**** *book_ *id_body-1 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers FRONTISPICE DES COMEDIENS ET DU CLERGE suivi de reflexions sur le mandement de monseigneur l'archeveque de rouen. par le baron d'henin de cuvillers, Maréchal-de-camp ; Chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis, Officier de l'Ordre royal de la Légion-d'honneur ; Membre de plusieurs Sociétés savantes, etc. A PARIS, Chez p. dupont, libraire, rue du Bouloy, n° 24. delaunay, libraire, Palais-Royal, galerie de bois, Et les marchands de nouveautés. 1825. **** *book_ *id_body-2 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers PREFACE. Ne préjugez point du titre de cet ouvrage ; lisez-le d'un bout à l'autre, et ouvrez votre âme à la vérité ; la conviction est fille de la raison. **** *book_ *id_body-3 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers SOMMAIRE DES MATIERES contenues dans ce volume. Le précis historique des trois âges des comédiens ; leur état chez les Grecs et les Romains, et leur institution légale en France ; leurs privilèges sur les autres classes de la société, quant à la noblesse ; Leurs droits à exercer leur profession, sans que le clergé soit fondé à exiger leur abjuration et à leur faire le refus de sépulture. Les ecclésiastiques commettent un délit, envers les lois civiles, à raison de ce refus de sépulture, attendu qu'il ne leur est pas permis de condamner une profession que les diplômes du prince, les lois de l'Etat et les règlements de la police du royaume, ont instituée, protégée et honorée ; ils commettent un autre délit, envers les lois de l'Eglise, attendu que le refus de sépulture ne peut être fait qu'à des excommuniés dénoncés, et que les comédiens ne sont nullement dans cette catégorie. Le tableau historique de plusieurs saints honorés par l'Eglise catholique, apostolique et romaine, qui ont été comédiens de profession, et qui ont souffert le martyre pour la foi de Jésus-Christ ; Le récit de plusieurs processions, messes, et autres cérémonies religieuses, pratiquées par le clergé, et qui ont été et sont encore, par leur scandale et leurs obscénités, infiniment plus nuisibles à la religion que l'exercice de la profession de comédien ; L'exposé de divers conciles constitutifs de la discipline ecclésiastique qui imposent aux évêques et aux prêtres, dans leur vie privée, des devoirs qui ne sont plus pratiqués de nos jours et qu'il est utile de rappeler à leur mémoire ; attendu que puisqu'ils se montrent rigides observateurs des canons des conciles, à l'égard des fidèles, ils doivent eux-mêmes donner l'exemple de leur soumission aux lois qui leur sont propres, et sans l'exécution desquelles la religion perdrait son lustre et l'utilité de son institution ; L'oubli qui a eu lieu, de la part des évêques et des prêtres, de ces lois canoniques sur la discipline qu'ils doivent pratiquer, a excité l'ambition du clergé, au point de vouloir s'emparer du gouvernement de l'Etat, et lui a fait commettre des crimes qui ont ensanglanté le trône de nos rois, et bouleversé le royaume. La puissance des rois étant d'institution divine, a une supériorité marquée sur celle du clergé ; les dogmes fondamentaux de notre religion l'attestent, et les conciles l'ont reconnu ; le prince est le protecteur né des Saints Canons, il doit en surveiller l'exécution et se servir de son autorité pour y ramener les prêtres qui s'en écartent. Sa personne est sacrée, et nul n'a le droit d'y attenter, sans encourir les anathèmes prononcés par les lois ecclésiastiques, contre les prêtres et les laïques qui se rendraient coupables d'un crime aussi infâme. MM. les procureurs du roi, les préfets, sous-préfets et maires, qui sont les délégués du prince, tant en ce qui concerne la justice que la police du royaume, doivent le représenter en sa qualité de protecteur des Saints Canons, et en surveiller la stricte exécution de la part des ecclésiastiques qui se rencontrent dans leur arrondissement. L'effet de cette surveillance devient indispensable pour rappeler le clergé à ses devoirs, et lui imprimer pour la puissance séculière un respect qui est commandé, voulu, exigé et par l'Evangile et par les lois de l'Eglise. Cet ouvrage, en précisant les lois civiles et ecclésiastiques dont l'auteur fait l'application, servira de guide aux autorités constituées du royaume, en ce qui regarde leurs droits comme déléguées du prince, et conduira à leur instruction les prêtres qui peuvent méconnaître les obligations qui leur sont imposées par les conciles, en même temps qu'il offrira aux comédiens l'état constitutif et légal de leur profession. **** *book_ *id_body-4 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers DEDICACE A MM. de l'Académie royale de musique ; MM. les Comédiens ordinaires du Roi ; Et MM. de l'Opéra-Comique, etc., etc. Un préjugé détestable, et réprouvé par tous les hommes de bien, jette de la défaveur sur une profession que notre législation et l'autorité de nos rois n'ont cessé de protéger et d'honorer ; je crois satisfaire au vœu du public en fournissant, sur cette matière, tout ce que les lois civiles et ecclésiastiques ont de plus prépondérant pour fixer le jugement des hommes. Je désire de tout mon cœur avoir atteint le but que je me suis proposé, et vous prie de croire aux sentiments d'estime et d'affection que vos talents inspirent à tout ami des sciences et des arts, et avec lesquels Messieurs, Votre très humble et très obéissant serviteur. **** *book_ *id_body-5-1 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers De certaines processions ou cérémonies religieuses, pratiquées par le clergé, et qui sont ou ont été beaucoup plus nuisibles au culte et a la morale publique que les comédies représentées sur nos théâtres. On a vu dans le chapitre précédent que les ecclésiastiques au mépris du onzième canon du troisième concile de Carthage, tenu l'an 397, avaient, non seulement assisté aux spectacles mondains donnés par les confrères de la Passion, qui, après leurs comédies saintes, mêlaient toujours quelques farces, mais encore qu'ils avaient eux-mêmes rempli des rôles et ouvert leurs églises pour ces sortes de représentations ; que les lois civiles, que l'autorité du prince, infiniment plus portées à maintenir le respect dû à la religion et au caractère sacré de ministre des autels, que les ecclésiastiques eux-mêmes, avaient arrêté ce débordement de scandale et d'obscénité, en défendant aux ecclésiastiques de jamais prendre part à ces sortes de représentations, en réglant les sujets des pièces de théâtres, et en ordonnant que la scène serait transportée hors des églises. La sagesse de l'autorité civile l'a donc constituée protectrice et conservatrice de la religion et de la pudeur publique ; et le prince qui est, par la nature de sa puissance, le conservateur et le protecteur des canons des conciles, a su ramener les prêtres par la force de sa volonté et de ses ordonnances, à l'exécution des lois canoniques. Mais cet ordre interposé de la part de l'autorité séculière, quant aux représentations données par des ecclésiastiques, aurait dû s'étendre sur une infinité de processions et d'autres cérémonies religieuses, qui n'offrent encore que du scandale, et une infraction criminelle aux lois ecclésiastiques, et qui compromettent la dignité de la religion catholique, apostolique et romaine, en mêlant, en alliant aux cérémonies les plus augustes de notre culte, tout ce que le profane a de plus odieux et de plus impur, je veux parler de la procession solennelle qui avait lieu tous les ans à Aix-en-Provence, le jour de la Fête-Dieu, et qu'on y célèbre encore parfois de nos jours. Dans cette solennité, les prêtres permettent que les diables et que toutes les divinités du paganisme fassent partie inhérente de la procession, et que le saint sacrement, objet de la vénération et de la piété des vrais chrétiens, soit porté dans cet assemblage, dans cette réunion d'hommes masqués, déguisés en personnages les plus sacrilèges et les plus réprouvés par notre législation ecclésiastique. Un cortège aussi incohérent est à mon avis cent fois plus scandaleux, cent fois plus outrageant pour le culte, que toutes les comédies, quelles qu'elles soient, qu'on représente sur nos théâtres. Voici le détail historique et authentique de ce qui se passe dans cette cérémonie, extrait d'un ouvrage in-8°, imprimé en 1777, et déposé à la Bibliothèque du Roi, sous la cote L, n° 2167, 1. A, intitulé Explication des cérémonies de la Fête-Dieu d'Aix en Provence. « La procession sort de l'église Saint-Sauveur, à 11 heures et demie, dans l'ordre suivant : « 1. La croix de la métropole.« 2. La bannière aux armes de la ville.« 3. La bannière de S. Claude.« 4. La bannière de S. Roch.« 5. La bannière de S. Germain.« 6. La bannière de S. Christophe.« 7. La bannière de Sainte Anne.« 8. La bannière de Sainte Marthe.« 9. La bannière de S. Mitre.« 10. La bannière de S. Martin.« 11. La bannière de Notre-Dame du Rosaire.« 12. La bannière de Notre-Dame de l'Annonciade.« 13. La bannière de Saint-George.« 14. La bannière de Notre-Dame de Grâce.« 15. La bannière de S. Joseph.« 16. La bannière de Notre-Dame de Beauvais.« 17. La bannière de S. Eloy.« 18. La bannière de Sainte Catherine. « 19. La bannière de S. Honoré.« 20. La bannière de S. Sébastien.« 21. La bannière de S. Crépin.« 22. La bannière de la Sainte Trinité.« 23. La grande bannière de Corpus Domini. Après un certain intervalle viennent :« 24. Le guet à pied et les chevaliers du croissant.« 25. Le jeu du chat, qui est proprement dit, le jeu du veau d'or ; c'est une mascarade tout à fait profane, composée de plusieurs individus qui représentent des Juifs et en particulier Moïse, tenant le livre de la loi avec le grand-prêtre des Israélites, revêtu du pectoral et de la tiare ; un autre Juif porte le veau d'or, et un camarade fait sauter en l'air, aussi haut qu'il lui est possible, un malheureux chat, qui est tourmenté de la manière la plus impitoyable ; tous ces prétendus Juifs font des contorsions épouvantables et sont couverts d'une têtière, qui est un masque, qui enveloppe généralement toute la tête.« 26. Les lépreux, autre mascarade, qui représente les lépreux de l'Evangile ; leur habillement consiste en deux tabliers de mulets à franges, qu'ils mettent l'un devant, l'autre derrière, avec deux rangs de gros grelots en bandoulière et en sautoir ; les uns ont un grand peigne, les autres une brosse, les autres des ciseaux de tondeurs, et avec ces instruments, ils tracassent comme des diables, un autre d'entre eux qui a une longue perruque ; qu'ils s'efforcent de peigner, brosser et agiter. Ils sont tous couverts d'un masque qui représente une tête toute tondue. « 27. La reine de Saba, autre mascarade. C'est un portefaix déguisé en vieille princesse, qui a une couronne rayonnante sur la tête, une ceinture en chaîne d'argent, beaucoup de rouge sur les joues, et une robe et une coiffure des plus ridicules ; elle est accompagnée d'un danseur, lestement habillé ; il a nombre de petits grelots aux jarretières ; il porte une épée nue à la main, au bout de laquelle il y a un petit château doré, surmonté de cinq girouettes en clinquant ; cette reine est encore entourée de trois dames d'atours, qui portent chacune une coupe d'argent à la main, qu'elles haussent à la manière des bacchantes et saltimbanques. Ce groupe saute, danse, et fait des contorsions à l'infini et dignes du carnaval le plus gai. « 28. Le grand jeu des diables, ou le roi Hérode ; c'est ici une des mascarades les plus bruyantes et les plus scandaleuses ; ce sont des portefaix déguisés et masqués en diables, ils ont un corset et de très longues culottes noires, cousus ensemble, et des flammes rouges peintes sur ces habillements ; leur têtière est noire et rouge, avec de longues cornes, formant une vraie tête de diable, et représentant des têtes horribles d'animaux ; ils sont affublés de deux rangs de sonnettes qu'ils portent en bandoulière et en sautoir, et qui produisent un tintamarre vraiment infernal : ils ont tous des fourches à la main. Une Proserpine ou diablesse est parmi eux, et toujours distinguée par son accoutrement ridicule, et sa coiffure qui est la parodie des coiffures à la mode. Toute cette gente infernale tourmente le roi Hérode, qui est revêtu d'une espèce de casaque courte, de couleur cramoisi, avec des ornements jaunes ; il a la couronne en tête, et le sceptre à la main ; il cherche autant que possible à se défendre des coups qui lui sont portés. Une tirelire est portée par ces diables, qui vous la présentent, et ce que vous leur donnez forme une bourse commune, à laquelle le roi Hérode a droit de co-participation. Mais ce qu'il y a de plus répréhensible, selon mon opinion, c'est que le jour de la Trinité, et ensuite le jour et la veille de la Fête-Dieu, les diables et tous les employés aux mascarades de la procession vont avec leur habit de cérémonie, entendre la première messe à Saint-Sauveur. Ils entrent dans l'église, leurs têtières (ou masques) à la main, et après la messe, ils vont tous en sortant au grand bénitier ; là ils jettent eux-mêmes de l'eau bénite sur leurs masques en faisant des signes de croix, parce que, dit-on, ils ont peur de se trouver un de plus, lorsqu'ils se comptent, ce qui serait alors le vrai diable, ainsi que cela a eu lieu, prétendent-ils, il y a longtemps ; ils mettent ensuite leurs têtières ou masques, et font leur jeu devant l'image de la Vierge, qui est au milieu de la grande porte de l'église. » Ici le clergé avouera bien qu'il y a et profanation des lieux saints, et profanation des choses saintes !… car entrer dans l'église avec des masques à la main, y entendre la messe, bénir ensuite les masques et ces odieux déguisements avec de l'eau bénite puisée dans le grand bénitier, puis se masquer et danser devant l'image de la Vierge, qui tient au grand portail de l'église, c'est, selon moi, unir les bacchanales, les saturnales les plus infâmes, aux cérémonies les plus augustes, les plus saintes de notre culte !… Mais continuons notre procession :« 29. Les rois mages, ou le jeu de la belle étoile ; encore une mascarade qui représente les trois mages allant à Bethléem, et suivant l'étoile qui les y conduit ; ils ont chacun un page, et la figure couverte d'une têtière, portant une couronne royale ; ils font des danses, jeux et contorsions parmi lesquels on distingue une mauvaise farce, qu'en patois du pays on nomme Réguigneou, elle consiste dans un mouvement vif et successif du derrière que font MM. les pages de droite à gauche et de gauche à droite, en donnant leur dernier salut ; celui qui le fait le mieux, obtient du public, juge de ces mouvements obscènes, quelques pièces de monnaie de plus ;« 30. Les danseurs, en corsets, culottes, bas et souliers blancs, ornés partout de rubans, avec un casque garni de grosses pierres ou diamants de théâtre, surmonté de plumes en hauteur, de couleurs variées. Ils ont tous des scapulaires, et portent au-dessous du genou des jarretières garnies de petits grelots ; ils ont en main une baguette ornée de rubans et sont accompagnés d'une troupe de petits danseurs, qui imitent après eux, les danses qu'ils viennent d'exécuter ; « 31. La petite âme, qui est figurée par un enfant en corset blanc, les bras et les jambes nues, qui tient à la main la croix de Notre Seigneur J.-C., haute d'environ cinq pieds il appuie cette croix à terre de la main gauche ; alors un ange habillé de blanc avec de grandes ailes et une têtière ou masque qui forme l'auréole par derrière, tient aussi la croix de la main gauche, et la défend contre l'attaque des diables, qui, à grands coups de bâtons et de fourches, frappent sur le dos de l'ange, qui est garanti par une plaque de fer et un coussin qui se trouvent cachés par son accoutrement ; l'ange finit cependant par sauver la croix, et l'âme de l'homme, représentée par l'enfant, de l'enlèvement qu'en veulent faire les diables ; « 32. Le massacre des innocents ; on y voit le roi Hérode ordonner de faire mourir les enfants de la Judée, qui sont tous masqués avec une têtière et une chemise de toile écrue qui leur tombe jusqu'aux talons. On choisit pour ces rôles, ajoute l'historien, la fine fleur des petits polissons de la ville ; le patriarche Moïse, avec le livre de la loi, se trouve encore introduit dans cette mascarade.« 33. Les chevaux fringants ; huit ou dix jeunes gens portant tous des chapeaux gris avec un plumet haut, et une cocarde, en habit blanc garni de rubans de diverses couleurs au cou, aux bras, derrière la tête, ayant aussi des épaulettes en or et des scapulaires de Notre-Dame du Montcarmel, forment un jeu parmi eux. Ils ont tous un cheval figuré en carton peint, c'est-à-dire, seulement la tête et le poitrail d'un côté réunis à la croupe de l'autre, en laissant un vide qui permet aux jeunes cavaliers de placer leurs corps entre deux, pour paraître enjambés sur ce cheval, d'où il pend une sorte de caparaçon, en couleur de rose, pour cacher les jambes des cavaliers. Ce cheval de carton est porté sur leurs épaules par deux rubans en sautoir. Ils ont tous à la main droite un petit bâton orné de plusieurs rangs de rubans ; ils font mouvoir de la main gauche à leur gré cette figure de cheval ; ils forment une danse variée sur l'air consacré aux chevaux frux qu'on attribue au bon René, comte de Provence et roi de Naples.« 34. Les apôtres ; Judas ouvre la marche, il a en main la bourse des trente deniers ; viennent ensuite les Apôtres et les Evangélistes sur deux files, et enfin Jésus-Christ qui est en robe longue, avec une ceinture de corde, et une têtière ou masque, dont le visage est fort ensanglanté ; il est courbé sous le poids de la croix qu'il porte. S. Pierre est caractérisé par les clefs du paradis, S. Paul par son épée, S. Jacques par ses coquilles de pèlerin, S. André par sa croix, S. Luc par une têtière ou masque qui représente une horrible tête de bœuf, S. Marc par une têtière ou masque qui représente une tête de lion, S. Siméon est en évêque, chapé et mitré, et portant au bras gauche un panier rempli d'œufs, de l'autre main, il donne la bénédiction épiscopale.« 35. S. Christophe ; c'est une figure colossale faite avec des morceaux de bois et des cercles fort légers, enveloppés d'une aube en toile blanche ; ses deux bras sont étendus en croix. Le bras droit porte la figure d'un Jésus, attachée par-dessus ; le tout est surmonté d'une grande têtière assez proportionnée, à la barbe vénérable, avec une grande auréole. Elle a neuf à dix pieds d'élévation, elle est portée par un homme qui s'y met dedans, et qui fait saluer S. Christophe, tant qu'il peut, afin que son quêteur ramasse un peu plus d'argent en reconnaissance de cette politesse.« 36. La mort ; qui est représentée par une figure noire, avec des ossements de squelettes peints dessus, et une horrible têtière ou masque bien caractérisé. Tout son jeu consiste à faire aller et venir sa faux sur le pavé et l'approcher des pieds à tout le monde, qui, pour s'en débarrasser, donne quelque chose à son quêteur. » C'est la plus triste, la plus désagréable, de toutes les mascarades. Il y a ici un second intervalle dans la procession, après lequel paraissent :« L'abbé de la ville (de la ville d'Aix) ; c'est un personnage qu'on élit tous les ans le jour de la Pentecôte, et qui assiste à la procession solennelle de la Fête-Dieu, en pourpoint, en rabat, et manteau, et, dans le costume d'un abbé des plus galants ; il est précédé à la procession par son capitaine des gardes, et suivi par les abbés de même façon, qui ont été élus les années précédentes ; il porte à la main un très gros et très beau bouquet. Il a également son porte-enseigne, ses bâtonniers et autres officiers. Cette mascarade, moins scandaleuse que les autres, assiste à la messe de la métropole, et à toutes les autres cérémonies du jour de la Fête-Dieu ;« 37. La basoche ; elle entre ainsi que l'abbé de la ville par la grande porte de l'église et celle du chœur.« Les bâtonniers, le capitaine des gardes, le porte-enseigne jouent devant le parlement, et MM. les trésoriers de France ; devant la chapelle de corpus domini où se trouve la sénéchaussée, et ensuite plus bas devant les syndics des procureurs, et devant ceux des notaires.« Les bâtonniers, le capitaine des gardes, et le porte-enseigne font un salut particulier, et respectueux, en commençant et en finissant leurs exercices devant les autels, et reposoirs. Ces saluts dans lesquels ils fléchissent le genou en jouant du bâton (hallebarde) sont très différents de ceux qu'ils font aux dames en jouant devant elles.« La basoche en sortant du palais pour aller à Saint-Sauveur précède le parlement. Elle marche dans le même ordre qu'elle y est venue, et étant arrivée dans la métropole, avec ses tambours et symphonie, elle borde la haie au parlement, jusqu'à la porte du chœur, après quoi elle se retire ;« 38. Le prince d'amour ou le lieutenant du prince d'amour ; dont l'élection a eu lieu le jour de la Pentecôte ; il est en corset et culottes à la romaine de moire blanche et argent, tout unie ; le manteau uni glacé d'argent, chapeau à plumets, et de figure avantageuse ; il est précédé à la procession par des tambours, et des violons qui jouent l'air du prince d'amour ; il a son guidon, son capitaine des gardes, ses bâtonniers, et autres grands officiers, qui l'accompagnent à la procession, ils ont tous dans ce travestissement assisté à la messe à la métropole ; l'abbé de la ville, le lieutenant du prince d'amour, et tous les fonctionnaires de leur suite, ont de gros bouquets à la main, avec lesquels ils saluent les dames et toutes les personnes de leur connaissance. » Après un autre intervalle on voit arriver :« 39. Les notaires ;« 40. Le corps de l'université, dont la marche s'ouvre par la symphonie qui précède les quatre prieurs de S. Yves ;« 41. Le massier ;« 42. Le recteur suivi des quatre facultés ; De théologie ;De droit ;De médecine ;Et des arts ;« 43. Les procureurs au parlement ;« 44. Les procureurs au siège ;« 45. Les prieurs de la confrérie de corpus domini, avec leurs panonceaux ;« 46. Le massier du chapitre ;« 47. Le clergé de la métropole en chape ;« 48. Le très saint sacrement sous un riche dais ;« 49. Le parlement en robe rouge, précédé du premier huissier portant la masse de justice fleurdelisée d'or ;« 50. Les trésoriers généraux de France ;« 51. La sénéchaussée ;« 52. La maréchaussée. » Ainsi se termine cette célèbre et bizarre procession dont le récit étonnera et affligera même le véritable chrétien, parce qu'il y aura vu les objets et les personnages les plus augustes de notre religion, confondus avec des mascarades, des affublements hideux, grotesques, ou galants, qui sont proscrits par nos saints conciles, lors même qu'ils seraient représentés hors d'une cérémonie sainte, et à bien plus forte raison, lorsqu'ils en forment partie inhérente. Le clergé dans une telle circonstance enfreint les lois ecclésiastiques et les lois civiles, il se met en opposition avec les canons des conciles, et brave la raison et l'opinion publique. J'ai déjà dit que le onzième canon du concile de Carthage, tenu en 397, fait défense expresse aux ecclésiastiques, non seulement de donner des spectacles mondains, mais même d'y assister ; Or, une grande partie de cette procession est bien certainement un spectacle des plus mondains et des plus obscènes qu'on puisse donner ; et qui l'ordonne ? c'est le chapitre de S. Sauveur, qui, en cette occasion, est le maître des cérémonies et qui règle de point en point tout ce qui doit se passer. Le concile d'Augsbourg dans son dix-neuvième règlement de l'année 1548, porte qu'on retranchera des processions, tout ce qui est profane ; Le concile de Cologne de l'année 1549, dans son vingt-cinquième décret, ordonne de bannir des processions, tout ce qui n'est pas propre à exciter la dévotion. Le concile tenu in trullo, (à Constantinople) l'an 692, porte, dans son soixante-deuxième canon, que les danses publiques de femmes, les déguisements d'hommes, l'usage des masques comiques, satiriques ou tragiques, sont défendus ; Et tous ces déguisements, ces masques horribles de tête de bœuf, de tête de lion, de tête de diables, reçoivent l'eau bénite, de l'église de S. Sauveur, et figurent à la procession ! L'autorité séculière, dans son extrême sagesse, les arrêts de nos parlements, défendent la représentation des saints mystères, et la mise en scène des personnages divins qui forment l'objet de notre culte public ; Et le chapitre de S. Sauveur, le clergé du diocèse d'Aix, font paraître, de la manière la plus sacrilège, la personne de Jésus-Christ, ses Apôtres, plusieurs de nos saints les plus révérés, dans cette cérémonie publique ! Et à qui le rôle de notre divin rédempteur se trouve-t-il confié ? à un portefaix ; Qui a l'insigne faveur de porter la croix, signe du supplice de Jésus-Christ et l'objet de notre véritable rédemption, le sujet de notre vénération, et de tous nos respects ? un portefaix ; A quel objet servent cette croix et celui qui la porte ? à être en butte à la tourmente d'une autre foule de portefaix déguisés en diables, et qui font mille contorsions réprouvées par notre religion, et par une saine morale publique ! Comment S. Luc, et S. Marc sont-ils représentés, et comment effraient-ils les spectateurs ? Ce sont encore des portefaix qui sont chargés de ce rôle, et qui représentent la tête de deux saints que nous honorons et invoquons, chaque jour dans nos églises, par deux têtes de bœuf et de lion, qui représenteraient à merveille, ces animaux horribles que les païens adoraient comme leurs dieux ! Qui profane les habits pontificaux, et la dignité d'évêque, la première de notre religion ? C'est encore un portefaix, qui représente S. Siméon revêtu d'une chape et d'une mitre, et qui d'une main donne des bénédictions à toute outrance, et de l'autre tient un panier rempli d'œufs, à l'instar d'une cuisinière qui revient du marché !… Mais continuons : Moïse le plus grand, le plus respectable de nos patriarches, le législateur des Israélites, le prophète qui nous a transmis les livres de la loi, l'Ancien Testament, Moïse que nous caractérisons dans notre propre religion par le titre de serviteur du Seigneur, Moïse qui est rangé au nombre de nos propres saints, dont le culte est marqué sur la montagne de Nébo, et dont l'Eglise romaine fait la mémoire, le jour même de la transfiguration de N.S. J.-C. au mont Thabor, où on lui a dressé une église auprès de celle du Sauveur, pour accomplir les désirs et la volonté de S. Pierre, qui avait été dans l'impossibilité de les satisfaire de son temps, Moïse dont nous célébrons la fête le 4 septembre de chaque année, n'est-il pas odieusement représenté dans la mascarade du jeu du chat et du veau d'or, et dans celui du roi Hérode, par un autre portefaix ?… Quel contraste, quelle profanation, quel abus des choses saintes ! On conviendra que jamais sur nos théâtres, rien de semblable ne viendra offenser la vue, ni la raison des spectateurs ; et que la morale, qui forme toujours le but de nos auteurs, y est beaucoup mieux observée qu'à cette procession. J'ajouterai que je trouverais infiniment plus opportun, plus décent, de conduire mes filles, à une de nos bonnes tragédies ou comédies, qu'à la fête d'Aix ; et que si le clergé veut jouir de la considération et du respect, qui sont nécessairement dus à son institution, il est utile, indispensable qu'il exécute lui-même et la volonté des lois de l'Eglise, manifestée dans les canons des saints conciles, et la volonté des lois et ordonnances civiles qui suppriment ces sortes d'alliance du sacré au profane. Je me servirai pour faire sentir au clergé la nécessité de cette conduite, d'une seule sentence proclamée sur nos théâtres mêmes, et qui renferme la morale la plus saine dont les gens d'Eglise et du monde puissent faire usage : « L'opinion est un juge suprême Dont les arrêts doivent être écoutés, Et les premiers respectez-la vous-mêmes, Si vous voulez en être respectés. » La Mansarde, au Gymnase ou théâtre de Madame. Sans l'opinion, sans le respect public, les institutions ne peuvent obtenir aucune durée, et ceux qui ont un intérêt direct à leur conservation, ceux qui en sont les dépositaires et les administrateurs, doivent toujours tendre à les environner de la vénération des peuples ; car hors de là ils ne trouveront que désolation, abomination et destruction. Je sais que le président Hénault a légitimé la représentation des saints mystères, en disant dans son Abrégé chronologique de l'histoire de France : « Non, ce n'était point la profanation de la religion, tout était spectacle, pour un peuple grossier, qui était attiré dans les églises, où les cérémonies même du service divin étaient mêlées de ces spectacles ; on ne célébrait pas seulement les fêtes, on les représentait ; le jour des rois, trois prêtres habillés en rois, conduits par une figure d'étoile qui paraissait au haut de l'église, allaient à une crèche, où ils offraient leurs dons, etc. ; de là le peuple courait au théâtre, où il retrouvait les mêmes sujets ; c'était encore lui remettre les choses de la religion sous les yeux. Sa foi était fortifiée par l'habitude qu'il contractait avec les objets, et en entendre parler, c'était les avoir vus. Ne serions-nous pas réduits aujourd'hui à regretter ces temps de simplicité, où l'on ne raisonnait pas, mais où l'on croyait ? » Cela est juste, et je suis entièrement de l'avis de cet excellent historien, en ce temps, on ne raisonnait pas, on ne croyait pas profaner, on avait la foi, toute la foi : mais depuis ce temps, on a raisonné, et la raison du prince, la raison des législateurs, ont distingué, reconnu des profanations scandaleuses dans les représentations des mystères, et elles ont été défendues, d'une manière impérative ; mais depuis ce temps, on s'est reporté sur la propre législation ecclésiastique, et l'on a trouvé des canons des conciles, qui, depuis les premiers siècles, interdisent tous déguisements, toutes mascarades, non seulement aux gens d'Eglise, mais encore aux séculiers. Donc le clergé qui procède à une telle cérémonie que celle que je viens de décrire, est en opposition directe et avec les lois de l'Etat et avec les lois de l'Eglise. L'institution de cette fête avait eu lieu l'an 1462 par le bon roi René, comte de Provence, duc d'Anjou, et souverain de Naples ; cet excellent prince d'une dévotion et d'une foi réelles, aimait encore les sciences, les lettres et les arts ; il était grand protecteur des tournois, des joutes, et des poésies galantes ; il avait voulu, par la fondation de cette cérémonie, faire prévaloir la religion de Jésus-Christ, sur la puissance du diable, et imprégner cette vérité dans l'esprit du peuple, par des représentations qui parlassent à ses sens. Je dis et je maintiens que c'était bon, très bon, pour ce temps, et que la mémoire du roi René ne peut jamais être entachée du crime de profanation, parce que ses intentions étaient pures et tout à fait religieuses ; mais l'expérience qui corrige tout, qui épure tout, nous a prouvé à l'évidence, que cette alliance de mascarades profanes, avec les objets et les personnages les plus révérés de notre culte, ne pouvait plus avoir lieu ; la voix du prince et des lois s'est fait entendre à cette occasion, et le clergé doit s'y soumettre avec d'autant plus d'empressement, que ses propres lois canoniques le lui prescrivent aussi. Les habitants d'Aix tiennent singulièrement, dit-on, à l'institution de ces jeux, et à la mémoire de leur ancien souverain ; je suis loin de blâmer leur goût pour ces sortes de plaisirs, et encore moins la déférence qu'ils témoignent à la mémoire de ce prince ; mais je leur accorderais, dans le temps de carnaval, tous les jeux institués par le roi René, en retranchant les sujets religieux, et j'ordonnerais pour la solennité de la Fête-Dieu, une procession imposante et respectable qui nourrirait l'esprit et le feu sacré dans l'âme des fidèles, sans obscurcir leur vue par des sujets profanes et des masques hideux. J'ai lu l'espèce de justification qu'a prétendu faire le sieur de Haitze, de cette procession ; et quoi qu'il la consacre à la postérité, dans les termes les plus pompeux, il n'a pu arriver au but qu'il se proposait. Mais ce n'est pas seulement dans la ville d'Aix que nous trouvons l'usage de ces sortes de processions ; celle de Mâcon nous offre un autre exemple aussi bizarre de l'irréflexion du clergé, ou pour mieux dire, des jésuites qui en furent les ordonnateurs, et qui poussèrent l'esprit de l'irréligion jusqu'à choisir un jour de carnaval, pour la représenter ; voici ce que l'on lit dans les Annales de la société de Jésus, tome IV, in-4°, p. 511. « Nous allons voir maintenant dans la ville de Mâcon en France, les jésuites peu satisfaits de simples paroles et déclamations séditieuses, se jouer publiquement des choses saintes, et faire éclater leur Passion, par une procession profane, qui avait moins pour but le divertissement du peuple, que la vaine satisfaction de se dresser à eux-mêmes un triomphe imaginaire sur le saint défenseur de la grâce, (S. Augustin) et ses disciples : « Le lundi gras, 1651, sur le midi, on vit sortir de leur collège de Mâcon une procession dont ils avaient réglé la pompe de cette manière : la croix marchait en tête, suivie d'environ trente petits choristes tant de l'église cathédrale que des collégiales, tous écoliers des jésuites, qui étaient suivis du sieur Bazam, curé de Saint-Etienne, seul prêtre de toute cette troupe ; une cinquantaine d'écoliers marchaient ensuite travestis en Turcs, Japonais, Canadais, Allemands, Anglais, Suisses, et après eux paraissaient quatre estafiers portant un dais à quatre bâtons, sous lequel marchait un petit roi, le sceptre en main et la couronne sur la tête ; par là, ces pères voulaient, à ce qu'ils dirent depuis, représenter la grâce efficace ; derrière eux on voyait une centaine d'écoliers vêtus comme quelques autres nations plus civilisées et plus polies que les précédentes, qui marchaient devant quatre autres écoliers, vêtus en anges, chacun desquels soutenait le bâton d'un dais qui couvrait un petit écolier vêtu en ange, seul avec une croix en la main, et c'était la grâce suffisante ; il était précédé d'un autre écolier de l'âge de vingt-cinq à trente ans, habillé en femme qui avait une grande croix entre les bras ; mais les spectateurs n'en purent déchiffrer le mystère, sinon que l'on avait voulu marquer par là une âme pénitente. Ce second dais était suivi de S. Augustin représenté par un jeune homme de vingt-huit ou trente ans, vêtu en évêque avec une soutane, rochet, camail et croix pectorale, la tête nue, mais couverte d'un grand crêpe, à travers duquel on voyait tout l'habit épiscopal, et ce crêpe était surmonté par une grosse épine de bois vert. Ce S. Augustin travesti, était environné de quelques autres écoliers revêtus en Maures, en sauvages, en diables qui portaient des dagues et des épées nues avec différents écriteaux ; mais ceux qui en dressèrent la relation n'en purent lire que le dernier, où était représenté un monstre sous une grande massue avec cette inscription : Gratiæ sufficientis triumphus : il avait des feuilles de laurier tout autour. Les autres écriteaux furent effacés par une grosse pluie qui troubla un peu la pompe de la cérémonie triomphante : ceux qui avaient vu ces écriteaux assurèrent que sur l'un étaient gravées ces paroles, gratia proveniens, sur l'autre, gratia concomitans, et sur une troisième, gratia perficiens. Cette procession étant partie de la maison des jésuites, dans ce bel ordre, ou pour mieux dire, dans cet effroyable désordre, alla d'abord à S. Vincent, église cathédrale de Mâcon, de là à S. Pierre qui en est la collégiale ; et ensuite aux jacobins, aux cordeliers, et aux autres maisons religieuses. Les jésuites s'étaient promis de donner sur le théâtre l'intelligence de cette ridicule et toute profane cérémonie. Mais comme ces pères virent que les mieux sensés l'avaient blâmée hautement, ils en demeurèrent là, et se contentant de l'impunité dont ils ont joui dans toutes leurs entreprises, ils cessèrent pour cette fois de faire servir les plus grands mystères de notre religion au divertissement des hommes. » Que les jésuites aient osé par une procession aussi scandaleuse insulter à leurs adversaires, et profaner l'image de S. Augustin, on peut le concevoir ; mais que le clergé de Mâcon se soit rendu coupable d'une telle infraction du respect dû aux choses saintes, en ouvrant les portes de la cathédrale de S. Vincent, de la collégiale de S. Pierre, et celles des églises des jacobins, des cordeliers et des autres maisons religieuses, pour servir de stations à cette mascarade impie, cela ne se conçoit pas. Une autre procession de cette nature fut encore ordonnée et pratiquée en 1685, par les jésuites de Luxembourg, pour la translation de Notre-Dame-de-Consolation, ils y firent un mélange profane et scandaleux du saint-sacrement, et de l'image de la Vierge, avec toutes les divinités du paganisme, auxquelles on avait dressé des théâtres en plusieurs endroits de la ville, avec des inscriptions tirées de Virgile, et d'autres auteurs païens. Dans l'imprimé que les jésuites firent distribuer de la relation de cette cérémonie ils n'ont pas fait la moindre mention de Dieu, de Jésus-Christ, ni cité un seul passage de l'Ecriture, mais ils se sont fortement étendus sur leurs profanes divinités ; le docteur Arnaud leur en fit un reproche public, dans un écrit imprimé en 1687, intitulé : Avis aux RR. PP. jésuites sur leur procession de Luxembourg. Ces RR. PP. grands partisans de nos dieux de la mythologie, déployèrent également le plus grand zèle pour la danse et les ballets ; car lorsque M. de la Berchère, évêque de Lavaur, fut nommé à l'archevêché d'Aix, ils célébrèrent son arrivée dans sa ville archiépiscopale par un ballet qui ne le cédait en rien par sa lasciveté et ses galanteries aux ballets de nos opéras. Ainsi si les jésuites eux-mêmes mettaient au néant les canons des conciles qui proscrivent la danse, les particuliers, ou les danseurs publics, pouvaient bien imiter leur exemple, sans craindre la damnation éternelle, et pratiquer un art réservé aux gens du monde, puisqu'ils le voyaient exercé par des ecclésiastiques qui passaient pour les plus fervents soutiens de la religion romaine. La ville de Paris fut encore témoin d'un autre ballet donné par les jésuites en l'année 1653, et qui fut nommé le ballet de la vérité. L'impureté, l'indécence et la lubricité y furent poussées à l'excès, et de telle manière qu'un auteur moderne, qui se respecte tant soit peu, n'oserait en donner la description au public. Mais on pourra consulter, à cet égard, un ouvrage intitulé Onguent pour la brûlure, in-8°, déposé à la bibliothèque royale, sous la lettre D., N°. 2898, page 61 ; on trouve encore dans le même ouvrage, page 58, la description de ce qui se passa dans l'église de ces RR. PP., en l'année 1653, à l'occasion de l'Enigme infâme qu'ils y exposèrent, et dans laquelle on voyait tous les dieux du paganisme, tels que Jupiter, Vénus, Cupidon, etc., dans la nudité la plus absolue, et à côté des sujets les plus respectables de notre culte, tels que le saint-sacrement de l'autel, l'image de Jésus-Christ, de la Vierge, et des autres saints. Maintenant abandonnons les jésuites pour rentrer dans les cérémonies que le clergé de France pratiquait dans presque l'universalité de ses diocèses. Procession et messe singulière de Dieppe. En 1443, les habitants de la ville de Dieppe remportèrent une victoire signalée sur les Anglais qui étaient venus mettre le siège devant cette ville ; mais cette victoire fut achetée au prix de leur sang, puisqu'ils eurent à regretter plus de 4.000 des leurs. Le dauphin, avant de quitter la ville, se rendit dans l'église de Saint-Jacques, à la tête des officiers municipaux, pour consacrer spécialement cette ville sous la protection de la sainte Vierge. Ce prince ordonna qu'on fît tous les ans à l'honneur de Marie, une procession générale autour des murailles de la ville, à pareils jour et heure qu'il avait attaqué et emporté la Bastille ; il autorisa les maires et échevins de passer dans le compte de chaque année la somme de deux cents livres : il fit aussi présent à l'église de Saint-Jacques d'une statue en argent d'une grandeur naturelle. Cette procession et la solennité qui l'accompagnait, donnèrent lieu à la création d'une confrérie de l'Assomption, dont nous allons parler, et qui prouvera la simplicité des mœurs et de la piété de nos ancêtres. On prenait tous les ans vers la mi-juin les suffrages des principaux habitants, assemblés en l'hôtel de ville, pour l'élection de la fille la plus vertueuse qui devait cette année représenter la sainte Vierge, ainsi que pour l'élection de six autres filles de Sion qui devaient l'accompagner. On procédait ensuite au choix d'un ecclésiastique pour représenter S. Pierre, et de onze laïques pour représenter les onze autres Apôtres. La sainte Vierge, représentée comme nous venons de le dire, portée par quatre clercs dans un berceau en forme de tombeau, accompagnée des filles de Sion, ainsi que les représentants de S. Pierre et les onze Apôtres, se rendaient tous les ans à l'église de Saint-Jacques, le 4 août à six heures du matin. On étendait à cette heure, devant la porte du maître de la confrérie de l'Assomption, une grande tapisserie sur laquelle on appliquait des lettres en or, qui rendaient et formaient quelques vers exprimant les qualités distinctives de ce maître, et de son amour pour Marie. Ces vers s'appelaient palinods. Ceux qui représentaient S. Pierre et les onze Apôtres, après avoir assisté à l'office des laudes, sortaient du chœur de Saint-Jacques portant chacun un cierge, et se rendaient à la porte du maître en exercice, en chantant des hymnes, et faisant avertir les échevins, etc., de se rendre à l'église, et que le clergé approchait. Cette procession se faisait sur les sept heures du matin. Le cortège était précédé d'une grande musique ; l'on faisait même venir de Rouen un grand nombre de musiciens. Les deux clergés réunis de Saint-Jacques et de Saint-Remy, l'on sortait de l'église, on portait l'espèce de tombeau ou berceau dans lequel était la représentation de la Vierge, et à ses côtés les filles de Sion ; ensuite le S. Pierre avec ses deux acolytes, revêtus de leurs ornements ecclésiastiques, allaient à la tête des onze Apôtres. Des deux côtés de cette procession était un grand nombre de jeunes gens avec des attributs et des habits caractéristiques, propres à exprimer les saints qu'ils voulaient représenter. Après les maîtres de la confrérie, des jeunes gens portaient les prix des palinods. La messe finie, le S. Pierre montait à l'autel, prenait le saint ciboire, se communiait lui-même, et présentait la sainte hostie aux apôtres. Si quelqu'un d'eux n'eût pas accepté le pain de vie, il eût été bafoué et dépouillé de l'apostolat comme en étant indigne. Pendant toute la durée de cette messe chantée en musique, on donnait aux assistants une représentation de la mère de Dieu. Le Père Eternel paraissait sous la figure d'un vénérable vieillard ; à ses côtés quatre anges. Pendant cette représentation qui durait deux heures, l'on voyait un personnage bouffon qui faisait des singeries et se moquait de la sainte Vierge qui montait au ciel ; pour exprimer sa surprise, ce bouffon se couchait par terre pour faire le mort ; se relevait ensuite, et courait avec rapidité se cacher sous les pieds du père éternel, où il ne montrait que sa tête. Les lazzis et niaiseries de ce personnage, que le peuple nommait grimpe sur l'air, faisaient rire tous les assistants, qui confondaient leurs exclamations avec le chant de la messe. Après l'office de la messe, le chapelain de la confrérie montait à la tribune des apôtres et entonnait : assumpta est Maria in cœlum : gaudent angeli, laudantes benedicunt Dominum ; après quoi il récitait quarante vers français pour engager les apôtres à publier par toute la terre l'Assomption de la sainte Vierge, dont ils venaient d'être les témoins. Ceux-ci répondaient chacun par une vingtaine de vers, et assuraient qu'ils allaient avec joie s'acquitter de ce devoir. Le récit fait, l'apôtre S. Jean entonnait le verset, ave, Maria, gratia dei plena per sæcula, etc., que les autres apôtres continuaient de chanter en chœur, accompagnés du carillon des sonnettes dont étaient couverts les trois petits anges. Le maître en exercice de la confrérie régalait chez lui la sainte vierge, les filles de Sion, et les magistrats de la ville. Les apôtres dînaient dans la rue, devant la porte du maître : vraisemblablement pour désigner que Saint Pierre avait pleuré sa faute à la porte de Caïphe ; et que les autres Apôtres avaient abandonné leur divin maître, et ne l'avaient point suivi dans la maison du pontife. Tant que le repas durait, il était défendu à saint Pierre et aux apôtres de parler et de rire. Le dîner fini, le saint Pierre se levait de table, et entonnait le verset, ave, Maria, gratia dei plena, etc. Dès qu'on annonçait après le dîner qu'on allait retourner à l'église, la sainte vierge se remettait dans son tombeau, les filles de Sion à ses côtés, et le clergé. Ils se rendaient tous à l'église, après les vêpres de ce jour 4 août ; on faisait la représentation de la sainte Vierge sur un théâtre devant l'hôtel de ville. Le premier personnage qui paraissait sur ce théâtre était saint Jean l'Evangéliste, portant une couronne en forme de gloire, il ouvrait le spectacle en chantant : tota pulchra es, amica mea, etc. Après quoi il commençait cette antienne par quarante vers, et se retirait. Alors la sainte vierge dans son tombeau, apporté sur le théâtre, exhortait les filles de Sion d'être toujours fidèles à Dieu, à qui elle les recommandait elle-même ; elle leur annonçait sa mort prochaine, et leur témoignait la joie qu'elle allait avoir de rejoindre son divin fils. Enfin elle récitait ces mots : Nunciate dilecto meo, quia amore langueo . Aussitôt paraissait l'ange Gabriel, qui lui présentait une palme en chantant : Surge, propera, amica mea ; veni, de Libano coronaberis. On voyait aussitôt accourir sur le théâtre le saint-Pierre et les autres apôtres, qui témoignaient leur surprise de se voir ainsi transportés en ce lieu, des différents endroits de la terre par une force surnaturelle ; et ils exprimaient leur douleur de la perte qu'ils allaient faire de la sainte vierge qui alors paraissait expirer. Dès qu'elle était censée morte, le saint Pierre lui fermait les yeux ; à l'instant les musiciens exécutaient un motet en son honneur ; des Juifs entraient de tous côtés sur le théâtre pour enlever le corps de la sainte vierge : les apôtres s'y opposaient, un combat décidait la question ; les apôtres, étant les plus forts, enlevaient le tombeau dans lequel était la sainte vierge. Les mêmes cérémonies et le même spectacle se répétaient le 15 août ; le 16 on jouait sur le théâtre une comédie morale. Ces cérémonies ridicules ont eu lieu jusqu'en 1684, un mandement de l'archevêque de Rouen les proscrivit. Les habitants de Dieppe eurent recours au parlement de Rouen, qui confirma le mandement ; mais les Dieppois ne perdirent pas l'espoir du rétablissement de cette farce religieuse, qui leur rapportait beaucoup d'argent, par le grand concours de curieux qui se rendaient à Dieppe ; ils en firent conserver les machines dans leur magasin, jusqu'au bombardement de la ville en 1694, qui en occasionna l'incendie. Procession de la danse des chanoines à Chalon-sur-Saône. Les complies de la Pentecôte étant finies, le doyen, les chanoines, et les habitués sortaient de l'église en procession, et venaient dans le petit cloître : il y a au milieu du préau un dôme, et au-dedans une masse de pierre taillée en rond, et des images aussi de pierre à l'entour. La procession y étant arrivée, tous se prenaient l'un après l'autre par le bout de leur surplis ; et en chantant quelques répons de la fête de la descente du S. Esprit sur les Apôtres, ils faisaient quelques tours en dansant en rond à l'entour de ce dôme : et bien qu'on n'y fît rien qui ne fût dans la bienséance et dans la modestie, et qui ne fût institué à bon dessein, toutefois, parce que le peuple appelait cette cérémonie la danse des chanoines, l'évêque Cyrus de Thiard et le chapitre jugèrent de concert qu'il fallait abolir cette coutume. La procession noire du chapitre d'Evreux. Le premier jour de mai le chapitre d'Evreux avait coutume d'aller dans le bois L'évêque, qui est fort près de la ville, couper des rameaux et de petites branches, pour en parer les images des saints qui sont dans les chapelles de la cathédrale. Les chanoines firent d'abord cette cérémonie en personne ; mais dans la suite, ne croyant pas devoir s'abaisser jusqu'à aller couper eux-mêmes ces branches, ils y envoyèrent leurs clercs de chœur ; ensuite tous les chapelains de la cathédrale s'y joignirent, en conséquence des fondations postérieures qui se rencontrent ce jour-là, où il y a une assez bonne distribution ; enfin les hauts vicaires, vicarii capitulantes de alta sede y trouvant leurs avantages, aussi bien que la communauté des chapelains, ne dédaignèrent point de se trouver à cette singulière procession, nommée la procession noire. Les clercs de chœur qui regardaient cette commission comme une partie de plaisir sortaient de la cathédrale, deux à deux en soutane et en bonnets carrés, précédés des enfants de chœur, des appariteurs ou bedeaux, et des autres serviteurs de l'église, chacun avec une serpe à la main, et allaient couper ces branches qu'ils rapportaient eux-mêmes, ou faisaient rapporter par la populace, qui se faisait un plaisir et un honneur de leur rendre ce service, en les couvrant dans la marche d'une épaisse verdure ; ce qui dans le lointain faisait l'effet d'une forêt ambulante. Un autre abus s'introduisit peu après : c'était de sonner toutes les cloches de la cathédrale, pour faire connaître à toute la ville que la cérémonie des branches et celle du mai étaient ouvertes ; et cet abus augmenta si fort dans la suite des temps, qu'il fit casser des cloches, blesser et tuer même quelques sonneurs, rompre, briser, et démolir quelque chose d'essentiel aux clochers. L'évêque y voulut mettre ordre : il défendit cette sonnerie, et ce qui l'accompagnait ; mais les clercs de chœur méprisèrent ses défenses. Ils firent sortir de l'église les sonneurs qui pour la garder y avaient leur logement ; ils s'emparèrent des portes et des clefs pendant les quatre jours de la cérémonie, se rendirent enfin maîtres de tout, sonnèrent eux-mêmes à toute outrance, et ne devinrent, pour ainsi dire, raisonnables que le matin du dixième jour de mai : ils poussèrent même l'insolence jusqu'à pendre par les aisselles, aux fenêtres d'un des clochers, deux chanoines qui y étaient montés de la part du chapitre pour s'opposer à ce dérèglement…. On trouve dans des actes authentiques et originaux les noms des deux chanoines à qui on fit cet affront. L'un était Jean Mansel, trésorier de la cathédrale du temps de Henri II, roi d'Angleterre et de Normandie, qui est qualifié, dans les archives du chapitre, conseiller de ce prince. Il était de la maison des Mansel, seigneur d'Erdinton en Angleterre, etc. ; l'autre était Gautier Dentelin, chanoine, qui devint aussi trésorier, après la mort de Mansel, en 1206. La procession noire faisait au retour mille extravagances, comme de jeter du son dans les yeux des passants, de faire sauter les uns par-dessus un balai, de faire danser les autres. On se servit ensuite de masques ; et cette fête à Evreux fit partie de la fête des fous et des sous-diacres, saturorum diaconorum. Les clercs de chœur, revenus dans l'église cathédrale, se rendaient maîtres des hautes chaires, et en chassaient pour ainsi dire les chanoines : les enfants de chœur portaient la chape ; ils faisaient l'office entier, depuis nones du 28 avril jusqu'à vêpres du premier jour de mai, pendant lequel temps toute l'église était ornée de branchages et de verdure. Pendant l'intervalle de l'office de ce jour-là, les chanoines jouaient aux quilles sur les voûtes de l'église, ludunt ad quillas super voltas ecclesiæ ; faisaient des représentations, des danses et des concerts, faciunt podia, choreas et choros ; et ils recommençaient à cette fête toutes les folies usitées aux fêtes de Noël et de la Circoncision, et reliqua sunt in natalibus. Fondation du chanoine Bouteille. Un chanoine du même chapitre d'Evreux, et qui se nommait Bouteille, (il vivait l'an 1270) fit une fondation d'un obiit, précisément le 28 avril, jour auquel commençaient les préparatifs de la fête du mai, ou de la procession noire ; il attacha à cet obiit une sorte de rétribution pour les chanoines, hauts vicaires, chapelains, clercs, enfants de chœur, etc., et ce qui est de plus singulier, il ordonna qu'on étendrait sur le pavé, au milieu du chœur, pendant l'obiit, un drap mortuaire aux quatre coins duquel on mettrait quatre bouteilles pleines de vin et une cinquième au milieu, le tout au profit des chantres qui auraient assisté à ce service. Cette fondation du chanoine Bouteille a fait appeler dans la suite le bois L'évêque, où la procession noire allait couper ses branches, le bois de la Bouteille, et cela parce que, par une transaction faite entre l'évêque et le chapitre, pour éviter le dégât et la destruction de ce bois, l'évêque s'obligea de faire couper par un de ses gardes autant de branches qu'il y aurait de personnes à la procession, et de les leur faire distribuer à l'endroit d'une croix qui était proche du bois. On ne chantait rien durant cette distribution, mais on ne se dispensait pas de boire, comme on dit… en chantre et en sonneur. On ne mangeait que certaines galettes appelées casse-gueules ou casse-museaux, à cause que celui qui les servait aux autres les leur jetait au visage d'une manière grotesque. Le garde de l'évêque, chargé de la distribution des rameaux, était obligé avant toutes choses de faire près de la croix, dont j'ai parlé, deux figures de bouteilles qu'il creusait sur la terre, remplissant les creux de sable, en mémoire et à l'imitation du chanoine Bouteille qui, comme je viens de dire, a donné son nom au bois qui fournissait les branches. Procession de Gargouille à Rouen, dite aussi de S. Romain et de la Fierte. Il se faisait dans cette ville, le jour de l'Ascension, une procession singulière, à laquelle le clergé portait un monstre, qu'on nommait Gargouille. On prétend que c'était une bête horrible et monstrueuse qui, en forme de grand serpent et dragon, se tenait hors de la ville et auprès des murs, qui chaque jour faisait carnage, dévorait toutes créatures tant humaines que autres, et faisait périr les navires. S. Romain, pour délivrer le peuple de l'horrible et cruel serpent, se résolut d'aller à la caverne de cette bête ; et, ne trouvant personne qui voulût l'accompagner, la justice lui donna un prisonnier condamné à mort. Par miracle S. Romain prit cette bête, lui mit son étole au cou ; et lors, toute férocité cessant, la bailla audit prisonnier criminel, qui l'amena sans résistance jusque dans la ville, où publiquement elle mourut, et fut consumée par le feu. En mémoire et considération de ce miracle, le roi Dagobert Ier, roi de France, accorda en 631 à S. Ouen, chancelier de France et aussi archevêque de Rouen, le privilège et autorité de délivrer tous les ans un prisonnier ou prisonnière devant être condamné à mort. Charles VIII confirma ce privilège en consentant formellement à son exercice ; Louis XII, en 1512, donna des lettres de confirmation ; Henri IV donna la fameuse déclaration de 1597, qui fixa les droits du chapitre par rapport au privilège. Le chapitre de Rouen a joui jusqu'à la révolution du droit de délivrer des prisonniers le jour de cette cérémonie, à laquelle cependant depuis plusieurs années on ne portait plus l'image hideuse du monstre Gargouille. A Orléans et à Beauvais on faisait et l'on continue encore de faire des processions en mémoire de la délivrance de ces villes, qui ont été et sont bien plus décentes, et qui rappellent des souvenirs qu'il est bon et utile de propager dans l'esprit des habitants. Elles ont un but religieux et politique qu'on ne peut que louer et approuver. Je ne relaterai point ici les processions injurieuses pour la religion et pour l'autorité du roi, faites par le clergé de Paris pendant nos troubles malheureux de la Ligue ; il suffit qu'elles tiennent à une époque momentanée, et à un esprit horrible de fanatisme et de rébellion, pour qu'elles ne se trouvent pas classées dans ce qui était propre et universel dans l'Eglise catholique et romaine. Je dis universel, parce que ce n'était pas seulement en France que le clergé catholique mêlait des sujets profanes aux choses saintes et aux offices divins ; nous allons nous borner à quelques citations de ces sortes de profanations dans les pays étrangers : A Nivelle, dans le Brabant, la confrérie de Sainte-Gertrude fait, tous les ans, le lendemain de la Pentecôte, une procession solennelle en l'honneur de cette sainte qui est la patronne de la ville. On voit d'abord paraître un homme à cheval ; derrière lui est assise en croupe une fille choisie entre les plus belles de la ville, pour représenter Sainte Gertrude. Elle est habillée en dévote, et d'une manière convenable au personnage qu'elle joue ; devant elle un jeune homme alerte, qui représente le diable, fait mille sauts et mille cabrioles, et tâche, par ses gestes bouffons, de faire rire la prétendue sainte qui, de son côté, s'efforce de conserver la gravité qui convient à son caractère et à la cérémonie ; de jeunes filles viennent ensuite, portant l'image de la sainte Vierge. Le reste de la procession n'a rien de remarquable. Procession des disciplinants en Espagne. Elle se fait le Vendredi Saint, pour honorer la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Le triste appareil de cette cérémonie est très conforme à l'esprit de son institution. Les croix et les bannières sont couvertes de crêpes. Les gardes du roi d'Espagne, qui marchent à cette procession, ont leurs armes revêtues de noir. Les musiciens sont en deuil et masqués. Les tambours sont aussi couverts de noir. Les airs lugubres, que jouent les instruments de musique, répondent à cette triste décoration. A ce funèbre concert se joint le bruit de plusieurs chaînes pesantes que l'on traîne. Entre tous ceux qui composent cette procession, on distingue les disciplinants qui en sont les principaux acteurs. « Ils portent un long bonnet, dit l'auteur des Délices de l'Espagne, couvert de toile de batiste de la hauteur de trois pieds, et de la forme de pain de sucre, d'où pend un morceau de toile qui tombe par-devant et leur couvre le visage. Il y en a quelques-uns qui prennent ce dévot exercice pour un véritable exercice de piété ; mais il y en a d'autres qui ne le font que pour plaire à leurs maîtresses ; et c'est une galanterie d'une nouvelle espèce, inconnue aux autres nations. Ces disciplinants ont des gants et des souliers blancs, une camisole dont les manches sont attachées avec des rubans. Ils portent un ruban à leur bonnet ou à leur discipline, de la couleur qui plaît le plus à leurs maîtresses. Ils se fustigent, par règle et par mesure, avec une discipline de cordelettes où l'on attache au bout de petites boules de cire garnies de verre pointu. Celui qui se fouette avec le plus de courage et d'adresse est estimé le plus brave. Lorsqu'ils rencontrent quelque dame bien faite, ils savent se fouetter si adroitement, qu'ils font ruisseler leur sang jusque sur elle ; et c'est un honneur dont elles ne manquent pas de remercier le disciplinant. » Madame d'Aulnoi, dans son Voyage d'Espagne, dit que la manière de se fouetter est devenue un art en Espagne, aussi raffiné que celui de l'escrime, et qu'il y a des maîtres particuliers qui l'enseignent. Elle ajoute que, pour se fouetter avec grâce, il ne faut qu'agir de la main et du poignet, sans gesticuler du bras. Reprenons notre auteur. « Quand un disciplinant se trouve devant la maison de sa maîtresse, c'est alors qu'il redouble les coups avec plus de furie, et qu'il se déchire le dos et les épaules. La dame qui le voit de son balcon, et qui sait qu'il le fait à son intention, lui en sait bon gré dans son cœur, et ne manque pas de lui en tenir bon compte. Ceux qui prennent cet exercice sont obligés d'y retourner tous les ans, faute de quoi ils tombent malades ; et ce ne sont pas seulement des gens du peuple ou des bourgeois qui font cela, mais aussi des personnes de la plus grande qualité. » A Séville, le nombre des disciplinants va jusqu'à sept ou huit cents ; et ils l'emportent sur ceux de Madrid par la rigueur avec laquelle ils se fustigent. Cette procession est si célèbre et si solennelle que tous les ordres de l'Etat sont obligés de s'y trouver. Ainsi l'on voit marcher non seulement les ecclésiastiques, les moines, les magistrats, les artisans, mais encore les comédiens, quoique leur profession soit réputée infâme. Le roi d'Espagne assiste quelquefois en personne à cette solennité, accompagné de tous ses courtisans. La procession des disciplinants est ordinairement accompagnée d'une pieuse farce pareille à celles que l'on représentait en France dans l'enfance de notre théâtre. On dresse des théâtres sur lesquels on joue la Passion et la mort de Jésus-Christ. Au lieu d'applaudissements, on entend à certains endroits les pleurs et les gémissements des spectateurs qui se donnent de grands coups sur la poitrine. C'est le sort ordinaire des dévotions outrées de dégénérer en licence et en abus. Les disciplinants après s'être déchiré les épaules, de retour chez eux, se frottent avec des éponges trempées dans du sel et du vinaigre, et se plongent ensuite dans la débauche d'un somptueux repas, pour réparer en quelque sorte le sang qu'ils ont perdu, et flatter la chair qu'ils ont si maltraitée. Procession du Saint-Sacrement à Madrid, le jour de la Fête-Dieu. Il y a lieu d'être surpris que les Espagnols, naturellement si graves et si sérieux, aient pu allier aux cérémonies les plus saintes de la religion, les pantomimes et les gestes burlesques des bouffons. On voit cependant ce mélange monstrueux dans la procession de la Fête-Dieu, qui d'ailleurs est pompeuse et magnifique ; dans les rangs des ecclésiastiques, qui marchent dévotement et les yeux baissés, se mêlent des farceurs et des baladins, qui gesticulent et qui sautent de la manière la plus indécente. Il y en a même qui vont faire briller leur adresse aux côtés du prélat qui porte le Saint-Sacrement. La procession de la Fête-Dieu à Milan se faisait avec les mêmes cérémonies ; des soldats déguisés en pantalons (bouffons) marchaient à la tête du cortège, en dansant leurs ballets, à l'imitation sans doute du roi David qui avait dansé devant l'arche d'alliance. A Vérone, on fait aussi la procession de l'âne, chez les moines de Notre-Dame-des-Orgues. On y croit que Jésus-Christ, après son entrée à Jérusalem, donna la liberté à l'ânesse ou à l'ânon qui lui avait servi de monture, et que cet animal, après avoir voyagé quelque temps en Palestine, traversa la mer à pied sec, et vint se réfugier à Vérone, où il mourut. On en conserva religieusement les restes, qu'on mit dans le ventre d'un âne artificiel, dont l'effigie se conservait précieusement dans l'église de Notre-Dame-des-Orgues, où, deux fois l'année, dans une procession solennelle, quatre moines de cette communauté portaient cet âne comme une relique. (Misson, Voyage d'Italie, tome Ier page 164, et Dict. de l'Italie tome Ier, page 56.) La procession du rosaire à Venise est une des plus plaisantes de ce genre. Les RR. PP. dominicains ont l'honneur de l'invention ; et voici comme ils ont disposé cette pieuse marche. On voit d'abord paraître une troupe de jeunes garçons, les plus beaux et les mieux faits qu'on ait pu trouver, qui représentent des anges et des saints. Parmi ces garçons, il y a aussi un grand nombre de jeunes filles, d'une figure et d'une taille d'élite, qui représentent des saintes. Chacune a le nom du personnage qu'elle représente. L'une s'appelle Sainte Agnès, l'autre Sainte Luce. Entre toutes les saintes on remarque Sainte Catherine de Sienne, auprès de laquelle est un enfant portant un soufflet dans une main, et dans l'autre un balai ; parce que les légendes rapportent que Jésus-Christ entra un jour sous cette forme dans l'appartement de Catherine, pour lui servir de valet de chambre. Parmi toutes ces jeunes filles, sont dispersés quelques jeunes égrillards déguisés en diables, qui ont de longues queues, des cornes et des griffes. Leur emploi est de gesticuler auprès des saintes, de tâcher de les distraire par les postures les plus grotesques. On dit même qu'il se trouve certains diablotins entreprenants, qui poussent le jeu fort loin, et prennent des libertés capables d'alarmer la pudeur des jeunes vierges. Cette farce ridicule est destinée à faire voir le courage héroïque des saintes qui ont résisté constamment pendant leur vie aux attaques de l'esprit malin. A la suite des saintes de la loi nouvelle, on voit paraître celles de l'Ancien Testament, représentées par plusieurs matrones, qui joignent à un air grave et respectable la fraîcheur et les agréments de la jeunesse. Derrière elles, on porte en cérémonie, sur un brancard, une jeune et belle fille, remarquable par son éclatante parure, qui porte en main un sceptre, et sur la tête une couronne royale. Un de ses principaux ornements est un rosaire extraordinairement grand, et dont les grains sont d'une grosseur prodigieuse. Tous ces attributs font aisément reconnaître que ce personnage représente la sainte Vierge. Cette sainte vierge vivante et animée est suivie d'une autre qui n'est que de bois, mais qui n'est pas moins révérée ; c'est une statue miraculeuse, dont les dominicains racontent des merveilles. De la fête des fous dans diverses cathédrales. Rien n'a plus de similitude avec les anciennes saturnales, que la fête des fous, qui se célébrait dans la plupart des églises cathédrales et métropoles du royaume ; car ainsi que dans les saturnales où les valets faisaient les fonctions de leurs maîtres, de même dans la fête des fous, les jeunes clercs et les autres ministres inférieurs de l'Eglise officiaient publiquement et solennellement, pendant les jours consacrés à ces sortes de fêtes, qu'on appelait dans certains diocèses fête des sous-diacres, et comme le dit fort bien le célèbre Ducange saturi diaconi, fête des diacres saouls, par allusion à la débauche des diacres, qui s'y abandonnaient aux excès du vin. Ces débordements avaient lieu contre l'avis de Saint-Augustin, (Sermon 215, De tempore) qui commande qu'on châtie rigoureusement ceux qui seraient convaincus de cette impiété, et contre la volonté du concile de Tolède, tenu en 633. Plusieurs prélats de l'Eglise de France firent également leur possible, pour les abolir. Mais malgré tant d'efforts, ce scandale se prolongea longtemps, et voici quelques détails sur ce qui se pratiquait : On élisait dans les églises cathédrales, depuis les fêtes de Noël jusqu'à l'Epiphanie, et notamment le jour de l'an (c'est pourquoi cette fête était dans certains lieux nommée fête des Calendes), on élisait, dis-je, un évêque ou un archevêque des fous, et son élection était confirmée par beaucoup de bouffonneries ridicules, qui lui servaient de sacre ; après quoi on le faisait officier pontificalement, jusqu'à donner la bénédiction publique et solennelle au peuple, devant lequel ils portaient la mitre, la crosse, et même la croix archiépiscopale. Mais dans les églises exemptes ou qui relevaient immédiatement du Saint-Siège, on élisait un pape des fous (unum papam fatuorum) à qui l'on donnait pareillement, et avec grande décision, les ornements de la papauté, afin qu'il pût agir et officier solennellement, comme le Saint-Père. Des pontifes et des dignitaires de cette espèce étaient assistés d'un clergé aussi licencieux. On voyait les clercs et les prêtres faire en cette fête un mélange affreux de folies et d'impiétés pendant le service divin, où ils n'assistaient ce jour-là qu'en habits de mascarade et de comédie. Les uns étaient masqués, ou avec des visages barbouillés qui faisaient peur ou qui faisaient rire ; les autres en habit de femmes ou de pantomimes, tels que sont les ministres du théâtre. Ils dansaient dans le chœur en entrant, et chantaient des chansons obscènes. Les diacres et les sous-diacres prenaient plaisir à manger des boudins et des saucisses sur l'autel, au nez du prêtre célébrant : ils jouaient à ses yeux aux cartes et aux dés : ils mettaient dans l'encensoir quelques morceaux de vieilles savates, pour lui faire respirer une mauvaise odeur. Après la messe, chacun courait, sautait et dansait par l'église, avec tant d'impudence que quelques-uns n'avaient pas honte de se porter à toutes sortes d'indécences, et de se dépouiller entièrement ; ensuite ils se faisaient traîner par les rues dans des tombereaux pleins d'ordures, d'où ils prenaient plaisir d'en jeter à la populace qui s'assemblait autour d'eux. Ils s'arrêtaient et faisaient de leurs corps, des mouvements et des postures lascives, qu'ils accompagnaient de paroles impudiques. Les plus libertins d'entre les séculiers, se mêlaient parmi le clergé pour faire aussi quelques personnages de fous en habits ecclésiastiques, de moines et de religieuses. Enfin, dit un savant auteur, c'était l'abomination de la désolation dans le lieu saint et dans les personnes de l'état le plus saint. Dans certains diocèses, après la fête de Noël, il se faisait quatre danses dans l'église, savoir : des lévites ou diacres, des prêtres, des enfants ou clercs, et des sous-diacres. Il y avait même certaines églises où les évêques et les archevêques jouaient aux dés, à la paume, à la boule et aux autres jeux ; dansaient et sautaient avec leur clergé, dans les monastères, dans les maisons épiscopales, et où ce divertissement s'appelait la liberté de décembre, à l'imitation des anciennes saturnales. Une circulaire que l'université de Paris écrivit aux prélats et aux églises de France, en 1444, porte que dans le temps même de la célébration de l'office divin, les ecclesiastiques y paraissaient les uns avec des masques d'une figure monstrueuse, les autres en habit de femmes, de gens insensés et d'histrions ; qu'ils élisaient un évêque ou un archevêque des fous, qu'ils le revêtaient d'habits pontificaux, lui faisaient donner la bénédiction à ceux qui chantaient les leçons des matines, et au peuple ; qu'ils faisaient l'office et y assistaient en habits séculiers, qu'ils dansaient dans le chœur et y chantaient des chansons dissolues, qu'ils y mangeaient jusque sur l'autel, et proche du célébrant, qu'ils jouaient aux dés et faisaient des encensements avec la fumée de leurs vieux souliers qu'ils brûlaient, qu'ils y couraient et dansaient sans aucune honte, qu'ensuite ils se promenaient dans les villes, sur les théâtres et dans des chariots, à dessein de se faire voir ; et qu'enfin pour faire rire le peuple, ils faisaient des postures indécentes, et proféraient des paroles bouffonnes et impies. Dans l'église de Reims, on amenait dans le chœur, un enfant avec la mitre, la chape, les gants, la crosse et les autres ornements épiscopaux, et il donnait dans cet accoutrement, la bénédiction au peuple. De l'église on le conduisait par la ville avec des jeux et des bouffonneries indécentes, et en certaines provinces on poussait si loin cette farce, que les ecclésiastiques créaient tous les ans sur un théâtre dressé à la porte de l'église (un théâtre dressé a la porte de l'église ! n'est-ce pas compléter tout à fait la profanation ?), un évêque des fous, à qui l'on préparait un festin ridicule, après l'avoir accompagné à grand bruit et indécemment dans la ville ; coutume qui fut abolie par arrêt du parlement de Paris. Un docteur en théologie soutint une thèse publique à Auxerre, dans laquelle il voulut démontrer que la fête des fous, si fort en vogue, en ce temps, n'était pas moins approuvée de Dieu que la fête de la Conception de Notre-Dame. N'est-ce pas le comble de l'hérésie, de la profanation ? Ces cérémonies obscènes qui tiennent du paganisme, et qui sont mille fois plus odieuses, plus répréhensibles que ce qui ce passe sur nos théâtres, ont cependant été pratiquées par le clergé de France, au-delà de quatre cents ans, car elles se prolongèrent plus loin même qu'en 1444. « Ce serait mal raisonner, dit le célèbre théologien Charlier de Gerson, chancelier et chanoine de l'église de Paris, de conclure que ces folies païennes ont été sanctifiées par la religion chrétienne. Mais encore quelles folies, telles en vérité qu'elles seraient incroyables, si nous n'avions les évêques et les docteurs de ce temps-là pour témoins, qui disent que c'étaient d'horribles abominations, des actions honteuses et criminelles, mêlées par une infinité de folâtreries et d'insolences ; car il est vrai que si tous les diables de l'enfer avaient à fonder une fête dans nos églises, ils ne pourraient pas ordonner autrement que ce qui se faisait alors. » Voilà un théologien, voilà un chancelier de l'Eglise de Paris, qui se rend digne de son ministère, et qui ose blâmer hautement de telles pratiques ! A Chalon-sur-Saône, selon le Père Perry, jésuite, la veille du jour des innocents, les enfants de chœur élisaient parmi eux un évêque, et lui rendaient, autant qu'il en pouvait être capable, les honneurs et les respects qui sont dus à un véritable évêque. La chose était assez ridicule. Ce bel évêque se plaçait dans le siège épiscopal durant l'office de ce jour-là, et avait autour de lui ses officiers. Les chanoines leur quittaient leurs places, et faisaient dans le chœur toutes les fonctions qui sont destinées à ces enfants. On sonnait les cloches en carillon ; et d'abord que le dernier coup des vêpres et de la messe était sonné, les enfants de chœur allaient quérir en procession l'évêque en la maison de la maîtrise, ils l'amenaient dans l'église avec la même cérémonie. A Dijon, dans l'église de Saint-Etienne, on faisait une espèce de farce sur un théâtre devant cette église, où l'on récitait toutes sortes de sottises, et où l'on rasait la barbe au préchantre des fous. Les vicaires couraient par les rues, avec fifres, tambours, et autres instruments, et portaient des lanternes devant le préchantre. A Sens, la fête des fous était célébrée avec la plus grande solennité ; on en trouve tous les détails dans le diptyque (ancien registre des églises) qui est conservé dans la bibliothèque de cette ville, et dont M. Tarbé, l'un des écrivains les plus laborieux et les plus estimables de cette province, possède une copie, dans une bibliothèque précieuse qu'il a formée pour ses propres travaux. Ce diptyque contient le fameux office des fous, et l'on y voit que le sujet de la première feuille paraît être le triomphe de Bacchus, avec tous les accessoires de la vendange. Le Dieu est debout, barbu, un peu âgé et nu ; près de lui, se trouve placé son ami Pan : et son char, traîné par un centaure et une centauresse, semble sortir du sein des eaux sur lesquelles on voit les divinités de la mer. Vénus, Diane et d'autres dieux du paganisme, sont représentés dans les autres feuilles. L'office du jour de cette fête, dans laquelle on répétait cent fois, cette exclamation consacrée dans les Bacchanales, Evohé ! Evohé ! renferme les prières les plus singulières, et a été composé par Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, qui mourut l'an 1222. Il commence par ces quatre vers : « Festum stultorum de consuetudine morum, Omnibus urbis senonis festivat nobilis annis, Quo gaudet præcentor, tamen omnis honor Sit christo circumciso nunc semper et almo. » On lit ensuite ce distique : « Tartara Bacchorum non pocula sunt fatuorum, Tartara vincentes, sic fiunt ut sapientes. » Ce quatrain peut s'entendre de cette manière : tous les ans la ville de Sens célèbre, d'après les anciens usages, la fête des fous ; ce qui réjouit le préchantre ; cependant, tout l'honneur doit être pour le Christ, qui nous est et nous sera toujours favorable. Mais à la fête des fous, dans certains diocèses, on réunissait celle des cornards et celle de l'âne. La fête de l'âne avait lieu le jour de la Circoncision ; son objet était d'honorer l'humble et utile animal qui avait assisté à la naissance de Jésus-Christ, et l'avait porté sur son dos lors de son entrée dans Jérusalem. L'église de Sens était une de celles où cette solennité se faisait avec le plus d'appareil ; avant le commencement des vêpres, le clergé se rendait processionnellement à la principale porte de l'église, et deux chantres à grosse voix chantaient dans le ton mineur ces deux vers, avant lesquels on lit cette rubrique : Circumcisio domini in januis ecclesiæ . « Lux hodie, lux lætitiæ  ! me judice tristis, Quisquis erit, removendus erit solemnibus istis. » « Lumière aujourd'hui, lumière de joie ! à mon avis quiconque sera triste, devra être éloigné de ces solennités. » Ils continuaient sur le même ton les vers suivants : Sicut hodie procul, invidiæ ! procul omniæ mœsta ! Læta volunt quicumque colunt asinaria festa. « Que tous les sentiments d'envie soient bannis aujourd'hui ! loin d'ici tout ce qui est triste ! ceux qui célèbrent la fête de l'âne ne veulent que de la gaieté. » Ici on lit en rubrique conductus ad tabulam ; après cette rubrique, deux chanoines députés se rendaient alors auprès de l'âne, pour le conduire à la table, qui était le lieu où le préchantre lisait l'ordre des cérémonies, et proclamait les noms de ceux qui devaient y prendre part. A Beauvais, le 14 janvier, l'âne portait sur son dos, jusqu'à la porte, une jeune et jolie fille, qui figurait la vierge Marie, tenant le petit Jésus entre ses bras. On couvrait le modeste animal d'une belle chape, depuis l'église cathédrale jusqu'à Saint-Etienne ; on faisait entrer la jeune fille dans le sanctuaire, et on la plaçait avec son âne du côté de l'évangile : on commençait ensuite la messe solennelle, et après l'épître, on entonnait la célèbre prose qui a été publiée tant de fois, et toujours avec des variantes, parce qu'elle se chantait différemment dans les églises de France ; car ces différences sont trop considérables et trop nombreuses pour les attribuer seulement, comme on l'a fait, à des fautes de copistes. Cette prose se chantait sur un ton majeur. La prose de l'âne qu'on chantait à Sens paraît la plus authentique et la plus complète ; la voici avec sa traduction, extraite des cérémonies religieuses : « Orientis partibus, Adventavit asinus, Pulcher et fortissimus, Sarcinis aptissimus. Hé, sire âne, hé ! » Des contrées de l'Orient il est arrivé un âne, beau et fort, et propre à porter des fardeaux. Hé, sire âne, hé ! « Hic, in collibus Sichen Enutritus sub Ruben, Transiit per Jordanem, Saliit in Bethleem. Hé, sire âne, hé ! » Cet âne a été nourri par Ruben, sur les collines de Sichen ; il a traversé le Jourdain et a sauté dans Bethléem. Hé, sire âne, hé ! « Saltu vincit hinnulos, Damas et capreolos, Super dromedarios, Velox medianeos. Hé, sire âne, hé ! » Il peut vaincre à la course les faons, les daims et les chevreuils, il est plus rapide que les dromadaires de Madian. Hé, sire âne, hé ! « Aurum de Arabia, Thus et myrrham de Saba, Tulit in ecclesia, Virtus asinaria. Hé, sire âne, hé ! » La vertu de cet âne a porté dans l'église l'or de l'Arabie, l'encens et la myrrhe du pays de Saba. Hé, sire âne, hé ! « Dum trahit vehicula, Multa cum fascicula, Illius mandibula, Dura terit pabula. Hé, sire âne, hé ! » Pendant qu'il traîne les chariots remplis de bagage, sa mâchoire broie un dur fourrage. Hé, sire âne, hé ! « Cum aristis hordeum, Comedit et corduum, Triticum a palea, Segregat in area. Hé, sire âne, hé ! » Il mange l'orge avec sa tige, il se repaît de chardons ; et dans l'aire il sépare le froment de la paille. Hé, sire âne, hé ! « Amen dicas asine Jam satur ex gramine Amen, amen, itera, Aspernare vetera. Hé, sire âne, hé ! » Ane déjà saoul de grains, dites amen, dites amen ; amen de rechef, et méprisez les vieilleries. Hé, sire âne, hé ! Après la première strophe, on trouve dans les copies de cette prose le couplet suivant qui se chantait peut-être dans quelques églises : « Lentus erat pedibus, Nisi foret baculus, Et eum in clunibus Pungeret. Hé, sire âne, hé ! » Sa marche était lente si l'on ne faisait usage du bâton, et si on ne lui en faisait sentir l'aiguillon sur les fesses. Hé, sire âne, hé ! Après la seconde strophe, on trouve encore dans les mêmes copies cet autre couplet : « Ecce magnis auribus, Subjugalis filius, Asinus egregius, Asinorum dominus Hé, sire âne, hé ! » Voici ce beau fils aux grandes oreilles, qui porte le joug ; âne superbe, et seigneur des ânes. Hé, sire âne, hé ! On sent qu'il est facile de multiplier ces couplets à l'infini. La seconde strophe, où l'on trouve les mots : saliit in Bethleem, prouve, comme je l'ai déjà dit, que toute cette cérémonie avait rapport au rôle que l'âne joue dans la nativité du Christ ; et qu'elle ne doit son origine ni à l'âne de Lucien ou d'Apulée, ni à l'âne de Balaam, comme quelques auteurs l'ont prétendu. Voici comme du Cange donne le refrain : « Hez sire âne car chantez, Belle bouche rechignez ; On aura du foin assez Et de l'avoine à planter. » Ce refrain me paraît plus moderne que celui de Sens, qui est aussi plus simple. Voici encore, selon du Cange, le refrain du dernier couplet : « Hez va ! hez va ! hez va hez ! Biala sire âne car allez Belle bouche car chantez. » Cette prose était suivie d'une antienne composée de commencements de psaumes, où, de deux en deux vers, on répétait l'exclamation bachique et profane, evovæ : « Virgo hodie fidelis, Dixit dominus, evovæ ! Virgo verbo concepit, Confitebor, evovæ ! Nescia mater, Beatus vir, evovæ ! Virgo Dei genitrix, De profondis, evovæ ! Hodie memento, domine, evovæ ! » « Le Seigneur dit, évoé ! une vierge fidèle, évoé ! a conçu aujourd'hui du verbe. J'avouerai, évoé ! mère sans le savoir, heureux époux, évoé ! vierge mère de Dieu, de profundis, évoé ! souvenez-vous aujourd'hui, Seigneur, évoé ! » Cette acclamation evovæ se répétait plusieurs fois dans le cours de l'office. Après ces proses, le célébrant lisait les tables, et entonnait vêpres ; il chantait le Deus in adjutorium, et le chœur le terminait par un alleluia coupé de la manière suivante : « Alle — resonent omnes ecclesiæ, Cum dulci melo symphoniæ,  Filium Mariæ,  Genitricis piæ,  Ut nos septiformis graciæ  Repleat donis et gloriæ,  Unde Deo dicamus — luia. » « Alle — que toutes les églises chantent au son d'une douce symphonie, le fils de Marie, mère pieuse, afin qu'il nous remplisse des dons de la grâce septiforme et de la gloire, et que nous puissions dire à Dieu — luia. » Il y a des livres où on lit une prose dans laquelle le mot alleluia est, à certaines solennités, coupé par quatre mots de la manière suivante : alle — cœleste nec non et perenne — luia ; mais ici le mot alleluia est coupé par vingt-deux mots ; ce qui est bien plus bizarre, et par conséquent bien plus convenable à un office de la messe des fous. Deux chantres à grosse voix annonçaient ensuite le commencement de l'office par ces trois vers : « Hæc est clara dies, clararum clara dierum, Hæc est festa dies, festarum festa dierum, Nobile nobilium, rutilans diadema dierum. » Ces trois vers, selon l'expression du manuscrit, devaient être chantés in falso. Si la rubrique qui ordonnait de chanter ainsi était bien observée, cela devait faire un terrible charivari : mais ces mots in falso pourraient aussi indiquer cette espèce de musique composée de plusieurs voix qui chantent en harmonie ; ce que nous appelons en faux bourdon, et que le célèbre Gerbert, dans son traité de la musique d'Eglise, a nommé musica falsa ; mais nous verrons par l'intimation faite au clergé lors de la suppression de la fête des fous, de chanter mélodieusement, et sans dissonance, que le chœur devait s'étudier à fausser réellement le plus qu'il était possible ; et il profitait de la permission. La prière suivante se chantait à deux ou trois voix. « Trinitas, deitas, unitas æterna ; Majestas, potestas, pietas superna ; Sol, lumen et numen, cacumen, semita ; Lapis, mons, petra, fons, flumen, pons et vita : Tu sator, creator, amator, redemptor luxque perpetua ; Tu nitor et decor, tu candor, tu splendor et odor, quo vivunt mortua. Tu vertex et apex, regum lex, lex et vindex, tu lux angelica ; Quem clamant, adorant, quem laudant, quem cantant, quem amant agmina cœlica ; Tu theos et heros, dives flos, vivens ros, rege nos, salva nos, perduc nos ad thronos superos et vera gaudia. Tu decus et virtus, tu justus et verus, tu sanctus et bonus, Tu rectus et summus dominus, tibi sit gloria. » Trinité, divinité, unité éternelle ; Majesté, puissance, piété d'en haut ; Soleil, lumière et volonté divine, comble de la perfection, sentier ; Pierre, montagne, rocher, fontaine, fleuve, pont et vie. Toi père, créateur, amateur, rédempteur et lumière perpétuelle ; Toi éclat et ornement, toi blancheur, toi splendeur et odeur dans lequel vivent les morts ; Toi cime et sommet, roi des rois, loi et vengeur des lois, toi lumière angélique ; Qu'appellent, qu'adorent, que louent, que chantent, qu'aiment les cohortes célestes ! Toi Dieu et héros, riche fleur, rosée vivante, gouverne-nous, conduis-nous aux trônes célestes et à la véritable joie ; Toi dignité et vertu, toi le juste et le vrai, toi le saint et le bon ; Toi le Seigneur véritable et suprême, à toi soit la gloire. Les matines étaient séparées, ce jour-là, en trois nocturnes ou veillées. La longueur des nuits rendait la chose facile, et d'ailleurs cet usage donnait un caractère plus singulier et plus particulier à cette fête ; à chaque nocturne on faisait une invitation ; du reste l'office entier était une véritable rapsodie de tout ce qui se chantait pendant le cours de l'année ; on y retrouve toutes les pièces des autres offices, celles des fêtes des saints, des mystères, les chants de Pâques, ceux du carême ; des fragments de psaumes : les morceaux tristes sont mêlés avec les morceaux joyeux, c'est l'assemblage le plus bizarre qu'on puisse imaginer. Cet office devait durer deux fois plus longtemps que ceux des plus grandes fêtes : il était bien nécessaire que les chantres et les assistants se désaltérassent de temps en temps ; aussi n'y manquaient-ils pas. Ce rafraîchissement est même indiqué par article exprès intitulé Conductus ad poculum ; tout l'office était entremêlé de morceaux en prose et en vers léonins, au milieu et à la fin. Dans l'intervalle des leçons on faisait manger et boire l'âne ; enfin, après les trois nocturnes, on le menait dans la nef, où tout le peuple, mêlé au clergé, dansait autour de lui : on tâchait d'imiter son chant. Lorsque la danse était finie, on le reconduisait au chœur, où le clergé terminait la fête. Pendant que l'on conduisait l'âne, on chantait le morceau suivant, qui, dans le missel, a pour titre : Conductus ad ludos. « Natus est, natus est, natus est hodie dominus.  Qui mundi diluit facinus,  Quem pater factor omnium  In hoc misit exilium,  Ut facturam redimeret,  Et paradiso redderet.  Nec, nec, nec minuit quod erat,  Assumens quod non erat :  Sed, carnis sumpto pallio,  In virginis palatio, o,  Ut sponsus e thalamo, o,  Processit ex utero, o ;  Flos de Jesse virgula  A fructu replet sæcula, a,  Hunc prœdixit prophetia  Nasciturum ex Maria :  Quando flos iste nascitur,  Diabolus confunditur. Et moritur mors, et moritur mors, et moritur mors.  Te Deum laudamus. » Ces O et A ne sont sans doute qu'une répétition musicale de la dernière syllabe. Voici la traduction : Il est né, il est né, il est né aujourd'hui, le Seigneur qui efface les péchés du monde, que le Père, créateur de tout, a envoyé dans ce lieu d'exil, pour racheter sa créature et la rendre au paradis ; il n'a pas, il n'a pas, il n'a pas diminué ce qu'il était, en devenant ce qu'il n'était pas, mais en prenant l'enveloppe de chair (un corps), dans le palais (le sein) de la Vierge, comme l'époux sort de la chambre nuptiale, il est sorti du sein de sa mère ; la fleur de la branche de Jessé remplit les siècles de son fruit. C'est lui que la prophétie a prédit devoir naître de Marie : quand cette fleur paraîtra, le diable sera confondu, et la mort mourra ; nous te louons, Seigneur. Beaucoup de passages de cet office sont relatifs à l'immaculée conception. L'auteur s'exprime à ce sujet, d'une manière singulière ; il appelle la Vierge « Virgo et gravita, mater intacta. » Vierge et enceinte, mère intacte. Il dit ailleurs : « Flatu sacro plena fies, Maria. » Marie, vous deviendrez pleine du souffle divin. Ailleurs : « Intra tui uteri claustra Portas qui gubernat æthera. » Vous portez dans les cloisons de votre sein celui qui gouverne les cieux. Ailleurs encore : « Per aurem imprœgnatum, Beata quæ credidit, Concepit et edidit Summi patris filium : Nec pudor amissus est, Nec dolor admissus est, Per hoc puerperium. » Heureuse celle qui a cru, qui a conçu et mis au monde le fils du Père tout-puissant, engendré par l'organe de l'ouïe ; la pudeur n'a point souffert, la douleur n'a point été ressentie dans cet enfantement. Plus bas on lit : « Dies festa colitur, Tange symphoniam ; Nam puer nascitur Juxta prophetiam, Ut gigas egreditur Ad curendam viam : Felix est egressio Perquam fit remissio. » On célèbre un jour de fête : touchez la symphonie (le tambour à deux côtés) ; car l'enfant qui naît selon la prophétie, sort comme un géant pour entrer dans la voie (le monde) : c'est une heureuse sortie (naissance) que celle qui produit la rémission. Après les premières vêpres et les complies, le préchantre de Sens conduisait dans les rues la bande joyeuse, précédée d'une énorme lanterne : on allait au grand théâtre dressé devant l'église : on y répétait les farces les plus indécentes. Le chant et la danse étaient terminés par des seaux d'eau que l'on jetait sur le corps du préchantre. L'office de la messe est du même genre que celui de la veille de Noël ; le prêtre disait à l'introït : puer natus est ; cantate evovæ. Le pater et le credo sont une paraphrase du pater et du credo ordinaires ; tout y est relatif à la divine conception et à la nativité. Evovæ remplace partout le mot Amen. Les vêpres sont du même genre, et n'ont rien de particulier. Le missel est terminé par trois épîtres, pour les fêtes de Saint Etienne, des Innocents et de Saint Jean ; l'une d'elles commence par ces mots : Ut queant laxis resonare fibris, etc., dont J.-J. Rousseau a fait graver la musique à la fin de son Dictionnaire. La rubrique ad prandium, qui terminait les prières des premières et des secondes vêpres, prouve qu'après cet office on allait se mettre à table ; le répons contenait une invocation à Jésus-Christ et à la Sainte Vierge, pour exciter à la bonne chère et inspirer des propos joyeux. Mais si l'on y invitait à bien manger, on n'oubliait pas de bien boire, ainsi que cela est prouvé par cette rubrique, conductus ad poculum. Le zèle et la piété de certains prélats, et la sagesse de nos parlements, ont cependant fait cesser ces véritables profanations, mais ce fut avec beaucoup de peine ; car on voit encore en 1511 un préchantre des fous, appelé Bissard, se permettre de faire tondre la barbe à la manière des comédiens, et de jouer quelque personnage dans la fête de la circoncision ; car cela lui fut défendu, parlant à sa personne, et la fête des fous n'eut pas lieu cette année. A Beauvais, dans la fête de l'âne, l'introït, le kyrie eleison, le gloria in excelsis étaient toujours terminés par le cri, hin, han, qui imite celui de l'âne ; et à la fin de la messe, le prêtre se tournant vers le peuple, au lieu de dire l'ite, missa est, criait trois fois, hin, han, à quoi le peuple répondait de même et trois fois, au lieu du Deo gratias. Fête de l'âne à Autun, dite aussi des fous ou des sous-diacres. Dans cette église on couvrait un âne d'un drap tissu d'or, dont les principaux chanoines portaient les quatre coins ; le reste du chapitre escortait l'âne en grande cérémonie. Plus la chose était ridicule en elle-même, plus on s'efforçait de la rendre pompeuse et magnifique ; et, par ce moyen, elle devenait encore plus ridicule aux yeux des gens sensés. Mais cet éclat et ce grand appareil en imposaient au vulgaire, et lui inspiraient du respect. Fête des fous et de l'âne à Rouen. On dressait au milieu de la nef de l'église cathédrale de Rouen une fournaise avec du linge et des étoupes, et lorsqu'on avait chanté tierce, la procession commençait autour du cloître, et venait s'arrêter au milieu de l'église, au milieu des deux bandes qui représentaient, l'une les Juifs, l'autre les Gentils. Il y avait aussi une troupe d'ecclésiastiques grotesquement habillés, qui jouaient les prophètes de l'Ancien Testament, tels que Moïse, Aaron, Daniel, etc. ; venait ensuite Balaam monté sur son ânesse, qui s'efforçait à coups d'éperons de la faire avancer, mais un ecclésiastique glissé sous le ventre de l'ânesse disait pour elle à Balaam : Pourquoi me déchirez-vous ainsi avec l'éperon ? Sainte Elisabeth et S. Jean-Baptiste figuraient aussi dans cette scène extravagante, qui finissait par le simulacre de jeter dans la fournaise des jeunes gens qui s'étaient montrés rebelles aux ordres du roi Nabuchodonosor. Voilà donc une ânesse introduite dans l'intérieur d'une église, et qui réunit autour d'elle des ecclésiastiques déguisés, qui remplissent des rôles mille fois plus ridicules, plus scandaleux que tout ce qui peut être représenté sur nos théâtres ! Cette mascarade était terminée par une sybille qui avait une couronne sur la tête, et qui lançait ses oracles. A Viviers on célébrait encore la fête des fous avec des impiétés et des extravagances qui ne le cédaient en rien aux descriptions qu'on vient de lire ; mais ce diocèse avait de plus la cérémonie de la fête des Saints Innocents, qui était une des plus scandaleuses du temps. Ce jour-là on élisait l'évêque des fous, qui était porté sur les épaules des clercs, précédé d'une clochette, dans le palais épiscopal, dont toutes les portes s'ouvraient à son arrivée, soit que l'évêque véritable fût présent ou absent. On le portait devant une des fenêtres du palais, d'où il donnait sa bénédiction, tourné vers la ville. L'impiété se mêlait à cette bouffonnerie. Le prétendu prélat faisait toutes les fonctions du véritable évêque. Il assistait aux offices dans la chaire de marbre destinée pour l'évêque ; et même il officiait pontificalement pendant trois jours, distribuant au peuple des bénédictions et des indulgences accompagnées de formules impertinentes, dans lesquelles il souhaitait par dérision, à ceux qu'il bénissait, quelque maladie ridicule et plaisante. Enfin, pour achever de faire connaître les excès auxquels on se portait dans cette fête, il suffit de rapporter ce qu'on lit à ce sujet dans la lettre circulaire de la faculté de théologie à Paris, que nous avons citée au commencement de cet article. « Dans le temps même de la célébration de l'office divin, des gens, ayant le visage couvert de masques hideux, déguisés en femmes, revêtus de peaux de lion, ou bien habillés en farceurs, dansaient dans l'église d'une manière indécente ; chantaient dans le chœur des chansons déshonnêtes ; mangeaient de la viande sur le coin de l'autel, auprès du célébrant ; jouaient aux dés sur l'autel ; faisaient brûler de vieux cuirs au lieu d'encens, couraient et sautaient par toute l'église comme des insensés, et profanaient la maison du Seigneur par mille indécences. » Cette fête s'était tellement accréditée, et les clercs la regardaient comme une cérémonie si importante, qu'un clerc du diocèse de Viviers, qui avait été élu évêque des fous, ayant refusé de s'acquitter des fonctions de sa charge, et de faire les dépenses qui y étaient attachées, fut cité en justice comme un prévaricateur. L'affaire fut longtemps agitée par-devant l'official de Viviers, et enfin soumise à l'arbitrage des trois principaux chanoines du chapitre. Ces graves arbitres rendirent un arrêt qui condamnait l'accusé, nommé Guillaume Taynoard, aux frais du repas qu'il devait donner en qualité d'évêque des fous, et qu'il avait refusé de payer sans raison légitime ; et lui enjoignait de donner ce repas à la prochaine fête de Saint-Barthélemy, Apôtre. Fête des fous à Besançon. La fête des fous à Besançon avait cela de particulier, qu'elle était suivie de plusieurs cavalcades, qui se chargeaient d'injures mutuellement, et même poussaient les choses quelquefois jusqu'à en venir aux mains. Parmi les statuts en quarante articles, publiés au mois d'août 1387, et donnés par le cardinal Thomas de Naples, délégué par Clément VII, pour visiter les églises de Besançon, il y en a un qui regarde la fête des fous qui se faisait séparément dans chaque église. « Pour ôter, dit-il, les occasions de division et de scandale qui arrivent ordinairement dans cette fête, il est ordonné de la faire à tour dans chaque église, de même que la cavalcade qui se faisait dans la ville. » L'on faisait la fête des fous dans les deux cathédrales de Saint-Jean et de Saint-Etienne, et dans les deux collégiales de Saint-Paul et de Sainte-Madeleine, pendant les fêtes de Noël ; les prêtres, le jour de la Saint-Jean, les diacres et les sous-diacres, le jour de la Saint-Etienne ; les enfants de chœur et les chantres, le jour des Saints-Innocents. Chaque ordre élisait un cardinal dans les deux cathédrales exemptes de la juridiction de l'ordinaire, un évêque ou un abbé dans les deux collégiales. On les appelait les rois des fous, parce qu'on les revêtait des habits de leur dignité, qu'on les conduisait en cortège à la place de l'officiant, où ils siégeaient accompagnés d'officiers ; là on leur rendait des hommages bouffons, ils donnaient des bénédictions, et l'on célébrait leur élévation par un chant bizarre et ridicule. Le bas chœur tenait à l'église les hautes formes, conduisait son roi en cavalcade par la ville, l'accompagnait en habits grotesques, et divertissait le public par des bouffonneries. Quand les cavalcades des différentes églises se rencontraient, elles se chantaient pouille, et l'on en est venu quelquefois aux mains. Il fallait que cet abus fût bien enraciné dans les églises de Besançon, puisqu'un cardinal, délégué du Saint-Siège pour visiter les deux cathédrales, ne l'a pas aboli, et s'est contenté d'y apporter quelques règlements. Il fut enfin supprimé du consentement de toutes les églises de la ville, en 1518, à l'occasion d'un combat sanglant qui se fit sur le pont entre deux de ces cavalcades. A Amiens, la fête des Fous était célébrée après Noël, par quatre danses qu'on faisait dans l'église ; la première troupe de ces danseurs était composée des diacres ; la seconde des prêtres, la troisième des enfants de chœur, et la quatrième des sous-diacres. Après s'être livrés à ces divertissements profanes, dans le lieu saint, venait ensuite la débauche, qui a fait nommer, ainsi que je l'ai déjà dit plus haut, cette fête celle des saouls-diacres, ou diacres-saouls, par allusion critique à sous-diacres. A Lisieux, le jour de la S. Barnabé, les chanoines de la cathédrale faisaient une cavalcade ecclésiastique en l'honneur de S. Ursin, semblable à celle qui se faisait à Autun le 31 août. Elles furent supprimées dans la suite, par le même motif qui détermina la suppression de la fête des fous. A Chaumont, en Bassigny, on célébrait aussi tous les sept ans une fête en l'honneur de S. Jean-Baptiste, qui, à cause du tumulte et des orgies qu'elle occasionnait, était surnommée la diablerie de Chaumont. J'ai parlé, au chapitre qui traite des comédiens, de l'institution de la mère sotte de Paris ; mais il y avait aussi à Dijon, une société établie sous le nom de la mère folle ou mère folie, qui célébrait ses saturnales au temps de carnaval. Les personnes de qualité, déguisées en vignerons, couraient les rues, chantaient sur des chariots des chansons et des satires qui servaient de critique aux mœurs du temps. Cette compagnie existait en Bourgogne avant 1454, et Philippe le Bon lui accorda des statuts confirmatifs cette même année ; une autre approbation de la même société eut lieu en 1482, par Jean d'Amboise, évêque, duc de Langres et lieutenant pour le roi en Bourgogne ; ces deux actes sont en vers du temps, et scellés du sceau de ceux qui les ont souscrits. Voici un diplôme de réception délivré à Louis Barbier de la Rivière, évêque de Langres (depuis 1655 jusqu'en 1670) ; sa contexture est digne de remarque, et il est fort singulier, qu'un évêque qui était pair ecclésiastique, et qui fut même au moment d'être élevé au cardinalat, l'ait accepté : « Les superlatifs et mirelifiques Loppinants de l'infanterie dijonnaise, nourrissons d'Apollon et des muses, enfants légitimes du vénérable père Bontemps, à tous fous, archifous, lunatiques, éventés, poètes par nature, par béccare, et par bémol, almanachs vieux et nouveaux, présents, absents et à venir, salut, pistoles, ducats, portugaises, jacobus, écus et autres triquedondaines, savoir faisons, que haut et puissant seigneur de la Rivière, évêque, duc et pair de Langres, ayant en désir de se trouver en l'assemblée de nos goguelus et aimables enfants de l'infanterie dijonnaise, et se reconnaissant capable de porter le chaperon de trois couleurs, et la marotte de sage folie, pour avoir en eux toutes les allégresses de mâchoires, finesses, galantises, hardiesse, suffisance et expérience des dents qui pourraient être requises à un mignon de cabaret, aurait aussi reçu et couvert sa caboche du dit chaperon, pris en main la célèbre marotte, et protesté d'observer et soutenir ladite folie à toute fin, voulant à ce sujet être empaqueté et inscrit au nombre des enfants de notre redoutable dame et mère, attendu la qualité d'homme que porte ledit seigneur, laquelle est toujours accompagnée de folie ; à ces causes, nous avons pris l'avis de notre dite dame et mère, et avons par ces présentes, hurelu Berelu, reçu et impatronisé, recevons et impatronisons ledit seigneur de la Rivière en ladite infanterie ; de sorte qu'il y demeure et soit incorporé au cabinet de l'inteste, tant que folie durera, pour y exercer telle charge qu'il jugera être méritée par son instinct naturel, aux honneurs, privilèges, prérogatives, prééminence, autorité, puissance et naissance que le ciel lui a donnés, avec pouvoir de courir par tout le monde, y vouloir exercer les actions de folie, et y ajouter ou diminuer, si besoin est ; le tout aux gages dus à sa grandeur, assignés sur la défaite et ruine des ennemis de la France, desquels lui permettons se payer par ses mains, aux espèces qu'il trouvera de mise. Car ainsi il est désiré, et souhaité. Donné à Dijon. » L'une des devises de cette société, dans laquelle figure un évêque, duc, et pair ecclésiastique, était : « Le monde est plein de fous, et qui n'en veut pas voir, Doit se tenir tout seul, et casser son miroir. » Mais veut-on se convaincre de l'abus qui était fait par les ecclésiastiques eux-mêmes des choses les plus saintes et les plus sacrées ? Un carme déchaussé d'Orléans, nommé frère Arnoux de S. Jean-Baptiste, faisait contracter à ses dévotes avec notre Sauveur Jésus-Christ, une alliance spirituelle fort singulière. Voici le contrat de mariage qu'il leur faisait passer, et qu'il recevait lui-même en qualité, disait-il, d'indigne secrétaire de Jésus. En l'année 1669, il y avait un de ces contrats en original entre les mains de M. le curé de S. Donatien d'Orléans, qui voulut bien permettre à M. Toinard, si connu par son érudition profonde, d'en tirer une copie sur laquelle un de mes amis en prit une autre, dont voici la teneur : « Je, Jésus, fils du Dieu vivant, l'époux des âmes fidèles, prends ma fille Madeleine Gasselin pour mon épouse, et lui promets fidélité, et de ne l'abandonner jamais, et lui donner pour avantage et pour dot ma grâce en cette vie, lui promettant ma gloire en l'autre et le partage à l'héritage de mon père, en foi de quoi j'ai signé le contrat irrévocable de la main de mon secrétaire. Fait en présence de mon père éternel, de mon amour, de ma très digne mère Marie, de mon père S. Joseph et de toute ma cour céleste. L'an de grâce 1650, jour de mon père S. Joseph. Jesus, l'époux des âmes fidèles. Marie, mère de Dieu. Joseph, l'époux de Marie. L'Ange Gardien. Madeleine, la chère amante de Jésus. « Ce contrat a été ratifié de la très Sainte Trinité, le même jour du glorieux S. Joseph en la même année. Fr. Arnoux de Saint-Jean-Baptiste, carme déchaussé, indigne secrétaire de Jésus. » « Je, Madeleine Gasselin, indigne servante de Jésus, prends mon aimable Jésus pour mon époux, et lui promets fidélité, et que je n'en aurai jamais d'autre que lui, et lui donne pour gage de ma fidélité mon cœur, et tout ce que je ferai jamais ; m'obligeant à la vie et à la mort de faire tout ce qu'il désirera de moi, et de le servir de tout mon cœur pendant toute l'éternité. En foi de quoi j'ai signé de ma propre main le contrat irrévocable, en présence de la sur-adorable Trinité, de la sacrée Vierge Marie, mère de Dieu, mon glorieux père Saint Joseph, mon ange gardien et toute la cour céleste, l'an de grâce 1650, jour de mon glorieux père Joseph. Jesus, l'amour des cœurs. Marie, mère de Dieu. Joseph, l'époux de Marie. L'Ange Gardien. Madeleine, la chère amante de Jésus. Fr. Arnoux de Saint-Jean-Baptiste, carme déchaussé, indigne secrétaire de Jésus. » « On défie tous les notaires et tous les secrétaires du monde de faire voir, dans leurs protocoles, un contrat de mariage du style de celui-ci. Il est singulier ; il est unique en son espèce. Mais madame Gasselin porta un peu trop loin la fidélité qu'elle avait promise à Jésus-Christ, et la garda trop littéralement. Car, depuis ce contrat, elle fut un an entier sans vouloir vivre avec le sieur Duverger, son mari, procureur au présidial d'Orléans. Il se plaignit d'elle aux carmes déchaussés de cette ville. Ces bons pères la firent rentrer dans son devoir, et éloignèrent Frère Arnoux, qui méritait sans doute un châtiment plus rigoureux. Car ce n'est pas punir un moine que de l'envoyer d'une maison dans une autre de son ordre, sans autre châtiment, parce que les moines, en quelque endroit qu'ils soient, sont toujours chez eux. » Avant de quitter la ville d'Orléans, je crois utile de mentionner une supercherie qui fut employée par les cordeliers de cette cité, et qui ne le cède en rien, ou pour mieux dire, qui surpasse toutes celles qui sont employées sur nos théâtres. En 1534, la femme du prévôt d'Orléans mourut, et ordonna par son testament qu'on l'enterrât sans pompe. Son mari, observant sa volonté, donna six écus aux cordeliers où elle devait être enterrée, près de ses aïeux. Ce don ne les contenta pas, ils demandèrent au mari du bois qu'il faisait couper et vendre ; il le leur refusa. Furieux de cela, ils résolurent pour se venger de dire que sa femme était damnée éternellement. Colimau et Etienne d'Arras, tous deux docteurs en théologie, furent les auteurs de cette tragédie. Voici comme ils s'y prirent : ils placèrent un jeune novice sur la voûte de l'église, qui, à minuit, lorsqu'on disait les matines, faisait grand tintamarre. Ils s'adressèrent à quelques personnes qui les protégeaient, et les firent venir aux matines. Au commencement l'esprit fit tapage. On lui demande ce qu'il est, ce qu'il veut ? Il ne répond pas. On réitère ; il fait signe qu'il ne peut parler. On lui dit de répondre par signe. (Il y avait un tuyau par lequel il entendait les questions de l'exorciseur, et il répondait oui, en frappant la voûte avec un bâton.) On lui demande s'il est l'esprit de quelqu'un d'enterré dans l'église ; il répond oui. On lui nomme plusieurs personnes ; on arrive enfin à celui de la femme du prévôt : il répond oui. On demande si elle est damnée ; oui. On lui demande pourquoi, en lui citant tout ce qui peut avoir causé la damnation. Enfin, si elle était luthérienne ? oui. S'il fallait la déterrer ? oui. Ceux qui avaient entendu cela refusèrent leurs témoignages, malgré les instances des cordeliers, par la raison qu'ils voulaient ménager le prévôt. Les cordeliers, désappointés, portèrent leur hostie (qu'ils appellent le corpus Domini) avec toutes les reliques des saints dans un autre lieu, où ils dirent la messe, ainsi que cela se fait selon les canons des papes, lorsque quelque lieu est profané, et qu'on doit le rétablir. L'official, averti de ce fait, se transporta aux cordeliers ; et tout s'étant répété en sa présence, il ordonna qu'on visitât la voûte pour voir si l'esprit apparaîtrait. Mais les cordeliers s'y opposèrent, disant qu'il ne fallait pas le troubler. L'official, ne pouvant donc se faire obéir, fut trouver le prévôt, qui en appela devant le roi. Le roi nomma quelques conseillers du parlement de Paris, et Antoine Duprat, chancelier et légat du pape, pour juger cette affaire sans appel. Les cordeliers, ne pouvant plus reculer, furent amenés à Paris ; mais il ne fut pas possible de rien tirer d'eux. On les avait séparés et mis sous bonne garde. Le novice était chez le conseiller Fumée. Ce novice étant souvent interrogé, ne voulait rien apprendre, dans la crainte que les cordeliers ne le tuassent pour avoir diffamé l'ordre ; mais les juges l'ayant assuré qu'il ne lui serait rien fait, il divulgua tout, et étant confronté avec les cordeliers, sa déclaration fut toujours la même. Se voyant convaincus, ils récusèrent leurs juges, et voulurent s'armer de leurs privilèges. Mais cela ne leur servit de rien : ils furent ramenés à Orléans, et mis en prison ; ensuite on les conduisit devant la grande église, et de là sur la place où l'on exécute les malfaiteurs, pour y confesser publiquement leurs méchancetés. Cet exemple de justice de l'autorité séculière était absolument nécessaire pour empêcher les moines et les prêtres de corrompre, par des suppositions de miracles ou de maléfices, la pureté de notre sainte religion, et pour restreindre la cupidité des ecclésiastiques, qui se signalait en toutes circonstances. Or, la puissance temporelle est donc la véritable conservatrice d'une religion qui mérite tous nos respects et toute notre ferveur ; car il est démontré par des traits infinis dont fourmille notre histoire, ainsi que celle de tous les peuples chrétiens, que si les prêtres n'avaient pas toujours rencontré dans la sagesse et la force de l'autorité séculière, une barrière contre leurs écarts, leur ambition et leur ignorance, cette même religion serait anéantie par ses propres ministres, dont les fautes, les égarements et même les crimes (assassinats d'Henri III et d'Henri IV) ne le cèdent en rien aux autres classes de la société. N'avons-nous pas vu de nos jours un prêtre condamné à mort par la Cour criminelle de Grenoble, pour un forfait et un meurtre atroce qu'il avait commis sur une femme de sa paroisse ? donc que les prêtres n'ont de sacré que leur caractère, et que, du moment où ils s'oublient au point de l'avilir, ils tombent sous la loi commune, et reçoivent, comme les autres citoyens, le châtiment dû à leurs crimes ou à leurs délits. La puissance du prince, la puissance des lois, ne créent pas pour eux une exception. L'autorité du prince, qui est émanée de Dieu même, lui donne la puissance directoriale sur toutes choses ici-bas ; c'est l'Apôtre Saint Paul, qui nous confirme cette grande vérité : « Que toute âme, que tout le monde se soumette aux puissances supérieures ; car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c'est lui qui a établi toutes celles qui sont sur la terre ; « Le prince est le ministre de dieu pour votre bien » ; (Epître aux Romains). La puissance du prince est donc celle du ministre de Dieu, et lorsque sa sagesse parle, tout le monde doit écouter, tout le monde doit obéir ; il est le protecteur placé par la Providence pour veiller à ce que chacun fasse son devoir et jouisse de ses droits. Les ministres des autels, qui, par un faux zèle pour la religion, s'opposeraient aux volontés du souverain, seraient rebelles à la parole de Dieu transmise par le saint Apôtre, rebelles à l'autorité constituée pour le gouvernement et le salut de tous, et jetteraient dans l'ordre social un véritable désordre. Ainsi la puissance séculière doit toujours montrer un bras armé pour faire respecter la religion, et par les peuples soumis à son administration, et par les prêtres eux-mêmes qui peuvent s'égarer parfois dans un système de fanatisme ou d'envahissement d'autorité, qui est réprouvé et par la religion même, et par les lois de l'Etat. MM. les procureurs du roi, MM. les maires des diverses communes du royaume sont les organes des lois, les délégués du prince ; ils doivent eux-mêmes donner les marques du plus profond respect pour la religion, et de la plus grande vénération pour les ministres du culte, lorsque ceux-ci, pénétrés de la majesté de leurs fonctions, méritent, par une conduite sage et exemplaire l'estime de leurs paroissiens, mais aussi, lorsqu'ils s'en écartent, il faut que MM. les procureurs du roi, que MM. les maires aient le sentiment de leur dignité, et qu'ils aient assez de force et de courage pour rappeler à leurs devoirs les pasteurs qui s'en égareraient par une erreur quelconque. Nous allons examiner dans le chapitre suivant, si les prêtres qui agissent avec tant de rigueur contre des citoyens qui exercent une profession voulue et consacrée par les lois du royaume, n'ont pas besoin pour eux-mêmes de l'indulgence des peuples, à l'égard de l'oubli qu'ils manifestent des propres lois ecclésiastiques, qui leur imposent, dans leur conduite privée, des obligations qui sont totalement inexécutées de nos jours. **** *book_ *id_body-5-2 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers De la discipline ecclesiastique, et des obligations imposees par les saints conciles dans la vie privee des pretres. L'influence que les ecclésiastiques ont reprise depuis quelques années était utile pour le bien de la religion, c'est une vérité que tout homme sensé reconnaîtra avec empressement, parce que après la révolution funeste que la France a éprouvée, tous les principes de morale se trouvant bouleversés et anéantis, il était salutaire pour la nation qu'un corps respectable dans la société se vouât à leur rétablissement, à leur propagation. La religion chrétienne renferme dans ses principes, dans ses éléments, tout ce qui mène l'homme au bonheur, tout ce qui le rend cher et utile à ses semblables, et la pratique de toutes les vertus qu'elle consacre et qu'elle commande, ne peut que fortifier les nations qui vivent dans sa foi. Le livre de l'Evangile est l'asile le plus assuré des peuples et des rois ; en le méditant, chacun y rencontrera le doigt d'un Homme Dieu, qui a su établir des droits et prescrire des devoirs ; comme homme il a senti combien l'indulgence et la miséricorde étaient nécessaires aux autres hommes ; comme Dieu il a offert, par les principes qu'il a tracés, les moyens de trouver le bonheur ici-bas, et de s'ouvrir la voie à une vie plus longue et plus glorieuse. L'exercice constant de cette religion ne peut donc qu'être conseillé avec ferveur, par les écrivains qui désirent sincèrement l'ordre et le bonheur, dans le système social qui nous régit. L'Eglise chrétienne en assujettissant ceux qui suivent son culte à des pratiques hors desquelles il n'y a point de salut, a aussi tracé la ligne des devoirs des ministres de ce même culte ; les législateurs ecclésiastiques ont bien préjugé que s'ils n'imposaient pas aux prêtres de donner l'exemple de la chasteté, de la tempérance, de la modestie, de la simplicité et de la charité, les autres chrétiens ne les pratiqueraient pas eux-mêmes, et qu'ainsi une religion, dont l'observance seule doit faire le bonheur des peuples, se trouverait délaissée et anéantie. Les législateurs ecclésiastiques sont les évêques et les prêtres qui ont composé nos premiers conciles, ces conciles étaient, par rapport à la religion et à l'Eglise, ce que sont nos assemblées législatives par rapport à nos lois et à la politique qui régit les Etats ; les lois émanées des conciles se nomment décrets et les articles de ces décrets s'appellent canons, c'est-à-dire, articles de la loi. Voici donc ce que les lois de l'Eglise imposent le plus impérativement aux évêques. « 1° L'évêque doit avoir son petit logis près de l'église ; ses meubles doivent être de vil prix ; sa table pauvre. Il doit soutenir sa dignité par sa foi et sa bonne vie. Canons du IVe concile de Carthage, an 398 ; « 2° L'évêque aura sa chambre ; et pour les services les plus secrets, des prêtres de bonne réputation, qui le voient continuellement veiller, prier, étudier l'Ecriture sainte, pour être les témoins et les imitateurs de sa conduite ; ses repas seront modérés, et on y verra des pauvres ; il n'aimera ni les oiseaux, ni les chiens, ni les chevaux, ni les habits précieux, et s'éloignera de tout ce qui tient au faste ; il sera simple et vrai dans tous ses discours, et méditera continuellement l'Ecriture sainte, pour instruire exactement son clergé et prêcher aux peuples selon leur portée. Conc. de Pavie, an 850, can. 1, 3, 4 ; « 3° Les évêques sont exhortés à donner audience aux pauvres, et à ouïr eux-mêmes les confessions. Conc. d'Oxford, an 1222, can. 2 ; « 4° Il est ordonné aux évêques de prêcher la foi catholique par eux-mêmes et non par d'autres. Conc. d'Arles, an 1234, can. 2. » L'inexécution de ces lois, qui sont fondamentales et organiques de la discipline de l'Eglise, est une des causes principales de l'espèce de défection ou de refroidissement, dans lequel sont tombés la plupart des fidèles : elle leur a servi et leur sert journellement de prétexte pour éluder l'exécution des canons qui les concernent personnellement ; ils se familiarisent ainsi avec l'idée que, puisque la parole de Dieu et les préceptes de son Eglise ne sont pas strictement observés, par ceux qu'il a institués à cet effet, ils peuvent eux-mêmes, sans crainte de la damnation éternelle, les enfreindre ou ne pas les pratiquer. Les ecclésiastiques du second ordre se croient également autorisés à négliger la volonté des conciles dans la pratique de leurs devoirs, par la seule raison qu'ils voient leurs évêques s'en écarter eux-mêmes. Cela est si vrai, qu'il n'est plus question parmi eux d'exécuter les canons qui les touchent, et qu'ils semblent laisser dans un oubli, dans une désuétude absolue, tels que ceux-ci : « 1° On renouvelle, dans le concile de Carthage tenu en 349, la défense déjà faite aux ecclésiastiques, en plusieurs conciles, d'habiter avec des femmes ; « 2° Aucune femme ne doit demeurer avec aucun des prêtres, mais seulement la mère, l'aïeule, les tantes, les sœurs, les nièces, celles de leur famille qui demeuraient avant leur ordination. 3e Conc. de Carthage, an 397, can. 17 ; « 3° Les prêtres doivent s'abstenir des grands repas, de la bonne chère, de l'ivrognerie et autres vices. Il serait à souhaiter qu'ils n'assistassent pas même aux noces. « On défend aux prêtres d'avoir des femmes chez eux, si ce n'est leur mère, leur sœur, leur tante, leur aïeule. Conc. de Cologne, can. 1536 ; « 4° Afin que les ministres de l'Eglise puissent être rappelés à cette continence et pureté de vie, si bienséante à leur caractère, et afin que le peuple apprenne à leur porter d'autant plus de respect qu'il les verra mener une vie plus chaste et plus honnête, le S. Concile défend à tous ecclésiastiques de tenir dans leurs maisons, ou dehors, des concubines ou autres femmes dont on puisse avoir du soupçon, ni d'avoir aucun commerce avec elles, autrement ils seront punis des peines portées par les saints canons, ou par les statuts particuliers des Eglises ; « 5° Tout prêtre, diacre ou sous-diacre qui, depuis la constitution du pape Léon, aura pris ou gardé une concubine, on lui défend de célébrer la messe, de lire l'évangile ou l'épître, de demeurer dans le sanctuaire pendant l'office, ou de recevoir sa part des revenus de l'Eglise. Conc. de Rome, an 1059, can. 3 ; même ordonnance, C. de Londres, an 1126 ; « 6° Défense aux clercs d'avoir chez eux de jeunes femmes suspectes d'incontinence. Concile de Salzbourg, an 1420,  2 ; « 7° Que les clercs, sans en excepter ceux qui passent pour avoir la vertu de continence, n'aillent jamais chez des veuves ou des vierges, qu'avec l'ordre ou la permission des évêques ou des prêtres, encore ne faudra-t-il pas qu'ils le fassent sans être accompagnés de quelques-uns de leurs confrères, ou de ceux que l'évêque, ou un prêtre en sa place, leur donnera pour adjoints. L'évêque lui-même ou les prêtres n'iront pas, sans avoir en leur compagnie d'autres ecclésiastiques ou du moins quelques fidèles d'un certain poids. 3e conc. de Carthage, an 397, can. 25 ; « 8° Défense d'entendre la messe d'un prêtre que l'on sait certainement avoir une concubine. Conc. de Rome, an 1059, can. 3 ; « 9° Défense aux clercs et aux moines d'avoir des servantes dans leurs maisons et leurs prieurés, et aux bénéficiers ou clercs engagés dans les ordres, de rien laisser par testament à leurs bâtards ou à leurs concubines. Conc. de Tours, an 1239, Can. 7 ; « 10° Défense aux clercs et aux moines d'assister aux spectacles, soit des courses de chevaux, soit du théâtre. Idem., can. 24 ; « 11° Défense aux évêques et aux clercs de loger avec des femmes, de porter des habits séculiers ou de grands cheveux. Concile de Rome, an 744 et 787 ; « 12° Le saint Concile, jaloux de soutenir la dignité du caractère du prêtre, sachant bien qu'on dit souvent à table beaucoup d'inutilités, veut, qu'à tous les repas des prêtres, on fasse la lecture de l'Ecriture sainte. C'est un moyen excellent pour former les âmes au bien, et empêcher les discours inutiles. Conc. de Tolède, an 589, can. 7 ; « 13°Defense aux Pretres de loger avec quelque femme que ce soit, parce qu'il s'en est trouvé qui avaient eu des enfants de leurs propres s....… Conc. de Mayence, an 888, canon 105, in conc. Germ. Tom. 2. page 372, et Dictionnaire des conciles, page 721 ; « Ut clericis interdicatur mulieres in domo sua habere, omnimodis decernimus. Quamvis etiam sacri canones, quasdam personas feminarum simul cum clericis in una domo habitare permittant ; tamen, (quod multum dolendum est) sæpe audivimus, per illam concessionem plurima scelera esse commissa, ita ut quidam sacerdotum, cum propriis sororibus concumbentes, filios ex eis generassent. Et idcirco constituit hæc sancta synodus, ut nullus presbyter ullam feminam secum in domo propria permittat, quatenus occasio malæ suspicionis, vel facti iniqui, penitus auferatur ; « 14° Plusieurs ecclésiastiques s'adonnant à l'avarice et à l'intérêt sordide, oublient l'Ecriture divine, qui dit : "Il n'a point donné son argent à usure, et prêtent à douze pour cent" ; le saint et grand concile a ordonné que si, après ce règlement, il se trouve quelqu'un qui prenne des usures d'un prêt, qui fasse quelque trafic semblable, qui exige une moitié au-delà du principal, ou qui use de quelque autre invention pour faire un gain sordide, il sera déposé et mis hors du clergé. Ier Conc. général de Nicée, an 325, can. 7. » On voit, par le texte de ces canons, que l'Eglise, qui a dû se montrer sévère dans les principes de son institution, à l'égard des fidèles qui suivaient ses lois, et contre lesquels elle a souvent lancé des sentences exterminatoires, n'a pas non plus ménagé ses propres ministres, en les soumettant à une discipline rigoureuse, de laquelle devait nécessairement dériver un respect salutaire pour la foi, et une confiance sans borne pour les prosélytes qu'elle appelait dans son sein. Car l'exemple de la modestie, de la pudicité, de la continence et de la résignation, vertus nécessaires à tout fidèle serviteur de J.-C., devait nécessairement être donné par les ministres propres de son Eglise ; et à bien plus forte raison, l'observation des canons des saints conciles est un objet sacramentel pour les ecclésiastiques. Le pape Saint-Damase en parle ainsi : « Les saints pères jugent avec rigueur ceux qui violent volontairement les canons, et le saint esprit qui les a inspirés et dictés, condamne ces violateurs. Violatores canonum graviter à sanctis patribus judicantur et à sancto spiritu, instinctu cujus dictati sunt, damnantur. » Canon violat. 15, 9, 1. Et le pape Jules continue de cette manière : « Nolite errare, fratres mei, etc. : Prenez garde de pas tomber dans l'erreur, mes très chers frères ; vous avez les constitutions des apôtres et des hommes apostoliques, vous avez les saints canons, jouissez-en, mettez-y toute votre force, prenez plaisir à les lire, considérez-les comme vos armes, afin que par leur secours et par le soin que vous prendrez de les avoir toujours devant les yeux et de les suivre avec ferveur, ils vous servent d'armes capables de vous défendre contre toutes les attaques des ennemis de votre salut ; car ce serait une chose tout à fait indigne d'un évêque ou d'un prêtre, de refuser de suivre les règles que l'Eglise, où est le siège de Saint-Pierre, suit et enseigne. » On voit que ce souverain pontife s'écrie que ce serait une chose tout à fait indigne d'un évêque ou d'un prêtre de refuser de suivre les règles de l'Eglise ; Or, il est manifeste, cependant, que les évêques et les prêtres ont enfreint ces lois et ces règles, et que le chrétien, dans l'amertume de son cœur, voit l'Eglise désertée par les chefs propres de sa milice ; car tous les canons que je viens de citer et qui font la base constitutive de la discipline des ecclésiastiques, sont totalement inobservés, et peut-être méconnus ! c'est une véritable calamité que le zèle des hommes fervents, qui demeurent encore dans la maison du Seigneur, doivent s'empresser de réparer. Les évêques, administrateurs de diocèses, et surtout les curés ou autres ecclésiastiques desservant les paroisses des villes et des campagnes, ne sauraient faire trop d'efforts sur eux-mêmes, pour rentrer autant que possible dans la ligne qui leur est tracée par les saints conciles, afin d'y rappeler les autres fidèles, qui n'auront plus à leur opposer l'inobservance de leurs propres lois. Car, en matière de religion, l'exemple est le moteur le plus fort et le plus victorieux ; le sang des premiers martyrs a amené des flots de sang, parce que chacun voulait payer de sa vie son entrée dans la foi, et obtenir la couronne céleste, en mourant pour le fils de Dieu qui en était le suprême dispensateur ; Et puisque les ecclésiastiques veulent soumettre les autres chrétiens à l'observation des décrets des conciles, et qu'au moment de leurs décès ils leur font la fausse application de sentences exterminatoires, il est de toute justice, de toute pudeur publique qu'ils rentrent eux-mêmes dans la volonté de leurs propres lois, et qu'ils s'en montrent les fidèles et les zélés observateurs. Nos rois sont les protecteurs des saints canons ; ils sont en outre les ministres de Dieu sur la terre, et ils doivent employer toute leur autorité, toute leur surveillance pour que l'Eglise, commise à leurs soins, ne tombe pas dans l'anéantissement, par l'effet de la non-exécution des décrets des conciles de la part des ministres de la religion. Les procureurs du roi, les magistrats, les maires des communes qui sont les dépositaires partiels de l'autorité du prince, doivent être les premiers à informer avec zèle, respect et discrétion, les évêques et les ecclésiastiques supérieurs, de la négligence que ceux-ci ou les ecclésiastiques inférieurs apporteraient à la pratique des lois de la discipline de l'Eglise, et si la puissance séculière et ses délégués faisaient en cette matière l'usage de leurs droits, les ministres de la religion, qui s'écartent eux-mêmes des principes voulus et tracés par les conciles, ne montreraient pas autant de rigueur et quelquefois autant d'injustice à l'égard des autres fidèles. L'équité a ses lois immuables, grands et petits, prêtres et paroissiens, tous doivent s'y soumettre, s'ils veulent assurer le triomphe de la religion. Nous lisons encore dans l'Histoire du droit canonique, 1 vol. in-12, pages 385 et 393, au chapitre de la puissance des rois comme protecteurs des canons ; « Que le prince temporel ne peut pas faire la discipline ecclésiastique, mais qu'il doit la maintenir ; « Que les puissances temporelles sont nécessaires dans l'Eglise, afin de suppléer par leur pouvoir à ce que l'étendue de la parole ne peut faire ; « Que le prince a la liberté de choisir, parmi les différents usages, ceux qui sont plus conformes au bien de son Etat ; qu'il peut rejeter tout à fait, ou modifier les décrets de discipline faits par des conciles, même généraux ; pag. 394 ; « Que les ecclésiastiques ont un double lien qui les soumet à l'autorité royale ; 1° leur qualité de citoyen qui les soumet à la puissance politique comme tous les autres sujets ; 2° leur qualité d'ecclésiastique qui les soumet au prince qui, comme protecteur des saints canons, doit veiller à leur exécution ; pages 400, 401 ; « Que cette même qualité de protecteur des saints canons donne droit au roi de veiller sur les mœurs des ecclésiastiques, afin de s'opposer au relâchement de la discipline de l'Eglise » ; pag. 402. **** *book_ *id_body-5-3 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers De la suprématie de la puissance séculière sur la puissance ecclésiastique ; des erreurs et des crimes du clergé et des anathèmes fulminés par les conciles contre les prêtres et les séculiers qui attentent à l'autorité et à la vie des souverains. La surveillance de l'autorité séculière sur la conduite du clergé est d'autant plus nécessaire, que l'histoire de France nous fournit des preuves innombrables de l'ambition démésurée de ce corps, et nous cite des faits qui ont mis plus d'une fois l'Etat dans le plus grand péril. Lorsque les prêtres sont parvenus à augmenter leur action sur les citoyens au mépris des lois civiles, ils finissent par atteindre la personne des rois ; et tel prince qui leur abandonne une certaine autorité sur ses sujets, doit trembler que cette même autorité ne parvienne un jour à saper les fondements de sa puissance, et à le précipiter lui-même par un parricide infâme dans l'horreur de la mort. Les désordres infinis du clergé de France excitèrent les craintes de la nation et du roi Henri III, aux états de Blois, tenus en 1588 ; le garde des sceaux de Montholon prononça dans cette assemblée, au nom de ce prince, un discours dans lequel on remarque le passage suivant : « Sa majesté demande donc d'abord au clergé puisqu'il est chargé de la réformation des autres, qu'il commence par se réformer lui-même, et donner bon exemple aux autres ordres de l'Etat. » Cette mercuriale, justement méritée et justement appliquée, devait porter le clergé à écouter la parole royale et le vœu de la nation, et à rentrer de lui-même dans les principes de l'Evangile et dans les dogmes apostoliques, qui indiquent et ordonnent aux ministres du culte une soumission entière à la volonté du prince ; mais loin de produire un effet aussi salutaire, aussi conforme aux préceptes de la religion, cette mercuriale ne fit qu'allumer le feu de la vengeance dans le cœur du clergé, et le prince qui l'avait ordonnée fut cruellement assassiné l'année d'ensuite par Jacques Clément prêtre et dominicain !… Henri III, frappé d'un coup mortel, profite de ses derniers instants pour adresser à ceux qui l'entourent un discours où il reproduit les malheurs de l'Etat, et dans lequel on remarque ces paroles : « A tant d'attentats mes ennemis ont ajouté le parricide ; et ce qui m'est encore plus cruel que la mort même c'est qu'en deshonorant a jamais le clerge, elle va couvrir d'une eternelle ignominie la nation française, qui jusqu'ici s'est toujours distinguee par son attachement pour ses rois, et par son zele pour la patrie. « Le clergé pour qui j'ai eu tant d'égards, auquel j'ai cherché à m'associer, jusqu'à avilir dans cette vue la majesté royale, s'est laissé aveugler, il y a déjà longtemps, par un faux zèle pour la religion, et donne aujourd'hui au peuple français l'exemple de la révolte. » Quelle leçon pour les rois !… quelle honte pour le clergé ! D'où provenait donc l'influence que le clergé exerçait sur la nation ? de l'oubli que le prince avait eu de ses propres devoirs, et de sa faiblesse à consentir que les prêtres se mêlassent des affaires de l'Etat, en abandonnant ses propres sujets à la puissance ecclésiastique, lorsqu'il devait au contraire les couvrir de son autorité pour les protéger contre les entreprises de cette même puissance. C'est sous le règne d'Henri III que le clergé et les jésuites eurent la criminelle audace de proclamer les principes subversifs de toute monarchie légalement instituée : « Qu'un prince qui maltraite ses citoyens est une bête féroce, cruelle et pernicieuse ; « Qu'il y a des cas où il est permis à tout le monde de tuer, même celui qui est prince de droit, soit par succession, soit par élection, mais qui devient tyran par sa conduite ; « Que si un prince légitime devient tyran jusqu'au point de piller les fortunes publiques et particulières, s'il méprise notre sainte religion, s'il charge ses sujets d'impôts injustes, s'il fait des lois avantageuses pour lui et peu utiles au public, la république doit s'assembler et l'inviter à se corriger : que s'il ne répare pas ses fautes, elle peut lui faire la guerre, et si les circonstances le permettent, lui porter le fer dans le sein. « Que les princes sont tenus d'obéir au commandement du pontife (romain) comme à la parole de J.-C., que s'ils y résistent il est en droit de les punir à titre de rebelles, et que s'ils font quelque entreprise contre l'intérêt de l'Eglise ou la gloire de J.-C., il peut les priver de leur royaume, donner leurs états à un autre prince, et dégager leurs sujets de l'obéissance qu'ils lui doivent, et du serment qu'ils lui ont fait. » Et après la mort de ce monarque, Busenbaum, célèbre jésuite, ne craignit pas de publier dans un de ses ouvrages : « Que l'action de Jacques Clément, dominicain, est une action mémorable, par laquelle il avait procuré à sa patrie et à sa nation le recouvrement de sa liberté ; que le massacre du roi lui fit grande réputation, et qu'étant d'une complexion faible, une vertu plus grande soutenait son courage. » De tels préceptes et de tels récits excitent l'indignation de tous les hommes de bien, en même temps qu'ils méritent toute la répression de l'autorité séculière. Mais le clergé de France était d'autant plus coupable, d'autant plus criminel de propager des dogmes aussi affreux qu'ils étaient condamnés et fulminés par les propres canons des SS. conciles, et que d'après les lois de l'Eglise, les souverains, loin d'être soumis à la puissance ecclésiastique, et de pouvoir être tués, lors même qu'ils deviendraient tyrans, sont au contraire considérés comme sacrés dans leur personne et dans leur autorité : 1° « Principi populi tui non maledices ; vous ne maudirez point le prince de votre nation. Exode, chap. XXII, verset 28. 2° « Non occides : qui autem occiderit, etc. ; vous ne tuerez point : et quiconque tuera méritera d'être puni par le jugement. Evang. de S. Matth., chap. V, vers. 21. 3° « Celui qui s'oppose aux puissances, resiste a l'ordre de Dieu ; et ceux qui résistent, attirent une juste condamnation sur eux-mêmes. S. Paul, ép. aux Romains. 4° « Il est donc nécessaire de vous soumettre aux puissances, non seulement par la crainte du châtiment, mais aussi par le devoir de la conscience. Id. 5° « Anathème terrible contre quiconque osera violer le serment fait aux rois, et contre ceux qui attentent contre leur autorité et contre leur vie. Quatrième concile de Tolède, an 634, can. dern. 6° « Les évêques et les prêtres qui auront violé les serments faits pour la sûreté du prince, ou de l'Etat, seront déposés : il sera permis toutefois au prince de leur faire grâce. Dixième conc. de Tolède, an 656, can. 2. 7° « L'homicide d'un tyran est illicite, c'est ce qu'on voit par le décret du concile de Constance qui condamne la proposition de Jean Petit : elle autorisait chaque particulier à faire mourir un tyran, par quelque voie que ce fût ; et nonobstant quelque serment qu'on eût fait, sans toutefois nommer l'auteur, ni aucun de ceux qui y étaient intéressés ; le concile, pour extirper cette erreur, déclare que cette doctrine est hérétique, scandaleuse, séditieuse, et qu'elle ne peut tendre qu'à autoriser les fourberies, les mensonges, les trahisons et les parjures. De plus, le concile déclare hérétiques tous ceux qui soutiendront opiniâtrement cette doctrine, et veut que comme tels ils soient punis selon les canons et les lois de l'Eglise. Conc. gén. de Constance, an 1415, 15e sess. 8° « Si quelqu'un par esprit d'orgueil et d'indépendance s'élève contre la puissance royale, dont Dieu même est l'instituteur, et qu'il refuse d'obéir sans vouloir se laisser convaincre par la raison et par la religion, qui lui prescrivent une obéissance entière, qu'il soit anathème. » Concile de Tours, an 1583, can. 1. » Il est impossible de condamner plus canoniquement ceux qui attentent à l'autorité et à la vie des rois, soit que les coupables appartiennent à l'ordre ecclésiastique, ou à l'ordre séculier. Comment donc la Sorbonne, qui parfois s'est montrée protectrice des saines maximes, n'a-t-elle jamais fait valoir l'autorité de ces canons, qui se rencontrent cependant dans tous les recueils qui ont été publiés, et dont le nombre est considérable ? Etait-ce ignorance ou partialité ? L'ignorance est blâmable, parce que les théologiens doivent connaître toutes les lois qui concernent la discipline ecclésiastique, et la partialité serait criminelle, parce que, si à l'époque du règne d'Henri III, les lois suprêmes, dictées par les conciles, avaient été proclamées et soutenues par ses théologiens, la France n'eût pas été bouleversée, et le clergé n'aurait point à se reprocher une révolte scandaleuse, ni l'assassinat d'un de nos rois ; Je dis d'un de nos rois pour borner ici des citations qui doivent déplaire au clergé, car on pourrait, en s'appuyant de faits constatés, citer plusieurs crimes de ce genre. Si donc, il est prouvé par les événements les plus déplorables que l'ambition du clergé, que l'oubli de la discipline qui lui est propre, que l'ignorance des lois qu'il doit le plus connaître, l'aient porté à s'écarter de ses devoirs d'une manière aussi coupable, l'autorité séculière doit sans cesse se mettre en garde contre les nouvelles entreprises qu'il prétendrait former ; elle doit lui reconnaître une administration toute spéciale dans l'Eglise ; mais hors de l'Eglise, il lui appartient de surveiller la conduite des prêtres, et de savoir s'ils se conforment eux-mêmes aux propres lois qui leur sont imposées par les canons des conciles, parce que le prince est le protecteur né de ces mêmes conciles. Chaque fois que les magistrats, qui sont les délégués du prince, feront sentir au clergé, qu'ils ont assez de courage, assez de science, pour exiger qu'il se réforme de lui-même, en me servant des expressions du garde des sceaux de Montholon, lorsqu'il exige la réforme des autres, le clergé deviendra moins ambitieux, se mêlera moins des affaires publiques, et remplira beaucoup mieux les devoirs du sacré ministère. Ce n'est qu'avec la plus grande vénération qu'on cite les efforts que les parlements de France, les procureurs et les avocats-généraux, n'ont cessé de faire pour s'opposer constamment aux usurpations des prêtres, et notre histoire leur paie à cette occasion un tribut d'éloges bien mérités. Il reste donc aux procureurs et avocats-généraux près nos cours royales, aux procureurs du roi, aux préfets, sous-préfets et maires des diverses communes de bien se pénétrer de la suprématie de la puissance séculière sur la puissance ecclésiastique, et de l'autorité que le prince, en sa qualité de protecteur des saints canons, doit exercer sur les ministres du culte, afin de faire rentrer dans la discipline de l'Eglise ceux qui pourraient s'en écarter. L'effet de cette action de la part de l'autorité séculière imprimera aux ecclésiastiques plus de respect, plus d'égards pour les représentants du gouvernement, et leur fera abandonner à jamais l'idée de sortir du cercle de leurs devoirs et de leurs fonctions pour s'immiscer dans les affaires de l'Etat et des familles, ce qui les conduit toujours à fomenter des troubles ou à exciter des débats domestiques qui deviennent funestes ou au gouvernement ou aux citoyens. **** *book_ *id_body-5-4 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers dénombrement du clergé de france avant et depuis la révolution. La puissance séculière, l'autorité civile, et les magistrats surtout, doivent apporter une telle surveillance sur l'empiètement que les ecclésiastiques pourraient entreprendre sur ce qui concerne le gouvernement de l'Etat, et l'existence des citoyens, que le nombre des prêtres est tellement considérable, qu'ils forment, à eux seuls, une masse imposante dans le royaume, et que le gouvernement rencontrerait partout des individus tout prêts à lui résister, dans des matières d'autant plus délicates, que ces mêmes ecclésiastiques sont reconnus et révérés par les peuples comme des juges suprêmes en fait de religion et d'affaires de conscience. Ces ecclésiastiques sont bien nés sujets du roi, et soumis comme les autres à la loi commune, mais il ne faut pas oublier qu'ils tiennent aussi à un autre chef suprême, au souverain pontife, qui, par la nature de sa dignité, l'éclat de ses fonctions de vicaire de Jésus-Christ sur la terre, prétend à une supériorité directe sur les rois. Cette supériorité, au fait du temporel, a été disputée et reconnue usurpation par les princes qui possèdent des souverainetés, mais l'opinion de la corporation est toujours là, les prétentions ne sont qu'assoupies, et non pas détruites. On a vu des souverains pontifes ambitieux, audacieux, employer la majesté de la religion et son crédit sur l'esprit des peuples, pour bouleverser des trônes et jeter le fer et la flamme parmi les nations ; la tiare voulait une autorité absolue sur le diadème des rois, et ses prétentions trouvaient des appuis dans tous les Etats de la chrétienté, où la cour de Rome compte des milliers d'ecclésiastiques qu'on peut considérer comme autant de généraux, ou de capitaines d'armées, qu'elle y fait stationner. On sait que la justice, et la modération du souverain pontife actuel, et de plusieurs de ses augustes prédécesseurs éloigne pour longtemps, de semblables catastrophes ; mais enfin puisque l'expérience nous a démontré qu'elles avaient eu lieu, dans un temps, la prudence doit nous commander de craindre de les voir renaître, à une autre époque. On jugera par le dénombrement de l'ancien clergé de France, qui va suivre, combien la cour de Rome avait de zélés serviteurs dans le royaume, avant la révolution, et combien l'autorité de nos princes devait être entravée, lorsque le clergé formait et soutenait d'autres prétentions ; puissant par le nombre, puissant par les richesses de ses revenus, et plus puissant encore par l'influence de ses fonctions, le clergé à lui seul pouvait singulièrement contrarier la volonté du prince, lors même qu'elle se dirigeait vers le bien-être de ses sujets ; aujourd'hui à la vérité, tout est diminué dans le clergé, le nombre, les richesses, et même l'influence de l'opinion ; il faut encore ajouter que les lois constitutionnelles rendent au prince et à son gouvernement une suprématie d'autorité, qui n'en reconnaît ou n'en craint pas d'autre dans l'Etat, mais encore ce clergé s'élève actuellement à environ 50.000 individus, qui jouissent de plus de 30.000.000 fr. de revenus, et ces individus pourraient un jour, si on leur permettait de dériver de la ligne tracée par nos lois, chercher à ressaisir une autorité qu'ils n'ont perdue qu'à regret. J'ai puisé le dénombrement qu'on va lire dans une brochure intitulée, Exposé des droits du clergé de France, qui a paru l'année dernière, et j'en ai vérifié l'exactitude dans l'excellent ouvrage de l'abbé Expilly (Dictionnaire géographique des Gaules). **** *book_ *id_body-5-6 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers résume général et comparatif du clergé de france. Le revenu de l'ancien clergé de France, tant séculier que régulier, se montait, avant la révolution, à la somme de 121.235.496 f. ; on pourrait, sans crainte d'erreur, le porter à 135 millions, attendu qu'on a pris pour base les tarifs des évêchés et abbayes, selon la taxe en cour de Rome, et qu'il est notoire et avéré, que pour amoindrir cette redevance au Saint-Siège, on évaluait les revenus des évêchés et abbayes au plus faible taux. Le budget général du clergé, pour l'année 1824, y compris les travaux extraordinaires aux édifices des diocèses, et toutes autres dépenses, est de 30.050.000 fr. Il y a donc une différence de près de 105 millions entre les revenus anciens, et ceux affectés présentement pour les frais du culte. Le personnel de l'ancien clergé de France, était, avant la révolution, de 412.419 individus des deux sexes ; il se monte aujourd'hui à environ 50.000 ecclésiastiques de tout âge ; et le nombre de religieuses existantes est d'environ 19.000, au lieu de 82.580, qu'on comptait avant 1789. Je termine cet ouvrage en jetant le cri de tous les hommes de bien : la religion, le roi, la justice égale pour tous, et le respect pour toutes les professions qui ont un caractère imprimé par les lois et par la volonté du prince. **** *book_ *id_body-5-7 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers piété et bienfaisance d'un comédien. On a déjà vu dans les chapitres précédents que la qualité de comédien n'excluait pas la pratique de la piété, et que plusieurs d'entre eux se faisaient un devoir de suivre les obligations qui nous sont imposées par la religion, en même temps qu'ils exerçaient leur propre profession. Beauchâteau (François Châtelet de) gentilhomme de naissance, et comédien de la troupe de l'hôtel de Bourgogne, où il débuta en 1633, avait coutume d'entendre la messe, chaque jour, en l'église de Notre-Dame à Paris ; il y rencontra auprès d'un pilier une femme qui avait la tristesse imprimée sur le visage, et qui fondait en pleurs et en gémissements. Le comédien qui avait l'âme bienfaisante et plus sensible que tous ceux qui se trouvaient alors dans l'église, s'approcha de cette femme, et lui demanda la cause de tant de chagrin et de tant de larmes ! La malheureuse lui répondit avec fierté qu'elle n'avait pas besoin de consolateur, et qu'elle ne demandait rien à personne. Beauchâteau, qui savait que l'infortune donne à l'âme de l'élévation, ne se rebuta point ; à force de prières et de paroles respectueuses, il parvint à lui faire raconter qu'un désastreux procès l'avait réduite au point de manquer de tout, et que ne pouvant ni se résoudre à mendier, ni à retourner dans la chambre qu'elle avait louée, parce qu'il lui était impossible de payer le terme qu'elle devait à l'hôte, elle était décidée à se laisser mourir de faim dans l'église. Beauchâteau, touché de ce récit, supplia cette femme de venir chez lui, lui promit que rien ne lui manquerait, et que son épouse s'empresserait de la consoler. Cette dame se rendit à des offres si généreuses, et crut devoir, par reconnaissance, instruire son bienfaiteur des particularités de sa famille. En présence de Beauchâteau et de son épouse, elle raconta qu'elle appartenait à de très honnêtes gens ; mais que sa mère, devenue veuve, avait dissipé son bien et celui de ses enfants ; qu'alors elle fut obligée de demeurer avec un frère qui subsistait par le moyen d'un bénéfice. Elle ajouta qu'elle avait eu une sœur qui était morte dans un couvent, après y avoir vécu dans la plus grande austérité, pour expier la faiblesse de s'être laissé abuser par l'amour, et par un président de qui elle avait eu une fille, mais que malgré des recherches multipliées, elle n'était jamais parvenue à faire aucune découverte sur le sort de cet enfant. Beauchâteau fut moins étonné de ce récit que sa femme ; elle l'avait écouté avec une attention inquiète ; à la fin, ses doutes étant éclaircis, elle ne put retenir son émotion ni ses larmes, et se précipita dans les bras de cette dame en disant : Ma chère tante ! Ma chère tante ! C'est moi qui suis cette fille inconnue ! C'est moi qui suis votre nièce ! Quelle joie pour cette malheureuse de trouver dans la femme de son bienfaiteur une nièce qu'elle croyait perdue ! Beauchâteau, qui n'avait cru faire du bien qu'à une étrangère, était enchanté d'obliger la tante de sa femme, et de lui avoir sauvé la vie. Ce comédien mourut en septembre 1665. Il eut un fils qui parvint à un degré de célébrité, car, dès l'âge de huit ans, il fut mis au rang des poètes de son temps. La reine, mère de Louis XIV, le cardinal Mazarin et le chancelier Séguier, se faisaient un plaisir d'exercer l'esprit de cet enfant. A douze ans, il donna un recueil de ses poésies ; quelque temps après, il fut en Angleterre ; on croit que de là il fit un voyage en Perse. Depuis ce temps on n'a pu découvrir ce qu'il était devenu. Si les comédiens eussent été des excommuniés dénoncés, aurait-on vu Beauchâteau assister tous les jours à la messe, dans l'église métropolitaine de Paris ? Son fils, qui eût été alors le fils d'un excommunié, aurait-il eu l'honneur d'être le protégé favori de la reine, mère de Louis XIV, Anne d'Autriche, fille de Philippe III, roi d'Espagne, et l'une des princesses les plus pieuses de son temps ? Le cardinal Mazarin, prince de l'Eglise, et le chancelier Séguier, eussent-ils accordé leurs soins protecteurs à un enfant qui n'avait puisé le goût de la poésie que dans la propre profession de son père, si cette profession avait été frappée d'une excommunication réelle ? Le caractère de bienfaisance que Beauchâteau a déployé dans la circonstance que je viens de décrire, et qui a pris son origine dans la pratique d'un des devoirs que la religion nous impose, doit couvrir et honorer sa mémoire de l'estime générale. **** *book_ *id_body-5-8 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers CONCLUSIONS GENERALES. Les comédiens du troisième âge, ayant reçu leur institution du prince et des lois du royaume, ne sont point comptables de leur profession au clergé ; L'abjuration de cette profession, exigée par le clergé, est un véritable délit, parce que aucune autorité dans l'Etat n'a le droit de vouloir le contraire de ce qui a été créé et autorisé par les diplômes du prince et la législation du pays ; Le refus de sépulture, fait par le clergé aux comédiens, est encore un délit manifeste et réel, puisque c'est infliger une action pénale, imprégner un mépris public à une profession que le prince, les lois du royaume, les ordonnances de police ont instituée et régularisée ; et en cette circonstance l'outrage est non seulement fait à la personne et à la profession du comédien décédé, mais encore aux autorités suprêmes qui ont autorisé et commandé son exercice : voilà pour ce qui concerne l'état politique et celui de la législation ; c'est aux procureurs du roi qu'il appartient de faire respecter, par toutes les autorités existant dans l'Etat, ce qui a été institué et par l'action du prince et par le fait de la législation et des règlements de la police du royaume ; Le refus de sépulture est encore un autre délit envers les lois ecclésiastiques même, puisque, pour avoir lieu d'une manière canonique, il faut que les individus auxquels on veut l'appliquer aient été excommuniés, dénoncés dans les formes, et que jamais les comédiens du troisième âge ne se sont rencontrés dans cette catégorie ; Le clergé de France est d'autant moins fondé à frapper les comédiens de ses sentences exterminatoires, qu'il a lui-même aidé à leur institution, et que dans le principe de leur création les prêtres ont rempli des rôles dans les mystères que les comédiens représentaient ; que les obscénités, les scandales qui se pratiquaient alors dans les églises, ou dans ces comédies pieuses, étant tout à fait nuisibles à la religion, l'autorité séculière a fait défendre aux prêtres de remplir désormais des rôles de comédiens, et à ceux-ci de ne plus prendre leurs sujets de comédie dans les mystères de la religion ; Le clergé, dans l'animadversion qu'il témoigne contre les comédiens, signale son ignorance, son injustice, son ingratitude, et démontre en outre qu'il agit avec deux poids et deux mesures, ce qui est on ne peut pas plus impolitique pour un corps aussi respectable ; car on a vu que c'étaient des papes et des cardinaux qui avaient institué des théâtres tant en Italie qu'en France ; on a vu un abbé, directeur de notre Opéra à Paris, on a vu les capucins, les cordeliers, les augustins demander l'aumône par placet, et la recevoir de nos comédiens ; on a vu les lettres où ces mêmes religieux, prêtres de l'Eglise apostolique et romaine, promettaient de prier Dieu pour la prospérité de la compagnie des comédiens. Comment des prêtres peuvent-ils prier Dieu pour une compagnie que d'autres prêtres anathématisent et proscrivent ? Voilà ce que des théologiens devraient expliquer ! On a vu des comédiens enterrés dans nos églises, tandis que d'autres n'ont pu obtenir de places dans nos cimetières ; et l'on voit journellement nos comédiens entrer dans nos temples, participer même aux exercices de notre religion, en même temps qu'ils exercent leur profession ; donc ils ne sont pas excommuniés dénoncés, car en ce cas ils devraient être exclus de l'église, et l'église purifiée après leur expulsion ; Les papes, les rois et tous les souverains de la chrétienté ayant institué des théâtres et des comédiens dans leurs Etats, pour le plaisir et l'instruction de leurs sujets, n'ont pas prétendu se damner eux et toutes leurs nations, par la fréquentation obligée qu'ils établiraient avec des excommuniés ; Le clergé usurpe sur l'autorité séculière en blâmant, en punissant, en damnant ce qu'elle a créé et institué ; Certaines processions et d'autres cérémonies religieuses, pratiquées par le clergé, sont infiniment plus obscènes, plus coupables, plus nuisibles à la majesté de notre sainte religion que l'exercice de la comédie ; Le clergé qui veut anéantir une profession que les princes et les lois ont instituée, prétexte la rigueur des anciens canons des conciles, et il oublie lui-même, en ce qui lui est propre et absolument obligatoire, ce que ces mêmes canons ont dicté et voulu ; circonstance qui met l'auteur dans la nécessité de les lui rappeler ; La puissance séculière doit veiller avec d'autant plus de soins à ce que le clergé ne s'éloigne pas des devoirs qui lui sont imposés par la discipline ecclésiastique, que c'est l'oubli de ces mêmes lois, au dire de notre roi, Henri III, qui a porté le clergé à faire ensanglanter son trône, et à bouleverser ses Etats ; que l'expérience du passé doit toujours servir de leçon pour l'avenir ; Le prince étant le protecteur né des canons des saints conciles, ainsi que l'Eglise le reconnaît elle-même, doit surveiller tant par lui que par ses délégués l'exécution de ce qu'ils ordonnent, afin que la religion ne perde rien de son lustre et des dogmes de son institution, parce qu'il est utile que les ministres du culte donnent eux-mêmes l'exemple de cette conformité aux saints canons, afin d'y amener successivement les fidèles commis à leur instruction ; les procureurs du roi, les préfets, les sous-préfets et les maires qui sont les délégués du prince, tant en ce qui concerne la justice que la police du royaume, doivent, avec tous les procédés convenables en pareils cas, faire sentir aux prêtres qu'ils ont sur eux une suprématie d'action, qui est assez forte pour les faire rentrer dans les lois de la discipline de l'Eglise, s'ils commettaient la faute de s'en écarter. La moindre expression de cette surveillance démontrera au clergé que s'il indique aux citoyens des devoirs à remplir, le prince et ses délégués sont là pour l'obliger à remplir les siens, et qu'ainsi la puissance séculière, devenant la protectrice et la mère tutélaire de la religion, sait en même temps forcer les prêtres et les peuples à observer ses rites et ses dogmes. **** *book_ *id_body-5-9 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers DU MANDEMENT DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVEQUE DE ROUEN. Depuis le rétablissement du culte catholique en France, et surtout depuis la restauration, le zèle des fidèles s'est tellement accru, qu'on les voit remplir les églises à l'heure des offices, et suivre les prédicateurs avec une attention et une piété vraiment exemplaires : le Clergé ne pouvait donc que s'applaudir de cette influence de la religion sur les citoyens, et pour perpétuer un état de choses aussi louable, il n'avait qu'à agir avec douceur, circonspection, et franchise ; Mais des intentions exagérées, mais des mandements et des lettres pastorales qui rappellent toutes les rigueurs des lois ecclésiastiques et qui imposent aux fidèles des obligations que l'Eglise, depuis nombre de siècles, avait cessé d'exiger, viennent réveiller l'attention du public et exciter ses craintes. La nation qui trouvait dans son roi, et dans les princes de son auguste famille, l'exemple d'une piété salutaire, s'était fait un devoir de seconder, et les intentions du souverain et celles du Clergé ; mais aujourd'hui elle est forcée d'éprouver de l'incertitude dans la marche qu'on veut lui faire suivre, et elle craint réellement les suites d'un système qui peut causer de grands troubles dans le royaume. La Charte a consacré la religion catholique, apostolique et romaine, comme religion de l'Etat. Cette loi constitutionnelle a aussi rétabli l'ancienne noblesse, qui avait souffert pendant la révolution française dans sa propre personne et dans ses biens autant que le Clergé ; la noblesse, toujours fidèle aux volontés de son roi, n'en a point dépassé les intentions et n'a point transgressé la loi commune. Elle a attendu pendant dix ans, dans le silence du respect, que la nation se prononçât sur ses pertes, et lui accordât quelques indemnités pour la somme de maux qu'elle avait supportés depuis trente-quatre ans. Elle n'a point rappelé ses droits sur la féodalité, revendiqué ses seigneuries, ses terres, ses privilèges, ni exhumé le code renfermant les lois qui lui étaient propres et qui avaient trait à son ancienne existence : elle ne l'a pas fait, parce qu'elle a senti qu'étant réhabilitée par la Charte, elle ne devait pas aller au-delà de la loi commune ; elle s'est soumise à l'esprit de cette loi ; elle s'y renferme parce qu'elle sait que le législateur a fait tout ce qu'il était en lui en la consacrant, et qu'aller au-delà, serait sortir du cercle tracé par sa volonté suprême, serait méconnaître la puissance séculière, et se constituer en opposition criminelle contre elle. Or, il en est de même de la religion. Elle est dans la Charte. Elle n'existe que par la Charte, et elle ne peut aller au-delà des principes politiques, consacrés par la Charte ; se tenir intra, voila sa position légale ; se porter extra, c'est enfreindre la loi commune. Ce que nous venons de dire est si vrai, que le législateur en déclarant la religion catholique religion de l'Etat, n'a pas plus fait à son égard qu'il n'a fait à l'égard de la noblesse ; il n'a point rappelé les anciens privilèges, les anciennes immunités ecclésiastiques, il ne lui a point rendu ses tribunaux spéciaux (les officialités), ni ces droits considérables, qui plus d'une fois, mirent la monarchie en danger, pas plus qu'il n'a procédé à la réintégration des biens immenses qui faisaient du clergé le corps le plus dangereux et le plus riche de l'Etat. L'esprit de la Charte est un esprit de tolérance universelle et de fraternité, tout à la fois politique et religieuse. La Charte a voulu la religion, mais elle n'a voulu que ce que la religion avait d'apostolique, de divin, de charitable et de conciliant ; elle n'a point mis les prêtres au-dessus des autres citoyens, elle les a rangés au contraire dans la loi commune, elle ne peut en conséquence leur permettre d'appliquer des pénalités aux autres citoyens, parce que le Clergé se trouverait, par ce fait, supérieur à la Charte, supérieur aux autres juges du royaume, qui ne peuvent, qui ne doivent qu'appliquer des peines dictées par nos codes, et bien exprimées pour chaque délit. Il faut que le Gouvernement, que les hommes d'Etat ne s'y méprennent pas ; l'excommunication est une des pénalités les plus réelles, les plus terribles ; et si le prince permettait aux prêtres d'en faire l'application, selon les catégories qui en sont frappées par les lois ecclésiastiques, il serait lui-même, ainsi que la majeure partie de ses sujets, spontanément victime de sa condescendance pour le Clergé. Voyez ci-dessus, à la page 154 de cet ouvrage, les diverses espèces d'excommunications que les prêtres voudraient fulminer contre les fidèles ; et aux pages 189 et 191, les conséquences funestes de ces sentences exterminatoires. Il est donc très opportun, très convenable que la puissance séculière fasse sentir au Clergé, d'une manière forte et péremptoire, que si la Charte, dans l'esprit de sagesse et de religion qui en a guidé les principes, reconnaît le culte catholique, comme le culte dominant en France, c'est pour exister dans la propre conscription de la loi commune, et non pour la dépasser et aller au-delà. S'il en était autrement, les prêtres seraient privilégiés, au-dessus même de la monarchie et du monarque ; car la Charte, en reconnaissant les principes monarchiques et l'existence immuable de la légitimité dans la personne du souverain, a spécifié et modifié les droits du prince, qui se trouve, en beaucoup de circonstances, soumis aux lois communes du royaume. Ainsi, le roi respecte la volonté du législateur ; il s'est soumis, quant à ses droits, quant à son autorité, à une marche nouvelle, qui n'avait pas lieu avant l'ordre actuel des choses. Et pourquoi le Clergé prétendrait-il ne pas suivre l'exemple du monarque, même dans la nouvelle refonte de la monarchie ? Pourquoi voudrait-il se mettre au-dessus du prince et des codes des lois qui forment la base de la constitution présente du royaume ? On doit être d'autant plus attentif aux usurpations illégales du Clergé, qu'une fois le gouvernement les ayant tolérées à l'égard des citoyens, il se verrait bientôt attaqué lui-même, corps à corps, par ces mêmes ecclésiastiques, qui lui demanderaient impérativement la réintégration dans leurs biens, dans leurs droits, dans leurs privilèges, avec d'autant plus de force et d'action, qu'ils auraient commencé d'abord par soumettre tous les citoyens du royaume. La puissance séculière, livrée à elle seule, ne pourrait plus résister à l'autorité du clergé. Les prêtres ayant ainsi acquis sur l'esprit faible du peuple une influence marquée et décisive, alors nos rois se retrouveraient par la suite dans la triste position d'Henri III. Qu'on se rappelle tous les troubles que le fanatisme a excités, toutes les révoltes qu'il a fomentées, toutes les conjurations où il a présidé, et tous les assassinats qu'il a fait exécuter sur la personne des rois et sur un si grand nombre de particuliers. Les citoyens une fois rangés pour ainsi dire sous la bannière de la puissance ecclésiastique, le prince, qui voudrait résister aux altières prétentions du clergé, serait traité d'hérétique, de rebelle, et sa vie serait à la merci des fanatiques. Tel serait le triste, l'odieux résultat d'une usurpation aussi criminelle qu'arrogante, si l'autorité séculière ne veillait pas avec le plus grand soin pour s'opposer aux envahissements de l'autorité spirituelle, dans les choses même qui paraissent les plus simples. Le Clergé ne doit donc jamais agir en ce qui concerne les pénalités qui auraient un effet civil, sans l'attache, sans l'assentiment de l'autorité séculière ; car, il faut en convenir, la France, en 1825, n'est pas la France du quatorzième et du quinzième siècle, et le prince étant le chef suprême de l'Etat, nulle autre autorité que la sienne ne peut infliger à ses sujets quelque peine que ce soit, surtout lorsque ces peines deviennent infamantes, et attirent sur ces mêmes citoyens le mépris et la vindicte publique, effets réels de l'excommunication. Si la Charte, je le répète, reconnaît la religion catholique comme religion de l'Etat, c'est dans la ferme intention que cette religion concordera avec notre loi constitutive, et n'attentera en rien aux droits qu'elle consacre à l'égard de tous les citoyens. En effet, la religion catholique n'aurait aucune influence dans l'Etat, si le prince, qui a établi la loi constitutionnelle, ne lui avait assigné et conféré la prééminence sur les autres religions. C'est au prince, c'est à sa volonté, c'est à son autorité que cette religion est redevable de son existence. Les ministres de ce culte doivent donc s'attacher à ne jamais contrarier, ni offenser l'autorité qui les a constitués ; ils doivent au contraire la consulter sans cesse, dans tout ce qui a rapport à des objets d'importance, surtout lorsqu'il s'agit d'infliger des pénalités qui pourraient avoir un effet civil. Si monseigneur l'archevêque de Rouen avait eu pour le roi cette déférence qui doit germer et se développer dans le cœur de tout bon Français, et s'il eût pris l'avis du Gouvernement avec lequel il aurait dû se concerter sur le mandement qu'il a fulminé, certes, cet acte qui a réveillé tant de passions, tant de craintes et d'alarmes aurait subi de sages modifications ; la société n'en aurait pas été ébranlée aujourd'hui, car le gouvernement, qui connaît à fond le génie, l'esprit et le moral des Français, aurait, il n'en faut pas douter, fourni à ce prélat les moyens d'arriver à son but, sans heurter l'esprit du siècle et causer de nouveaux troubles. Le Clergé doit savoir d'ailleurs que l'institution d'un ministère des affaires ecclésiastiques est une voie que le Gouvernement a sans doute voulu ouvrir pour faire concorder les lois ou usages de l'Eglise avec les lois ou usages de la nation, et il me paraît tout naturel qu'il eût été du devoir de M. l'archevêque de Rouen, avant de lancer son acte fulminatoire, de prendre conseil du ministre qui est chargé de ce département, et je ne fais aucun doute que, dans le secret du cabinet, son excellence ne l'eût invité ou à modifier, ou à supprimer un pareil acte. Cette conduite de l'archevêque de Rouen prouve, à l'évidence, que les prêtres mal conseillés ne veulent reconnaître et consulter aucune autre autorité que la leur, et qu'ils évitent avec le plus grand soin de faire aucune démarche qui tendrait à les ranger sous l'autorité du souverain légitime. Cependant, si on voulait réfléchir sur les funestes conséquences qui pourraient résulter de ce mandement, on se convaincrait aisément combien il est nécessaire que la puissance séculière soit au-dessus de la puissance ecclésiastique. C'est donc aux autorités qui existent dans l'Etat à ne jamais permettre au Clergé de se soustraire aux droits de la puissance établie par Dieu même, pour protéger et gouverner les peuples. Les ministres sont aujourd'hui trop éclairés pour se laisser surprendre à la faveur de l'ignorance. L'imposture des siècles de barbarie est trop décriée pour qu'on puisse s'abuser au point de ne concevoir la religion que comme un instrument de gouvernement, qu'il n'appartiendrait qu'aux prêtres seulement de mettre en jeu, en leur accordant une entière indépendance de l'autorité séculière ; ils s'exposeraient ainsi à toutes les chances périlleuses de l'intolérance. Si une religion est intolérante, il est impossible d'empêcher les prêtres de ce culte de s'en faire un dogme, et mon intention n'est pas ici de contredire ce dogme ; mais malheur à l'humanité si on l'arme de la puissance ; c'est alors que l'intolérance, guidée par un zèle peu éclairé, et par un fanatisme cruel, renouvellerait bientôt toutes les atrocités inquisitoriales ; elle rappellerait ces siècles malheureux où les peuples étaient en proie à des superstitions grossières et féroces. Les innombrables guerres de religion, dont l'histoire inexorable nous a transmis les récits les plus authentiques, nous apprennent jusqu'où l'esprit de parti a ensanglanté les gouvernements dominés par le fanatisme. On y voit des prêtres audacieux animés par un esprit de domination et altérés d'une soif inextinguible des richesses et des honneurs de ce bas monde, se livrer à tous les vices et se permettre des crimes en tout genre, qu'ils ne considéraient que comme des moyens nécessaires et légitimes, pour assurer le succès de leurs projets ambitieux. Tout semblait leur être permis, et foulant à leurs pieds les divins préceptes de Jésus-Christ et la morale chrétienne et évangélique la plus pure, la mauvaise foi et le parjure ne leur coûtaient rien et ils commettaient, sans honte comme sans remords, de pieuses fraudes de pieuses calomnies, de pieux empoisonnements, de pieux assassinats, non seulement juridiques mais même de guet-apens et le tout pour la gloire de Dieu, pour l'intérêt de la religion, et en général pour le plus grand bien de la fin spirituelle. C'est de cet infernal principe qu'est née la doctrine impie du régicide que tant de prêtres et tant de moines prêchèrent avec audace et persévérance de vive voix et dans leurs livres imprimés, et que plus d'une fois ils mirent eux-mêmes en pratique. Si malheureusement les hommes d'Etat auxquels le monarque accorde sa confiance, continuaient à se laisser asservir sous l'influence des prêtres et à subir le joug anarchique du Clergé, leur coupable condescendance nous reporterait inévitablement à ces temps de calamité, où des moines, des prêtres et des prélats, sollicitaient, et provoquaient des lois inexorables et sanguinaires, et non contents de donner le scandale de voter ces lois de sang, ils parvinrent à se constituer eux-mêmes juges de tous les délits en matière de foi, et à faire couler à grands flots le sang des victimes qu'ils immolaient à leurs implacables vengeances, et faisaient brûler vifs des schismatiques, des hérétiques, des Juifs, etc.… et trop souvent des hommes riches qu'ils faisaient périr pour s'emparer de leurs dépouilles. Mais détournons les yeux de tant d'horreurs, qu'on ne pourra nous reprocher d'avoir exagérées, et qui d'ailleurs se reportent à des époques plus ou moins reculées. Nous n'avons signalé de pareils désordres, que dans l'intérêt de la dignité royale et de l'autorité ministérielle ; celle-ci doit en effet s'affranchir de la servitude honteuse qui pèse visiblement sur elle, et revenons enfin au mandement sur lequel nous avons cru devoir publier quelques réflexions. Pour apaiser la sévérité de M. l'archevêque de Rouen envers les fidèles que son mandement veut réprouver, en fulminant contre eux, et sans l'aveu du Gouvernement, une pénalité dont les effets deviendraient inévitablement civils, nous lui adresserons les propres paroles du garde des sceaux de Montholon qui, au nom du roi et des Etats-Généraux de Blois, tenus le 16 octobre 1588, dit au clergé : Avant de chercher à réformer les autres, commencez par vous réformer vous-mêmes. Pour mettre le clergé sur la voie de se réformer lui-même, avant d'exiger des autres une réforme qu'il ne prêche pas d'exemple, nous renverrons MM. les évêques à la lecture des pages 344 à 355 du présent ouvrage, et en attendant nous transcrirons ici le IVme canon du concile de Carthage que les prélats de nos jours sont si éloignés de mettre en pratique. « L'évêque doit avoir son petit logis près de l'église ; ses meubles doivent être de vil prix, sa table pauvre. Il doit soutenir sa dignite, par sa foi et sa bonne vie. » (Concile de Carthage, IVme canon année 398.) Rien de plus clair, rien de plus précis, que la volonté de cette loi ; elle est tout à fait dans l'esprit évangélique et apostolique. Or, si les évêques prétendent faire valoir envers les fidèles les anciennes lois ecclésiastiques, il serait indigne pour me servir des propres expressions du pape Jules, à un évêque, ou à un prêtre, de refuser de suivre les règles canoniques de l'Eglise. En conséquence, les fidèles qui se trouvent frappés par le mandement de M. l'archevêque de Rouen, sont bien en droit de lui rappeler les obligations qui lui sont imposées à lui-même, par les propres lois qu'il veut appliquer aux autres : ainsi le magnifique palais qu'il habite dans sa ville archiépiscopale, ses hôtels somptueux à Paris, doivent se fermer, à la citation que nous lui faisons, et lorsqu'il se sera décidé à descendre dans un petit logis, près de l'église, à n'avoir que des meubles de vil prix, une table pauvre, et qu'il soutiendra, selon le canon du saint concile de Carthage, sa dignite, par sa foi, son abstinence et sa charité, alors il aura toute la raison imaginable de forcer les autres à suivre un code qui deviendrait alors obligatoire pour tous ; mais avant tout, il doit, ainsi que les évêques, ses vénérables collègues, donner l'exemple et observer la loi pour l'appliquer aux autres fidèles. Les laquais, les cuisiniers, les carrosses, les tableaux, les glaces et tout ce qui est objet de luxe, doit disparaître d'un évêché, car tout cela est proscrit par la simplicité de notre religion, qui est la religion du pauvre et de l'humble. Combien seraient grands les prélats qui de nos jours sauraient ainsi s'exécuter ? Combien leur voix serait entendue de tous les fidèles ! Ils seraient pour la religion de Jésus-Christ les apôtres les plus solides et les plus dignes d'admiration ! Ils opèreraient des conversions sans nombre, parce qu'en fait de religion, l'exemple est le seul moyen d'agir avec certitude et succès. **** *book_ *id_body-6 *date_1825 *creator_henin_de_cuvillers TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS CE VOLUME. Adjuration de la profession de comédien, exigée par le clergé, page 75 ; ne peut avoir lieu à l'égard des comédiens du troisième âge, qui sont institués par la puissance séculière, pag. 127 ; c'est un délit que commet le clergé de l'exiger, et les procureurs du Roi doivent en connaître, pag. 132, 134. Aix, en Provence (procession d'), remplie d'obscénités et de scandales, pag. 203 ; les jésuites donnent un ballet à l'archevêque, pag. 243 ; Amiens, fête des fous, danses dans l'église, pag. 321. Ane (procession de l'), à Vérone, pag. 275, à Sens, pag. 292 ; à Autun, pag. 312. Archeveques ou eveques des fous, élus chaque année dans nos cathédrales, pag. 280. Arnoux de st.-jean baptiste, carme déchaussé d'Orléans, faisait signer aux femmes des contrats de mariage avec Jésus-Christ, pag. 327. Autun, fête des fous, de l'âne et des sous-diacres, pag. 312. Ballet donné par les jésuites à l'archevêque d'Aix, pag. 243 ; un autre donné à Paris par les mêmes, dans lequel figuraient Vénus, Cupidon, et tous les autres dieux de la mythologie, pag. 244. Basoche (clercs de la), pag. 106. Beauchateau, comédien, sa piété et sa bienfaisance, pag. 365. Beauvais (procession de), pag. 266, 293, et 312. Besancon, fête des fous, scandaleuse, et profanation de l'église, pag. 318. Boudins et saucisses, mangés par les diacres et les sous-diacres, sur les autels, pendant certaines orgies, pag. 282, 316. Bouteille, chanoine d'Evreux, fait une fondation singulière, pag. 262. Cardinaux, princes de l'Eglise apostolique et romaine, sont les premiers protecteurs des comédiens, pag. 164. Chalon-sur-Saone (procession de la danse des chanoines à), pag. 256 ; autre cérémonie scandaleuse dans la cathédrale, pag. 288. Chaumont, en Bassigny (la diablerie de), pag. 322. Clement (Jacques), prêtre et dominicain, assassine le roi de France Henri III à l'instigation des jésuites et du clergé de France révolté, pag. 333. Clerge, seconde l'institution des comédiens en France, pag. 88 ; fournit la chapelle de la Sainte Trinité, pour y faire jouer la comédie, pag. 91 ; paie les comédiens représentant les mystères, pag. 93 ; tolère que les farceurs représentent la Sainte Eglise, et le pape la tiare en tête, dans la comédie de Mère Sotte, pag. 99 ; remplit lui-même, dans les églises, des rôles d'acteurs et de comédiens, pag. 128 ; fait un abus de pouvoir, et commet un délit en blâmant et punissant l'exercice d'une profession instituée et protégée par les lois civiles et les diplômes de nos rois, pag. 131 ; les procureurs du roi doivent poursuivre ce délit, qui consiste dans la demande de l'abjuration, et dans le refus de sépulture, pag. 134 et suiv., et 282 ; le clergé emploie deux poids et deux mesures dans sa conduite envers les comédiens ; cette divergence tourne contre lui, par les preuves singulières qu'on en fournit, pag. 159 ; les cardinaux, princes de l'Eglise, sont les protecteurs de nos premiers comédiens, pag. 164 ; l'abbé Perrin est lui-même directeur de l'Opéra de Paris, pag. 167 ; les papes, chefs de l'Eglise, instituent des théâtres de leurs propres deniers, et les organisent, pag. 168 ; les cordeliers, les capucins, les augustins, tous prêtres de l'Eglise romaine, présentent des placets aux comédiens, pour en obtenir des aumônes, et ils promettent de prier Dieu pour le succès de leur troupe, qu'ils ont la politesse de nommer chère compagnie, pag. 175 ; les comédiens n'étant pas excommuniés dénoncés ne sont point soumis aux anathèmes de l'Eglise, et les prêtres qui les leur appliqueraient devraient être, selon les lois ecclésiastiques, suspendus de leurs fonctions, pag. 182 ; processions, messes et autres cérémonies religieuses, pratiquées par le clergé, qui sont remplies d'obscénités et de scandales, et bien plus nuisibles à la religion que les comédies, pag. 201 ; élection des archevêques et évêques des fous, dans les orgies des diacres et sous-diacres, pag. 280 ; le clergé en habits de mascarade et de théâtre, pag. id. Boudins et saucisses, mangés sur les autels, pendant ces orgies, les encensoirs profanés, par de vieilles savates que le clergé y brûle, au lieu de parfum, pag. 282 ; les diacres et sous-diacres jouaient aux dés et aux cartes sur les autels, pag. id. Ils se promenaient dans des tombereaux remplis d'ordures, et en jettaient au peuple, p. id. Les vicaires, à Dijon, courent avec des fifres et des tambours dans les rues, p. 289 ; dans la cathédrale de Viviers, le jour de la fête des Saints Innocents, le clergé introduisait des gens masqués et déguisés, qui chantaient des chansons impies, et dansaient dans la nef et le chœur de l'église, pag. 316 ; les chanoines et le clergé d'Autun conduisent un âne en procession, pag. 312 ; les prêtres, les diacres et sous-diacres d'Amiens dansent et font des orgies dans l'église, pag. 321 ; les évêques, ducs de Langres, et pairs ecclésiastiques, reçoivent des brevets de la société de la Mère Folle de Dijon, qui sont dignes des Ribauds les plus caractérisés, pag. 323. Les prêtres qui commettent des délits et des crimes sont sujets à la loi commune, et il n'y a aucune exception en leur faveur, pag. 337 et 360 ; les évêques et les prêtres manquent eux-mêmes à la discipline qui leur est imposée par les lois de l'Eglise, pag. 344 et suiv. ; ils ne doivent avoir avec eux aucune, mais aucune femme, ni servante, pag. 347, 348 et 350 ; on en donne la raison plausible, pag. 351 et 352 ; les prêtres qui faussent leurs serments envers les souverains et qui attentent à leur vie sont anathématisés par les conciles, pag. 331 ; Henri III reproche au clergé de France de l'avoir fait assassiner, pag. 333⁎ et suiv. Dénombrement du clergé, pag. 346⁎. Comedie (de la), chez les anciens, pag. 34 et 59. Comediens, chez les Grecs et les Romains, pag. 1 ; en France, pag. 63 ; prennent leur origine dans les confrères de la Passion de N.S.J.C., société de pèlerins qui s'était réunie pour jouer les saints mystères, pag. 85 ; obtiennent en 1402 des lettres patentes de Charles VI, pag. 90 ; et de François 1er en 1518, pag. 94 ; sont obligés par arrêt du parlement de Paris, de 1548, de ne plus établir leurs comédies que sur des sujets profanes, pag. 101 ; succèdent entièrement aux confrères de la Passion, pag. 103 ; obtiennent des privilèges, p. 107 ; leurs pièces soumises aux procureurs du roi, pag. 108 ; ils sont admis au Louvre et protégés du roi Louis XIV, pag. 112 ; la législation change en leur faveur, pag. 114 ; jouissaient à l'exclusion des autres classes du privilège de conserver leur noblesse, pag. 116 ; leurs droits comme citoyens dans l'Etat, pag. 125 ; leur profession étant instituée et protégée par les lois civiles et les diplômes du prince, ils n'en sont plus comptables au clergé, pag. 131 ; l'abjuration que le clergé exige de leur profession, ainsi que le refus de sépulture, qu'il leur fait à leur décès, sont des délits que les procureurs du Roi doivent poursuivre devant les tribunaux, pag. 134 et 282 ; ils font l'aumône aux cordeliers, aux capucins, aux augustins, qui la leur demandent par placet, et qui promettent de prier Dieu pour leur chère compagnie, pag. 175 ; les comédiens n'étant pas excommuniés dénoncés, le clergé ne peut leur faire l'application des anathèmes, pag. 182 ; saints et saintes honorés par l'Eglise romaine, et qui ont été comediens, pag. 193 ; piété et bienfaisance de Beauchâteau comédien, pag. 365⁎. Conciles d'Elvire et d'Arles qui excommunient les histrions, pantomimes, gens de cirque, farceurs et bateleurs, pag. 66, 127 : Confreres de la passion, comédiens du troisième âge, voyez pèlerins. Contrat de mariage, bizarre et singulier, qu'un carme déchaussé d'Orléans faisait signer aux femmes, pag. 327. Cornards ; la fête des cornards est réunie à celle de l'âne, qui se pratiquait dans les églises cathédrales, pag. 291. Cours plenières de nos rois, pag. 71. Crimes du clergé, et assassinat d'Henri III et d'Henri IV, pag. 333⁎. Danses pratiquées par les prêtres et les chanoines dans les diverses cathédrales de France, et infiniment plus scandaleuses que celles qui se pratiquent sur nos théâtres, pag. 282, 283, 285, 309, 316 et 321. Denombrement du clergé, pag. 346⁎. Diacres, s'abandonnent à la débauche et aux excès du vin, dans la fête des fous, célébrée dans plusieurs cathédrales de France, pag. 279 et suiv. Dieppe (procession et messes de), pag. 245. Dijon, fête des fous, pag. 289 ; association de la Mère Folle, brevet singulier délivré à l'évêque de Langres, pag. 323. Disciplinants à Madrid et à Séville, leurs processions flagellantes et libidineuses, pag. 269. Discipline ecclesiastique, négligée par les prêtres et les évêques, on les y rappelle en leur citant les divers canons qui leur sont personnels, pag. 344 et suiv. Dans les états de Blois tenus en 1588, le roi Henri III fait signifier au clergé qu'il ait à rentrer dans la discipline qui lui est propre, pag. 332⁎. Encensoirs de nos églises, profanés par les diacres et les sous-diacres qui y brûlaient de vieilles savates, pendant certaines orgies, pag. 282. Espagne, processions scandaleuses, pag. 269 et 274. Etats de blois tenus en 1588 et dans lesquels la nation et le roi Henri III font signifier au clergé de rentrer dans la discipline imposée par les lois ecclésiastiques, pag. 332⁎. Evêques ou archevêques des fous, élus chaque année dans nos cathédrales, pag. 280. Eveques, discipline qu'ils doivent observer et qu'ils laissent dans l'oubli, pag. 344 et suiv., pag. 355. Evreux (la procession noire du chapitre d'), pag. 257 ; fondation du chanoine Bouteille, pag. 262. Excommunication prononcée par les conciles d'Elvire et d'Arles, contre les gens de cirque et de théâtre, les pantomimes, farceurs, histrions et bateleurs, pag. 66 ; ne peut plus être appliquée aux comédiens du troisième âge, pag. 131 et suiv. ; ils ne sont pas excommuniés dénoncés, pag. 182. Excommunications contre les fidèles qui enfreignent les canons des saints conciles ; diverses catégories, pag. 154. Femmes ; aucunes femmes, ni servantes ne doivent habiter dans les presbytères, avec les prêtres ou curés, pag. 347, 348 et 350 ; on en donne la raison plausible, pag. 351 et 352. Fete des fous dans plusieurs cathédrales de France, pag. 279 et suiv. ; 289. Fierte (procession de la), à Rouen, pag. 264. Fous (fête des) dans plusieurs cathédrales de France, pag. 279, 289 et suiv. Gargouille à Rouen (procession de), pag. 264. Henri iii assassiné par le clergé de France, pag. 333⁎. Histrions, gens de cirque, pantomimes, bateleurs et farceurs, pag. 65 ; excommuniés par les conciles d'Elvire et d'Arles, pag. 66 ; proscrits par la législation de Charlemagne, pag. 69 et 75. Jesuites, pag. 162 ; leur procession scandaleuse de Mâcon, pag. 236 ; celle de Luxembourg dans laquelle ils introduisent toutes les divinités du paganisme, pag. 242 ; ils aiment la danse et donnent un ballet à l'archevêque d'Aix, pag. 243 ; ils donnent un autre ballet à Paris, pag. 244 ; leurs maximes horribles et subversives de toute puissance temporelle, pag. 335⁎ et suiv. Jongleurs, espèce de comédiens, pag. 77, 81. Langres, les évêques de Langres donnent des statuts à la société connue sous le nom de Mère Folle à Dijon, et en recoivent des brevets qui sont dignes des Ribauds les plus caractérisés, 323. Ligue (procession de la), pag. 267. Lisieux, cavalcade du clergé le jour de la Saint-Barnabé, pag. 321. Lully, pag. 113 et 123. Luxembourg ; les jésuites y font une procession scandaleuse, dans laquelle ils introduisent toutes les divinités du paganisme, pag. 242. Macon, procession bizarre et scandaleuse faite par les jésuites, pag. 236. Madrid (procession de), pag. 274. Maires des communes doivent surveiller la conduite des ecclésiastiques de leur canton, pag. 339. Mere folle, à Dijon (association de la), brevet singulier délivré à l'évêque de Langres, pag. 323. Mere sotte, à Paris, association de comédiens et personnages de théâtres, pag. 99. Moliere, pag. 112 et 161. Moralites, sortes de pièces de comédies, pag. 92 et 106. Orleans (procession d'), pag. 266. Contrats de mariage qu'un carme déchaussé faisait signer aux femmes, pag. 327 ; supercherie des cordeliers de cette ville, pag. 332. Ossat (cardinal d'), son discours sur la miséricorde, pag. 148. Papes, chefs de l'Eglise, instituent des théatres de leurs propres deniers, et organisent les comédiens, pag. 168 et suiv. Papes des fous, élus dans certaines cathédrales, pag. 281. Pelerins, revenant de la Palestine, se constituent en confrérie de la Passion de N.S.J.C., représentent les mystères et y joignent la farce au bout, ils sont l'origine des comédiens du troisième âge, pag. 85. Obtiennent des lettres patentes de Charles VI, pag. 90, et de François 1er en 1518, pag. 90 ; s'associent avec le prince des sots, chef de farceurs, pag. 97 ; se retirent à l'hôtel de Bourgogne et sont obligés par arrêt du parlement de Paris de 1548 de cesser la représentation des mystères, et de ne plus établir leurs comédies que sur des sujets profanes, pag. 101, ils cèdent leurs privilèges, pag. 103. Plaisantins et conteurs, espèce de comédiens, pag. 73. Poetes qui ont excellé dans la comédie chez les anciens, pag. 38. Prince des sots et ses sujets, sorte de farceurs, associés aux confrères de la Passion, pag. 97. Processions, messes et autres cérémonies religieuses pratiquées par le clergé, et dans lesquelles il commet des obscénités et des scandales qui sont bien plus nuisibles à la religion, que les représentations des comédies, pag. 201 et suivantes. Procession d'Aix en Provence, pag. 201. Procession des jésuites à Mâcon, pag. 237 ; et des mêmes à Luxembourg, pag. 242. Procession de Dieppe, pag. 245. Procession de la danse des chanoines à Chalon-sur-Saône, pag. 256. Procession du chapitre d'Evreux, pag. 257. Procession de gargouille ou de la fierte à Rouen, pag. 264. Procession d'Orléans et de Beauvais, pag. 266. Procession de la ligue, pag. 267. Procession de Nivelle, en Brabant, pag. 268. Procession des disciplinants en Espagne, pag. 269. Procession de la Fête-Dieu à Madrid, pag. 274. Procession de la Fête-Dieu à Milan, pag. 274. Procession de l'âne, à Vérone, pag. 275. Procession du rosaire à Venise, pag. 276. Procureurs du roi, furent chargés de la censure de nos premières comédies, pag. 108 ; ils doivent connaître du délit que le clergé commet en demandant l'abjuration de la profession de comédien, instituée par nos lois civiles et par les diplômes du prince et en faisant le refus de sépulture, pag. 134, 138 et 143 ; les comédiens n'étant point excommuniés dénoncés ne sont pas passibles des anathèmes, pag. 182 ; ils doivent surveiller la conduite des ecclésiastiques de leur arrondissement, pag. 339. Puissance séculière, c'est la puissance du prince, elle est établie par Dieu même, et tous les fidèles doivent s'y soumettre, pag. 338 ; le prince, comme protecteur des saints canons de l'Eglise, a une surveillance et une autorité spéciale sur les prêtres, pag. 338, 357, 359 et 360 ; elle a la suprématie sur la puissance ecclésiastique, et les conciles anathématisent les prêtres qui faussent leurs serments envers les souverains et qui attentent à leur vie, pag. 331⁎. Reims ; fête scandaleuse qu'on pratiquait dans la cathédrale, pag. 285. Richelieu (le cardinal de) protège nos premiers comédiens, pag. 164. Rouen, procession de Gargouille et de la Fierte, pag. 264 ; fête des fous et de l'âne, pag. 313. Saints et saintes, honorés par l'Eglise romaine, qui ont exercé la profession de comédiens, pag. 193. Saucisses et boudins mangés par les diacres et sous-diacres, sur les autels, dans les églises, pendant certaines orgies, pag. 282. Savates (vieilles) brûlées dans les encensoirs par les diacres et les sous-diacres pendant leurs orgies, pag. 282. Sens, fête des fous et de l'âne, pag. 289. Sepulture (refus de) fait par le clergé aux comédiens, pag. 75 ; est un délit à l'égard des comédiens du troisième âge, qui sont institués par les lois civiles, et les diplômes de nos rois, les procureurs du roi doivent en connaître, pag. 134, 135 et 182. Servante ; aucune servante ou femme ne peut habiter dans un presbytère, avec les prêtres ou curés, pag. 347, 348 et 350 ; on en donne les raisons plausibles, pag. 351, 352. Tarbe (M.), littérateur distingué à Sens, pag. 289. Tragedie (de la) chez les anciens, pag. 35 et 45. Troubadours, pag. 77 et 83. Venise, procession plaisante du rosaire, Verone, procession de l'âne, pag. 275. Viviers, fête scandaleuse, pag. 315.