**** *book_huerne_epitre_1761 *id_HDT_17 *date_1761 Délicieux séjour, Olympe des Mortels, Où l'Amour a son Temple, et Vénus ses Autels, Paris, je vous revois ; déjà mon œil découvre La Forêt de Cythère et perce jusqu'au Louvre : Tout fixe mes regards ; d'un côté j'aperçois La Retraite de Mars et le Tombeau des Rois. C'est dans ce monument que les Dieux de la Terre Viennent en pâlissant déposer leur tonnerre ; Fastueux Mausolée où le superbe orgueil, Du plus sain des Bourbons a creusé le cercueil : Plus loin de ces vallons pour arroser la Plaine, Je vois en serpentant disparaître la Seine ; Mais quels nouveaux objets s'offrent de toutes parts ? Qui fait ainsi courir Paris aux Boulevards ? De femmes et d'enfants quelle affreuse cohue Je vois en se heurtant déboucher de la rue ! Grands Dieux ! Que d'embarras ! Que de Cabriolets ! Que d'Abbés ; de Coureurs ; de Robins ; de Valets ! Etourdi par les cris, le bruit et les injures, Je traverse au milieu de six rangs de voitures, Pour demander quel est ce Spectacle nouveau : J'entends crier : Entrez, c'est ici Ramponeau, Monseigneur ; Ramponeau : voyons : entrez, mon Prince ; Me dit le harangueur : arrivant de Province Je crus tout bonnement que quelque rareté, Excitant du Public la curiosité, Attirait ce concours de filles désœuvrées, De Ducs, de Freluquets et de Femmes titrées ; Là : près d'une Intendante assise en rang d'oignons Figurait sur un banc la Marmotte Fanchon ; La Fille d'Opéra coudoyait la Duchesse, Et Damis séparait sa femme et sa maîtresse : Mais on lève la toile, et Ramponeau paraît. Un Manant ridicule est le plaisant objet Qui rassemble Paris : honteux je me retire, Et laisse mes Badeaux qui se pâmaient de rire.  Du plus beau lieu du monde, aimables Citoyens, Vous verra-t on toujours occupés de Pantins ; Déserter les Français pour courir les Parades ? Quel plaisir trouvez-vous à ces turlupinades, A ces fades discours, à ces sales propos, Que débite un Pasquin monté sur deux traiteaux ? De Vadé voulez-vous enrichissant la plume, Des proverbes de Halle augmenter le volume ? Que Lise chaque soir, au sortir de son lit, Vienne sur les Remparts en cornette de nuit, A l'abri de deux stores dérobant sa figure, Promener tristement son antique voiture ? Lise a raison ; son tein soutient mal le grand jour : Mais B⁎⁎⁎, M⁎⁎, mais d'E⁎⁎, dont l'amour Arrondit l'embonpoint, et calqua la figure, Sur le moule piquant des Grâces d'Epicure ; Sont faites pour orner ce superbe jardin, Qu'au siécle des Beaux-Arts un compas à la main, Le Nature dessina pour décorer le Louvre. Telle dans ces jardins d'où l'œil au loin découvre, On voit dans le Printemps la Vénus de nos jours, Sous un berceau de myrthe assembler les Amours, Pour surprendre Zéphire au lever de l'aurore, Sur le sein d'une fleur, qu'il vient de faire éclore ; Les Grâces et les Ris accompagnent ses pas ; La fraîcheur du matin ajoute à ses appâts ; Le Nature sourit en la voyant si belle, Et Zéphire la prend pour une fleur nouvelle ; Mais où court mon esprit ? de ces Remparts poudreux Me voici transporté dans le Palais des Dieux ; De peur de m'égarer, regagnons notre Sphère ; D'Icare redoutons le projet téméraire. Quiconque de trop près approche du Soleil, Sans pouvoir l'éviter, doit craindre un sort pareil.  Dans un char élégant mollement étendue , Quelle Divinité se présente à ma vue ! Un vernis répandu sur des panneaux dorés, D'un cristal transparent, avec art séparés, Défend de vingt Magots la grotesque figure ; Deux rapides coursiers enlèvent la voiture, Et la Déesse approche : ô temps ! ô siécle ! ô mœurs ! Quoi ! tu parais encore après tant de noirceurs ? Quand Paris qui te hait, sans rappeler tes crimes, En nommant tes amants peut compter tes victimes ? Oses-tu te montrer, méprisable Astraudi Bâtarde d'un hautbois, épouse d'un bandit, D'un imbécile amant, trop insolente idole, D'Egmons te doit la mort, Licidas la vérole Fuir son déshonneur, l'Univers du mépris : Mais quelle autre Beauté ? quelle est cette Laïs ? A sa main jadis rude, aujourd'hui satinée, Pour de bonnes raisons si souvent savonnée : A son air, à son geste, à ce regard mutin, A ce joli sourire, à cet air libertin, Sous un nom emprunté je reconnais Victoire, Elève d'un Couvent d'une illustre mémoire, Des bras de la Paris un Abbé l'enleva ; Au fait des grandeurs un Comte l'éleva ; De Varenne parée en pompeux équipage, Du luxe de nos jours fut la brillante image : De même que l'insecte une fois papillon, Ne jouit qu'un instant de sa belle saison, En un jour élevée, en un moment déchue, On la verra bientôt barboter dans la rue.  Mais l'heure approche où sur un Théâtre bouffon, Confident d'un héros et vainqueur d'un griffon, Au mépris de Cothurne Arlequin doit paraître ; C'est là qu'on voit Favart, maîtresse de son maître, Pour s'en faire épouser contredire un vieillard ; Où déguisant sa voix sous l'habit savoyard, Tête-à-tête au Café le soir à la sourdine, Vis-à-vis son mari surprendre Coraline. On y voit Catinon par l'attrait des plaisirs, D'un trop volage époux réveiller les désirs, Pour regagner son cœur, n'employant que ses charmes, A Saint Far enchanté faire rendre les armes. Aimable Catinon, dont l'art si séduisant De plaire et de charmer est le moindre talent, Du Public connaisseur tu ravis le suffrage, Moi je prétends te rendre un plus sensible hommage, Il est digne de toi, puisqu'il t'est présenté ; Ton cœur en est l'objet, le mien me l'a dicté. Quoi ! déjà tout finit, et la vive Camille Pour le séjour des Dieux abandonnant la Ville, Des trois Grâces suivie, et son fils dans les bras, Va priver les Mortels de ses riants appâts : Vénus toutefois prête à quitter sa toilette, Adressa ce discours à plus d'une Coquette. Il n'est qu'un seul moyen de parer la Beauté, C'est l'Amour : ce miroir sans cesse consulté, Ne vous y trompez pas, apprend mal l'art de plaire, Le cœur conseille mieux dans l'amoureux mystère ; Belles qui m'écoutez, quand vous saurez aimer, Mon fils vous montrera comme on peut enflammer.  Le soir chez mes amis devenu Parasite, J'entendrai Darnoncourt pénitent Sybarite, Regrettant les erreurs de sa belle saison, Peindre l'art de jouir en prêchant la Raison ; Et nouveau Sectateur des Lois de la Nature, Prétendre en fait d'amour, quoiqu'en dise Epicure ; Que l'instant qu'on oppose aux plus pressants désirs, Mûrit la jouissance, et triple les plaisirs. J'irai sortant de table applaudir au Théâtre, A ces jeux défendus que Grandmont idolâtre, Juger à son début l'Ouvrage d'un Auteur Qui souvent attend tout du talent de l'Acteur. J'y verrai Dumesnil, ou plutôt Melpomène, Attirant tout Paris sur la tragique Scène, D'une Amante offensée imitant les fureurs, De sa haine étonner, ou remplir tous les cœurs ; Quelquefois immolant d'innocentes victimes, De Médée à nos yeux retracer tous les crimes. Souvent aux pieds d'un Monstre altéré de son sang, D'Egisthe reconnu caresser le Tyran. Je reverrai Clairon maîtresse de la Scène En longs habits de deuil sous les traits de Chimène Contre un cher ennemi, tendre objet de ses pleurs, Craindre de décider par ses vives douleurs La Justice d'un Roi qui l'aime, et qui balance, Ou Camille en fureur respirant la vengeance, Contre les jours d'un frère en ses criminels vœux Soulever la Nature, et l'Enfer, et les Cieux ; D'un laurier tout sanglant lui reprocher la gloire, Et le forcer enfin à souiller sa victoire. Successeur de Dufresne ; héritier séduisant De son rare talent ; toi qui représentant Les vertus des héros, leurs crimes, leur faiblesse, Au jeu le plus brillant joins l'âme et la noblesse, LeKain, que tu me plais, quand maître de mes sens Tu me fais éprouver tout ce que tu ressens ! Soit que fils vertueux d'une coupable mère, Servant d'un Dieu vengeur l'implacable colère, Tu sortes tout sanglant du tombeau de Ninus ; Soit que fils criminel du stoïque Brutus, Tu pleures dans les bras d'un Romain trop sévère : Mais quand voyant briller entre les mains d'un père, Sur le sein d'Hypermnestre un poignard suspendu, Tu peins le désespoir d'un amant éperdu, Tous les cœurs partageant ta douleur et ta rage, Volent pour désarmer le tyran qui t'outrage.  Mais tout change ; et je vois trompant leurs surveillants, A l'aide d'un Valet, intriguer deux amants ; Sous le masque des Ris, la fine Dangeville, Jouer d'après nature, et la Cour et la Ville ; Tantôt d'un jeune objet servant la passion, Ecarter un témoin qui n'est point de saison ; L'instant d'après, Coquette ou Bourgeoise à la mode, D'un mari tout uni faire un époux commode ; Ou lorgnant un Galant, retirée à l'écart, Pour lui rendre un poulet, minauder avec art ; Soubrette inimitable, adroite, gaie, unie, Pour la peindre en trois mots, rivale de Thalie, Cette immortelle Actrice est seule sans défauts ; Dumesnil a ses jours, et Grandval des égaux ; Là, j'apperçois Gaussin, cette charmante Actrice Déguisée en Agnès, d'un air simple et novice, Exprimer ses désirs par sa tendre langueur, Et peindre dans ses yeux les miracles du cœur ; Retrouver dans l'Oracle une mine enfantine, Ou du Comte d'Olban triompher dans Nanine.  Préville, Acteur charmant, admirable Crispin de Charles Palissot de Montenoy en 1754. Que tu me divertis ! quand d'un Abbé Poupin, Empruntant l'air, le ton, le geste et la figure, Tu viens en manteau court prendre place au Mercure.  Et toi, qui dans ton jeu, des plus vives couleurs, Nuance, en t'amusant, le tableau de nos mœurs. Que tu peins bien un Fat ! puisque tel que tu joues, Lui-même en s'admirant t'applaudit et te loue. Quelquefois Misanthrope, ou Raisonneur fâcheux ; Aujourd'hui Philosophe, et demain Glorieux ; Mais surtout affectant une froideur extrême, Quand surpris par l'Amour, et guidé par lui-même, Tu fais avec tant d'art, triompher Marivaux. Grandval, je me dédis ; tu n'as point de rivaux.  Le lendemain, je vole à ce Palais Magique, Qu'anime encor Lulli de sa tendre Musique, Un sceptre de cristal en ses débiles mains, L'Amour dans ces beaux lieux gouverne les humains ; Respirant sous ces lois, on y voit cent Prêtresses Annoncer ces faveurs, et vanter leurs faiblesses. Là, le Miere en chantant montre l'art de charmer. Larrivée dans ses sons apprend celui d'aimer : Que vois-je ? La Lany de son exacte danse Par ses pas mesurés annonce la cadence : Que d'aisance ! que d'art ! que d'accord ! d'union ! Quelle légéreté ! quelle précision ! Oui, dans ces temps féconds que tout Paris nous vante, Camargo fut moins vive, et Salé moins brillante ; Ne pense pas, Lany, que dans les plus beaux jours, Ton air trop sérieux éloigne les amours ; Vénus ne voulant point rester seule à Cythère, En te cédant les sœurs, s'est réservé le frère ; Je connais la coquette ; elle aura craint tes jeux ; Mais, crois moi, cet enfant le plus malin des Dieux, Avec certain fripon, qu'on nomme le mystère, Pour t'aller retrouver, saura tromper sa mère.  Mais quel nuage affreux vient obscurcir le jour ? Tout annonce l'horreur, je ne vois plus l'amour ; C'est Armide qui vient d'esprits environnée, Un poignard à la main, de serpents couronnée. Elle cherche Renaud : la rage est dans son cœur ; Ce Renaud, qui bientôt doit être son vainqueur, Est l'objet détesté que poursuit sa vengeance : La cruelle avec joie essayant sa puissance, D'un coup de sa baguette éléve, anéantit ; L'Enfer, les Élémens, et le Jour et la Nuit A ses ordres soumis respirent sa tendresse, Ou servent en courroux sa fureur vengeresse. La Palais du Destin environné d'éclairs, Sur les ailes du temps soutenu dans les airs, Descend du haut des Cieux : l'avenir y préside ; C'est lui que sur son sort vient consulter Armide. En vain tu hais Renaud, lui dit-il…, pour toujours De lui seul dépendra le bonheur de ses jours ; D'un Dieu charmant telle est la volonté suprême, J'ai prononcé l'Oracle, il l'a dicté lui-même. Aux ordres du Destin, esprits, obéissez. Démons, rentrez sous terre, affreux cahots, cessez, Armide a vu Renaud ; Renaud n'est plus coupable : (Peut-on encor haïr ce qui paraît aimable ?) Tout change en un instant ; la nuit fait place au jour ; Mortels, reconnaissez le pouvoir de l'Amour : Le Palais s'envolant disparaît dans la nue, Un Parterre aussitôt le remplace à ma vue ; Du grand Servandoni magique illusion, Effet de sa brillante imagination : Tout n'est qu'enchantement ; sous l'habit de Colette Arnoud subjugue Mars : le son de la trompette Rappelle en vain ce Dieu dans les champs de l'honneur ; Plus content, plus heureux de posséder son cœur, Qu'il n'était autrefois jaloux de la victoire, Pour la suivre il renonce aux hasards, à la gloire ; Et livrant sans danger, de plus tendres combats, Il met tout son bonheur à mourir dans ses bras. L'amour excuse tout, dans le siècle où nous sommes, Le Plaisir est le Dieu, qu'encensent tous les hommes ; Nous vivons pour jouir ; il suffit d'être heureux, On est justifié dès qu'on est amoureux.  Ainsi dans ces jardins embellis pour te plaire, Qu'on prendrait pour Paphos, Amathonte, ou Cythère ; Couppé, quand un regard lancé de tes beaux yeux, A donné le signal d'un combat amoureux ; Sous ces ombrages frais, asiles du mystère, Sur un lit de gazon qui touche à la fougère, Tu suis un Prince aimable, et les jeux, et les ris, Tandis que chaque mois, pour cinq fois dix louis, D'un paillard impuissant, Poupone avec adresse. Electrise les sens flétris par la vieillesse : Ou que par passe-temps, ruinant un Fermier, La Deschamps met Crésus sur son ancien fumier.  Mais j'entends de doux sons ; et la Vestris arrive, On dirait qu'elle veut, par sa marche lascive ; Du libertin Boucher, échauffant le cerveau, A peindre Messaline, exciter son pinceau : O toi qui sans danser, te pâmant en mesure, Fais passer dans nos cœurs un rayon de luxure ; Quand te reverra-t-on, pour ton bien, notre honneur, Pour le repos du monde, et ton propre bonheur, En pet-en-l'air de gaze, au retour du Théâtre, Prodiguant tes trésors de corail et d'albâtre ; De ces fiers ennemis contre nos jours armés. Vengeant sur ton sofa les Français opprimés, Plus que tous nos vaisseaux nuisible à l'Angleterre, Dans le sein de la Paix leur déclarer la guerre :  C'est ainsi qu'à Paris au milieu des Plaisirs, Vivant sans embarras, sans projets, sans desirs ; Du tableau du Moment variant la journée, J'attendrai désormais la fin de chaque année.