**** *book_lelevel_reponse-a-la-lettre-d-un-theologien_1694 *id_body-1 *date_1694 *creator_lelevel FRONTISPICE REPONSE A LA LETTRE DU THEOLOGIEN DEFENSEUR DE LA COMEDIE A PARIS Chez Theodore Girard, dans la grand' Salle du Palais, près la porte de la Salle Dauphine, à l'Envie M DC XCIV Avec Privilege du Roy. **** *book_lelevel_reponse-a-la-lettre-d-un-theologien_1694 *id_body-2 *date_1694 *creator_lelevel AVERTISSEMENT. Ce n'est point ici une affaire personnelle, tout le public est intéressé dans la question dont il s'agit, et il n'y a personne qui n'y prenne part : elle regarde également la Religion et la société civile. Cela ne saurait être indifférent : si toute sérieuse qu'elle est, je quitte souvent le ton sérieux, c'est que malgré qu'on en ait, l'Auteur donne lieu à la plaisanterie. Et peut-être est-il aussi à propos de faire sentir le ridicule de l'erreur que le sublime de la vérité. J'ai tâché à instruire et à ne pas ennuyer : si j'y ai réussi je ne pouvais pas mieux faire. **** *book_lelevel_reponse-a-la-lettre-d-un-theologien_1694 *id_body-3 *date_1694 *creator_lelevel Extrait du Privilège du Roi. Par Privilège du Roi, donné à Paris au mois de Mars 1694. Signé Dugono : Il est permis à M⁎⁎⁎ de faire imprimer la Réponse à la Lettre d'un Théologien défenseur de la Comédie, pendant le temps de huit années ; avec défenses à tous autres de contrefaire ladite Réponse, à peine d'amende, confiscation des Exemplaires, et autres peines portées par ledit Privilège. Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, le Avril 1694. Signé AUBOIN, Syndic. Et ledit Sieur ⁎ ⁎ ⁎ a cédé son droit au présent Privilège à Théodore Girard, Libraire à Paris, suivant l'accord fait entre eux. **** *book_lelevel_reponse-a-la-lettre-d-un-theologien_1694 *id_body-4 *date_1694 *creator_lelevel Réponse à la lettre du théologien, défenseur de la comédie. Comme il n'y a point eu de siècle plus fécond en bien et en mal que celui où nous vivons, il n'y en a point eu aussi où l'on ait tant fait valoir les bonnes et les mauvaises choses. Pendant que des personnes éclairées travaillent à perfectionner les Arts, à éclaircir les vérités essentielles, à faire triompher la Religion du libertinage, on voit des hommes hardis, remplis de l'esprit du Monde, ou pleins d'eux-mêmes, qui prennent le parti des sens et des passions, et fournissent ainsi des armes aux sensuels et aux superbes. L'un attaque l'autorité de l'Ecriture ; l'autre fait une Tradition à sa mode. Celui-ci semble vouloir substituer la Morale des Païens à celle de Jésus-Christ, et nous faire passer la sagesse Stoïque pour la folie de la Croix : Celui-là fait d'un amour propre, qui ne tend qu'à la conservation du corps, le fondement de la Morale; par la soustraction de toute vérité nécessaire anéantit la Religion, et par la loi du plus fort qu'il prétend établir, ébranle les fondements de la société et de la paix. En voici un, Religieux, Professeur en Théologie dans son Ordre, Directeur des âmes, qui suspend l'exercice de ses emplois pour parler en faveur de la Comédie. Que dis-je ? il fait de cette entreprise, partie de son ministère, et a la témérité non seulement de souffrir que sa Lettre soit jointe au recueil des Comédies de son Ami, mais encore d'en distribuer lui-même des copies, et de tâcher ainsi à se mettre en crédit aux dépens de la Théologie et de la Religion. Pendant qu'un Prince du milieu des délices de la Cour, se déclare par ses écrits contre le Théâtre profane, et en découvre les désordres ; un Religieux du fond de son Cloître en prend le parti, et ranime son zèle pour les Spectacles. Les Comédiens eux-mêmes en seront peut-être surpris ; mais en tout cas il ne pouvait trouver un expédient plus sûr pour emporter l'estime et l'approbation des libertins, des hommes sensuels, et des femmes mondaines. Mais que peut-il attendre des gens de bien ? Apparemment il ne demande pas leurs suffrages, il s'en tient à celui des amateurs de la Comédie : je ne prétends pas aussi le réformer par cet écrit, mais seulement le faire taire ; ou du moins détruire les raisons qu'il apporte pour faire passer le vice sous les apparences de la vertu. Notre Théologien trouve que les Docteurs Scolastiques ne sont pas d'accord avec les Pères de l'Eglise et les Conciles touchant la Comédie. Cela l'embarrasse. Mais enfin obligé de prendre parti, « Les Pères, dit-il, assurent qu'on ne peut pas assister à la Comédie. Les Scolastiques soutiennent le contraire. Tâchons donc de nous servir de cette règle de saint Cyprien » ; que la raison doit expliquer ce que l'Ecriture a voulu taire ; « et faisons nos efforts pour concilier les conclusions des Théologiens avec les décisions des Pères de l'Eglise ». Pour faire cet accord, il ne s'en fie pas à lui-même, il se sert de l'organe de saint Thomas, et il fait si bien qu'il trouve que ce saint Docteur approuve la Comédie. La règle de saint Cyprien est excellente : la doctrine de saint Thomas est raisonnable, et celle de notre illustre Théologien n'en est pas moins digne de pitié ; il peut s'en convaincre, s'il veut se rendre attentif au sens de ces paroles qu'il rapporte lui-même. « Si quelqu'un entretenait des Comédiens qui jouassent d'une manière scandaleuse et illicite, je ne doute point qu'il ne péchât comme s'il les entretenait dans le péché ». Voilà le cas. Il s'agit de savoir si les Comédiens de nos jours jouent sans scandale, et d'une manière qui soit licite. Je prétends que non : et si je le prouve, il faudra que le Révérend Père tombe d'accord qu'il s'est mépris grossièrement lorsqu'il a confondu nos Comédies avec les divertissements nécessaires pour délasser un Esprit ordinairement appliqué à des affaires sérieuses et importantes ; qu'il s'est oublié lorsqu'il a dit, « que de ne pas aller à la Comédie quand les autres veulent y aller, c'est s'attirer avec sujet le nom de sauvage et de grossier » ; qu'enfin il est à plaindre de ne pas voir que le Théâtre Français ne se peut sauver du jugement de saint Augustin, qui dit que de donner son bien aux Comédiens c'est un vice capital, et non pas une vertu : « Immane vitium, non virtus. » C'est apparemment la grande politesse dont le Théologien se pique, qui le rend si favorable à la Comédie : « illustre » qu'il est « par sa naissance », il ne saurait voir tant d'âmes de qualité qui ne peuvent se passer de Comédiens, sans entrer dans leurs maximes. A Dieu ne plaise qu'il soit de ces Esprits rustiques et peu sociables qui s'opposent à des plaisirs « innocents », tels que sont ceux de la Comédie. « Il sait vivre » : et au fond rien ne lui paraît plus élevé que les grands sentiments d'une vertu Stoïque ; rien de plus naturel que la tendresse d'un cœur qui brûle d'un beau feu ; rien de plus légitime que les autres passions qui naissent d'une haute ambition, et d'un amour bien allumé. Cette disposition l'empêche de trouver que l'Ecriture soit contraire au Théâtre ; et que dans le précepte de mortifier ses sens, et de faire violence à la nature, soit compris celui de détester la Comédie. Suivons présentement notre Théologien dans ses raisonnements. Il veut nous faire voir par une foule d'ennuyeuses citations qu'il est savant : Mais enfin tout ce qu'il dit en plusieurs pages se réduit là. « Que si les Pères se sont tant déchaînés, contre la Comédie, ça a été parce que de leur temps l'excès, en était criminel et immodéré ; et que s'ils l'avaient trouvée comme elle est aujourd'hui, conforme aux bonnes mœurs, et à la droite raison, ils ne l'auraient pas tant décriée... Ne vous imaginez pas, dit-il, qu'on n'y dît autrefois que des ordures, on y blasphémait le nom de Dieu. » Je ne m'arrêterai donc pas à faire assaut d'érudition contre le Père. Cela ne mènerait à rien. Je veux que nos Comédies tant imitées de celles des Anciens en soient fort différentes : Mais je voudrais savoir ce que c'est selon lui, que « blasphémer et dire des ordures ». N'est-on blasphémateur et impudique que lorsqu'on dit de gros mots, et qu'on se montre tout nu ? Celui qui par ses mouvements mesurés et par ses expressions sensibles allume dans le cœur d'un autre le feu criminel dont il est embrasé lui-même, passe-t-il pour chaste dans l'Ordre du Révérend ? Celui qui parle comme ne s'appuyant que sur ses propres forces, comme tirant de lui-même la plus pure vertu et le bonheur le plus parfait, qui transporte à la Créature ce qui est dû au Créateur, est-il exempt de blasphème et d'adultère dans l'école du Théologien ? Assurément ce Directeur des âmes ne sait pas sa Religion. Qu'il suspende un peu la direction pour méditer la Morale Chrétienne, il apprendra que c'est moins par tels gestes et telles paroles, que par les mauvaises dispositions excitées en nous-mêmes et dans les autres que nous insultons à Dieu, et que nous nous livrons au Démon. « La Comédie, dit-il, considérée en elle-même, n'est pas plus mauvaise, que les Anges, les herbes et le fer. Mais c'est le Démon qui la change, l'altère, et la gâte. » D'où il conclut que la Comédie est en elle-même « indifférente ». C'est conclure sans façon par la chose qui est à prouver, et d'une comparaison tout à fait raisonnable. J'avoue qu'un Théâtre, une décoration, une musique, un homme ou une femme récitant des vers, ou de la prose, sont des choses en elles-mêmes indifférentes, ou qui peuvent être bien ou mal employées, comme les herbes et le fer dont on se peut servir pour la vie ou pour la mort. Mais si chacune de ces choses est accommodée à la corruption de la nature ; si toutes unies ensemble elles conspirent à faire oublier Dieu, à jeter l'homme du côté des sens, à remplir son cœur de l'amour des créatures, la Comédie sera-t-elle bonne, sera-t-elle indifférente ? Le Démon ne l'aura-t-il point gâtée ? Ne sera-t-il point arrivé aux Comédiens la même chose qu'à certains Anges, qu'aux meurtriers et aux empoisonneurs ? J'atteste sur cela la conscience du Théologien. Toutes les danses, tous les chants des « Opéras », tous les vers, toutes les déclamations des Comédies font-elles naître autre chose en nous que des sentiments profanes, ou directement opposés à la mortification et à l'humilité Chrétienne ? Je connais un Poète qui est en cela de meilleure foi que notre Théologien, il reconnaît que nos Spectacles attendrissent les cœurs, et qu'on y apprend à aimer ce qu'il serait à propos qu'on n'aimât point. En effet les Comédiens ont-ils d'autre but que de donner du plaisir en remuant les passions ? Et irait-on jamais les entendre, si l'on n'y recevait pas les émotions agréables que des passions toujours injustes, mais naïvement représentées, produisent en nous ? Peut-être aussi conviendra-t-on que jamais homme n'est revenu de la Comédie, plus chaste, plus modéré, plus religieux ; mais qu'il n'est pas rare d'en sortir plus passionné, plus moqueur, plus dissipé, plus mondain. Le poison y est préparé. On l'y avale. Le fer y est aiguisé. On s'y couvre de plaies. Que ce soit l'intention des Comédiens, ou que ce ne la soit pas, nous n'en avons que faire. Cela est ainsi, et il n'est pas possible que cela soit autrement. C'est la loi de l'union de l'âme avec le corps, que les impressions reçues dans les organes soient accompagnées de divers sentiments, et par conséquent de dispositions bonnes ou mauvaises selon la nature de ces impressions. Nulle puissance créée ne peut suspendre cette loi. C'est la nature de l'homme. Pourquoi donc un Théologien vient-il aujourd'hui, contre une expérience universelle, abuser du langage des saints Docteurs, pour autoriser des Spectacles qu'ils n'ont jamais regardés qu'avec horreur, en y supposant les circonstances qui s'y trouvent de nos jours, aussi bien que de leur temps ? « J'ai remarqué, dit-il, que plus les Pères s'approchent de nous, plus ils s'adoucirent à l'égard de la Comédie. Il en apporte la raison. C'est que la Comédie se corrige et se perfectionne tous les jours. » Cette remarque est de lui. La découverte est heureuse. « Elle ne lui paraît pas méchante. » Voilà qui va bien. Mais afin que les autres en pensent comme lui, il faut qu'il marque en quoi la Comédie se corrige. Est-ce dans la manière ou dans les sentiments ? Je soutiens qu'elle ne se corrige point dans les sentiments, et que si elle se corrige dans la manière, ce n'est que pour mieux séduire les cœurs. On sait assez que des paroles et des actions trop impudentes causent souvent du dégoût. Une expression ménagée, et un peu de retenue dans la posture agit plus sûrement, et l'Acteur ou l'Actrice par ses manières délicates, et sous ses apparences de pudeur ne manque point de porter le coup mortel. C'est ici que je pourrais marquer les dérèglements secrets qu'un port de voix, un soupir, une parole entrecoupée produit sur le champ. Je parlerais sans deviner : mais le respect dû au public ne me le permet pas. On m'entend. C'est assez. C'est pourquoi accordons à notre Théologien que saint François de Sales et saint Charles Borromée « approuvent les Comédies modestes, et ne condamnent que les déshonnêtes et les impies ». La condition supposée. Rien n'est tant condamné par ces grands Saints que les Comédies ordinaires, puisque les cœurs s'y enflamment d'un amour impudique : ce qui est « très déshonnête » ; et qu'ils s'y livrent aux créatures, ou qu'ils s'y enivrent d'eux-mêmes : ce qui est le comble de l'impiété. On dira peut-être que bien des gens qui vont à la Comédie ne sentent point qu'elle produise en eux ces effets, mais je réponds que c'est mauvais signe. Ils vont à la Comédie remplis des plus funestes habitudes : la Comédie ne fait que les entretenir dans l'état où elle les trouve ; ils n'ont garde de sentir son action. On voit donc que la doctrine des Pères se soutient également dans tous les siècles, et que le Théologien les accorde aussi mal à propos qu'il les oppose les uns aux autres. Ce qu'il dit ensuite mérite d'être remarqué. « Les saints Pères qui ont parlé si fortement contre les Comédies, ne l'ont pas fait avec moins de force contre les jeux de cartes, de dés : ils ont crié contre les banquets, contre les festins, contre le luxe, contre les parures, contre les bâtiments superbes, contre la magnificence des maisons, la richesse des ameublements, la variété des peintures… L'on ne fait pas cependant tant les scrupuleux sur ce chapitre que sur celui de la Comédie. » Voila sans doute un raisonnement bien concluant. Il est permis à Monsieur de s'habiller selon sa condition. Donc il faut lui permettre la Comédie. Monsieur « vit à son aise ». Donc il ne doit pas condamner la Comédie. « Il vit avec une honnête modération. » Donc il doit approuver la Comédie où il n'y a point d'excès. Que tout cela néanmoins ait une liaison parfaite, j'y consens : Mais pour ne pas faire les scrupuleux sur le chapitre de la Comédie en sera-t-elle moins mauvaise ? Et si le Père veut nous convaincre de son religieux sentiment, ne doit-il pas nous prouver qu'il n'y a pas moins de justice et d'innocence dans nos Comédies, que de crime et d'injustice dans les dépenses excessives qu'on fait en bâtiments, en peintures, en meubles, en habits, en repas, ou du moins qu'il n'y a ni plus ni moins à la Comédie que dans un repas modéré. Donnons-lui le loisir. Il nous fera voir que cette femme qui donne quatre Louis pour une loge, et pour entendre des « fadaises » durant trois heures, ne fait pas trop de dépense ; que le pauvre sans pain, sans toit, et sans habit n'a rien à dire là ; qu'enfin le temps et l'argent de cette femme sont également bien employés : il y joindra même si l'on veut de quoi rassurer les consciences sur le jeu, le luxe, et la bonne chair. Car il est accommodant, et il ne manque à sa Théologie que les maximes de l'Evangile. Autre raisonnement qui est pas moins singulier dans son espèce. « Marie sœur d‘Aaron dansa au son des tambours, et elle mérita par cette action. Selon le Roi Prophète, Benjamin était au milieu des jeunes filles qui jouaient du tambour ; Dieu promet aux Juifs qu'après leur retour de la Chaldée ils danseront, et joueront des tambours ». Donc les Comédies telles qu'elles se font parmi nous ne sont pas mauvaises. Et le Directeur des âmes, sans aller davantage aux opinions, « n'obligerait pas un pénitent à s'en abstenir ». Sur ce fondement, « que Dieu non seulement permet les danses et les plaisirs, mais les promet lui-même ». Je ne sais pas s'il y eut jamais de plus grande illusion que celle-là. Afin qu'il n'y manque rien le Théologien s'imagine que son sentiment est le même que celui d'Albert le Grand ne pouvant comprendre, que ce Docteur loue des actions indifférentes en elles-mêmes, produites par un bon principe, et rapportées à une bonne fin : des actions que la reconnaissance envers Dieu produit : au lieu que la Comédie ( j'entends toujours celle qui est reçue parmi nous) n'est point indifférente, n'a pour principe que la corruption du cœur humain, n'a pour fin que d'exciter des passions toujours injustes ; ou quelque fin qu'on lui donne ne produit jamais que des fruits de malédiction, comme je l'ai déjà fait voir. Pourquoi Dieu promet-il aux Juifs « qu'ils danseront et joueront des tambours » ? C'est qu'il prévoyait qu'ils se réjouiraient dans le rétablissement de leur Ville, et de leur Temple ; et que leurs familles nombreuses, leurs abondantes moissons, leur santé, leur longue vie, leurs victoires, qui devaient être les récompenses de leur fidélité à la loi, leur fourniraient continuellement la matière de nouvelles réjouissances. C'était toujours par ces sortes de biens, ou par des punitions éclatantes que Dieu les conduisait. Mais sont-ce « des flûtes et des tambours » que Dieu nous promet ? Trouve-t-on des danses et des symphonies attachées à la pratique de l'Evangile ? et la Comédie suppose-t-elle notre régénération en Jésus-Christ ? Notre Théologien qui au commencement de sa Lettre ne trouvait rien dans l'Ecriture ni pour, ni contre la Comédie, ne devait pas y revenir, pour mettre Dieu dans le parti des Comédiens. Il fait beau après cela l'entendre définir, la Comédie. « Elle fut, dit-il, inventée par les Grecs pour reprendre librement les vices des plus grands Seigneurs, et pour les en corriger… On y doit peindre le vice avec les plus noires, mais avec les plus vives couleurs, pour le faire craindre. On y doit mettre la vertu dans le plus beau jour, et l'élever par les plus grands éloges pour la faire pratiquer. » Et selon lui, cela se fait. La Comédie, selon lui, est donc moins un divertissement qu'une école de vertu et de crainte salutaire. Mais où est celui dont elle a rendu l'âme timorée, et qui est devenu homme de bien par son moyen ? Le bon Père avec toute son érudition ne sait pas l'origine de la Comédie. Qu'il me suive s'il le veut bien, je l'y vais mener si je puis : et là peut-être il comprendra quels fruits elle est capable de produire. Depuis que l'homme par sa désobéissance au Créateur se fut rendu dépendant de son corps, les sentiments dont il fut prévenu à tout moment le rendirent ridicule dans toute sa conduite ; parce que la raison s'étant trouvée comme éteinte sous la multitude de ces sentiments, il n'était plus possible qu'il agit en créature raisonnable. C'est précisément le principe des railleries que les hommes ont faites les uns des autres dès le commencement du Monde. Au moment de la chute de l'homme, la Terre devint un grand théâtre, qui dans la suite se trouva couvert d'une infinité de différents personnages, tous plus ridicules les uns que les autres, puisque la raison retranchée, il ne reste que le ridicule. Mais ce qui est étonnant, c'est que de ce ridicule même les hommes aient su se faire des plaisirs : voici comment ils en sont venus à bout. La raison n'a point été tellement éteinte en eux qu'ils n'aient bien connu les défauts les uns des autres : mais comme les sentiments, qui sont les suites des impressions qu'on a reçues des objets sensibles ont toujours prévalu dans le courant du Monde, personne durant plus de quatre mille ans n'a pu se connaître soi-même. De manière que d'une part sentant le désir de la perfection : d'autant que ce désir est lié avec si peu de raison qu'il nous reste ; et de l'autre ne découvrant point le chemin pour y arriver, on a pris le parti de s'observer et de se critiquer les uns les autres ; et non seulement on a su se réjouir par cette voie, mais encore chacun a su tirer de là comme un témoignage de son excellence, parce qu'il ne se peut que celui qui critique ne s'imagine être plus parfait que celui qui est critiqué. Ainsi, les hommes ne pouvaient mieux faire qu'ils ont fait pour sortir entièrement de l'usage de la raison, et être toujours répandus au-dehors. C'est l'effet naturel des sentiments qui les remplissent. Et ils ne pouvaient pousser la corruption plus loin. Quand on se fait de son opprobre un divertissement, ou qu'on prend plaisir à se reprocher en diverses manières les uns aux autres un mal dont tous sont également accablés, ce mal ne peut pas être plus désespéré qu'il est. Il n'est pas difficile de concevoir que dans cette disposition générale du genre humain ceux qui ont eu le cerveau propre à recevoir des images vives et nettes ont eu beaucoup d'avantage sur les autres : aussi ne les ont-ils pas épargnés, et ils ont su donner à leurs Critiques tant de différents tours, que ceux mêmes qui en étaient l'objet ne s'y sont pas reconnus, et qu'il a été facile de les assembler pour les jouer en leur présence. Gens de tout âge, de toute condition, de toute profession hommes et femmes de mille différents caractères ont paru : ce qu'on appelle « Comédie » a commencé, et personne n'a manqué d'attribuer à son voisin ce qui convenait le mieux à lui-même. De sorte qu'on ne peut mieux définir la Comédie, qu'une « assemblée de railleurs ou personne ne se connaît, et où chacun rit des défauts qui les rendent tous également coupables et ridicules ». Les Païens qui n'avaient rien qui les rappelât à la raison, qui n'avaient nulle connaissance de leur état, qui corrompaient toute l'idée que chacun a de la perfection, qui se fabriquaient des Religions uniquement propres à entretenir les passions, ont excellé dans cet art ; et regardant l'homme ou par l'excellence de sa nature, ou par le ridicule de sa conduite, sans pénétrer jusqu'à la source de nos maux, ils ne débitaient que des bouffonneries, ou des vertus chimériques. Les Bouffons promettaient d'exterminer le vice à force de le représenter dans leurs Comédies : et les sérieux promettaient de faire vivre la vertu à force d'en faire voir l'éclat dans leurs pompeuses Tragédies : tous aveugles qui ne voyaient pas que le vice leur était devenu naturel, et que la vertu n'était pas à leur portée. C'étaient pourtant les seuls Maîtres que le commun des Païens pouvait avoir. Aussi le vice inonda-t-il la Terre de plus en plus : et ce qu'on y appelait vertu ne fut-il jamais qu'une pure ostentation. Qu'on compare notre Théâtre avec celui des Anciens, nos Acteurs avec ceux de Plaute et de Térence ; et qu'on me dise si pour avoir reçu la lumière de l'Evangile nous en sommes devenus plus sages ? Je vois une Académie de Musique où l'on fait de l'orgueil et de la confiance en soi-même la plus sublime vertu, où l'on en fait une autre de la tendresse amoureuse. De misérables créatures y affectent la puissance et la majesté divine ; elles veulent faire servir toute la Nature à leurs passions ; on n'y réveille que des idées profanes, on n'y travaille qu'à enchanter les âmes par les sens. Je défie qu'on trouve rien de plus fort dans le Paganisme. Que prouve donc l'usage des Spectacles chez les Religieux réguliers, dans les Collèges où le Père les sait si fréquents ? Que prouve la présence du Souverain Pontife à ces Spectacles, où le Père le place si noblement ? Elle prouve ou que ces Spectacles sont très différents de ceux de Lully et de Molière ; ou que la corruption se glisse parmi les personnes qui en devraient être les plus exemptes. Comme si notre Théologien avait presque achevé son grand ouvrage et triomphé de ces dévots ignorants qui blâment sans connaître, il prend son ton moqueur, et répond ainsi à ceux qui croient que la Comédie est mauvaise, parce qu'elle est défendue dans les saintes Ecritures. « Jusqu'à présent, je l'avoue, je croyais qu'on défendait les choses parce qu'elles étaient mauvaises ; et non pas qu'elles fussent mauvaises parce qu'elles étaient défendues. » Ainsi, selon ce nouveau Docteur, il n'est pas à propos de croire qu'une chose est mauvaise, quoique l'Ecriture la défende, à moins qu'on ne reconnaisse que cette chose est mauvaise en elle-même. Si tous les hommes étaient aussi éclairés que lui, il ne serait pas surprenant qu'il exigeât cela de tous : mais puisque la plupart manquent de lumière, et ne peuvent pas toujours discerner entre le bien et le mal, qu'il souffre que l'Ecriture le discerne pour eux, qu'ils s'en tiennent à ce qu'elle ordonne, et qu'ils jugent qu'une chose est mauvaise quand l'Ecriture la défend. Mais enfin tous les passages de l'Ecriture qu'on voudrait lui opposer, lui sont favorables, et Albert le Grand répond pour lui. Il est vrai qu'Albert le Grand considère la Musique et la Danse selon l'usage que David et la sœur de Moïse en faisaient ; et que notre Théologien a pour objet des jeux, où l'esprit du Monde et les passions triomphent : mais Albert le Grand a parlé de jeux, de danses, de Spectacles, c'est assez pour appuyer le Théâtre, et laisser vivre sans remords les Comédiens. Dites que les « Comédiens sont notés d'infamie par le Digeste de Justinien. » Ce n'est pas ce qui embarrasse le Révérend Père ; et je ne crois pas que qui que ce soit s'en embarrasse beaucoup. Mais il n'est pas nécessaire de s'être beaucoup usé les yeux sur l'Antiquité pour savoir que les gens de Théâtre ont toujours été réputés infâmes : et si les Rois, les Prêtres et les Religieux qu'on suppose ici sur la Scène ne sont pas réputés tels, ce ne peut être que parce qu'ils n'en font pas profession, et que peut-être cela ne leur arrive qu'une fois dans leur vie. C'est que naturellement on est persuadé que la Comédie ne sert qu'à entretenir le vice, et à nous endormir dans nos honteuses misères. Floridor aura été si l'on veut Gentilhomme et Comédien, il est noble après sa mort : il a été noble et infâme. Car encore un coup, l'infamie est nécessairement attachée à un emploi qui ne sert qu'à corrompre les mœurs, et à éteindre la Religion. Le Théologien perd un peu contenance sur l'anathème fulminé par plusieurs Conciles, et exprimé dans les Rituels contre les Comédiens. Il donne le change, et tâche à échapper en disant que l'Eglise n'a pas épargné davantage les dés et les cartes. Il trouve étrange « qu'on refuse de justes adoucissements en faveur de la Comédie, et qu'on en trouve si facilement à l'égard des autres jeux . » Mais de quoi se plaint-il ? Ne joue-t-on point assez de Comédies ? On en joue, dira-t-il. Mais « certains Docteurs, ou du moins qui se piquent de l'être, les condamnent ». Ils ont grand tort : mais certains ne condamnent-ils point les jeux de hasard ? Ou parce que des Abbés, des Prêtres, des Evêques, s'il en faut croire le Théologien, jouent aux cartes et aux dés malgré toutes les lois Ecclésiastiques, faut- il abandonner tout un Peuple à des Spectacles où il ne peut que se corrompre et oublier ce qu'il doit à Dieu ? Certainement ceux qui font profession de jouer aux cartes et aux dés, ou qui passent la plus grande partie de leur vie dans ces sortes de jeux, ne sont pas moins coupables que les Comédiens, et les amateurs de Comédies. Mais quoique le crime soit égal en tous, et que l'Eglise les ait souvent rejetés avec la même indignation, parce que les uns et les autres demeurent dans des habitudes mortelles, elle ne se déclare hautement néanmoins que contre ceux qui font profession publique de faire triompher les passions ; elle refuse à ceux-là publiquement et invariablement sa Communion, parce qu'elle sait que l'amour des biens célestes ne peut subsister dans le cœur de cette sorte de Chrétiens qui lèvent, pour ainsi dire, l'étendard pour l'orgueil et la sensualité. Tels sont les Comédiens, et ceux qui tiennent des Académies de brelan et de galanterie. Quant à ceux qui ne font qu'y porter leur argent, l'Eglise les attend au tribunal de la pénitence, pour prononcer à leur égard : si elle en excommunie quelques-uns, ipso facto, c'est toujours à cause des circonstances ou du temps, ou du lieu, ou des personnes. Telle est la discipline de l'Eglise, toujours sainte, toujours tempérée, toujours visant au bien général et particulier des âmes ; mais qu'apparemment le Théologien n'étudie guère. Mettons ce qu'il dit pour arriver à son but dans le jour le plus favorable qu'il est possible. Il compare nos Spectacles avec des festins qui se font pour satisfaire à certains usages, et par une sorte de bienséance, avec des meubles et des habits proportionnés au rang et à la dignité, avec les jeux de dés et de cartes, qui à la vérité sont un peu décriés ; mais pourtant où l'on ne peut trouver à redire, quand le désir du gain et ce qui l'accompagne n'y règne pas. Il demande ou qu'on cesse de condamner la Comédie, ou qu'on la laisse passer avec ces choses pour lesquelles on ne manque pas d'indulgence. La remontrance est de bon sens. Mais si le Père voulait bien avant toutes choses accorder un Spectacle accommodé aux sentiments de la concupiscence avec une Religion qui ne nous propose que le crucifiement des passions, et l'anéantissement de nous-mêmes, cela ne ferait-il point un bon effet ? Il lui siérait mieux, ce me semble, de prouver son sentiment par la connaissance de l'homme, et par les vraies idées de la Religion, que par des comparaisons qui loin d'éclaircir la matière, présentent à l'esprit plusieurs cas à la fois, et des cas qui demandent qu'on compare une infinité de circonstances, si on veut les décider avec quelque exactitude. Ainsi je ne désespère pas que le Père ne prouve bientôt dans les règles que la Comédie est semblable à un bon repas où tout se fait selon les lois de la Charité, et où l'on ne se réjouit que « dans le Seigneur ». « Dans les Diocèses, dit-il, où l'on se sert des Rituels les plus rigoureux on joue la Comédie : si elle mauvaise pourrait-on la tolérer ? L'illustre Prélat qui gouverne ce grand Diocèse, la souffrirait-il ? Tous les jours à la Cour les Evêques, les Cardinaux, et les Nonces du Pape ne font point difficulté d'y assister. Le Théologien a lu sur les affiches qu'on met au coin des rues, que la Comédie se joue avec Privilège du Roi, et par des Troupes entretenues par Sa Majesté. Et il a fait cette réflexion qui lui paraît « assez judicieuse » que ce qui se fait avec « le Privilège d'un si grand Prince ne peut être mauvais ». Le Père demandait des adoucissements en faveur de la Comédie ; En voila ce me semble, autant qu'il en peut souhaiter. Mais si tant de grands hommes revêtus des premières dignités de l'Eglise font si bien d'assister à la Comédie, d'où vient qu'il dit de lui, « qu'étant Prêtre, et devant l'exemple aux Fidèles il ferait autant de scrupules de s'y trouver que dans aucune autre assemblée de grand monde dont son état le doit éloigner ». Doit-il plus l'exemple aux Fidèles qu'un Evêque, qu'un Cardinal, qu'un Nonce ? Son état est-il plus saint que le leur ? Et quel scrupule se peut-on faire d'aller chercher de l'horreur pour le vice, et de l'amour pour la vertu, s'il est vrai que la Comédie inspire l'une et l'autre ? A entendre le Père, il songe plus à éviter les hommes « du grand Monde », que leurs passions. Il y aurait bien des choses à lui dire là-dessus ; mais il ne faut pas l'embarrasser. C'est assez qu'il ne puisse, sans démentir ses principes, refuser sa présence aux Spectacles, et la rétribution aux Comédiens. Il peut pourtant avoir des raisons pour ne faire ni l'un ni l'autre : mais je sais bien qu'il ne les tire pas de sa conscience ; et il m'avouera que si elles venaient à cesser, les Comédiens pourraient faire fond sur sa bourse. Sur la raison qu'il tire de la tolérance qu'a le Roi pour la Comédie, il est à propos de dire un mot. Le Monde présent étant fait pour le Monde futur, les Princes de la Terre doivent travailler pour l'Eglise : mais il ne s'ensuit pas qu'ils n'aient point d'autres règles à suivre que celles qu'a l'Eglise dans son gouvernement ; il suffit qu'ils fassent observer les lois divines et ecclésiastiques autant qu'il est en leur pouvoir, et qu'ils n'en fassent point de contraires. Ainsi, le Prince voyant que la plupart de ses sujets n'ont pas l'éducation qui convient à des Chrétiens, et craignant que faute d'occupation l'activité de leur esprit ne les portât à des excès qui renverseraient toute la société, il tolère la Comédie telle que nous la voyons accommodée aux sens et aux passions, comme un mal beaucoup moindre que ceux qu'il appréhende. Il fait d'ailleurs ce qu'il peut pour faire observer la loi de Dieu : il nous laisse instruire par l'Eglise, si nous n'en suivons pas les préceptes, c'est notre affaire. L'exercice de la puissance du Souverain se borne au bien et à la conservation de la société civile. Et il s'ensuit de là, ce me semble, qu'un certain Auteur qui s'est imaginé « qu'il faudrait ou fermer le Théâtre, ou prononcer moins sévèrement sur l'état des Comédiens », n'a pas trop bien rencontré. Si on ne ferme point le Théâtre, c'est par pure politique ; et si on le condamne, c'est par principe de Religion. Ce serait une chose étrange que l'ambition, l'avarice, l'ivrognerie, l'impureté fussent permises, parce que le Prince ne les défend pas. Ne suffit-il pas pour en connaître le crime de consulter la loi qui nous parle au fond du cœur ? Cherchons ce que cette Loi nous dit touchant la Comédie. Si nous n'entendons pas ses réponses, consultons l'Eglise qui l'a connue parfaitement. Nous pouvons, sans faire tort à l'Etat, ne pas suivre la Comédie. Nous ne pouvons nous en entêter sans contrister l'Eglise, et sans rompre l'union que nous avons avec Dieu. Nous ferons voir par le parti que nous prendrons, si nous sommes de vrais Chrétiens. Au reste, que le Théologien ne s'y trompe pas. Les hommes ont beau faire, ni leur autorité, ni leur présence, ni leurs applaudissements ne rendront point légitime, ne changeront point en bien, ce qui est mal, et ne feront point d'un spectacle qui anime toutes les passions, un divertissement raisonnable. Il ne paraît pas aussi que le « Prélat qui gouverne ce grand Diocèse », ait jamais donné lieu de le citer en faveur de la Comédie. On peut prouver au contraire que lorsqu'il en a trouvé l'occasion, il a fait sentir aux Comédiens ce qu'il est, et ce qu'ils sont. Pourquoi se trouve-t-il si peu de gens qui s'appliquent à distinguer ce qui est comme un remède au corps politique, d'avec ce que la Religion que nous professons peut souffrir ? On peut dans l'ordre civil permettre un mal dont les effets sont moins tumultueux, pour éviter des maux trop éclatants et sans remède. Mais la Religion est toute pure et toute sainte ; elle n'a jamais souffert et ne souffrira jamais aucun mal. Les doux mots de « remède », et de « divertissement » ne lui imposent point ; elle déteste tout ce qui est un mal en soi, tout ce qui nous lie à autre chose qu'au Créateur. La politique met l'ordre qu'elle peut dans les dehors, elle s'accommode à l'homme tel qu'elle le trouve ; mais la Religion va droit à l'intérieur, et tend à rendre l'homme tel qu'il doit être ; l'une n'a pour but que la conservation d'une société extérieure ; l'autre établit entre Dieu et nous une communion parfaite de sentiments et de pensées ; l'une et l'autre sont subordonnées, mais chacune a son objet déterminé. C'est précisément la solution de la difficulté qui se trouve à décider, si la Comédie est toujours permise, ou toujours défendue. Des Dames du premier ordre agiteront la question. Chacune d'elles prendra parti suivant son zèle, ou suivant le goût du siècle. Il se présentera quelques interprètes des sentiments de l'Eglise. La puissance qui fait taire, ou parler, quand il lui plaît, remettra l'affaire à leur jugement, dans une soumission parfaite aux règles de la conscience et de la charité. On les écoute ces interprètes, ils prononcent sans distinguer l'Etat d'avec l'Eglise, que la Comédie n'est pas un mal ; et ce qui ne manque jamais d'arriver entre gens de profession opposée, un Cavalier qui survient ne veut pas qu'elle soit permise. Les uns confondent volontiers l'Eglise avec l'Etat pour donner quelque chose à l'amour des plaisirs. L'autre ne veut rien distinguer, pour avoir le plaisir de les opposer à eux-mêmes. Cependant rien ne se décide, le mauvais esprit règne toujours ; et le Cavalier balancé par ses raisons, et par celles de ses adversaires leur donne l'alternative de l'Eglise, ou de la Comédie. Une décision sûre en pareil cas ne ferait-elle point également honneur à la Religion et à l'Etat ? Afin qu'on ne soit pas surpris que le Théologien qui n'a jamais été à la Comédie en parle si savamment, il nous apprend les moyens dont il s'est servi pour en connaître la nature. Premièrement, « il s'en est informé à des personnes lesquelles avec l'horreur qu'elles ont du péché, ne laissent pas d'assister aux Spectacles. » C'est apparemment une horreur qui ne les rend pas fort délicats : c'est même une horreur merveilleuse ; car elle fait ce qu'on n'aurait jamais pensé, elle rend compatible la crainte du péché avec une volonté constante et positive de contenter ses sens. Secondement, « il en a jugé par les confessions des Fidèles, où il a trouvé que les pauvres qui ne vont point à la Comédie sont aussi grands pécheurs que les riches qui entretiennent le Théâtre ». Si cela est ainsi, les pauvres sont bien à plaindre. Quelle est cette espèce de providence qui donne tant aux uns, et rien aux autres, qui ne dédommage pas de la privation des plaisirs des sens par les biens de l'âme ? Si la pauvreté ne sert plus à nous rendre vertueux, ou n'a nul avantage en cela sur les richesses, à quoi pensait Jésus-Christ d'appeler les pauvres bienheureux, et de dire anathème aux riches ? Qui ne fera pas après cela son unique affaire de se mettre dans l'abondance ? Il faut ici parler haut à notre Théologien, et sur son témoignage scandaleux lui déclarer qu'il ne connaît pas assez l'homme, ni les impressions que les objets sensibles font sur nous, pour se mêler de direction. Le troisième moyen dont il s'est servi, c'est la lecture des Pièces de Théâtre, où il proteste qu'il n'a jamais rien lu, « qui pût en quelque manière blesser le Christianisme, ou la pureté des mœurs ». Elles n'ont servi qu'à le « faire rire ». Apparemment il était bien aise; et on n'a rien à lui dire puisqu'il en est si content : mais il voudra bien qu'on croie toujours qu'il est rare d'avoir des sentiments de Religion, et de ne pas trouver le stoïsme de nos Poètes graves, très injurieux au Christianisme, et les bouffonneries de nos Comiques, très contraires à la charité et à la chasteté Chrétienne. Le Théologien a pourtant vu « mille gens d'une éminente vertu, et d'une conscience fort délicate, pour ne pas dire scrupuleuse, qui lui ont avoué qu'à l'heure qu'il est la Comédie est si épurée sur le Théâtre Français qu'il n'y a rien que l'oreille la plus chaste ne pût entendre ». Cette délicatesse de conscience est commode. Les scrupules qui naîtront de là ne seront pas importuns. Où sont ces âmes faibles qui croient toujours du mal où il n'y en a pas ? Qu'elles viennent ici apprendre à avoir des scrupules à propos. On saura bien les guérir et les instruire en leur donnant pour principe que le Théâtre Français est épuré, qu'il est moral, qu'il est Chrétien, que tout y est conforme à là piété et aux bonnes mœurs. Par là on aplanit les chemins, on éclaire l'esprit et on rassure le cœur. Tout ce que le Théologien a dit jusques ici est peu de chose en comparaison de ce qui suit. Il lui est aisé de faire voir « qu'aucune des conditions que demandent les saints Docteurs ne manque à la Comédie telle qu'elle est aujourd'hui… On n'y cherche pas, dit-il, le plaisir dans des paroles, ou dans des actions déshonnêtes. On n'y perd pas la gravité de l'âme. Elle convient à la personne, au temps, et au lieu … Si elle excite les passions, c'est par hasard. Et elle a cela de commun avec ce que nous voyons dans une Eglise, avec ce que nous lisons dans les Livres, avec ce que nous rencontrons à tous moments dans le commerce du Monde. » J'abrège son texte crainte d'ennuyer : mais je lui conserve toute sa force. Comment ose-t-il dire que des Spectacles où tout est ordonné pour exciter les passions, ne les excitent que « par hasard » ? Comment ose-t-il comparer les lieux où l'on est obligé de se trouver, soit pour les nécessités de la vie, soit par devoir de Religion avec des assemblées non seulement où l'on peut se passer d'aller, mais où il est toujours louable de n'aller pas, puisque le Théologien même par bienséance n'y va jamais. On peut aller à l'Eglise, passer dans les rues, et « faire pacte avec ses yeux », comme parle l'Ecriture, s'occupant uniquement de l'affaire du salut, ou de celles qui sont inséparables de la vie humaine. Mais peut-on aller à la Comédie pour ne pas voir ? Entre autres jolies choses le Père dit pour excuser la Comédie, faut-il que « parce qu'une femme est belle elle n'aille jamais à l'Eglise de peur d'y exciter la passion d'un libertin » ? Ou ce raisonnement ne signifie rien, ou il s'ensuit que les femmes ont droit d'aller à l'Eglise comme des Comédiennes au Théâtre. Les Pères qui ont tant crié contre les désordres qui naissaient de là n'y entendaient rien. Ils ne distinguaient pas entre le « scandale actif et le scandale passif ». Nos prédicateurs qui parlent comme les Pères ne « savent pas vivre ». Cette femme émeut un libertin ; Cela se peut. Mais c'est une « occasion prise, et non pas une occasion donnée ». Il n'y a nul danger d'exciter un libertin ; et on, ne doit point ménager celui qui ne l'est pas. Il en est des Spectacles comme des vignes. On ne s'enivre que parce qu'on veut bien s'enivrer. On n'est ému à la Comédie que parce qu'on le veut bien aussi. Voilà ce qu'on appelle les justes idées de la Morale ; Les Philosophes n'ont qu'à proscrire leur axiome, Objecta movent potentiam. Je veux que la Comédie n'excite les passions que « par hasard ». Où est l'homme sage qui voudra s'exposer à perdre la paix intérieure, et à éteindre l'esprit qui anime un vrai Chrétien, pour un divertissement frivole  N'est-il pas écrit que celui qui aime le danger y périra ? « Belles paroles ! pour un Orateur austère, dira le Père, mais peu solides pour un équitable Théologien... Que celui qui s'est trouvé en danger à la Comédie n'y retourne pas. » Mais un équitable Théologien comme lui doit-il ainsi mettre les âmes à l'épreuve ? Où est celui qui peut dire qu'un tel Spectacle ne le touchera pas ? Quoi ! un jeune homme qui n'a que des sens, sera présent à des Spectacles où la pompe du siècle est étalée, et où le sensible agit selon toute sa délicatesse et toute sa force, sans augmenter son esclavage ! Une jeune fille dont la raison est faible, et le cerveau tendre et délicat s'y trouvera sans contracter l'amour des grandeurs et des plaisirs ? Le Théologien n'y pense pas. Il débite des paradoxes, et au lieu de faire de la Comédie un divertissement agréable, comme il la toujours considérée, il en fait un exercice de contention, capable de rebuter les esprits les plus fermes et les plus propres à résister à leurs mouvements. Le voici maintenant qui veut montrer que ni ceux qui vont à la Comédie, ni ceux qui la composent « ne relâchent point leur esprit jusqu'à la dissolution de l'harmonie de l'âme. Il dit, qu'on ne force personne d'y assister ; et qu'après une journée de travail ce n'est pas trop qu'une heure ou deux de plaisir ou de relâche ». Ce ne sont donc que des personnes laborieuses qui remplissent le parterre et les loges de la Comédie. Ces femmes si bien peintes et si parées, ces Abbés si galants, ces Plumets si vifs et si animés viennent de travailler à des affaires sérieuses et importantes. C'est par cette raison « qu'ils ne perdent point la gravité de l'âme ». Notre Théologien croit sans doute parler à des gens de l'autre Monde. Mais ne vient-il pas des gens à la Comédie, qui ont travaillé tout le jour ? Oui, ce Partisan y vient après avoir travaillé pour s'enrichir, à la ruine d'une Province. Ce Magistrat y vient peut-être avec celle dont il a jugé le procès : leurs délassements et leurs travaux s'ajustent parfaitement. Eux et mille autres assistent au Théâtre sans ressentir la « moindre émotion ». Le Père a recueilli les voix ; et de plus il connaît si bien comment nous sommes faits, qu'il faut l'en croire sur sa parole. Le Théologien achève, en faisant l'éloge des Comédiens. Il emprunte pour cela les paroles de saint Thomas. Car en pareille occasion il faut une voix angélique ; et prenant lui-même la parole il assure qu'il « en a confessé plusieurs qui hors du Théâtre, et dans leurs familles, menaient la vie du monde la plus exemplaire. Ils joignent, dit-il, à leur devoir d'honnêtes gens celui de véritables Chrétiens. Ils vont à l'Eglise, ils fréquentent les Sacrements… Ils prennent sur la masse de leur gain de quoi faire des aumônes considérables. » Le Panégyriste se tourmente fort inutilement. L'Eglise n'exige pas des Comédiens qu'ils fréquentent les saints Sacrements : au contraire elle leur en interdit l'usage : elle exige qu'ils renoncent à leur infâme profession. Jusque-là elle ne les regardera ni comme Chrétiens, ni comme « honnêtes gens ». S'ils donnent l'aumône, tant mieux pour les pauvres qui la reçoivent : mais l'Eglise la leur conte pour rien, parce qu'elle sait que demeurant Comédiens, ils ne peuvent être touchés des biens qu'elle propose à ses enfants. Ce qu'il dit pour faire voir que les circonstances des temps, des lieux et des personnes rendent nos Comédies légitimes, répond à ce qui a précédé. Les circonstances requises sont, selon lui, que les Comédies ne se jouent point dans des Eglises, ou autres lieux particulièrement consacrés à Dieu : celles des personnes sont que des Prêtres ou des Religieux ne montent point sur le théâtre ; celles du temps sont que le divertissement public ne soit pas ouvert durant les heures destinées à l'Office divin, ou à la prédication de l'Evangile. Suivant ce beau plan, il lui est aisé de trouver son compte. Mais s'il faisait réflexion que tous les Chrétiens sont des Prêtres qui conjointement avec Jésus-Christ, le Prêtre éternel et le Souverain Pontife des vrais biens, doivent offrir à Dieu un seul et même sacrifice, qu'ils sont eux-mêmes le temple vivant où Dieu veut habiter, et qu'il n'y a pas un moment dans leur vie qui ne soit pour eux d'un prix infini par la sainteté de leur vocation. Si, dis-je, le Théologien avait pensé à cela, il aurait eu honte de prétendre excuser la Comédie par les circonstances des temps, des lieux, et des personnes. L'Hôtel des Comédiens n'est pas un Temple, on le sait bien. Les Comédiens ne disent pas la Messe, et n'ont fait ni vœu d'obéissance, ni vœu de chasteté, ni vœu de pauvreté. Cela est très vrai. Mais ils ont renoncé, dans le Baptême au monde, à la chair, et au Démon; et par ce divin Sacrement, chacun d'eux et de leurs spectateurs est devenu et sacrificateur, et l'Autel même où se doit égorger la victime que Dieu demande de chacun de nous. Qu'un homme quitte l'habit de Prêtre, ou de Religieux pour prendre celui d'un Bateleur ; et représenter, en mascarade un Saint qui est dans la gloire, cela n'est que ridicule ; mais que des âmes rachetées du Sang de Jésus-Christ, destinées à la mortification et à la pénitence enfantent un attirail propre à corrompre les cœurs, et s'arment, pour ainsi dire, contre la Croix et l'Esprit de Jésus-Christ, c'est l'excès de l'abomination. On sait bien que les Prêtres et les Religieux ont des obligations particulières, qu'ils doivent l'exemple et l'instruction : ce qui a fait dire aux saints Docteurs, que ce qui ne serait qu'une faute légère dans un séculier, serait un crime dans un Ministre des Autels, ou dans celui qui s'est consacré à Dieu par de nouveaux vœux ; mais je soutiens que tous les Chrétiens indistinctement sont obligés à une même pureté de cœur, à une même sainteté. Tous ont été rachetés du même Sang, ils en ont été également arrosés, tous doivent donc produire les mêmes fruits et en tous temps, et en tous lieux. Il est à propos, selon le Théologien, les jours de Fêtes, et de Dimanches, lorsque l'Office divin est achevé, d'aller à l'Opéra, ou à la Comédie pour se délasser l'esprit. Si on l'en veut croire, on imite en cela même le Créateur, qui après avoir travaillé durant six jours se reposa le septième. Voilà une espèce de Sabbat, dont personne ne s'était encore avisé. Dieu a voulu que le septième jour nous quittassions les œuvres serviles pour nous reposer dans la contemplation de ses merveilles, et dans la méditation de son éternelle vérité ; notre nouveau Docteur ajoute à ce précepte le charitable conseil de se reposer dans les tendres sentiments que l'Opéra et la Comédie inspire après qu'on s'est bien lassé au Sermon et à l'Office divin. Ce n'est que dans le Carême, qu'il consent qu'on modère un peu l'usage des Spectacles, parce que ce temps étant destiné aux larmes, la Musique alors ne fait pas un si bon effet, comme s'il ne savait pas que toute la vie d'un Chrétien est un temps de pénitence, et que l'institution du Carême ne tend qu'à nous en faire souvenir, et à nous ranimer dans notre pèlerinage. Quelle pitié qu'un Directeur des âmes entre si mal dans l'esprit de la Religion, et qu'il prenne toujours l'ombre pour le corps, l'écorce pour la vérité. Je ne relève ni les inutilités, ni beaucoup d'autres absurdités qui sont d'un bout à l'autre de sa Lettre. Ce ne serait jamais fait. Tantôt on le voit prouver par le témoignage de beaucoup de grands hommes, que la doctrine de saint Thomas est irréprochable, comme s'il parlait à des gens qui eussent intérêt à la rejeter : tantôt il multiplie les passages, pour nous apprendre que ceux qui travaillent ont besoin de quelque divertissement, comme si l'on ne le savait pas bien ; tantôt il prouve que le divertissement n'est un mal que lorsqu'il est excessif, comme si on le lui contestait ; combien d'Auteurs saints et profanes fait-il parler sur les excès des anciens Spectacles, comme si le crime ne se trouvait que dans des actions où l'on ne garde nulle sorte de mesure ; combien allègue-t-il de Pères qui n'ont point trouvé à redire dans des jeux modérés, comme s'il avait quelqu'un à combattre qui ne fut pas de ce sentiment ? Au témoignage des Pères il joint celui des Profanes, pour prouver que s'il faut se délasser l'esprit après un long travail, il ne faut pas toujours se divertir, et il les fait déclamer avec véhémence contre les divertissements qui duraient tout le jour, contre les actions et les paroles déshonnêtes qui régnaient dans les jeux, comme si c'était de nouvelles découvertes qu'il eût faites. Pour l'honneur des Comédiens il prétend que les Cabaretiers dont on fait aujourd'hui « d'honorables Hommes », de bons Bourgeois, des Echevins, ont été autrefois déclarés « infâmes » ; que les Médecins mêmes, dont les enfants sont aujourd'hui si honorablement placés, ont eu la même note d'infamie. De ce que le public n'est point invité à manger de la viande en Carême, comme à venir tous les jours à la Comédie, il en conclut que la Comédie est suffisamment permise. De ce qu'on ne perce pas la langue aux Comédiens, ou de ce qu'on ne les condamne pas au feu, il conclut qu'ils ne sont ni blasphémateurs, ni libertins, ni impies : il est Directeur, il est Théologien, il est Orateur, il est Canoniste, il est tout pour les Comédiens. On voit bien que si je l'avais voulu suivre dans tant de détours et de raisonnements bizarres j'aurais fait un gros volume, dont je ne doute pas que le public ne me dispense volontiers, puisque tout cela ne regarde point le fond de la question. Mais il est à propos de dire encore deux mots pour les défenseurs de la Comédie. On convient que la Comédie ne fait pas des Saints ; mais elle est, dit-on, un remède naturel à nos défauts, elle peut du moins réformer les dehors jusqu'à ce que la grâce réforme le dedans. Un Comique a le secret de montrer aux hommes leurs défauts sans qu'ils s'en puissent fâcher ; il y en a même qui assurent que ses bouffonneries valent mieux que les plus morales et les plus sérieuses prédications. C'est apparemment sur des compliments de cette sorte qu'Arlequin a eu la hardiesse de prendre pour devise, « qu'en jouant les hommes il les corrige. Mais si la Comédie contribue, de quelque manière que ce puisse être à notre guérison, d'où vient que celui qui est venu pour nous guérir ne l'a point mise au nombre de ses conseils, lui qui connaissait si bien la nature de nos maux, et le remède qui nous convient ? N'a-t'il point voulu réformer les dehors avec le dedans, lui qui nous recommande tant la privation et la retraite ; quelle proportion y a-t-il de la privation à la Comédie, de la retraite aux Spectacles ? Si la Comédie nous peut-être utile, d'où vient que l'Eglise, fidèle interprète des sentiments de son Epoux, la déteste et la foudroie ? D'ou vient que le Peuple de Dieu ne l'a point connue, ou l'a laissée là contre le partage des Païens ? D'où vient enfin qu'on n'en voit point d'autre fruit que les richesses immenses des Comédiens, et ce que le public ne connaît que trop sans que j'en parle. A l'égard des expressions de quelques Docteurs, dont le Théologien et les « honnêtes gens » pour lesquels il écrit se plaisent à abuser, il est à remarquer que l'homme n'étant pas capable d'un travail continuel, tous les saints Pères demeurent d'accord qu'il a besoin d'amusements, ou de quelques jeux propres à délasser l'esprit. Qu'on appelle ces jeux « Comédies » ou « Opéras » : le nom n'y fait rien. Qu'il y ait des gens payés pour les entretenir, que les temps et le lieu en soient marqués, cela ne change point la chose, pourvu que dans toutes ces circonstances, il n'y ait point de scandale. Mais ces jeux supposent un travail utile à l'âme, au bien public ; et ils doivent être tellement réglés, que la raison y puisse toujours être la supérieure. Avec ces conditions il n'y a point de jeux et de spectacles qui ne soient licites. Mais sont-elles compatibles ces conditions avec nos Comédies et Opéras ? Se trouvaient-elles dans les Spectacles du temps des Pères ? Non sans doute, l'Auteur en a donné les preuves. Si donc les Pères nous les ont marquées, c'est qu'ils ont voulu faire entendre aux hommes, qu'ils ne s'opposaient point aux recréations d'un esprit appliqué à ses devoirs, et qui ne se recrée que pour recommencer avec plus de liberté ses occupations sérieuses. Ainsi, pour savoir si nous avons atteint le point que les Pères nous ont marqué, nous n'avons qu'à regarder si les spectacles qu'on nous donne ne nuisent point invinciblement aux sentiments de Religion, s'ils peuvent s'accommoder avec la mortification des sens, et la résistance aux passions avec l'amour dominant du Créateur, et le détachement de la Créature. Je laisse le Théologien sur cette considération. « Il a lu, dit-il, et relu les saints Pères, dont il a tiré tout ce qu'il pouvait y avoir de favorable ou de contraire aux Spectacles. » Il n'a pas bien lu, il faut qu'il recommence. Car ce n'est pas le sentiment ni la doctrine des Pères qu'il a rapportée, c'est son sentiment et sa doctrine particulière. Il « jure qu'il ne s'est point arrêté à la rigueur ou à la douceur de l'opinion, mais uniquement à la vérité ». Il le faut croire puisqu'il jure. Mais il est fâcheux que pour avoir juré il n'en ait pas dit plus vrai. Tout ce qu'on peut faire pour l'obliger, c'est de ne le point regarder comme Casuiste ni relâché, ni sévère, ni modéré ; et de croire ou ne croire pas « trahir la vérité », ni « blesser » personne, en voulant mettre celle de son ami dans « un plein repos » : mais que malheureusement il se trompe et qui pis est : qu'il semble aimer son erreur.