Nicolas de La Mare

1705

Traité de la police

Édition de Thomas Soury
2016
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2016, license cc.
Source : Nicolas de La Mare, Des spectacles in Traité de la police, où l'on trouvera l'Histoire de son établissement, les fonctions et les prérogatives de ses magistrats, toutes les lois et tous les règlements qui la concernent, Paris, Jean et Pierre Cot, 1705, t. 1, p. 433-445.
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

[FRONTISPICE] §

TRAITE
de
LA POLICE,
Où l'on trouvera
l'histoire de son établissement,
les fonctions et les prérogatives
de ses magistrats,
toutes les loix et tous les reglemens

qui la concernent:
On y a joint
une description historique et topographique de paris [...]
avec un recueil
de tous les statuts et reglemens des six corps de marchands [...]

TOME PREMIER

A PARIS
Chez Jean et Pierre Cot, ruë Saint Jacques, à l'entrée de ...
à la Minerve
M. DCC. V.
avec privilege du roy.

{p. 433}

TITRE III.
Des Spectacles. §

CHAPITRE PREMIER.
Des Spectacles anciens, leur origine, leur division, leurs dérèglements, et les Lois qui ont été faites pour les réformer. §

TousOnuphr. Panvin. de ludis sæcul. Julius Cæsar Scaliger in 1. lib. poéticis. Hier. Mercurial. in art. gymnastica, et variis lectio. Cicer. lib. 2. de Leg Polid Virgil. l. 1. c. 10. et 11. Rosin. Roman. antiq. l. 5. de ludis. les spectacles des Anciens étaient divisés en jeux de théâtre, θεατείκοι, et en jeux gymnastiques, γυμναϛιχοι ; ou selon les Latins en jeux qui se représentent sur la scène, ou qui s’exercent dans le cirque, scenici, et circenses, ce qui revient à la même signification du Grec. Ils subdivisaient ensuite les jeux de théâtre en Tragédie, Comédie, Mimes et Pantomimes ; et les jeux du Cirque en combats de différentes espèces, luttes, courses à pied, à cheval ou dans des chars, et en autres exercices du corps, soit par des personnes libres, ou par des Gladiateurs, et quelquefois par ceux-ci contre les bêtes féroces.

LaAnte Christ. 1308. Tragédie fut inventée par Icace qui régnait dans l’Attique vers l’an du Monde 2700. Ce n’était originairement qu’un poème que l’on chantait en dansant en l’honneur de Bacchus, et après lui avoir immolé un bouc. Les Grecs choisirent cet animal pour victime, parce qu’il fait un fort grand dégât des vignes, qui étaient selon eux sous la protection de Bacchus. Ce poème et ce sacrifice furent nommés Tragodie, et depuis par adoucissement Tragédie, de ces deux mots, τράγος, bouc, et ὠδὴ chanson. Les Athéniens y ajoutèrent des chœurs de musique et des danses réglées. ThespisAnt. Ch. 524. y introduisit un Acteur vers l’an du Monde 3530. et quelques-autres depuis les augmentèrent jusqu’à trois. Ceux-ci mêlèrent au chant et aux danses les récits d’actions héroïques, tirés de l’Histoire ou de la Fable : tout cela se fit d’abord sans beaucoup d’appareil et sans qu’aucun lieu y fut singulièrement destiné. Les Athéniens furent les premiers qui inventèrent la commodité du théâtre et la pompe des décorations, qui rendirent l’action beaucoup plus commode et plus magnifique. La Tragédie se perfectionna toujours de plus en plus ; on lui donna des règles, et la principale fut de n’y admettre que des personnages distingués par leur rang, leur vertu, et par la triste et funeste fin de leur aventure, ou de leur vie.

La Comédie nous vient aussi des Grecs : Jules César Scaliger, et quelques-autres l’estiment plus ancienne que la Tragédie, et d’autres au contraire, qu’elle est plus nouvelle. C’est une pièce de théâtre où l’on représente les actions du peuple et les événements ordinaires de la vie commune. Elle eut encore de plus faibles commencements que la Tragédie ; ce ne furent d’abord que des chansons pleines de railleries et de médisances, qui se chantaient dans les places publiques des Bourgs et des Villages. Le nom de Comédie qui lui fut donné, et qu’elle porte encore aujourd’hui, nous marque assez cette origine. Il fut composé de ces deux mots, κώμη, Village ; ὠδὴ, chanson. L’on y ajouta bientôt des Acteurs, et alors la Comédie eut ses personnages, et ses sujets déterminés ainsi que la Tragédie.

Les Grecs ont varié trois fois dans leurs représentations comiques ; ce qui a distingué leurs Comédies en vieille, moyenne et nouvelle.

Dans les vieilles Comédies, en reprenant les vices, ils apostrophaient les personnes et les appelaient par leur nom, sans aucun déguisement. Eupolis, Cratinus et Aristophane s’étaient rendus formidables par cette méthode. Ils reprenaient avec une entière liberté, dit Horace, tous ceux qui méritaient d’être notés pour leurs malices, leurs rapines, leurs débauches, et leurs autres crimes. Cette manière de dire les vérités était assez du goût du peuple, et n’était pas désagréable à la plus grande partie des personnes de qualité. On s’en lassa néanmoins par le scandale et les animosités que cela causait. Alcibiade fit publier dans Athènes une Ordonnance vers l’an du Monde 3647. avant J.C. 407. qui défendit à tous Poètes de nommer les personnes dans leurs pièces comiques.

Cette Loi donna naissance à l’autre espèce de Comédie que l’on a nommée moyenne ; elle consistait à représenter des actions véritables sans nommer les personnes. Ce fut le même Aristophane qui l’inventa : Philémon, Platon le Comique, et plusieurs autres à son imitation prirent cet honnête milieu entre la sévérité de nommer les coupables, et la complaisance de dissimuler les vices ; il y avait encore beaucoup à redire à cette méthode : tous ceux qui avaient eu part à l’action véritable qui était représentée, ne laissaient pas de s’en offenser quoiqu’ils ne fussent point nommés. Il arrivait même souvent que la malignité qui accompagne toujours la satyre, les indiquait par des portraits si vifs et si naturels, qu’il était presque impossible de les méconnaître. Cela donna lieu à une seconde réforme de la Comédie, qui consistait à n’y représenter que des sujets feints et sous des noms inventés. Ménandre en fut l’Auteur, ou du moins celui qui la mit en crédit par son habileté à y réussir. Ce fut celle-ci qu’ils nommèrent Comédie nouvelle, et dont ils conservèrent l’usage.

LesPlut. Sympos. l. 7. Athen. l. 1. et 11. Lucian. de Pantomim. Mimes étaient certains Bouffons qui divertissaient le peuple dans les maisons particulières, ou en public, par des postures ridicules. {p. 434}Les plus habiles d’entr’eux avaient aussi l’adresse d’exprimer par des gesticulations ingénieuses du corps, des doigts et des yeux, les principales actions d’une Comédie. Ceux qui excellaient dans cette Profession furent nommés Pantomimes, de ces deux mots παντὸ, tout, μϊμος, imitateur. Ils paraissaient quelquefois sur le théâtre dans les intermèdes, pour divertir et amuser le peuple, pendant que les Acteurs se reposaient ; et ils jouaient une espèce de Comédie muette, représentant par leurs gestes ce qui se devait jouer dans l’Acte suivant.

IlsBuleng. dans son théâtre. Spon. recherches curieuses d’antiq. avaient aussi des Danseurs de corde qu’ils nommaient Schœnobates, de χοίνος, corde, et βάτης, qui dans la composition signifie celui qui marche. Ceux-ci exerçaient leur art de quatre différentes manières. Les premiers voltigeaient autour d’une corde, comme une roue autour de son essieu, et s’y suspendaient par les pieds ou par le cou : les seconds y volaient de haut en bas, appuyés sur l’estomac, ayant les bras et les jambes étendus. Les troisièmes couraient sur la corde tendue en droite ligne, ou de haut en bas : les derniers enfin non seulement marchaient sur une corde, mais ils y faisaient aussi des sauts périlleux, et plusieurs autres tours de subtilité du corps.

Tous ces jeux passèrent de la Grèce en Italie, mais en différents temps. Les Gymnastiques y furent apportés par Enée, lorsqu’il s’y établit avec sa Colonie de Troyens fugitifs. Romulus les augmenta, et Tarquin l’ancien fit construire le grand Cirque pour les représenter plus commodément, et avec plus de magnificence. Les jeux de théâtre moins conformes à l’humeur austère et martiale des Romains n’y furent admis que l’an 389. de la fondation de Rome. Une peste qui ravageait alors l’Italie en fournit l’occasion. Ces Peuples idolâtres et superstitieux jusqu’à l’excès, crurent qu’en représentant ces jeux en l’honneur de leurs fausses Divinités, cela les appaiserait, et ferait cesser le fléau.

Les uns et les autres firent des progrès à proportion que l’Etat devint plus florissant ; ils en instituèrent en l’honneur de Jupiter, d’Apollon, de Neptune, de Mars, de Cérès, de Cybèle, de Flore et de leurs autres principales Divinités. Les Magistrats en faisaient représenter avant que d’entreprendre une guerre, ou en action de grâces d’une bataille gagnée, ou de quelqu’autre événement favorable. Ils en célébraient la dernière année de chacun des siècles. Les Grands et les riches en donnaient aux pompes funèbres de leurs parents, dans cette pensée, que le sang de leurs Esclaves gladiateurs qu’ils y faisaient répandre, et la vie que ces malheureux y perdaient, étaient autant de sacrifices agréables aux Mânes des défunts. Il y en eut enfin qui n’avaient d’autre objet que l’exercice du corps et le pur divertissement.

Ainsi après avoir divisé leurs spectacles selon leur matière, en jeux de théâtre et jeux du cirque : ils les divisèrent ensuite par rapport à leur fin, en jeux sacrés, jeux votifs, jeux funèbres et jeux de plaisir. Inter ludos sacros, votivos, funebres et ludicros.

IlsPlut. des quest. Romain. Suet. in Domit. c. 7. Plin. Panegy. Isid de Sevill. l. 38. des orig. c. 48. conservèrent aussi l’usage des Mimes et des Pantomimes sous ces mêmes noms Grecs, et celui des Danseurs de corde qu’ils nommèrent, Funambuli, de funis corde, et ambulo je marche ; et ils ajoutèrent enfin à tous ceux-ci les Histrions, qui joignaient des récits de vive voix aux postures et aux gesticulations des Mimes : ce nom fut donné à ces derniers, selon quelques-uns, parce qu’ils étaient venus de l’Histrie, ou selon d’autres, dont Plutarque est du nombre, parce que celui qui inventa cette sorte de jeux se nommait Hista, et qu’il fit passer son nom à tous ceux de sa profession.

Quoique par une superstition affreuse ces Anciens engagés dans l’erreur du Paganisme, fissent entrer la Religion dans tous ces spectacles profanes, ils ne s’y comportaient pas néanmoins avec plus de sagesse, d’humanité et de modestie ; les nudités, les paroles et les postures impudiques, l’effusion du sang des Acteurs, la perte de leur vie, les cruels combats contre les bêtes féroces en faisaient souvent les principales circonstances, et selon eux les plus grands agréments.

AussiPlut. de glor. Athen. Id. in Peric. Idem de instit. Lacon. Arist. Polit. l. 7 c. 17. Cicer. pro Quint. Idem de Rep. l. 4. Tit. Liv. l. 24. c. 24. Herodian. in Heliogabal. Tertul. de spectacul. S. Chrysost. homil. passim. S. Isidor. Damiet. Ep. 3. et 5. de discip. Eccles. les plus sages des Païens condamnaient-ils ces dérèglements outrés, et par leur exemple aussi bien que par leurs paroles, ils portaient leurs Concitoyens à s’éloigner de ces cruels et de ces funestes divertissements. Les Lacédémoniens par ces considérations en abolirent même totalement l’usage dans leur République.

Depuis la naissance du Christianisme, ces spectacles et ces jeux se trouvèrent encore beaucoup moins compatibles avec la sainteté de notre Religion et la pureté de nos mœurs. Une abolition totale aurait été néanmoins difficile et peut-être dangereuse. Les Païens qui composaient encore le plus grand nombre du Peuple, auraient eu peine à la souffrir, et cette condescendance que l’on avait pour eux, pouvait être d’ailleurs un attrait pour leur conversion. C’était encore, disait-on, un amusement qui les empêchait de commettre de plus grands crimes, et qui les détournait des cabales et des conspirations. Ainsi l’Eglise se contenta d’abord d’en blâmer l’exercice, et d’en découvrir aux Chrétiens tous les écueils pour les en détourner. Et les Empereurs ne purent faire autre chose de leur part, que d’en diminuer le nombre et d’en réformer les abus les plus grossiers.

CeL. 1. Magist. C. Theod. de Spectac. fut dans cet esprit de réduction que Valentinien, Valens, et Gratien par une Loi de l’an 372. « ordonnèrent que les jeux seraient seulement représentés dans les Villes où ils avaient été établis d’antiquité, » et défendirent de les transférer en d’autres lieux.

La présence des Magistrats autorisait ordinairement la licence et les autres désordres du théâtre et du cirque. Les jeux étaient attachés à certains jours des mois, et ces jours tombaient quelquefois au Dimanche ; la représentation commençait dès le grand matin jusqu’à midi, recommençait après dîner jusqu’à l’entrée de la nuit ; et la licence était toujours beaucoup plus grande à la fin qu’au commencement : les dépenses enfin y étaient excessives, et c’était à qui en donnerait de plus extraordinaires et de plus magnifiques.

Théodose,L. 2. Nullus C. Theod. de spectacul. Gratien et Valentinien firent cesser tous ces inconvénients par une Loi du 19. Mai de l’an 386. Elle fait défenses à tous Juges de se trouver aux jeux publics, « soit du théâtre, soit du cirque, sinon lorsqu’ils seront donnés pour célébrer le jour de la naissance des Empereurs, ou celui de leur avènement à l’Empire. Elle leur défend même en ces jours d’y assister l’après-dîner. Elle ordonne que la dépense en sera réglée par les Consuls, et fait défenses à tous autres Juges d’en connaître. Elle défend enfin d’en représenter aucuns le jour du Dimanche, pour ne pas confondre, dit cette Loi, une solennité toute divine avec {p. 435}ces spectacles profanes. »

EntreL. 1. Clement. C. Th. de Majuma, et ibi Gothofred. les spectacles il y en avait un qu’ils nommaient Majuma, qui était rempli d’obscénités. L’Empereur Constance le défendit par une Loi dont Libanius et S. Chrysostome font mention, et que nous n’avons point. Julien l’Apostat et Valentinien son successeur, pour satisfaire le Peuple, en tolérèrent le rétablissement. Théodose le souffrit pendant quelque temps, et sur la fin de son règne le défendit. Honorius et Arcadius importunés par le Peuple en ordonnèrent le rétablissement, par une Loi du vingt-quatre Avril 396. mais à « condition de n’y rien représenter qui put blesser la pudeur, ou qui fut en quelque autre manière contre les bonnes mœurs. »

LeL. 2. Ludius C. Th. de Majuma, et ibi Gothofred. purger ainsi de ce qu’il avait de mauvais, c’était véritablement l’interdire ; car tout ce qu’il y avait de plus sale et de plus honteux, en faisait l’essentiel : il parut néanmoins en vertu de cette Loi, mais toujours accompagné de ces mêmes ordures ; ce qui le fit enfin totalement abolir par une Loi des mêmes Princes, du mois d’Octobre 399.

Par cette même Loi, pour ne pas jeter le Peuple dans la tristesse, par une trop grande austérité sur cette matière des spectacles, ne ex nimia harum restrictione tristitia generetur ; ils permirent la représentation des autres jeux, à condition d’en retrancher toutes sortes de licences contraires à l’honnêteté, et aux bonnes mœurs.

La Loi qui interdisait les spectacles le jour du Dimanche, ne faisait aucune mention des Fêtes, on les y avait sans doute sous-entendues ; quelques-uns prétendirent qu’elles n’y étaient pas comprises ; les Juifs et les Païens soutenaient, que du moins à leur égard ces Lois, qui avaient pour fondement le Christianisme,L. 5. Dominic. C. Th. de spectaculis. ne les regardaient point, et s’émancipaient d’y contrevenir ; cela donna lieu à une Loi de Théodose le Jeune, et de Valentinien de l’an 425. « Elle porte de nouvelles défenses, de représenter aucuns jeux, soit du théâtre, soit du cirque le jour du Dimanche, et y ajoute les jours de Noël, de l’Epiphanie, de Pâques, les cinquante jours d’entre Pâques et la Pentecôte, et les Fêtes des Apostres, afin, dit cette Loi, qu’en ces saints jours, le Peuple n’étant point distrait par des plaisirs profanes, put appliquer tout son esprit au service de Dieu. Et elle ordonne, que les Juifs et les Païens seront soumis à ces dispositions. »

EnfinRosin. Rom. ant. l. 5. c. 24. Théodoric Roi des Goths s’étant rendu le Maître de l’Italie l’an 493. y abolit les combats cruels, et sanglants du cirque, tous les autres Princes Chrétiens en ont fait autant dans leurs Etats ; et de ces spectacles des Anciens ; il n’est plus resté que ceux du Théâtre.

CHAPITRE II.
De l’origine des Histrions, des Troubadours, des Jongleurs, et des autres petits spectacles qui ont précédé en France l’établissement des grandes pièces de Théâtre, et des Règlements qui les ont disciplinés. §

LesAix, Nîmes, Bourges, et quelques autres. Cirques et les Amphithéâtres, dont on montre encore aujourd’hui les débris dans les principales Villes de France, qui ont été les premières sous la domination des Romains, ne laissent aucun lieu de douter, qu’après leurs conquêtes des Gaules, ils y établirent tous les jeux, et tous les spectacles qui étaient en usage à Rome.

La décadence de l’Empire, au commencement du cinquième siècle, attira celle de ces mêmes jeux, et les ensevelit, pour ainsi dire, sous les ruines des lieux où ils avaient été autrefois représentés. Les armes victorieuses des Français, des Bourguignons, et des autres Conquérants, qui en partagèrent les Provinces entr’eux, donnèrent bien d’autres spectacles à l’Europe.

Nos premiers Rois tout occupés à conserver, ou à étendre leurs conquêtes, et à s’affermir sur leur nouveau Trône, plus souvent à la tête de leurs Armées que dans leurs Palais, négligèrent longtemps les jeux et les plaisirs, qui ne sont ordinairement que les fruits d’une heureuse et parfaite tranquillité.

De là vient que dans leurs Ordonnances, il n’est fait mention que des seuls Histrions ou Farceurs, les plus méprisables de tous les spectacles anciens. Ceux-ci qui n’étaient attachés à aucun lieu permanent, continuèrent à courir le monde, et à représenter leurs bouffonneries dans les Places publiques, ou dans les maisons des particuliers qui les y appelaient pour s’y donner ce plaisir. Ils ne furent pas longtemps sans abuser de cette liberté ; les obscénités et les insolences qu’ils mêlerent dans leurs récits et dans leurs postures, les rendirent enfin odieux, et attirèrent également contr’eux l’indignation de l’une et de l’autre des deux Puissances, la spirituelle et la temporelle.

CharlemagneCap. Reg. Fr. tom. 1. col. 229. art. 44. par une Ordonnance de l’an 789. les mit au nombre des personnes infâmes, et auxquelles il n’était pas permis de former aucune accusation en Justice.

Les Conciles de Mayence, de Tours, de Reims, et de Châlon-sur-Saone qui furent tenus l’an 813. défendirent aux Evêques, aux Prêtres et aux autres Ecclésiastiques, d’assister à aucuns de ces spectacles ; à peine de suspension, et d’être mis en pénitence.

CharlemagneIbid. add. 3. col. 1163. et 1170. autorisa cette disposition par une Ordonnance de la même année ; elle est fondée sur ce motif, que pour se conserver l’âme pure de tous vices, il fallait éviter de voir ou d’entendre les insolences de ces jeux sales et honteux des Histrions. Histrionum turpium et obscœnorum insolentias jocorum : c’est ainsi que ce Prince les qualifie.

Ils furent enfin tellement décriés, que l’usage en était aboli, lorsque Hugues Capet parvint à la Couronne ; du moins nous ne trouvons plus que depuis ce temps il en soit fait aucune mention.

{p. 436}A ces Farceurs succédèrent les Trouvères ou Troubadours ; les Conteours et les Jugleours ; ces noms nous en découvrent assez l’origine, quand l’histoire serait demeurée sur cela dans le silence : ils sont Provençaux, et tous ceux de ces professions venaient en effet de cette Province, et se répandirent dans toutes les autres parties de la France.

Les Trouvères ou Trouveours, composaient en vers des sujets tirés de l’histoire des Grands Hommes, qu’ils nommaient leurs Gestes, du Latin, Gesta ; ils y mêlaient quelquefois la Satyre contre les vices, ou les éloges de la vertu. D’autrefois ils les composaient de contes fabuleux, ou de Dialogues entre des Amants ; ce qu’ils nommaient Tensons, syruentes Fabliaux, ou disputes d’amours : ils récitaient eux-mêmes les vers de leur composition, ou les faisaient chanter par les Chanteours ou Chantres.

LesNostradamus hist. de Prov. Specul. historial. Vincent. Fauchet, de la langue et poës. Franç. l. 1. c. 8. Pasquier l. 7. c. 4. Conteours ou Conteurs inventaient des Historiettes en prose qui ont été imitées par Boccace, et comme sont aujourd’hui nos contes des Fées ; et les Jongleours ou Jongleurs jouaient des instruments. Ainsi pour se rendre plus agréables, ils se joignaient souvent ensemble, et se trouvaient aux grandes assemblées, pour divertir ceux qui voulaient les employer. Les Princes et les Grands Seigneurs se donnaient souvent ce plaisir, et leur faisaient de riches présents.

LesFauchet ibid. Pasquier ibid. plus habiles d’entre les Trouveours, qui étaient les Poètes de ce temps, et les chefs de cette troupe moururent ; d’autres leur succédèrent, mais fort incapables. Dans ce débris tous ceux de cette profession se séparèrent en deux différentes espèces d’Acteurs ; les uns sous l’ancien nom de Jongleurs, joignirent aux instruments le chant, ou le récit des vers. Les autres prirent simplement le nom de Joueurs, Joculatores, c’est ainsi qu’ils sont nommés dans les anciennes Ordonnances. Tous les jeux de ceux-ci consistaient en gesticulations, tours de passe-passe, par eux, ou par des singes qu’ils portaient, ou en quelques mauvais récits du plus bas burlesque. Les uns et les autres tombèrent enfin dans un tel mépris, et les folies qu’ils débitaient dans le Public parurent si scandaleuses, que par un commun Proverbe, lorsqu’on voulait parler d’une chose mauvaise, folle, vaine ou fausse, on la nommait jonglerie ;Rigor. de gest. Philip. Aug. et que Philippe Auguste dès la première année de son règne, les chassa de sa Cour, et les bannit de ses Etats.

Quelques-unsLivr. blanc du Chât de Paris ou 1. vol. des métiers, 2. part. fol. 125. et suiv. néanmoins qui se reformèrent s’y rétablirent, et y furent soufferts dans la suite du règne de ce Prince, et des Rois ses Successeurs : nous en avons la preuve dans un tarif qui fut fait par saint Louis, pour régler les droits de péage, qui se payaient à l’entrée de Paris sous le Petit Châtelet ; l’un des articles porte, que le « Marchand qui apporterait un Singe pour le vendre, payerait quatre deniers ; que si le singe appartenait à un homme qui l’eût acheté pour son plaisir, il ne donnerait rien : que s’il était à un joueur, il en jouerait devant le Péager, et que par ce jeu, il serait quitte du péage, tant du singe, que de tout ce qu’il aurait acheté pour son usage. C’est de là vraisemblablement que vient cet ancien Proverbe populaire, payer en monnaie de singe, en gambades. Un autre article porte qu’à l’égard des Jongleurs, ils seraient aussi quittes de tous péages, en faisant le récit d’un couplet de chanson devant le Péager. »

TousIbid. 1. part. fol. 115. prirent dans la suite ce nom de Jongleurs comme le plus ancien, et les femmes qui s’en mêlaient celui de Jongleresses : ils se retirèrent à Paris dans une seule rue qui en avait pris le nom de rue des Jongleurs, et qui est aujourd’hui celle de saint Julien des Ménétriers ; on y allait louer ceux que l’on jugeait à propos pour s’en servir dans les fêtes ou assemblées de plaisir. Il y a une ancienne Ordonnance de Guillaume de Germont Prévôt de Paris, du jour de sainte Croix en Septembre 1341. qui défend à ceux ou à celles des Jongleurs ou « Jongleresses, qui auraient été louées pour venir jouer dans une assemblée, d’en envoyer d’autres en leurs places, ou d’en amener avec eux un plus grand nombre que celui dont on serait convenu. »

ParLivre rouge ancien, f. 123. une autre Ordonnance du Prévôt de Paris, du quatorzième Septembre 1395. il leur fut défendu, « de ne rien dire, représenter, ou chanter dans les Places publiques ou ailleurs, qui put causer quelque scandale, à peine d’amende arbitraire, et de deux mois de prison au pain et à l’eau. Depuis ce temps il n’en est plus fait aucune mention. »

CeSalmas. in Hist. August. n’est pas que l’usage de ces spectacles se perdit ; mais les principaux d’entre les Acteurs s’étant adonnés à faire plusieurs tours surprenants et périlleux, avec des épées et d’autres armes, on commença de les nommer Batalores, et en Français Bateleurs : ce nom a depuis passé à tous les autres Histrions ou Jongleurs, et ils n’en ont point d’autres aujourd’hui.

Il y a encore eu des Règlements contre eux sous ce dernier titre, pour les soustenir dans leur devoir. Tous sont renfermés dans celui du mois de Janvier 1560. aux Etats d’Orléans ; il fait défenses à tous Joueurs de farces, « Bateleurs, et autres semblables gens, de jouer les jours de Dimanches et de Fêtes, aux heures du Service divin ; de se vêtir d’habits Ecclésiastiques, et de jouer des choses dissolues, ou de mauvais exemple ; à peine de prison, et de punition corporelle : il fait aussi défenses à tous Juges de leur donner permission de jouer que sous ces conditions. » Ces mêmes défenses furent réitérées par Arrêt du Parlement du 15. Octobre 1588. et cette discipline n’a reçu depuis aucun changement.

{p. 437}

CHAPITRE III.
Du Théâtre Français, son origine, et qu’il n’a été occupé pendant plus d’un siècle, qu’à la représentation de pièces spirituelles, sous le titre de Moralités. §

Le Poème dramatique destiné aux pièces de théâtre, du mot grec δρᾶμα, qui signifie action, et qui avait été dans une si haute estime chez les Grecs et les Romains, ne parut que fort tard en France ; la fin du règne de Charles V. en vit pour ainsi dire naître les faibles commencements sous le nom de Chant Royal. Ce ne fut d’abord qu’un long récit en vers héroïques, d’un grand sujet qui était souvent tiré de quelqu’un des Mystères de notre Religion, avec une apostrophe à la fin au Prince, ou au Seigneur auquel il était dédié. Les savantsPasquier l. 7. des recherches de la Fran. c. 5. dans ce genre de littérature commencèrent par une espèce de combat d’émulation, à qui d’entr’eux réussirait le mieux. Il se forma sur cela certaines Sociétés ou Académies, où l’on jugeait de la réussite ; et celui auquel on adjugeait le prix, demeurait le Chef des autres, sous le titre de Roi ; d’où vient, selon quelques-uns, que ces pièces prirent le nom de Chant Royal.

L’une de ces Sociétés commença à mêler dans ces pièces différents événements, ou Episodes, qu’ils distribuèrent en Actes, Scènes, et en autant de différents personnages, qu’il était nécessaire pour la représentation.

LeurLivre rouge vieux du Châtelet, fol. 167. premier essai se fit au Bourg de saint Maur ; ils prirent pour sujet la Passion de Notre-Seigneur ; cela parut nouveau : le Prévôt de Paris en fut averti, et il y pourvut par une Ordonnance du troisième Juin 1398. Elle fait défense à tous les « Habitants de Paris, à ceux de saint Maur et des autres Villes de sa Juridiction, de représenter aucuns jeux de personnages, soit de vies de Saints, ou autrement, sans le congé du Roi, à peine d’encourir son indignation, et de forfaire envers lui. »

IlsBan. du Chât. vol. 2. fol. 77. se pourvurent à la Cour, et pour s’y rendre plus favorables, ils érigèrent leur Société en Confrérie, sous le titre de la Passion de Notre-Seigneur. Le Roi voulut voir leurs spectacles ; ils en représentèrent quelques pièces devant lui ; elles lui furent agréables, et cela leur procura des Lettres du quatrième Décembre 1402. pour leur établissement à Paris. Comme ces Lettres ne se trouvent imprimées en aucun lieu, et que c’est une pièce unique qui sert à éclaircir ce point d’histoire et de littérature ; nous les rapporterons ici dans leur entier ; voici ce qu’elles contiennent.

Charles4. Décembre 1402. Lettres Patentes portant permission à une Compagnie établie à Paris, sous le titre de Confrères de la Passion de N.S. d’en représenter les mystères, et les vies des SS. en récits et personnages ; registrées au Châtelet, vol. 2. des Bannières, fol. 77. par la grâce de Dieu Roi de France, savoir faisons, à tous présents et avenir : Nous avons reçu l’humble supplication de nos bien-aimés, les Maîtres, Gouverneurs et Confrères de la Confrérie de la Passion et Résurrection de Notre-Seigneur, fondée en l’Eglise de la Trinité à Paris : contenant que comme pour le fait d’aucuns Mystères de Saints, de Saintes, et mêmement du Mystère de la Passion, qu’ils ont commencé dernièrement, et sont prêts de faire encore devant Nous, comme autrefois avaient fait, et lesquels ils n’ont pû bonnement continuer, parce que Nous n’y avons pas pû être lors présents, ou quel fait et Mystère ladite Confrérie a moult frayé et dépensé du sien, et aussi ont fait les Confrères chacun d’eux proportionnablement ; disant en outre que s’ils jouaient publiquement et en commun, que ce serait le profit de ladite Confrérie ; ce que faire ils ne pouvaient bonnement sans notre congé et licence ; requérant sur ce notre gracieuse Provision : Nous qui voulons et désirons le bien, profit et utilité de ladite Confrérie, et les droits et revenus d’icelle être par Nous accrus et augmentés de grâce et privilèges, afin qu’un chacun par dévotion se puisse adjoindre et mettre en leur Compagnie ; à iceux Maîtres, Gouverneurs et Confrères d’icelle Confrérie de la Passion de Notredit Seigneur, avons donné et octroyé de grâce spéciale, pleine puissance et autorité Royale, cette fois pour toutes, et à toujours perpétuellement, par la teneur de ces présentes Lettres, autorité, congé et licence, de faire jouer quelque Mystère que ce soit, soit de la Passion et Résurrection, ou autre quelconque, tant de Saints comme de Saintes qu’ils voudront élire, et mettre sus toutes et quantes fois qu’il leur plaira, soit devant Nous, notre Commun ou ailleurs, tant en recors qu’autrement, et d’eux convoquer, communiquer, et assembler en quelconque lieu et place licite à ce faire, qu’ils pourront trouver en notre Ville de Paris, comme en la Prévôté et Vicomté ou Banlieue d’icelle, présents à ce trois, deux ou un de nos Officiers qu’ils voudront élire, sans pour ce commettre offense aucune envers Nous et Justice ; et lesquels Maîtres, Gouverneurs, et Confrères dessus dits, et un chacun d’eux, durant les jours desquels ledit Mystère qu’ils joueront se fera, soit devant Nous, ou ailleurs, tant en recors qu’autrement, ainsi et par la manière que dit est, puissent aller et venir, passer et repasser paisiblement, vêtus, habillés et ordonnés un chacun d’eux, en tel état ainsi que le cas le désirera, et comme il appartiendra, selon l’ordonnance dudit Mystère, sans détourner ou empêcher : et en pleine confirmation et sûreté, Nous iceux Confrères, Gouverneurs et Maîtres, de notre plus abondante grâce, avons mis en notre protection et sauvegarde, durant le recors d’iceux jeux, et tant comme ils joueront seulement, sans pour ce leur méfaire, ou à aucuns d’eux à cette occasion, ne autrement. Si donnons en mandement au Prévôt de Paris, et à tous nos autres Justiciers et Officiers présents et à venir, ou à leurs Lieutenants, et à chacun d’eux, si comme à lui appartiendra, que lesdits Maîtres, Gouverneurs et Confrères, et à chacun d’eux fassent, souffrent et laissent jouir pleinement et paisiblement de notre présente grâce, congé, licence, don et octroi dessus dits, {p. 438}sans les molester, ne souffrir et empêcher, ores et pour le temps à venir ; et pour que ce soit chose ferme et stable à toujours, Nous avons fait mettre notre scel à ces Lettres ; sauf en autres choses notre droit et l’autrui en toutes. Ce fut fait et donné à Paris en notre Hôtel lés saint Pol, ou mois de Décembre, l’an de grace mil quatre cent deux, et de notre reigne le vingt-troisième, Par le Roi, Messeigneurs Maîtres Jacques de Bourbon, Lamiral, Devieulaines, et plusieurs autres présents, signé, Poupom. Visa, et scellé en lacs de soie de cire verte ; au dos desquelles Lettres était écrit : Le Lundi douzième jour de Mars, l’an quatre cent deux ; Jean Aubery, Jean Dupin, et ... Doisemont, Maistres de la Confrérie nommée au blanc, présentèrent ces Lettres à Maître Robert de Thuillieres, Lieutenant de Monsieur le Prévôt, lequel lues icelles Lettres, octroya que lesdits Maîtres, leurs Confrères et autres, se pussent assembler pour le fait de la Confrérie, et le fait des jeux, selon ce que le Roi notre Sire le veut par icelles Lettres ; et pour être présents avec eux en cette présente année commit Jean Lepilleur Sergent de la douzaine, et Jean de Saveneil, Sergent à Verge, l’un d’eux, ou le premier autre Sergent de la douzaine, ou à Verge dudit Châtelet.

Après avoir obtenu ces Lettres, il ne fut plus question que de trouver un lieu commode pour leurs représentations. Il y avait alors deux cents ans, que deux Gentilhommes Allemands frères utérins, nommés Guillaume Escuacol et Jean de la Passée, avaient acheté deux arpents de terre hors la Porte de Paris, du côté de S. Denis, et y avaient fait bâtir une grande maison pour y recevoir les Pèlerins et les pauvres Voyageurs qui arrivaient trop tard pour entrer dans la Ville, dont les portes se fermaient en ce temps. Entre autres édifices il y avait dans cette maison une grande salle de vingt-une toise et demie de long, sur six toises de large, élevée du rez de chaussée de trois à quatre pieds, soutenue par des arcades, pour la rendre plus saine et plus commode aux Pauvres que l’on y recevait. Les mêmes Fondateurs en 1210. avec la permission de l’Evêque, firent aussi bâtir au même lieu une Chapelle sous l’invocation de la très-sainte Trinité, et y fondèrent l’Office de tous les jours, par trois Religieux qu’ils y firent venir de l’Abbaye d’Hermière en Brie, de l’Ordre de Prémontré.

AprèsDu Breuil antiq. col. 3. p. 562. de l’édition infolio. plusieurs années les Fondateurs et tous leurs parents étant décedés, cette bonne œuvre fut totalement abandonnée ; et les Religieux, dont le nombre fut augmenté par leur Abbé, appliquèrent tout le profit à l’utilité particulière de l’Ordre. Les Confrères de la Passion, qui avaient déja fondé dans cette Eglise le service de leur Confrérie, louèrent cette grande salle qui se trouvait vacante, y firent construire un théâtre, et y représentèrent leurs jeux ou spectacles ; ils ne les nommèrent encore ni Tragédie, ni Comédie, mais simplement Moralités.

CeBannières du Châtelet vol. 2. fol. 76. premier théâtre Français a subsisté en ce lieu, à n’y représenter que des pièces de piété ou de morale, sous ce titre commun de Moralités, pendant près d’un siècle et demi. François I. en confirma tous les privilèges par Lettres Patentes du mois de Janvier 1518. qui furent publiées et enregistrées au Châtelet le 1. Mars de la même année.

L’on commença à s’ennuyer de ces représentations sérieuses, les Joueurs y mêlerent quelques farces tirées de sujets profanes et burlesques : cela fit beaucoup de plaisir au Peuple qui aime ces sortes de divertissements, où il entre plus d’imagination que d’esprit ; ils les nommèrent par un quolibet vulgaire, les jeux des pois pilés : ce fut selon toutes les apparences, quelque scène ridicule qui eut rapport à ce nom, qui leur en fournit la matière.

Ce mélange de morale et de bouffonnerie déplut dans la suite aux gens sages ; la Religion ne put souffrir plus longtemps cette idée de dévotion, qu’une pieuse simplicité des temps plus éloignés avait attachée au théâtre, et encore moins cette profanation de nos principaux Mystères, qui en faisaient le plus souvent la matière. La maison de la Trinité fut de nouveau destinée à un Hôpital, suivant l’esprit de sa fondation ; le Parlement par un Arrêt du 30. Juillet 1547. ordonna que les pauvres enfants qui auraient père et mère, y seraient charitablement reçus, nourris et instruits dans la Religion et dans les Arts ; de même que les orphelins l’étaient en l’Hôpital du saint Esprit : ainsi les Confrères de la Passion furent obligés d’abattre leur théâtre, et d’abandonner leur salle.

Ils y avaient fait des gains considérables, et ils se trouvèrent alors assez riches, pour acheter l’ancien Hôtel des Ducs de Bourgogne, qui n’était plus qu’une masure. Ils y firent bâtir une nouvelle salle, un théâtre, avec les autres édifices qu’on y voit encore aujourd’hui. Le Parlement par Arrêt du dix-neuvième Novembre 1548. leur permit de s’y établir, à condition de n’y jouer que des sujets profanes, « licites et honnêtes, et leur fit de très-expresses défenses, d’y représenter aucun Mystère de la Passion, ni autres Mystères sacrés : il les confirma au surplus dans tous leurs privilèges, et fit défenses à tous autres qu’aux Confrères de la Passion, de jouer ni représenter aucuns jeux, tant dans la Ville, Faubourgs, que Banlieue de Paris, sinon sous le nom et au profit de la Confrérie. » Ce sont les termes de l’Arrêt.

CeIbid. v. 6. fol. 208. nouveau privilège exclusif avec toutes leurs autres anciennes prérogatives, leur furent depuis confirmées par Lettres Patentes de Henry II. du mois de Mars 1559. et de Charles IX. du mois de Novembre 1563. et ils demeurèrent ainsi en possession de leur théâtre dans l’Hôtel de Bourgogne, leur nouvelle acquisition.

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CHAPITRE IV.
De la Comédie Française ; son origine, son progrès, et les Règlements qui ont été faits pour en permettre, corriger et discipliner les représentations, ou pour en assurer la tranquillité. §

L’usageHedelin. prat. du Theat. a établi, que sous le nom de Comédie, nous comprenions aujourd’hui, quant à la représentation, toutes les Pièces de théâtre, soit Tragédie, Comédie ou Tragicomédie. Aussi n’avons-nous qu’une même Troupe pour nous donner également tous ces spectacles, à la différence des Anciens qui avaient leurs Tragédiens et leurs Comédiens distingués.

LesIbid. définitions de la Tragédie et de la Comédie sont suffisamment expliquées dans le Chapitre précédent. Quant à la Tragicomédie c’était, selon les Anciens, une Pièce dont le sujet était comique, et où l’on introduisait néanmoins des personnes illustres, qui rendaient par leurs bouffonneries leur grandeur ridicule ; nous en avons un exemple dans l’Amphitrion de Plaute. Mercure en fait l’ouverture par un prologue, où il dit que de cette Comédie il en fera une Tragicomédie, parce que des Dieux et des Rois y agiront, et qu’il y mêlera la dignité des personnes avec la bassesse des discours comiques : ce n’est point en ce sens que nous avons pris ce nom. La Tragicomédie, selon nous, est une Pièce très sérieuse et toute héroïque. Elle a cela de commun avec la Tragédie, que les personnages sont des Rois ou des Héros, et que tout y est grand et merveilleux ; et avec la Comédie, que la fin en est toujours heureuse.

Ce sont toutes ces Pièces qui ont succedé aux moralités qui avaient occupé le théâtre Français pendant près de cent cinquante ans. L’Arrêt du 19. Décembre 1548. qui interdit cet ancien usage donna naissance à celui-ci. Ce n’est que depuis ce temps que nos Poètes se sont appliqués à la composition de Poèmes Dramatiques sur des sujets profanes ; et que ces Pièces ont été données au public sur le théâtre, suivant la permission qui en avait été accordée par l’Arrêt.

Les Confrères de la Passion qui avaient seuls ce privilège cessèrent de monter eux-mêmes sur le théâtre. Les Pièces qui devaient y être représentées, ne convenaient plus au titre religieux qui caracterisait leur Compagnie. Une Troupe de Comédiens se forma pour la première fois, et prit à loyer le Privilège et l’Hôtel de Bourgogne. Les Confrères s’y réservèrent seulement deux Loges pour eux et pour leurs amis ; elles étaient les plus proches du théâtre, distinguées par des barreaux, et on les nommait les Loges des Maîtres.

Ce théâtre pendant plus de vingt ans eut le sort de tous les nouveaux établissements ; la seule farce de Patelin y fut jouée avec quelque applaudissement sous Henry II. C’était une satyre contre un homme de ce nom, dont les fourberies étaient si publiques, que l’on ne fit aucune difficulté d’en souffrir la représentation sur le théâtre, sans aucun déguisement. PasquierPasquier, recher. de la Franc. l. 7. c. 7. qui rapporte l’avoir vu jouer, dit que cette Pièce était excellente ; il y compare l’Auteur aux plus célèbres Poètes comiques des Grecs et des Romains : et la réussite, ajoute-t-il, en fut si grande, qu’elle a donné lieu depuis ce temps aux proverbes de Patelineurs et de patelinage, pour exprimer dans les actions communes un semblable caractère que celui que l’on y représentait.

Etienne Jodelle qui vivait sous Charles IX. et sous Henry III. fut le premier qui s’appliqua au Poème Dramatique sur des sujets sérieux tirés de l’Histoire profane ; il fit deux Tragédies, Cléopatre et Dion, et deux Comédies, la Rencontre et l’Eugène. Ces Pièces furent jouées avec beaucoup d’applaudissement devant Henry III. et toute la Cour au Collège de Reims, et ensuite au Collège de Boncour.

L’émulationPasq. ibid. Ronsard, sur la Cornelie de Garnier. fit bientôt paraître sur la scène trois autres Poètes qui fournirent des Pièces au théâtre : Jean de Baïf fit la Comédie de Taillebras ; la Péruse, une Tragédie sous le nom de Médée ; et Robert Garnier donna peu de temps après au Public, Porcie, Cornelie, Marc-Antoine, Hypolite, la Troade, Antigone, les Juives et Bradamente, huit Tragédies qui remportèrent le prix sur tout ce qui avait paru jusqu’alors en ce genre d’écrire.

Toutes ces Pièces furent données aux Comédiens, dont la Troupe était alors unique ; cela leur acquit de la réputation, et la renommée du gain qu’ils y faisaient s’en répandit bientôt dans les Provinces : il s’y forma aussi des Troupes de Comédiens ; et après avoir fait quelques essais de leurs représentations dans les principales Villes du Royaume, ils crurent être assez forts pour venir à Paris partager la gloire du Théâtre avec l’Hôtel de Bourgogne. Une Troupe y vint jouer l’Hôtel de Cluny en la rue des Mathurins, qui est cet ancien Palais de Julien l’Apostat ; ils y firent dresser un théâtre de leur autorité, et ils y jouerent quelques Pièces.

Le Parlement averti de cette entreprise rendit un Arrêt sur la remontrance du Procureur Général le 6. Octobre 1584. pour en arrêter le progrès. « Il fait défenses à ces Comédiens de jouer leurs Comédies, ni de faire aucunes assemblées, en quelque lieu de la Ville ou des Faubourgs que ce soit ; et au Concierge de l’Hôtel de Cluny de les y recevoir, » à peine de mille écus d’amende. Cet Arrêt leur fut à l’instant signifié, et ils se retirèrent.

Deux autres Troupes parurent en cette Ville quatre ans après, et firent de nouvelles tentatives de s’y établir ; l’une était de Français et l’autre d’Italiens : ceux-ci introduisirent des Pantomimes dans leurs Pièces ; en sorte qu’à l’imitation des anciens Histrions, c’était un mélange de récits et de gesticulations, ou de tours de souplesses : cela leur attira d’abord un fort grand concours ; mais l’ordre public ne put pas le souffrir longtemps. Le Parlement rendit un Arrêt le 10. Décembre 1588. par lequel il fit défenses à tous Comédiens, « tant Italiens que Français, de jouer des Comédies, ou de faire des tours et subtilités, soit aux jours de Fêtes {p. 440}ou aux jours ouvrables, à peine d’amende arbitraire et de punition corporelle. »

Les Foires ont une prérogative de franchise que nos Rois leur ont accordée en faveur du Commerce, et qui fait cesser pour un temps et en certains lieux tous les privilèges des Corps ou Communautés. Sur ce fondement quelques Comédiens de Province élevèrent un théâtre à Paris dans les lieux et dans les temps de la Foire saint Germain. Les propriétaires de l’Hôtel de Bourgogne s’en plaignirent au Lieutenant Civil, et firent assigner devant lui, les Provinciaux ; ils cessèrent aussitôt leurs représentations, en attendant que ce Magistrat eût levé cet obstacle. Mais pendant l’instance, le Peuple toujours impatient et amateur de nouveautés, entreprit de s’en venger sur l’Hôtel de Bourgogne, et il s’y fit des attroupements et des insolences aux jours ordinaires de Comédie. L’affaire discutée en peu de jours fut enfin jugée par Sentence du 5. Février 1596. Ce Magistrat n’estima pas que le privilège exclusif accordé au Maître de l’Hôtel de Bourgogne, fût plus fort que les Statuts des six Corps des Marchands et des Arts et Métiers de Paris, dont l’effet est suspendu en faveur des Forains pendant la Foire. Ainsi appliquant ce motif au sujet qui se presentait ; et voulant aussi calmer le Peuple et maintenir la tranquillité des spectacles, il permit par « Sentence à ces Comédiens Forains de jouer pendant la Foire saint-Germain seulement, et sans tirer à conséquence ; à la charge de ne représenter que des sujets licites et honnêtes, qui n’offençassent personne : comme aussi à condition de payer par chacune année qu’ils joueraient deux écus aux Administrateurs de la Confrérie de la Passion, Maîtres de l’Hôtel de Bourgogne : Et par la même Sentence faisant droit sur les Conclusions du Procureur du Roi, il fit défenses à toutes personnes de quelque condition qu’elles fussent, de faire aucune insolence en l’Hôtel de Bourgogne lorsque l’on y représenterait quelques jeux, d’y jeter des pierres, de la poudre, ou autres choses qui pussent émouvoir le Peuple à sédition, à peine de punition corporelle ; et que cette Sentence serait publiée à son de Trompe devant l’Hôtel de Bourgogne, un jour de Comédie, » et aux lieux que besoin serait ; ce qui fut exécuté.

Les accroissements de la Ville de Paris obligèrent les Comédiens, pour la commodité publique, de se séparer en deux Troupes. Les uns continuèrent leurs représentations en l’Hôtel de Bourgogne ; et les autres, du consentement de ceux-ci élevèrent un nouveau théâtre dans une maison nommée l’Hôtel d’Argent au quartier du Marais du Temple.

Il arriva quelques désordres aux portes de l’un et de l’autre de ces Hôtels, parce que les Comédiens exigeaient trop d’argent pour y entrer, et qu’ils commençaient leurs représentations trop tard pendant l’Hiver. Ils s’émancipèrent aussi de mêler dans les farces qui suivaient les grandes Pièces quelques scènes indécentes, ou contre les bonnes mœurs. Cela donna lieu au Lieutenant Civil de faire un Règlement à l’Audience de Police, sur la remontrance du Procureur du Roi le 12. Novembre 1609. Il ne contient rien que l’on puisse abréger sans en affaiblir les dispositions ; le voici dans ses propres termes.

Sur12. Novemb. 1619. Ordonnance de Police touchant la discipline qui doit être observée par les Comédiens. la plainte faite par le Procureur du Roi, que les Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne et de l’Hôtel d’Argent finissent leurs Comédies à heures indues et incommodes pour la saison de l’Hiver, et que sans permission ils exigent du Peuple sommes excessives ; étant nécessaire d’y pourvoir et leur faire taxe moderée. Nous avons fait et faisons très expresses inhibitions et défenses auxdits Comédiens, depuis le jour de saint Martin jusqu’au quinzième Février, de jouer passé quatre heures et demies au plus tard ; auxquels pour cet effet enjoignons de commencer précisément avec telles personnes qu’il y aura à deux heures après midi, et finir à ladite heure ; que la porte soit ouverte à une heure précise, pour éviter la confusion qui se fait dedans ce temps, au dommage de tous les Habitants voisins.

Faisons défenses aux Comédiens de prendre plus grande somme des habitants et autres personnes, que de cinq sous au Parterre, et dix sous aux Loges et Galeries ; et en cas qu’ils y aient quelques Actes à représenter où il conviendra plus de frais, il y sera par Nous pourvu sur leur Requête préalablement communiquée au Procureur du Roi.

Leur défendons de représenter aucunes Comédies ou Farces, qu’ils ne les aient communiquées au Procureur du Roi, et que leur Rôle ou Registre ne soit de Nous signé.

Seront tenus lesdits Comédiens avoir de la lumière en lanterne ou autrement, tant au parterre, montée et galeries, que dessous les portes à la sortie, le tout à peine de cent livres d’amende et de punition exemplaire. Mandons au Commissaire du Quartier d’y tenir la main, et de Nous faire rapport des contraventions à la Police ; et sera le présent Réglement lu et publié devant lesdits Hôtels, le Peuple assemblé, et affiché contre les principales sorties : Fait et donné au Châtelet de Paris le douzième jour de Novembre mil six cens dix-neuf : Signé, Le Jay, et Charles Leroy.

Les Pièces de théâtres de nos premiers Poètes commencèrent à vieillir ; et leurs représentations froides et languissantes n’ayant plus cet air de nouveauté qui ne charme qu’autant qu’il surprend, ne donnaient plus aucun plaisir. Les Comédiens voulurent supléer à ce défaut par de mauvaises Farces, le plus souvent insipides, ou remplies d’obscénités. Mais il n’y eut que le bas peuple, ou tout au plus quelques libertins qui s’accommodèrent de ces spectacles ridicules, si indignes du théâtre Français. Cette licence était parvenue à un tel point, que le Magistrat de Police fut obligé d’y mettre la main pour en arrêter le progrès. Ce fut un des objets du Règlement qu’il fit à cette occasion, et qui vient d’être rapporté. Ainsi la Comédie tomba dans un fort grand mépris.

Les choses étaient dans cet état, et le théâtre presque abandonné, lorsque Corneille fit paraître sur la Scène sa Melite. Cette Pièce fut {p. 441}représentée avec un succès prodigieux, que dès ce coup d’essai, l’on reconnut l’excellent génie de ce nouvel Auteur, et l’on jugea qu’il allait remettre la Comédie en crédit. Le concours y fut en effet si grand, que les Comédiens qui avaient été réduits encore une fois, faute de spectateurs, au seul Hôtel de Bourgogne, se séparèrent de nouveau, et rétablirent la Troupe du Marais du Temple. Corneille cependant animé par la réussite de ce premier ouvrage, continua de travailler, et donna sept ou huit Pièces de théâtre en moins de six ans : l’on fut toujours de plus en plus charmé de la beauté de ses ouvrages ; mais sa Tragédie du Cid qu’il fit représenter en l’année 1637. mit pour ainsi dire le comble à sa réputation. Elle eut des applaudissements si universels, qu’en plusieurs endroits de la France il passa en proverbe de dire, cela est beau comme le Cid, lorsque l’on voulait donner un grand éloge à quelque production d’esprit. Cette excellente Pièce fut bientôt suivie de deux Tragédies, Horace et Cinna, qui parurent comme autant de nouveaux chef-d’œuvres, et qui reçurent encore la même approbation du Public.

Pendant que le Théâtre Français se rétablissait, que l’on y réparait ainsi tous les défauts qui l’avaient fait tomber autrefois dans le mépris ; que les nouvelles Pièces de Corneille, celles de Racine, de Quinault et de Molière, y ajoutaient tous les jours quelques agréments et quelques nouveaux degrés d’estime et d’honneur, les Vénitiens inventèrent chez eux les Opéra. Chacun sait à présent que ce sont des Pièces de théâtre en musique, accompagnées de danses et de machines. L’Abbé Perrin qui avait été autrefois Introducteur des Ambassadeurs auprès de feu Monsieur, Duc d’Orléans, Oncle du Roi, fut le premier qui forma le dessein d’en introduire l’usage à Paris ; il en obtint le privilège du Roi en l’année 1669. L’entreprise était trop forte pour la soutenir lui seul. Cela l’obligea d’associer à son privilège une personne de qualité d’un génie très singulier pour les machines de théâtre, et le Sieur Champeron qui était fort riche. Ils rassemblèrent les plus fameux Musiciens et les meilleures voix qu’ils purent trouver, tant à Paris, que dans les Provinces les plus éloignées. Leur premier théâtre fut dressé dans le jeu de paume de la rue Mazarin vis-à-vis la rue de Guenegaud. On y représenta au mois de Mars 1672. Pomone, dont la composition était de l’Abbé Perrin, et la musique de Lambert Organiste de S. Honoré. Ces représentations furent continuées avec un fort grand succès sous le titre d’Opéra ou Académie de musique. L’union de ces Associés ne subsista qu’un an, le divorce se mit entr’eux et les déconcerta. L’Abbé Perrin qui s’était toujours conservé le maître de la société, la rompit et céda son privilège au Sieur Lully Surintendant de la Musique de la Chambre du Roi, moyennant la somme qui fut convenue entr’eux. Lully fit construire un autre théâtre proche du Palais d’Orléans par les soins de Vigarani Machiniste du Roi, qu’il associa avec lui. Il y avait déja quelques années, qu’une Troupe de Comédiens Italiens était venue s’établir à Paris, et qu’elle y représentait ses Pièces avec assez de réussite. Ainsi l’on vit alors en cette grande Ville trois différents théâtres pour les divertissements publics. L’Opéra au Faubourg saint-Germain, la Troupe du célèbre Molière dans l’une des Salles du Palais Royal ; et l’Hôtel de Bourgogne, où les Comédiens du Marais et les Italiens représentaient leurs Pièces alternativement en differents jours de la semaine, cette place leur ayant été cédée par l’ancienne Troupe. La mort de Molière qui arriva le 17. Février 1673. apporta quelque changement à ces spectacles. La Salle du Palais Royal fut donnée à Lully pour l’Opéra. Le Roi réunit les deux Troupes de Comédiens Français, qui prirent le théâtre que l’Opéra avait occupé au Faubourg saint-Germain ; et les Italiens demeurèrent seuls à l’Hôtel de Bourgogne. Les Français ont depuis fait bâtir un magnifique théâtre dans une maison qu’ils ont acquise rue des Fossés, où ils sont à présent. Les Italiens au contraire par leur imprudence et les obscénités qu’ils avaient commencé de mêler dans leurs Scènes, ont été chassés et leur théâtre détruit ; en sorte qu’il ne reste plus présentement à Paris que l’Opéra et la seule Troupe des Comédiens Français. Cette réduction a augmenté le concours des spectateurs, et a fait prendre à proportion de plus fortes mesures pour y maintenir la tranquillité nécessaire aux divertissements publics. Ces deux théâtres ont eu aussi quelques petits démêlés entr’eux, qui ont cessé à l’instant qu’il a plû au Roi de leur faire entendre ses intentions. Il y a eu sur cela plusieurs Ordonnances qui nous en instruisent encore davantage ; voici ce qu’elles contiennent.

Sur11. Décemb. 1672. Ordonnance de Police pour maintenir la tranquillité publique à l’Opéra, publiée et affichée le 14. du même mois. ce qui Nous a été représenté par le Procureur du Roi, que Sa Majesté voulant non seulement maintenir en tous les lieux de cette Ville l’ordre et la sûreté qui s’y trouve à présent, mais encore faire ressentir à tous ses Habitants de nouveaux effets de la tranquillité dont ils jouissent ; il lui a plu d’établir depuis peu à Paris une Académie et des Ecoles de Musique, et de pourvoir aussi en même temps par l’expédition de ses ordres exprès à la sûreté particulière du lieu où cette Académie est établie. Et d’autant qu’il importe que chacun soit informé de la volonté de Sa Majesté, et qu’elle entend qu’il soit procédé extraordinairement contre ceux qui au dedans ou au dehors et proche de l’Académie exciteront quelque tumulte, et qui troubleront les spectacles et divertissements publics : Requérait le Procureur du Roi que sur ce il fût pourvu, afin que par le respect qui est dû aux volontés de Sa Majesté, plus que par la crainte du châtiment ; et qu’aussi par la connaissance de la protection particulière qu’il lui plaît de donner en faveur des Arts et du Public à l’Académie de Musique, ceux qui se trouveront à ces représentations n’y fassent aucun désordre, et qu’aucun de ceux à qui l’entrée en est défendue n’ait la témérité de s’y présenter. Nous, conformément aux ordres de Sa Majesté, avons fait et faisons très expresses défenses à tous vagabonds et gens sans condition, même à tous Soldats, de se trouver aux environs du lieu où l’Académie de Musique est établie, les jours des représentations qui y seront données au Public, à peine de prison ; et à tous Pages et Laquais, d’y faire ni exciter aucun bruit ni désordre, à peine de punition exemplaire, et de deux cents livres au profit de l’Hôpital Général, dont les Maîtres demeureront responsables, et civilement tenus des violences et désordres qui auront été faits par lesdits Pages et Laquais. Faisons pareillement défenses, et sous les mêmes peines, à toute sorte {p. 442}de personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, de faire effort pour entrer dans le lieu de l’Académie ; de porter aucunes armes à feu dans celui des représentations, d’y tirer l’épée, et d’y faire aucune insulte ou querelle, à peine de la vie. Mandons aux Commissaires du quartier, en cas de contravention, d’en informer, de se transporter sur le lieu toutes fois et quand il sera nécessaire ; et au premier avis qui leur en sera donné, même de faire arrêter ceux qui auront fait ou excité quelque violence ou désordre, et contrevenu à la présente Ordonnance ; laquelle sera exécutée selon sa forme et teneur, nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans préjudice d’icelles, lue, publiée et affichée par tout où besoin sera, afin que personne n’en puisse prétendre cause d’ignorance. Ce fut fait et donné par Messire GABRIEL NICOLAS DE LA REYNIE, Conseiller du Roi en ses Conseils d’Etat et Privé, Maître des Requêtes ordinaire de son Hôtel, et Lieutenant de Police de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris, l’onzième Décembre mil six cent soixante-douze, Signé, de la Reynie. de Riantz.

Sur9. Janvier 1673. Ordonnance de Police pour maintenir la tranquillité publique dans les lieux où se représentent les Comédies, publiée et affichée le 10. du même mois. ce qui Nous a été représenté par le Procureur du Roi, que certains personnages sans emploi, portants l’épée, qui ont en diverses occasions excité des désordres considérables en cette Ville ayant depuis peu de jours, avec la dernière témérité et un grand scandale, entrepris de forcer les portes de l’Hôtel de Bourgogne, se seraient attroupés pour l’exécution de ce dessein avec plusieurs vagabonds ; lesquels assemblés en très grand nombre, étant armés de mousquetons, pistolets et épées, seraient à force ouverte entrés dans ledit Hôtel de Bourgogne pendant la représentation de la Comédie qu’ils auraient fait cesser ; et ils y auraient commis de telles violences contre toutes sortes de personnes, que chacun aurait cherché par divers moyens de se sauver de ce lieu, où lesdits personnages se disposaient de mettre le feu, et dans lequel, avec une brutalité sans exemple, ils maltraitaient indifféremment toutes sortes de gens. De quoi Sa Majesté ayant été aussi informée, même de ce que depuis on n’avait osé ouvrir les portes de l’Hôtel de Bourgogne ; et ne voulant souffrir qu’un tel excès demeure impuni, il lui aurait plu de Nous envoyer ses ordres exprès et particuliers, tant contre ceux qui sont connus pour être les chefs et les principaux auteurs de cette violence publique, que contre ceux qui se trouveront les avoir assistés. Mais comme Sa Majesté Nous a pareillement ordonné d’empêcher à l’avenir qu’il n’arrive de semblables désordres, et d’établir dans les lieux destinés aux divertissements publics, la même sûreté qui se trouve établie par les soins et par la bonté de Sa Majesté dans tous les autres endroits de Paris : Le Procureur du Roi Nous a requis qu’il fût sur ce par Nous pourvu, afin que ceux qui voudront prendre part à cette sorte de divertissement, d’où présentement tout ce qui pourrait blesser l’honnêteté publique doit être heureusement retranché, aient la liberté de s’y trouver sans craindre aucuns des accidents auxquels ils ont été si souvent exposés. Nous, conformément aux ordres de Sa Majesté, avons fait très expresses défenses à toutes sortes de personnes de quelque qualité, condition et profession qu’elles soient, de s’attrouper et de s’assembler au devant et aux environs des lieux où les Comédies sont récitées et représentées ; d’y porter aucunes armes à feu, de faire effort pour y entrer, d’y tirer l’épée, et de commettre aucune autre violence, ou d’exciter aucun tumulte, soit au dedans ou au dehors, à peine de la vie, et d’être procédé extraordinairement contr’eux comme perturbateurs de la sûreté et de la tranquillité publique. Comme aussi faisons très expresses défenses à tous Pages et Laquais de s’y attrouper, d’y faire aucun bruit ni désordre, à peine de punition exemplaire et de deux cents livres d’amende au profit de l’Hôpital Général, dont les Maîtres demeureront responsables, et civilement tenus de tous les désordres qui auront été faits ou causés par lesdits Pages et Laquais. Et en cas de contravention, mandons aux Commissaires du quartier de se transporter sur les lieux, et aux Bourgeois de leur prêter main-forte, même de Nous informer sur le champ desdits désordres, afin qu’il y soit aussi dès l’instant pourvu, et que ceux qui s’en trouveront être les auteurs ou complices, de quelque condition qu’ils soient, puissent être saisis et arrêtés, et leur procès fait et parfait selon la rigueur des Ordonnances. Et sera la présente lue, publiée à son de trompe et cri public, et affichée en tous les lieux de cette Ville et Faubourgs que besoin sera, afin que personne n’en prétende cause d’ignorance, et exécutée nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans préjudice d’icelles. Ce fut fait et donné par Messire GABRIEL NICOLAS DE LA REYNIE, Conseiller du Roi en ses Conseils d’Etat et Privé, Maître des Requêtes Ordinaire de son Hôtel, et Lieutenant de Police de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris, le neuvième jour de Janvier mil six cent soixante-treize. Signé, DE LA REYNIE. DE RIANTZ. Sagot, Greffier.

Sa30. Avril 1673. Ordonnance du Roi qui règle le nombre de Musiciens et de Joueurs d’instruments que les Comédiens peuvent avoir, signifiée aux deux Troupes le 9. Mai de la même année. Majesté ayant été informée que la permission qu’elle avait donnée aux Comédiens de se servir dans leurs représentations de Musiciens jusqu’au nombre de six, et de Violons ou Joueurs d’instruments jusqu’au nombre de douze, pouvait apporter un préjudice considérable à l’exécution des ouvrages de Musique pour le théâtre du Sieur Baptiste Lully Surintendant de la Musique de la Chambre de Sa Majesté, dont le Public a déjà reçu beaucoup de satisfaction. Et voulant qu’elle ait toute la perfection qu’elle en doit espérer, Sa Majesté a révoqué la permission qu’elle avait donnée auxdits Comédiens, de se servir sur leur théâtre de six Musiciens et de douze Violons ou Joueurs d’instruments ; et leur permet seulement d’avoir deux voix et six Violons ou Joueurs d’instruments. Fait Sa Majesté très expresses défenses à toutes les Troupes de Comédiens Français et Etrangers établis ou qui s’établiront ci-après dans sa bonne Ville de Paris, de se servir d’aucuns Musiciens externes et de plus grand nombre de Violons pour les Entr’actes, même d’avoir aucun Orchestre, ni pareillement de se servir d’aucuns Danseurs ; le tout à peine de désobéissance. Veut Sa Majesté que la présente Ordonnance soit signifiée aux Chefs desdites Troupes, à la diligence dudit Lully, à ce qu’ils n’en ignorent ; lui enjoignant Sa Majesté de l’informer des contraventions à la présente Ordonnance. Fait à saint-Germain-en-Laye le trentième jour d’Avril mil six cent soixante-treize. Signé, LOUIS, Et plus bas, Colbert. Et scellé.

{p. 443}Sur22. Jan. 1674 Ordonnance de Police, rendue de l’Ordre du Roi, pour maintenir la tranquillité publique de l’Opéra, publiée et affichée le lendemain. ce qui Nous a été représenté par le Procureur du Roi, Que Sa Majesté n’ayant pas voulu favoriser seulement l’Académie de Musique, et lui donner les moyens d’augmenter par de nouveaux progrès la satisfaction que le Public en a reçu depuis son établissement ; mais ayant encore voulu en l’établissant dans une de ses Maisons Royales, pourvoir en même temps à la commodité de ses représentations, et à la sûreté de ceux qui pourraient s’y trouver, il était important que le Public en fût informé, et des ordres précis qu’il a plu à Sa Majesté de Nous donner pour cet effet ; quoi qu’après les défenses générales qui ont été faites de troubler les spectacles et les divertissements publics, sous des peines rigoureuses, il semble que personne ne puisse douter à plus forte raison de la sévérité des châtiments où s’exposeraient ceux qui seraient capables de manquer de respect, ou qui pourraient commettre quelque violence dans le lieu où il a plu au Roi de faire établir cette Académie. Nous, conformément aux ordres exprès de Sa Majesté ; avons fait et faisons très expresses défenses à tous vagabonds et gens sans condition, même à tous Soldats, de se trouver aux environs du lieu où l’Académie de Musique est établie, les jours des représentations qui y seront données au Public, à peine de prison ; et à eux et à tous Pages et Laquais d’y faire ni exciter aucun bruit ni désordre ; et généralement à tous gens de livrée, sous quelque prétexte que ce soit, de se présenter à la porte de l’Académie pour y entrer, même en payant, à peine de punition exemplaire. Faisons pareillement défenses à toutes sortes de personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, de porter aucunes armes à feu dans le lieu des représentations, d’y tirer l’épée, et d’y faire aucune insulte ou querelle, à peine de la vie. Mandons aux Commissaires du quartier de se transporter sur le lieu, toutefois et quand il sera nécessaire, et au premier avis qui leur en sera donné ; même de faire arrêter en quelque lieu que ce soit ceux qui leur seront indiqués, et qui auront fait ou excité quelque violence ou désordre, et contrevenu à la présente Ordonnance ; laquelle sera exécutée selon sa forme et teneur, nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans préjudice d’icelles, lue, publiée et affichée par tout où besoin sera, afin que personne n’en puisse prétendre cause d’ignorance. Ce fut fait et donné par Messire GABRIEL NICOLAS DE LA REYNIE, Conseiller du Roi en ses Conseils d’Etat et Privé, Maître des Requêtes Ordinaire de son Hôtel, et Lieutenant Général de Police de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris, le 22. jour de Janvier 1674. Signé, DE LA REYNIE. DERIANTZ. Sagot, Greffier.

Sa21. Mars 1675. Ordon. en faveur de l’Opéra, signifiée aux Comédiens le 27. du même mois. majesté ayant été informée qu’au préjudice de son Ordonnance du trentième jour d’Avril mil six cent soixante-treize, qui fait défenses à tous Comédiens de se servir de Musiciens externes, quelques-uns ne laissent pas de faire chanter sur leur théâtre des Musiciens, qu’ils prétendent n’être pas externes, sous prétexte qu’ils sont à leurs gages, et empêchent par ce moyen que les ouvrages de Musique pour le théâtre du sieur Lully, Surintendant de la Musique de la Chambre de Sa Majesté, ne puisse avoir tout le succés qu’on en doit attendre ; à quoi voulant pourvoir, Sa Majesté a ordonné et ordonne, veut et entend que ladite Ordonnance du trentième jour d’Avril mil six cent soixante-treize, soit executée selon sa forme et teneur ; ce faisant permet auxdits Comédiens de se servir de deux Comédiens de leur troupe seulement pour chanter sur le théâtre, et leur fait très expresses défenses de se servir d’aucuns Musiciens externes, ou qui soient à leurs gages, à peine de désobéissance. Enjoint Sadite Majesté au Lieutenant de Police, de tenir la main à l’exécution de la présente Ordonnance. Fait à S. Germain-en-Laye le 21. Mars 1675. Signé, LOUIS, et plus bas, Colbert.

Sa21. Octobre 1680, Ordon. du Roi, pour l’union des deux Troupes de Comédiens Français. majesté ayant estimé à propos de réunir les deux Troupes des Comédiens établis à l’Hôtel de Bourgogne et dans la rue de Guenegault à Paris, pour n’en faire à l’avenir qu’une seule, afin de rendre à l’avenir les représentations des Comédies plus parfaites, par le moyen des Acteurs et Actrices auxquels elle a donné place dans ladite Troupe : Sa Majesté a ordonné et ordonne, qu’à l’avenir lesdites deux Troupes de Comédiens Français seront réunies pour ne faire qu’une seule et même Troupe, et sera composée des Acteurs et Actrices dont la liste sera arrêtée par Sadite Majesté ; et pour leur donner moyen de se perfectionner de plus en plus, Sadite Majesté veut que ladite seule Troupe puisse représenter les Comédies dans Paris ; faisant défenses à tous autres Comédiens Français de s’établir dans ladite Ville et Faubourgs, sans ordre exprès de Sa Majesté. Enjoint Sa Majesté au sieur De la Reynie, Lieutenant Général de Police, de tenir la main à l’exécution de la présente Ordonnance. Fait à Versailles le 21. Octobre 1680. Signé, LOUIS. Et plus bas, Colbert. Et scellé.

Sa27. Juillet 1682. Ordon. qui règle le nombre des Musiciens et des Joueurs d’instruments que les Comédiens peuvent avoir. majesté étant informée qu’au préjudice des défenses qui ont été ci-devant faites aux Troupes de ses Comédiens Français et Italiens, d’avoir dans la représentation de toutes sortes de pièces de théâtre, plus de deux voix qui doivent être de leur Troupe, et six Violons sans aucuns Danseurs ; lesdits Comédiens ne laissent pas de contrevenir aux Ordonnances qui ont été rendues à cet effet, en se servant de voix externes, en mettant un plus grand nombre de Violons, et même faisant faire des entrées de Ballets, et autres Danses : A quoi Sa Majesté voulant pourvoir, Sa Majesté en confirmant ses Ordonnances des trente Avril mil six cent soixante-treize, et vingt-un Mars mil six cent soixante-quinze, a fait très expresses inhibitions et défenses auxdits Comédiens Français et Italiens, de se servir d’aucunes voix externes, pour chanter dans leurs représentations, ni de plus de deux voix d’entr’eux ; comme aussi d’avoir un plus grand nombre de Violons que six, ni de se servir d’aucuns Danseurs dans lesdites représentations, sous quelque prétexte que ce soit ; à peine de cinq cents livres d’amende pour chaque contravention, au profit de l’Hôpital Général de sadite Ville de Paris ; Enjoignant Sa Majesté au sieur De la Reynie, Lieutenant Général de Police, de tenir sa main à l’exécution de la présente Ordonnance, qui sera à cet effet publiée et affichée partout où besoin sera. Fait à Versailles le vingt-septième jour du mois de Juillet mil six cent quatre-vingt-deux. Signé, LOUIS. Et plus bas, Colbert.

{p. 444}Sa12. Jan. 1685. Ordon. du Roi qui défend à toutes personnes, de commettre aucuns désordres à la Comédie. majesté étant informée que les défenses qu’elle a ci-devant faites à toutes personnes d’entrer aux Comédies, tant Françaises qu’Italiennes, sans payer, ne sont pas exactement observées ; et même que beaucoup de gens y étant entrés, interrompent par leur bruit le divertissement public : Sa Majesté a de nouveau fait très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, même aux Officiers de Sa Maison, ses Gardes, Gendarmes, Chevaux-Legers, Mousquetaires, et tous autres, d’entrer auxdites Comédies sans payer ; comme aussi à tous ceux qui y seront entrés, d’y faire aucun désordre, ni interrompre les Comédiens en quelque sorte et manière que ce soit. Enjoint au Lieutenant Général de Police de sa bonne Ville de Paris, de tenir la main à l’exécution de la présente Ordonnance. Fait à Versailles le douzième jour du mois de Janvier 1685. Signé, LOUIS. Et plus bas, Colbert. Et scellé du sceau de Sa Majesté.

Le1. Mars 1688. Arrêt par lequel le Roi permet aux Comédiens d’acquérir le Jeu de Paume de l’Etoile. Roi ayant ci-devant permis à la Troupe de ses Comédiens Français de s’établir dans la rue des Petits-Champs, ils auraient acquis l’Hôtel de Lussan, et une maison contiguë audit Hôtel, appartenante aux Religieuses Carmelites de la rue du Boulloir, l’un et l’autre situés dans ladite rue des Petits-Champs : Savoir, ledit Hôtel par adjudication à eux faite en l’Assemblée des Créanciers du sieur Ménardeau de Beaumont, et de la Dame son Epouse, le vingt-sixième jour de Janvier dernier, sous le nom de Maître Denis Bechet, Notaire au Châtelet de Paris, pour la somme de cent mille livres, et ladite Maison par Contrat volontaire du cinquième Décembre dernier, pour la somme de seize mille livres, sous le nom du sieur du Boisguerin, lesquels Bechet et Dubois auraient fait leurs déclarations au profit desdits Comédiens, ledit jour cinquième Décembre, et le trentième jour de Janvier dernier ; sur le prix de laquelle maison acquise desdites Religieuses, lesdits Comédiens auraient payé la somme de six mille livres ; et en outre les droits de lods et ventes : et Sa Majesté ayant depuis trouvé plus à propos de permettre auxdits Comédiens, de faire leur établissement dans le Jeu de Paume de l’Etoile, rue des Fossés saint-Germain-des-Prez, Sa Majesté étant en son Conseil, a cassé et déclaré nuls et de nul effet lesdites adjudications et contrat de vente desdits jours cinquième Décembre, et vingt-sixième Janvier derniers, sans que les Créanciers desdits Sieur et Dame de Ménardeau, lesdites Religieuses, et tous autres, puissent pour raison de ce prétendre aucuns dépens, dommages et intérêts à l’encontre desdits Comédiens, ni dudit du Boisguerin : Voulant Sa Majesté que les sommes qui ont été payées à compte du prix desdites acquisitions, ensemble les droits de lods et ventes, soient rendues et restituées à ceux qui en auront fait le payement sans difficulté. Permet Sa Majesté auxdits Comédiens de faire l’acquisition dudit Jeu de Paume, et d’y faire incessamment leur établissement ; à quoi Elle enjoint au sieur De la Reynie, Lieutenant Général de sa bonne Ville de Paris, de tenir la main. Fait au Conseil d’Etat du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le premier jour de Mars 1688. Signé, Colbert.

Louis par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, A notre amé et féal Conseiller Ordinaire en notre Conseil d’Etat, le sieur De la Reynie, Lieutenant Général de Police de notre bonne Ville de Paris, Salut. Suivant l’Arrêt dont l’Extrait est ci-attaché sous le contre-scel de notre Chancellerie, cejourd’hui donné en notre Conseil d’Etat, Nous y étant : Nous vous mandons et ordonnons par ces Présentes signées de notre main, de tenir la main à ce que nos Comédiens Français fassent incessamment leur établissement au lieu désigné par ledit Arrêt. Commandons au surplus au premier des Huissiers de notre Conseil, ou autre sur ce requis, de faire pour l’entière exécution d’icelui, tous Actes et Exploits nécessaires, sans pour ce demander autre permission : Car tel est notre plaisir. Donné à Versailles le premier jour de Mars 1688. Et de notre règne le quarante-cinquième. Signé, LOUIS. Et plus bas, par le Roi, Colbert.

Sa16. Novemb. 1691. Ordon. pour maintenir la tranquillité publique aux Comédies, publiée et affichée le 24 du même mois. majesté étant informée que les défenses qu’Elle a ci-devant faites à toutes personnes d’entrer aux Comédies, tant Françaises qu’Italiennes, sans payer, ne sont pas exactement observées, et même que beaucoup de gens y étant entrés, interrompent par leur bruit le divertissement du Public : SA MAJESTÉ a de nouveau fait très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, même aux Officiers de sa Maison, Gendarmes, Chevaux-Legers, Mousquetaires et autres, d’entrer auxdites Comédies sans payer : comme aussi à tous ceux qui y seront entrés, d’y faire aucun désordre, ni interrompre les Comédiens en quelque sorte et manière que ce soit : Enjoint au Lieutenant Général de Police de sa bonne Ville de Paris, de tenir la main à l’exécution de la présente Ordonnance. Fait à Versailles le 16. Novembre 1691. Signé, LOUIS. Et plus bas, Phelypeaux. Et scellé du cachet de Sa Majesté.

Il est ordonnéI à Pasquier Juré-Crieur du Roi, de publier et faire afficher la présente Ordonnance en tous les Carrefours et Places publiques de cette Ville. Fait ce 24. Novembre 1691. Signé, De la Reynie.

Sa19. Jan. 1701. Ordonn. qui réitère encore les défenses de troubler les représentations de l’Opéra et des Comédies, publiée et affichée le 18. du même mois ; ce qui se fait tous les ans. majesté étant informée qu’au préjudice des défenses ci-devant faites d’entrer aux Comédies et Opéra sans payer, et d’interrompre le divertissement du Public, quelques gens y ont depuis contrevenu : Sa Majesté a de nouveau fait très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, même aux Officiers de sa Maison, ses Gardes, Gendarmes, Chevaux-Legers, Mousquetaires et autres, d’entrer aux Comédies et Opéra sans payer, et à tous ceux qui y seront entrés, d’interrompre les Comédiens en quelque sorte et manière que ce soit, ni d’y faire aucun désordre, soit pendant les Représentations, ou Entre-Actes, soit devant ou après l’entrée auxdites Comédies et Opéra ; à peine de désobéissance : {p. 445}Enjoignant au Sieur d’Argenson, Conseiller du Roi en ses Conseils, Maître des Requêtes Ordinaire de son Hôtel, Lieutenant Général de Police de sa bonne Ville de Paris, de tenir la main à l’exécution de la présente Ordonnance, qui sera affichée par tout où besoin sera. Fait à Versailles le dix-neuvième Janvier mil sept cent un. Signé, LOUIS, Et plus bas, Phélypeaux.

Il est ordonné à Marc-Antoine Pasquier Juré-Crieur ordinaire du Roi en la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris, de publier et afficher dans tous les Carrefours, Places publiques, et lieux ordinaires et accoûtumés de cette Ville et Faubourgs de Paris, l’Ordonnance de Sa Majesté ci-dessus, à ce que personne n’en prétende cause d’ignorance. Ce fut fait et donné par Messire MARC-RENÉ DE VOYER DE PAULMY, Chevalier, Marquis d’ARGENSON, Conseiller du Roi en ses Conseils, Maître des Requêtes ordinaire de son Hôtel, et Lieutenant Général de Police de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris, le onzième jour d’Avril 1703. Signé, de Voyer d’Argenson.

Sa30. Août 1701. Ordon. du Roi, qui attribue aux Pauvres de l’Hôpital Général, un sixième de toutes les sommes qui seront reçues tant à l’Opéra qu’à la Comédie, publiée et affichée le 3. du même mois. Majesté s’étant fait représenter son Ordonnance du vingt-cinquième Février 1699. par laquelle Sa Majesté avait ordonné qu’il serait levé au profit de l’Hôpital Général, un sixième en sus des sommes qu’on payait alors pour l’entrée aux Opéra et Comédies, pour être ledit sixième employé à la subsistance des Pauvres ; et voulant Sa Majesté prévenir toutes difficultés à cause des prix différents, qui pourraient être mis dorénavant aux places desdits Opéra et Comédies, et conserver audit Hôpital le bien que Sa Majesté a entendu lui procurer ; Sa Majesté a ordonné et ordonne, que dorénavant il sera payé au Receveur dudit Hôpital le sixième de toutes les sommes qui seront reçues, tant par ceux qui ont le privilège de l’Opéra, que par les Comédiens de Sa Majesté ; lequel sixième sera pris sur le produit des places desdits Opéra et Comédies, sans aucune diminution ni retranchement, sous prétexte de frais ou autrement : Enjoint Sa Majesté au Lieutenant Général de Police de sa bonne Ville de Paris, de tenir la main à l’exécution de la présente Ordonnance, qui sera publiée et affichée par tout où besoin sera. Fait à Versailles le 30. Août 1701. signé, LOUIS : Et plus bas, Phélypeaux.

Il est enjoint à Marc-Antoine Pasquier Juré-Crieur ordinaire du Roi, de publier et afficher à son de Trompe et Cri public, aux portes de l’Opéra et de la Comédie, même dans les autres places et lieux publics et accoûtumés de cette Ville de Paris, l’Ordonnance ci-dessus, à ce que nul n’en prétende cause d’ignorance. Ce fut fait et donné par Messire MARC-RENÉ DE VOYER DE PAULMY, Chevalier, Marquis D’ARGENSON, Conseiller du Roi en ses Conseils, Maître des Requêtes ordinaire de son Hôtel, Lieutenant Général de Police de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris, le premier jour de Septembre mil sept cent un. Signé, de Voyer d’Argenson.