusqu’à la lumiere, pour pouvoir marquer ce qu’on a perdu. Le mal seroit moins grand s’il avertissoit. Il a tout son effet sans être apperçu ; & comme on n’est point instruit de ce qui est essentiel à la droiture & à l’innocence du cœur, on ne sçait point aussi jusqu’où il s’affoiblit & se corrompt.

« Entre les jeunes personnes qui courent aux Spectacles, y en a-t-il qui connoissent en quoi consiste la vraie vertu ? Est-ce la connoître, que d’aimer à s’amuser des images des maladies de l’ame, telles que l’ambition, la fierté, le desir de la vengeance, l’amour ? On ne va aux Spectacles que pour y éprouver le sentiment des passions. Or n’est-ce point le comble de la misere que de ne pouvoir trouver de {p. 209}plaisir que dans ses propres maux, de récompenser ceux qui les sçavent entretenir & les rendre incurables, au lieu de penser à les guérir ?

« Si l’on haïssoit sa propre injustice, on auroit horreur de tout ce qui la représente, & l’on regarderoit comme ses ennemis tous ceux qui s’efforcent de nous la faire paroître aimable ; mais on ne veut point guérir, & l’on veut néanmoins sentir de la joie ; il faut donc que ce soit en devenant frénétique & en riant de ses propres maux.

« Les Spectacles sont cette frénésie réduite en art ; & il n’y a pas de moyen plus sûr pour convertir en plaisir nos maladies, en nous renversant la raison ; car tout ce qu’on y voit, tout ce qu’on y entend, ne s’adresse qu’aux sens & à la cupidité. Les maximes établies avec plus de soin, sont celles qui sont les plus conformes aux passions, & par conséquent les plus fausses ; & si le vice y est quelquefois condamné, c’est pour en justifier quelqu’autre plus éclatant & plus dangereux.

« On perd aussi par degrés le discernement {p. 210}du juste & de l’injuste ; on accoutume son cœur à tout ; on lui apprend en secret à ne rougir de rien ; on le dispose à ne pas condamner à son égard des sentimens qu’il a excusés, & peut-être loués dans les autres ; enfin on ne voit plus rien de honteux dans les passions dont on craignoit autrefois jusqu’au nom, parce qu’elles ont toujours été déguisées sur le Théatre, embellies par l’art, justifiées par l’esprit du Poëte, & qu’elles ont été unies à dessein avec les vertus & le mérite dans des personnes que la Scene nous représente comme des Héros.

« Il n’y a rien de plus dangereux quand il s’agit des mœurs, que de voir ce qu’on ne veut pas être. Il est vrai que peu de personnes connoissent le danger des passions, dont on n’est ému, que parce qu’on est le spectateur ; mais elles ne causent guere moins de désordre que les autres ; & elles sont encore en cela plus dangereuses, que le plaisir qu’elles causent n’est point mêlé de ces peines & de ces chagrins qui {p. 211}suivent les autres passions, & qui servent quelquefois à en corriger ; car ce qu’on voit dans autrui, touche assez pour faire plaisir, & ne le fait pas assez pour tourmenter. C’est en cela qu’est l’artifice du Théatre, & c’est aussi en cela que consiste l’illusion & le danger : car on ne se défie pas de l’amour ni de l’ambition : quand on n’en fait que sentir les mouvemens sans en éprouver les inquiétudes ; & cela arrive toujours quand on n’en voit que l’image : mais l’image ne peut plaire sans remuer le cœur, & ce mouvement qui l’amollit & le corrompt, a d’autant plus d’effet, qu’il est plus doux, & qu’il avertit moins. … … … … …

« Il est vrai qu’on s’ennuie quelquefois aux Spectacles ; mais on n’en est pas moins coupable ; & rien ne fait mieux voir au contraire combien on est injuste de chercher de la satisfaction dans des choses que le cœur trouve insipides malgré la corruption, & de n’être pas averti par son dégoût, qu’il-est destiné à un plus grand objet. Ceux même {p. 212}qui sont les plus passionnés pour les Spectacles, en sentent bien le vuide & le faux, s’ils ont de l’esprit ; comme ceux qui aiment le monde en connoissent bien l’injustice & la malignité, s’ils profitent de l’expérience ; mais le cœur des uns & des autres n’en est que plus corrompu d’aimer ce qu’ils sentent bien n’être pas aimable.

« Il est vrai aussi que toutes les personnes qui vont aux Spectacles, n’y sont pas également blessées ; mais c’est la louange de la grace de Jesus-Christ, & non la justification des Spectacles. La miséricorde de Dieu est encore plus infinie que la témérité & l’aveuglement des hommes. Il arrête la cupidité de quelques-uns, lors même qu’ils s’y abandonnent ; & dans ceux qu’il punit selon la rigueur de sa justice, la passion qui occupe plus souvent le Théatre, je veux dire l’amour, n’est pas toujours le châtiment qui leur est préparé. Il y a un certain ordre dans la dispensation même des ténebres inconnu aux hommes ; & c’est ce qui doit faire trembler ceux {p. 213}qui croient que tout le danger de la Comédie n’est que d’un certain côté, & qu’ils l’ont évité, si à cet égard ils ne sont point affoiblis : il y a plus d’une passion, & par conséquent plus d’un châtiment ».

Le Danger des Spectacles. Ode de M. Arcere, qui remporta le prix de Poésie en l’année 1748, à l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse. On la trouvera à la fin de ce vol.

Triumpho Sagrado de la concientia ; c’est-à-dire, le Triomphe sacré de la conscience, par D. Ramire. A Salamanque, 1751. 1 vol. in-4°.

Le P. Berthier étoit surpris de ce qu’on n’avoit pas traduit en François cet excellent Ouvrage Espagnol. C’est pour y suppléer, que cet estimable Journaliste en donna dans le Journal de Trévoux du mois d’Avril 1753, un ample Extrait terminé par une anecdote qui fait l’éloge le plus complet du Livre de D. Ramire. On a cru devoir donner ici une partie de cet Extrait.

Ce Traité de D. Ramire est une réponse à trois questions qui font tout {p. 214}le plan de son Ouvrage. 1°. Dans le Spectacle dramatique, qu’y a-t-il en soi de licite ? 2°. Peut-on l’autoriser ? Quelle confiance peut-on prendre dans les sophismes des Apologistes des Théatres ?

Pour prouver que les Jeux scéniques ne sont pas aussi innocens que le prétendent leurs défenseurs, Dom Ramire remonte à leur origine : ce qu’il en dit est trop connu pour nous y arrêter. Passons aux accidens qui en sont le vice & le crime.

1°. Le concours des assistans. Ce ne sont pas les sages qui y sont la foule, c’est tout ce qu’il y a de plus vain, de plus frivole, de plus oisif, de plus libre dans les deux sexes. Est-ce là une assemblée où l’on puisse se confondre sans scrupule & sans péril ? N’est-ce pas plutôt un Théatre où la vanité & la galanterie étalent le luxe des modes profanes, & déploient les ressorts de la coquetterie mondaine ? Point de riche taille, point de jeunes attraits, qui n’y viennent mesurer ou montrer leurs avantages avec une complaisance de mauvais augure.

2°. Les Acteurs & les Actrices. {p. 215}Leur vertu n’est rien moins que rigide. Leur parure n’est guere plus honnête que leur intention. Leur air n’annonce que trop leur caractere & leur profession.

3°. Le sujet. C’est toujours quelque intrigue galante ou honteuse. Tout y tend à la séduction ; messages secrets, billets furtifs, présens, &c. rien n’est oublié pour tromper la vigilance des époux, des meres & des domestiques.

4°. La représentation. Sur la Scene on ne parle que de prison, de chaînes, de captivité ; on ne vit que de soupirs & de larmes ; le soleil, les astres, les fleurs les plus brillantes fournissent à peine des métaphores assez nobles ; on divinise son objet pour l’adorer ; on encense ses autels, & on s’immole dans son temple. Envie, jalousie, soupçons, haine, vengeance, dépit, rage, fureur, désespoir, &c. En un mot, toutes les passions s’emparent du Théatre. Pour se peindre, elles empruntent des couleurs allégoriques ; à l’ombre des allusions ingénieuses, sous le voile des équivoques fines, elles exhalent une contagion {p. 216}pestilente, elles canonisent jusqu’à leurs désordres. Venena non dantur, nisi melle circumlita, & vitia non decipiunt nisi sub specie umbraque virtutum, dit S. Jérôme.

D. Ramire peint & déplore ces scandales, & leurs ravages avec les couleurs & les larmes de tous les SS. Peres : son zele, comme le leur, se fonde sur l’Ecriture, qui nous ordonne de fermer les yeux dès qu’une femme folâtre paroît, de peur de tomber dans ses filets ; & qui nous avertit que les artifices d’une Actrice ou d’une Danseuse sont encore plus puissans pour nous perdre92. D. Ramire, après avoir prouvé sa these, se propose des objections, & les résout. La premiere avec sa solution est tirée de S. Chrisostôme.

Les partisans des Spectacles disoient à ce Pere : nous y assistons, sans en recevoir aucune impression : spectamus quidem, sed nil movemur. Ah ! reprenoit le saint Docteur, vous croyez-vous {p. 217}donc invulnérable, Et tu putas non posse lædi ? Etes-vous donc un rocher, Numquid lapideus es ? Quoi ! les grottes de la Thébaïde n’ont pas toujours été pour l’innocence, des asyles inviolables ; & vous, au sein de la jouissance théatrale, vous seriez inaccessible à la tentation, ou impénétrable à cette vapeur empoisonnée qui s’exhale de la Scene ?

Mais ce n’est pas à mauvaise intention qu’on va aux Spectacles : on n’y cherche qu’une honnête récréation. Pour montrer la fausseté de cette excuse, D. Ramire se sert des moyens & des raisons les plus sensibles. Retranchons, dit-il, du Spectacle tout ce qui en fait le péril, aura-t-il alors les mêmes charmes pour récréer ? Si les Dames n’y trouvoient que des Acteurs & des Spectateurs de leur sexe, auroient-elles le même empressement à s’y rendre93, &c ? Pour ne prendre qu’un honnête délassement à {p. 218}une scene dont le jeu réunit tant d’objets si capables de faire des impressions contraires à l’honnêteté, quelle violence ne faut-il pas faire à ses sens & à son imagination ! Quel plaisir peut-on donc trouver à se contraindre si fortement !

On a beau dire qu’on en sort sans blessure : on ne le persuadera jamais à S. Jérôme, qui proteste qu’il n’ajoute point foi à quiconque se vante de n’avoir point été blessé de ces Spectacles : Se nulli credere viro, si dicat se illæsum evasisse à Spectaculis talium. Dès qu’il s’agit, dit S. Cyprien, de perdre quelque chose des intérêts & des plaisirs du siecle, quelqu’ignorant qu’on soit, on est toujours assez habile à trouver des raisons & des argumens pour s’en défendre : quàm sapiens argumentatrix ignorantia humana, cùm aliquid ejusmodi de gaudiis & fructibus sæculi meruit amittere. Tertullien va plus loin : quelque gracieux, dit-il, quelques simples, quelqu’honnêtes que paroissent ces accords, ces jeux de Théatre, les impressions agréables qui en dérivent ne sont que les {p. 219}gouttes d’un miel qui coule d’une liqueur empoisonnée94.

Nous ne croyons pas que la plupart des Chrétiens assidus aux Spectacles, puissent lire sans se sentir troublés & alarmés, tout ce qu’un zele éclairé & véhément dicte à notre Auteur Espagnol contre leur fausse sécurité. L’Ecriture & les Peres lui fournissent toujours ses couleurs les plus vives, & ses traits les plus pathétiques : il emprunte jusqu’au langage des Payens, pour faire sentir le danger aux Chrétiens qui s’y exposent. Le Théatre, leur dit-il, est un champ perfide ; pour être douces, les blessures qu’on y reçoit, n’en sont pas moins meurtrieres, pernicies delicata, &c. La vue en eût-elle été innocente ; le souvenir ne le sera pas. Quel désordre ne porte pas dans une ville l’arrivée & le séjour d’une troupe de Comédiens ! On en trouve ici de vives peintures tracées d’après les plus graves Auteurs. On ne revient point du Spectacle comme on y étoit allé : {p. 220}l’innocence n’en sort point sans tache, ni le vice sans crime : quos attulisti mores, nunquam referes95, &c.

Après avoir fait éclater son zele en Orateur Chrétien, notre Auteur reprend le ton d’un profond Moraliste, & examine encore de plus près la nature des Spectacles : il recueille sur cette matiere les définitions des Docteurs les moins accusés de rigorisme ; & il en conclut que, si l’on ouvroit une école, dont l’affiche annonçât les leçons qu’on donne & qu’on prend au Théatre, tous les Magistrats, & tous les Citoyens jaloux des mœurs publics, s’uniroient pour la fermer, & pour en proscrire les maîtres pernicieux. L’Evangile & le Théatre opposés, leurs maximes contraires forment ici un contraste frappant, dont l’Auteur profite pour rappeller aux Chrétiens la sainteté de leur profession, & sur-tout l’obligation où sont les peres & meres d’instruire leurs enfans dans la foi, de les former à la piété, de veiller sur leur innocence, & d’en écarter tout ce qui peut la {p. 221}séduire & la corrompre, soit en affoiblissant les attraits vertueux par le ridicule qu’on y attache, soit en fortifiant les penchans vicieux par l’honneur qu’on en tire. Conduire ses fils & ses filles aux Spectacles, c’est les conduire aux autels des Démons, & les y immoler : immolaverunt filios suos & filias suas dæmoniis.

Les défenseurs des Spectacles opposent à leurs adversaires l’autorité de S. Thomas, & de quelques autres Docteurs très-respectables : c’est-là le plus fort de leurs retranchemens. D. Ramire le renverse sans peine ; & il y trouve des armes, dont il se sert contre ses ennemis, avec le plus grand avantage. En effet, ces Docteurs n’ont jamais permis que des amusemens où la pudeur & la décence chrétienne ne peuvent rien appercevoir qui les alarme : ils ont anathématisé tout Théatre, toute assemblée qui pourroit donner la plus légere atteinte aux bonnes mœurs. Leurs textes, qu’on nous rapporte, sont si formels, qu’on ne conçoit pas comment on ose les citer en faveur des Spectacles. Ils n’approuvent donc l’Art dramatique {p. 222}dans son essence, que pour le réprouver dans ses productions.

Ici l’Auteur reprend de nouvelles forces ; il se met à la tête d’une légion innombrable de Docteurs ; il s’arme de canons & de loix ; de Décrets pontificaux, & d’Edits impériaux ; il s’en sert pour foudroyer les partisans des Spectacles. A la vue de tant de décisions, de censures & d’anathèmes contre les Théatres, on ne peut s’empêcher de gémir sur l’endurcissement ou l’aveuglement des Chrétiens qui les fréquentent.

Pour rendre ces autorités aussi efficaces que convaincantes, D. Ramire y joint encore de ces grands traits d’éloquence qui ont signalé le zele des Basile & des Chrysostôme. C’est, nous disent-ils, c’est du Théatre que la volupté assiege tous les sens du corps & toutes les facultés de l’ame. Delà, elle souffle la licence parmi la jeunesse ; elle réveille l’impudicité dans la vieillesse ; elle jette le trouble dans les maisons ; elle seme l’opprobre dans les familles. Delà tant de séduction, d’adulteres, de divorses, de brigandages, de larcins, de dépenses ruineuses, &c.

{p. 223}Mais après tout, dit-on, si le désordre & le scandale étoient aussi énormes que D. Ramire le prétend, comment les tolere-t-on ? Comment ont-ils passé en coutume ? Comment des Ecclésiastiques osent-ils y paroître ? A cela il répond, 1°. que ces Ecclésiastiques en sont plus coupables, & que les Spectacles n’en sont pas plus innocens. Il ne craint point d’avancer que ces Abbés qui suivent les Spectacles, n’ont pas les vertus que leur état exige. 2°. Quant à la tolérance, il avertit qu’elle ne rend pas licite la chose tolérée ; qu’elle n’ôte pas aux raisons tirées de la regle des mœurs & de l’Evangile, la force qu’on ne peut y méconnoître, quand on est de bonne foi. 3°. Pour la coutume, il dit que dans le monde elle prévaut souvent sur les préceptes de Jesus-Christ, & que c’est ce qui en fait une excuse si foible & si peu recevable. Toute cette Doctrine est ici solidement & formellement appuyée sur l’autorité des Peres, des Docteurs & des Conciles.

Mais n’est-ce pas aux vices que le Théatre fait la guerre ? On répond {p. 224}que les Comédiens n’en sont pas assez exempts pour les corriger. Ce n’est pas de pareils organes qui doivent nous prêcher la justice. Jamais ils n’ont converti personne ; combien en ont-ils perverti ? Dans les sujets les plus édifians ; dans les scenes les plus religieuses, le Pécheur s’attendrit sans se repentir ; on sent le plaisir de la compassion, sans sentir l’amertume de la componction ; ce n’est pas une pluie qui tombe du Ciel, c’est une rosée qui s’éleve sur la terre ; elle ne nourrit que des feuilles maudites ; à l’ombre de l’arbre qu’elle rafraîchit le vice s’engraisse, & la vertu se desseche.

Sans nous arrêter avec D. Ramire, à détruire les autres prétextes qu’emploient les partisans des Spectacles : passons à la seconde question : Peut-on autoriser les Théatres ? On peut aisément deviner la réponse qu’y fait notre Auteur : des principes qu’il vient de nous exposer, il conclut qu’on ne peut ni permettre ni favoriser aucun Spectacle indécent ; qu’aucune raison de bien, même plus grand, ne peut l’autoriser ; & qu’on est obligé {p. 225}de s’y opposer de tout son pouvoir : en un mot, D. Ramire met les Spectacles au rang des poisons dont on doit empêcher le débit. Pour persuader le Lecteur, son zele joint toujours à ses exhortations la même abondance de Doctrine.

L’Auteur entre dans la troisieme question par une exposition de la doctrine qu’on lui oppose ; sçavoir, 1°. que dans le Christianisme ces jeux scéniques sont un plaisir indifférent, où les simples ne risquent rien, les sages gagnent, & les fous sont les seuls à perdre. 2°. Qu’ils sont nécessaires comme un remede contre l’oisiveté de la jeunesse, & ses dangers. Des principes si relâchés forment une trop foible défense pour résister à la force des raisons & des grandes maximes que leur oppose D. Ramire ; il y ajoute une réflexion dont la vérité & la simplicité doit frapper ses adversaires : c’est qu’en plaidant pour les Spectacles, ils en montrent le danger ; leur langage favorise trop les passions pour ne pas trahir leur cause : le Spectacle est pour la jeunesse ce qu’est un peu d’eau pour un brasier {p. 226}ardent ; elle ne suspend d’abord l’activité du feu que pour la rendre bientôt plus vive.

Mais enfin, dit-on, les Peres n’ont éclaté avec tant de force contre les Spectacles, qu’à cause de l’idolâtrie & de l’obscénité qui régnoient alors sur le Théatre : or, entre ces Spectacles & les nôtres, il y a autant d’opposition qu’entre le jour & la nuit. Simos Drames, replique D. Ramire, étoient aussi dévots que les méditations de S. Bernard, ou aussi apostoliques que les Sermons de S. Vincent Ferrier, on n’en parleroit pas plus avantageusement. Ensuite il prouve que la plupart des anciens anathèmes lancés contre les Spectacles, portent sur des raisons communes & transcendantes, qui sont que tout Drame est une occasion de chûte, & une école de libertinage, & il soutient avec Lactance, que l’élégance & la politesse qui regnent aujourd’hui sur les Théatres, ne font que rendre plus aigus & plus pénétrans les traits qu’on y enfonce dans l’ame des Spectateurs.

Enfin, dit le P. Berthier, en terminant cet Extrait, on nous assure que {p. 227}cet Ouvrage de Dom Ramire a suffi pour engager les Magistrats de Burgos à abattre le beau Théatre de leur Ville, qui avoit coûté vingt mille ducats.

Frat. Danielis Concina, Ordinis Prædicatorum collectio Dissertationum de Spectaculis, 1752.

Ce fut le Pape Benoît XIV qui engagea ce Religieux à composer cet Ouvrage.

Veri sentimenti di San Carlo Borromeo intorno al Teatro tratti dalle sue Lettere ; in Roma, 1753.

S. Caroli Borromæi Archiepiscopi Mediolanensis Opusculum de Choreis & Spectaculis in festis diebus non exhibendis. Accedit Collectio selectarum Sententiarum ejusdem adversùs Choreas & Spectacula ex ejus Statutis, Edictis, Institutionibus, Homiliis. Romæ, 1753.

Consultazione Theologico-Morale se chi interviene per necessita ai Teatri publici vi possa intervenire legitamente ; in Roma, 1754.

Lo Specchio del disinganno, autore Zucchino Stefani.

Ce Traité de morale, dit M. l’Abbé {p. 228}Richard96, dévoile avec une hardiesse étonnante tous les dangers des Spectacles pour les mœurs. On y condamne les plaisirs qui sont en usage à Rome dans le temps du Carnaval, de même que les Festini & les Villégiatures, & les autres passe-temps scandaleux de la Noblesse & du Peuple de Rome.

Veri sentimenti di S. Francesco di Sales Vescovo di Genevra intorno al Teatro ; in Roma, 1755.

Veri sentimenti di S. Philippo Neri intorno al Teatro ; in Roma, 1755.

Ces sept derniers Ouvrages imprimés à Rome, prouvent 1°. Que c’est sans fondement, comme nous l’avons dit, [pages 171-179 de nos Lett.] qu’on s’autorise de S. Charles Borromée & de S. François de Sales, pour justifier les Théatres publics. 2°. Que si des personnages illustres par leur piété & par leur Doctrine, & même canonisés par l’Eglise, ont paru être moins séveres sur quelques abus, ils ont à cet égard plus besoin d’excuse {p. 229}que d’apologie ; ce sont des fautes qui auront été couvertes par l’abondance de leur charité, nævus quem tegebant ubera caritatis. On sçait, dit Benoît XIV, que la canonisation, en établissant le culte des Saints, n’ôte pas la liberté de condamner avec la prudence convenable, ce qui leur seroit échappé de repréhensible. Servi Dei Doctrina debitâ cum reverentiâ potest citrà ullam temeritatis notam impugnari, si modesta impugnatio bonis rationibus innixasit, etiam postquam Dei servus qui scripsit inter Beatos aut Sanctos fuerit relatus… ab humano quidem exemptus est judicio, ne de gloriâ ejus dubitemus, sed non ut minus de ejus dictis disputemus97.

3°. Enfin, ces Ecrits manifestent qu’on connoît à Rome les dangers des Spectacles, & que ces sortes de divertissemens y sont condamnés in foro conscientiæ, quoique, par considération pour la tranquillité publique & propter duritiam cordis, on les tolere dans un temps de l’année, minoribus id {p. 230}quod majus est ementes quietem & securitatem, comme on l’a ci-devant dit page 166.

La Description de l’Italie, que M. l’Abbé Richard a donnée au Public en 1766, & celle qui a paru en 176998, font connoître « que le Peuple de Rome a un goût outré pour tout ce qui est divertissement & Spectacles ». C’est une maladie qui dans cette ville, a ses accès périodiques ; & dans certains temps de l’année, comme dans le Carnaval, c’est une frénésie épidémique.

On a vu les souverains Pontifes prendre souvent des moyens pour diminuer les scandales des divertissemens publics ; & leur conduite à cet égard a varié suivant leur maniere de spéculer en politique. Les uns avec les mêmes intentions ont alternativement rétabli ce que d’autres avoient hazardé de supprimer. En voici une preuve.

{p. 231}« Clément XIII avoit fait fermer le Théatre Aliberti, & il avoit supprimé les Festini, ou assemblées de danses, qui étoient de coutume parmi la Noblesse, les veillées de la place Navonne, & même le Carnaval en 176799 ». Clément XIV crut devoir en tolérer le rétablissement, pour contenter un peuple à qui il ne faut que du pain & des spectacles, panem & circenses. On n’auroit pas rendu justice aux lumieres & aux éminentes qualités de ce souverain Pontife, si l’on n’avoit pas attribué à des vues qu’il croyoit être de prudence les irrégularités morales que son gouvernement civil pouvoit présenter sur quelques objets. L’avantage qu’on prétend pouvoir tirer de ces irrégularités, est souvent cause qu’on s’empresse à les faire annoncer dans les Gazettes, quelquefois infidelement, & presque toujours sans en exposer les motifs & les circonstances qui en diminueroient les mauvaises impressions : mais les gens instruits & bien intentionnés sçavent y suppléer.

{p. 232}La Gazette d’Amsterdam, par exemple, Tam dicti pravique tenax quàm nuntia veri, annonça le 23 Février 1735, que le Pape, à la sollicitation de M. le Duc de Saint Agnan, Ambassadeur du Roi de France à Rome, venoit d’accorder un Bref qui relevoit de toutes censures Ecclésiastiques les Acteurs de la Comédie & de l’Opéra, leur permettant l’usage des Sacremens.

Ce fait est une imposture qu’on attribua avec raison aux ennemis de la Communion Romaine. Ils auroient en effet souhaité avoir à reprocher au souverain Pontife un Bref aussi scandaleux, qui d’ailleurs n’auroit pu prescrire contre les bonnes regles.

« Les Communions dissidentes de la Romaine, dit M. Groslei, Académicien, libre de l’Académie Royale des Inscriptions & Belles-Lettres, &c. s’épuisent en clameurs contre la tolérance des Papes à l’égard des Spectacles & des Théatres. Elles opposent avec complaisance Geneve à Rome : mais l’oisiveté du Peuple & des Grands de Rome détruit cette comparaison. Rome moderne, {p. 233}Rome Chrétienne a conservé tous les goûts de Rome Payenne ; & le Roi-Pontife auquel elle est aujourd’hui soumise, ne peut ne pas tolérer ce que ne purent déraciner les Constantin, les Théodose100 ».

Dès le temps du célebre Laurent de Médicis, surnommé le Grand, & le Pere des Lettres, mort en 1492, à 44 ans, Rome étoit si décriée par la corruption des mœurs, qu’il l’appelloit un égoût de tous les vices. Cette expression se trouve dans une Lettre101, qu’il écrivit à son jeune fils Jean, qui fut depuis le Pape Léon X. Il y donne à ce jeune Prince les meilleurs conseils pour le préserver des écueils, auxquels le séjour qu’il alloit faire à Rome exposeroit ses mœurs.

Est-ce donc bien justifier les Théatres, {p. 234}que de nous citer pour exemple ceux de Rome ? Leur établissement y a été comme par-tout ailleurs le fruit de la corruption ; & à proportion de la fureur avec laquelle on s’y est livré, ils ont donné lieu à de nouveaux désordres. Les tempéramens mêmes dont on a prétendu user pour les concilier avec les bonnes mœurs ; sont d’autres scandales. Tel est dans la plus grande partie de l’Italie l’usage de faire représenter par des femmes les rôles d’hommes. Tel est à Rome l’usage de faire jouer les rôles de femmes par des hommes dégradés par une opération inhumaine, qu’un Empereur Payen, & lequel ! un Domitien avoit défendue sous les plus grandes peines102.

M. l’Abbé Coyer parle de cet abus dans son Voyage d’Italie, imprimé en 1775, en 2 volumes in-12 ; ouvrage très-superficiel. Voici l’idée que {p. 235}M. Fréron en a donnée103. « Cette Relation, dit-il, est distribuée en forme de Lettres adressées à une Dame que M. l’Abbé Coyer appelle Aspasie ; c’est le nom que nos galans Philosophes donnent volontiers à leurs Iris. On n’y reconnoît pas un Montesquieu qui a voyagé en faisant des observations bien profondes, bien suivies & bien philosophiques.

« C’est un Ecrivain qui n’a fait que répétailler ce que tant de Voyageurs nous ont déjà dit mille fois sur l’Italie. Il y entretient le Public de circonstances puériles, en donnant un ton d’importance à des minuties. C’est une nymphe svelte & légere, une Camille qui vole plutôt qu’elle ne marche, qui rend compte de ses petites sensations, qui donne à tout un coup-d’œil superficiel, & fait rapidement quelques remarques analogues à la mobilité de son esprit, de ses goûts & de son caractere ».

M. Fréron auroit eu lieu d’ajouter {p. 236}que cette production est scandaleuse à plusieurs égards. Nous citerons pour exemple ce qui y est dit sur l’abus qu’on reproche aux Théatres de Rome.

M. l’Abbé Coyer n’en parle pas en Moraliste sage, mais en voluptueux qui regrette la privation des charmes séducteurs des Actrices. « La sévérité Papale, dit-il, ne permet pas au sexe d’amuser le Public au Théatre par les talens & les graces que la nature lui a donnés ; mais elle laisse outrager la nature, en la mutilant pour créer des voix qui sont contre nature. Et néanmoins, avec cette sévérité, la Religion n’y est pas en contradiction avec le Gouvernement, qui soutient, qui pensionne les Théatres. Les Spectacles inquietent si peu les consciences Italiennes, que ceux qui sont chargés par état d’édifier le Public, les fréquentent sans scrupule & sans scandale ».

Il n’est pas douteux que M. l’Abbé Coyer aura rencontré à Rome, comme ailleurs, des Ecclésiastiques qui n’appartiennent au Clergé que par l’habit & les Bénéfices, & non par les mœurs & leur piété.

{p. 237}M. Groslei a vu les mêmes scandales ; mais en Observateur judicieux & éclairé il a reconnu qu’ils étoient réprouvés par les bonnes regles. « Il soutient que de tout ce qu’il a observé & recueilli, il ne résulte rien qui puisse justifier les injustes préjugés répandus dans certains Pays contre la régularité de mœurs & de conduite qui honore la très grande partie du Sacré College & de la haute Prélature.

« Les Evêques en Italie, dit M. le Marquis de Caraccioli104, sont généralement aussi humbles que sçavans, aussi charitables que zélés. Ils résident exactement, & ils vivent cordialement avec leurs Curés ; car il ne faut pas les confondre avec ces Monsignori, connus dans Rome sous le nom de Prélats, & qui souvent n’étant pas même dans les Ordres, remplissent des postes que les Laïques pourroient occuper ».

Soyons également assurés qu’on ne croit pas à Rome que la haute naissance {p. 238}& la jeunesse soient des titres qui dispensent de la régularité ceux qui ont embrassé l’Etat Ecclésiastique. Nous avons eu en preuve sous les yeux l’exemple de M. le Prince Pamphili Doria, Archevêque de Séleucie, qui n’étant pas encore âgé de cinq lustres, mérita d’être chargé en 1773 de la Nonciature de France. Cet illustre Ambassadeur jouissoit de l’estime & de l’amitié de Clément XIV qui disoit105 : « L’aimer de toute la plénitude de son cœur, comme un Prélat qui sera un jour la joie & l’honneur de l’Eglise ».

On ne tarda pas en France à admirer ses rares & grandes qualités relevées par un caractere de douceur & d’affabilité ; mais ce qui surprit le plus une Nation si ardente pour les plaisirs, ce fut de voir un Prélat aussi jeune, jaloux de conserver ses vertus, attentif à éviter les écueils connus, constant à refuser de se prêter à des usages qui ne peuvent se concilier avec des mœurs canoniques.

{p. 239}On a déjà observé qu’on n’ignoroit pas qu’il y a eu quelques Ministres Ecclésiastiques du premier Ordre, qui ont eu la foiblesse, non seulement de ne pas élever la voix contre les scandales des Théatres publics, mais encore de paroître les tolérer.

Il y a quelques années qu’on en fit l’observation dans un Ecrit périodique106, où l’on releva les principes dangereux que contenoit un Edit qu’un Prélat, Gouverneur de Rome, venoit de donner pour la réforme des abus des Théatres : Editto soprà gli abusi de’ Teatri.

Au reste, ces écarts éclatans donnent souvent lieu à des actes de zele, qui rappellent les bonnes regles.

Nous en avons rapporté un exemple ci-dessus, page 166. En voici un autre qui n’est pas ancien, & qui par ses circonstances, mérite d’avoir ici sa place. Il est tiré du même Ecrit périodique qu’on vient de citer107.

{p. 240}M. Paul Caisotti, Evêque d’Asti, dans le Piémont, entreprit dès le commencement de son épiscopat, d’attaquer vivement tous les faux préjugés des partisans des Spectacles. Il ordonna à tous les Prédicateurs de son Diocese de seconder son zele ; & lui-même, dans les Catéchismes & instructions qu’il fait avec la plus grande édification dans sa Cathédrale, il ne cesse d’exposer sur cet objet les principes qui ont toujours fait proscrire les Théatres, comme une école du vice.

Un Seigneur de la Ville osa publier un Ecrit en faveur des Spectacles. M. l’Evêque d’Asti ne s’est point laissé ébranler par toutes les contradictions qu’il essuyoit ; & sa fermeté n’a pas été sans succès.

Un Seigneur de la même Ville, M. le Comte de Bestagno, long-temps sourd aux remontrances de son Evêque, louoit un Théatre qu’il avoit fait construire dans une de ses maisons. Il eut le malheur d’avoir les deux jambes brisées sous les roues de son carrosse. Réduit à l’extrémité par les suites de cet accident, il reconnut {p. 241}enfin avec beaucoup de larmes la vérité qu’il n’avoit pas voulu voir jusqu’alors.

Par son testament du 6 Octobre 1767, il ordonna à son héritier de détruire ce Théatre, aussi-tôt que le bail passé avec le Directeur de l’Opéra seroit fini ; & dans le cas où cette clause ne seroit pas exécutée, il veut & ordonne que la maison & toutes ses dépendances passent en toute propriété à M. l’Evêque, pour en être fait par ce Prélat tel usage qu’il jugera à propos. Il défendit aussi de construire jamais des Théatres dans aucune de ses maisons.

Les Ouvrages qu’on a vu assez fréquemment paroître en Italie contre les Spectacles, & dont nous avons ci-dessus indiqué quelques-uns, prouvent que la doctrine du Clergé de France sur cet objet, est celle de l’Eglise universelle ; &, à cet égard, la Religion Chrétienne ne fait que fortifier des principes qu’une saine raison prescrit, & qui intéressent le plus grand bien du Gouvernement civil.

Ces principes se trouvent très-bien {p. 242}soutenus dans un sçavant Ouvrage latin qui parut en 1770 à Milan, sous ce titre :

Theatrum modernum bonis moribus exitiosum, populorum insuper politicæ felicitati contrarium. Dissertatio Theologica quam reipublicæ litterariæ communicat Paulus Rulfus, sacræ Theologiæ Doctor & sacræ ejusdem Facultatis Professor in Seminario Novariensi, ibique Academicarum Exercitationum Theologico-Moralium Præses. Mediolani 1770, apud Joseph Galeatium, regium Typographum. Superiorum permissu ; in-8°. 416 pages.

L’Auteur de cet excellent Ouvrage est M. Paul Rulfo, Docteur & Professeur en Théologie au Séminaire de Novarre. La These qu’il y soutient, est que le Théatre moderne est pernicieux aux mœurs, & de plus contraire au bonheur politique des Empires.

Cette These y est soutenue avec une érudition imposante & agréable. L’Auteur a rempli l’idée de ces trois vers de Lucrece qu’il a choisis pour l’Epigraphe de son Livre, & où le Poëte, se comparant à l’Abeille, déclare qu’il a extrait & recueilli ce qu’il {p. 243}y a eu de mieux écrit sur la matiere qu’il a entrepris de traiter :

Floriferis ut apes in saltibus omnia libant ;
Omnia, nos itidem depascimur aurea dicta,
Aurea, perpetuâ semper dignissima vitâ.

Lib. III.

M. Rulfo expose dans le commencement d’une Préface intéressante la nécessité de s’élever contre les Spectacles108, nonobstant la quantité d’Ouvrages qui ont paru sur cet objet ; & la raison qu’il en donne, est que c’est le seul moyen d’empêcher l’erreur de prévaloir, qu’il faut faire aux personnes qui en paroîtroient surprises, la réponse que Séneque faisoit à ceux qui s’ennuyoient de ses déclamations contre les vices. Vous me demandez, disoit-il, pourquoi je répete les mêmes {p. 244}choses : mais pourquoi ne quittez-vous pas vos mauvaises habitudes ? Au reste M. Rulfo a eu plus d’un motif pour donner cette dissertation : il avoit à écarter les abus que les amateurs des Théatres auroient pu faire de deux nouveaux Ecrits Italiens ; l’un du Marquis Scipion Maffei sur les Théatres anciens & modernes, & l’autre de M. Laurisio, de l’Académie des Arcades, sur les défauts des Théatres modernes, & sur le moyen de les réformer. Mais de plus M. Marc Aurelius Balbis Bertone, Evêque de Novarre, pénétré d’un zele pastoral contre des divertissemens si opposés à l’esprit du Christianisme, avoit dans un de ses synodes invité ses coopérateurs à composer un Ecrit solide & lumineux, pour préserver ses Diocésains de la passion du Théatre, qu’on peut appeller le fléau des mœurs. M. Rulfo a regardé comme un ordre109 cette exhortation. Personne en effet ne {p. 245}pouvoit mieux l’exécuter. On trouve dans ce seul volume ce que l’Auteur s’est proposé d’y donner, c’est-à-dire un extrait de tout ce qui peut avoir été écrit sur cette matiere ; mais cet extrait est fait avec tant d’intelligence, que ce qui a échappé à un Auteur, se trouve suppléé ; de même que ce qui est obscur dans un autre, est présenté avec plus de clarté & d’une maniere plus propre à faire triompher la vérité110. Ce Savant estimable a la modestie qui accompagne ordinairement la vraie science. Il releve beaucoup ce qu’il cite des autres111, & il {p. 246}semble n’attendre rien de ses propres armes ; mais plus il abaisse son mérite personnel, plus on admire ses talens. On conviendra avec lui qu’en écrivant contre des plaisirs que la corruption a si bien établis par-tout, il ne faut pas se flatter de voir les Théatres renversés par un bon écrit qu’on y opposera ; mais il n’est point douteux que dans l’ordre de la Providence il ne paroît aucune réclamation en faveur de la vérité, sans qu’elle n’ait tôt ou tard son effet pour quelques-uns : & pour {p. 247}lors quelle consolation n’est-ce pas pour un Auteur de contribuer à lever le bandeau qui étoit un voile impénétrable à la lumiere !

Cet Ouvrage fut annoncé en France avec beaucoup d’éloges, dans le Journal Ecclésiastique du mois d’Août 1774, dans le premier volume du Journal des Sçavans, du mois de Décembre de la même année. Il est divisé en deux Livres. Le premier contient 28 Chapitres. L’Auteur y expose les raisons qui proscrivent les Théatres, & elles s’y trouvent appuyées des autorités anciennes & modernes qui doivent le plus en imposer. Le second Livre contient 23 Chapitres. Ils ont pour objet de détruire toutes les objections que les amateurs des Spectacles ne cessent d’opposer à ceux qui combattent leur idole.

Nous ne donnerons pas ici une analyse détaillée de cet excellent Ouvrage ; il perdroit trop à n’être connu que par extrait ; il nous en faudroit une Traduction Françoise ; & nous avons lieu d’espérer que notre littérature ne tardera pas à en être enrichie.

Le Chapitre 12 du premier Livre {p. 248}contient une chaîne de témoignages bien capables de détruire le faux préjugé que tant de gens ont sur la doctrine de l’Eglise d’Italie à l’égard des Spectacles. On y trouve le Pape Benoît XIV justifié sur l’indulgence qu’on lui attribuoit pour les Théatres. Les Partisans des Jeux scéniques n’ont établi cette prétendue indulgence que sur des éloges qu’il avoit donnés à quelques Drames, en ne les considérant qu’en Littérateur du côté de l’art de leur composition. Mais ce souverain Pontife a manifesté dans ses Ouvrages son sentiment sur ce genre d’amusemens. Il y a déclaré que suivant les principes de S. Thomas, dont les Apologistes des Spectacles prétendent pouvoir s’autoriser, il est évident que les Théatres modernes ne peuvent dans leur état actuel être justifiés, & que ceux qui les fréquentent commettent une faute grave112.

{p. 249}« Comment113, dit le Cardinal de Aguire, justifier des Spectacles, où ceux qui y entrent purs en reviennent pervertis ? Que de femmes chastes y vont perdre la pudeur ! C’est pourquoi quel compte n’auront pas à rendre les Gouverneurs & les Magistrats qui auront introduit, soutenu & excité de pareils divertissemens ! & que n’auront pas à se reprocher ces Ecrivains modernes, qui, en interprétant mal quelques passages de S. Thomas, voudroient en faire l’Apologiste de nos Théatres ! »

Achevons de les confondre, en leur citant une Lettre Pastorale du {p. 250}Cardinal Delci, dont M. Rulfo a fait aussi usage dans le douzieme Chapitre du Livre premier de sa Dissertation, & où est rapportée une décision signée de trente-six Prélats, tant Cardinaux qu’Archevêques & Evêques de l’Etat Ecclésiastique. « Ne vous laissez pas, mes chers freres, dit ce Cardinal,114 séduire par ceux qui étant ignorans dans la science des vertus chrétiennes, {p. 251}osent vous permettre la fréquentation des Théatres, & traiter de déclamations déplacées les condamnations que les Peres, ont prononcées dans leur temps contre ces sortes de divertissemens. Ne pensez pas qu’il y ait une différence dans les principes qui nous doivent actuellement diriger sur cet objet. Nos censures contre les Théatres se trouvent autorisées par une décision signée de trente-six Prélats, tant Cardinaux qu’Archevêques & Evêques de l’Etat Ecclésiastique ; en voici la substance :

« Nous soussignés, Evêques de l’Etat Ecclésiastique, pensons unaniment que les Opéra, Tragédies & Comédies, telles qu’elles se représentent sur les Théatres publics, portent le plus grand préjudice aux mœurs ; qu’on ne peut les fréquenter sans s’exposer à s’y corrompre ; que ces divertissemens sont encore plus dangereux aux jeunes gens, & qu’il en résulte souvent les plus grands périls, tant pour le bien spirituel que pour le bien temporel de la plupart des Familles ; qu’ainsi, {p. 252}eu égard à toutes les circonstances qui accompagnent ces sortes de représentations, nous pensons qu’on ne peut comprendre ces plaisirs parmi les divertissemens innocens, & qu’on ne doit pas en placer l’usage parmi les actions indifférentes ».

M. Rulfo termine enfin le même Chapitre en assurant que près de quatre cens Curés du Diocese de Novarre ayant été consultés en 1769 sur cette importante question de Morale, ils furent d’un sentiment unanime sur le danger des Spectacles, & la nécessité de ne pas en tolérer la fréquentation115.

Voilà donc les bons Casuistes de l’Italie bien déclarés ennemis des théatres modernes. Peut-être auroit-on pu desirer plus de fermeté de la part des souverains Pontifes, dont quelques-uns ont été trop prévenus sur l’étendue de leur autorité ? Si en effet dans {p. 253}un ministere qui n’est que pour le Ciel, il y en a qui se sont oubliés jusqu’à vouloir disputer de la fierté & de la grandeur avec les Grands de la terre ; quel pouvoir n’auroient-ils pas pu avoir pour la réforme des mœurs, s’ils avoient borné à cet objet toute la force de leur double autorité ? Mais, comme l’a dit dans un Ecrit latin un Auteur que nous avons eu occasion de citer plusieurs fois ;116 « C’est un double personnage bien difficile à remplir que celui de Pasteur spirituel & de Prince temporel. On aura toujours de la peine a allier ensemble l’humilité & la grandeur, la douceur & la domination, l’application du Pasteur à ses fonctions, & le soin tumultueux des affaires du siecle qui partage l’esprit en mille manieres.

« Quelle place, disoit Clément XIV [Ganganelli]117, que celle de {p. 254}Pape, quand on veut en remplir tous les devoirs ! Il faut être à Dieu, à tout le monde, à soi-même ; uniquement occupé de ces grandes obligations, & n’ayant en vue que le Ciel au milieu des choses de la Terre. L’âge avancé auquel presque tous les Papes sont élus, est cause qu’ils ont rarement le talent de régler sagement & l’Eglise & leurs Etats ».

Cette derniere réflexion nous donne lieu d’ajouter qu’un Etat qui change si souvent de maître, est moins susceptible d’un gouvernement uniforme & nerveux ; c’est pourquoi, comme l’a observé M. de la Lande118 :

{p. 255}« On voit à Rome chaque nouveau regne y amener de nouveaux principes, & un nouveau plan de conduite. Chaque Pape tâche toujours d’éviter les excès qui ont déplu dans son Prédécesseur. Mais il ne peut guere éviter de tomber dans quelques autres ».

Au reste édifions-nous des témoignages que beaucoup de Papes ont donnés d’un zele éclairé. Clément XIV par exemple, dont nous avons la Vie écrite par M. le Marquis de Caraccioli, manifesta à toute l’Eglise qu’il connoissoit toute l’étendue de la charge du suprême Apostolat qui lui avoit été imposé. Sa Lettre Circulaire du 12 Décembre 1769, à tous les Evêques, à l’occasion de son élévation sur le Saint Siege, donna les plus grandes espérances sur son gouvernement. Les avis que Sa Sainteté y donna aux Prélats, annoncerent son zele à s’occuper du soin d’éloigner du peuple chrétien toute contagion du mal, toute séduction d’erreur. C’est à l’Ecriture Sainte & à la Tradition que ce Pontife vouloit qu’on puisât tout ce qu’on doit croire & tout ce qu’on {p. 256}doit pratiquer, « parce que, disoit-il, c’est dans ce double dépôt également sûr & fidele qu’est renfermé tout ce qui concerne le culte de la Religion, la discipline des mœurs, la maniere de bien vivre, & qu’on y apprend nos sublimes mysteres, les devoirs de la piété, de la justice & de l’humanité ».

Or en nous envoyant à cette école, c’est nous défendre implicitement de nous autoriser de quelques tolérances qu’arrache la corruption d’une multitude aveugle & effrénée ; « puisque, comme l’a dit un Ancien, rien ne peut prescrire contre la vérité de la Doctrine Evangélique, ni la longueur du temps & la succession des années, ni la qualité des personnes qui autoriseroient certains abus, ni les privileges d’aucun pays119 ».

Si donc les Théatres sont tolérés à {p. 257}Rome, ils n’en sont point pour cela justifiés. Cette tolérance y est établie comme ailleurs depuis que la corruption, devenue si générale & si impérieuse, est parvenue à faire taire les Loix ; & alors les souverains Pontifes, à l’exemple de S. Charles Borromée, se sont vus obligés de réduire leur zele à demander au Ciel la patience pour supporter en gémissant les scandales qu’ils ne peuvent abolir, comme le dit cette Strophe d’une Ode sacrée :

Ustos zelo domûs tuæ
Da malis obsistere ;
Queis non possumus mederi,
Da ferentes gemere.

Telle est la regle que suivent tous les bons Evêques. Nous pourrions à cet égard citer en preuves les différens témoignages que nous avons eu l’honneur de recevoir de plusieurs Prélats à l’occasion des précédentes Editions de notre Ouvrage. Mais nous nous bornerons à celui de M. Marc Aurelius Balbis Bertone, Evêque de Novarre, Suffragant de l’Archevêché de Milan. « Mon ministere, dit-il, m’oblige {p. 258}quand l’occasion se présente dans mes Homélies de prêcher contre ces sortes de divertissemens ; mais le moment de Dieu n’est pas encore arrivé. En attendant il faut se consoler par le bon témoignage de sa conscience d’avoir rempli son devoir ».

Ces paroles sont tirées d’une Lettre que ce respectable Pontife m’a fait l’honneur de m’écrire le 25 Janvier 1775. Elle respire la piété d’un Evêque nourri dès son enfance dans les Lettres saintes, & zelé pour l’instruction de son Troupeau. C’est par un effet de ce zele qu’il a entrepris de traduire en Italien les sçavantes Conférences qui furent données par un de nos anciens Evêques, dont la mémoire est précieuse, M. Henry de Barillon, Evêque de Luçon, mort en 1699. Ce fut lui qui donna ce bon Catéchisme, connu sous le nom de Catéchisme des trois Henri, parce qu’il lui étoit commun avec Henri Arnaud, Evêque d’Angers & Henri Laval, Evêque de la Rochelle. On n’a encore imprimé que les quatre premiers volumes de la Traduction Italienne des Conférences {p. 259}de Luçon ; & j’en possede un Exemplaire que je tiens des bontés du Traducteur, M. l’Evêque de Novarre. Cette Traduction est d’autant plus intéressante, qu’en plusieurs endroits le texte est discuté, éclairci & interprété lumineusement. Cette notice est étrangere à la matiere des Spectacles ; mais j’ai pensé qu’on seroit flatté de connoître l’accueil que les Etrangers font aux bonnes productions des Evêques de France ; & d’ailleurs ces Anecdotes incidentes sont tolérables dans une Histoire littéraire. Je reviens à nos Ecrits nationaux contre les Spectacles : il en parut un très-bon en 1752, sous ce titre :

Essai sur la Comédie moderne, où l’on réfute les Nouvelles Observations de M. Fagan, au sujet des condamnations prononcées contre les Comédiens, Paris, 1752 ; in-12.

M. Fagan est convenu dès le commencement de ses nouvelles Observations, que toutes les Apologies qui avoient paru jusqu’alors en faveur de la Comédie, étoient assez foibles.

Comme il s’est flatté que celle qu’il a donnée est la plus parfaite, il a paru {p. 260}convenable de donner un extrait un peu étendu de la réfutation qui en a été faite.

On va commencer par donner le résumé que M. Fagan a fait lui-même de ses nouvelles Observations qui, de son aveu, contiennent tout ce que l’on peut dire à ce sujet. Et ce tout se réduit aux trois assertions qui suivent :

1°. Que les raisons que l’on a rapportées jusqu’à présent pour prouver que la Comédie condamnée n’est point celle qui existe aujourd’hui, n’ont point été exposées avec assez de soin.

2°. Que la Comédie telle qu’elle a été traitée par Moliere, est suffisamment bonne pour les mœurs.

3°. Que les désordres que l’on pourroit reprocher aux personnes du Théatre, sont indépendans de leur profession.

Voilà donc une apologie annoncée avec la plus grande confiance. Mais qui est-ce qui n’est point prévenu pour sa propre cause ? M. Fagan étoit un Poëte dramatique : ainsi il n’est pas étonnant qu’il ait été sensible aux anathèmes défavorables à un Art pour lequel il avoit des talens ; {p. 261}n’auroit-il eu en sa faveur que le succès de sa petite Piece, l’Heureux retour, où il a bien caractérisé les tendres & légitimes sentimens de joie dont les Parisiens furent pénétrés en revoyant le Roi que la mort avoit presque enlevé [en 1744], & que le Ciel avoit rendu aux vœux de toute la Nation.

Néanmoins quels que fussent les talens dramatiques de M. Fagan, pouvoit-il se flatter d’être plus intéressé à la cause des Théatres publics que ne l’étoit Jean Racine ? Si un aussi célebre Poëte s’est vu forcé de l’abandonner, après en avoir été l’honneur & le défenseur, est-il probable que M. Fagan ait mieux vu dans cette même cause ? C’est ce qui lui a été contesté par l’Essai sur la Comédie moderne, dont nous donnons l’extrait.

Il paroît que l’Auteur n’a pas été ébloui par les Observations de M. Fagan.

« Je ne suis, dit-il dans sa Préface, ennemi déclaré ni de la Comédie, ni des Comédiens. Je n’ai point pris la plume précisément pour attaquer les Spectacles : mais les nouvelles Observations de M. Fagan ont percé {p. 262}jusqu’à moi. Il m’a paru si facile de les réfuter, que je l’ai fait. Voilà tout. Plus une Apologie est foible, plus la critique est aisée. Cela n’est point brave ; mais cela est commode ».

Tous les Censeurs du Théatre pourroient tenir ce dernier propos. Ils n’ont que des sophismes à combattre, & ils ont les meilleures armes à leur choix. Mais tous ne manient pas leurs armes avec autant de dextérité & de succès, que l’Auteur de l’Essai sur la Comédie moderne.

1°. Quoi qu’en dise M. Fagan, qu’il n’y a jamais eu avant lui d’habiles défenseurs de la Comédie ; notre Ecrivain lui rappelle que les Requêtes que les Comédiens de France présenterent aux Papes Innocent XII & Clément X, pour se plaindre de ce que les Confesseurs leur avoient refusé les Sacremens aux Jubilés de 1696 & 1701, s’ils ne renonçoient à leur état, contenoient les mêmes motifs que M. Fagan a employés dans ses nouvelles Observations.

On y disoit aussi que « la Comédie condamnée dans les derniers siecles, {p. 263}n’étoit point celle qui existe dans celui-ci ; que l’on étoit en droit dès-lors d’espérer de l’Eglise l’Absolution des Comédiens ; & que les motifs qui ont occasionné les respectables décisions des Conciles, n’existoient plus. »

Voilà ce que ces Requêtes disoient, & s’efforçoient de prouver avec tout l’art possible.

Pouvoit-il y avoir circonstance où ces moyens de défense pussent être mieux pesés ? Ils furent examinés dans une assemblée de Prélats tenue à Rome, où le Peuple a la plus grande fureur pour les Théatres.

Néanmoins ces Requêtes furent rejettées par les souverains Pontifes ; & par ce refus, c’étoit déclarer qu’ils condamnoient ce qu’ils se voyoient avec peine obligés de tolérer dans leurs Etats.

Mais revenons à notre Auteur de l’Essai sur la Comédie moderne. Il appréhendoit que sa critique ne fût traitée de cagotisme par M. Fagan. C’est pourquoi il a jugé à propos de se caractériser. « Je suis, dit-il, un homme étranger, pour ainsi dire, {p. 264}à la piété, sans vocation décidée, en un mot un homme du monde. Amateur des Spectacles, je desirerois peut-être plus que qui ce soit, que l’on pût les rendre tels qu’on les fréquentât sans scrupule, & qu’on nous les procurât sans rougir. Mais dans l’état où ils sont aujourd’hui, il y auroit bien du chemin à faire ».

L’impiété, dit-on, la grossiereté, l’indécence n’y regnent plus tant : « Mais, dit notre Ecrivain, le danger y est plus grand. Cette politesse, cette élévation de sentimens, ces grandes leçons pour les mœurs, sont des fleurs agréables sous lesquelles le serpent est caché ».

Il est bien éloigné de croire avec M. Fagan, que si la Comédie eût toujours été telle qu’elle est aujourd’hui, elle ne se seroit pas attiré les Censures ecclésiastiques. Et en le supposant pour un moment, il croit que s’il étoit vrai que l’Eglise n’eût pas alors assez de motifs pour lancer l’anathème ; il n’est pas moins certain qu’elle n’en a pas assez à présent pour le retirer.

2°. C’est au temps de Moliere que {p. 265}M. Fagan, dans sa seconde Observation soutient que les Pieces sont devenues suffisamment bonnes pour les mœurs. C’est-là, selon cet Apologiste, la premiere époque de la pureté & de l’utilité de la Comédie ; utilité si grande, qu’elle compense le danger qu’elle pourroit causer.

Mais, répond notre Critique judicieux, que l’on jette un coup-d’œil sur le Théatre de Moliere, ce grand Précepteur des mœurs. Depuis la premiere de ses Pieces jusqu’à la derniere, on ne le verra combattre que des foiblesses indifférentes, des ridicules, des petits riens, qui déparent l’intérieur, sans dégrader & altérer le fonds ; & à cet égard il entre dans le détail qui fuit :

« Quelles bonnes leçons, par exemple ; peuvent donner au cœur.

[L’Etourdi] ? « Un jeune homme dont l’indiscrétion & la vivacité retardent le succès d’une intrigue amoureuse qui l’intéresse, & dont un valet fourbe a la direction.

[Le Dépit amoureux] ? « Deux Amans qui se brouillent par un malentendu, afin de se procurer, ainsi {p. 266}qu’aux Spectateurs, le plaisir du racommodement.

[Les Précieuses ridicules] ? « Des femmes romanesques, qui affectent un langage à la mode.

[Les Femmes sçavantes] ? « C’est-à-dire, des femmes follement entêtées d’être sçavantes, & de le paroître.

[L’Ecole des Maris, les Fâcheux, l’Avare, &c.] ? « Des Vieillards amoureux, surveillans, séveres, incommodes, intéressés.

[Le Festin de Pierre] ? « Un libertin décidé, dont la punition théatrale ramene moins à la vertu, que sa conduite n’inspire le vice par les couleurs qu’il lui prête.

[George Dandin] ? « Des maris scrupuleux, ou dupes de leur simplicité & de la coquetterie de leurs femmes.

[Le Bourgeois Gentilhomme] ? « Des Bourgeois copiant ridiculement les gens de qualité.

[Le Médecin malgré lui] ? « Une querelle de ménage, qui produit un incident plus comique que fastidieux.

[Amphitrion] ? « Une fable du Paganisme mise en action ; fable qui {p. 267}n’a pour objet que l’intrigue la plus licencieuse & la passion la plus criminelle.

[Le Misanthrope] ? « Une espece de Philosophe, où pour se servir des termes de M. Fagan, un faux Philosophe rempli de lui-même, qui se complaît dans le mérite sauvage de détester l’humanité ; mais qui ne la déteste que sur de vains prétextes, & qui ne reproche à son siecle que des défauts superficiels, plus intéressans pour la société que pour les mœurs.

[Le Tartuffe] ? « Un fourbe, dont l’intrigue, les maximes, & les démarches, de l’aveu même des sectateurs de Moliere, sont dangereuses à tous égards ».

Voilà un tableau vrai des Pieces de Moliere. « Les vices, continue notre Auteur, n’y sont jamais peints avec des couleurs qui les rendent odieux & méprisables. Les tableaux y sont ménagés de façon que les préceptes sont un badinage, qui attire plus au mal qu’il n’en éloigne ; & on y répand sur les défauts un certain ridicule trop plaisant pour en donner de l’horreur ; ou les caracteres {p. 268}y sont si chargés, qu’ils n’offrent que des vertus au dessus de la force humaine, ou des vices rares à trouver. Or si l’on représente des défauts qui surpassent de beaucoup les nôtres, au lieu de chercher à nous corriger, nous nous applaudissons de ce prétendu avantage ».

Nous ajouterons ici, pour fortifier ce que dit notre Auteur, le sentiment de M. l’Abbé de Saint-Pierre qui, en politique, vouloit que l’on tolérât les Théatres : mais il ne les croyoit pas tolérables dans le prétendu état de pureté dont M. Fagan se contente. On trouve dans le second Tome de ses Œuvres diverses, qui parurent en 1730, un Projet pour la réformation du Théatre. Ce projet est analogue à ses autres idées, que le Cardinal du Bois appelloit les rêves d’un homme de bien. Il vouloit en effet que les Pieces de Théatre, soit Tragédies, soit Comédies, ne tendissent dans toutes leurs parties qu’à inspirer l’horreur du vice & l’amour de la vertu ; & pour rentrer dans notre sujet, voici ce qu’il dit de Moliere : « C’est un grand Peintre : mais il n’a point eu assez de soin {p. 269}de peindre toujours en estimable ce que les hommes avoient d’estimable, & en méprisable ce qu’ils avoient de méprisable ; & c’est cette confusion qu’il a laissée dans ses peintures, qui fait que ses Comédies sont plus pernicieuses qu’utiles au perfectionnement des mœurs ».

Notre Auteur de l’Essai sur la Comédie moderne, trouve que c’est le défaut, non seulement des Comédies de Moliere, mais de toutes celles qui paroissent journellement sur le Théatre ; telles que celles de Regnard, qui est le Poëte qui a le mieux imité Moliere ; celles de Scarron, Monfleury, Baron, Dancourt, Poisson, du Fresny, le Grand, &c.

Notre Critique convient que les Pieces de M. de la Chaussée, citées par M. Fagan pour un modele, sont, sans contredit, les moins impures : « Mais, ajoute-t-il, en est-il une seule dont l’amour ne soit le mobile, & où il ne soit point caractérisé avec des traits & des détails d’autant plus dangereux, qu’ils sont mieux ménagés ? Tout y est si tendre & si touchant, que le cœur est affecté {p. 270}dès les premieres scenes. L’intérêt qu’on y prend est si vif, qu’il peut être très-funeste, & qu’elles perdent par-là l’avantage qu’elles auroient sur toutes les autres d’être plus capables de corriger les hommes & de les rendre meilleurs ».

Quant aux Tragédies, notre Auteur leur reproche que les leçons du vice, comme de l’ambition, de la vengeance, &c. y sont données d’une maniere d’autant plus dangereuse, qu’elle est plus pleine d’élévation, sinon de cœur & de sentimens, mais du moins d’esprit & de pensées.

Les Poëtes dramatiques en général se croient toujours obligés de céder à la nécessité. Pourquoi, peuvent-ils dire, faut-il que tout ce qu’on expose sur les Théatres, ait pour pouvoir plaire à la multitude, un air de débauche & de libertinage ?

3°. Quant à cette opinion, que les désordres que l’on pourroit reprocher aux personnes du Théatre, sont indépendans de leur profession, notre Auteur est bien éloigné de l’adopter.

Il pense qu’indépendamment de leur conduite, leur seule profession {p. 271}contribue à rendre les Spectacles très-dangereux. Les Comédiennes, en effet, fussent-elles vertueuses, pourroit-on croire qu’elles peignissent si bien les passions, si elles n’étoient pas habituées à les sentir ? Ajoutons : voilà, comme l’a observé M. de Voltaire, pourquoi les Acteurs jouent infiniment mieux les rôles de tendresse que les rôles héroïques. « Vous trouverez, dit-il, vingt Acteurs qui plairont dans Andronic & dans Hypolyte, & à peine un seul dans Cinna & dans Horace120 ».

Or, comment des Actrices, toutes dévouées à la volupté, & la prêchant sans cesse, ne l’inspireroient-elles pas ? On les voit si tendres & si passionnées, qu’on desire être l’objet de cette sensibilité, & réaliser des fictions si séduisantes. Leur réputation, le peu de risque de l’entreprise, la facilité de l’exécution, l’habitude du succès fournissent des armes au vice.

Nous ne suivrons pas notre Auteur dans ce qu’il dit contre les sophismes {p. 272}& les paralogismes usités, pour interpréter en faveur des Théatres les textes de quelques Ecrits de personnages respectables, comme de saint Thomas d’Aquin, de saint Charles Borromée, de S. François de Sales, de M. Bossuet, &c. Nous avons (ci-dev. p. 162-182 de nos Lettres) démontré à cet égard le ridicule des prétentions des Apologistes des Spectacles.

Nous passons à la conclusion de notre Auteur. En voici la substance :

« Il est impossible que le Théatre subsiste sans être mauvais, & par conséquent sans être condamnable. On ne doit donc point traiter de rigueur non méritée les Censures que l’Eglise a prononcées si souvent contre les Comédiens », & dont on a eu occasion de citer les preuves, p. 110 de ce vol. & 121 de nos Lett.

L’extrait que nous venons de donner, paroîtra peut-être un peu long ; mais il falloit démontrer que l’Ecrit donné par M. Fagan, pour la meilleure apologie des Spectacles dramatiques, n’étoit pas dans le cas d’avoir plus de succès que toutes celles qui l’avoient précédé, ou qui ont paru depuis.

{p. 273}Au moins M. Fagan a témoigné conserver quelque respect pour les Censures ecclésiastiques, puisqu’il est convenu que « Corneille. & Racine ont eu raison de gémir d’avoir passé leur vie dans une occupation condamnée ».

Mais devoit-il traiter de cruelle la Religion qui leur en a fait un devoir ? « N’est-il pas bien cruel, dit-il, que les Auteurs de Cinna, d’Heraclius, de Phedre aient été fondés à verser des larmes d’un juste repentir » ?

Ce repentir, qui avoit pour objet la séduction de leurs drames, auroit eu également lieu, quand il n’y auroit pas eu de Censures ecclésiastiques contre les Comédiens. L’Eglise, en humiliant les Acteurs des Théatres publics, n’a fait que se conformer au mépris que les sociétés profanes avoient toujours eu pour eux. L’Eglise pouvoit-elle ne pas traiter en infames des gens avec qui l’on ne peut contracter honnêtement dans le monde aucune liaison, & que les voluptueux même n’admettent chez eux que pour les faire servir d’instrumens à leurs plaisirs ?

{p. 274}Maximes pour se conduire chrétiennement dans le monde, par M. l’Abbé Clément, Prédicateur du Roi ; Paris, 1753.

On y trouve, article 17, de solides réflexions contre les Spectacles. Ils ont aussi fait l’objet d’un de ses Sermons, dont le recueil a été donné en 1770 en 4 vol. Nous avons aussi à en indiquer un du célebre P. Soanen121, de la Congrégation de l’Oratoire, & ensuite Evêque de Senez. Ses Sermons furent imprimés en 1767. Louis XIV, dit M. de Querlon122, n’entendit jamais ce Prédicateur sans être sensiblement frappé des vérités fortes & pathétiques qu’il lui annonçoit. Il l’appelloit la Trompette du Ciel. Il fut sur-tout frappé de son Sermon contre les Théatres, qui fut prêché à la Cour en 1686 & 1688. M. le Maréchal de la Feuillade le trouva trop sévere, & il prit la liberté d’en dire son sentiment au Roi. Mais ce grand Monarque lui fit cette réponse judicieuse {p. 275}& imposante : M. de la Feuillade, le Prédicateur a fait son devoir ; tâchons de faire le nôtre123.

Ce Courtisan ne devoit pas à cet égard trouver moins sévere le premier modele des Prédicateurs en Europe, c’est-à-dire, le P. Bourdaloue124 qu’on a caractérisé en l’appellant Nicole éloquent.

Bourdaloue invincible en ses raisonnemens,
Des passions en nous confond les argumens125.

Voilà pourquoi ses Sermons imprimés plairont toujours. Aussi Louis XIV vouloit-il entendre tous les deux ans ce Prédicateur, aimant mieux ses redites que les nouvelles choses d’un autre. On a de cet illustre Orateur un excellent Sermon126 contre les divertissemens publics qui passent pour légitimes, & que l’opinion commune autorise, mais que le Christianisme condamne, & qui ne peuvent s’accorder {p. 276}avec l’intégrité & la pureté des mœurs.

La Comédie contraire aux principes de la Morale chrétienne, 1754, par M. Mahy, Chanoine d’Auxerre.

On y a joint un Mandement que le Chapitre d’Auxerre donna le 15 Novembre 1754 contre la Comédie. On le trouvera à la suite de nos Lettres sur les Spectacles.

Lettre de M. le Franc, de l’Académie Françoise, ancien Premier-Président de la Cour des Aydes de Montauban, à M. Louis Racine, sur le Théatre. Paris, IIIe édit. 1773.

Ce respectable Académicien considere les Spectacles Dramatiques ; sous le même point de vue que le P. Porée l’a fait dans son Discours. Il y parle en homme de Lettres, Philosophe & Chrétien. Nous avons déjà rapporté127 quelques traits de cette Lettre, & nous aurons occasion d’en citer d’autres. Elle fut réimprimée en 1773, pour, dit avec justice l’Editeur, remettre sous les yeux ce qui a paru de plus sagement pensé & de mieux écrit sur les productions & le genre de Corneille & de Jean Racine.

{p. 277}Premiere Lettre de M. Desprez de Boissy, à M. le Chevalier de *** sur les Spectacles. Paris, 1756.

On en donna en 1758 une seconde Edition.

En 1759, nous donnâmes notre seconde Lettre sous le Titre de Lettre de M. le Chevalier de *** à M. de Champigneulles, au sujet de la Lettre de M. Desp. de B** sur les Spectacles.

Ces deux Lettres furent réimprimées en 1769 & en 1771, avec une Histoire des Ouvrages pour & contre les Théatres. Le tout fut ensuite porté à deux Volumes en 1774, & fut enfin réimprimé pour la sixieme fois en 1777, sous ce titre :

Lettres sur les Spectacles, avec une Histoire des Ouvrages pour & contre les Théatres, par M. Desprez de Boissy. Paris, 1777. Leur succès nous a mis dans le cas de donner la présente Edition.

Jean Jacques Rousseau, Citoyen de Geneve128, à M. Dalembert, sur le {p. 278}projet d’établir un Théatre de Comédie à Geneve. Amsterdam, 1758.

Cette Lettre combat supérieurement les Théatres publics. Mais on y trouve sur d’autres objets une empreinte contagieuse des égaremens de l’Auteur, dont les jeunes gens pourroient abuser.

C’est pour éviter cet inconvénient, que j’en ai rapporté dans ma seconde Lettre ce qu’il y avoit de plus frappant. On en trouve aussi un extrait dans le second volume d’un Ouvrage qui parut à Paris en 1774, sous ce titre : Antilogies.

On sçait que M. Dalembert, avec son génie géométrique, n’a pu triompher des argumens de la Lettre de M. J.J. Rousseau contre les Spectacles. « Cette Lettre, est-il dit dans une Histoire littéraire129, n’a pu être réfutée par aucun de ceux qui ont osé l’attaquer. On ne pouvoit mieux faire {p. 279}sentir la suréminence des talens de M. Rousseau, qu’en plaçant à côté de sa Lettre, la Réponse qu’y a faite M. Dalembert. La nuance est trop sensible pour qu’on ne s’en apperçoive pas. Cette Réponse, comme toutes les autres, ne contient que de foibles argumens exprimés encore plus foiblement ».

Il est étonnant que dans un siecle aussi corrompu que le nôtre, il y ait eu un témoignage aussi imposant contre nos Théatres. Voici ce qu’un Auteur Protestant, M. Antoine-Jacques Roustant, en a dit dans un Ouvrage imprimé en 1769 sous ce titre : Offrande aux Autels & à la Patrie ; in-8° de 245 pages.

« Je suis témoin, dit-il, p. 8, que la Lettre de M. Rousseau a éclairé sur les mauvais effets des Théatres une foule de gens à Geneve. Il a démontré que les charmes trompeurs des Spectacles ravissent à la fois aux Citoyens leur subsistance, leur temps, leur santé & leurs mœurs. Les Arts voluptueux, tels que la Musique, la Comédie, &c. ne prouvent point l’augmentation & la durée du bonheur {p. 280}d’une Nation ; ils prouvent le nombre des fainéans & leur goût pour la fainéantise. Enfin ces amusemens frivoles infectent l’Etat entier, & amollissent les ames jusqu’au point, comme l’observe M. de Montesquieu, liv. 3 de l’Esprit des Loix, que les Athéniens, peu d’années avant leur défaite à Cheronée, firent une loi qui condamnoit à mort le premier qui proposeroit de convertir aux besoins de la guerre l’argent destiné aux Théatres. Qu’importe en effet de n’avoir point de liberté, pourvu qu’on ait des Comédiens » !

Comme nous avons eu occasion [page 59 de nos Lettres] d’avancer que les Ministres Protestans condamnoient aussi les Théatres publics, il a paru convenable de rassembler ici en preuves de cette assertion les notices de quelques Ouvrages faits sur cette matiere par les Ecrivains de cette Communion.

On en vit plusieurs s’élever contre les efforts que l’on fit dans le dernier siecle pour justifier les Spectacles dramatiques, sous prétexte que du côté {p. 281}de l’art ils étoient devenus plus intéressans.

Martin Bucer, célebre Ministre Luthérien, mort en Angleterre vers 1551, avoit attaqué vivement les Spectacles de son temps, dans son Traité de Regno Christi. Cependant ce Ministre, qui établit le premier la prétendue Réforme à Strasbourg, ne devoit pas avoir des mœurs bien austeres. Il avoit été Dominicain ; & il paroît qu’il ne déserta de son Ordre & de l’Eglise Catholique, que pour satisfaire sa passion pour une Religieuse, dont il eut treize enfans. Au reste, son témoignage contre les Spectacles, en doit avoir encore plus de force.

André Rivet, Ministre Calviniste de France, mort à Breda en 1651, donna en 1639 l’Ecrit qui suit, & qui se trouve aussi en latin dans le Recueil de ses Œuvres, qui forment trois volumes in-folio. Cet Ecrit est intitulé :

Instruction touchant les Spectacles publics des Comédies & des Tragédies, où est décidée la question, s’ils doivent être permis par le Magistrat, {p. 282}& si l’on peut y assister en bonne conscience ; avec le jugement de l’antiquité sur le même objet : par André Rivet, Docteur en Théologie. A la Haye, chez Théod. le Maire, 1639.

M. Dreux du Radier en a donné un extrait dans le troisieme Volume d’un de ses Ouvrages, intitulé : Bibliotheque historique & critique du Poitou, 5 vol. in-12.

Ce sçavant Philologue y paroît surpris de ce que cet Ecrit de Rivet n’est pas aussi connu qu’il le mérite. Ses regrets à cet égard sont une preuve de l’intérêt qu’il prend aux bonnes mœurs. Voici l’extrait qu’il en a donné :

L’Ouvrage de Rivet sur les Spectacles publics est divisé en dix chapitres. Rivet y parle dans le premier, de la nécessité qu’il y avoit de publier son Traité contre la Comédie, dans un temps où l’on va jusqu’à ériger les Comédiens en Docteurs, & les Comédies en leçons morales propres à réformer le vice. Il ajoute, en répondant à ceux qui prétendent qu’il ne se trouve point de défense expresse dans l’Ecriture-sainte de fréquenter les Spectacles ; que quand cela seroit, ces {p. 283}défenses sont si nécessairement conséquentes de la pureté évangélique, qu’elles doivent être regardées comme bien disertement exprimées.

Il déclare dans le second chapitre, qu’il n’entend parler que des Spectacles usités, tels que la Comédie & la Tragédie, qu’il croit également dangereux pour les mœurs.

Dans le troisieme chapitre, il examine la fin des Acteurs & celle des Spectateurs. La premiere consiste dans le desir d’un gain peu honnête, & fondé sur le plaisir du spectateur dont on cherche à irriter les passions par la voie des sens, & sur-tout par celle de l’ouie & celle des yeux. La fin que se propose le spectateur est la volupté. Il prouve que l’une & l’autre sont presque toutes fondées sur la ruine des mœurs, & de l’innocence du cœur & de l’esprit.

Il ajoute, que si le Spectacle n’offroit qu’une morale saine & sérieuse, le Théatre seroit bientôt abandonné. Et il faut convenir qu’il a raison. Phedre, toute incestueuse qu’elle est, touche plus qu’elle n’instruit. Les tons, les regards, le geste, l’ame que {p. 284}l’Auteur donne à toutes les passions, sont la source de la volupté & du plaisir qui affecte le spectateur ; & la volupté n’est guere analogue aux préceptes de la vie vertueuse. C’est ce qu’il prouve dans le quatrieme chapitre, qui fait la suite du précédent.

Il s’éleve fortement dans le cinquieme, contre ceux qui emploient des sujets tirés de l’Ecriture-sainte, pour le Théatre. Il se fonde sur le respect dû à la majesté des textes sacrés, qu’on ne sçauroit faire servir aux passe-temps sans la profaner. Il cite le sentiment du Jésuite Mariana dans son Traité des Spectacles, sur l’indécence de l’usage où l’on étoit en Espagne de représenter des Comédies dans les Eglises, & ce que dit le même Auteur sur la sainteté des sujets : qu’il ne convient pas que les actions des Saints soient représentées par des infames. Il rapporte ce que dit le même Mariana, d’une Comédienne qui représentoit la Magdeleine, & qui fut surprise derriere le Théatre, dans une action bien opposée à la dignité du rôle, avec un Acteur qui représentoit celui du Sauveur. Il parle de l’abus des {p. 285}Drames appellés Mysteres, & de ces Farces, où en personnifiant des êtres métaphysiques, on mettoit des principes de morale en action. Il termine ce chapitre par la défense que fit de ces Pieces le Pape Innocent III.

Dans les sixieme, septieme & huitieme chapitres, l’Auteur prouve les dangers des Spectacles, la prohibition expresse que l’Eglise en a faite aux Chrétiens dans tous les temps, & l’infamie attachée à la profession de Comédien. On trouve dans ces chapitres tous les passages les plus décisifs de l’Ecriture, des Peres, des Conciles & des Législateurs.

Il répond dans le neuvieme chapitre aux objections qu’on peut faire en faveur des Théatres. Les réponses sont les plus solides. Il faut, dit-on, quelque amusement au peuple. Mais est-ce pour le peuple que sont faits nos Théatres ? & ne sont-ils pas le plus ordinairement fréquentés par une classe de personnes supérieure à celle à qui l’on donne le nom de peuple ? Un pareil amusement est plus propre à donner de l’activité aux passions, qu’à les amuser. Il inspire la paresse & {p. 286}les autres défauts aussi dangereux à la société. La Comédie, dit-on, corrige les vices. Plaisante correction du vice que celle qu’en font des gens qui y sont les plus livrés ! On évite de plus grands désordres : mais n’est-ce pas plutôt le moyen de les inspirer ou de les entretenir ? Eh ! d’ailleurs un mal en excuse-t-il un autre ? Enfin, dit-on encore, on met Plaute, Térence, Aristophane, Sophocle, Euripide dans les mains des jeunes gens : mais la différence n’est-elle pas infinie entre la lecture & la représentation d’une Piece ? Le lecteur n’est sensible qu’aux graces du style, qu’à la beauté des pensées : au lieu que le spectateur est exposé à tous les charmes d’une déclamation animée, d’un geste vif, d’une voix séduisante, des attitudes d’une Actrice, qui n’épargne rien pour séduire le cœur, & s’attirer tout le tribut qu’on peut rendre aux graces & à la beauté d’un sexe qui n’a pas besoin de tant d’art pour nous séduire. Qu’on joigne à cela les enchantemens & l’ensemble du Spectacle ; on conviendra de la différence d’une lecture tranquille, à la représentation animée d’une Piece.

{p. 287}L’Auteur emploie le dixieme & dernier chapitre à prouver que la dépravation des mœurs ne justifie que trop son Traité ».

On doit sçavoir autant de gré à M. Dreux du Radier d’avoir donné cet extrait, qu’on en a sçu au P. Berthier, lorsqu’il nous a donné celui de l’Ouvrage de D. Ramire, que nous avons rapporté page 213 de ce vol. Ces deux extraits établissent, que dans les Communions Romaine & Protestante, il y a toujours eu de la part des gens sensés une ligue offensive contre les Théatres.

Il y eut à la Rochelle, vers l’année 1666, un Ministre Protestant nommé Philippe Vincent, qui prononça un Discours contre les Danses & les autres Spectacles.

Le P. d’Estrade, Jésuite, de la même Ville, s’offensa de voir un Hérétique attaquer des plaisirs que des Catholiques avoient la foiblesse d’excuser & de se permettre. Il eut la témérité d’adresser à Philippe Vincent une Lettre où il lui reprochoit à cet égard une austérité déplacée.

Vincent y fit une réponse, où il mit en évidence le scandale de la doctrine relâchée du Jésuite.

{p. 288}Néanmoins ce dernier ne se déconcerta point. Il soutint sa mauvaise opinion par une seconde Lettre.

Ce Religieux fut couvert de honte par une replique que son Adversaire lui fit. On y trouve la philosophie chrétienne, & même la sagesse profane réunies, pour manifester & combattre la turpitude des faux raisonnemens que le P. d’Estrade avoit employés au soutien de sa cause. Ce sont les mêmes sophismes que les Partisans des Théatres ne cessent encore de répéter.

Ce P. d’Estrade avoit d’autant plus de tort de soutenir avec tant de chaleur les Jeux de théatre, que dans le début de sa premiere Lettre, il n’avoit pu s’empêcher de dire qu’il étoit éloigné de conseiller de tels divertissemens.

On peut présumer qu’il ne se chargea d’en faire l’apologie que pour complaire au Cardinal de Richelieu, dont la passion pour les Théatres étoit un scandale public, comme nous l’avons dit page 165 de ce vol.

Le P. d’Estrade ne manqua point de donner comme une autorité imposante, l’accueil qu’on faisoit à ces {p. 289}sortes d’amusemens dans les Cours de plusieurs Princes Souverains.

« Mais, lui répondit Philippe Vincent, est-ce là un bon argument en matiere de doctrine ? Certes, je ne crois pas que les Princes eux-mêmes le voulussent dire, ni qu’il y eût aucun d’eux qui voulût donner les pratiques de sa Cour pour regle de la conscience. En tout cas je vous fais juge : auxquelles de ces Cours y a-t-il lieu de donner plus d’approbation ; ou à celles dont vous vous appuyez, qui admettent ces Spectacles ; ou à celle de Saint Louis, dont du Haillan & Nicole Gilles disent qu’il chassa de sa Cour les Comédiens, Bateleurs, Farceurs, & toutes ces sortes de gens qui ne servent qu’à donner plaisir & à corrompre les mœurs » ?

Les Ecrits polémiques de Vincent & du P. d’Estrade, dont on vient de parler, ont été recueillis en un Volume in-12, imprimé sous ce titre :

Le Procès des Danses & Théatres, débattu entre Philippe Vincent, Ministre du saint Evangile en l’Eglise réformée de la Rochelle, d’une part ; & {p. 290}aucuns des sieurs Jésuites de la même Ville, d’autre part ; & se vendent à la Rochelle par Jean Chappin ; 1646.

Philippe Vincent dédia ce Recueil à Madame Marie de la Tour, Duchesse de la Tremoille. L’Epître dédicatoire fait honneur à la vertu de cette Princesse, qu’on peut citer aussi en témoignage contre les Spectacles. Voici les premieres phrases de cette Epître.

« Si je m’enhardis, Madame, de vous appeller en la cause que je défends, c’est que j’ai considéré que bien souvent le bon droit a besoin d’aide. J’y attaque des plaisirs qui, à la vérité, portent contre eux-mêmes de grands reproches, mais d’ailleurs aussi sont appuyés par de très-considérables partisans. Ainsi j’ai desiré me fortifier contre eux de la gloire de votre nom ; vu qu’il est notoire à tous que vous les combattez encore mieux par la sagesse de vos exemples, que je ne le puis faire par tous mes raisonnemens ».

On voit avec satisfaction à la p. 166 de ce Recueil, que Philippe Vincent ne put s’empêcher de témoigner son étonnement de voir un Ministre de la {p. 291}Communion Romaine prendre la défense des Théatres publics. Il en résulte que ce Protestant étoit persuadé que l’universalité morale de nos Docteurs les condamne.

Il sçavoit sans doute qu’en 1581, il y eut un Traité imprimé contre ces divertissemens dangereux, au nom des Pasteurs de l’Eglise Gallicane, sous ce titre :

Tractatus contra Saltationes & Choreas ; per Pastores Ecclesiæ Gallicanæ ; 1581, in-8°.

M. J.J. Rousseau a aussi eu pour contradicteur un Ministre de l’Eglise Romaine, M. l’Abbé Irail, dont nous aurons occasion de parler. Mais nous sommes persuadés que M. Rousseau l’aura regardé comme une voix discordante, étouffée par le jugement que l’Eglise universelle a porté dans tous les siecles contre les Théatres.

Le P. Vincent Houdry, Jésuite, a rassemblé contre les Spectacles, dans le tome huitieme de la Bibliotheque des Prédicateurs, une quantité de témoignages qui réclameront toujours efficacement contre les déserteurs de la saine morale.

{p. 292}Seroient-ils revêtus du caractere des dignités les plus respectables ? On sçait que leurs opinions ne doivent être pesées qu’avec le poids de la vérité, & non avec celui des titres qui décorent leurs personnes.

Il n’est pas douteux que parmi les Protestans comme parmi les Catholiques, il y en a quelques-uns, qui s’intéressant, comme Littérateurs, à l’art dramatique, en ont parlé avec éloge ; mais ils n’ont pas prétendu faire l’apologie des Théatres publics, tels qu’ils sont & qu’ils seront toujours, pour être capables d’attirer & d’amuser la multitude.

Louis Fabrice, par exemple, Auteur Protestant, Professeur en Théologie à Heidelberg, a donné un petit Traité sur les Jeux scéniques, intitulé : de Ludis scenicis. On pourroit abuser de ce qui y est dit en faveur de l’art dramatique. Mais Bayle, en rendant compte de cet Ecrit, dans les Nouvelles de la République des Lettres, du mois de Juillet 1684, y déclare, page 478, que « Fabrice n’a eu en vue que les Poésies dramatiques qui n’ont pour but que d’exercer la jeunesse, {p. 293}& de l’instruire agréablement par des exemples bien représentés. Ce n’est, continue-t-il, que de cette sorte de Comédies qu’il se rend le protecteur, & nullement de celles où l’on fait entrer des rafinemens de coquetterie & de médisance ».

On a vu ci-devant, page 74 de nos Lett. que Bayle pensoit sensément sur cette matiere.

On voit dans le cinquieme Tome de la Bibliotheque ancienne & moderne, que le Clerc, aussi Protestant, étoit du sentiment de Bayle contre la prétendue utilité qu’on attribue aux Théatres pour la correction des mœurs. Il y rend compte d’un Ouvrage Italien de Paul-Matthias Doria, intitulé : la Vite Civile, imprimé à Ausbourg en 1710. Il y est parlé des Spectacles publics.

Doria, en politique, en admet la tolérance ; mais il observe que les drames modernes devoient être réformés ; parce que, dit-il, on y flatte de fausses vertus, & qu’on y fait passer des vices grossiers pour des choses très-pardonnables.

Cet Auteur vouloit qu’on se rapprochât {p. 294}du goût des Athéniens, chez qui le Théatre servoit non seulement à encourager la vertu, mais encore en des cas particuliers pour des vues politiques ; & il en cite cet exemple :

« Les Tyrans d’Athenes craignant la grande vénération que le peuple avoit pour Socrate, & voulant le condamner à la mort comme coupable d’avoir découvert au peuple les mysteres les plus cachés de la philosophie, ne se hazarderent point à le faire, avant qu’Aristophane l’eût tourné en ridicule en ses Comédies ; afin qu’après l’avoir décrédité dans l’esprit des gens, ils le pussent faire mettre en prison & le condamner à la mort sans danger ».

Le Clerc fait à ce sujet cette réflexion : « Cet exemple est plus propre à décréditer l’usage des Spectacles qu’à l’appuyer ; puisqu’ils servoient à perdre la plus pure vertu autant qu’à amuser le peuple. Ces Tyrans haïssoient la vertu de Socrate, & ne le firent mourir que parce qu’il n’approuvoit pas leur conduite, sous prétexte qu’il enseignoit des choses contraires à la Religion {p. 295}de leurs ancêtres, & qu’il corrompoit la jeunesse.

« Je croirois qu’au lieu des Théatres, un des meilleurs moyens pour établir de bonnes habitudes, seroit l’observation rigoureuse des bonnes loix. On s’accoutume par-là à bien faire, plus que par toutes les leçons du monde. Et sans cela, les loix sont inutiles, selon ce mot d’Horace : Quid leges sine moribus ? vanæ proficiunt. [Od. 24, lib. 3]. C’est donc aux Princes & aux Magistrats de faire en sorte qu’elles soient constamment observées, s’ils ne veulent point voir leurs Etats tomber en décadence en très-peu de temps. Ils doivent constamment récompenser ou protéger au moins la vertu, & punir ou décourager le vice sans acception de personnes ».

On doit conclure de ces réflexions, que le Clerc étoit du nombre des Censeurs des Théatres publics.

On peut encore y admettre Samuel Werenfels, célebre Protestant, Professeur d’Eloquence, mort à Bâle en 1740. L’Ouvrage qui donne lieu de parler ici de ce Rhéteur, est un Discours {p. 296}latin qu’il fit sur l’Art Dramatique. Il se trouve dans le second volume du Recueil de ses Dissertations.

Werenfels n’avoit pas vingt ans quand il le composa. Il paroît qu’il avoit alors beaucoup de goût pour les Jeux de Thalie & de Melpomene : Néanmoins l’éloge qu’il en fait ne s’étend pas aux Théatres publics.

Ce discours, qu’il prononça dans une Assemblée académique, est établi sur les mêmes principes que celui du P. Porée, dont il a été ci-devant parlé p. 251 de nos Lett. & 201 de ce vol.

« Je ne prétends point, dit Werenfels, plaider la cause de ces vils Histrions, que l’intérêt dévoue au divertissement du peuple. Je ne m’intéresse que pour les jeunes gens de mon âge qu’on exerce à apprendre & à déclamer des drames que des sçavans & vertueux Littérateurs ont composés, & où tout se rapporte à la formation du cœur & de l’esprit…. Ne croyez pas que je veuille vous conduire aux Théatres publics, où des Histrions, du genre de ceux que Rome Payenne notoit d’infamie, n’exposent à leurs spectateurs {p. 297}que des amours illégitimes, des obscénités, des adulteres, des parjures ; où l’on traite de folie & d’imbécillité la modestie, la candeur, la retenue, la pudeur, la probité scrupuleuse, la Religion…. Ne croyez pas que je veuille vous exciter à des Spectacles, dont l’effet réel est de nous faire passer des mœurs du Christianisme à celles du Paganisme, en nous donnant pour des actes de grandeur d’ame, l’ambition, la cruauté, la vengeance, les duels, le suicide, &c. Dieu me préserve de vous inviter à fréquenter une école d’impiété, sous prétexte de vous perfectionner l’esprit ! Il vaut mieux bégayer & même être muet, que de s’exposer à de si grands risques pour devenir plus éloquent…. Quand je loue les drames, j’entends ceux où de jeunes ingénus se trouvent comme forcés à contracter des mœurs honnêtes, à aimer la vertu & à concevoir de l’horreur pour le vice130 ».

{p. 298}Un pareil Discours est une censure évidente de tous les Théatres publics.

Ces sages Littérateurs en connoissoient {p. 299}la licence, comme Gerard-Jean Vossius, Jacques Bernard que nous avons cités ci-dessus page 188 & 189.

On a aussi vu assez souvent en Angleterre de pareilles réclamations.

Le Théatre y a également toujours été pernicieux pour les mœurs : on pourroit même citer en preuve ce qui est échappé à un Poëte dramatique de cette Nation. Il fit une piece intitulée : l’Homme sans façon, & il la dédia à une fameuse corruptrice de la jeunesse. L’Epître dédicatoire contient l’éloge de cette Femme sur son talent pour l’exercice de sa honteuse profession, & il lui demande le vivre & le couvert chez elle gratis. Voici quels étoient les motifs de sa demande : « Je crois, dit-il, qu’un Poëte a autant de droit d’être reçu dans votre Maison qu’à la Comédie. Il contribue à faire subsister l’une & l’autre. Il est aussi nécessaire à des personnes comme vous pour assembler des dupes au Théatre, & vous les amener, que les Chanteurs publics sont nécessaires aux filoux pour profiter de la presse ».

Cette Anecdote se trouve rapportée dans la critique que M. Jérémie Collier {p. 300}a fait du Théatre Anglois. On y voit aussi que le Gouvernement civil d’Angleterre cessa plusieurs fois de tolérer les Théatres publics. Il y a dans le chapitre IV de la XXXIXe Constit. Elisab. un Statut qui ordonne que les Joueurs de farces publics seront appréhendés, interrogés, examinés, réputés frippons & fainéans, & encourront toutes les peines & punitions ordonnées à ce sujet, à moins qu’ils ne renoncent à leur métier.

Vers l’année 1580, on présenta une adresse à la Reine Elisabeth pour la suppression de la Comédie. En voici quelques traits rapportés dans l’Ouvrage de Collier : « Plusieurs pieux Bourgeois & autres personnes de considération bien intentionnés pour la Ville de Londres, considérant que les Comédies & les Jeux de hazard étoient des piéges tendus à la jeune Noblesse & autres, & voyant de grands inconvéniens, tant pour les Particuliers que pour toute la Ville, si on les permettoit davantage, & que ce seroit une honte aux Gouverneurs et au Gouvernement de cette honorable {p. 301}Ville de Londres, de les souffrir plus long-temps, en ont averti quelques religieux Magistrats, les suppliant de prendre les moyens de supprimer les Comédies, & dans la Ville de Londres & dans ses dépendances ; lesquels Magistrats ont sur cela présenté une humble Requête à la Reine Elizabeth & à son Conseil privé, & ont obtenu de S.M. la permission de chasser les Comédiens de la Ville de Londres & de ses dépendances ; ce qui a été conformément exécuté, & les Salles de la Comédie de la Rue Grace-Church furent interdites & entiérement détruites. »

On a de Charles Powei, Ecrivain Anglois, un Ouvrage politique qu’il donna en 1701, sous ce titre : The Unhappiness of England as to its Trade by Sea and Land truly stated, &c. c’est-à-dire, Le Malheur de l’Angleterre par rapport à son Commerce, tant de mer que de terre, véritablement représenté ; avec une vive description de la misere des pauvres, de la pernicieuse conséquence qu’a la coutume de porter l’épée, & des irrégularités des Théatres.

{p. 302}Ce dernier objet est traité de maniere qu’on y trouve le Théatre Anglois chargé des mêmes chefs d’accusation que le nôtre : « On y voit, y est-il dit, la gravité méprisée, la vertu avilie, le vice applaudi, la Religion profanée, le Clergé quelquefois injurié, le mariage déshonoré, les infirmités humaines tournées en plaisanterie, la vieillesse rendue ridicule, les plaisirs de la débauche mis en honneur, &c. ».

En 1772, il parut à Londres un Ouvrage intitulé : The absolute unlawfulness of the Stage Entertainment fully demonstrated ; By Wiliam Law ; London. C’est-à-dire : Raisons qui démontrent pleinement que les plaisirs du Théatre sont absolument illicites ; par Guillaume Law : seconde édition. Londres, 1726 ; in-8°. L’objet de cet Ecrit se trouve confirmé par une Lettre insérée dans le Mercure du mois d’Août 1723, où l’on donne une idée de la licence des Théatres de Londres. « Du temps de Jacques I, y est-il dit, le Parlement voulant remédier aux désordres du Théatre, défendit aux Poëtes sous de grieves peines, de parler dans {p. 303}leurs Drames des Mysteres de la Religion & des sujets qui appartiennent à l’Histoire sainte. Cette défense eut son effet ; mais sous Charles II, qui succéda à Cromvel, vers 1660, le déréglement prit le dessus. On vit l’Ecriture-sainte tournée en ridicule, la vertu méprisée, & la Religion publiquement jouée sur les Théatres de Londres ». Jean Dryden, l’un des plus fameux Poëtes de cette Nation, se livra totalement à la licence de son Pays. Tous ses Drames respirent l’obscénité qu’il prétendoit favoriser impunément pour plaire à la multitude. Il eut un grand adversaire dans M. Collier. Il mourut en 1701 ; mais dès l’année 1688, il reconnut ses écarts, & il eut le bonheur de devenir Catholique. Il se repentit de tous ses Poëmes licencieux, & convint qu’il n’y avoit rien de plus dangereux que la fréquentation des Théatres.

Cet aveu est un témoignage qui doit avoir d’autant plus de poids, que personne ne paroissoit en être plus éloigné. Il n’est pas douteux que de tous les Ecrivains Anglois qui ont {p. 304}écrit contre les Théatres, il n’y en a pas qui les ait attaqués plus vivement que Jérémie Collier. Il étoit de la Secte des non-Conformistes. Il mourut en 1726.

Cet Ecrivain, comme l’a dit depuis peu un Auteur131, « réunissoit l’esprit du Chrétien avec la politesse du Gentilhomme. Egalement profond dans la philosophie, la théologie, l’éloquence, les antiquités sacrées & profanes, il a enrichi sa Nation de plusieurs Ouvrages estimables, dont deux Critiques du Théatre Anglois sont du nombre ».

L’une parut en 1698, sous ce titre : A short view of the immorality and profaneness of the English stage, &c. c’est-à-dire, de l’impureté & de l’impiété du Théatre Anglois, 1698 ; in-8°. de 288 pages.

L’autre fut donnée en 1699, sous ce titre : The ancient and modern stages surveyed, &c. c’est-à-dire : Réflexions sur la Comédie ancienne & moderne, &c. 1699 ; in-8°. de 367 pages.

{p. 305}Le P. de Courbeville, Jésuite, nous a donné la traduction d’un des Ouvrages de Collier contre les Théatres. Elle parut en 1715 sous ce titre : la Critique du Théatre Anglois comparé au Théatre d’Athenes, de Rome & de France ; & l’Opinion des Auteurs tant profanes que sacrés touchant les Spectacles ; traduit de l’Anglois de M. Collier. Paris, 1715 ; in-12 de 493 pages.

Cette critique du Théatre Anglois n’est pas une vaine déclamation qui ne pose sur aucun fondement. C’est une censure appuyée sur l’examen des Drames qui avoient pour lors le plus grand cours.

M. de Saint-Evremond a dit « qu’il n’y avoit point de Comédie qui se conformât plus à celle des Anciens que l’Angloise, pour ce qui regarde les mœurs ». Mais quand on a lu l’Ouvrage de M. Collier, on est forcé de reconnoître avec son Traducteur qu’en quelque sens que Saint-Evremond ait pris les mœurs, c’est-à-dire, ou par rapport aux regles du Théatre, ou par rapport à celles de la Morale, les mœurs de la Comédie Angloise sont {p. 306}très-repréhensibles. En effet, « pour qu’elles fussent bonnes, il faudroit, dit Collier, qu’elles eussent pour objet de porter à la vertu & d’éloigner du vice, de montrer l’inconstance des grandeurs humaines, les revers imprévus de la fortune, les suites malheureuses de la violence & de l’injustice ; de mettre au jour les chimeres de l’orgueil & les boutades du caprice ; de répandre du mépris sur l’extravagance & du ridicule sur l’imposture ; d’attacher en un mot à tout ce qui est mal une idée de honte & d’horreur. Voilà ce que les Poëtes dramatiques devroient se proposer ; & s’ils le vouloient, ils pourroient y parvenir. Ils ont la force d’enlever les esprits, & le pouvoir de remuer les cœurs ; mais ces talens ne sont dignes d’éloges, que par le bon usage qu’on en fait. Ils ne sont aujourd’hui que de puissantes armes dans des mains ennemies. On les tourne du mauvais côté, & on les manie avec d’autant plus de péril pour nous, qu’on sçait mieux l’art de les rendre nuisibles. Tel est l’abus que nos Poëtes {p. 307}dramatiques font de leurs talens. Les mœurs & la Religion n’ont pas de plus grands ennemis.

« L’Auteur de la nature a distingué la vertu d’avec le vice par des traits si marqués, qu’il est facile d’en reconnoître la différence dans les conjonctures qui sont de quelque importance pour nous. Rien ne sçauroit moins se ressembler pour l’essentiel que ces deux choses. L’une a je ne sçais quoi d’aimable & de charmant, propre à se faire rechercher ; l’autre a je ne sais quoi d’odieux & de sombre propre à se faire fuir. Ceux donc qui s’efforcent de confondre ces caracteres différens, de les effacer s’il se peut, & de les changer, ne sont-ils pas dignes de toute sorte de blâme ?

« Tant que la raison est sur ses gardes, & que la conscience est droite, il n’y a guere lieu d’appréhender qu’on leur en impose ouvertement ; mais lorsque le vice est caché sous la surface du plaisir, & qu’il ne se montre que sous l’apparence d’un bien convenable, il est à craindre qu’il ne nous fasse illusion {p. 308}& nous surprenne. Le vice déguisé de la sorte peut s’insinuer plus aisément dans l’imagination, suborner la raison & pénétrer jusqu’au cœur. Ainsi le masque est-il souvent reçu où l’homme seroit refusé.

« Mettre le crime dans une situation avantageuse, le revêtir de tout l’éclat & de toute la pompe imaginable, le ménager, l’honorer, le respecter ; c’est le moyen d’en détruire la vraie idée, d’en accroître le charme séducteur, & d’en rendre la contagion presque inévitable. L’innocence doit souvent son salut à la crainte & à la honte attachées au crime. Si vous rompez ce double frein, & si l’intérêt propre se trouve joint à la liberté de commettre le mal tête levée ; que peut-on attendre delà, sinon que le plaisir devienne le maître absolu, & que tout cede à la cupidité ?

« C’est à ces termes que nos Poëtes tâchent d’en venir : & quel chemin n’ont-ils pas déjà fait, & ne font-ils pas tous les jours sans relâche ! S’ils avoient une autre intention, choisiroient-ils si souvent pour Héros de {p. 309}leurs Pieces, pour leurs Personnages favoris des libertins & des athées ? Le vice seroit-il dans leurs Drames substitué à la place de la vertu, distingué, applaudi, comblé d’honneurs & de biens, si leur dessein n’étoit d’en inspirer l’imitation ; car c’est un fait que les choses se passent ainsi sur notre Théatre.

« Sang farouche, dans l’Astrologue joué, [The mock-Astrologer] souleve hardiment l’étendard de la débauche, & se déclare contre un légitime Mariage. Lorenzo, dans le Moine Espagnol [Spanish Fryard], scélérat infame, accuse son pere, grave Magistrat, d’être un pilier de mauvais lieux, Franc homme, dans l’Homme sans façon [The Plain-Dealer], a le langage d’un brutal ; il trompe une Veuve ; il en débauche le Fils, & le révolte contre sa Mere. Hancourt, dans la Femme de la campagne[Countrywife], trahit son ami qui en a toujours bien usé à son égard. Belmour, dans le vieux Bachelier [The old Batchlour]. Mellefont, dans le Fourbe, [The double-dealer], suggere à Sans-souci tous les stratagêmes pour séduire {p. 310}une Femme mariée. Antonio, dans Don Sebastian, est un fameux athée, & ministre encore plus fameux de la prostitution ; il épouse Moraïma avec la moitié des biens du Mufti pour récompense de ses mérites. Valentine, dans l’Amour sans intérêt [Love for love], est un homme perdu de vices, un prodigue, un débauché, un impie, un mauvais cœur, un fils dénaturé ; & cependant il est traité en homme vertueux ; tout lui réussit à son gré, son bonheur surpasse même ses desirs ». &c.

« Je me lasse, de glaner après nos Poëtes dramatiques, & de recueillir leurs profanations, objets d’horreur pour moi ; j’ai presque envie d’y fermer désormais les yeux, & de les dérober à la vue des autres : nous les avons exposées au Public dans le même esprit qu’on expose au grand jour les criminels, non pour la pompe, mais pour l’exécution. Il faut quelquefois lancer un regard sur les serpens & sur les viperes, pour s’animer à les détruire : car justement indigné au point que je le suis, je ne sçaurois obtenir de {p. 311}moi de m’exprimer sans quelque chaleur. Et quel est l’homme raisonnable qui puisse envisager d’un air tranquille tant de désordres inouis ? Qui peut enflammer le zele à plus juste titre ? C’est pour de tels sujets que l’Auteur de la nature a donné au sang qui coule dans les veines l’usage de se soulever ».

Un morceau aussi véhément nous en rappelle un autre du même ton, qui se trouve rapporté comme un modele dans le Journal des Sçavans, du mois de Février 1728. Il frappa M. l’Abbé Bignon132, qui avoit alors la direction de ce Journal.

Il y étoit question d’un Livre intitulé : Réflexions sur les principales Vérités de la Religion ; dédiées à Madame la Duchesse d’Orléans, premiere Princesse du Sang. Paris, 1718, vol. in-12 de 509 pages. Voici ce que le Journaliste en a cité sur la matiere des Théatres :

« Je vous conjure d’éviter les Spectacles, & d’en éloigner tous ceux pour qui vous vous intéressez. Tout {p. 312}ce qui s’y fait est la mort de l’ame : Ce ne sont point des divertissemens ; ce sont des meurtres ; ce sont des sources de crimes & de remords. Les passions humaines débitent sur le Théatre les maximes de tous les vices. On prend le cothurne, on se pare avec des habits magnifiques pour retracer dans l’esprit des hommes la mémoire des crimes passés. On y représente des incestes, des parricides, des traîtres, des conjurateurs, qui devroient être ensevelis dans un éternel oubli. Il semble qu’on craint que les hommes venant à oublier ces forfaits, ne fussent plus tentés de les commettre. Ces crimes ne sont plus ; mais on veut qu’ils puissent servir de modeles. On prend plaisir à voir ces spectacles impurs ; parce que l’on aime à voir ce qu’on a fait, & à apprendre ce que l’on peut faire. On y fait des leçons publiques de galanterie. Une femme y étoit entrée vertueuse, elle en sort le crime & l’adultere dans le cœur. Et n’est-ce pas delà que naissent tant de désordres dans les familles, tant de {p. 313}divisions & de querelles, tant de guerres intestines ? On rentre chez soi avec un cœur blessé, qui porte encore le trait empoisonné. On a perdu le goût de la vertu & de la pudeur ; les plaisirs légitimes deviennent insipides ; le libertinage devient un assaisonnement nécessaire pour les rendre agréables & piquans. On méprise tout ce qui ne porte pas écrit sur le front le caractere du vice : on n’ose découvrir ses propres sentimens : on n’ose montrer ses plaies ; mais on affecte une indifférence extrême : on cherche divers prétextes pour s’éloigner de ce qui est permis : on prête une oreille attentive à la voix de la volupté qui semble encore se faire entendre ».

Quel fonds de vérité ! s’écrie le Journaliste en finissant cet extrait. Quel tour ! quelle véhémence !

On n’est pas surpris, comme l’a dit Basnage133, de voir la nation des Poëtes s’armer contre de pareils Censeurs. {p. 314}« Mais, continue-t-il, si un Jérémie Collier a eu contre lui presque tous ceux qui aiment la joie & les plaisirs, il a eu de son côté tous les gens graves, sérieux & sages ».

On dira peut-être que le Théatre François est moins grossiérement corrompu que celui des Anglois. Mais comme l’a dit le Traducteur de l’Ouvrage de Collier, « Quelle triste ressource pour des coupables, que d’en être réduits à dire qu’il en est encore de plus coupables qu’eux dans le monde » ! Au reste, on sçait que les bons Littérateurs ne cessent de reprocher à nos Dramatiques modernes de trop copier les mœurs angloises. Elles sont devenues à la mode sur notre Théatre, comme les mœurs espagnoles y ont été fort long-temps. « C’est, dit un Auteur134, chez les autres Nations, que nous prenons le plus souvent les caracteres originaux, comme les Dramatiques latins le firent, en représentant toujours des mœurs grecques ». Un {p. 315}Anglois nous a définis à cet égard, en disant que nous étions des pieces de monnoie dont l’empreinte est usée par le frottement. Or en imitant les mœurs angloises, n’est-ce pas leurs vices plutôt que leurs vertus qui nous servent de modeles ? N’avons-nous pas adopté plusieurs de leurs licences scandaleuses ? Combien de fois en effet la Cour & la Ville n’ont-elles pas retenti des scandales de nos Pieces dramatiques ? On l’a éprouvé à l’occasion de la Tragédie des Druides135, qui fut représentée pour la premiere fois, le 7 Mars 1772, sur le Théatre de la Comédie Françoise.

« On se doutoit bien, dit un de nos plus judicieux Aristarques136, que cette Piece ne pouvoit être autre chose qu’une déclamation dramatique, présentée plus ou moins artistement contre un Ordre où l’on ne veut voir que des abus, ou des excès réprimés depuis longtemps, & condamnés même chez {p. 316}toutes les Nations instruites par la plus saine partie de ceux qui le composent ». Tel paroît être l’objet au moins indirect de cette Piece.

Il est rapporté dans un autre Ecrit périodique137, qu’une auguste Princesse (Madame Adelaïde de France), fut scandalisée de ce Drame, dès la premiere fois qu’il fut représenté. Elle en témoigna un extrême mécontentement : elle releva avec force l’indécence qu’il y avoit à travestir si indignement la Religion, & à rendre en quelque sorte le Roi, la Famille Royale, & toute la Cour, complices de cet attentat, en osant exposer sous leurs yeux une telle Piece.

Ce Drame fut enfin arrêté à la douzieme représentation, nonobstant toutes les réformes successives qui y avoient été faites, d’après les observations des Virtuoses du foyer ;

… Lieu toujours fréquenté,
Qu’habitent l’Opulence & la Frivolité138,
{p. 317}Là, dans les jours brillans, l’Opulence rassemble139
Tous les états surpris de se trouver ensemble :
Un plumet étourdi, de lui-même content,
Se montre, disparoît, revient au même instant,
Infectant ses voisins de l’ambre qu’il exhale.
Le grave Magistrat se rengorge & s’étale ;
Et l’épais Financier, fougueux dans ses desirs140,
Va toujours marchandant ou payant ses plaisirs.

M. Dorat, Essai sur la Déclam. trag.

M. Dorat, dans cette description ingénieuse, n’a sans doute prétendu caractériser que ceux qui ne font pas honneur à la profession qu’ils ont embrassée. Tous les Militaires en effet portant plumets, ne sont pas étourdis. Leur état, comme nous l’avons déjà observé141, est conciliable avec toutes les vertus. Le courage même que cette profession exige, doit élever leur sagesse jusqu’à l’héroïsme, c’est-à-dire, que tout ce qui porte le caractere du devoir, soit envers Dieu, soit envers {p. 318}les hommes, est pour des Militaires vertueux une loi qui trouve en eux des défenseurs par leur fidélité à l’observer. Leur exemple humilie les prévaricateurs, & fortifie les foibles.

Ce n’est pas à ces braves Citoyens que M. Dorat a reproché l’étourderie, mais à ceux dont le courage mal dirigé ne se porte qu’au renversement de toutes les Loix, morales, divines & humaines.

Ce n’est de même qu’aux Magistrats, déserteurs des obligations de leur état, que M. Dorat a attribué un ton de suffisance & de domination. Il n’y a que les juges orgueilleux qui ont la vanité de se repaître d’un vain spectacle d’une foule de cliens. Les vrais Magistrats que nous avons aussi eu lieu de caractériser142, ne se voient qu’avec peine fréquemment sollicités. Les cliens sont pour eux, comme des créanciers, dont l’importunité semble leur reprocher de la lenteur dans l’exercice de leurs fonctions. Les Magistrats qui se rengorgent & qui s’étalent dans les foyers des Spectacles, sont {p. 319}ceux qui n’ont apporté d’autre préparation à leurs charges que celle de les avoir desirées ; qui mettent leur gloire à les acheter, non pas à les exercer ; qui s’y sont jettés sans discernement ; qui s’y maintiennent sans mérite, & qui, n’ayant acheté ces titres vains d’occupation & de dignité, que pour satisfaire leur orgueil & pour honorer leur oisiveté, ne connoissent d’autre école que le Théatre, d’autre morale que les maximes frivoles d’un Drame, d’autre étude que celle d’une Musique efféminée, d’autre occupation que le jeu, d’autre bonheur que la volupté.

Enfin M. Dorat, en nous peignant les Financiers avec tout le poids de leur opulence, n’aura également eu en vue que le ridicule de ceux qui, enorgueillis par leurs richesses, s’en font comme une espece de Ville forte, d’où ils insultent à ceux qu’ils éblouissent par leur luxe. Substantia divitis urbs fortitudinis ejus. Les Financiers qui exercent leur état avec probité, méritent de la considération. On sçait que dans les beaux temps de la {p. 320}République Romaine, les Publicains143 formoient une classe de Citoyens, dont les fonctions n’étoient pas chargées de la haine du Public. Ciceron, dans sa Harangue pour Plancus, les appelle la fleur des Chevaliers Romains, l’ornement de la Capitale & les colonnes de l’Etat144. Il ne tient {p. 321}qu’à nos Financiers de mériter de pareils éloges ; & l’on peut en juger par l’estime que l’on a pour ceux d’entre eux dont la gestion a toujours été irreprochable. Leurs richesses, reconnues pour avoir été légitimement acquises, sont honorées, sur-tout lorsqu’elles sont annoblies par des actes de bienfaisance & d’humanité. Mais des Financiers de cette espece ne se rencontrent point aux foyers des Spectacles, où la Tragédie des Druides trouva tant d’approbateurs. Il fallut la renvoyer à de meilleurs juges.

Le dernier Ecrit périodique que nous avons cité, rapporte aussi que M. de Brienne, Archevêque de Toulouse, & M. l’Abbé Ribalier, consultés sur cette Piece, avoient répondu par écrit « que les propos de nos Incrédules modernes y étoient semés ; qu’on y attaquoit sur-tout les Vœux monastiques ; qu’on y lançoit les traits les plus piquans contre un engagement aussi respectable, & que le dessein général de la Piece étoit visiblement de décrier plusieurs principes & maximes du Christianisme ».

{p. 322}Que n’emploient pas en effet pour y parvenir,

… Tous ces Messieurs qui, fiers de leur raison,
Se croyant appellés à réformer la terre,
A tous les préjugés ont déclaré la guerre ?
Petits pédans obscurs, qui pensent à la fois
Eclairer l’Univers & régenter les Rois ;
Fanatiques d’orgueil, dont la folle manie
Est de se croire un droit exclusif au génie :
Flatteurs, en affichant le mépris des grandeurs ;
De tout ce qu’on révere audacieux frondeurs ;
Pleins de crédulité pour des faits ridicules,
Et sur tout autre objet sottement incrédules :
Pensant que rien n’échappe à leurs yeux pénétrans ;
Prêchant la tolérance ; & très-intolérans :
Qui sur un tribunal érigé par eux-mêmes,
Jugent tous les talens en arbitres suprêmes :
De quiconque les flatte, orgueilleux protecteurs ;
De quiconque les brave, ardens persécuteurs ;
Enfin du monde entier s’arrogeant les hommages,
Pour avoir usurpé la qualité de sages145.

M. le Blanc, Auteur de la Tragédie des Druides, a bien protesté qu’il n’a prétendu attaquer que le fanatisme, le plus grand ennemi de la Religion.

Mais on a pu lui repliquer,

On vous devine mieux que vous ne sçavez feindre.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que sous {p. 323}l’emblême des fausses Religions, les Poëtes dramatiques ont entrepris d’attaquer la véritable ; Mahomet, les Vestales, Eugénie, l’Honnête Criminel, les Loix de Minos ou Asterie, les Guebres, Argillan, Virginie, Olinde & Saphronie en sont des preuves. On y fait semblant de n’en vouloir qu’aux abus ; & sous ce prétexte, on y peint des plus noires couleurs les dogmes & les pratiques les plus respectables :

Car il faut les détruire ; & j’en aurai la gloire146.

Voilà le dessein caché des Auteurs de ces diatribes rimées, déguisées en drames, contre la Religion & les Prêtres.

« On s’efforce, dit M. de Querlon147, d’y représenter, par la bouche des Infideles ou des Apostats, les Chrétiens comme des fanatiques d’un autre ordre, & d’y semer des traits les plus marqués contre l’intolérance politique ou morale. Ces tableaux tragiques remplissent l’imagination d’idées fausses qui {p. 324}affoiblissent presque toujours dans l’ame des Spectateurs le respect pour la Religion Chrétienne ».

Voici à ce sujet une bonne observation de Bayle : « Il n’y a point de gens qui puissent se donner plus de carriere, en fait de maximes impies & libertines, que ceux qui composent des Pieces de Théatres ; car si l’on vouloit leur faire un crime de certaines licences qu’ils prennent, ils ont à répondre qu’ils ne font que prêter à des profanes ou à des personnes dépitées contre leur fortune, les Discours que le vraisemblable exige. Quand on n’auroit pas à imputer à un Auteur d’une Tragédie tous les mauvais sentimens qu’il étale, il y a des affectations qui découvrent ce qu’on doit mettre sur son compte ; & quelque chose qu’on allegue en faveur des Poëtes, on peut, ou plutôt on doit interdire le Théatre à certaines Pieces, soit que l’Auteur y débite, soit qu’il n’y débite pas ses sentimens. Cyrano de Bergerac répandit dans son Agrippa des impiétés qui la firent interdire ».

{p. 325}Il n’y a pas moins de danger à ne nous donner que des personnages vicieux pour les Héros des Poëmes dramatiques. Voici une réflexion très-sensée d’un sçavant Protestant à ce sujet ; elle est de Bernard, le Journaliste148 : On a beau soutenir, dit-il, qu’on n’introduit jamais de tels gens sans en donner de l’horreur ; tout cela ne guérit point le mal. Bien-loin d’introduire de tels scélérats, il ne faut pas seulement faire soupçonner qu’il puisse y en avoir. Je dis avec Madame de Ville-Dieu :

C’est un méchant moyen d’enseigner la vertu,
Que de la faire voir par le portrait du vice149.

Le Gouvernement civil a souvent cru avoir des raisons pour tolérer les Spectacles ; mais de droit & dans le for intérieur, ils n’en sont pas moins défendus. Semper quidem retinebuntur, sed semper vetabuntur. Leur cause a été tant de fois plaidée & perdue au tribunal de la raison, que {p. 326}leur condamnation est une vérité incontestable : Res judicata pro veritate habenda est : Ils auront toujours contre eux la tradition des sages, tant anciens que modernes.

On sçait que Cyrus demandant à son Conseil quelle étoit la meilleure méthode pour retenir sous le joug une Nation vaincue, & amortir son courage : un de ses Conseillers lui répondit, qu’il suffisoit d’y envoyer des troupes de Danseurs & de Chanteuses. « Qu’on y fasse, ajouta-t-il, élever la jeunesse au milieu des Spectacles & des plaisirs. C’est l’ennemi le plus funeste qu’on puisse y introduire : Luxuria omni hoste pejor ».

Un Spartiate observant à Athenes la prodigieuse dépense qu’on y faisoit pour les Jeux, & l’air de gravité avec lequel le Magistrat même entroit dans ce soin, s’écria : « Qu’il reste bien peu de sagesse dans une Ville où l’on se fait une sérieuse occupation de ces bagatelles !

« Si nous considérons, dit Plutarque, les meilleurs même des Spectacles, qui étoient les Tragédies ; de {p. 327}quel avantage étoient-ils pour la Nation ? Thémistocle entoura la Ville d’excellens murs. Periclès l’embellit avec beaucoup de magnificence & de goût. Miltiade assura la liberté des Athéniens par son courage. Conon, par la modération de sa conduite, leur acquit le gouvernement de toute la Grece. Si les sages Poëmes d’Euripide, le sublime langage de Sophocles & l’esprit d’Œschile, ont été aussi utiles à la Patrie, je consens, ajoute Plutarque, que les Pieces dramatiques soient comptées au nombre des trophées de la République ».

Mais laissons les Théatres des Anciens pour ce qu’ils étoient. Il est certain que les nôtres n’auront une apologie parfaite, que lorsque la Nation sera dans le cas de la faire par la pureté de ses mœurs. Or, à cet égard, le caractere de notre siecle ne fait pas l’éloge de l’école de Melpomene & de Thalie.

En voici une preuve dans le jugement qu’on a porté d’un Roman de M. Dorat, intitulé :

Les Sacrifices de l’Amour, ou {p. 328}Lettres de la Vicomtesse de Senanges & du Chevalier de Versenai. Paris, 1772 ; 2 vol. in-8°.

L’Héroïne de ce Roman est la Vicomtesse de Senanges. Elle se trouve engagée dans les liens d’un mariage malheureux : elle n’y connoissoit que les frémissemens de la crainte, les terreurs de l’antipathie & la rigueur des devoirs. Elle s’en dédommagea en se livrant à une forte inclination pour le Chevalier de Versenai ; mais à condition que leur bonheur réciproque ne parviendroit à son apogée qu’après la mort du mari, que l’Auteur fait arriver à volonté pour opérer le dénouement de cette galante intrigue.

Or ce Roman a été critiqué. Est-ce parce que l’Auteur, l’ayant donné sous la forme de Lettres, l’action y est tournée en sentiment, & est par conséquent présentée d’une maniere plus séduisante ? Non. Est-ce parce que l’amour, qui est le sujet de la fable de ce Roman, présente d’abord l’image du crime ? Non. La critique a porté sur ce que l’Auteur a donné trop de vertu à son Héroïne, en lui {p. 329}faisant tenir la conduite d’une Sabine ou d’une farouche Gauloise.

« Cette critique, dit M. Dorat, prouve singuliérement à quel point nos mœurs sont dépravées. On a crié à l’invraisemblance ; parce qu’une femme, malgré sa passion, respecte ses liens, est fidelle à ses devoirs, & se défend de consommer une foiblesse…. Il est étrange qu’on ne puisse plus supporter dans notre siecle une résistance de six mois, sans scandaliser la moitié de Paris ».

Ce fut sans doute pour éviter ce scandale, que M. Dorat se pressa de donner un autre Roman intitulé : Les Malheurs de l’inconstance, dont la leçon morale est qu’une femme qui cede à une passion criminelle, est souvent plus courageuse que celle qui résiste.

Telles sont les influences respectives des mœurs sur les Ecrits, & des Ecrits sur les mœurs. Voilà comme les Auteurs dramatiques, de même que les Compositeurs de Romans, se voient obligés de se conformer à ce qu’on appelle la facilité & l’aménité des mœurs modernes ; c’est-à-dire, au {p. 330}goût corrompu du plus grand nombre.

« Je croyois, a dit M. de Voltaire150, que l’amour n’étoit point fait pour le Théatre tragique ; & dans l’âge même des passions les plus vives, je ne regardois cette foiblesse que comme un défaut qui avilissoit l’art des Sophocles. Les Connoisseurs qui se plaisent plus à la douceur élégante de Racine qu’à la force de Corneille, me paroissoient ressembler à ceux qui préferent les nudités du Correge au chaste & noble pinceau de Raphaël. Mais le Public qui fréquente les Spectacles, est aujourd’hui plus que jamais dans le goût du Correge. Il ne lui faut que de la tendresse. Il a donc fallu me plier aux mœurs du temps, et commencer tard à parler d’amour ».

Quelle foiblesse dans un homme de Lettres que ses sectateurs appellent le Poëte Philosophe ! Ne devoit-il pas dire avec le patriotisme d’un ancien Romain (Quintius Capitolinus) : « Mes {p. 331}chers Concitoyens, quand mon naturel ne me feroit pas préférer le vrai à l’agréable, j’y serois forcé en cette occasion : j’ai grande envie de vous plaire ; mais dussé-je encourir la rigueur de vos censures, j’aime mieux sauver vos mœurs » : Me vera pro gratis, & si meum ingenium non moneret, necessitas cogit : vellem quidem vobis placere, Quirites ; sed multò malo vos salvos esse qualicumque erga me animo futuri estis. Tit. Liv. Dec. 1, l. 3, c. 67.

On a du P. Souciet, Jésuite, une Lettre imprimée151, dont l’objet est de prouver que pour faire une excellente Tragédie, il faudroit du moins être aussi Philosophe que Poëte. « Mais, dit-il, comme ces deux caracteres ne se concilient pas ordinairement ; c’est pour cette raison que le Théatre sera toujours une école du vice ».

On en peut dire autant des Romans. Néanmoins M. Dorat est si enthousiasmé de ce genre d’Ecrit, qu’il va jusqu’à soutenir152 « que le Roman est {p. 332}une des plus belles productions de l’esprit humain, parce qu’il en est une des plus utiles ; il l’emporte même sur l’Histoire : l’Histoire n’est le plus souvent qu’un tableau monotone de vices sans grandeur, de foiblesses sans intérêt ; qu’une collection de faits piquans pour la curiosité seulement, & en pure perte pour la morale ; au lieu que le Roman est pris dans le systême actuel de la société où l’on vit. C’est, osons le dire, l’histoire usuelle, l’histoire utile, celle du moment ».

M. Darnaud est aussi sort attaché à cette idée. Il l’a souvent insinuée dans ses Ecrits, & principalement dans la Préface du Tome premier de ses Nouvelles historiques qu’il donna en 1774. Il y paroît persuadé que ces Romans font peut-être plus utiles même que l’Histoire. Mais, comme l’a remarqué M. de Querlon [dans la 4e. Feuille Hebd. des Prov. de l’année 1774], cette opinion est un vrai paradoxe. Les plus belles moralités perdront toujours la moitié de leur prix, toutes les fois qu’elles ne porteront que sur des fictions, c’est-à-dire, sur des faits {p. 333}supposés & des caracteres de fantaisie.

On a entrepris de donner une Bibliotheque universelle des Romans153, cette entreprise ne peut avoir son utilité que pour l’Histoire Littéraire. Les Auteurs ont bien avancé dans le Prospectus de l’Ouvrage « qu’ils ne se proposoient de n’extraire des Romans que ce qui pourroit présenter des leçons de sagesse & de bons préservatifs contre la séduction du vice ; qu’ils laisseroient dans le creuset de l’analyse le poison de ces futiles Ecrits ; qu’ils n’en donneroient que des miniatures, en n’offrant que les sentimens propres à caractériser l’Ouvrage. Que ces miniatures enfin ne contiendroient aucune image qui ne seroit pas avouée par la décence la plus rigoureuse ».

Voilà de bonnes intentions, mais bien difficiles à remplir à l’égard de pareils Ouvrages. Les Auteurs de cette Bibliotheque « voyoient, disent-ils, avec peine que ces brillantes productions étoient perdues pour {p. 334}un grand nombre de Lecteurs, dont la conscience délicate s’effraie du nom seul de Roman ». Nous avons rapporté au commencement de ce vol. p. 61 & suiv. quelques témoignages capables d’ôter tous regrets aux personnes qui ne se permettent point ces sortes de lectures. Préservons-nous de l’opinion de ces Littérateurs séduits qui voudroient persuader que ces dangereuses frivolités sont presque plus utiles que l’Histoire.

« N’est-ce pas, dit M. de Querlon154, soutenir que la fiction l’emporte sur la vérité ? Le Roman le mieux fait n’est qu’une belle fable, dont le principal effet ou au moins celui qu’on ne veut pas manquer [comme dans les Drames], est d’agiter, d’émouvoir, de nourrir & d’augmenter même la sensibilité naturelle ; enfin de relâcher, d’amollir & de détremper l’ame, en quelque sorte, sans laisser à l’esprit aucun fondement solide, sans fournir à la raison d’autre appui que des possibilités idéales. L’esprit humain n’est-il donc pas assez porté {p. 335}de lui-même au merveilleux, au mensonge, sans lui présenter continuellement des fictions, & le nourrir de viandes peintes, comme dit Nicole ? Le fruit le plus évident & le plus réel de nos compositions romanesques, est de tout dénaturer parmi nous, & de nous former insensiblement un esprit & des mœurs factices, dont il est aisé d’appercevoir les progrès qui sont assez sensibles. Quant à l’Histoire que l’on veut subordonner au Roman, une grande partie du mal est faite. Les histoires les plus goûtées aujourd’hui sont celles où tous les temps sont assimilés, où les plus éloignés de nous, les mœurs les plus étrangeres aux nôtres sont peintes de nos propres couleurs ; où notre génie est la mesure de l’esprit de tous les siecles & de tous les âges. C’est ce qu’on nomme la Philosophie de l’Histoire ; grand nom, sur lequel on comprend l’art de tout romaniser pour le bien des hommes & la plus grande gloire de l’Auteur ! Concluons que les Romans, quels qu’ils soient, & quoique nous ne puissions pas nous-mêmes {p. 336}nous défendre du plaisir que nous font certains Ecrits de ce genre, gâteront toujours plus de têtes & d’esprits qu’ils n’en pourront jamais former ».

Rien n’est plus solide que ces réflexions de M. de Querlon : elles sont dignes de ce sçavant Journaliste, qui avec le laconisme auquel la forme de son Ecrit périodique l’assujettit, en dit toujours assez pour faire connoître ce que les Ouvrages nouveaux ont d’honnête & d’utile, de vicieux & de nuisible :

Qui quid sit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non
Planiùs ac meliùs … … … dicit.

On le voit, pour l’honneur des Lettres, profiter de toutes les occasions pour venger les insultes & les torts que les Littérateurs corrompus font à la Religion & aux mœurs. La même Feuille, par exemple, d’où l’on a tiré les réflexions qu’on vient de citer sur les Romans, contient les pensées les plus lumineuses sur la domesticité, dans le cours desquelles on trouve celles-ci : « L’établissement du Christianisme a fait cesser parmi {p. 337}nous l’esclavage ; & c’est d’abord un bien qu’il a fait, dont on ne lui tient pas assez de compte. Mais est-ce le seul qu’on lui doive ? Cette Religion si méprisée de nos prétendus Philosophes, combien a-t-elle influé sur les mœurs ! Combien lui doit-on d’institutions raisonnables ! Que d’ordre, de regle, de principes, que toute la philosophie payenne, toute la sagesse & la raison des hommes n’avoient pu gagner sur eux ; comme le pardon des injures, l’amour de nos ennemis ; effort d’un courage au dessus de tous ceux dont l’humanité peut être capable, &c » !

Nous ne craignons pas d’être désavoués par M. de Querlon, lorsque nous ajouterons qu’on conçoit de l’éloignement ou plutôt de la haine pour cette Religion si bienfaisante, à proportion qu’on se livre à la morale des Théatres & des Romans. C’est à toutes leurs fictions qu’on doit attribuer cet esprit de frivolité & d’enfantillage qu’on ne pardonnoit pas autrefois même à la jeunesse, & que tous les âges affectent aujourd’hui. On pourroit appliquer à la fréquentation des {p. 338}Théatres & à la lecture des Romans, ce que M. Dorat dit de l’air envenimé de Paris : « Le désordre y est autorisé par l’exemple ; la foiblesse ou plutôt le vice s’y trouve en quelque sorte indispensable. On s’y sent pressé à suivre la pente : on s’y laisse entraîner, & l’abyme est au bout. Les bons naturels luttent quelque temps ; mais à la fin le torrent les emporte ; & ceux qu’il entraîne sont d’autant plus à plaindre, qu’il se joint au remords du vice quelques retours impuissans vers la vertu qu’ils ont perdue. Corrumpere & corrumpi ; corrompre & être corrompu, disoit Tacite, voilà ce qu’on appelle le train du siecle. Il semble qu’en écrivant cette sentence foudroyante, le Peintre des Nerons & des Tiberes ait deviné la plaie incurable de nos mœurs & de l’état actuel de notre société. Tous les liens y sont rompus, tous les principes renversés. A force de généraliser la vertu, on parvient à l’anéantir. Sous prétexte d’être Philosophe, on n’est ni pere, ni époux, ni citoyen. L’adultere n’est plus qu’un vieux mot de mauvais {p. 339}ton : ce qu’il désigne est reçu, accrédité, affiché même en cas de besoin. La probité pleure, la vertu se cache, la scélératesse leve le front ; & il n’y a plus de frein à attendre pour la corruption, quand une fois la pudeur du vice a disparu ».

« Enfin de degrés en degrés », comme le dit un Anglois qui a fait des Dissertations sur Tacite, « nous sommes parvenus à l’emporter sur la corruption de Rome ; & nous pouvons dire avec Juvenal : Nil ulterius, &c. La postérité ne peut rien ajouter à notre dissolution ; ce qu’elle peut faire de pis, est de nous imiter. Et ce qui prouve que nous sommes au comble, c’est que ces descriptions mêmes sont si éloignées de nous couvrir de honte, qu’elles ne servent qu’à nous faire rire, comme il arrive aux Représentations dramatiques, où l’on s’amuse des portraits de ses propres vices ».

A ces descriptions énergiques des vices de notre siecle, nous allons en ajouter une plus légere ; elle est de l’agréable pinceau de M. Pannart [le la Fontaine du Vaudeville, mort en 1765] {p. 340}dont nous avons rapporté, p. 177 & s. une Description badine de l’Opéra.

Non, l’on ne vit jamais l’orgueil & l’insolence
 Régner autant que dans ces jours.
 … … … … …
 Rien ne distingue un homme de naissance
Tout le monde se donne un air de qualité.
Une Actrice se croit fille de conséquence.
 L’Acteur se perd par sa fatuité.
Contre un juste Public, un Auteur révolté,
Se prétend bel-esprit, malgré son ignorance.
Le Maître de Musique est un homme fêté ;
Et jusques en carrosse on voit rouler la danse.
 … … … … …
 L’esprit n’est plus qu’un faux-brillant ;
 La beauté qu’un faux étalage ;
 Les caresses qu’un faux-semblant ;
 Les promesses qu’un faux langage.
 Fausse gloire, fausse grandeur
 Logent par-tout le faux honneur.
 Par-tout on voit fausse noblesse,
 Fausse apparence, faux dehors,
 Faux airs, fausse délicatesse,
 Faux bruits, faux avis, faux rapports.

Dans l’In-promptu des Acteurs.

Cependant c’est dans un siecle aussi corrompu, qu’il a paru des Ecrits contre le genre d’amusement le plus dominant. Nous allons continuer de les indiquer.

Lettre de M. Gresset, l’un des quarante de l’Académie Françoise, à {p. 341}M. *** sur la Comédie ; Paris, 1759.

On la trouvera imprimée en entier à la fin de ce volume. Le mérite de ce vertueux Académicien est caractérisé dans les Lettres de Noblesse que Louis XVI lui a accordées. On a dans la Feuille Hebdomadaire des Provinces, du premier Février 1775, une notice de cet annoblissement, dont les motifs, aux termes de ces Lettres, sont entre autres, « pour s’être distingué par des Ouvrages qui lui ont acquis une célébrité d’autant mieux méritée, que la Religion & la décence, toujours respectées dans ses Ecrits, n’y ont jamais reçu la moindre atteinte ; qu’il est issu d’une Famille honnête d’Amiens ; que son Aïeul & son Pere y ont rempli différentes Charges Municipales, & qu’ils y ont toujours vécu, comme M. Gresset lui-même, de cette maniere honorable qui, rapprochant de la noblesse, est en quelque sorte un degré pour y monter ».

Les louanges dont notre jeune Monarque a honoré la pureté des Ecrits de M. Gresset, annoncent ses justes préventions contre les Auteurs {p. 342}des Ouvrages impies & licencieux. Quel heureux présage pour la renaissance des mœurs ! « La Religion donne tout, & tout manque sans la Religion, est-il dit dans un Mandement d’un de nos respectables Prélats155. C’est la Religion qui rend un Prince selon le cœur de Dieu. Qu’un Roi soit animé de l’esprit de Dieu, il sera judicieux & intelligent dans le choix de ses Ministres ; il saura préférer le mérite à la faveur, & faire prévaloir les connoissances & les talens sur les manœuvres de l’intrigue & du crédit. Que le Monarque aime Dieu, & il aimera son peuple, & il portera du haut du Trône des regards bienfaisans jusqu’au fond de ces Provinces, dont les tristes Habitans manquent quelquefois de pain, ou le trempent souvent dans leurs larmes. Il sera ce Roi sage dont parle l’Ecriture, qui, Pere de ses Sujets, s’applaudit au milieu de sa nombreuse {p. 343}Famille, de n’y voir que des heureux : Rex sapiens, populi stabilimentum ; & l’on ne verra pas son Royaume partagé pour ainsi dire en deux classes ; dans l’une, les dépouilles des Provinces servir de trophée au luxe & au faste de plusieurs Familles, dont quelques-unes méprisables, autant par leur origine que par leurs mœurs, ne voient jamais de superflu dans leur opulence, tandis que dans l’autre, des milliers de Familles, tirant à peine le nécessaire d’un travail pénible, semblent reprocher à la Providence cette humiliante inégalité. Le bonheur d’un Peuple dépend de la piété de son Roi. Elle est une source de paix & d’activité dans les Villes ; d’industrie & d’abondance dans les Campagnes. La piété assise sur le Trône fera régner une sage économie dans l’administration des Finances, une prudente modération dans la levée des Impôts, une droiture inflexible dans le sanctuaire de la Justice, une probité soutenue dans toutes les branches du Commerce ; dans le Clergé, cet esprit {p. 344}de charité, de désintéressement, d’humilité qui caractérise les vrais Pasteurs ; & substituera, chez le Militaire, au brutal point d’honneur, l’amour de la véritable & solide gloire. Que la piété solide & éclairée paroisse avec éclat sous le Diadême, & le flatteur se taira ; la vérité s’approchera avec confiance de l’oreille du Prince ; notre Nation recouvrera ce caractere de franchise & de loyauté qui acheve de se perdre avec nos mœurs. Le Courtisan respectera la vertu ; le sexe s’honorera de la pudeur ; les mœurs présideront à l’éducation ; les Loix, recouvrant leur activité, renverseront ces barrieres que l’adulation cherche à multiplier, banniront cet esprit de servitude qui dégrade les ames, & formeront un Peuple de Citoyens, qui gagnera, avec la liberté de se plaindre, l’avantage de n’en avoir pas besoin. L’irreligion décorée du nom de Philosophie, tremblante, se hâtera de rentrer dans les ténebres de l’ignorance présomptueuse & du libertinage qui l’ont enfantée ». Les Apôtres {p. 345}de l’impiété craindront les effets de cette justice, dont M. Moreau156 a eu l’honneur d’exposer si heureusement la théorie à nos augustes Princes ; solides instructions dont le Roi a permis la publication, & dont le premier volume a paru en 1775, sous le titre de Devoirs du Prince réduits à un seul principe, ou Discours sur la Justice.

Quelle sécurité ne doit-on pas avoir sous le regne d’un Monarque qui veut qu’on ne fasse pas un secret de l’art du Gouvernement, & que ses Sujets sçachent qu’on lui a enseigné que l’exercice de sa puissance souveraine ne doit avoir pour objet que leur propre bonheur ; & que chargé de les défendre, même contre leur propre licence, il doit rétablir & soutenir les mœurs par l’efficacité de ses bons exemples ! En effet, comme l’a dit M. Dorat dans l’Ode intitulée : l’Inoculation,

Les Rois forment nos mœurs ; tout émane du trône,
  Le vice & la vertu.

Les Partisans du Théatre ont beaucoup murmuré contre la Lettre lumineuse {p. 346}& édifiante de M. Gresset que nous venons d’indiquer. Il en est très-mal parlé dans le deuxieme tome de l’Histoire infidelle & dangereuse des Querelles Littéraires157. Elle y est donnée comme une déclamation qui a moins paru le langage du remords que celui de l’amour-propre. La Lettre de M. J.J. Rousseau contre les Spectacles, n’y est pas mieux traitée. Le Panégyriste de l’ignorance & des brutes, y est-il dit, devoit être le Censeur du Théatre, l’école de la politesse & du goût.

M. l’Abbé Irail, à qui cette Histoire des Querelles Littéraires est attribuée,158 ne donne pas une meilleure idée de son jugement & de ses lumieres, lorsque dans le même endroit il loue159 le P. Caffaro d’avoir eu le courage de s’élever au dessus des préjugés de son état, en écrivant en faveur de la Comédie avec ce ton de force & de véhémence {p. 347}qu’il n’appartient qu’aux gens persuadés d’avoir.

Il paroît que M. Irail n’a pas, sur les devoirs de l’Etat Ecclésiastique, les mêmes idées que Charlemagne en avoit. « Nous souhaitons », écrivoit cet Empereur aux Evêques de ses Etats, « nous souhaitons que vous soyez comme doivent l’être des Soldats de l’Eglise, c’est-à-dire, des hommes pieux & sçavans, que vous viviez bien, que vous parliez bien, & que vous soyez instruits dans les Lettres saintes. Car, quoique ce soit une meilleure chose de faire le bien que de le connoître, il faut cependant le connoître avant que de le faire160 ».

{p. 348}De la Motte Houdart a dit161 que « l’Ecriture-Sainte ne nous a point été donnée pour nous rendre sçavans, encore moins pour amuser notre imagination, & nous inspirer le goût des plaisirs sensuels ; mais qu’il avoit étudié les Livres Saints, comme la science de l’unique nécessaire, & comme la source divine de la doctrine & des mœurs ».

Si M. Irail avoit connu l’Ecriture-Sainte, il n’auroit pas avancé qu’elle est favorable au P. Caffaro, qu’elle n’a rien tant en recommandation que les jeux, la danse & les Spectacles, & qu’elle fait un mérite à quelques-uns de ses plus saints personnages d’avoir dansé au son du tambour162.

M. l’Abbé Irail n’auroit pas sans doute répété ce sophisme suranné, s’il avoit sçu que du temps de S. Cyprien on avoit osé s’autoriser de l’exemple de la danse de David pour justifier les Théatres ; mais que S. Cyprien répondit à ces faux raisonneurs : « Ne vaudroit-il pas mieux que ces gens-là {p. 349}n’eussent jamais appris à lire, que de faire un tel usage de leur lecture. Qu’ils sçachent que l’exemple de David qui a dansé devant l’Arche, ne favorise en rien les Chrétiens qui assistent aux Théatres, parce qu’il n’y a rien dans l’exemple de David qui soit honteux, ni qui ressente la licence des scenes & des fables dramatiques163 ».

{p. 350}L’Abbé Terrasson164 osa de même, dans ses Dissertations critiques sur l’Iliade d’Homere, justifier l’exposition des objets les plus capables d’irriter les sens. Il alla jusqu’à prétendre excuser la foiblesse de ceux qui se livrent à l’impression de la beauté & aux desirs qu’elle excite ; &, à cet égard, il donna pour exemple Jacob, en disant que ce Patriarche n’avoit pas été blâmé dans l’Ecriture-Sainte, pour avoir préféré Rachel à Lia. Voilà les Apologistes que nos Théatres peuvent avoir ; aussi cet Abbé Terrasson en a-t-il fait l’éloge dans les mêmes Dissertations. Nos Spectacles sont, selon lui, la meilleure école que les {p. 351}Princes puissent avoir ; & il soutient que c’est un établissement utile à protéger comme un moyen propre à réparer les breches que la mort fait dans les Etats. Et sur quoi fondoit-il ce moyen ? sur l’efficacité des maximes amoureuses de nos Drames, & surtout des Opéra de Quinault qu’il protégeoit singuliérement. Il ne trouvoit rien à reprendre à des leçons telles que celles-ci :

Aimable jeunesse,
Suivez la tendresse.
***
C’est pour vous surprendre,
Qu’on vous fait entendre
Qu’il faut éviter ses desirs,
Et craindre ses soupirs.
Laissez-vous apprendre
Quels sont ses plaisirs.
***
Les oiseaux vivent sans contrainte ;
En amour ils sont tous
Moins bêtes que nous.

Ce n’est, suivant l’Abbé Terrasson, que pour la commodité de la rime, & par haine pour Quinault, que Despréaux a traité de lubrique cette morale.

{p. 352}Un sçavant Académicien, M. Dacier165, meilleur Philosophe, a relevé avec zele dans la Préface du IIe volume du Manuel d’Epictete les opinions scandaleuses de Terrasson. Il lui reproche l’abus qu’il faisoit de l’Ecriture-Sainte, en ne mettant pas de différence entre la disposition honnête de Jacob recherchant en mariage Rachel, & celle des Amans de Théatres qui idolâtrent leurs maîtresses, & qui, en étalant leurs feux criminels, donnent des leçons d’une licence effrénée qui ne tend qu’à détruire les moyens légitimes de la multiplication des familles ; & loin d’admettre avec l’Abbé Terrasson, que les Poëtes dramatiques & les Sirenes, qui en sont les organes, sont les seuls maîtres de morale que les Princes doivent avoir, M. Dacier soutient au contraire que les Princes doivent éviter de s’exposer à se laisser {p. 353}séduire par toutes ces personnes préparées pour prendre les ames par la séduction de leurs charmes & de leurs talens. Mais revenons à M. l’Abbé Irail.

C’est à la rétractation du P. Caffaro que M. Irail auroit dû donner des louanges. C’est alors que ce Religieux montra du courage. On pouvoit lui appliquer ce que S. Ambroise disoit d’un grand Roi : il a eu des foiblesses qui ne sont que trop ordinaires aux Rois ; mais il s’en est repenti, ce qui leur arrive rarement ; erravit, quod solent Reges ; pænituit, quod non solent.

M. l’Abbé Meusy a observé avec raison dans le second tome du Code de la Religion & des Mœurs, page 383, que l’Auteur de l’Ouvrage intitulé : Querelles Littéraires, auroit dû y dire quelque chose de la rétractation du P. Caffaro. Mais que pouvoit en dire M. l’Abbé Irail, après avoir loué le P. Caffaro d’avoir fait l’apologie des Théatres, & l’avoir appellé pour cette raison un religieux Philosophe166 ?

Néanmoins il a hazardé ces mots : {p. 354}L’Archevêque de Paris [Noailles] exigea du P. Caffaro une rétractation authentique. M. Irail laisse à douter si elle a eu lieu. Il paroît qu’il ne s’est pas intéressé à s’instruire du fait. Cependant, comme Historien, il y étoit obligé. Il auroit appris que le P. Caffaro ne fit que suivre l’inspiration de sa conscience, en donnant sa rétractation ; & qu’ayant satisfait à ce devoir le 11 Mai 1694, c’étoit M. de Harlai qui étoit alors Archevêque de Paris, & non M. de Noailles, qui ne lui succéda qu’au mois d’Août 1695. M. Irail paroît si attaché à l’erreur rétractée par le P. Caffaro, qu’il a osé avancer dans le même tome, p. 395, que si Racine & Quinault eussent déposé leurs scrupules dans le sein d’un Casuiste tel que le P. Caffaro, ils n’eussent jamais abandonné le Théatre. M. l’Abbé Irail auroit dû plutôt conclure que ces deux Poëtes célebres auroient eu le plus grand mépris pour un Casuiste qui auroit voulu les détourner de leur juste repentir. Mais on a beaucoup d’autres erreurs à reprocher à l’Ouvrage intitulé : Querelles Littéraires. Elles ont été relevées {p. 355}dans un Recueil de neuf Lettres imprimées, dont huit sont de M. l’Abbé Baral, & une de D. Clémencet, Bénédictin. Celle-ci commence à la page 42. Il est parlé de ces Lettres dans l’Histoire Littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, que D. Tassin a donnée en 1770, & qui est aussi intéressante pour la Littérature, qu’honorable pour cette célebre Congrégation.

Sunt clari hodieque & qui olim nominabuntur.

Quint. lib. X, cap. XI.

Au reste, il a échappé à M. Irail un aveu très-défavorable aux Théatres, lorsqu’il dit167 que la Religion & la législation ont toujours réprouvé la profession des Comédiens, & que cet accord des Magistrats & des Casuistes pourroit donner lieu à de sérieuses réflexions.

M. l’Abbé Irail puisse-t-il en faire d’assez bonnes pour imiter le repentir du P. Caffaro ! car il faut aimer les hommes & ne haïr que leurs erreurs : Diligite homines, interficite errores.

{p. 356}Lettre d’un ancien Officier de la Reine, à tous les François, sur les Spectacles ; [par M. Trebuchet] Paris, 1759.

Réflexions Morales sur les Spectacles, par M. de Jean, Prieur de Longuy, 1760, in-12.

Lettre d’un Curé du Diocese de *** à M. de Marmontel, sur son Extrait critique de la Lettre de M. J.J. Rousseau à M. Dalembert ; Paris, 1760.

L’Auteur de cette Lettre est Mr Secousse, Curé de la Paroisse de Saint Eustache de Paris, si dignement remplacé depuis 1771, par M. Jean-Jacques Poupart, qui réunit toutes les qualités de l’esprit & du cœur, qui rendent un Pasteur précieux à son troupeau.

Lettres Historiques & Critiques sur les Spectacles, à Mlle Clairon, Actrice de la Comédie Françoise ; dans lesquelles ou prouve que les Spectacles sont contraires aux bonnes mœurs. Avignon, Paris, 1762.

Ces Lettres sont une bonne critique de la Consultation que M. Huerne {p. 357}de la Motte avoit adressée à Mlle Clairon : on y a fait imprimer à la fin l’Arrêt du Parlement de Paris, du 22 Avril 1761, qui condamne la Consultation.

L’Auteur de ces Lettres est le P. Joseph-Romain Joly. Il en a donné tout le fonds sous une forme différente, dans le troisieme tome d’un autre de ses Ouvrages, qui a pour titre : Conférences sur les principaux sujets de la Morale Chrétienne. Paris, 1768.

Le Dictionnaire Universel des Sciences Ecclésiastiques, par le R. P. Richard, & autres Religieux Dominicains, imprimé chez Jombert en 6 vol. in-fol. On y trouve au mot Spectacles, une suite méthodique des meilleurs principes sur cette matiere.

De l’Education civile, par M. Garnier, Prof. au College Royal, & de l’Académie Royale des Inscriptions & Belles-Lettres ; Paris, 1765.

Le troisieme Chapitre de ce solide Ouvrage contient les réflexions les plus justes contre la prétendue utilité morale de nos Spectacles. On {p. 358}sçait que les Poëtes Dramatiques attribuent à leur art la gloire d’avoir triomphé de la barbarie, & d’avoir adouci les mœurs publiques. M. Garnier est bien éloigné d’en convenir.

« C’est véritablement un grand service, leur dit-il, si en adoucissant les mœurs, vous les avez rendues meilleures & plus pures. Mais si vous ne les aviez adoucies qu’en les amollissant, si votre magie n’avoit servi qu’à transformer des tigres & des lions en des renards & en des singes ; le beau secret que vous auriez trouvé !… Vous vous vantez d’être les Précepteurs de la Nation. Eh bien ! dites-nous donc depuis plus d’un siecle que nous prenons de vos leçons, avons-nous fait bien des progrès dans le chemin de la vertu ? Les hommes parmi nous sont-ils devenus plus appliqués à leur devoir & plus délicats sur leur réputation ? Les femmes se respectent-elles, davantage ? Les enfans sont-ils plus soumis à leurs parens ? L’union regne-t-elle davantage dans les familles ? Les droits de l’amitié sont-ils mieux connus & plus respectés ? {p. 359}La patrie a-t-elle acquis un plus grand nombre d’illustres défenseurs ? Enfin ceux qui vous fréquentent, valent-ils mieux que ceux qui vous négligent ? Tâchez sur-tout de nous prouver bien clairement ce dernier point ; car j’observe que les parens qui s’occupent de l’éducation de leurs enfans, vous redoutent étrangement ; que les personnes à qui leurs places prescrivent de la gravité & de la décence, craindroient d’être surprises dans les temples où l’on débite si pompeusement vos maximes ; que bien des gens sensés s’y ennuient ; que vos Prêtres & vos Prêtresses ne jouissent pas encore des droits que les Loix accordent au dernier des Citoyens … …. J’ouvre vos Livres, & je ne trouve par-tout que certaines amours romanesques dont l’absurdité & la triste uniformité sont encore les moindres défauts. Le devoir & la vertu sont dans vos Pieces de malheureuses victimes que vous parez de quelques fleurs pour faire à l’amour un sacrifice plus éclatant. Comment avez-vous remplacé le chœur des Anciens ? {p. 360}Par des confidens & des confidentes que je n’oserois nommer par leur nom, & qui semblent n’avoir d’autres fonctions que de corrompre ceux qu’ils conseillent … …. Quels modeles osez-vous offrir aux femmes ? des Phedres, des Cléopatres, des Hermiones, des Roxanes, des Eriphiles, &c. Voudriez-vous avoir de pareilles héroïnes pour filles & pour femmes ? Enfin que peuvent faire de mieux ceux qui vont vous entendre, que d’armer leur cœur contre des impressions funestes à leur repos, & d’oublier si parfaitement ce qu’ils viennent d’apprendre, qu’il ne leur en reste aucun souvenir en rentrant dans le sein de leur famille ? Mais on ne peut espérer cette modération de cette foule de jeunes gens que l’on voit si ordinairement se pâmer au doux chant des Sirenes. Ils passent bientôt de l’image à la réalité, & finissent par s’énerver l’ame & le corps. Les moins coupables sont ceux qui cultivent la musique & la danse, qui sont idolâtres de leur figure, & qui veulent plaire aux femmes en {p. 361}s’efforçant de leur ressembler. Et cependant ces gens sont pourvus de charges, sans qu’ils songent aux moyens de les bien remplir … …. Qui consolera la patrie en proie à des ames de boue ? Qu’un Cordonnier, qu’un Tailleur fassent mal une chaussure ou un habit ; c’est un malheur facile à réparer, & qui retombe à la fin sur eux-mêmes : mais qu’un homme en place se conduise mal, la patrie entiere s’en ressent, & souvent la plaie devient incurable … …. Qu’on ait donc soin d’inculquer de bonne heure aux jeunes gens qu’ils ne sont point faits comme de vils animaux, pour se procurer des sensations voluptueuses ; que leur raison est le flambeau qui doit les éclairer ; que cette raison, épurée par la Religion, dicte des devoirs ; que la satisfaction qui provient des actions vertueuses, est le plus grand de tous les plaisirs, & le seul permanent ; qu’un homme qui néglige sa raison, est plus à plaindre que celui qui renonceroit volontairement à l’usage de ses yeux ; qu’il est aussi impossible d’être heureux avec une {p. 362}ame souillée de vices, que de se bien porter avec un corps couvert d’ulceres ; que la science est la source des biens, comme l’ignorance est la source de tous les maux ».

Les Causes du bonheur public, par M. l’Abbé Gros de Besplas. La premiere édit. in-8°. parut en 1768 ; la 2e en 1774, en 2 vol. in-12. Cet Ouvrage [dont il a déjà été parlé page 172 de nos Lett.] est composé de bonnes spéculations politiques, économiques & morales : il paroît que l’Auteur a eu en vue d’en faire comme la Philosophie des Princes.

Le Chapitre XI du premier tome regarde le Théatre, considéré dans ses rapports avec les mœurs des Grands & avec les mœurs générales.

L’Auteur y peint les suites funestes de la corruption de nos Théatres. « Cette école, dit il, qu’on prétend être destinée à inspirer la vertu, est devenue celle du vice. Les Grands doivent se l’imputer. Ils ont trop relevé la profession de Déclamateur & d’Histrion. Le goût du Théatre fut toujours l’écueil de la vertu des Nations ; & chez la nôtre, jusqu’où {p. 363}n’est-il pas porté ? Des femmes d’un rang éminent rompant l’auguste silence de la vie domestique, transforment l’intérieur de leur Palais en Théatre, & deviennent des Actrices…. Des hommes de même caractere, intéressés peut-être à les avilir, suivent leurs traces…. Enfin, ligués avec le libertinage, ils abandonnent jusqu’à cette gravité imposante qui offroit du moins autrefois l’apparence de la vertu, au défaut de la vertu elle-même…. Les Théatres ont fait une mortelle plaie à la société. C’est à la corruption qui y regne qu’il faut attribuer la cause de ce célibat impur & monstrueux qui s’est introduit dans toutes les conditions, & qui enveloppe dans son débordement le mariage même…. Delà proviennent les antipathies des époux, l’abandon des enfans & les séparations de ceux que le Ciel a unis…. On a souvent dit que les Grands s’étoient avilis en s’alliant avec les riches. Mais ces tiges augustes ranimées par ce secours extraordinaire, & unies à des épouses vertueuses, {p. 364}reprennent au moins quelquefois leur splendeur premiere. Maintenant enfoncées dans le limon de la débauche, elles ne produiront que des fruits empestés. Trop heureuse la société, si leur stérilité est la suite de ce nouveau genre d’incontinence…. Après l’amour des époux, comment les autres vertus auroient-elles échappé an naufrage ? L’intérêt & le plaisir ont tout ravagé. Rien n’émane de la vertu ; tout part de l’intérêt, & des passions qu’il allume…. L’amitié est reléguée avec la vertu ; les cœurs ne reposent plus sur les cœurs … …. Elle a été transformée en respects, en devoirs, en égards, en bienséances, en commerce de dissipation & de fêtes. Galba, dit Tacite, voulut rétablir l’ancienne vertu ; mais il n’étoit plus temps ».

M. l’Abbé Gros de Besplas présume que nous ne sommes point parvenus à ce terme, & qu’il est encore temps de nous rappeller les anciennes mœurs. Et pour opérer ce changement, il propose la réformation du Théatre, qu’il regarde comme un moyen politique à conserver. Il cite la Tragédie {p. 365}de Polyeucte comme capable de donner des héros à la Religion : mais cette Piece a essuyé des reproches ; & même, suivant le témoignage de M. de Voltaire que nous avons cité [pag. 89 de nos Lettres], il est évident que si dans cette Tragédie, Corneille n’avoit point parlé aux passions des Spectateurs plutôt qu’à leur raison, il n’auroit pas obtenu leurs applaudissemens.

Le célébre Mariana, Jésuite, eut occasion de discuter la cause des Théatres dans son fameux Ouvrage [De Rege & de institutione Regis]. On sçait que ce Livre [dont les exemplaires de 1599 sont devenus si rares] mérita la censure de la Faculté de Théologie de Paris & du Parlement, pour quelques propositions que le fanatisme du temps avoient introduites, & qui avoient armé les Jacques Clément & les Ravaillac contre Henri III & Henri IV. Cet Ouvrage n’auroit mérité que des éloges, si l’Auteur avoit été aussi exact sur la fidélité due aux Rois, que sur les Théatres publics. Il y a très-bien traité ce dernier objet, non seulement en Ministre de l’Eglise, mais encore en bon spéculateur politique. {p. 366}Nous avons cru devoir en citer quelques pensées168. Elles se réduisent à prouver ce qui a été dit tant de fois, que les Spectacles Dramatiques sont, par leur nature & par tout ce qui en est l’accessoire, une source de corruption pour les mœurs ; que les Drames n’ont presque toujours pour sujets que des scenes & des intrigues scandaleuses, qui deviennent plus nuisibles à proportion que le Poëte & les Acteurs excellent dans le funeste talent d’émouvoir les sens & l’ame des Spectateurs. {p. 367}Mariana soutient que si parmi les Ministres de l’Eglise il y en a qui osent sur cette matiere être les patrons de la licence, il est aisé de les confondre par une foule d’autorités, & de démontrer que leur opinion n’est fondée que sur une lâche complaisance pour le goût dépravé de la multitude ; foiblesse que les Philosophes du Paganisme auroient rougi de se permettre. Il décide que les Théatres devroient être proscrits dans un sage {p. 368}Gouvernement, comme n’étant propres qu’à énerver les sujets par la volupté ; & que si l’on est forcé de les tolérer pour condescendre à la fureur d’une multitude d’insensés, il faut que le Prince évite d’honorer de sa présence ces jeux scandaleux, & qu’il ne souffre point qu’on y représente des sujets qui tiennent à la Religion. En effet, comme M. l’Abbé Gros de Besplas l’a observé énergiquement dans {p. 369}une des notes de son chapitre des Spectacles. « La sainte Morale transportée sur le Théatre, ne peut dans ce sol empesté produire que des fruits pernicieux. Sa place véritable & naturelle est dans la chaire, où environnée de la majesté de Dieu, nourrie d’une onction qui la rend si touchante & si auguste, elle déploie toute sa dignité & toute sa force ; mais au Théatre, c’est un sel affadi. »

Comme M. l’Abbé Gros de Besplas n’a parlé des Théatres que relativement à ses spéculations politiques, nous allons ajouter ici ce que Bodin en pensoit. On connoît le caractere de ce dangereux Ecrivain, qui mourut de la peste, en 1596, à Laon, où il étoit Procureur du Roi. Il paroît que c’est de ses Ouvrages, & sur-tout de sa Méthode pour étudier l’Histoire, que M. de Montesquieu a pris l’idée de ce systême qui regle sur l’échelle des climats les mœurs & la religion des peuples.

Il n’est pas douteux que la différence des latitudes produit des différences entre les hommes, soit pour les qualités des corps, soit pour certaines facultés {p. 370}de l’ame ; mais il n’en peut résulter aucune influence relativement aux actions libres. Rien n’est plus dangereux qu’une doctrine qui enseigne à respecter toutes les Religions, comme dictées par les propriétés du climat ; à excuser tous les actes qu’elles commandent ou qu’elles permettent ; & à proscrire, comme incompatibles avec la nature du climat, plusieurs pratiques fondées sur les préceptes ou sur les conseils de la Religion Chrétienne.

Ce systême169 a paru merveilleux aux Matérialistes, qui n’attribuent nos facultés intellectuelles qu’à des modifications de la matiere ; de sorte que, selon eux, l’existence des ames est une chimere, & l’homme ne differe du singe que par l’organisation matérielle. Ce n’est pas après avoir été endoctriné par une pareille philosophie, qu’on dira ce que le célebre Bouchardon, enthousiasmé de la lecture d’Homere, disoit à l’illustre Antiquaire, M. le Comte {p. 371}de Caylus : Depuis que j’ai lu ce Livre, les hommes ont quinze pieds ; la nature s’est accrue pour moi. Mais c’est la Religion chrétienne qui nous rehausse réellement & bien davantage, lorsqu’elle nous enseigne que notre ame est, non une vapeur déliée, ou un air subtil, mais une substance spirituelle & immortelle, qui, comme un miroir, doit recevoir & réfléchir l’image de toutes les perfections de Dieu ; c’est-à-dire, « que la vie de l’ame, comme le dit M. Bossuet, doit être une imitation de celle de Dieu ; qu’elle doit vivre comme lui de raison & d’intelligence, & qu’elle est destinée à lui être unie, en le contemplant & en l’aimant. » Disc. sur l’Hist. univ. Tam magnum bonum est natura rationalis, ut nullum sit bonum quo beata sit, nisi Deus.

Bodin qui, dans ses rêveries politiques, tolere toutes les Religions, excepté la Religion chrétienne dont il étoit ennemi, desiroit plutôt la suppression que la réformation des jeux de Théatre. Il pensoit sur cet objet comme les anciens Législateurs des Grecs, dont on a ci-devant parlé {p. 372}p. 57 de nos Lett. « Les jeux scéniques, dit-il170, sont une peste de la République des plus pernicieuses qu’on sçauroit imaginer. Car il est d’expérience qu’il n’y a rien qui gâte plus les bonnes mœurs & la simplicité & bonté naturelle d’un peuple. Ce qui a d’autant plus d’efficace & de puissance, que les paroles, les accens, les gestes, les mouvemens & actions conduites avec tous les artifices qu’on puisse imaginer, laissent une impression vive en l’ame de ceux qui tendent là tous leurs sens. Et pour faciliter encore plus cette impression, l’on met toujours à la fin des Tragédies comme un poison ès viandes, la farce ou Comédie. Quand les jeux de Théatre seroient tolérables aux pays méridionaux pour être d’un naturel plus pesant & mélancolique, & pour sa constance naturelle, moins sujets à changer, si est-ce que cela doit être défendu aux peuples tirant plus vers le Septentrion, pour être de leur naturel sanguins, légers & volages, & qui {p. 373}ont presque toute la force de leur ame dans l’imagination du sens commun & brutal. Mais il ne faut pas espérer que ces jeux soient défendus ou empêchés par les Magistrats ; car ordinairement on en voit qui sont les premiers à ces jeux. »

On a ci-devant vu page 112 de nos Lettres, que sous Charles VIII les Magistrats ne méritoient pas le reproche que Bodin faisoit à ceux de son temps. Mais chaque siecle a eu ses Catons & ses Scipions. On sçait avec quelle chaleur ce dernier, qui étoit Scipion l’Africain, s’éleva contre l’usage où l’on étoit de son temps, de se servir des Comédiens pour apprendre aux jeunes gens à danser, à chanter ou à déclamer ; exercices, dit-il, qui auroient paru honteux à nos ancêtres, qui n’auroient point voulu, pour la moindre partie de leur éducation, confier leurs enfans à des gens décriés par leur profession ou par leur conduite171 : mais comme l’a dit M. de Montesquieu [Espr. des Loix. l. 7, c. 10], pour {p. 374}juger de la violation des mœurs, il faut en avoir. Les Magistrats de Rome en avoient encore, lorsque sous le Consulat de Sp. Postumius Albinus, ils appelloient conjuration contre la République, les Assemblées où l’on corrompoit les mœurs des femmes & des jeunes gens172.

C’est sans doute relativement à l’impossibilité morale de supprimer les Théatres, que M. de Besplas en demande au moins la réformation. Elle est nécessaire à plus d’un égard. Car pour se borner au genre qui auroit dû être le moins dangereux, combien chez tous les Modernes la Tragédie a-t-elle toujours été éloignée de ce qu’elle étoit dans les beaux jours d’Athenes, qui finirent sous Alexandre ! Elle ne se proposoit alors que l’instruction des Citoyens. Elle avoit même des rapports avec la Religion & l’administration politique du pays, comme on l’a ci-devant dit page 97. {p. 375}C’est par cette considération que les Magistrats de l’Aréopage pouvoient composer des Tragédies ; au lieu qu’il y avoit une Loi expresse qui leur défendoit de faire des Comédies. M. le Franc de Pompignan nous a donné une belle idée173 de ces Tragédies anciennes, composées par des Philosophes & par des hommes d’Etat174 ; & en comparant ces Drames avec ceux de notre siecle, qui a prostitué les Lettres & les Arts à la mollesse, au luxe & à la volupté, cet Académicien fait des réflexions dignes d’un Poëte Philosophe.

« Je ne pense point sans étonnement, dit-il, au prodigieux avantage que les Payens ont sur les Chrétiens à l’égard de la morale du Théatre…. Tout ce qui pouvoit avilir l’ame, étoit banni des anciennes Tragédies Grecques. L’Hippolyte {p. 376}d’Euripide est, à proprement parler, la seule où l’amour agisse ; on ne l’employoit pas pour exciter la terreur & la pitié. Les Auteurs Dramatiques mettoient en œuvre d’autres ressorts. Ils n’exposoient sur le Théatre les malheurs & les crimes de l’humanité, que pour rendre les hommes plus sages & plus vertueux. Les mœurs de nos Tragédies opposées aux mœurs de la Tragédie Athénienne, ont un caractere mou qui se fait jour à travers le pathétique & la terreur dont nos meilleures Pieces sont remplies. C’est que le Théatre a pris les mœurs de la Nation, comme il contribue à son tour à les amollir & à les énerver.

« Il n’y a point en cela d’exception à faire de Nation ni d’Auteur ; François, Anglois, Espagnols, Italiens, Habitans du Nord, Corneille, Racine, tous se réunissent pour consacrer à l’amour la muse de la Tragédie.

« Il y a toujours de la conformité entre l’humeur d’un peuple & le genre de ses Spectacles. Où les deux {p. 377}sexes sont galans, frivoles, voluptueux, il faut que le Théatre enseigne & respire le plaisir, qu’il nourrisse les passions, qu’il les rende intéressantes jusques dans leurs égaremens, & qu’il fasse de l’amour la foiblesse des grands cœurs.

« La conjuration de Cinna sera échauffée par l’amour d’Emilie ; Pauline sera fidelle à son époux, mais elle aimera Sévere. César menera de front le renversement de la République & le concubinage de Cléopatre. Le vieux Sertorius voudra séduire une jeune femme éperduement amoureuse de son mari. Voilà les mœurs de la Tragédie chez le plus grave & le plus sublime de nos Poëtes. Nous donnons à Melpomene la ceinture de Venus… …. Pour purifier notre Théatre, nous disons que les foiblesses y sont combattues par le remords, condamnées par la raison, convaincues par l’honneur, punies par l’événement ; que le contrepoison marche à côté du venin, & que la vertu triomphe toujours. Mais ce raisonnement n’est que spécieux. Quels Prédicateurs ont jamais {p. 378}canonisé le vice ? Et cependant parmi nos Prédicateurs, combien n’en voit-on pas qui le couvrent de fleurs ; en croyant l’accabler de foudres, lui ôtent sa difformité, l’embellissent presque, & par des portraits passionnés & par des descriptions fleuries, ils le font rentrer dans des cœurs d’où la parole Evangélique devroit l’arracher ! Si tel est l’effet de ces instructions trop peu chrétiennes, quel sera celui d’un Théatre où l’on prête à nos foiblesses les attraits séduisans de la Poésie, & la chaleur de l’action ? Avec de pareils remedes, on rend incurable le mal qu’on prétend guérir ».

Nos jeux de Théatre ne sont pas seulement vicieux dans leur constitution morale ; ils ont aussi de grands défauts dans leur constitution littéraire. Et leur imperfection à ce dernier égard a son avantage, en ce qu’elle doit diminuer les regrets de ceux qui, pour conserver leurs mœurs, ne se permettent pas la fréquentation des Spectacles.

Le célebre M. de Fenelon, Archevêque de Cambrai, donne à entendre, {p. 379}dans sa Lettre à l’Académie Françoise, que par une considération philosophique il ne s’intéressoit pas à la réforme des fautes graves que les Littérateurs éclairés ont à reprocher à la plupart de nos meilleurs Poëmes Dramatiques. « Je ne souhaite pas, dit-il, qu’on perfectionne les Spectacles, où l’on ne représente les passions corrompues que pour les allumer. Nous avons vu que Platon & les sages Législateurs du Paganisme rejettoient loin de toute République bien policée les fables & les instrumens de musique qui pouvoient amollir une Nation par le goût de la volupté. Quelle devroit donc être la sévérité des Nations chrétiennes contre les Spectacles ! Loin de vouloir qu’on perfectionne les Théatres, je ressens une véritable joie de leurs défauts littéraires. Nos Poëtes ont rendu les Spectacles languissans, fades & doucereux comme les Romans. On n’y parle que de feux, de chaînes & de tourmens. On y veut mourir en se portant bien. Une personne très-imparfaite est nommée un Soleil, ou tout au {p. 380}moins une Aurore. Ses yeux sont deux astres. Tous les termes sont outrés. Tant mieux ».

L’art Dramatique ne s’est pas perfectionné depuis M. de Fenelon ; & afin qu’on n’attribue pas cette opinion à un préjugé d’une Philosophie cynique, on va citer les Historiographes & les maîtres de l’art.

« Notre Comédie, disent MM. Parfait175, n’est pas propre à amuser les personnes sensées, & à corriger le ridicule des hommes. Elle n’offre que du faux merveilleux, que des scenes décousues, que des intrigues compliquées, que des événemens qui ne sont pas amenés, ou que des farces dignes tout au plus d’avoir le peuple pour Spectateur.

« On ne voit pas une imagination sage en inventer les sujets, un jugement bien réglé en tracer les desseins ; on n’y voit pas les graces naturelles & piquantes, l’enjouement fin & délicat tenir le pinceau ; enfin notre Comédie n’est pas un tableau vrai & animé.

{p. 381}« Egarés par l’imagination, dit Madame Riccoboni176, nous perdons les traces du sentiment & de la vérité. Et si nous ne retournons sur nos pas, il est à craindre que le goût dominant ne nous replonge dans la barbarie des premiers siecles.

« C’est où nous conduiront ces merveilleux, qui, selon M. de Querlon,177 croient avoir fait des découvertes pour nous avoir apporté le goût faux, maniéré, petit, puérile ou sauvage, attroce, stravagante, sfrenato, & les nouveaux genres de Pantomimes…. La corruption du goût tient plus qu’on ne pense aux mœurs. Et l’influence qu’on attribuoit à la Musique sur celle des Grecs, tous les arts l’ont aujourd’hui sur les nôtres. Ils ne portent aux yeux, aux oreilles & à l’esprit que l’image & le sentiment de la volupté qu’ils respirent.

« Il est prodigieux, dit M. Darnaud178, combien nous sommes livrés {p. 382}à tout genre d’imposture. Il est des bornes dans tous les arts au-delà desquelles se trouvent le gigantesque, l’extravagant, l’absurde, en un mot le faux & l’opposé du naturel. Et ces bornes si sages, nous les avons passées. Nous ressemblons précisément à ces femmes qui, à leur entrée dans le monde, mettent si peu de rouge, qu’on peut douter si ce ne sont pas leurs propres couleurs. Ensuite leurs yeux s’accoutument à cet éclat étranger, & elles en abusent au point qu’elles se défigurent. Tout meurt sous les efforts d’un art corrupteur. Nos Pieces de Théatre sont défectueuses. Les développemens y sont vicieux. Les scenes ne sont qu’indiquées. Les entrées & les sorties, une des premieres regles de l’art Dramatique, sont totalement négligées. Les coups de Théatre n’ont jamais été amenés avec plus de mal adresse. La Nature est par-tout affichée au bel esprit, & l’on craint sur-tout d’être simple, & de ne pas entasser les ornemens. Nos Poëtes sont des especes de Jongleurs qui amusent la populace aux dépens les {p. 383}uns des autres … …. Le Public se laisse abuser par des talens factices, & il est la dupe de la fausseté du bel esprit. Ut omnium rerum, sic Litterarum intemperantiâ laboramus. Or dès que le goût du Public est corrompu, rien n’est plus rare que de trouver un Littérateur qui ait le courage d’aimer la Littérature pour elle-même, & de s’exposer à déplaire à la multitude. Un tel homme ne confond pas le bruit avec la réputation. Il sçait supporter jusqu’à l’obscurité & l’indigence. Il est prêt à immoler la richesse & les emplois à ses talens. Il suit le monde pour courir s’enfoncer dans le silence de la solitude. Il se redit sans cesse que l’éclat Littéraire n’est rien sans l’amour de la vertu ; que le plus honnête homme est toujours celui qu’on doit le plus estimer, & il n’oublie jamais ces paroles de Montaigne : La vertu est plus jalouse des loyers d’honneur que des récompenses où il y a du gain & du profit. Ce n’est pas merveille si la vertu reçoit & desire moins volontiers cette sorte de monnoie commune que celle qui lui est propre & particuliere ».

{p. 384}C’est sans doute conséquemment à cette morale, que M. Darnaud déclare179 n’avoir pas voulu se traîner sur les pas de ses maîtres au Théatre.

Il est vrai que ses Tragédies de Comminge & d’Euphémie, énergiquement rembrunies, ont tout le sérieux du cothurne. Mais n’auroit-il pas été à souhaiter que M. Darnaud eût donné la préférence à des sujets profanes, plutôt que de mettre, comme il le dit, la Religion aux prises avec la passion de l’amour180, & de placer le lieu de la scene de ses Drames dans des Monasteres ?

Le sacré sera toujours défiguré dans les Poëmes Dramatiques, qui ne sont applaudis qu’autant, comme le dit M. Darnaud, qu’on y fait jaillir & éclater les grandes passions dont la fougue est si nécessaire à l’action théatrale181, & où pour intéresser les Spectateurs, il faut présenter les images les plus vives des foiblesses, des fautes & des crimes qui font la honte de {p. 385}l’humanité182. Voici à ce sujet le sentiment de M. Saint-Evremond :

« L’esprit de notre Religion, dit-il183, est directement opposé à celui du Théatre. L’humilité & la patience de nos Saints sont trop contraires aux vertus des Héros Dramatiques. Le Théatre paroît toujours à la plupart des Spectateurs perdre de son agrément dans la représentation des choses saintes ; & les choses saintes perdent du respect qu’on leur doit quand on les représente sur le Théatre. C’est inutilement qu’on y opposeroit la Doctrine la plus sainte, les actions les plus chrétiennes, & les vérités les plus utiles pour produire cette purgation184 qu’Aristote avoit eu la simplicité d’admettre comme un remede propre à arrêter les mauvaises impressions des Poëmes Dramatiques. Ce Rhéteur Philosophe est {p. 386}à cet égard en défaut ; car y a-t-il rien de si ridicule que de former une science qui donne sûrement une maladie qui travaille incertainement à la guérison d’une autre ? y a-t-il rien de si ridicule que de mettre la perturbation dans une ame pour tâcher après de la calmer par des réflexions qu’on lui fait faire sur le honteux état où on l’a mise » ? Enfin comme Despréaux le dit aux Poëtes dans son Art Poëtique :

De la foi d’un Chrétien les mysteres terribles,
D’ornement égayés ne sont point susceptibles.
L’Evangile à l’esprit n’offre de tous côtés
Que pénitence à faire & tourmens mérités185 :
Et de vos fictions le mélange coupable,
Même à ses vérités donne l’air de la fable.

La nécessité de réformer la licence de nos Spectacles est donc bien connue. Mais cette réformation est-elle moralement possible ? On a rapporté [page 84 de nos Lettres] une opinion motivée qui décide négativement la question.

En effet il a paru des projets de réformation. Quelque peu séveres qu’ils {p. 387}soient, ils ont été regardés comme des spéculations vaines & impraticables.

Néanmoins comme ces ouvrages, qu’il reste à indiquer, ont été composés par des Auteurs attachés, par état ou par goût, aux Théatres, ils ont un caractere singulier d’autorité pour la peinture qui y est faite des vices & des dangers des Représentations théatrales. Hoc est argumentum rei.

Traité de la Réformation du Théatre, par Louis Riccoboni, ancien Acteur Italien, nouvelle édition. Paris, 1767. Cette édition est pareille à celle de 1743.

Cet Auteur dit dans la Préface, que son plan de réformation ne devroit avoir lieu que dans le cas qu’il ne seroit pas possible de supprimer, sans des inconvéniens, les Théatres dans une grande ville.

Mais ce plan de réformation se ressent de la difficulté de réformer des Théatres, dont, dit Riccoboni, les Pieces les plus modestes sont fort au dessous de la pureté des meilleures Pieces de Plaute. Aussi cet Auteur croit-il avec raison, que son plan est {p. 388}encore susceptible de réformation. « J’exclus, dit-il, tout-à-fait la passion de l’amour des Pieces qu’on écrira pour le Théatre réformé. Je prétends aussi abolir entiérement la danse des femmes. Mais mon systême, toute proportion gardée, pourroit être comparé à celui de Platon par rapport à sa République. Il auroit fallu pour la peupler, que ce Philosophe eût créé des hommes nouveaux ; & pour fonder le Théatre que je propose, il faudroit pétrir des hommes d’une pâte toute nouvelle. Il est impossible que des Spectateurs qui n’ont jamais connu d’autres Spectacles que ceux où l’amour sert de base, où cette passion anime les intrigues, où elle détermine presque les caracteres, où enfin les épisodes & la diction ne respirent que l’amour, il est impossible, dis-je, que de tels Spectateurs adoptent précisément le contraire, & ne soient pas révoltés par mon systême ».

Au reste cet Auteur indique la voie la plus sûre pour faire tomber le goût de nos Spectacles tels qu’ils sont, c’est d’élever les jeunes gens de maniere {p. 389}qu’ils ne s’exposent jamais à y aller. C’est en effet à la mauvaise éducation qu’il faut attribuer la corruption des mœurs.

« Communément jusqu’à l’âge de dix ans, dit Riccoboni, les enfans sont très-bien élevés ; depuis dix ans jusqu’à quinze, l’éducation foiblit, & les enfans commencent à être gâtés, souvent même par leurs peres & par leurs meres : enfin depuis quinze ans jusqu’à vingt, les jeunes gens maîtres de leurs actions, achevent eux-mêmes de se corrompre.

« Les parens sont pour l’ordinaire plus occupés de l’apparence, de l’extérieur, que du fond & de l’essentiel de l’éducation de leurs enfans. On ne s’attache à leur apprendre que la politesse, les belles manieres & l’usage du monde ; en sorte qu’à dix ans, ils sont en état de paroître dans ce qu’on appelle les meilleures compagnies, où on a grand soin de les présenter. C’est-là qu’ils entendent parler de toutes sortes de matieres qui peuvent ou exciter leur curiosité, ou développer {p. 390}les germes de leurs passions. Et c’est-là, que dans un âge encore tendre & si susceptible des impressions du vice, ils commencent à le connoître & à se familiariser avec lui.

« Ces principes de corruption reçoivent une nouvelle force des Spectacles publics, où les peres & les meres ont l’imprudence de s’empresser de conduire leurs enfans de l’un & l’autre sexe. Or, quelles atteintes mortelles ne doivent pas donner à leur innocence le nombre infini de maximes empestées qui se débitent dans les Tragédies, dans les Opera, & les expressions & les images licencieuses que présentent les Comédies ? Ils ne les effacent jamais de leur mémoire…. Ils y voient des Grands, des personnes élevées en dignité, des vieillards, &c. y applaudir. Ils s’imaginent que tout ce qu’on leur expose est à retenir…. Ils agissent en conséquence lorsqu’ils jouissent de leur liberté ; & les voilà corrompus dans le cœur & dans l’esprit pour le reste de leur vie…. {p. 391}Mais, dit-on, quel inconvénient y a-t-il qu’ils entendent parler de la passion de l’amour ? il faut bien qu’ils la connoissent tôt ou tard. C’est ce que je suis très-éloigné de croire. On doit toujours ignorer le libertinage. Mais quand cette passion seroit traitée avec plus de réserve sur le Théatre, il n’y auroit pas moins d’inconvénient, & si j’ose le dire, moins de cruauté à leur donner sur une matiere si délicate, des leçons prématurées & infiniment dangereuses, & à leur faire courir le risque de perdre leur innocence avant même qu’ils sçachent quel est son prix, & combien cette perte est affreuse & irréparable. Mais les parens s’intéresseront-ils à leur conserver cette vertu, s’ils n’en connoissent pas eux-mêmes le prix ? Néanmoins ils sont ensuite au désespoir quand leurs enfans donnent dans des désordres préjudiciables à leur fortune ».

Essai sur les moyens de rendre la Comédie utile aux mœurs, par M. B***. Paris, 1767.

Cet Ecrit se trouve joint à la {p. 392}derniere édition de l’Ouvrage précédent. L’Auteur soutient que toutes nos Comédies n’ont pas atteint le véritable but de la Comédie, qui, dans son essence, est une satyre des mœurs capable de les corriger. Il propose des moyens de réformer à cet égard notre Théatre ; mais en même temps il convient de l’impossibilité d’y réussir, relativement au mauvais goût de notre Nation, « qu’on ne peut, dit-il, amuser qu’en n’introduisant sur le Théatre que des personnages plutôt semblables à des marionnettes qu’à des hommes ».

Causes de la décadence du goût sur le Théatre. Paris, 1768.

Il n’est question dans cet Ouvrage que d’observations Littéraires ; néanmoins elles font connoître que l’Auteur n’ignore pas qu’il y a des risques pour les mœurs à fréquenter les Spectacles. Il pense que la plupart des Spectateurs ne s’y portent que pour y perdre par une foule de distractions & d’amusemens, un temps qui est pour eux un fardeau insupportable. Il impute aux Comédiens d’être la principale cause de tous les reproches {p. 393}que les Moralistes font aux Théatres publics. Il déclame contre l’enthousiasme avec lequel presque tous les Amateurs des Spectacles parlent des Comédiens. Il ne pense pas qu’un état qui, relativement à ses fonctions, ne sçauroit être embrassé que par l’indigence & le libertinage, puisse jamais cesser d’être honteux. Et à l’égard de ce qu’on dit vulgairement qu’on peut exercer cette profession sans déroger ; il répond qu’il en est de même de plusieurs autres actions qu’un Gentilhomme a la foiblesse de se permettre, sans qu’il en résulte une dérogation légale ; mais qu’il n’encoure pas moins le mépris des gens honnêtes ; que c’est ridiculement que des personnes prétendent relever la profession de Comédien, sous prétexte que Louis XIV joua dans sa jeunesse avec les Acteurs de l’Opéra quelques rôles dans des Ballets ; que d’ailleurs ce Monarque, comme le dit M. de Voltaire, en reconnut les inconvéniens quand il eut conçu l’idée de la véritable grandeur.

De l’Art du Théatre en général, où il est parlé de différens genres {p. 394}de Spectacles, & de la Musique adaptée au Théatre. Paris, 1769.

M. Nougaret, à qui l’on attribue cet Ouvrage didactique, paroît très-amateur des Spectacles. Il exagere beaucoup leurs avantages, lorsqu’il dit :

« Il est démontré que la Tragédie & la Comédie sont l’école des mœurs ; les hommes viennent s’y instruire en s’amusant. On leur doit les progrès de l’esprit, & peut-être ceux de la vertu. Lorsqu’un peuple est plongé dans la barbarie, il ignore ce qu’on entend par Spectacle ; mais à mesure qu’il se polit, on le voit caresser les Muses, & courir en foule au Théatre ».

Ces assertions dérivent d’une passion favorite qui trouble l’équilibre & l’harmonie du cerveau. Cependant cet Auteur ne se livre pas à son zele jusqu’à s’aveugler sur les défauts, les dangers & la corruption actuelle de nos Théatres. Il convient que ce qu’il appelle gens à préjugés, c’est-à-dire, les ennemis des Spectacles, ont quelque apparence de raison. Voici quelques-unes de ses réflexions :

{p. 395}« On sait, comme le dit M. Nadal dans la Préface de la Tragédie de Marianne, qu’on ne peut faire réussir une Piece Dramatique qu’en flattant les passions des cœurs corrompus. Peut-être même qu’en recherchant la méchanique de celles de nos Pieces qui ont fait le plus de bruit, on trouvera que c’est en elles un fonds de ce même libertinage qui produit dans la représentation je ne sçais quelle espece d’illusion & d’ensorcellement. Et si l’on se plaît aux Spectacles les plus tragiques, quelque déchirement qu’ils fassent éprouver à l’ame sensible, n’est-ce point, comme le dit l’Abbé du Bos, parce que le cœur est ennemi du repos qui le fait tomber dans l’indolence, dans une langueur insipide ? Et afin de s’occuper, il se remplit de passions tristes ou enjouées ; peu lui importe, pourvu qu’elles le retirent du désœuvrement.

« La magie du Spectacle, dit M. Nougaret, la vue des Actrices, les femmes qui remplissent les loges, tout nous porte assez à l’amour, sans qu’il soit nécessaire de composer des {p. 396}Drames dont l’intrigue agréable & galante, le style léger & délicat nous invitent à nous livrer à cette passion. Je fais une remarque : je suis un des premiers Poëtes qui en parlant de Drames ait averti d’en bannir la licence. »

Je ne puis estimer ces dangereux Auteurs,
Qui de l’Honneur en vers infames déserteurs,
Trahissant la Vertu sur un papier coupable,
Aux yeux de leurs Lecteurs rendent le Vice aimable.

Desp. Art poét.

« Il faudroit que les Auteurs, surtout ceux qui travaillent pour le Théatre, n’eussent rien à voiler. La Comédie & la Tragédie mettent toujours l’amour en jeu ; mais le Spectacle moderne, c’est-à-dire, le Théatre Italien, met dans ses Opéra bouffons, dans ses Comédies à Ariettes, l’indécence en action, ou du moins peu s’en faut.

« Tout, dans les Drames de ce Théatre, conspire à faire rougir la pudeur : le sujet est contre la décence ; l’intrigue & l’action forment des images révoltantes ; les détails respirent la passion même. {p. 397}En un mot, tout peint & célebre la volupté. On la fait pénétrer par les yeux & par les oreilles jusque dans le fond de l’ame. L’harmonie d’une musique voluptueuse acheve de porter l’ivresse dans les sens des Spectateurs. Je doute que les Sibarites aient eu des Spectacles plus dignes de leur mollesse, & des passions auxquelles ils s’abandonnoient…. On met dans les scenes ces petits airs coupés qui, dit M. de Voltaire, interrompent l’action, & font valoir les fredons d’une voix efféminée, mais brillante, aux dépens de l’intérêt & du bon sens. On y multiplie ces Ariettes qui, comme le dit M. J.J. Rousseau, ne sont qu’un misérable jargon criminel qu’on est bienheureux de ne pas entendre, une collection faite au hazard d’un très-petit nombre de mots sonores que notre langue peut fournir, tournés & retournés en toutes les manieres, excepté de celle qui pourroit leur donner du sens. C’est sur ces impertinens amphigouris que nos Musiciens épuisent leur goût & leur sçavoir, & nos Acteurs leurs gestes {p. 398}& leurs poumons. C’est sur ces morceaux extravagans que nos femmes se pâment d’admiration. Voilà quel est ce Théatre qu’on fréquente chaque jour, qu’on applaudit, qu’on éleve jusqu’aux nues…. Puisqu’on tolere de telles licences, que ne devons-nous pas attendre à voir représenter ? »

Cette peinture du Théatre Italien justifie ce qui a été ci-devant dit page 86. On sçait que ce Théatre fut dès son origine fort enclin aux indécentes bouffonneries. Il est rapporté dans la Gazette de France, du 17 Mai 1697, « que Louis XIV le proscrivit, parce que l’on n’y gardoit pas les réglemens ; que l’on y jouoit des Pieces licencieuses, & que l’on ne s’y étoit pas corrigé des obscénités & des gestes indécens ; que quelques personnes de la premiere qualité, protecteurs de la Comédie Italienne, avoient agi auprès du Roi pour la révocation de son Arrêt contre elle, mais que leurs démarches furent inutiles ».

M. Nougaret a également bien caractérisé nos Opéra.

« Les Héros de la scene lyrique, {p. 399}dit-il, sont trop tendres & trop remplis de maximes d’amour ».

On sçait que Boileau a bien peint la séduction de ce Théatre, lorsque dans sa dixieme Satyre, il en décrit les funestes & inévitables influences sur la femme la plus pure qu’on y conduiroit. Personne n’ignore cette description : mais peut-on se refuser de la rappeller ici ?

La femme que tu prends, sans tache en sa conduite,
Aux vertus, m’a-t-on dit, dans Port-Royal instruite,
Aux loix de son devoir regle tous ses desirs :
Mais qui t’assurera qu’insensible aux plaisirs,
Chez toi, dans une vie ouverté à la licence,
Elle conservera sa premiere innocence ?
Par toi-même bientôt conduite à l’Opéra,
De quel air penses-tu que ta Sainte verra
D’un Spectacle enchanteur la pompe harmonieuse ;
Ces danses, ces Héros à voix luxurieuse ;
Entendra ces discours sur l’amour seul roulans,
Ces doucereux Renauds, ces insensés Rollands.
Sçaura d’eux qu’à l’Amour, comme au seul Dieu suprême,
On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même ;
Qu’on ne sçauroit trop tôt se laisser enflammer ;
Qu’on n’a reçu du Ciel un cœur que pour aimer ;
Et tous ces lieux communs de morale lubrique,
Que Lulli réchauffa des fons de sa musique ?
Mais de quels mouvemens, dans son cœur excités,
Sentira-t-elle alors tous ses sens agités ?
{p. 400}Je ne te réponds pas qu’au retour, moins timide,
Digne écoliere enfin d’Angélique & d’Armide,
Elle n’aille à l’instant, pleine de ces doux sons,
Avec quelque Médor pratiquer ces leçons.

L’Auteur de l’art du Théatre, en parlant de la musique voluptueuse de nos Spectacles, donne incidemment aux femmes un avis très-sage.

« J’ose, dit-il, conseiller aux Dames, malgré tous les avantages qu’elles en retirent, de ne se livrer qu’avec réserve à l’étude du chant. Mezerai a dit qu’Anne de Boulen, femme de Henri VIII, sçavoit trop bien chanter pour être sage. Cet Historien avoit-il si grand tort de faire un tel jugement d’Anne de Boulen ? Il est désagréable de s’exposer à de pareils soupçons. Il est vrai qu’on peut avoir une très-belle voix, & aimer la vertu. La musique n’est pas tout-à-fait incompatible avec la sagesse ; mais les dangers auxquels elle expose une jeune femme, doivent la lui faire craindre. Celle qui possede un organe flatteur, en tire bientôt vanité. Les applaudissemens qu’on lui prodigue la remplissent d’orgueil. On s’apperçoit de son {p. 401}foible ; on la loue avec enthousiasme : l’éloge séduit ; & la tête tourne. D’ailleurs à force de répéter des chansons tendres & voluptueuses, le cœur s’enflamme ; l’on est moins révoltée de s’entendre adresser ce que l’on prononce tous les jours avec sentiment ; & il arrive souvent que la mourante sagesse d’une jeune personne jette le dernier soupir, lorsqu’elle ne croit encore que fredonner une chanson.

« La Musique, dit Corneille Agrippa, est des plus propres & chéries chambrieres du vice ; avec la douce voix & le venin emmiellé des chants, sons & accords voluptueux de ses instrumens, elle enflamme les desirs déréglés, & ôte toute force & toute vertu à l’esprit, & corrompt en toute lasciveté & délices, pervertit les bonnes mœurs, excite impétueusement les cupidités & affections déshonnêtes ».

Au reste on s’est expliqué page 81 de nos Lettres, sur l’hommage que l’on doit à la Musique, dont l’invention doit être même considérée comme un présent que l’Auteur de la {p. 402}nature nous a sait pour l’employer à chanter sa gloire, à lui exposer nos besoins, à le remercier de ses dons, à manifester notre joie dans la prospérité, à dissiper nos chagrins dans nos afflictions, à soulager nos peines dans nos travaux, à exciter enfin l’ardeur martiale dans le cœur des combattans, Quid autem aliud in nostris legionibus cornua ac tubæ faciunt ? Quorum concentus quantò est vehementior, tantò Romana in bellis gloria ceteris præstat186. Il est vrai que l’abus de la Musique, presqu’aussi ancien que son invention, a fait, dit M. Rollin, plus d’imitateurs de Jubal187 que de David ; mais il faut reconnoître avec Plutarque, que tout homme de bon sens n’imputera jamais aux sciences mêmes ce qu’on ne doit attribuer qu’aux dispositions vicieuses de ceux qui les corrompent.

Dissertation sur les Spectacles, par M. Rabelleau. Paris, 1769.

{p. 403}Cet Auteur propose sérieusement de faire de la profession de Comédien une espece de milice que chaque Citoyen seroit obligé d’exercer avant d’être admis à aucune place publique, à la Cour, dans le Ministere & dans la Magistrature. Ce projet, tout ridicule qu’il est, a pour motif l’impossibilité de réformer les Comédiens de profession. M. Rabelleau leur reproche d’être seuls la cause de la corruption actuelle des Théatres. « Une troupe de gens, dit-il, faisant métier de renoncer à tous parens, à toute patrie, & de courir de ville en ville jouant la Comédie pour de l’argent, tous les jours indistinctement, devant des gens que le désœuvrement, la dissipation & le hazard y conduisent ; ces Comédiens, ne jouassent-ils d’abord que des Pieces les plus épurées, entraîneront nécessairement avec eux le désordre, la licence & le relâchement des mœurs qui regne toujours au milieu de la multitude. En vain les Souverains rendront des Edits en leur faveur, ils n’en profiteront pas ».

Mais on peut assurer à M. Rabelleau {p. 404}que quand son projet seroit exécutable, le Théatre n’en seroit pas moins nuisible aux mœurs. Il seroit toujours question d’y amuser la multitude des désœuvrés ; ainsi la cause premiere de la corruption des Spectacles subsisteroit.

Les Poëtes Dramatiques, comme l’observe M. Garnier188, ne veulent point travailler sans succès. « Ils sçavent que l’accueil de leurs Drames dépend du suffrage de jeunes femmes, ou de jeunes gens inappliqués, qui n’accourent au Théatre que pour se procurer des sensations agréables. Les choses sérieuses leur paroîtroient froides, & les vérités fortes les écraseroient ».

Jean Racine étoit bien capable de se mettre au dessus des idées de son siecle, & de ne travailler que dans un goût qui pût lui mériter dans tous les temps l’approbation des sages. Néanmoins il eut pendant plusieurs années la foiblesse de vouloir plaire aux personnes futiles. On sçait la réponse qu’il fit au célebre Arnaud qui lui faisoit {p. 405}des reproches sur ce qu’il avoit fait Hippolyte amoureux. Eh ! Monsieur, lui dit Racine, sans cela qu’auroient dit nos petits maîtres ?

Voilà pourquoi nous voyons nos Poëtes Dramatiques mettre en usage toutes les ressources de leur génie, pour retracer aux Spectateurs les momens les plus agréables de leur vie licencieuse. « On aime, dit M. Garnier189 à se retrouver dans leurs peintures, a comparer ce qu’on a quelquefois senti au dedans de soi-même. On se livre aux impressions que la magie Dramatique fait éprouver. On apprend par cœur les poëmes, on dresse des Théatres, & on devient des Comédiens. Ainsi ce qu’un Auteur satyrique disoit d’un Peuple, s’est réalisé de nos jours, Natio comæda est ».

Cette réflexion de M. Garnier n’est que trop véritable. La passion pour les représentations Dramatiques, n’est-elle pas portée jusqu’au point qu’une salle de Théatre est presque devenue comme un besoin, au moins à la campagne ? {p. 406}« Cette sorte d’amusement, dit M. l’Abbé Clément190, est un nouvel artifice mis à la mode dans notre siecle, sans doute, pour arracher tout-à-fait un reste de répugnance qu’on avoit jusqu’à présent conservé pour le Théatre & ses Acteurs ; mais sur-tout infaillible moyen de rendre la séduction plus certaine encore & plus prompte, en imprimant plus fortement des passions dans lesquelles on est obligé de mieux entrer, pour les représenter soi-même, en donnant plus de liberté & de hardiesse à parler le langage de la volupté, en mettant dans l’occasion la plus prochaine d’inspirer & de prendre des sentimens mieux réglés peut-être dans leur objet, mais aussi déréglés dans leur principe, & communément plus dangereux dans leurs suites ; désordre qui fut déploré par des Sages du Paganisme, comme le présage le plus certain de la prochaine & de l’entiere décadence ».

Tout projet de réformation de nos {p. 407}Spectacles sera toujours sans effet dans des temps où il n’y a que les objets licencieux qui enchantent & qui séduisent. Le caractere du siecle où nous vivons, est suffisamment établi par la témérité avec laquelle on offre au Public les Ouvrages les plus scandaleux & les plus impies. En voici un de cette espece sur la matiere des Spectacles. C’est un arsenal d’impiété, armentarium impietatis. Il a pour titre :

Le Mimographe, ou idées d’une honnête femme pour la réformation du Théatre national. Amsterdam, 1770.

C’est une espece de Roman Epistolaire, dont le principal personnage est une Comédienne. Cet Ouvrage est aussi ridicule, bizarre & ennuyeux dans sa contexture & dans son néologisme, que monstrueux par la licence des idées, & par leur contradiction. C’est enfin un Ouvrage digne d’une foule d’Ecrivains obscurs, qui ne pouvant s’illustrer par l’éclat des talens, tentent de se faire une réputation par la licence de leurs Ecrits.

L’Avertissement préliminaire est terminé par cette proposition extraite {p. 408}de l’Apologie de la Religion, par M. l’Abbé Bergier : « L’expérience nous apprend qu’il faut des Spectacles pour attacher le peuple. Une religion dépouillée de tout culte extérieur, ne peut ni l’affecter ni l’instruire. Les Protestans ne s’apperçoivent que trop aujourd’hui des inconvéniens d’un culte trop décharné ».

Cette proposition est relative à la nécessité d’établir un culte extérieur191 qui soit l’expression & l’image d’un culte intérieur digne du Christianisme, « qui est une religion véritable, chaste, sévere, ennemie des sens, & uniquement attachée aux biens invisibles192 ».

Mais le Mimographe ose abuser de la proposition de M. Bergier, jusqu’à en faire un principe pour établir la nécessité d’avoir des Spectacles voluptueux, comme si nous étions dans l’idolâtrie « qui, dit M. Bossuet193, {p. 409}étant faite pour le plaisir, faisoit consister une partie du culte divin dans les divertissemens, les Spectacles, & dont les fêtes étoient des jeux d’où l’on avoit soin de bannir la pudeur ».

Le Mimographe confondant les Ministres de notre Religion avec les Prêtres des Idoles, les compare à des Comédiens. Il déclame contre le privilege que l’Ordre du Clergé à toujours eu d’occuper dans l’Etat le premier rang. Il attribue les Censures de l’Eglise contre les Spectacles, à une jalousie des Prêtres qui, dit-il, p. 369, ne devoient pas laisser partager le droit de représenter qui leur appartient éminemment dans tous les temps, & dans tous les cultes.

On sçait que l’autorité des Rois est une participation de l’autorité de Dieu, de même que celle de leurs Ministres politiques & judiciaires est un écoulement de l’autorité Royale. On sçait aussi que le ministere sacerdotal est un moyen choisi de Dieu, pour transmettre son autorité à l’Eglise, pour être le canal de ses graces, & pour lui porter nos vœux, nos prieres & nos sacrifices.

{p. 410}Ces principes incontestables & précieux à conserver dans toute leur intégrité pour le bonheur des peuples, sont niés & insultés dans le Mimographe, pages 362 & 365. On y donne comme des établissemens odieux le Sacerdoce & la Royauté. L’Ecriture Sainte y est profanée & tournée en ridicule.

Il parut en 1774 un Ouvrage intitulé : Du Théatre, ou nouvel Essai sur l’Art Dramatique, par M. Mercier, in-8°.

Cet Essai, qui est un projet de réformation de notre Théatre, a été caractérisé dans le VIIe tome de l’Année Littéraire, 1774. Il y est donné avec raison, comme un Ouvrage fait dans le plus grand délire. L’Auteur prétend qu’il faut nécessairement que le François change de systême, s’il veut avoir un Théatre. Corneille, Racine, Moliere, suivant lui, n’entendoient rien à l’Art dramatique. Ils l’ont laissé dans l’enfance. Et si, comme le dit M. Freron, on le laissoit faire, on le verroit dans peu de temps livrer aux flammes tous les Ecrivains des siecles d’Alexandre, {p. 411}d’Auguste, de Léon X, & de Louis XIV.

Au reste, ce jugement ridicule approche du mépris avec lequel M. de Voltaire a parlé de la plupart des grands hommes du siecle de Louis XIV, & qu’on a relevé avec justice dans un Ouvrage intéressant qui a paru en 1774 sous ce titre : le Comte de Valmont, ou les Egaremens de la Raison ; 3 volumes in-12. M. l’Abbé Gerard, Chanoine de Saint-Louis du Louvre, en est l’Auteur ; & il en a dédié à la Reine la seconde édition qui parut en 1775, cet Ecrit fut suivi en 1778, de deux autres Volumes. Ce Livre est une espece de Roman moral, mais du genre le plus vraisemblable quant aux caracteres, aux incidens communs de la vie, & sur-tout quant à l’esprit du monde. L’intérêt & l’instruction s’y trouvent réunis. C’est une espece de controverse amusante & liée avec beaucoup d’art sur les objets les plus importans de notre Morale. M. l’Abbé Gerard y ramene tout à la Religion, comme à la base sur laquelle tout doit porter. Il y expose à la page 230 du deuxieme volume, la temérité avec laquelle les orgueilleux beaux esprits {p. 412}de notre siecle soutiennent que Corneille n’est qu’un Déclamateur ; que Boileau n’a ni verve ni fécondité ; que la Fontaine ne mérite pas d’être compté parmi ceux qui ont fait honneur au siecle de Louis XIV ; que Racine parloit plus en Métaphysicien qu’en homme sensible ; que ses Tragédies n’étoient que des Dialogues bien écrits & bien rimés ; que Rousseau, à trois ou quatre Odes près, & quelques Epigrammes, ne faisoit que des Vers ; que Fenelon a écrit d’une maniere foible ; que Bossuet a fait de son génie un pitoyable usage, & que son Histoire universelle n’est qu’une maigre production.

Tel est le délire de nos faux Philosophes, dont les effets ont été prévus dans ces Vers de M. de Pompignan :

Oui, nous verrons bientôt de petits Conquérans,
Du Parnasse François audacieux tyrans,
De leurs maîtres fameux proscrire les merveilles ;
Et leur orgueil briser le sceptre des Corneille ;
Tels on vit les Romains, dans leurs jours lumineux,
Du second des Césars dégrader l’âge heureux,
Ensevelir Horace, & déterrer Lucile,
Préférer la Pharsale aux beaux Vers de Virgile ;
Vanter l’esprit guindé du maître de Néron,
Et bâiller sans pudeur en lisant Cicéron.
Déjà même la Langue, & moins belle & moins pure ;
Rougit de se prêter à la simple nature.
{p. 413}Cette heureuse clarté, son plus solide appui,
Et que l’Etranger même admiroit, malgré lui,
Cet ordre lumineux, le nombre & la cadence,
Semblent abandonner nos Vers, notre éloquence ;
Le style devient sec, moins nerveux que tendu ;
Et, pour vouloir trop dire, on n’est plus entendu.
Le Public désormais, fasciné par ses guides,
Ne veut qu’être ébloui par des éclairs rapides,
Amoureux du bizarre, avide du nouveau,
Et pour comble d’erreur, ennemi du vrai beau.

C’est par une suite de cette dépravation universelle qu’on a vu éclore tant d’idées bizarres, du nombre desquelles est celle de l’Auteur de l’Essai sur l’Art dramatique, lorsqu’il propose de ne représenter sur le Théatre que des Scenes dont les personnages seroient des Artisans, & dont le lieu seroit à l’Hôpital ou à Bicêtre. Cette idée se réfute d’elle-même, & ne mérite que d’être chargée de ridicule. M. Freron s’en est acquitté ingénieusement ; mais il a omis de relever les impiétés que l’Auteur de cet Essai n’a pas craint d’y insérer. Telle est celle-ci qui se trouve à la page 75 : Les adversaires du Théatre sont des charlatans en surplis, jaloux & envieux par métier, qui voudroient que leur salle de Spectacle {p. 414}ne désemplît pas de monde, afin qu’on ne parlât que d’eux, & que l’on n’admirât que leurs trois points, leurs lieux communs de morale, leurs fréquentes exclamations & leur éloquence gesticulante.

Cet Auteur donna en 1771 une Tragédie en prose, intitulée Olinde & Sophronie194. On a lieu de penser que son cœur s’est épanché dans le tableau rempli d’impiétés qu’Ismen, Apostat hypocrite, y fait du Christianisme. Les insultes faites aux grands hommes de la Littérature ne sont pas de la conséquence de celles qui sont faites à la Religion. Ces dernieres ne doivent jamais rester impunies. Aussi la sévérité des Loix a-t-elle souvent été réclamée par les premiers Magistrats chargés d’acquitter le Roi de ses devoirs d’Evêque extérieur de ses Etats, comme S. Remy appelloit Clovis. On en trouvera des preuves à la suite de nos Lett. dans des extraits de deux Réquisitoires de MM. Joli de Fleurt & Seguier, Avocats-Généraux du {p. 415}Parlement de Paris. Ce sont des témoignages qui manifestent le zele des Magistrats à protéger & à venger, au nom du Roi, les Loix fondamentales de la Religion & des mœurs. Tutores sumus vetustatis, & vindices, disoit l’Empereur Justinien.

La cause des Théatres ne peut certainement que paroître encore plus mauvaise à des gens sensés, quand ils voient ses défenseurs donner dans des excès odieux. C’est pour cette raison qu’on a cité quelques-unes des assertions du Mimographe & de l’Ouvrage de M. Mercier, que M. Freron appelle le Dramaturge, pour le distinguer de M. Mercier, Chanoine Régulier, & Abbé de Saint-Leger de Soissons195.

Il n’est pas surprenant que l’Auteur du Mimographe déclare, p. 311, avoir été révolté par tous les Ecrits faits contre les Spectacles : aussi, en conséquence traite-t-il d’interpretes atrabilaires de la Religion M. Nicole, M. Bossuet, le P. le Brun, M. l’Abbé Clément, M. Gresset, &c, &c. Cependant il convient {p. 416}[page 373] qu’un Chrétien ne peut se dissimuler que la représentation d’Athalie & de Polieucte est viciée sur les Théatres actuels, & qu’en condamnant les Spectacles, le Chrétien raisonne conséquemment.

Le projet de réformation qu’il propose ne rend pas les Théatres plus conciliables avec la Morale chrétienne. Il trouve impraticable la sévérité de celui de Riccoboni ; il voudroit comme M. Rabelleau, que nous fussions tous des Comédiens. Et quant aux Pieces dramatiques, après en avoir exclu quelques-unes comme licencieuses, il revient à les tolérer, pour donner, dit-il, aux peres & meres de famille le moyen de connoître le cœur humain ; d’autant plus que selon lui, les peintures de l’amour ne sont pas dangereuses.

Cette doctrine épicurienne est réellement celle de nos Théatres ; & on l’adopte plus ou moins en les fréquentant. On peut s’en procurer la preuve dans le Poëme des Saisons que M. de Saint-Lambert donna en 1769. On y trouve la description la plus naïve de tous nos Spectacles. Ils paroissent {p. 417}avoir été peints d’après nature. Il y a même lieu de croire que M. de S.L. tenoit le pinceau dans le moment de l’ivresse de leur séduction. C’est sans doute cette séduction qu’il a voulu exprimer, lorsqu’il dit dans le quatrieme chant :

Les Muses, les Amours unis pour me séduire,
M’enlevent à l’instant dans un monde enchanté,
Où tout vante, respire, & peint la volupté.
… … … … …
O Spectacles divins, Ecoles respectables,
Du véritable honneur, des vertus véritables !
… … … … …
Ils nous ont délivrés des gothiques usages,
Des antiques travers, du vernis des vieux âges.
Ils corrigent en nous ces défauts, ces erreurs
Qui pourroient altérer les charmes de nos mœurs.
Quels sons harmonieux, quels tableaux ravissans !
Tous les Arts à la fois séduisent tous mes sens.

L’Auteur se ressentoit encore de ce funeste enchantement, lorsque dans des notes de son Poëme [pages 86 & 168, &c.] il soutient que les Spectacles tels qu’il les a peints, sont une véritable école, où l’on reçoit des leçons de vertu, où l’on apprend la saine Philosophie, & les vérités d’usage ; qu’il faudroit ériger des Statues aux inventeurs {p. 418}de ces plaisirs qui font jouir tout à la fois tous nos sens ; & qu’on doit dire avec Bernier, que la privation d’un seul plaisir innocent est un grand péché.

Il faut présumer que M. de S.-L. n’a fait que prêter son génie poétique à cette morale sensuelle, & que de cœur il tient à la philosophie de Despréaux, dont on va citer ici quelques vers pour faire opposition.

… … … Le seul honneur solide,
C’est de prendre toujours la vérité pour guide,
De regarder en tout la raison & la Loi.
… … … … …
Et ce n’est qu’en Dieu seul qu’est l’honneur véritable.

Desp. Satyr. XI.

***
Car qu’est-ce loin de Dieu que l’humaine sagesse ?
… … … … …

Satyr. XII.

***
Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant ;
… Rien n’est beau que par la vérité.
… … … … …
C’est par elle qu’on plaît, & qu’on peut long-temps plaire.

Epît. IX.

***
Que votre ame & vos mœurs peintes dans vos Ouvrages,
N’offrent jamais de vous que de nobles images.
… … … … …
Un Auteur vertueux, dans ses vers innocens,
Ne corrompt point le cœur en chatouillant les sens.
{p. 419}Son feu n’allume point de criminelles flamme.
Aimez donc la vertu, nourrissez-en votre ame.
En vain l’esprit est plein d’une noble vigueur,
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.

Art poét.

Jean Racine prêtoit l’oreille aux instructions de ce grand Poëte qui étoit pour lui

Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible
Sur ses fautes, jamais ne le laissant paisible.

En voici une preuve. Jean Racine avoit eu la foiblesse de composer en faveur des Théatres une Lettre où il avoit mis toute la chaleur d’un Poëte intéressé à défendre l’honneur de ses lauriers. Despréaux à qui il l’avoit communiquée, lui fit cette réponse : Votre Lettre est très-bien écrite ; mais vous défendez une très-mauvaise cause. Racine reconnut qu’il est d’une belle ame de ne jamais compromettre sa réputation par aucun Ecrit dangereux, negligere quid de se homines [vel præsentes, vel posteri] sentiant dissoluti animi esse. Cic. de Off. Et nonobstant toute l’ardeur de son ressentiment contre les Moralistes qu’il avoit {p. 420}alors pour adversaires, il déchira sa Lettre en présence de Despréaux.

Tel auroit été le sort de toutes les apologies des Spectacles, si leurs Auteurs avoient sincérement consulté des gens de Lettres qui eussent une teinte de ce qu’on appelle présentement le vernis des vieux âges, c’est-à-dire, un jugement sain, un respect pour les Loix divines & humaines, en un mot, du zele pour les mœurs.

Toutes ces apologies ne sont établies que sur la coutume & l’amour du plaisir. Tout l’art de leurs Auteurs ne consiste qu’à éblouir par des subtilités & des sophismes. On sçait que l’erreur n’a pas d’autres armes à employer. Il n’en est pas de même des Ecrits qui combattent le Théatre. Ils sont fondés sur la raison, sur l’intérêt des bonnes mœurs, & sur la Religion, trois sources d’argumens invincibles. Ne pourroit-on pas encore citer en preuve le témoignage intérieur d’un grand nombre de ceux qui fréquentent les Spectacles ? On en voit qui ont assez de bonne foi pour se condamner eux-mêmes, plutôt que la vérité, & qui disent ingénuement : {p. 421}Je désapprouve ce que j’ai la foiblesse de me permettre :

… …Video meliora, proboque,
Deteriora sequor… ….

Les gens de Lettres voient toujours avec peine attaquer un art dont ils souhaiteroient concilier l’usage avec les mœurs. Lorsque le P. Concina, par exemple, eut donné contre les Spectacles l’Ouvrage dont le Pape Benoît XIV l’avoit chargé, & que nous avons indiqué [page 227 de ce vol.] on vit plusieurs Auteurs estimables de l’Italie s’en alarmer196, & réclamer une exception pour l’Art Dramatique, considéré en lui-même, & abstraction faite de ce qui ne devoit être attribué qu’à la licence des Poëtes, à la corruption des Acteurs publics, & aux mauvaises intentions du plus grand nombre des Spectateurs.

Il Teatro, del Muratori197in se {p. 422}stesso non è illecito ma tale lo fan divenire le oscenità de Comici & le Comedie di cattivo costume.

Il Teatro, dit le Marquis Maffei198, moderato e corretto dagli abusi, può essere utile al buon costume.

Il Teatro, est-il dit par un autre199, di sua natura non è cattivo.

Il Teatro, dit M. Lauriso200, in tute le sue parte onesto e costumato è non indigno delle uomo Christiano.

M. Joachim Pizzi soutint aussi la même {p. 423}These dans un Discours imprimé à Rome en 1772, sous ce titre : Ragionamento sulla tragica & comica Poesea.

Ce ne fut de même qu’en considérant la Comédie dans la spéculation la plus favorable, que Santeuil lui donna cette Inscription : Castigat ridendo mores. M. Freron, qui connoît le ton de nos Théatres, a restreint, comme Bayle, la prédication théatrale à la seule sphere des ridicules. Moliere, par exemple, fut le fléau, non des vices, mais des ridicules de son temps. « On a, dit M. Freron201, déjà observé mille fois que les crimes sont du district du Lieutenant-Criminel, les vices de celui de Lieutenant de Police, & les ridicules seulement de la Jurisdiction du Poëte comique ».

On demanda en 1775 une Inscription pour le Théatre de la Ville de Rouen. On proposa celle-ci dans la Feuillé Hebdom. des Prov. du 20 Décembre 1775 : Hic morum vindex, & schola scena decens. Ce seroit encore {p. 424}un titre usurpé, si notre Théatre, dans l’état où il est, l’adoptoit. Il est bien éloigné d’avoir cette décence qu’une école de bonnes mœurs exige. On ne va aux Spectacles que pour y recevoir des impressions de tristesse ou de joie, & pour y éprouver les sensations que produisent ces expressions passionnées sur lesquelles la plupart des Poëtes laissent encore aux Acteurs de donner de grosses touches, comme le dit l’Auteur des Lettres à Eugenie, qui parurent en 1774, & qu’on attribue à M. le Prince de Ligne. Elles ont été reçues comme le coup-d’œil d’un homme d’esprit, habitué aux impressions de l’Art Théatral, dont les différens jeux sont assez bien exprimés dans ce distique annoncé dans la Feuille Hebd. des Prov. du 10 Janvier 1776 :

Hîc Civem alternis recreant ridendo Thalia,
Melpomene luctu, Terpsicore choreis.

Qu’on lise les Ouvrages didactiques de cet Art, tant pour ce qui regarde la Poésie, que pour ce qui concerne le jeu & la déclamation. On y reconnoîtra que leurs Auteurs, tels que les d’Aubignac, les Raimond de Sainte-Albine, {p. 425}les Dorat, les Cavailha n’ont eu en vue que de proposer aux Poëtes & aux Acteurs les moyens de parvenir à mieux séduire les Spectateurs. Ainsi quelque prévenu qu’on puisse être pour l’Art Dramatique, on ne peut, si l’on est de bonne foi, refuser de convenir qu’on en a fait un art très-nuisible.

« Il y a, dit M. Le Franc de Pompignan202, une grande différence entre composer des Tragédies pures, & les faire représenter par des Acteurs gagés & publics, dont l’état est le centre de la corruption. N’aurions-nous pas besoin qu’on exécutât en France ce qui avoit été proposé à Londres par le Docteur Swift203, qu’on ne doit pas accuser d’une morale trop sévere ?

« Il auroit voulu qu’il y eût des censeurs éclairés & vertueux, qui fussent en droit de retrancher des Pieces {p. 426}anciennes & nouvelles toute grossiereté, toute équivoque, tout détail capable d’offenser la modestie & la pudeur.

« Il faudroit donc (continue le respectable Académicien) réformer le Théatre : il faudroit des réglemens faits par des Théologiens & par des Magistrats unis ensemble, pour les concerter. Ces réglemens, revêtus de l’autorité du Prince, & dont on empêcheroit que le crédit ni la faveur n’altérassent jamais l’exécution, rempliroient, si je ne me trompe, cet objet important. Je les réduirois à ces deux points :

« A l’égard des Pieces, supprimer totalement celles dont le fonds est vicieux ou impie ; car nous en avons de ces dernieres, soit dans le Tragique, soit dans le Comique : corriger celles qui ne péchent que dans les détails ; en ôter les expressions libres, grossierement indécentes, n’y rien laisser en un mot qui sente le libertinage du cœur, encore moins celui de l’esprit.

« A l’égard des Acteurs, n’en point recevoir dont la conduite & les {p. 427}mœurs ne fussent irreprochables ; les punir séverement, les priver même de leur emploi, quand ils tomberoient dans des désordres publics ; car il est des fautes secretes & cachées qui ne sont pas du ressort de la Police » !

Ces idées de M. de Pompignan seront peut-être traitées de rêves édifians, dulcia somnia : Rarò vox virtutis sititur. Au reste elles ont pour objet de réconcilier l’Art Dramatique avec la vertu, & l’on doit sçavoir gré à M. Freron de les avoir exposées dans le dix-huitieme cahier de l’Année Littéraire 1773 : l’éloge qu’il en fait, répond à son zele contre nos faux Philosophes, qui, plus aveugles que ne l’étoient de sages Payens204, ne veulent point convenir avec un Séneque, que sans religion il ne peut y avoir de bonheur pour l’homme :

fida Pietas est comes ;
Nec illa vivum deserit, nec mortuum.

Senec.

Néanmoins, dans le grand nombre {p. 428}de ces ennemis de la Religion Chrétienne, il s’en trouve quelques-uns qui ont observé les influences des Spectacles sur les mœurs ; & ils ont reconnu que les Théatres dans leur état actuel ne devroient pas être tolérés dans un Gouvernement bien dirigé. En voici quelques preuves :

Il parut en 1773 un Ouvrage sous le titre de Systême Social, dont le but est de détruire totalement la Religion, les mœurs, la vertu, la saine politique, la société & les puissances qui la gouvernent dans l’ordre civil ou religieux. Cet Ouvrage pernicieux a été combattu avec zele dans un Écrit intitulé : La Défense de la Religion, de la Morale, de la Vertu, de la Politique & de la Société, par le R.P. C.L. Richard, Professeur en Théologie de l’Ordre & du Noviciat général {p. 429}des Freres Prêcheurs. Cette réfutation, dit M. de Querlon, en l’annonçant dans la Feuille Hebdom. des Prov. du 12 Juillet 1775, est aussi intéressante que celles que le même Auteur a faites des Livres intitulés : de la Nature, & l’alembic moral. Elles démontrent avec la plus grande évidence que les Celses modernes ont beau faire ; ils auront beau déployer toutes les ressources de leur prétendue sagacité, tous les efforts du raisonnement & de l’esprit, les connoissances littéraires, ils ne parviendront jamais à détruire une tradition de six mille ans, ni l’ouvrage de dix-huit siecles. La Religion révélée & le Christianisme adoptés, suivis, défendus, cimentés par de plus puissans génies qu’eux, ne succomberont pas sous les vains argumens, sous les froides railleries & sous les redites des beaux esprits François, Russiens & autres, enfin sous les sophismes de l’Auteur du Systême Social qui ose soutenir, dans le Chapitre 3, que la Religion, loin d’éclairer & de faciliter la morale, ne fait que l’affoiblir & l’obscurcir ; que le Dieu des Chrétiens n’est pas un guide sûr pour {p. 430}nous conduire à la vertu réelle ; que la nature, l’expérience & la raison sont les seuls guides auxquels nous devons nous adresser, pour découvrir ce que nous nous devons à nous-mêmes, & ce que nous devons à la société.

Il est évident que ces guides ont très-mal endoctriné sur la Religion cet Ecrivain ; mais ils l’ont très-bien instruit sur les Spectacles.

« On voit », y est-il dit, ch. 10, part. 3, « que dans des nations corrompues, & sur-tout dans les grandes villes, qui sont communément des sentines infectées par le vice, les usages, les loix, les institutions humaines, loin de chercher à rendre les citoyens plus sages & plus heureux, contribuent très-souvent à les rendre insensés & misérables. Leurs folies & leurs maux sont encore aggravés & multipliés par le luxe, la vanité, la passion du plaisir. Dans un pays où les esprits sont ainsi disposés, la contagion du vice entre, pour ainsi dire, par toutes les portes. Tout invite à la débauche & à la dépravation. Quels funestes effets ne doivent point produire des Spectacles, {p. 431}dans lesquels tout conspire à nourrir ou à faire éclore des passions amoureuses, qui sont le plus souvent une source intarissable de peines ? Que penser des Gouvernemens qui, non seulement tolerent, mais encore donnent ouvertement leur protection à des amusemens qui sont évidemment pour la jeunesse les écoles du vice, des lieux privilégiés, destinés à irriter les passions, des écueils où l’innocence attaquée par les yeux & les oreilles, séduite par les maximes d’une morale lubrique réchauffée par la musique & par des danses lascives, s’expose à des naufrages continuels ?

« On nous dit chaque jour que le Théatre épuré par le goût & la décence, est devenu pour les modernes une école de mœurs. Ne suffit-il pas d’ouvrir les yeux, pour se détromper de cette idée ? L’objet de la plupart des drames les plus estimés n’est-il pas de nous peindre sans cesse des intrigues amoureuses, des vices que l’on s’efforce de rendre aimables, des désordres faits pour {p. 432}séduire la jeunesse inconsidérée, des fourberies capables de suggérer mille moyens de mal faire ? Le ridicule destiné à corriger les hommes de leurs extravagances, n’est-il pas souvent jetté sur la droiture, l’innocence, la raison, la vertu même, pour lesquelles tout devroit inspirer le plus grand respect ? En fin peut-on prétendre de bonne foi que ce soit pour prendre des leçons de sagesse, que tant de désœuvrés vont journellement courir à des Spectacles, où, peu attentifs à la Piece, nous les voyons perpétuellement voltiger autour d’une troupe de Sirenes, qui vivent du trafic de leurs charmes, & qui mettent tout en usage pour entraîner dans leurs pieges ceux dont elles ont irrité les desirs ? Après avoir vu la tendresse conjugale tournée en ridicule dans un grand nombre de Comédies, une femme rentre-t-elle donc chez elle bien pénétrée des devoirs de son état, & des sentimens qu’elle doit à son époux ? Quelles impressions peuvent faire sur le cœur novice & tendre d’une jeune fille les exemples {p. 433}séducteurs que lui montrent tant de Drames, à la représentation desquels ses parens ont eux-mêmes la folie de la conduire ? A combien d’écueils une ame sensible n’est-elle pas continuellement exposée, par l’imprudence de ceux qui devroient la garantir des dangers ? Si quelques Auteurs illustres & chers aux Nations ont connu le vrai but de l’Art dramatique ; combien d’autres n’ont fait qu’attiser des passions nuisibles, & alimenter des folies également contraires au vrai bonheur des femmes & à celui de la société dans laquelle tout devroit les inviter à jouer un rôle qui, sans les rendre moins aimables, les rendroit bien plus respectables & plus fortunées !

« Que les femmes se rendent estimables par leur sagesse & leurs mœurs ; que leurs regards confondent l’impudence & la fatuité ; que leurs mépris punissent la présomption, l’ignorance & le vice ; que leur accueil distingue le mérite modeste & la probité ; qu’elles contribuent par leur exemple à la réforme de ces êtres futiles & désœuvrés {p. 434}qui infestent la société ; qu’elles les ramenent à la vertu. C’est alors qu’elles régneront bien plus sûrement que par de vains ornemens, des galanteries & des intrigues qui les rendent méprisables aux yeux mêmes de ceux qui se disent leurs esclaves. C’est alors qu’elles cesseront d’être les dupes & les victimes de ces perfides qui ne les idolâtrent que pour leur donner des fers ; pour immoler leur bonheur & leur réputation à leur vanité, qu’ils osent leur offrir pour un amour véritable ; enfin méritant d’être honorées, elles posséderoient au dedans d’elles-mêmes ce bonheur inaltérable que la vertu seule procure, & que ni la dissipation, ni le faste, ni les plaisirs bruyans ne peuvent jamais remplacer ».

La nature la raison & l’expérience que les Déistes reconnoissent pour leurs seuls guides, ont également éclairé M. le Marquis Dargens sur les funestes effets de la passion pour le Théatre. « Elle est portée », dit-il [dans les notes de sa trad. du Timée de Locres] « à un tel excès, qu’on a vu de nos {p. 435}jours une armée marchant avec deux ou trois troupes de Comédiens, & le Maréchal-Général des Logis, aussi occupé de la place & du logement des troupes comiques, que le Commandant de l’armée du parc de l’artillerie. Or, quand on est parvenu à pousser la corruption & l’amour du Théatre jusqu’à un tel point, ne doit-on pas craindre que les Nations où cet usage s’est introduit, aient le même sort que les Grecs & les Romains, qui ne furent détruits que pour s’être livrés à la mollesse ?

« Tandis que les Grecs furent sobres, ennemis du luxe, partisans de la vertu, ils vainquirent les Perses, ils firent échouer tous les projets de leurs ennemis ; mais lorsqu’après les batailles de Marathon & de Salamine, ils commencerent à aimer l’oisiveté, & que l’amour pour les Spectacles les leur rendit absolument nécessaires, leur gloire & leur liberté s’évanouirent bientôt. Aristophane, Eschyle, Sophocle, Euripide préparerent à Philippe qui vint peu d’années après eux la conquête {p. 436}de la Grece, & la servitude d’Athenes ; les Citoyens de cette Ville, autrefois si formidable à ses ennemis, étoient plus occupés des Spectacles & des fêtes, que des projets de Philippe. Pour en être convaincu, il n’y a qu’à lire les Oraisons de Démosthene, qui reprochoit sans cesse à ses concitoyens leur oisiveté & leur amour outré pour les Spectacles.

« Les Romains eurent le même sort que les Grecs. Ils durent toute leur gloire à l’éducation de leurs premiers ancêtres, & à la vie laborieuse qu’ils menoient. Mais, après qu’ils eurent vaincu les Carthaginois, & qu’ils se furent enrichis des dépouilles de la Grece, ils vécurent dans le luxe. Ils perdirent également le courage de l’ame, & la force du corps : ils se diviserent bientôt en différens partis, pour trouver de quoi contenter leurs passions. Le Peuple suivit l’exemple des Grands, & la fin des troubles de la République fut celle de la liberté. Alors les Empereurs enchérirent encore sur les Chefs des {p. 437}guerres civiles, qui, pour gagner l’amitié du Peuple, lui avoient donné des fêtes, & l’avoient accoutumé aux Spectacles les plus superbes : les Romains, soumis au maître que leur nommoient des soldats séditieux, ne se soucierent plus que du Théatre. Ils devinrent si peu attachés à la gloire de leur Patrie, que les Barbares ruinerent l’Empire, & le détruisirent avec autant de facilité, que les Romains en avoient eu dans le temps de leur grandeur à conquérir les Etats de plusieurs Souverains Asiatiques, plongés dans le luxe & la mollesse.

« Après l’Empire d’Occident, celui d’Orient commença à dépérir par les mêmes raisons qui avoient causé la perte du premier. Ce fut au Théatre que prirent naissance les deux factions qui partagerent l’Empire sous Justinien.

« Craignons d’avoir le même sort qu’eurent les Gaulois qui, s’étant retirés chez les Asiatiques, en prirent les mœurs & le luxe : ils ont été fort bien caractérisés par Florus. Quant à ces Gallo-Grecs, dit-il, {p. 438}c’étoit une Nation mêlée & abâtardie, & le reste de ces anciens Gaulois qui, sous la conduite de Brennus, avoient ravagé la Grece ; puis étant passés en Orient, ils s’étoient établis au milieu de l’Asie. Or, comme la semence des fruits dégénere en changeant de terroir, ainsi leur bravoure originaire s’étoit amollie par les coutumes & les mollesses asiatiques »205.

Rien n’est plus sensé que les réflexions de M. le Marquis Dargens, que nous venons de rapporter. La prospérité des Empires dépendra toujours de la conservation des mœurs : c’est une vérité que la nature, la raison, & l’expérience avoient fait connoître au célebre Minos qu’Hésiode appelle énergiquement le plus Roi de tous les Rois mortels, Βασιλέυτατον θνητῶν Βασιλήων.

Ce Législateur de Crete comprit, {p. 439}que pour rendre heureuse la Nation pour qui le Ciel l’avoit fait Roi, il falloit sur-tout la rendre vertueuse206 ; &, pour y parvenir, il écarta de ses Etats l’oisiveté, la volupté, le luxe & les délices, sources de tous les vices.

Les Lacédémoniens, à qui la nature, la raison & l’expérience avoient aussi fait adopter cette sage législation que Lycurgue leur avoit apportée, s’en trouverent bien, tant qu’ils eurent soin de la conserver par l’éducation publique. « Jamais, dit Plutarque, ils n’oyoient jouer ni Comédies ni Tragédies ; afin qu’ils n’entendissent jamais, ni par le jeu, ni à bon escient, contredire aux Loix. Aussi, disoit un ancien Spartiate, nommé Geradatas, il n’y a point d’adulteres parmi nous ; car comment y en auroit-il à Sparte, vu que toutes richesses, tous Théatres, toutes délices, tous fards & tous embellissemens {p. 440}extérieurs & lascifs sont déprisés & déshonorés, & vu que honte de mal faire, honnêteté & révérence & obéissance envers les Loix & les Supérieurs y ont toute autorité ? »

La vie voluptueuse n’y étoit tolérée ni dans l’un ni dans l’autre sexe. Le rang le plus élevé n’ouvroit à cet égard aucune exception dans un pays où la loi étoit toujours plus forte que les Rois. On n’y connoissoit dans aucun âge de la vie la mollesse & le désœuvrement. On arrivoit à la vieillesse, sans avoir de vices à quitter ; & par ce moyen, les vieillards étoient plus en droit d’être écoutés par les jeunes gens.

« Aussi, dit notre Interprete de Plutarque, la coutume étoit que les vieux demandoient aux jeunes, quand ils les rencontroient, où ils alloient, & quoi faire, & les tançoient s’ils failloient à répondre, ou s’ils étoient bâtissant des excuses ; & qui ne tançoit celui qui commettoit quelque faute en sa présence, étoit sujet à la même repréhension que celui qui avoit failli, {p. 441}même celui qui se courrouçoit ou montroit de prendre mal quand on le reprenoit. Il n’y avoit pas jusqu’à leurs chansons qui ne fussent profitables. Y avoit toujours en leurs compositions je ne sçais quel aiguillon qui excitoit la vertu, selon la diversité des âges qui les chantoient : car y ayant ès fêtes solemnelles & publiques toujours trois danses ; celle des vieillards commençant, disoit :

Nous avons été jadis
Jeunes, vaillans & hardis.

« Celle des hommes suivoit après, qui disoit :

Nous le sommes maintenant
A l’épreuve de tout venant.

« La troisieme des enfans venoit après, qui disoit :

Et nous un jour le serons,
Qui bien vous surpasserons207. »

Ce propos des jeunes Spartiates a été critiqué dans une Brochure qui parut en 1759, sous le titre de Considérations {p. 442}sur l’Art du Théatre. Ce Vaudeville, y est-il dit page 80, est dangereux pour la jeunesse, qu’elle accoutume à manquer de respect aux vieillards, en se vantant de les surpasser.

Mais ce prétendu Vaudeville étoit comme consacré par le vœu d’une Nation intéressée à voir chaque génération croître en vertu. Et les vieillards, bons patriotes, loin de s’en offenser, en desiroient les effets. Ils sçavoient que la milice de la vertu exige de la jeunesse les efforts les plus vigoureux, pour pouvoir ensuite être supportée presque sans combat dans la vieillesse.

Je ne le sçais que trop, dans le cours du bel âge ;
Quand la Nature ardente échauffant nos desirs,
 Nous rend si propres aux plaisirs,
 Il est mal-aisé d’être sage.
 Cependant, malgré tant d’attraits,
On ne le peut trop dire & le faire connoître,
 C’est dans ce temps-là qu’il faut l’être,
Ou l’on court grand danger de ne l’être jamais208.

{p. 443}C’est sur-tout à cet âge, dit M. le Franc de Pompignan209, « que nos Spectacles, dans leur état actuel, ne sont pas à beaucoup près des lieux sûrs pour la vertu ; & les Acteurs publics étant toujours dans les liens de l’excommunication, un Auteur élevé dans la Morale chrétienne, ne sçauroit, sous quelque prétexte que ce soit, ni par quelque ouvrage que ce puisse être, concourir au soutien du Théatre, sans se rendre lui-même responsable des inconvéniens & des abus qui y sont attachés, ni contribuer à l’entretien des Acteurs, sans partager le mal qu’ils causent & celui qu’ils {p. 444}font … … …. On s’efforce depuis long-temps de réduire en problême théologique cette question : si c’est un péché d’aller à la Comédie. On ne manque pas d’appuyer la négative de toutes les distinctions possibles, de toutes les conditions capables de rassurer. On exige qu’il n’y ait rien de déshonnête, ni de criminel dans la Piece ; que celui qui va au Spectacle, n’y apporte point de penchant au vice, ni une ame facile à émouvoir ; qu’il y soit maître de son cœur, de ses pensées, de ses regards ; que rien de ce qu’il entend, que rien de ce qu’il voit-ne soit pour lui une occasion de chûte ni de tentation. Cette théorie est certainement admirable. Qui me répondra de la pratique ? Sera-ce notre Casuiste ? Qu’il aille plutôt à la Comédie. Au retour, je m’en rapporte à lui ».

M. le Franc propose le défi avec trop de confiance, pour qu’il soit prudent de l’accepter. Il faut donc conclure pour l’affirmative du problême. M. de Bussy-Rabutin en résolut un autre de même genre, dans une Lettre {p. 445}qu’il écrivit à M. de Roquette, Evêque d’Autun. Il y est question des Bals. On sçait qu’il avoit titre pour avoir autorité consultative sur cette matiere. Sa Lettre ne sera pas ici une Piece disparate ; on va donc la rapporter.

« J’ai lu, Monsieur, l’avis sur les Bals que vous m’avez envoyé ; & puisque vous souhaitez de sçavoir ce que j’en pense, je vous dirai que je n’ai jamais douté qu’ils ne fussent très-dangereux. Ce n’a pas été seulement ma raison qui me l’a fait croire, c’a encore été mon expérience ; & quoique le témoignage des Peres de l’Eglise soit bien fort, je tiens que sur ce chapitre celui d’un courtisan sincere doit être d’un plus grand poids. Je sçais bien qu’il y a des gens qui courent moins de hazard en ces lieux-là que d’autres ; cependant les tempéramens les plus froids s’y réchauffent, & ceux qui sont assez glacés pour n’y être point émus, n’y ayant aucun plaisir, n’y vont point. Ainsi il n’est pas nécessaire de les leur défendre ; ils se les défendent assez eux-mêmes. Quand on n’y a point de plaisir, les soins {p. 446}de sa parure & les veilles en rebutent ; & quand on y a du plaisir, il est certain qu’on court grand hazard d’y offenser Dieu. Ce ne sont d’ordinaire que de jeunes gens qui composent ces assemblées, lesquels ont assez de peine à résister aux tentations dans la solitude, à plus forte raison dans ces lieux-là, où les beaux objets, les flambeaux, les violons, & l’agitation de la danse échaufferoient des Anachoretes. Les vieilles gens qui pourroient se trouver dans les Bals, sans intéresser leur conscience, seroient ridicules d’y aller ; & les jeunes à qui la bienséance le permettroit, ne le pourroient pas sans s’exposer à de trop grands périls. Ainsi je tiens qu’il ne faut point aller au Bal, quand on est Chrétien ; & je crois que les Directeurs feroient leur devoir, s’ils exigeoient de ceux dont ils gouvernent les consciences, qu’ils n’y allassent jamais ». Tome IV des Lett.

On peut joindre à ce témoignage la peinture suivante que M. de Saint-Lambert a faite des Bals dans son Poëme des Saisons, mais avec une {p. 447}intention bien différente de celle de M. de Bussy-Rabutin. Celui-ci nous dit avec une sincérité admirable, fugite hæc, fuyez la coupe empoisonnée de Circé ; au lieu que M. de Saint-Lambert nous dit ; accurrite, accourez.

… Le bal va s’ouvrir chez Hébé, chez Alcine ;
L’or & l’émail des fleurs, les perles & l’hermino
De la foule élégante ornent les vêtemens.
L’incarnat des rubis, le feu des diamans
Répandent un jour doux sur les charmes des belles,
Et les yeux avertis vont se fixer sur elles.
Le desir de tout vaincre, & l’espoir du succès
Brillent modestement dans leurs yeux satisfaits.
Le feu de leurs regards s’anime avec la danse ;
L’Amour, sans se montrer, fait sentir sa présence ;
Et, plein d’un sentiment vif & délicieux,
Chacun sent le plaisir qu’il voit dans tous les yeux.
… … … … …
… … … A la mélancolie
Opposez, s’il le faut, les jeux de la Folie ;
Opposez des excès, hâtez-vous de saisir
Un seul instant de joie, un moment de plaisir.
Entrez dans ces sallons, où de brillans Protées
Echangent en riant leurs formes empruntées ;
Où la nuit, le tumulte, & les masques trompeurs
Font naître à chaque instant d’agréables erreurs :
Là, le maintien décent, la froide retenue,
N’imposent point la gêne à la joie ingénue :
Là, les sexes, les rangs, les âges confondus,
Suivent, en se jouant, la Folie & Momus.

Il paroît que M. de S.-L. ne s’étoit {p. 448}pas muni d’antidote contre le venin de la coupe qu’il nous présente. Il en est de la Danse, comme de la Poésie, de la Musique & de la Peinture, qui ont pour but principal de représenter au naturel les actions des hommes, & les passions qui les agitent. Tous ces Arts, qui roulent sur l’imitation, peuvent s’appliquer au bien & au mal, & produisent de bons ou de mauvais effets, par rapport aux mœurs, suivant le bon ou le mauvais usage qu’on en fait : Omnia majorum institutis judicentur. La Danse fut d’abord, comme nous l’avons déjà dit, page 18 de ce volume, l’expression de l’enthousiasme des sentimens, soit de reconnoissance envers Dieu, soit d’une joie légitime ; &, à cet égard, on pourroit l’appeller avec Simonide une Poésie muette, de même qu’il appelloit la Poésie une Danse éloquente. Il n’est pas question ici des lettres de noblesse de la Danse, c’est-à-dire de son ancienneté. Les érudits en antiquité prétendent que ce fut d’un nommé Andron, Sicilien, que les Grecs en reçurent les premieres leçons. Que c’est pour cette raison qu’ils exprimoient le mot {p. 449}de danser, par celui de σικελίζειν ; de même qu’ils exprimoient le mot de Danse par celui de Βαλλισμὸς : &, comme l’a observé le sçavant M. Burette, c’est apparemment de ce terme originaire de Sicile que dérivent210 les mots de Bal & Ballet.

Les Grecs, dans leur beau temps, ne firent usage de la Danse, que comme d’un exercice propre à former le corps, & à donner à toute la personne ce que M. Rollin appelle une certaine politesse extérieure.

Madame la Duchesse de Liancourt, dont nous avons eu occasion de parler dans notre seconde Lettre sur les Spectacles, page 230, donnoit cet avis à Madame la Princesse de Marcillac, sa petite-fille : « Ne faites point apprendre à vos filles ce qui ne peut servir qu’à la vanité. Et si elles ont bonne grace, vous n’aurez même que faire de maîtres à danser, pour leur en faire avoir. Car s’il est besoin qu’elles aient de la grace à marcher, à faire la révérence & à {p. 450}bien porter leur corps, pour ne pas attirer l’aversion ou la raillerie du monde, & pour avoir la gravité d’une personne de condition qui doit être en vénération à ses domestiques & à ses sujets, il n’est pas besoin qu’elles aient des graces affectées pour attirer les yeux dans les Bals & les Assemblées, puisqu’elles ne doivent jamais y aller211 ».

Si la Danse n’étoit donc employée qu’à donner aux mouvemens & au maintien du corps cette noblesse, cette bienséance, comme nous l’avons déjà dit page 19 de ce volume, que les Grecs appelloient Ἐμμελεια, & les Latins concinnitas, on n’auroit pas de reproches à lui faire ; mais elle est devenue pernicieuse depuis qu’on en a fait un art imitatif dont l’objet est d’incliner les cœurs au vice par la peinture la plus vive des passions que M. Dorat a tracées dans son Poëme didactique sur la Déclamation :

Lisez au cœur de l’homme, amour, fureur, délire :
Dans vos yeux animés, il faut tout reproduire ;
{p. 451}De chaque sentiment épiez les secrets ;
Démêlez les ressorts, combinez les effets ;
Et parvenez enfin à ce degré sublime
Où naît de tous les Arts l’Art de la Pantomime :
C’est par-là que la Danse enfante des tableaux,
Sçait parler sans parole, & peindre sans pinceau.

Voilà l’objet des danses de Théatre. Et n’est-ce pas aussi celui de toutes ces danses d’assemblées où

Des femmes, sans garder la moindre bienséance,
 Avec des hommes font assaut
D’entrechats, de bonds ; de gambades & de sauts ?
O siecle ! ô temps ! ô mœurs, quelle indécence !

s’écrie dans la Comédie des Talens à la mode, un personnage qui néanmoins y paroît avoit beaucoup d’inclination pour les plaisirs de tous genres.

M. de Saint-Lambert a loué la danse par les effets pour lesquels Ciceron212 l’attribuoit à une espece de délire. Et, selon Æmilius Probus, les Romains vertueux rejettoient l’usage de la danse, comme un vice qui réveille & fortifie une passion dont le sentiment inévitable est à {p. 452}combattre, dont le souvenir est incommode & fâcheux, la modération difficile, la tentation violente, & l’attachement criminel : scimus saltare etiam in vitiis poni.

Suivons donc les sages conseils de M. de Bussy-Rabutin. Ils sont fondés sur des principes qui peuvent en général s’appliquer à tout ce qui est inventé dans les grandes Villes pour amuser la multitude des Citoyens oisifs, fastueux, vains, légers & voluptueux. Il leur faut en tout temps quelques Spectacles. C’est pour cette raison qu’à Paris on laisse dans la Semaine-Sainte quelques ressources à ces désœuvrés dont les mœurs sont une apostasie de la Religion chrétienne.

« Ils ont, dit M. de Querlon213, 1°. le Concert Spirituel, sorte de Spectacle, autorisé légitimement par l’objet de ses chants, & où l’oreille a plus de part que les yeux ; 2°. le concours au Bois de Boulogne, aux environs de l’Abbaye de {p. 453}Long-Champ. On alloit autrefois les trois jours de Ténebres à cette Abbaye, attiré principalement par les voix qui s’y faisoient entendre. Mais ce ne sont plus les Ténebres qu’on cherche à Long-Champ ; c’est le monde qui va chercher le monde, comme l’eau va toujours chercher l’eau, pour augmenter son courant. Ici les deux sexes, attirés réciproquement l’un par l’autre, c’est-à-dire par la pressante envie de se montrer & d’être vus, autant que par le desir de voir, sont eux-mêmes l’objet du concours, & font à la fois Spectacle & les Spectateurs. Ainsi se renouvelle à Paris tous les ans ce fameux rendez-vous de chars & d’équipages de toute espece de cavaliers, de piétons poudreux, &c. mélange singulier de tous les ordres confondus par le luxe & par la parure. C’est pour les gens du monde, toujours entraînés par l’imitation, par le torrent des habitudes, une affaire de costume & d’air, où chacun met plus ou moins d’intérêt pour les femmes qui-sont toujours le premier attrait {p. 454}de tous les lieux d’assemblées soumis à l’autorité de la mode : c’est un ralliement convenu pour toutes les prétentions de la nature & de l’art. Aussi toute la milice de Cythere s’y rend-elle ordinairement sous les armes, soit pour défier les regards, soit pour disputer entr’elles de charmes, de luxe, d’opulence & de faste ; enfin c’est pour les Citoyens, [indifférens au culte sacré & aux grands Mysteres de la Religion chrétienne] une promenade de la saison où ils vont se livrer à tout ce que la frivolité, la vanité de quelques hommes opulens, & la jeunesse des deux sexes ont pu réunir pour l’intérêt d’un moment de pompe, de galanterie & de nouveautés ridicules ».

Tel est aussi le caractere de ces promenades changées en Comédies publiques, où l’on se dispose comme pour le Bal, où l’on apporte le même esprit, le même luxe ; où chacun, Acteur & Spectateur tout à la fois, vient jouer son rôle, & faire son personnage. Tel est enfin le caractere de ces fêtes foraines, qu’on a vu depuis {p. 455}quelques années s’introduire en France, & qui portent le nom de Waux-Hall.

L’enthousiasme épidémique pour les Anglois a fait adopter avec fureur tout ce qui sort de leur Isle, leurs mœurs, leur licence, leur esprit de murmure, leurs usages, leurs modes.

Il ne nous restoit plus qu’à adopter leur Spectacle connu sous le nom de Waux-Hall. « Mézerai, au regne de Henri IV, dit qu’on a toujours remarqué que l’amour du luxe & des plaisirs ne se déborde jamais si fort, que dans les calamités publiques ». En effet ce fut dans le temps d’une misere universelle qu’une fureur déchaînée pour les Spectacles de tout genre fit construire à Paris un vaste édifice sous le nom de Colisée, à l’imitation de celui de Rome, qu’on sçait être le reste du fameux amphithéatre de Vespasien, & dont le nom, selon du Cange, exprime la grandeur colossale.

Voici l’idée que M. de Querlon nous donna en 1769 de ce nouveau Spectacle, qui fut d’abord établi sous le nom de Waux-Hall, à la foire Saint-Germain, {p. 456}ensuite sur le boulevard de la Ville, vers la porte Saint-Martin, & enfin aux Champs Elisées, sous le nom de Colisée.

« C’est, dit M. de Querlon, un rendez vous que l’on donne à la jeunesse des deux sexes passionnée pour la danse, où elle exerce ses talens, & sert publiquement de spectacle. C’est ensuite un lieu de ralliement où l’on vient de toutes parts se chercher en foule, pour jouir du plaisir de voir & d’être vu, de se montrer & d’observer ».

M. de Querlon nous laisse à conclure que dans ce rendez-vous & ce ralliement, les sens doivent se trouver assiégés par tout ce qu’on leur y présente de voluptueux. Enfin la raison doit y être d’une défense d’autant plus foible, qu’on y a encore plus que dans les autres Spectacles, la facilité de se communiquer ses mauvais desirs, & de s’en ménager l’exécution. Quel est donc l’aveuglement des parens qui y menent leurs enfans, & dont plusieurs les y donnent en spectacle, en les faisant servir comme des farceurs à l’amusement du Public !

{p. 457}Il y eut dans plusieurs Villes de Provinces le même empressement pour ce Spectacle nouveau. Les habitans de Marseille ne tarderent pas à faire construire un Cirque qui, comme le Waux-Hall de Paris, est destiné aux Bals, Comédies, Opéra, Cafés, &c. La nouveauté de cet établissement voluptueux avoit excité plusieurs Ecclésiastiques à se permettre de le fréquenter : on en fit des plaintes à M. de Belloi, Evêque de Marseille. Ce Prélat donna le 13 Octobre 1772 une Ordonnance sur le Requisitoire de M. Long, Chanoine, Promoteur-Général, pour réformer une licence qui, est-il dit dans le Requisitoire, avoit scandalisé les gens du monde.

Cette Ordonnance214 défend la fréquentation du Cirque, & enjoint d’exécuter l’article V du titre premier des Statuts synodaux du Diocese, par lequel « il est défendu, même aux simples Clercs ; & à l’égard des Prêtres séculiers & réguliers, sous peine de suspense ipso {p. 458}facto, de se trouver aux Bals, Comédies, Opéra, & autres Spectacles si contraires à la sainteté de leur état & à l’esprit du Christianisme ».

Cet acte de zele & de vigilance de M. l’Evêque de Marseille fut annoncé dans quelques Ecrits périodiques. Il prouve que les Ecclésiastiques qui fréquentent les Spectacles, ou qui en sont les apologistes, sont de droit récusables par toutes les personnes sensées, Qui omnia non opinione & sensu, sed ratione & æquitate metiuntur.

Au reste, ces Ecclésiastiques, apologistes publics des Théatres, sont en si petit nombre, qu’il faut en juger comme l’on juge des exceptions qui, par leur rareté confirment la regle. C’est une réflexion que M. Chaudon a faite sur ce même objet dans un Recueil d’Entretiens qu’il donna en 1774 sous ce titre : L’Homme du Monde éclairé. Le huitieme de ces Entretiens regarde le Théatre, & il y est donné comme le résumé d’un Ouvrage intitulé : Réflexions morales, politiques, historiques & littéraires sur le Théatre, en 5 volumes in-8°.

{p. 459}Ce dernier Ouvrage a pour Auteur un Sçavant respectable, M. l’Abbé de la Tour, Doyen du Chapitre de la Cathédrale, & Secrétaire perpétuel de l’Académie de Montauban. Nous en possédons un exemplaire qui est en 18 Livres, qui forment 9 vol. in-12. M. le Chevalier de Leschar, qui n’en avoit encore que 7 volumes, a fait connoître tout le mérite de cet important Ouvrage, dans l’une des trois Lettres insérées dans l’Avertissement de notre premier Volume, page lxvij & suiv. M. l’Abbé de la Tour n’a pas omis d’observer que pour décrier nos Spectacles, il suffiroit d’exposer le délire qui a dicté la plupart de leurs Apologies. Il parut, par exemple, à l’occasion des Vaux-hall & du Colisée, deux Ecrits intitulés :

Observations sur les Spectacles, & en particulier sur le Colisée ; par M.L. Gachet, Paris 1772, in-8°.

Essai sur le moyen de faire du Colisée un établissement national & patriotique. Paris 1772, in-12.

Les Auteurs de ces deux Ecrits trouvent dans la fureur de notre siecle pour les Spectacles, le pronostic du retour des délices de l’âge d’or.

{p. 460}L’on voudroit que tous ceux qui fréquentent nos Spectacles, y prissent l’idée d’une vie pleine de joie & de délices ; Plena gaudiorum, vita plena Nectaris.

L’autre fait dépendre de la perfection du Colisée le bonheur & la durée de l’Empire François, en y appliquant ce que l’Oracle avoit dit du Colisée de Vespasien : Quando stabit Colisœus, stabit & Roma ; quando cadet Roma, cadet & mundus : « Tant que le Colisée subsistera, Rome subsistera, & l’Univers s’écroulera avec elle.

« C’est à cette durée, dit M. Gachet, que j’augure que parviendront Paris & le Colisée. Le Spectacle qui doit flatter le plus, c’est celui qui frappe plus de sens. C’est par là que l’Opéra l’emporte sur les autres Spectacles ; aussi c’est par cette raison que le Colisée & le Vaux-hall méritent le plus grand éloge, étant une espece de Panthéon consacré aux plaisirs ».

On trouve les influences de ces principes scandaleux dans un Ecrit qui parut en 1775, sous le titre de

Lettre à Madame la Comtesse de T***, sur un second Théatre François à Paris, & sur le retour de l’ancien Opéra Comique.

{p. 461}M. le Chevalier du Coudrai en est l’Auteur. « Selon des gens, y dit-il, Trois Spectacles suffisent, & c’en est trop. Moi, chétif raisonneur, mais fidele interprete des pensées du Public215 ; {p. 462}je prétends que nous n’avons pas assez des Théatres actuels, qui sont l’Opéra, les François, les Italiens, le Colisée, Nicolet & Audinot. Le manque de Spectacles seroit une oisiveté, & par conséquent une nouvelle mere de vices. Aussi dans les Fêtes d’Eglise où les Spectacles sont fermés, il se commet plus de crimes dans la Capitale ».

Ce raisonnement en effet est bien chétif. L’opinion vulgaire sur les désordres attribués à l’interruption des Spectacles, a été réfutée par M. de Voltaire. « Je ne considere point, dit-il216, les Spectacles comme une {p. 463}occupation qui retire les jeunes gens de la débauche ; cette idée seroit celle d’un Curé ignorant217. Il y a assez de temps avant & après les Spectacles, pour se livrer aux mouvemens des passions effrénées. D’ailleurs on ne va pas aux Spectacles tous les jours ».

Cette réflexion est vraie ; mais M. de Voltaire l’a mal fondée, en disant dans le même Ecrit que nos Tragédies & Comédies sont des leçons de vertu, de raison & de bienséance. Elles sont des leçons de volupté, de folie & d’indécence. Et l’on doit en conclure que nos Spectacles, loin de pouvoir {p. 464}retirer les jeunes gens de la débauche, ne sont propres qu’à y exciter. C’est d’après l’expérience de cet effet, que les femmes publiques sont en si grand nombre dans le voisinage des Théatres. Nous avons à opposer à M. le Chevalier du Coudrai un Ecrit mieux fondé que le sien en raisonnement. Il parut en 1772, sous le titre deDialogue sur les Spectacles. En voici une pensée : « La passion excessive des Théatres a produit l’oisiveté & le luxe. Ces causes réunies ont occasionné le débordement d’une licence effrénée. Celle-ci a enfanté l’impiété & l’irreligion qui à son tour a fait pulluler les meurtres, les duels, les suicides, & enfin une indépendance monstrueuse, toujours funeste au Gouvernement ».

« Depuis une quinzaine d’années », comme l’a observé M. l’Abbé Gros de Besplas218, « le Peuple François, sur-tout à Paris, est excessivement dissipé, rassasié des Spectacles de {p. 465}tous genres, & a presque changé de caractere. Il y montre un goût excessif pour les plaisirs, un amour du repos & de la volupté, qu’on n’appercevoit pas autrefois. Les mœurs du Théatre sont devenues les mœurs publiques de la nation ; ses vices ont débordé sur la société entiere ; toutes les manieres de l’Actrice infectent aujourd’hui les rangs les plus distingués ; mêmes tons, mêmes airs, mêmes maniéres, mêmes ajustemens jusque dans les bals de la Cour, où leurs danses molles, leurs expressions lascives sont imitées. L’âge tendre est admis aux plaisirs & aux Théatres de société. Quel aliment aux passions, au moment qu’elles font plus d’efforts pour éclore ! Est-ce là que Mentor auroit été chercher une épouse à Télémaque » ?

Confirmons ces réflexions de M. de Besplas par celle de M. de Querlon, toujours intéressant & judicieux dans ses notices périodiques.

« Les Spectacles, dit-il, ont répandu un esprit de frivolité dans tous les états, dont aucun âge n’est {p. 466}exempt : ils remplissent l’imagination d’idées fausses & superficielles qui ne font que des turlupins. Il ont enfin introduit des licences & des ridicules dans les mœurs219 ».

N’en résulte-t-il pas aussi des influences sur le physique ? « La volupté, dit Plutarque, par l’organe d’Amyot, son Traducteur, dissout les corps, les amollissant de jour à autre par délices, dont l’usage fauche le cœur, éteignant les forces tellement que les foiblesses & maladies viennent en foule, & dès la jeunesse on commence à faire apprentissage des infirmités de la vieillesse ».

C’est sans doute par dépit contre la corruption & la mollesse actuelle de nos mœurs, que M. Darnaud, dans sa Lettre sur sa Tragédie d’Euphémie, regrette l’ancien esprit de chevalerie, parce que, dit-il, il enfloit le courage, en se figurant sans cesse des Paladins à combattre.

Mais cette vertu étoit bien chimérique. Aussi sur la fin du seizieme siecle, on voulut en inspirer une qui {p. 467}fût plus réelle & plus utile dans les objets, & l’on prétend que ce qui y contribua le plus, fut la traduction des Vies des Hommes illustres de Plutarque. Elle se répandit dans la noblesse & dans le peuple, de maniere que cet Ouvrage devint le Livre de la Nation. « Nous étions perdus, dit Montaigne, si ce Livre ne nous eût relevé du bourbier. Sa merci nous osons à cette heure parler & écrire. Les Dames en régentent les maîtres d’école. C’est notre bréviaire220 ».

Henri IV trouvant un jour Neufvy attaché à la lecture de Tacite ; « Quittez, lui dit ce Monarque, cette lecture, & lisez de préférence dans Plutarque l’histoire des Capitaines vos pareils221 ».

Ces hommes fameux dont le caractere, commun à tous les Payens, fut de s’aimer jusqu’à mépriser Dieu, amor suî usque ad contemptum Dei222, ne tenoient pas moins de l’Auteur de tout bien toutes leurs belles qualités. {p. 468}Dieu les en avoit enrichis, non pour les rendre heureux, mais pour les faire servir, suivant l’exécution de sa volonté éternelle, à l’ornement de leur siecle, comme les étoiles servent à la décoration de l’univers223 ; & ils n’ont eu que la vaine récompense qu’ils avoient desirée, c’est-à-dire, une gloire temporelle « qui, dit M. Bossuet224, ne vient pas jusqu’à eux. Elle s’efforce peut-être de s’attacher à leurs médailles, à leurs statues déterrées, restes des ans & des barbares, aux ruines de leurs monumens & de leurs Ouvrages, qui disputent avec le temps, ou plutôt à leur idée, à leur ombre, & à ce qu’on appelle leur nom ». Mais faut-il que ce soit ces hommes vains qui donnent des leçons de sagesse, de courage & de patriotisme, dans des temps où toutes ces vertus devroient nécessairement être produites par l’esprit du Christianisme, dont le caractere essentiel, opposé à {p. 469}celui du Paganisme, est d’aimer Dieu jusqu’à se mépriser soi-même, amor Dei usque ad contemptum suî225 ? Principe si fécond pour faire remplir noblement, généreusement & utilement tous devoirs envers Dieu & envers les hommes ! Un Chrétien [dont le desir dominant est d’être dégagé des liens du corps, & d’être avec Jesus-Christ226] met le plus grand héroïsme dans toute sa conduite. Qu’on ait une armée composée de pareils combattans, on aura autant de Machabées qui, pour plaire, non aux hommes, mais à Dieu, se diront l’un à l’autre : Il vaut mieux mourir à la guerre que de voir périr notre pays. A Dieu ne plaise que nous fuïons devant l’ennemi : notre heure de mourir est arrivée, mourons en gens de cœur pour nos freres, & ne mettons point de tache à notre gloire227. Voilà ce qu’on doit attendre de la Religion {p. 470}Chrétienne « qui, comme le dit M. Seguier228, tend à réunir tout dans la Société, sans y rien confondre, & qui fait du travail, de la fidélité, du courage & de l’obéissance aux Loix, autant de droits aux récompenses de la vie future ».

On a donc attribué aux Œuvres de Plutarque l’honneur d’avoir contribué à réformer les François du seizieme siecle229. « On pensa, dit M. Groslei, on fit des efforts pour agir à la Grecque & à la Romaine. Et la France vit des hommes qui, envisageant la postérité, se flatterent de l’intéresser à leur mémoire. L’Epée eut ses Montmorency, ses Dubellai, ses Chatillon, ses Montluc, ses Lanoue, ses Castelnau, & l’élite {p. 471}de ces Guerriers, dont, à l’imitation de Plutarque, Brantôme a rassemblé les faits & dits mémorables. La Magistrature eut les l’Hôpital, les Harlai, les de Thou, les Pibrac, les Pithou, les Servin. La Finance elle-même eut un Sulli. Agere memoratu digna magis pronum magisque in aperto erat230 ». La plupart de ces grands hommes nous ont laissé de bons Ouvrages, où l’on trouve les motifs nobles qui les dirigeoient & qui les soutenoient, dicebantur eo animo ingenioque à quo gesta erant [Tit. Liv.]. « J’ai, disoit l’Amiral de Coligni, le cœur assis en assez bon lieu, pour le pouvoir défendre comme il appartient à tout homme d’honneur & de bien, & pour pouvoir en répondre à chacun suivant sa qualité ».

Mais il est rare de voir la force des mœurs publiques tourner en habitude les actions mémorables ; c’est un phénomene qui n’est pas de longue durée. Peu souvent, dit Plutarque, advient que les natures graves {p. 472}de ces hommes peu communs plaisent à la multitude, & soient agréables à une commune231.

C’est aux siecles vertueux qu’il faut remonter pour apprendre à connoître la vertu, ideò virtutes iisdem ferè temporibus æstimantur quibus facillimè gignuntur [Tacit. V. Agr.]. Notre, siecle, dit-on, est le siecle de la Philosophie & de la vertu. « C’est aux effets, dit M. le Franc de Pompignan232, & non pas aux discours à le prouver. Pourquoi donc les crimes atroces deviennent-ils plus communs ? Qu’on parcoure les registres de nos Parlemens, sur-tout les Arrêts imprimés de la Tournelle de Paris, on y verra que des forfaits inconnus aux premiers Législateurs, que des meurtres horribles qui auroient soulevé des Nations entieres, sont fréquens aujourd’hui dans différentes Provinces du Royaume le plus policé de la terre. A quoi les attribuer ? Seroit-ce à {p. 473}l’impunité ? Jamais la Justice ne fut si prompte ni si sévere à Paris. Seroit-ce à la férocité des mœurs ? Les François n’en sont pas accusés. On ne parle au contraire & dans les conversations & dans les Ecrits, que de mœurs douces, de passions douces, de cœurs honnêtes, d’esprits honnêtes, d’ames honnêtes, de créatures honnêtes. Mais si cette douceur, cette honnêteté tant rebattues ne sont que des mots vagues, des expressions parasites qui ne signifient rien à force d’être répétées sans cesse, employées par-tout, appliquées à tout ; si par malheur, & dans la réalité, les mœurs publiques sont corrompues, les mœurs particulieres détestables, les notions du bien & du mal changées, la Religion tournée en ridicule, la nature traitée de chimere ; on n’a plus à chercher la cause de tant de forfaits multipliés ; on la reconnoît dans ses effets ».

On ne doit l’attribuer qu’à l’anarchie morale introduite par la licence des Incrédules modernes, qui attaquent ouvertement la Religion & les {p. 474}mœurs, & qui puisent dans leur impiété la fureur & l’impudence que leurs Ecrits respirent :

…, Iram atque animos à crimine sumunt.
Omne in præcipiti vitium est … …
… … … Sævius armis
Luxuria incubuit … … …
Nullum crimen abest facinusque libidinis.
Atque utinam ritus veteres & publica saltem
His intacta malis agerentur sacra !

Juven. lib. II, Sat. VI.

Ces Vers pourroient servir d’épigraphe à la description que M. Gresset a faite de notre siecle, « dans lequel le ton frivole & l’air agréable autorisent tout, faisant tout passer ; la raison, de tous les temps, est traitée de petitesse ; le bon esprit, de simplicité ; l’antique honneur, de sottise bourgeoise ; les ridicules mêmes sont devenus des graces ; les vices, des usages ; les scandales, de bons airs ; l’impertinence, un style ; le bas esprit de l’intrigue, un titre de génie ; les perfidies, des gentillesses ; les noirceurs, des plaisanteries : on rencontre presque par tout la méchanceté, toujours basse, toujours active, la vile délation, l’affreuse {p. 475}calomnie, toutes les atrocités, toutes les horreurs, tous les poisons de l’envie & de la haine, circulant dans le monde sous les vernis de l’agrément, couronnés de guirlandes, & cachés sous des roses … …. La langue de la raison profanée est devenue foible, incertaine, entortillée, énigmatique, maniérée. Ainsi, pour n’en offrir qu’un exemple, dire simplement un honnête homme, est presque passé de mode, soit parce qu’il est trop bourgeois de l’être, ou trop plat de prononcer ce nom ; mais, comme par un reste de pudeur involontaire, dont la déraison & le vice même ne peuvent se défaire, on veut conserver une nuance de la dénomination antique ; on entend dire par-tout d’un ton doucereux & faux : C’est un homme honnête, une honnête créature, & on appelle ainsi des cœurs faux, des amis perfides, de bas protégés, des valets de tous les ordres, des hommes tarés, des femmes affichées, une foule d’êtres manqués, gens sans principes, sans caractere, des ames viles & noires, des insectes dorés, {p. 476}n’ayant que l’intérêt pour esprit, la fausseté pour langage, & la soif de l’or pour existence ».

Voilà les vérités qui furent dites dans la séance publique de l’Académie Françoise, du 4 Août 1774, par M. Gresset, dans sa Réponse au Discours de réception de M. Suart. Ce dernier avoit fait l’éloge de cette épidémie philosophique, d’où est provenu l’interversion des mœurs, des idées & du langage.

« On eut, comme l’a dit M. Fréron233, la contre-partie de ce Discours, dans la Réponse judicieuse, solide & agréable de M. Gresset. Elle fut accueillie par les Auditeurs sensés, comme l’ouvrage d’un {p. 477}véritable homme de Lettres, d’un Auteur plein de raison, de graces & de goût, & d’un Académicien du bon ton » : ces qualités se trouvent bien établies par la Lettre suivante, que M. Gresset234 publia en 1759, & que nous avons annoncée page 67 de notre premier Tome : nous l’avons réservée, pour en orner notre second Volume.

LETTRE
De M.Gresset, de l’Académie Françoise, à M. ***.

Les sentimens, Monsieur, dont vous m’honorez depuis plus de vingt ans, vous ont donné des droits inviolables sur tous les miens ; je vous en dois compte, & je viens vous le rendre sur un genre d’ouvrages auquel j’ai cru devoir renoncer pour toujours. Indépendamment du desir de vous soumettre ma conduite, & de mériter votre approbation, votre appui m’est nécessaire dans le parti indispensable que j’ai pris, & je viens le réclamer avec toute la confiance que votre amitié pour moi m’a toujours inspirée. Les titres, les erreurs, les {p. 478}songes du monde n’ont jamais ébranlé les principes de religion que je vous connois depuis si long-temps : ainsi le langage de cette Lettre ne vous sera point étranger ; & je compte qu’approuvant ma résolution, vous voudrez bien m’appuyer dans ce qui me reste à faire pour l’établir & pour la manifester.

Je suis accoutumé, Monsieur, à penser tout haut devant vous ; je vous avouerai donc que depuis plusieurs années j’avois beaucoup à souffrir intérieurement d’avoir travaillé pour le Théatre, étant convaincu, comme je l’ai toujours été, des vérités lumineuses de notre Religion, la seule divine, la seule incontestable : il s’élevoit souvent des nuages dans mon ame sur un art si peu conforme à l’esprit du Christianisme, & je me faisois, sans le vouloir, des reproches infructueux que j’évitois de démêler & d’approfondir : toujours combattu & toujours foible, je différois de me juger, par la crainte de me rendre, & par le desir de me faire grace. Quelle force pouvoient avoir des réflexions involontaires contre l’empire de l’imagination, & l’enivrement de la fausse gloire ? Encouragé par l’indulgence dont le Public a honoré Sydnei & le Méchant, ébloui par les sollicitations les plus puissantes, séduit par mes amis, dupe d’autrui & de moi-même, rappellé en même temps par cette voix intérieure, toujours sévere & toujours juste, je souffrois, & je n’en travaillois pas moins dans le même genre. Il n’est guere de situation plus pénible, quand on pense, que de voir sa conduite en contradiction avec ses {p. 479}principes, & de se trouver faux à soi-même & mal avec soi. Je cherchois a étouffer cette voix des remords à laquelle on n’impose point silence, ou je croyois y répondre par de mauvaises autorités que je me donnois pour bonnes ; au défaut de solides raisons, j’appellois à mon secours tous les grands & frêles raisonnemens des Apologistes du Théatre ; je tirois même des moyens personnels d’apologie de mon attention à ne rien écrire qui ne pût être soumis à toutes les loix des mœurs : mais tous ces secours ne pouvoient rien pour ma tranquillité. Les noms sacrés & vénérables dont on abuse pour justifier la composition des Ouvrages Dramatiques & le danger des Spectacles, les textes prétendus favorables, les anecdotes fabriquées, les sophismes des autres & les miens ; tout cela n’étoit que du bruit, & un bruit bien foible contre ce sentiment impérieux qui réclamoit dans mon cœur. Au milieu de ces contrariétés & de ces doutes de mauvaise foi, poursuivi par l’évidence, j’aurois dû reconnoître dès-lors, comme je le reconnois aujourd’hui, qu’on a toujours tort avec sa conscience, quand on est réduit à disputer avec elle. Dieu a daigné éclairer entiérement mes ténebres, & dissiper à mes yeux tous les enchantemens de l’art & du genie ; guidé par la Foi, ce flambeau éternel devant qui toutes les lueurs du temps disparoissent, devant qui s’évanouissent toutes les rêveries sublimes & profondes de nos foibles esprits-forts, ainsi que toute l’importance & la gloriole du bel esprit ; je vois sans nuage & sans enthousiasme que les Loix sacrées de l’Evangile, {p. 480}& les maximes de la morale profane, le Sanctuaire & le Théatre sont des objets absolument inalliables ; tous les suffrages de l’opinion, de la bienséance & de la vertu purement humaine, fussent-ils réunis en faveur de l’Art Dramatique, il n’a jamais obtenu, il n’obtiendra jamais l’approbation de l’Eglise ; ce motif sans réponse m’a décidé invariablement : j’ai eu l’honneur de communiquer ma résolution à Monseigneur l’Evêque d’Amiens, & d’en consigner l’engagement irrévocable dans ses mains sacrées ; c’est à l’autorité de ses leçons & à l’éloquence de ses vertus que je dois la fin de mon égarement ; je lui devois l’hommage de mon retour ; & c’est pour consacrer la solidité de cette espece d’abjuration, que je l’ai faite sous les yeux de ce grand Prélat si respecté & si chéri : son témoignage saint s’éleveroit contre moi, si j’avois la foiblesse & l’infidélité de rentrer dans la carriere : il ne me reste qu’un regret en la quittant ; ce n’est point sur la privation des applaudissemens publics, je ne les aurois peut-être pas obtenus ; & quand même je pourrois être assuré de les obtenir au plus haut degré, tout ce fracas populaire n’ebranleroit point ma résolution ; la voir solitaire du devoir doit parler plus haut pour un Chrétien que toutes les voix de la renommée. L’unique regret qui me reste, c’est de ne pouvoir point assez effacer le scandale que j’ai pu donner à la Religion par ce genre d’Ouvrage, & de n’être point à portée de réparer le mal que j’ai pu causer sans le vouloir : le moyen le plus apparent de réparation, autant qu’elle est possible, dépend {p. 481}de votre agrément pour la publicité de cette Lettre ; j’espere que vous voudrez bien permettre qu’elle se répande, & que les regrets sinceres que j’expose ici à l’amitié, aillent porter mon apologie par-tout où elle est nécessaire. Mes foibles talens n’ont point rendu mon nom assez considérable pour faire un grand exemple ; mais tout Fidele, quel qu’il soit, quand ses égaremens ont eu quelque notoriété, doit en publier le désaveu, & laisser un monument de son repentir. Les gens du bon air, les demi-raisonneurs, les pitoyables incrédules peuvent à leur aise se moquer de ma démarche ; je serai trop dédommagé de leur petite censure & de leurs froides plaisanteries, si les gens sensés & vertueux, si les Ecrivains dignes de servir la Religion, si les ames honnêtes & pieuses que j’ai pu scandaliser, voient mon humble désaveu avec cette satisfaction pure que fait naître la vérité, dès qu’elle se montre.

Je profite de cette occasion pour rétracter aussi solemnellement tout ce que j’ai pu écrire d’un ton peu réfléchi dans les bagatelles rimées dont on a multiplié les éditions, sans que j’aie jamais été dans la confidence d’aucune. Tel est le malheur attaché à la Poésie, cet Art si dangereux, dont l’histoire est beaucoup plus la liste des fautes célebres & des regrets tardifs, que celle des succes sans honte & de la gloire sans remords ; tel est l’écueil presqu’inévitable, sur-tout dans les délires de la jeunesse ; on se laisse entraîner à établir des principes qu’on n’a point, un vers brillant décide d’une maxime hardie, scandaleuse, extravagante : l’idée est téméraire, {p. 482}le trait est impie ; n’importe, le vers est heureux, sonore, éblouissant ; on ne peut le sacrifier ; on ne veut que briller, on parle contre ce qu’on croit ; & la vanité des mots l’emporte sur la vérité des choses. L’impression ayant donné quelqu’existence à de foibles productions auxquelles j’attache fort peu de valeur, je me crois obligé d’en publier une édition très-corrigée, où je ne conserverai rien qui ne puisse être soumis à la lumiere de la Religion, & à la sévérité de ses regards ; la même balance me réglera dans d’autres Ouvrages qui n’ont point encore vu le jour. Pour mes nouvelles Comédies (dont deux ont été lues, Monsieur, par vous seul), ne me les demandez plus ; le sacrifice en est fait, & c’étoit sacrifier bien peu de chose. Quand on a quelques Ecrits à se reprocher, il faut s’exécuter sans réserve, dès que les remords les condamnent : il seroit trop dangereux d’attendre ; il seroit trop incertain de compter que ces Ecrits seront brûlés au flambeau qui doit éclairer notre agonie.

J’ai cru, pour l’utilité des mœurs, pouvoir sauver de cette proscription les principes & les images d’une Piece que je finissois, & je les donnerai sous une autre forme que celle du genre dramatique : cette Comédie avoit pour objet la peinture & la critique d’un caractere plus à la mode que le Méchant même, & qui, sorti de ses bornes, devient tous les jours de plus en plus un ridicule & un vice national.

Si la prétention de ce caractere, si répandue aujourd’hui, si maussade, comme l’est {p. 483}toute prétention, & si gauche dans ceux qui l’ont malgré la nature & sans succès, n’étoit qu’un de ces ridicules qui ne sont que de la fatuité sans danger, ou de la sottise sans conséquence, je ne m’y serois plus arrêté ; l’objet du portrait ne vaudroit pas les frais des crayons : mais, outre sa comique absurdité, cette prétention est de plus si contraire aux regles établies, à l’honnêteté publique & au respect dû à la raison, que je me suis cru obligé d’en conserver les traits & la censure, par l’intérêt que tout Citoyen qui pense doit prendre aux droits de la vertu & de la vérité : j’ai tout lieu d’espérer que ce sujet, s’il doit être de quelque utilité, y parviendra bien plus sûrement sous cette forme nouvelle, que s’il n’eût paru que sur la Scene, cette prétendue école des mœurs, où l’amour-propre ne vient reconnoître que les torts d’autrui, & où les vérités morales, le plus lumineusement présentées, n’ont que le stérile mérite d’étonner un instant le désœuvrement & la frivolité, sans arriver jamais à corriger les vices, & sans parvenir à réprimer la manie des faux airs dans tous les genres, & les ridicules de tous les rangs.

Je laisse de si minces objet pour finir par des considérations d’un ordre bien supérieur à toutes les brillantes illusions de nos arts agréables, de nos talens inutiles, & du génie dont nous nous flattons. Si quelqu’un de ceux qui veulent bien s’intéresser à moi, est tenté de condamner le parti que j’ai pris de ne plus paroître dans cette carriere, qu’avant de me désapprouver, il accorde un regard aux principes qui m’ont déterminé ; après {p. 484}avoir apprécié dans la raison ce phosphore qu’on nomme l’Esprit, ce rien qu’on appelle la Renommée, ce moment qu’on nomme la Vie, qu’il interroge la Religion qui doit lui parler comme à moi ; qu’il contemple fixement la mort ; qu’il regarde au-delà, & qu’il me juge. Cette image de notre fin, la lumiere, la leçon de notre existence, & notre premiere philosophie, devroit bien abaisser l’extravagante indépendance & l’audace impie de ces superbes & petits Dissertateurs, qui s’efforcent vainement d’élever leurs délires systématiques au dessus des preuves lumineuses de la révélation. Le temps vole, la nuit s’avance, le rêve va finir ; pourquoi perdre à douter, avec une absurde présomption, cet instant qui nous est laissé pour croire, & pour adorer avec une soumission fondée sur les plus fermes principes de la saine raison ? Comment immoler nos jours à des Ouvrages rarement applaudis, souvent dangereux, toujours inutiles ? Pourquoi nous borner à des spéculations indifférentes sur les majestueux phénomenes de la nature ? Au moment où j’écris, un corps céleste, nouveau à nos regards, est descendu sur l’horison ; mais ce spectacle, également frappant pour les esprits éclairés & pour le vulgaire, amuse seulement la frivole curiosité, quand il doit élever nos réflexions. Encore quelques jours, & cette Comete que notre siecle voit pour la premiere fois, va s’éteindre pour nous, & se replonger dans l’immensité des Cieux, pour ne reparoître jamais aux veux de presque tous ceux qui la contemplent aujourd’hui. Quelle destinée éternelle nous aura été {p. 485}assignée, lorsque cet astre étincelant & rapide, arrivé au terme d’une nouvelle révolution, après une marche de plus de quinze lustres, reparoîtra sur cet hémisphère ? Les témoins de son retour marcheront sur nos cendres.

Je vous demanderois grace, Monsieur, sur quelques traits de cette Lettre, qui paroissent sortir des limites du ton épistolaire, si je ne sçavois par une longue experience, que la vérité a toute seule par elle-même le droit de vous intéresser, indépendamment de la façon dont on l’exprime ; & si d’ailleurs dans un semblable sujet, dont la dignité & l’énergie entraînent l’ame, & commandent l’expression, on pouvoit être arrêté un instant par de froides attentions aux regles du style, & aux chétives prétentions de l’esprit.

Je suis, &c.

A Amiens, le 14 Mai 1759.

Que les jeunes gens qui ont du talent pour la Poésie, profitent de cette Lettre de M. Gresset : Qu’ils sçachent, comme ce Poëte agréable l’a dit dans une Epître à sa Muse,

Que la Vertu, reine de l’Harmonie,
A la décence, aux graces réunie,
Seule a le droit d’enfanter les beaux Vers.

Le Pindare de la France, J.B. Rousseau, dit dans son Epître à M. de Breteuil :

{p. 486}L’amour du vrai me fit lui seul Auteur,
Et la vertu fut mon premier Docteur.

On sçait que ce grand Poëte s’est repenti de ne pas avoir été toujours fidele à ce premier Docteur. On voit dans ses Lettres, qu’il n’attendit pas la vieillesse & les infirmités pour réprouver les licences de sa lyre. Ce n’étoit, selon les voluptueux, que des bagatelles ; mais il reconnut qu’elles conduisent aux plus grands excès :

Hæ nugæ seria ducent
In mala.

Horat.Art poét.

Rien n’est plus redoutable que la tyrannie de la volupté. Voici une Ode qui en dépeint les funestes effets.

LA VOLUPTÉ.
ODE235.

Aussi funeste qu’infame,
La Volupté nous séduit :
Son poison abrutit l’ame
De l’insensé qui la suit.
Les Provinces ravagées
Et les Villes saccagées
{p. 487}Doivent leurs maux à ses traits.
Toujours elle se signale
Par une suite fatale
De malheurs ou de forfaits.
 Dans quels ténébreux abymes
Son délire impétueux
Entraîne-t-il les victimes
De ses redoutables feux ?
Son ardeur enchanteresse
Sçait renverser la sagesse,
Sçait corrompre l’équité ;
Et ces vertus étouffées,
Ne sont plus que les trophées
D’une aveugle volupté.
 De son imprudente fille236
Jacob pleure le malheur :
L’amour flétrit sa famille :
Sichem, quelle est ta fureur ?
Mais une main implacable
Eteint dans ton sang coupable
Ton aveugle emportement ;
Et sans partager ton crime,
Ton Peuple, triste victime,
Partage ton châtiment.
 Cet homme237 que le Ciel même
De sa force avoit armé,
Périt ; & parce qu’il aime,
Je vois son malheur trame.
{p. 488}Un grand Roi238 devient perfide ;
L’adultere à l’homicide
Fraie un chemin dans son cœur.
L’amour, par la main du Sage239,
Encense le fol ouvrage
Du mensonge & de l’erreur.
 Mais quel sang vois-je répandre
Dans ce festin meurtrier ?
La vertu, pour le défendre,
N’est plus qu’un vain bouclier :
D’un Roi240 l’aveugle injustice
L’ose immoler au caprice
D’une impudique beauté.
L’amour devenu son maître,
Le contraint à méconnoître
Toute autre Divinité.

« Craignons, dit Montaigne241, d’après Séneque, la trahison de nos plaisirs. Ils nous chatouillent & nous embrassent, pour nous étrangler, comme faisoient les Larrons que les Egyptiens appelloient Philetas : Latronum more, quos Philetas Ægyptii vocant, in hoc nos amplectuntur voluptates, ut strangulent242 ».

{p. 489}Mais malheureusement comme,

… Par des loix certaines,
L’ame, & le corps son rempart,
Ont leurs plaisirs & leurs peines,
Leurs biens & leurs maux à part ;

Rousseau, lib. IV, od. VIII.

Les trahisons des plaisirs n’émeuvent point, quand il n’y a que les ames qui en sont les victimes. On n’en est affecté que lorsque les corps y ont aussi trouvé leur perte, comme dans de funestes événemens, tels que celui qui a été annoncé dans la Gazette de France, du 26 Avril 1776.

Quelques Particuliers, y est-il dit p. 160, s’étant assemblés dans une maison de Londres, il y a quelques jours, pour représenter le Tambour nocturne, la salle étoit remplie de Spectateurs, lorsqu’environ au milieu de la Piece, le plancher s’enfonça ; cinquante ou soixante personnes tomberent dans l’étage inférieur, & plusieurs ont été griévement blessées.

Mais les accidens de cette nature, dont nous avons rapporté différens exemples, pages 449-455 de notre T.I, ne sont pas les seuls qu’on ait à craindre à nos Spectacles ; combien n’a-t-on pas à y redouter une multitude {p. 490}de Spectateurs volages & insensés, dont le moindre sujet peut émouvoir la fougue ! Et alors,

Pareils aux animaux farouches & stupides,
Les loix de leur instinct sont leurs uniques guides ;
Et pour eux le présent paroît sans avenir.

J.B. Rousseau, ode IV.

C’est pour les contenir que le Gouvernement a toujours les armes levées dans les lieux destinés à occuper leur désœuvrement. Mais cette précaution n’empêche pas toujours l’explosion des tumultes qui s’y élevent, & qu’on a souvent vus devenir meurtriers. En voici quelques exemples :

Le 15 Avril de l’année 1765, les Comédiens François devoient représenter le Siege de Calais qu’ils avoient fait afficher. Mais le Comédien Dubois qui devoit y jouer un rôle, avoit un procès avec son Chirurgien qui réclamoit ses honoraires, & que ce Comédien prétendoit avoir payés. Dubois demanda en Justice qu’il fût reçu à faire serment qu’il ne devoit rien au Chirurgien. Ce dernier avoit répandu un Mémoire imprimé, dans lequel il représenta qu’un Comédien ne pouvoit être admis à faire serment, vu la note d’infamie attachée à sa profession. Les camarades de Dubois, piqués de ce que celui-ci avoit donné lieu à ce Mémoire, l’exclurent de leur Troupe. Néanmoins Dubois eut ordre de {p. 491}jouer son rôle, afin de ne pas faire manquer l’engagement que la Troupe avoit contracté pour la représentation du Siege de Calais. Mais la Clairon & les principaux Comédiens, tels que le Kain, Molé & Brizard, s’en retournerent chez eux ; & l’heure du Spectacle étant arrivée, Préville alla prévenir le Parterre qu’au lieu du Siege de Calais, on alloit représenter le Joueur, attendu l’absence de la Clairon & des autres Acteurs. L’orchestre, l’amphithéatre & les loges même se joignirent au Parterre pour demander à grands cris le Siege de Calais, & pour crier qu’on mît en prison la Clairon & les autres Acteurs qui s’étoient absentés. Il en résulta un effroyable bacchanal qui dura jusqu’à près de sept heures du soir, & il en seroit survenu une scene sanglante, sans la prudence de M. le Maréchal de Biron qui commanda que la Garde Royale ne fit aucune espece de mouvement. La Comédie n’ouvrit pas le lendemain ; &, pour satisfaire le Public, la Clairon fut conduite au Fort-l’Evêque. Elle en sortit au bout de cinq jours, sous prétexte d’une maladie, & à condition qu’elle resteroit aux arrêts chez elle. Brizard, Molé & le Kain furent aussi mis au Fort-l’Evêque, & y resterent vingt-quatre jours.

Cette Scene, rapportée dans le Dictionnaire des Anecdotes dramatiques, tome II, page 175, peut contribuer à prouver que le Public sçait, dans l’occasion, faire éprouver aux Comédiens les droits que lui donne sur eux {p. 492}la bassesse de leur profession. Néanmoins ces gens-là, livrés par état à l’illusion continuelle ou à l’espece de vertige que produisent tant de dignités & de conditions d’emprunt, ainsi qu’une longue habitude à se revêtir bien ou mal des caracteres les plus étrangers, ont de la peine à se défendre de je ne sçais quelle hauteur, d’une certaine morgue, de l’importance, ou plutôt de l’impertinence ; delà toutes les humiliations qu’ils font subir aux Auteurs qui, ayant la foiblesse de se dévouer aux amusemens du Public, se mettent dans leur dépendance.

M. Dorat, dans le Discours préliminaire de sa Tragédie, les deux Reines, donne beaucoup de raisons pour faire douter de la capacité des gens de Théatre, par rapport au jugement des Pieces dramatiques, sur le mérite desquelles ils se méprennent très-souvent.

Rien, comme l’a observé M. de Querlon243, n’est plus humiliant pour les Auteurs de Drames, que la lecture qu’ils ont à faire de leurs Pieces. Car, à moins d’avoir un front {p. 493}d’airain, ou toute la confiance qu’un jeune homme apporte aujourd’hui presque en sortant du College, qui peut soutenir le double examen qu’essuient dans le Sénat comique la personne & l’ouvrage d’un Auteur débutant ? Qui n’est pas un peu déconcerté par des objections bonnes ou mauvaises que chacun a droit de lui faire, malgré toutes les politesses dont elles peuvent être assaisonnées ? Qui peut enfin être de sang froid, en attendant le résultat des suffrages dont il dépend, & l’arrêt qui réglera le sort de sa Piece en premiere instance ? Quelles peines ensuite ne donne pas la distribution des rôles ? Combien de mouvemens, d’allées & venues, de visites, de sollicitations, même de courbettes, pour faire accepter tel rôle à l’Actrice à laquelle il peut convenir, & cet autre à tel & tel Acteur ? Nous ne parlons heureusement que d’après l’expérience d’autrui ; nous n’avons jamais rien présenté à ces Messieurs. Ainsi nous ne sommes suspects ni d’intérêt, ni de ressentiment. Le tableau que nous traçons, est celui que nous ont fait d’après nature plusieurs Ecrivains dramatiques qui ont été dans ce cas. Il est d’une telle vérité, que nous pensons depuis long-temps que la seule présentation des Pieces feroit un bon sujet de Comédie, si l’on pouvoit espérer que les Comédiens fussent d’humeur de sacrifier de petites répugnances à l’amusement du Public, comme Moliere leur en donna l’exemple.

Au reste, rien ne doit être moins assuré que les succès d’un Drame dans {p. 494}une assemblée tumultueuse où le Spectateur intelligent est confondu dans une foule d’ignorans désœuvrés, sans goût, sans aucun sentiment des choses qui frappent leurs oreilles. Le Poëte, que le vent de la gloire a porté sur la Scene, est livré au jugement d’une tourbe enhardie par le nombre, & toujours prête à soutenir les droits de l’ignorance & de la sottise.

Delà, ces effervescences qui donnent si souvent lieu à des Scenes bruyantes, & quelquefois funestes. Telle fut l’émeute qu’il y eut à Marseille le 29 Novembre, dont voici le récit tel qu’il se trouve dans la Gazette de France, du 14 Décembre 1772.

Le Samedi 29 du mois dernier, les Comédiens annoncerent une quinzieme représentation de Zémire & Azor, demandée par des personnes de considération. Le Parterre souhaita qu’on donnât une autre Piece, & l’on promit le Comte de Warwick. Les Echevins, informés de l’espece de tumulte qui avoit occasionné ce changement, crurent devoir, pour le bon ordre, faire jouer la Piece qui avoit d’abord été annoncée. Quelques jeunes gens formerent le projet de s’y opposer. Cette circonstance attira un nombre prodigieux de spectateurs {p. 495}à la Comédie. La Garde de Police, quoique doublée & renforcée de six Cavaliers de la Maréchaussée, se trouva tellement pressée par la foule, qu’elle fut obligée de se retirer. On tenta deux fois inutilement de commencer la Piece. Les Acteurs, qui ne pouvoient se faire entendre au milieu des clameurs du Parterre, quitterent la Scene. Les Officiers de la Police n’ayant pu rétablir le bon ordre avec leur Garde insuffisante, un d’eux alla demander main-forte au Commandant de la Marine. Les Echevins, instruits de ce qui se passoit, signerent une requisition pour vingt-cinq Grenadiers qui furent accordés. Tandis que ce renfort marchoit de l’Arsenal à la Comédie, les Echevins s’y rendirent, revêtus des marques de leur dignité. Les Officiers de Ville distribuerent les postes aux Soldats. Douze de ces derniers, précédés d’un Caporal & suivis de quelques Gardes de la Police, pénétrerent par les deux portes du Parterre jusqu’à l’Orchestre, les armes hautes & la bayonnette au bout du fusil. Un jeune homme qui se crut maltraité, appella son frere à son secours. Ce dernier ayant mis l’épée à la main, blessa légerement à la cuisse un Soldat qui lâcha contre lui un coup de fusil, dont ce Citoyen mourut le lendemain. En même temps le fusil d’un Grenadier, pressé & poussé par la foule, partit de lui-même. A ce bruit les deux Escouades pénetrent, non sans blesser plusieurs personnes avec la crosse de leurs fusils, leurs sabres & leurs bayonnettes, dans le Parterre, {p. 496}& se réunissent au centre. On prétend qu’on cria d’une loge de faire feu. On dit aussi qu’il y eut un coup de pistolet tiré du Parterre. L’ordre de tirer fut suivi de cinq coups de fusils. On conçoit l’alarme des femmes placées dans les loges, les cris du reste des spectateurs, & les suites funestes que ce désordre dût occasionner. Les Officiers de la Garde ordinaire & du renfort, descendus précipitamment au Parterre, continrent les Soldats, & firent sortir la foule avec le plus d’ordre qu’il leur fut possible. Les Echevins furent conduits chez eux avec une escorte. Il y a eu deux personnes tuées de coups de feu ; quelques-unes ont été blessées griévement, & vingt ont reçu des blessures légeres.

Il y eut aussi à Paris, le 30 Novembre 1772, à la Comédie Françoise, une émeute dont le récit n’a pas été oublié dans le Dictionnaire des Anecdotes dramatiques.

La Piece annoncée pour ce jour-là, étoit le Comte d’Essex. Au moment que la toile fut levée, un homme [M. Billard] placé à l’orchestre, se tourna du côté du parterre, & dit : « Messieurs, je suis l’auteur d’une Piece intitulée le Suborneur, qui a été jugée très-bonne, mais dont les Comédiens ont refusé d’entendre la lecture pour ne la pas jouer. Vous êtes leurs maîtres ; vous me ferez justice ». Tout le parterre échauffé par cette harangue, demanda le Suborneur, {p. 497}qui étoit la Piece de M. Billard. La Garde ordinaire du Spectacle ne fut pas suffisante pour appaiser le tumulte. On ne put le faire cesser qu’avec un renfort de troupes qu’il fallut y envoyer ; & on arrêta M. Billard qui fut mené à Charenton.

Ces sortes d’émeutes causent des alarmes qui ne se passent jamais sans accidens, par l’empressement à se sauver du péril.

Ces événemens nous rappellent cette maxime du Philosophe sacré : Extrema gaudii luctus occupat : souvent les pleurs succedent bien promptement aux ris. Mais

Tout homme se révolte au seul nom de leçon ;
Il faut l’apprivoiser par un ton moins sévere.

C’est l’objet de la Fable suivante, imitée de M. Gellert, Ecrivain Allemand. Elle parut il y a quelques années.

Les Humains à leur tour sont de maîtres renards ;
 Ils nous tendent de toutes parts
 Des embûches de toute espece ;
Ton peu d’expérience alarme ma tendresse,
 Disoit un Renard, vieux routier,
 A son fils encore écolier.
La neige au loin couvre ces champs arides,
Je vois le bout d’un fer prêt à trancher nos jours ;
{p. 498}C’est un piege, mon fils, que ces humains perfides
Ont sçu nous préparer : ce sont-là de leurs tours ;
Un poulet est l’appas qui doit nous y conduire :
  Prends-y bien garde ; crois-moi :
  Autrement, c’est fait de toi.
  Va, ne te laisse point seduire :
J’ai peine à te quitter dans cette occasion ;
   Mais la nécessité m’appelle,
  Il faut que j’aille à la provision.
  Il part après cette leçon fidelle ;
Et le fils dit alors, que faire en l’attendant ?
Il peut avoir raison ; je voudrois cependant
  Voir le poulet enfermé dans la cage,
  Le voir, & rien davantage,
  Le voir au plus quelques instans.
 Je n’en puis craindre aucun dommage :
Je me retirerai, lorsqu’il en sera temps ;
  Et certes, ce n’est point la vue
  Qui nous tue.
Il fait d’abord un pas, puis deux, trois à la fin.
Il avance, il arrive à l’embûche couverte ;
  Le fer se lâche ; il expire soudain,
Au moment qu’il se croit éloigné de sa perte,
C’est ainsi que souvent la volupté séduit.
J’éviterai, dit-on, son atteinte cruelle :
Je ne veux qu’un instant badiner avec elle.
  Notre penchant nous y conduit ;
  On croit en être loin encore,
Et l’on sent dans son cœur le trouble qui la suit :
On fait les premiers pas, & son feu nous dévore.

A cette leçon agréable, nous allons en ajouter une d’un autre ton, bien {p. 499}capable de remuer le cœur : c’est la Lettre qu’un Anglois mourant écrivit à un de ses amis, qui avoit vécu dans des sentimens tout contraires aux siens. Elle a été traduite de l’Anglois ; & M. de Querlon l’inséra dans la Feuille Hebdomadaire des Provinces, du 12 Décembre 1753. Elle a aussi été rapportée dans un Ouvrage qui parut en 1773, sous le titre d’Aménités littéraires.

L’affreuse chose que la vieillesse ! A peine suis-je l’ombre de ce que j’ai été. Les ressorts de mes organes sont usés par l’âge & par la débauche. Mes infirmités augmentent à tout moment, & elles me font passer les jours & les nuits dans des tourmens insupportables. Mes jambes qui me portoient autrefois à tous les Spectacles, & qui étoient mon principal ornement, l’admiration des Bals & des Assemblées, sont étendues sans mouvement sur une chaise. Mes joues où l’on a vu briller l’embonpoint, sont seches & rétrécies par les rides. Mes levres ne sont plus couvertes que d’une peau flétrie & livide. J’ai perdu non seulement le pouvoir de jouir des plaisirs, mais même jusqu’au goût de la joie. On me fuit comme un objet triste & dégoûtant ; & loin de me plaindre de ma solitude, je voudrois, s’il étoit possible, me fuir moi-même. Ce n’est-là qu’une partie de mes miseres. Comment vous exprimer la frayeur que me cause l’approche de la {p. 500}mort ? Je tremble malgré moi de quelque chose qui me menace, & que je m’efforce en vain de ne pas croire. Je sens un désespoir confus qui m’a fait penser plus d’une fois à finir volontairement des jours malheureux : mais lorsque ma main est prête à exécuter ce furieux dessein, je recule effrayé de moi-même, & mon cœur se glace d’horreur. Je suis épouvanté de cet avenir dont j’ai raillé mille fois, & que j’ai regardé comme une chimere. Qu’est-ce donc qui peut causer mon trouble ? Est-ce la seule incertitude ? Que dois-je penser de cet effrayant avenir ? Y auroit-il à espérer quelques biens auxquels je ne puisse pas prétendre ? ou, ce qui seroit bien plus terrible, aurois-je à craindre quelque malheur dont le pressentiment m’agite ? Je me perds dans cette confusion de pensées & de sentimens. Hélas ! vous à qui je confie l’état de mon ame, vous êtes aussi prêt que moi de la mort, & vous l’attendez sans la craindre. D’où vient votre tranquillité ? Quelles sont vos ressources ? Je me suis toujours conduit par les loix de l’honneur. J’ai gardé fidélement ma parole. Je ne crois point jamais avoir fait de tort ni d’injure à personne. Enfin j’ai suivi scrupuleusement les principes de la nature. Ne suffisent-ils pas pour la conduite de la vie ? Le flambeau de la raison n’est sans doute allumé que pour nous conduire : s’il nous égare, est-ce à nous qu’il faut imputer sa foiblesse ? Je vous ai vu pratiquer exactement toutes les maximes de la Religion. Je vous ai vu docile à la voix des Ministres de l’Eglise ; & j’ai ri, je vous l’avoue, {p. 501}plus d’une fois de votre pieuse crédulité. Cependant vous êtes tranquille, & je suis dans une agitation continuelle. Aveu désespérant que la vérité m’arrache ! Ma raison, ma triste & fausse raison m’a donc trompé. Elle n’étoit donc pas capable de faire la regle de ma vie, puisqu’elle est trop foible aujourd’hui pour me défendre contre les frayeurs de la mort. Je vois trop tard toute l’étendue de l’erreur qui fait mon supplice. Cette honnêteté morale dont j’ai fait mon idole, n’étoit que l’ombre des devoirs auxquels j’ai manqué. Qu’est-ce que l’honneur, hélas ! sans la piété ? Qu’est-ce que d’avoir été fidele aux hommes, lorsque j’ai été rebelle à mon Dieu ? Je ne le reconnois que trop ; la raison ne suffit pas pour m’éclairer. Elle n’a eu de force que pour me séduire. Elle n’en a pas même assez pour soutenir jusqu’à la fin l’imposture. Elle m’abandonne dans le temps qu’elle devroit être mon appui. Qui réparera les maux qu’elle m’a faits ? Il ne me reste plus qu’un souffle de vie que mes remords achevent d’éteindre. O mon Dieu ! Est-il temps encore de lever les yeux vers vous ? Aurez-vous pitié d’un infortuné qui vous invoque pour la premiere fois en mourant ?… Vous voyez, Monsieur, mon désespoir & la mortelle agonie de mon cœur. La plume me tombe des mains. Mais faites publier ma Lettre ; & qu’on apprenne, par mon exemple, s’il est d’un homme de bon sens de vivre dans un systême qu’il n’oseroit envisager à l’heure de la mort, & dans lequel il ne voudroit pas qu’on le surprît. H.B.

{p. 502}Cette Lettre se ressent de cette sorte de seve énergique que les Anglois ont dans leur caractere, & qui se communique à leurs Ecrits ; mais cette Lettre ne porte pas l’empreinte d’un repentir chrétien.

Cet homme n’éprouvoit que le désespoir dans le sentiment de la Justice Divine qui le frappoit, & dont il avoit mérité la vengeance par un libertinage d’esprit & de cœur244. Il comprenoit bien qu’il n’avoit aucune véritable consolation à attendre des hommes, & qu’en s’adressant à eux, il ne faisoit qu’aigrir & fomenter ses maux. Il devoit donc se tourner vers celui même qui le frappoit, c’est-à-dire vers Dieu, dont la miséricorde est aussi infinie que la justice. Mais, pour éprouver sa divine clémence, il devoit l’invoquer par la médiation de Jesus-Christ.

Ces réflexions ne doivent point paroître superflues. On a dans le cours {p. 503}de la vie assez d’occasions d’en faire usage. On sçait

Que l’ordre de la nature
Soumet la pourpre & la bure
Aux mêmes sujets de pleurs ;
Et que tout fiers que nous sommes,
Nous naissons tous foibles hommes,
Tributaires de douleurs.
En recevant l’existence
Que le Ciel nous daigne offrir,
Nous recevons la sentence
Qui nous condamne à souffrir.

Rousseau, liv. IV, Ode VIII.

Néanmoins quelque pénible que soit cette condition,

… … La Sagesse suprême
Sçait tirer notre bonheur même
Du sein de nos calamités.

Le Chrétien, dit le Poëte Anglois Young, doit même faire de ses peines un sujet de joie ; & comme s’exprime son habile Traducteur : « C’est presque une impiété dans un homme de bien que d’être triste ».

Mais, dit le même Poëte : « C’est en nous montrant à travers des blessures de Jesus-Christ que dans la plus grande affliction Dieu nous est toujours propice ».

{p. 504}On a dans le second Tome des Œuvres de M. Coffin, ancien Recteur de l’Université de Paris, mort en 1749, une Ode Latine, qui, à cet égard, nous fournit les meilleures idées. En voici quelques strophes :

Ultricibus nos undique
Dum saucias telis, Deus,
Quis ferre, te præter, queat
Mærentibus solatium ?
Mundus facessat : nil opis
Favore præstat futili,
Fallacibus quin asperat
Alitque fomentis malum.
Flagella nos terrent tua ;
Non illa spem demunt tamen.
Quæ ferre nos jubes, Pater,
Fiunt medela vulnerum.
… … … … …
… …Ingruunt
Intus forisque prælia :
Hosti-ne præda mens erit,
Christi redempta sanguine ?

Cette pensée des deux derniers Vers : « Souffrirez-vous qu’une ame qui a été rachetée par le Sang de Jesus-Christ, & qui en réclame avec foi les mérites infinis, devienne la proie de l’ennemi » ? cette pensée, {p. 505}dis-je, nous rappelle ce fameux Sonnet qui, pour n’être pas sans défauts du côté des regles de l’art, ne sera pas moins toujours admiré pour l’énergie des sentimens.

On sçait que son Auteur [Jacques Vallée des Barreaux, Conseiller au Parlement de Paris, mort le 9 Mai 1673], avoit porté l’impiété jusqu’à nier plusieurs fois l’existence de Dieu ; & cet excès monstrueux avoit eu pour cause la vie la plus dissolue. Il eut, environ cinq ans avant sa mort, une maladie très-dangereuse, qui fut l’instrument dont Dieu se servit pour lui rouvrir les yeux à la lumiere de la Foi qu’il avoit perdue. Des Barreaux reconnut toute l’horreur de sa vie, & en même temps la ressource infinie qu’il avoit en Jesus-Christ. Ce fut dans les transports de ces sentimens heureux qu’il composa ce Sonnet :

Grand Dieu, tes jugemens sont remplis d’équité ;
Toujours tu prends plaisir à nous être propice :
Mais j’ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me pardonnera sans blesser ta justice.
 Oui, mon Dieu, la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice :
{p. 506}Ton intérêt s’oppose à ma félicité,
Et ta clémence même attend que je périsse.
Contente ton desir, puisqu’il t’est glorieux :
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux :
Tonne, frappe, il est temps ; rends-moi guerre pour guerre.
J’adore, en périssant, la raison qui t’aigrit :
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du Sang de Jesus-Christ ?

Que ces derniers Vers peignent admirablement la grandeur d’un Chrétien ; Humilis corde, animâ verò & sensu excelsus [S. Hilar.] c’est-à-dire, d’un Chrétien qui, avec l’humilité du cœur, sçait, en commandant à ses sens, concilier les sentimens de confiance & d’élévation que donne le Mystere de la Rédemption ; Mystere ineffable, qui fut une création plus sublime que la premiere, comme le dit Young245.

Voici à ce sujet quelques-uns de {p. 507}ses élans d’enthousiasme, dont M. le Tourneur, son Traducteur, à sçu conserver la beauté originale.

Pour que l’homme, dit-il, fût éternellement heureux, un Dieu mourut. La dévotion sera-t-elle encore un mérite ? N’est-ce pas une nécessité ? Quel cœur de roche ne se sent pas amolli & brûlant d’amour à cette idée ? Plus l’ame repose sur cet objet, plus ses sentimens s’exhalent. Homme, connois ta grandeur. Mortel dégénéré, le livre de la nature sera-t-il toujours ouvert sous tes yeux, sans que tu daignes y lire ? Que de merveilles tu peux y découvrir aux seuls rayons de ta foible raison ! Toute la nature n’est qu’un vaste commentaire qui développe ta grandeur. Ses preuves composées par le Ciel, furent publiées sur la Croix. Si un Dieu meurt, ce n’est pas pour un ver, pour un vil insecte qu’il verse son sang…. Religion, tu es l’ame du bonheur ; & le Calvaire gémissant est l’ame de la Religion. Là brillent toutes les vérités les plus sublimes.

La raison conduite jusqu’où elle peut aller, est la foi…. La raison est la racine & la tige : la foi n’est que la fleur. La fleur se flétrira pour mourir ; mais la raison vivra immortelle, ainsi que son Pere céleste dont elle est émanée. Crois & montre la raison d’un homme. Crois & goûte les plaisirs d’un Dieu. Crois & montre sur la tombe un œil tranquille & triomphant. La foi ne peut mourir que des blessures de ta raison. Mais la raison qui meurt & qui s’éteint, redouble {p. 508}toutes les horreurs de la mort, envenime les traits, & les rend doublement mortels.

Juge de là quels honneurs, quels remerciemens sont dûs à ceux qui nous privent de cet antidote salutaire, qui se vantent d’être les amis de la raison & de l’homme, & qui ne nous aiment que pour donner la mort à notre bonheur, & nous montrer sans cesse le gouffre menaçant du trépas ouvert sous les yeux pour nous dévorer tout entiers. Ces Philosophes orgueilleux font une idole de la raison pour l’avilir. Ils la tuent pour la déifier ; comme ces anciens Monarques dont on faisoit des Dieux, après les avoir assassinés. Voilà les lauriers détestables dont ils couronnent leurs fronts. Tandis que l’amour de la vérité retentit dans leurs bouches, leur orgueil tire un épais rideau devant la clarté du jour, c’est-à-dire, devant l’évidence des preuves de la Religion Chrétienne246.

M. J.J. Rousseau a aussi très-bien dépeint nos faux Philosophes. Il a assez vécu avec eux pour les connoître. On doit donc s’en rapporter à son témoignage, lorsqu’il nous dit dans un de ses Ecrits :

Gardez-vous de ces faux Sages. Fuyez ceux qui, sous prétexte d’expliquer la nature, sement dans les cœurs des hommes de désolantes {p. 509}doctrines, & dont le scepticisme apparent est une fois plus affirmatif & plus dogmatique que le ton de leurs adversaires. Sous le hautain prétexte qu’eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions tranchantes, & prétendent nous donner pour les vrais principes des choses, les inintelligibles systêmes qu’ils ont bâtis dans leur imagination. Du reste, renonçant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent la Religion ; c’est-à-dire, aux affligés la derniere consolation de leur misere, aux puissans & aux riches le seul frein de leurs passions : ils arrachent du fond des cœurs le remords du crime, l’espoir de la vertu, & se vantent encore d’être les bienfaicteurs du genre humain. Jamais, disent-ils, la vérité n’est nuisible aux hommes. Je le crois comme eux ; & c’est, à mon avis, une grande preuve que ce qu’ils enseignent, n’est point la vérité.

Cet aveu sur l’abus des Sciences est important. Il est équivalent à celui-ci, émané d’une même source : « La Philosophie détruit d’abord les erreurs ; mais si l’on ne l’arrête, elle attaque ensuite les vérités, & elle va si loin, qu’elle ne voit plus elle-même où elle est, & qu’elle ne sçait plus s’asseoir ».

Ce dernier aveu se trouve cité dans l’Oraison funebre que M. de Beauvais, {p. 510}Evêque de Senez, prononça au Service qui fut célébré le 24 Avril 1776, dans l’Eglise de l’Hôtel Royal des Invalides, pour M. le Maréchal du Muy, Secretaire d’Etat au Département de la Guerre247.

Cet éloge vrai & éloquent, contient des traits admirables & bien capables d’exciter la postérité de nos anciens Héros à avoir une probité inaltérable au milieu des dangers de la Cour, une pureté incorruptible au milieu de la contagion des nouvelles mœurs ; enfin une foi & une piété inébranlables, au milieu des ravages de l’incrédulité. Nous espérons qu’on nous pardonnera encore la digression actuelle, si propre à contredire les fausses leçons que l’on reçoit aux Théatres, sur les vertus héroïques.

La conduite de M. le Maréchal du Muy prouve qu’on ne doit pas {p. 511}faire à la profession des armes l’injure de la croire incompatible avec la piété.

Ce Héros, dit M. l’Evêque de Senez, n’a pas eu le bonheur d’ignorer les passions ; soutenu par la Grace, il a eu le mérite & la gloire de les vaincre, ignorare felicitatis est, vincere virtutis. Avec quel courage & avec quelle constance n’a-t-il pas entrepris de les combattre ; & de toutes, la plus terrible, cette passion qui subjugue les ames les plus fieres & les plus indomptables, le coupable amour des plaisirs ! Jusqu’où n’a-t-il pas porté la délicatesse sur la décence & la pureté des mœurs ! Guerriers François, renommés dans l’univers par votre bravoure, plût à Dieu que la gloire de vos exploits ne fût jamais flétrie par l’opprobre des mœurs ! Quoi, la pudeur ne seroit à vos yeux qu’une servitude, un préjugé indigne de vous ! Fiers esprits, suspendez un instant vos dédains. Est-ce ainsi qu’ont pensé de cette vertu tant de grands hommes qui en ont donné à l’univers des exemples si éclatans ? Et, pour ne nommer ici que les plus illustres, un Cyrus, un Alexandre, dont les conquêtes ont eu la gloire de fixer l’attention des Prophetes ; un Scipion, le vainqueur de l’Afrique, & dont la continence fut élevée par les Romains au rang de ses victoires. Héros modernes, comparez-vous à ces hommes fameux, & osez encore rougir d’une vertu dont ils ne s’honoroient pas moins que de leur valeur & de leurs exploits.

{p. 512}Eclairé des lumieres de la Religion & de la véritable Philosophie, le Comte du Muy fut convaincu dès sa plus tendre jeunesse que la pudeur est le devoir & la vertu de tous les états ; & quand on ne connoîtroit que les honteux effets du profane amour, les foiblesses, les délires, les opprobres qu’il entraîne après lui, en faudroit-il davantage pour en concevoir de l’horreur ? Mais, pour s’en préserver, il faut tenir la conduite que le Chevalier du Muy tint dans l’ardeur de sa jeunesse, lorsque la piété n’avoit pas encore pris sur son ame tout l’empire qu’elle acquit depuis. Il ne se laissa pas entraîner par ces jeunes gens insensés qui cherchent dans la guerre la licence plutôt que la gloire, & dont les désordres sont les premiers exploits. Il s’éloigna des sociétés frivoles & dangereuses, & s’attacha aux guerriers les plus respectables par leur vertu & par leur expérience ; il n’évita aucune fatigue, & ne craignit aucun péril ; ne refusa rien par timidité, ne chercha rien par vanité ; il observa enfin toutes les loix de la discipline & de la subordination militaire. Et par une telle conduite, il acquit l’usage d’être vertueux héroïquement. Exempt de foiblesse comme d’ostentation, il ne rendit pas à son Dieu ses hommages en secret ; mais comme l’intrépide Daniel, il l’adora à la face de la Cour, au milieu des armées. La présence des Princes & des Rois étrangers qui ne suivent pas le même culte, ne put suspendre les exercices de sa foi. Je croirois, dit-il à l’un d’eux, je croirois manquer au respect que je vous dois, {p. 513}si je manquois devant vous à ma Religion. Il ne connoissoit point de milieu entre l’incrédulité & l’observance la plus réguliere de la Loi.

Le Chevalier du Muy, au milieu de la dégradation de son siecle, ne fut pas seulement le disciple fidele de la vertu ; il voulut aussi en être le défenseur. Admis dans la confiance de l’héritier présomptif du Trône248, il médite avec lui la restauration des mœurs…. Le Dauphin & le fidele confident de sa sagesse ne voient pas seulement dans les mœurs les intérêts sacrés de la Religion ; ils pensent encore avec les Sages de tous les siecles, que ce n’est point la force qui regle la destinée des Empires, mais la vertu ; ils n’auroient donc pas seulement soulagé la misere du peuple, ils auroient réformé ses vices, les vices, les calamités les plus cruelles des Nations ; ils n’auroient pas seulement voulu nous rendre heureux, ils auroient voulu nous rendre bons. Fasse le Ciel que Louis XVI accomplisse les vœux de son vertueux pere, & qu’il rétablisse les mœurs par ses loix, comme il les honore par ses exemples !

{p. 514}Nous sommes dans un temps où toutes les passions fermentent avec la plus grande violence, & où, sous le beau nom de liberté, l’esprit d’indépendance sembleroit vouloir briser le joug de toute autorité : mais que le vil libertinage ne vienne pas confondre ici sa cause avec la respectable cause de la liberté. Quoi ! Sparte, Athenes, Rome idolâtre, ces sages Républiques, où la liberté étoit si chere & si respectée, auront observé une discipline si rigide pour tout ce qui pouvoit intéresser l’ordre & la décence des mœurs ; elles auront établi des Magistrats pour veiller particulierement sur cette partie de l’administration : & dans une Nation Chrétienne, sous le spécieux prétexte de ne point troubler la liberté des citoyens, il faudroit tolérer comme des amusemens innocens, les plus honteux désordres & les Ecrits les plus licencieux ! Parce que les loix ne peuvent régner sur les mœurs privées, elles ne pourront régner sur les mœurs publiques ! Parce que les loix ne peuvent commander la vertu, elles ne pourront commander la décence ! Non, la liberté ne fut jamais la licence. L’homme ne veut point de chaînes ; mais il lui faut un frein, le frein des Loix.

Le Chevalier du Muy249, placé par le Souverain {p. 515}à la tête du gouvernement militaire, avec quelle modération usa-t-il du pouvoir qui lui étoit confié ! Quel Ministre plus réservé, & pour ces coups d’autorité, nécessaires quelquefois dans un grand Etat, mais dont l’abus est si funeste ; & pour ces ordres particuliers que l’on décore de l’auguste nom du Prince, mais qui ne sont que la volonté d’un de ses Sujets ; & pour ces proscriptions générales qui peuvent précipiter l’innocent avec le coupable dans les demeures terribles de la justice & de la colere des Rois ! Ne point user de l’autorité, où les loix peuvent agir ; voilà quel fut le principe invariable de son administration. Avec quel zele ne s’occupa-t-il pas de la discipline militaire, qu’il trouva réduite à un aveugle méchanisme, où l’on avoit tout sacrifié à l’extérieur, sans nulle attention aux ames ; comme si l’on n’avoit à conduire que des hommes sans loi & sans mœurs, semblables à des troupeaux d’animaux féroces que l’on dresseroit au carnage.

Le Maréchal du Muy entreprit de ranimer dans la discipline militaire les sentimens de vertu qui doivent en être l’ame & la gloire. … … Arracher les jeunes Guerriers aux intrigues & aux plaisirs de la Cour & de la Capitale, qui ne peuvent que dégrader leurs ames ; les obliger à résider sous leurs drapeaux, {p. 516}au milieu des exercices & des nobles travaux de leur état ; détruire la premiere cause de tous les désordres qui désolent les armées, la dangereuse oisiveté, par des travaux qui occupent nos légions sans les épuiser ; éloigner des emplois les Chefs indignes de commander, & dont l’exemple contagieux suffiroit pour pervertir les Corps les mieux disciplinés ; n’accorder les honneurs & les récompenses qu’à ceux qui s’en rendront dignes par la sagesse & l’honnêteté de leurs mœurs, comme par leurs talens militaires & par leur courage : voilà quels furent les projets du Maréchal du Muy. Déjà il les avoit annoncés ; déjà la mollesse avoit tremblé, & tous les vrais Guerriers avoient applaudi. Il n’est plus. Mais quel homme plus digne que son Successeur [M. le Comte de Saint-Germain250], par sa vertu comme par sa fermeté, de poursuivre & de consommer ce grand ouvrage, & de devenir le restaurateur des mœurs militaires de la Nation !

Hélas ! est-il parmi nous un ordre de Citoyens qui n’ait pas besoin d’une réforme ? Nous sommes bien loin des temps où la France étoit le seul pays de l’Europe où l’irreligion, l’impiété, la licence effrénée des opinions n’eussent pas encore pénétré, & où l’on disoit : Sola Gallia vacat monstris. C’est {p. 517}l’anarchie des opinions, qui produit l’anarchie des mœurs. Dès que les principes sacrés de la foi ont été ébranlés, on a vu les sentimens honnêtes se flétrir, l’antique honneur s’éteindre, le zele pour l’Etat se refroidir : voilà comment les Nations les plus illustres ont vu périr leur puissance écrasée sous leurs vices. De quelle importance n’est-il donc pas d’arrêter la témérité de nos faux Philosophes, dont les principes renversent les qualités les plus essentielles pour le bien public ?

Ce sont de nouveaux Titans, qui, avec les masses entassées de leurs frêles argumens, osent faire la guerre à la Sagesse divine.

Le Discours que M. de Beauvais, Evêque de Senez, prononça le 7 Juillet 1775, à l’ouverture de l’Assemblée générale du Clergé de France, eut pour objet d’exposer ce que doivent faire de concert l’autorité spirituelle & l’autorité temporelle pour arrêter les progrès de l’irreligion. Ce Discours fut applaudi, & reçut les éloges que mérite une éloquence vraie, mâle & pressante.

{p. 518}Les moyens proposés à l’autorité temporelle, furent de réformer cette tolérance funeste qui rend inutiles les proscriptions publiques par des permissions secretes ; qui fait fermer les yeux sur cette multitude de productions sacrileges, dont le but est, en déclamant contre l’Evangile de Jesus-Christ, de fouler aux pieds toute morale, pour y substituer la boue de la plus impérieuse des passions, qu’on ne craint plus d’innocenter, de louer, & dont on ose même donner d’infames leçons sur les Théatres & dans les autres ouvrages de fictions. La Puissance civile fut aussi invitée à protéger l’autorité sainte des Pontifes, pour faire exécuter par la force coactive qu’ils n’ont pas, leurs loix & les Canons de l’Eglise.

Les moyens proposés aux Evêques, furent d’honorer la Religion par leur conduite, de prouver la vérité de ses dogmes par leur fidélité à ses principes, par des mœurs séveres, par la résidence dans leurs Dioceses, par l’éloignement du faste, par un ton honnête & fraternel avec leurs coopérateurs ; au lieu de cette morgue & de cette hauteur trop ordinaires dans les grandes places. Enfin le respectable Orateur invita les Evêques à instruire les Fideles, & à défendre la Religion par des Ouvrages qui joignent à la solidité des choses un style qui intéresse, qui attache, qui contrebalance dans l’esprit des Lecteurs la séduction propre à masquer le faux de leurs principes, & le frivole de leurs méprisables difficultés.

L’Instruction Pastorale de M. de {p. 519}Montazet, Archevêque de Lyon, du premier Février 1776, sur les sources de l’Incrédulité, & les fondemens de la Religion, réunit toutes les qualités qu’on pouvoit desirer. Elle mérite l’admiration, tant pour la beauté du contexte, que pour l’élégance & toutes les parties de l’élocution : en voici quelques pensées.

De tous les Incrédules, (dit cet illustre Primat), il n’en est pas un seul qui ait travaillé à établir sur de solides appuis la sécurité dont ils se vantent. Ils n’ont jamais eu d’autre connoissance de la Religion, que celle qu’ils ont reçue dans une éducation superficielle, souvent très-peu chrétienne. Ils ont appris tout au plus quelques-uns des dogmes qu’il faut admettre, mais jamais les raisons pour lesquelles il les faut croire. Ils ont commencé, au premier éveil de leurs passions, à être importunés de leur croyance ; elle leur est devenue suspecte, à mesure qu’ils ont donné dans de plus grands égaremens. Les exemples & les railleries des libertins plus avancés, les ont fait passer plus ou moins rapidement, suivant que les principes de la Religion étoient plus ou moins gravés dans leur cœur, de la foi au soupçon, du soupçon au doute, du doute à une prétendue certitude. Et à peine devenus incrédules par besoin, ils sont devenus incrédules par vanité. Ensuite emportés par le tourbillon du monde, ils n’ont jamais connu d’autre étude {p. 520}que celle de leurs plaisirs ; ou, s’ils sont occupés du soin de leur fortune, ils ne se dérobent au tumulte des affaires, que pour se livrer à la dissipation des amusemens voluptueux dont ils contractent l’habitude, à proportion du loisir que procure l’opulence ; ou, si les plus sages en apparence, mais en effet aussi insensés, se consument en veilles pour apprendre ce qu’il y a de plus abstrait dans les sciences humaines, pour débrouiller le chaos des loix, des mœurs, des Religions, des folies des anciens peuples, ils vivent comme étrangers au milieu du Christianisme dans lequel ils sont nés. Et à l’égard de tous, la vieillesse, en glaçant leurs sens, ne purifie ni leur imagination, ni leur mémoire, ni leur cœur ; elle ne fait qu’ajouter de nouvelles attaches à celles qui avoient précédé ; & quand elle leur interdiroit tout ce que la loi défend, elle ne leur rendroit pas plus aimable tout ce qu’elle commande. Toute l’érudition des plus fameux Incrédules se borne à des doutes qu’ils ont appris, & qu’ils n’ont pas formés ; & quand ils se vantent d’avoir lu, réfléchi & examiné ; cette étude n’a consisté qu’à avoir recueilli avec grand soin tout ce qu’une affreuse Philosophie a inventé de traits, de ridicules, de paradoxes, d’anecdotes, pour accréditer leurs préventions. En un mot, distinguez tant qu’il vous plaira, autant de classes d’Incrédules, vous trouverez toujours que leur incrédulité aidée par l’ignorance, fortifiée par le préjugé, entre-tenue par la paresse, devenue presqu’incurable par le respect humain & par l’habitude, a sa premiere & principale racine dans les passions.

{p. 521}On les croit fortement persuadés de leur systême irreligieux, parce que dans l’enivrement de leurs passions, ils le débitent avec audace. Mais pourquoi les trouve-t-on si disposés à se démentir, dès qu’ils ont à craindre ou la sévérité des loix, ou même les censures des Pasteurs de l’Eglise ? Et d’où vient cette facilité à multiplier les protestations & les sermens, pour désavouer leurs productions ténébreuses, pour garantir leur christianisme & leur catholicité ? Combien en a-t-on vu, à l’heure de la mort, pâlir, trembler, frémir, abjurer leurs erreurs, employer les secours de la Religion qu’ils avoient méprisée, & se montrer quelquefois plus timides, plus superstitieux, que l’ignorant & le simple !

Nous pouvons citer, à l’appui de cette derniere réflexion de M. de Montazet, le mot de Saint-Hibal, fameux Esprit-fort, qui se plaignoit de ce qu’aucun de sa secte n’avoit le don de persévérance.

Ils ne nous font point d’honneur, disoit-il, quand ils se voient au lit de la mort. Ils se déshonorent ; ils se démentent ; ils meurent tous comme les autres, confessés & communiés.

Voici à ce sujet une pensée de Bayle, ce cynique qui protestoit contre tout.

{p. 522}Saint-Hibal, dit-il251, pouvoit ajouter qu’ordinairement ils passent jusqu’aux minuties de la superstition. Il ne faut pas s’étonner de cette conduite. Presque tous ceux qui vivent dans l’irreligion, ne font que douter ; ils ne parviennent pas à la certitude : se voyant donc dans le lit d’infirmité, où l’irreligion ne leur est plus d’aucun usage, ils prennent le parti le plus sûr, ad majorem cautelam, celui qui promet une félicité éternelle, en cas qu’il soit vrai, & qui ne fait courir aucun risque, en cas qu’il soit faux.

Voilà ce que l’assoupissement des passions a produit dans tous les siecles ; ce qui prouve que le sentiment de l’existence de Dieu, est empreint dans tous les cœurs, & qu’il se réveille, quand la raison reprend ses droits. C’est dans ce sens qu’il faut prendre ce que Guy-Patin rapporte dans une de ses Lettres252.

Feu mon pere m’a appris que le gros M. du Maine, Chef de la Ligue, disoit que les Princes n’avoient point de Religion, qu’après avoir passé quarante ans, quand ils deviennent vieux :

Cùm Numina
Mors instans majora facit.

{p. 523}C’est donc par vanité, dit l’Auteur de l’Anti-Dictionnaire Philosophique253, qu’on fait l’Esprit-fort ; mais c’est par vanité qu’il faudroit ne le point faire, dans la crainte de se démentir un jour, & de faire l’esprit foible.

Ajoutons que ces démentis sont bien suspects pour la sincérité.

M. de Voltaire nous en a donné l’exemple. Il s’est lui-même quelquefois démenti, puisque dans un de ses accès de repentir il fit l’Ode suivante :

Entendrons-nous vanter toujours
 Des beautés périssables,
Des faux plaisirs, de vains amours
 Passagers & coupables ?
Songes brillans, beaux jours perdus ;
Beaux jours, vous ne reviendrez plus.
***
Nous passons d’erreurs en regrets,
 De mensonge en folie.
Hélas ! nous ne vivons jamais ;
 Nous attendons la vie ;
Et l’espoir qui suit les desirs,
Est plus trompeur que les plaisirs.
***
L’amertume est dans les douceurs ;
 Dans nos projets, la crainte.
{p. 524}Le néant, au sein des grandeurs ;
 Dans les travaux, la plainte.
O bonheur desiré de tous !
Bonheur tranquille où fuyez-vous ?
***
Vous êtes d’un Dieu Créateur
 Et l’essence & l’ouvrage.
Habiteriez-vous dans un cœur
 Criminel & volage ?
Bonheur, enfant du pur amour,
La terre n’est point ton séjour.
***
Que cet amour porte mes vœux
 Sur son aile rapide,
Au trône qu’entourent tes feux,
 Où le repos réside.
Grand Dieu ! quel Etre dois-je aimer,
Que l’Être qui m’a sçu former !
***
Nos jours sont courts & douloureux ;
Ce n’est qu’une ombre vaine :
Notre gloire échappe comme eux,
 Et l’oubli nous entraîne :
Mais le tendre amour de la Loi
Nous rend éternels comme toi.

Voilà ce qui dans les terreurs de la conscience, est échappé à M. de Voltaire254,

{p. 525}Qui fait l’homme intrépide, & tremblant de foiblesse,
Attend, pour croire en Dieu que la fievre le presse ;
Et toujours dans l’orage au Ciel levant les mains,
Dès que l’air est calmé, rit des foibles Humains.

Boileau, Sat. I.

Il n’y a, dit un Auteur respectable255, que le cœur pénitent qui puisse faire pénitence, & ce cœur est un don de Dieu. Il est quelquefois accordé aux plus misérables…. Mais, si les plus justes redoutent la justice de Dieu ; combien ne doit-elle pas être encore plus redoutée par ceux qui l’auront bravée insolemment, & qui n’auront pas changé cette justice en miséricorde, par une pénitence sincere…. Si la lumiere de la grace n’est jointe à celle de la lettre de l’Evangile, celle-ci ne fait qu’aveugler, comme elle a aveuglé les Juifs.

Elle n’est qu’un phospore dont l’impression ne produit rien de stable ; de {p. 526}même que la lueur de certaines vérités, comme celle de l’immortalité de l’ame256, fut inutile à Ciceron & aux autres Sages du Paganisme.

Observons (dit Clément XIV dans une de ses Lettres, Tom. I) que les anciens Philosophes qui n’étoient pas éclairés des lumieres de la foi, & qui n’avoient pas le bonheur de connoître le vrai Dieu, souhaitoient qu’il y eût une révélation ; & les nouveaux rejettent celle qu’on ne peut méconnoître : mais en cela ils se trahissent eux-mêmes. Car s’ils avoient l’esprit droit & le cœur pur, s’ils étoient humains, comme ils le prétendent, ils recevroient à mains jointes une Religion qui condamne jusqu’aux mauvais desirs, qui ordonne expressément l’amour du prochain, & qui promet une récompense éternelle à tous ceux qui auront secouru leurs freres, & qui auront été fideles à Dieu, au Roi & à la patrie. Non si púo odiare una Religio tant’onesta, quandò il cuore è onesto. Aussi quand je vois les mots de législation, de patriotisme {p. 527}& d’humanité continuellement sous la plume des Ecrivains qui anathématisent le Christianisme, je dis, sans crainte de me tromper : Ces hommes-là se jouent des mots ; ils ne sont intérieurement ni patriotes, ni humains.

S’il y a un Dieu, comme la nature le crie de toutes parts, il y a une Religion. S’il y a une Religion, elle ne peut être qu’incompréhensible, sublime & aussi ancienne que le monde, comme émanant d’un Etre infini, éternel. Et si elle a ces caracteres, c’est sans contredit le Christianisme. Et si c’est le Christianisme, il faut nécessairement le reconnoître pour divin, & y acquiescer de cœur & d’esprit…. La nature & la Religion dérivent également de Dieu, & elles ont l’une & l’autre, quoique d’une maniere bien différente, leurs mysteres & leurs incompréhensibilités ; & par la même raison qu’on ne nie pas l’existence de la nature, quoique ses opérations nous soient souvent cachées, on ne peut ni on ne doit nier celle de la Religion, malgré ses obscurités. L’Incrédule qui sans principes fronde la Révélation, en a-t-il donc une particuliere qui lui assure que celle que nous croyons, est absolument chimérique ? Mais dans quel temps & dans quel lieu cette lumiere est-elle venue l’éclairer ? Est-ce au moment où ses passions le dominent & l’absorbent ? Est-ce au milieu des Spectacles & des plaisirs où il passe ordinairement sa vie ? On abhorre une Religion qui gêne, quand on veut suivre le torrent des flots d’un monde couvert de vagues & d’écume.

{p. 528}Au reste, tous nos Incrédules ne sont que les échos des Sophistes que le Paganisme avoit armés pour traverser l’établissement & les progrès du Christianisme. Une vile scurrilité, scurrilitas quæ ad rem non pertinet, faisoit alors comme aujourd’hui la principale ressource des Gnostiques, des Manichéens & des Philosophes de cette trempe. C’est pourquoi dans les Assemblées du Clergé de France, des années 1770 & 1772, il fut observé qu’il n’y avoit pas de meilleur moyen d’humilier & de confondre nos futiles raisonneurs, que de faire imprimer une collection de toutes les anciennes apologies de la Religion Chrétienne. Les Laïques de l’un & l’autre sexe, trouveroient dans leurs traductions les moyens de se défendre contre l’illusion des Sophistes. Car, comme l’a observé Clément XIV dans une de ses Lettres,

Le Catéchisme suffit pour apprendre les vérités révélées. Mais dans un siecle d’incrédulité, il faut autre chose que l’alphabet de la Religion. Il faut des lumieres vive & pures qui dissipent les nuages de la Philosophie moderne, & les ténebres de la corruption. Or les Ecrits des Peres de l’Eglise nous les {p. 529}offrent. Et il n’y a pas de Chrétien éclairé qui ne dût faire ses délices de leur lecture. Plus on les approfondit, & plus on les trouve lumineux. Chaque Pere de l’Eglise a un esprit qui le caractérise. Le génie de Tertullien ressemble au fer qui brise ce qu’il y a de plus dur, & qui ne plie point. Celui de S. Athanase, au diamant qu’on ne peut obscurcir ni amollir. Celui de S. Cyprien, à l’acier qui coupe jusqu’au vif. Celui de S. Chrysostome, à l’or dont le prix répond à la beauté. Celui de S. Léon, à ces décorations qui marquent la grandeur. Celui de S. Jérôme, au bronze qui ne craint ni les fleches, ni les épées. Celui de S. Ambroise, à l’argent qui est solide & luisant. Celui de S. Grégoire, à un miroir où chacun se reconnoît. Celui de S. Augustin, à lui-même, comme unique dans son genre, quoiqu’universel.

Quant à S. Bernard, le dernier des Peres dans l’ordre de la chronologie, il est à comparer à ces fleurs que la nature a veloutées, & qui répandent un parfum exquis.

Nous avons rapporté, page 256 de nos Lettres, le reproche que M. l’Abbé Clément257 faisoit même aux personnes du sexe sur leur négligence à profiter des bonnes traductions que nous avons de plusieurs Ecrits des Peres de l’Eglise. Leurs Ouvrages sont en effet d’autant plus intéressans, qu’en {p. 530}les lisant, on lit l’Ecriture Sainte qu’ils expliquent en maîtres, & qu’ils citent par-tout. Aussi, dit Clément XIV, les Ecclésiastiques se faisoient autrefois un devoir de lire les Peres de l’Eglise, comme de dire le Bréviaire.

Si les sublimes Ecrits des premiers défenseurs de la Religion, triompherent des Philosophes les plus séduisans de la Grece & de Rome,

Qui, pleins d’eux-mêmes & sortant des limites
Par la nature à leur être prescrites,
Osoient sonder, spectateurs criminels,
La profondeur des secrets éternels ;

R. Al. 4, l. 2.

Ces mêmes Ecrits reproduits, seront-ils moins capables de couvrir de confusion les Sophistes modernes,

Ces vains Mortels d’illusions nourris,
Qui, sur la foi de leurs foibles systêmes,
Connoissant tout, sans se connoître eux-mêmes,
Cherchent hors d’eux, privés des vrais secours,
La vérité, qui les fuira toujours,
… … … … …
Ne trouvant plus que des ames serviles,
De foibles cœurs, esclaves enchantés
Des passions leurs seules déités ?

R. Al. 5, l. 2.

Quand les nouveaux Incrédules, comme l’a observé M. de Querlon258, font accroire {p. 531}à leurs prosélytes, qu’en matiere de Religion ils ont tout discuté, tout examiné, tout réfuté sans replique, ils ne méritent plus d’autre nom que celui de Professeurs de mensonges qu’on donnoit aux anciens Sophistes, gâtés, comme eux, par leur prétention à l’esprit, ou par l’abus qu’ils en faisoient.

J’ai presque lu tous les ouvrages des Incrédules ou des Philosophes du siecle. Là, je ne vois que des hypotheses bâties sur les hardis délires d’une imagination noircie par les vapeurs de la consomption. Ici, c’est une métaphysique égarée dans les ténebres du matérialisme dont elle sonde la profondeur. Rien de positif, où l’on puisse asseoir une opinion propre à tranquilliser ; des principes sans consistance, incohérens, qui s’impliquent, & qui insultent de tous côtés ; des idées vagues où l’on ne trouve, en creusant un peu, qu’une surface, une légere écorce qui couvre un grand vuide. Tantôt vous rencontrez un style abstrait, obscur, entortillé, qui ne voile que des absurdités, crues philosophiques ; tantôt, sous un style hérissé d’antitheses, de jeux de mots, de mauvaises plaisanteries, ou sous un style négligé, sans liaison, aussi décousu que la morale des Incrédules, vous ne retrouvez que les pensées de Morin, ou les sarcasmes impies de Blot, réchauffés par un persiffleur éternel [M. de Voltaire], qui croit avoir bien éclairé des Lecteurs aussi frivoles que lui, quand il les a fait rire. On a répondu surabondamment à toutes leurs objections, quelles qu’elles soient ; aux fausses interprétations qu’ils donnent des Textes sacrés, le plus souvent {p. 532}sans les entendre ; aux conséquences encore plus fausses qu’ils tirent de ceux qu’ils peuvent avoir entendus ; enfin aux plus captieux sophismes, aux raisonnemens les plus spécieux qu’ils déduisent des faits ou des preuves de la Religion, sans les pouvoir entamer. Mais ils feignent d’ignorer les coups qu’on leur porte ; &, s’ils les sentent, ils dissimulent. Ils n’ont pas même la bonne foi de reconnoître leur foiblesse, lorsqu’on la met dans la plus grande évidence. Et pour en étouffer, s’ils pouvoient, le sentiment dans tous les esprits ; au lieu de rougir de leur impuissance à rien opposer de solide aux Défenseurs de la Religion, ils décrient leurs Ouvrages sans les lire, & l’Auteur encore plus volontiers que l’Ouvrage. Cette mauvaise ruse de guerre manque rarement son effet. Leurs partisans, malgré toutes les preuves d’infidélité qu’on leur met continuellement sous les yeux, s’obstinent à les croire sur parole, & ne lisent qu’eux ; c’est ce qui fait qu’ils sont si bien instruits. La seule arme dont les Incrédules font le plus d’usage, c’est la plaisanterie. Elle tient lieu de raisons aux gens ignorans & frivoles. Mais

Qui ne fait que railler, évite un vrai combat.

Il n’y a personne qui puisse raisonnablement refuser d’adhérer aux réflexions de M. de Querlon, que nous venons de rapporter. Nous convenons avec lui, qu’on a sur abondamment répondu aux sophismes des nouveaux Incrédules. {p. 533}Car, en attendant qu’on exécute le projet de rassembler les anciennes Apologies de la Religion Chrétienne, combien n’avons-nous pas d’Ecrits qui en contiennent les principaux argumens, & qui sont capables d’instruire ceux qui voudront de bonne foi connoître la Religion qu’ils attaquent !

Ils liront, par exemple, toujours avec fruit la seconde Partie de l’admirable Discours de M. Bossuet sur l’Histoire Universelle ; les profondes Pensées de M. Pascal ; le célebre Poëme de Louis Racine sur la Religion259 ; ouvrage immortel, où la poésie se soutient par une force divine, sans emprunter les charmes du mensonge ; où la vérité, revêtue de sa propre parure ; brille aux yeux sans les éblouir, enleve {p. 534}notre raison sans l’endormir par des charmes enchanteurs. Dieu, notre ame, la Révélation, le Rédempteur, les Mysteres, la Morale Chrétienne, de quel vol le Poëte s’éleve à la hauteur de tant d’objets sublimes ! Comment toujours le même & toujours nouveau dans sa course continue & variée sans cesse, il nous promene de merveille en merveille !

Quelle vivacité, dit M. le Beau dans l’éloge de ce Poëte ! quelle vérité dans les peintures ! quelle entente dans le choix & {p. 535}l’enchaînement des preuves, dont la lumiere réfléchit de l’une sur l’autre ! Quel art dans le coloris ! C’est le pinceau de Virgile & d’Homere, ou, pour parler plus juste, c’est la flamme qui embrasa Moyse, David & les {p. 536}Prophetes. Ce feu divin croissant toujours, le Poëte, saisi d’enthousiasme dans les derniers Vers de son Poëme, nous transporte à la fin des temps ; il nous montre les débris de l’univers qui s’écroule, les portes de l’éternité qui s’ouvrent avec un bruit effrayant, & qui découvrent à notre vue les supplices des méchans, & les récompenses des justes. Entre les beautés dont ce Poëme est rempli, il a encore ce rare mérite, que le Poëte uniquement fixé sur son sujet, n’en détourne jamais les yeux pour se regarder lui-même, ni pour observer son Lecteur ; tous les ornemens naissent du fond de la matiere ; & il n’attendoit de couronne que des mains de la Religion.

La lecture de ce Poëme doit préparer à lire utilement les solides Ouvrages des défenseurs modernes de notre Religion, tels que le Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne, par Grotius ; le Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne & de la Divinité de Jesus-Christ, par Abadie ; les Preuves de la Religion Chrétienne, {p. 537}par M. le François ; les Ecrits de M. le Franc, Archevêque de Vienne, contre les Incrédules ; l’Avertissemement de l’Assemblée générale du Clergé de France, de l’année 1775260 ; la Certitude des Preuves du Christianisme ; l’Apologie de la Religion Chrétienne, par M. Bergier ; l’Histoire de l’Etablissement du Christianisme, par M. Bullet, Professeur Royal de l’Université {p. 538}de Besançon, & Correspondant de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres : ses Réponses critiques à plusieurs difficultés proposées par les nouveaux Incrédules, sur plusieurs endroits des Livres Saints ; les Lettres d’une Mere à son Fils, pour lui prouver la vérité de la Religion Chrétienne, par M. Monet de Rambert ; les Entretiens Philosophiques sur la Religion, par M. l’Abbé Guidi, &c. &c.

Tous ces Ouvrages sont remplis d’une bonne & saine métaphysique ; comme M. l’Abbé Riballier l’a dit des Entretiens Philosophiques de M. l’Abbé Guidi, dont il a été le Censeur. Mais cette bonne & saine métaphysique, peut-elle être comprise par des gens qui osent soutenir261 que la science {p. 539}du salut a été cultivée aux dépens du bonheur ; & que, plus la postérité s’éclairera, plus elle pensera comme M. Helvetius262, c’est-à-dire, que bannissant la loi chrétienne, qui nous éleve jusqu’à Dieu, on se livrera au matérialisme,

Qui nous ravale au dessous de la sphere
Des animaux les plus défectueux.

Il y a plusieurs Compagnies Littéraires qui ont reconnu la nécessité de faire sentir les dangers de l’incrédulité, qui est devenue la plaie de tous les états, de tous les sexes & de tous les âges. Les deux Prix d’Eloquence distribués en 1772 par l’Académie de Besançon, eurent pour sujet : Les influences funestes de la nouvelle {p. 540}Philosophie263. Le Discours de M. l’Abbé de Grainville, qui remporta le premier Prix, démontre que cette fausse Philosophie a été aussi nuisible à la Littérature & à la Société qu’à la Religion.

L’Université de Paris, ayant pour Recteur M. Coger, proposa pour le sujet du Prix de l’Eloquence Latine, de l’année 1773, le développement de cette vérité importante : Non magis Deo quàm Regibus infensa est ista quæ vocatur hodie Philosophia ; c’est-à-dire, l’Incrédulité à laquelle on donne aujourd’hui très-faussement le beau nom de Philosophie, attaque également & Dieu & les Souverains. Le Prix fut remporté par M. P.C. Gueroult, alors Docteur aggrégé au College d’Harcourt ; & M. J.C.C. Formage obtint l’Accessit.

Le sujet de ce Prix irrita les Incrédules. M. de Voltaire, sous le nom de Me Belleguier, ancien Avocat, donna un Discours François, où il plaida la {p. 541}cause désespérée de la Philosophie du jour, en décidant que cette Philosophie est le plus digne soutien de la Divinité. L’impiété de ce Discours fut relevée par M. Freron, dans le XIe Cahier de l’Année Littéraire 1774. Et à cette occasion, il y parle d’un bon Ecrit qu’un Sçavant Jurisconsulte, M. Pineault, Avocat au Parlement de Paris, donna en 1770, sous ce titre : La nouvelle Philosophie dévoilée & convaincue de leze-majesté divine & humaine.

Si je voulois, dit M. Freron, extraire des Œuvres de M. de Voltaire, tous les traits fanatiques d’irreligion & d’indépendance qu’il y a répandus, je lui ferois voir que personne n’a soulevé plus que lui les sujets contre le Gouvernement ; que personne n’a été plus que lui perturbateur de la Religion & de l’Etat. On ne peut donc trop louer le zele de M. Coger, d’avoir proposé pour le Prix de 1773, le Sujet que M. de Voltaire a si platement ridiculisé.

Rien n’est plus effrayant pour l’état social, que la perspective des progrès de ce qu’on appelle Matérialisme, Déisme ou Théisme ; mots presque synonymes, dont on n’a fait que des distinctions spécieuses. Tous ces systêmes ne different, ni dans leur cause, ni dans leurs effets. Le flambeau de la {p. 542}raison n’a jamais conduit à l’impiété. C’est par la corruption du cœur qu’on devient impie. On ne prend le parti de nier l’existence de Dieu, ou de lui ôter le droit de punir les vices & de récompenser les vertus, que pour se dégager des sacrifices que la Religion exige, & pour se donner la liberté de suivre ses passions sans crainte, sans regrets & sans remords.

Mais, comme l’a dit M. de Querlon, on ne pourroit avoir cette liberté qu’aux dépens du bien général : car les goûts, les passions & les intérêts se croisant sans cesse, que deviendra la société, quand on ne sera plus retenu que par la force & la violence, ou par les loix coërcitives, toujours combattues par la corruption, par les passions mêmes qu’elles veulent réprimer ? De quel œil les Gouvernemens peuvent-ils donc regarder ces Ecrivains dangereux qui, sous prétexte de se dévouer, comme le Poëte Lucrece, à la vérité, s’efforcent d’affranchir les esprits des liens les plus sûrs de la société, qui sont les nœuds sacrés de la Religion ? Seneque, avec son stoïcisme hypocrite, a justement été soupçonné d’avoir achevé de gâter le cœur de Néron, en l’aguerrissant contre toutes les idées de l’immortalité de l’ame.

N’attribuons de même l’énorme corruption des mœurs de notre siecle, {p. 543}qu’à la contagion du Matérialisme.

De tous nos maux ce mal ourdit la trame :
Le premier regne étoit celui de l’ame ;
Mais le nouveau fut le regne des sens.

J.B. Rousseau, Allégor. II.

Ne sont-ce pas en effet les sens qui dans notre siecle jugent tout ; objets de goût, esprit, talens, mœurs, &c ? Et quoiqu’assez généralement, comme l’a observé un Auteur, nos Epicuriens se pressent tous, plus ou moins, tant qu’ils peuvent, de les user ces sens ; néanmoins, pour se donner l’air d’en avoir encore vieux comme jeunes, ils y rapportent toutes leurs idées, & ils en font la mesure de tous leurs jugemens.

C’est ainsi, peut-on leur dire, que vous êtes parvenus à corrompre & à dégrader

Cette raison, dont la splendeur divine
Vous fait sentir votre vraie origine.
Qu’avez-vous fait d’un partage si doux ?
C’est elle, hélas ! qui vous a perdu tous.
Par votre orgueil, corrompue, altérée,
Dans votre cœur elle a donné l’entrée
Aux vanités, aux folles visions.

J.B. Rousseau, Allégor. II.

C’est de cette raison corrompue & {p. 544}altérée, que le même Poëte a dit ailleurs :

Loin que la raison nous éclaire,
Et conduise nos actions,
Nous avons trouvé l’art d’en faire
L’Orateur de nos passions.
C’est un Sophiste qui nous joue,
Un vil complaisant qui se loue
A tous les fous de l’Univers,
Qui, s’habillant du nom de sages,
La tiennent sans cesse à leurs gages,
Pour autoriser leurs travers.

Ibid. liv. I, Ode VIII.

C’est cette raison corrompue & altérée qui, sur nos Théatres,

Par cent nouveaux stratagêmes,
Nous masquant sans cesse à nous-mêmes,
Parmi les vices nous endort ;
Du furieux fait un Achille,
Du fourbe, politique habile,
Et de l’Athée, un esprit fort.

Ibid.

C’est cette raison corrompue & altérée qui, sur nos Théatres, répete en mille manieres différentes, par l’organe des Poëtes & des Acteurs, ces maximes pernicieuses :

Le Ciel défend de vrai certains contentemens ;
Mais on trouve avec lui des accommodemens :
{p. 545}Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention.
… … … … …
Je tiens qu’il est mal, sur quoi que l’on se fonde,
De fuir obstinément ce que suit tout le monde,
Et qu’il vaut mieux souffrir d’être au nombre des fous,
Que du sage parti, se voir seul contre tous.

Moliere.

Enfin, c’est de cette raison corrompue & altérée que les Auteurs dramatiques reçoivent la loi pour le costume moral de leurs Poëmes, selon une espece de Poétique qui parut en 1741264.

L’Auteur de cet Ouvrage didactique lui a donné un caractere d’autorité, en l’annonçant comme une rédaction de quelques conférences que des Littérateurs du premier rang avoient tenues sur les Spectacles, & en particulier sur celui de l’Opéra. Or voici ce qu’on y donne pour un principe général & commun à tout le genre dramatique :

{p. 546}Un Poëte, y est-il dit, doit me ravir l’usage de mon esprit pour ne m’occuper que de mes passions. Ce n’est pas aux sages qu’il doit chercher à plaire : Rari quippe boni, comme dit Juvenal : il y a fort peu de Philosophes dans ce monde, & ce n’est pas la peine d’y faire attention. Et d’ailleurs, quand ils iroient aux Spectacles ; soyez sûr que leur sévérité ne tiendra pas contre un Poëte & des Acteurs qui auront l’art de les dérider, en rendant vraisemblables les fictions de leurs drames…. Que les Poëtes aient soin de faire paroître l’amour dans tout son jour, comme l’a fait Quinault, qui en a toujours fait un tableau intéressant, & qui a eu l’art de ne rien perdre de toute l’ivresse & de tous les égaremens de cette passion : nos Philosophes n’y tiendront pas ; ils applaudiront même aux foiblesses qui blesseroient les bienséances essentielles. Ils ne seront point, par exemple, choqués de voir Renaud enivré des charmes d’Armide, aller jusqu’à oublier sa gloire, en prononçant ces Vers :

 Que j’étois insensé de croire
Qu’un vain laurier donné par la Victoire,
De tous les biens fût le plus précieux !
 Tout l’éclat dont brille la gloire,
 Vaut-il un regard de vos yeux ?

Voilà donc une espece de Sanhédrin académique, qui a décidé que les personnes vertueuses n’ont point de {p. 547}rang à nos Spectacles ; & que, loin d’y donner le ton, c’est à elles à se soumettre à celui de la volupté qui y regne : & à cet égard elles font peu de résistance ; parce que nous avons tous, comme du temps de Juvenal, beaucoup de docilité pour les leçons du vice265. Et à quel excès, dit le même Poëte, ne peut-on pas se porter, quand on a une fois cédé à la séduction des mauvais exemples266 ?

Le Théatre, dit M. Dorat267, doit être chez toutes les Nations une espece de sauve-garde pour la pureté de la Langue Nationale. Mais si notre Théatre, selon cet Auteur, n’a pas même cette espece de mérite, combien encore moins est-il une sauve-garde pour la pureté des mœurs !

Iroit-on en effet à nos Théatres {p. 548}avec une conscience timorée ? on y perd bientôt les scrupules qui retardent la marche des passions : on s’habitue promptement à y voir & à y entendre avec plaisir ce que le Spectacle a de plus licencieux ; & enfin on parvient jusqu’à

Fouler aux pieds la piété timide ;
La piété, notre unique soutien,
Sans qui vertus, sagesse, tout n’est rien.

J.B. Rouss. Alleg. II.

Ne soyons donc pas indifférens sur le choix de nos plaisirs : c’est par-là que nous fixons notre réputation.

Rien, dit M. Law, Auteur Anglois268, ne nous peut plaire que ce qui s’accorde avec notre penchant. Ainsi à voir les plaisirs d’une personne, on est sûr d’en connoître les inclinations. Ce qui s’appelle action & conduite, peut nous imposer. De ce qu’un homme fait telle chose, nous ne sçaurions dire avec certitude qu’il ait tel penchant. Pour ne vous y point tromper, considérez en quoi il place son divertissement, & ce qui lui fait plaisir. Cette derniere marque est la seule {p. 549}infaillible pour découvrir la situation intérieure de l’ame ; parce que rien ne peut nous plaire ni nous toucher que ce qui est conforme à notre tempérament, & qui trouve au dedans de nous une disposition relative. Si nous n’avions pas des sentimens de compassion, nous serions insensibles aux plus tristes objets : si nous n’avions pas des principes secrets de l’harmonie, nous ne goûterions pas la plus ravissante Musique. De même, si nous n’avions pas des semences vives de toutes les licences qui se représentent sur les Théatres, si nous n’avions pas une corruption intérieure, qui est flattée par les passions libertines que nous voyons sur la scene, nous ne trouverions pas plus de plaisir à ce Spectacle, qu’un aveugle en trouve dans la Peinture, ou qu’un sourd en prend à la Musique.

Nous pourrions ajouter plusieurs preuves à ces réflexions de M. Law ; mais nous n’avons déjà que trop cité.

Au reste, les Ecrits périodiques qui ont rendu compte des précédentes éditions de notre Ouvrage, ont observé que le sujet avoit exigé de nombreuses Citations.

« Ces armes empruntées par l’Auteur, ont-ils dit, servent autant à orner qu’à fortifier sa cause, qui est celle des mœurs » :

Decus & tutamen in armis.

{p. 550}Le Théatre a pour lui les gros bataillons,

Defendit numerus, junctæque umbone phalanges.

Ces gros bataillons sont les préjugés de la multitude, sans excepter ce qu’on appelle le monde poli, dont la frivolité & les mœurs ont donné lieu au Grand Rousseau269 de dire :

Montrez-nous depuis Pandore
Tous les vices qu’on abhorre,
En terre mieux établis
Qu’aux siecles que l’on honore
Du nom des siecles polis.

Liv. II, Ode VIII.

N’a-t-on point, par exemple, à reprocher à ce qu’on appelle le monde {p. 551}poli de notre siecle, d’avoir un goût si effréné pour les Spectacles, que jeunes & vieux osent presque les ériger en un besoin politique de premiere nécessité. Ce ridicule a fait l’objet d’une Satyre ingénieuse de 243 Vers, qui parut en 1753, à l’occasion d’une querelle d’intérêt, entre les gens tenant les trois Théatres de Paris270. Voici quelques Vers de cette Satyre, intitulée : Remontrances des Comédiens François au Roi. On sçait que la raillerie peut s’employer avec succès. Souvent, dit Horace, on a vu le ridicule vivement présenté, trancher une difficulté mieux que tous les raisonnemens271.

Sire, vos fideles Sujets,
Les Gens tenant la Comédie,
Paisibles suppôts de Thalie,
Et tous ennemis de procès,
{p. 552}Osent se plaindre du succès
De cette fiere Académie272,
Par qui leur troupe est avilie.
Et voit proscrire ses Ballets.
… … … … …
Vous allez objecter sans doute,
Que le Conseil, s’il nous écoute,
A fort à faire en ce moment :
 Mais … …
Qu’importe à Votre Majesté,
Que le Peuple, sans pain, gémisse,
Qu’à la tyrannie, au caprice
De quelque Intendant hébété,
Le Citoyen que l’on opprime,
Voie immoler la liberté ;
Que contre les Loix révolté,
Et fier de ses succès, le crime
Triomphe avec impunité,
Et qu’avec Thémis exilée273,
{p. 553}L’abondance & la sûreté
Quittent la Ville désolée ;
Pures vétilles que cela :
Le moulin qui moulut moudra.
 Votre Etat est une machine,
Qui, pour aller son droit chemin,
N’a pas besoin qu’on examine
Le ressort qui le mer en train ;
Souvent, comme le corps humain,
Elle brave son Médecin * : (* Le Parlement)
Mais ce grand Corps, fût-il étique,
Ou par la diete appauvri,
Dût-il être paralytique ;
Faites-le rire ; il est guéri.
 Partant, Sire, la Comédie
Est l’ame du Gouvernement.
Là, dans un doux enchantement,
Le Citoyen, joyeux, oublie
Et les Loix & le Parlement,
Et le Commerce & la Patrie ;
Et dans le plaisir d’un moment,
Croit voir le bonheur de la vie.
{p. 554} Or, comme la félicité
N’est que le plaisir répété ;
Graces à vos Ministres habiles ;
Si le Théatre est toujours plein,
Vos Sujets, contens & tranquilles,
Malgré l’indigence & la faim,
Jouiront d’un bonheur sans fin.
 Rome d’elle-même idolâtre,
Goûtant le fruit de ses exploits,
Rome ne vouloit autrefois
Que du pain avec son Théatre ;
Mais au François, plus que Romain,
Le Théatre suffit sans pain.
 Aussi, qu’en vantant ses services,
Ie front couvert de cicatrices,
Un vieil Officier maltraité,
Vienne alléguer sa pauvreté,
Et mendier la récompense
Du sang qu’il versa pour la France ;
S’il le versa, tant pis pour lui :
Entre la misere & l’ennui
Il vieillira dans sa chaumiere,
Il viendroit une fourmilliere
De ces Messieurs ; car ils sont tant ;
Et puis la France a-t-elle affaire
Du bras d’un petit combattant ?
Mais que Grandval, notre confrere,
Soit sans crédit, & sans argent :
Sire, c’est un homme à talent,
Un homme à l’Etat nécessaire,
Vous dira tout le Ministere ;
Et l’on fera danser les gens
Pour lui faire dix mille francs274.
{p. 555} Que du Théatre la merveille,
Dumesnil paroisse à Marseille,
Et le voyage & le séjour
Seront payés par la Province ;
Et si l’honoraire est trop mince
Pour une Actrice de la Cour,
Zélé Protecteur de nos Belles,
S. …, sans compliment,
Forcera les Bourgeois rebelles
D’ajouter à l’appointement275.
 De tout ceci concluons, Sire,
Que le parfait Comédien
Sera toujours de votre empire
Et l’ornement & le soutien.
Ainsi D. … le décide,
Ainsi le veut S. …
Ainsi le sage Mazarin,
Leur prédécesseur & leur guide ;
Sur la gaieté de vos Sujets,
{p. 556}Fondoit l’espoir de ses succès,
Et disoit : Trop heureux Vulgaire,
Ris, chante ; mais laisse-nous faire.
 Or, si pour régir vos Etats,
Grand Roi, nous sommes plus utiles
Que Généraux & Magistrats ;
Pourquoi faudra-t-il qu’immobiles
Et plus droits que des échalats,
Nous bornions nos talens sublimes
A déclamer de froides rimes,
Dont le Spectateur est si las ?
Eh ! pourquoi ne pourrions-nous pas
Gager Sauteurs & Pantomimes,
Ainsi que nous gagions jadis
Et Poëtes & beaux-esprits ?
On veut proscrire pour jamais
Et nos Danseurs & nos Ballets.
 A ces assommantes nouvelles,
Ah ! juste Ciel, toutes nos Belles,
Ainsi que les Gens du Palais
Vouloient fermer leurs cabinets,
Qu’alloit devenir la Jeunesse :
Et de la Ville & de la Cour
Adieu les cliens de l’Amour,
Adieu la publique allégresse.
Vous empêchâtes ce malheur,
Et l’espoir de votre justice
Calma notre vive douleur.
Daignez donc, à nos vœux propice,
Par un Arrêt dûment scellé,
Rendre au Théatre désolé
Les bonds, les sauts & les gambades
De ces illustres mascarades,
Sans qui nos Dieux & nos Héros
Seroient sifflés comme des sots,
{p. 557}Ce sont, Sire, les remontrances,
Qu’après plus de quatre séances,
Et tous nos foyers assemblés
Dans le Palais de la Folie,
Vous offrent vos sujets zélés,
Les gens tenant la Comédie.

Ce petit Poëme ironique fait le portrait de ce goût dépravé que M. Dorat a critiqué dans ses réflexions sur l’Art dramatique : elles servent de Préface à son Adelaïde de Hongrie, qui fut représentée dans le mois d’Août de la premiere année du regne de Louis XVI, & dont on a retenu ces deux Vers :

Que ce jeune Héros, comblé de tant d’honneurs,
Soit loué par son Peuple, et non par ses flatteurs276.

Voilà les louanges que desire un Roi qui veut que son Regne soit celui de la vertu, fondée sur le Christianisme, dont l’esprit dévoue à l’utilité publique tous ceux qui le professent véritablement277. C’est sur ce principe {p. 558}que Louis XVI a voulu que son Ordonnance du 25 Mars 1776, portant réglement sur l’administration des corps Militaires, fût dirigée. « Il y est prescrit278, pour premier devoir, aux Officiers-Généraux & aux Commandans des Corps, de faire respecter la Religion par tous ceux qui leur seront subordonnés, & de leur en donner l’exemple qui, de toutes les instructions, est la plus douce & la plus persuasive. Sa Majesté déclarant, que son intention est de ne souffrir dans ses Troupes aucun Officier affichant l’incrédulité, ou qui auroit des mœurs publiquement dépravées ; un homme scandaleux n’étant pas digne de commander d’autres hommes, quelque valeureux qu’il puisse être ; & Sa Majesté n’admettant de valeur vraiment recommandable, que celle de l’homme instruit & vertueux ».

« Le tit. VII pourvoit à une subordination graduelle qui, sans rien perdre de sa force, soit douce & paternelle ; {p. 559}qui, fondée sur la justice & la fermeté, écarte tout arbitraire & toute oppression, en maintenant les subordonnés dans l’observation de leurs devoirs ! Il y est ordonné que les Soldats soient traités avec la plus grande humanité & la plus grande douceur ; qu’il ne leur soit jamais fait aucun tort ; qu’ils trouvent dans leurs Supérieurs des guides bienfaisans ; que les châtimens que quelques-uns pourroient mériter, soient conformes aux Loix ; & que les Officiers qui les conduisent, les dirigent & les protegent avec les soins qu’ils doivent à des hommes de la valeur & de l’obéissance desquels ils attendent une partie de leur gloire & de leur avancement ».

Voilà les intentions de Louis XVI, qui, dans le préambule précis & énergique de ce Réglement, « déclare être convaincu que si l’ordre est le principe de tout bien : c’est dans l’état Militaire qu’il est le plus intéressant de le maintenir ; que la force des Troupes est dans l’obéissance ; & que la discipline prépare les victoires ».

{p. 560}C’est par le rétablissement & le maintien de l’ordre, que cet auguste Prince méritera toujours l’accomplissement du vœu formé en sa faveur, & exprimé dans les deux Vers que nous avons dit avoir été retenus :

Que ce jeune Héros, comblé de tant d’honneurs,
Soit loué par son Peuple, & non par ses flatteurs.

Retenons aussi cette vérité qui est échappée à M. Dorat, dans ses Reflexions sur l’Art Dramatique : On va aux Spectacles pour y retrouver ses penchans et ses vices. Notre Théatre n’est nullement un asyle ouvert à la raison, aux bienséances et à la vérité. Il ne nous présente que des atrocités ou des parades. Le vertige est arrivé jusqu’à lui.

C’est par une suite de ce vertige qu’on attache tant d’importance à l’art des Histrions. Et ils en abusent tellement, qu’on ne seroit pas surpris de leur entendre tenir un propos équivalent à celui que Pylade, fameux Pantomime, rival de Bathyle, tint à Auguste qui les exhortoit à vivre dans l’union : {p. 561}Ce qui peut, disoit-il, arriver de mieux à l’Empereur, c’est que le Peuple s’occupe de Bathyle & de Pylade279. Cette réponse étoit assez analogue à l’opinion d’Auguste qui, comme l’a dit Tacite280, pensoit qu’il devoit par politique, paroître s’intéresser aux plaisirs du Peuple, afin de l’empêcher de s’appercevoir des vices de l’administration publique. Quant à nous, ne diroit-on pas aussi qu’un Drame, un Ballet, un débat qui s’éleve dans les coulisses, sont affaires d’Etat, par l’intérêt qu’on y met ? Il en est de même des débuts des Acteurs. « Les moindres lueurs de talens qu’ils annoncent, dit M. de Querlon281, excitent une chaleur qui fait assiéger toutes les entrées du Théatre avec un empressement forcené, ou plutôt avec une fureur que les gens rassis ne peuvent {p. 562}considérer sans étonnement ».

Ce Journaliste donna à cette occasion dans ses Feuilles Hebdomadaires des 17 & 24 Février 1773, une Dissertation intéressante sur l’usage ancien & moderne des applaudissemens du Théatre ; & comme elle tient également au moral, nous allons en donner ici quelques traits :

Il n’est pas douteux que dans les beaux jours du Théatre des Grecs & des Romains, les applaudissemens furent d’abord réservés pour les compositions dramatiques. Et le plaudite qu’on trouve à la fin de toutes les Comédies Latines, prouve que du temps de Plaute & de Térence, on n’applaudissoit qu’à la fin des Pieces, & quand l’Acteur qui fermoit la Scene, avertissoit les Spectateurs de marquer leur contentement. On applaudissoit rarement les Acteurs. Les habiles Comédiens, tels qu’un Roscius, un Phedre, étoient bien payés, & quelquefois magnifiquement, selon leur mérite & leurs talens, ou le besoin qu’on avoit d’eux ; mais on n’imaginoit pas alors qu’il fallût encore les couvrir de gloire : parce qu’on étoit bien loin d’avoir de cette profession la haute idée qu’on s’en est faite chez nous, sur-tout dans ces derniers temps, & d’y attacher tant d’importance…. C’est dans le déclin du Théatre, que ces applaudissemens furent prodigués à Rome avec le plus grand excès. On applaudissoit jusqu’aux {p. 563}habits d’un Acteur…. On vouloit alors que les compositions dramatiques fussent surchargées de danses & de tout ce que le luxe & la volupté purent imaginer.

Ce même goût déréglé régnoit à Constantinople, lorsque l’Empire d’Orient s’y forma ; & l’on vit quelques Chefs de cet Empire faire des réglemens, pour en modérer les excès282.

{p. 564}L’Empereur Julien, par exemple, qui étoit jaloux de cet esprit de lumiere, de sagesse & de charité, qu’il étoit forcé d’admirer dans l’Eglise Chrétienne, auroit bien voulu épurer le Théatre283 ; mais regardant la chose comme impraticable, il se contenta d’en interdire l’entrée aux Ministres de sa Religion, de même qu’il leur ordonna de s’abstenir de tous Spectacles où assistent les femmes. Théodose défendit aux Magistrats de fréquenter les Théatres ; il imposa une amende de cinq livres d’or à quiconque retireroit dans sa maison une Comédienne ou une Danseuse. Il défendit de produire dans les Spectacles, & même d’entretenir dans son domestique une Chanteuse ou une Joueuse d’instrumens. Il {p. 565}interdit aux Comédiennes l’usage des pierreries, & la magnificence des habits ; il défendit aux meres de famille & à leurs enfans tout commerce avec les Acteurs & les Actrices.

Nos mœurs n’exigent-elles point qu’on renouvelle de pareils réglemens ? Jugeons-en par ce trait d’une Lettre de la le Couvreur, écrite le 5 Mai 1728, & imprimée au tome III des Anecdotes dramatiques : « Vous connoissez, disoit cette Actrice, la vie dissipée de Paris, & les devoirs indispensables de mon état. C’est une mode établie, de dîner ou de souper avec moi, parce que quelques Duchesses m’ont fait cet honneur…. Si ma pauvre santé, qui est foible, me fait refuser ou manquer à une partie de Dames que je n’aurai jamais vues, qui ne se soucient de moi que par curiosité, ou, si je l’ose dire, par air, car il en entre dans tout : Vraiment, dit l’une, elle fait la merveilleuse : une autre ajoute, c’est que nous ne sommes pas titrées ».

Concluons que les Spectacles ont contre eux l’expérience des anciens & des modernes. Nous en avons donné des preuves de tous genres. Nous le {p. 566}répétons : Le Théatre a pour lui dans ce siecle tant de partisans, que nous ne pouvions rassembler trop d’autorités & de secours. Et, comme M. de Querlon l’a observé284, l’on n’en manque pas ; « car, dit-il, sans parler de tous les Sages du Paganisme & des plus grands Hommes de l’Antiquité, de Bossuet & tant d’autres ; quels auxiliaires que M. le Chancelier Daguesseau, Corneille, Quinault, Jean Racine, Bussy-Rabutin, la Mothe, Fontenelle, M. Gresset, M. Rousseau de Geneve, &c. &c. » !

Tout ce que nous avons rapporté de ces hommes célebres, inspire contre les Théatres

… … Ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux ames vertueuses.
{p. 567}

TABLE
DES MATIERES
Et des Personnes dont il est parlé dans les deux Volumes. §

La Lettre a indique le tome I ; la Lettre b, le Tome II.

A

Académiciens ; devoirs des gens de Lettres, Tome a, Page 260

Adélaïde (Madame) de France. Actes mémorables de zele pour la Religion, & d’amour filial, a, 346, b, 316

Adelaïde, Reine de Hongrie ; Tragédie de M. Dorat. Citation de deux Vers, que les circonstances du temps ont fait retenir, a, 557

Æschyle, inventeur du cothurne, b, 3. Son éloge, par M. Le Franc de Pompignan, b, 375

Agnan (le Duc de Saint-) Réfutation d’une anecdote relative à son Ambassade de Rome, b, 232

Agrippa (Corneille) Sa réflexion sur la Musique, b, 401

Arles (Concile d’). Citation d’un de ses canons sur les Spectacles, b, 123

Aguesseau (Henri d’), pere du Chancelier d’Aguesseau. Son éloge ; & à cette occasion notice sur les Intendans de Province, b, 315

Aguesseau (Henri-François d’), Chancelier de France. Son éloignement des Spectacles dans l’âge le plus jeune, a, 315. Idée de ses vertus & de ses grandes qualités, 319. Belles leçons sur le caractere & les devoirs du Magistrat, 331. Ce qu’il pensoit des Spectacles, relativement aux mœurs, 335, 347

{p. 568}Aguesseau (Jean-Baptiste Paulin d’), fils du Chancelier d’Aguesseau, a, 329

Aguire (le Cardinal de). Son sentiment sur les Spectacles, b, 249

Ambroise (Saint). Sa pensée sur le repentir d’un grand Roi, b, 353

Amelot, a, 328

Aménités littéraires ; ouvrage cité en preuve de la Lettre d’un Anglois, rapportée, b, 499

Amitié. Son caractere, a, 4

Ammien Marcellin. Anecdote sur la fureur des Romains pour les Spectacles, dans le temps de la décadence de l’Empire, b, 36

Amour conjugal. Son éloge, a, 6

Amour considéré sous l’idée que présente le terme de galanterie, a, 1-12

Amour. Excès avec lequel cette passion est employée dans nos Pieces de Théatres, a, 49, 83, 89 ; b, 271, 330

André (Jean), Evêque d’Aleria. Comment il a caractérisé Tite-Live, b, 25

Andronicus (Livius) porta à Rome la connoissance du Poëme dramatique, b, 26

Andreino dit Lélio, Comédien, Auteur d’une apologie des Théatres, b, 122

Anson. Indication des anecdotes qu’il a données sur la famille d’Ormesson, a, 322

Antilogies, b, 278

Antonin (Saint). Examen de son sentiment sur les Spectacles, a, 170

Apulée. Ce qu’il dit d’un Acteur, appellé Planipes, a, 86

Arcere. Son Ode sur le danger des Spectacles, a, 260, 503 ; & b, 213

Archiloque, chassé de Lacédémone pour un propos hazardé dans une de ses Pieces, b, 163

Arioste. Ce qu’il a dit des femmes honnêtes, a, 36. Voyez aussi, b, 58

Aristophane. Caractere de ses Drames, b, 11, 121

Aristote. La vertu consiste à contenir les passions, & à en affoiblir l’empire, a, 1 Fausse idée de ce Philosophe, pour arrêter les mauvais effets des Théatres, b, 385

Arnaud (Henri), Evêque d’Angers, b, 248

Arnaud (d’). Ses idées sur les Romans & sur notre Théatre, b, 332, 381, 466

Athalie & Esther. Caractere {p. 569}distinctif de ces deux Pieces, a, 46, 337

Aubignac (Hedelin d’). Ses apologies du Théatre, b, 112, 114

Augustin (Saint). Cause de l’Empire violent de l’amour réciproque des deux sexes, a, 5. Caractere & effets d’un mariage chrétien, 6. Il est quelquefois nécessaire de tolérer certains abus, 125, 175. Fermeté des Chrétiens à supporter les railleries des libertins, 221. Caractere des ennemis de la vérité, 263. D’où dépend le bonheur de l’homme ? 305. Caractere de la foi Chrétienne, 308. Devoirs de ceux qui sont chargés de gouverner les hommes, 325. Funestes effets des Spectacles, 350, 352. Citation relative aux jeux de Théatre, 354. Conduite qu’on doit tenir à l’égard des Ecclésiastiques, dont la vie est scandaleuse, 399. Pensée capable d’encourager dans la pratique des devoirs de la Religion, 438. Caractere de l’amour propre déréglé, 468

Aubin (de Saint-). Critique de son idée en faveur des Pieces dramatiques où la passion de l’amour domine, a, 461

Avocats. Idée des devoirs, & de la noblesse de cette profession, a, 115, 117, 290

B

Bacon. Citation de ce Sçavant sur la Philosophie, a, 472. Son opinion sur les fictions fabuleuses du Paganisme, b, 17.

Bals. Mandement de M. de Rochechouart, Evêque d’Arras, contre les Bals, a, 408. Sentimens de M. le Comte de Bussy-Rabutin sur le danger des Bals, b, 445

Barbier (Daucour). Sa Réponse aux sophismes que Jean Racine avoit employés en faveur des Spectacles, a, 309.

Barbieri, dit Beltrame, Auteur Italien. Ce qu’il pensoit des Comédiens, b, 122.

Baral (l’Abbé). Sa critique de l’Ouvrage intitulé : Querelles Littéraires, b, 346

{p. 570}Barillon (Henri), Evêque de Luçon, b, 258

Barentin, a, 328

Barreaux (Vallée Des). Sonnet qu’il a laissé à la postérité pour le témoignage de sa conversion, b, 5 50

Basile (Saint). Cause de l’empire violent de l’amour réciproque des deux sexes, a, 5.

Basnage. Son sentiment sur ceux qui écrivent contre les Théatres, b, 313

Bastide, b, 195.

Bathyle. Acteur Pantomime, b, 32, 561

Batteux. Son opinion sur les exercices dramatiques des Colleges, a, 494. Sur ceux qui attribuent à la Tragédie une fin morale, comme son objet essentiel, b, 4. Son sentiment sur l’origine de la Comédie, b, 10. Caractere d’Aristophane, ibid., 21.

Bayle. Ce qu’il pensoit de la Comédie, a, 74. Caractérisé par M. Joly de Fleury, 299. Son témoignage sur la piété & les talens de M. Pascal, a, 514. Licence des Poëtes dramatiques, b, 324.

Beau (le), Professeur Royal, Secretaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres. Citation de son Eloge de l’Abbé Bignon, Bibliothécaire du Roi, a, 522. Traits de son Eloge de Louis Racine, b, 535. Réflexion sur l’Empereur Julien, b, 563

Beau (le), le cadet. Idée des Tragédies Grecques dans leur bel âge, b, 93.

Beaumarchais (Caron de). Difficultés du succès des Pieces de Théatre. Eloquence de ses Mémoires contre M. Goëzman, a, 18. Son sentiment sur la prétendue réforme des mœurs de nos Théatres, a, 84.

Beaumont (M. de), Archevêque de Paris. Citation de son Mandement contre Emile, a, 192.

Beaumont (Elie de). Mauvais succès d’une cause dont il s’étoit chargé relativement aux Spectacles, a, 482

Beauteville (de Buisson), Evêque d’Alais. Pensées extraites de son Mandement du 27 Mai 1774, à l’occasion de la mort de Louis XV, a, 344. Citation de son Mandement du 25 Juin 1775, à l’occasion du Sacre de Louis XVI, b, 175. Idée des devoirs d’un Roi, b, 342.

{p. 571}Beauvais (M. de), Evêque de Senez. Pensées extraites de son Oraison funebre de Louis XV, a, 342. Pensées extraites de son Discours prononcé à l’ouverture de l’Assemblée du Clergé, du 7 Juillet 1775, b, 517. Traits de son Oraison funebre du Maréchal du Muy, b, 510

Belloi (M. de), Evêque de Marseille. Son Ordonnance à l’occasion du Cirque ou Colisée de Marseille, a, 425 ; & b, 457

Bénédictins. Services qu’ils ont rendus, b, 50

Benoît XIV. Ce qu’il faut penser des actions équivoques des saints personnages, b, 229. Fausses idées sur l’indulgence qu’on lui a attribuée sur les Spectacles, b, 248

Bergerac (Cyrano de), cité par Bayle pour exemple de la licence des Poëtes dramatiques, b, 324

Bergier (l’Abbé). Citation de ses Ouvrages pour la défense de la Religion, b, 537. Abus qu’on a fait d’une de ses Réflexions, en l’appliquant mal-à-propos aux Spectacles, b, 408

Bernard (Saint). Son jugement sur les licences que certains Ecclésiastiques se permettent, a, 428

Bernard (Jacques). Son respect pour l’Ecriture Sainte, b, 139. Son observation sur les dangers des Spectacles, b, 325

Berthier (le P.) Son Eloge de l’Ouvrage de D. Ramire contre les Spectacles, b, 213

Bertone (M. Marc Aurelius Balbis), Evêque de Novarre. Idée de son zele pastoral, b, 244. Citation d’une Lettre de ce Prélat, relativement aux Spectacles, 257

Besplas (Gros de). Interprétation de son opinion sur M. de Fénelon & M. Languet, relativement aux Spectacles, a, 172. Utilité de la lecture de l’Ecriture Sainte pour les Rois, a, 394. Citation relative aux Spectacles, & réflexions à ce sujet, b, 362. Combien l’Ecriture Sainte est déplacée dans les Poëmes dramatiques, 398. Ses réflexions sur la fureur de notre siecle pour les Spectacles, {p. 572}& les mauvais effets qui en résultent, b, 464

Bestagno (le Comte de). Anecdote relative aux Spectacles, b, 240

Bibliotheque universelle des Romans. Observation sur cet objet, b, 333

Bibliotheque du Roi, Notice sur cet établissement,a, 521

Bielfeld (le Baron de). Son aveu ingénu sur la nécessité de la licence du Théatre, a, 85

Bignon (l’Abbé). Notice apologétique à son sujet, & sur Jérôme Bignon, a, 721. Son jugement sur un Ouvrage dont on a rapporté un passage sur les Spectacles, b, 311

Billard. Dépendance des Poëtes à l’égard des Comédiens, a, 18. Cause d’une émeute à la Comédie Françoise, b, 496

Blanc (le). Tragédie des Druides, b, 315 & suiv.

Blanger (de), 146

Bletterie (l’Abbé de la). Enthousiasme du seizieme siecle pour les Auteurs Payens, b, 89. Belle idée de Julien sur le devoir des Rois, b, 173

Bodin. Ses idées sur les influences des climats, & sur les Spectacles, b, 369

Boëce. Incertitude de l’ame, lorsqu’après s’être écartée du bien, elle pense à y retourner, b, 502

Boileau (l’Abbé), Editeur d’un Ecrit de la Duchesse de Liancourt, dont il est parlé tome 1, page 231 ; & tome 2, 449

Boileau (Despréaux). Quelle est la vie du cœur de l’homme, a, 2. Art & effets de la déclamation théatrale, a, 25. Correction des mœurs, faussement attribuée à la Comédie, a, 74. Sentiment de l’existence de Dieu, a, 130. Preuve de son respect pour la Religion, a, 509. Son sentiment sur les dangers des Théatres, a, 515. Sa description historique de la Tragédie, b, 4. Son jugement sur Scuderi, 113. Portrait de la corruption de nos Théatres, 160. Lettre faussement attribuée à Boileau sur les Spectacles, 192. Son sentiment sur les Drames appellés Saints, 386. Pensée sur les Poëtes licencieux, 136 {p. 573}Peinture de l’Opéra, b, 399. Belles leçons données aux gens de Lettres, b, 418

Bois (le Cardinal du). Comment il appelloit les projets de Saint Pierre, b, 268

Bois (du). Sa Réponse aux sophismes que Jean Racine avoit employés en faveur des Spectacles, a, 309

Bonami. Citation de ses Mémoires sur la Langue Françoise, b, 52

Boisgelin (M. Cucé de), Archevêque d’Aix. Sa prudence dans l’Eloge qu’il fit de M. l’Abbé de Voisenon, à l’Académie Françoise, a, 428

Boissy (Louis de), Poëte comique, de l’Académie Françoise. Caractere de la plupart des Pieces de Théatre, 47. Jugement qu’il a porté des Lettres sur les Spectacles, 156. Son sentiment sur le zele des Poëtes dramatiques à défendre la cause des Théatres, a, 224

Bonnet, b, 146

Bordelon, b, 189

Borron (Robert de), b, 58

Bossuet. Sa Réponse à Louis XIV sur les Spectacles, 61. Ce qu’il pensa de l’Opéra, d’après une expérience qui se fit chez lui, 79. Corruption du Paganisme, 142. Sa Lettre au P. Caffaro, 359. Témoignage de son contentement de la rétractation du P. Caffaro, a, 393. Funestes effets du luxe Asiatique chez les anciens Romains, b, 37. Son idée sur l’origine de la Poésie, 13. Reproche fait par M. l’Abbé Talbert à la sévérité de M. Bossuet sur la Comédie, 158. Belle pensée sur les Maisons de Bourbon & d’Autriche, 167. Quelle est la vie de l’ame, 371. Définition de l’idolâtrie, b, 408. Epître satyrique en Vers, qui fut adressée à ce Prélat, à l’occasion de son Ecrit contre la Comédie, a, 395

Bouchardon. Son enthousiasme pour Homere, b, 370

Bourdaloue (le P.) Ce qu’il pensoit du Pere Soanen, depuis Evêque de Sénez, a, 402. Comment il a été caractérisé, b, 275

Bourdelot, b, 131

Boyer, Anecdotes à son sujet, b, 184

Brun (le P. le), b, 148

Brienne (M. de), Archevêque de Toulouse. Son jugement sur la {p. 574}Tragédie des Druides, b, 321

Brun (le). Citation de quelques-uns de ses Vers sur les dangers des Théatres, a, 353

Bruyere (la). Caractere de l’Incrédule, 34. Son jugement sur l’Opéra, 78. Son jugement sur les Poëmes lyriques, 82. Comment il a caractérisé le Pere Soanen, depuis Evêque de Sénez, a, 402

Bucer (Martin), Protestant, b, 281

Bullet (l’Abbé). Citation de ses Ouvrages sur la Religion, b, 538

Bure (de), Auteur de la Bibliographie instructive, b, 415

Burette. Son observation sur la corruption de la Musique & de la Danse, 89. Son opinion sur les mots Bal & Ballet, b, 449

Bussy-Rabutin (le Comte de). Dangers de la folle passion de l’amour, appellée galanterie, a, 12. Dangers des talens mal conduits, ibid. Son témoignage sur le danger des Bals, a, 407 ; & b, 445

C

Caisotti (M. Paul). Evêque d’Asti en Italie. Son zele contre les Spectacles, b, 240

Caffaro (le P.) Sa Lettre en faveur des Théatres, 188. Ses rétractations adressées à M. Bossuet & à M. de Harlai, Archevêque de Paris, a, 380-385

Calprenede (la), b, 59

Campigneulles (de). Indication de ses Ecrits, a, 151

Capperonnier. Sa nomination à la place de Garde des Livres imprimés de la Bibliotheque du Roi, a, 524

Caraccioli. Sa Vie de Clément XIV, 48. Son témoignage sur les Evêques d’Italie, b, 237

Cassiodore. Citation relative aux intentions de Théodoric sur la suppression des Spectacles, a, 126

Catinat (le Maréchal de). Eloge de sa conduite dans l’exercice de la fonction d’Avocat, 116. Son caractere ; 245. La sagesse de sa conduite, a, 302

Caton d’Utique. Son caractere, a, 241

Catulle. Licence des {p. 575}Poëtes, a, 100

Caulet (François-Etienne de), Evêque de Pamiers, 443

Cause, de la décadence du goût sur le Théatre, b, 392

Caylus (le Comte de), cité sur l’origine des Romans, b, 56

Caylus (la Comtesse de). Ce qu’elle pensoit sur les Tragédies d’Athalie & d’Esther, a, 346

Cazali (le Cardinal). Acte de son zele pour les mœurs, a, 432

Cecchino, b, 122

Cerceau (le P. du). Citation de quelques Vers qui lui furent adressés contre les représentations des Tragédies dans le College de Louis le Grand, a, 486

Cervantes (Michel de), b, 58

Chaise (le P. la). Ce qu’il pensoit du Pere Soanen, depuis Evêque de Sénez, a, 402

Chalucet (Bonnin de), Evêque de Toulon. Son Mandement contre les Spectacles, b, 197

Chamfort (de). Indiscrétion qui lui est échappée dans son Eloge de Moliere, b, 180

Chammeslé. Art de cette Actrice, a, 26. Anecdote à son sujet, b, 185. Autre sur la Dumesnil, 555

Chapuseau (Samuel), Auteur d’un Ouvrage contre les Théatres, b, 347

Charlemagne. Ce qu’il exigeoit des Evêques, b, 126

Charles (S.) Borromée. Ses vrais sentimens sur les Spectacles, a, 171-173, 227, b, 132, 257

Chaudon. Auteur de l’Homme du monde éclairé, b, 458. Citation de son Dictionnaire anti-Philosophique, b, 523. Eloge de ce Dictionnaire, 538

Chaussée (de la). Appréciation de ses Drames, a, 172 ; b, 269

Chesnot (Thomas), b, 131

Chevrier, b, 194

Christianisme. Changemens qu’il a produits dans le monde, a, 343. Ce qu’il exige de ceux qui se disent Chrétiens, 397. Le véritable Christianisme dévoue à l’utilité publique ceux qui le professent, b, 557

Ciceron. Ce qu’il renferme sous l’idée de l’honnête, a, 2. Eviter tout ce qui trouble l’ame, 12. Caractere de l’indiscrétion pour les plaisirs, 34. Effets d’une bonne éducation, 66. Suites funestes de la volupté, {p. 576}71. Citation sur la décence qu’on exigeoit des Comédiens, 72. Utilité des Sciences & des Arts, 80. Définition du jeu d’un Acteur, 87. Que la Comédie n’est pas propre à corriger les mœurs, 88. Définition de la Philosophie appliquée à la Magistrature, 107. Dangers des mauvais exemples des Grands, 119. Pensée sur la dépendance des Empires à l’égard de Dieu, 324. Reproche fait à ceux qui occupent des places honorables, sans avoir le mérite qu’elles exigent, 328. Force de la vérité, b, 99. Citation sur les Publicains, 320. Soin qu’on doit avoir de sa réputation, 419. Nécessité de la vertu pour le bonheur du Gouvernement, 439. Ce que les sages Payens pensoient de la Danse, 451. Leurs variations sur l’immortalité de l’ame, 526

Clairon. Cause d’une émeute à la Comédie Françoise, b, 490

Clément (S.) d’Alexandrie. Citation relative aux Grecs livrés à la volupté, a, 348

Clément VIII & Clément IX. Le jugement que les Romains en portent, a, 518

Clément XI. Sa réponse à une Requête qui lui avoit été présentée par les Comédiens de Paris, a, 121

Clément XIII. Acte de son zele contre les Spectacles, a, 122

Clément XIV. Ce qu’il dit des Ordres Religieux, b, 48. Interprétation de la tolérance qu’on lui attribuoit pour les Spectacles, 231. Son éloge de M. le Prince Pamphili Doria, Nonce en France, 238. Ce qu’il pensoit de la place de Souverain Pontife, 253. Beau trait de sa Lettre circulaire aux Evêques, 255. Citation d’une de ses Lettres sur les Incrédules & sur la vérité de la Religion, 526. Nécessité d’être instruit & de lire les Peres de l’Eglise, pour se fortifier contre les sophismes des Incrédules. Quel est le caractere de plusieurs Peres de l’Eglise, 528

Clément (l’Abbé). Citation de ses maximes pour se conduire chrétiennement dans le monde, a, 183. {p. 577}Son jugement sur les Théatres, & incidemment sur les défauts de l’Eloquence de notre siecle, 256. Son Sermon contre les Spectacles, b, 274. Ce qu’il pensoit des représentations domestiques des Pieces de Théatre, 406

Clément. Ses Lettres contre M. de Voltaire, 550. Son sentiment sur le caractere des Nuits d’Young, 63, 506

Clémencet (Dom), Bénédictin, b, 355

Clermont-Tonnerre, Evêque de Clermont. Sa Réponse à Louis XIV, relativement aux Spectacles, a, 63

Clerc (le). Sa réflexion sur un fait de l’histoire ancienne, relatif aux Spectacles, b, 294. Son sentiment sur l’utilité attribuée aux Spectacles, 293

Clergé de France. Avertissemens de ses assemblées de 1770 & 1775 aux Fideles du Royaume, a, 472 ; b, 528, 537

Coëtlosquet (de), ancien Evêque de Limoges. Son témoignage donné en 1770 sur les vertus de Louis XVI, alors Dauphin, & sur son auguste Epouse, b, 169

Coffin. Comment il desiroit que les Pensionnaires de son College lui témoignassent leur zele & leur attachement, a, 488. Sa pensée sur les belles sentences échappées à des Payens & aux Incrédules modernes, 501. Ressource de l’homme dans la souffrance, b, 504

Coger (l’Abbé). Acte de son zele pour la Religion, b, 540

Colbert le Ministre. Anecdotes honorables à sa mémoire, a, 323 ; & b, 105

Colbert, Evêque de Montpellier. Son Ordonnance & ses avertissemens touchant les Spectacles, a, 594 & suiv.

Colleges. Motifs qui ont fait défendre dans les Colleges les exercices dramatiques, a, 484-496. Devoirs des Principaux de Colleges, 487

Coligni (l’Amiral de), b, 471

Colisée, Quel est l’objet de ce Spectacle, & quels en sont les dangers, b, 456 & suiv.

Collier (Jérémie), Anglois. Ce qu’il pensoit des Spectacles, & en particulier de ceux de Londres, b, 300

Comédie. Son origine & ses progrès chez les {p. 578}Anciens & les Modernes, b, 10 & suiv.

Comédie (la) contraire aux principes de la morale, b, 276

Comédiens. Honte justement attachée à leur profession, a, 266-286. Interprétation de la Déclaration du 16 Avril 1641, & des Lettres-Patentes du 30 Juillet 1773, 288 & suiv. Impossibilité de forcer les Comédiens d’être honnêtes, 293. a, 607, Note d’infamie attachée à leur état, b, 490

Comédie Italienne. Son caractere, a, 85. Faux préjugés à l’égard des Comédiens Italiens, 121 & 432, b, 229-259

Comédie (Traités sur la), par Nicole, b, 127. Par le Prince de Conti, 133. Autre traité, 144

Comedias (Trattado de las) en el qual se declara si son licitas, &c. b, 121

Compendium Moralis Novi Testamenti. Motif de douter de la sincérité du repentir des Incrédules, lorsqu’ils ne le manifestent qu’à la mort, b, 525. Moyens que les Pasteurs de l’Eglise ont à employer pour la destruction de certains abus, a, 121. Malheurs attachés au mépris de l’Evangile, 306. Belle réflexion à l’occasion des scandales de quelques Ecclésiastiques, 401. Caractere de l’Ecriture Sainte, & fruits de sa lecture faite avec une bonne intention b, 104. Difficultés des devoirs du souverain Pontife, 253

Concert spirituel, a, 584, b, 452

Concina (le P.) Son sentiment contre les Spectacles, a, 122, 181 & b, 227. Critiques qu’il a essuyées à ce sujet, 421

Confreres de la Passion. Idée de leurs représentations, b, 83 & s.

Considérations sur l’art du Théatre, par M. Villaret, b, 195. Cet écrit est du nombre de ceux qui ont été faits contre la Lettre de M. J.J. Rousseau à M. Dalembert, sur les Spectacles.

Consultazione Theologico Morale se chi interviene per necessita al teatri publici, a : 435 & b, 227

Contarini (Zacharie), Procurateur de la République de Venise. Acte mémorable de son zele contre les Comédiens, a, 518

Conti (Armand Bourbon, Prince de). Extrait {p. 579}de son Traité sur la Comédie, b, 133

Corneille. Dangers de l’indiscrétion, a, 10, Caractere d’un mariage honnête, 13. Caractere d’un mariage dérivant d’un fol amour, 41. Que le péril augmente la gloire du triomphe, 153. Que la haine des vertus s’inspire aux Théatres, 106. Preuve de son repentir d’avoir travaillé pour le Théatre, 508

Cosme III. Difficulté qu’il eut d’abolir l’usage des Spectacles, a, 126

Coste (la), b, 146

Coudrai (le Chevalier du), b, 461

Coulange (de). Son bon mot à l’occasion du mariage du Chancelier d’Aguesseau avec Demoiselle Le Fevre d’Ormesson, a, 319

Courbeville (le P. de), Jésuite, b, 305

Courtisans. Leur indiscrétion à demander des graces onéreuses à l’Etat, a, 249

Coutel, b, 155

Couvreur (le), Actrice. a, lxxxiij. Son refus de renoncer à sa profession, 53. Refus qui lui a été fait de la sépulture chrétienne, 266. Extrait d’une de ses Lettres, b, 564

Coyer (l’Abbé). Idée de son voyage d’Italie, b, 234. Son indiscrétion à l’occasion des Spectacles de Rome, b, 236

Cratinus. Poëte de la vieille Comédie, b, 11

Crébillon. Pensée présomptueuse, a, 223

Critique d’un Livre contre les Spectacles, intitulé : J.J. Rousseau, &c. à M. Dalembert, 1760. in-8°. Cet Ecrit est attribué à M. le Marquis de Mezieres. On a omis de l’indiquer, b, 195

Cyprien (Saint). Ce qu’on doit penser des abus les plus anciens, a, 119. Condamnation implicite des Spectacles dans l’Ecriture Sainte, b, 102. Sa Réponse à ceux qui osoient abuser de l’Ecriture-Sainte, 348. Sa définition de la Tragédie, 386

Cyr (Maison Royale de Saint-). Eloge de cette Maison, & à cette occasion réflexion sur l’éducation des personnes du sexe, a, lxxvj. 325, 496-502

Cyrus. Son sentiment sur les Spectacles, b, 326

{p. 580}D

Dacier. Son avis sur un préjugé relatif à S. Charles Borromée, a, 173. Poëmes dramatiques de notre temps aussi dangereux que le furent ceux du temps de Varron, 499. Son opinion contre la Poésie, b, 12

Dacier (André). Sa réflexion sur la prétendue utilité morale des Théatres, b, 352

Dalembert. Notice sur ses Réponses à M. J.J. Rousseau ; & avantage tiré de quelques-unes de ses assertions, a, 596 ; b, 278, 596

Dancour, b, 607

Danse. Ses dangers, b, 445-458

Danses (Traité des), b, 131

Danses (Traité) contre les Danses, les Comédies & les mauvaises Chansons, 132

Tractatus contra saltiones & choreas, per Pastores Ecclesiæ Gallicanæ, 291

Dargens (le Marquis). Ses réflexions sur la passion des Théatres, b, 435

David Vethery. Discursus de Comædiis, b, 131

Décision faite en Sorbone touchant la Comédie, b, 146

Déclamation théatrale. Ses influences sur les Spectateurs, a, 23-26, 264. N’est pas propre à former celle de l’Orateur. Citation de Quintilien à ce sujet, 493

Défense du Traité de M. le Prince de Conti sur la Comédie, b, 143

Déforis (Dom), Bénédictin de la Congrégation de S. Maur, Editeur de la nouvelle édition des Œuvres de M. Bossuet, Evêque de Meaux, a, 61

Della Christiana moderazione del Theatro, b, 124

Desmonts (Dom), a, 607

Désaulnays. Sa nomination à la place de Garde des Livres imprimés de la Bibliotheque du Roi, a, 524

Desfontaines (l’Abbé). Sa critique de la morale de nos Théatres, a, 186

Deshoulieres (Mademoiselle), Strophes de son Ode sur la Maison de Saint-Cyr, a, 497

Démosthene. Cause du bonheur des Empires, b, 167

Desprez de Boissy, b, 277

Denizart. Fausseté de l’opinion sur la distinction {p. 581}entre les Comédiens François & les Italiens, relativement à leur profession, a, 123

Dialogue sur les Spectacles, b, 464

Dictionnaire Anti-Philosophique. Notice sur ce bon Ouvrage, b, 528

Dictionnaire des Anecdotes dramatiques. Scenes arrivées aux Spectacles, b, 491

Diomedes. Sur les différentes Comédies de Rome, b, 31

Discours sur la Comédie, b, 148

Dissertation sur la condamnation des Théatres, &c. b, 114

Dissertation sur la Comédie, par M. Simonet, 153

Dorat, b, 331. Sa critique de ceux qui fréquentent les foyers des Spectacles, & réflexions à ce sujet, 316. Son opinion sur les Romans, 327. Belle pensée sur les influences de la conduite des Rois, 345. Art de la danse, 450. Ses réflexions sur le jugement des drames proposés aux Comédiens, 492. Critique de notre Théatre relativement au style, 547. Caractere de notre Théatre, 557. Citation de ses réflexions sur l’Art dramatique, 560

Doria (M. le Prince Pamphili), Nonce du Saint Siege en France. Idée des vertus de ce Prélat, b, 238

Doria (Paul Matthias). Ses idées sur la tolérance des Spectacles, b, 293

Duchesne. Caractere des Spectacles de son temps, a, 164

Duclos. Observations sur la Comédie & la Satyre, b, 24. Sa réflexion sur les complaisances qu’on a pour les Comédiens, 33. Cité sur la Langue Françoise, 52

Duels, a, 224-239. Extraits de quelques Pieces de Vers qui furent faites à la louange de Louis XIV, à l’occasion de ses Edits contre les Duels, b, 138

Duguet (l’Abbé), b, 203. Notice sur son Ouvrage intitulé : La Conduite d’une Dame chrétienne, a, 316. Son jugement sur les Tragédies d’Athalie & d’Esther, 337. Anecdotes sur ce Sçavant, b, 204. Ses pensées sur les Spectacles, b, 202

Dulac : son Sonnet sur la Comédie, a, 602

Durieux, b, 146

Durfé (de), b, 53

{p. 582}E

Ecclesiastiques. Comment M. de Voltaire appelle ceux qui sont d’une conduite équivoque, a, 63. Les représentations dramatiques sont des amusemens incompatibles avec la sainteté de l’état ecclésiastique, 427. Influence de leur conduite sur les Laïques, 430. Respecter leur caractere, lors même qu’ils le déshonorent par leurs mœurs, 399-402, 428 ; b, 180. La piété leur est aussi nécessaire, que la valeur l’est aux militaires, 163. Les scandales de leur conduite ne donnent aucune autorité au vice, 236. Leur zele pour les mœurs leur a souvent attiré des injures de la part des partisans des Spectacles, a, 404, 596, 599

Education. Les Spectacles détruisent les bonnes éducations, a, 43. Une bonne éducation doit éloigner les jeunes gens de la fréquentation des Spectacles, b, 389

Elisabeth (la Reine). Anecdote relative aux Spectacles, b, 300

Eloquence. Ce qui la rend plus ou moins énergique, a, 19, 256

Emile. Caractere de cet Ouvrage, a, 192

Ennius, Poëte Mimographe. On en indique les plus célebres, b, 31

Epitaphe de Jean Racine, par M. Tronchon, a, 510

Epître en Vers à M. Bossuet, Evêque de Meaux, sur son Livre touchant la Comédie, a, 395

Erasme. Quel usage on doit faire des Sciences & des Arts, a, 81

Eschyle, b, 3

Espagnac (l’Abbé d’) Cité à l’occasion de son Eloge du Maréchal de Catinat, a, 303. Pensées extraites de son Eloge du Maréchal de Catinat, sur la profession d’Avocat, 115

Espagnac (le Baron d’). Notice sur son Histoire du Maréchal de Saxe, a, 116

Esprit (de l’) par Helvetius. Caractere de cet Ouvrage, a, 153, 258

Esprits-Forts. Exemples de leur fausseté, & leur foiblesse lorsqu’ils {p. 583}sont malades sérieusement, b, 521. Combien il est rare qu’ils reçoivent de Dieu un cœur pénitent, 525

Estrade (d’), Jésuite. Son Apologie des Danses & des Spectacles combattue par Vincent, Ministre Protestant, b, 287

Estrées (l’Abbé d’), b, 160

Essai sur la Comédie moderne, b, 259. Citation de cet Ouvrage, où est réfutée l’opinion de M. Fagan sur l’état de Comédien, a, 295

Essai sur le moyen de faire du Colisée un établissement national, b, 459

Etat actuel de la Musique de Paris & des trois Spectacles, b, 131

Etienne (François), b, 131

Evangile. Authenticité de sa divinité, a, 192, 300

Evénemens funestes relatifs aux Spectacles, a, 450-454 ; & b, 489-497

Evêque (l’) de la Ravaliere, de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres. Citation de son Ecrit sur la Déclamation, a, 264

Eupolis, b, 11

Evremond (de Saint-). Son idée sur l’Opéra, b, 176. Critique de son opinion sur les mœurs du Théatre de Londres, 305. Son sentiment sur notre Théatre, 385

Euripide. Ce qu’il éprouva pour avoir avancé dans une de ses Pieces une pensée dangereuse, a, 48. Son opinion sur l’existence d’une autre vie après la mort, b, 18

F

Fabrice (Louis), b, 292

Fagan. Réfutation de ses nouvelles Observations au sujet des condamnations prononcées contre les Comédiens, b, 259

Fargeau (le Président Pelletier de Saint), b, 63

Fayette (la Comtesse de la), b, 60

Fénelon, Archevêque de Cambrai. Son sentiment sur les Spectacles, a, 172 & 173. Son jugement sur les Sermons du P. Soanen, depuis Evêque de Senez, 402. Notice sur le Télémaque, b, 70. Son idée sur les imperfections {p. 584}de nos Drames, 378

Ferry. Son jugement sur nos Spectacles, a, 250

Feuillade (le Maréchal de la). Anecdote relative à un Sermon sur les Spectacles, b, 274

Feuilles d’un Journal Ecclésiastique Hebdomadaire, b, 316

Fielding, b, 61

Financiers. Réflexions sur cet état, b, 319, 534

Fléchier (Esprit), Evêque de Nîmes. Son Mandement contre les Spectacles, a, 412. b, 199

Fleury (Joly de). Ses pensées sur Bayle, a, 299. Extrait de son Réquisitoire du 29 Janvier 1759, 469. Citation d’un de ses Réquisitoires, b, 414

Floridor (Comédien), b, 182

Floriot. Citation relative à la fréquentation des Spectacles, a, 437

Floris, a, 370

Florus. Combien la mollesse des mœurs est pernicieuse à une nation, b, 438

Fontaine (la). Caractere du fol amour, a, 10. Art de l’élocution, 40. Pensée de ce Poëte sur les plaisirs équivoques ou illicites, 454

Fontenai (l’Abbé de). Successeur de M. de Querlon pour la Feuille Hebdomadaire des Provinces, a, 606 ; b, 564, 585

Fontenelle (de). Son Ode sur l’établissement de la Maison de S. Cyr, ne put obtenir la préférence sur celle de MlleDéshoulieres, a, 497. Fausses idées sur la fin tragique des Héros de Théatre, 90. Ce qu’il pensoit de l’utilité attachée au Théatre pour la réforme des mœurs, 94. Réflexion sur notre Théatre, b, 97

Formage, b, 540

Fouchy (de). Pensées de son Eloge du Marquis de Torci, Secretaire d’Etat, b, 104

François (Saint) de Sales. Ses véritables sentimens sur les Spectacles, a, 178

François (l’Abbé le). Citation d’un de ses Ouvrages, b, 527

Fréron. Témoignage rendu à la piété de Jean Racine, a, 512. Anecdote sur Moliere, b, 181. Son jugement sur l’Art dramatique de M. Mercier, 410. Son sentiment sur l’objet moral de nos Drames comiques, 423. Son jugement {p. 585}sur la Réponse de M. Gresset au Discours de M. Suart, 476

Fromageau, b, 146

Fuel de Méricourt, a, 598

G

Gachet, b, 459.

Gacon (François), b, 190

Galanterie considérée sous l’idée de la folle passion de l’amour, a, 1-12

Ganganelli. Voyez Clément XIV cité à l’occasion des Lettres qui ont paru sous son nom.

Garnier (l’Abbé). Citation de son Ouvrage intitulé : Education civile, b, 357. Son sentiment sur les Poëtes dramatiques, & sur les représentations domestiques, 404

Gauthier, Curé de Savigny-sur-Orges. Son Traité contre les Danses, b, 132 & 463

Gédouin. Sa réflexion sur l’état de Comédien, a, 284. Difficulté de bien juger le Théatre Grec, b, 91

Gélase (le Pape). Son opinion sur la tolérance de certains abus, a, 120

Gellert. Sa fable sur la séduction de la volupté, b, 97

Gérard (l’Abbé). Idée de son Ouvrage intitulé : Le Comte de Valmont, b, 411

Gerbois (Jean), b, 157

Germain (le Comte de Saint-), b, 516

Germains (anciens). Sagesse de leurs mœurs, a, 31

Gilbert. Citation de sa Satyre intitulée : Le Dix-huitieme Siecle, a, 143

Godeau, Evêque de Grasse. Son Sonnet sur le Théatre, a, 455

Gomberville, b, 59

Gourcy (l’Abbé de), b, 550

Grange (de la), b, 145

Gresset. Caractere d’un mariage honnête, a, 6. Son renoncement aux Poëmes dramatiques, 67. Son sentiment sur les Spectacles, 185. Motifs de son annoblissement, b ; 341. Portrait de notre siecle, 474. Sa Lettre pour annoncer son renoncement aux Ouvrages dramatiques, 477. Caractere des bons Ouvrages de Poésie, 485

Grosley. Sa réflexion sur l’état de Comédien, a, 291. Maniere dont les Romains évaluent le mérite des Papes, {p. 586}518. Sa réflexion judicieuse sur la tolérance des Théatres à Rome, b, 235, 232. Effets attribués à la lecture de Plutarque, 470

Guenée (l’Abbé), b, 525

Guerchois (Madame de). Idée de ses vertus, a, 238

Guéroult, b, 540

Guibert (de). Pensées extraites de son Eloge du Maréchal de Catinat sur la profession d’Avocat, a, 117. Notice sur son Eloge de Catinat, 242. Caractere du Maréchal de Catinat, 245. Ses réflexions sur les Courtisans, 249

Guidi (l’Abbé). Citation d’un de ses Ouvrages, b, 527. Jugement qui en a été porté par M. l’Abbé Riballier, 538

Gusman (le P.), Jésuite. Son opinion sur les Spectacles, a, 180 & 484

H

Harlai (de), Archevêque de Paris. Sa défense aux Comédiens de faire chanter un Te Deum, a, 124

Harpe (de la). Cité à l’occasion de son Eloge du Maréchal de Catinat, a, 303. Réfutation de son opinion sur le motif du renoncement de Jean Racine au Théatre, 512

Harres (N.). Libellus de Comædiis, &c. b, 144

Hébert, Evêque d’Agen. Ses conseils à Madame de Maintenon pour ne pas faire exercer les Demoiselles de S. Cyr à des représentations dramatiques, a, 496

Heinsius, b, 186

Helvetius. Idée, de son Ouvrage intitulé : De l’Esprit, a, 153, 258

Hénault (le Président). Défauts ordinaires des Poëtes, b, 90. Son éloge de la feue Reine, Femme de Louis XV, a, 62

Henri III. Ses Edits contre les Duels, a, 226

Henri IV. Ses Edits contre les Duels, a, 226. Ce qu’il pensoit de Plutarque, b, 467

Henriette (Madame) de France. Son jugement sur les Spectacles, & sa conduite édifiante à cet égard, a, 183 & 438

Henrion de Pansey. Ses réflexions sur l’état de Comédien, a, 266

{p. 587}Herberai (Dessessarts Nicolas de), b, 58

Héros de Théatre. A quoi se réduit leur prétendue vertu, a, 48

Histoire des Ouvrages pour & contre la Comédie, b, 101

Histrions. Origine de ce nom chez les Romains, b, 25

Homme (l’) dangereux. Citation sur les faux Philosophes, b, 322

Homme (l’) du monde éclairé, b, 458

Honneur. Bon mot de M. de Montesquieu sur cette prétendue vertu, a, 94

Horace. Effets d’une bonne éducation, a, 65. Que la Poésie a traité presque tous les genres, 99. Caractere des bons Ministres d’Etat, 244. Ressemblance de la mauvaise éducation de notre temps à celle du temps d’Horace, 498. Cause de la corruption du Théatre chez les Grecs, b, 21. Corruption de là Comédie chez les Romains, 23. Quand on commença à Rome à s’occuper de la Littérature des Grecs, 27. Son opinion sur la Tragédie & sur la Comédie Romaine, 28 & 29. Son idée sur les Ouvrages dangereux, 69. Inutilité des loix sans les mœurs, 295. Son repentir d’avoir abandonné le culte de la Divinité, 427. Il y a des amusemens dangereux, 486. Utilité de l’ironie, 552

Huerne de la Mothe. Condamnation de son Ouvrage en faveur des Comédiens, a, 114, 473. Critique de son Ouvrage, 196, & b, 356

Huet, Evêque d’Avranches. Sa définition des Romans, b, 53 & 63

I

Incrédulité. Ses causes & ses effets, a, 130-146. Ses progrès en France, b, 516. Moyens proposés par M. de Beauvais, Evêque de Sénez, pour la réprimer, 518. Supérieurement combattue par l’Instruction Pastorale de M. de Montazet, Archevêque de Lyon, 20

Incrédules. Leur vanité & leur foiblesse, b, 521. Leur mauvaise foi, 519. Caractere de leurs Ouvrages, {p. 588}523. Ils sont les échos des anciens Athées, 529. Caractere de leurs Ecrits, 531. Combien ils sont dangereux à l’Etat, 540, 542

Innocent XI & Innocent XII. Leurs réponses à des requêtes qui leur avoient été présentées par les Comédiens de Paris, a, 121. Acte de zele contre les Spectacles, a, 435

Intendans de Provinces. Notice à leur sujet, a, 315

Irail (l’Abbé). Réfutation de quelques-unes de ses assertions scandaleuses, b, 346-355

J

Jacquin (l’Abbé). Ses Entretiens sur les Romans, b, 53

Jarry (l’Abbé Guillard du). Ses idées sur la réformation du Théatre, b, 186

Jaucour (le Chevalier de). Sa réflexion sur les Romans, b, 61

Jean (de), Prieur de Longuy, b, 356

Jérôme (S.) Pensée de ce Pere sur le goût que les femmes ont pour la parure, a, 496. Caractere du faux Philosophe, 142

Jeunes gens. La plupart ne doivent la corruption de leurs mœurs qu’à la fréquentation des Spectacles, a, 43, 55 ; b, 390. Leur vertu leur attire de la considération de la part même de ceux qui sont déréglés dans leurs mœurs, a, 65. Ce que la prudence exige de leur âge, ibid. b, 442

Joly (le P. Joseph Romain), b, 357

Jourdan de Durand. Motif de la tolérance du Gouvernement à l’égard des Théatres publics, a, 287

Journal de Théatre, a, 598

Juigné (le Clerc de), Evêque de Châlons. Citation de sa Lettre Pastorale contre la lecture des mauvais Livres, a, 135

Justinien. Ce qu’il disoit des amusemens dangereux, a, 57

Juvenal D’où dérive la vraie noblesse, a, 329. Portrait des mœurs de son siecle, b, 474 Facilité qu’on a pour imiter les mauvais exemples, b, 547

{p. 589}L

La bruyere, (Barbeau de) a, 330

Lalouette, b, 101

Lambert (la Marquise de). Extrait de ses Avis à son Fils sur la Religion & sur les Spectacles, a, 35, 39

Lambert (de Saint-). Son tableau des Spectacles dans son Poëme des Saisons, b, 416. Ses idées sur les bals, 447

Lami. Son opinion contre la Poésie, b, 12

Lancelot du Lac, b, 57

Land (Jean le). Citation de son Ouvrage intitulé : Nouvelle Démonstration Evangélique, a, 301

Lande (de la). Citation de la Description de l’Italie, b, 230, 254

Languet, Archevêque de Sens. Abus qu’on a fait de son Eloge de la Chaussée, a, 172

Languet, Curé de S. Sulpice. Refusa la sépulture chrétienne à la le Couvreur, b, 182

La Ravaliere (l’Evêque de). Citation de son Essai de Comparaison entre la Déclamation & la Poésie dramatique, a, 264

Laval, Comédien, b, 195

Laval (Henri de), Evêque de Luçon, b, 258

Lauriso. Citation de son Ouvrage sur les Théatres, a, 431 ; b, 422

Law (Guillaume), Anglois. Citation de son Ouvrage sur les Spectacles, b, 302

Lenglet Dufresnoi. Citation de son Traité sur l’usage des Romans, b, 67

Léon X. Son caractere, b, 180, 233

Lettre d’un Théologien illustre par sa qualité & par son mérite, attribuée au P. Caffaro, b, 116

Lettre de M. Bossuet, Evêque de Meaux, au P. Caffaro, Théatin, a, 359

Lettre du P. Caffaro, en réponse à la Lettre précédente, a, 380

Lettre Françoise & Latine du P. Caffaro, a, 385 ; b, 157

Lettre touchant la Comédie, 131

Lettre écrite de Marseille à M. de la Roque, touchant les discours du P. le Brun sur la Comédie, 151

Lettre d’un Docteur de Sorbone sur la Comédie, 157

Lettre de M. de Bordelon sur les Spectacles, 189

Lettre d’un Curé du Diocese de Paris à M. de Marmontel, &c. 356

Lettre de M. Gresset, où il annonce son renoncement {p. 590}aux Ouvrages dramatiques, a, 477

Lettre d’un Anglois menacé d’une mort prochaine, 499

Lettre de J.J. Rousseau de Geneve à M. Dalembert, sur les Spectacles, a, 195-221 ; b, 269-283, 278

Lettres sur l’Ouvrage intitulé : Querelles littéraires, b, 346

Lettres historiques sur tous les Spectacles de Paris, b, 166. On a omis d’indiquer l’Ecrit suivant, attribué à M. de la Dixmerie, a, 195

Lettres sur l’état présent de nos Spectacles, avec des vues nouvelles sur chacun d’eux, particuliérement sur la Comédie Françoise & l’Opéra. Paris, 1765. in-12. L’une de ces vues nouvelles est de proposer, page 371, la suppression de ce qu’on nomme le quart des pauvres qui se retient sur la recette des Spectacles ; retenue que l’Auteur dit vexer les Comédiens, & les mettre hors d’état de fournir, sans s’obérer, à la pompe & à la dignité de leur Spectacle.

Lettre d’un ancien Officier de la Reine sur les Spectacles, 356

Lettres historiques sur les Spectacles, à Mademoiselle Clairon, b, 356

Lettres à Eugénie, b, 424

Lettres sur les Spectacles, avec une Histoire des Ouvrages pour & contre les Théatres, b, 277

Lettres-Patentes du 30 Juillet 1773, pour la construction du Théatre de la Comédie Françoise, a, 288

Leval (de). Sa Réponse à la Lettre d’un Théologien défenseur de la Comédie, b, 144

Lhuillier, b, 146

Liancourt (la Duchesse de). Notice historique à son sujet, & pensées extraites de ses Avis à sa petite fille, la Princesse de Marsillac, a, 230. Son sentiment sur la Danse, b, 449

Liancourt (le Marquis de). Son sentiment sur les Duels, & notice sur son courage, a, 232

Ligne (le Prince de). Caractere d’un Ecrit qui lui est attribué, b, 424

Linant (le P.). Comment il a caractérisé le P. Bourdaloue, b, 275

Linguet. Son observation sur la Tragédie d’Attilie, {p. 591}représentée à Auteuil, a, 290. Son jugement sur les Eloges du Maréchal de Catinat, 313

Lisinius (C.), Stolo. Fit venir d’Etrurie les Farceurs, b, 24

Livois (le P. de), b, 422

Locke. Définitions de la raison & de la révélation, a, 146

Long, Promoteur-Général de Marseille, b, 457

Lorris (Guillaume de), b, 57

Lo Specchio del desinganno, b, 227

Louis (Saint). Cité sur l’expulsion des Comédiens, a, 127

Louis XIII. Ses Edits contre les Duels, a, 226. Motifs de sa Déclaration du 16 Avril 1641, touchant les Comédiens, 294

Louis XIV, Sa question à M. Bossuet, Evêque de Meaux, sur les Spectacles, a, 61. Défenses faites aux Comédiens Italiens de faire chanter un Te Deum pour le rétablissement de la santé de Louis XIV, 123. Ses Edits contre les Duels, 226. Eloges qu’il reçut pour ses Edits contre les Duels, b, 138. Compliment qu’il fit au célebre Massillon, a, 444. Ce qu’il dit en apprenant la mort de la Reine, b, 167. Réponse de ce Monarque au sujet d’un sermon du P. Soanen, 274. Son jugement sur Bourdaloue, 275

Louis XV. Notices relatives à la vie de ce Roi, a, 339

Louis, Dauphin de France, pere de Louis XVI. Preuve des sentimens admirables de ce Prince, b, 170, 513 & 515

Louis XVI. Justes motifs de la joie des François à l’occasion de son mariage, b, 168. Hommage rendu aux belles qualités de ce jeune Monarque, 171, 341, 557. Quelle est la valeur vraiment recommandable, 557

Louvay de la Saussaye. Sa contestation avec les Comédiens, a, 289

Lucrece. Pensée sur les remords de la conscience, a, 455. Son impiété, b, 17

Ludis (de) Scenicis, b, 292

Luynes (le Cardinal de). Comment il a exposé dans une Séance publique de l’Académie Françoise, ses sentimens contre les Romans & les Comédies, b, 162

{p. 592}M

Mably, b, 545

Machabées. Perfection que la Religion donne aux Militaires, b, 469

Maffei (Scipion), b, 244 (le Marquis), b, 422

Magistrature. Son caractere & ses devoirs, a, 106-109, 112, 119, 331 ; b, 318, 373, 471

Maintenon (Madame de). Les conseils qu’elle reçut de M. Hébert, Evêque d’Agen, sur les exercices dramatiques de la jeunesse, a, 496

Malesherbes (Lamoignon de). Citation d’une pensée de ce Ministre sur le Public, b, 461

Mallet. Son opinion sur l’état de Comédien, a, 289

Mandement de M. de Rochechouart, Evêque d’Arras, contre la Comédie, a, 404

Mandement du même, touchent les Bals, a, 408

Mandement de M. Fléchier, Evêque de Nîmes, contre les Spectacles, a, 414

Mandement du Chapitre de la Cathédrale d’Auxerre, touchant la Comédie, a, 419

Marc Aurels. La difficulté qu’il eut de supprimer les Théatres, a, 125

Marcillac (la Princesse de), b, 449

Mariages. Bonheur d’un mariage honnête, a, 6. Quel est le sort de ceux contractés sans réflexion, 41

Mariana. Son opinion sur les Spectacles, a, 84, 180, 484 ; b, 365. Idée de son Livre : De Regis Institutione, b, 366

Marie-Charlotte Leizinska, Femme de Louis XV, Roi de France. Sa question à l’Abbé de Pontac, relativement aux Spectacles, 62

Marie-Antoinette, Archiduchesse d’Autriche, Reine de France. Démonstrations de la joie des François à son arrivée en France. b, 168

Marie-Thérese, Reine de Hongrie. Notice d’un Réglement de cette Princesse, relatif aux Spectacles, a, 459

Marie-Thérese d’Autriche. Trait de son Eloge par M. Bossuet, b, 167

Marlin, Curé de S. Eustache de Paris, b, 182

{p. 593}Marmontel. Sa critique de la Lettre de Jean-Jacques Rousseau, a, 223. Son opinion sur le duel, 224

Martial. Dangers des Théatres pour les femmes, a, 44. Exemple de la passion des Romains pour les talens des Acteurs, 53. Son reproche à Caton de s’être montré au Théatre, 64. Suicide attribué à une lâcheté d’ame, 92. Pensée morale, b, 72

Martin (l’Abbé), b, 278

Martinique. Quand les Théatres y ont été établis, a. 601

Mericourt (Le Fuel de), a, 595

Massieu (l’Abbé). Son opinion en faveur de la Poésie, b, 18

Massillon, Evêque de Clermont. Compliment qu’il reçut de Louis XIV, a, 444. Destination des Rois à l’égard de leurs Sujets, 340

Matérialisme. Ses effets funestes & humilians, b, 539

Maupertuis. Anecdote favorable à la mémoire de M. de Montesquieu, a, 301

Maximes & Réflexions sur la Comédie, b, 158

Mazarin (le Cardinal de), b, 180

Médicis (Laurent de). Idée qu’il avoit de Rome, b, 233

Mercier. Idée de son Essai sur l’Art Dramatique, b, 410

Meung (Jean Chopinel de), b, 57

Meusy (l’Abbé de). Citation relative aux Spectacles, a, 458 ; b, 353

Mézerai. Portrait du Parlement de Paris sous Charles VIII, a, 112. Opposition du Parlement de Paris à admettre des Comédiens venus d’Italie, surnommés Li Gelosi, 114. Anecdote sur Anne de Boulin, b, 400. Sa réflexion sur l’excès des plaisirs publics, 455

Militaires. Leur profession relevée par leurs vertus, a, 224-242, b, 318, 469, 470. Conduite qu’ils ont à tenir pour être constamment vertueux, 512, 557

Millot (l’Abbé). Citation de son Histoire Littéraire des Troubadours, a, 166

Mimographe (le). Idée de ce mauvais Ouvrage, b, 407

Ministres d’Etat. Caractere de leur dignité ; qualités qu’on exige d’eux & de ceux qu’ils honorent de leur confiance, {p. 594}& qui sont employés sous leurs ordres, a, 241. Idée que quelques-uns ont eu de leur état relativement aux mœurs, b, 105

Misantropie caractérisée, a, 7

Mœurs. Leur utilité pour la conservation des Empires, b, 434, 440. Leur déréglement en France dans le dix-huitieme siecle, a, 143 ; b, 338-340, 472-474

Moines. Faux préjugés à leur égard, b, 48

Moliere. Quels furent les effets des Comédies de Moliere, a, 75, 106. Caractere de la plupart de ses Drames, b, 265

Monacho (François Marie del). Extrait de son Ouvrage contre les Spectacles, & à la suite se trouve le texte original, 525

Monnet de Rambert, b, 538

Monnoie (de la), b, 139.

Montaigne. Désintéressement de l’homme vertueux, b, 383. Anecdotes sur Henri IV, 467. Trahison des plaisirs, 488

Montazet (de), Archevêque de Lyon. Censure de nos Spectacles, a, 449. Citation de son Instruction Pastorale sur l’incrédulité, b, 519

Montchal (de). Censure de la passion du Cardinal de Richelieu pour les Spectacles, b, 165

Montesquieu (de). Fausses idées sur ce qu’on appelle honneur, a, 94. Ses idées sur les Parlemens de France, 109. Sa pensée sur les causes des révolutions d’un Empire, 291. Son hommage rendu au S. Evangile, 300, 604. Ses sentimens à l’heure de la mort, 304. Idée de son systême sur l’influence des climats dans le moral, b, 370. Dangers de la passion pour les Théatres, 280. Qui sont ceux qui peuvent juger de la violation des mœurs, 373. Quel est le lot de chaque profession, 534

Montgeron (Carré de), Intendant à Limoges. Citations de quelques Anecdotes honorables à sa mémoire, a, 318

Moreau, Historiographe de France. Réflexion relative à la publication du premier tome de son Ouvrage intitulé : Devoirs du Prince réduits à un même principe, b, 345

Mornay (Philippe, Marquis {p. 595}de). Son sentiment sur le duel, a, 239 ; b : 138

Mothe (Houdart de la). Les Poëtes dramatiques sont des séducteurs, a, 52. Strophes de son Ode sur la Fuite de soi-même, 103. Citation de son Discours couronné en 1709, sur la Crainte de Dieu, 137. Effets de la Déclamation, 265. Son opinion contre l’utilité morale de la Poésie, b, 15. Idée qu’il avoit de nos Théatres, 99. Belle leçon de cet Académicien aux jeunes Poëtes sur les Poésies licencieuses, 191

Muratori, b, 421

Musique. Eloge de cet Art exercé sagement, a, 81. Inconvénient de cet art, b, 401. Son éloignement de son usage primitif, même dans la musique d’Eglise, a, 587 ; b, 401. Exemples de ses influences médicinales, a, 586

Muy (le Maréchal du). Eloge de ce Ministre, b, 510-516

N

Nadal. Objet du plaisir qu’on recherche aux Spectacles, b, 395

Néron. Sal passion pour les Spectacles corrompit la jeunesse de Rome, a, 491

Neufchâteau (François de). Son opinion sur l’état de Comédien, a, 289

Neufvy, b, 467

Nicole. Son jugement du Discours de M. Bossuet, Evêque de Meaux, sur l’Histoire Universelle, a, 61 Citation de son Traité de la Comédie, b, 127. Caractere de ce Philosophe, 128

Noailles (le Cardinal de) Archevêque de Paris, b, 354

Noblesse. D’où elle dérive, & ce qu’elle produit dans ceux qui n’en soutiennent pas le caractere par leur conduite, a, 328

Noue (la). Son sentiment sur les Duels, a, 226

Nougaret, b, 394

Nouvelles Observations au sujet des Comédiens, b, 194

{p. 596}O

Observations sur la Comédie, b, 193

Ode de M. Arcere, sur le danger des Spectacles, 503

Oldemburge. Son opinion sur les Parlemens de France, a, 109

Olivet (l’Abbé d’). Pensée judicieuse sur Boyer, Poëte dramatique, b, 185

Ondedi. Acte de son zele pour les mœurs relativement aux Jeux Scéniques, a, 432

Opéra. Caractere de ce Spectacle, a, 77 ; b, 57, 177, 384, 555

Ordonnance de M. de Belloi, Evêque de Marseille, touchant le Cirque ou Colisée. a, 425

Ordonnance de M. Colbert Evêque de Montpellier, touchant la Comédie, a, 5

Ordonnances de M. de Castries, Archevêque d’Alby ; & de M. de Pouillac, Evêque de Lodeve, touchant les Spectacles, a, 596

Ordres Religieux. Sentiment de Clément XIV à leur égard, b, 48

Ormesson (Anne Le Fevre d’), Epouse du Chancelier Daguesseau. Idée de ses vertus & de sa piété, a, 320

Ormesson (Henri François de Paule Le Fevre d’), mort le 20 Mars 1756. Anecdotes sur cette Famille, b, 320-328

Ormesson (Henri François de Paule Le Fevre d’), petit-fils du précédent, a, 323

Ormesson (Louis François de Paule Le Fevre, Président d’), oncle du précédent, a, 327

Ottonelli (Jean-Dominique), Jésuite Italien. Notice sur son Ouvrage contre les Théatres, b, 124

Ovide. Dangers du fol amour, a, 11. Effets du jeu des Actrices sur le Théatre, 28. Son aveu sur les dangers des Théatres pour les mœurs, 96. Son conseil donné à Auguste contre la fréquentation des Théatres, 125. Eviter la lecture des Poésies licencieuses, 264. Citation sur l’avantage qu’il y a dans la Littérature à recourir aux sources, 525. Ce qu’il disoit de ses Poésies licencieuses, b, 69

{p. 597}P

Paige. (le). Ses Lettres historiques sur les Parlemens, a, 109

Pannart. Sa Piece badine sur l’Opéra, b, 177. Peinture des vices de notre siecle, 339

Parænæsis in Actores & Spectatores Comædiarum nostri temporis, a, lxxxj. & 535

Parfait. Son opinion sur nos Comédies, b, 380

Parlemens de France. Opinions de Montesquieu, d’Otman, & d’Oldemburge, a, 109

Parlement de Paris. Son portrait sous Charles VIII par Mezerai, a, 112. Son Arrêt du 22 Avril 1761, qui condamne l’Ouvrage du sieur Huerne de la Mothe, en faveur de la Comédie, 115 & 473. Son Arrêt du 20 Janvier 1765, où les représentations dramatiques sont défendues dans les Colleges, a, 118 & 490. Son Arrêt de 1540 cité relativement au motif de la taxe imposée pour les pauvres sur les Spectacles, 131. Son refus d’admettre des Comédiens Italiens, nommés Li Gelosi, b, 89

Pascal. Sa piété louée par Bayle, a, 514. Caractere de la Religion Chrétienne, b, 463

Passe (de). Ses Réflexions sur les Romans, b, 63. Sur les Ecrits amoureux, 70

Passions. Elles tiennent à notre existence, mais il faut en faire un bon usage, a, 15

Patelin. Idée des farces de son temps, b, 87

Paterculus. Caractere de César, a, 240

Pavillon (Etienne). Nécessité d’être vertueux dans la jeunesse, b, 442

Pavillon (Nicolas), Evêque d’Aleth. Idée de la vie de ce Prélat, b, 442

Paysan Perverti (le). Ce qui y est dit de nos Théatres, a, 603

Peletier (Louise-Charlotte-Léonarde le), Epouse de M. Henri-François de Paule Le Fevre d’Ormesson, Intendant des Finances. Notices relatives à la famille de Le Peletier, a, 322

Peres de l’Eglise. Comment les principaux ont été caractérisés par une Lettre attribuée à Clément XIV, b, 528. Combien leur lecture est à conseiller, même aux Laïques, a, 256 ; b, 529

Périgny (Claire-Eugénie {p. 598}le Picart de), Mere du Chancelier d’Aguesseau. Idée de ses vertus, a, 115

Philippe IV & Philippe V. Ils chasserent les Comédiens de l’Espagne, a, 484

Philippe de Néry (S.) Exposition de ses véritables sentimens sur les Spectacles, a, 430

Philosophie moderne. Son portrait par M. Gilbert, a, 143. Caractere de la vraie Philosophie, 315. Egaremens des faux Philosophes, b, 412, 508, 519, 530, 540

Pie VI. Son refus à l’égard de la permission que les Ecoliers d’un College de Rome lui avoient demandée pour représenter des Comédies, a, 432

Pieces dramatiques. Qualités qu’elles doivent avoir pour mériter l’applaudissement, a, 21-23. Celles qui passent pour les meilleures, sont presque toutes dangereuses, a, 47

Pierre (l’Abbé de S.) Ses idées sur la nécessité de réformer les Théatres, b, 268

Piété. Belle citation de Jean-Baptiste Rousseau, b, 548

Pineault. Citation d’un de ses Ouvrages pour la défense de la Religion, b, 541

Pizzi (Joachim), b, 422

Placette (Jean de la). Ses Réflexions sur les Spectacles, b, 198

Plaisirs. C’est dans leur choix qu’on fait connoître son naturel, b, 548

Platon. Son opinion contre la Poésie, b, 12. Sur la Musique & la Danse, 19

Pline. Distinction entre les différens Comédiens de son temps, a, 167. Quel est le prix d’un Roi digne de l’être, 316

Plutarque. Funestes effets des Spectacles d’Athenes, a, 57. Son sentiment sur les Spectacles, b, 326. Sagesse du Gouvernement de Sparte, 441. Fâcheuses influences de la volupté, 466. Effets attribués à la lecture de ses Vies des Hommes illustres, 471

Poésie. Pureté de son origine, & sa dégradation, b, 13. Belles pensées de la Mothe-Houdart sur les Poésies licencieuses, b, 191

Poésie dramatique. Idée & objet de cet Art, a, 68. Notices historiques sur l’origine, les progrès & la décadence de l’Art dramatique chez les Anciens {p. 599}& les Modernes, b, 1-100

Poëtes dramatiques. Combien il leur en coûte de peines & d’humiliations pour faire réussir leurs Drames, a, 18-21 ; b, 493. Ils veulent tous plaire au goût dépravé de la multitude, 404. Combien ils sont nuisibles aux mœurs, 358-362

Pompée, Son caractere, a, 240

Pompignan (M. le Franc de), Archevêque de Vienne. Citation de son Instruction Pastorale sur la prétendue Philosophie des Incrédules modernes, a, 132. Citation de ses Ouvrages sur la Religion, b, 527

Pompignan (le Franc, Marquis de), ancien Premier — Président de la Cour des Aides de Montauban, Sa Lettre à Louis Racine, b, 276. Idée des anciennes Tragédies Grecques, 375. Ce qu’il pense du contraste que présente le mélange des Drames réunis en une même représentation au Théatre François, 112. Mépris de nos faux Philosophes pour les Anciens, b, 412. Ses réflexions pour la réforme de notre Théatre, 425. sur le danger des Spectacles pour la jeunesse, 443. Portrait de notre siecle, 472

Pontac (de). Sa Réponse à la Reine, Femme de Louis XV, sur la licence de quelques Prélats relativement aux Spectacles, a, 62. Cité sur les Jeux Augustaux, 107

Porée (le P.) Portrait des Amateurs de nos Théatres, a, 251. Ses réflexions sur l’état de Comédien, 292. Son sentiment sur les représentations des Tragédies dans les Colleges des Jésuites, 486. Il y aura toujours des réclamations contre les Théatres, b, 190. Notice sur son Discours sur les Théatres, 201

Pouillac (de) Evêque de Lodeve, a, 596

Poupart, Curé de S. Eustache, b, 356

Powey (Charles), Anglois, b, 301

Pratique du Théatre, b, 112

Projet pour le rétablissement du Théatre François, b, 112

Promenades de Long-Champ dans la Semaine-Sainte, b, 453

Protestans. Leur morale {p. 600}sur la fréquentation des Spectacles est aussi exacte que celle des Catholiques, a, 59 ; b, 278-311

Pylade. Acteur Pantomime, b, 32, 561

Q

Querlon (Meusnier de). Sa définition du Théatre Italien, a, 80. Regles sur la Critique, 158. Idée d’un Discours sur le Maréchal de Catinat, & à cette occasion réflexions sur l’Eloquence, 249. Ses Réflexions sur les devoirs des premiers Magistrats, 471. Anecdote sur M. Soanen, Evêque de Sénez, b, 274. Son jugement sur nos Pieces dramatiques, 314. Son sentiment sur la Tragédie des Druides, 315. Comment le Théatre devient une école d’impiété, 323. Son sentiment sur le danger des Romans, 334. Caractere de ses Feuilles Hebdomadaires des Provinces, 336. Quand il a commencé & fini d’y travailler, 565. Mauvais goût de notre Théatre, 381. Son jugement sur les Lettres à Eugénie, 424. Ses réflexions judicieuses à l’occasion d’un Ouvrage du P. Richard, 429. Ses idées sur le Concert Spirituel & les Promenades de Long-Champ, 452. Ses réflexions sur le Colisée, 455. sur le Waux-Hall, 456. sur les suites funestes de la passion des Spectacles, 465. sur l’état d’un Journaliste à l’occasion de la mort de Fréron, 476. Ses réflexions sur les peines que les Poëtes dramatiques ont à faire admettre leurs Pieces par les Comédiens, 492. Son témoignage sur les Ouvrages des Incrédules modernes qu’il déclare avoir presque tous lus, 530. Combien les impies sont dangereux, 542. Notice sur l’usage des applaudissemens du Théatre, 558

Quinault. Dangers du fol amour, a, 8. Caractere de ses Poëmes, 82. Preuve de son repentir d’avoir travaillé pour le Théatre, 508

Quinte-Curce. Caractere {p. 601}des Scythes, a, 40.

Quintilien. Dangers des représentations, & même de la lecture des Pieces de Théatre, a, 27. Ce qu’il pensoit de la Musique lascive, 80. Utilité de la Musique, 81. Ce qu’il reprochoit aux Comédies d’Aristophane, 88. Son opinion sur les dangers des Spectacles, a, 95. Ce qu’il pensoit sur les exercices dramatiques des jeunes gens, 493

Quintius Capitolinus. Belle pensée de ce Romain, b, 331

R

Rabelleau, b, 402 & 416

Racine (Jean). Effets des représentations dramatiques, a, 26. Son repentir sur les sophismes qu’il avoit employés dans les égaremens de sa jeunesse en faveur des Spectacles, 309. Ses derniers & véritables sentimens sur les Spectacles, 312. Ce qu’il pensoit de ses Tragédies d’Athalie & d’Esther, 337. Preuves de son repentir d’avoir travaillé pour le Théatre, 508. Anecdote honorable à sa mémoire, b, 419

Racine (Louis). Dangers de la passion des Théatres, a, 67. Ne point employer la Poésie à irriter la folle passion de l’amour, 83. Désordres de l’incrédulité moderne, 143. Peinture des égaremens de l’homme, 301. Caractere de la Comédie, b, 9. Dégradation de la Poésie, 14. Devoirs de la Poésie, 18. Idée de ses Poëmes sur la Grace & sur la Religion, & notice sur sa Vie, 533

Radier (Dreux du). Extrait d’un Ouvrage de Rivet contre les Spectacles, b, 282

Radonvilliers (l’Abbé de), Son attention à manifester ses sentimens contre les Romans & les Comédies dans une Séance publique de l’Académie Françoise, b, 161. Son témoignage intéressant sur les vertus de Louis XVI, b, 171

Raimbert. Anecdote relative à une représentation faite à Auteuil de la Tragédie d’Attilie, a, 290

{p. 602}Raison de l’homme perfectionnée & élevée par la Religion, b, 507. L’empire des sens la dégrade, 543

Ramire. Extrait de son Ouvrage sur les Spectacles, b, 213

Ramsai (de). Témoignage honorable à la piété du Maréchal de Turenne, a, 302

Rapin (le P.) Caractere des Tragédies Françoises, a, 49

Réflexions sur les principales vérités de la Religion ; ce qui y est dit sur les Spectacles, b, 311

Réfutation d’un Ecrit favorisant la Comédie, b, 145

Réfutation des sentimens relâchés du nouveau Théologien touchant la Comédie, b, 146

Réglement donné par une Dame de haute qualité à Mademoiselle sa petite-fille, a, 230,

Religion chrétienne Idée qu’on doit avoir de ceux qui l’attaquent, a, 34. Motifs du respect & de l’attachement que l’on doit à la Religion, a, 37 ; b, 506, 544. Bons effets politiques qu’elle a produits, a, 143, 607. Nécessité de s’en instruire pour la défendre contre ceux qui l’attaquent, 528. Indication de plusieurs Ecrits pour la défense de la Religion, b, 537

Remy (Saint). Comment il appelloit les Rois, b, 414

Remontrances des Comédiens au Roi ; Piece fugitive, b, 551

Réponse à la Préface de la Tragédie de Judith, b, 184

Réponse aux Questions proposées sur les Spectacles, b, 203

Requisitoires (Extraits des) de M. Joly de Fleury, du 25 Janvier 1759 ; de M. Seguier, des 22 Avril 1761, & 18 Août 1770, a, 462, 466, 473

Riballier (l’Abbé). Son jugement sur la Tragédie des Druides, b, 321

Ricard, Professeur de Rhétorique au College d’Auxerre. Trait de son Discours, à l’occasion du mariage de Louis XVI, b, 169

Riccoboni (Louis). Ce qu’il pensoit des Théatres, quant à leur effet moral, a, 76. Ce qu’il pensoit de l’Opéra, 83. Que les plus belles sentences se corrompent par l’organe des Acteurs, 103. Citation de ses Réflexions historiques {p. 603}& critiques sur les différens Théatres de l’Europe, 122, 127 ; & b, 40. Ses Réflexions sur la mauvaise éducation, 387

Richard (l’Abbé). Anecdote relative aux Spectacles, a, 451. Cité sur les Spectacles de Rome, b 228-230

Richard (le P.), Dominicain. Citation de quelques-uns de ses Ouvrages, a, 122 ; b, 357, 428, 606

Richardson, b, 61

Richelet. Epigramme sur Hédelin d’Aubignac, b, 115

Richelieu (le Cardinal de). Blâmé sur son goût pour les Jeux Scéniques, b, 165

Rivet (André), Ministre Protestant, b, 281

Rochechouart (Guy de Seve de), Evêque d’Arras. Son Mandement sur la Comédie, a, 404. Autre touchant les Bals, 408. Sa défense aux Principaux des Colleges de prendre aucun Ecolier tonsuré pour être Acteur dans les Tragédies qui se représentoient à la fin de l’année, 427. Exposition de ses raisons pour la condamnation des Spectacles, 440. Son sentiment sur les représentations des Tragédies dans les Colleges, 484

Rochefoucault (le Duc de la). Dangers des Théatres, a, 45

Rois. Ce que leur caractere auguste exige ; leurs Courtisans sont intéressés à les corrompre, a, 340-346 ; b, 173, 175, 342-345

Rollin. Son sentiment sur l’usage des représentations de Tragédies dans les Colleges, a, 486. Abus de la Musique, b, 402

Romans. Notice historique de ce genre d’Ouvrages, b, 45-72, 327-340

Roque (l’Abbé de la). Son éloge des Discours du P. le Brun sur la Comédie, b, 150

Roquelaure (de), Evêque de Senlis. Sa prudence dans l’éloge qu’il fit de M. l’Abbé de Voisenon, à l’Académie Françoise, a, 429

Roscius. Caractere & effets de la déclamation, a, 24

Rosimond, b, 182

Rouzeau (l’Abbé du). Citation de son Eloge du Maréchal de Catinat, a, 302

Rousseau (Jean-Baptiste), Caractere & effets du fol amour, a, 8. Péril le plus à craindre, {p. 604}55. Tout ce qui se passe dans le monde, est comparé à une Piece de Théatre, 69. L’histoire comparée à un Spectacle dramatique, 70. Scenes du monde comparées à un Bal, 69. Effets de la mélancolie, 105. Source ordinaire des vices, 157. Hardiesse des calomniateurs, 160. Inconvéniens de la verve poétique, 266. Le bon esprit caractérisé, 336. Caractere de la belle Poésie, b, 485. Foiblesse de l’humanité, 489. Portrait de la jeunesse effrénée, 490. Sur l’infirmité humaine, 503. Son idée sur la cause des égaremens, a, 264. Corruption du siecle, b, 550. Portrait des faux Philosophes du siecle, 530. Corruption de la raison, b, 543, 544

Rousseau vengé, b, 550

Rousseau (Jean-Jacques). Caractere des Ouvrages de cet Auteur, a, 190, 306. Son hommage rendu à l’Evangile, 192. Pensées extraites de sa Lettre à M. Dalembert sur les Spectacles, 194-221. Ses idées sur le devoir des Sociétés Littéraires, 261. Ses réflexions sur l’état de Comédien, 269-283, 306. Caractere de la Tragédie, b, 8. Ses réflexions sur les Romans, 61-63. Critiques de sa Lettre à M. Dalembert, 195. Portrait des faux Philosophes, 508. Mauvais goût du Théatre Italien, 397. Son sentiment sur la Musique, & sur celle de nos Eglises, a, 585-587

Roustant (Antoine Jacques). Son témoignage sur la Lettre de M. J.J. Rousseau à M. Dalembert, b, 279

Rubin (le Comte Diego). Citation d’un de ses Ouvrages sur les Spectacles, b, 421

Rulfo (Paul). Notice d’un bon Ouvrage Latin qu’il a donné sur les Théatres modernes b, 242

S

Sabatier de Castres (l’Abbé). Citation de son Ouvrage intitulé : Les trois Siecles de notre Littérature, b, 278

Saint-Cyr (Maison Royale de). Il en a déjà été question dans cette Table, page 579 ; mais on a omis d’y {p. 605}indiquer la page 326 du premier Volume, où il en est aussi parlé.

Saint-Hibal. Mot de cet Incrédule, relativement à la foiblesse de ceux qui en santé font les Esprits-forts ; & ensuite réflexion de Bayle à ce sujet, b, 521

Sainte-Ecriture. Comment les Spectacles s’y trouvent condamnés, b, 102. C’est profaner les livres saints, que d’en tirer des sujets de représentations théatrales, 189, 368, 386. Abus scandaleux qu’on a osé faire de quelques faits de l’Ecriture Sainte, pour y trouver l’autorisation des Spectacles, 348-353. Comment on peut lire avec fruit l’Ecriture Sainte ; & ce qu’elle est à l’Eglise, 104. Combien elle est nécessaire pour l’instruction des Rois, a, 394

Sales (le Comte de). Son sentiment sur les Duels, a, 229

Sallier (l’Abbé), a, 524

Salluste. Talens dont il faisoit un sujet de honte à Sempronia, a, 55. Pensée sur l’état des Grands, b, 106

Salvien. Combien de son temps les Spectacles de Marseille étoient scandaleux, b, 39

Sanadon (le P.) Citation de l’épitaphe qu’il fit pour le Maréchal de Catinat, a, 302

Schomberg (le Maréchal de). Maniere dont il éleva sa fille, la Duchesse de Liancourt, a, 230

Scipion l’Emilien. Modele d’un militaire estimable, a, 241

Scuderi (George de), Auteur d’une Apologie du Théatre ; caractere de son esprit, b, 60, 113

Secousse, Curé de Saint Eustache, b, 356

Séguier (M.) Extrait de son Requisitoire du 18 Août 1770, a, 466. Utilité de la Religion chrétienne, b, 470. Dangers de nos Théatres pour la Religion, a, 469

Sempronia, a, 55

Séneque. Idée qu’il avoit de ceux qui fréquentoient les Théatres, a, 33. Ce qu’il pensoit des dangers des Théatres, 95. Sa critique contre la fureur des Romains pour les Pantomimes, b, 33. Sa pensée judicieuse qu’il n’y a pas de bonté à attacher à ce qui n’est que moins {p. 606}mauvais, 72. Supériorité que l’ame doit avoir pour contenir les sens, 103. Religion nécessaire au bonheur de l’homme, 427

Sens. Combien leur empire dégrade la raison, b, 543

Sentimens pour servir de décision sur la Comédie & les Comédiens, a, 124

Sentimens de l’Eglise & des SS. Peres sur la Comédie, b, 155

Simonet, b, 153

Simonide. Comment il appelloit la Danse & la Poésie, b, 448

Sixte V. Jugement que les Romains en portent, a, 518

Soanen, Evêque de Sénez. Egard qu’on doit avoir pour la défense que l’Eglise fait de fréquenter les Théatres, a, 402. Anecdote au sujet de son sermon contre les Théatres, b, 275

Sobriété (la) doit être une des vertus de l’Etat militaire, a, 601

Societés honnêtes. Leur agrément, a, 30-32

Solon. Ce qu’il pensoit des représentations de Thespis, b, 3

Sonnet de M. Godeau, Evêque de Vence, sur le Théatre, a, 456. Autre Sonnet d’un Comédien sur le même objet, 602

Sophocle. Surpassa Eschyle, b, 3

Souciet (le P.) Impossibilité de réformer le Théatre, b, 331

Souillac (Jean-George de) nommé à l’Evêché de Lodeve en 1732, & mort en 1750. Rectifier à cet égard la page 596 du premier volume, & les pages 596 & 598 de cette Table, où cet Evêque se trouve nommé par erreur, Pouillac. Cette même faute se trouve dans le Dictionnaire Ecclésiastique du P. Richard, tom. III, p. 958.

Spectacles. Peu de personnes sont en état d’y aller pour juger des Pieces, a, 21. Dangereux & condamnables par l’objet du plaisir qu’on y éprouve, 32. Ils sont faussement donnés pour une école de vertu ; ils sont l’écueil où viennent échouer les meilleures éducations, 42. Leurs effets sur les Spectateurs, a, 43-46. Condamnés par les Ministres Protestans, réguliers dans leurs mœurs, 181, b, 278-314. Condamnés par l’expérience & la {p. 607}raison, 428-448. Différence entre les Spectacles de la Cour & ceux des Théatres publics, a, 183. Impossibilité de justifier de bonne foi les Spectacles, 185. Les Spectacles & les mœurs sont choses inconciliables, 194. Citations de quelques événemens sinisties ou tumultueux arrivés aux Spectacles, 450-455 ; b, 489-497. Ce qui y attire le plus grand nombre des Spectateurs, 424. Les précautions dont on use pour les y contenir, prouvent qu’on a toujours à y craindre l’émotion que leurs passions y éprouvent, 490. Epoque de l’établissement des Spectacles à la Martinique & à la Guadeloupe, & les effets qu’ils ont produits, 600. Ils ne sont pas un besoin pour des Militaires vertueux, 601. Ils sont un nouveau moyen de corruption pour un pays déjà corrompu, a, 597

Spectateurs. Combien il y en a peu qui puissent être bons juges des Pieces dramatiques, a, 16, 17, 23 & 27-29 ; b, 494. Ce qu’ils vont chercher aux Spectacles, a, 32-34

Stobée. Cité sur le zele qu’on exigeoit à Athenes pour l’observation du rit national, a, 150

Stryck, Jurisconsulte. Dangers des Spectacles, a, 58. Citation d’une imposition mise en Flandres sur les Spectacles, au profit des Pauvres, 131. Autre citation, b, 163

Suart. Reproche fait à son Discours de Réception à l’Académie Françoise, b, 476

Sulpitius Pedicus. Fit venir d’Etrurie les Farceurs, b, 24

Swift, Caractere de cet Ecrivain Anglois ; son projet pour la réforme des Théatres, b, 425

Systême social. Idée de cet Ouvrage, b, 428. Ce qui y est dit contre les Spectacles, & sur la mauvaise éducation des filles de notre temps, a, 500 ; b, 430

T

Tacite. Citation des deux éditions de cet Historien, données par M. l’Abbé Brotier, a, 607. Utilité de la morale de Tacite, {p. 608}608. Mœurs sages des anciens Germains, a, 31. Leur pureté attribuée à leur éloignement des Spectacles, 60. Impression de la vertu sur les méchans mêmes, 65. Sa critique de la fureur des Grands de Rome pour les jeux de Théatre, 491. Influences des Spectacles sur les mœurs, 608. Décret du Sénat pour empêcher les Sénateurs de fréquenter les Ecoles des Pantomimes ; b, 33. Opposition des Sages de Rome à l’établissement des Spectacles, b, ibid. Siecles où la vertu a son prix, 472.

Talbert, Chanoine de Besançon. Réfutation d’un endroit de son Eloge de M. Bossuet, b, 158

Talens (les). Souvent plus nuisibles que profitables, a, 12

Tassin (Dom), Bénédictin, b, 355

Térence, Caractere & effets du fol amour, a, 11

Terrasson (l’Abbé). Ses écarts en faveur des Théatres, b, 350

Tertullien. Motifs & effets des Spectacles voluptueux, a, 33. Efforts de l’ignorance pour justifier ce qui est défendu, 190 ; b, 256

Testament spirituel, ou derniers adieux d’un Pere mourant à ses enfans, a, 606

Théatres. Caractere des Ouvrages de Théatre, & l’incertitude de leurs succes, a, 19. Ce qui y attire la plupart des Spectateurs, 27. Leurs dangers, 45. Défauts de nos Tragédies, 49. Ils sont condamnés par les Ministres Luthériens & Calvinistes, 59. Combien ils sont dangereux aux femmes, 55. Caractere de la prétendue pureté de nos Pieces de Théatres, 84. Reproche fait à notre Théatre de joindre presque toujours les Pieces les plus scandaleuses à celles qu’on appelle saintes, 87. L’art de nos Pieces de Théatre consiste à embellir les vices, 90. Caractérisés par la Mothe Houdart, 103 ; b, 99. Motifs qui en éloignent les Sages, a, 105, 119. Citation non suspecte, qui prouve que le suffrage des personnes vertueuses n’est pas celui que les Poëtes dramatiques cherchent {p. 609}à se concilier, b, 546. Anecdote très-défavorable aux Théatres, b, 299. Reproches qui leur ont été faits d’avoir fortifié & étendu l’incrédulité, a, 133, 469 ; b, 324, 414. Nos jeux de Théatre inférieurs à ceux des beaux temps d’Athenes, a, 168. Faux préjugés sur les Théatres de Rome moderne, 120, 432 ; b, 229-259. Le goût des Théatres a corrompu les anciens Empires, a, 297. Motifs qui dans les Etats anciens & modernes ont porté le Gouvernement civil à les tolérer, 284-297 ; b, 324, 557. Raisons qui condamnent les Théatres, a, 440. Passage de Tacite, où il est dit que Néron porta le dernier coup aux mœurs, en communiquant aux jeunes gens sa passion pour les Théatres, 491. Difficultés que l’établissement du Théatre de la Comédie Françoise éprouva de la part de MM. de Sorbone & de plusieurs Curés, 516. Condamnés par la nature, la raison & l’expérience, b, 430-438. Influences respectives des mœurs sur les Théatres, & des Théatres sur les mœurs, 329. Corruption des Théatres, & dangers de leur fréquentation comparés à la description que M. Dorat a faite de l’air envenimé de Paris, 338. Défauts de nos Pieces de Théatre, tant pour la morale que pour leur constitution littéraire, 374-387. Il est indécent d’y représenter des sujets saints, 384. Représentations domestiques des Pieces de Théatre ; leurs dangers, 405, 465. Combien peu ils sont propres à corriger les mœurs, 423. La devise que Santeuil a faite pour la Comédie n’est pas fondée, ibid. Il y est aussi parlé d’autres devises proposées pour le Théatre de Rouen, ibid. Réglemens des Empereurs Julien & Théodore pour modérer les excés du Théatre, 563

Théatre Grec. Il n’est pas facile de le juger, b, 91

Théatre François. Divisé en trois livres, &c. b, 126

Théatre (de l’art du), b, 393

Theatrum modernum, auctore {p. 610}Paulo Rulfo, b, 242

Théodoric. La difficulté qu’il eut à supprimer les Spectacles, a, 126

Thespis. Passe pour être l’inventeur du genre dramatique, b, 2

Thomas (Saint). Examen de ses sentimens sur les Spectacles, a, 162

Thou (de). Son éloge du brave La Noue, a, 228

Tillet (Anne Louise du), veuve de M. Marie-François de Paule Le Fevre d’Ormesson, mort le 7 Novembre 1775, a, 325

Tite-Live. Notice sur les Comédiens dans les différens âges de l’Empire Romain, a, 285. Citation d’un Sénatus-Consulte pour la démolition d’un Théatre de Rome, 297. Caractere de cet Historien, b, 24. Cité sur l’origine des Histrions chez les Romains, 25. Sur les Acteurs Atellanes, 30. Idée des mœurs des Magistrats de Rome, sous le Consulat de Posthumius Albinus, 374

Torcy (le Marquis de), Secretaire d’Etat. Usage qu’il faisoit de l’Ecriture-Sainte, b, 105. Pensée de son Eloge par M. de Fouchy, ibid.

Tourneur (le). Caractere de sa Traduction des Nuits d’Young, b, 507

Tracy (le P.), Théatin. Cité à l’occasion de l’Ouvrage de François-Marie del Monaco, b, 123

Tragédies Grecques. Supériorité des anciennes Tragédies Grecques sur les nôtres, b, 375

Tragédies de Colleges. Leurs inconvéniens, a, 486

Trebuchet, b, 356

Trémoille (Marie de la Tour, Duchesse de la), citée en témoignage contre les Spectacles, b, 180

Trissino, b, 100

Tronchon. Epitaphe de Jean Racine, a, 510

Turenne (le Vicomte de). Idée de la vie de ce grand Général, a, 302

Tributs. Nécessité de leur imposition pour les vrais besoins politiques, a, 608

U

Université de Paris. Extraits de ses Statuts sur la distribution des Prix à la fin {p. 611}de l’année, a, 490. Articles de ses Statuts touchant les Jeux de Théatres, ibid.

Utilité des Spectacles, Discours en Vers, par M. Armand. Fausses assertions de ce discours, a, 598

V

Vair (du), Garde des Sceaux. Il défendit aux Principaux des Colleges d’exercer les jeunes gens à des représentations dramatiques, a, 492

Valere Maxime. Opposition des anciens habitans de la ville de Marseille pour les Spectacles, a, 86. Idée des mœurs des anciens Romains, 297

Valeur. Ne point confondre l’abus du courage avec le courage, a, 239. Sentiment de Louis XVI sur la valeur vraiment recommandable, b, 557

Valincourt (de). Son attention à exposer les sentimens de Boileau Despréaux sur les dangers des Théatres, b, 160

Varron. Ses plaintes de la mauvaise éducation des jeunes filles de son temps, a, 499

Vatry (l’Abbé), Sur l’origine de la Comédie, b, 9

Verenfels (Samuel). Citation d’un de ses Discours sur les Spectacles, b, 295

Veri Sentimenti di S. Filippo de Neri intorno al Teatro, b, 228. Notice sur cet Ouvrage, a, 431. Citation qui établit l’exactitude des bons Confesseurs d’Italie à ne point tolérer la fréquentation des Spectacles, 433

Veri Sentimenti di Santo Carlo Borromæo intorno al Teatro, b, 227

Veri Sentimenti di San Francesco di Sales, b, 228

Vérités dont la lueur fut inutile aux Payens, b, 526

Vernis des vieux âges. Nécessité d’en avoir une teinte, b, 420

Vertus. Supériorité des vertus chrétiennes sur celles des Payens, b, 468

Vices (les). Toujours déguisés sur le Théatre, a, 39

Villedieu (Madame de), Ce qu’il faut penser des instructions données {p. 612}par les portraits des vices, b, 325. Il en résulte que le Drame que M. Falbaire de Quingey a donné sous le titre de l’Ecole des Mœurs, & qui fut représentée sans succès le 13 Mai 1776 à la Comédie Françoise, ne méritoit point le titre d’Ecole des Mœurs.

Villiers (l’Abbé de), Auteur de la vie de Louis, Dauphin de France, Pere de Louis XVI, b, 170

Villiers (Pierre de), de l’Ordre de Clugny. Singularité de son caractere, b, 186

Vincent (Philippe), b, 287

Virgile. Funestes effets de la passion de l’amour, a, 4. Dangers & effets du sol amour, 10. Suites d’une folle passion conçue & contredite, 29. Réserve à se mêler de certaines contestations, 111

Vite (la) civile, b, 293

Voisenon (l’Abbé de), b, 174. Comment il a été loué par M. de Boisgelin, Archevêque d’Aix, & M. de Roquelaure, Evêque de Senlis, a, 429

Voisin. Sa défense du Traité de M. le Prince de Conti sur la Comédie, b, 145

Voltaire (de), b, 182, 195, 541. Caractere des Ouvrages de la Marquise de Lambert, a, 35. Définition des Petits-Maîtres, 43. Ses plaintes sur l’usage de la passion de l’amour dans les Tragédies Françoises, 49. D’où dérivent les discours tendres & passionnés, 50. Excès de son attachement à la le Couvreur, 53, 266. Ses fausses idées sur les Spectacles, 58. Son jugement du Discours de M. Bossuet, Evêque de Meaux, sur l’Histoire Universelle, 61. Comment il appelle les Ecclésiastiques d’une conduite équivoque, 63. Caractere des François, 72. Sa description de l’Opéra, 78. Son aveu sur la nécessité où le Poëte est de se conformer au goût du public pour la licence, 89. Son opinion sur le suicide, 92. Ses fausses idées sur l’éloignement que les bons Magistrats ont pour la fréquentation des Théatres, 106. Sa ridicule opinion contre les ennemis des Spectacles, 130. Son fanatisme contre ceux qui n’approuvent point les Théatres, {p. 613}131. Son sentiment sur le caractere dominant de nos Drames, b, 330. Anecdotes sur Louis XIV, 393. Citation de quelques Vers de son Epître à M. Turgot, ancien Contrôleur-Général des Finances, 461. Son opinion sur la nécessité des Spectacles pour empêcher des crimes, 463. Sa conduite a donné des preuves du peu de confiance que l’on doit avoir aux signes de repentir que les Incrédules donnent dans des maladies sérieuses ; on cite pour exemple l’Ode qu’il fit en pareille circonstance, 523. Indication de quelques Ecrits qui ont relevé ses erreurs & ses variations, 525 & 550. Anecdotes sur son couronnement à la Comédie Françoise, sur sa mort, & sur son inhumation, a, lxxxij.

Volupté (Ode sur la) b, 486. Fable de M. Gellert, sur la séduction de la volupté, 497

Wossius (Gerard Jean). Son jugement sur les Drames, dont les sujets sont tirés de l’Ecriture Sainte, b, 188

W

Wallius (Jean). Son opinion sur la cause du retard de l’emploi de la Langue Françoise dans les actes publics, b, 47

Waux-hall. Idée de ce Spectacle, petite piéce de vers à ce sujet, a, lvij, & b, 455

X

Ximenés (de) b, 195.

Y

Yart. Cet Auteur n’accorde pas à la Comédie l’honneur de corriger les mœurs en riant, b, 193

Young. Pensée énergique sur la maniere dont on doit supporter l’affliction, 503. Belles pensées sur le mystere de la Rédemption, 506

{p. 614}Z

Zozzint (Mariana). Son sentiment sur les jeux de Théatre, a, 433

Zucchino (Stephani). Ce qu’il pense des Spectacles de Rome, b, 227

Zurlauben (le Baron de). Citation d’un Ouvrage qu’il a donné à l’occasion du mariage de Louis XVI, b, 168