**** *book_ *id_body-1 *date_1639 *creator_rivet FRONTISPICE Instruction CHRESTIENNE, Touchant des spectacles publics Des Comœdies & Tragœdies : où est decidée la question, s'ilz doibvent estre permis par le Magistrat, & si les enfans de Dieu y peu- vent assister en bonne conscience ? Avec le jugement de l'Antiquité sur le mesme subject. PAR Andre Rivet, Docteur & Professeur en THEOLOGIE. A LA HAYE, Par THEODORE MAIRE **** *book_ *id_body-2 *date_1639 *creator_rivet Au lecteur Chrétien. Il y a environ huit ans, qu'expliquant en leçons publiques, en l'Académie de Leyden, le xx Chapitre du livre de l'Exode, auquel sont contenus les dix Commandements de la loi Morale ; et remarquant sur un chacun d'eux, tant les vertus commandées, que les vices défendus ; comme je traitais en son ordre, du troisième commandement de la seconde table, où Dieu défend toute impureté et souillure de la chair, et tout ce qui y peut induire ; et par le contraire, recommande la chasteté et pudicité, et tout ce qui l'entretient : je me trouvais obligé à parler des jeux et spectacles publics, esquels jadis ont été représentées diverses passions vicieuses, et notamment celles de l'amour et de la vengeance, ès Comédies et Tragédies ; et examiner sur cela les raisons de ceux qui les condamnent, et les défenses de ceux qui s'y plaisent : reprenant le tout de plus haut, et m'arrêtant aussi sur ce qui continuait en notre temps : ayant eu lors pour but principal, d'en instruire et informer les jeunes hommes, qui se préparaient au service de Dieu, en son Eglise. Depuis, m'étant trouvé en un lieu, auquel cette pratique s'est mise en vogue, et les Comédiens invités et attirés pour l'entretenir, je n'ai pu, selon la charge qu'il a plu à Dieu me donner en sa maison, dissimuler mon désaveu d'un exercice improuvé de tout temps entre les Chrétiens : en quoi j'ai été prévenu ou secondé par autant de serviteurs de Dieu, qu'il y en a ici pour administrer sa parole à son peuple. Or ayant appris, que plusieurs prennent à cœur la cause de ceux desquels nom blâmons justement le métier, et qu'ils trouvent des Avocats, où ils devraient être condamnés sur l'étiquette du sac ; j'ai cru être obligé de relire ce que j'en avais écrit ci-devant en latin, et traiter la même matière en notre langue, pour l'usage de ceux qui m'entendront mieux parlant ainsi. Ce que j'en fais n'est pas en espérance de gagner rien sur ceux qui en font leur gagne-pain, ni beaucoup sur certains esprits profanes qui ne font conscience de rien, et lesquels s'emportant en blasphèmes contre Dieu, et contre sa parole, s'abandonnent à toutes dissolutions, et ont dépouillé toute honte des hommes, et toute crainte de Dieu. Mais je sais qu'il y a plusieurs personnes graves et emportées par la coutume, ou trop portées à la complaisance, lesquelles toutefois ne voudraient pas offenser Dieu de gaieté de cœur ; entre lesquelles il y en a qui se sont laissé persuader, qu'en ces choses il y a peu ou point de mal, et ainsi s'endorment par les charmes de ceux qui en disputent sans parties ouïes, ou sans contendants qui leur répondent ; et le plus souvent n'allèguent que leur opinion, pour toute raison. Et d'autant qu'on leur persuade que ce n'est qu'une rigueur de l'humeur chagrine de ceux, qui ont en nos temps, ou ceux de nos pères, travaillé à la réformation des abus en la doctrine et ès mœurs, et qui veulent abolir tous honnêtes plaisirs ; il est à propos qu'ils apprennent, s'ils ne le savent, que tous ceux qui de tous temps ont instruit les peuples Chrétiens, touchant ès bonnes mœurs, ou qui les ont munis contre les vices, ont condamné et détesté, ce qu'on leur propose, non seulement comme tolérable, mais aussi, comme louable et profitable. Qu'entre les Païens mêmes, où cette licence a commencé et avancé, il a fallu souvent remédier par les lois aux désordres qu'elle apportait. Jusques là, que Tibère, après que les Préteurs eurent fait plusieurs plaintes et en divers temps, touchant l'impudence de telles gens, sans y avoir rien gagné, finalement fut contraint de proposer la chose au Sénat, et alors ils furent par décret bannis de toute l'Italie. Quand Pompée édifia un Théâtre fixe à Rome, cela ne plut pas aux sages Sénateurs : Entre lesquels il y en avait, qui se plaignaient que peu à peu les mœurs du pays étaient abolies, qu'elles étaient du tout renversées, par les façons lascives appelées d'ailleurs : tellement que tout ce qui était corrompu, ou qui pouvait corrompre, se voyait en leur ville, la jeunesse dégénérant par l'imitation des mœurs étrangères, où l'oisiveté, et les exercices des sales amours s'exerçaient, à l'aveu du Prince et du Sénat. J'espère que les Magistrats Chrétiens seront émus d'une sainte jalousie, et ne voudront pas que les Païens se lèvent contre eux en jugement : et que les fidèles prendront mieux garde à leurs pas, et à la conduite de leur vie, pour être imitateurs de Dieu, comme chers enfants, et ne se plaire plus à l'imitation de choses indécentes. Dieu leur fasse la grâce d'apporter ici un esprit de docilité et de discrétion, pour se servir utilement d'une instruction, qui ne tend qu'à leur édification et salut. Ainsi soit-il. **** *book_ *id_body-3 *date_1639 *creator_rivet Chapitre I. De la nécessité de cette instruction. Si ceux qui font profession de connaître Jésus-Christ, et de croire en lui, dépendaient, comme ils doivent, de ses enseignements ; et travaillaient à se former peu à peu, sur le modèle de la perfection qui s'est vue en lui, durant les jours de sa chair ; afin que nous fussions ses imitateurs, selon les salutaires exemples qu'il nous a laissés : il ne serait pas besoin de travailler à les détourner de plusieurs actions des enfants du siècle, auquel ils se disent avoir renoncé. Un seul mot de S. Pierre pourrait suffire à ceux qui ont « été délivrés de la vaine conversation qui leur avait été enseignée par leurs Pères : Cheminez, disait-il, en crainte, durant le temps de votre séjour temporel » : y en ajoutant un autre de l'apôtre des Gentils, « Et ne vous conformez point à ce présent siècle, mais soyez transformés par le renouvellement de votre entendement, afin que vous éprouviez, quelle est la volonté de Dieu, bonne, plaisante et parfaite ». Car puisque cette « volonté de Dieu », selon le même, « consiste en notre sanctification », et en « ce que chacun de nous puisse posséder son vaisseau en sanctification et honneur » ; il ne serait question sinon de bien discerner ce qui tend à cette sanctification, d'avec ce qui la détruit : et alors, comme d'une part, « ils penseraient à toutes les choses qui sont véritables, à toutes les choses qui sont vénérables, à toutes les choses qui sont justes, à toutes les choses qui sont pures, à toutes les choses qui sont aimables, à toutes les choses qui sont de bonne renommée, s'il y a quelque vertu et quelque louange » : Aussi de l'autre part, s'abstiendraient-ils de « toute chose vilaine, de paroles folles, et plaisanteries, qui sont choses qui ne sont pas bienséantes ». Ils penseraient « que le temps passé leur doit avoir suffi, pour avoir accompli la volonté des Gentils, quand ils conversaient en insolences, convoitises, ivrogneries, et gourmandises, et ne courraient plus avec eux en même abandon de dissolution ». Mais, comme la plupart sont encore en partie enfants de ce siècle, il advient aussi qu'ils ne s'en peuvent du tout échapper ; et quoi qu'ils n'osent prendre l'affirmative pour les crimes énormes, qui sont expressément spécifiés en la loi de Dieu ; ils s'accommodent toutefois volontiers aux interprétations Pharisaïques, par lesquelles les choses défendues en la loi étaient restreintes aux plus grossières, pour excepter les autres, lesquelles, selon le jugement humain, étaient légères. Ainsi estimaient-ils, que celui qui s'abstenait de l'acte d'adultère, satisfaisait au commandement, quoiqu'il regardât la femme de son prochain pour la convoiter ; ou qu'il prêtât l'oreille à des choses sales, ou qu'il employât la langue à les proférer. Que celui qui ne se parjurait point n'était point coupable, quoi qu'il jurât sans nécessité. Que celui qui n'usait pas de mainmise contre son prochain n'avait rien à craindre, encore qu'il le hait, et lui dit des injures, et ainsi des autres. De la même source procède la contestation de plusieurs, sur les remontrances qui leur sont faites, ou de leurs excès en habits ; ou de leurs façons peu modestes, ou de leurs gestes indécents ; ou de la fréquentation de compagnies peu convenables à leur profession ; ou de leurs jeux de hasard ; ou de leur curiosité à courir aux spectacles publics et les entretenir ; et notamment pour le temps et l'argent qu'ils emploient, pour l'attention qu'ils apportent, et le plaisir qu'ils prennent à donner de la pratique aux jongleurs, bateleurs, joueurs publics de Comédies, tragédies, farces, et bouffonneries. Car il se trouve plusieurs personnes, qui semblent bien instruites d'ailleurs, lesquelles exercent leur esprit à dresser des Apologies pour cela, tantôt par la comparaison de plus grands péchés ; tantôt par la négation d'une expresse défense en la parole de Dieu ; tantôt par une prétention d'utilité, jusques à vouloir faire telles gens Ministres de vertu, instructeurs de sapience, et destructeurs des vices ; enfin convertir les bateleurs en Prédicateurs et Philosophes : et les Théâtres, en écoles de sagesse : sans crainte de cette sentence du Prophète, « Malheur sur ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal : qui font les ténèbres lumière, et la lumière ténèbres : qui font l'amer doux, et le doux amer. Malheur sur ceux qui sont sages en eux-mêmes, et entendus en se considérant eux-mêmes ». Ce sont ceux qui se gouvernent plutôt par leur conseil et opinion que par la parole de Dieu, et qui veulent asservir la raison, à leurs passions. Envers lesquels nous voudrions volontiers user de la charité que nous recommande S. Jude, « de les sauver par frayeur, comme les arrachant hors du feu, haïssons même la robe tachée par la chair ». Désireux de les en dépouiller pour les faire revêtir des armes de lumière. **** *book_ *id_body-4 *date_1639 *creator_rivet Chap. II. De la variété des Jeux et spectacles Théâtriques, restreinte à présent aux Comédies, Tragédies et Farces. Nous avons donc délibéré avec l'assistance de Dieu, de faire voir aux vrais Chrétiens, en ce petit traité, le danger dedans lequel ils se jettent les yeux fermés ; et d'autant plus grand, qu'ils se rendent aveugles volontaires aux lumières de la vérité, pour se plaire aux œuvres de ténèbres. Et pour cet effet, tâcherons à prouver par bonnes raisons, que celles qu'ils veulent justifier, et auxquelles ils s'emploient et les entretiennent, sont telles ; Et que les raisons qu'ils apportent pour s'en défendre sont frivoles, et nulles : Et que la pure Antiquité en l'Eglise de Dieu les a condamnées comme pernicieuses. Et afin de nous restreindre à celles desquelles l'abus continue en notre temps : pource qu'entre les spectacles, contre lesquels plusieurs Anciens serviteurs de Dieu, ont déclamé, il y en a qui ne se pratiquent plus, aussi n'en parlerons-nous point : comme ceux des gladiateurs et escrimeurs à outrance, des combats d'hommes contre les bêtes sauvages ; des luttes et des courses à cheval et en chariots, dedans les arènes des cirques et Théâtres : combien qu'en plusieurs de ces jeux, ôté ce qu'ils étaient consacrés aux Dieux des Gentils, il y eût moins de danger de corruption, excepté en ceux auxquels les spectateurs prenaient plaisir à voir épandre le sang, et déchirer les hommes, s'accoutumant à la cruauté : Car pour les courses, elles pouvaient avoir leur utilité, et servir d'exercices préparatoires à une juste guerre, et n'y avait rien de soi, qui attirât les spectateurs à quelque mauvaise pensée, ou convoitise désordonnée ; où il n'y avait point de paroles qui jetassent dans le cœur par les oreilles, quelque ordure, ou quelque profanation, ni des gestes lascifs et impudiques : où se voyait seulement une agilité et adresse de ceux qui y étaient exercés, et qui à l'envi tâchaient d'emporter le prix. D'où vient aussi que l'esprit de Dieu en tire des similitudes pour nous encourager à la course spirituelle ; et aspirer au prix éternel. Mais c'est tout autre chose des jeux, qui se faisaient ès mêmes Théâtres et cirques, qu'on a appelés scéniques, ainsi nommés par les Athéniens, pource que les premiers qui les ont joués, choisissaient des lieux ombragés de rameaux et de feuillages, comme depuis on s'est servi d'échafauds couverts, jusques à ce que le luxe de la grandeur Romaine leur eût préparé des édifices d'une structure magnifique. Or ce qu'ils ont appelé Scène, regardait nommément les Comédies et Tragédies, esquelles certains, qu'on appelait mimos imitateurs et bateleurs, ou histrions, c'est à dire, joueurs en l'ancienne langue Toscane ; en latin ludiones, représentaient divers personnages, et diverses actions et aventures pour donner plaisir au peuple. Les Grecs les ont aussi appelés hypocrites, pource qu'un coquin, représente sur le théâtre la personne d'un Roi, et un tout autre personnage qu'il n'est, d'où vient que ce même nom est attribué à ceux qui font les dévots, et sous le voile de dévotion couvrent leur impiété ; ou qui font les gens de bien en apparence, et ne valent rien en effet. Ces choses ainsi distinguées, la question est, si ceux qui ramènent entre les Chrétiens ces jeux, et ces imitations de déguisements d'habits, de sexes, de paroles et de gestes, et qui en font métier en public, doivent être entretenus en cette façon de vivre ; et si les enfants de Dieu, obéissant à sa parole, peuvent en bonne conscience être leurs spectateurs, et auditeurs ? **** *book_ *id_body-5 *date_1639 *creator_rivet Chap. III. Considération de la fin des spectacles comiques et tragiques, et du plaisir qu'on y prend. Pour bien juger d'une action, il est nécessaire de bien entendre la fin que se proposent tant ceux qui l'exercent, que ceux qui la recherchent et l'approuvent. En celle-ci, où il y a des acteurs et des spectateurs et auditeurs, il n'est pas malaisé de connaître le but et la fin des uns et des autres. Les Acteurs ont pour but de donner du plaisir et du passe-temps aux spectateurs, et en tirer, du gain et du profit. Les Spectateurs y cherchent le plaisir et la volupté ; non celle qui réjouit l'esprit ; et touche l'entendement par la connaissance des choses excellentes divines et humaines : mais celle qui se reçoit par les sens, les chatouille, et leur agrée, et par eux émeut aussi ensuite les facultés internes, et se glisse dedans l'âme. Or combien, qu'entre les sens, celui de l'attouchement, le plus ordinairement, serve aux appétits de la chair, et aux voluptés qui découlent de la convoitise d'icelle, laquelle par son moyen est principalement provoquée, si est-ce que les autres sens y contribuent aussi beaucoup, et que leurs opérations servent de préludes et d'aiguillons, à celles du toucher : car les paroles et gestes, qui sont représentés aux oreilles et aux yeux, sont autant de semonces aux pensées et actes impudiques qui les suivent souvent ; et marques et indices d'une inclination et disposition à les faire, quand elles sont reçues avec plaisir et contentement. C'est pourquoi nous ne faisons pas consister la chasteté, seulement en l'abstinence de la jouissance des voluptés charnelles ; mais aussi en celle des paroles et gestes peu honnêtes, lesquels aussi entrent sous le genre de telles débauches ; soit qu'on les profère ou qu'on les imite en particulier ; soit qu'on les exerce en public : mais surtout en ce dernier, pource que le danger est plus étendu, et la contagion plus grande, et que plus il y a de spectateurs et auditeurs, plus on y emploie d'artifices, attraits, et allèchements, qui sont aussi le plus souvent promis par exprès, ès affiches de ces ouvriers d'iniquité. Qui voudrait ôter aux hommes toutes sortes de plaisirs qui agréent aux sens, et les touchent immédiatement, serait justement blâmé comme s'il les voulait dépouiller de l'humanité. Car si le nom de volupté pris absolument, est le plus souvent interprété en mauvaise part, il est toutefois de soi commun à celles qui sont licites, et à celles qui sont défendues. Es premières, la modération est requise, pource que tout excès est vicieux ; Quant aux autres, il les faut rejeter et fuir, pource que si on ne s'en garde, elles prennent le dessus, sur toutes les parties du corps et de l'âme, énervent les vertus, et renversent la plus élevée forteresse de l'âme, qui est l'entendement, le précipitant en toutes sortes de vices. Tellement que Platon n'a pas dit sans raison, qu'elle rendait mols comme cire, les esprits les plus relevés, et les livrait captifs aux vices, les destinant de toutes forces pour y résister, parce qu'elles attachent et clouent les âmes contre la terre, afin qu'elles ne s'en puissent relever. Le même appelle la volupté, l'appât et l'amorce du mal, pource que par elle, les hommes sont pris, comme le poisson par l'hameçon. Toute volupté donc doit être suspecte, pource que par ses attraits et allèchements elle engage l'homme peu à peu, jusques au point auquel il ne tient plus de mesure. Mais pource que les Philosophes qui traitent de la morale, semblent n'accuser d'incontinence et intempérance, sinon ceux qui se laissent surmonter par les appétits désordonnés de l'attouchement et du goût : et qui s'adonnent aux couches illégitimes, ou s'emportent aux délices et excès du boire et du manger ; il y en a peu qui mettent au rang des intempérants, ceux qui se plaisent à voir ou à ouïr les choses vaines, ou folles, ou même peu honnêtes ; et qui en l'ouïe, ou en la vue de telles choses, ne tiennent point de mesure. Car les hommes ont de coutume de juger seulement honteux l'abus des voluptés qui leur sont communes avec les autres animaux, et par lesquelles ils dégénèrent, en quelque manière à la semblance des bêtes brutes, se transformant en chiens et en pourceaux. Et néanmoins, c'est chose certaine, que les voluptés et plaisirs des yeux et des oreilles, procédant ou de la vue des jeux et gestes, ou de l'ouïe des voix et paroles charmantes, ne sont pas moins vicieux en leurs excès, et selon leurs sujets, ni moins pernicieux que les autres qui chatouillent la chair, par l'attouchement et par le goût : Et que ceux-là ne se peuvent laver de la tâche d'incontinence, qui se plaisent à ouïr et à voir ès Théâtres et sur les échafauds les représentations et descriptions, des passions amoureuses, et des souplesses diverses de ceux qui s'y sont adonnés. Pour cette cause l'Ecriture recommande si souvent la conduite et précaution nécessaire aux yeux et aux oreilles, parce que les vices entrent par ces fenêtres, et que les hommes par ce qu'ils voient et oient, sont attirés à ce, à quoi possible n'eussent-ils point autrement pensé. « Si tôt que je l'eus vu, disait quelqu'un, je fus perdu. » C'est ce qui faisait dire à Job, « qu'il avait fait accord avec ses yeux, pour ne point contempler la Vierge ». Et David, « Seigneurdétourne mes yeux qu'ils ne regardent à vanité ». Et le Sage Salomon conjoignait ces deux choses, « Tes yeux regarderont les femmes étrangères, et ton cœur parlera tout au rebours ». Le danger n'est pas moins grand du côté des oreilles, si cette prudence n'y est apportée, que « l'oreille discerne les propos, tout ainsi que le Palais savoure les viandes ». Autrement il y a du défaut, et du péril quand « les hommes ayants les oreilles chatouilleuses, s'assemblent des Docteurs selon leurs désirs ».Car encore que l'Apôtre die cela, ayant égard à ceux qui enseignaient ès Eglises : si est-ce néanmoins qu'il marque un vice commun entre les hommes, qui se plaisent plus à ouïr ce qui chatouille leurs oreilles, et flatte leurs humeurs, que le son de la vérité, laquelle par accident, est une bonne mère d'une mauvaise fille, pource qu'elle engendre haine, en ceux qui pressent plus volontiers leurs oreilles aux fables et mensonges ; et qui aiment qu'on les entretienne de mots pour rire et de plaisanteries. **** *book_ *id_body-6 *date_1639 *creator_rivet Chap. IV Application de ce qui a été dit aux jeux de Comédies et Tragédies. On ne peut révoquer en doute que ces jeux de la scène et du Théâtre, ne soient institués et pratiqués, pour donner du plaisir et entretenir les voluptés, qui touchent ces deux sens ; et allument la convoitise par gestes et paroles d'impudicité et de plaisanteries. Car c'est chose presque ordinaire, qu'en ces Théâtres scéniques, toutes sortes d'allumettes d'impudicité sont débitées, et que les yeux et les oreilles trouvent à s'y occuper en toutes les choses qui donnent de l'achoppement, pour lequel le seigneur commande que « si notre œil nous fait choper nous l'arrachions » ; C'est-à-dire que nous nous priverons de ce qui nous serait autrement aussi cher que la prunelle de l'œil, plutôt que de nous mettre en danger qu'ils nous soient en l'occasion de chute. Là certains hommes débauchés, appelés enfants sans souci, ayant pour but de remplir leur bourse, pour servir leur ventre, enseignés par ce maître des arts inventif et industrieux, ramassent et rassemblent en un lieu, tous les instruments des plaisirs et voluptés, par lesquels ils estiment, et non sans raison, qu'ils détiendront et captiveront les esprits des hommes. On feint les mœurs et les humeurs de toutes sortes de personnes, de toutes conditions, âges, voix, gestes, habits ; des maquereaux, des gardes, des parasites, des jeunes et vieux, des hommes et femmes. Et de cela ne fait-on pas seulement un récit de paroles, mais par imitations de gestes et postures diverses, afin que cela pénètre d'avantage. On y mêle des pointes gausseries et plaisanteries, comme pour sauce, et afin d'y donner le goût. Finalement, pour y ajouter le comble des attraits et allèchements, on produit sur le théâtre de jeunes hommes ; et qui est encore pire et plus contagieux, des femmes et des filles, parées et déguisées d'habits somptueux, lesquelles ne sont pas seulement capables d'émouvoir une populace, mais aussi d'attirer et arrêter les yeux des hommes, qui sont d'ailleurs graves et prudents. Quoi ? si tout cela, comme il advient le plus souvent, est composé et disposé pour être rapporté aux passions et dissolutions de l'amour impudique ? C'est ce qui attire la plupart des spectateurs, et à quoi ils prennent le plus grand plaisir ; quand on leur met devant les yeux des beautés attrayantes, ou vraies, ou feintes et fardées ; et que par les images des vices, et le rapport qui en est fait, joint à l'imitation, la convoitise est embrasée, les tromperies et souplesses des amoureux enseignées ; les passions représentées, et éveillées ; afin que par ces feintes, les spectateurs semblent se trouver présents, où les choses se font en effet, et les avoir devant leurs yeux, et en la pensée. Là retrouvent hommes et femmes, jeunes gens de l'un et de l'autre sexe : et les femmes et filles extraordinairement parées, y viennent, non seulement « pour voir, mais aussi pour être vues », et faire éclater leurs brillants à la lueur des flambeaux, et allumer par même moyen le feu de la convoitise, laquelle n'en est que trop susceptible sans allumettes. Que si la Tragédie semble plus sérieuse, et ne souffre pas la licence des Comédiens, marchant d'un pas plus grave, et traitant de choses plus sévères, pource qu'on y représente de grandes infortunes, des cruelles aventures et des vengeances horribles. Elle ne laisse pas toutefois de mêler avec tout cela des amours impudiques, et des passions indécentes, qui mènent les hommes et les femmes au désespoir, et les portent à se défaire eux-mêmes, et chercher leur ruine. Et ne faut pas dire, que cela est utile, quand on voit les sinistres événements des amours mal entrepris, ou de quelques autres actions répréhensibles : Car les hommes sont bien plus susceptibles du mal qui est enseigné, qu'émus par la peine qui le suit ; se promettant toujours qu'ils seront plus fins et avisés, et se garderont bien de l'événement, contre lequel ils semblent être prémunis. Et certes, quand on examinera bien les tragédies, et tragicomédies, notamment celles esquelles s'exercent les esprits de ce temps, on n'en trouvera pas une en laquelle il n'y ait des leçons d'ambition, de vanité ; souvent de passions amoureuses ; toujours de passions déréglées : Et puis elles ne se peuvent jouer, sans que les assistants, et nommément les femmes et les filles, oient et voient ce qui ne leur est ni convenable ni décent. D'où vient que quelqu'un a bien dit qu'elle a pris son nom, du bouc tragos qui est un animal qui n'entre jamais en un lieu sans y laisser de la puanteur. Ajoutez à cela que les acteurs étant Comédiens à gages, qui veulent plaire et donner du passe-temps, sachant bien s'ils n'y mêlent le mot pour rire, et les entremets de bouffonneries, ne feront pas venir l'eau à leur moulin : savent assaisonner les tristes discours, avec les farces, par lesquelles ils essuient les larmes qu'ils semblaient avoir attirées, pour renvoyer les spectateurs en bonne humeur, comme ils appellent, et les inviter à la continuation de leurs exercices : ayant toujours pour fin la volupté, et ce que S. Jean appelle, « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l'outrecuidance de la vie, ce qui n'est point du Père mais du monde », autrement, leur métier ne vaudrait rien, en la corruption du siècle : et s'ils ne disaient que de bonnes choses, ils pourraient bien fermer leur boutique. **** *book_ *id_body-7 *date_1639 *creator_rivet Chap. V. Rédargution de ceux qui emploient des matières sacrées pour sujets de jeux comiques et tragiques ; ou qui se servent des lieux sacrés, pour les jeux des Comédiens. C'est chose assez connue, que les Dieux des Gentils, c'est à dire les Démons, ont exigé ces jeux de leurs adorateurs, comme partie de leur service : tellement qu'ils ont été tenus parmi eux comme exercices de Religion, « Les jeux de la Scène, disait S. Augustin, sont mêlés avec les honneurs des Dieux ; Ce sont des artifices que la vertu Romaine a été longtemps sans connaître, lesquels, combien qu'ils fussent recherchés pour le plaisir et délectation des hommes, et soient glissés par la corruption des mœurs, les Dieux ont requis, qu'on les fît en leur honneur ». Il avait dit auparavant, que « les Dieux avaient introduit les jeux Scéniques, parmi les mœurs Romaines, qu'ils avaient voulu qu'ils fussent consacrés à leurs honneurs, partout où ils se célébraient, récitaient, et jouaient ». Cependant les Poètes comiques et tragiques se licencièrent de parler de leurs Dieux et de leurs faits, comme des plus débauchés d'entre les hommes, adultères incestueux, et Sodomites, trompeurs, ravisseurs, et quoi non ? « Tous les Adorateurs de tels Dieux, dit S. Augustin, quand il leur en prenait une envie, teinte, comme disait Perse, d'un venin boitillant, regardaient plutôt à ce qu'avait fait Jupiter, qu'à ce qu'avait dit Platon en ses lois ; ou Caton en ses sentences : témoin ce jeune garnement en la comédie de Terence, lequel regardant un tableau auquel était peint Jupiter, faisant tomber une pluie d'or dans le sein de Danaë, se servait de cette autorité pour défendre la mauvaisevie, en laquelle il se vantait d'être imitateur de son Dieu. Mais de quel Dieu ? disait-il : De celui qui ébranle par son tonnerre les Temples terrestres. Moi donc qui ne suis qu'un homme petit, ne serai-je pas comme lui ? Oui, je le ferai, et volontiers ». Nous avons un Dieu, qui ne se plaît pas en telles choses, et qui ne veut pas, seulement qu'on s'abstienne des spectacles, qui polluent les assistants, et de paroles par lesquelles les oreilles chastes sont offensées : Mais qui ne veut pas aussi que les choses bonnes et saintes servent de jouet et de passe-temps sur un théâtre. Et n'est pas chose à approuver que les Histoires de la sainte Ecriture soient converties en comédies et tragédies, ce qui ne se peut faire sans en diminuer la Majesté, et sans leur ôter de leur pureté. Bien que quelques hommes doctes, et d'ailleurs Religieux, aient pensé en ce faisant, ôter de devant les yeux de la jeunesse les lascives, et infâmes comédies, et les « sanglantes, prodigues, et impies Tragédies », comme les appelle Tertullien. Ils ont aussi cru par ce même moyen qu'ils détourneraient les peuples de l'entretien de ces débauchés et perdus, qui font métier et marchandise de paraître sur le Théâtre ; et que les acteurs étant jeunes hommes choisis dans les Ecoles, qui s'exerceraient par ce moyen et pour le style, et pour l'action, donneraient un contentement innocent à ceux qui les viendraient ouïr : et leur feraient quitter le désir et affection de prêter l'oreille aux bateleurs et farceurs ; Que ces actions étant rares, en lieux honorables, et faites par personnes libres et non mercenaires, ne répugneraient point à la piété, et aux bonnes mœurs. Et à la vérité, si l'autorité et la simplicité de la sainte Ecriture demeure saine, et entière ; de laquelle nous avons déjà dit, qu'elle n'est pas matière de jeux : nous ne voudrions pas rejeter l'imitation de quelque honnête histoire, auparavant bien examinée, ou de quelque moralité bien exprimée, par les personnes que nous avons désignées, en lieu et temps convenable. C'est à quoi ont regardé les Eglises Reformées de France en une constitution Ecclésiastique, de laquelle la teneur est, « Il ne sera loisible aux fidèles, d'assister aux Comédies, Tragédies, Farces, Moralités, et autres jeux joués en public ou en particulier : Vu que de tout temps cela a été défendu entre les Chrétiens, comme apportant corruption de bonnes mœurs. Mais surtout quand l'Ecriture y est profanée. Néanmoins, quand en un Collège il sera trouvé utile à la jeunesse, de représenter quelque histoire, on la pourra tolérer, pourvu qu'elle ne soit comprise en la sainte Ecriture, qui n'est baillée pour être jouée, mais prêchée : pourvu aussi que cela se fasse rarement, et par l'avis d'une compagnie Ecclésiastique, qui en verra la composition. » Néanmoins, quoique l'argument et toute la composition en fût honnête, les temples où Dieu est servi, et où sa parole se prêche, ne doivent pas être employés à cela, comme ils font en quelques lieux, mêmes ès jours des fêtes, pour y représenter les mêmes choses que sur les Théâtres ordinaires ; ce que quelques Gentils ont jugé indigne des Temples de leurs Dieux. Et le Philosophe Aristides a tâché de le dissuader, remontrant que les comédies n'étaient point convenables aux fêtes des Dieux, pource qu'en icelles il faut toujours dire choses bonnes et honnêtes, et que puisqu'il n'est pas permis d'offrir ès sacrifices, ce que la loi défend, il a aussi jugé que les Dieux ne peuvent être honorés par l'art et l'industrie de ceux qui sont destitués de toute probité, comme sont les comédiens et bateleurs. Le Diable donc n'ayant pu obtenir sans quelque résistance, qu'ès superstitions par lui inventées, on mêlât de tels jeux ; c'est chose étrange, que parmi ceux qui font profession du nom Chrétien, on ait permis que les Temples aient servi de Théâtres. On dira, peut-être, qu'on n'y a représenté que des histoires sacrées, tirées des livres saints. Mais Mariana confesse qu'en Espagne, pour faire rire le peuple, on y représente plusieurs choses déshonnêtes. « C'est chose fâcheuse, dit-il, qu'on ne peut nier, ce qui ne se peut confesser qu'avec honte. Que souvent es Temples très saints, principalement ès actes de la fable, on récite, en façon de chœur, les larcins des adultères, et les sales amours. Tellement que chacun qui aime l'honnêteté, doit fuir tels spectacles, s'il veut avoir égard à son honneur et à la piété ». Il a donc raison d'estimer, qu'on devrait exterminer des Temples ces ordures et risées ; mais ce n'est pas assez de l'estimer ainsi, il le faut assurer et croire. Ce qu'il eût dit aussi sans doute : mais il avait peur, comme il le confesse, qu'on ne le jugeât « vouloir par une telle dispute diminuer le service des Saints, non sans quelque soupçon d'impiété ». Cette crainte retient la liberté de plusieurs, qui en cela et autres choses, connaissent le mal, et ne l'osent reprendre. Mais quoi, si ces Acteurs se contiennent ès termes de la modestie, et ne représentent ès lieux sacrés que des histoires sacrées ? Il répond, et à mon jugement, avec raison, que cette manière ne sera pas moins préjudiciable à la sainteté de la Religion ; ni moins déshonorable à la République. Pourquoi ? « Pource qu'il n'est pas convenable, dit-il, que les gestes des Saints soient représentés par des hommes infâmes ». Et sur cela il raconte et déteste, ce qu'il dit avoir appris d'un des Juges, qu'en une compagnie de Comédiens, une femme qui jouait le personnage de la Madeleine, fut surprise en adultère avec celui qui jouait le personnage du Sauveur, et qui le représentait, en voix, gestes, et habits. « Vilaine insigne, disait- il, et d'autant plus, qu'ils étaient ouïs avec un grand applaudissement du peuple, et souvent tiraient des larmes des spectateurs ». Et c'est bien dire quelque chose, mais ce n'est pas répondre au principal, à savoir si les personnes qui ne sont point infâmes et de mœurs corrompues, mais qui sont honnêtes, et d'ailleurs sans reproche, peuvent représenter des histoires sacrées en formes de Comédies ou Tragédies dedans les Temples où se fait le service de Dieu, et y jouer sur le Théâtre, Christ, la sainte Vierge, les Apôtres et Évangélistes et les Anges de Dieu, avec les saintes femmes ? Nous maintenons que cela est contraire à la Majesté de la Religion, et injurieux au sacré Ministère institué de Dieu pour édifier notre foi : et qu'il n'est loisible de détourner la parole de Dieu de son droit usage, pour la faire servir aux jeux et aux plaisirs des sens : puisqu'en l'Eglise de Dieu, toutes choses doivent être rapportées à la modestie et vraie piété, afin que l'âme soit portée à la Religion, et à la contemplation respectueuse des choses divines. Cela ne se fait pas avec des clameurs, risées, et applaudissements ; moins encore par les histoires saintes, détournées de leur droit usage, et profanées quand elles sont converties en fables. Car lors elles exposent en moquerie la Religion Chrétienne. Ainsi se pratiquait-il autrefois en plusieurs lieux, devant le temps de la réformation, et en tels termes, et avec telles inventions, qu'à présent il faudrait être bien impudent, pour n'en avoir point de honte. J'ai vu moi-même, et eu en mon pouvoir, un assez gros volume imprimé à Paris, il y a plus de cent ans, auquel toutes les histoires du Nouveau Testament étaient converties en fables comiques et tragiques, en plusieurs endroits si blasphématoires ; en d'autres si ridicules, qu'il y a à s'étonner, ou de la malice, ou de l'ignorance des auteurs. Ils feignent des personnages desquels on ne trouve ni trace ni vestige : auxquels ils attribuent des discours forgés à plaisir, et si ineptement et lourdement, qu'ils semblent avoir voulu se moquer de Dieu et des hommes. Et toutefois cela se représentait en grand appareil, lorsque de toute la France on accourait au Sacre d'Angers, célébré là tous les ans avec une extraordinaire solennité. Et de là peut-on voir, combien peut parmi les hommes, une coutume invétérée, pource qu'encore que le Pape Innocent III l'eût défendue par loi expresse, toutefois on ne pouvait empêcher le cours de cette coutume, qui éludait la loi, de laquelle voici les termes. « Quelques-fois se font ès Eglises des jeux de Théâtres, où non seulement pour spectacle ridicule sont introduites des monstrueuses mascarades : mais aussi en quelques fêtes, les Diacres, Prêtres, et sous-Diacres présument d'y exercer les jeux de leurs folies ». Ce qu'il condamne et défend au même lieu. Mais on interprète cela des spectacles profanes, afin qu'on ne soit contraint de réprouver la coutume qui dure encore en quelques lieux, où se jouent ès Temples des comédies de matières sacrées ; combien que la loi n'excepte rien, et qu'il n'y ait raison de faire d'exception, pource qu'il y a plus de péché à manier les choses sacrées indignement, et impurement ; qu'à traiter des choses profanes d'une manière conforme à la matière. **** *book_ *id_body-8 *date_1639 *creator_rivet Chap. VI. Ou sont proposées des raisons, contre les jeux comiques et tragiques, mêmes hors les lieux et matières sacrées. Peut-être, s'en trouvera-t-il peu, en quelque profession Chrétienne que ce soit, qui veuillent maintenir cet abus, et qui ne confessent, que tels jeux ne se doivent mêler avec la Religion et que les choses religieuses, se doivent traiter avec une tout autre gravité. Mais la plus grande difficulté reste à combattre, pource qu'on ne démord pas facilement de cette opinion, que le passe-temps, et le plaisir qu'on prend, ès jeux publics des comédiens mercenaires, qui en ont la permission du Magistrat, ne doit pas être blâmé : et non seulement cela, car il y en a qui passent plus outre, qu'il est utile et profitable, au public, et aux particuliers. Or, pource que nous tenons la négative, et disons qu'ils sont pernicieux au public, et au particulier, et indignes de ceux qui font profession du nom Chrétien, il nous faut produire les raisons, qui nous meuvent à cela. Et d'autant qu'il n'y en a point, qui doivent plus toucher la conscience, que celles qui sont tirées de l'autorité de Dieu en sa parole, nous commencerons par là. Il est vrai, que les Théâtres et spectacles comiques et tragiques, n'ayant point été en usage parmi le peuple d'Israël, nous ne trouverons pas ès écrits des Prophètes, qu'ils y soient rédargués en termes exprès, qui est aussi une des défenses de ceux qui ne se veulent point corriger sur cela. Mais ils devraient penser, que les règles générales de la parole de Dieu nous fournissent de principes, par lesquels avec la ratiocination, nous tirons des conclusions contre toutes sortes de vices et excès : et que de la condamnation de choses moindres sous même genre, nous inférons celles des plus grandes. Tertullien au livre qu'il a fait contre les spectacles, en use ainsi, contre ceux qui s'en défendaient et se « flattaient, disant que cette abstinence n'était point expressément défendue. Comme si, disait-il, il n'y avait pas abondamment de quoi les rédarguer, quand les convoitises de ce siècle sont condamnées. Car, comme il y a des convoitises de l'argent, des dignités, de la bouche, de la gloire, et des souillures de la chair ; aussi y en a-t-il de la volupté : Et les spectacles étant une espèce de volupté, on ne peut nier que la convoitise d'iceux ne soit défendue ». Il argumente là-même de la répugnance qu'il y a entre les passions et les affections qui émeuvent les hommes ès Spectacles à celles que le S. Esprit excite ès cœurs des Chrétiens : et conclut que Dieu ayant défendu de contrister et inquiéter cet esprit de sainteté ; il ne peut qu'il ne le soit, où sont excitées les passions, de fureur, de colère, de douleur pour choses de néant, et autres semblables, comme celles d'une joie charnelle, et d'un ris immodéré. II argumente, de ce que toute impudicité étant défendue par la parole de Dieu, les Chrétiens sont par là exclus des Théâtres, « qui sont le consistoire spécial de l'impudicité : où rien n'est approuvé, que ce qui est ailleurs improuvé : desquels la principale grâce, pour le plus souvent, consiste en impuretés ». Cet argument est très bien fondé ; surtout si nous avons égard au dire de l'Apôtre, « Que paillardise et toute souillure, et avarice, ne soit point même nommée entre nous, ainsi appartient aux Saint : ni non plus chose vilaine, ni parole folle, ni plaisanterie qui sont choses qui ne sont pas bienséantes ». Comment donc peuvent ceux qui sont appelés à être Saints, se trouver ès lieux, où on représente publiquement les passions amoureuses, les appétits de vengeance et qui se concluent par plaisanteries et bouffonneries infâmes ? « Si, dit le même Tertullien, nous devons avoir en abomination toute impudicité, pourquoi nous sera-t-il licite d'ouïr, ce qu'il n'est pas licite de dire, vu que nous savons qu'il sera demandé raison au jugement de Dieu de toute bouffonnerie et de toutes vaines paroles ? Pourquoi nous sera-t-il licite de voir, ce qu'il n'est pas licite de faire sans crime ? Pourquoi ce qui pollue et souille l'homme, étant proféré de parole, ne le souillera-t-il, s'il se reçoit ès yeux et ès oreilles ? puisque les yeux et les oreilles servent à l'âme ; et si les serviteurs sont pollus ; le maître ne pourra pas être net ». D'où il conclut, « que le Théâtre est interdit par l'interdiction de l'impudicité. » Le même en un autre lieu, « Il y en a, dit-il, quelques-uns d'une foi trop simple ou trop scrupuleuse, qui pour s'abstenir des spectacles, demandent une autorité de l'Ecriture. Et prétendent être douteux, pource qu'une telle abstinence n'est point nommément dénoncée aux serviteurs de Dieu ». À quoi il répond, « Certes, nous ne trouvons en aucun lieu, que comme ouvertement il est dit, ‘Tu ne tueras point', ‘Tu ne seras point Idolâtre', ‘Tu ne commettras point de fraude' ; il soit dit aussi en termes formels, ‘Tu n'iras point au Théâtre' etc. Mais nous trouvons qu'à cette espèce appartient, ce qui est dit au commencement des Psaumes, ‘Bienheureux est celui qui n'est point allé au conseil des méchants, et ne s'est point arrêté au chemin des pécheurs : et ne s'est point assis en la chaire des pestes'. » Ajoutant que cette sentence est générale, et se doit aussi étendre à l'interdiction des Théâtres. Ce sont les réponses que faisaient les Anciens, à ceux qui demandaient, comme nous lisons aussi au traité de Cyprien De Spectaculis, « ubi scripta sunt ista, ubi prohibita ? » Où est-ce que ces choses sont écrites ou défendues ? Nous demandons toujours à Dieu qu'il ne « nous induise point en tentation » : quelle excuse pourront avoir devant lui ceux qui s'y jettent de gaieté de cœur et fréquentent les lieux, desquels il est difficile de retourner sans quelque mauvaise inspiration ? Et l'expérience témoigne que souvent les plus modestes, par la vue de tels spectacles se laissent aller au vice contraire, et peu à peu se rendent impudents. Qui est-ce qui se jettera dans les flammes sans être brûlé ? tout y est préparé pour embraser la convoitise : les ornements, les gestes, les voix, les vers, les inventions diverses, et les mouvements étudiés ; tels que les spectateurs ne peuvent s'exempter de communiquer à ces œuvres infructueuses, et se jeter en un manifeste danger. Car si quelqu'un dit qu'il y va avec une résolution prise de ne consentir à aucun mal, et de se roidir et affermir contre toute mauvaise suggestion, quand il serait aussi dur et ferré qu'il se propose, il se devrait souvenir du dire d'un ancien, que « les esprits de fer, ne laissent pas d'être domptés et amollis par le feu de la concupiscence ». Ajoutez à cela, que s'il y en avait de si fermes et si bien munis qu'ils fussent hors de danger pour leur regard : si ne seraient-ils pour cela exempts de péché. Car ils sont en scandale et en achoppement aux infirmes, qu'ils attirent dans les filets par leur exemple principalement, les personnes d'autorité, et de plus grande qualité, quoique d'ailleurs sages et graves : Car posé même que par leur présence ils retinssent en quelque sorte l'insolence et l'immodestie des acteurs, pour ne dire rien devant eux qui sentît l'ordure et l'infameté : si est-ce que cette porte étant ouverte, tout le monde s'émancipe d'entrer ès théâtres communs, et y voir et ouïr tout ce qu'il plaira à ces fripons d'étaler, quand une fois ils les tiendront en leur esche d'impudicité et d'effronterie. Nul n'ignore le soin que non seulement l'Ecriture sainte, mais aussi la plus saine Philosophie, recommande au regard du sexe plus faible. S. Pierre veut « qu'on leur porte respect, » comme « à un sexe plus fragile » : C'est-à-dire qu'on se garde de faire en leur présence chose indigne de l'honnête vergogne qui leur doit être propre. Il veut « que leur chaste conversation soit avec crainte ». Et pour le regard des filles, on sait que les Hébreux donnent nom aux Vierges, qui signifie Cachées, pource qu'elles étaient retenues en la maison de leurs pères, et ne se montraient point ès lieux publics, sinon pour les actes de Religion. Entre les Grecs aussi elles étaient appelées recluses, pour la même cause. L'avertissement du fils de Sirach était pratiqué, « As-tu des filles ? garde leur corps, et ne leur montre point ta face joyeuse ». Le même dit que « la fille estune veille secrète au Père ». Pensent à cela les Pères et maris, qui trouvent bon qu'on voie leurs femmes et leurs filles parées ès Théâtres, et combien que « la Virginité puisse être défloréepar les yeux », leur permettent de jeter la vue avec plaisir sur les gestes des hommes et femmes impudiques, et d'avoir les oreilles à leurs discours, et d'approuver par leur présence tout ce qu'ils font et profèrent. Est-il pas bienséant à des femmes vertueuses, et à des filles sages, de voir et contempler sur le Théâtre des femmes, ou des hommes travestis en femmes, en habits de garces, et là former leurs voix, leurs paroles, et leurs actions pour donner du plaisir aux spectateurs ? Est-ce un exemple convenable à leur sexe et à leur condition ? L'Apôtre ne veut pas que les femmes parlent en l'Eglise ; et quelques anciens interprètes en ont donné cette raison, que leur voix et leur parole, eût pu enflammer la convoitise en leurs auditeurs. Qui est-ce donc qui se pourrait tenir assuré contre le danger, parmi celles qui ne parlent pas de choses saintes, mais feintes et vaines, non en habit modeste, mais en un déguisement lubrique, et avec gestes impudiques ? David, quoique Saint et Prophète, fut précipité en plusieurs maux au seul regard d'une femme nue : Qui est-ce qui après cela osera vanter sa constance ? Si une femme rencontrée par la rue enlace souvent celui qui la regarde curieusement : que se peuvent promettre ceux qui courent avec tant de soin pour voir et ouïr les Comédiennes sur le Théâtre ? Au livre du Deuter. « La femme, dit la loi, ne portera pointl'habillement d'un homme, et l'homme ne vêtira point le vêtement de la femme, car quiconque fait telle chose est en abomination à l'Eternel ton Dieu ». La raison de cela, est, que la chose est de soi-même indécente : et afin aussi que par ce moyen on ne couvre point des actions impudiques, cachées sous ce voile. Car l'habit convenable à chacun selon son sexe, est requis pour la conservation de la pudicité. Le Poète avait raison de dire, « qu'une femme qui portait un Casque, ne pouvait pas faire preuve de sa chasteté puisqu'elle dissimulait son sexe ». Et Hérodote qui disait, que « la femmedépouille la honte avec sa robe ». Ce fut un moyen par lequel Clodius attenta de souiller la couche de César, ayant emprunté la robe d'une servante. Or ès jeux dont est question, il n'y a rien si ordinaire que ce déguisement, et cette confusion de sexe quant aux habits, La loi de Dieu qui condamne cela comme une abomination, ne fait point d'exception : et s'il y en avait quelqu'une, il faudrait qu'elle fût tirée de la nécessité, laquelle ne peut avoir lieu en cela, comme elle aurait en celui, où celles qui changeraient d'habits pour sauver leur vie. Ceux donc qui le font pour donner du plaisir, et pour efféminer les hommes, et rendre les femmes impudentes, sont en abomination à Dieu ; et ceux qui prennent plaisir à ce déguisement contre nature, ne peuvent s'excuser devant Dieu. Au Canon LXII du Sixième Concile de Constantinople in Trullo, « Nous ordonnons (disent les Pères) qu'aucun homme ne vête la robe d'une femme, ou aucune femme la robe qui convient à homme. Ceux qui entreprendront cela, ou qui vêtiront des personnes comiques, satyriques ou tragiques, s'ils sont clercs, seront déposés, s'ils sont laïcs, seront séparés ». On ne doit permettre ni entretenir en public, ce qui détourne les ouvriers et le peuple de leurs ouvrages ordinaires, et les accoutume à l'oisiveté et curiosité au préjudice de leurs familles ; ce qui détourne les jeunes enfants de l'obéissance due à leurs parents : ce qui les divertit de leurs études et autres exercices honnêtes ; ce qui débauche les serviteurs, au préjudice de leurs maîtres, et les rend négligents à leurs devoirs, et désireux d'imiter les fainéants auxquels ils voient qu'on applaudit. Tels sont les jeux publics des comédiens et farceurs. Il ne les faut donc pas permettre. A cela faut encore joindre qu'il se fait des dépenses non seulement inutiles pour entretenir telles gens ; mais aussi pernicieuses et dommageables à eux et aux autres. Car ils attrapent par leurs artifices une grande quantité d'argent, et savent tous les moyens de tirer à eux, ce qui devrait être employé envers les vrais pauvres et nécessiteux, lesquels meurent souvent de faim et de froid, tandis que telles gens vivent délicieusement à table d'hôte ; et reçoivent des présents de robes royales, pour en donner puis après en la vue de ceux, qu'ils tâchent de pervertir et corrompre par leurs artifices mercenaires. Telles et semblables raisons ont fait, que non seulement les Théologiens, mais aussi plusieurs bons politiques ont condamné, et exclu des Républiques bien policées les Comédies et Tragédies jouées publiquement par telles personnes. « Il n'y a rien si dommageable aux bonnes mœurs, disait Sénèque, que de s'aller seoir aux jeux et spectacles publics ; car alors les vices avec le plaisir, qu'on y prend, s'y coulent plus facilement dedans nous. Que penses-tu que je veuille dire ? J'en reviens plus avaricieux, plus ambitieux, plus prodigue : j'en reviens même plus cruel et plus inhumain, pour avoir été parmi des hommes ». Item « Il faut retirer de telles assemblées du peuple, un esprit jeune et tendre, et qui n'est pas encore bien assuré en la vertu. On passe facilement à ce que plusieurs font. Une assemblée si diverse et si dissemblable aux mœurs de Socrate et de Caton et de Lollius pourrait ébranler leurs âmes : tant s'en faut qu'aucun de nous, pour si bien que nous ramassions les forces de notre entendement, puisse résister à la violence des vices, qui nous assaillent avec des troupes si grandes. » François Patrice en ses livres de la République, « Cela, dit-il, ne me plaît pas, que la Comédie (laquelle on dit avoir été premièrement inventée en Sicile) soit aussi récitée ès spectacles. Car elle corrompt les mœurs des hommes et les rend mols et efféminés, et les pousse et incite aux débauches et lubricités. C'est pourquoi ceux de Marseille, qui jadis ont été grands observateurs et conservateurs de la sévérité, ne donnaient aucune entrée en leur ville aux Comédiens. Car les ornements des Comédies et leur sujet pour le plus souvent, sont les adultères et larcins amoureux, d'où vient que la coutume de regarder et ouïr, apporte aussi la licence de les imiter. Car, (comme disait Sénèque ès livres de la République) jamais les Comédiens n'eussent pu faire approuver leurs ordures ès Théâtres, si la façon et coutume de vivre ne les eût favorisés ». Dont il conclut, « Que donc la Comédie soit chassée des théâtres. » Et quant à la Tragédie ; à son jugement aussi elle doit « être bannie de la cité, laquelle un certain Solon défendit être enseignée aux Thespiens, comme étant inutile, et l'appelait mensonge. Aussi les Lacédémoniens commandèrent qu'on jetât hors de Sparte les livres du Poète tragique Eschyle, comme étant inutiles, et publiés plutôt pour corrompre les mœurs des hommes, que pour servir aux arts louables : et ce n'est pas sans cause qu'on doit chasser la Tragédie, hors de tout spectacle civil. Car elle a en soi une trop grande violence de désespoir ; laquelle de fols rend facilement les hommes insensés, et emporte en fureur ceux qui sont légers : principalement quand ils oient des discours inhumains et enflés ». Dont il conclut comme devant, qu'il n'est pas expédient qu'elles soient jouées ès Théâtres. Jehan Bodin aussi au livre 6. de sa République où il parle de l'office des Censeurs. « Qui est-ce, dit-il, qui peut réprimer les sauts des bateleurs, les comédies, les spectacles, et les tours de passe-passe, sinon la censure ? Car il ne peut point y avoir en la République une peste plus mortelle, et qui ait plus de force pour corrompre les mœurs, à cause de la voix, du visage, de la parole, et des vilaines et pernicieuses actions, lesquelles se coulant peu à peu ès esprits des citoyens, renversent les Républiques entières. Certes, non seulement elles corrompent les tendres esprits des enfants, mais aussi elles tentent la pudicité des femmes plus chastes, lesquelles sont induites non seulement à ouïr leurs inepties bouffonnes, mais aussi à imiter les actions, desquelles elles regardent attentivement les spectacles.Finalement, nous pouvons définir les Théâtres, la sentine et l'école de toute infameté, et de tous vices. C'estpourquoi le Roi Philippe Auguste par de très saints Edits chassa tous bateleurs, et comédiens de son Royaume. Et combien que la Tragédie semble avoir quelque chose plus sévère et de plus auguste que la comédie, néanmoins Solon tança aigrement le Tragédien Thespis, de ce qu'à la façon ancienne il avait représenté devant le peuple une tragédie quoique nue et pure. Et comme s'excusant de l'avoir fait par jeu, Solon répliqua, Qu'il n'y avait point de jeu quand les suites étaient sérieuses. A quoi se rapporte ce que Cicéron écrit, que l'ancienne Grèce a sévèrement puni les acteurs de telles fables. Que dirait à présent Solon s'il vivait ? Or comme ainsi soit que les spectacles soient pernicieux à toutes sortes d'hommes, ils le sont notamment à la jeunesse, et aux nations plus septentrionales, lesquelles sont plus légères que les autres, et ayant la force de leur esprit aux sens, reçoivent avec plus d'avidité par les yeux, les gestes vicieux, que ne font les nations méridionales, lesquelles comme plus mélancoliques, ayant une sévérité naturelle, ne les reçoivent pas si aisément ». Et ainsi en jugent la plupart des sages Politiques. **** *book_ *id_body-9 *date_1639 *creator_rivet Chap. VII. Que les joueurs publics et mercenaires, de Comédies et Tragédies ont été tenus pour infâmes, qui est un argument que leur métier ne vaut rien. C'est chose notoire à ceux qui ont lu tant soit peu, et qui connaissent les lois Anciennes, que les comédiens, bateleurs, farceurs, et joueurs de tours de passe-passe, jongleurs et semblables, ont été notés d'infamie par les lois Romaines, et par les constitutions Ecclésiastiques. S. Augustin au second livre de la Cité de Dieu reproche aux Romains, que se servant ès Théâtres de ces gens comme Ministres de leurs Dieux, et comme de sacrificateurs, puisqu'ils leur consacraient ces jeux ; « Quiconque, disait-il, des citoyens Romains avait choisi d'être joueur de comédies et tragédies, esse scenicus, il était non seulement exclu de tout honneur, mais aussi étant noté par le censeur, il n'avait plus de rang en sa tribu. » Après avoir loué cette loi, il ajoute,  « Mais qu'on me réponde, pourquoi telles gens sont exclus de tous honneurs et cependant leurs jeux sont mêlés avec le service des Dieux ? D'ou vient qu'on rejette le comédien, par lequel est honoré le Dieu : pourquoi est noté d'ignominie l'acteur de cette ordure théâtrique, si l'exacteur est adoré ? » Cet argument était valable contre l'idolâtrie des Païens ; et il ne l'est pas moins à présent, contre l'honneur qu'on fait à telles gens de les aller ouïr, leur faire des présents, et les salarier : combien que les lois continuent qui les rendent infâmes. Les paroles de la loi sont ; « Celui-là est noté d'infamie, qui se produit sur le Théâtre pour y exercer un art ludicre, » où le Jurisconsulte Doneau remarque, ceux-là notamment notés d'infamie, « qui montent sur le Théâtre pour le gain, et qui exercent cet art à cette fin. Pour ce, dit-il, qu'il appert que ceux qui suivent cette manière de vivre, étant lâches et paresseux, donnent publiquement un mauvais exemple. Leur vie donc et leurs actions sont défendues afin qu'ils ne corrompent les mœurs des autres. Ce qui est une fâcheuse manière de nuire, et d'autant plus pernicieuse, qu'elle est publique, et se glisse sous l'appât d'une volupté attrayante et précipite les imprudents en ruine. » C'est ce qui les a fait noter d'infamie par les lois ; et celui-là est dit infâme, duquel les mœurs et la vie sont réprouvées : d'où on ne peut douter que telles gens croupissent en un grand péché. Aussi ont-ils été par les anciennes règles Ecclésiastiques, exclus de toutes charges en l'Eglise, même après leur repentance et réconciliation. Par le XVIII Canon attribué aux Apôtres, celui qui avait épousé une femme qui servait aux spectacles publics, n'y pouvait aspirer, ni parvenir. Il y a notamment, « une femme Comédienne, tôv epi skènès qui a servi à la scène », où Zonarus rend cette raison, « que telles femmes conversant sans honte avec tout le monde, et ne sont pas crues vivre pudiquement et chastement ». En un Canon tiré du livre des doctrines Ecclésiastiques en S. Augustin, entre ceux qui ne pouvaient être admis aux ordres sacrés, est marqué celui, « qui in scena lusisse dignoscitur », qui est connu pour avoir joué sur le Théâtre. Ils n'étaient pas même admis après la repentance, à la communion des fidèles. Cyprien, étant enquis par Eucratius, si un bateleur qui avait été nourri en la Religion Chrétienne, et avait fait métier d'enseigner aux jeunes hommes la manière de contrefaire la femme, changeant le sexe par son art, combien que lui-même eût cessé de servir au Théâtre, devait être privé de la communion de l'Eglise ; répondit, « qu'il n'était pas convenable à la majesté Divine, ni à la discipline Evangélique, que l'honnêteté de l'Eglise, fût souillée, par une si orde contagion. » Tout ce que nous venons de dire, est aussi remarqué par Patrice au second livre de sa République. « Les Anciens Romains, dit-il, ont haï tous les acteurs de Comédies, et tous ceux qui exerçaient ces arts de jouer sur le Théâtre ; et par lois expresses, ont défendu qu'aucun de telles gens s'assît ès premiers quatorze ordres : Et chez Cicéron, Scipion le témoigne par ces mots. Comme ainsi soit qu'ils réputassent déshonorable l'art de jouer sur le Théâtre, ils ont voulu que ce genre d'hommes, non seulement fût privé des honneurs des autres Citoyens mais encore que par censure publique ils fussent rayés du rôle des tribus. » Que peut-on donc juger de ceux qui entre les Chrétiens les appellent, les écoutent, leur applaudissent, et les paient chèrement de leurs peines ? S. Augustin, parlant des fausses louanges, qui sont rendues quelquefois au péché, « Donner, dit-il, de son bien aux joueurs de Théâtre, (vitium est immane) c'est un grand péché, non une vertu. Et vous savez que de telles choses est fréquente la renommée avec louange, pource que, comme il est écrit, le Pécheur est loué ès désirs de son âme, et celui qui commet des iniquités est béni. Ceux qui donnent ces louanges ne se trompent pas ès hommes, mais ès choses : car ce qu'ils pensent être bien, est mal. » Es constitutions Apostoliques livre VIII. chap. XXXII. où il est parlé de ceux qui viennent pour être baptisés : « Si quelque Comédien s'approche, soit homme, soit femme, qu'ils soient rejetés. » Le Concile VI. de Constantinople célébré au lieu appelé Trullum Canon LI. interdit entièrement, ceux qu'on appelle bateleurs et leurs spectacles, ajoutant, « Qui fera autrement, s'il est clerc, qu'il soit déposé, s'il est laïc, qu'il soit séparé. » Epiphane en son abrégé de la doctrine Chrétienne, dit que « l'Eglise interdit les Théâtres », après avoir dit là-même, « qu'elle réprouve les paillardises, adultères, et insolences, mettant tout cela en un même rang ». Entre les choses justes pour lesquelles jadis par les lois un homme pouvait répudier sa femme, celle-ci en était une, si elle s'était trouvée ès théâtres, ou ès spectacles des arènes, contre la défense de son mari. Et pour cela Sempronius Sophus répudia la sienne, témoin Valère, pource que sans son su, elle avait osé regarder ces jeux. Nous apprenons de Dion Cassius, que l'Empereur Tibère, jeta hors de Rome les joueurs de Comédies et Tragédies, et que cet art fut interdit par édit public, pource que les femmes y étaient déshonorées, et qu'il en arrivait des querelles. Mais après la mort de Tibère, Caligula les rappela, cette peste de la République, rétablissant la peste des bonnes mœurs. Tacite aussi nous apprend, que les Romains de bonne maison, qui récitaient leurs oraisons et leurs poèmes, selon la manière pour lors usitée, que les auteurs des livres, devant que les publier, les récitaient pour en avoir l'approbation ; si dis-je, ils le faisaient au lieu où se jouaient les Comédies, qu'on appelait Scènes, ils en étaient tenus pour tachés et déshonorés. Ce qui est dit contre les Acteurs de ces jeux, tombe aussi en partie sur les spectateurs et auditeurs : Car combien qu'en cela ils diffèrent, qu'ils ne vendent pas leur présence, ni leur attention, comme les autres vendent leurs gestes et leurs paroles, Cyprien avait raison néanmoins de dire, que « Dieu défend d'être spectateur de ce qu'il défend de faire. » Et Tertullien devant lui, « pourquoi serait-il licite d'ouïr, ce qu'il ne faut pas dire ? » Et Lactance, « Les oreilles et la langue pèchent également. » A quoi se rapporte ce que S. Augustin citait de Cicéron avec louange, que les Actes « des comédies écrits ou joués n'y eussent pu être reçus si les mœurs de ceux qui les ont reçus n'y eussent été conformes ». Aussi les constitutions Ecclésiastiques défendent l'un et l'autre, tant d'être acteur, que d'être spectateur ; ce que nous entendrons plus particulièrement ès témoignages des Anciens que nous allons produire. **** *book_ *id_body-10 *date_1639 *creator_rivet Chap. VIII. Quelques sentences des plus anciens Docteurs Ecclésiastiques à ce propos. Nous avons déjà touché en passant les avis de Tertullien et de Cyprien, qui sont les plus anciens latins desquels les écrits nous restent. Ils ont tonné, contre tous spectacles en général, mais spécialement contre les comiques et tragiques comme ennemis des bonnes mœurs. Entre les choses que Clément Alexandrin prouvait être mal convenables aux Chrétiens, et qui devaient être abolies ; « qu'on défende, disait-il, les spectacles et auditions qui sont pleines de méchanceté, de paroles sales et vaines, témérairement épandues. Quelle vilaine action n'est montrée ès Théâtres ? Et quelle parole impudente n'est proférée par ces bateleurs et bouffons, qui tâchent de faire rire le monde ? » Cyprien encore, « Tu verras ès Théâtres ce qui te fera mal et dont tu auras honte. C'est où s'élève le patin tragique en récitant en vers les forfaits anciens touchant les parricides et les incestes. L'horreur antique est répété par une action exprimée à l'image de la vérité, afin que ce qui a jadis été commis, ne s'abolisse avec le siècle. Toute âge est admonestée par l'ouïe, que ce qui a été fait se peut faire. Les péchés ne meurent jamais par la vieillesse des âges ; les crimes ne sont jamais ensevelis par le temps. Les méchancetés, qui sont passées, sont proposées en exemple. Es Comédies aussi, qui sont les écoles d'infameté, on se plaît à reconnaître ce qu'on a fait en la maison, ou à ouïr ce qu'on y peut faire. On apprend l'adultère en le voyant, et ces maux permis par l'autorité publique servant de maquerellage aux vices, celle qui peut-être était venue pudique au spectacle, s'en retourne impudique. En outre, quelle corruption de mœurs, quel entretien d'actions honteuses, quel aliment des vices, d'être souillée des gestes histrioniques ? » Et encore au livre qu'il a fait des spectacles. « Pour passer, dit-il, aux plaisanteries et bouffonneries impudentes de la scène, j'ai honte d'accuser ce qui s'y fait. Les tromperies des acteurs, les fraudes, les adultères, les impudicités des femmes, les plaisanteries bouffonnes, les sales et ords parasites, les pères de famille même emportés de la gravité de leur condition, à une stolidité, qui les rend en quelque façon éhontés. Et combien que ces garnements n'épargnent aucun genre d'hommes, ni aucune condition, ou profession, tout le monde nonobstant court au spectacle. C'est que le déshonneur commun délecte, pour reconnaître les vices, ou les apprendre. On accourt à ce bordeau de l'ignominie publique, à cette école d'impureté ; afin qu'on ne fasse pas moins en secret, que ce qu'on apprend en public, et on enseigne entre les lois, ce qui est défendu par les lois. Que fait au milieu de ces choses le fidèle Chrétien ? Comment se peut plaire en ces images d'impudicité, celui qui ne doit pas même avoir les vices en la pensée ? est-ce afin qu'ayant secoué toute honte, il soit plus hardi à pécher ? » Lactance Fimian , « Je ne sais pas aussi (disait-il) s'il y a corruption plus vicieuse que celle des Théâtres comiques, car les fables des Comédies parlent ou de la défloration des Vierges, ou des amours des garces ; et plus ceux qui ont inventé ces forfaits sont éloquents ; d'autant plus sont-ils persuasifs par l'élégance de leurs sentences : et les vers nombreux et ornés, se retiennent plus facilement en la mémoire des auditeurs. Davantage les Histoires tragiques mettent devant les yeux des parricides, et des incestes des méchants Rois, et démontrent leurs méchancetés relevées. Et les mouvements très impudiques des bateleurs, qu'enseignent-ils ou à quoi incitent-ils, sinon à des convoitises vilaines ? » Basile remontre « qu'il ne faut pas adonner ses yeux aux spectacles, ni aux vaines monstres des prestidigitateurs, et qu'il ne faut pas prêter les oreilles à la mélodie qui corrompt les âmes. » S. Augustin appelle les Théâtres, « Caves d'ordures, et publiques professions de méchancetés. » Celui que les Grecs ont surnommé Chrysostome, c'est-à-dire bouche d'or, est si exprès et si diffus en cela, qu'on pourrait faire un juste volume de ses répréhensions des jeux et spectacles publics, et notamment des comiques et tragiques. Nous en choisirons quelques-unes, par lesquelles on jugera facilement de toutes. Toute l'Homélie qu'il a faite de David et de Saul, est presque employée contre les Théâtres. Là il nie que ceux qui le jour devant s'étaient trouvés au Théâtre, pussent participer à la sainte table ; et affirme que ceux qui se trouvent aux spectacles, sont toujours embrasés de la convoitise des femmes. Ailleurs il maintient que le Diable a fait bâtir des Théâtres, pour corrompre les hommes. Ailleurs encore, il les appelle, « Chaire de pestilence, Ecole d'incontinence ». En un autre lieu, il en fait cette description, « Es Théâtres, dit-il, sont, les ris, l'infameté, la pompe Diabolique, la prodigalité, la perte du temps, l'emploi inutile des jours, une préparation absurde de la convoitise, une méditation de l'adultère, un exercice d'impudicité, une école d'intempérance ; une exhortation à ordure, et des exemples de vilenies. » Son disciple Isidore de Pelusium n'est pas moins âpre contre cela. Ainsi écrivait-il à Alypius, « Celui qui aime ardemment les Théâtres (ô homme de bien) en est aussi rendu amateur infâme. Fuis-les donc, de peur que cet amour ne naisse en toi. Car il vaut mieux, que la maladie ne prenne point racine, que de l'arracher étant enracinée. Ce qui ès uns est difficile, ès autres semble impossible. » Et à un autre, « Si les amateurs des spectacles, rient en la Comédie dissolument et plus mollement, et s'indignent plus qu'il ne faut ès jeux du cirque : En celle-là, comme étant efféminée par des imitations déshonnêtes, en ceux-ci, à cause des contentions plus qu'enragées des cochers : quand est-ce qu'enfin ils se trouveront en état de faire ce qui convient à des hommes ? Il faut donc en partie par persuasion, en partie par contrainte les détourner de cette indécence et déshonnêteté. » J'ajouterai ici le témoignage et les reproches de Salvien appelé par Gennadius Prêtre de Marseille. Mais pource qu'il est long, et néanmoins très important, comme y ayant plusieurs choses applicables à notre temps, pour la conformité de l'état de l'Eglise et de l'opiniâtreté en impénitence, je le réserverai pour la fin, afin qu'il soit lu et pesé à part, et entre deux, j'examinerai ce qu'on a accoutumé d'objecter, ou pour maintenir ce mal, ou pour le diminuer autant qu'on peut, et coudre les coussins sous le coude de ceux qu'on veut endormir en leurs péchés. **** *book_ *id_body-11 *date_1639 *creator_rivet Chap. IX. Examen des palliations et prétendues justifications, de ceux qui se plaisent aux jeux comiques et tragiques de ce temps. Les hommes sont toujours ingénieux à pallier les vices. Nous tenons cela des premiers hommes, qui ne passaient pas condamnation, même étant rédargués de Dieu. Ils diminuaient leurs fautes et tâchaient d'en jeter la cause sur l'auteur de tout bien. Les péchés énormes, et desquels il n'y a point de couleur, qui puisse couvrir la laideur ; sont diminués, par diverses circonstances recherchées ; des temps, et de la coutume, du nombre des délinquants, comme si la multitude de ceux qui errent, justifiait l'erreur ; de l'intention, de la surprise, de n'y avoir pas pensé, d'avoir eu une bonne visée : et semblables inventions. En cette occasion, où le mal ne semble pas si grossier, la subtilité des excuses trouve plus d'apparence, et quelque bien mêlé avec le mal, sert de prétexte, à ceux qui cherchent de quoi flatter leur inclination, endormir leur conscience, et applaudir aux coutumes invétérées, et à l'humeur du vulgaire. Il y en a qui pour faire montre de leur bel esprit, veulent maintenir que ces jeux ne sont pas seulement tolérables, mais utiles et profitables : et ce par divers moyens. Les uns se fondent en raisons politiques, qu'il est bon de donner aux peuples de tels divertissements, pour les tenir en devoir, autrement qu'ils pourraient s'échapper, et se porter à des conjurations ou séditions. Mais, outre que le plus souvent cela n'est pas pour le peuple, mais pour les plus commodes et riches, d'autant que ce ne sont pas spectacles donnés par les puissants, pour être vus gratuitement ; mais achetés par les particuliers : cette raison ne vaut rien pour la conscience à laquelle nous parlons : et valait peu pour retenir le peuple en devoir, lequel au contraire était débauché par ceux qui lui préparaient des plaisirs, pour le gagner à eux. A présent ces jeux mercenaires épuisent le peuple de son argent : font que plusieurs dérobent à leurs familles ce dont elles auraient besoin, accoutument le commun à oisiveté et négligence, qui est un entretien de vices, empêchent le service de Dieu, qui est négligé, ou refroidi par cette accoutumance. Et finalement l'expérience a montré, que les peuples où cela a été reçu et commun, ont dégénéré de leur ancienne vertu, dès qu'ils se sont portés à ces spectacles. On allègue, qu'on y voit de belles choses, qu'on y représente les malheurs qui talonnent la méchanceté et perfidie ; qu'on y oit de belles moralités ; et qu'il y a beaucoup à apprendre. Qu'on y joue des pièces bien faites par de beaux esprits, auxquelles la voix et les gestes donnent la vie, par laquelle souvent les auditeurs et spectateurs sont détournés du mal, et portés au bien. A, cela, je réponds premièrement avec Isidore de Pelusium disciple de Chrysostome, auquel il y a plus de douze cents ans un certain Politique, nommé Hiéron, faisait cette objection, « Homme de Dieu, dit-il, ce n'est pas à quoi s'étudient les Comédiens, que plusieurs soient rendus meilleurs par leurs brocards, (comme tu as dit, te décevant toi-même, et ceux qui t'écoutent). Mais plutôt leur but est, que plusieurs pèchent. Car leur félicité consiste en la méchanceté de leurs spectateurs, et adviendrait que s'ils étaient rendus meilleurs, le métier ne vaudrait plus rien. C'est pourquoi ils n'ont eu jamais en l'esprit de corriger ceux qui font mal, et ne le peuvent quand ils le voudraient. Car leur art de contrefaire et représenter, de sa nature, est inventé pour nuire. » Je dis davantage, que les belles choses et les beaux mots en la bouche de ces gens-là, et en tels lieux, sont comme les viandes délicates, et le meilleur vin, avec lequel on a mêlé du poison, d'autant plus dangereux, que ce qui lui sert de véhicule est avalé avec plaisir. « Ne savez-vous pas, dit l'Apôtre, qu'un peu de levain enaigrit toute la pâte ? » D'ailleurs, ce n'est pas le fait des ivrognes et gourmands de faire des leçons de la sobriété ; et les hommes infâmes et fripons ne sont pas des précepteurs propres pour enseigner la probité, rappeler les hommes du vice à la vertu ; de la fureur à la raison ; de la cruauté à l'humanité. Il faut que celui qui enseigne les bonnes mœurs commence par soi-même. Quoi, s'il fait profession du contraire ? Il est vrai que les Lacédémoniens voulaient que leurs enfants contemplassent leurs Ilotes et esclaves quand ils étaient ivres ; afin que leur honteux état, leur fît haïr ce vice : Mais c'est autre chose de ce qui se voit ès Théâtres, où le vice est paré et déguisé, souvent des habits de vertus, sous lesquels il se glisse, et opère plus puissamment : aussi n'y va-t-on pas pour les détester, mais pour les écouter avec- attention, et y prendre du plaisir, les payant non seulement de monnaie commune, mais aussi de louanges et applaudissements. On insiste, qu'on peut voir, ouïr et faire plus de mal sans sortir de la maison, ou ès compagnies ordinaires, où on blasphème souvent le nom de Dieu, on est contraint d'ouïr des paroles sales et déshonnêtes, on détracte du prochain, on se querelle ; on lit de mauvais livres, pires que tout ce qu'on reprend en ces jeux. Mais à cela est aisé de répondre, Premièrement, qu'un mal n'excuse pas l'autre, qu'un plus grand, n'ensevelit pas le moindre ; et que où il est question de deux maux, desquels on doit éviter le plus grand, pour souffrir le plus petit, cela ne s'entend pas des péchés, mais des peines : Car il faut fuir toute occasion de mal faire, publique et particulière. On ne laisse pas de châtier les enfants qui pour s'excuser disent, mon compagnon a bien fait pis. Secondement ; Si on se trouve ès lieux particuliers, où Dieu est offensé, c'est par rencontre inopinée non par dessein ; ce n'est pas pour y prendre plaisir : et l'homme de bien doit, en ce cas, témoigner sa répugnance et son indignation. Mais ceux qui vont là, y vont de plein gré et par assignation ; et ne rendent aucun témoignage du regret qu'ils ont, si Dieu y est offensé. Ajoutez qu'étant avertis de s'en détourner, ils y courent, et plus ils pèchent volontairement, et comme par opiniâtreté, plus sont-ils coupables. Tiercement ; Ceux qui pèchent en leur maison, ou en petite compagnie, n'attirent pas publiquement le peuple après eux : et s'ils sont coupables de grandes fautes devant Dieu, ils ne sont pas en scandale public, qui est un mal de grande étendue, au lieu que l'autre est restreint à peu de personnes. Autres passent jusques là, qu'ils reconnaissent bien qu'il y a du mal, et que souvent en la composition des Comédies et Tragédies, se mêlent matières déshonnêtes, que les acteurs font des gestes et mines peu convenables : et partant accordent, non qu'on en abolisse l'usage, mais qu'on en corrige l'abus : qu'on tienne ces gens en devoir, pour ne faire ou dire rien déshonnête sur le Théâtre. Quelques-uns aussi voudraient qu'on abolisse les farces et bouffonneries, et lors ils estimeront, qu'il n'y aurait pas raison de s'en plaindre, ni de les rédarguer avec tant de véhémence. Et de vrai, on y pourrait apporter tant de précautions, que le danger serait beaucoup diminué, Mais ce serait, au regard de ces gens-là, la République de Platon, ou l'Utopie de Thomas Morus, qui ne serait qu'en Idée. Le bien qui en arriverait si on les bridait ainsi, serait comme il advint d'un bon Prieur, qui pour se défaire de ses Moines, leur faisait observer étroitement la règle ancienne en veilles et jeunes, disant, que « hoc genus Daemoniorum non ejiciebatur nisi jejunio et oratione » ; et l'interprétant de ce genre de Moines, qui ne se jetait hors que par le jeûne et l'oraison. Entreprenez de réformer ainsi les Comédiens, et vous les chasserez du tout, ou ils ne vous obéiront point, et se rendront plus coupables et de plus mauvais exemple, par le mépris de vos ordonnances. Il en faudra venir à ce que le comique faisait dire à un bon valet, « O here, quae res non modum habet, nec consilium, ratione modoque tractari non vult. » Or mon maître, la chose qui n'a ni conseil ni mesure, ne veut pas être maniée par conseil et par mesure. Qui est-ce je vous prie qui pourra contenir des gens accoutumés, à bouffonneries, brocards, paroles impudiques, et gestes dissolus, si une fois vous leur permettez de dresser leurs théâtres, et y paraître, en sorte qu'ils se tiennent ès limites de la raison et de l'honnêteté ? Ce sera un vain essai, car ils retourneront à leur premier métier, autrement leur pratique serait perdue, et leur marmite renversée. Par quoi, les Magistrats Chrétiens sont obligés d'y prendre garde pour leur propre salut, et pour le salut de leurs peuples, duquel aussi ils seront responsables. C'est à eux à bannir des républiques tels spectacles, qui n'apportent que de la corruption et du scandale, une perte de temps et d'argent, qui entretiennent des hommes vicieux et débauchés, des femmes impudentes, allument le feu des convoitises, enflamment les désirs voluptueux, entretiennent l'oisiveté ; diminuent le zèle, et étouffent la piété. Reste une objection qui pourrait être faite, et à laquelle il est à propos de répondre, pour ne laisser rien en arrière. C'est qu'ès écoles, on lit à la jeunesse les Comédies grecques d'Aristophane, et autres, et les latines de Plaute et de Térence. Item les Tragédies d'Eschyle, de Sophocle et Euripide en grec, et les latines de Sénèque. Pourquoi donc trouve-t-on si étrange, qu'elles soient représentées, ou de semblables, sur le Théâtre ? Je dis sur cela, qu'il serait à la vérité à désirer, que l'élégance du style fût enseignée par des livres, qui auraient plus de pureté pour la matière, comme il s'en trouverait assez : Mais puisqu'il est malaisé d'ôter ces livres des mains de ceux qui s'étudient à bien dire en ces deux langues ; il est meilleur qu'ils soient exposés ès écoles par des personnes sages et de bonnes mœurs, qui en marquent les écueils, et apprennent à leurs disciples à séparer ce qui est bon et imitable, de ce qui est à rejeter. Ce qui ne se fait pas par les acteurs mercenaires, qui mettent tout dehors sans antidote, et y ajoutent les gestes, les habits, et les charmes de la voix, pour mieux empoisonner les auditeurs. François Patrice en ses livres de la République, ayant conclu pour cette cause, « qu'il faut chasser la Comédie des Théâtres, » ajoute néanmoins, « que les Doctes s'ils veulent les lisent en privé, et épluchent plutôt les mots que les sentences. Car elle a beaucoup d'élégance, et le style en est pur et net, et accommodé aux façons de parler ordinaires. Rien n'a manqué à Ménandre ; Eupolis Cratinus et Aristophane ont grand lustre, et beaucoup de grâce. Les Latins ont aussi leur louange. Varron dit que si les Muses voulaient parler latin, elles se serviraient du style de Plaute : et le latin de Térence est élégant, net et pur, duquel Cicéron dit qui il faut user. » Il avait dit le même auparavant des Tragédies anciennes, que « les Doctes n'en devaient pas négliger la lecture. » Or ce n'est pas ce que cherchent ceux qui vont ouïr les comédiens. Ils veulent autre chose que le style. Ainsi ne se soucient-ils pas que leurs pièces soient imprimées, sachant bien qu'on ne se contentera pas de les lire, qu'on les voudra ouïr, et voir les gestes et façons, desquelles la force est bien plus grande, non pour imprimer les mots en la mémoire, mais pour y graver la corruption des mœurs, et pénétrer dans les cœurs. Ainsi y a-t-il bien de la différence, entre les livres et les Théâtres : combien qu'il serait besoin, que la plupart de ces auteurs fussent hors des mains de la jeunesse il y a longtemps, desquels je mettrai ici le jugement de Denis Lambin Professeur du Roy à Paris. « Parlons, dit-il, des Poètes tragiques qui sont ès mains de tous et se lisent, et apprennent. Premièrement, les arguments des Tragédies sont en partie atroces, méchants, et impies : en partie abominables, incestueux, partie incroyables et absurdes. Pour exemple, des mères tuant leurs enfants, des enfants tuant leurs mères ; des hommes que leurs femmes font mourir aidées de leurs adultères : des débauches indomptables et effrénées de quelques femmes : des incestes des fils avec leurs mères ; des marâtres désireuses de se polluer avec leurs beaux-fils : des frères s'entretuant ; et six cents choses semblables. » Et les Comiques quoi ? « Si, dit-il, nous voulons agir avec eux à la rigueur, il les faudra exclure des Bibliothèques. Je ne dirai rien d'Aristophane, qui est la bouche connue de l'ancienne Comédie, on sait sa liberté, ou plutôt licence, turpitude et impudence de ses paroles. Il n'y a personne qui n'ait ouï parler des pointes salées de Plaute, j'omets combien elles sont malignes, bouffonnes, et sales. Et en ce même, qu'on estime le plus modeste, il n'est pas exempt de paroles déshonnêtes. Et pour dire en un mot, toute la matière de la Comédie, est de vieillards avaricieux, fous et radoteurs : de jeunes hommes amoureux, intempérants, paillards, prodigues et perdus : de filles corrompues ou par force, ou par argent : de putains insatiables ; de valets trompeurs et larrons ; de maquereaux impies et parjures ; de Jacquets gourmands, et de Rodomonts glorieux. » Tout cela ne vaut rien lu, que pour être détesté : et est fort dangereux étant récité et contrefait ou imité, en présence de toutes sortes de personnes, de tout sexe et de tout âge. **** *book_ *id_body-12 *date_1639 *creator_rivet Chap. X De la circonstance des temps où nous sommes, par laquelle la licence de ces jeux publics, est grandement aggravée. CE que le Sage disait au livre de l'Ecclésiastique, que « toutes choses ont leur temps » ; il l'appliquait aussi aux saisons de joie et de tristesse : « Temps, disait-il, de pleurer, et temps de rire, temps de mener deuil, et temps de sauter ». Tellement, que quand même ces spectacles seraient tolérables, encore faudrait-il prendre garde où, et quand ? et considérer que toutes choses ne sont pas convenables en tout temps, en tous lieux, et à toutes sortes de personnes. Il est permis quelquefois de se réjouir, et de faire bonne chère entre ses amis : Mais encore faut-il prendre garde de ne le faire jamais immodérément ; et quelquefois aux occasions que Dieu nous envoie, de nous soustraire même les légitimes plaisirs. Nous devons avoir la prudence de prendre bien notre temps, et connaître le jour de notre visitation, si nous ne voulons que Dieu nous reproche justement comme jadis à son peuple d'Israël, « La Cigogne a connu par les cieux ses saisons, la tourterelle, l'hirondelle et la grue, ont pris garde au temps, qu'elles doivent venir ; mais mon peuple n'a point connu le droit de l'Eternel. » Pourquoi disait-il cela ? pource que ce peuple étant châtié de Dieu ne s'amendait point, « Il n'y avait personne qui se repentît de son mal, disant Qu'ai-je fait ? » Ailleurs aussi Dieu leur reproche d'avoir mal pris leurs temps, et montré qu'il n'y a rien qui lui déplaise tant, que quand les hommes sont insensibles à ses châtiments, et qu'au lieu de s'humilier devant Dieu, ils se jettent dedans les plaisirs de ce siècle. « Le Seigneur des armées vous a appelés ce jour-là à pleurs, et à deuil, et à vous arracher les cheveux. Et à ceindre le sac, et voici joie et liesse : on tue des bœufs, on égorge des moutons, on mange la chair, et on boit le vin, puis on dit Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. Or l'Eternel des armées m'a déclaré disant, Si jamais cette iniquité vous est pardonnée que vous n'en mouriez, a dit l'Eternel des armées. » Il n'y a rien qui offense Dieu à l'égal de cette stupidité, par laquelle nous nous endurcissons à ses coups, et rions sous sa verge, au lieu de pleurer. Quel est à présent l'état de toute la Chrétienté ? y a-t-il lieu aucun exempt des jugements et des châtiments de Dieu, et où il ne témoigne qu'il est irrité contre la malice des hommes ? La peste, la guerre, et la famine, qui sont ici-bas les grands fléaux de son ire, ravagent partout depuis plusieurs années. On n'oit parler que de calamités publiques ; on ne voit de tous côtés que misères, et des objets pitoyables des désolations si fort épandues. La terre est couverte de corps morts ; les rivières sont rouges de sang humain en plusieurs endroits. Les pays fertiles sont réduits en déserts ; les villes autrefois peuplées, sont abandonnées de leurs habitants ; le service de Dieu banni de plusieurs lieux où il s'est exercé n'a pas longtemps, avec grande liberté, et ce qui reste d'entier, ou moins endommagé, menacé de mêmes visitations ; et les avant-coureurs de ces malheurs, déjà sont à nos portes. Les bénédictions de Dieu, qui nous avaient accompagnés, nous délaissent : nos desseins et nos entreprises s'en vont à néant. Tous les jours nous viennent nouvelles de pertes nouvelles. Et cependant il semble que nous soyons au milieu de nos plus grandes prospérités. Le luxe s'accroît et à mesure que nous diminuons en forces et en moyens, la somptuosité se fait plus grande, en habits, en festins, en banquets, et en toutes superfluités. Lorsque nous sommes appelés au sac et à la cendre, nous nous chargeons d'or et de pierreries, et comme si nous nous voulions moquer de la croix de Christ, nous la changeons en une croix d'orfèvrerie, pour parer le corps, de ceux qui ne pensent à rien moins qu'à charger sur eux la croix du Seigneur, renoncer à eux-mêmes et le suivre. Nous faisons profession d'avoir renoncé en notre baptême, au Diable, au monde, et à ses pompes et spectacles ; et cependant nous y courons, où nous les trouvons ; nous les préparons, où ils n'étaient point, et les procurons pour y donner nos présences et nos heures, en une saison qui nous devrait faire penser que la dernière heure n'est pas loin, et que la journée de l'Eternel est près. Cette indolence, que je ne dis stupidité, ne peut être qu'un présage de plus grands malheurs, si la miséricorde de Dieu ne les détourne ; ce qu'elle ne fera, qu'en nous détournant de nos mauvaises voies, pour faire les sentiers droits à notre Dieu. Si nous étions si sages et si avisés que de nous corriger par les exemples d'autrui, nous en avons de bien exprès et en bon nombre, qu'il ne faut point chercher au loin. Nous en avons chez nous-mêmes et en nous-mêmes : mais tels, jusques ici, par une grande patience de Dieu, que s'ils nous rendent sages après le coup ; ce ne sera pas après un coup mortel. Ce que nous avons été épargnés ce sont ses grandes compassions. N'en abusons point. Et qu'il ne dise point de nous, « A quel propos seriez-vous encore battus ? Vous ajouterez révolte. Toute la tête est en douleur, et tout le corps est amatti. » Gardons qu'il n'ajoute, pour nous comme pour les autres, « Votre pays n'est que désolation, et vos villes sont en feu ; les étrangers dévorent en votre présence votre terre. » Or pource que ces temps sont semblables à ceux auxquels les Goths et les Vandales Aryens, ravageaient tout l'Empire Romain, et auquel cependant, on ne pouvait obtenir de ceux qui portaient le nom de Chrétiens Orthodoxes, un vrai amendement de vie : tellement, que comme on fait à présent, aussi se jetaient-ils en toutes sortes de dissolutions ; auquel temps, sous le règne de l'Empereur Zénon, l'an CCCCLXXX Salvien Prêtre de Marseille, représenta la justice des jugements de Dieu, et sa providence au milieu de toutes ces confusions, rédargant avec une sainte liberté, les excès et égarements semblables à ceux de notre temps, même en ce qui concerne les jeux publics des Théâtres. J'ai traduit son discours sur ce sujet, pour conclusion de ce petit traité, afin que les lecteurs en cette conformité de mœurs, appréhendant d'être égalés en châtiments, recourent à la miséricorde de Dieu par un changement en mieux. **** *book_ *id_body-13 *date_1639 *creator_rivet VERSION DU latin de Salvien Prêtre de Marseille, du VI Livre du Gouvernement, ou Providence, de Dieu. Pour laisser à part ce que vous-mêmes excusez, disant qu'il ne se fait pas toujours : Parlons des ordures de tous les jours, que les légions des Démons ont inventées telles, et en si grand nombre, que les âmes même honnêtes et bonnes, quoiqu'elles en puissent mépriser et fouler aux pieds quelques-unes, ont toutefois de la peine à les surmonter toutes. Car, comme les armées qui se disposent au combat, ou entrecoupent de fossés, ou embarrassent de paux fichés ou incommodent de chaussetrapes, les chemins par où on voit que les troupes ennemies passeront afin que s'il y en a quelques-uns, qui ne tombent pas en tous ces pièges, il n'y en ait toutefois aucun qui les échappe tous : Ainsi les Diables ont tendu tant d'embûches en cette vie au genre humain, qu'encore que quelqu'un en puisse éviter plusieurs, toutefois il sera pris par une. Et certes, pource que ce serait chose de longue haleine de parler de toutes, (savoir des Amphithéâtres, des Théâtres pour les chansons, des autres places pour jouer, des pompes, des lutteurs, des danseurs sur la corde, des bateleurs, et autres monstres, desquels il me déplaît de parler, pource qu'il me fâche même de connaître ce mal) je parlerai seulement des impuretés du cirque et des théâtres. Car les choses qui se disent et se font là, sont telles, que personne ne peut non seulement les dire, mais même s'en souvenir, sans se polluer. Tous autres crimes prennent presque chacun leur part en nous ; comme les sales pensées, l'âme ; les regards impudiques, les yeux ; les mauvaises paroles, saisissent les oreilles : tellement que s'il y a de l'erreur en l'une de ces parties, les autres peuvent être sans péché : Mais ès Théâtres, il n'y en a pas une innocente ; pource que l'âme y est souillée de convoitises, et les oreilles de ce qu'elles oient, et les yeux, de ce qu'ils regardent. Toutes lesquelles choses sont si abominables, qu'il n'y a honnête personne, qui les puisse expliquer et en parler sans rougir de honte. Car, qui est-ce qui demeurant entièrement en l'état que requiert la modestie et la pudeur honnête, pourra exprimer de paroles, ces imitations de choses infâmes, ces ordures de voix et de mots, ces sales mouvements, ces gestes vilains et indécents ? desquels, on peut de là juger, combien ils sont criminels, qu'ils ne permettent pas qu'on en puisse faire une honnête relation. Il y a quelques grandes méchancetés, lesquelles peuvent être nommées, rapportées et reprises, sans intéresser l'honnêteté de celui qui en fait le récit : comme sont les homicides, les larcins, les adultères, les sacrilèges, et autres semblables. Les seules impuretés des Théâtres sont telles, qu'on ne peut pas même les accuser honnêtement. Ainsi à celui qui veut reprendre l'opprobre de telles infametés, arrive ceci de nouveau, qu'étant, sans doute, celui qui les veut acculer, honnête ; il ne peut cependant en parler et les châtier, son honnêteté sauve. Davantage, tous les autres maux souillent ceux qui les font, non ceux qui les voient, ou les oient. Car, si vous oyez un blasphémateur, vous n'en êtes point pollué, pource que votre âme n'y consent point : Et si vous vous rencontrez où se fait un larcin, vous n'êtes point souillé par cet acte, pource que vous l'avez en horreur en votre esprit. Les seules impuretés des spectacles sont celles qui rendent également coupables, ceux qui les font, et ceux qui les regardent. Car quand les spectateurs les approuvent et les voient volontiers, ils font eux-mêmes ces choses, par leur vue et consentement, tellement que ces mots de l'Apôtre les regardent particulièrement, « que non seulement ceux qui les commettent, sont dignes de mort, mais aussi ceux qui favorisent à ceux qui les font ». Par quoi en ces images de sales amours et paillardises, tous les assistants paillardent en leur âme. Et ceux, qui, peut-être, étaient venus purs à ces spectacles, s'en retournent adultères du Théâtre. Car ils ne paillardent pas seulement quand ils retournent, mais aussi quand ils viennent, d'autant qu'en cela même que quelqu'un désire une chose vilaine, il se trouve immonde, courant après l'immondicité. Les choses étant ainsi, voilà ce que font ou tous, ou la plupart des Romains. Et cependant, nous qui faisons telles choses, nous plaignons que Dieu ne tient compte de nous ; et que notre Seigneur nous abandonne, combien que ce soyons nous, qui abandonnons notre Seigneur. Feignons que Dieu nous veut regarder favorablement, quoique nous ne le méritions pas, voyons s'il le peut. Voici un nombre très grand de Chrétiens, lesquels à milliers se trouvent ès spectacles. Dieu peut-il donc regarder de bon œil ceux qui sont tels ? Peut-il regarder vers ceux qui font les insensés ès cirques à la façon des bacchantes, et qui prennent plaisir de voir imiter les sales amours ès théâtres ? Voudrions-nous par aventure, et estimerions-nous digne, que Dieu nous voyant dans les Cirques et Théâtres, regarde aussi avec nous avec plaisir, ce que nous regardons, et qu'il voie volontiers avec nous, les infametés que nous voyons ? Car il faut que l'un ou l'autre soit, pource que s'il daigne nous voir, il s'ensuit aussi qu'il voit, ce qui se fait, là où nous sommes ; ou s'il en détourne ses yeux, (comme il fait sans doute) il les détourne aussi de nous, qui nous trouvons en ces lieux. Et combien qu'ainsi soit, nous faisons toutefois ces choses, que j'ai dites, et sans cesser. Est-ce que peut-être comme les Anciens Païens, nous croyons que nous avons un Dieu des cirques et des Théâtres ? Car ils faisaient jadis telles choses, pource qu'ils estimaient, que c'étaient les délices de leurs idoles. Nous, qui sommes certains que Dieu hait ces choses, comment les faisons-nous ? Ou certes, si nous savons que ces turpitudes plaisent à Dieu, je n'empêche pas que nous les fassions sans cesse. Mais si notre conscience nous témoigne, que Dieu les a en horreur et en exécration, que si comme en icelles le Diable trouve ses délices et s'en paît ; Dieu en est offensé ; Comment disons-nous que nous servons Dieu en son Eglise, qui en l'ordure de tels jeux servons continuellement au Diable, et cela le sachant et le voulant, et de plein gré ? Et quelle espérance, je vous prie, nous restera envers Dieu, qui ne l'offensons point par ignorance et sans y penser ; mais à l'exemple de ces géants de jadis, desquels nous lisons que par des efforts insensés ils ont voulu monter ès nuées, et prendre le ciel par escalade ? Ainsi nous, par les injures que nous lui faisons en tout le monde, faisons la guerre au ciel, comme par un consentement public. Donc à Christ, (O rage monstrueuse !) à Christ dis-je nous offrons les jeux du cirque et des bateleurs ; et cela principalement quand nous recevons quelque bien de lui, quand il nous fait sentir quelque prospérité ; quand il nous fait obtenir quelque victoire contre nos ennemis. Et qu'est-ce que nous semblons faire en cela, sinon ce que ferait un homme injurieux à celui duquel il recevrait un bienfait, ou qui dirait des outrages à celui qui lui rendrait tous offices d'amitié, ce qui donnerait un coup de poignard à celui qui le baiserait ? Je demanderais volontiers, à tous les puissants et riches de ce monde, de quel crime serait coupable ce serviteur, qui machinerait du mal contre son seigneur doux et bénin ; qui dirait des injures à celui qui aurait bien mérité de lui ; et pour la liberté qu'il en aurait reçue, lui rendrait du déshonneur, et le desservirait ? Sans doute, celui-là est tenu coupable d'un grand crime, qui rend le mal pour le bien ; puisqu'il n'est pas même permis de ne rendre le bien pour le mal. Cela toutefois faisons-nous, qui nous disons Chrétiens. Nous irritons contre nous le Dieu miséricordieux par nos impuretés ; nous déshonorons par nos ordures, celui qui a fait la propitiation pour nos péchés ; Nous frappons par nos outrages, celui qui nous traite si doucement. A Christ donc, (ô fureur monstrueuse !) A Christ, dis-je, nous offrons les cirques et les bateleurs ; nous offrons à Christ pour ses bénéfices, les ordures des Théâtres ; nous lui sacrifions les hosties de nos sales passe-temps. N'est-ce pas ce que notre Sauveur né pour nous, en chair, nous a enseigné ? Pour cela a-t-il voulu subir, la bassesse de la naissance humaine ; et s'assujettir aux commencements d'une origine terrienne, laquelle ne se fait pas sans honte ; C'est pour cela qu'a voulu être couché en une crèche, celui auquel les Anges servaient quand il y était gisant ; C'est pour cela qu'a voulu être emmailloté de drapeaux, celui qui gouvernait les cieux en son maillot. C'est pour cela, que celui duquel le monde a eu peur lors qu'il était attaché à la croix, a voulu être pendu au bois. Celui, dit l'Apôtre, « qui s'est rendu pauvre pour vous, combien qu'il fût riche, afin que par sa pauvreté vous fussiez rendus riches. Lequel étant en forme de Dieu, s'est anéanti soi-même, ayant pris forme de serviteur, et a été obéissant jusqu'à la mort, voire la mort de la croix. » Est-ce ainsi que Christ nous a instruits, quand il a enduré pour nous telles choses ? Nous rendons une belle récompense à sa passion, quand après la rédemption que nous avons reçue par sa mort, nous le payons d'une vie très vilaine ? Car, dit le bienheureux Paul, « La grâce de Dieu salutaire à tous hommes est apparue, nous enseignant, que renonçant a toute impiété et aux mondaines convoitises, nous vivions, religieusement et justement, en ce présent siècle : attendant la bienheureuse espérance, et l'avènement de la gloire du grand Dieu, et notre Sauveur Jésus Christ ; qui s'est donné soi-même pour nous, pour nous racheter de toute iniquité et nous nettoyer, pour lui être un peuple agréable, sectateur de bonnes œuvres. » Où sont ceux qui font ces choses, pour lesquelles l'Apôtre dit que Christ est venu ? Où sont ceux qui fuient les désirs mondains ? Où sont ceux qui mènent une vie juste et religieuse ? Où sont ceux qui par bonnes œuvres montrent leur bienheureuse espérance ? Qui menant une vie sans tâche, par cela même, prouvent qu'ils attendent le Royaume qu'il leur sera donné d'obtenir ? Jésus Christ, dit-il, est venu, pour se nettoyer un peuple agréable, sectateur des bonnes œuvres. Où est ce peuple net ? Où ce peuple agréable et péculier ? Où ce peuple de bonnes œuvres ? Où est ce peuple de sainteté ? Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple afin que nous ensuivions ses traces. Voire, nous suivons ses traces ès cirques : nous suivons les traces du Sauveur ès Théâtres ? sans doute que celui-là nous a laissé cet exemple, que nous lisons avoir pleuré, mais que nous ne lisons point avoir ri ; et l'un et l'autre pour nous, car les pleurs sont la componction du cœur ; le ris est la corruption de la discipline. Malheur à vous qui riez, pource que vous pleurerez : Vous êtes bienheureux vous qui pleurez, pource que vous rirez. A nous ne suffit pas de rire et nous éjouir : si nous ne nous réjouissons avec péché et folie. Si notre ris n'est mêlé d'impuretés et de forfaits. Quel est, je vous prie cet erreur ? quelle manie ? Ne pouvons-nous pas nous réjouir et rire, si nous ne faisons que nos joies et ris soient autant de crimes ? Pensons-nous qu'une joie simple soit infructueuse, pour ne nous plaire à rire, sinon en offensant Dieu ? Rions je vous prie, quoi que sans mesure : éjouissons-nous quoi que continuellement, pourvu que ce soit innocemment : Quelle stupidité et rage est ceci, que nous ne pensions point, qu'il y ait du plaisir à rire, si ce n'est en faisant injure à Dieu ? Injure dis-je, et très grande. Car en ces spectacles y a quelque apostasie de la foi, et une prévarication nouvelle contre les symboles et célestes sacrements d'icelui. Car, quelle est la première confession salutaire au baptême des Chrétiens ? sinon qu'ils protestent « qu'ils renoncent au Diable, à ses pompes, et œuvres » ? Donc les spectacles et pompes, selon notre profession, sont œuvres du Diable. Comment est-ce donc, ô Chrétien, qu'après le baptême tu cours après les spectacles, que tu confesses être œuvres du Diable ? Tu as renoncé une fois au Diable et à ses spectacles. Donc quand tu retournes aux spectacles, il est nécessaire que tu reconnaisses, que le sachant et le voulant, tu retournes au Diable. Car tu as renoncé à l'un et à l'autre, et n'en as fait qu'un de tous les deux ; Si tu retournes à l'un ; tu es retourné à tous les deux. Car, dis-tu, « je renonce au Diable, à ses pompes, à ses spectacles, et à ses œuvres » ; Et quoi après ? « Je crois, dis-tu, en Dieu le Père tout puissant, et en Jésus Christ son fils. » Donc premièrement on renonce au Diable, pour croire en Dieu, pource que quiconque ne renonce point au Diable, ne croit point en Dieu : par quoi qui retourne au Diable, abandonne Dieu. Or le Diable est en ses spectacles et pompes, et par ainsi, quand nous retournons aux spectacles, nous laissons la foi de Christ. Par quoi en cette manière tous les sacrements du symbole sont violés, et tout ce qui suit au symbole est ébranlé et ruiné. Car, si le principal ne demeure, rien de ce qui suit ne peut subsister. Dis-moi donc, ô Chrétien, comment penses-tu retenir les conséquences du symbole, si tu en as perdu les principales ? Les membres ne valent rien sans leur chef, et toutes choses regardent à leurs commencements, lesquels étant perdus, tout le reste s'en va à néant. Car l'origine étant ôtée ou les autres choses ne sont point ; ou, si elles sont, elles sont sans profit, parce que rien ne peut subsister sans tête. Si donc quelqu'un estime que le péché des spectacles soit petit ; Qu'il regarde à tout ce que nous avons dit, et qu'il voie qu'ès spectacles n'est pas la volupté, mais la mort. Or qu'est-ce autre chose qu'encourir la mort, quand on perd l'origine de la vie ? Car où le fondement du symbole est renversé, on coupe la gorge à la vie même. Derechef donc il est nécessaire que nous retournions à ce que nous avons dit : Qu'y a-t-il de tel entre les barbares ? où sont chez eux les jeux du cirque ? Où les théâtres ? où les forfaits de diverses impuretés ? C'est la ruine de notre espérance et salut. Car si ceux-là en usaient comme Païens, leur péché était moindre, ne violant pas les sacrements, Et ainsi ils erraient moins dangereusement, quoiqu'il y eût de l'impureté en leur vue, il n'y avait point d'offense contre la Religion. Mais nous, que pouvons nous répondre pour nous ? Nous savons le symbole, et nous le renversons : nous confessons et abjurons tout ensemble le don de salut. Où est donc notre Chrétienté, qui semblons n'avoir reçu le sacrement de salut, qu'afin que notre prévarication soit plus grande, et notre péché plus énorme. Nous préférons les jeux au service de Dieu ; Nous méprisons la table du Seigneur, et nous faisons honneur aux Théâtres : Enfin, nous aimons tout, nous honorons tout. Le seul Dieu est tenu pour vil entre nous, en comparaison de toutes autres choses. Finalement, outre les autres arguments qui prouvent cela, ce que je dirai le témoigne encore davantage. Si quelque solennité Ecclésiastique et les jeux publics se rencontrent en même temps, comme souvent il advient, je demande à la conscience de tous, lequel lieu sera plus rempli de Chrétiens, où il se trouvera plus grand nombre de Chrétiens, ès places des jeux publics, ou ès parvis de Dieu ; et si tous préféreront le Temple au théâtre ; feront plus d'état des paroles des Evangiles que de celles des bateleurs, des paroles de vie, que des paroles de mort, des paroles de Christ, que de celles d'un farceur ? Il n'y a point de doute que nous n'aimions davantage, ce que nous préférons. Car tous les jours que ces jeux malencontreux se célèbrent, s'il y a quelque solennité Ecclésiastique, non seulement ceux qui se disent Chrétiens, ne viennent point à l'Eglise, mais si quelques-uns, qui ne l'ont pas su, y viennent, et qu'ils entendent qu'on fait des jeux, ils laissent l'Eglise, pour y accourir. Nous méprisons le Temple de Dieu, pour courir au Théâtre. L'Eglise est vide ; le lieu Comique rempli. Nous laissons Christ, pour adultérer par un regard impur ; et puis repaître nos yeux, par la fornication des jeux malhonnêtes. Mais peut-être étant corrompus par la prospérité, nous sommes plus sages en l'adversité. Rien de tout cela. C'est pourquoi ces paroles du Seigneur s'adressent très à propos à nous : « A cause de vos ordures vous êtes entièrement exterminés. » Et derechef, « les autels de vos ris seront exterminés ». Mais, peut-être pourra-t-on répondre, que cela ne se fait pas en toutes les villes des Romains. Il est vrai, et j'ajoute encore quelque chose davantage ; que cela ne se fait plus, où autrefois il s'est fait ordinairement. Car cela ne se fait plus ès villes de Mayence et Marseille, pource qu'elles sont détruites et ruinées. Cela ne se fait plus à Cologne pource qu'elle est remplie d'ennemis. Cela ne se fait plus en la très excellente ville de Trèves, mais c'est pource qu'elle a été par quatre fois renversée. Finalement, cela ne se fait plus en plusieurs villes de France et d'Espagne ; et partant, malheur à nous, et à nos impuretés. Quelle espérance reste devant Dieu aux peuples Chrétiens ? puisque ès villes Romaines ces maux ne sont plus, après qu'elles ont été réduites en la puissance des barbares ? Dont appert, que les vices et les impuretés sont comme une propriété des hommes Romains, et comme leur inclination naturelle, pource que, là sont principalement les vices, où sont les Romains. Mais peut-être que cet amas que je fais se trouvera pesant et inique. Je l'avoue certes, s'il est faux. Comment, me direz-vous, ne serait-il faux, puisque les choses que nous avons dites se trouvent presque à présent en peu de villes Romaines : et qu'il y en a plusieurs lesquelles maintenant ne sont point pollues des taches de telle impureté, et où combien qu'on voie encore les lieux et domiciles de l'ancien erreur, toutefois ces jeux ne s'y font plus, qu'on y faisait auparavant. Il faut donc considérer l'un et l'autre, c'est-à-dire, d'où vient qu'encore les lieux et les logements de ces jeux demeurent, les jeux y ont toutefois cessé. Car là se voient encore les lieux et habitacles de telles turpitudes, pource qu'auparavant toutes impuretés y ont été commises : Mais ces jeux ne s'y font plus maintenant, pource que la misère du temps et la pauvreté en ôte le moyen. Par quoi, ce qui y a été fait auparavant était du vice : ce qu'on ne l'y fait point à présent, vient de la nécessité. Car la calamité du fisc, et la mendicité des finances Romaines, ne permet point, que partout on fasse une prodigue dépense en choses de néant, combien donc qu'encore beaucoup de biens se perdent en cela, et soient comme jetés en la boue ; Il ne s'en peut toutefois perdre tant, pource qu'il n'y a plus tant de biens à perdre. Car si on regarde au désir de notre convoitise et de nos impures voluptés ; nous voudrions certes avoir plus, ne fût-ce que pour l'employer à cela, et pouvoir en convertir beaucoup en la boue de cette turpitude. Et la chose montre, combien nous en voudrions prodiguer, si nous étions bien riches et abondants ; vu que tous mendiants que nous sommes, nous en prodiguons tant. Car telle est la contagion des mœurs de ce temps, et la perdition ; qu'après que la pauvreté n'a plus de quoi perdre ; la convoitise vicieuse, voudrait encore avoir de quoi en perdre davantage. Il n'y a donc pas de quoi nous pouvoir flatter en cela en quelque sorte, et dire qu'à présent en toutes villes ne se fait pas ce qui s'y est fait jadis. Car pour cela ne se fait-il pas à présent en toutes, pource que les villes où il se faisait, ne sont plus maintenant, pource qu'on y a fait longtemps, ce qui a été cause, qu'on ne le peut plus faire, où il se faisait : comme Dieu lui-même en a parlé aux Pécheurs par son Prophète : « L'Eternel ne l'a pu porter davantage, à cause de la malice de vos actes et à cause des abominations que vous avez commises : dont votre pays a été réduit en désert, et en étonnement, et en malédiction. » De là donc est arrivé que la plus grand part de l'Empire Romain, est en étonnement et en malédiction. Et plût à Dieu que ces choses eussent seulement été faites ci-devant, et qu'enfin la débauche Romaine cessât de les faire ! peut-être, comme il est écrit, « Dieu serait propice à nos péchés. » Mais nous ne nous comportons pas, pour le rendre propice. Nous ajoutons continuellement et sans cesse maux sur maux, et accumulons péchés sur péchés ; et après que la plus grande partie de nous est périe, nous faisons encore ce qu'il faut faire pour périr tous. Qui est-ce je vous prie qui voit tuer quelqu'un près de soi, qui ne craigne point ? Qui est-ce qui voit brûler la maison de son voisin, et ne travaille point pour garantir la sienne ? Nous n'avons pas vu seulement ardre nos voisins, mais nous-mêmes sommes embrasés en la plus grande partie de nos corps. Et quel mal est ceci (ô méchanceté !) Nous avons été brûlés ; et toutefois nous ne sentons point les flammes dans lesquelles nous ardons. Car, comme j'ai déjà dit, si on ne fait pas à présent partout, ce qui a été fait autrefois, c'est un bénéfice de la misère, non de la discipline et de l'amendement. Ce que je prouverai facilement. Car, ramenez-moi l'état du temps passé, et incontinent vous verrez recommencer partout ce qui a cessé. J'ajoute plus, que si nous regardons aux désirs des hommes, combien que cela ne soit plus partout en effet, il y est pourtant jusques à ce point, que le peuple Romain voudrait qu'il fût partout. Car quand l'homme s'abstient de mal faire par la seule nécessité, la seule convoitise d'un acte infâme est condamnée pour l'action. Car, comme j'ai dit, selon la parole de notre Seigneur, celui qui a regardé une femme pour la convoiter, est coupable d'adultère commis en son cœur, d'où nous pouvons inférer, que si la seule nécessité nous empêche de commettre les choses blâmables et damnables, nous ne laisserons d'être condamnés pour les avoir convoitées et désirées, car la volonté sera tenue pour le fait. Et que dis-je de la volonté ? Ne fait-on pas cela partout, où on le peut ? Prenez-moi les habitants de quelque ville que ce soit, s'ils viennent à Ravenne ou à Rome, ils font partie du peuple Romain dans les cirques ; ils font partie du peuple de Ravenne dans le Théâtre. Que personne donc ne se tienne excusé, pour le lieu, ou pour son absence. Tous sont un en l'infameté des choses, en la volonté desquelles ils se trouvent associés. Et toutefois nous nous flattons encore de la bonté de nos mœurs, et de la rareté de nos débauches ! Je dirai bien davantage que non seulement cette tache de ces jeux infâmes, qui ont été faits jadis, dure encore à présent : mais qu'ils se font plus criminellement beaucoup, qu'ils ne se faisaient ci-devant. Car alors, les membres de la République Romaine étaient en leur lustre et en leur entier. Les richesses faisaient que les greniers publics se trouvaient trop étroits. Les citoyens de toutes les villes étaient remplis de richesses et délices. L'autorité de la Religion, en une si grande affluence de biens, à peine pourrait contenir les mœurs en une juste mesure. Il est vrai que lors en plusieurs lieux on nourrissait les acteurs de ces déshonnêtes voluptés : mais tout était rempli et gorgé de biens. Personne ne regardait aux dépenses que faisait la République, pource qu'on n'en sentait point la diminution. La République cherchait en quelque façon les moyens de perdre, ce qu'à peine lors eût-elle pu réserver. C'est pourquoi le comble des richesses, qui avait presque alors passé toute mesure, regorgeait aussi en choses de néant. Mais à présent que peut-on dire ? Les richesses du temps passé s'en sont allées. Nous sommes à présent misérables, et ne cessons pas d'être badins. Et combien, que la pauvreté survenant, ait de coutume d'aider aux pupilles qui ont été prodigues et dépensiers, qui cessent d'être vicieux, quand ils ont désisté d'être riches. Nous seuls sommes un genre de pupilles et de perdus, esquels l'opulence a cessé d'être, mais la méchanceté demeure. D'où vient qu'à la façon des autres hommes nous n'avons pas les causes de notre corruption, dans les attraits et allèchements qu'apportent les biens de ce siècle ; mais nous les avons ès cœurs : et notre entendement est notre débauche, tellement que ce que nous péchons et ne nous amendons point, ne vient que de notre inclination au mal, non de ce que nos biens ne nous ont pas été ôtés. Or quoi que jusques ici j'aie assez discouru, combien il y a de vices entre les Romains, desquels les nations barbares ne sont point souillées, j'en ajouterai encore beaucoup qui défaillent ; mais devant que le dire je donnerai cet avertissement, qu'il n'y a aucune espèce de péché qui concerne le déshonneur de Dieu, que personne doive estimer léger. Car s'il n'est permis à aucun de déshonorer un homme illustre et puissant ; et si celui qui le déshonore est tiré en cause, et condamné par les lois comme auteur d'injures : Combien se rend coupable d'un plus grand crime, celui qui est injurieux à Dieu ? Car toujours la faute de celui qui la commet, croît par la dignité de celui qui souffre l'injure : pource qu'il est nécessaire, que tant plus qu'est grande la personne de celui qui est outragé, tant plus grande soit la faute de celui qui le fait. Et de là, est venu, que nous lisons en la loi, que ceux mêmes qui semblent avoir fait quelque faute légère contre le commandement sacré, ont été toutefois punis très sévèrement. Afin que nous entendissions, que rien de ce qui appartient à Dieu, ne doit être tenu pour léger : pource que ce qui semblait être petit en la faute, était rendu grand par l'injure de la divinité. Finalement, que fit cet Oza lévite de Dieu contre le commandement céleste, en ce qu'il tâcha d'appuyer l'arche qui tombait ? Car il n'y avait rien de commandé touchant cela, par la loi ; et cependant sitôt qu'il la voulut soutenir, il tomba mort. Non, comme il semblerait en apparence, qu'il avait commis quelque chose par un esprit opiniâtre, ou pour le moins contre le devoir ; mais au même devoir qu'il rendait, il manqua à son devoir, pource qu'il présuma de faire ce qui ne lui était pas commandé. Un homme du peuple d'Israël, pour avoir amassé du bois au Sabbat, fut mis à mort, et ce, par le commandement et jugement de Dieu, juge très équitable, et très miséricordieux, et qui, sans doute, eût mieux aimé pardonner que faire mourir, si la raison de la sévérité n'eût prévalu sur la raison de miséricorde. Car un qui avait été plus imprudent, périt, afin que plusieurs autres ne périssent puis après par imprudence. Et que dirai-je de tous et chacun tels jugements ? Toute la nation des Hébreux cheminant par le désert pour avoir désiré de la chair accoutumée, perdit une partie de son peuple. Et cependant il n'avait point encore été défendu d'en désirer : Mais, comme je pense, Dieu voulut aider par là, à l'observation de la loi, pour réprimer la convoitise rebelle, afin que tout le peuple connût plus facilement, combien il devait éviter de choses, que Dieu avait interdites par ses écrits célestes, puisqu'il était même offensé, quand on commettait celles, qui n'avaient point encore été défendues par la loi. Ce même peuple gémissait pour le travail qu'il soutenait, et pour cela il fut battu de plaies du ciel ; non qu'il ne soit licite de gémir à celui qui est travaillé, mais le gémissement contre Dieu était ingrat, comme accusant Dieu de les travailler immodérément. D'où on peut entendre combien doit plaire à Dieu, celui qui jouit du bonheur des choses agréables, puisqu'il n'est pas même licite de se plaindre de celles qui sont désagréables. On demandera peut-être, à quel propos tout cela ? II tend à ceci qu'on n'estime rien léger en quoi Dieu sera offensé. Car nous parlons des jeux publics, qui sont les moqueries de notre espérance ; les risées de notre foi. Car quand nous jouons ès Théâtres et cirques nous périssons, selon le dire du Sage, « C'est comme un jeu au fou de faire quelque méchanceté. » Par quoi, quand nous rions entre les choses déshonnêtes et déshonorables nous commettons des péchés, qui ne sont pas petits, mais d'autant plus dignes de punition, pource que quand ils semblent en apparence être petits, ils sont très pestilents par les choses pernicieuses qui en résultent. Car comme ainsi soit que l'homme commette deux grands maux, ou en se tuant soi-même, ou en offensant Dieu, il fait l'un et l'autre en ces jeux publics. Et peu après. Combien que cela soit toujours grandement grief, il est toutefois beaucoup plus insupportable, quand outre l'usage ordinaire de la vie, les adversités, ou les prospérités le rendent plus criminel. D'autant qu'en l'adversité il faut être plus attentifs à apaiser Dieu ; et en la prospérité, regarder à ne le point offenser. Car il le faut apaiser quand il est en colère, et ne le faut pas offenser quand il nous est favorable. Les adversités nous viennent de son ire, les prospérités, de sa grâce. Or nous faisons tout le contraire. Tu me demandes comment ? Ecoute. Premièrement si Dieu nous exauce par sa miséricorde, (car nous ne vivons jamais si bien, que nous méritions d'être exaucés,) Mais si quelquefois, comme j'ai dit, s'apaisant soi-même, il nous donne des jours paisibles, des revenus abondants, une tranquillité riche en tous biens, et une abondance croissante par-dessus nos désirs ; nous sommes corrompus par une si grande prospérité des biens qui nous viennent, et sommes tellement empirés par une grande insolence de nos mœurs, que nous oublions du tout Dieu et nous-mêmes. Et combien que l'Apôtre dise, que tout le fruit de la paix que Dieu donne, consiste en ceci, « que nous puissions mener une vie paisible et tranquille, en toute piété, et honnêteté » : nous nous servons du repos que Dieu nous donne, pour l'employer seulement en ivrognerie, en luxure, en méchancetés, en rapines, et vivons en toutes sortes de débauches, comme si Dieu nous donnait quelques trêves de repos, pour pécher avec plus de licence et hardiesse. Qui pourra croire ceci ? nous changeons par nos iniquités la nature des choses : et ce que Dieu a fait bon par le don de sa miséricorde, nous le faisons être mauvais, par la perversité de nos mœurs. Ainsi parlait Salvien à ceux de son temps. Il ne faut que changer le nom, et nous trouverons qu'il parle à ceux de notre temps : et nous avertit sagement, « que nous nous sauvions de cette génération perverse ». Croyons son conseil, qui est celui de l'Apôtre, et nous humilions sous la main puissante de Dieu, prévenant ses jugements par repentance. Dieu nous en fasse la grâce. FIN.