**** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-1 *date_1664 *creator_borromee FRONTISPICE TRAITTÉ CONTRE LES DANSES ET LES COMEDIES. Composé par Saint Charles Borromée Archeuesque de Milan, et Cardinal du Titre de Sainte Praxede. A PARIS Chez George Soly, ruë Saint Jacques au Phœnix M DC LXIV avec privilege du roy **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-2 *date_1664 *creator_borromee MADAME, Comme les instructions que les Saints nous ont données, ont besoin d'un exemple vivant pour être plus fortes ; j'ai cru que le vôtre était nécessaire pour autoriser les maximes de saint Charles qu'il donne au public. Celles de la Cour, dont votre Altesse est un des principaux ornements seraient opposées, si la sage conduite de notre invincible Monarque n'avait joint l'éclat des vertus à celui de la puissance : Mais quelque ordre qui paraisse dans une Cour plus réformée et plus Chrétienne qu'elle ne fut jamais, votre Altesse jugera sans doute, MADAME, que le grand Archevêque qui a fait le Livre que je vous présente avait à souhaiter une protection sous laquelle il pût apprendre aux hommes avec quelle précaution ils doivent user des plaisirs qui d'eux-mêmes sont légitimes. Je supplie très humblement votre Altesse, de préférer l'intérêt de la charité à celui de la modestie, et d'agréer que sous un nom glorieux comme le vôtre, j'Imprime un Ouvrage qui est de lui-même si excellent, qu'il ne saurait être honoré d'une dédicace moindre que celle que je fais ; il n'en peut pas avoir une plus glorieuse, si votre Altesse m'en accorde l'honneur, avec celui de lui dire que je suis, avec tout le respect que je dois. MADAME, **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-3 *date_1664 *creator_borromee LE LIBRAIRE AU LECTEUR. J'ai reçu ce présent ouvrage de S. Charles, des mains de Monseigneur l'Illustrissime Evêque de Montpellier, lequel durant son séjour à Rome l'avait fidèlement fait transcrire d'un cahier manuscrit gardé soigneusement dans la Bibliothèque du Cardinal François Barberin, avec la permission de sa grâce de l'imprimer en ta faveur : c'est l'avis que je t'ai voulu donner, ami Lecteur, afin que tu n'ignores pas à qui tu en es redevable. A Dieu. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-4 *date_1664 *creator_borromee EXTRAIT du Privilège du Roi. Par grâce et Privilège du Roi, il est permis à Jean Boude Imprimeur du Roi à Toulouse, et des Etats généraux de la Province de Languedoc, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter par tels Imprimeurs ou Libraires que bon lui semblera, la traduction du Latin en Français du petit Livre de saint Charles Borromée contre les danses, durant l'espace de douze années, à compter du jour que ledit Livre sera achevé d'imprimer. Faisant très expresses inhibitions et défenses à tous Imprimeurs, Libraires et autres, d'imprimer, faire imprimer, extraire ou contrefaire en aucune sorte que ce soit, ladite traduction en Français de saint Charles Borromée, contre les danses, ni partie d'icelle, en vendre ou distribuer d'autre que de celle dudit Boude, ou par ceux qui auront droit de lui, sous prétexte d'augmentation, correction, changement de titres, fausses marques, ou autrement en quelque sorte et manière que ce soit, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et intérêts : comme il est plus amplement porté par ledit Privilège du Roi, Donné à Paris le 7. jour du mois de Décembre, l'an de grâce 1662. et de notre règne le vingtième. Par le Roi en son Conseil. Signé Achevé d'imprimer le 9. Novembre de l'année 1663. Les exemplaires ont été fournis. Registré sur le Livre de la Communauté le 20. Décembre 1662. Et ledit Boude a cédé et transporté son droit de Privilège à George Soly, Marchand Libraire de cette ville de Paris, pour en jouir conjointement suivant l'accord fait entre eux du 19. Octobre 1662. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-5 *date_1664 *creator_borromee TABLE DES CHAPITRES du contenu en ce Livre I. Que les Danses ne sont pas mauvaises de leur nature. page 1. II. De deux sortes de Danses, dont il est parlé dans l'Ecriture Sainte. p. 6. III. Que les Danses sont défendues aux Ecclésiastiques. p. 13. IV. Que les Danses sont défendues dans les lieux Saints. p. 22. V. De ceux qui vont danser avec mauvais dessein. page 25. VI. De ceux qui dansent avec quelque danger de tomber en péché. p. 27. VII. De ceux qui sont aux autres, occasion de ruine et de péché. p. 29. VIII. Qu'il n'est point permis aux particuliers de faire des assemblées pour la danse, ni pour toute sorte de sujet. page 33. IX. Des mouvements déréglés du corps qui se font dans la danse. p. 35. X. Que c'est une chose vicieuse et un dérèglement manifeste de danser fréquemment. p. 37. XI. Qu'on ne peut danser sans péché les jours qui sont particulièrement destinés à l'exercice de la piété Chrétienne. p. 41. XII. Du Dimanche et des jours des Fêtes. p. 53. XIII. Que les lois civiles défendent de danser, et d'aller à la Comédie les jours des Fêtes. p. 66. XIV. Que les danses sont aussi défendues les jours des Fêtes par les lois Canoniques. p. 76. XV. Application de la doctrine précédente aux danses et aux bals qui se font aujourd'hui. p. 98. XVI. Des périls auxquels on s'expose en allant au bal. page 97. XVII. Que les danses sont condamnées dans l'Ecriture, et par les Pères. p. 119 XVIII. D'une excuse, de laquelle se servent ordinairement les gens du monde, pour justifier la conduite des jeunes hommes, et des jeunes filles qui vont au bal. p. 142 XIX. Si un Evêque peut défendre qu'on ne danse les jours des Fêtes, ou même en quelque temps de l'année que ce soit. p. 146. Lettre de l'Evêque d'Agnani, pour la défense d'une Ordonnance Synodale, par laquelle il avait défendu de danser les jours des Fêtes. page 154. Instruction et avis charitable sur le sujet des danses. page 177. Fin de la Table. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-6 *date_1664 *creator_borromee Chapitre I. Que les Danses ne sont pas mauvaises de leur nature. Comme les Danses ne sont que des assemblées, où l'on donne des témoignages de sa joie, et de sa satisfaction sensible par le chant, ou par l'usage de quelque instrument de Musique, et par le mouvement du corps ; il n'y a rien qui nous empêche d'entrer dans le sentiment commun des Docteurs, et de dire avec eux qu'elles ne sont point mauvaises de leur nature ; mais qu'elles sont d'elles-mêmes indifférentes. En effet cette sorte de témoignages extérieurs de contentement, et de joie, peuvent être bons, aussi bien que mauvais ; Et nous ne pouvons point douter, que quelques personnes pieuses n'en aient usé en quelques occasions, par le mouvement d'un véritable zèle, et par un sentiment de piété. Cela paraît dans l'exemple de David, qui comme il est rapporté au second Livre des Rois, jouait de toute sorte d'Instruments lors qu'on porta l'Arche dans la ville de Jérusalem, et dansait en la présence de Dieu, et à la gloire du Seigneur : Et dans celui de Marie sœur d'Aaron, qui après que Dieu eut submergé Pharaon avec toute son armée dans les eaux de la Mer rouge, et délivré son peuple de la captivité, chantait avec les autres femmes, et donnait au son des Instruments d'autres marques visibles de sa joie intérieure, en action de grâces, et pour bénir la toute-puissance de Dieu, qui les avait affranchis par des voies si extraordinaires. On peut dire la même chose de la fille de Jephté, lorsqu'elle alla au devant de son Père, avec des semblables démonstrations de joie, pour montrer combien elle était touchée et satisfaite de sa victoire. Mais tous ces exemples n'ont aucune conformité, ni aucun rapport, avec ce qui se fait aujourd'hui. Car toutes ces Danses dont il est parlé en ces endroits de l'Ecriture, n'étaient employées que pour honorer, et glorifier Dieu ; et celles qui se pratiquent maintenant, ne servent qu'au plaisir du corps, et à la délectation des sens ; et ont quelquefois des fins manifestement vicieuses. Il est même à remarquer, et c'est une chose qui mérite d'être bien considérée, que nous ne lisons jamais dans les Livres sacrés, qu'il se soit fait aucune assemblée d'hommes et de femmes pour cet exercice. Donc il faut nécessairement conclure que ce serait abuser de ces exemples, qui sont Saints, et dignes de vénération, de vouloir s'en servir pour excuser les usages de ce Siècle corrompu, et qu'on ne peut point les alléguer pour autoriser ces pratiques séculières ; « de peur, comme dit S. Cyprien, qu'il ne semble que nous voulions justifier nos vices par les saintes Ecritures ; ce qui serait les profaner d'une manière très indigne ». **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-7 *date_1664 *creator_borromee Chapitre II. De deux sortes de Danses, dont il est parlé dans l'Ecriture Sainte. Mais afin de mieux éclaircir cette matière, il est à propos de remarquer encore plus attentivement, que l'Ecriture ne fait mention que de deux sortes de Danses. Les unes viennent d'un mouvement de grâce, et sont rapportées au culte de Dieu, comme celles que nous avons marquées au Chap. précédent ; et les autres de l'inclination de la nature vers son propre plaisir, que le S. Esprit condamne comme des exercices, où Dieu est ordinairement offensé. « Ne fréquentez point, dit-il, et n'écoutez point la femme Danseuse, de peur que ses attraits ne causent votre ruine. » C'est sans doute par la lumière de cet Esprit Saint, que Sara fille de Rachel avait été conduite, qui répandant son cœur en la présence de Dieu dans l'amertume de son âme, disait qu'elle ne « s'était point mêlée parmi les personnes qui jouaient et qui dansaient », et qu'elle n'avait pris aucune part à leurs divertissements profanes. C'est de cette récréation folle, et déréglée que parle Job, lorsqu'il dit, expliquant la conduite, et la manière de vivre des pécheurs, « qu'ils se réjouissent au son du Tambour, et des autres Instruments, et qu'après cette vaine et courte joie ils se précipitent dans les enfers en un moment ». Enfin cette Danse sensuelle est exprimée dans la prophétie d'Isaïe « par les démarches mesurées des filles de Sion », qui attiraient la malédiction de Dieu sur elles. Car les femmes Juives étaient fort adonnées à la Danse, comme rapporte S. Basile sur ces paroles du Prophète : « On voit encore maintenant, dit-il, que les femmes Juives font de la Danse leur principal divertissement. » Saint Augustin encore, lorsqu'il dit, « que les femmes Juives feraient beaucoup mieux de s'occuper au Sacrifice le jour du Sabbat, que de le passer comme elles font dans l'exercice de la Danse ». On lit la même chose dans la cinquième Loi du Code Théodosien : « Si quelques Chrétiens, dit cette Loi, veulent imiter la folie et l'impiété des Juifs, et suivre l'étourdissement ou l'aveuglement des Infidèles et des Païens, en profanant comme ces peuples charnels les jours destinés au culte de Dieu, par des recréations mondaines ; qu'ils apprennent que le temps qui est consacré aux prières, et à l'oraison, n'est pas un temps de plaisir et de volupté. » Ces diverses sortes de Danses ont été en effet, pratiquées par les Païens. Car comme rapporte Cælius Rodiginus, ils ne s'en sont pas seulement servis pour satisfaire à leur sensualité ; mais encore pour honorer leurs faux Dieux dans leur vaine, et impertinente Religion. Ce qu'ils ont fait par l'instinct du Diable, qui dans le dessein de tromper les hommes, et les perdre, et par l'ambition qu'il a de se rendre semblable à Dieu, et de se faire adorer, a voulu qu'on employât dans l'exercice de la superstition, et de l'idolâtrie, tout ce que les hommes inspirés du S. Esprit, ont fait extérieurement pour le culte du vrai Dieu. L'usage de cette sorte de danses qui selon l'Ecriture servent à glorifier Dieu, ne se trouve point parmi les Chrétiens, si ce n'est peut-être en ce que le Clergé et le peuple fidèle s'assemble pour bénir Dieu, pour le remercier, et pour l'invoquer, enfin pour l'honorer par le Chant, et par le son des instruments de Musique. Et en ce que selon l'ordre de l'Eglise, nous faisons des Processions, où le Chant est accompagné du mouvement du corps, qui même en quelques endroits se fait avec plus de règle, et avec plus de mesure. Mais cet autre sorte d'exercice dans lequel on s'occupe pour délecter, et contenter les sens, n'est que trop fréquent dans le Christianisme, et on en use d'une manière tout a fait vicieuse, et désordonnée. Et par là ceux qui ont été faits enfants de Dieu, et membres de Jésus-Christ par leur Baptême, deviennent honteusement les imitateurs, non seulement des Juifs, mais des Gentils et Idolâtres, comme il est marqué dans la Loi que nous avons citée, et dans un passage de saint Augustin que nous rapporterons plus bas. Si nous parlions donc rigoureusement, et dans l'exactitude des Jurisconsultes, ne considérant que ce qui se rencontre le plus souvent dans la pratique ordinaire de ces danses profanes, qui ont pris naissance de la corruption des mœurs des Hébreux, et des observances superstitieuses des Païens ; nous pourrions dire que tous ces exercices qui ne vont qu'au contentement des sens sont absolument mauvais ; parce que les vices s'y mêlent, et le péché s'y trouve très fréquemment, et que suivant la règle des Jurisconsultes, il faut juger des choses selon ce qui arrive ordinairement. Néanmoins comme on ne peut point nier qu'on ne puisse prendre innocemment quelque sorte de récréation, pour délasser l'esprit par le Chant, ou par le son des Instruments, et par le mouvement même mesuré du corps, nous ne prétendons pas conclure par ce que nous avons dit, que la Danse soit d'elle-même criminelle. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-8 *date_1664 *creator_borromee Chapitre III. Que les Danses sont défendues aux Ecclésiastiques. Puisque les danses sont d'elles-mêmes indifférentes ; il est nécessaire que nous examinions les conditions et les circonstances qui les peuvent rendre mauvaises : commençons par la qualité des personnes. Nous disons donc que les personnes Ecclésiastiques ne peuvent point licitement danser, et que les Danses leur sont entièrement défendues. C'est la doctrine de S. Thomas, de S. Bonaventure, de S. Antonin, d'Angélus, de Sylvestre, et des autres Casuistes. Ces Auteurs appuient ce sentiment de deux Canons du Décret qui ne sont pas exprès, et dans lesquels la prohibition de la Danse n'est pas formellement contenue. Car le I. défend seulement les bouffonneries, « les railleries, et les discours immodestes et indiscrets, et veut que les Clercs qui sous prétexte de divertissement usent de ces paroles impertinentes, soient déposés et éloignés de l'exercice de leurs fonctions ». Le second défend l'ivrognerie, les ris immodérés, les contes vains et ridicules, les jeux profanes et séculiers, et tout ce qui peut servir à la volupté mondaine. Il y est aussi marqué que les Ecclésiastiques, ne doivent point se divertir à voir les masques, ni souffrir ces insolences en leur présence ; parce que ce sont des inventions diaboliques, et contraires à l'esprit de l'Eglise, et aux Canons. Mais il y a dans le Droit Canon des défenses plus expresses, et des prohibitions plus formelles de la Danse, pour ceux qui sont honorés de la Cléricature. Car le Concile d'Agde rapporté par Gratien, ordonne à tous ceux qui sont engagés dans cette profession sainte, de n'aller point aux festins des Noces, et de n'assister à ces assemblées, où l'on chante des chansons d'amour, et où l'on danse ; de peur que les yeux, et les oreilles, que la divine vocation applique aux saints ministères, ne soient souillées par la vue des mouvements qui peuvent laisser des impressions d'impureté, ou par des paroles indiscrètes, et lascives. Le Concile de Laodicée dit qu'il ne faut point que ceux qui servent à l'Autel, ni qu'aucun Clerc se trouve jamais aux spectacles des Noces, et des Comédies. Si les Canons ne permettent pas seulement aux Ecclésiastiques de se trouver aux lieux, et dans les occasions, où se font les Danses ; Comment pourrait-on prétendre, qu'ils pussent eux-mêmes danser sans péché. Sylvestre et Angélus déclarent que le péché que ces personnes commettent, si elles viennent à danser, est mortel à cause de la prohibition, et du scandale : si ce n'est peut-être, dit un de ces Docteurs, que la circonstance rende le péché moindre, comme si cette Danse se faisait en secret, et qu'on n'y employât que fort peu de temps. Cette condition néanmoins, que cet Auteur particulier ajoute, ne saurait mettre les Clercs en assurance, ni excuser leur péché, s'ils désobéissent en ce point à l'Eglise, et s'ils violent les Canons. Car soit qu'ils dansent secrètement, soit qu'ils se divertissent de cette manière à la vue du monde, ce qu'ils font est toujours prohibé, et par conséquent illicite. Et la raison du Concile d'Agde n'a pas moins de force touchant les Danses secrètes qu'à l'égard des publiques, puisqu'il sera toujours vrai, que l'Ecclésiastique qui assiste à la Danse, expose sa vue, et ses oreilles, qui sont consacrées à Dieu par l'application au service de l'Autel, à la profanation, et au danger évident de salir sa pureté. Il semble même que c'est une pure imagination de penser, qu'il y puisse avoir des Danses secrètes, spécialement pour les Clercs, sur qui tout le monde jette les yeux, et dont on remarque fort exactement les actions. Enfin quand bien un Ecclésiastique pourrait danser secrètement, il y aurait toujours beaucoup de raisons, qui le rendraient inexcusable dans son péché. Et si quelqu'un nous oppose pour éluder la force du Canon du Concile d'Agde, que le Concile ne parle que des Danses, et des jeux qui sont immodestes et déshonnêtes, et qu'ainsi ces sortes d'exercices ne sont pas illicites à l'égard des Clercs, lorsqu'il ne s'y mêle rien de contraire à l'honnêteté, et à la modestie ; cette objection se détruit aisément par la considération sérieuse et attentive du vrai sens du Canon, qui ne comprend pas seulement les déshonnêtetés qui sont évidemment mortelles ; mais toute sorte d'actions, de gestes, et de mouvements trop libres, qui ne s'accordent point avec la retenue, et avec la sainteté des enfants de Dieu. Ces actions, ces gestes, et ces mouvements sont pourtant inséparables de la Danse, principalement, en la manière qu'elle se fait aujourd'hui. Et ainsi suivant le véritable sens du Canon les Danses de ce temps, quoique on ne les juge pas déshonnêtes ; sont néanmoins opposées à l'honnêteté Chrétienne, et par conséquent à la piété, spécialement des personnes Ecclésiastiques. Car pour réfuter encore plus puissamment cette illusion, ce qui ne passerait pas pour contraire à l'honnêteté, si on le prenait absolument, d'une manière générale ; ne laisse pas de l'être, par rapport à la condition particulière des personnes appliquées au culte de Dieu par une spéciale consécration. Et c'est pour cela que le Canon du Concile de Laodicée défend ces mêmes Exercices de la danse, et la Comédie à tous les Ecclésiastiques sans distinction ni restriction. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-9 *date_1664 *creator_borromee Chapitre IV. Que les Danses sont défendues dans les lieux saints. Après avoir considéré la qualité des personnes, nous descendrons à la différence des lieux. Il est donc constant que l'on ne peut danser dans un lieu saint, c'est-à-dire dans les Eglises ou Chapelles, ni dans les Cimetières, sans péché mortel. C'est la doctrine de Saint Antonin et de Sylvestre, sur l'autorité d'un Chapitre du sixième des Décrétales, où le Pape Grégoire dixième ordonne qu'on bannisse de tous les lieux consacrés à Dieu, et destinés au culte divin, tout ce qui peut troubler la paix des Divins Offices, causer de l'interruption dans les Prières, ou mettre quelque autre empêchement au repos et à la dévotion des Chrétiens ; et que l'on en éloigne toute sorte d'assemblées, et d'actions séculières, et profanes, afin que non seulement on ne pèche point dans les lieux où l'on vient demander la rémission des péchés ; mais qu'on y vaque encore avec quiétude d'esprit, et avec une application tranquille aux Exercices spirituels auxquels ces sacrés lieux ont été dédiés. Il ajoute même, que l'on ne permette point aucune sorte de trafic, ni l'exercice de la Justice séculière dans les Cimetières. On peut ajouter fort convenablement à cette prohibition les paroles d'Innocent III. « On  fait (dit-il) quelquefois dans les Eglises des jeux de Théâtre, où non seulement paraissent des personnes masquées et travesties (ce qui est monstrueux) mais les Ecclésiastiques même prennent part à ces folies. Nous vous enjoignons (ajoute-t-il plus bas) de détruire et d'arracher cette mauvaise coutume, qui est un véritable abus, afin que la sainteté des Eglises ne soit point violée par ces jeux profanes et indécents. » Mais il n'y a point de preuve plus puissante pour établir cette vérité, qu'on pèche grièvement lorsqu'on danse dans quelque lieu Saint ; que ce qui est marqué dans un Canon de ceux qu'on nomme Pénitentiaux, qui condamne à trois ans de pénitence, celui qui aurait commis cette irrévérence, que de danser seulement devant l'Eglise. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-10 *date_1664 *creator_borromee Chapitre V. De ceux qui vont danser avec mauvais dessein. Il est évident que ceux qui vont au Bal, à la Comédie, et aux autres lieux où on danse et où on se divertit avec des désirs déréglés, et avec des dispositions contraires à la Loi de Dieu, se rendent encore coupables de péché mortel : Car si l'intention est criminelle, il faut nécessairement que l'action qui en procède le soit aussi, quelque indifférente qu'elle soit d'elle-même ; comme S. Augustin nous l'apprend, lors qu'il dit, « que ce n'est point à la vérité un péché d'aller à la guerre, mais que l'on ne peut y aller sans péché, si on embrasse cette condition pour voler ; que les charges de la République ne rendent point un homme criminel, mais que néanmoins l'administration des affaires publiques est vicieuse, lorsqu'elle est en la main d'un homme, qui n'y cherche que ses intérêts particuliers, et qui ne s'y applique que par esprit d'avarice, et pour s'enrichir. » On ne peut donc point douter que danser ne soit un crime en ceux qui le font, cachant quelque mauvais dessein dans leur cœur. C'est la doctrine de saint Thomas et de saint Bonaventure, d'Alexandre de Halès, de saint Antonin, et des autres Docteurs. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-11 *date_1664 *creator_borromee Chapitre VI. De ceux qui dansent avec quelque danger de tomber en péché. Celui qui se rend aux assemblées où l'on danse avec danger de commettre quelque péché mortel, devient sans doute coupable de péché mortel en hasardant ainsi son salut ; et en s'exposant à perdre la vie de son âme, qui est inestimable. Car l'Ecriture dit, « Que celui qui aime le danger, perdra infailliblement dans ce même danger qu'il ne craint pas, et qu'il recherche. » C'est le sentiment d'Angélus et de Sylvestre. Et nous ajoutons, que non seulement celui qui s'expose au péril du péché, avec une connaissance évidente ou probable de ce même péril, pèche grièvement : mais qu'encore celui qui doit raisonnablement appréhender qu'il se mettra dans le même danger, en assistant à la danse, commet la même faute : car la témérité, et l'aveuglement d'esprit avec lequel il met en hasard son salut éternel, ne peut jamais lui servir d'excuse, au contraire c'est ce qui le rend coupable. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-12 *date_1664 *creator_borromee Chapitre VII. De ceux qui sont aux autres occasions de ruine, et de péché. Il est aussi évident que celui qui craint, ou qui a sujet de craindre raisonnablement, que les autres ne tombent dans quelque péché mortel, à son occasion, ou à cause de la danse, pèche encore lui-même mortellement, s'il se trouve à la danse, ou s'il la procure. Sylvestre répète deux fois cette proposition au lieu qui a été cité auparavant. En effet, si quelqu'un a quelque fondement probable, de croire que quelque personne particulière, et certaine, péchera, ou à son occasion, ou à l'occasion de la danse ; qui peut douter qu'il ne soit obligé en conscience de s'en abstenir, et qu'il ne pèche grièvement, s'il ne s'en retire ? Puisque suivant la doctrine de S. Thomas, et la lumière même naturelle de la raison, nous devons laisser et omettre toutes les choses qui ne sont pas nécessaires au salut, lorsque le prochain en peut être scandalisé, c'est-à-dire, lorsque ce que nous ferions lui pourrait donner quelque occasion de ruine, et de péché, à cause de son infirmité. Navarre enseigne encore la même chose plus distinctement et plus clairement dans son Manuel. Mais ce n'est pas seulement celui qui peut probablement juger qu'une personne certaine péchera mortellement à l'occasion de la danse, qui se rend coupable de péché mortel : cela s'étend encore à tous ceux, qui sur ce que l'on sait arriver ordinairement, ont juste sujet d'appréhender en général, que dans l'assemblée qui se fait pour cet exercice, il y en aura qui pécheront grièvement. Car cette doctrine qui est rapportée par Angélus et par Sylvestre, est véritable et constante, que si quelqu'un fait quelque action, qui ne soit pas mauvaise de sa nature, et même que tout le monde puisse faire licitement, prenant la chose en elle-même ; si toutefois dans la condition présente du temps, et à cause de la corruption, et dépravation des mœurs, cette même action, qui de soi serait innocente, est devenue une cause, ou une occasion de mal, et de péché, il est tenu de s'en abstenir ; et s'il ne le fait pas, il offense Dieu. Il y a donc obligation de fuir absolument les danses lorsqu'il paraît, que selon l'usage présent, il s'y commet ordinairement des péchés mortels, encore qu'on ne sache point en particulier les personnes qui peuvent en être coupables. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-13 *date_1664 *creator_borromee Chapitre VIII. Qu'il n'est point permis aux particuliers de faire des Assemblées pour la danse, ni pour toute sorte de sujet. C'est un désordre dans les Républiques, très éloigné du bon sens, et de la raison, que des particuliers assemblent du monde pour la danse, ou au moins qu'ils le fassent pour la moindre occasion, et pour toute sorte de sujet. C'est le sentiment commun des Docteurs, et entre autres de saint Thomas, et saint Antonin, Roselius, Sylvestre et Zabarius, qui ne permettent point les danses, que pour des raisons importantes, et qui sont dans le bon ordre d'une juste police ; comme pour quelque victoire, ou pour des noces. Ils jugent même, que quoique la danse soit de sa nature indifférente, elle est néanmoins mauvaise en tous les autres cas, où ces causes raisonnables ne se rencontrent point. Et cette doctrine est toute dans la prudence et dans la justice ; car si on ne donne point de bornes au plaisir, et si l'on ne prescrit des règles aux hommes pour leurs divertissements ; l'inclination qu'ils ont à la volupté, corrompra bientôt les mœurs : et suivant la pensée de Cicéron même, en imitant le bien, elle gâtera et introduira le mal ; comme on ne le voit que trop dans l'exemple même des danses. Il faut donc ajouter encore, que ceux qui sont en autorité pour régir et pour régler les peuples, sont coupables s'ils ne remédient aux désordres, qui se commettent sur ce sujet, et qui se répandent partout. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-14 *date_1664 *creator_borromee Chapitre IX. Des mouvements déréglés du corps qui se font dans la danse. On ne peut point douter que, suivant la doctrine de saint Thomas, le défaut de modération dans le mouvement du corps, et les agitations indiscrètes et excessives, ne soient contraires à la raison, et par conséquent à la vertu, qui ne souffre rien de déréglé. Platon même, quoique Païen, veut que ceux qui dansent soient modérés dans cet exercice. Mais si le mouvement du corps est accompagné de quelque sentiment lascif, et impudique ; ou si on s'en sert pour éveiller la sensualité, et pour exciter, ou entretenir quelque mauvais plaisir, ou quelque satisfaction dangereuse dans la chair, et dans les sens ; le même Docteur Angélique nous apprend que c'est un péché mortel ; et saint Bonaventure, Angélus, Roselius, et Sylvestre, après Alexandre de Halès, sont de même avis. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-15 *date_1664 *creator_borromee Chapitre X. Que c'est une chose vicieuse et un dérèglement manifeste de danser fréquemment. Quoiqu'il soit permis de prendre quelque recréation après le travail, et de donner quelque relâche à son esprit après les occupations sérieuses ; si on excède néanmoins dans le divertissement, soit pour la manière d'en user, soit pour le temps qu'on y emploie, ce n'est plus une recréation honnête ; mais une pure sensualité, et on n'agit pas en homme raisonnable : mais on se laisse conduire aux passions de la chair, et aux instincts de la nature, comme les bêtes. Roselius, et Angélus sont même passés plus avant, et ont dit que ceux qui dansent souvent, et qui s'accoutument à cet exercice, pèchent mortellement. Il est vrai, que Sylvestre n'approuve point ce sentiment, touchant la grièveté de ce péché, croyant que le fréquent usage d'une chose qui de soi n'est pas mortelle, ne peut pas faire qu'elle le soit : mais ces Auteurs appuient très solidement leur avis par cette raison qu paraît claire, et convaincante. Que ceux qui dansent ainsi fréquemment, par le plaisir qu'ils prennent à danser, s'attachent avec tant de passion à cet exercice, qu'ils tombent presque toujours dans quelque faute, qui les rend coupables de péché mortel. Et il faut remarquer que ces Docteurs n'ont pas été les premiers à condamner cette coutume de danser. Ils en ont porté ce jugement après Alexandre de Halès, qui n'excuse pas même de péché mortel, celui qui aurait été engagé contre son gré, et par pure condescendance dans cet exercice ; si par le plaisir qu'il y prend il s'y attache, et s'y accoutume ; parce que quand bien il serait vrai de dire que pour danser fréquemment, et sans modération, s'il n'y avait quelque autre circonstance qui augmentât la malice de l'action, on peut ne pécher pas mortellement ; néanmoins parce que ce plaisir sensible qu'on prend si souvent, dispose peu à peu les âmes à violer les commandements de Dieu, et de l'Eglise ; et à faire malheureusement avec une affection déréglée, ce qu'on faisait au commencement avec une satisfaction moins mauvaise ; comme l'on dit que le péché véniel, lorsqu'on néglige de s'en corriger, et qu'on s'y lie avec affection, est une disposition au mortel : on peut dire en ce sens que ceux-là pèchent mortellement qui vont fréquemment au bal, à cause qu'ils se disposent insensiblement à tomber dans le péché mortel, et qu'ils s'exposent au péril de le commettre. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-16 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XI. Qu'on ne peut danser sans péché les jours qui sont particulièrement destinés à l'exercice de la piété Chrétienne. Ceux qui dansent, et qui vont au bal, et à la comédie au temps dans lequel, suivant l'ordre de l'Eglise, les Chrétiens doivent spécialement vaquer à la pratique de la pénitence, ou s'occuper aux exercices spirituels, et à la dévotion, ne sauraient être excusés de péché mortel. C'est la doctrine de Roselius, et de Sylvestre, après Alexandre de Halès, qui pour exposer plus clairement leur avis par des exemples, marquent le temps de l'Avent jusques à l'Epiphanie, et depuis la Septuagésime jusques à Pâques ; ne doutant point que pendant ce temps, les danses ne soient illicites, et criminelles. Sylvestre étend cette même doctrine au jour du Dimanche, quoique en cette matière il se soit beaucoup écarté de la vérité, et qu'il se soit laissé aller dans des opinions fort accommodantes. Il croit donc que ceux qui dansent les jours des Dimanches pèchent grièvement ; si ce n'est peut-être, dit-il, que ce fût dans l'occasion d'une joie publique, et extraordinaire, comme pour quelque victoire, ou que cela se fît secrètement : mais ces exceptions ne sont point justes, et ne doivent point être par conséquent reçues. Car comme nous avons dit auparavant, suivant le sentiment de plusieurs Docteurs anciens très considérables par leur sainteté, et par leur doctrine, les danses ne sont point permises que pour des sujets raisonnables, et importants, qui regardent le bien de la société civile, aux jours mêmes qui ne sont pas particulièrement dédiés à la piété et au culte de Dieu. Et ainsi lorsqu'il y a quelque sujet de réjouissance publique, la considération que l'on doit avoir pour l'ordre de l'Eglise et l'obligation qu'ont ses enfants de s'appliquer aux choses de Dieu, ne permet point qu'on puisse légitimement faire choix de ces jours saints pour des divertissements humains et profanes. Et quand bien en ces jours consacrés à la gloire de Dieu, on ne danserait qu'en secret, on ne serait pas exempt de péché ; Car encore que le scandale ne s'y trouve pas, on s'oppose manifestement, non seulement à l'ordre ; mais à l'esprit de l'Eglise, qui est celui de Dieu même ; puisqu'on perd par des actions séculières, le temps qu'elle avait marqué pour la mortification, et pour les autres exercices spirituels nécessaires à la sanctification des âmes. Ce même Auteur suivant la disposition dans laquelle il était d'élargir la voie du salut, contre la parole expresse de l'Evangile, excepte encore le cas de la coutume ; permettant la danse aux jours de quelques fêtes particulières, lorsque l'usage en est déjà établi : Mais ceux qui seront véritablement entrés dans les sentiments de l'Eglise, et qui seront animés de l'Esprit qui l'a conduite dans l'institution de ces solennités, souffriront encore moins cette exception, que les autres ; Car ils seront persuadés que les témoignages de la joie Chrétienne, qui est une joie toute spirituelle, et toute en Dieu, ne sauraient s'accorder avec ces danses mondaines. Nous avons le chant de l'Eglise, les Hymnes, et les Processions pour exprimer la véritable joie, que le saint Esprit inspire à nos cœurs ; et ce sont les seuls témoignages de joie que l'Eglise a reçus, et approuvés ; Au lieu qu'elle a traité les danses, lorsqu'elle en a parlé dans ses Canons, comme des divertissements indécents, et entièrement honteux. En effet, si les danses d'aujourd'hui pouvaient convenir avec la joie sainte de l'esprit Chrétien, pourquoi les condamnerait-on en certaines personnes, et en certains lieux, et lorsque l'usage en est trop fréquent ? Et pourquoi ne serait-il pas permis aux personnes mêmes consacrées à Dieu, de danser, et à celles qui ne le sont pas de prendre ce divertissement dans un lieu saint, et de le faire autant de temps qu'il leur plaira ? Mais revenons encore sur ce même sujet des Fêtes, à l'exception que ce même Docteur fait, sur les occasions importantes d'une réjouissance publique, comme serait quelque victoire remarquable. Hélas ! n'avons-nous pas assez d'autres exercices licites, et usités dans l'Eglise, qui ne répugnent point à la sainteté des jours qui sont destinés à la prière et à la piété, pour témoigner notre joie, s'il arrivait qu'on ne pût pas différer cette réjouissance en autre temps ; sans avoir recours à des usages qui favorisent la nature corrompue, et qui nourrissent l'esprit du siècle ? Certes les vrais Chrétiens, et les enfants de Dieu n'ont pas accoutumé de se servir de ces moyens pour le remercier des bienfaits, qu'ils ont reçus de sa miséricorde ; et nous avons déjà montré, que les danses de l'ancien Testament qui furent rapportées à la gloire de Dieu, et à sa louange, comme celle de Marie sœur d'Aaron, après la ruine de Pharaon, et la perte de son armée, sont bien différentes, et bien éloignées de celles d'aujourd'hui. Ce que nous avons dit touchant le temps de la Pénitence, c'est-à-dire dans lequel les Chrétiens doivent suivant l'ordre et la discipline de l'Eglise, s'exercer dans la mortification, est confirmé par un passage de saint Augustin rapporté par Gratien ; où ce saint Docteur dit, « Que celui qui veut obtenir la rémission de ses péchés par l'esprit, et par les œuvres d'une sincère pénitence, doit fuir les jeux, les bals, et les Comédies. » Ce que le Maître des Sentences nous apprend encore, disant que les pénitents sont obligés de s'abstenir de tous ces divertissements mondains. En effet, comment peut-on accorder ces actions séculières, qui flattent les sens, et donnent du plaisir à la chair, avec les larmes d'une âme vraiment pénitente, qui s'afflige pour rendre honneur à la Justice de Dieu, par la haine qu'elle a conçu contre le péché, et contre elle-même ? Or le temps marqué pour la pénitence comprend les jours des Litanies, et des Quatre-Temps, et tous les autres jours dans lesquels les fidèles sont tenus de jeûner. Et le temps qui est spécialement dédié à la dévotion, ne comprend pas seulement tous les Dimanches de l'année, mais toutes les Fêtes qui sont d'obligation ; parce que suivant la doctrine commune, nous sommes obligés de les passer aussi saintement, que le jour même du Dimanche. Il est vrai que pour ce qui regarde les Fêtes, quelques Casuistes ont ajouté, par une condescendance excessive, des exceptions très dangereuses, par lesquelles ils donnent aux Chrétiens une liberté contraire aux sentiments de l'Eglise, et à l'esprit de leur profession. Car Angélus ne condamne pas la danse aux jours de Fêtes, pourvu qu'on ne s'y adonne point au temps des Offices divins, et qu'on n'y emploie que la moindre partie du jour. Et Sylvestre est encore descendu dans un relâchement plus étrange, réduisant l'obligation de ne point danser en ces jours, au seul temps de la Messe. C'est ce qui a donné fondement aux abus déplorables, et aux désordres qu'on voit partout sur ce sujet en ces saints jours. Ils eussent bien mieux fait de suivre constamment et de soutenir généreusement la doctrine des anciens, appuyée sur la discipline de l'Eglise, et animée de son esprit, et de réprimer par la force de la vérité la licence effrénée des Chrétiens relâchés et vicieux, que de leur apprendre une voie large qui favorise leurs convoitises, et qui par conséquent ne peut que les conduire au précipice, par des opinions nouvelles, qui n'ont aucun fondement dans la doctrine de l'Eglise, ni dans celle des Saints. Concluons donc pour finir ce Chapitre, que ceux qui dansent au temps destiné par l'Eglise à l'exercice de la mortification, pèchent grièvement ; parce qu'ils s'opposent directement au dessein, et aux ordres de cette même Eglise, puis qu'ils cherchent leurs plaisirs sensuels, lorsqu'elle veut que ses enfants gémissent devant Dieu, et entrent dans les afflictions salutaires de la pénitence. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-17 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XII. Du Dimanche et des jours des Fêtes. Il faut maintenant que nous pesions sérieusement les raisons qui font voir qu'on ne peut pas danser sans péché les jours des Dimanches, ni les jours des Fêtes. Commençons par la considération de l'institution de ces mêmes Fêtes, et des exercices qui sont propres à la sainteté de ces jours ; afin que nous connaissions par là, si le bal, et la danse sont compatibles avec ces dévotions, et avec ces solennités. Nous aurons soin, et tâcherons d'appuyer tout ce que nous avancerons sur l'autorité de ceux qui ont droit, et obligation de régler les fidèles ; afin qu'on ne croie pas que nous disions rien de nous-mêmes. La fin principale pour laquelle les Fêtes ont été instituées, comme l'Ecriture même nous enseigne ; c'est pour honorer le repos ineffable de Dieu après l'ouvrage de six jours. « Dieu a fait, est-il dit dans l'Exode, le ciel, la terre, la mer, et toutes les autres choses qui y sont contenues, et il s'est reposé le septième jour ; c'est pour cela qu'il a ordonné un jour de repos, qu'il l'a béni, et qu'il l'a sanctifié. » Nous devons donc en ces jours nous séparer des occupations temporelles, et qui regardent le Siècle ; pour nous occuper en Dieu, et aux choses spirituelles ; et c'est ce qu'on appelle sanctifier les Fêtes. Ce qui est encore expressément marqué dans les Livres des constitutions Apostoliques, qui nous apprennent que les jours des Fêtes ne sont établis que pour le culte de Dieu, et afin que nous nous souvenions de sa naissance dans la chair, de sa mort, et de sa résurrection, et qu'étant remplis d'une joie toute spirituelle dans la vue de ses inestimables bienfaits, nous l'honorions par des actions de grâces, et par des œuvres de vertu. Outre le Dimanche nous célébrons encore des Fêtes en l'honneur des Saints ; mais ce culte revient à la gloire du Fils de Dieu, qui en est le chef, parce que c'est lui qui les a sanctifiés, et qui les ayant faits ses membres, leur a donné la plénitude de son esprit, par laquelle ils sont devenus Saints, et parfaits. Nous faisons encore ces mêmes Fêtes des Saints, afin que nous remettant dans l'esprit la vie qu'ils ont menée, et les vertus qu'ils ont pratiquées avec tant de fidélité et de perfection, nous concevions des désirs solides de les imiter, et nous résolvions à suivre leur exemple. C'est ce que Saint Paul veut dire, lorsqu'il écrit aux Hébreux, « Souvenez vous de vos Prélats qui vous ont annoncé la parole de Dieu ; et faisant attention à la consommation de leur sainte vie ; tâchez d'imiter la vigueur de leur foi. » Car suivant l'interprétation de Théodoret, l'Apôtre parle en cet endroit de ceux qui étaient déjà morts comme saint Jacques qu'il appelle ailleurs, le frère du Seigneur, et qui avait été tué par le commandement d'Hérode. Et saint Basile dit encore sur le même sujet : « C'est pour notre avantage, et pour notre utilité, que nous faisons avec solennité la mémoire des Martyrs ; car ils n'ont pas besoin de nos louanges, qui ne répondent jamais à leur mérite ; et ils ont une entière félicite, et une parfaite gloire en Dieu, dont ils jouissent ; mais c'est nous, qui avons besoin de nous représenter la conduite qu'ils ont tenue, pour parvenir à l'état bienheureux qu'ils possèdent ; afin de nous rendre dignes, par l'imitation fidèle de leur vie, de participer un jour à leur bonheur. » Voilà quelles doivent être les occupations des Chrétiens les jours des Fêtes. Mais ajoutons des nouvelles autorités aux précédentes, pour éclaircir davantage ce point, qui est si important dans la Religion Chrétienne. Le Pape Nicolas premier répondant aux Bulgares, marque distinctement les exercices, auxquels doivent s'occuper les fidèles en ces saints jours, dont nous parlons. « Il faut savoir, dit-il, que l'on s'abstient des œuvres serviles, et des occupations mondaines les jours des Fêtes, afin que l'on soit dans une plus grande liberté d'aller aux Eglises, de chanter des Psaumes, des Hymnes, et des Cantiques spirituels, de s'appliquer à l'Oraison, de porter des Oblations à l'Autel, de prendre part à la grâce des Saints, par le souvenir de leurs vertus, de s'encourager, et de s'animer à leur imitation, d'écouter la parole Divine avec attention, et avec ferveur, et d'exercer la charité envers le prochain, et faire des aumônes. » Alexandre III. dit que les jours du Dimanche, et des autres Fêtes, sont consacrés à la gloire de la Majesté souveraine de Dieu ; et que c'est pour cela que les ordonnances de l'Eglise nous obligent de les sanctifier. Il ne faut pas omettre ces paroles excellentes du Concile de Fréjus : « Il faut, dit-il, s'abstenir les jours des Fêtes de toute sorte de péché, et de toute sorte d'œuvre sensuelle, ou terrestre ; et ne s'occuper à autre chose en ce saint temps, qu'aux exercices de l'Oraison, et à se rendre fidèlement aux assemblées qui se font dans les Eglises pour les Offices, avec une parfaite ferveur d'esprit. » Ajoutons encore le Concile de Mâcon : « Vous, Chrétiens, disent les Prélats assemblés dans ce Concile, qui ne portez pas en vain ce saint nom dont vous êtes honorés, et qui désirez vous en rendre dignes par votre conduite ; écoutez avec attention les avertissements que nous vous donnons, sachant que Dieu ne nous a donné l'autorité que nous avons, que pour veiller sur vos âmes ; pour vous enseigner ce qui sert à votre salut, et pour vous retirer de toute sorte de mal. Gardez donc le jour du Dimanche, qui nous a nouvellement enfantés, par la grâce de Jesus-Christ, et qui nous a délivrés de tous nos péchés. ». Et plus bas ; « Soyez donc appliqués de corps, aussi bien que d'esprit, aux Hymnes, et à la louange de Dieu. Que celui de vous, qui sera proche de quelque Eglise, s'y rende promptement ; et que pendant ces jours, il répande son âme devant Dieu par les prières, et par les larmes : que vos yeux et vos mains soient pendant tout ce jour étendues vers Dieu ; parce que c'est le jour qui représente le repos éternel, et de Dieu et des âmes saintes en Dieu, c'est ce jour qui dans la Loi et dans les Prophètes, a été figuré par le septième jour, qu'on appelait le Sabbat. Il est donc juste que nous célébrions tous avec la même affection, et avec la même ardeur, et dans une entière unité de cœur et d'esprit, ce saint jour par lequel nous sommes devenus, ce que nous n'étions pas, c'est-à-dire, les enfants de Dieu, et les héritiers de la gloire éternelle. » Et encore plus bas : « Si quelqu'un d'entre vous méprise cette exhortation salutaire, qu'il sache, premièrement qu'il sera puni de Dieu pour le mépris qu'il en aura fait, et en second lieu, qu'il attirera sur soi la colère de l'Eglise. » Eusèbe écrit que Constantin a fait beaucoup d'ordonnances touchant la piété avec laquelle les fidèles doivent célébrer le jour du Dimanche, et les Fêtes des Saints Martyrs, et qu'il a commandé qu'on quittât toutes les occupations extérieures et mondaines ; afin qu'on pût dans cette liberté, et dans ce repos fréquenter les Eglises, et prier avec plus d'assiduité et de ferveur ; et nous rapporterons encore plus bas plusieurs autres ordonnances des Empereurs sur ce sujet ; par lesquelles il paraît évidemment qu'il n'y a rien de si contraire aux lois divines et humaines, et à la raison même, que d'employer à la volupté, et au plaisir, des jours qui sont consacrés au culte de Dieu, et institués pour ne vaquer qu'aux choses divines. C'est sur ce fondement qu'Alexandre de Halès Docteur célèbre, a jugé que ceux qui dansent les jours des Fêtes violent le précepte qui nous oblige de les sanctifier ; et qu'ils pèchent même plus grièvement que s'ils étaient occupés à quelque travail mécanique, et à quelque autre œuvre servile, suivant cette parole de saint Grégoire, « C'est une chose plus tolérable de fouir la terre, ou de labourer un jour de Dimanche, que de danser. » Ce qui s'accorde parfaitement avec ce passage de saint Augustin, que saint Thomas rapporte ; « un Juif ferait mieux d'aller travailler dans son champ, que d'assister à la Comédie ; et les femmes Juives encore feraient mieux de filer de la laine le jour du Sabbat, que de danser comme elles font avec insolence les jours de leurs Fêtes ». **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-18 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XIII. Que les lois civiles défendent de danser, et d'aller à la Comédie les jours des Fêtes. Nous avons jusqu'à maintenant parlé des danses, et des Comédies, comme des choses qui sont défendues, parce qu'elles sont mauvaises ; au moins à cause des circonstances qui les accompagnent, et de leurs effets. Il faut maintenant parler de la prohibition, qui en a été faite, et conclure qu'elles sont encore illicites, parce qu'elles sont défendues. Nous allons donc voir, s'il est expressément défendu de danser les jours des Fêtes ; parce que suivant la maxime des Casuistes mêmes, ce que les lois défendent de faire les jours des Fêtes, est contraire à la révérence avec laquelle on les doit célébrer, et par conséquent celui qui fait dans ces saints jours les choses qui sont défendues par les lois, viole le précepte de la sanctification des Fêtes. Je commencerai par la seconde loi du Code Théodosien touchant les spectacles, qui est attribuée aux Empereurs Gratien, Valentinien, et Théodose : « Nous vous avertissons avant toutes choses, que personne ne transgresse la loi que nous avons donnée il y a longtemps, en détournant le peuple de la piété par quelque spectacle » ; C'est-à-dire par la danse, ou par la Comédie, ou par quelque autre divertissement profane, « et en causant par ce moyen de la confusion, et du désordre dans nos solennités ». Mais la cinquième Loi est plus forte : « C'est une chose entièrement nécessaire, et toute dans l'ordre de Dieu, que tous les Chrétiens, et tous les fidèles, s'occupent de tout le cœur, et de tout l'esprit au culte divin, et aux actions de la piété, et de la religion qu'ils professent, avec un renoncement absolu de tous les plaisirs du Cirque, et du Théâtre, dans toutes les villes du monde, le jour du Dimanche, qui commence la semaine, et qui attire les bénédictions de Dieu sur toutes les œuvres qu'on y fait ; et pendant le temps de l'Avent, des Fêtes de Noël, et de l'Epiphanie ; aux Fêtes de Pâques, et pendant tout le temps Pascal, c'est-à-dire jusques à la Pentecôte, dans lequel ceux qui ont été baptisés portent publiquement les signes de la lumière Divine dont ils ont été éclairés, et remplis au saint Baptême, par la blancheur de leurs habits  » ; et enfin lorsqu'on fait les Fêtes, et la mémoire de la mort des Apôtres, qui ont été les Maîtres de la terre, et qui nous ont enseigné toutes les vérités du Christianisme. C'est pourquoi s'il s'en trouve parmi eux quelques-uns qui suivent encore la folie des Juifs, ou qui imitent l'erreur et l'extravagance des Païens, par les danses et par d'autres divertissements indignes ; qu'ils apprennent que c'est abuser d'un temps, qui est tout consacré à la prière, que de l'employer à la recherche de son plaisir ; et que c'est irriter Dieu, que de s'occuper à des exercices qui ne servent qu'à la satisfaction des sens ; lorsqu'on devrait être prosterné devant sa majesté, pour l'adorer, et pour invoquer sa miséricorde. J'ajoute une autre loi des Empereurs Valentinien, Théodose, et Arcade dans laquelle après avoir fait mention de plusieurs Fêtes particulières ; ils marquent toute la quinzaine de Pâques, le jour de Noël, et de l'Epiphanie, et les Fêtes des Apôtres : « dans lesquels jours (disent-ils) à cause de leur sainteté, nous défendons toutes sortes de spectacles ; et nous mettons encore au même rang des Fêtes dont nous avons parlé, les jours qui étaient nommés les jours du Soleil, et que les Chrétiens appellent communément, plus justement, les jours du Seigneur, ou les Dimanches ; que l'on doit célébrer, et solenniser avec une pareille dévotion et révérence ». Finissons par la loi des Empereurs Léon, et Antémius. « Nous ne voulons point, disent-ils, que les jours des Fêtes, qui sont dédiés au culte et à l'adoration de la souveraine Majesté de Dieu, soient employés à aucune sorte d'exercice, qui serve à la volupté, et à donner du plaisir ; ni qu'ils soient profanés par aucune exaction, ou même par aucun acte de justice ; et nous ordonnons que l'on conserve un respect si profond pour le jour du Dimanche, qu'on s'abstienne de ces mêmes actions, quoique justes, et nécessaires en autre temps. » Et plus bas : « Mais quoique nous défendions toutes ces œuvres serviles par la considération de ces jours, qui sont si saints, et si pleins de religion, et qui doivent être célébrés dans le repos de l'esprit ; nous ne souffrirons pas néanmoins qu'aucun s'adonne à la recherche des plaisirs terrestres, et des voluptés sensuelles. Qu'on ne prétende donc point d'employer aucune partie de ces jours, si dignes d'honneur, soit à la Comédie, soit au combat du Cirque, soit à celui des bêtes dans l'amphithéâtre. Que si le jour de notre naissance se rencontre au jour de quelqu'une de ces fêtes, nous entendons que la réjouissance publique qu'on fait à notre considération, soit differée à quelqu'autre jour. Et nous désirons avec tant d'ardeur que cette Ordonnance soit observée, que nous voulons que celui qui la transgressera, ou en assistant aux spectacles un jour de fête, ou en faisant quelque acte de justice, sous prétexte des affaires publiques ou particulières, en soit puni par la dégradation, et par la confiscation de tous ses biens. » On voit bien dans ces Constitutions pieuses et Chrétiennes, quels ont été les sentiments des Princes touchant l'observance des Fêtes, et des autres jours qui demandent une particulière application à Dieu, et à la prière, puisqu'ils ont défendu en ces saints jours, sous des peines très rigoureuses, tout ce qui sert à la volupté. Jugez après cela si les danses s'accordent avec la sanctification des Fêtes, et si ce n'est pas les profaner, et violer les préceptes de l'Eglise que de danser. Mais remarquez encore avant de passer aux lois Ecclésiastiques, que ces Empereurs ont ajouté le temps Pascal à celui de l'Avent, et ont commandé aux Chrétiens de le passer saintement, et dans un retranchement entier de tous les divertissements du siècle. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-19 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XIV. Que les danses sont aussi défendues les jours des Fêtes par les lois Canoniques. Voyons maintenant quelle est la conformité des Constitutions, et des Ordonnances de l'Eglise avec les Lois des Empereurs. Elles ne défendent pas avec moins de rigueur ces usages sensuels et profanes, comme l'on voit dans un Canon du Concile de Carthage, qui fut célébré presque à même temps que ces lois que nous avons citées de l'Empereur Valentinien et des autres furent faites ; et ce Canon est inséré dans le Droit. « Que celui-là soit excommunié, et retranché de la participation des saints mystères, dit le Concile, qui au lieu de se trouver aux assemblées des fidèles dans l'Eglise, emploie mal le temps qui est consacré au culte de Dieu, et assiste aux spectacles les jours des Fêtes. » Le troisième Concile de Tolède, au dernier chapitre rapporté aussi dans le Droit, parle encore fortement sur ce sujet. « Il faut , dit-il, exterminer cette coutume pernicieuse, et contraire à la Religion, par laquelle le peuple déshonore les solennités des Saints. Car au lieu de se rendre avec fidélité, et avec ferveur aux divins Offices, ils s'occupent à danser, et à dire des chansons profanes et indécentes ; et ils ne se causent pas seulement du dommage à eux-mêmes, en souillant la pureté de leur conscience par les péchés qu'ils commettent ; mais ils troublent les autres dans leurs dévotions. » Il faut donc que tous ceux qui sont constitués en dignité et en charge, travaillent de toute leur force, et avec vigueur, à détruire entièrement un abus si insupportable ; et la puissance séculière doit se joindre à l'Ecclésiastique, et s'employer aussi bien qu'elle pour anéantir une pratique, qui est si opposée à l'esprit du Christianisme, et de la vraie piété. Mais il est nécessaire de combattre en cet endroit la manière d'interpréter ces Canons, et les opinions relâchées des Casuistes, qui en ont voulu altérer le véritable sens par des gloses dangereuses : car de ce que les Canons en défendant la danse, et toute sorte de spectacles les jours des Fêtes, font mention du temps des divins Offices ; quelques-uns ont pris occasion de dire, que cette prohibition de la danse, et des autres divertissements mondains, n'a été faite qu'en considération des Offices divins ; et ainsi, qu'il est permis aux fidèles de danser en tout autre temps que celui des Offices ; et c'est le sentiment d'Angélus. Mais Sylvestre ouvre encore davantage la porte au relâchement de la discipline Ecclésiastique, que cet Auteur a commencé d'introduire ; et donnant plus d'étendue à la fausse liberté que désirent ceux qui ne cherchent que leur plaisir ; il condamne l'opinion d'Angélus d'une excessive sévérité, pour avoir mis au rang des divins Offices les Vêpres et les Sermons, et parce qu'il n'excuse pas de grief péché, ceux qui auraient employé quelque temps notable, c'est-à-dire la plus grande partie du jour dans cette sorte d'exercices. Pour moi je suis bien éloigné du jugement qu'il en porte ; car non seulement je ne crois point qu'Angélus ait été excessivement sévère ; mais j'ose dire qu'il a fait tort à la vérité, et qu'il a été très hardi de vouloir limiter ainsi par son interprétation particulière l'obligation que les Canons imposent sans restriction aux fidèles. Sans doute que ces Auteurs ont eu plus d'égard dans cette occasion à l'usage commun de leur temps, qu'à la vérité et à l'esprit de l'Eglise. Je dis donc que ces Canons dans la prohibition de la danse, n'ont parlé que des divins Offices, parce que les saints Conciles n'ont pas jugé qu'on peut dans un même jour vaquer aux mêmes Offices divins, et s'adonner aux divertissements du monde. Car encore bien que par le refroidissement de la charité, et de la piété Chrétienne, les fidèles commencent maintenant à donner moins de temps à ces actions saintes, et à demeurer moins assemblés dans les lieux saints ; il est néanmoins constant, que suivant l'usage des siècles passés, et suivant la discipline ancienne de l'Eglise, les jours des Fêtes étaient presque entièrement occupés par les exercices spirituels qui se faisaient dans les Eglises. En effet, ne voit-on pas dans la lecture des Pères, que les Messes solennelles, les lectures saintes, la psalmodie, les exhortations, et les Sermons, ne donnaient point le loisir aux Chrétiens de vaquer à quelque autre chose, mais les obligeaient d'être continuellement dans les lieux saints ? C'est ce que nous font comprendre ces admirables paroles que nous avons rapportées auparavant du Concile de Mâcon ; « Que vos yeux et vos mains soient sans cesse pendant tout ce jour, élevées vers Dieu. » Je dis bien davantage, il est impossible que cette occupation continuelle aux choses de Dieu, pendant les jours des Fêtes, ne se trouve par tous les lieux où l'on travaille sérieusement à rétablir le culte divin ; car les Heures Canoniales, la solennité des Messes, la Doctrine Chrétienne commandée par le Concile de Trente, et les Sermons, remplissent toute la journée. Et quand bien même les Offices divins, et les exercices pour lesquels les fidèles s'assemblent, ne rempliraient pas entièrement le temps ; les Constitutions de l'Eglise ne permettraient pas néanmoins qu'on l'employât au jeu et à la danse, parce que la raison principale et fondamentale, pour laquelle on doit retrancher ces divertissements, subsiste toujours, qui est l'obligation de sanctifier les Fêtes, établie dans la loi de Dieu même. Car quoique les assemblées des Chrétiens dans les Eglises soient des moyens qui servent excellemment à cette sanctification ; s'il arrive toutefois qu'elles aient cessé en partie en quelques lieux par le relâchement de la piété ; les fidèles ne laissent pas d'être tenus de renoncer à ces vaines et profanes récréations en ces saints jours, afin de les passer saintement. Et il n'y a point de défense qui ne soit fondée sur cette raison importante, puisque la cessation même des œuvres extérieures et serviles, n'est ordonnée que pour cela. Ce que le Pape Nicolas a déclaré dans l'endroit que nous avons auparavant cité. « Il faut s'abstenir, dit ce Souverain Pontife, les jours des Fêtes de toutes les affaires séculières, afin que l'âme Chrétienne puisse plus librement et entièrement les passer dans l'Eglise, et s'entretenir avec Dieu par des Psaumes, des Hymnes, et des Cantiques spirituels. » Il est donc évident par l'autorité de ce Pape, et par plusieurs autres que nous en avons rapportées, que le fondement général de toutes les prohibitions qui regardent la solennité des Fêtes, est l'obligation de les sanctifier, qui nous est imposée dans l'Ecriture sainte, et par le commandement de Dieu même. Ce qui est invinciblement confirmé par les lois des Empereurs que nous avons encore citées, dans lesquelles ces Princes zélés pour la gloire de Dieu, défendent comme un crime, de s'adonner les jours des Fêtes aux exercices qui servent à la volupté et au plaisir, par la considération de cette même obligation que les Chrétiens ont de s'appliquer uniquement au culte de Dieu, et de travailler à leur propre sanctification. « Il faut bannir, disent-ils, et les comédies, et les combats du Cirque, et toutes les autres choses qui ont été inventées pour la satisfaction sensuelle, afin que l'esprit des Chrétiens s'occupe pendant tout ce jour au culte divin » ; et, « qu'ils apprennent que les Fêtes ne sont pas des jours destinés aux plaisirs du corps, mais à l'adoration, et à la prière » ; et, « nous ne voulons point que les jours, qui sont dédiés à la souveraine majesté de Dieu, soient employés à contenter les sens ». Puisque donc les Empereurs ont si absolument défendu toute sorte de jeux, de divertissements séculiers, et de plaisirs sensuels, afin que le peuple fidèle sanctifiât les Fêtes, et vaquât de tout son cœur aux choses de Dieu ; ce serait faire injure à l'autorité Sacerdotale, et à la puissance Ecclésiastique de penser que des saints Evêques eussent été moins exacts qu'eux dans leurs Ordonnances sur ce sujet, principalement puisque nous voyons qu'ils ne parlent jamais dans leurs écrits des jeux et des spectacles, qu'avec horreur et avec exécration. J'ajoute que les lettres du Roi d'Espagne qui furent envoyés au Concile de Tolède, où sont marqués les points principaux qui doivent faire la matière des Décrets de ce Concile, portent simplement et absolument, c'est-à-dire, sans exception, ni limitation, « Qu'il est nécessaire de défendre les danses, et les chansons profanes, pendant les jours des Fêtes des Saints ». Et dans l'ordre des Chapitres de ce Concile, il est aussi dit, sans restriction « que l'on défendra qu'on ne danse point les jours des Fêtes des Saints ». Il paraît donc clairement de toutes ces preuves, que les spectacles, les jeux et les danses sont illicites, au moins en ces saints jours, et que l'opinion de ceux qui restreignent la prohibition de ces choses au temps des divins Offices doit être rejetée, comme une invention de l'esprit humain et particulier. On pourrait peut-être nous objecter qu'il n'est parlé que des spectacles dans quelqu'un de ces Canons, et dans quelques lois que nous avons rapportées ; mais cette difficulté est si légère, qu'elle ne mérite pas que nous nous y arrêtions. On sait assez que le nom de spectacle comprend généralement toute sorte de divertissements qui ont été fréquentés, et qui sont recherchés pour le plaisir ; et les lois que nous avons citées dans le Chapitre précédent le déclarent encore assez. Ainsi comme la danse est un exercice de cette nature, on ne peut point raisonnablement douter qu'elle ne soit comprise dans la défense des spectacles. D'ailleurs, la raison sur laquelle ces lois sont appuyées, regarde la danse aussi bien que les autres divertissements mondains ; car elles prohibent ces divertissements, parce que les jours des Fêtes sont destinés à gémir humblement : l'on ne fait pas moins au bal, et à la danse qu'à la comédie et aux autres spectacles. Mais n'est-ce pas assez qu'il y ait des autorités expresses, et des ordonnances formelles qui interprètent celles qui parlent moins clairement, et qui contiennent en propres termes la prohibition de la danse ? Enfin la manière dont les Docteurs ont expliqué ces Canons ne nous laisse aucun doute sur ce sujet, et nous convainc, qu'encore qu'il n'y soit parlé que de spectacles en général, il faut néanmoins comprendre la danse dans ces prohibitions, puisque aucun d'eux ne l'en a jamais exceptée, et qu'ils n'ont jamais douté qu'elle n'y fût comprise. Pour reprendre donc tout ce que nous avons dit dans ces deux derniers Chapitres, il est constant que le bal et les danses sont incompatibles avec la sanctification des Fêtes, et que toute sorte de jeux et de spectacles sont défendus en ces mêmes jours par les lois Ecclésiastiques et civiles. D'où il s'ensuit sur le principe commun, et reçu de tout le monde, que celui-là pèche mortellement, qui en ces saints jours emploie injustement le temps en cette sorte d'exercices, si ce n'est que l'ignorance et le sentiment relâchée de ceux qui lui donnent conseil, et qui le conduisent, puisse diminuer sa faute : ce que Dieu n'a jamais promis. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-20 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XV. Application de la doctrine précédente aux danses et aux bals qui se font aujourd'hui. Il faut maintenant passer à la question de fait, et voir si les raisons qui rendent la danse criminelle, se rencontrent en celles qui se font maintenant. Commençons par celles qui paraissent avec plus d'évidence ; on ne peut donc pas douter, 1. Que les danses d'aujourd'hui ne soient déréglées et vicieuses, puisque ce sont des particuliers qui font ces assemblées de leur autorité privée, sans aucune raison qui regarde le bien commun ; mais par la seule inclination vers son propre plaisir. 2. On y voit un dérèglement manifeste touchant le mouvement et la disposition extérieure du corps ; car outre les nudités, qui sont des pièges tendus par le démon, et des pierres d'achoppement pour la pureté, il n'y a nulle modération dans cet exercice ; mais au contraire on y voit très souvent des agitations immodestes, et qui choquent l'honnêteté, et des postures qui ne sont propres qu'à produire des espèces dangereuses dans l'imagination, et à exciter des sentiments mauvais dans la chair. Il est vrai que les mouvements les plus extravagants, et les plus visiblement opposés à la vertu Chrétienne, se trouvent dans cette sorte de danses, qu'on appelle ordinairement des ballets, et qui se font par les rues et dans les places ; mais cela n'empêche pas que l'immodestie, et le désordre que l'on remarque dans les bals et dans les danses ordinaires touchant la seule composition du corps, ne soit un fondement raisonnable de juger que l'on ne peut y assister, et y prendre part sans péché mortel. 3. Y a-t-il rien de plus fréquent que ces vains exercices, desquels suivant la raison même naturelle, on ne devrait au moins user que très rarement ? On s'y occupe presque toutes les Fêtes, même publiquement, et à la campagne, et dans les villes ; et ce qui est plus insupportable, c'est dans ce saint temps, qui est depuis la fête de Noël jusques au Carême, qu'on s'y abandonne avec plus d'excès. Comment pourrait-on donc les justifier dans ce temps ? **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-21 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XVI. Des périls auxquels on s'expose en allant au bal. Il n'y a point de sujet qui mérite d'être plus attentivement considéré que celui duquel nous allons parler dans ce Chapitre, où nous ferons voir, et comme toucher au doigt, que ceux qui vont maintenant au bal s'exposent à beaucoup de périls d'offenser grièvement Dieu, et par conséquent pèchent mortellement. En effet, ceux qui vont en ces lieux sont des personnes qui suivent le grand chemin, c'est-à-dire le train ordinaire et l'esprit du monde. Comment pourraient-ils donc être dans ces assemblées sans danger ? Afin que nous expliquions ce point avec plus de clarté, il faut aller jusques au fondement, et supposer ce principe qui est incontestable, qu'on ne peut se mettre dans le danger de pécher sans faire tort à sa conscience, et qu'on est indispensablement obligé de fuir toutes les occasions qui peuvent porter au mal. C'est la doctrine de l'Evangile, et la parole du Fils Dieu même : « Si ton œil te scandalise, dit-il, arrache-le, et jette le bien loin de toi. » Ajoutez d'autre part à cela ce que notre Seigneur dit encore lui-même, que celui-là est adultère dans son cœur, c'est-à-dire, est coupable devant Dieu du crime de l'adultère, qui jetant les yeux sur une femme conçoit des mauvais désirs contre sa pureté. Ces principes étant ainsi établis, considérons le mélange qui se fait dans le bal des hommes avec les femmes. Ils y sont assis, et n'y sont que pour se satisfaire. Ils se regardent réciproquement, et pendant longtemps. Ils voient le mouvement des corps, et leurs postures différentes ; et les yeux qui ne sont animés que de la curiosité, n'y trouvent que trop d'attraits malins pour éveiller les sentiments de la chair corrompue. D'ailleurs, la musique, et la douceur des instruments est toute propre pour émouvoir et pour attendrir. On s'y entretient familièrement ; on s'y touche l'un l'autre, au moins pour danser ; et on y vient encore fort ajusté, et avec pompe. Les femmes et les filles y sont parées comme des temples, et il n'y a point d'ornement et d'invention qu'elles n'emploient pour paraître belles, et pour se rendre agréables. Enfin, on s'assemble pour ce divertissement après le repas, et le mouvement du corps qui est déjà échauffé, ne peut servir qu'à exciter davantage sa chaleur, et par conséquent à la disposer aux passions les plus dangereuses. Après toutes ces considérations n'avouera-t-on pas que nous avons sujet de dire, qu'on ne peut point se trouver dans ces assemblées avec sûreté de conscience, et que le danger d'offenser Dieu y est évident, non seulement pour ceux qui mènent une vie plus libre, et suivant le cours du monde ; mais encore pour les plus chastes, et pour les mieux réglés ? Certes une fois, lorsque nous étions encore jeunes, et dans les études, nous contraignîmes un Philosophe fort modeste, et d'un jugement fort solide, d'aller au bal avec nous, lequel après avoir bien remarqué toutes les circonstances de cette assemblée, et des actions qui s'y faisaient, fut saisi d'étonnement, et nous dit sur le champ que c'était une invention du diable pour perdre les âmes, et pour corrompre les mœurs des fidèles. Mais descendons un peu plus dans le détail, et établissons la vérité que nous avons proposée par des preuves invincibles. Ecoutons le saint Esprit, qui nous apprend dans l'Ecriture le péril qu'il y a, non seulement de s'entretenir avec les personnes de différent sexe, ou de les toucher ; mais encore de les regarder ; et nous enseigne à même temps le soin exact que nous devons avoir d'en détourner nos yeux. « Ne regardez point aucune fille, dit-il, de peur que sa beauté ne soit une occasion de ruine pour votre âme. Ne jetez point vos yeux sur une femme parée, et ajustée, et ne les arrêtez point sur sa beauté ; parce que les attraits des femmes en ont perdu plusieurs, et la concupiscence s'allume comme un feu par les regards qu'on jette sur elles. » Et si après ces autorités expresses nous passons aux exemples que la même Ecriture nous met devant les yeux ; celui de David est terrible, et capable de faire trembler les âmes les plus pures, les plus mortifiées, et les plus saintes. On y peut bien remarquer la vérité de cette ancienne sentence, que le regard produit l'amour. Car ce Prince si plein de Dieu, et qui par le témoignage de Dieu même était selon son cœur, pour avoir jeté et arrêté ses yeux sur Bersabée, se rendit coupable de deux crimes horribles, d'un adultère et d'un homicide. Celui de Sichem est encore épouvantable, qui ayant vu la beauté de Dina en devint passionné, et attira par ce crime des maux inconcevables sur sa ville et sur son peuple . C'est pour cela que David qui avait appris à se défier de soi-même, et à vivre dans une parfaite circonspection, par une expérience qui lui fit sentir pendant toute sa vie une continuelle confusion, et une perpétuelle douleur, disait à Dieu dans un de ses Psaumes, « Seigneur, prenez soin de mes yeux, et empêchez-les de voir la vanité », c'est-à-dire la beauté, et les vains attraits des créatures. Et Job éclairé de la lumière de Dieu, quoiqu'il fût un homme très parfait, nous assure néanmoins qu'il avait fait un pacte avec ses yeux pour ne point regarder aucune fille, de peur que son imagination et son esprit n'en fût occupé. Ajoutez à ces sentiments si pleins de vérité ces paroles de saint Augustin, « Qu'il ne faut point regarder, ce qu'il n'est pas permis de désirer ». Et si vous voulez encore savoir ce que la raison naturelle a découvert aux Païens même sur ce sujet ; Sophocles ayant dit un jour par admiration d'un jeune homme qui passait devant lui : « ô le beau jeune homme ! » Périclès qui était avec lui, le reprit : « Il ne suffit pas, lui dit-il, que les mains d'un Prêteur soient chastes ; il faut que ses yeux le soient aussi. » Ce qu'on doit appliquer nécessairement à tous les hommes, puisque tous les hommes sont dans l'obligation de pratiquer la vertu de la chasteté. On écrit aussi qu'Alexandre le Grand refusa de voir les filles de Darius, de peur qu'ayant vaincu les Rois, et les Conquérants du monde, il ne fût lui-même vaincu par la beauté des femmes. N'est-ce pas une chose étonnante et digne de larmes, de voir que des Chrétiens qui sont obligés à une vie si pure et si sainte, se jettent eux-mêmes dans les lacets du diable et du monde, et s'exposent hardiment et sans aucune crainte dans les périls effroyables du péché, sans faire aucun cas, ni des avertissements du saint Esprit, ni de la gloire de Dieu, ni de leur propre salut ? Qu'on ne nous croie donc point trop sévères, si dans un siècle si corrompu, et dans l'état où sont les bals, et les danses de ce temps, nous n'osons point excuser de péché ceux qui les fréquentent, puis qu'Alexandre de Halès Auteur célèbre, et recommandable par sa doctrine et par sa piété, n'ose point exempter de la même faute, c'est-à-dire du péché mortel, ceux qui n'étant venus que comme forcés, ou par rencontre dans ces assemblées, s'y arrêtent avec danger d'y concevoir quelque mauvais désir, et d'être touchés de quelque affection dangereuse. Et il n'y a point d'homme raisonnable qui n'entre dans ce sentiment, s'il considère sans préoccupation et devant Dieu, avec quelle facilité les hommes et les femmes du monde tombent dans des péchés intérieurs, c'est-à-dire, de pensée et d'affection, et combien peu d'attention ils font à eux-mêmes pour n'y tomber pas, ou même pour les remarquer lorsqu'ils y sont tombés. Le mal va si avant par une négligence criminelle, qu'il s'en trouve plusieurs qui ne font aucun scrupule des pensées déréglées que leur esprit reçoit avec agrément, ni des délectations sensuelles et honteuses dans lesquelles ils s'entretiennent. Et on ne doit pas excepter dans cette occasion les personnes grossières et de la campagne, à cause de leur simplicité ; parce que encore bien qu'il semble d'une part qu'elles ne pussent pas être si sujettes à cette sorte de péchés que ceux qui vivent dans les villes, et principalement ceux qui y mènent une vie oiseuse et faineante ; Il est pourtant assuré de l'autre, que leurs passions naturelles sont plus facilement émus, aussi bien que dans les animaux privés de raison, à la présence des objets qui les peuvent exciter. Enfin je ne me suis pas arrêté à ma propre lumière, j'ai consulté sur ce sujet des personnes très prudentes, et très experimentées, qui ont été de même avis que moi touchant les périls que je viens de décrire. Mais ce n'est pas le seul danger auquel on s'expose en allant au bal, il y en a encore un autre qui n'est pas moins à craindre, ni moins ordinaire, qui est celui des querelles ; desquelles naissent, comme l'on ne voit que trop tous les jours, des inimitiés irréconciliables, des duels, des meurtres, et plusieurs autres désordres horribles et scandaleux. Car comme ceux qui se trouvent dans ces assemblées veulent tenir le haut bout, et précéder les autres, par cet amour de propre excellence dont le cœur humain est empoisonné, et qui fait la principale partie de l'esprit du monde, soit en dansant actuellement, soit pour se placer, soit encore pour prier ou inviter les femmes ou filles à danser ; il se rencontre mille occasions de contestation, dans lesquelles on s'emporte souvent à dire des paroles aigres, offensantes et injurieuses ; on se pique d'honneur ; on entre dans le ressentiment ; on conçoit de la haine et des désirs de vengeance ; on en forme le dessein, et on en vient même aux mains et aux armes. Je ne dis rien des emportements, des bruits et des effets malins et étranges que produisent les inclinations, et affections particulières pour les femmes ou filles dans ces lieux ; car tout le monde sait qu'elles sont ordinairement une semence de division, de combats, et de beaucoup d'autres crimes ; et que c'est pour cela que ceux qui fréquentent les bals sont toujours bien armés. Il est donc évident que ceux-là pèchent grièvement qui vont aujourd'hui au bal, et qui fréquentent la danse, à cause des dangers qui en sont inséparables, et auxquels ils s'exposent : car quand il pourrait se rencontrer quelque bal où l'on n'appellerait que les seuls parents, ou les seuls amis ; néanmoins il est vrai de dire absolument qu'il n'y peut avoir aujourd'hui aucune assemblée pour la danse où il n'y ait du danger, à cause de la corruption du siècle et des mauvaises coutumes qui s'y sont introduites, ne se tenant plus aucun bal où la jeunesse ne se rende, et où elle n'entre de gré ou de force ; et cet usage a si fort prévalu, que si on fait quelque assemblée pour la danse où on veuille faire ce choix des personnes honnêtes, parentes ou amies, et fermer la porte aux étrangères, on heurte insolemment, et on fait mille outrages et mille affronts au maître de la maison. Comment est-ce donc que la danse pourrait être maintenant innocente ? Mais ceux qui vont au bal et qui fréquentent la danse, ne sont pas les seuls coupables ; les hautbois, les violons, les joueurs de tambour, et toutes les autres personnes qui servent à cet exercice, pèchent aussi grièvement, parce qu'elles contribuent au mal que les autres font ; et leur métier est illicite à l'égard des bals et des danses, parce qu'il est employé pour des actions qui sont toujours accompagnées du péché. Mais ceux qui sont en autorité pour gouverner les peuples, ne sont pas moins coupables, lorsqu'ils ne travaillent point à détruire cet abus, et qu'ils ne donnent aucun secours aux âmes qui leur sont commises, pour les retirer de ces pratiques dangereuses, et de ces engagements, dans lesquels ils voient qu'elles périssent malheureusement. Et ce que nous disons ici regarde les puissances séculières, aussi bien que les personnes Ecclésiastiques qui sont en charge. Mais que dirons-nous de ceux qui ne vont au bal que pour contenter les passions déréglées de leur cœur, afin d'y voir les personnes pour lesquelles ils ont de l'attachement, et afin d'avoir la liberté de s'entretenir avec elles, de les cajoler, et de leur communiquer leurs mauvais sentiments ? Quel jugement porterons-nous encore de ceux qui ne font le bal, et n'assemblent du monde que dans ces intentions, soit qu'ils se regardent eux-mêmes, soit qu'ils veuillent par ce moyen satisfaire aux inclinations de quelque personne qu'ils considèrent, ou qu'ils aiment ? Enfin quel sera le crime de ceux qui font, ou qui procurent ces assemblées pour favoriser les désirs détestables des Grands, et qui par un dessein honteux et abominable, prétendent leur donner occasion de dresser des embûches à la pudicité des femmes et des filles, et de tendre des pièges à leur simplicité, et à leur fragilité naturelle ? Ce sont des choses horribles à dire et à penser. Il n'est pas à propos de nous en expliquer davantage, ni encore de nous étendre sur cet abus déplorable, qui n'est que trop connu, et qui fait gémir toutes les bonnes âmes ; je veux dire sur cette coutume malheureuse de perdre le temps le plus saint, et les jours qui sont consacrés à la piété dans les divertissements mondains, et profanes. Hélas ! n'est-ce pas une chose lamentable, de voir qu'un si grand nombre de Chrétiens emploient les Fêtes et les Dimanches, surtout depuis la Septuagésime jusqu'au Carême, au jeu, au bal, à la danse, et à la comédie, ou à voir, ou donner d'autres semblables spectacles, d'une manière très indigne, et pour ne pas dire avec impiété, ou au moins avec un mépris intolérable des Canons de l'Eglise, des Ordonnances des Princes, et de la loi de Dieu même, qui nous oblige de passer les Fêtes saintement ? **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-22 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XVII. Que les danses sont condamnées dans l'Ecriture, et par les Pères. Nous avons montré dans les Chapitres précédents, quels sont les maux qui accompagnent la danse, suivant le sentiment des Docteurs, même des derniers siècles. Voyons maintenant comment est-ce que l'Ecriture sainte, et les Pères en parlent. Commençons par ce passage de l'Ecclésiastique ; « Ne fréquentez jamais une femme, ni une fille qui aime la danse, et n'ayez nulle communication avec elle, de peur que ses attraits ne soient une occasion de ruine pour votre âme. » Ces paroles peuvent raisonnablement être appliquées à toutes les personnes de ce sexe, qui sont attachés par affection à ce divertissement dangereux. Et ainsi c'est une imprudence très grande de contracter aucune amitié, et d'avoir aucune familiarité avec elles. Sara fille de Rachel, fut fidèle à les fuir, parce qu'elle était prévenue et éclairée de la lumière de Dieu. Voici ce qu'elle dit de soi-même, parlant à Dieu dans la simplicité de son cœur. « Vous savez, dit-elle, Seigneur, que je n'ai jamais eu d'inclination pour aucun homme, et que j'ai conservé mon âme pure de toute sorte de convoitises. Que je ne me suis jamais mêlée parmi les personnes qui sont adonnées au jeu, et que je me suis tenue séparée de celles qui aimaient la danse. » Et Job cet homme si droit, et si plein de grâce, marque très expressément, que la danse n'est pas une des moindres parties du dérèglement des pécheurs, lors qu'il dit, « Que leurs enfants s'assemblent, et que dans des assemblées ils jouent, et ils se réjouissent au son du tambour, et des autres instruments, mais qu'enfin ayant passé leur vie dans le plaisir, ils descendent en Enfer dans un instant. » Ajoutons encore ce passage bien remarquable d'Isaïe : « Parce que les filles de Sion se sont laissées emporter à la vanité, et qu'elles ont marché avec faste et avec cadence ; le Seigneur les rendra chauves, et les couvrira de confusion. » Car saint Basile expliquant cet endroit du Prophète, l'interprète de la danse : et après avoir dit beaucoup de choses importantes contre la superbe, il ajoute, « On voit encore aujourd'hui que les femmes Juives dansent très fréquemment sans craindre les menaces d'Isaïe : Mais ce Prophète, dit-il, ne condamne pas moins par ces paroles la conduite de beaucoup de filles de l'Eglise », c'est-à-dire, de femmes et de filles Chrétiennes, qui par une indiscrète et fausse joie, qu'elles appellent spirituelle, dansent aussi d'une manière honteuse les jours des Fêtes, et dans le temps même qu'elles viennent dans les Eglises pour entendre la parole de Dieu. Ecoutons saint Augustin dans un de ses Sermons. « Avertissez incessamment vos voisins et vos proches, dit ce saint Docteur, de s'appliquer toujours aux bonnes œuvres, et de ne s'entretenir que de discours honnêtes et Chrétiens dans leurs conversations, de peur qu'en détractant, et parlant mal de leur prochain, et dansant les jours des Fêtes des Saints, ou en chantant des chansons impudiques, ou indécentes, ils ne blessent leur conscience par ces dérèglements. Ces personnes malheureuses, ajoute-t-il, qui n'ont pas honte de danser, même devant les Eglises qui sont dédiées à la mémoire des Saints, quoiqu'elles soient venues à l'Eglise comme fidèles, et comme faisant profession du Christianisme ; elles s'en retournent néanmoins chez elles, avec l'esprit, et avec les vices des Païens, parce que cette coutume de danser n'est qu'un reste du Paganisme. » Tous les Pères de l'Eglise condamnent généralement dans plusieurs endroits de leurs Ouvrages tous les spectacles, comme contraires à l'esprit de l'Evangile, et à la discipline Chrétienne. Puisque donc le bal et la danse est une espèce de spectacle, ce serait combattre la raison, et l'esprit de ces Ecrivains Apostoliques, que de ne pas vouloir qu'elle soit comprise dans cette générale condamnation. En effet la danse n'est pas moins un divertissement sensuel pratiqué par les Païens, que les autres actions que les Saints blâment avec tant de zèle, et avec tant de force. Et si quelques-uns d'entre eux n'ont pas exprimé cette sorte d'exercice, et ce spectacle particulier, ce n'est pas qu'ils l'estimassent innocent ; mais parce que le peuple du pays dans lequel ils vivaient n'y était pas adonné, comme il est dans le nôtre. Tertullien a fait un Livre tout entier contre les spectacles, où il les rejette tous avec horreur, comme des extravagances, des allumettes d'impureté, et des inventions diaboliques ; mais il n'invective pas moins fortement contre ces actions profanes dans son Apologétique. S. Cyprien dans le Livre qu'il a composé sur ce sujet, et dans ses Lettres, déplore la misère, l'aveuglement et la folie des Chrétiens, qui leur fait aimer les inventions des démons, et qui les porte à imiter les mœurs et les façons de faire des Gentils et des Idolâtres : mais ce qu'il juge encore plus intolérable, c'est qu'ils veulent justifier leur conduite déréglée par l'action de David qui dansa devant l'Arche, et se servant de ce qui est dit dans les Saintes Lettres que Dieu avait prescrit à son peuple l'usage de plusieurs sortes d'instruments ; comme si, dit ce saint Martyr, on pouvait comparer à des choses qui ont été faites très saintement, et pour le culte de Dieu seul, ces divertissements mondains, qui ne servent qu'à la volupté. Saint Augustin parle encore des mêmes choses avec la même vigueur dans le Livre qu'il a fait touchant le soin de catéchiser, et d'instruire les personnes grossières. Mais saint Chrysostome presque dans toutes ses Homélies, invective puissamment contre tous ces exercices du siècle, les appelant quelquefois la peste des villes, et quelquefois la fontaine de tous les maux. Enfin il dit que ce sont des chaires de pestilence, des écoles d'incontinence, des boutiques de luxure et d'impureté, et des fournaises de Babylone. Saint Epiphane à la fin de son Livre contre les Hérétiques, le sixième Concile, et plusieurs autres, défendent aux Chrétiens ces mêmes pratiques. Et Salvien Evêque de Marseille les blâme, avec un cœur plein de zèle, et avec une éloquence très mâle et très forte, disant, que c'est une imitation du dérèglement des Païens ; et traitant les Chrétiens qui aiment et qui recherchent ces divertissements, comme des apostats, qui après avoir renoncé à Satan et à ses œuvres, se joignent à lui de nouveau, et suivent derechef son esprit. « Le Diable , dit ce grand Prélat, est dans les pompes et dans les spectacles ; et ainsi lorsque après le Baptême nous retournons aux spectacles, nous abandonnons la foi de Jésus-Christ que nous avions embrassée. C'est par cette lâcheté que nous détruisons tous les mystères du symbole, ou au moins que tout ce qui est contenu dans la profession de notre créance est ébranlé, parce que les conséquences nécessaires ne sauraient subsister lorsqu'on ne s'arrête pas inviolablement aux principes qui les doivent appuyer et soutenir. » Ce sont les expressions de cet Auteur célèbre, qui dit beaucoup d'autres choses importantes et puissantes, et contre les spectacles, et contre toute sorte de jeux et de divertissements mondains. Et certes c'est avec beaucoup de justice que les Saints ont combattu ces divertissements avec tant d'ardeur, puisque suivant le jugement qu'ils en ont porté dans la lumière de Dieu, ce sont des choses opposées à l'honnêteté et à la vertu, et des inventions du démon pour perdre les âmes. Les anciens Ecrivains ne parlent pas moins puissamment sur ce sujet, comme l'on peut voir dans les Livres d'Arnobe contre les Gentils. Lactance parle ainsi dans ceux qu'il a écrit touchant les institutions divines. « Il faut, dit-il, éviter toute sorte de spectacles, non seulement de peur que nos cœurs qui doivent être purs et paisibles, ne soient corrompus ou troublés par quelque affection vicieuse, mais encore de peur que nous ne nous attachions au plaisir, et qu'ainsi nous ne soyons divertis de Dieu et des bonnes œuvres. » Alexandre de Halès traite les danses comme un divertissement qui est mauvais, et qui n'est propre qu'à émouvoir la sensualité et les convoitises, et à causer des sentiments d'impureté. Jean Gerson dans un de ses Sermons contre la luxure, dit, « Qu'il est très malaisé, à cause de la fragilité des hommes, qu'on danse sans commettre beaucoup de péchés, et que tous les péchés se trouvent et paraissent à leur tour dans le bal. » Saint Bernardin de Sienne, très illustre par sa sainteté et par sa doctrine, dans l'un de ses Sermons touchant la sanctification des Fêtes. « C'est une chose exécrable, dit-il, de danser les jours des Fêtes, puisque dans cet exercice les âmes de ceux qui y assistent, tombent dans les pièges du démon, et contractent beaucoup de taches par la vue, par l'ouïe, par le goût, et par l'attouchement. » Il cite en cet endroit le Canon du Concile de Tolède, que nous avons rapporté auparavant ; et ajoute, « Malheur à ceux qui contribuent à ces maux par le son de leurs instruments ; car ils rendront compte devant le juste Juge de tous les péchés auxquels ils ont donné occasion, parce que celui qui donne occasion à quelque dommage que le prochain souffre, est lui-même, suivant le Droit, la cause du dommage qu'il souffre. » Saint Antonin assure qu'il n'y a presque point de danse qui ne serve à donner des mauvais sentiments ; et le Cardinal Torequemada est de même avis. Le même Saint invective encore contre ce même divertissement, appliquant à la danse plusieurs paroles terribles de l'Ecriture, comme celles du Psalmiste ; « Les impies marchent dans un cercle, et Dieu embrasera ses ennemis dans le cercle. » Et celles-ci de l'Apocalypse, « Les sauterelles ont été produites de la fumée du puits et de l'abîme, et sont montées sur la terre. » Et un peu après, » Et ces sauterelles sont semblables à des chevaux préparés pour le combat, et elles ont des couronnes, qui semblent dorées, sur leurs têtes. » Il conclut enfin que dans le bal se trouve la pompe du siècle, le feu de l'impureté, la superbe et la vaine gloire, et que les hommes par conséquent y deviennent ennemis de Dieu. Il appelle les danses un divertissement du Diable, parce qu'il s'en sert pour surprendre les âmes, et pour les perdre ; et il les condamne avec tant de fermeté, qu'il prouuve qu'elles sont contraires à tous les commandements de Dieu, et qu'elles anéantissent tous les fruits de nos Sacrements. Pierre de la Palud blâme absolument cette même action de la danse, comme mauvaise ; « Parce que, dit-il, saint Barnabé a donné sa malédiction aux hommes qui jouent, et qui se mêlent dans leurs divertissements avec les femmes ». En effet ces assemblées d'hommes et de femmes, principalement lorsqu'elles ne sont faites que pour se donner du plaisir, ne peuvent être que très dangereuses. Ajoutons à tant de témoignages si exprès, et si formels, les sentiments de beaucoup de personnages illustres en piété, qui ont fait des Sermons entiers contre la danse, et qui considèrent de près, et dans la lumière de la vérité, les péchés qui s'y commettent ordinairement, et qui naissent des regards, des attouchements et des entretiens, les condamnent encore, et les détestent comme un divertissement diabolique ; et ne croient point que personne se puisse innocemment exposer au péril qui s'y trouve, quelque chaste et quelque établi qu'il soit dans la mortification des sens. C'est ainsi que parlent Chérubin d'Espolète, Jacques de Voragine Archevêque de Genes, et Gabriel Bareleta. Jacques de Vitry rapporte qu'au pays de Saxe dans quelques villages, Dieu punit d'une manière terrible et extraordinaire des personnes qui dansaient un jour de Fête, et qui ne voulurent pas quitter ce divertissement, quoiqu'ils en fussent charitablement avertis par leur Curé. Mais il importe encore d'insérer ici ces paroles du Catéchisme Catholique de Conrad Aingius : « La danse mondaine, dit-il, se doit ainsi définir ; elle est un cercle dont le centre est le Diable, et duquel ses Anges qui l'entourent font la circonférence ; et c'est pour cela qu'elle ne se fait jamais sans péché. Satan ordonne et range lui-même la danse après l'adoration du veau d'or, etc. » Il poursuit, et continue à montrer que tous les péchés se rencontrent dans la danse, et que personne, quelque pure, et quelque sainte qu'elle puisse être, ne saurait y assister, qu'elle n'en sorte chargée de quelque péché. Mais pourquoi nous mettons-nous en peine de savoir quel a été le jugement des personnes éclairées par la grâce, et animées de l'esprit de Jésus-Christ, puisque plusieurs hommes sages selon le monde, ont blâmé la danse par la lumière seule de la prudence civile et de la raison ? Car Cicéron a dit, « Que personne quasi ne danse qui ne puisse être convaincu de n'être pas sobre et tempérant. » Et Alphonse Roi de Naples disait des Français qui aimaient si fort la danse, qu'ils ne pouvaient s'en abstenir dans un âge même bien avancé, qu'ils devenaient fols dans leur vieillesse. En ce temps même on ne voit aucune personne qui soit en réputation de prudence et de sagesse, qui n'ait de l'aversion pour les danses, et qui n'en éloigne autant qu'elle peut tous ceux de sa maison. Et toutes les âmes qui ont quelque crainte de Dieu, et quelque sentiment solide de piété, souhaitent ardemment que cette mauvaise coutume soit détruite et anéantie ; leur désir est bien raisonnable et bien juste ; car outre les maux fréquents et ordinaires, desquels nous avons auparavant parlé, nous en pourrions rapporter d'autres qui se rencontrent plus particulièrement dans les bals ou dans les danses qui se font dans les villes ; mais qui sont si étranges que les oreilles chastes et pieuses ne sauraient le souffrir. Hélas ! est-il possible que l'on tolère dans l'Eglise de Dieu un libertinage si horrible, et que l'on voie des écoles publiques de lubricité, et des assemblées où se font des trafics infâmes, et où se concluent les desseins des impuretés les plus abominables, et des adultères, même les jours des Dimanches et des Fêtes, et encore plus particulièrement dans le temps que l'Eglise a destiné pour remercier Dieu du bienfait inestimable de la naissance de son Fils, et depuis la Septuagésime jusques au Carême, c'est-à-dire lorsque suivant les intentions de cette même Eglise, nous devrions être occupés à pleurer nos péchés, et à nous disposer à obtenir la grâce d'une parfaite pénitence. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-23 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XVIII. D'une excuse de laquelle se servent ordinairement les gens du monde, pour justifier la conduite des jeunes hommes, et des jeunes filles qui vont au bal. Ceux qui apprennent la danse, au moins pour les jeunes hommes, et pour les jeunes filles, et qui trouvent mauvais qu'on les condamne, disent que le bal donne souvent occasion à beaucoup de mariages, qui ne se contracteraient jamais autrement, d'où ils voudraient conclure que ces assemblées, non seulement ne sont pas mauvaises et illicites ; mais qu'elles sont même quelques fois utiles. O aveuglement des hommes ! O étranges mariages, dont le dessein n'est conçu que dans la recherche de la volupté, et ne peut naître que des sentiments de la chair ; puisque c'est ce qu'on voit et ce qu'on entend dans la danse qui en inspire les pensées ! Craindra-t-on bien que ces hommes ou ces filles ne trouvent point des occasions de se marier, s'ils ne se servent des moyens vicieux ou dangereux afin de rencontrer un parti ? Mais peut-on bien espérer que Dieu donnera bénédiction à des alliances qui prennent leur naissance des principes si corrompus et si opposés à son esprit ? O aveuglement des hommes ! Hélas ! pourquoi ne fait-on mention que des mariages qui se contractent sur le fondement des affections sensuelles qui ont été conçues dans le bal ? N'est-il pas juste qu'on compare avec ce bien imaginaire, qui traîne presque toujours après soi une longue suite de maux de toute espèce, les desseins abominables de tant d'impuretés, et de tant d'adultères qui se forment dans ces mêmes lieux ? Ne compte-t-on pour rien tant de pensées impures, et tant de mauvais désirs, dont les âmes qui étaient peut-être venues pures au bal, se trouvent toutes salies et noircies lors qu'elles en sortent ? Comment peut-on donc excuser une pratique si remplie de véritables maux, sous prétexte d'un bien apparent ? Mais il est temps de finir ce traité, et de ne penser plus qu'à gémir, et à prier la bonté toute-puissante de Dieu, de donner à ceux qui sont constitués en dignité et en charge pour régir les peuples, et la lumière pour ordonner les remèdes convenables, afin d'ôter un abus si insupportable, et néanmoins si commun ; et le zèle de la gloire et du salut des âmes, afin d'en bien faire l'application, c'est-à-dire, avec grâce et avec fruit. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-24 *date_1664 *creator_borromee Chapitre XIX. Si un Evêque peut défendre qu'on ne danse les jours des Fêtes, ou même en quelque temps de l'année que ce soit. Il est néanmoins encore nécessaire d'expliquer deux questions importantes qui regardent l'autorité des Evêques, touchant la prohibition des danses. La première est, s'ils ont droit de défendre sous des peines Ecclésiastiques, qu'on ne danse point pendant les jours des fêtes. La seconde, s'ils peuvent étendre cette défense à tous les autres temps de l'année. Pour le premier point, il est évident qu'ils peuvent sous des peines Ecclésiastiques défendre la danse les jours des Dimanches et des Fêtes, et pendant tout le temps qui est particulièrement destiné à l'exercice de la pénitence et de la prière, parce que comme nous avons auparavant prouvé, la danse qui ne s'est introduite que par l'instinct de la nature, et pour la satisfaction des sens, est prohibée les jours des Dimanches et des Fêtes, et pendant tout le temps qui est consacré à la mortification et à l'Oraison, par les Canons et par les Lois. Et ainsi comme l'autorité et la puissance spirituelle ne peut jamais être plus légitimement employée que pour appuyer et faire observer le droit commun, les Evêques peuvent la défendre par leurs Ordonnances, aux jours et aux temps que nous avons marqués, sous peine d'excommunication, ou sous quelqu'autre peine arbitraire. Et même puisque le Droit menace de l'excommunication ceux qui font ces actions profanes en ces jours, un Evêque peut bien sans doute ajouter sa Sentence particulière à cette commination, et déclarer excommuniés par le seul fait, ceux qui dans leurs Diocèses commettront ces irrévérences. Passons plus avant, et disons que quand la prohibition de la danse en ces mêmes jours dont nous parlons, ne serait pas expresse dans le Droit, suivant la doctrine de plusieurs célèbres Canonistes, les Evêques pourraient suppléer à ce défaut, et faire les prohibitions nécessaires pour la réformation et la correction de leurs peuples. Il faut même dire, que la considération de la sainteté du temps qui est consacré au culte de Dieu et à la pénitence, et qu'ils voient indignement profané par ces pratiques dangereuses, et par ces actions païennes, les oblige d'user de leur pouvoir, et d'empêcher par les voies Canoniques cette horrible profanation. Pour le second, on ne peut non plus douter qu'un Evêque ne puisse défendre la danse absolument et en tout temps, parce que la puissance Episcopale n'est pas tellement bornée par le Droit commun, pour ce qui regarde les mœurs, qu'elle ne puisse s'étendre au-delà des lois Canoniques, et ajouter des nouvelles Ordonnances pour ôter et détruire le péché, et pour conserver et augmenter la piété Chrétienne. Je dis bien davantage, si un Evêque veut remplir son ministère, répondre au rang qu'il tient dans l'Eglise, et s'acquitter dignement de sa charge ; il est dans l'obligation d'user souvent de la puissance que Dieu lui donne pour faire des nouveaux règlements. Les Canonistes passent même plus avant, et disent, que la coutume qui serait contraire à ce Droit, serait un abus et un dérèglement manifeste, parce qu'elle ne servirait qu'à fomenter le péché, et à donner aux personnes vicieuses la liberté qu'elles désirent, suivant la dépravation de leur cœur pour continuer impunément dans leurs désordres. Et le Pape Innocent même déclare, qu'un Evêque peut prononcer Sentence d'excommunication contre un crime notoire. Les Jurisconsultes descendant au détail, expliquent cette vérité par des exemples. Comme ils assurent sur ce principe, qu'un Evêque peut excommunier les Marchands qui mêlent la farine des fèves parmi la cire qu'ils vendent. Et ils rapportent un Chapitre exprès du Droit, par lequel ils montrent que les ravisseurs sont excommuniés par les Ordinaires des lieux ; d'où ils concluent, que les Evêques ont pouvoir d'ordonner généralement tout ce qui est nécessaire pour le bon règlement de leurs peuples touchant les mœurs, c'est-à-dire, pour les établir dans la vertu, et pour les éloigner du vice. Et de là il s'ensuit nécessairement qu'ils peuvent défendre la danse en tout temps, parce que comme nous avons prouvé dans tout cet ouvrage, ce divertissement, non seulement est opposé à la piété Chrétienne, mais encore il ne peut être qu'une source de maux et de péchés. Ajoutons à cela, que la négligence des Magistrats séculiers qui voient le mal et n'y remédient pas, oblige encore plus étroitement les Prélats de mettre la main à l'œuvre, et de suppléer à leur défaut par leur zèle et par leur autorité. Fin du Traité de saint Charles. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-25 *date_1664 *creator_borromee LETTRE DE L'EVEQUE D'AGNANI, Pour la défense d'une Ordonnance Synodale, par laquelle il avait défendu de danser les jours des Fêtes. Au très Saint et très Bienheureux Père Paul V. Souverain Pontife. Antoine Evêque d'Agnani, éternelle félicite. très saint Père, C'est sans doute aux Evêques que ces paroles de Moïse sont particulièrement adressées : « Ayez soin du peuple, instruisez-les dans toutes les choses qui regardent le service de Dieu, apprenez-leur les cérémonies du culte Divin, la voie par laquelle ils doivent marcher, et les œuvres qu'ils doivent faire. » C'est Dieu qui est l'Auteur de cette doctrine céleste, et le Maître de cette science salutaire, car il est dit dans l'Ecclésiastique, que « c'est lui qui a établi les Fêtes, et qui en a fait l'ornement du temps et de nos années ; que c'est lui encore qui a rendu ces solennités vénérables et éclatantes par l'ordre magnifique qu'il a donné à son peuple ; afin qu'il les celebrât avec splendeur et avec majesté. Enfin, c'est lui qui a ordonné qu'on louât son saint Nom en ces jours de bénédiction, par des Psaumes et par des Cantiques, et qu'on rendît hommage par les offrandes et par les sacrifices, à son infinie sainteté. » Ce qui est encore déclaré plus expressément dans cet autre passage de l'Ecriture : « Que les Lévites se rendent fidèlement le matin dans le Temple pour bénir Dieu, et pour chanter ses louanges ; et qu'ils s'assemblent encore sur le tard, non seulement au temps de l'oblation des holocaustes, mais encore tous les jours de repos, au commencement de chaque mois, et dans toutes les autres solennités de l'année. » Il n'appartient donc point au peuple de régler les choses qui regardent le culte de Dieu, et la célébration des Fêtes. Le Pape Célestin dit, qu'il ne doit pas prétendre d'être écouté dans l'Eglise, mais qu'il doit être docile pour y être instruit, et pour se soumettre parfaitement aux ordres de ceux qui le conduisent. Il faut, dit saint Clement, que les fidèles reçoivent avec respect la connaissance des volontés de Dieu de la bouche de leur Evêque, qu'ils demandent au Prêtre les avis nécessaires pour parvenir un jour à l'éternité bienheureuse qu'ils espèrent, et qu'ils apprennent des Diacres les règles de la discipline Ecclésiastique. Il est donc nécessaire pour suivre l'ordre de Dieu et de l'Eglise, qu'un Evêque fasse connaître à ses Diocésains ce qui est permis, et ce qui ne l'est pas. Et il ne doit pas dans la conduite de son peuple s'accommoder à ses inclinations et à ses humeurs, ni se régler par ses sentiments, principalement lorsqu'il s'agit de la manière de sanctifier les Fêtes, et de corriger ou ôter les abus et les désordres par lesquels elles sont profanées. Le peuple de mon Diocèse, très saint Père, soit dans la ville, soit à la campagne, par une coutume pernicieuse, célèbre quelques Fêtes votives d'une manière très indigne de la foi qu'il professe, et entièrement contraire à l'esprit de la Religion Chrétienne ; car il ne s'occupe pendant ces saints jours qu'à la danse, à la comédie, aux exercices profanes de la lutte et de la course, et à d'autres spectacles qui ne sont pas moins éloignés de la sainteté des Fêtes. Ils croient par un erreur étrange, et digne de larmes, qu'ils ne célèbreraient pas dignement ces Fêtes, s'ils ne les passaient dans les festins et dans la débauche, et s'ils renonçaient à ces divertissements si contraires à l'honneur de Dieu, et à la piété de son Eglise ; comme si la solennité des Fêtes que l'Eglise n'a instituées que pour honorer les Saints, suivant la doctrine du Concile de Trente, ne consistait que dans le luxe et dans les plaisirs sensuels. Dieu déclare par le Prophète Osée qu'il a ces solennités en horreur, et qu'il ne les peut souffrir : Et le Prophète Amos ajoute qu'il les rejette, « Et que l'odeur des assemblées dans lesquelles on profane les jours destinés à son culte, au lieu de les sanctifier, ne saurait lui être agréable ». Mais les paroles de Malachie, ou plutôt de Dieu par sa bouche, sont plus fortes et plus expresses : « Si vous ne voulez pas m'écouter et apprendre mes volontés afin de les suivre, et si vous n'entrez du fond du cœur, et en vérité dans le dessein de glorifier mon nom, je répandrai sur votre visage le fumier de vos solennités. » Quoique les spectacles ne soient pas toujours mauvais, et qu'ils ne soient pas de leur nature contraires à la vertu ; les Pères de l'Eglise, et les saints Docteurs, ne les ont jamais néanmoins permis, ni les jours des Fêtes, ni au temps qui est destiné pour la pénitence, parce que les Canons les défendent en ces jours : et comme dit saint Ambroise, ce serait une témérité insupportable et une désobéissance criminelle, si le peuple faisait des actions qui sont défendues, ou dans l'Ecriture sainte, ou par les Constitutions des Papes, ou par les Lois Ecclésiastiques, et les Canons. C'est donc une loi de l'Eglise, qui ordonne que celui qui se rend dans les places, ou dans les endroits où se font les spectacles, au lieu d'être dans l'assemblée des fidèles pour prier les jours des Fêtes, soit séparé de la participation des saints mystères, et excommunié. Nous lisons aussi dans un Concile de Carthage, qu'on ne doit point tolérer en aucune manière ces spectacles, ni le jour du Dimanche, ni les autres Fêtes ; parce que comme nous apprenons encore du sixième Concile, les fidèles doivent passer ces jours dans les lieux saints, et ne vaquer qu'à la prière et au chant des Psaumes, des Hymnes et des Cantiques spirituels, afin que leur joie soit toute en Dieu, et en Jésus-Christ, et que n'appliquant leur esprit qu'à la lecture des choses saintes et divines, ils se nourrissent de la parole de Dieu et du fruit des divins mystères. C'est en effet par ce moyen que nous pourrons espérer de ressusciter avec Jésus-Christ pour la gloire éternelle. Il n'est donc pas permis en ces saints jours d'assister à aucune sorte de spectacles, et il n'en faut pas même souffrir. Le Concile de Tolède parle encore bien clairement sur ce sujet. « C'est, dit-il, une coutume contraire à l'esprit du Christianisme, que celle qu'on voit parmi le peuple les jours des solennités, et des Fêtes des Saints ; car au lieu de s'appliquer à la piété, et d'assister avec ferveur aux divins Offices, ils emploient le temps à danser et à chanter des chansons indécentes, et ils ne se causent pas seulement du dommage à eux-mêmes par ce dérèglement ; mais ils troublent la dévotion des personnes vraiment Chrétiennes. Il est donc du devoir des Prélats et des Magistrats de détruire cet abus déplorable dans toutes les Provinces. » On ne peut donc point douter qu'un Evêque ne soit dans l'obligation de corriger les vices qu'il remarque dans son troupeau, et principalement de remédier à ceux qui sont publics et scandaleux : et celui qui étant constitué dans cette dignité et dans cette charge, ne reprendrait pas et ne ferait pas ce qui dépendrait de lui pour ôter ces scandales, mériterait plutôt, suivant la pensée de saint Grégoire, d'être appelé « un chien mort, que de porter le nom d'Evêque ». Mais il faut que les puissances séculières se joignent au zèle de l'Evêque ; car comme dit saint Isidore, celui qui est en autorité dans le monde n'a pas reçu ce pouvoir en vain. Dieu le lui a donné pour appuyer les règles de la discipline de l'Eglise, et afin que ce que les Prélats et les Prêtres ne pourront pas gagner sur les peuples par la force de la parole divine qu'ils annoncent, s'accomplisse par la terreur que les Lois et les Ordonnances Civiles peuvent imprimer dans leur esprit. Saint Chrysologue veut même que tous les Chrétiens contribuent au salut du prochain, et que chacun fasse ce qu'il pourra pour retirer de l'égarement les âmes qui se perdent et qui s'écartent de Dieu pour suivre le siècle. « Si nous avons, dit-il, quelque mouvement de charité, s'il se trouve en nous quelque sentiment de bonté, et si nous portons dans nos cœurs quelque désir pour le bien éternel de nos frères, faisons tous nos efforts pour retenir ceux qui courent dans la voie de perdition, qui se laissent entraîner dans l'abîme, et qui semblent se hâter pour être bientôt dans les tourments de l'Enfer. » Que le père arrache donc son fils d'un danger si effroyable, le maître son serviteur, le parent ses proches, les citoyens ses voisins, et enfin que chacun s'emploie pour rappeler dans le chemin du salut des Chrétiens malheureux qui deviennent semblables aux bêtes, et qui se conduisent par l'inspiration des Démons. Celui qui délivre son frère d'un si grand péril, se rend digne d'une récompense éternelle ; et celui qui néglige de l'aider, ne peut être que coupable devant Dieu ; parce que, comme dit saint Ambroise, celui qui pouvant empêcher le mal, ne l'empêche pas par négligence, sert à rendre plus hardi celui qui le commet, et participe par conséquent à son péché ; et celui-là semble commettre une mauvaise action, qui pouvant la défendre la souffre sans rien dire par lâcheté de cœur, et par défaut de zèle. On approuve l'erreur lorsqu'on n'y résiste point, et c'est adhérer à l'iniquité que de n'en point arrêter le cours. Enfin celui-là peut passer pour complice d'un crime, qui pouvant aller au-devant de celui qui est en disposition d'y tomber, et prévenir l'effet de sa mauvaise inclination par des remèdes efficaces, lui laisse la liberté d'agir selon ses désirs. Il ne m'est donc point permis, très saint Père, de garder le silence, principalement après l'exemple de saint Charles, qui sur le même sujet des danses et des spectacles, a travaillé si constamment, et si fidèlement pour arracher les coutumes opposées à l'esprit Chrétien, qui s'étaient introduites dans son Diocèse ; et pour assujettir son peuple aux règles des Saints, et à la discipline de l'Eglise : et sa pensée n'était pas, lorsqu'il agissait dans cette réformation particulière, avec tant de fermeté, de vigueur, et de force, de procurer un moyen de perfection aux fidèles, que Dieu avait soumis à sa conduite ; mais il a cru qu'il s'agissait dans cette occasion de son salut, et de celui de ses Diocésains ; et qu'il était indispensablement obligé d'employer toute son autorité pour ôter les abus qu'il combattait. « Il est permis de se taire, dit saint Ambroise, lorsqu'il n'y va que d'un interêt temporel ; mais dans la cause de Dieu, et lorsque les âmes sont dans le péril de leur salut ; ce n'est pas un petit péché que de dissimuler, et d'être lâche. » On dira peut-être que saint Charles était un Saint. Je l'avoue, mais quelle conséquence en pourra-on tirer contre moi ? Mon peuple, quoi qu'en petit nombre, n'est-il pas racheté par le Sang de Jesus Christ ? Et moi, ne suis-je pas serviteur, et Disciple de saint Charles ? Pourquoi ne suivrai-je l'exemple d'un Saint ? Il est absolument nécessaire que je le fasse, si je veux éviter la colère de Dieu. Puisqu'il a donc plu à votre Sainteté ; que je ne fusse pas seulement chargé de veiller à mon propre salut ; mais encore de coopérer à celui des autres, pour remédier aux désordres, et aux excès par lesquels Dieu était offensé dans mon Diocèse ; J'ai ordonné dans l'assemblée Synodale, qu'on célèbrerait à l'avenir les jours de Dimanche, et les fêtes avec la révérence et la dévotion convenable ; et pour cela j'ai défendu en ces mêmes jours les danses, et toute sorte de débauches, la lutte, et tous les spectacles du théâtre, comme une profanation manifeste : j'ai menacé les contrevenants des censures Ecclésiastiques. Et mon dessein aurait heureusement réussi pour la gloire de Dieu, et pour le bien des âmes, n'eût été l'exemple d'une permission, qu'on dit avoir été accordée à la ville d'Alatre, voisine de mon Diocèse, contre une ordonnance semblable à la mienne, et comme l'on croit sans que votre Sainteté en ait eu aucune connaissance ; En vertu de laquelle concession, néanmoins, le peuple de cette ville croit pouvoir en sûreté de conscience persévérer dans sa mauvaise coutume, de célébrer la fête de saint Sixte Pape et Martyr, qui est le Patron de ce lieu, en dansant, et en assistant à d'autres semblables spectacles. Car encore bien que ce peuple nonobstant cette licence, qui a été sans doute arrachée de la Cour de Rome, et qui ne leur a été donnée que comme par contrainte, et à cause de la dureté de leur cœur ; ne laisse pas d'être coupable devant Dieu ; les fidèles néanmoins qui sont sous ma charge, et que je dois régler et conduire, s'appuient sur cet exemple ; et ils ont pris même, dis-je, cette liberté de déclarer qu'ils auront recours à votre Sainteté pour éviter de faire ce que je ne désire que pour leur salut. C'est pour cela, très Saint Père, que j'ai cru vous devoir écrire avec confiance ce peu de mots, et vous envoyer à même temps un excellent ouvrage, composé par saint Charles Borromée, qui porta Grégoire XIII. prédécesseur de votre Sainteté, à qui saint Charles même le fit voir, à terminer les contestations qui troublaient sur ce sujet la ville de Milan, par ses Lettres Apostoliques ; et à défendre même dans Rome, comme nous lisons dans la vie de saint Charles, et les masques, et toutes sortes de spectacles les jours des Fêtes, et les Vendredis. Et ce règlement a été si fidèlement observé, que cela seul devait obliger mon peuple, sans attendre des nouvelles ordonnances, à se régler lui-même sur ce sujet, puisqu'il n'y a rien de plus juste, que de se conformer aux règlements de la ville de Rome ; qui est la capitale de la Religion ; et que l'ordre naturel demande que les membres se conforment à leur Chef, et suivent son esprit et son mouvement. Me jetant donc aux pieds de votre Béatitude, et les baisant avec toute sorte de respect et d'humilité : je supplie la bonté divine, de conserver dans une santé parfaite, pour l'utilité, et pour l'avantage de son Eglise, votre Sainteté, qui marche si droitement en toutes choses. A Anagni ce 18. Mai 1600. **** *book_borromee_traite-contre-danses_1664 *id_body-26 *date_1664 *creator_borromee INSTRUCTION et avis charitable sur le sujet des Danses. D'où vient la coutume de danser parmi les Chrétiens ? Saint Augustin assure que c'est un reste de Paganisme, d'autant que les anciens Idolâtres par cette cérémonie profane honoraient leurs faux Dieux. Est-il permis de danser à présent ? Non. Pourquoi ? Parce que c'est une occupation vaine, sensuelle, dangereuse, reprouvée par le S. Esprit ès Ecritures Saintes, par l'Eglise, par les Saints Pères, et par la raison même. Que dit l'Ecriture Sainte contre les Danses ? Dieu parlant aux filles de Jérusalem par le Prophète Ezechiel, dit : « Pource que tu as joué des mains et des pieds, que tu as dissipé ton cœur pour ce sujet, i'étendrai ma main dessus toi, et te ferai mourir. » Dans le Livre de l'Ecclésiastique, il est défendu de hanter ni écouter la femme danseresse, de peur d'y périr. La Sage Sara femme du jeune Tobie, se voulant justifier devant Dieu du péché de la danse, assure qu'elle ne s'est jamais trouvée parmi les recréations et vains passe-temps, ni avec ceux qui dansaient, ou qui faisaient des légèretés. Moïse ayant reçu de la main de Dieu, les Tables de la Loi dessus la Montagne, en descendant il trouva le peuple qui dansait et idolâtrait. Pour une juste punition de ce péché, il brisa les Tables, et les mit en pièces, et commanda aux Lévites de se joindre à lui ; pour tuer tous ces danseurs et idolâtres, sans pardonner à frère ni ami ; ce qui fut exécuté sur le champ par les Lévites, qui en tuèrent jusques à vingt-trois mille : ce que Moïse appelle sanctification et sujet de bénédiction à ceux qui témoignèrent ainsi leur zèle. Vous savez aussi que la danse fut l'occasion de la mort de saint Jean Baptiste, le plus grand, au dire de notre Seigneur même, d'entre les enfants des hommes. Qu'est-ce que l'Eglise en a autrefois ordonné ? Nous avons plusieurs témoignages dans les Conciles et assemblées des Evêques, comme elle a défendu ces danses presque en tout temps. L'an 364. sous le Pape Sylvestre dans un Concile tenu à Laodicée, elle les défendit même aux noces. Le Concile d'Aix-la-Chapelle, les appelle des actions infâmes. Un Concile d'Afrique les nomme des actions très méchantes. Il y a huit Conciles de France qui les ont tous rigoureusement défendues, spécialement ès jours de Fêtes et Dimanches. Le grand saint Charles Borromée Archevêque de Milan, qui vivait au siècle passé, en plusieurs endroits de ses actes et de ses Conciles, les a très étroitement défendues à son peuple, et même en toute sa province ; Il rapporte aussi qu'anciennement on imposait trois ans de pénitence à ceux qui avaient dansé, voire même qu'on les menaçait d'excommunication. Quel est le sentiment des Pères de l'Eglise touchant ce sujet ? Les Saints Pères de l'Eglise, qui sont les organes du saint Esprit, et comme les seconds Apôtres de l'Evangile, ont tous puissamment déclamé contre ce divertissement. Saint Ambroise au livre 3. qu'il a composé des Vierges, dit ainsi : « Que peut-il y avoir de pudeur où l'on danse ? Certainement vous autres, saintes femmes, vous voyez ce qu'il faut apprendre et désapprendre à vos filles. Que la femme adultère danse, dit ce grand Saint : mais celle qui est pudique et chaste, qu'elle enseigne à ses filles la piété, et non pas à danser. » Il appelle encore la danse un misérable théâtre, où les danseurs souffrent de notables ruines, et les spectateurs y font de grandes chutes, là le Ciel est taché par des regards impurs, et la terre souillée par des mouvements de lasciveté. La même chose est assurée par saint Basile, au livre qu'il a fait de l'ivrognerie et du luxe. Saint Augustin au Sermon 231. du Temps, dit, « Que danser c'est tourmenter son corps » : et appelle les danses, « des actions horribles » ! Et ailleurs il assure, « qu'il vaudrait mieux labourer et bêcher la terre, que de danser un jour de Fête ». Saint Chrysostome en l'Hom. 49. sur S. Matthieu, ne feint pas de dire, « qu'où sont les danses lascives, là certainement est le Diable. Dieu, dit-il, ne nous a pas donné des pieds pour sauter comme des chameaux : mais pour marcher modestement en la présence des Anges : et si le corps devient difforme en dansant, combien l'âme en est-elle défigurée davantage ? » Saint Ephrem, dans un Sermon qu'il a fait, dit ces paroles à ce propos : « Où sont les violons, les danses et les battements des mains, là sont les ténèbres des hommes, et la perdition des femmes, la tristesse des Anges et la fête des diables » : Puis après il dit : « que le diable est auteur des danses, et que celui qui a appris la fornication et l'idolâtrie, c'est le même qui a appris à danser ; et celui-là n'a pas mal rencontré, qui a dit, que la danse est un cercle où le diable fait le centre et le milieu, et ses Anges la circonférence. » Je ne puis omettre ici en passant le sentiment sur ce sujet d'un grand personnage, qui vivait il y a plus de trois cents ans, c'est de François Pétrarque, un des plus grands esprits de son siècle. « La danse, dit-il, est une action indigne d'un honnête homme, de laquelle on ne peut rapporter que de la honte, c'est un spectacle aussi infâme comme inutile, c'est une assemblée d'intempérance. Ce branlement des mains et des pieds, cette évagation et impudence des yeux, tous ses gestes, aussi blâmables que visibles, montrent qu'il y a quelque chose dans l'intérieur, qui répond au dérèglement extérieur : ceux qui font état de la modestie, fuient toutes ces occasions de dissolution ; après tout, quel plaisir trouve-t-on dans un divertissement qui lasse plus qu'il n'allège, et qui est aussi ridicule qu'il est honteux : Véritablement si l'extravagance ne s'était naturalisée dans nos mœurs, nous nommerions folie ce qu'on nomme gentillesse : et c'est à bon droit qu'on appelle des joueurs à ces assemblées, afin que l'âme étant occupée par l'oreille, les yeux ne s'offensent pas de tant de mouvements irréguliers, cela veut dire qu'une sottise en couvre une autre, ce qu'on appelle une école de gaillardise : c'est un apprentissage d'impudicité. Les filles vont à la danse pour s'y donner de la vogue ; mais c'est en effet pour y recevoir de l'infamie : c'est dans ces rencontres que les yeux s'y trouvent aussi libres que les mains, les paroles à double entente s'y font entendre distinctement ; la confusion de la compagnie y laisse dire beaucoup de choses que la retenue ne permettrait pas ailleurs : les attouchements qu'on croit illicites en d'autres occasions, semblent devenir ici nécessaires : la foule favorise l'effronterie des plus mal intentionnés ; d'ailleurs la nuit qu'on choisit ordinairement pour les danses, comme étant l'ennemie de la pudeur, et la confidente des crimes, donne du courage aux plus timides pour exécuter hardiment leurs plus pernicieux desseins : c'est ainsi qu'on donne une nouvelle carrière au libertinage, et qu'on fait passer le crime en recréation. Les filles sont ravies d'aise, de voir que la légèreté de leur corps seconde celle de leur esprit, et croient être plus parfaites de savoir bien danser, que de savoir bien vivre. »  Voila le jugement de ce grand homme sur les danses qui se faisaient de son temps, lesquelles n'étaient pas assurément plus criminelles que celles d'à présent. Les Païens mêmes n'ont-ils pas condamné les danses ? Oui, et c'est sur cela que Dieu jugera les Chrétiens plus rigoureusement. Vous avez le Prince des Orateurs Cicéron, qui soutient et avec raison, que d'appeler un homme danseur, c'est lui faire une injure fort atroce, parce que, dit-il, ce vice ne va jamais qu'il ne soit accompagné de plusieurs autres ; car personne d'ordinaire ne danse étant sobre, si ce n'est qu'il soit fol, ni en solitude, ni dans un festin modéré et honnête : la danse suit volontiers les banquets déréglés, les lieux plaisants et les autres délices. Venons s'il vous plaît à la raison, pourquoi est-ce que vous condamnez les danses ? Nous les condamnons principalement. 1. Parce que les Chrétiens y ont renoncé en recevant le S. Baptême, les SS. Pères de l'Eglise enseignant que les danses appartiennent aux pompes de Satan, auxquelles tout Chrétien a solennellement renoncé par la bouche de ses parrains. 2. Jésus-Christ a enseigné une doctrine et mené une vie toute contraire à ces divertissements, « Si quelqu'un (dit-il) veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, porte sa Croix et me suive. Bienheureux ceux qui pleurent car ils seront consolés, Malheur à ceux qui vivent dans des joies, car ils seront accablés de tristesses. » Le mauvais riche étant au milieu des flammes d'enfer, et demandant un peu de soulagement, il lui fut répondu qu'il avait vécu dans les délices pendant sa vie, et que maintenant il était justement tourmenté : mais que le Lazare ayant été privé de tout contentement durant la sienne, il en était à présent justement récompensé. 3. Les Apôtres et les Saints ont tous été dans ce sentiment, que le Christianisme et la discipline de l'Eglise, est une école de larmes et de pleurs, et non pas de joies et de délices : ce qui a fait dire autrefois à S. Augustin, que quiconque veut vivre Chrétiennement, il faut faire état de vivre dans un continuel martyre. 4. La danse est une occasion prochaine à la plupart de ceux qui la pratiquent, de tomber en plusieurs sortes de péchés. 1. De querelles et de batteries. 2. De liaisons d'amourettes, d'où procèdent souvent des mariages fort malheureux. 3. De pensées, désirs, paroles, chansons, regards, attouchements lascifs, et autres impuretés, à raison de la familiarité et grande liberté qui se pratiquent entre garçons et filles dans la danse. 4. La danse dissipe et fait perdre ordinairement l'esprit de dévotion, et c'est la raison pourquoi elle est encore plus étroitement défendue ès jours de Dimanches et Fêtes, que nous sommes obligés de passer saintement, en assistant avec un esprit recueilli et attentif aux divins Offices et instructions Chrétiennes, comme aussi de vaquer à toute sorte de bonnes œuvres, ce qui est détourné par la danse, qui possède le cœur et les pensées de la plupart de ceux qui s'y adonnent. N'est-il donc jamais permis de danser ? Il est vrai que David a dansé devant l'Arche, et Marie Sœur de Moïse, après le passage de la mer rouge, et ces danses non seulement, n'ont pas été mauvaises, mais même elles ont mérité louange, ayant été faites par un sentiment extraordinaire d'une joie sainte, et par un mouvement particulier du S. Esprit, en action de grâces des signalés bienfaits reçus de Dieu, mais elles ne doivent être tirées en conséquence aux Chrétiens, et sont aussi bien éloignées de celles que l'on pratique aujourd'hui, qui ne sont entreprises que par des inclinations mondaines et affections sensuelles, avec tous les dangers, de tomber ès péchés, qui ont été ci-dessus représentés. Néanmoins il est encore véritable, qu'on ne doit pas condamner absolument quelques danses qui se feraient modestement et honnêtement en quelques occasions extraordinaires, comme ès noces, et autres assemblées rares de parenté et d'amitié, pourvu qu'on en bannisse les mauvaises circonstances, qui ont été marquées ; étant à observer que toutes personnes qui auraient l'expérience que la danse les fait tomber ordinairement en quelqu'un des péchés susdits, s'en doivent abstenir comme d'une chose mauvaise, et que ceux même qui sortent de la danse fort innocents de ces péchés, doivent craindre de se rendre coupables des péchés des autres, qui ont été engagés par leur exemple à danser : ce qui fait conclure que toutes sortes de personnes doivent s'abstenir autant qu'il leur sera possible de toutes danses. Est-il loisible de regarder les autres danser ? S. Jean Chrysostome ci-dessus allégué répond, qu'encore qu'en ces spectacles on ne soit ému à aucune mauvaise convoitise, c'est toutefois se trouver parmi les péchés d'autrui, et s'en rendre en quelque façon participant. La Sœur du bienheureux Pierre Damien, ayant une fois regardé danser et écouté quelques chansons, en a été punie l'espace de dix-huit jours en Purgatoire. Dites-nous s'il vous plaît quelques histoires sur ce sujet ? 1. Il est rapporté en la vie de S. Eloi Evêque de Noyon, que cinquante personnes furent possédées des malins esprits un an entier, pour s'être opposées à ce S. qui prêchait un jour S. Pierre contre les danses. 2. Au pays de Saxe, certaines personnes dansant dans un Cimetière la veille de Noël, et troublant le service divin, par une juste punition de Dieu, dansèrent sans cesse nuit et jour un an entier, et moururent presque tous incontinent après. 3. Aux noces d'Alexandre Roi d'Ecosse, avec Yolande, comme on dansait, on vit un mort suivre pas à pas les danseurs : ce qui donna une si grande frayeur à tous, qu'ils prirent incontinent la fuite. 4. Thomas de Cantimpré rapporte que quantité de personnes dansant sur un pont dans un village auprès de Laon, le pont se rompant sous leurs pieds, par un juste jugement de Dieu ils furent tous noyés. 5. La vénérable Anne de S. Barthélemy, Carmélite, s'étant trouvée en bas âge dans une compagnie du monde où se trouvant, contre son gré pourtant, sur le point de danser avec les autres, notre Seigneur s'apparut à elle tout couvert de plaies, de sueur et de sang, lui déclara les douleurs extrêmes qu'il avait souffertes pour elle, et lui témoigna qu'il n'était pas content qu'elle se divertît en tels passe-temps : cela la fit rougir et résoudre quant et quant d'éviter telles occasions à l'avenir. 6. Au miroir des exemples, il est rapporté qu'une jeune fille, à la persuasion d'un bon Religieux, quittant tout à fait les passe-temps des danses, auxquels elle était passionnément attachée, mérita que la Sainte Vierge Marie mère de Dieu, avec les chœurs des Vierges, lui apparut à l'article de la mort.